← Retour

Variétés Historiques et Littéraires (05/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

16px
100%

The Project Gutenberg eBook of Variétés Historiques et Littéraires (05/10)

This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.

Title: Variétés Historiques et Littéraires (05/10)

Editor: Edouard Fournier

Release date: March 6, 2015 [eBook #48421]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Guy de Montpellier, Christine
P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team
at http://www.pgdp.net (This file was produced from images
generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES (05/10) ***

VARIÉTÉS
HISTORIQUES
ET LITTÉRAIRES

Recueil de pièces volantes rares et curieuses
en prose et en vers

Revues et annotées

PAR
M. ÉDOUARD FOURNIER

Tome V

Décoration.

A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLVI

Les Triolets du temps, selon les visions d'un petit-fils du grand Nostradamus. Faits pour la consolation des bons François et dediés au Parlement.

A Paris, chez Denys Langlois, au Mont S.-Hilaire, à l'enseigne du Pelican.

M. DC. XLIX

In-4.[1]

Quoy donc! Paris est investy?
O cieux! qui l'eût jamais pu croire!
Le roy mesmes en est sorty.
Quoy donc! Paris est investy?
Il me faut donc prendre party
Pour sauver mes biens et ma gloire.
Quoy donc! Paris est investy?
O cieux! qui l'eust jamais pu croire!

Parisiens, ne resvez pas tant,
La defense est tousjours permise;
En ce malheureux accident,
Parisiens, ne resvez pas tant.
Çà! çà! viste, il faut de l'argent:
Donnons tous jusqu'à la chemise.
Parisiens, ne resvez pas tant,
La defense est tousjours permise.

Il faut estre icy liberaux;
Pour sauver la ville alarmée,
Choisissons de bons generaux;
Il faut estre icy liberaux:
Pour nous garantir de tous maux,
Faisons une puissante armée;
Il faut estre icy liberaux
Pour sauver la ville alarmée.

Qu'on taxe, maison par maison,
Les petites et grandes portes;
N'importe qu'il en couste bon,
Qu'on taxe maison par maison.
Il est besoin pour la saison
Que nos troupes soient les plus fortes:
Qu'on taxe, maison par maison,
Les petites et grandes portes[2].

En cette juste occasion,
Employons nos corps et nos ames;
Travaillons avec passion
En cette juste occasion;
Il faut tout mettre en faction,
Enfans, vieillards, hommes et femmes;
En cette juste occasion,
Employons nos corps et nos ames.

Suivons nostre illustre pasteur[3],
On ne peut après luy mal faire;
C'est un maître predicateur;
Suivons nostre illustre pasteur,
Cet autre Paul, ce grand docteur,
Que toute l'Eglise revère;
Suivons nostre illustre pasteur,
On ne peut après luy mal faire.

François, venez tous prendre employ;
Montrez icy vostre vaillance,
Vous aurez au moins bien de quoy;
François, venez tous prendre employ:
C'est pour le service du roy
Et pour le salut de la France;
François, venez tous prendre employ,
Monstrez icy vostre vaillance.

Je veux moy-mesme aller aux coups,
Moy qui ne suis qu'homme d'estude;
Pour donner bon exemple à tous,
Je veux moy-mesme aller aux coups;
S'il faut mourir je m'y résous,
Encor que la mort soit bien rude;
Je veux moy-mesme aller aux coups,
Moy qui ne suis qu'homme d'estude.

Dieu sera de nostre costé,
Puis que nous avons la justice;
Qu'on ne soit pas epouvanté,
Dieu sera de nostre costé:
Le Parlement nous est resté
Pour travailler à la police;
Dieu sera de nostre costé,
Puis que nous avons la justice.

Qu'ils prient bien, nos ennemis,
S'ils ont la pieté dans l'ame,
Ce sainct devoir leur est permis,
Qu'ils prient bien, nos ennemis,
Saint Germain, saint Cloud, saint Denys[4];
Nous avons pour nous Nostre-Dame.
Qu'ils prient bien, nos ennemis,
S'ils ont la pieté dans l'ame.

Ces cruels nous serrent en vain
Tout à l'entour de nos murailles,
Nous ne sçaurions mourir de faim;
Ces cruels nous serrent en vain.
Tout chacun trouvera du pain
Pour rassasier ses entrailles;
Ces cruels nous serrent en vain
Tout à l'entour de nos murailles[5].

Nos greniers sont remplis de blé,
Qu'on en fasse de la farine;
Le peuple a tort d'estre troublé,
Nos greniers sont remplis de blé;
On ne sçauroit estre accablé
D'un an entier de la famine.
Nos greniers sont remplis de blé,
Qu'on en fasse de la farine.

L'un s'est pourveu pour six bons mois,
En fait-il besoin davantage?
L'un pour quatre, l'autre pour trois;
L'un s'est pourveu pour six bons mois.
On a des fèves et des pois,
Du lard, du beurre et du fromage;
L'un s'est pourveu pour six bons mois,
En fait-il besoin davantage?

On a de tous les bons morceaux:
Lièvres, lapins, perdrix, becaces;
On a quantité de pourceaux[6],
On a de tous les bons morceaux;
On a moutons, bœufs, vaches, veaux,
On en vend dans toutes les places;
On a de tous les bons morceaux:
Lièvres, lapins, perdrix, becaces.

Les vivres ne manqueront pas,
On peut tousjours faire ripaille;
Qu'on n'épargne point un repas,
Les vivres ne manqueront pas:
On a dindons et chapons gras,
Et les chevaux ont foin et paille.
Les vivres ne manqueront pas,
On peut toujours faire ripaille.

Les cabarets sont tous ouverts;
Chacun y boit, chacun y mange,
On y trouve des vins divers;
Les cabarets sont tous ouverts,
Et c'est là que j'ay fait ces vers[7],
Qui sentent la saulce à l'orange;
Les cabarets sont tous ouverts,
Chacun y boit, chacun y mange.

Corbeil sera bien-tost repris,
Et tout viendra par la rivière;
Qu'on ne craigne point dans Paris,
Corbeil sera bien tost repris;
On aura de tout à bon prix,
Et nous ferons tous chère entière;
Corbeil sera bien-tost repris,
Et tout viendra par la rivière[8].

Il faut remettre Charenton[9]
Pour y refaire le passage,
Car autrement qu'en diroit-on?
Il faut remettre Charenton,
Qu'on y travaille tout de bon
Sans crainte d'un second carnage;
Il faut remettre Charenton
Pour y refaire le passage.

Fourbisseurs, ne vous lassez pas;
Armuriers, travaillez sans cesse:
C'est pour armer tous nos soldats.
Fourbisseurs, ne vous lassez pas;
Il faut couper jambes et bras
A ceux qui nous tiennent Gonnesse[10].
Fourbisseurs, ne vous lassez pas;
Armuriers, travaillez sans cesse.

Mon Dieu, l'admirable bon-heur
En ces dissentions nouvelles!
L'eusses-tu pu penser, mon cœur?
Mon Dieu, l'admirable bonheur!
La Bastille a pour gouverneur
Le fameux monsieur de Brusselles[11];
Mon Dieu, l'admirable bon-heur
En ces dissentions nouvelles!

Parisiens, nous serons des fous
Si nos cœurs ne se font connestre,
Et si nous n'agissons bien tous,
Parisiens, nous serons des fous;
Puisque l'Arcenac est à nous,
Il n'est pas besoin de Grand-Maistre[12];
Parisiens, nous serons des fous
Si nos cœurs ne se font connestre.

Puisque c'est à nous les canons,
Avec les boulets et la poudre,
Bourgeois, si mes conseils sont bons,
Puisque c'est à nous les canons,
Pour immortaliser vos noms,
Allez partout porter la foudre,
Puisque c'est à nous les canons
Avec les boulets et la poudre.

Il faut chasser le Mazarin,
Qui vole tout l'or de la France;
Fût-il plus fort, fût-il plus fin,
Il faut chasser le Mazarin;
Qu'il retourne de là Thurin
Pour estre plus en asseurance:
Il faut chasser le Mazarin
Qui vole tout l'or de la France.

Vrayment, nos yeux sont éblouis
Par un charme bien ridicule:
Il a des tresors inouis,
Vrayment, nos yeux sont eblouis;
Donnerons-nous tous nos Louis
A Rome pour un pauvre Jule[13]?
Vrayment nos yeux sont éblouis
Par un charme bien ridicule.

Cordonniers, tailleurs et marchans,
N'allez pas fermer vos boutiques,
Quoy que le tambour batte aux champs:
Cordonniers, tailleurs et marchans,
Vous aurez assez de chalans
Pour occuper vos domestiques;
Cordonniers, tailleurs et marchans,
N'allez pas fermer vos boutiques.

Boulangers, travaillez tousjours;
Serrez les escus qu'on vous offre,
Ne regardez pas s'ils sont courts;
Boulangers, travaillez tousjours:
Tant plus vous remplirez vos fours,
Tant plus vous remplirez le coffre;
Boulangers, travaillez tousjours,
Serrez les escus qu'on vous offre.

Je ne plains que les villageois:
Leurs maisons sont abandonnées,
On leur pille tout à la fois;
Je ne plains que les villageois:
Ils vont perdre plus en un mois
Qu'ils n'ont gaigné dans dix années;
Je ne plains que les villageois:
Leurs maisons sont abandonnées[14].

Bonnes gens, prenez garde à vous!
Les ennemis vont au pillage;
Ils sont tous gueux et tous filous:
Bonnes gens, prenez garde à vous!
Affamez comme de gros loups,
Ils cherchent à faire carnage.
Bonnes gens, prenez garde à vous!
Les ennemis vont au pillage.

Aux armes! ils sont aux faux-bours.
Laquais, mon pot et ma cuirace;
Qu'on fasse battre les tambours,
Aux armes! ils sont aux faux-bourgs.
Allons avec un prompt secours
Contre cette meschante race;
Aux armes! ils sont aux faux-bourgs.
Laquais, mon pot et ma cuirace.

Ne vous precipitez pas tant,
Cavalier de portes cochères[15]!
Vostre cheval est bien pesant,
Ne vous precipitez pas tant;
Gardez d'un mauvais accident
Qui pourroit gaster nos affaires;
Ne vous precipitez pas tant,
Cavalier de portes cochères.

Allons, puisque j'ay pris mon pot,
Allons, qu'on s'avance et qu'on tue;
Allons avec ordre au grand trot,
Allons, puisque j'ay pris mon pot[16],
Allons frapper sans dire mot;
Allons la visière abatue,
Allons, puisque j'ay pris mon pot,
Allons, qu'on s'avance et qu'on tue.

Helas! que de mal-heureux corps
Dont la rage a fait un parterre!
Que de blessez et que de morts!
Helas! que de mal-heureux corps!
Les foibles ont souffert des forts.
Voilà les beaux fruits de la guerre!
Helas! que de mal-heureux corps
Dont la rage a fait un parterre!

François qui combattez dehors,
Pourquoy causer tant de misères?
Songez, en faisant vos efforts,
François qui combattez dehors,
Que vous avez dans ce grand corps
Vos femmes, filles, sœurs et mères.
François qui combattez dehors,
Pourquoy causer tant de misères?

Si vous avez vos mesmes cœurs
En cette funeste avanture,
François, cruels persecuteurs,
Si vous avez vos mesmes cœurs,
Gardez-y parmy vos rigueurs
Un sentiment pour la nature,
Si vous avez vos mesmes cœurs
En cette funeste avanture.

Des François contre des François!
O cieux! l'abominable rage!
L'Espagnol rit bien cette fois.
Des François contre des François!
Voilà de barbares emplois,
Qui menacent d'un grand orage.
Des François contre des François!
O cieux! l'abominable rage!

Comediens, c'est un mauvais temps:
Prenez les armes sans vergogne,
Gardez-vous d'estre faineans.
Comediens, c'est un mauvais temps:
La tragedie est par les champs[17]
Bien plus qu'à l'hostel de Bourgogne.
Comediens, c'est un mauvais temps,
Prenez les armes sans vergogne.

Violons, on ne fait plus de bal
Pour cultiver les amourettes,
Encor qu'on soit en carnaval[18];
Violons, on ne fait plus de bal,
On aime mieux un bon cheval,
Des pistolets et des trompettes;
Violons, on ne fait plus de bal
Pour cultiver les amourettes.

Tous vos galans sont empeschez,
Attendez un accord, coquètes,
Pleurez cependant vos pechez;
Tous vos galans sont empeschez,
C'est en vain que vous les cherchez
Pour entendre d'eux des fleurètes;
Tous vos galans sont empeschez,
Attendez un accord, coquètes.

Mes chères[19], resvez nuit et jour,
Sans mettre ny rubans ny mouches:
On ne fait plus icy l'amour.
Mes chères, resvez nuit et jour:
Si l'on ne void bientost la cour,
Vous allez devenir des souches.
Mes chères, resvez nuit et jour
Sans mettre ny rubans ny mouches.

Adieu la foire Sainct-Germain[20]!
Consolez-vous, filles et femmes;
Point de bijous, il faut du pain:
Adieu la foire Sainct-Germain!
Vrayment, ce temps est inhumain:
On ne donne plus rien aux dames.
Adieu la foire Sainct-Germain!
Consolez-vous, filles et femmes.

On ne veut point d'enfarinez,
Tandis qu'il faut mettre le casque.
Mignons, vous serez condamnez,
On ne veut point d'enfarinez;
Mais n'en soyez pas estonnez,
Laissez passer cette bourrasque.
On ne veut point d'enfarinez,
Tandis qu'il faut prendre le casque.

L'Orvietan, retirez-vous,
Jetez le teatre par terre,
Vous n'attirerez plus de fous;
L'Orvietan, retirez-vous:
On ne sçauroit donner vingt sous
D'un pot d'onguent en temps de guerre.
L'Orvietan, retirez-vous,
Jettez le teatre par terre[21].

Plaideurs, mettez vos sacs au croc
Et songez à prendre les armes,
Il est temps de faire ce troc;
Plaideurs, mettez vos sacs au croc;
Point d'arrests, cela vous est hoc,
Sinon pour calmer ces vacarmes.
Plaideurs, mettez les sacs au croc,
Et songez à prendre les armes.

Huissiers, procureurs, advocats,
Laissez un peu moisir vos causes:
Vous ne sçauriez gaigner grand cas;
Huissiers, procureurs, advocats,
La guerre ne le permet pas,
Le desordre est en toutes choses.
Huissiers, procureurs, advocats,
Laissez un peu moisir vos causes.

Medecins, soyez bien contens,
Les maltotiers ont tous la fièvre;
S'ils ont volé depuis vingt ans,
Medecins, soyez bien contens,
On leur fait tout rendre en ce temps;
Chacun d'eux tremble comme un lièvre.
Medecins, soyez bien contens,
Les maltotiers ont tous la fièvre.

Pendant ces funestes malheurs,
Tenez-vous prests, apothicaires;
Si l'on veut reformer les mœurs
Pendant ces funestes malheurs,
Il faut bien purger des humeurs
Et reiterer des clistères.
Pendant ces funestes malheurs,
Tenez-vous prests, apothicaires.

Fraters[22], faites bien des onguens,
Et qu'on sorte de la boutique,
Les blessez sont par tous les chams;
Fraters, faites bien des onguens.
Il faudra bien quitter vos gans
Pour mettre les mains en pratique.
Fraters, faites bien des onguens,
Et qu'on sorte de la boutique.

Voleurs, songez à bien voler,
La saison en est fort commode.
Craignez-vous de mourir en l'air?
Voleurs, songez à bien voler.
D'ailleurs, à franchement parler,
Partout c'est aujourd'huy la mode.
Voleurs, songez à bien voler,
La saison en est fort commode.

Pillez tousjours plus hardiment,
Il est temps de faire fortune;
Un chacun pille impunement,
Pillez tousjours plus hardiment;
De nuit on peut adroitement
Prendre le soleil à la lune.
Pillez tousjours plus hardiment,
Il est temps de faire fortune.

Ah Dieu! qu'est-ce que j'apperçoy
Avecque mes grandes lunettes?
C'est un hydre en l'air, que je croy.
Ah Dieu! qu'est-ce que j'apperçoy?
C'est un monstre, un je ne sçay quoy.
Mais voyons un peu les planètes.
Ah Dieu! qu'est-ce que j'apperçoy
Avecque mes grandes lunettes?

Sur Paris je voy Jupiter,
Qui nous fait assez bon visage;
Mercure est prest de nous quitter;
Sur Paris je voy Jupiter,
Et Mars va se precipiter
Dans l'Occident: c'est bon presage.
Sur Paris je voy Jupiter,
Qui nous fait assez bon visage.

Courage! l'accord s'en va fait[23],
Je viens de l'apprendre des astres.
François, tout nous vient à souhait;
Courage! l'accord s'en va fait.
Vous en verrez bientost l'effet
Par la fin de tous nos desastres.
Courage! l'accord s'en va fait,
Je viens de l'apprendre des astres.

Il n'aura pas ce qu'il pretend,
L'Espagnol qui cherche ses villes;
C'est en vain qu'il est si content,
Il n'aura pas ce qu'il pretend.
Qu'il ne se chatouille pas tant
Pendant nos discordes civiles:
Il n'aura pas ce qu'il pretend,
L'Espagnol qui cherche ses villes.

Il s'en va, ce grand cardinal,
Qui n'a ny vertu ny science;
Paris, tu n'auras plus de mal,
Il s'en va ce grand cardinal;
Un vaisseau luy sert de cheval.
Ne crain pas qu'il revienne en France.
Il s'en va ce grand cardinal,
Qui n'a ny vertu ny science.

Qu'il aille vers le Maraignon[24],
S'il aime tant le fruit des mines:
L'or y croist comme icy l'oignon.
Qu'il aille vers le Maraignon:
Il aura du fin et du bon
Pour en faire des mazarines.
Qu'il aille vers le Maraignon,
S'il aime tant le fruit des mines.

Les nièces sont au desespoir
Du malheur de Son Eminence:
La cour ne les ira plus voir.
Les nièces sont au desespoir,
Elles vont perdre leur pouvoir
Avec leur trop haute esperance.
Les nièces sont au desespoir
Du malheur de Son Eminence.

Monsieur le prince de Condé
A bien moderé sa colère;
Il se void si mal secondé,
Monsieur le prince de Condé,
Qu'il est prest de quitter le dé
A son illustrissime frère.
Monsieur le prince de Condé
A bien moderé sa colère.

Le Parlement a le dessus,
Il faut qu'on luy donne des palmes;
Ses ennemis n'en peuvent plus.
Le Parlement a le dessus,
Et, malgré le temps si confus,
Toutes choses vont estre calmes.
Le Parlement a le dessus,
Il faut qu'on luy donne des palmes.

Le roy sera bien-tost icy:
Que chacun en saute de joye;
Ne nous mettons plus en soucy,
Le roy sera bien-tost icy;
Il va revenir, Dieu mercy,
C'est le ciel qui nous le renvoye;
Le roy sera bien-tost icy,
Que chacun en saute de joye[25].

Monsieur le prince de Conty[26],
Avec son zèle et sa prudence,
A bien soustenu son party,
Monsieur le prince de Conty;
L'univers doit estre adverty
Qu'il a sauvé la pauvre France,
Monsieur le prince de Conty,
Avec son zèle et sa prudence.

Il le faut louer hautement,
Ce vaillant duc de Longueville;
Bourgeois, Messieurs du Parlement,
Il le faut louer hautement:
Il a travaillé puissamment
Au bien de la cause civile;
Il le faut louer hautement,
Ce vaillant duc de Longueville.

Ce genereux duc de Beaufort
Sera bien avant dans l'histoire;
Dieu l'a tiré d'un cruel fort,
Ce genereux duc de Beaufort,
Pour servir icy de renfort
Et pour relever nostre gloire;
Ce genereux duc de Beaufort
Sera bien avant dans l'histoire.

Monsieur d'Elbeuf et ses enfans[27]
Ont fait tous quatre des merveilles.
Qu'ils sont pompeux et triomphans,
Monsieur d'Elbeuf et ses enfans!
On dira jusqu'à deux mille ans,
Comme des choses nompareilles:
Monsieur d'Elbeuf et ses enfans
Ont fait tous quatre des merveilles[28].

Admirons monsieur de Bouillon:
C'est un Mars, quoy qu'il ait la goutte;
Son conseil s'est trouvé fort bon.
Admirons monsieur de Bouillon:
Il est plus sage qu'un Caton,
On fait bien alors qu'on l'écoute.
Admirons monsieur de Bouillon:
C'est un Mars, quoy qu'il ait la goute[29].

Cet invincible marechal
Qu'on a tenu dans Pierre Ancise,
Après qu'il fut franc de ce mal,
Cet invincible marechal,
Il presta son bras martial
Pour mettre Paris en franchise,
Cet invincible marechal,
Qu'on a tenu dans Pierre Ancise[30].

Je ne puis taire ce grand cœur[31],
Que tout Paris vante et caresse:
C'est ce marquis tousjours vainqueur.
Je ne puis taire ce grand cœur:
C'est le capitaine sans peur,
Qui travaille et combat sans cesse;
Je ne puis taire ce grand cœur,
Que tout Paris vante et caresse.

Qu'on prepare de beaux lauriers,
Pour leur en faire des couronnes
A tous nos illustres guerriers;
Qu'on prepare de beaux lauriers,
Puis qu'en ces mouvemens derniers
Ils ont signalé leurs personnes;
Qu'on prepare de beaux lauriers,
Pour leur en faire des couronnes.

Tost après la paix de Paris
Sera la paix universelle;
Chacun reprendra ses esprits
Tost après la paix de Paris;
On n'entendra plaintes ny cris,
On ne verra plus de querelle;
Tost après la paix de Paris
Sera la paix universelle.

Chacun vivra dans le repos,
Sans craindre siége ny bataille;
On ne parlera plus d'impôts,
Chacun vivra dans le repos;
Gare les verres et les pots,
Quand on aura baissé la taille;
Chacun vivra dans le repos,
Sans craindre siége ny bataille.

Ces partisans si gros et gras,
Qui mettoient tout le monde en peine,
Seront eux-mesmes mis à bas;
Ces partisans si gros et gras.
Ils sont asseurez du trepas,
Ou de leur ruine prochaine,
Ces partisans si gros et gras,
Qui mettoient tout le monde en peine.

Ce gros ventru qui s'est sauvé
N'en est pas mieux pour estre en fuite:
Car, si jamais il est trouvé,
Ce gros ventru qui s'est sauvé,
Il peut bien dire son salve
Et son in manus tout en suite.
Ce gros ventru qui s'est sauvé
N'en est pas mieux pour estre en fuite.

Vive, vive le Parlement,
Qui va mettre la paix en France!
Qu'on chante solemnellement:
Vive, vive le Parlement!
Il oste tout dereglement,
Pour nous oster toute souffrance.
Vive, vive le Parlement,
Qui va mettre la paix en France!

AU PARLEMENT.

François comme je suis, serois-je pas coupable
Si je n'offrois ces vers
A qui regle la France, et que je tiens capable
De regler l'univers?
Ouy, de bon cœur je vous les donne,
Avec mes vœux et ma personne.

Discours sur la mort du Chapelier, avec son testament et tombeau. Ensemble les regrets de sa mère et les adieux par lui faicts aux regiments et les bien-faits par trois ferailliers. Avec la lettre escrite à sa mère.

A Paris, chez la veuve du Carroy, rue des Carmes, à la Trinité.

S. D. In-8.[32]

Premier que sortir de la ville de Paris, lieu de ma naissance, où toute ma generation est presente et vit journellement, je dis adieu, avec autant de regrets que faire se peut. Je me transportois de çà, de là, envers parents et amis, frères, sœurs, me precipitant d'un dernier adieu à ma très chère mère, laquelle, voyant ainsi mon depart, sembloit me vouloir suivre, se desesperant, et à chaudes larmes lavoit les traits de ma face, mouillant ma blonde chevelure; mais, ayant eu commandement de mon capitaine, il me la falut quitter et me desrober de sa presence. Comme je fus au Bourg la Reine, on voulut faire halte; mais le sergeant dit: Avançons! En cest avance nous cheminons jusqu'à Lonjumeau, qui pour lors estoit un dimanche. Ce fut là la demeure de deux jours, où les soldats prenoient mille plaisirs à se jouer avec femmes et filles, devisant les uns avec les autres; bref, il falut passer outre, et, quand nous fusmes à Montlehery, me mettant à regarder de tous costez, où nous vismes un petit bois, puis deux grandes pleines et quelque petite montagne, moy, emerveillé de voir la terre ainsi faitte, je commence à dire: Dieu a bien travaillé[33], et, demandant à mon sergeant si il faloit passer les montaignes et si il y avoit encore bien loing où il faloit aller, le sergeant dit que de dix jours, voire de quinze, je ne nous arresterions point, et qu'il y avoit bien d'autre passage à faire. Moy, qui n'avois jamais passé Sainct-Clou ou Vaugirard, je luy dis: Or, donné-moy mon congé; car je me doutois de ce qui m'est advenu. Le capitaine qui pour lors estoit, entendant la parole, se retourne, et dit au sergeant: Que l'on le mette sur le derrière de la charrette; puis estant au cartier, nous sçaurons quel gens d'arme il est. A l'instant le sergeant me donne quatre ou cinq grands coups au travers du dos et des fesses avec sa halebarde, que je fus contraint de cheminer[34]. Tant cheminasmes que nous arrivons devant la Rochelle, à un bourg appelé Nestray, où nous fismes monstre; puis l'on nous donne nos logis. Advint qu'il falloit travailler à la digue, qui est un grand malheur pour moy. A cause que je n'avois plus d'argent, je me prins à faire comme les autres, tant que j'y travaille quelque quinze jours ou davantage. A la fin du temps, j'apperceus trois bons compagnons crieurs de fers vieux drappeau, lesquels me firent cognoissance, tant qu'il fallut aller boire. Tant fismes grillades, que pas un de nous quatre n'avoit pas le soul: tellement qu'il falut reprendre l'habit de misère comme auparavant, retournant trouver le maistre entrepreneur, qui nous met en besogne comme auparavant, où nous fusmes quatre jours ensemble comme vrays camarades.

Mais, ô très grand malheur! la fortune perverse
Me fit en un matin mettre à la renverse
Par l'esclat d'un boulet, qui d'un très rude effort
Me persa rudement tout le travers du corps;
Et, me sentant navré, tombant dessus la terre,
Je crie: A mon secours quelque frère de guerre!
Mais chacun, me voyant, de moy n'ose approcher,
Se disans l'un à l'autre: Ce coup-là est bien cher!
Vaut mieux ne rien gaigner que de perdre la vie;
D'aller estre blessé, pour moy, je n'ay d'envie.
Las! je perdois mon sang à faute de secours;
Mais ces trois ferailliers sont arrivez tout court,
Ayant ouy le bruit que j'estois sur la terre,
M'apportèrent du linge et quelque peu à boire,
Puis bandèrent mes playes, me prenant souz les bras,
Me menèrent au cartier, me couchant sur un drap,
Tousjours me consolant, me faisant des prières,
Qu'il faloit avoir soin de Jesus et sa mère.
Alors plusieurs soldats commencent à s'assembler
A l'entour de mon lict, ne pouvant plus parler,
Regrettant dans mon cœur la douleur que ma mère
Possederoit de moy sçachant ce vitupère[35].
De deuil elle mourra, puis, la mort s'approchant,
Luy ravira l'esprit de son bras rougissant.
Le parler me venant, je dis avec grand peine
Un adieu très piteux à mon cher capitaine,
Aussi à mes amis qui m'avoient assisté
Parmy mes grands tourments et ma necessité;
Un adieu je leur dis, pleurant à chaude larme,
Ayant un grand regret d'ainsi quitter mon ame,
Dont me falloit quitter le meilleur de mon zèle.
Pour les grandes rigueurs de ceux de La Rochelle.

Testament.

Premier que de mourir en presence du monde,
Faut que je boive un coup, puis que la mort feconde
Veut ravir mon esprit, et que mon testament
Se face devant tous à l'œil du regiment.
Je donne mon mousquet, fourchette[36] et bandollière,
Mesche, bales et poudre, au sergeant la Rivière;
Mon argentine espée et mon cher baudrier,
Pour recompense, c'est pour ces trois ferailliers;
Je donne mon manteau, mon bonnet et jartières,
Pour ce que j'ay ces jours eu de la Boisselière[37];
Mon pourpoint de satin, mes chausses de velours,
Cela est reservé pour les droicts du tambour;
Mes souliers, mes chemises, mes bas, aussi mon sac,
Sont pour le bon service que j'ay de mon goujac[38];
Pour l'argent de mes monstres, c'est pour m'ensevelir;
Mon chapeau et panache, c'est pour payer mon lict.
A Dieu je rends mon ame et mon corps à la terre.
Priez Jesus pour moy, vous tous, frères de guerre,
Et je prieray pour vous, estant en paradis,
Que vous soyez vainqueur contre les ennemis,
Afin qu'estant venus du destin avancé,
Vous direz tous pour moy: Requiescat in pace.

Epitaphe au tombeau.

Cy gist souz ce tombeau le plus vaillant soldat
Qui ce soit à jamais cogneu dans le combat,
Et le plus asseuré qui fut dans les armées,
Ne redoutant le feu, ny soufre, ny fumée:
Son travail l'a fait voir, aussi sa hardiesse;
Mais le fatal destin l'a mis à la renverse.
Il sera de memoire, tant sur la terre et l'onde,
Pour avoir esté né le favory du monde.

L'adieu des trois ferailleurs et leur retour à Paris.

Après que le corps du chappelier fut mis en terre et que son service fut dit, les trois ferailliers trouvèrent une excuse pour avoir leur congé pour s'en venir à Paris, craignant d'avoir un tel benefice comme le defunct chappelier: ce qui fut en grand diligence; et, sortant du cartier, ce n'estoit qu'adieux, qu'accollades et un extresme regret de se voir separer les uns des autres. Tant cheminèrent les trois ferailliers qu'ils vindrent à Paris, et, sçachant le logis du defunct chappelier, ils s'en vont droit chez sa mère, auquel il luy firent une grande reverence, et elle tout de mesme, les recevant assez honnestement, les voyant habillez en soldats, esperant avoir quelque bonne nouvelle de son fils; puis, après tous ses regards, ces bons compagnons luy commencèrent à dire: Madame, ne soyez point en courroux si nous vous apportons icy de piteuses nouvelles du cartier de la Rochelle, où estoit votre fils.

C'est que, premier que de partir et prendre nostre congé, nous avons sans reproche aydé à enterrer votre fils, duquel en voilà le certificat. Vous verrez comme il est mort et comme il a esté en sa maladie, et les regrets de pardeçà.

—Mes amis, je suis grandement aize de vostre retour et des nouvelles; mais, helas! j'ay la mort au cœur de vous entendre ainsi parler. Je n'ay, il y a quinze jours et davantage, fait autre chose que songer et ravasser, tant nuict que jour, dix mille fantaisies. Je me doutois de quelque malheur. Messieurs, s'il vous plaist de demeurer, j'envoyeray querir une fois de vin pour la peine, et bien grand mercy!—Il n'y a pas de quoy, dirent les ferailliers. Vostre serviteur, Madame.

Les regrets et soupirs de la mère du Chappelier.

Helas! que feray-je, mes amis? Me voilà perdue! j'ay perdu tout mon support! Où iray-je? que deviendray-je? je suis toute seule. Encore si je t'eusse veu mourir, mon pauvre enfant, je n'en serois tant faschée. Je t'avois bien dit que tu ne reviendrois jamais. Helas! je me meurs! je n'ay plus de reconfort de personne; on ne tiendra plus de conte de moy. Je n'avois que toy, mon cher enfant! Mon Dieu! que feray-je? Ayez pitié de moy, mes bons amis! Tellement, les voisins sont accourus, luy disant: Qu'avez-vous, ma voisine, ma mie? Quelqu'un vous a-il frappée?

—Helas! je suis bien frappée, car je n'ay plus d'enfant! Il est mort, mes amis. Tenez, voilà la lettre qu'on me vient d'aporter tout presentement. Trois honnestes hommes, qui m'ont apporté cela, m'ont dict qu'ils l'avoient aydé à le porter en terre. Pensez-vous quel crève-cœur j'ay, pensez-vous, de l'avoir nourry et eslevé si grand, pensant, après son père, en avoir sur la fin de mes jours quelque soulagement! Et je n'ay plus personne! me voilà toute seule! Qu'est-ce qu'on dira de moy? On tiendra plus de conte d'un chien que de moy, à present.—Non fera, non fera, ma voisine; il y a long temps que je vous cognoissons; ne vous tourmentez point, cela vous feroit mourir. C'est un homme mort: il en meurt bien d'autres.

—C'est mon... c'est mon... Il en meurt bien d'autres qui n'en peuvent mais; ces diables de Rochelois, ils ne s'en soucyent point de tuer le pauvre monde. Que ne sont-ils tretous pendus, ou qu'il me rende la ville! Faut-il tant faire mourir de braves hommes? Si j'en tenois quelqu'un, il payeroit la mort de mon enfant.

La lettre envoyée à la mère du Chappelier par son fils premier que mourir.

Ma très chère et très grande amie ma mère, ces paroles icy ne vous seront guères agreables: car, depuis le temps de mon depart, je n'ay pas eu le soing de vous escrire seulement un seul mot, d'autant que la peine où j'estois arresté m'a si bien desobligé, le contentement de votre presence, où la memoire les oublie; vous pourrez pourtant prendre ce petit mot aussi bien en gré comme si mille fois vous eussiez eu de mes nouvelles; et si les pretentions de la mort ne me fussent point apparues devant mes yeux, je n'eus pas negligé de vous faire sçavoir mon bon portement: car en bref l'ennuy commençoit à me chatouiller de si près que j'esperois bien vous faire part de ma presence; mais la fortune, si cruelle, n'a pas eue la patience de pouvoir me transporter vers vous, car la mort m'a plustot aymé prendre et me mettre dans ses liens que de vous faire voir que je ne seray desormais qu'un ombre pour estre criant où Dieu me menera. Du camp de la Rochelle.

Règlement d'accord sur la preference des savetiers cordonniers.

A Paris, chez Michel Brunet, au Marché neuf, à l'image Saint-Nicolas.

1635.—In-8.

Ces jours passez se rencontrèrent deux compagnons cordonniers et deux savetiers sur le mont de Parnasse, et, s'estans querellez pour la primauté de leurs mestiers, commencèrent à se frapper à coups de tire-pieds. Ils s'estoient dejà choquez si rudement l'un l'autre, qu'à la première charge le plus vaillant des deux cordonniers receut une botte franche depuis le chinon du col jusqu'au bout de l'echine du dos, ce qui luy feit donner du nez contre terre sans qu'il eut le courage de s'en relever. Son camarade n'en eust pas meilleur marché que luy. Apollon, en ayant esté adverty, accourut afin de s'informer du fait. Il estoit fort en colère de ce qu'ils s'estoient venus battre sur ses terres sans lui en demander permission; et, tout transporté qu'il estoit, leur tint le mesme langage que feit Neptune, son cousin germain, lorsque les subjects d'Eole se mutinèrent contre luy elle vinrent troubler dans son royaume au plus fort de sa tranquillité: Quos ego[39]! Si je vous prends, canailles que vous estes! si je vous mets la main sur le collet, sentine de la republique, reste de gibet! je vous feray pendre tous quatre par les pieds comme gens sans merite et indignes d'estre attachés par vos cols infâmes. Les deux cordonniers, qui n'osoient presque lever les yeux, par la crainte qu'ils avoient d'estre battus pour la seconde fois, ne l'eurent pas sitost aperceu qu'ils luy demandèrent; et celuy quy avoit la langue la mieux pendue, s'inclinant devant luy avec la submission et humilité requise, luy cracha ce beau compliment à sa barbe venerable:

Je confesse, Monseigneur, que nous sommes autant coupables que personnes du monde et tout à fait indignes de paroistre en vostre royale presence; mais la confiance que tout le monde a en vostre bonté et l'asseurance que nous avons de vostre équité et justice admirable, sur le rapport fidèle quy nous a esté fait par le courtois et très subtil Trajano Boccalini, qui a eu autrefois l'honneur d'appeler devant vostre tribunal des causes de moindre importance que la nôtre; cela, dis-je, nous a fait prendre la hardiesse de nous venir jeter à vos pieds et vous demander très humblement justice de ces deux pendarts que vous voyez là presents.—Par les eaux stygiennes, repondit Apollon, vous êtes bien les plus impudents et les plus indiscrets coquins quy ayent jamais paru devant mes yeux. Je suis si bercé d'entendre tous les jours de semblables plaintes, qu'au bout du compte je croy que je seray forcé d'abandonner ce lieu malheureux. Si un meschant laquiet de trois sols a perdu l'argent de son disné à jouer avec son camarade, il faut qu'il vienne en tirer raison sur la croupe innocente de cette saincte colline. Un soldat a-t-il reçu un dementy de son camarade, vous le voyez aussy tost venir prophaner mes autels par ses mains homicides, qu'ils trempe souvent dans le sang de celuy qui soupoit le soir avec luy, les meilleurs amis du monde. Si, parmy les tirelaines, coupeurs de bources, etc., et autres gens de tels trafics, il survient entre eux quelque different par le partage du butin, ils n'ont point d'autres rendez-vous que ce beau lieu pour en terminer la querelle. Si les escrocs, filoux et autres maquereaux très relevez, ont le moindre debat du monde pour la jouissance et possession de quelque chetive maitresse quy soit un peu de meilleure mise que celle du commun, c'est en ce lieu qu'il faut vider à la pointe de leurs espées couardes quel en doit estre le libre et paisible possesseur; et, si quelque polisson ou marcandier[40] a cassé malicieusement l'escuelle de son camarade, c'est icy qu'ils ont accoustumé d'en tirer vengeance. Puis que la plus part se vante d'estre gentilhomme de sang et de race, encore que leurs pères crient tous les jours des cotrets, pour quoy diable ne se vont-ils couper la gorge en honnestes gens, aux lieux que les plus braves courages font professions de se battre au beau milieu d'une place royalle[41], à la veue de quantité de dames qui se rient à gorge deployée du desespoir quy les guide? Que ne prennent-ils le chemin du Pré-aux-Clercs[42], rendez-vous ordinaire de tous ceux qui sont las de vivre? Ou bien, s'ils ont fait vœu de mourir sur le chemin de Pantin, que ne s'esgorgent-ils l'un l'autre aux plus proches avenues de Montfaucon, afin qu'on n'ayt point la peine de les y porter quand ils seront morts?

Je reviens à vous, âmes lasches (parlant aux deux sieurs cordonniers). Gens sans honneur et mal apris que vous estes, vous dites du mal des personnes qui valent peust-estre mieux que vous. Quelle manie, quelle rage, quelle fureur vous a saisict les cinq sens de nature? Qui diable vous a fait si hardis de me venir gourmander ainsy jusques en ma maison? D'où venez-vous? quy estes-vous? Etes-vous gentils-hommes, bourgeois ou roturiers?—Alors le plus asseuré de nos dicts sieurs les savetiers, qui neantmoins trembloit au manche, de peur qu'il avoit d'estre graissé, commença de tirer de la plus profonde cave de son estomach un soupir plein de regrets, auquel il donna, pour escorte de sûreté et pour interprète fidelle du ressentiment qu'il avoit, ces parolles, dignes d'estre gravées sur le bronze, ou tout au moins sur du papier doré, pour servir de torche-cul à la posterité:

Illustrissime, reverendissime, nobillissime, clarissime, excellentissime seigneur, dites-moy, je vous prie, le title et la qualité qu'il vous plaise que je vous donne: car je vous promets bien que je n'ay jamais etuguié à Padoue pour sçavoir des rubriques de ceremonies. Si je vous appelle doctissime, je croy que ce sera le vray moyen de satisfaire à mon devoir: car, si je ne me trompe, je vous ay veu regenter en assez bon credit dans le meilleur collège de nostre bonne et ancienne université de Paris. Je vous dis donc, doctissime et reverendissime Monsieur, que nous ne sommes ny gentils-hommes, ny bourgeois, ny marchands, ny roturiers; nous sommes du tiers-etat et deux des plus francs courtauts quy peuplent la famuleuse et celèbre race de la Savatterie.

Si vous avez resolu de faire paroistre la rigueur de vostre courroux, il est bien raisonnable que vous en faciez ressentir les effects à ceux quy l'ont merité par leurs crimes, et non pas à des innocents comme nous sommes, mon camarade et moy, quy ne vous avons nullement offencé. J'ay quelques fois ouy dire, du temps que mon bon homme de père me faisoit l'honneur de m'envoyer, au collége des Trois-Evesques[43] entendre les doctes leçons du subtil et mellifique Ramus, que licebat vim vi repellere; et si quelquefois la langue latine ne vous estoit pas des plus familières, je prendray la hardiesse d'y mettre la glose françoise, et diray librement qu'il est permis, aussy bien à Vaugirard qu'à Vanves, de repousser la force par la force; et, si on reçoit un cataplasme de Venise[44], un coup de poing, une gourmade simple, par raison de charité il la faut doubler et la rendre au centuple si l'ocasion y est requis ainsy. Au moins ay-je appris ceste doctrine du bon Barthole, au tiltre penultième de ses Institutions, § Si quis, et du brave Cujas, sans pair, en la première ligne du commantaire qu'il a faict sur le code du droit tant canon que civil. Nous avons pratiqué ceste maxime à l'endroict de ces deux individus que vous voyez là couchez avec tant de privauté, comme s'ils estoient chez eux, sur la croyance que nous avons eue que cela estoit juste, et qu'un si maigre sujet ne seroit pas capable de faire prendre la chèvre à un bel esprit comme le vostre.

De tous ceux quy ont veu la suitte de nostre procez, il n'y en a pas un qui aye osé nous donner le tort s'il ne vouloit point mentir. Ce n'est pas nous quy sommes autheurs de la meslée, Dieu le sçait! et tout le faux-bourg Sainct-Germain en peult rendre fidelle et authentique tesmoignage que ce sont eux-mesmes quy nous ont attaquez les premiers. Si vous pretendez neantmoings que nous ayons commis quelque excez sur vos terres, nous vous declarons et protestons dès à present que tout ce que nous en avons fait estoit purement et simplement à nostre corps defendant, outre que nous etions obligez d'y proceder de la sorte par les loix d'honneur, qui est le plus riche tresor que la nature tienne inserré dans le cabinet de ses raretez. L'Orient n'a point de diamans ny de perles qui puissent entrer en parangon avec son prix inestimable; la Nouvelle France n'a point de castor ny de mourues fraiches quy la puissent payer. Les saucissons de Boulongne, les jambons de Mayence, les fourmages de Milan, les andouilles de Troyes et les angelots du Pont-l'Evesque[45] ne sont rien à l'egard de l'honneur. Enfin, c'est une relique et un joyau que nous devons cherir plus que la vie mesme. No ay vida como la honra, dit l'Espagnol; il n'y a point de vie semblable à l'honneur.

Toute l'assemblée pensa crever de rire lors qu'ils prirent garde que monsieur le savetier faisoit des comparaisons de l'honneur avec les angelots du Pont-l'Evesque et les fourmages de Milan. Ventre sainct Gris! dit l'un des assistans, voilà le premier savetier que j'ay jamais cogneu! Après qu'il sera mort, il luy faudra donner une place au rang des hommes illustres. Jamais Demosthènes ne plaida si pertinemment pour les tripières que fait ce sire savetier pour son interest. Seroit-il bien possible que dans la circonference d'un tire-pied il eust fait rencontre d'une rhetorique si raffinée? Il est universel, il n'ignore de rien, et ne puis croire autrement qu'il n'ayt autresfois servy les massons de la tour de Babel: il parle toutes sortes de langues comme celle de sa mère.

Et, afin que par l'ignorance, poursuivit le savetier, et peu de cognoissance de nostre cause, vous ne veniez à faire quelque pas de clerc et prononcer un jugement de travers au prejudice de vostre conscience et desavantage de nostre interest particulier, quy est ce quy nous importe le plus, je veux vous informer plus amplement comme toute l'affaire s'est passée, pourveu que vous me donniez attention huict jours durant et rien plus. J'aimerois mieux devenir cheval que d'avoir abusé de vostre patience un moment. Je vous diray donc, Messieurs, que jeudy dernier, après avoir pris nostre refection ordinaire, environ l'heure que Phaeton desteloit ses chevaux pour leur donner l'avoine à l'hostellerie du Mouton[46], dans la rue du Zodiaque, nous fismes partie d'aller nous divertir nos esprits melancoliques sous la verdure de quelque treille agreable, au passe-temps du noble jeu de boule. Ce qu'en effect nous mismes à execution en mesme forme que nous l'avions proposé, et, comme nous etions sur le seuil de la porte tout prests d'en sortir pour aller desalterer, tous nos sangs eschauffez, au beau premier cabaret que nous rencontrions, nous trouvasmes ces deux marouffles de cordonniers, lesquels nous interrogérent exactement, ny plus ny moins que si nous etions obligez de leur rendre compte de nos actions, de quel costé et par où nous dirigions nos pas? Et sitost que nous eusmes repondu que nous prenions le grand chemin qui conduisoit droit à la maison du Riche laboureur, ils s'offrirent de gaité de cœur et sans estre nullement priez de nous accompagner, et nous ayant neantmoins demandé avec assez de discretion si nous ne le trouvions pas mauvais. Nous les receumes fort charitablement et avec autant de courtoisie qu'ils auroient pu desirer des plus honnestes gens du monde, et, au lieu de suivre le chemin que nous avions resolu de faire, de leur consentement et advis, nous prismes la route de la rue des Boucheries[47], et en peu de temps nous nous rendismes heureusement vis-à-vis de l'hostel du Suisse, où nous entrasmes librement et sans marchandage de plus, après avoir fait neantmoins une production generale de toutes les ceremonies qui concernoient la preeminence en une semblable rencontre.

De vous rapporter icy ce qui se passa entre nous durant la collation, ce seroit faire peu d'estime du temps quy nous est si cher; il faudroit une langue plus diserte que la mienne et que j'aie l'esprit plus farcy de conceptions plus relevées et plus confites dans l'eloquence que je n'ay pas. Je vous dirai seullement, pour trancher net, qu'au plus fort de nostre rejouissance, il m'eschappa par malheur de cracher trois ou quatre sentences de l'honneur et gloire de nostre cher mestier. Mais à peine les eus-je faict sortir de dessus le bord de mes lèvres qu'incontinent l'un de ces deux impudents me donna d'un dementy par le nez, et me chanta pour le moins dix tombereaux de pouilles et d'injures, et, croyant me picquer jusques au vif et au dernier point, me dict ouvertement et d'un courage plus temeraire que resolu que je n'etois rien qu'un meschant savetier, miroir de l'incommodité, suppost de la misère humaine, le rebut et l'egoust de toute la monarchie françoise. Jusques là j'avois fait paroistre autant de patience que Job; mais, si tost que je l'aperceu lever la main pour me couvrir la joue et que je me sentis la moustache frisée par l'approche et attouchement d'une assiette qu'il me feit effrontement voler à la figure, ce fut alors que mon insigne patience sortit hors des gonds, et la cholère se rendit avec tant de vitesse maistresse absolue de toutes les facultés et puissances de mon ame que je ne peu m'empescher de luy donner un cataplasme de Venise, et vous puis asseurer avec verité que, si ce n'eust esté le respect que j'avois de fascher nostre hoste et de causer quelque desordre dans son logis, je luy eusse graissé les epaules aux despens d'une satile, comme son indiscretion le meritoit.

Mais dictes-moy, de grace, erudissime seigneur, à quoy pensez-vous parler quand vous parlez à ces deux perfides que voicy presents? Quelles gens croyez-vous que ce soient? Je vous apprends que ce sont deux meschans feseurs de bottes et de souliers, que le vulgaire appelle ineptement et sans fondement aucun de raison cordonniers. Pourquoy? Cordonniers, d'où est derivé ce mot? Est-ce peut-estre par ce que ils font des cordons de chapeaux et qu'ils fournissent des cordes[48] à maistre Jean Guillaume lorsqu'il luy convient d'en employer pour les operations chatouilleuses de son art[49], ou bien qu'ils soient obligez d'avoir tous les mois chacun une chaude pisse cordée? On auroit autant de raison de les appeler tonneliers ou officiers du Port-au-foin, pour ce que, si les pretendus cordonniers font des bottes de cuir, ceux-cy en font de bois et de foin. J'aimerois autant dire qu'ils feussent maitres d'escrime: les escrimeurs tirent des bottes, et les cordonniers les chaussent. Voilà une impertinence plus claire que le jour; voilà une improprieté tout-à-fait manifeste, sans l'affront signalé que reçoit nostre langue françoise de dire qu'elle soit si pauvre, qu'il faille qu'elle emprunte le nom d'une autre profession pour baptiser ces messieurs de faiseurs de soulis. Et semble que l'italien aie rencontré aussi mal que le françois en ceste affaire icy, quelque affectation et mignardise qu'il puisse pretendre dans la delicatesse et douceur de son langage: il nomme un souly scarpa[50] et celuy quy le faict calzonaro, ny plus ny moins que s'il estoit chaussetier et que sa profession fut de faire des bas; parce qu'en effet des bas de chausse, aussy bien en Toscane qu'en autres lieux d'Italie, s'appellent calzette. Mais les Espagnols, quy ont plustost la main à l'espée qu'à la bourse, comme sages et prudens dans tous leurs conseils et entreprises, ont fort bien preveu le desordre qu'auroit peu causer dans leur monarchie une telle ethimologie et denomination si impropre. Ceste seule consideration, fondée sur les maximes de la police, les a obligez de qualifier tous les officiers et confreires du tirepied d'un nom general et commun, c'est assavoir çapateros, quy est comme si nous disions en françois savetiers. Et la seule difference qu'ils ont vouleu y constituer et poser pour les mettre d'accord, c'est qu'ils ont adjousté la clause authentique et verbale de viejo, de nuevo, en vieux et en neuf.

Ceste belle difference me fait souvenir d'une pensée admirable sur ce mot de savetier en vieux. Nostradamus, cest insigne resveur, prouve, dans le calepin de ses doctes propheties, qu'il n'y a rien au monde quy donne tant de credict à quelque chose que ce soit comme la vieillesse et l'antiquité. Ceux quy se meslent de paranympher[51] les empires, les royaumes, les republiques, les citez et les villes, commencent tousjours par l'antiquité comme principale pièce de leur recommandation. Un gentilhomme n'est jamais respecté comme il faut entre ceux quy sont nobles s'il ne donne des preuves de sa noblesse de père en fils jusques à la centiesme generation. Les vieilles et les plus antiques medailles sont les plus recherchez. Et si une bibliothèque n'est fournie de plusieurs manuscrits antiques, on n'en fait plus d'estat que si elle estoit la boutique d'un libraire moderne. Jusques à un tavernier, si vous le priez de vous faire gouster un doigt de bon vin quy vous ravisse les sens, il vous repondra qu'il a le meilleur vin vieux quy soit en France. Et, si quelque homme de bonne humeur vous a joué quelque tour, vous direz aussi tost: C'est vieux. De toutes ces propositions sus alleguées je tire une conclusion en barbara et dis:

Toutes les choses quy sont vieilles et antiques sont plus dignes que celles quy sont neuves.

Tout ce quy passe par les mains des savetiers est vieux et antique.

Ergo les savetiers sont plus dignes que les cordonniers, quy travaillent le neuf.

Il n'y a point de vice ny de surprise dans ce sylogisme; il est dressé comme il faut, la matière est bonne, et la forme encore meilleure. Tout le monde sçait que les savetiers ne vendent rien chez eux quy n'ait au moins quelque apparence de vieux, joinct que, par le temoignage que nous avons tiré des archives d'Espaigne, il se trouve que les savetiers sont plus proches parens du souly que ne sont les cordonniers. Et, pour ce voir et en monstrer la verité, espluchons l'ethimologie du nom de savetier. Voyons les principes et l'origine d'où il tire sa reelle denomination.

Çapato, en catalan, veut dire soulier, n'est-il pas vray? Ouy; or sus donc nous voilà d'accord dejà sur ce point là. Changeons le p en v, nous trouverons çavato; poursuivons plus avant, et, sous une echange de l'o en e feminin, espelez, Monsieur le cordonnier, assemblez vos lettres comme il faut; autrement mettez chausse bas, voicy le magister quy vous chassera les mouches du derrière avec un baston à vingt bouts, sa va, sa va te, savate. Courage, nous aurons tantost plus que nous ne demandons; poussons nostre bidet et passons outre. De çapato est formé çapatero, changeant l'o en e, et en suite le ro ajouté. De savate, est derivé savetier, entreposant un i entre le t et l'e et ajoustant un r. Il n'y a plus rien à roigner après cela, Monsieur le cordonnier, voilà quy est grammatical; jamais Priscian ny Donat n'auroient mieux rencontré. Il faut vous rendre ou crever, et confesser, en depit de vos chiennes de machoires, que vous estes savetiers aussy bien que nous; et, puis que vous voyez que la vraie et essentielle nature du souly est plus rangée de nostre costé que du vostre, il ne vous desplaira pas de boire après nous; avec vostre permission, nous prendrons la main droicte. Après cela, c'est tout dit; vivez seullement mieux à l'advenir, et taschez de vous rendre aussy braves gens que nous.

Apollon, ayant fait premierement paroistre sur son front une gravité extraordinaire, feit imposer silence par son premier huissier, et, après s'estre relevé la moustache d'une grace non pareille, feit couler de sa bouche dorée ce discours mellifique et suave et tout confit dans le sucre:

C'est assez dit, mes bons amis (s'adressant aux savetiers), à bon entendeur il ne faut que demy mot: je voy d'une lieue loin où vous en voulez venir. Il faudroit estre un vrai aveugle pour ne point voir la raison que vous y mettez et le tort qu'ont tous ceux quy vous veulent du mal. Il y a plus de quatre-vingt-dix lunes que j'ay entendu parler de vostre fait. Je ne sçay par où commencer pour vous exprimer suffisamment, avec l'affection que je voudrois bien, la bonne opinion que j'ay toujours eue de vos consciences sans reproches. J'approuve et extolle[52] jusques à la moindre region de l'air vos franchises naturelles, et proteste devant tous les dieux que je suis entierement satisfait de la charité et courtoisie dont vous usez ordinairement envers tous ceux quy ont l'esprit de s'aller chausser dans vos magazins. Vous avez le courage noble, et tout Paris recognoist que vous ne faites point de difficulté de donner une paire de souliers, à quelques poincts qu'on vous les puisse demander, pour douze ou seize sols tout au plus, et le plus riche de tous les cordonniers en voudroit avoir cinquante sols ou trois quarts d'escu, tout au moins; et les gentils hommes incommodez se vantent partout d'avoir la meilleure paire de bottes qu'il y ait dans vos boutiques pour le prix et somme de trois livres seulement; et messieurs les cordonniers n'en voudroient point rabattre une obolle encor sur une pistole en or, ou dix francs tout au meilleur marché, et bien souvent ne seront-elles que de meschante vache bruslée. Je veux dores-en-avant que vous me serviez; j'aime mieux donner mon argent à vous qu'à d'autres quy se mocquent de moy. Et dès à present je jure par les eaux inviolables du Styx, et vous le signeray par devant tous les notaires quy sont sous les charniers des Innocents, que je vous feray donner la pratique de tous les musniers de mon quartier, sans compter les bourgeois de Vaugirard et Vanves, quy ne vous peut fuir. Et quy plus est, je desire que les neuf muses, très chères et bien aimées seurs, portent à l'avenir de vos ouvrages, à condition que vous espargnerez toutes fois plus vos dents que vous n'avez fait par le passé, et que vous renoncerez entièrement à l'avare et maudite coustume que vous avez de tirer le cuir avec pour le rendre plus long, en quoi j'ay appris de personnes dignes de foy que vous faictes aussi bien vostre devoir que pas un cordonnier qui soit. Et afin que tous les confraires du tirepied puissent à jamais vivre en bonne paix et intelligence ensemble, comme des personnes quy jouissent esgallement des priviléges de l'alesne, nous desclarons et ordonnons par ces presentes que vous porterez dores-en-avant un seul et mesme nom, comme font tous vos associez, amis, confederez et alliez quy demeurent en Espaigne, savoir est, que les cordonniers s'appellent savetiers en vieux; ou bien, si les cordonniers pretendent recevoir quelque grief d'une ordonnance et d'un reglement si juste, et qu'obstinement et malicieusement ils ne vouleussent se deffaire d'un tiltre quy convient si peu à leur profession, nous desclarons par ces dites presentes, et que personne n'en pretende cause d'ignorance, que le susdit nom de cordonnier sera commun à tous les deux ordres de la semelle, sans neantmoins en retrancher la clause sus alleguée: cordonnier en vieux, cordonnier en neuf, afin qu'ils puissent estre recogneus les uns aux autres pour estre respectez et honorez selon leur grade et merite en tous lieux et endroits où le destin les pourroit faire rencontrer ensemble, nonobstant oppositions ou appellations quelconques produites au contraire. Et tous ceux quy auront l'ame si noire que de contre-venir à nostre dit reglement en la moindre façon du monde et sous quelque pretexte que ce soit, nous les condamnons dès à present à cinquante bouteilles de vin d'amende et autant de cervelas, applicables aux pauvres confrères desdits mestiers quy pourront prouver par leur indigence n'avoir pas le sol pour boire; et si voulons et entendons que, dès l'heure mesme qu'ils auront eu seulement la volonté de commettre la moindre rebellion, ils soient obligez par corps de prester, avec l'humilité et submission qui leur sera commandée, leurs espaules opiniastres et rebelles pour porter les cinquantes bouteilles de vin au dit mont Parnasse ou en autre lieu que trouvera bon la discretion des surintendans de la confairie, afin de boire tous ensemble en bonne amitié, sur peine d'estre privez à jamais des graces et priviléges ordinaires dont ont accoustumé de jouir tous confrères et officiers du dit mestier.

L'Œuf de Pasques ou pascal, à Monsieur le Lieutenant civil, par Jacques de Fonteny[53].

A Paris, chez la veufve Hubert Velut et Paul Mansan, demeurant rue de la Tannerie, près la Grève.

MDCXVI, in-8.

A Messire Henry de Mesmes, sieur Dirval, Conseiller du Roy en ses conseils d'Estat et privé et Lieutenant civil au Chastelet de Paris.

ANAGRAMME.

Henry de Mesme, lieutenant civil,
Mine divine, lumière en Chastelet.

SONNET.

Mine divine où ses traicts on contemple,
Quy font juger à celuy qui les voyt
Qu'un rare esprit le ciel vous reservoit
Où l'equité dresseroit un saint temple,

Vous en donnez une preuve très-ample
Et confirmez l'espoir que l'on avoit
Que vous feriez tout ce qui se pouvoit
Pour la Justice, à toutz servant d'exemple.

Jeune et savant en droict, vous surpassez
Beaucoup de vieux quy ont esté placez
Où vous donnez vos sincères sentences.

Miracle grand d'estre, en l'avril molet
De vos beaux ans, lumière en Chastelet,
Pour dissiper l'obscur des circonstances.

Jacques de Fonteny.


L'Œuf de Pasques ou pascal.

Je vous invoque, ô Dioscures,
Miraculeuses genitures,
Fils d'un œuf, et Helène aussy,
Qui fut de Paris le soucy;
Et le doux fruict de la promesse
Que lui fit Cypris la deesse,
Lorsque, juge, il la prefera
A Junon, et luy defera
La pomme d'or que la Discorde,
Ennemie de la Concorde,
Prepara pour troubler les cieux;
Voyez-moy d'un œil gracieux;
Suppliez pour moy vostre père,
Par les amours de vostre mère,
Que je chante aussy doucement.
L'œuf qui chantoit mignardement
Ses passions sur le rivage
D'Eurote[54] quand sous le plumage
D'un cygne blanc il se cacha
Pour prendre, sans qu'on l'empescha,
Avec vostre mère affinée,
Les plaisirs deuz à l'hymenée.
L'œuf ne sauroit trop se vanter:
Quel los il a que Juppiter
Deux œufs luy-mesme voulut pondre!
N'est-ce pas assez pour confondre
Ceux quy de l'œuf ne font point cas?
Luy quy peut tout, pouvoit-il pas
A vous, ses chères creatures,
Ordonner d'autres enclotures
Que d'un œuf, si l'œuf n'eust esté
Digne, par sa propriété,
De vous tenir neuf mois en serre?
Celuy dedans l'ignorance erre
Quy de l'œuf ne sçayt la valeur.
Par l'œuf on prouvoit son malheur
Ou son bonheur; jadis les mages
De l'œuf tiroient divers presages;
Sur un brasier ils le mettoient
Et diligemment ils guettoient
S'il ne jetoit point par ses pores
Quelque sueur, mesme encores
S'elle sortoit par ses costez
Ou par ses deux extremitez:
Car, si par sa coque fendue
Sa liqueur etoit espandue,
C'estoit un presage asseuré
Que le ciel avoit conjuré
Contre celuy quy faisoit faire,
Pour savoir son sort, ce mystère.
Orphée s'en est delecté
Et en a escrit un traicté
Quy l'Oocospique s'appelle[55].
Ceste façon n'estoit nouvelle
De vaticiner par les œufs
Si les desteins seroient heureux
Ou si l'issue pretendue
Auroit la fortune attendue.
Nos pères des siècles passez
Ont pratiqué cest art assez;
De l'œuf ils savoient la cabale.
Livia devina qu'un mâle
Naistroit d'elle, ayant en son sein
Couvé un œuf d'où un poussin
Sortit cresté, vray pronostique
Qu'un jour dessus la republique
Des Romains il domineroit,
Et que l'aigle decoreroit
Ses estandartz. La Destinée
Parfeit la chose devinée,
Car Livia veit son enfant
Estre un empereur triomphant.
De l'œuf on tire mille augures,
Mille infaillibles conjectures,
D'où l'on voist naistre bien souvent
Un effet quy n'est decevant.
L'œuf est le symbole du monde;
L'air et le feu, la terre et l'onde,
En luy sont unis et compris;
Les œufs sont aymés de Cypris.
Si quelqu'un veut l'avoir propice,
Il faut, en chaqu'un sacrifice
Qu'on lui prepare, offrir des œufs;
Et lors elle exauce les vœux.
Bacchus, quy nous donna la vigne,
Tenoit tout sacrifice indigne
Et vain où l'œuf mistic n'estoit;
Des œufs en trophée on portoit
Aux festes de ses bacchanales[56];
Quand on chaumoit les cereales[57],
Les aousterons[58] portoient des œufs,
Et crioit-on malheur sur eux
S'ils les laissoient cheoir par mesgarde.
Le proverbe encore se garde
Qu'on dit aujourd'huy: «Garde bien
De casser vos œufs[59]! N'est-ce rien
Doncques de l'œuf? Il a puissance
De chasser toute la nuisance
Qu'apportent les mauvais esprits,
Si nous croyons les vieux escripts
De l'antiquité, de manière
Que c'estoit chose coustumière,
Par entre eux se voulant purger,
De se faire suffemiger
Avecque la vapeur du souffre;
Le demon impur ne la souffre;
Il la fuict et crainct son odeur.
Celuy quy estoit luscrateur[60]
Et chief de la ceremonie
Avoit l'une des mains garnie
D'un cierge ardent; en l'autre main
Il tenoit un bassin tout plain
D'œufs, avec quoy, faisant la ronde
Autour d'une maison immonde,
Tant par dedans que par dehors,
Il cuidoit nettoier le corps
Et la maison de malefice,
Si grand fust-il, rendant propice,
Par ce moyen, le ciel à ceux
Quy s'estoient lustrez par les œufs.
De là vient, comme je presume,
Que, retenant de leur coustume,
On denomme ores l'œuf pascal
Quy s'appeloit jadis lustral,
Non qu'à present il serve à faire,
Comme leurs œufs, pareil mystère,
Que deffend la religion;
Mais il donne l'advision
De se lustrer au jour de Pasque,
Où il faut que le chretien vaque
A servir Dieu d'un cœur lavé,
Où l'ord pesché ne soit trouvé.
Quy ne le faict tombe à sa perte
Dans la damnation apperte.
L'œuf, en marque de netteté,
De l'un à l'autre est présenté.
Pour ceste cause, il est utille
A tous et en vertus fertille.
Des œufs on faict les oingnements
Donnant de prompts allegements
A la toux, au rheume, aux bruslures,
Aux chatarrhes froids, aux foulures.
On tire une huille des moieux
Salubre et propice aux gousteux;
Des blancs durcis une huille on tire
Bonne au mal des yeux, qu'on admire
Pour oster l'inflammation
Et reprimer la fluxion
Qui tombe dessus, de manière
Que la douleur s'en tire arrière.
L'œuf guarit les convulsions
Et les choliques passions,
Le humant avec eau-de-vie.
Si quelques dames ont envie
D'avoir un blanc pour se farder
Et se faire plus regarder,
Elles calcinent la coquille
Des œufs, et font poudre subtille
Avec l'eau d'ange[61] la meslant.
Ce fard rend leur teinct excellent,
Blanc comme laict, sans qu'il importe
A leur santé en quelque sorte.
La coque d'œuf blanchit les dents;
La pellicule du dedans
Guarit les lèvres crevassées;
Les personnes interessées
Du flux de sang ont guerison
S'elles prennent avec raison
Des cendres de coques d'œufs faictes;
En fin, les playes plus infectes
Avec huille d'œufs on guarit.
L'œuf plus qu'autre chose nourrit;
Il est salubre à la personne,
Au mat de cœur remède il donne;
En medecine il est requis
Comme nutritif et exquis,
Bien cordial, et il sustente
Le malade, qu'il alimente
Sans luy causer opression;
Il faict tost sa dijection,
Le ventre il n'empesche et ne charge.
Ceux qui dans Rome avoient la charge
Des festins les plus somptueux
Pour le premier servoient des œufs[62]
Avant tous mets, pourveu qu'ils fussent
Fraischement ponduz ou qu'ils n'eussent
Qu'un jour au plus; ils estimoient
Tant ces œufs frais, qu'ils les nommoient
Le laict de poulle, et acheptèrent
Toutes les poulles qu'ils trouvèrent
Œuver sans cesser, les gardant
Avec soing de tout accident,
Comme chose très necessaire
Et à la santé salutaire.
En Macedoine il se trouva
Qu'une poule en un jour œuva
Deux fois neuf œufs, qui tous portèrent
Deux petits poussins, quy donnèrent
Aux augures à deviner.
Mais où me vay-je pourmener?
Veux-je de l'œuf faire un volume?
N'arresterai-je point ma plume,
Quy se perdra dans les escrits,
Voulant de l'œuf dire le prix?
L'œuf sert à tout: des Spitamées
Les maisons n'estoient point fermées
Qu'avecque des coquilles d'œufs
Et des plumes aux entre-deux;
Ils avoient coustume de faire
Avec chaux vive et de la claire
Des œufs un aiment qui tenoit
Leurs pierres et les conjoingnoit.
Depuis, plusieurs s'en servirent
En leurs ouvrages, et refirent
Les vaisseaux et vases brisés.
Les paintres se sont advisés
De s'en servir en leurs peintures[63]
Et les doreurs en leurs dorures
Qu'ils font sur les livres[64]. On faict
Un vernis luisant et parfaict
Avec l'auben, qui donne grace
Aux tableaux, sans que tort il fasse
Aux couleurs, et se peut oster
Quand on veut, sans rien y gaster.
On en use en maints artifices;
Les amants les trouvent propices
Pour mettre des lettres dedans
Et, malgré les mieux regardants,
Faire savoir à leurs maîtresses
Leurs volontez et leurs detresses
En ce quy leur est survenu.
De là le proverbe est venu,
De porter le poullet[65]. On use
De l'œuf encor une autre ruse:
L'histoire ancienne nous dict
Qu'un jour Alexandre entendict
Par le moyen de quelque lettre
Mise en un œuf, qu'on voulut mettre
Un mauvais dessein en effect
Où son ost[66] eust esté defect
Par Darius. On peut escrire
Sur un œuf ce qu'on ne peut lire
Que par dedans, ayant osté
La coque avec subtilité.
Il sert à mille autres surprises,
Mille jeux, mille galantises:
Ne fait-on pas des œufs aller
Comme oiseaux amont dedans l'air
Quand ils sont remplis de rosée
Dont l'herbe est en may arrosée[67]?
Mais, pour avoir ce passe-temps,
On les met aux rays bluetans
D'un soleil ardent, qui les tire
Après qu'il a fondu la cire
Quy clost la rosée. Avec l'œuf
Qu'on met sur un brasier de feu,
Ne voist-on pas la flamme esteindre
Et sa vehemence restraindre?
L'œuf peut tout, estant accomply
Et de tant de vertus remply,
Qu'il semble qu'il soit l'epitome
Des merveilles nées pour l'home.
Les Selenites font des œufs,
Et les hommes qui naissent d'eux
Sont plus fortz ayant cinq années
Que nous aux virilles journées,
Si cela qu'Herodote dict
Pour veritable entre en credit,
Puisse un jour nostre grand monarque,
Vainqueur du temps et de la Parque,
Voir ces femmes et leur pays

Et ses lys y estre obéis!
Avant que finir ce poème,
Je vous prieray d'un zele extrême
De mesmes cest œuf achepter
Qu'humble je vous viens presenter,
Comme feist ce consul de Rome
Quy songea qu'il trouvoit grand somme
D'or et d'argent dans un sien clos.
Reveillé qu'il fut, tout dispos,
Alla voir si c'etoit mensonge
Ce qu'il avoit veu en son songe.
Il n'y trouva qu'un œuf; de quoy
Il fut aussy content en soy
Que s'il eust trouvé davantage.
L'œuf, disoit-il, j'acomparage
A un très precieux thresor:
Son moyeu represente l'or,
Sa glaire l'argent; de manière
Qu'ainsy que chose singulière
J'estime l'œuf en l'imitant.
Soyez de ce present content.

Catéchisme des Courtisans, ou les Questions de la Cour, et autres galanteries.

Cologne. M.DC.LXVIII.

Pet. in-12[68].

Demande.

Qu'est-ce que Dieu?

Response.

C'est l'autheur de toutes choses.

D. Qu'est-ce que le monde?

R. C'est le grand œuvre de Dieu.

D. Qu'est-ce qu'un homme de bien?

R. L'amour des anges et la haine du diable.

D. Qu'est-ce qu'un pecheur?

R. L'hostellerie des demons.

D. Qu'est-ce qu'un impie?

R. Un demon incarné.

D. Qu'est-ce qu'un predicateur?

R. Un homme dont on croit la parole sans suivre son conseil.

D. Qu'est-ce qu'un moine?

R. L'epouvantail des enfans et le miroir de devotion.

D. Qu'est-ce qu'un jesuitte?

R. Un sage politique qui se sert adroitement de sa religion.

D. Qu'est-ce qu'un roy?

R. Un homme qui est toujours trompé, un maistre qui ne sçait jamais son metier.

D. Qu'est-ce qu'un prince?

R. Un crime que l'on n'ose punir.

D. Qu'est-ce qu'un president?

R. Un homme d'apparence grave, dont la parole fait quelquefois tort aux innocens, et souvent peur aux coupables.

D. Qu'est-ce qu'un jeune conseiller?

R. Un homme qui chatie en autruy ce qu'il commet luy-mesme, et qui parle plus du bonnet que de la teste.

D. Qu'est-ce qu'un advocat?

R. Un hardy qui, par de fausses raisons, persuade ce qui ne fut jamais.

D. Qu'est-ce qu'un procureur?

R. Un homme qui avec la langue fait vider la bourse de sa partie sans y toucher.

D. Qu'est-ce qu'un chicaneur?

R. C'est un adroit qui, par des moyens subtils, sçait mesler le bien d'autruy avec le sien.

D. Qu'est-ce qu'un huissier?

R. C'est un homme qui se rejouit du mal d'autruy, et qu'on peut enrichir à coups de poing[69].

D. Qu'est-ce qu'un bourreau?

R. Un meurtrier sans crime.

D. Qu'est-ce qu'un soldat?

R. Un homme qui, sans estre criminel ny filosofe, tue et s'expose librement à la mort.

D. Qu'est-ce qu'un capitaine?

R. Un desesperé volontaire.

D. Qu'est-ce qu'un riche homme?

R. Celuy que la fortune flatte pour le perdre.

D. Qu'est-ce qu'un pauvre?

R. Celuy qui n'a nulle obligation à la fortune.

D. Qu'est-ce qu'un financier?

R. C'est un voleur royal.

D. Qu'est-ce qu'un partysan?

R. Un sangsue du peuple et un larron privilégié.

D. Qu'est-ce qu'une femme?

R. Un singe raisonnable[70].

D. Qu'est-ce qu'une putain?

R. Un ecueil dont les sages se retirent et où les foux font naufrage.

D. Qu'est-ce qu'un amoureux?

R. Un miserable qui attire la moquerie du monde s'il ne reussit pas, et la medisance, s'il reussit.

D. Qu'est-ce qu'un cornard?

R. Un homme dont un chacun dit du bien, et à qui personne ne porte envie.

D. Qu'est-ce qu'un page?

R. Un serviteur qui est souvent d'aussy bonne maison que son maistre.

D. Qu'est-ce qu'un valet?

R. Un mal necessaire.

D. Qu'est-ce qu'un pedant?

R. Un supost de folie.

D. Qu'est-ce qu'un comedien?

R. Un homme qu'on paye pour mentir.

D. Qu'est-ce qu'une devote?

R. Une idole vivante et un demon en chaine.

D. Qu'est-ce que de l'argent?

R. C'est ce que l'on perd quand on est jeune, ce que l'on cherche quand on est vieux, et le premier mobile de toutes choses.

D. Qu'est-ce que les habits?

R. C'est ce qui couvre nostre honte et decouvre nostre vanité.

D. Qu'est-ce que la mort?

R. L'egalité de toutes choses.

D. Qu'est-ce que le tombeau?

R. Le lit des mortels.

D. Qu'est-ce que les cloches?

R. Le tambour des pretres.

D. Qu'est-ce qu'un medecin?

R. Un bourreau honorable.

D. Qu'est-ce qu'un favory?

R. Le batiment de la fortune.

D. Qu'est-ce que les courtisans?

R. Rien de ce que l'on en voit.

D. Qu'est-ce qu'un ministre?

R. L'idole de la cour.

D. Qu'est-ce que les charges?

R. Une honorable gueuserie.

D. Qu'est-ce que la cour?

R. L'attrait de la jeunesse et le desespoir de la vieillesse.

D. Qu'est-ce qu'un devot?

R. Un hermite mondain.

D. Qu'est-ce que le mariage?

R. Une loge des martirs vivans.

D. Qu'est-ce qu'un abbé?

R. Un reformateur interessé du temporel des moynes[71].

D. Qu'est-ce que la vieillesse?

R. L'ouvrage du temps.

D. Qu'est-ce que la jeunesse?

R. Passage à la vieillesse ou sagesse.

D. Qu'est-ce que la beauté?

R. La domination des hommes et complaisance des femmes.

D. Qu'est-ce que des mouches?

R. Les balles des mousquets des demons.

D. Qu'est-ce que Paris?

R. Le paradis des femmes, le purgatoire des hommes et l'enfer des chevaux[72].

Instruction de la loi mazarine, par Dialogues[73].

D. Estes-vous Mazarin?

R. Ouy, par la grace de Dieu, qui est mon interest.

D. Qui est celuy qu'on doit appeler Mazarin?

R. C'est celuy qui, ayant esté admis au gouvernement de l'estat, croit et fait profession de la doctrine mazarine.

D. Quelle est la doctrine mazarine?

R. C'est celle que les tyrans françois ont enseignée, et que les partisans embrassent de tout leur cœur.

D. Est-il necessaire de sçavoir cette doctrine?

R. Ouy, si l'on veut bien faire ses affaires et son profit en ce monde.

D. Quel est le signe de Mazarin?

R. C'est le signe de la croix imprimé sur l'or et sur l'argent.

D. Comment se fait-il?

R. En prenant de toutes mains au nom du roy.

D. Pourquoy cela?

R. Parce que sous le nom et sous l'autorité du roy on peut exiger tout ce que l'on veut sur le peuple.

D. Quelle est la fin de la loy mazarine?

R. C'est de se rendre maistre absolu du roy, des princes, du Parlement et du peuple.

D. Combien de choses sont necessaires pour parvenir à cette fin?

R. Cinq, à sçavoir: obseder l'esprit du roy, luy donnant de mauvaises impressions contre les princes, le Parlement et les peuples; secondement, jetter la division dans la maison royalle; troisiemement, rendre nuls tous les arrests du Parlement par ceux du conseil; quatriemement, tenir une puissante armée qui ravage tout; cinquiemement, promettre beaucoup plus qu'on ne veut donner à ceux de son party.

D. Quelle est la foy mazarine?

R. De croire que, tout estant au roy, on le peut prendre sans estre obligé de restituer à personne.

D. Où est compris le sommaire de cette foy?

R. Dans les articles suivans, divisez en douze poincts: Je croy au roy pour mon interest, lequel est tout puissant à faire agir toutes choses, et à Mazarin, son unique favory, qui a esté conceu de l'esprit mercenaire, nay du cardinal de Richelieu. Il a souffert sous Gaston et la Fronde, est mort pour son ministère, est descendu aux enfers, est assis à la dextre de Lucifer, et de là viendra pour persecuter les vivans. Je croy à son esprit et à l'eglise du malin, ou plutost à la congregation des partysans, au gouvernement des estats, manyement des finances, à la resurrection des imposts et à la maltote eternelle.

D. Combien de choses en general doit sçavoir un Mazarin?

R. Trois, sçavoir: ce qu'il doit croire, ce qu'il doit faire et ce qu'il doit demander.

D. Où est compris ce qu'il doit croire?

R. Au Credo, lequel il doit sçavoir par cœur.

D. Qu'est-ce qu'il doit faire?

R. Il doit caresser et flatter tous ceux de qui il espère du bien.

D. Qu'est-ce qu'il doit demander?

R. Plus qu'il ne luy sera dû, et par dessus encore quelque benefice ou recompense.

D. Quelles sont les vertus theologales du mazarinisme?

R. Trois, sçavoir: ambition, avarice et vengeance.

D. Quelles sont les vertus cardinales?

R. Quatre, sçavoir: trahison, ingratitude, insolence et paillardise.

D. Quelle est la charité du mazarinisme?

R. L'amour de soy-mesme, par lequel on aime son interest plus que toutes choses, et son prochain en souhaitant son bien.

D. Quels sont les commandemens de la loy du mazarinisme?

R. Le premier: Un seul interest tu adoreras et aimeras parfaitement.

2. En vain l'argent du roy ne manieras, ny de l'Estat pareillement.

3. Les occasions observeras, peschant en eau trouble fortement.

4. Les favoris honoreras, afin que tu dures longuement.

5. Leur homicide point ne seras, de fait ni volontairement.

6. Luxurieux un peu seras, de fait et de contentement.

7. Faux temoignage tu diras pour servir l'Estat promtement.

8. Le bien d'autruy convoiteras, si tu ne le peux autrement.

7. L'œuvre de chair desireras, de jour et aussi nuittement.

10. Continuellement voleras le peuple en le tirannisant.

D. Quels sont les principaux commandemens de Mazarin?

R. Ce sont les cinq grosses fermes[74].

D. Quelles sont les bonnes œuvres?

R. C'est de faire jeuner, mettre tout à l'aumosne et envoyer les gens de bien à l'hospital.

D. Qu'appellez-vous pesché d'origine?

R. C'est d'estre frondeur.

D. Ce pesché ne peut il s'effacer?

R. Ouy, pour une grande somme d'argent, et allant rendre hommage à l'idole de Mazarin?

D. Quelles sont les dernières choses qui arriveront à l'homme Mazarin?

R. Quatre: le jugement, le supplice, la mort et l'enfer.

Si cette loy semble etrange à quiconque la lira, qu'il n'en suive pas la maxime pour s'acquerir des serviteurs, s'il ne veut le diable pour son roy et la damnation eternelle pour recompense. Dieu par sa sainte grace nous en delivrera un jour, et purgera le royaume de cette peste.

Autre Catéchisme, à l'usage de la Cour ecclésiastique de France contre le Jansenisme[75].

D. Estes-vous chrestien?

R. Ouy, par la grace de Dieu!

D. Qui est celuy que vous appelez chrestien?

R. Celuy qui croit et propose tout ce qui est dans le saint formulaire.

D. Qu'est-ce que formulaire?

R. C'est ce qui a esté nouvellement affiché dans tous les quartiers de Paris, et que nous pouvons appeler du chrestien le signe.

D. Pourquoy l'appelez-vous le signe du chrestien?

R. Parceque sa vertu nous a delivré d'une puissante heresie.

D. Quelle est cette heresie?

R. C'en est une qui comprend aujourd'huy toutes choses, et qui n'est comprise de personne.

D. Me direz-vous bien qui est l'autheur?

R. Jansenius.

D. Le croyez-vous fermement?

R. Ouy, je le croy avec autant de fermeté que m'en peut donner une foy ecclesiastique.

D. Qu'est-ce que vous appellez une foy ecclesiastique?

R. C'est celle qui nous fait soumettre à ce que l'on nous y prescrit purement, et pour ne pas rendre nous et nostre bien devolutoires.

D. Quoy? seroit-on traité comme un heretique si on n'avoit pas cette foy?

R. Sans doute, parce que l'on seroit recherché des sentimens de la compagnie de Jesus, et c'est estre veritablement excommunié que de ne faire corps avec Jesus-Christ.

D. Mais ce qui n'est point contenu dans le symbole des apostres peut-il faire matière de foy?

R. On n'en doute pas à present, pourveu que ces articles, que l'on nous oblige à croire, nous ayent esté formulez par les successeurs des apostres.

D. Qui sont ces successeurs?

R. Ce sont nos grands evesques congregez et assemblez à Paris par l'esprit de la cour.

D. Quel est l'esprit de la cour?

R. C'est l'esprit de la politique.

D. Sçavez-vous par cœur ce nouveau symbole que ces grands evesques nous ont formulé?

R. Peut-estre m'en souviendray-je; le voicy, si je ne me trompe: Je croy en l'eglise de Paris et en l'esprit de politique qui la conduit par le ministère de nos evesques de cour, poussez par l'aigreur des jesuittes, dont le talent est de sçavoir faire quelque chose de rien.

D. C'est assez. Je voy bien que vous estes sçavant en vostre creance; je ne veux plus que vous demander une chose.

R. Je vous repondray si je le puis.

D. Que croyez-vous de cette eglise de Paris que vous avez nommée au premier article de vostre symbole?

R. Je croy qu'hors d'elle il n'y a point de salut ny d'esperance d'aucun bien dans le monde.

D. C'est bien dit; mais est-on en sureté de croire seulement ce qu'elle veut que nous croyions?

R. Non, la foy ne suffit pas sans ses bonnes œuvres.

D. Que reste-t-il donc à faire pour monstrer que l'on est fidelle?

R. Il ne reste qu'à signer le formulaire et à retirer un certificat de sa signature[76]; c'est s'acquitter pleinement de son devoir, et c'est mettre la dernière main à son salut en cour et à sa bonne fortune à Paris.


La Passion de M. Fouquet.

Le cardinal Mazarin, mourant.

Celuy que je baiseray, c'est celuy-mesme, prenez-le.

M. Le Tellier.

Il a voulu se faire roy[77].

M. Colbert.

Il a peché en trahissant le sang du juste.

M. Seguier[78].

Prenez-le, et jugez-le selon vostre loy.

Le premier President.

Je suis innocent du sang du juste et en lave mes mains[79].

M. Bernard[80].

Je ne trouve pas de preuve assez convainquante.

M. Boucheraud[81].

Bienheureux celuy qui ne se trouve pas en la compagnie des mechans!

M. Renard[82].

Vous ne repondez point aux choses que l'on vous demande.

M. Brillac[83].

Je ne trouve point de sujet pour le condamner.

M. Pussort[84].

Si vous ne le condamnez, vous n'estes pas amy de Cæsar.

M. Talon[85].

Il faut qu'un homme meure pour tout le peuple!

M. Berrier[86].

A quoy bon chercher d'autres preuves?

Les Provinciaux.

Prenez, prenez-le, et le crucifiez!

Madame du Plessis[87].

Je suis triste jusques à la mort.

M. Fouquet.

Seigneur, je leur pardonne: ils ne sçavent ce qu'ils font.

M. Bernard.

Vous me renierez trois fois avant que le coq chante.

M. de la Bazinière[88].

Ne vous assurez pas sur la faveur des grands.

M. Jeanin.

Je suis mené au supplice comme un agneau innocent.

M. de Guenegaud.

S'il est possible, que je ne boive point cette couppe.

M. Girardin.

Si Dieu ne bastit la maison, ceux qui travaillent travaillent en vain.

M. Monnerot[89].

Seigneur, si vous epluchiez nos fautes, qui est celuy qui sera juste devant vous?

M. de Lorme.

Seigneur, ne me reprenez point dans vostre colère!

M. Bruant[90].

Il a vu la mer et s'en est fuy.

M. Fouquet.

Seigneur, vous les connoistrez par leurs œuvres.


Le Confiteor de Monsieur Fouquet.

Dans ce funeste estat où chacun m'abandonne,
Et contre moy les loix exercent leur pouvoir,
La mort, la triste mort, n'a plus rien qui m'etonne,
Et je dis de bon cœur, pour faire mon devoir,
Confiteor.

Les respects que chacun me rendoit à toute heure,
Tous ces divins honneurs que partout on m'a faits,
Ces superflus lambris et mes riches demeures,
Tout cela m'engageoit à ne penser jamais
Deo.

Je n'eus point d'autre but que de ruiner la France;
A ces desseins pervers mon esprit s'employoit,
Et par là je m'estois acquis tant de puissance
Que partout on me comparoit
Omnipotenti.

Je foulois sous mes pieds et la pourpre et l'ivoire,
Chez moy l'or et l'argent s'entassoient à monceaux;
Je mettois en ces biens mon bonheur et ma gloire,
Et j'aimois ces objets plus que tous les tableaux
Beatæ Mariæ.

Bien que je prisse à toutes mains,
Jamais mon cœur ne peut rien rendre,
Et j'avois de si grands desseins
Que, pour y reussir, partout il falloit prendre
Semper.

Sur chacun j'ay fait ma fortune,
J'ay volé le marchand, j'ay volé le bourgeois,
Et je me souviens qu'autrefois
J'ay ravy l'honneur à plus d'une
Virgini[91].

Jamais toute la terre humaine
N'eut sçeu peser tous mes tresors;
Elle auroit employé vainement ses efforts.
Puisqu'un fardeau si lourd auroit fait de la peine
Beato Michaeli Archangelo.

Dans ce comble d'honneur, rien ne m'estoit contraire;
Je fondois mes grandeurs en balets, en festins;
J'estimois plus la Cour qu'ensemble tous les saints,
Je fis cent feux pour elle, et jamais un pour plaire
Beato Johanni Baptistæ[92].

Je n'eus point de respect pour le saint evangile;
En tous temps, en tous lieux, je meprisois la croix;
En vain à me precher on employoit sa voix,
Cette peine eut esté tout ensemble inutile
Sanctis apostolis Petro et Paulo,
omnibus sanctis et tibi, Pater.

Mais tout ce qui me rend encor plus criminel,
Et qui redouble mon martyre,
Le trouble que j'ay fait est tel
Que pour m'en excuser je n'ay point lieu de dire
Quia.

Pendant ce temps fatal de ma gloire passée,
L'estat où je vivois eblouit ma raison;
Je me plaisois de voir la France renversée,
Et ne disois jamais pour mes crimes un bon
Peccavi.

Le peuple, cependant, contre moi murmuroit;
Le paysan trop foulé crioit sur moy vengeance;
Un chacun, en un mot, surpris de ma puissance,
Disoit enfin tout haut que toujours je prenois
Nimis.

Bien que j'eusse troublé l'Estat et les affaires,
Qu'il sembloit que la France eut ployé sous mes loix,
Et que tout fut reduit aux dernières misères,
J'en avois projetté bien d'autres, toutesfois,
Cogitatione.

Ouy, j'avois des desseins que je n'oserois dire,
Et par lesquels j'allois bientost tout opprimer,
Et je n'y puis penser
Que mon cœur ne souspire
Verbo.

Mais, si, pour renverser la France,
A cent desseins pervers j'appliquois tous mes soins,
Si des grands pour cela j'employois la puissance,
Moy-mesme aussi je n'y travaillois guère moins
Opere.

Mais, puisqu'enfin il faut perir,
Et que sur moy les loix exercent leur justice,
Sans murmurer on me verra mourir
Et confesser tout haut qu'on m'a vu au supplice
Mea culpa.

Fin.

Sur les armes de Messieurs Fouquet, Le Tellier et Colbert.

Le petit escureuil est pour tousjours en cage,
Le lezard, plus rusé, joue mieux son personnage;
Mais le plus fin de tous est un vilain serpent
Qui s'avançant s'elève et s'avance en rampant[93].

Exil de Mardy-Gras, ou arrest donné en la Cour de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, par lequel, nonobstant la garantie des Epicurois et Atheismates, opposition des esleuz de la Frelauderie, malades, pauvres, artisans, amoureux, dames, gueux et le fermier de la boucherie de Caresme, Mardy-Gras avec tous ses supposts est banny du ressort et empire de ladite Cour pour le temps et espace de quarante et un jours.

A Lyon, par les supposts de Caresme.

1603. In-8.

ADVERTISSEMENT AU LECTEUR AMY.

Benevole lecteur de Caresme, nous t'eussions peu donner avec plus d'apparat et de figures ce petit procès contre Mardy-Gras, mesmes y eussions peu mettre les plaidez, non en forme compendieuse d'un veu de procès, comme tu vois, mais en toute leur splendeur, avec leurs loys et paragrafes, et y adjouster encor la disposition dudit Mardy-Gras de ses biens, s'en allant en exil, comme il luy est permis par l'arrest, si le temps nous en eust donné le loisir; mais tu recevras ceci en intention que s'il t'agrée de le faire en meilleure forme, ni plus ni moins que les procès d'amour, et en bref après Pasques. Vis cependant content et ne te despite pour chose que tu verras icy, mais prens le tout en bonne part et ayme-moy. Adieu.

Quatrain.

Lecteur, ne pense pas que, faute de sagesse,
Ay faict parler ainsi ce livre follement;
Mais pense que je veux, sous tel deguisement,
Te forcer de l'Église à la divine adresse.

Arrest intervenu sur le procez intenté en la cour souveraine de Riflasorets, establie en la ville de Saladois,

Entre noble maistre Megrinas Caresme, prince du Jeusne et de la Penitance, seigneur souverain de la Discipline, frère germain de l'Aumosne, protecteur de la Charité, etc., demandeur en pocession de temps et autrement en excez, et le sindic des Penitantiates et Jeusnamites, et le procureur général du souverain ressort de Saladois, joint à luy, d'une part;

Et hault et puissant prince Grossois Mardy-Gras, idole des Affamés, empereur des Yvrognes, roy des Gormands, seigneur souverain de la Desbauche, archiduc des Epicuriens, comte des Athées, marquis de Frelaudois, baron de Paillardise, sire de Paresse, captau[94] de Feneantise, visconte des Bons-Compagnons, capitaine des Tirelaines, lieutenant general du grand empereur des Fausses-barbes, et ses supposts, Pensard, Crevard, Jambonois, Bodinois, Sossissois, Godivois et autres, etc., deffendeur autrement anticipé et appelant du conservateur des priviléges, droits, noms, raisons et actions, intelligences, executions, renommée, quatre-temps, vigiles et foires du grand et petit Caresme, et les desputés des cantons epicurois et atheismates, prenans la cause en garantie pour ledit hault prince Mardy-Gras, et les esleus de la Frelauderie, et les sindics des malades, fiebvreus, pulmoniques, catareux, sciatistes, gouteux, verolés, coliquistes, frigidistes, migranistes, pieristes ou gravelistes, chassieux et autres semblables ou soy-disants tels, et les chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité des Artisants, et les amoureux mignons, meneurs soubs bras, Narcisses des villes, Adonis de rues, courtisans de boutique, supposts de bal, muguetteurs[95] de filles, senteurs de vesses, odorateurs de pets, rabats blancs aux sales chemises, cureurs de dents aux ventres creux, mesnagers d'amour, fondeurs de larmes, distilateurs de souspirs et autres, et les dames popines[96], grasses, maigres, fardées, grelotées, et autres hujusdem generis, et les Cap-d'escouade des gueux et mendians, et les fermiers de la boucherie de Ceresme[97], intervenans au procez, d'autre;

Veu par la court souveraine de Riflasorets, establie en la ville de Saladois, le procès dont est question; sommation faite par noble maistre Megrinas Caresme, prince de Jeune, etc., à haut et puissant prince Grossois Mardy-Gras, idole des Affamez, empereur des Yvrongnes, etc.; à ce qu'attendu que les sept semaines avant Pasques pendant lesquelles, sans trouble, empeschement ny sedition dudit Mardy-Gras ni de ses supposts Pansard, Crevard, Jambonier, Boudinois, Saussissois, Godivois et autres, il devoit regner, devoient commencer le lendemain 12 de fevrier, an 1603, ledit Mardy-Gras et ses supposts eussent à vuider par tout le jour de toute la jurisdiction de la ville de Saladois et cour de Riflasorets, en datte du 12 desdits mois et an; signé: Harant-Blanc, notaire royal.

Assignation donnée audit Mardy-Gras pardevant le conservateur des priviléges, droits et raisons, vigiles, quatre-temps et foires du grand et petit Caresme, à la requeste dudit Caresme, en date desdits jour, mois et an; signé: Megrinet, sergent royal.

Acte de comparition dudit Caresme pardevant ledit conservateur, et deffaut donné audit Mardy-Gras; signé: Matafan, greffier, en date du 13 desdits mois et an.

Acte contenant l'appel dudit Mardy-Gras en la cour souveraine de Riflasorets, en datte desdits jour, mois et an, lettres royaux d'anticipation sur l'appel intenté par ledit Mardy-Gras; signé: Vinagret, controlleur en la chancellerie; ensemble assignation donnée sur lesdites lettres d'anticipation audit Mardy-Gras, à la requeste dudit Caresme, à ce qu'il vint proposer ses causes d'appel en la cour, le lendemain, jour d'audiance, suyvant les coustumes et reglements de ladite cour de Saladois; signé: Megrinet, sergent royal, en datte desdits mois, jour et an.

Plaidez des parties sur l'appel par lequel Harent-Soret, advocat dudit Caresme, auroit remonstré et requis que ledit Mardy-Gras eust à se desister de son appel, et, en outre, fut condamné à l'amende, et les parties renvoyées pardevant ledit conservateur, leur juge compétent. Et, au contraire, Pansardois, advocat dudit Mardy-Gras, auroit dit sa partie avoir bien appelé dudit conservateur, parce que ledit conservateur pourtoit son objet sur le front, estant conservateur de Caresme, et non de Mardy-Gras, et lequel ses officiers ne creignoient guères, homme qui pourteroit plus de faveur à Caresme qu'à luy, et qu'un tel juge luy estant grandement suspect, requeroit qu'il fut admis en son appel, et ledict Caresme debouté de sa demande et du renvoy de ladite cause, et qu'il pleut à la Court evocquer le principal; en ce faisant, ordonner que toutes parties viendroyent le lendemain plaider en l'audience, et où ledict Caresme proposeroit sa demande. Arrest par lequel la Court a evocqué le principal et ordonné que toutes parties viendroyent plaider le lendemain, despens reservez en fin de cause, en date du 14 desdits mois et an; signé: Harent-Soret et Pansardois, advocats.

Autre arrest, intervenu le mesme jour sur les requestes faites par le sindic des Penitentiates et Jeunamites, du procureur-general du souverain ressort de Saladois, des esleuz de la Frelauderie, du sindic des malades, fievreux, pulmoniques, catarreux et autres nommez en l'instance, et des chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité; des artisans et des amoureux mignons, Narcisses de villes et autres, et des dames, et des caps-d'escouades[98], des gueux et mandians, et les fermiers de la boucherie de caresme, par lequel ledit sindic des Penitentiates et Jeunamites et ledit procureur-general sont receus parties au procès contre ledit Mardy-gras, et est permis à iceluy Mardy-gras de faire appeller le deputez des quantons epicurois et atheismates, lesquels il dit avoir garands en cause, et aux esleuz de la Frelauderie, sindic des malades, chefs de la noble confrairie de pauvreté, amoureux, dames, cap-d'escouade des gueux et mandians et fermiers de la boucherie de caresme d'intervenir audit procès, en datte du quatorzième desdits mois et an; signé: Lentillin, greffier.

Significations faites desdits arrests respectivement aux parties; signé: Goulas Fripet, Magret, huissiers en la cour, en datte desdits jour, mois et an.

Plaidez de Haren Soret, advocat en la cour, pour ledit Caresme, disant que, le onziesme de ce mois, il auroit fait sommer hault et puissant prince Grossolois Mardy-Gras, soy-disant idole des affamez, empereur des yvrongnes, etc., par Haran Blanc, notaire royal, à ce que, suyvant les bonnes et louables coustumes, traditions des Pères, ordonnance de l'Eglise, par tout le jour dudict onziesme dudict mois de febvrier audit temps[99] ledit jour finissant inclusivement et precisement au signe que la cloche des cordeliers sonneroit de la minuit passée, ou en tout cas à une heure après minuict, à cause de certaines pretensions et procez intentés par les bons compaignons Fausses-Barbes, Tire-Laines, Gueux et Mandians, lequel procez est encores indecis, et auquel ledit Haran Blanc, pour ses parties, n'entend en rien prejudicier, ledit Mardy-Gras eust à vuider de tout le ressort de ladite Court souveraine de Saladois, laissant à sa partie la possession vuide et paisible dudit pays, sans fracas de marmites, belemens de veaux, d'agneaux, de chèvres, chevreaux, brebis, moutons, mugissement de bœufs, grougnement de pourceaux, caquelinement de coqs, coquassement de poules, piolemens de poulets, pipiemens de pigeons, tintamarres de poiles, chauderons, pots, marmites, cramails, poilons, cuillères; massacre de perdris, faisans, grives, beccasses, tourterelles, alouettes, coqs d'Inde, levraux, canards privez et sauvages et estourneaux; mangement de saucisses, goudiveaux, pastez, bœufs, moutons, agneaux, saucissons à l'italienne et autres entretiens et fauteurs dudit Mardy-Gras, partie adverse, par tout le terme et espace de sept sepmaines devant Pasques (ledit temps commençant depuis ledit jour onziesme de ce mois de febvrier 1603 jusques au 30 exclusivement de mars, audit temps).

A laquelle sommation tant s'en faut que ledit Mardy-Gras, partie adverse, eust obey, et, en ce faisant, amiablement promis vuider dudit pays audit terme, qu'au contraire, ayant trouvé le jour d'après, à midy, sa partie reniant et blasphemant le nom de Dieu, et ayant une grande chaine de goudiveaux et saucissons au col, armé d'une marmitte à la teste, de deux chauderons derrière et devant, une poile ceinte à son flanc, une cuillère sur le cul en guise de pougnart, une lichefrite pour cuissards[100], avoit bravé ledit Caresme, sa partie, disant qu'en despit de luy, pendant ledit temps de sept semaines, il regneroit et auroit plus de fauteurs et courtisans que sa partie, qui n'estoit qu'un cague-foireux, visage de prunes cuittes, hypocrite, mangeur de pate-nostre, encoffreur d'amandres pelées, et autres injures, par lesquelles il avoit taxé grandement l'honneur de sa partie. Et en outre avoit ledit Mardy-Gras commandé à Pansard, Crevard, Socissois, ses supposts, de battre sa partie et luy chier sur le nez, tellemant qu'en riant il leur avoit dit: Esconchiez maistre Caresme; et l'avoyent fait, comme ledit Caresme sa partie verifieroit très bien.

Parquoy demandoit et requeroit, concluant au nom de sa partie, que ledit Mardy-Gras fut condamné, suyvant les bonnes coustumes, traditions de Pères, commandemens de l'Eglise, non seulement à vuyder du ressort de ladite court souveraine de Saladois, mais encore, pour reparation des injures faites à sa partie (lesquelles, en cas que partie adverse les voulsit denier, il offroit verifier), ledit Mardy-Gras fut dès ce jourd'huy banny du pays, et inhibition et deffenses à luy faites d'y revenir qu'à minuit du 29 de mars precisement, audit temps 1603; faire amende honorable, la hart de fèves au col, le bourreau à sa queue, un cierge d'abstinence en sa main, pesant dix livres; en outre, estre condamné à dix mille livres soreloises envers les pauvres de l'hospital, quatre-vingt mille lenticuloises envers sa partie, et à tenir prison jusques à plain payement, et à tous despens, dommages et interests. Signé: Harant Soret.

Dire des Penitentiates et Jeusnamites.

Autre plaidé de Pain-Sec, advocat plaidant pour le sindic des Penitentiates et Jeusnamites, disant que c'estoit une grande vilennie et un grand deshonneur à la Court souveraine de Riflasorets voir ledit Mardy-Gras, un vrai gourmand, paillard, yvrogne et epicurien, n'estre pas content embourber au peché de gueule, d'yvrongnerie, et, par consequent, de tous les autres vices, tout le long de l'année, les nobles, le peuple et toute sorte de gens, mais encores oser braver et troubler en la possession de son rang le venerable Caresme, le règne duquel avoit esté introduit par les saints Pères et par la constitution de l'Église, pour matter nostre chair et la rendre plus souple à la discipline, plus capable de raison, et par ainsi plus propre à obeyr aux commandemens de Dieu; que ledit Mardy-Gras estoit un presumptueux, scandaleux, et que l'on n'oyoit jamais que ses bravades et menasses par lesquelles il se jactoit[101] de perdre, mettre à mort, estouffer et aneantir du tout le saint Caresme, qui estoit le seul frain du vice, la terreur de la licence de la chair, père du jeune, de la charité et de l'obeyssance que Dieu requiert de nous et de toutes autres disciplines chrestiennes; qu'on ne voyoit que tous les jours courir par les rues de toutes les villes du ressort de Saladois, et par tous les chemins du plat païs, armées de perdris, levraux, chappons, coqs d'inde, poules, venaison, chair salée, saucisses et autres gens d'armes propres pour assieger, faire force, et faire mourir ledit Caresme.

Partant, concluoit ledit Pain-Sec, au nom de ses parties, que ledit Mardy-Gras fut envoyé en exil dès ce jourd'huy, inhibé et deffendu à toute sorte, qualité, condition, sexe de personnes, de le recevoir ny à luy de comparoistre jusques au trantième de mars exclusivement 1603, que la grand messe soit dite par toutes les églises; signé: Pain-Sec.

Autre plaidé de Pansardois, advocat dudit Mardy-Gras, par lequel premierement il soustient qu'il n'est point un scandaleux ny seditieux, comme le sindic des Jeunamites et Penitentiates faussement, souz correction de la Court, a fait plaider par Pain-Sec, son avocat, ains que ce sont toutes impostures et injures, desquelles il demande reparation telle que la Cour sage verra estre propre pour reparer l'honneur d'un tel prince et grand seigneur comme il est, homme d'honneur, homme de bien, homme sans scandale, et homme qui practique honnestement avec tout le monde, affable à un chacun, bien venu partout, mangeant son bien avec allegresse, sans apporter difference, distinction, escritures, poix, mesures, hauquet, lardons, figure, negociation, transportement ny quadrature aux viandes, lesquelles Dieu a donné à l'homme pour s'en servir en ses necessitez et en son appetit, ayant creé les viandes et le temps pour l'homme, et non l'homme pour le temps ou les viandes; que la gourmandise et friandise se pouvoit mieux exercer souz le règne de Caresme que souz le sien, l'empire duquel s'estendoit sur les carpes de Saône, truites, brochets, estourgeons, saumons, saules, cabots, rougets, lamproyes, alouzes, eguilles marines, escrevices et autres sortes de poissons de mer, d'estangs, de fleuves, de rivières et de mareschages, dans la saulse desquels gisoit l'esguillon de la friandise; et que c'estoit luy qui estoit le paillard, provocquant ordinairement le monde à luxure[102]; que luy seul estoit le père de Venus, fille de la mer, id est, expliquant la fable, fille de la saleure, dans laquelle principalement et particulierement consistoit ledit Caresme; que mesme il n'estoit autre chose que salure: ce qui mesme se verifioit par les registres des eglises du mois d'octobre, novembre et décembre, pendant lequel temps il s'y baptisoit plus d'enfans desquels la conception venoit à estre en fevrier, mars et avril, durant lesquels estoit le règne de Caresme, qu'en autre; mesmes qu'il estoit très certain qu'audit temps de fevrier, mars et avril les maquereaux avoient plus de practique, ce qu'il offroit verifier par les depositions d'eux-mesmes; qu'il estoit le soustien des affamez, le medecin des malades, le restaurateur des catarreux, pulmoniques, verolez, critiques, languissans, gouteux, sciatistes, pierreux, migranistes, coliqueux, fievreux et autres, lesquels sans luy, souz le règne de ce maistre truand Caresme, seroient pour mourir; et, en ce que ledit Caresme a fait plaider par Harent-Soret, son advocat, qu'il n'avoit point voulu obeyr à la sommation, au contraire l'avoit outragé d'injures et fait outrager par ses supposts, disoit, ne nyant le cas, qu'il avoit très bien fait: le premier pour double raison, parce qu'il le vouloit jetter de la republique, qui y estoit si necessaire, et, en outre, que le sindic des quantons epicurois et atheismates luy avoit fait requeste de n'obeyr à ladite sommation, et qu'ils luy en seroient à garand, et, à ces fins, les avoit fait appeller selon que la cour les voyoit comparoistre par Cameleon, leur advocat; le second parce que, lors de ladite sommation, iceluy Caresme l'avoit injurié, s'appellant seditieux, ce qui l'avoit esmeu à juste colère, voyant ce petit pendard de Caresme, gentilhomme de quarante jours, prince de sept semaines, roi de trois tigneux et un pelé, oser l'injurier, à luy roy des roys, prince des princes, commandant à tant d'empires, de royaumes, de duchez, de comtez, de republiques, de communautez, de provinces, de villes, d'hommes; partant, concluoit qu'il devoit estre relaxé de la demande en excez dudit Caresme, et, en outre, attendu qu'il estoit si necessaire en la republique, devoit estre maintenu en la possession de son règne; et, en tout cas, que la cour voulsist, suyvant le reglement des autres années, le dechasser; concluoit contre ledit sindic des quantons epicurois et atheismates, ses garands, des dommages et interests et de despens qu'il avoit encouru pour la provision qu'il avoit faicte, pour se maintenir en la republique selon sa qualité, mesmes des impositions qu'il avoit faictes extraordinaires pour maintenir la guerre contre ledit Caresme et les sindics des Jeusnamites et Penitentiates, ses adversaires jurez, et autrement en la meilleure forme que faire se pouvoit. Signé: Pansardois, advocat en la Cour.

Dire des Epicurois.

Autre plaidé de Cameleon, aussi advocat en la Cour, pour ledit sindic des Epicurois et Atheismates, prenans la cause et garantie pour ledit Mardy-Gras. Au nom de ses parties dit, que, sesdites parties ayant veu le grand froid qui avoit couru ceste année et le temps auquel estoit succedé le règne de Caresme, par le moyen de quoy les rivières estans glacées et les jardins sechez pour le trop de froidure, qu'il ne s'y pouvoit pescher aucune sorte de poisson frais, et que la mer n'en pouvoit debiter à cause des rivières gelées; que les charriages annuels qui souloyent donner à foison de poisson salé estoyent empeschez à cause des chemins gelez, et qu'il n'y pouvoit naistre aucune herbe, comme espinars, borraches, bugloses, cardons, pastenades, eschervices, laitues, pimpinelle, chicorée, endives, cerfeuil, roquette, blanchette, œil de chien et autres sortes d'herbes qui peuvent faire passer la melancolie, par leur gout crud ou cuit, de l'absence et exil du très-illustre prince Mardy-Gras, ils avoyent, de peur de mourir de fain en telle necessité et extremité de famine, heu recours à la benignité et faveur dudit Mardy-Gras, lequel ils auroyent prié, ainsi que Pansardois, advocat, a très-bien remonstré, de n'obeir point à la sommation dudit Caresme, et, ayant pitié d'eux, ne les desemparer, qui seroient par son absence pour mourrir de fain, luy promettant, en cas qu'il en fut inquieté, de prendre la cause pour luy et luy en estre à garand. Laquelle chose ils font et remonstrent à la Court que, à correction, il n'y peut eschoir bannissement contre ledit Mardy-Gras comme les années passées, attendu ce qu'ils ont jà remonstré à la Cour, le temps auquel est survenu le règne de Caresme, les chemins glacez, les rivières inutiles, les pêches trop froides; concluant, veu le grand interest que la republique a de la presence dudit Caresme, pour ceste année seulement, ayant pitié d'eux, qui seront pour mourrir si ledit Mardy-Gras est banny, qu'il plaise à la Cour debouter ledit Caresme de sa demande contenant le bannissement dudit Mardy-Gras, lequel sera maintenu en son règne, avec despens. Signé Cameleon.

Dire du Procureur general.

Autre plaidé de Craquelin[103] Popelin[104], procureur general au ressort de la Cour souveraine de Saladois, disant que ledit Mardy-Gras et ses garands ne sont que des vrays imposteurs, seditieux et athées, puisque ils n'ont honte à la face de la Court de vouloir que les coustumes louables et de toute ancienneté introduites, seul ciment de la republique, fondement de l'obeyssance, liaison de l'estat et colonnes et assurances des royaumes, pour un appetit desordonné, une gourmandise temporelle, soyent abastardies et ostées du tout de la republique, et qu'il y va de l'honneur de la Cour si, ayant esgard aux demandes dudit Mardy-Gras et de ses garands, elle permet qu'iceluy règne avec Caresme, deux extrèmes si extremement contraires et tellement adversaires que l'un ne peut regner avec l'autre. Partant, conclut que, en ce qui concerne la demande en possession de temps dudit Caresme, iceluy soit maintenu en son royaume temporel de sept semaines et en la possession du temps de quarante-cinq jours, suyvant les anciennes ordonnances, edicts des saincts Pères et constitutions de l'eglise; et, ce faisant, soit enjoint audit Mardy-Gras dès maintenant vuider de la Cour souveraine de Saladois et de tout son ressort, avec tous ses supposts, et laisser la possession du royaume paisible audit Caresme, suyvant le reglement pris de tout temps, et ne comparoistre jusques au 30 de mars prochain precisement à la minuict, à peine, s'il est trouvé pendant ledit temps à luy ordonné pour son bannissement, sans autre forme de procez soit condamné à estre pendu et estranglé; et en ce que concerne la seconde demande en excès, attendu que cela provient plus tost d'une imprudence et vaine gloire que de mauvaise volonté, les parties soyent mises hors de cour et de procez sans despens; et, en ce que touche la garantie que ledit Mardy-Gras demande contre les sindics des quantons epicurois et atheismates, laquelle mesme ils ont prins pour ledit Mardy-Gras, il soit dit n'y avoir lieu d'aucune garantie, laquelle soit cassée et annulée, parce qu'il est notoire que ledit Mardy-Gras est en mauvaise foy, prenant la promesse de ladite garantie, attendu qu'il sçavoit bien icelle ne valoir rien, ex eo ipso qu'elle estoit contra bonos mores et antiquas consuetudines reipublicæ, ædicta patrum et mandata ecclesiæ, sauf audit Mardy-Gras estre donné tel terme que la cour advisera pour vendre, donner, aliener et autrement disposer des preparatifs qu'il avoit fait pour sa demeure pretendue. Signé Craquelin-Popelin, procureur général.

Dire des esleus de la Frelauderie.

Autre plaidé de Genevrard, advocat en la cour, parlant pour les esleuz de la Frelauderie, et disant qu'il a un grand interest pour ses parties à ce que les conclusions du procureur general ne soient suyvies, et qu'en ce faisant que ledit Mardy-Gras soit du tout dechassé de la republique et de tout le ressort de la cour, attendu que notoirement c'est contrevenir contre leurs anciens priviléges, que la cour leur a tousjours maintenus souz la liberté de conscience, en laquelle ils ne peuvent estre forcez; joint que la cour sçait très bien qu'ils sont fondez sur la prescription de temps, prescription de dix, de vingt, de trente, de quarante, cinquante et cent ans, et mesmement extra viventium memoriam, pour autant que ce temps est escheu depuis qu'ils se sont soustraits et emancipez de l'obeissance dudit maistre truand de Caresme et de ses autres foires, comme Vigiles, Quatre-Temps, mesmes qu'ils ont publié une assemblée pour se soustraire des autres foires appellées le Vendredy et Samedy; laquelle assemblée finie, ils sont resolus de presenter à la cour requeste aux fins que ils soient du tout distraits et absouz desdites foires appellées Vendredy et Samedy, lesquelles toutesfois, propter scandala, ils promettent bien de garder pour ceste fois seulement, sans tirer là consequence; soutenant pour toutes conclusions, veues les causes jà alleguées pertinentes et peremptoires, qu'il n'y a lieu que les conclusions dudit procureur general soient gardées en ce que touche et concerne le particulier de la Frelauderie, par ainsi qu'il leur soit permis de vivre à leur poste sans recognoistre ledit Caresme, et en ce faisant qu'ils puissent heberger ledit Mardy-Gras. Signé Genevrard.

Dire des malades.

Autre plaidé de Plaintignard, advocat aussi en la cour, plaidant pour les sindics des malades, fievreux, pulmoniques, catarreux et autres, disant qu'en ce que concerne aussi le particulier de ses parties, les conclusions dudit procureur general ne peuvent avoir lieu, d'autant que la cour sçait très bien et experimente elle-mesme plusieurs fois que le Caresme n'engendre que catarres, ventositez, cruditez, frigiditez, mal d'estomac, humiditez, alterations, rumes et autres telles maladies, lesquelles, par le moyen dudit Caresme, ont esté semées dans le monde pour opprimer les mortels, et qu'eux, estans opprimez et vexez de telles maladies auxquelles le Caresme est extremement contraire, ils ne peuvent pour leur regard recognoistre le royaume d'iceluy, s'ils ne veulent tout manifestement en mesme temps bastir leurs sepulchres; joint que ladite cour sçait très bien que les dispenses ne leur sont jamais esté deniées, soit au ressort de la cour ou dans le sevère et rigoureux commandement de la rude inquisition; parquoy conclut pour ses parties qu'il luy soit permis avec dispenses (lesquelles ils prendront et recevront), propter scandala, comme les années passées, ne recognoistre point le règne de Caresme, et en ce faisant puissent heberger ledit Mardy-Gras. Signé Plaintignard.

Dire de la confrairie de pauvreté et des Artisans.

Autre plaidé de Mequaniquois, aussi advocat en la cour, plaidant pour les chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité des artisans, disant qu'il ne peut escheoir lieu pour les conclusions dudit procureur general, en ce que concerne le particulier et general de ses parties, d'autant que la cour sçait très bien la necessité de ses parties, qui vivent du jour à la journée sans pouvoir faire provision comme les riches, et puis la grande cherté qu'il y a au règne de monsieur Caresme, car, estans chargez d'une multitude d'enfans, souz le règne de monsieur Mardy-Gras avec deux sols ils peuvent mieux paistre et entretenir leur affamée famille que souz le règne de Caresme avec trente sols; non pas que pourtant ils ne desirent recognoistre ledit Caresme et les saintes constitutions de l'Eglise, et ce qu'ils monstrent bien en ce qu'ils ont tousjours rejetté les seductions des ennemis dudit Caresme, qui leur vouloient faire secouer son joug par offre de leur donner cinq, dix, quinze, vingt, trente, quarante et cinquante sols la semaine d'aumosne; que mesme ils en ont seduit plusieurs, à quoy ils resisteront si Dieu plaist, moyennant aussi qu'il plaise à la cour avoir esgard à leur necessité; partant demande au nom de sesdites parties que veu qu'ils seroient pour mourir de faim s'ils estoient contraints de vivre souz les loix dudit Caresme, qu'il leur soit permis, partim pouvoir heberger ledit Mardy-Gras, et partim vivre souz le règne dudit Caresme. Signé Mequaniquois.

Dire et Apposition des Amoureux.

Autre plaidé de Mignotis, aussi advocat en la cour, plaidant pour les amoureux mignons, meneurs souz bras, Narcisses de villes, Adonis de rues, courtisans de boutiques, supposts de bal, muguetteurs de filles, senteurs de vesses, odorateurs de pets, rabats blancs aux sales chemises, cureurs de dents aux ventres creux, mesnagers d'amour, distillateurs de souspirs, fondeurs de larmes et autres semblables, disant que, pour le regard aussi de ses parties, il auroit un notoire grief si les conclusions du procureur general estoient suyvies par la cour, attendu qu'elle sçait bien que, pour passer ce Caresme, à cause des glaces qui ont fermez la debite de la mer, l'opulence des rivières et l'abondance des vivres, il n'y a que de vieille moulue et de vieux harans sorets et blancs, lesquels ils seroient contraints manger, et d'iceux imbiber leurs accoustremens, leurs mains, leurs cheveux, leurs nez, leurs bouches, d'où ils seroient contraints de recevoir une odeur punaise, laquelle les priveroit du doux entretien de leurs dames, du baiser de leurs favorites, du toucher de leurs amantes, et enfin du doux propos, gratemains, meneries[105], happallages[106], metonimies[107], passement de ponts, sautement de boue, montement d'escaliers, levemens de gans, prises de manchons, serremens de doigts, baisement de mains, ostentation de lèvres, et autres petites faveurs que l'amour, la privauté, la bien-sceance, la raison, le genre, l'espèce, la difference, le cognatis[108], et autres entretiens d'amour pouvoient permettre à ses parties avec toutes sortes de dames, damoiselles, filles, pucelles, vierges, damoiselles de boutiques, de chambre, de tablier, de cuisine, de garderobes et autres, d'où ils recevroient de grands dommages et interests; partant conclut à ce que ils ne soient contrains de vivre souz le règne de Caresme, mais d'heberger ledit Mardy-Gras. Signé Mignotis.

Dire et opposition des Dames.

Autre plaidé pour les dames, comparant par Fardois, leur procureur, et par Mignardin, leur advocat, disant que, pour lesdites dames ses parties, il a un notable interest à s'opposer aux conclusions prises par le dit procureur general, pour une seule raison assez valable, et qu'il alleguera seulement, pour n'ennuier la cour, outre ce qu'il desire faire son profit et affermir son dire de tout ce qui a esté plaidé par l'advocat dudit prince Mardy Gras et par les advocats des atheismates et epicurois, et des artisans et des amoureux. C'est que la cour sçait très bien que toute leur grandeur, leur gloire, leur honneur, leur valeur, leur recherche, le desir qu'on leur a, l'affection qu'on leur porte, la cour, reverences, bonnetades, alongemens de pieds, baisemens de mains, ris en sucrez, avancemens de reins, guignemens de teste, toussemens, souspirs, tourdemens de col[109], croisemens de bras, pas de perdrix, gemissemens de torterelles, arquebusades d'amour, assiegemens de marguerites, presens, offres de bouquets, chatouillemens d'espingles, discours, alarmes, derouillement de dragée[110], bals de festes et de jours-ouvriers, compagnies de sale, de chambre, d'anti-chambre, de magasin, de cuisine, de boutique, d'arrière-boutique, de cave, de tablier, de sale, de soleil, d'ombre d'arbres, de tournoy, de cheval, de pié, de coiffure, d'empois, de pigner, d'envoys de lettres, de poulets, d'ambassades et d'assistemens en toute sorte d'affaires, de negoce, de besoin que l'on leur peut faire (sans prejudice des recherches que la mauvaise condition du temps faict touchant l'argent qu'on demande juxta illud sine ipso factum est nihil, et qui n'a point d'argent n'a point d'amy, et que l'argent faict chanter les aveugles, et que ubi divitiæ ibi nuptiæ, et que sine Cerere et Baccho friget Venus, et autres tels proverbes qu'aporte la mauvaistié du siècle), gist principalement en la beauté, et que la beauté ne se peut entretenir sans la bonne condition des viandes, laquelle ne peut estre aux harans sorets et merluches, et in alias hujusmodi, pleines de flegmes et catarres, lesquelles, au lieu de les rendre belles, les pourroient provoquer à la toux, et par consequent rendre hydeuses, et que mesmes, en l'esmotion de catarres et de toussement, se pourroit perdre l'albastre que les dames (aydans à la nature et ce qui leur est permis, juxta illud cumulata juvant), appliquent, approprient, engluent, lissent, aplanissent, accommodent, adjoustent et emplastrent sur leurs joues, mains, sourcils, lèvres, teint, cheveux et autres parties du corps, lesquelles (cependant que les couvertes sont au corps de garde d'Amour) font la sentinelle dehors; partant conclut, au nom des dames ses parties, qu'il leur soit permis, attendu ce que dessus, de ne recevoir le règne de Caresme, mais qu'elles puissent heberger Mardy-Gras.

Dire des Gueux.

Autre plaidé de Pedouillas, plaidant pour les gueux, dit qu'il plaise à la cour voir ses parties, pauvres, sans support, tueurs de poux à la centeine, crieurs de misericorde sans besoin, feigneurs de jambes rompues, representateurs de faux estropiemens, bruslures, playes, hydropisie, mal de saincts, imposteurs de danses[111], deguiseurs de folies, faineans, bannis de la republique des arts, exilez de la monarquie du travail, preneurs d'où il y en a; et puis le peu de charité qui règne aujourd'huy est telle que, si la viande ne pourrit, le pain ne moisit, et l'argent ne regorge au garde-mangeoir, en la depense et en la bourse du justicier, du gentil-homme, de l'ecclesiastique, du riche bourgeois et de l'artisan commode, ses pauvres parties sont pour mourir de faim, principalement en ce Caresme, qui est survenu en un temps qu'il ne se peut pescher aucun poisson propre à faire poutage, seule esperance de ses allanguies parties; partant conclut selon le chapitre: Necessitas non habet legem. Ainsi signé: Pedouillas.

Dire du fermier de la boucherie de Caresme[112].

Autre dire et plaidé de Faux-Poix, advocat, remonstrant, au nom du fermier de la boucherie de Caresme, que ceste année l'on luy a haussé le chevet de la ferme plus qu'on ne souloit, et laquelle il a accepté à haut pris en intention et tenant pour certain que Caresme ne comparoistroit nullement, ou que, s'il comparoissoit, ce seroit seulement pro forma, sans que monsieur Mardy-Gras feut chassé, et que, s'il estoit chassé, ce seroit notoirement sa ruyne et de ses petits enfants, lesquels sont en grand nombre; partant conclut que Mardy-Gras ne soit point debouté, ou en tout cas qu'il luy soit rabatu du pris de la ferme. Signé Faux-Poix.

Arrest par lequel est ordonné que les pièces seront mises pardevers la cour et au conseil du 14 febvrier an 1603. Signé Lantillin, greffier. Requestes, repliques, dupliques et autres pièces servant à la decision du procez, bien et meurement digerées,

Dit a esté que:

La cour souveraine des Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, a annullé, cassé, et annulle et casse la garantie par les Epicurois et Atheismates prise pour Mardy-Gras, comme estant plaine de mauvais dol contre les edicts des SS. Pères et constitutions de la vraye Eglise; en ce faisant, a banny et bannit ledit Mardy-Gras du ressort et empire de la cour pour le temps et espace de quarante et un jours, lequel temps, pour certaines causes à ce mouvantes la cour, commencera depuis la minuict du 16 de ce mois de febvrier, appellé le dimanche des Brandons, tirant à la minuict du 17 dudit mois, jusques à la minuict precisement du 30 de mars prochain, sans avoir esgard au dire du sindic des penitentiates et jeusnamites; a inhibé et deffendu audit Mardy-Gras de comparoistre pendant ledit temps en aucun lieu du ressort de ladite cour, sur peine d'estre procedé contre luy corporellement et autrement, selon qu'il est contenu aux saintes constitutions de Caresme, sans toutesfois prejudicier aux priviléges des Frelaudois en ce que concerne leur liberté de conscience alleguée, en laquelle, veu la misère du temps, pour certaines bonnes causes et raisons de peu des scandales, et jusques à ce qu'autrement en soit ordonné, la cour a maintenu et maintient lesdits Frelaudois. Bien leur enjoint de fermer la porte purement et simplement audit Mardy-Gras et ses supposts le Vendredy et Samedy, sur peine d'estre injuriés, querellés et appeliez de leur nom; particulierement l'enjoint à ceux qui ont encore quelques rays[113] du soleil de la vraye recognoissance illuminant leur ame.

Et en ce que concerne les remonstrances des malades, fiebvreux et autres, ou soy-disants tels, leur a permis et permet ladite cour heberger quelques supposts de Mardy-Gras pendant leur maladie, à la charge d'obtenir dispense par le rapport des medecins, sur peine que, si le rapport des medecins n'est vray, lesdits medecins, et non iceux soy-disans malades, porteront à Pasques la penitence de l'excès commis contre la majesté de Caresme;

Defendant très expressement à toute sorte, qualité, condition et sexe d'autres personnes, d'heberger ny recognoistre ledit Mardy-Gras ny ses supposts, sur les peines contenues aux saintes constitutions de Caresme, ledit temps pendant, sans prejudice toutesfois aux amoureux qui auront le moyen, de peur de la puanteur des harans et merluches, se pouvoir musquer les gands, la barbe et les cheveux et autres parties de leur corps; et à ceux qui n'ont le moyen, de garder la maison, la boutique, et n'aller aux assemblées et bals; ensemble aux dames a permis et permet de manger la matinée le petit œuf frais sortant du cul de la poule (si tant est qu'elles en treuvent) pour entretenir leur enbonpoint; et en cas qu'elles n'en treuvent, leur donne licence, ladite Cour, feindre des mal d'estomach et dire qu'elles sont malades; pour jouyr, ce faisant, des priviléges de la maladie, et où leur petit adjutorium de beauté coulast de leur visage, pouvoir saluer et parler avec tous ceux qui les accosteront sans tirer le masque[114], ou se venir à l'obscur dans quelque chambre, et jamais ne se laisser voir en autre posture; n'entendant en ceste deffense, ladite cour, avoir compris les pauvres artisans et les gens ausquels, suyvant le chapitre necessitas et de mortua charitate, permet de se pourvoir comme ils pourront, et manger quant ils en auront et de ce qu'ils trouveront, et ce à la charge qu'ils diront le tout à leurs confesseurs à Pasques, et que, si quelqu'un voit leur marmite bouillir, ils diront et soustiendront que c'est poutage d'huille ou de beure, ou fait de legumes; et a debouté et deboute ladite cour le fermier de la boucherie de ses oppositions, mettant toutes les parties, au reste, hors de cour et de procez respectivement sans despens; et, civilisant l'action en excès pretendue par ledit Caresme contre ledit Mardy-Gras, auquel a permis et permet pouvoir disposer pendant ledit temps qu'il doit partir de la quantité de meubles, biens, ustensils et autres sortes de provisions qu'il avoit fait, croyant de devoir regner. Dit aux parties en la cour souveraine de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, ce 15 febvrier 1603.

Signé Lentillin, greffier.

Chargement de la publicité...