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Variétés Historiques et Littéraires (05/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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Ordre à tenir pour la visite des pauvres honteux.

S. L. N. D. In-8.

Il faut examiner s'ils sont chargez de famille, s'ils ont femmes et combien d'enfans masles et femelles, quel âge, quelle profession, ce que l'on en peut faire; si les filles sont en hazard;

D'où vient la pauvreté, si par desbauche, mauvais menage, procez, faute de conduite, ou par le malheur du temps;

Quelles debtes ils peuvent avoir, si l'on en peut composer avec le creancier;

S'ils se peuvent restablir, et comment, estant plus seur de leur donner les choses en nature, comme de l'estoffe, de la soye, du cuir, que de l'argent.

Il importe d'avoir un magazin pour les provisions et besoins necessaires aux pauvres, et des meubles et ustancils marquez à la marque de la paroisse, afin de leur donner par prest, et qu'ils ne les puissent vendre, ny les creanciers ou les proprietaires de la maison les saisir.

Il faut aussi estre precautionné pour le payement des loyers, qui n'entrent point ordinairement dans les charitez des paroisses, à moins que de cause bien privilegiée;

Comme aussi des voyages, qui sont tousjours suspects,

Et des mariages, le plus souvent non necessaires, si ce n'est des personnes qui sont dans le peché, ou pour empescher qu'ils n'y tombent[115];

Et pareillement des pensions par mois ou par années, parce qu'elles espuisent le fond des charitez et contribuent quelquefois à la fainéantise, sous le prétexte de l'asseurance d'une subsistence ordinaire.

Il est aussi très à propos de leur reserver du charbon, des chaussures et autres petits soulagemens pour l'hyver.

Surtout il faut prendre garde s'ils frequentent les sacrements, s'ils sont bien instruits des principaux mystères, et particulierement les enfans, et encore plus lorsqu'ils sont en estat de faire leur première communion;

S'ils couchent separément;

S'ils ont esté confirmez, et mesmes les père et mère, pour leur faire concevoir l'importance de ce sacrement et les disposer à le bien recevoir.

Il importe de sçavoir comment ils vivent avec leurs voisins, s'ils vivent avec bon exemple et vivent avec reputation dans le quartier;

S'ils sont infirmes ou malades, pour y estre pourveu, par les charitez des paroisses;

S'ils ont des filles en hazard, pour en prevenir le mal, leur procurer quelque condition, apprentissage ou retraitte[116].

Il faut prendre garde aux surprises et artifices des pauvres qui veulent passer pour vrais pauvres honteux, n'estans de la qualité, ou lorsqu'ils en abusent, ce qui merite grand examen, parce qu'ils ont les aumosnes de ceux qui sont veritables pauvres.

Les principales marques, et qui les doivent exclure et faire rayer du rolle, sont les suivantes:

1o Lorsqu'ils se rendent mandians de mandicité publique ou de secrette qui eclatte: car le pauvre honteux est celuy qui vit chrestiennement, qui ne peut gagner sa vie, et qui a la honte sur le front pour ne l'oser demander[117];

Et en cecy il faut seulement prendre garde au spirituel de la famille et au peril des enfans, particulierement des filles;

2o Ceux qui gagnent leur vie ou qui la peuvent gagner, ou qui ont quelque petit bien qu'ils ne sçavent pas mesnager, parce qu'autrement c'est fayneantise, dissipation ou desbauche, qui merite reprimende plustost qu'assistance;

3o Ceux qui sont soulagez par ailleurs et reçoivent assistance suffisante, comme du grand bureau[118], fabrique des paroisses[119], corps des mestiers[120], confrairies et autres compagnies de pieté;

4o Ceux qui ne sont domiciliez dans le temps porté par les reglements, parce qu'autrement l'on affecteroit de s'establir en la paroisse pour participer aux aumosnes, sauf s'il y avoit peril pour la religion, l'honnesteté ou scandal public: il en sera pris connoissance de cause;

5o Les religionnaires[121], s'il n'y a disposition à leur conversion, ou quelque ouverture pour l'esperer;

6o Les catholiques qui tirent charité des religionnaires, ou qui mettent leurs enfans apprentifs chez les religionnaires;

7o Les libertins, blasphemateurs, yvrognes et desbauchez, sauf, quand ils ont leurs femmes et enfans dans la misère ou le peril, à leur pourvoir secretement et par autre voye.

8o Ceux qui ont mal usé de l'aumosne que l'on leur a donné;

9o Qui negligent de se faire instruire, qui n'envoyent point leurs enfants à l'escolle et au cathechisme de la paroisse;

10o Qui deguisent leurs noms, qui les changent, qui en prennent plusieurs, qui supposent leurs conditions, qui n'exposent pas la verité dans les billets ou lors des premieres visites que l'on fait chez eux;

11o Qui ne veulent point sortir de leur logis quand il y a des gens de vie scandaleuse;

12o Qui souffrent quelque scandal public en leur famille, particulierement quand il y a des filles;

13o Qui ne se veulent point reconcilier avec le prochain;

14o Qui ne veulent point suivre les advis de ceux qui sont preposez pour conseiller;

15o Qui font mauvais mesnage en leur famille, ou qui mal-traitent leurs femmes après en avoir esté repris, sauf à donner quelque chose à la femme en particulier si elle en est digne;

Et generalement, ceux qui ne sont pas jugez dignes par la compagnie pour autre cause survenante et motive d'exclusion;

Toutes lesquelles causes d'exclusion peuvent cesser neantmoins en se remettant par les pauvres en leur devoir, et satisfaisant à ce que l'on desire d'eux, ce qui depend de connoissance de cause et d'examen de l'assemblée de la paroisse.

Ordinavit in me charitatem.

L'Anatomie d'un Nez à la mode.[122]

Dedié aux bons beuveurs.

S. l. n. d. In-8.

Je n'oserois, la noble troupe
Qui habitez dessus la croupe
Du haut mont heliconien,
Parmi les œillets et les roses
Qui en tout temps y sont escloses
Dans le cristail pegasien;
Je n'oserois, dis-je, à ceste heure
Cheminer vers vostre demeure
Pour invoquer vostre secours,
Et pour gouster de l'Hipocrène
Le doux nectar, qui y amène
Mesmes les dieux à tous les jours:
Car je craindrois qu'une carcace,
Une charongne, une crevace,
Dont il me faut icy parler,
Infectast de sa pourriture
Ceste liqueur, la nourriture
De ceux qui vous vont visiter.
C'est un nez, mais nez de manie,
Dont je veux faire anatomie
Pour en oster le souvenir,
De crainte que par une peste
Il ne conduise tout le reste
Des mortels au dernier respir.
S'il y avoit quelque esperance
Qu'il peust prendre convalescence,
Esculape, je te prierois
Le traitter; mais plustot ton ame
Hipolite pour sa Diane
Feroit vivre encore une fois:
Car desjà un infect ozène[123]
Y a fait naistre une gangrène
Qui le prive de cet espoir,
Et puis son odeur ne demande
Que joindre son corps à la bande
Qui habite au triste manoir.
Il est encor bien raisonnable
Que de ce nez abominable,
Desjà cogneu de tous les dieux,
Qui le nient pour leur ouvrage,
L'horreur, et l'effroy, et la rage,
Paroissent pour l'eviter mieux.
Ce membre donc contre nature,
Puis qu'il fait une telle injure
Au plus beau corps de l'univers,
Il faut l'accommoder en sorte
Que l'on dise: La peste est morte
Par la mort de ce nez pervers.
Encor n'aura-t-il ceste peine
D'esprouver, comme ceux qu'on meine
Au gibet, la rigueur des fers
De ceux qui font l'anatomie.
Suffira pourveu que je die
Ses veritez dedans mes vers.
D'entre les parties integrantes
Qui en ce nez me sont presentes,
D'abord je descouvre une peau
Douce ainsi qu'un peigne à estoupe,
Molle comme d'un bœuf la croupe,
Et blanche comme un vieux fourneau.
Sous ce cuir il y a des muscles
Qui servent à ce nez de busques[124]
Mouvant ainsi qu'un elephant
Fait sa trompe, ou bien, pour mieux dire,
Comme sur le mast d'un navire
Une girouette le vent.
Au milieu est un cartilage
Que la carie a par usage
Troué comme est le parchemin
D'un laboureur par où il passe
La poussière qui se ramasse
Parmy le meilleur de son grain.
Des os poreux comme une esponge,
Qu'un ulcère sans cesse ronge,
Font de ce nez le fondement;
Il a des veines, des artères,
Des nerfs gros comme des vipères,
Et si n'a point de sentiment.
Toutes ces parties, dans leur place,
Composent ceste affreuse masse,
Qui en sa situation
Semble se maintenir dans l'ordre
Que nature aux autres accorde
Dedans leur composition.
Mais sa trop molasse substance,
Qui paroist ainsi qu'une pance
De quelque bœuf de nouveau mort
Remplie de fumier et d'ordure,
Monstre que desjà la nature
L'a reduict à son dernier sort.
De sa grandeur parler je n'ose,
Car c'est la plus horrible chose
A le voir quand il veut partir
De sa maison pour quelque affaire,
Qu'il faut ouvrir porte cochere,
Et si ne peut presque sortir.
Dans Meroé il se rencontre
Des hommes dont le nez fait monstre[125]
Autant qu'un des plus gros canons
De l'arsenac; comme besaces,
Les femmes jettent leurs tetaces
En arrière jusqu'aux talons.
Mais nez encor grand davantage,
Puis que ton maistre a eu partage
Avec ces monstres d'Arcadie;
Lors que, faisans guerre à Diane,
Leur forme fut une montagne
Par leur temeraire folie.
Ce nez punais n'a d'autre usage
Que pour servir à la descharge
Comme cloaque du cerveau,
Ou bien comme une chante-pleure[126]
Par où il decoule à toute heure
Plus d'une bassée de morveau
Au reste, ce nez poly-forme
Ne peut garder aucune forme,
Comme les autres, arrestée:
Tantost il prend une figure,
Tantost une autre qui ne dure
Pas plus que celle d'un Protée.
A l'un il paroist gros et large,
Remply comme un nez de mesnage;
A l'autre il se monstre carré,
Long, plat ou rond comme une boule;
A celuy-cy en bec de poule,
A celuy-là tout resserré.
Et, d'autant que ceste figure
Fait trop de tort à la nature
Par un changement si divers,
Je tascheray de la descrire
(Non pas que je pense tout dire
En si petit nombre de vers).
Nez d'Acteon, quand par mesgarde
Il vit Diane avec sa garde
Dedans une fontaine nue;
Nez de porc, nez de Bucephale,
Nez d'un monstre cynocephale,
Nez fait en crouste de tortue;
Nez que les pots et les bouteilles
Ont peint avec plus de merveilles[127]
Que n'eussent fait les Gobelins[128];
Nez qu'encor toute la vermine
A gravé avec plus de mine
Que les graveurs parisiens:
Car les fourmis, les marivoles[129],
Les areignes, les mouches-folles,
Les martinbœufs, les annetons,
Les cirons, les poux, les chenilles,
Les morpions, vers à coquilles,
Les hurbecs, les puces, les taons,
Les punaises, les escrouelles,
Les papillons, les sauterelles,
Les janjeudis, les escargots,
Bref, toutes les meres barbotes
En ont abandonné leurs grotes
Pour y apporter leurs efforts;
Nez fait en cornet d'ecritoire,
Qui sert à quelque vieux notaire
Il y a plus de deux cens ans;
Nez à fourbir les lichefrites,
Nez à fouiller dans les marmites
Et à ne laisser rien dedans;
Nez encor fait comme une rève,
Nez qui ne donne point de trève
Aux orphelins de ton quartier,
Nez fait en patte d'escrevisse.
Semblable à un cornet d'espice,
Nez fait en pilon de mortier,
Tu serois bon aux mascarades
Pour faire rire les malades
En ce bon jour du mardy-gras,
Car tu as desjà la figure
De quelque boëte à confiture
Et d'une chausse à hypocras[130];
Nez en forme de descrotoire,
Nez, comme il est à tous notoire,
Doux à toucher comme le houx,
Net comme le penis d'un ladre,
Chaud comme une pièce de marbre,
Poly comme un topinamboux;
Nez de citrouille, nez de pompe,
Nez de citron, nez de cocombre,
Nez propre à servir de boulon
Pour exprimer le jus de treille,
Nez fait en bouchon de bouteille,
Nez de gourde, nez de melon,
Nez propre à faire ouvrir la fente
D'un tronc où l'on veut faire une ente[131];
Nez en coque de limaçon,
En esventail de damoiselle;
Nez qui serviroit de truelle
Et d'oyseau[132] à quelque masson;
Nez fait en trident de Neptune,
Tu servirois encor d'enclume
A quelque pauvre forgeron,
A un vieux suisse de brayette,
A un tisserant de navette,
A un patissier de fourgon,
De crochet à quelques bons drolles
Pour porter dessus leurs espaules
Bources, cottrets, fagots, rondins;
Nez qui as encor bien la mine
De porter le bled et farine
Comme les asnes des moulins.
Tu serois encor très commode
Pour servir, gros nez à la mode,
De seringue aux pharmaciens:
Car tu trouverois à veuglette
Ces trous dont ta langue en cachette
A souvent frayé les chemins;
Nez à embaucher une botte,
Nez propre à mettre en une porte
Au lieu de quelque gros marteau,
Nez fait comme un vray pied de selle
Dont se sert quelque maquerelle
Pour descharger son gros boyau;
Nez, vray comme il faut que je meure,
Tu es semblable à une meure;
Mais, quand je voy tous ces picquons,
Tu me sembles une chastaigne
Qui est encor dedans sa laine,
Armée comme des herissons.
Tu as encor à des morilles
Du rapport par tous ces reicilles
Que font les souris et les rats
Sur toy, quand la nuict favorable
Les fait sortir de quelque estable
Pour venir prendre leurs esbats.
Mais les rats ont fait des merveilles,
Car ils t'ont fait cornet d'abeilles,
Et, si ton maistre avoit dessein
D'en loger dedans tes fossettes,
Pourveu qu'elles fussent plus nettes,
Il auroit tousjours quelque essein,
Essein qui le feroit gros sire,
Pourveu qu'il fist autant de cire
Et de miel comme du cerveau
Tu fournis les tiens à toute heure,
Coulant comme une chante-pleure
De pituite et de morveau.
Mais, ô nez! tu es trop malade,
Tu n'es bon qu'à mettre en salade
Qu'un vieux empirique affamé
Donneroit à son torche-botte,
Pour esprouver son antidote,
Au lieu du plus fin sublimé.
Nez de crapaut, nez de vipère,
Nez de serpent, nez de Cerbère,
Nez du plus horrible demon
Qui soit dans la troupe infernale,
Nez à qui plus rien je n'esgale
Pour en ignorer le vray nom.
Mais d'où vient que ce nouveau monstre
Sous tant de figures se monstre,
Sinon que pour punition
Il ait esprouvé tous les charmes
De Circé, et senty les armes
De toute malediction?
Il est ainsi, je te le jure,
Mais sans te faire aucune injure,
Car je sais trop bien, nez punais,
Qu'on n'en pourroit pas assez dire
Pour au vray te peindre et descrire,
Et qu'on n'acheveroit jamais.
Encor si tu n'avois d'enorme
Que cette si changeante forme,
Tu ne serois si desplaisant;
Mais ceste infecte pourriture,
Tous ces excremens de nature
Font que tu es à tous nuisant:
Car là-dedans un crin de truye,
Plus gluant qu'une fraische plye,
Bourgeonne, comme par despit,
Plus ord que celuy de Meduse
Après que Neptune, par ruse,
En eust pris l'amoureux deduit;
Crin qui faut en chambres secrettes
Arracher avec des pincettes
Quand on veut ce gros nez larder,
Ou bien pour y souffler de l'ambre
Pour un polipe ou pour un chancre
Dont on ne le sçauroit garder:
Car un punais carcinomate[133]
Pour ordinaire le dilate
Encor plus qu'un gros limaçon,
Et s'il ne peut, quoy qu'il se peine,
Respirer s'il ne prend haleine
Par la bouche en nulle façon.
Nez qu'il faut encor que l'on sale
Pour t'empescher d'estre plus sale,
Et pour retrencher le chemin
A la rigueur de quelque ulcère
Qui te conduira à la bière,
S'il en peut estre un si malin;
Ulcère qui dans le visage
Te ronge jusqu'au cartilage,
Et tout ce qui dans le tombeau
Nous laisse à descouvert la face
D'une espouventable carcasse,
Le changeant en terre et en eau.
Nez qu'il faut remplir, pour tout dire,
De ces bonnes poudres de Cypre
Et de ces unguens de senteurs,
De crainte que dedans le monde
Le feu et l'air, la terre et l'onde,
Soient infectez de tes odeurs;
Mais de crainte encor davantage
Que les humains ayent partage
En ceste malediction,
Comme desjà dedans ta race,
Par une hereditaire trace
Nous voyons ceste infection.
O salle engeance de vipère!
Pourquoy avois-tu un tel père,
Lequel à la posterité
Laissast le plus horrible monstre
Qui dans l'univers se rencontre,
Avoir tout le monde irrité?
Monstre qui, s'il estoit pour vivre
Longtemps, pourroit enfin produire,
Par ses sales exhalaisons,
Une peste au monde commune
Qui blesseroit mesme la lune
Et pervertiroit nos saisons.
Mais, ô bon heur pour la nature!
En toy comme en ta geniture
Ceste peste pourra perir,
Puisqu'un chacun aura la force
D'eviter la punaise amorce
Qui te fera bien tost mourir.
Pleust à Dieu que desjà la Parque
T'eust fait approcher de la barque
De ce vieux nautonnier d'enfer,
Afin qu'en delivrant les hommes
Il y conduise tes charongnes
Pour à jamais les estouffer!
Aussi bien n'y a-il au monde
Une Arabie tant feconde
Gui produise suffisamment
D'aloës, d'encens et de mirrhe,
Et tous les simples qu'on peut dire,
Pour te composer des unguens.
Or, sus, ceste Parque infernale
Se lasse que de toy on parle.
Commence donc, ô nez pervers!
A n'esperer plus dans ce monde
Demeurer; il n'y a que l'onde
Qui te conduira aux enfers.
Mais je crains bien que ceste race,
Quoy qu'on y ait marqué ta place,
Ne t'en accordera l'entrée,
Crainte que ta puante haleine
Ne soit une nouvelle peine
Aux esprits de ceste contrée.
Ouy, l'on t'en fermera la porte;
Mais une plus affreuse grote
Qui se rencontre en l'univers
Est preparée pour ta demeure,
Où tu souffriras en une heure
Plus qu'en mil ans dans les enfers.

Extraict de l'inventaire quy s'est trouvé dans les coffres de M. le chevalier de Guise, par madamoiselle d'Antraige et mis en lumière par M. de Bassompierre. Avec un brief catalogue de toutes les choses passées par plusieurs seigneurs et dames de la cour, le tout recherché et escript de la main dudict defunct et presenté aux amateurs de la vertu.

M. DC. XV., in-8[134].

Et premièrement,

Un traicté de la bonne inclination des bastars, desdié à M. de Vandosme, par le comte d'Auvergne[135].

Dialogue de la commodité des ongres, entre la comtesse de Vignoyts et la ravigrave, desdié à M. le comte de Curson[136].

Discours appoliticque, composé par Unisans, secretaire de M. le marechal d'Ancre, par lequel il veut prouver que la cagade faicte par son maistre a esté un violent effort de sa valeur, qui a despravé les functions de la vertu restringente, et non la foire de la prehension, comme veulent dire quelques medisans, desdié au dict sieur mareschal.

La vie de Charles le Simple avec les traictez des commoditez de l'ignorence, composé par M. de Souvray[137] pour servir d'instruction au roy.

Le pouvoir, faculté et vertu de l'engin de l'homme, trouvé aux registres du feu duc de Rais[138], et par luy desdié à la royne Catherine de Medicis, mis en lumière et faict imprimer aux despends du roy par le marechal d'Ancre.

Discours du procez intenté par devant les dames de la cour, d'un certain François, demandeur en requeste, tendant aux fins que soient faictes deffenses à tous les estrangers[139] de ne labourer les jardins des dictes dames, ny semer de leurs graines, veu les parties naturelles des François, avec l'arrest des dictes dames par lequel il est dict que les parties produiront leurs pièces par devant elles, pour icelles veues, visitées et meurement considérées, faire droict ainsi que de raison.

Remonstrance faicte à la royne par madame d'Ancre sur le peu d'utilité qu'il y a d'employer les petits engins aux grandes et profondes affaires, tendant à ce que Bassompierre ne soit admis à ceux[140] du cabinet.

L'usage des casaques à deux envers[141] avec leurs utilitez et manière de s'en servir, composé et imprimé aux despens de M. le duc de Vandosme, desdié à la royne.

La façon de prendre la place par derrière, de M. de Brissac[142], dedié aux beaux esprits de ce temps.

Comparaison en forme de parabolle de maquerellage et de l'art militaire, desdié à M. de Lavarenne[143], et composé par Bonneuil[144].

Paradoxe par lequel il est prouvé que les ladres n'ont point d'autre commodité que l'incommodité en ceste vie, composé par Plainville et desdié à M. de Rostin[145].

La comedie de ma commère, représentée de MM. les princes retirez de la cour, en faveur du president de Thou.

Discours de patience, dicté par Mme de Longueville[146] et dédié à la marquise d'Ancre.

Traicté des plus emerveillables coups de plume et de rabots[147] que les predecesseurs de Conchine et de sa femme ont donné pour le service de la republique du duc de Florence, avec l'arbre et genealogie, le tout fidellement extraict par Dolé et dedié au seigneur Jean de Medicis.

Les moyens de bastir superbement et solidement avec la cire, sans crainte d'autres chaleurs au soleil que celuy de justice ne luit point sur nostre orison, par le chancelier de Sillery[148], dedié aux ouratiers[149] de la chancellerie.

L'invention, sans magie, pour faire parler les morts, par MM. les secretaires d'Etat, dedié aux thresoriers de l'espargne.

Charme du scilence, apporté du sabat par la Dutillet[150], de l'an mil six cens dix, au duc d'Espernon, pour s'en servir en temps et lieu.

Articles secrets de l'alliance d'Espaigne, dedié à Messieurs de la religion.

Comparaison des grands exploits faicts en la mer Méditerranée par le general des galeres avec ceux de M. l'amiral en la mer Oceane, dediez à M. de Villars[151].

Un traicté de la furie, et description par le comte de Brissac, avec un discours des commoditez des calottes, dedié à la Margellette.

Discours sur l'appareil que le marquis de Marigny, Chateauneuf de Bretaigne, Silly[152] de Normandie, Mailly de Picardie, et plusieurs autres, font pour aller à Saint-Mathurin[153], pour estre guaris du mal de teste, desdié au mesme.

La vie de Ludovic Sforce, composée par Peronne, desdiée au duc d'Espernon[154].

Les exemples de la bonne foy du president Jeannin, à recueillir du traicté par lui faict avec le feu duc de Biron[155], desdiez à MM. les princes retirez de la cour.

Un traicté de la difficulté qu'il y a d'arrester les faucons hagards et leur faire revenir sur un vieux lièvre, par le sieur baron de la Chasteneraye, dedié à Roquelaure[156].

La vie du feu connestable Saint-Paul[157] dediée au vieux mareschal de Bouillon[158], pretendu vice-connestable de France, composée dans la Bastille par le comte de la Roche, escript en parchemin rouge.

L'enfantement des montagnes, composé par le duc de Savoie, desdié aux princes.

Discours secret de l'amitié de M. d'Espernon vers son fils de la Vallette, avec une remonstrance aux bons pères en faveur des enfants obeissans[159].

La louange de la chasteté et pureté de la vie, composée par l'evesque de Rieuls et dediée à la royne Marguerite.

Complainte de la Saguoine sur l'inconstance des hommes, dedié au baron des Termes[160].

Le Boittelette du beau Mortemart[161] dedié aux hermaphrodictes.

La promptitude Liverit, dedié à La Ferté[162].

Apologie du Cel Castel contre ceux quy denient que M. le prince de Condé soit legitime, dedié à la memoire de feu M. le comte de Soissons[163].

Histoire du malheureux advènement causé par l'adultaire, composé par la comtesse de Limours[164], et dedié à Mme de Vilars[165].

Le merite qu'il y a de se contenir en viduité, escript par Mme de Marmoutier et dedié à Mme de Guise la Doriere[166].

Le miroir de la chasteté des dames de ce temps, composé par Mme de Santiny et dedié à Mme la duchesse de Seully.

La louange de la fidelité conjugalle, par le comte de Chiverny[167] et dedié au comte de Grammon[168].

La piteuse et deplorable avanture d'Acteon, mangé par les chiens après avoir esté metamorphosé par Diane en forme de cerf, composé en vits françois par Madame la fouteuse de Balaigny[169] et dedié à la memoire de son mary.

Poeme tragique de Landry et de la royne Fredegonde, composé par la marechalle d'Ancre, et dedié à la royne.

L'art honneste de petter, pratiqué et composé par le president Duret[170], dedié à M. de Roquelaure.

Veritable discours du poëte de Marseille et de sa vie, mis en lumière par Madamoiselle de Vitry, quy dit l'avoir assisté à tous les merveilleux traits de son mestier.

Les excellents et doctes sermons du cardinal de Sourdy[171] desdié à un Marguillier de Sainct-Germain-de-l'Auxerroy, par l'advis du cardinal de Bousy[172].

Consolation à la comtesse de Sansay, faicte par M. du Maine, sur la mort de M. Balaigny.

Quatre livres des commoditez, profits et utilitez qu'on reçoit d'avoir deux femmes en un mesme temps, avec la louange d'elles-mesmes.

Un livre de clemence, par M. d'Espernon, si vieux, et si effacé qu'on n'y voit rien, dedié aux Provençaux, avec un discours, à la fin du livre, où il refute l'opinion des poëtes.

Les inimitables grimasses du chevalier de Silly, dedié aux jeunes gens de la cour.

Trois tomes escripts par le mareschal de Biron, le premier traictant du depvoir des subjects envers leur prince; le deuxiesme, de la recompense des loyaux serviteurs; le troisième, de la prudence qu'on doit avoir pour se comporter finement, dedié au comte d'Auvergne.

L'apparition de Saincte Gertrude à Madame l'abbesse de Maubuisson[173] estant au mal d'enfant.

Un Italien incogneu
En France tout seul est venu
N'ayant aucune compagnie;
Mais en France s'est bien trouvé,
Estant fort bien envitaillé
Pour resjouir sa grande amie.

Il a fort bien faict ses affaires
Et a gaigné de grands thresors.
Car, se donnant de grands efforts,
Soubs luy tout le monde faict taire.

Tous les thresors qu'il a conquis
C'est par fraude et par piperie;
Il a gaigné, par mon advis,
Pour faire duchesse sa fille.

Il n'y a François au monde quy ait l'esprit tel comme ceste nation estrangère, car les plus beaux esprits de la France, en telle part que ce soit, ne sçauroit si bien bastir sa fortune en estrange pays comme fait une quantité de race coyonnesque quy se bastissent incontinent au naturel des vrais François; ils leur veulent faire accroire qu'ils sont meilleurs que ne sont les naturels du pays, encore qu'ils feussent de Sainct-Denis ou d'Aubervillier, et veulent dire comme les bonnes femmes de Paris, Aubervillier vaut bien Paris, choux pour choux.

Les nouvelles admirables lesquelles ont envoyées les patrons des gallées qui ont esté transportez du vent en plusieurs et divers pays et ysles de la mer, et principallement ès parties des Yndes. Et ont veu tant de diverses nations de gens et de bestes que c'est merveilles. Desquelles la declaration appert en ces presentes lettres. Escriptes en la cyté d'Arjel, le VIe jour de may[174].

Nos très chiers et parfaictz amys seigneurs de Porion et de Saint-Germain, frequentans la mer en la region occidentalle, nous nous recommandons à vous et à tous noz amys de par delà, vous faisans savoir que depuis nostre partement à la fortune des vens, nous avons esté transportez en plusieurs pays et ysles en la mer. Et premièrement en l'ysle de Coquelicaris, où les hommes sont de merveilleuse figure et sont bonnes gens. Ilz nous ont consolez et confortez en leur langaige, qui est bien estrange. Et ont le stature de grandeur environ comme geans; leurs yeulx esclèrent la nuyt comme torche, et voyent plus de nuyt que de jour; le nez long de trois piez et la barbe longue jusques à terre, verte comme pré; la queue comme ung lyon, et mengent ung mouton à l'heure. Ils boivent, le jour, la mer sallée, et, la nuyt, chascun bien douze potz de vin; ilz sont de telle nature que ils s'endorment par l'espace de trois jours et trois nuytz, et, quant ilz sont reveilliez, ils font ung si grant et si horrible cry qu'on les orroit braire de quatre à cinq lieues; ilz tyrent à la charue comme chevaulx et font leur labour sans ayde de bestes.

Leurs femmes sont petites comme nayns et ont deux queues, et sont vestues de peaulx de garapotz, qui sont grandes bestes comme beufz; la teste longue de six piez, le corps comme ung cerf et à six piedz, ceulx de devant comme griffons, ceux du parmy[175] comme ung beuf, et ceulx de derrière comme ung lyon; le poil jaune, vert, noir et blanc, et long de trois piez.

Item, les cocqs portent laine vermeille de quoy on fait les draps fins, et sont grans comme grues, la creste blanche et longue d'une aulne, et au bout la dicte creste a une pierre si excellente qu'on ne la sçauroit estimer: car l'hostel où les dictz coqs seront, le tonnoire, l'escler, la fouldre ne la tempeste n'y pourront faire aucun mal, pour la grant vertu et dignité de la dicte pierre. Ilz ont le bec large comme une becque, et les fault tondre tous les moys, et les dictz coqs et poulies chantent tousjours ensemble si trez melodieusement qu'ilz endorment les gens: car il semble que soient luz[176] et harpes de ouyr leur chant.

Les poulles sont perses[177] comme azur et n'ont point de plumes, si non en la queue, qui est blanche et comme miroer de paon, et ponnent les œufz tous cuytz, pour la grant chaleur qui est en eulx, et est bonne et excellente viande; et qui les veult mengier clerez, il les convient mettre en eau chaulde.

Item, avons esté en une aultre ysle nommée l'ysle de Hude-Fridaga, où les femmes ont deux couillons[178], et sont moitié noires et moitié blanches, et filent la soye le plus excellentement que jamais on sçauroit veoir. Les hommes ont les cheveulx trainans jusques en terre et sont jaunes comme fil dor, et ne font rien, ne aussi ilz ne veulent rien faire, sinon danser, ryre et galler.

En la dicte ysle a une manière de bestes qu'on appelle opy loripha, grosse comme ung tonnel, et est toute ronde, le poil blanc, jaune, noir et vert; le col long bien dix aulnes, et a la teste comme une gargouille. Elle gette feu par la gueule, qui sent le souffre, especiallement quant il tonne, et se resjouyst tant du tonnoirre qu'on l'orroit braire et crier de plus de sept lieues.

Item, en l'ysle de Sosorogo, qui est grande, en la quelle nous avons esté bien l'espace de trois sepmaines, et est auprès du pays d'Albanie, merveilleuse cyté et grande près de Alexandrie, où madame sainte Catherine fut née et où les marmotz sont. En ceste dicte ysle les vaches n'ont point de cornes ne de queue, et semblent estre painctes, et le laict quelles donnent semble estre vin blanc, et est aussi bon que l'on sçauroit trouver, et sont tonsées deux fois l'an, et de la laine qu'elles portent on en fait ces draps de veloux blanc.

Item, les chièvres ont le laict si aigre qu'il ne sert que de verjus ou de vinaigre. Les moutons ont sept cornes[179] et deux testes et la laine verte, et n'est loup qui en puisse approuchier, tant sont courageux; ilz sont grans comme asnes et ont la queue comme ung lyon. En ceste dicte ysle, les gens sont vestuz de peaulx de pyrelmogues, qui est une beste de la grandeur d'un chat et de longueur demye aulne; le poil de la couleur au col d'un mallart, la teste comme ung synge, la queue comme une marmote blanche, et est très excellente penne[180]; elle conserve et garde une personne de plusieurs maladies, mais on n'en peut avoir ne pour or ne pour argent, tant est precieuse la penne de ceste dicte beste.

Item, en l'ysle de Tapilomugan, qui est auprès de Arcusie et de Samarie, où les enfans mangent leurs pères et leurs mères quant ilz sont anciens; et est auprès du mont Ostrac, où les oliphans[181] et les griffons[182], sont, qui se combatent aux hommes du pays et leur font grande guerre, et de l'autre part le pays où les hommes vivent de l'odeur d'une pomme.

En ceste dicte ysle a une rivière grande qui descent dedans le fleuve de Eufrates, lequel vient de paradis terrestre[183], où l'on pesche des anguilles de quatre cens piez de long, et saillent hors de la rivière pour ouyr le son de la loure[184], et en la dicte rivière n'ose aller aucun navire où il y ait point de fer, car les pierres qui sont au fons le saperoient et tireroyent au fons[185]. En ceste dicte ysle a des oyseaulx grans comme oes, et, quant ilz sont nourriz et quils peuvent voler, le père et la mère en chassent une partie, et par dueil qu'ils ont ils volent si hault que le soleil les cuyt et tue[186]; et puis quant ils sont cheuz on les menge, et est très bonne viande, et en y a si grant nombre quilz en sont au dit pays tous reffais.

Item, au mont de Tripho, en la partie orientalle, nous avons veu ung chasteau fait d'esquailles de gouffiques et une roche de fin or d'un costé, et d'autre costé tout de cristal; de la quelle montaigne on ne voit point le couppel[187], et de grosseur tout entour deux lieues, et au couppel de cette dicte roche a un oysel que est plus grand que six griffons[188], le quel mengue tous les jours de trois à quatre beufz; et n'est homme qui se osast trouver sur terre en ces contrées à l'heure de sept ou de huyt, qu'il va repaistre; et, quant vient environ neuf heures, il s'en va à son dit lieu, et tout le jour il chante si haultement et si melodieusement que on l'ot de plus de 25 lieues, car il resonne son chant si treffort que tous les autres oyseaulx de tout le dit pays laissent à chanter, et chacun oyseau se mussent pour la crainte et tremeur du dit oyseau. Ce dit oyseau est appelle pypharaum. Les œufs qu'il pont sont gros comme ung baril, et ne les peut-on casser, et semble qu'ilz soient paingtz de toutes couleurs. Trois ou quatre fois la sepmaine il volle en l'air; il a les yeulx si très reluisans que il semble estre feu, et est aucunes fois bien quatre heures sans revenir. En l'air est pour regarder où il prendra sa proye; il n'espargne foible ne fort; il se boute plainement en la mer pour prendre le poisson, et s'il treuve une balaine il la mettra à mort.

Item, au pied de la dicte roche a dix grans chasteaulx, lesquelz sont tous faitz de pierres precieuses, et y a des femmes qui les gardent; et en chacun chasteau a sept grosses tours, et en chascune tour a un grand serpent de diverses couleurs, et moult merveilleux, et dit-on que ces sept serpens signifient les sept pechiez mortelz qui guerroient les dix commandemens que les dictes femmes gardent.

Item, nous avons esté en une autre ysle nomée Vulfephaton, en la quelle a une rivière qui descend au fleuve de Gyon[189] qui vient de paradis terrestre, et en ceste dicte ysle ne hante que femmes; on ne les peut congnoistre d'avec les hommes, tant sont vaillantes en guerre. Et auprès a une autre ysle qu'on appelle Tripongalagan, et fault qu'ils passent une rivière qu'on appelle Magrouffa quant ilz veulent habiter aux femmes, et se les femmes enfantent ung filz masle, elles l'envoient demourer avec les hommes; se c'est une fille, elles la tiennent et la nourrissent, et lui ardent la mamelle dextre, affin, quant elles sont grandes, quelles puissent mieulx courir la lance, car elles guerroient mieulx que les hommes[190].

Item, pareillement, en ensuivant toutes les choses dessus dictes, nous avons veu ung grant et merveilleux poisson qui saulte sur la mer plus de cinquante brasses en hault et de travers; il nage plus viste et plustost que ung oyseau ne sçauroit voler, et si a les dentz si fortes et si aguës que quant il empoigne ung batel, il le dessire et le met en pièces, et quant on le veult appaisier, il convient sonner ung gros tambour. Il a bien douze vingtz piez de long, et de haulteur bien quarante piez; sa teste est toute ronde, ses oreilles pendantes plus de vingt brasses; il a treize cornes, longues bien de sept aulnes; il gette feu par les dictes cornes plus de cent brasses à long; les yeulx plus gros que une chauldière à tainturier, et est couvert d'esquailles, et ot-on sonner les esquailles, quant il naige, de cinq ou sept lieues loing; il a la queue fourchée en quatre, et fait esclisser la mer de sa queue plus d'une lieue de hault[191].

Mon très chier cousin, j'ay entendu que aucuns de nos gens ont veu des lymaçons qui sont gros comme des tonneaulx, et pareillement des hanetons qui sont si grans et si merveilleux qu'il n'est homme qui y puisse demourer.

Item, nous avons esté gettez si arrière le plus merveilleusement que jamais homme vit du vent et de l'orage, qui nous a transporté en bien peu de temps jusques au bas occident; et là nous n'avions point de nuyt, et y avons esté trois moys sans revenir, et y avons veu plusieurs et divers pays.

Nous avons esté en une grande et merveilleuse cyté, nommée la cyté de Montane, où nous avons veu une montaigne la quelle a plus de cent lieues de hault, et est ung pays de bestes sauvages, où les tygres sont, les panthères et autres bestes moult merveilleuses; et si y a des pyes qui sont plus grandes que grues, et n'est homme qui osast aller seul sans estre accompaigné de cinq ou de six hommes, pour les pies et autres oyseaulx qui sont dangereux et à craindre, et ont les dictes pies le bec long bien une aulne.

Item, en ces pays a grans forestz, et sur tous autres arbres nous avons veu ung grant arbre le quel a plus de trois lieues de tour de ses branches, et n'en voit-on point le couppel, et est environné tout d'eaue, et le fruyt qu'il porte est long comme une andouille et rend le jus vermeil comme sang, et n'est point de si excellent vin, et dedans chascun fruyt a une pierre precieuse qui esclère la nuyt comme le jour, et ne porte le dit arbre que de trois ans en trois ans, et auprès du dit arbre est la roche de Videquin, où toutes les bestes sauvages du dit pays vont couchier dedans la dicte roche, pour la crainte des chahuans, qui leur portent guerre la nuyt, car ilz sont plus grans que griffons et sont en grant nombre.

Item, nous avons esté en ung lieu bien plus approuchable, venant vers les parties de paradis terrestre, où il y a un prestre françois, au quel prestre Jehan ou son vicaire a donné la cure de Cytrie, en la quelle le dit curé a de disme du plus excellent blé que l'on sçauroit demander, et pareillement des meilleurs vins, et tous les ans bien cinq cens oysons, cinquante veaulx, deux cens aigneaulx qui portent la laine verte, et n'ont non plus de queue que ung cynge, et n'ont que une corne; outre plus bien quarante barilz de miel, car les mousches sont grandes comme poulles[192].

Item, nous avons esté au pays de Garganie par la mer Rouge, près de paradis terrestre, où nous avons veu des choses admirables, comme bestes sauvages et autres, et est ce dit pays tant fertille de tous biens que cest merveilles. Item, nous avons veu la fronde et la pierre de quoy David tua Goliath, et plusieurs autres choses qui seroient trop longues à raconter.

Item, les poulles sont grandes à merveilles et n'ont point de creste ne de queue non plus qu'un cynge, et n'ont aussi qu'une corne, et ponnent les œufs aussi gros que oes; et y a tant de paons qu'on n'en scet que faire, si non que le dessus dit curé seroit bien joyeux qu'il y demourast plusieurs François avec lui pour vivre des biens qu'il a en la dicte cure; mais les gens de ce pays n'y sçauroient bonnement vivre, pour l'intemperance de l'air, dont est dommage.

Autre chose ne vous sçauroy que rescripre pour le present. Recommandez-nous à tous noz amys de par delà. Dieu vous doint bonne vie et longue.

Escript en la cité d'Arjelle, le VI jour de may.

Le vostre

Village
Conducteur des gallées de Provence.

Cy finent les Nouvelles admirables que les capitaines des gallées ont veues en diverses ysles de mer vers les parties orientalles.

Le Gan de Jean Godard, Parisien.

A N. Thibaut G. P.

A Paris, chez Daniel Perier, demeurant rue des Amandiers, près le Colège des Crassins.

1588.—In-8[193].

EPIGRAMME.

Tu chantes si bien, mon Godard,
La nature du gand mignard,
Que qui liroit ton escriture,
Si bien elle le raviroit,
Que, fut il hiver, il n'auroit
A ses mains aucune froidure.

J. Heudon, Parisien[194].


Le Gan de Jean Godard, Parisien.

Bien souvent les bienfaits sont mis en oubliance;
Mais ce n'est pas de moy: j'ai tousjours souvenance
De l'honneur, du present, du don et du bienfait,
Tant soit grand ou petit, que quelque homme me fait,
Jusqu'à là mesmement qu'à rendre la pareille,
Ou soit tard, ou soit tost, tousjours je m'appareille:
Aussi l'homme bien né vraiment recognoistra,
De parolle ou de fait, le bien qu'on luy fera.
Thibaut, il me souvient qu'aux dernières estrainnes,
D'une paire de gands tu me donnas les miennes.
Je te veux ore faire un semblable present:
Je veux le gand chanter en ton nom à present,
Afin que, si mes vers sur le temps ont victoire,
Ton nom et ton present soient de longue memoire,
Ou bien à tout le moins pour te faire sçavoir
Que je ne veux manquer à faire le devoir
A l'endroit de celuy qui m'oblige et qui m'aime,
Ainsi comme tu fais, autant comme lui-mesme.
Mais changeons de propos, et venons à nos gans
Dont il est question. Ce n'est pas de ce temps
Seulement que l'amour l'œil de larmes nous mouille,
Qu'il nous tient en souci, que la teste il nous brouille
De mille passions, qu'il nous glace de peur:
Aussi bien au passé ce petit dieu pipeur
Tourmentoit les humains d'extresme fascherie,
Voire mesme les dieux ont senti sa furie.
Tesmoing soit Juppiter, qui tient le premier rang,
Changé tantost en or, en cigne, en taureau blanc;
Et mesme, qui plus est, Venus, sa propre mère,
N'ha pas peu s'affranchir de sa douleur amère.
Maintenant la navrant, la faisoit suspirer
Pour l'amour du dieu Mars; tantost pour un berger
Qui menoit ses troupeaux sur les rives du Xante;
Tantost il luy faisoit une playe recente
Dans son cœur enferré d'un beau trait pris aux yeux
D'Adonis, le plus beau qui fut dessous les cieux.
Ce jeune fils de roy, chef-d'œuvre de nature,
Passoit en grand beauté tout autre creature:
Narcisse auprès de luy n'estoit que vain abus,
Ni mesme Cupidon, ni le plaisant Phœbus,
Si bien qu'il eust semblé que sa beauté celeste
Fust venue icy-bas affin d'estre moleste
A tous hommes mortels, leur versant dans les yeux
Un dangereux poison, toutesfois gracieux.
Mais s'il avoit le corps beau jusques à merveille,
Aussi son ame avoit une beauté pareille;
Son cœur estoit royal et de vertu rempli,
Estant du tout en tout parfait et accompli.
De ses esbatemens la chasse fut l'eslite,
En imitant Diane, Orion, Hipolyte:
Car, fut que le Soleil retira ses chevaux
De l'estable marine, annonçant les travaux,
Ou qu'au milieu du ciel il traina sa charrette,
Ou bien, ayant couru sa jornalière traite,
Qu'il s'en alla coucher chez sa tante Thetis,
Tousjours estoit aux champs le gentil Adonis,
Ou bien chassant le cerf à la teste branchue,
Ou le grondant sanglier armé de dent crochue.
Venus, qui dans le sin brusloit de son amour,
Ne le pouvoit laisser ny la nuit ny le jour,
Courant tousjours après ses beaux yeux et sa face,
Et fust-ce mesmement qu'il allast à la chasse,
Qu'il allast à la chasse au profond des forests,
Qui sont pleines d'horreur, pour y tendre ses rets.
Un jour elle l'y suit, brassant[195] à l'estourdie
Des espineux halliers: une ronce hardie
Luy vint piquer la main, d'où s'escoula du sang,
Lequel, depuis germé dans le fertile flanc
De la mère commune, a donné la naissance
A la rose au teint vif, qui luy doit son essance.
Tout depuis ce temps-là, la fille de la mer,
Venus au front riant, sa main voulut armer
Contre chardons, et ronces, et piquantes espines.
Elle fit coudre adonc de leurs esguiles fines,
Aux Graces au nud corps, un cuir à la façon
De ses mains, pour après les y mettre en prison.
Les trois Charitez[196] sœurs à la flottante tresse,
En usèrent après ainsi que leur maistresse.
Voilà comment Venus nous inventa les gands,
Lesquels furent depuis communs à toutes gens,
Non pas du premier coup: les seulles damoiselles
Long espace de temps en portèrent comme elles.
Depuis, les puissans roys s'en servirent ainsi,
Et puis toute leur court, puis tout le peuple aussi.
Mais, bien qu'ores chacun les mette à son usage,
Le petit et le grand, et le sot et le sage,
Si ont-ils toutes fois encore authorité
De servir de signal à la grand' dignité
Des prelats reverends: un chacun d'eux en porte
Qui de laines sont faits, mais en diverse sorte,
Comme ils ne sont tous uns; selon qu'ils tiennent rang.
Les uns les ont de rouge et les autres de blanc.
Encores par dessus leurs laines sont couvertes
De turquoises, rubis, et d'esmeraudes vertes[197],
Que portent les prelats, en signe de l'honneur
Qu'ils sont les lieutenants du souverain Seigneur,
Qui, dans le ciel assis, darde dessus la terre,
Ainsi que traits flambants, les esclats du tonnerre.
Par ce moyen-là donc en honneur sont les gands,
Qui jusques aujourd'huy sont la marque des grands,
Qui les ont par honneur, et davantage j'ose
Coucher dedans mes vers qu'il n'y ha nulle chose
Qui sert à nostre corps, le couvrant et vestant,
Qui les puisse esgaler ny qui valle bien tant:
Car s'il m'est accordé, ce qui me le doit estre,
Et si l'on ha respect au vallet pour le maistre,
Ils emportent le prix, puis qu'ils servent la main,
Qui proffite le plus de tout le corps humain.
C'est elle qui fait tout, disposte et bien legère,
Sans cesse travaillant comme une mesnagère.
Elle coud, elle file, elle va labourer:
A tous cous il luy faut le travail endurer.
Elle taille la vigne, elle esbranche les arbres,
Elle peint les tableaux, elle grave les marbres,
Elle affile l'espée et tous les ferremens,
Puis elle en donne après le camp des Allemans;
Elle nous fait du feu quand le corps nous frissonne
De froid en janvier; les bleds elle moissonne;
Elle assemble la gerbe, elle la bat après,
Elle en tire du grain, et du grain du pain frais,
Sans cesse travaillant pour ce gouffre de ventre
Où de tous ses travaux le fruit et salaire entre.
Par elle Jupiter tient son sceptre orgueilleux;
Par elle Juppiter sur les monts sourcilleux
Darde son foudre aislé; par son aide Neptune
Tient son sceptre à trois dents; par elle la Fortune
Tient ses riches joiaux; par son aide Pluton
Porte un sceptre obei du bouillant Phlegeton.
Jadis par son moyen l'invaincu Charlemagne,
Sainct, estoit de nos roys descendus d'Allemaigne,
Des Espagnes vaincueur le triomphe emporta;
Jadis, par son moyen, sur sa teste il planta
D'un bras non engourdi la marque imperialle,
Ayant jà sur le chef la couronne royalle.
Par son aide jadis le grand Henri second,
Qui de palme et laurier s'ombragea tout le front,
Fit fuir l'empereur, à son grand vitupère,
Dans son propre pays en ravageant son père.
Par sa guerrière main nostre prince, son fils,
Invaincu se fit voir à deux osts desconfits
A Dreux et Montcontour; et par sa main puissante
Loys, père du peuple, en l'Itale plaisante,
Deffit près Aignadel le camp venitien,
Faisant trembler Venise et reprenant le sien.
Bref, cette main fait tout ce qu'on peut faire et dire,
Et si ce qu'elle fait seule elle peut escrire;
Elle habille le corps de laine de brebis;
Mais sans l'ayde d'aucun elle fait ses habits,
Je di ses gands fourchus, qui font qu'elle n'endure
Ni le chaud de l'esté, ny la gourde froidure
De l'hyver glaçonneus. Aussi font-ils fort bien
De la garder de mal, puisque tout nostre bien
D'elle seule despend: ainsi le gand utile
Contregarde la main mesnagère et subtile.
Combien est-il heureux de toucher quelques fois,
Ou plus tôt si souvent, la main blanche et les doits,
Tout à l'aise et loisir, de ces belles pucelles,
De ces fleurs de beauté, de tant de damoiselles!
Je croi, quand est de moy, que cinq cens mille amants,
Pour jouir de cest heur voudroient bien estre gans,
Ne deussent-ils jamais avoir nature d'home.
Il est temps de parler des gans blancs de Vendosme[198],
Qui sont si delicats que bien souventes fois
L'ouvrier les enferme en des coques de nois;
On en parle aussi tant que leur ville gantière
Reçoit presque de là sa renommée entière.
Si prisé-je bien plus pourtant les gans romains[199],
Qui servent plus aux nerfs que ne font pas aux mains.
Ny le musque indien, ny l'encens de Sabée,
Ny le basme larmens qui pleure en la Judée,
Ny tout l'odorant bois de quoy l'unique oyseau[200]
Son sepulcre bastit dessus un arbrisseau,
Ny tout ce que l'Arabe a de senteur, en somme,
Ne sentit pas meilleur que font ces gans de Rome[201].
D'autres il y en a, bien richement brodés
De soye ou de fil d'or, à l'eguille et au dés[202],
En petit entrelas et mignarde peinture
Où se lit mainte hystoire et estrange adventure.
D'autres sont enperlez. Si prisé-je pourtant,
A cause du plaisir, les gands de chasse autant[203].
Sans eux l'oyseau de poing n'yroit point à la guerre.
Qui pourroit endurer son espinneuse serre
S'il n'estoit bien ganté? Si le plaisir est grand
De la fauconnerie, on le doit tout au gand.
Aussi lui devons-nous presque tout nostre ouvrage,
La perche, les charrois, et tout le labourage
Qui se fait en hiver: car en telle saison
On n'oserait sortir, ny laisser la maison,
Ny travailler dehors, qui n'a la main armée
De bons gros doubles gands à couleur enfumée.
Sans eux le laboureur ne pourroit en hiver
La mencine[204] tenir, ni les champs remuer;
Sans eux le vigneron n'yroit point à la vigne,
Le pescheur ne pourroit sans eux tenir sa ligne
Dessus les froides eaux, alors que le poisson
Lubre[205] ne peut nager à cause du glaçon
Qu'il rencontre à tous coups; ou si d'un bon courage
Ils s'en alloient sans gands à leur penible ouvrage,
Outre qu'ils ne pourroient besongner à demy,
Sans cesse estant frappés par le froid ennemy,
Les doits leur gelleraient, et les deux mains lassées
Ils auroient à tous coups en hyver crevassées,
Où c'est que chaudement du gand nous nous servons
En chose qui que soit, car nous en escrivons
De la prose et des vers, ayant la main delivre[206]:
Gantez nous feuilletons un grec ou latin livre,
Nous taillons bien la plume avec le canivet[207],
Parmy d'autres papiers nous cherchons un brevet.
Une femme gantée œuvre en tapisserie,
En raizeaux deliez et toute lingerie.
Elle file, elle coud, elle fait passements
De toutes les façons, ayant en main ces gands
Que l'on nomme coupés[208], gands autant necessaires
Que le soleil au jour, que la rame aux galères.
Les hommes d'à present, qui cognoissent combien
Ils nous font de profit, de plaisir et de bien,
Les honorent aussi de mainte broderie
Faite subtilement, de riche orfevrerie,
De senteurs, de parfums. Les uns sont chiquetés
De toutes pars à jour, les autres mouchetés
D'artifice mignard; quelques autres de franges[209]
Bordent leur riche cuir, qui vient des lieux estranges[210].
Tel est souvent d'un roy le condigne present,
Et vaut cent fois plus d'or qu'il n'est lourd et pesant;
Tel sent mille fois mieux que le musque ou civette
Qu'on voit à Saint-Denis. Il n'est tant de poissons
Dans le large Ocean qu'on en voit de façons[211].
C'est pourquoy je ne veux et ne peux les escrire;
Si veux-je toutefois encor un mot en dire,
Et puis c'est tout. Aussi les nouveaux mariés
En donnent par honneur aux parens conviés:
C'est l'antique façon[212]. Ceste façon louable
Monstre combien le gand fut jadis honorable.
O gans saints et sacrés! la marque des prelats,
Brancheus estuy des mains qui nous pendent au bras,
Garde-mains, chasse-chaud, chasse-froid, chass'ordure,
Port'anneaus, mesnagers, à la riche bordure,
Emmusqués, odorants, inventés de Venus,
Vandomois et romains, à cinq branches, cornus,
Nuptiaus, estreneurs, à la gueule beante,
Mais pères des manchons, race bien faitiente,
Pour vous avoir chantés le premier, des Romains,
Des Grecs et des François, gardés-moy bien les mains,
Et celles de Thibaut, en hiver de froidure,
Et du hâle au soleil, qu'en esté l'on endure.


Sonet.

A peine (mon Heudon) que tout vif je n'enrage
Quand j'entend caqueter ces benets et badaus,
Qui sont faits seulement de chair, de sang et d'os,
Mais, ce crois je, sans cœur, sans ame et sans courage.

On les oroit conter qu'un homme n'est pas sage
Qui escrit en françois, tant sont ces gros lourdaus,
Et que l'on ne doit point remporter aucun los,
Si non par un latin ou par un grec ouvrage.

Comment peuvent-ils tant priser et louanger,
Vituperant le leur, un langage estranger
D'une langue impudente et digne de torture?

Puisque (ainsi comme on dit) que son nid semble beau,
Par instinc naturel, tousjours à chaque oyseau,
C'est vraiment donq qu'ils sont homes contre nature.

Sonet.

Ce genereux guerrier, ce père des sciences
Qui reluit à Paris, ce puissant roy François,
Abolit le latin, et voulut qu'en françois
Les juges et plaideurs parlassent aux sceances.[213]

Nostre langue cessa de faire doleances
Pour son triste mespris, sous ce grand de Valois;
Elle fut en honneur à la cour des grands rois,
Et le latin cassé perdit ses vieilles censes.

Lors entour nostre langue on vit les bons esprits;
Mais quelques uns pourtant les en ont à mespris,
Comme si en françois ils ne pouvoient bien dire;

Et, les jugeant comme eux, soit à mal, soit à bien,
Car, disant qu'en françois il ne faut pas escrire,
Je te promets, Heudon, qu'ils ne parlent pas bien[214].

Discours de deux marchants Fripiers et de deux maistres tailleurs estant invités à souper chez un honneste marchant. Avec les propos qu'ils ont tenu touchant leur estat.

M.DC.XIV.

In-8[215].

Tout comme à Titius[216], meschant homme et pervers,
Phebus, qui ses rayons estend sur l'univers,
Envoya l'oiseau qui, de son cœur renaissant,
Iroit de jour en jour iceluy repaissant,
Ainsi nous semble-il que ce monstre d'envie,
Provenu des enfers, soit mis en cette vie
Pour ronger aux mortels l'esprit, non pas le cœur,
Qui jamais ne consomme, ains est tousjours vainqueur:
Il attacque les grands, attacque les petits,
Attacque les fripiers, vendeurs de vieux habits,
Comme on cognoistera par ceste mienne histoire
De deux fripiers remplis de superbe et de gloire.
Un honneste marchand, pour la rejouissance
Qu'il eut d'avoir d'un filz la seulette naissance,
Fit prier de souper deux maistres teinturiers,
Et, de ce mesme pas, deux maistres couturiers.
Sa femme, de sa part, prie deux frelampiers[217],
Qui se disoient tous deux estre marchands fripiers.
Ceux-cy donc, fort joyeux d'avoir telle lipée,
Pour n'avoir dans le vin la lèvre detrempée
Le long du jour, s'en vont tous deux, se depeschant,
Pressez de faim et soif, au logis du marchand.
Cestuy, les saluant: Vous arrivez bien tost!
C'est mon[218], ce disent-ils, c'est pour soigner au rost.
Entrez qu'ils sont dedans pour faire les valets,
L'un prend la palette[219], et l'autre les molets[220]
L'un soufle le feu, et l'autre le ratise:
Voilà le cuisinier qui perd sa chalandise.
Un, certes plus friand qu'une chatte d'hermitte,
Pour gouster au brouet descouvre la marmitte.
Disant: Mets, compagnon, ces viandes à la broche,
Car voicy du souper l'heure qui est fort proche;
Mets ce cochon de laict, ce canar et cest oye;
Retiens pour fricasser les polmons et le foye;
Embroche ce chapon et ces deux lapereaux,
Et ces deux espaules de petits chevreaux.
Sur l'heure du souper, viennent les tainturiers;
Un peu après aussi vindrent les cousturiers,
Lesquelz, tout aussi tost qu'on a la porte ouverte,
Vont saluer le marchand la teste decouverte.
Le soupé preparé: Prenez place à la table,
Ce dict-il aux tailleux d'une voix delectable.
Il fit après assoir ces maistres teinturiers,
Qui vis-à-vis s'assirent des maistres couturiers.
En après fit assoir ces maistres friponniers
Qui, n'estant que frippiers, faisoient les cuisiniers,
Les quelz, en murmurant contre les deux tailleurs,
Qui leur sont preferez en de si grands honneurs,
Sortiroient volontiers s'ilz n'etoient retenuz
De la honte et la gueule, des quelz ils sont pourveuz.
C'estoit presque soupé quand voylà la Discorde,
Qui, embrasant son feu, les met tous en desordre
Par le moyen d'un poux, qui, cherchant son repas,
De l'un de ces fripiers couroit dessus le bras,
Qu'il avoit attiré en refaisant les plis
De quelques vieux habits, qui en estoient remplis.
Un tailleur, le monstrant, dict tout bas au fripier:
Monsieur, ne vous faschez: c'est le faict du mestier.
Le fripier alors, tout ennivré de vin,
Commença à jetter son dangereux venin:
Car au lieu de remercier le tailleur qui l'avoit
Adverti de ce poux qui sur son bras couroit,
Assez mal à propos luy dit: Sot, taisez-vous,
Car je vous fais certain que je n'ay point de poux.
Le tailleur, bien appris, endura cest injure,
Replicquant: Je ne suis perfide ny parjure;
Et qu'il ne soit ainsi, Messieurs, regardez tous
Au devant du pourpoint, vous y verrez le poux.
Le fripier alors, qui crevoit de despit,
Pour sauver son honneur luy livra un deffit
Lequel des deux mestiers estoit plus honorable.
Ce qui fut au tailleur grandement aggreable;
Le maistre du souper arbitre fut esleu
Pour porter jugement quand on auroit conclud.
Le fripier commença à discourir des mieux,
Si bien vous l'eussiez pris pour quelque procureur[221],
Et se mit dans sa chaire en telle posture
Que l'eussiez pris diseur de bonnes adventures.
«Je ne suis pas si tost sorti de ma couchette
Que voicy des marchands qui sonnent ma clochette,
Demandant un habit de serge de seigneur[222];
Les autres de velours d'une belle couleur;
Les uns un beau manteau tout bordé de clincant,
Pour affin d'esblouir les yeux des regardant.
Aux uns de bas estat, aux autres de plus grand,
Je baille des habits pour chacun leur argent,
Les grands me recherchant, et aussi les petits,
Pour tirer de l'argent de quelques vieux habits.
A tailler des chausses je ne passe la nuict,
Pour les quelles avoir fait, bien souvent il vous cuit;
Mais en n'y pensant point, et presque en me jouant,
Je suis tout esbahy qu'il me vient de l'argent.
Donc, ô tailleurs d'habits! vous n'estes qu'artisans,
Et nous, qui les vendons, nous sommes les marchands.
Or jugez maintenant lequel est plus capable,
Ou de celuy qui vend, ou celuy qui travaille?
Après que le fripier eut fini son propos.
Le tailleur commença lui respondre aussi tost
Je sçay bien que souvent vous estes frequenté,
Mais ce sont des chalans de peu d'authorité:
Car n'ayant pas d'escus la bource bien garnie,
Pour avoir des habits vont à la friperie,
Ce sont le plus souvent des coureurs de pavé
Qui au soir à six heures n'ont encore disné;
Ce sont tous des chercheurs de franche lipée[223],
Qui n'ont ny pot au feu ny escuelle lavée;
Qui, n'ayant le moyen d'avoir des habits neufs,
S'en vont vers vous (fripiers) pour en avoir de vieux.
Ceux qui vous font gaigner sont les tireurs de laine
Desquelz ceste cité est de tout temps si pleine.
Si de vos caves estoyent les soupirails bouchez,
Tant de menteaux de nuict n'y seroyent tresbuchez[224]:
Car, à ce que je voy, ils sont si bien hantez
Que jamais (ô araignes!) vos toilles n'y tendez.
Si ces bales estoyent de vos boutiques ostées,
Plusieurs pièces d'estoffes ne nous seroyent robées.
Tous les habits qu'avez viennent de ces panduz,
Ou bien de ceux qui sont sur la roue rompuz,
Ou bien de quelque noble qui, pour un coup d'espée[225],
Dessus un eschaffaut a la teste tranchée[226],
Ou bien d'un verolé qui, se faisant suer,
Est mort entre les mains de monsieur le barbier[227].
Vous me faictes bon jeu de dire que les grands
Vendent leurs vieux habits pour avoir de l'argent!
Encor pour les petits je prendrois patience,
Pour estre à ce contraincts par la folle indigence.
Vous passez bien les jours, vous passez les nuitées
A refaire les plis des chausses dechirées,
D'où les poux affamez, sortant en abondance,
Vous mordent bien serré les costez et la pance.
Vous resemblez au gay qu'Esope le bossu
Produit estant d'un pan des plumes revestu;
Mais ce fut bien le pis, car, estant recogneu,
Il fut crié, mocqué et d'un chacun battu.
Ainsi vous, Messieurs, soubs ce nom de marchand,
Vous vous glorifiez et faictes les galands:
Mais, si dedans Paris messieurs les savetiers
Estoyent à preferer à tous les cordonniers,
Il seroit très juste et plus que raisonnable
Que vous fussiez aussi plus que nous honorables.
Le tailleur faisant fin, le marchand commença,
Et dict ouvertement ce qui luy en sembla:
Vous, messieurs les fripiers, n'ayez à contre-cœur
Si les tailleurs vous passent en vertu et honneur;
Confessez librement leur estre redevables,
Car peut-estre sans eux vous seriez miserables.
Iceux sans dire à Dieu se retirent chez soy,
Ce qui les aultres mit en un très grand esmoy.
Le tailleur, qui n'avoit rien dit de son costé,
A de telles paroles le marchand accosté:
Monsieur, je suis mary que pour rejouyssance
Vous n'avez eu icy que plaintes et mesdisence.
Si de ces deux fripiers vous sçavez l'arrogance,
Sans doubte vous mettez sur eux toute l'offense.
Ils desirent sur tous emporter le dessus,
Enfin estre honorez tout ainsi qu'un Phœbus;
Et, encore qu'ils soyent à chacun dommageables,
Ils se disoyent pourtant estre à tous profitables.
Mais sus! Je finiray en vous disant à Dieu,
Tout praist à vous servir en toute place et lieu,
En vous remerciant d'un si bon traictement
Et pour avoir porté un si beau jugement.
Tout droit à leur logis s'en vont les cousturiers.
Aussi après l'adieu s'en vont les teinturiers,
Qui n'osèrent parler, de peur de plus grand noise
Et de peur de jetter du bois à la fournaise.
La femme du marchand, qui bouilloit de cholère,
Luy demande soudain qui l'a meu à ce faire,
D'abaisser ses parents du costé maternel
Pour exalter les siens du costé paternel;
Poussée de courroux, le va charger d'injure,
Que pour une, deux fois, jusque à trois, il endure,
Mais dict en se mocquant: Ce vous est de l'honneur
D'avoir ces deux parents si curieux de l'honneur.
La dame, bien fachée et plus qu'auparavant,
Luy dict: Holà! marchand, ne blasmez mes parents;
Car je vous fais certain qu'ils vallent bien les vostres,
Soit en bien et honneur, ou en toute autre chose.
Femme, si tes parents et ceux de leur estal
Estoyent hors de Paris, nous n'irions qu'à cheval,
Et vous, femmes, en carroce tiré de six chevaux,
Irions nous promener avec les principaux.
La femme, convoyteuse d'un si très grand'honneur,
Dict lors à son mary: Je cognois mon erreur;
Dict, demandant pardon: Prenez-moy en pitié,
Car je vous veux servir en toute humilité.
Or donc, ne vous faschez, Marguerite m'amie,
Si je fais qu'un chacun sçache toute leur vie.

Discours admirable d'un magicien de la ville de Moulins qui avoit un demon dans une phiole, condemné d'estre bruslé tout vif par arrest de la Cour de parlement.[228]

A Paris, chez Antoine Vitray, au collège Sainct Michel.

1623. In-8.

Le 14 juin dernier, le lieutenant criminel de Moulins, ayant receu plusieurs plaintes qu'un nommé Michel, menuisier, usoit d'arts magiques et qu'il faisoit une infinité de maux dans la dicte ville, le feit constituer prisonnier. Le lendemain, le concierge alla trouver le dit sieur lieutenant criminel pour l'advertir que le dit Michel se tourmentoit extraordinairement dans son cachot, et qu'il luy avoit dit, en presence de plusieurs personnes, qu'il estoit venu à luy quelqu'un qui l'avoit voulu estrangler et qui l'avoit merveilleusement excedé, battu et traîné par les bras, voulant qu'il reniast Dieu et son baptesme, et qu'il demandoit quelque confesseur qui fust habile homme, et qu'à cause des tourmens qu'il disoit recevoir, il avoit furieusement crié qu'on le tuoit et estrangloit, demandant secours. Le dit sieur lieutenant commanda aussitost au dit concierge d'aller querir le père recteur des PP. Jesuittes, et le prier d'aller consoller le dit Michel et l'assister en la confession sacramentalle qu'il disoit vouloir faire; pendant quoi il alla aussi en la Conciergerie pour interroger quelques autres prisonniers, où, ayant trouvé le dit P. recteur, il le pria d'avoir soin de l'ame de ce pauvre miserable. Le P. recteur luy dit qu'il estoit grandement tourmenté, qu'il feroit ce qu'il pourroit, et qu'il luy avoit donné un Agnus Dei pour le conserver des apparitions du diable desquelles il se plaignoit (mais il faloit un cœur contrit, qui est bien rare en telles personnes), et puis s'en alla pendant que le dit sieur lieutenant demeura là pour ouyr d'autres prisonniers, auquel, incontinent après, le geollier retourne dire que le dit Michel crioit tant qu'il pouvoit qu'on le vouloit estrangler et qu'il demandoit du secours. Aussitost il commanda au dit geollier de luy aller ouvrir le cachot, et s'y transporta sur l'heure, où il le trouva le visage gros et enflé, et livide comme de quelques tumeurs, les yeux fermez, et se plaignoit sans pouvoir cognoistre le dit sieur lieutenant, qui luy demanda par deux ou trois fois; mais enfin, ayant repris ses esprits, il le recogneut et luy reïtera ses plaintes, luy disant qu'il avoit esté bien battu par quelqu'un qui luy avoit voulu faire nier Dieu et son baptesme, quoy que cet abominable eust desjà renié Dieu, ainsi qu'il en demeura d'accord après, comme vous verrez tantost. Il advoua aussi avoir toutesfois fait des invocations d'esprits et sacrifié une tourterelle[229], et qu'il s'estoit servy d'un livre de caractères escrit à la main en langue françoise. Là-dessus, le dit sieur lieutenant luy remonstra que le diable n'auroit point eu la puissance de luy nuire, si ce n'eust esté en vertu du pact qu'il avoit avec luy, et puis l'interrogea en quelle forme cela luy estoit apparu. A quoy il respondit que la première fois il n'avoit point de forme, à la seconde et troisième il estoit en feu, qui l'avoit non seulement batu, traîné par le bras et par les jambes, mais qu'il luy avoit mis les pieds dans un trou qui estoit au dit cachot, le menaçant de le precipiter s'il ne faisoit la renegation. Voylà pas un bon maistre et qui flatte bien ses serviteurs! Il dit encore que le livre duquel nous venons de parler luy avoit esté bruslé, par arrest de la cour, en presence de luy, qui avoit fait amende honorable et banny pour cinq ans pour s'estre meschamment et impieusement appliqué aux arts magiques et invocations des demons, dont il avoit demandé pardon à Dieu, au roy et à justice, et qu'il executa cet arrest dès le 15 octobre 1605. Chose etrange que l'aveuglement des hommes! Cela luy devoit servir à mieux vivre, cet auguste senat luy en donnant mesme un si excellent moyen. Mais bien au contraire, ce mechant homme, mesprisant les salutaires remonstrances que la cour du parlement luy avoit faites sur la sellete, s'en alla en Allemagne, en Angleterre, en Espagne et à Venise, où il dit qu'il acheta une phiole dix escus, dans laquelle il y avoit comme un peu d'eau blanche, et que, quand il vouloit sçavoir quelque chose, il disoit: Phiole, fais-moy sçavoir cecy ou cela, et qu'après il se mettait à sommeiller, et en reposant il luy estoit revelé ce qu'il vouloit sçavoir; et, le temps de son bannissement accomply, il retourna à Moulins, où, par le moyen de ceste phiole, il recommença de faire mille mechancetez, lesquelles, enfin decouvertes, font qu'il est remis prisonnier comme je vous ay dit; et comme le sieur lieutenant criminel, qui est un très sçavant homme, luy eust dit qu'il falloit qu'il eust fait abnegation de la foy, des bonnes œuvres de l'Eglise et des siennes pendant qu'il avoit eu cet esprit, il dit que non; mais, ayant affaire à un homme qui sçait fort bien son metier, il le sceut si bien prendre par ses paroles qu'il advoua avoir renoncé à Dieu, à ses bonnes inspirations et aux prières des saincts, entre les mains de celuy qui luy avoit vendu ladite phiole, et qu'il repetoit cela tous les ans le 14 septembre à son esprit, qui luy apparoissoit en feu, lequel esprit s'appeloit Boël[230]; il dit aussi qu'il estoit aërien, vapeur de la region d'Orient. Il fut trouvé saisy d'un Agrippa[231] dont il se servoit pour faire des caractères[232]; et comme on luy eust demandé qu'il avoit fait de la dite phiole, il dit qu'il l'avoit cassée, et puis il dit qu'il l'avoit vendue, mais qu'il avoit juré qu'il ne le diroit point, et qu'il avoit fait un pact tacite avec son diable de lui donner tous les ans une poule[233] avec les suffumigations qu'il faisoit tousjours le dit jour 14 septembre. Il dit que quand le sorcier donne un malefice à mort, le diable leur donne six sols huict deniers, et à un animal la moitié. Il advoua avoir esté en une assemblée qui s'estoit faite en Bourgongne, et que les assemblées des magiciens ne se font que de huict en huict ans, où ils parlent tous en l'oreille d'un demon qui paroist de sept pieds de hauteur, auquel ils demandent ce qu'ils veulent, et que luy parlant avoit demandé de pouvoir guerir les maladies, et qu'après avoir mangé ils sont tous reportez chacun en leur demeure.

Il dit encore que son esprit le dispensoit d'aller aux assemblées, à cause du gage qu'il lui donnoit tous les ans, et que la dernière des dites assemblées se feit en l'an mil six cents quatorze, et que s'il ne se fust defait de sa phiole, il y fust allé la veille de Noël, qui est le jour où elle se fait tousjours.

Ce meschant homme estant interrogé combien il avoit gardé la phiole de laquelle nous venons de parler, il dit qu'il l'a gardée onze ans, et qu'il faisoit brusler de la semence de baleine dans un rechaut pour parfumer la dite phiole en disant: Je te parfume en vertu de ce que tu m'as esté donné, comme il s'y estoit obligé. Il se mesloit de donner des feuilles d'herbes sur lesquelles il escrivoit certains mots qu'il disoit guerir des fièvres, et s'il n'estoit bien payé, il faisoit mourir les malades.

Il dit qu'il advertit un jour le curé de Saint-Bonnet qu'un procez qu'il avoit pendant en la cour venoit d'estre jugé, et qu'ils estoient, sa partie et luy, hors de cour et de procez, ce qu'il sceut le jour mesme dans la ville de Moulins par le moyen de son esprit.

Le dit sieur lieutenant luy ayant demandé s'il y avoit quelque caractère dessus la phiole, il respondit qu'il y en avoit un sur du parchemin et qu'il estoit noir. Ce ne seroit jamais fait qui voudroit dire toutes les meschancetez de cet imposteur, contre lequel il y avoit une infinité de plaintes qui furent cause que le dit lieutenant, ayant instruit son procez, le condamna d'estre pendu et bruslé, et quelques autres de sa cordelle[234] pendus. Le procez estant sur le bureau, il le feit amener pour l'entendre sur la sellette, où il se met à pleurer, disant qu'il avoit bien offencé Dieu en le reniant l'espace de dix ou unze ans, comme il avoit tousjours fait, et qu'il avoit aussi offert tous les ans, le 14 septembre, une poulle en sacrifice à un esprit nommé Bouël, lequel il adoroit enfermé dans une phiole, le parfumant avec de la fumée de semence de baleine, comme celuy qui luy avoit vendu luy avoit obligé. La sentence de mort luy estant prononcée, il appella en ceste ville pardevant messieurs de la cour, et quelques autres qui estoient condemnez à mort par la mesme sentence ne voulurent point appeler; toutesfois, le juge de Moulins, qui, comme j'ay dit, est un très habile homme, a envoyé ce Michel appellant et gardé les autres pour voir ce que le parlement en fera.

Estant icy, et la cour l'ayant ouy et recogneu que c'estoit un très meschant esprit qui n'estoit capable que de faire du mal, et qui sçavoit à autre chose que faire des chevilles et des martoises[235], que mesmement il avoit esté banny par arrest pour des impietez dès l'an 1605, le renvoya à la fin du mois dernier à Moulins pour y estre bruslé tout vif, et ordonna encore la dite cour que les autres seroient menez en la Conciergerie pour, leur procez veu, estre ordonné ce que raison.

J'avois oublié de vous dire que ce magicien, pour attraper de l'argent, en faisoit porter certain nombre de pièces sur les croix de cimetières ou sur le seuil des eglises par ceux qui venoient à luy pour leur santé, et disoit qu'on ne pouvoit rien faire sans cela, et qu'il falloit que ce fust la nuict; et puis il y alloit et prenoit les pièces, qu'il mettoit dans sa bourse pour la guarir de l'evacuation qu'elle avoit, tellement que par ce moyen il en guarissoit deux à la fois.

L'on peut veoir par ce discours que la fin de ces gens-là est tousjours deplorable, et que le diable ne tend à autre chose qu'à leur faire renier celuy pour la confession duquel ils devroient exposer mille vies, parce qu'il sçait bien qu'un homme qui a perpetré ce crime n'a jamais son esprit en repos, et que sans cesse la justice de Dieu l'espouvante, l'astuce du malin esprit estant telle, afin que, quand il a reduit à ce point quelque pauvre insensé, il le tourne et le manie à sa guise, luy promettant tout et ne luy donnant jamais rien, n'ayant pas de quoy se bien faire à soy-mesme.

Au contraire, pour recompense de dix ou douze ans de service, ils les battent tout leur saoul, comme il a fait ce pauvre miserable, et leur representent ce qu'ils ont fait de mal toute leur vie afin de les desesperer. Il vaut donc bien mieux (sans comparaison) advouer Dieu, qui donne le ciel pour un verre d'eau froide, et une eternité de contentement pour recompense d'une œuvre de charité qu'on aura seulement fait en son nom, et renier le diable, qui se sert des hommes comme des chevaux de bagage, et, après les avoir fait suer d'ahan en ce monde, n'a rien pour les faire rafraîchir en l'autre qu'un estang de feu et de souffre qui n'estaindra jamais.

Vraye Pronostication de Me Gonnin[236] pour les mal-mariez, plates-bourses et morfondus, et leur repentir.

A Paris, Chez Nicolas Alexandre, rue des Mathurins.

M.DC.XV. In-8.

Les plus sages bien souvent sont les plus fols, et leurs folies quelquesfois preparent aussi bien à rire à plusieurs, parceque les fols sont de saison en tout temps, voire en plus grande abondance que pistoles et escus. Tels furent autrefois (sauf leur honneur et meilleur advis) le bon homme Aristophane pour le premier, qui s'est amusé à faire un long discours des nues, situées en la région des oiseaux[237]. O le beau païs! C'est ordinairement le séjour des folles pensées de tout temps, et d'aujourd'huy dea! O que les grands remueurs d'affaires y feroient bien leur cas! Qu'y fussent-ils tous! ils ne nous eussent donné tant d'empeschement et de malheur que nous en recevons. Nostre Aristophane donc estoit-il pas bien sage, à votre advis, d'avoir entrepris ce folastre discours de nues? A quel propos? n'en voit-on pas assez icy tous les jours et partout? Voyons l'autre: c'est Homère, qui se mit autrefois à escrire en vers grecs (ô la grande folie!) une imaginaire bataille survenue entre les rats et les grenouilles, qu'il appelle en grec Batracomiomachie, d'un nom aussi long qu'une perche de huict pieds, en huict syllabes. Là il represente une cruelle et dangereuse meslée, tant par eau que par terre, leurs saillies, leurs ruses, leurs embusches, bref tous les petits tours et finesses de guerre qu'on sçauroit excogiter[238]; et je croy que, si ces petits animaux eussent un peu estez dressez au manége, pour apprendre quelque civilité bestiale, ils eussent bien fait parler de leur vie, et en eut-on raconté merveilles, veu leur grand courage qui reluisoit sur leurs armes, presque aussi furieux et boursouflans que les Cyclopes du temps passé, qui, voulans escheler[239] les cieux, se virent en un instant foudroyez de l'inevitable bras du haut Juppiter. Je voudrois qu'il m'en eut cousté quinze, voire quarante-cinq (je ne m'en soucie pas, je joue assez bien) et qu'il fussent en vie: ils feroient, j'ose dire, merveilles; ils trouveroient de merveilleux subjects pour exercer leur style et eloquence, non pas à une fantastique description de nues, ou d'une guerre de rats et grenouilles, cela n'est point digne de la grandeur de si hauts, si sublimes, si relevez et scientifiques esprits comme le leur; je les voudrois cognoistre, s'ils estoient en vie: je les prierois d'employer quelques heures de temps à plus belle et haute recherche: ils en seroient louez, et peut estre recompensez, on ne sçait; le monde ne sera pas tousjours pauvre ny chiche; chacun aura de l'argent, car la paix qui arrive bientost[240] fera vendre toutes les harquebuses, piques, mosquets et halebardes: aussi bien cela faict trop de bruit pour rien. Mais helas! garda filiol, dit l'Italien, je voy desjà les taverniers qui deviennent fort bleus[241], principalement ceux d'auprès les portes: ils vont donner du cul à terre, car, puis qu'il n'y aura plus de soldats aux portes, que la paix les fera toutes ouvrir comme auparavant, la grande peur qui pensa esbranler tous nos faux-bourgs, qu'aurons-nous à faire d'en avoir tant? Et à quel propos encor le vin à cinq, six et huict sols, puis que l'Auvergne, le Languedoc, la Provence, la Gascogne et la Bourgongne en regorgent de tous costez? Chacun son tour, dit la devise: mettez donc les armes au ratelier derrière la cuisine, n'en parlons plus. Traitons d'autre matière plus serieuse. Il m'est tombé en main un certain traicté en façon d'ephemeride, ou prognostic, copié, composé, calculé et diligemment metagrabolisé[242] d'un costé et d'autre, voire à tous visages, aages, lunettes et complexions. O qu'il est beau et bien fait! Il meriteroit d'avoir du rouge parmy[243], car il promet mirabilia pour ceste année et l'autre. Ha! que le bon-heur nous en veut bien que maistre Gonnin n'est pas mort! Ce seroit presque, je vous dis, une perte irreparable. Il logeoit sur un haut pigeonnier, pour mieux depuis là dresser ses horoscopes. Il faisoit là le maistre Gonnin, et, conptemplant partout, il voyoit tant de fols que c'est merveilles. Il dit qu'il apperceut non guères loing d'icy certains courriers, sans paquet ny commission, courans de nuict, qui abbayoient contre la belle et claire lune, parce qu'elle ne donnoit ses rayons que là où il luy plaisoit (Regardez la folie!), et ainsi ne cessoient d'esveiller tout le monde par où ils passoient, courans, trottans, allans, venans, gastans tout, sans regarder où ils mettoient les pieds, sautans tantost dans un jardin, tantost dans une vigne, tantost dans les bleds, et, qui pis est, les vit faire de terrible mesnage dans une eglise près d'Auxerre. Je ne parleray point des coups de mousquets contre le crucifix, et du vol du sainct calice, du mesprix faict au Saint-Sacrement, et du violement en icelle eglise[244]; non, je n'en veux dire mot, parce qu'aucuns de ces courriers sans envoy furent traictez comme il falloit; je parleray seulement de la trongne qu'ils faisoient à ceste belle lune (entendez bien), la poursuivans comme folastres cinges; mais elle s'en rioit et n'a laissé de faire son cours, portée honorablement sur cest hemisphère, sans se soucier de leur abbayement, parceque, comme ils disent en Languedoc et Provence, bran d'aze ne monta ou seou, c'est-à-dire brayement d'asne ne monte point au ciel. Ces courriers donc et postillons d'Æole, n'estant que vent, sont-ils pas mal mariez? Jan, c'est mon[245], si font, voire avec belle folie. O la gaillarde et prudente femme! c'est pour faire une bonne et honorable maison. Escoutons encore maistre Gonnin: il dit que, dès le commencement du printemps, et ce qui s'ensuit jusqu'à et cætera, je n'ay peu lire que cecy:

Aucuns remplis de male humeur
Verront l'effect des sept planettes,
Notamment de Juppin l'ardeur,
Dardant son foudre sur leurs testes.

L'exposition se voit cachée en la page viceversa de l'autre costé, ce me semble, où il parle de ce Dieu Chronien Saturne, tout refrongné, qui mangeoit ses enfans propres quand il estoit en colère, comme dient les Poètes, n'espargnera pas ceux qui comme Icares veulent monter trop haut avec aisles de cire, en danger qu'il ne les envoye avec Vulcan en l'isle de Lemnos faire des lunettes pour voir plus clairement le fonds de leurs affaires; ou bien aux Indes[246] pescher au fleuve du Gange ces grandes anguilles de trente brasses de long: cela les rassasieroit un petit.

Juppiter estoit un mauvais garçon; pour regner sans empeschement, il envoya Neptun gouverner les mers, et Pluton les enfers, maintenant ainsi son sceptre avec son foudre trisfulque et formidable.

Mars[247] se sent si fort, qu'il ne voudra point de compagnons: ainsi se fera redoubter en ses canons et estendarts; c'est bien aussi la raison.

Mercure, fin et subtil, qui entend le pair[248] et le jars[249], fera desormais des merveilles (selon qu'il est predit), car

Quelques uns par trop hasardeux,
Pour avoir vuidé trop d'ordure,
Se verront frotter de Mercure,
Mais je n'entends pas du fumeux.

Aussi ce minéral Mercure est propre particulièrement à nettoyer les malins ulcères qui gastent et corrompent le corps.

Sol leur donnera bien de la peine, car, ayant trop longtemps demeuré en campagne soubs l'ardeur de ses chauds rayons, en concevront telle douleur de teste, qu'à aucuns faudra une prompte et vive saignée ès parties jugulaires; et aux autres, des restraintifs au gosier pour retenir les humeurs bilieuses et peccantes.

La Lune ne leur sera non plus favorable que les susdits, car, estant de son naturel froide, elle les fera tant tousser, cracher, vesser et roussiner, qu'on sera contraint, les sentens si fort puyr, de les appeler les morfondus à la Lune; mais, comme porte son prognostic,

Le laboureur après l'esté
A ses maux aura recompense,
Mais le fol sera mal traicté
Et puny pour son insolence.

Vénus leur pourroit bien bailler quelque horion; mais elle a pitié d'eux, comme douce et favorable, les voyant si maigres et hideux; mais elle les renvoyera à son ennemie Pallas, qui leur cassera les restes, pour récompense de leurs vains labeurs, ainsi comme est porté par la même prédiction, car

C'est almanach fait de nouveau
Promet par un certain presage,
Non du froid, ny gresle, ny eau,
Mais aux fols un très-grand domage.

Voilà quant au mal mariez avec dame folie, qui, se repentans et sentans maintenant l'hyver arriver, ne trouvans plus rien à fricasser, recèlent et cachent leurs doubles cornes, comme les limaçons, honteux d'estre la matière fabuleuse entre le peuple; on leur pourra dire en riant et sans scandale que

Il ne faut jà contrefaire
Et faire semblant d'avoir froid:
Car tel sera, au contraire,
Mieux à couvert qu'il ne voudroit.

O la grande folie que c'est de piller le poivre avant qu'avoir le lièvre, se jetter en longues et plausibles espérances! Mais de quoy enfin? de rien. Voilà un mariage bien égal, Maistre fol avec Dame folie! ils feront de beaux enfans, ils auront la barbe en naissant, aux dents.

Je leur conseille de se servir le plus promptement qu'ils pourront de ce mien advis (si toutefois ils en ont le temps), d'assopir le feu de telle fougade[250], et faire comme les anciens Romains, qui avoient des prestres pour appaiser les foudres et tonnerres, et ce par loix expresses portées aux douze tables, qu'ils ayent des amis qui aydent à esteindre le feu qu'ils ont allumé: car, si Juppiter (qui regarde la France tousjours de bon œil) les regarde une fois en courroux, je les voy perdus; il faudra herbam dare, comme dit le proverbe, donner le torchon d'herbe au maistre et vainqueur, à la façon des pasteurs, qui, ayant luité un long temps ensemble, à la fin celuy qui est vaincu sur le lieu même arrache une poignée d'herbe et la présente au vainqueur en signe de victoire, il en faudra faire de même; mes amis (pas trop); il faut estre sages, ou estre chastiez, l'un ou l'autre infailliblement; il en est temps, car

Voicy l'hyver, avec sa robe grise,
Qui vous rendra les membres tout perclus.
Où irez-vous? Hé! vous n'en pouvez plus:
Vous tremblottez soubs un manteau de frise.

Les voilà donc en danger d'estre enroolez soubs le drapeau des morfondus, car d'attendre à l'année qui vient, il n'y faut pas seulement songer. Maistre Gonnin ne veut pas embrouiller ses prédictions de cest article: ils voient arrivé ce qu'il a predit, à sçavoir (prenez bien garde), et retenez les termes icy expressément couchez:

Que jamais les fols ne joueront bien leur roolet;
Que les outrecuideux donneront du nez à terre;
Que les ambitieux, pour regarder de trop près le soleil,
Deviendront lousches ou aveugles, etc.

Hé, ne le voit-on pas? que sont devenus ces courriers sans commandement? Castiga, Castiga, la frusta, la frusta à quelli forfantelli; qu'on les chastie ces soldats morfondus.

Et bien donc? qu'est-ce? qu'en dites vous? ha violeurs, mais il faudra estre vieleurs, et sonner le troin troin de porte en porte pour gaigner quelque double[251], et n' sçay encor si on leur donnera permission, car, si les sergents de l'hostel de Scipion[252] les trouvent, ils seront incontinent enostelez, fustigez et rasez, et alors on les cognoistra bravement, et chacun dira: Aga mon amy, Aga m'amie, et beau Dieu! quelles gens sont-ce là? C'estoient des gaspilleurs du pauvre monde, des violeurs de femmes et filles, et maintenant ils sont soldats de plate-bourses, ils se sont mis vieleurs chantans par les portes, fanfara helas! fanfara soldadons, fanfara bourse-plate. Et falloit-il faire tant de bruit pour donner du nez si tost à terre. Hélas! il est arrivé à ces pauvres infortunez tout de mesme qu'aux cigales qui chantent tout l'esté, sans apprehender l'hyver, et, l'automne venu, elles deviennent enrouées, et ne peuvent plus chanter: ainsi ces plate-bourses et morfondus ne chantent plus. Il y a bien des helas cachez dessoubs les boutons du pourpoint; il y a bien de la demangeaison derrière l'oreille, beaucoup de folie en la teste, et encor plus de repentir au cœur. On entend desjà tant de: helas! je me repens! helas! je n'y pensois pas! helas! que feray-je? j'ay vendu mon espée pour du pain; au moins si j'avois pour achepter une meschante viéle! Ha! qu'on dit bien vray, quand le fol est pris, il a beaucoup plus de temps pour se repentir que pour fuyr! O que bien a dit le poète[253] parlant de la pauvre Caliston séduite:

Eheu! quam difficile est crimen non prodere vultu!

O qu'il est mal aisé de tenir caché le meffait! Les voylà donc bien à sec, bien faits de corps, sans manteau, sans poignard ny espée, encor moins de mousquet! Et pourquoy cela? Parceque

On peint Bellonne et Mars tousjours tous nuds,
Car ceux qui s'y sont pleus, tels en sont revenus.

Ha ha! ils pensoient tout fendre nostre gros bois[254]; mais ils ont faict comme l'ours, qui, pour avoir le miel caché dans le chesne entr'ouvert, s'y enserra gentiment les pattes, parce que le renard osta les coins[255]. Ils se promettoient trop à un coup; mais poisson qui nage n'est pas prest; le Bouillon[256] n'en vaut rien, il est trop fade. O qu'ils sont tristes! car

Faute d'argent n'emplit pas la bouteille;
Faute d'argent rend l'homme tout deffaict;
Faute d'argent l'homme gras et refaict
Rend maigre et sec, tremblant comme la feuille[257].

Jamais le peintre Appelles ne depeignit mieux sa Venus que les voylà proprement despeints, et, comme dit la fin de la prediction,

C'est trop folement despendu,
Quand pour despendre on est pendu;
Qui plus despend qu'il n'a vaillant
Faict le cordeau dont il se pend.

Qu'on fasse son profict: baste pour ce coup! Motus, la caille pond. C'est assez, ostez-vous de là.

La Misère des Apprentis imprimeurs appliquée par le detail à chaque fonction de ce penible etat. Vers burlesques.

S. L. ni D. In-8.

Cher et fidèle amy, dont l'ame bienfaisante
Fut à tous mes malheurs toujours compatissante,
Exact observateur des loix de l'amitié,
Si quelquefois ton cœur fut touché de pitié,
Si jamais d'un amy tu plaignis l'infortune,
Plains de mon triste sort la rigueur importune.
Privez du doux plaisir d'un tranquille repos,
Mon esprit et mon corps sont accablez de maux:
L'ame pleine d'ennuis, de soins, d'inquietude,
Les reins attenuez, rompus de lassitude,
Du matin jusqu'au soir je cherche vainement
Les momens pretieux du moindre allegement.
Toy qui sçais, pour l'avoir eprouvé par toy-même,
Que d'un pauvre apprentif la misère est extrême,
Ne crois pas qu'écrivant ceci par passion,
Je te veuille du vray faire une fiction;
Ne crois pas qu'excité par un fougueux caprice,
Ou poussé d'un esprit de fiel et de malice,
Je vienne exagerer ici sur le papier
La peine qu'on endure en ce maudit metier.
Moulé sur ton exemple, instruit par tes maximes,
Selon moy, l'imposture est le plus grand des crimes.
Ainsi, sans m'eloigner d'un ou d'autre côté,
Je veux marcher d'accord avec la verité.
Lorsqu'aux vives ardeurs de ma promte jeunesse
L'âge eut fait succeder une lente sagesse,
Elle me suggera de penser murement
A m'ouvrir le chemin d'un etablissement.
Sur le choix d'un état mon esprit en balance
De mes meilleurs amis consulta la prudence.
Alors (par je ne sçay quelle bizarre humeur),
L'un d'eux me conseilla de me faire imprimeur;
Il me vanta si bien cet art noble et sublime,
Et m'en fit concevoir une si haute estime,
Que j'aspiray d'abord avec ambition
Au moment d'embrasser cette profession.
Pour le prix, pour le temps, ayant fini d'affaire,
Je cours chez le recteur, qui de regent sevère
Devint traitable et doux en voyant le ducat
Que je luy mis en main pour son certificat[258];
Puis je fus avec zèle (au moins en apparence)
Au syndic, aux adjoints, faire la reverence[259],
De crainte qu'omettant cette formalité,
Un delay ne punît mon incivilité.
Je parus à la chambre, où par acte authentique
Je fus fait aggregé du corps typographique;
Je juray d'observer les loix et les statuts,
De former mon esprit à toutes les vertus.
Mon brevet fut ecrit en termes energiques
Et dans tout l'on garda les formes juridiques.
Le jour dejà baissant, je quitte le bureau,
D'où, piqué des accès d'un caprice nouveau,
Ou plustôt transporté de rage et de furie,
Je cours avec vitesse à notre imprimerie.
Là, pour premier objet, je trouve dans les cours
Cinq ou six malotrus ressemblans à des ours.
L'un, des sabots ès pieds, roule à perte d'haleine
Une vilaine peau que partout il promeine;
L'autre apprête de l'encre, et presente un minois
Qui fait honte en noirceur au moins blanc des trois rois.
Tirant de tout ceci mauvaise conjecture,
De mon choix imprudent je gronde et je murmure,
Quand le prote[260] d'un air dur et rebarbatif:
Est-ce vous qui venez ici pour apprentif?
—Ouy, Monsieur. A ces mots, la main il me presente
Et me fait compliment sur ma force apparente.
Quel compère! dit-il; vous suffirez à tout,
Et des plus lourds fardeaux seul vous viendrez à bout.
Portez donc ce papier, et le rangez par piles.
Moy, qui sens mon cœur foible et mes membres debiles,
Je ne veux pas d'abord chercher à m'excuser,
De peur que de paresse on ne m'aille accuser;
Je m'efforce, et, ployant sous ma charge pesante,
Chaque pas que je fais m'assomme et m'accravante[261];
Je monte cent degrez chargé de grand-raisin[262];
J'en porte une partie au plus haut magazin,
Et, pour le faire entrer dans une etroite place,
Avec de grands efforts je le presse et l'entasse.
N'ayant encore fait ma tâche qu'à demy,
J'entends crier d'en bas: Holà donc! eh! l'amy!
Je descends pour sçavoir si c'est moy qu'on appelle.
Ouy, dit le prote, il faut allumer la chandelle.
—Où l'iray-je allumer?—Attendez, me dit-il,
Je m'en vais vous montrer à battre le fusil.
En deux coups je fais feu. Bon, vous êtes un brave;
Bon cœur! vous irez loin. Descendez à la cave.
Quand vous aurez remply de charbon ce panier,
Vous viendrez allumer du feu sous le cuvier.
Tout fatigué dejà d'un si rude martire,
Je commence à me plaindre, à jurer et maudire.
Tantôt de mon malheur je n'accuse que moy,
Et tantôt je m'en prends à la mauvaise foy,
A l'avis seducteur d'un amy peu sincère
Qui me fit endosser ce collier de misère.
Je prends pourtant courage, et, me faisant raison,
Je monte vite en haut allumer du charbon.
Pour y mieux reussir, par terre je me couche,
Je me sers du soufflet, je souffle avec la bouche.
Des bluettes du feu les yeux tout eborgnez,
J'avale de la cendre et j'en prens par le nez.
A la fin, le charbon se convertit en braise
Et petille avec bruit dans l'ardente fournaise.
Alors, comme bientôt huit heures vont frapper:
Vous pouvez, me dit-on, vous en aller souper.
A peine ay-je entendu cette douce parole
Que precipitamment je m'elance et je vole;
Je gagne le logis, où, pour surcroît d'ennuy,
J'apprens que pour souper faut attendre à minuit.
Pour moderer l'excès de mon humeur chagrine,
Je prens pour lit de camp un coin de la cuisine,
Où, malgré l'insolence et le bruit des laquais,
Je dors comme au milieu d'une profonde paix.
Justement pour souper me reveillant à l'heure,
A table avec les gens peu de temps je demeure,
Et, dejà degoûté de leurs fades propos,
Je cours avec vitesse au lieu de mon repos.
Dans le coin d'une court à tous vents exposée
Paroist un antre obscur juste à rez-de-chaussée.
Là règne une maligne et froide humidité,
Capable d'alterer la plus forte santé.
Il est vray qu'on n'y craint ni puces ni punaises;
Mais partout, sur le lit, au plafond, sur les chaises,
On voit par escadrons les escargots courir,
Et d'un germe gluant les murailles couvrir.
C'est dans ce lieu charmant, dans ce sejour aimable,
Que deux ais, vieux debris d'une mechante table,
Servent à soutenir un malheureux grabat
Pour le moins aussi dur que celuy d'un forçat.
Malgré sa dureté, je dors comme un chanoine:
On m'entendroit ronfler du faubourg Saint-Antoine.
Mais, helas! je commence à peine à sommeiller,
Je n'ay pas fermé l'œil, qu'il faut me reveiller!
Car j'entens tirailler une indigne sonnette,
Qui, de son bruit perçant ebranlant ma couchette,
Me dit d'aller ouvrir la porte aux compagnons.
Je saute donc du lit, et, marchant à tâtons,
Souvent transi de froid, je tempête et je jure
De ne pouvoir trouver le trou de la serrure.
C'est encor pis vingt fois quand, au fort de l'hyver,
Je trouve le chemin de neige tout couvert:
Car, voulant promptement faire entrer ces maroufles,
Je traverse les cours sans souliers ni pentoufles,
Je me trace moy-même avec peine un chemin,
Et me guidant bien moins des yeux que de la main,
La voix d'un furieux qui contre moy s'emporte
Me met dans le sentier qui conduit à la porte.
J'ouvre donc, et par grace un d'entr'eux m'avertit
Que je puis, si je veux, m'aller remettre au lit.
Helas! je n'y suis pas que deux de ces belîtres,
Faisant les timbaliers sur un paneau de vitres,
M'annoncent par leurs cris qu'il faut faire du feu.
Comme tout valet neuf doit se contraindre un peu,
Je m'habille à la hâte, et d'un esprit docile
Je feins de trouver tout agreable et facile.
Dès qu'on m'a dit: D***, allez chercher du bois:
—Ouy-dà, Messieurs, plustôt quatre charges que trois.
Aussi tost fait que dit, j'y cours avec grand zèle.
Le bois fendu, j'apprête et nettoyé le poêle;
J'y mets force papiers pour le mieux echauffer;
Mais, le feu par malheur venant à s'etouffer,
Une noire vapeur remplit l'imprimerie.
Tout le monde deserte, on me maudit, l'on crie,
Pendant que, n'ayant pas l'esprit de m'esquiver,
Je me mets au hazard de me faire crever.
Un des moins violens de la troupe animée
Par son adresse fait dissiper la fumée,
Et (de peur qu'il m'arrive un accident nouveau):
Laissez le feu, dit-il, allez tirer de l'eau.
—Le baquet put, dit l'autre, on diroit d'une peste;
Nettoyez le dedans, et vuidez l'eau qui reste;
Ne manquez pas surtout de le mettre tout plein,
Car nous avons beaucoup à tremper pour demain.
C'est là qu'il faut subir une nouvelle peine:
Le puits est si profond qu'il me met hors d'haleine,
Et pour mon coup d'essay, je me trouve si las,
Que le seau près du bord m'emporte et tombe en bas.
Pour achever pourtant un si penible ouvrage,
De nouveau je m'excite à reprendre courage,
Le baquet plein, j'entends d'une voix de lutin
Cinq ou six alterez crier: D***! au vin!
L'un dit: Je bus dimanche au bas de la montagne[263],
D'un vin qui, sur ma foy, vaut du vin de Champagne.
Si, sur un tel rapport, quelqu'autre en veut goûter,
Fût ce encore plus loin, il faut m'y transporter;
Celuy-cy veut du blanc, celuy-là du Bourgogne.
Si je tarde un peu trop, ils me cherchent la rogne[264],
Sans songer que souvent pour leurs demy-septiers
Il faut aller quêter chez dix cabaretiers.
A l'un faut du gruyère, à l'autre du hollande;
Un autre veut du fruit, faut chercher la marchande;
Encor ont-ils l'esprit si bizarre et mal fait
Qu'avec toute ma peine aucun n'est satisfait.
Je ne replique rien, mais dans le fond j'enrage
De me voir accablé de fatigue et d'ouvrage,
Et d'être à tous momens grondé mal à propos,
Pendant que ces messieurs déjeunent en repos.
Il faut aller porter en ville quelque épreuve;
Soit qu'il vente, ou qu'il neige, ou qu'il grêle, ou qu'il pleuve,
Dès que l'on m'a donné mes depêches en main,
Pour arpenter Paris je me mets en chemin.
Ma course la plus rude et la plus ordinaire
Est d'aller du logis ou du mont Saint-Hilaire
A cette belle place où tant de partisans[265]
Ont de si beaux palais bâtis à nos depens.
Le mal est que jamais cette gent de corsaires
Ne daigne d'un seul liard me payer mes salaires.
J'ay beau, pour les servir, employer tout mon soin,
Leur cœur est toujours dur et ne s'attendrit point.
Souvent crotté, mouillé, jusques aux jarretières,
Je reçois sur mon dos les torrens, les goutières;
Et, ne portant jamais casaque ni manteau,
Pour abri je detrousse et rabats mon chapeau.
Quiconque me verroit en ce triste equipage,
Me prendroit pour un diable arrivant du pillage.
Mais, malgré tout cela, si je reviens de jour,
On m'occupe aussi-tost que je suis de retour.
Si quelque compagnon, ennuyé de m'attendre,
A l'un des magazins est monté pour etendre,
A jeun ou non à jeun, je cours le relever;
Je me depêche à force et suis prest d'achever,
Quand le prote, brûlant d'une ardeur brusque et promte,
M'appelle pour aller commander une fonte.
Du fondeur il m'envoye au marchand de papier,
Du marchand de papier chez le parcheminier.
De cruches, de balays, c'est moy qui fais emplette;
S'il faut un seau, de l'huile, il faut que j'en achète.
Loin de pouvoir sur rien le teston accrocher,
En y mettant du mien j'achète encor trop cher.
Parmy tant de rigueurs, si, me fixant ma tâche,
On me donnoit par jour quelque heure de relâche,
Je benirois le ciel au milieu de mes maux;
Mais, les jours consacrez par Dieu même au repos,
Les ouvriers, munis d'une succincte messe,
Viennent avidement faire rouler la presse,
Et me font prendre part à la peine qu'ils ont,
Pendant que pour eux seuls est le revenant bon.
Les dimanches il faut qu'eveillé de bonne heure,
Je quitte au point du jour mon humide demeure.
Si je tarde, j'entens notre prote abboyer.
Devinant aisement que c'est pour nettoyer,
Je me prepare encore à ce nouveau deboire;
Je m'arme du balay, je prens la ratissoire;
Je commence d'abord à lever tous les ais,
A les bien ratisser et les rendre bien nets.
Curieux de sçavoir si dans l'imprimerie
Tout est mis et rangé par ordre et symetrie,
Le prote me vient voir, et regarde avec soin
Si j'ay bien balayé par tout dans chaque coin.
Pour abattre, dit-il, les toiles d'araignée,
Faites faire au houssoir une longue trainée,
Et souvenez-vous bien que tous les quinze jours
Il faut avoir le soin de balayer les cours.
De crainte qu'après moy sans relâche il ne crie,
Je fais ce qu'il me dit. J'entre en la tremperie,
J'entasse les papiers, je vuide le fourneau,
Et, rinçant tous les seaux, j'y mets de nouvelle eau.
J'amasse en un papier toutes les baliûres,
Et dès le lendemain, epluchant mes ordures,
Je jette chaque lettre au gré de son destin,
La mechante à la fonte et la bonne au castin.
Ce qui par dessus tout me gêne et me desole,
C'est le rude embarras que me donne la colle:
Car, étant obligé de la faire au logis,
Les laquais les premiers murmurent du taudis;
La servante à son tour, faisant le diable à quatre,
S'emporte quelquefois jusqu'à me vouloir battre,
Et jure effrontement que ses pauvres chaudrons
Sont perdus sans ressource et brûlez jusqu'au fonds.
Transporté de dépit et perdant patience,
Ma main d'un bon soufflet couvre son arrogance.
Aussitost grand debat, grand bruit, nouveau courroux.
Je l'appaise pourtant et luy fais filer doux
(En effet, on le sçait, il n'est que telle aubaine
Pour rendre douce et souple une femme hautaine).
Comme dans le metier je suis encor nouveau,
Je detrempe ma pâte avec un peu trop d'eau,
De sorte que, la colle etant beaucoup trop claire,
Chacun des compagnons entre en grande colère;
Les plus malins sur moy font rouler l'entretien
Et me taxent tout net de n'être bon à rien.
Si je veux m'excuser d'avoir mal fait la colle,
Ils me ferment la bouche et m'ôtent la parole,
Crians tous en chorus: C'est la piau! c'est l'epron!
Car notre illustre corps parle un plaisant jargon[266].
Ils donnent à l'argent le nom de colle forte,
Et, quand tous d'une voix disent: Fermez la porte,
C'est qu'il faut depenser (sans soin du lendemain)
Tout l'argent qu'un auteur m'a glissé dans la main;
Bien plus, avoir la barbe ou prendre la casaque,
Se dit d'un sac à vin qu'un autre yvrogne attaque,
Et qui perd dans le vin le sens et la raison,
Jusqu'à ne pouvoir plus retrouver sa maison.
Bien battre le tambour, c'est quand je vais en ville
User d'une manière attrayante et civile
Pour forcer le plus dur et le moins bien-faisant
A faire à la chapelle[267] un honnête present.
Comme je n'entends point chaque terme gothique
Tiré des lieux communs de l'art typographique,
Tous mettent leur plaisir à me contrarier,
Et sur un mot mal pris ne cessent de crier.
Quel homme pourroit donc avoir l'ame assez dure
Pour n'être pas touché des grands maux que j'endure?
Mais pourquoy, dira-t-on, prendre un ton si plaintif?
Est-ce pour être heureux qu'on se met apprentif?
N'est-ce pas un etat de fatigue et de peine?
J'en conviens, mais encor faut-il reprendre haleine,
Et tout n'iroit que mieux quand un peu de repos
Donneroit du relâche à mes rudes travaux.
Mais, helas! en tout temps la peine est mon partage!
Et l'hyver et l'eté je ploye sous l'ouvrage.
Pour epargner l'argent qu'exige un vitrier,
En hyver on me fait huiler force papier.
C'est alors qu'au hazard de me fendre la tête,
D'une echelle branlante il faut gagner le faîte,
Pour que du haut en bas je puisse calfeutrer
Chaque fente par où le froid pourroit entrer.
De crainte que l'eté la chaleur excessive
Ne fasse empuantir et tourner la lessive[268],
Il faut à chaque fois la descendre au caveau,
Puis aller l'y puiser pour la mettre au fourneau.
De plus, c'est moy qui fais la petite besogne:
S'il nous vient du papier à rogner, je le rogne;
Si quelque maladroit laisse faire un pâté[269],
Pour le distribuer je seray deputé.
Par ce menu detail de ma grande misère,
On voit qu'il n'est esclave ou forçat de galère
Qui soit dans son malheur plus travaillé que moy.
Toy dont le cœur est bon, cher amy, c'est à toy
Que je veux adresser mes douloureuses plaintes.
Dissipes mes soupçons et rassures mes craintes.
A quoy dois-je m'attendre et que dois-je esperer?
Ma misère doit-elle encor long-temps durer?
Mais pardonne plustost si mon esprit s'egare,
Si, par un mouvement ridicule et bizarre,
Je deteste deja mon malheureux destin,
Et, trop tost rebuté, j'en demande la fin.
J'ay le cœur trop enclin à la reconnoissance
Pour oublier que c'est par pure bienveillance
Que tu m'as conseillé d'embrasser un etat
Qui, tout rude qu'il est, a pourtant de l'eclat:
Car enfin, si jamais des hommes l'industrie
Parut dans aucun art, c'est dans l'imprimerie.
Tenant comme en depost les escrits des sçavants,
Elle sçait les sauver du naufrage du temps;
Et, rendant les auteurs celèbres dans l'histoire,
Elle en fait à jamais subsister la memoire.
Amy, crois donc que c'est par simple jeu d'esprit
Que j'ay formé le plan de ce burlesque ecrit,
Et que tout autre etat plus rude et difficile
A souffrir encor plus me trouveroit docile,
Pourvu que dans mon choix j'eusse trouvé le tien,
Et que dans mes degoûts tu fusses mon soutien.

Permis d'imprimer, ce deuxième jour de septembre 1710.

M. R. de Voyer d'Argenson.

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