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Variétés Historiques et Littéraires (06/10): Recueil de piéces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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Quatrains au Roy sur la façon des harquebuses et pistolets, enseignans le moyen de recognoistre la bonté et le vice de toutes sortes d'armes à feu, et les conserver en leur lustre et bonté, par François Poumerol, arquebusier.

A Paris, pour l'autheur, chez Pierre Rocolet, au Palais.

M.DC.XXXI[216].


A l'Occasion.

Occasion, qu'à moy t'es souvent presentée,
Lorsque, pour mon malheur, ne t'ayant souhaittée,
Jeune, je ne daignois de te prendre aux cheveux;
Ores que je suis vieil et que je te souhaitte,
Si jamais tu reviens t'offrir dans ma logette,
A tes offres soudain j'attacheray mes vœux.

Le deplaisir que j'ay de t'avoir meprisée
Au temps que ma besongne estoit des grands prisée,
Et que tu me voulois mettre à Fontainebleau[217],
M'est si grand que depuis, pour marque de ma faute,
Au bourg où je me tien, j'ay dans ma chambre haute
Dudit Fontainebleau l'admirable tableau.

Enfin je pouvois estre, exempt des fascheries,
Dans ce Fontainebleau ou dans les Galeries
Où maints artisans sont au service des rois.
Mais j'ay beau regretter Fontainebleau, le Louvre,
Le temps qui est perdu jamais ne se recouvre,
Ny l'homme ne peut estre au monde qu'une fois.

A la Fortune.

Fortune, qui conduis sur la terre et sur l'onde
En diverses façons la brigade du monde,
Fay que ce petit livre, où je suis esperdu,
Pour ne l'avoir sceu faire, en ce temps où nous sommes,
Digne de voir le jour, ny d'estre veu des hommes
Ne soit des mesdisans ny pincé, ny mordu.

De plus, fais, s'il te plaist, que ce petit volume,
Au sortir de ma forge, où le charbon s'allume,
Ne s'aille mettre au jour sans guide et sans support:
Car, s'il est attaqué de quelque Menippée,
Un coup de langue est pire qu'un coup d'espée,
Ou fais à tout le moins qu'il prenne un passeport.

Toy donc que je reclame, ô Fortune perverse!
Qui eslève les uns et les autres renverse
Dans les malheurs du monde où le destin nous met,
Ne me sois point contraire, ains conduis mon envie;
Mais quoy! tu ne peus rien en ceste humaine vie,
Ny le destin non plus, si Dieu ne le permet.

Au Bonheur.

Bonheur, qui peux beaucoup et qui n'as rien d'injuste,
Qui conduis les desseins de nostre grand Auguste,
Sous le vouloir de Dieu et de Sa Majesté,
Je te prie et conjure, au nom de ce monarque,
De vouloir empescher que d'aucun aristarque
Ce petit avorton ne soit trop molesté.

Au mesme.

La chauve Occasion[218], qui va sur une boule,
Ny la Fortune aussi, qu'entre le peuple roule,
Ne sont pas tant que toy en ce bas univers.
Parquoy, de tout mon cœur, je te supplie encore,
O souverain Bonheur, que j'aime et que j'honore!
D'estre le sauf-conduit de moy et de mes vers.

Aux Censeurs.

Censeurs que je redoute, et non sans apparence,
Attendu qu'en mes vers on ne voit qu'ignorance
Et que confusion;
Traitez-moy doucement en ceste poesie,
Et je me souviendray de vostre courtoisie
En toute occasion.

Aux Lecteurs.

Lecteurs, qui ne sçavez d'où ny de quelle marque
Est celuy qui dedie à nostre grand monarque
Des quatrains si mal faits,
C'est un pauvre artisan, Auvergnat de naissance,
Lequel par ses escrits vous donne cognoissance
De ses petits effects.


Quatrains au Roy.

Grand roy, dont le renom sur la terre et sur l'onde
Vole et fait oublier les hauts faits des Romains,
En vous offrant les vœux du moindre ouvrier du monde,
Je vous offre humblement de l'œuvre de ses mains.

Ce n'est pas de ceste œuvre, où l'art du lapidaire
Paroist riche, esclatant sur l'or jaune bruny,
Ains c'est une harquebuse au mieux que j'ay sceu faire,
Ensemble un pistolet leger et tout uny[219].

Et si le beau n'y est, ainsi qu'il devoit estre,
A tout le moins le bon n'en est point separé.
L'enrichisseure au fust[220] ne sert rien qu'à paroistre,
Et le fer bien trempé ne doit estre doré.

La bonté plus que l'or est aux armes requise.
En celles dont le beau tient la place du bon,
L'utile y cède au fard, et Mars aussi ne prise
Les armes riches d'or qu'au croc de la maison.

Donc, pour sçavoir connoistre et conserver durables
Toutes armes à feu en leur lustre et bonté,
En voicy, ô grand roy! des advis convenables
A qui les portera pour Vostre Majesté.

On trouve assez souvent longs, legers et sans jointe,
Des canons beaux du tout, qui sont rudes et faux;
Mais à les voir dedans, du gros jusqu'à la pointe,
On peut, quand ils sont neufs, connoistre les defauts.

Car, si dans un canon la lueur n'est esgalle,
C'est que le trou serpente ou qu'il n'est point pareil,
Et ce trou fait ainsi, ne portant droit la balle,
Se cognoist mieux de l'œil à l'ombre qu'au soleil,

Non de près, mais de loin, un gros calibre escarte;
Un moyen porte mieux le menu plomb serré;
Pour tirer d'une balle au blanc dans une carte,
Le plus petit calibre est le plus asseuré.

Bref, un canon bien fait, gros de moyenne sorte,
De peu de poudre il tire au loin, droit, fort et franc;
Le trop gros n'est si doux, ny de loin droit ne porte,
Qu'à force de charger, sa grosse balle au blanc.

En limant un canon, si le fer n'y demeure
Esgal de suite en rond, il faut croire, dès lors,
Que sans le relimer, quoy qu'on fasse à toute heure,
Il sera tousjours faux en dedans ou dehors.

Et, bien qu'il soit dehors droit et droit de calibre,
Si le trop gros derrière au devant vise bas,
Ou quand le mouvement du rouet[221] n'est pas libre,
L'un fait tirer trop haut, l'autre trembler le bras.

Enfin, si le calibre au dessus ne s'accorde,
Cela fait un canon injuste et repousser.
Un bon canon doit estre aussi droit qu'une corde
Et d'un fer non cassant, ny sujet à fausser.

Le fer trop aigre aussi en rouets rouille et casse;
Le trop doux est trop foible et ne trempe assez dur;
L'entre-deux est meilleur pour la guerre et la chasse,
Mais un rouet leger doit estre d'acier pur[222].

Aussi n'estimant point, pour servir d'ordinaire,
Un pistolet de fer s'il n'est un peu grossier,
Lorsque j'en promets un et que je le dois faire
Leger, durable et bon, je le fay tout d'acier.

L'acier en tout ouvrage a beaucoup plus de force
Et d'esclat que le fer, quand il est bien poly;
Un canon de trois pieds, leger comme une escorce
En seroit du tout bon et grandement joly[223].

Il est vray qu'il seroit en beaucoup plus de peine,
Beaucoup plus qu'un de fer difficile à forger,
Mais qu'il seroit aussi fait en si longue haleine
Beaucoup plus fort qu'un autre et beaucoup plus leger.

De tels canons Bellone est encor despourveue,
Et pour en faire voir j'en ferois volontiers;
Mais je suis devenu si foible et court de veue
Que je me juge impropre à tous rudes mestiers.

Pour de petits et forts et legers tout ensemble,
A moins de peine et frais j'en fay bien quelques uns
En des pistolets plains, qui seront, ce me semble,
Au service de Mars, meilleurs que les communs.

En après, pour monter ces canons que j'approuve,
A rouets ou fusils[224], suivant ma reigle icy,
Un cormier rouge et dur est le bois que je trouve
A monter le plus beau et le meilleur aussi[225].

Mais de polir ce bois et luy donner un lustre
De vernis sans vernis, il n'appartient à ceux
Dont le trop peu de peine est l'arrest qui les frustre
D'un art qui ne s'aprend au train des paresseux.

La polisseure au fer est aussi mal aisée:
D'un bon estaim bruslé il faut tirer le fin,
Et de la mesme poudre en eau douce infusée
Aux armes polies blanc on donne une autre fin.

Pour faire ceste poudre, en voicy ma coustume:
Ayant mis dans un pot l'estaim sur le brasier,
En l'escumant, l'escume en cendre se consume,
Et dans l'eau trouble après j'en oste le grossier.

Et puis, pour en polir d'un plomb fait en platine
L'acier et fer trempé, il n'y faut rien d'huilé,
Ains faut estre plus propre en ceste poudre fine
Qu'en l'esmery, qu'on passe avant l'estain bruslé.

De plus, il faut du temps et de la patience
A polir un rouet quand il est trop ouvré,
Et ce trop sans besoin (pour dire en conscience)
Fait perdre un temps qu'après n'est jamais recouvré.

Soit de fer ou d'acier, une œuvre toute unie
Se polit mieux qu'une autre, et ne couste pas tant:
Un pistolet tout plain, dans une compagnie,
Est commode et durable en son lustre esclattant.

Il se peut faire aussi des pistolets de chasse
Qui de cinquante pas porteront comme il faut
La dragée[226] serrée au bout de ceste espace;
Mais trop de poudre escarte et fait tirer trop haut.

Dans un pistolet neuf sur tout je recommande
D'y mettre après la balle un bouchon fort à plain,
Afin qu'en le portant la balle ne descende,
Et, le voulant tirer, qu'il ne crève en la main.

Car, si dans un canon le plomb ne joint la poudre,
Il faut de la baguette en haut le repousser,
Et qui ne le fait pas ce canon est un foudre
Que la charge, en tirant, fait crever ou bosser.

Voilà donc pour garder qu'un pistolet ne crève,
Et, pour chasser la rouille et le tenir bien net,
Il faut l'huiller par fois, autant en bruit qu'en trefve,
Et le frotter souvent d'un linge blanc et sec.

L'haleine et le serain, les mains chaudes suantes,
Sans linge pour torcher ce que l'on voit paslir,
Font ternir et rouiller les armes reluisantes,
Et où la rouille grave il faut tout repolir.

Il est fort convenable à un brave courage
D'avoir des pistolets qui soient faits en amy;
Mais tel pense en porter d'assez bons pour l'usage
Qu'à faute d'entretien ne le sont qu'à demy.

Et, pour ne rien celer en ce discours des armes,
Parlant des pistolets, je diray nettement
Que je suis estonné qu'en ce temps plein d'alarmes
L'usage des fuzils s'y voit aucunement.

Car, tant que la guerre est, je ne puis me resoudre
A faire des fuzils que pour le cabinet.
Le feu s'y fait trop haut au dessus de la poudre,
Et s'escarte en tombant autour du bassinet.

En outre ce deffaut, un autre est au couvercle
Qui ne s'ouvre en haussant qu'après le coup du chien;
Ce coup faisant le feu, ce feu trouve un obstacle
Qui l'empesche d'entrer où la poudre se tient.

Et neantmoins, au temps d'une paix asseurée,
Pour la chasse, en tous lieux unis et raboteux,
Les fuzils sont aisez et de longue durée;
Mais au besoin de Mars ils sont un peu douteux[227].

A ces fuzils nouveaux il y faut une pierre
Mince et large, à l'esgal de la pièce devant,
Et, selon qu'elle s'use (ouvrant ce qui la serre),
Il en faut mettre une autre, ou la tourner souvent.

Les fuzils à l'antique, estant de bonne force,
Le bassinet s'ouvrant à temps et par ressort,
Semblent estre meilleurs, d'autant que sur l'amorce
Le coup du feu s'y fait plus à plomb et plus fort.

Mais le plus asseuré, et où le plus j'acquiesce,
C'est quand le bassinet est libre au coup de feu,
Et que ce coup bas n'hausse, ains pousse l'avant-pièce.
Le feu s'y fait plus bas, et bas s'escarte peu.

De plus, quand d'un fuzil la desserre est mouvente
Où le coq se repose[228], et non au plus haut point,
En y portant le doigt ce mouvement contente,
Et sans bander plus haut le coq ne bouge point.

Or, vous en offrant un de ceste mesme mode,
Qui est la moins sujette aux fascheux manquemens,
Si Vostre Majesté la trouve assez commode,
Je suis prest d'obeyr à ses commandemens.

Je suis tousjours esté d'une humeur si craintive,
Si pauvre et si grossier et si peu demandé,
Que je n'ose entreprendre en ceste vie active
De travailler pour vous sans estre commandé.

D'ailleurs, j'ay ouy dire, ô prince magnanime!
Qu'on avoit fait entendre à Vostre Majesté
Que mon pauvre œuvre est mieux pour un pusillanime
Que pour un qui s'en sert quand Mars est irrité.

Que cela soit ou non, je ne sçaurois qu'y faire:
Le meilleur, en tous cas, c'est de patienter.
Si ores la Fortune est à mes vœux contraire,
Le temps la peut changer sans m'y violenter.

Ainsi, avec le temps, qui tout change et rechange,
Je pourray voir changer la fausse opinion
Que l'envie a craché sur un peu de louange
Que j'ay dans l'arsenal du frère d'Enyon[229].

Toutesfois, s'il falloit me tenir d'ordinaire
A Paris, pour cela je n'y durerois pas:
Un triste mal, causé d'humeur atrabilaire,
Me fait hayr le bruit du monde et ses appas.

Mesme sur le declin de ma penible vie,
Où, me voyant fort pauvre et de vivre ennuyé,
Je crains plus les mocqeurs que je ne crains l'envie:
Car qui n'excelle en rien n'est de rien envié.

De plus, j'ay tant d'enfans qu'il me seroit estrange
De les conduire au loin ou d'en estre à l'escart,
Ny n'espère, où que j'aille, aucun gain ny louange,
Estant le plus grossier de tous ceux de mon art.

Aussi, pour m'excuser, si l'on me veut reprendre
En ce petit discours trop rude et mal troussé,
Je dis qu'un artisan ne se peut faire entendre
Par les mots de son art sans estre un peu forcé.

Moy donc, le moindre en l'art des faiseurs d'harquebuzes,
Et le moins entendu pour parler à un roy,
Doublement importun, à la porte des Muses
J'ay mandié ces vers, qui parleront pour moy,

Ce ne sont point des vers des savantes estudes:
Onc je n'y ay passé un seul jour de mes ans;
Ils ont esté cueillis ès rudes solitudes
Où je roule ma vie au train des païsans.

Ce ne sont point aussi d'une plume subtile
Les beaux traits ny l'emprunt d'un langage affetté;
Ains c'est du fruict forcé de ma veine infertile
Qu'indiscret je dedie à Votre Majesté.

Et, si vous acceptez mon bien peu d'industrie,
Selon ce que j'en ose icy mettre en avant,
Sans me faire quitter tout à fait ma patrie,
Vous ne lairrez d'en voir les effets bien souvent.

J'envie tant l'honneur de vous rendre service,
Que quand je n'en aurois que l'envie tousjours,
Ceste envie me semble à devider propice
Sous vostre règne heureux le reste de mes jours.

Faites-m'en donc donner (ô très puissant monarque!)
La charge et le moyen convenable au projet,
Et je seray tant mieux, jusqu'où ma fin se marque,
De Vostre Majesté le très humble sujet.


A tous en general.

Mars estoit sans second en toutes ses batailles;
Il ne pouvoit forcer les cœurs ny les murailles
Des huguenots mutins, et n'eust pas eu du bon
Sans Louys de Bourbon.

Ce Louys est un roy des plus grands de la terre;
Il tient de Jupiter le sceptre et le tonnerre,
Et fait trembler de peur plus de quatre fois l'an
Pampelone et Milan.

La ville qu'autresfois s'est montrée imprenable,
Aux forces de ce roy n'a pas esté tenable,
Ny tant d'autres encor qui l'avoient dedaigné
N'y ont guères gaigné.

L'estranger qui menace et qui n'ose paroistre
Au front de son envie, a bien sceu recognoistre
Que la France a un roy qui, comme les Cesars,
Ne craint point les hasards.

Vous donc tous qui devez en chacune province
Servir fidellement vostre souverain prince,
Gardez-vous desormais de faire aucun faux bon
A Louys de Bourbon.


A Monsieur le duc d'Orléans, frère unique du roy, par François Poumerol, son arquebusier.

Monseigneur, je vous offre et vous supplie prendre
En vostre sauf-conduit
Ce discours qui mal fait va faire honteux reprendre
Celuy qui l'a produit.

Toutesfois, si vous seul, à qui seul je l'adresse,
Le prenez sans desdain,
Il aura moins de crainte et moy plus de hardiesse
En ce destroit mondain.

Ce n'est pas que je veuille en mon art mechanique
Estre cogneu de tous,
Car je le suis assez de ce qu'en ma boutique
Je travaille pour vous.

Aussi, recognoissant ceste faveur bien grande
Et ce qui est de moy,
Je n'ose pas respondre alors qu'on me demande
De qui j'ay de l'employ.

Neantmoins, desirant de ne me plus sousmettre
Qu'à vostre volonté,
Dans cet avant-propos j'ay hasardé de mettre
L'entière vérité;

Et pour ma sauvegarde en ce que je m'expose
A la veue d'autruy,
Excusez (s'il vous plaist) si trop effronté j'ose
Souhaitter vostre appuy:

Car ce discours, estant parmy la populace
De grace despourveu,
Marchant soubs vostre adveu (qui toute crainte efface)
En sera bien mieux veu.

Veuillez donc, Monseigneur, avoir pour agreable
Ce petit offre icy,
Et pour vostre service, où j'en seray capable,
Veuillez-moy prendre aussi;

Et, bien que je demeure en faisant mon ouvrage
Où l'on ne vous peut voir,
Tout ce que j'ay et tiens de ce monde en usage
Est en vostre pouvoir.

Quand à ma pauvre vie, et qui m'a fait aprendre
L'art que je fais depuis,
Voicy ce qui en est: Dès ma jeunesse tendre
Jusqu'à l'aage où je suis,

Lorsque je fus porté à l'église romaine,
Tout pauvre que j'estois,
Monsieur de Beauvergier y fut et print la peine
De me nommer François.

Depuis, venant à croistre et mon pauvre père estre
Chargé de huict enfans,
Ce bon seigneur me print et me mit soubs un maistre
A l'aage de douze ans.

Soudain que je fus là à frapper sur l'enclume
D'un marteau rudement,
Sans m'oser plaindre j'eus de ma jeune coustume
Un rude changement.

Cela m'ennuyoit bien, mais, selon que mon aage
Et ma force augmentoit,
Toute sorte d'ennuy m'augmentoit le courage
D'aprendre comme on doit.

Je fus ainsi durant que deux ans s'escoulèrent
En esperant meilleur,
Et, au bout de ce temps, plusieurs me conseillèrent
D'aller servir ailleurs.

Suivant donc ce conseil, d'une humeur plus hardie,
Tout pauvre et sans besoing,
Je roulay quelque temps sans avoir maladie,
Ny tristesse, ny soing.

Mais le temps, qui tout change, en changeant ma jeunesse
Depuis de jour en jour,
M'a bien monstré comment la peine et la tristesse
Ne tient l'homme en sejour;

Et, pour compter mes ans, sans en vouloir rabatre
Le temps mal employé,
J'ay passé cinq fois dix; mais avant dix fois quatre
J'estois fort devoyé.

Sans voir faire j'ay fait ce qu'avant que je fusse
On faisoit rarement,
Et pour complaire aux grands j'ay fait plus que je n'eusse
L'hommage au changement.

Et, outre ce mestier, dont je gaigne ma vie
A forger et limer,
Voulant m'aprendre à lire, il me print une envie
De m'aprendre à rimer.

J'ay si souvent quitté la lime pour la rime
Et si souvent escrit,
Qu'or j'en quitte la rime à cause que la lime
Travaille moins l'esprit;

Et si j'eusse plus tost sceu qu'il m'estoit contraire
D'aimer les autres vers,
Je me fusse gardé d'entreprendre et de faire
Le moindre de ces vers.

Mais, durant que j'avois ce rompement de teste,
Où je prenois plaisir,
Je n'allois pas songer que le mal qui m'en reste
Me deust un jour saisir.

A plusieurs medecins, sans craindre la despence,
Je me suis presenté,
Et n'ai sceu recouvrer par leur experience
Ma premiere santé;

Si bien que les ennuis dont ma vie est atteinte
M'ont reduit à tel point

Que je n'en parle plus, si ce n'est par contrainte,
Lorsque le mal me poinct;

Et, comme la tourmente au marinier sur l'onde
Fait desirer le port,

Tourmenté de mes maux, je ne desire au monde
Autre ayde que la mort.

Mais, puis que Dieu retarde en ce bas precipice
De ma vie le bout,

Permettez (s'il vous plaist) qu'en vous faisant service
Je me die partout,

Monseigneur,
Vostre très humble et très obeissant harquebusier,

François Poumerol.


Discours sur une pourmenade, du mesme autheur.

Un jour, au temps le plus gay de l'année,
Et tost après son aube saffranée,
Pour mieux passer ce jour en liberté,
Je m'esloignay de l'importunité
Du bruit du bourg et de la populace,
Qui s'assembloit dans la commune place
Pour y danser, ainsi qu'une fois l'an
L'on n'y voit rien que danse et que berlan.
Estant party en alongeant ma veue
Vers le costé où tendoit ma reveue
De ce jour-là, qu'agreable et serain
Favorisoit mon fantasque dessein,
A petits pas, portant en main un livre,
Je m'esloignois, non de tout soing delivre[230],
Des lieux frequens, et costoyant un pré
De vert naissant et de fleurs diapré,
Comme je fus dans une large plaine,
A trois cents pas d'une forest prochaine,
J'ouïs là près une champestre voix
Qui dit ainsi par trois ou quatre fois:
Pauvre resveur, qui aujourd'huy t'esgare
Pour ne voir point l'importune fanfare
De tes voisins, vien-t'en passer le jour
Dans ce bocage où je fais mon sejour,
Et tu verras de ces hautaines roches,
D'entre le bois et les campagnes proches,
L'air et les dons qu'en ce mois gracieux
Nous recevons de la terre et des cieux;
Et si de plus, en ouvrant ton oreille,
Tu ouyras en seconde merveille
Maints petits cors qui tous sans nul discord
Font en ce bois un agreable accord.
A ceste voix, une humeur plus esmue
Qu'auparavant me pousse et me remue
Et me fait prendre un sentier buissonneux
Pour aller droit aux antres caverneux
Du bois non loing, où j'ouy d'abordée,
Des oiselets la musique accordée
Et dessoubs eux deux murmurans ruisseaux,
Clairs et bordez de touffus arbrisseaux
Et saules vers, dont la torte racine
Cause maints tours à l'eau douce argentine
Qu'en serpentant fait son cours ondoyant
Dans les valons de ce bois verdoyant.
Un peu plus bas, le long de ce bocage,
Dans les buissons d'un petit marescage,
Un rossignol, en diverses façons,
Y fredonnoit plusieurs belles chansons;
Un autre encor, non loin de ceste place,
Luy respondoit d'une très bonne grace;
Et un troisiesme, un peu plus à l'escart,
Tenoit son rang et sa musique à part;
Et tous sçavans, parmy ceste vallée,
S'accordoient mieux qu'aux nopces de Pelée
Tout ce qu'on peut d'Orphée et d'Amphion
Faire sonner sur le haut Pelion:
Car dans le bois jadis le mesme Orphée
Ne chanta mieux, ny sur la vague enflée
Celuy auquel les dauphins et les flots
Furent humains, et non les matelots.
D'autre costé, je n'eus si tost pris garde
Haut et comment qu'une troupe gaillarde
D'oiseaux branchez dessus les arbres vers
Remplissoit l'air de mille tons divers,
Que j'apperceu venir de branche en branche
Un pinçonnet d'une volonté franche
Pour se percher et chanter à l'envi
Près où j'estois, comme à demy ravi.
Mais il n'eut pas si tost quitté sa troupe
Qu'à l'instant mesme un autre le galope,
Comme sçachant par un naturel soing
Qu'il auroit tost de son ayde besoing,
Dont le premier, herissant son plumage,
Commence un vers en son petit ramage,
D'un air si gay qu'il sembloit à l'ouïr
Qu'il ne chantoit que pour me resjouyr;
Et le second aux poincts de la musique
Luy respondoit cantique après cantique
Si doucement qu'on eût dit qu'en ce lieu
Se devoit faire un miracle de Dieu,
Et que Dieu mesme avoit pour ceste feste
Fait assembler une troupe celeste
D'anges chantant, en semblance d'oiseaux,
Sa saincte gloire entre ces arbrisseaux:
Car il n'y a ny jeu, ny bal, ny troupe
De corps humains, ny sur l'humide croupe
Des flots salez Triton, ny ceste voix
Qu'on attribue aux filles d'Achelois[231],
Ny cor ny luth, ny tout ce que l'on touche
Par art subtil des mains et de la bouche,
Qui peut donner, selon mon jugement,
Plus de plaisir et de contentement
Que ces oiseaux, loing du bruit populaire,
M'en ont donné dans ce bois solitaire,
Bois où j'eus fait un bien plus long sejour
Sans que je vis le beau char mène-jour,
En s'abaissant vers l'onde marinière,
Presque à demy de sa demy-carrière.
De quoy marry, et prevoyant par là
Qu'il faudroit tost me retirer de là,
Je me tournay vers ceste trouppe heureuse,
Et d'une voix plus triste que joyeuse,
Les appellant mes hostes, mes mignons,
Je dis ainsi: O mes chers compagnons!
Ne pouvant guère arrester davantage
Pour contempler vostre plaisant ramage,
Ny ce qui est d'admirable en ce lieu,
Il s'en va temps que je vous die adieu,
En vous priant de croire que j'envie
De revoir tost vostre agreable vie;
De revoir tost dans ces antres moussez
Non des bourgeois les palais tapissez,
Ny des vergers arrousez d'eau forcée
Jusqu'au plus haut d'une pierre percée,
Ny d'un jardin les beaux compartimens,
Ny des plus vains les riches vestemens,
Ny cet esclat que dans les vagues perses[232]
On va pescher, ny les couleurs diverses
Dont autrefois à l'envy deux pinceaux
L'un trompa l'homme, et l'autre les oyseaux,
Mais pour y voir les beaux tapis sans leine
Que le printemps, sans art, sans or, sans peine,
Fait tous les ans et de tant de couleurs
Qu'on n'en sçauroit estimer les valeurs:
Car, sans mentir, il faut que je confesse,
En admirant du grand Dieu la sagesse,
Que ce creux verd, cet antre environné
D'herbe et de fleurs et d'arbres couronné,
Ce bois sauvage et tout ce grand parterre,
Où vous vivez sans chicane et sans guerre,
Est mille fois plus agreable à voir
Que ce que l'or et l'art nous fait avoir.
Or adieu donc, adieu, belle harmonie;
Adieu, rochers, muette compagnie;
Adieu, oiseaux; adieu, mes gringoteux;
Adieu cent fois, mes petits vigoureux;
Adieu, ruisseaux; adieu, plaisant boccage;
Adieu, lieu sombre où je laisse pour gage
De mon retour ma parole et ma foy,
Et m'en revay voir ce qu'on faict chez moy.
Je m'en vay donc, mais non sans avoir crainte
D'y recevoir quelque nouvelle atteinte
De desplaisir, car le peuple assemblé,
Quand sur le soir il est un peu troublé,
Mesme en ce temps où il est impossible
Voir de Bacchus la troupe incompatible[233]
Sans cris, sans coups, et sans y voir aussi
Mespriser ceux qui ne font pas ainsi.
Disant ces mois, une crainte legère
D'esmouvoir trop l'hostesse bocagère
Qui redit tout, en imitant les voix,
Aux habitants des plaines et des bois,
Me fit luy dire: O nymphe qui regrette
Ton beau Narcisse! excuse et tiens secrette
Ma libre plainte. Et, voulant m'en aller,
D'un autre adieu je bornay mon parler,
Non sans regret de ce qu'à la vollée
Au mesme temps je vis la troupe aillée,
Signe evident qu'après mon triste adieu
Elle vouloit se desplaire en ce lieu.
Ces oiseaux donc tout à coup s'envollèrent,
Et, fendant l'air, autre part s'en allèrent
Sans me laisser, après leur chant si beau,
Pour entretien, que le doux bruit de l'eau,
Bruit vers lequel, pour finir la journée,
Avant partir, j'eus la veue tournée;
Et contemplant ce crystal doux coulant,
Qu'à plis sur plis s'en alloit, sautelant,
Hors de ce bois, arrouser des villages
Circonvoisins les prez et pasturages,
Un penser creux, tout contre mon desir,
Plus que devant me revenoit saisir;
Mais ceste voix qu'au matin sur la plaine,
S'estoit montrée, à mon besoing, humaine,
Me voyant prest de rentrer en souci,
Par charité, me dit encore ainsi:
Mon cher amy, si tu veux compagnie,
Acoste-moy; je m'appelle Uranie,
Sage et sçavante, et prompte à redresser
Ceux dont l'esprit ne fait que rimasser,
Et que, tendant au moyen de complaire
A ton humeur pensive et solitaire,
Je te convie à revenir souvent
Dans ce bocage où l'agreable vent
Est du tout propre à celuy qui veut boire
De l'eau sacrée aux filles de Memoire,
Et qui commence à faire peu de cas
Des eaux du monde et de ses vains tracas,
Non que j'aprouve en cela qu'il te faille
T'y abuser les jours que tu travaille
De ton mestier, n'ayant autre moyen
De pouvoir vivre au rang des gens de bien.
Travaille donc, et, sage et par mesure,
Vend ton ouvrage et ne preste à l'usure,
Car aujourd'huy, et presqu'en tous estats,
On n'use plus de reigle et de compas;
Mais de ton gain en rien ne te dispose
Sans faire estat d'espargner quelque chose
Pour t'en ayder, s'il arrivoit un temps
Rude à passer vers la fin de tes ans;
Et, remettant jusqu'à la conference
D'un autre jour toute autre remonstrance,
Bien qu'à ce coup tu peux juger combien
Je te souhaitte et d'honneur et de bien,
Je te diray, d'une plus longue aleine,
Tout ce qui cause au monde tant de peine;
Et, pour meshuy, je diray seulement
Que si chacun gardoit soigneusement
La foy dans l'ame et la mesure entière
Qu'il faut tenir en chacune matière,
De père en fils, chacun s'entretiendroit
Selon le temps en l'estat qu'il faudroit;
Par zèle et droit, l'obeyssance deue
A Dieu, au Roy, seroit de tous rendue;
Le bon conseil, dans les royalles cours,
Empescheroit des partisans le cours;
L'achapt, l'estat, ne seroit en cet aage,
Ny la faveur des grands tant en usage;
La soye en draps seroit, comme autrefois,
Pour les seigneurs, les princes et les rois;
Du fier bourgeois la femme riche et belle
Ne se feroit appeller damoiselle[234];
Dans l'art d'autruy nul ne s'embrouilleroit,
Et sans procès chacun travailleroit;
Le vieil Bacchus n'useroit tant ses coupes,
Et les jureurs seroient en moindres troupes;
L'Amour aussi n'auroit entre ses mains
Qu'en tout honneur le pouvoir des humains;
L'ambition, la vanité, l'audace,
Ayant ainsi à la vertu fait place,
De toutes parts et en toute saison,
Le tout yroit au train de la raison.
Mais, aujourd'huy, ne voyant sur la terre
Qu'ambition, estats, chicane et guerre,
Je voudrois bien te pouvoir obliger
Par mes discours de ne t'en affliger
Et de fuir toute vaine folie
Pour voir souvent ceste forest jolie,
Et, le faisant ce mois et l'autre encor,
Tu jouiras d'un petit siècle d'or.
Fay donc cela ainsi que je l'ordonne,
Ou, mesprisant l'advis que je te donne,
A tout le moins, sans me vouloir tromper,
Fay-moy responce et puis t'en va souper.
Incontinent que ceste Muse aimable
Eut achevé son discours veritable,
En regardant son beau visage uny,
Son teint sans fard, ses cheveux d'or bruny,
Son corps parfait, sa contenance telle
Que le maintien d'une fille immortelle,
Pour luy respondre et ne luy rien celer
De ce qu'ailleurs je n'oserois parler,
Je dis ainsi (en voix de pleurs suivie):
Si je pouvois gaigner ma pauvre vie
Dans un desert, je serois beaucoup mieux
Entre des rocs qu'entre des envieux,
Car en ce lieu je ne verrois le riche
Envers le pauvre estre cruel et chiche,
Ny les paysans à toute heure poussez
Dans la taverne et dans plusieurs procès
Par des tyrans et gens qui veulent estre
Fort estimez sans se faire cognoistre
En rien, sinon qu'en science profonds
Pour s'acquerir injustement des fonds.
Je ne verrois en si rude contrée
Ceux que je vois soubs le manteau d'Astrée,
Lesquels, en lieu de rendre à nos tabus
Le droit escrit, commettent tant d'abus
Que la raison, souvent comme en desroutte,
Veut et permet de faire banqueroutte
A ceux qui sont, par defaut sur defaut,
Si molestez que tout bien leur defaut,
Car, sans mentir, quand une chère année,
Sterile en blé, nous est du ciel donnée,
C'est en ce temps qu'un esclave enchainé
Parmy les Turcs n'est pas plus mal mené
Qu'ils sont, helas! sans esperance aucune
De pouvoir vivre, à faute de pecune,
Auprès de ceux qui, pleins d'impieté,
Les ont reduits en telle extremité,
Qu'il est certain que, si Dieu, qui attire
A soy les bons, tout bon ne les retire
De cet estat, les tailles et les cens,
Les interests qu'ils payent tous les ans,
Les frais sur frais et mille autres subsides[235],
Qui, surpassant le travail des Belides,
Feront mourir du soir au lendemain
Ces pauvres gens de misère et de faim;
Car j'en ay veu, tous les jours dans la peine,
Se nourrissant de raves et d'avoine,
Et d'eau bouillie, ou bien de petit laict;
Que s'ils avoient du beurre ou un poulet,
Cela seroit, à la première feste,
Porté par eux au richard qui leur preste
A dix pour cent une somme d'argent,
Que, par mesconte et courses de sergent,
Il fait grossir; puis, quand ces pauvres hommes
Sont obligés pour de plus grandes sommes,
Feignant d'avoir affaire de son bien
Tout en un coup, il ne leur laisse rien.
Et, quand il met le pied dans un village
Pauvre de gens et bon de labourage,
Il court, il veille, il ne repose point,
Il vit esclave, et son trop d'avarice,
Qui le conduit de l'un à l'autre vice,
Le rend semblable à celuy qui dans l'eau,
Sans pouvoir boire, est jusques au museau.
Qui ne seroit, estant près de la porte
De ces tyrans chez qui le peuple porte
Presqu'à toute heure et en toute saison
Le cochon gras, la poulaille et l'oison,
Fasché de voir ces pauvres redevables
Parler tremblans à ces insatiables,
La teste nue et les corps descharnés,
De faim, de froid, et de crainte estonnez,
Prier, flatter, faire la reverence,
Pour avoir deux ou trois jours de patience,
Et comme après ils s'en revont soudain
Sans qu'on leur donne un seul morceau de pain,
Ou, quand ils ont moyen de faire boire
Maistres et clercs, il est facile à croire
Qu'ayant saoulé ces renards et ces loups,
Ils payeront bien cherement pour tous!
Voilà comment, ô Muse très acorte!
Les pauvres sont mengez de telle sorte
Que bien souvent le pauvre d'aujourd'huy
Nourrit le riche, et meurt de faim chez luy!
En faisant vendre et le fonds et les meubles
Des pauvres gens, ces gros mangeurs de peuple
Ne croyent pas qu'en ce bas univers
Nous devons tous estre mangez des vers.
Un autre mal, en ces personnes cautes,
C'est qu'ils n'ont guère, en confessant leurs fautes,
Le cœur contrit, ny l'ame en son bon poinct,
D'autant qu'après ils ne s'amendent point.
Pour mon regard, le manquer de promesse
En cet endroit me fait trembler sans cesse,
Et m'en fera, jusqu'au bout de mes jours,
Hayr la cause et les mondains sejours.
Pour ne voir donc le sergent qui emporte,
Après moisson, du pauvre la recolte,
Ny ces brouillons, riches comme bourgeois,
Estre le fleau des pauvres villageois,
Ny l'officier qui sans argent doit rendre
Justice à tous, de tous ne fait que prendre,
Ny l'hypocrite en ses devotions,
Son corps au temple et l'ame aux passions;
Ny bonneter[236], soubs la fausse apparence
D'un bel esprit, le vice et l'ignorance;
Ou, en un mot, pour ne voir plus du tout
Le monde au monde aveuglé jusqu'au bout,
Il est certain que, quand j'aurois au large
Un bon domaine exempt de toute charge,
Près de la presse où le riche empressé
De trop de biens tient le pauvre opressé,
Je n'aurois point à gré ceste fortune,
Estant si près de la tourbe importune;
Mais que, si Dieu m'en donnoit, à l'escart,
Non pas autant ny seulement le quart,
Ains soubs le chaume, estroite et bien acquise,
Une logette à mon humeur requise,
Et tant soit peu pour m'y entretenir,
Je lairrois tout pour m'y aller tenir;
Et là, pour vrai, je penserois mieux vivre
Au petit pot[237], et le droit chemin suivre,
Que dans un bourg où je suis envié
De ceux pour qui je me suis employé.
Mais, n'y ayant maison ny jardinage,
Ny rien du tout pour y lever mesnage,
Je suis contraint à demeurer chez moy,
Où je travaille en peine et en esmoy,
Et de mon art, bien qu'il ne soit facile
Ny lucratif, ains pauvre et difficile,
Gaigner ma vie au mieux que je pourray
Et celle aussi de la charge que j'ay,
Charge qui m'est à nourrir si pénible
Qu'en travaillant le plus qu'il m'est possible,
J'ay bien souvent reçeu et despendu
L'argent plus tost que l'ouvrage rendu;
Et, s'il advient que j'aye en ma boutique,
De fresche mode et non pas à l'antique,
Quelque harquebuse ou bien des pistolets
Faits de ma main, et non par des valets,
Et que je sois au temps de m'en defaire
En les portant où j'ay charge d'en faire,
Il faut peiner, et, pour estre payé,
Patienter quand on est delayé.
Donc, pour mon bien, portant ainsi l'ouvrage
Loing de chez moy, ceste peine et l'usage
M'ayant, ce semble, un peu par cy devant
Fait en mon art plus sage que sçavant,
Le cours du temps, qui tout forme et defforme,
Et qui rend tout à la saison conforme,
Par ce travail me faisoit esperer
Ce qu'autrefois je n'osois desirer.
Mais, n'ayant plus toute la patience
Qu'il faut avoir pour vivre en esperance,
Ny l'honneur d'estre à bien servir parfait,
Ny les moyens qu'il faut pour cet effect,
Ny la santé, qui doit este première
Au corps (prison de l'ame prisonnière),
Ny, en un mot, l'espoir de mieux avoir
Ny trouver mieux, Muse, je feray voir
Par mes escrits, à tous ceux dont j'espère
Ayde et confort au fort de ma misère,
Que plus je vay et plus je suis troublé,
De soing, d'ennuy et de peine accablé,
Et que, chargé au declin de mon aage
Au pardessus de mes force et courage,
Je suis reduit en tel estat de corps
Que je n'envie au monde que la mort.
Et pleust à Dieu, ô Muse bien heureuse!
Que ceste mort invisible et fascheuse,
Qui va par tout sans crainte et sans esgard,
Fust desjà preste à me tirer son dard,
Ou que Dieu mesme à la mortelle escorce
De ma pauvre ame eut donné plus de force:
Non ceste force où soubs trop de roideur
L'ambition augmente son ardeur
Après le lucre, ou à prendre les armes
Pour en avoir, quand Mars, par ses alarmes,
Enfle le cœur, et revestir le corps
Des hommes vains d'un fer qui par dehors,
Grisé, ressemble à un monstre effroyable,
Qu'armé d'escaille en la mer navigable,
Fait, sans rien craindre, aux troupeaux de Tethys
Ce que souvent les grands font aux petits;
Mais seulement que mon corps miserable
Avec la force eust le desir durable
De supporter, en ce temps desbauché,
L'affliction, et non pas le peché,
Et d'estre aussi, à la dernière atteinte
Où le destin rendra ma vie esteinte,
Exempt d'avoir jusques au moindre pas
Marché ça bas sans reigle et sans compas.
Alors je n'eus presqu'achevé de dire
Ces mots ainsi, que j'aperçeu sous-rire
Ceste deesse en habits precieux,
Et quant et quant s'en remonter aux cieux;
De quoy marry, en reprenant la trace
Par où j'estois allé vers ceste place,
Je m'en revins, à cause que, sans bruit,
Le jour desjà faisoit place à la nuict.
Estans chez moy, sans penser à la lime,
Toute la nuict j'escrivy ceste rime,
Pour faire voir, quoy qu'estant fort lassé,
De poinct en poinct ce qui s'estoit passé
Ce jour de feste en ma seule presence,
Dans la forest où, pour ne voir la dance,
J'estois allé, et y retourneray
(S'il plaist à Dieu) vers le retour de may.
Mais, attendant que ce temps-là revienne,
Et que sans guerre un chacun s'entretienne
D'un art penible, en peine on me verra,
Jusqu'à la borne où mon temps finira,
Gaigner ma vie; et, craignant le reproche
D'estre prolixe, aux vers je coupe broche,
En suppliant de tous les roys le roy
De conserver et mes amis et moy.

Zest Pouf, historiette du temps.

De l'imprimerie de la veuve Nicolas Mazuel, rue de la Bouclerie, au bout du pont Saint-Michel.

Puisque vous m'assurez que vous ne sçavez pas l'historiette de Zest et de Pouf, dont on parle tant ces jours-cy[238], je vais vous l'aprendre en peu de mots. Chacun la brode en sa manière: vous la broderez aussi comme il vous plaira; quant à moy, je la rapporteray simplement telle qu'on me l'a racontée; la voicy. Un marchand fort à son aise et très homme de bien (que j'appelleray Florame) avoit une fille très jolie, très sage et très aimable (je luy donneray le nom de Cephise). Elle fut accordée en mariage à Theador, jeune homme de merite. Ces deux parties se convenoient parfaitement, tant par leur condition et leur humeur que par un attachement reciproque. La ceremonie du mariage fut arrestée pour estre faite de grand matin. Palmis, un oncle de Theador, homme agé, fort gay, et qui ayme à se faire autant qu'il peut un plaisir de tout ce qui se presente, fut convié de la nopce, ainsi que l'usage le demande; il promit de s'y trouver. Après cette promesse, il prit son neveu Theador en particulier et luy dit: «Mon cher neveu, j'iray à votre nopce, et je pretends y avoir du plaisir et vous en faire: c'est sous ces deux conditions que je m'y trouveray. Le plaisir que je pretends vous faire, c'est de vous donner deux mille ecus, mais à condition que vous m'en accorderez un autre. Ce n'est pas à dancer que je demande, car mon age ne le permet pas; le festin me touche encore moins, car je suis ennemy des grands repas. Voicy donc ce que j'exige de vous.» Il luy dit ensuite en secret ce qu'il souhaitoit, luy fit promettre de n'en rien dire à personne, l'assurant que, s'il ne gardoit pas exactement ce secret, il ne luy donneroit pas les deux mille ecus. Theador luy promit d'estre fidele: on sçaura dans la suite de quoy il s'agissait. Le mariage se fit la nuit suivante. A deux heures du matin on coucha la mariée, et tout le monde se retira. Theador se deshabille, ensuite prend sa robe de chambre, tire une montre sonnante de sa poche, la met sur la table, et luy se place sur une chaise auprès du feu, et reste tranquillement dans cette situation, sans dire un seul mot. Cephise impatiente l'examine; et enfin, trouvant ce procedé fort etrange: «Monsieur, luy dit-elle, je croy que vous dormez!—Zest, repondit Theador.—Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que vous vous moquez de moi? repliqua Cephise.—Pouf, repartit Theador.—Mais, Monsieur, je croy que vous perdez l'esprit, ajouta l'epousée.—Zest, ajouta aussi l'epoux.» Enfin la pauvre Cephise n'eut pour toutes reponses de Theador à ses remontrances et à ses reproches, que des Zest et des Pouf. Fatiguée et alarmée par une conduite si bizarre, elle se lève, s'habille et va trouver ses parents. Le père et la mère, la voyant, et se persuadant que c'estoit quelque grimace de pudeur qui l'amenoit auprès d'eux: «Allez, allez, ma fille, luy dirent-ils; retournez auprès de vostre mary; croyez-nous, ne faites pas tant la difficile: vous êtes à luy, et ainsi.....—Helas! mon père, ma mère, repondit-elle en les interrompant, ce n'est pas ce que vous croyez. Mon mary est devenu fou: c'est ce qui m'a fait sortir de la chambre; venez, et vous verrez que je ne ments point.» Ils allèrent pour voir ce qui en estoit; ils commencèrent leur discours par des plaintes, ils le continuèrent par des prières et le finirent par des menaces; et à tout cela Theador ne repondoit que Zest et Pouf. Il n'en fallut pas davantage pour leur persuader que leur gendre estoit fou. On envoye querir sur le champ le notaire, afin qu'il en dresse un acte. Estant arrivé, il veut raisonner avec Theador, afin d'être temoin par luy-même de sa folie; Theador ne luy donne que des Zest et des Pouf pour reponse. Le notaire commence à dresser son acte; quatre heures sonnent, et dans ce moment on voit sortir d'un cabinet prochain, d'où l'on pouvoit facilement tout voir et tout entendre ce qui se passoit dans la chambre de Theador, on voit sortir, dis-je, Palmis, l'oncle, avec une bourse à la main qui contenoit deux mille ecus en or. «Ah! mon cher neveu, s'ecria-t-il, que je suis content de vous, puisque, par obéissance, vous avez eu assez de force, ainsi que je l'avois souhaité, pour ne donner pendant deux heures à votre chère epouse que des Zest et des Pouf, malgré la sincère tendresse et l'attachement passionné que vous avez pour elle! Voicy la recompense que je vous ay promise: certes vous l'avez bien gagnée.» Theador parut tout autre; il presenta cette bourse à Cephise, qui, quoyqu'elle la receut avec joye, fut encore bien plus sensiblement touchée de voir que son cher epoux avoit, au lieu de folie, autant de sagesse que d'amour. Chacun se retira fort content, et ceux qui restèrent dans la chambre ne le furent pas moins.

Approbation.

J'ay lu, par ordre de Monsieur le lieutenant general de police, une historiette du temps, qui a pour titre: Zest Pouf, dont on peut permettre l'impression. A Paris, ce vingt-trois mars 1711.—Passart[239].

Veu l'approbation du sieur Passart, permis d'imprimer. Fait le 26 mars 1711.—M. R. de Voyer d'Argenson.

Registré sur le livre de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris, no 193, conformément aux reglements, notamment à l'arrest de la Cour du parlement en datte du 3 decembre 1705, ce 27 mars 1711.—De Launay, syndic.

Catechisme des Normands[240].


Catechisme des Normands,
composé par un docteur de Paris.

Demande. Etes-vous Normand?

Réponse. Oui, par la grace de ma naissance et par la grace de mon intrigue.

D. Qui est celui qu'on doit apeller Normand?

R. C'est celui lequel, etant né d'un père normand, naturellement intriguant, fait profession exacte d'une intrigue dissimulée.

D. Qu'est-ce que l'intrigue dissimulée?

R. C'est celle que le Normand a apris de ses ancêtres, et qui la communique de père en fils.

D. Est-il necessaire au Normand d'avoir cette intrigue dissimulée?

R. Oui, s'il ne veut agir contre l'inclination naturelle de la nation normanique.

Du signe du Normand.

D. Quel est le signe du Normand?

R. C'est d'être toujours prêt à faire de faux serments en faveur de celui qui lui donne le plus d'argent[241].

D. Comment fait-il le signe?

R. En tenant ses mains dessus sa tête pour affirmer plus hardiment le faux serment qu'il fait pour vil prix, et les rabaissant lorsqu'on lui fait offre de plus d'argent qu'il n'en a reçu pour les lever, afin d'affirmer effrontement le contraire de son premier serment.

D. Pourquoi fait-il le signe de la sorte?

R. Pour tromper et decevoir ceux qui ont confiance en ce signe, auquel il prend plaisir.

D. Quand le Normand fait-il le signe?

R. Depuis son berceau jusqu'au dernier soupir de sa vie.

De la fin du Normand.

D. Quel est la fin du Normand?

R. C'est de trahir ses plus grands amis.

D. En quoi consiste le dessein du Normand?

R. Il consiste à établir sa fortune aux depens du bien d'autrui et de l'honneur du prochain, sans épargner sacré ni profane.

Des moyens de parvenir à cette fin.

D. Par quels moyens parvient-il à cette fin?

R. Par quatre moyens, sçavoir: l'infidelité, tromperie, haine et mechantes actions.

D. Qu'entendez-vous par l'infidelité?

R. J'entends que le Normand ne garde jamais la parole qu'il a promise.

D. Que devons nous croire du Normand?

R. Que c'est le plus grand fourbe du monde.

D. Expliquez-nous ce mot de fourbe?

R. C'est-à-dire qu'i est naturellement trompeur.

D. Comment trompeur?

R. C'est en proferant des paroles contraires aux pensées de son cœur, louant par paroles ceux qu'il blâme en lui-même, flattant et caressant ceux qu'il aime le moins, baisant ceux qu'il dechire par ses fausses impostures comme un Judas, aplaudissant les discours d'autrui, pour exciter à les continuer, afin d'en tirer une mauvaise consequence.

D. Vous dites que le Normand parvient à la haine?

R. Oui; mais il faut entendre comment, parceque, quand le Normand haït quelqu'un, il ne lui decouvre pas sa haine ouvertement; au contraire, il la dissimule et retient dans son cœur, il flatte et loue celui qu'il haït le plus, et le baiser du Normand est un veritable signe de la haine qu'il a dans son cœur.

D. Si le Normand retient la haine dans son cœur, il ne fait aucune mechante action au dehors pour parvenir à sa fin?

R. Pardonnez-moi, car les mauvaises actions du Normand ne paroissent au dehors que lorsqu'il s'apperçoit que facilement elles pourroient servir à son dessein.

D. Le Normand manifeste donc ses mauvaises actions?

R. Ils les manifeste le moins qu'il peut, car il les commet toujours de bonne intention, disant qu'il ne cherche que la gloire de Dieu, que le profit et utilité spirituelle de son prochain, et que tout ce qu'il fait provient de son grand zèle seulement[242].

D. Comment fait-il ces mauvaises actions par ces moyens-là?

R. Non seulement, car, quand il a proferé des paroles indiscrètes et calomnieuses, ah! qu'il fait de mauvaises actions! Il les impute à des personnes innocentes, et, pour les faire croire veritables, il sollicite par promesse et argent.

De l'esperance du Normand.

D. Quelle est l'esperance du Normand?

R. C'est de s'elever au-dessus des autres.

D. Comment?

R. En paroissant au dehors homme de bien, devot, sincère, obligeant, doux comme un agneau, quoiqu'il soit au dedans un loup ravissant, ingrat, fourbe, indevot, mechant, en un mot un très grand hypocrite, et un sepulchre blanchi[243].

D. Comment?

R. C'est en imposant de faux crimes à ceux qui occupent les charges, etant amis, auxquelles ils aspirent, faisant de fausses attestations, certificats et autres pièces d'ecritures qu'ils font signer par de faux temoins pour faire entendre que ce qu'ils disent est veritable.

D. Comment connoissez-vous cela?

R. Je le connois en ce qu'il a beaucoup d'amour pour sa personne et ses propres interêts, et point du tout pour son prochain.

Les bonnes œuvres du Normand.

D. Si le Normand n'a point de charité pour son prochain, il ne fait donc aucune bonne œuvre à l'egard de son prochain?

R. Aucunes, à la verité; mais toutes mechantes, conformement aux dix commandemens qu'il a appris de ses ancêtres.

D. Quels sont ces dix commandemens?

R. Les voici:

Tes intérêts tu garderas et attireras parfaitement.

Dieu en vain tu jureras pour affirmer un faux serment.

L'argent d'autrui tu n'epargneras, ni son honneur pareillement.

Le bien d'autrui tu ne rendras, et garderas à ton escient.

Faux temoignage tu diras, et mentiras adroitement.

L'œuvre des mains tu n'oublieras, pour derober finement.

Les biens d'autrui tu convoiteras, pour les avoir injustement.

L'œuvre de chair tu desireras, et accompliras avec le tems.

Des œuvres de misericorde du Normand.

D. Combien le Normand a-t-il d'œuvres de misericorde?

R. Sept, sçavoir: trahison, flaterie, gourmandise, larcin, mensonge, envie et imposture.

D. Si le Normand n'observe ces dix commandemens et ne fait ces œuvres de misericorde, qu'en sera-t'il?

R. Il contreviendra aux maximes et aux inclinations de la nation normanique, et aux habitudes naturelles de ses ancêtres, et merite d'être estimé honnête homme.

D. Si tout ce que nous venons de dire est vrai, on ne peut avoir de confiance au Normand?

R. Nullement du monde: car enfin, confiez-vous en lui, il vous trahit; louez-le, il vous meprise; meprisez-le, il vous adore; et après tout c'est un lion à ceux qui le craignent, et une vraie poule aux genereux.

Je prie Dieu qu'il inspire au lecteur des sentimens contraires aux pensées de ce catechisme.

Chanson des Normands
Sur l'air des Pendus.

Or ecoutez, petits et grands,
Le catechisme des Normands,
Peuple connu de notre France
Par la chicane et la potence:
C'est la double inclination
De cette noble nation.

—Mais, sitôt qu'un Normand est né,
A la mort est-il condamné? (Oui.)
—Mais sa mort est un mystère:
Il ne rentre point dans la terre;
Il meurt plus glorieusement,
En montant vers le firmament.

—Q'entendez-vous par ce discours?
Est-ce qu'ils ont l'âme à rebours? (Non.)
—J'entends que dans la Normandie
On ne fait point cas de leur vie,
Car plus de cinq cens il est clair
Que les trois quarts meurent en l'air.

Pour un trépas si glorieux,
Quel theâtre est le plus fameux?
—Domfront jadis eut cette gloire,
Et plus d'un Normand, dit l'histoire,
A deux heures on y pendit,
Qui n'etoit venu qu'à midi[244].

—Un titre si bien appuyé,
S'est-il toujours bien conservé? (Oui.)
—C'est toujours pour leur usage
Que tout le païs se partage
Entre ces deux metiers si beaux,
Des cordiers et des bourreaux.

Edit du Roi portant suppression des charges de capitaines des levrettes de la chambre du roy et des levriers de Champagne; donné à Versailles au mois de mai 1786; registré en la chambre des Comptes le 15 septembre 1786; registré en la cour des Aides le 20 septembre 1786.

A Paris, chez P. G. Simon et N. H. Nyon, imprimeurs du Parlement, rue Mignon.

1787.

Louis, par la grace de Dieu, roi de France et de Navarre: A tous presens et à venir, Salut. Les charges de capitaines des levrettes de notre chambre et des levriers de Champagne, dont etoit pourvu le sieur de Vassan, etant vacantes par la demission qu'il en a faite en nos mains, nous avons jugé à propos d'en ordonner la suppression[245]. A ces causes et autres à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par notre present edit, perpetuel et irrevocable, eteint et supprimé, eteignons et supprimons, à compter du premier de ce mois, les charges de capitaines des levrettes de notre chambre et des levriers de Champagne, vacantes comme dit est. Voulons en consequence que les gages et autres attributions desdites charges, pour lesquelles ledit sieur de Vassan, dernier pourvu d'icelles, etoit employé, tant sur l'etat de notre venerie, sous le titre de capitaine des levriers de Champagne[246], que sur celui de notre argenterie, menus-plaisirs et affaires de notre chambre, sous le titres de capitaine des levrettes de notre chambre, en soient rayés et ôtés à compter dudit jour premier du present mois. Si donnons en mandement à nos amés et feaux conseillers les gens tenant notre chambre des comptes et cour des aides à Paris que notre present edit ils aient à faire registrer, et le contenu en icelui garder, observer et executer pleinement, paisiblement et perpetuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements, et nonobstant toutes choses à ce contraires: car tel est notre plaisir. Et, afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel.

Donné à Versailles au mois de mai, l'an de grace mil sept cent quatre-vingt-six, et de notre regne le treizième.—Signé Louis.—Et plus bas: Par le roi, signé le baron de Breteuil.—Visa Hue de Miromenil.

Registré en la chambre des comptes, ouï et ce requerant le procureur general du roi, pour être executé selon sa forme et teneur, le quinze septembre mil sept cent quatre-vingt-six.—Signé Marsolan.

Registré, ouï et ce requerant le procureur general du roi, pour être executé selon sa forme et teneur. Fait à Paris, en la première chambre de la cour des aides, le vingt decembre mil sept cent quatre-vingt-six. Collationné.—Signé Baron des Bordes.

Histoire veritable de la mutinerie, tumulte et sedition faite par les prestres Sainct-Medard contre les fidèles, le samedy XXVII. jour de decembre 1561.


Pseau. XLVI.

Dès qu'adversité nous offense,
Dieu nous est appuy et defense:
Au besoin l'avons esprouvé,
Et grand secours en luy trouvé.


Le bruit commun, dès sa naissance, et quand il vient premierement à sortir en evidence, est ordinairement accompaigné de tant de mensonges, qu'en son accroissement elles multiplient de telle sorte qu'avant qu'estre espandu jusques aux lieux où il prend fin se trouve tant perverti, deguisé et corrompu qu'il n'a plus rien de conforme à la verité; et ce advient principalement pour deux occasions: l'une pour estre mal affecte à la cause, l'autre pour se faire savant des choses que l'on a veues; dont la première induist à enrichir le compte de ce qui sert à la cause exposée, et taire ou deguiser ce qui est contraire; la seconde fait rapporter tout ce qu'on imagine de vray semblable pour très certain et veritable, par un desir de satisfaire à la curiosité de ceux qui s'en enquièrent. Or, les choses où les hommes se monstrent plus curieux et se rendent plus affectez sont celles de la religion, qui en rend la verité si peu cogneue qu'à grand peine se peut-elle savoir que bien obscurcie et masquée de quelque fiction mensongère. Ce que ayant consideré, j'ay entrepris de garantir une esmotion advenue ces derniers jours de l'injure des faux rapports et deguisemens de verité, à ce que tel evenement, qui n'est de petite importance bien entendu au vray, retourne à la confusion de ceux que l'on jugera avoir le tort, promettant de m'employer du tout à dire verité, et ne reciter que les choses dont je suis tesmoing occulaire, me sumettant aux reproches de tous ceux qui y ont assisté qui en voudront parler sans affection.

L'an M.D.LXI., le samedy d'après Noël, feste de sainct Jean, vingt-septiesme jour de decembre, les fidèles faysoient, ainsi qu'il leur est permis, assemblée publique aux faux bourgs S. Marceau en un lieu dit le Patriarche[247], et faisoit l'exhortation monsieur Mallot, ministre[248], qui, après les prières faites et le psalme chanté, commença d'interpreter ce passage de sainct Mathieu: Venez à moy, vous tous qui estes chargez; et lequel avoit pris comme lieu de grande doctrine et edification, à ce que la compagnie (qui estoit plus grande beaucoup que de coustume, pour n'estre ce jour ouvrable[249]) en peust à son contentement raporter plus grand fruict. Ayant executé environ un quart d'heure, commencèrent ceux de sainct Medard, paroisse dudit faubourg, sur les trois heures (jà leurs vespres dites), de malice deliberée, à sonner toutes leurs cloches ensemble, d'un tel bransle qu'aussi pour n'y avoir qu'une ruelle de distance entre les deux lieux, retentissoit le son si grand dans le dit Patriarche qu'il estoit du tout impossible d'entendre la dite exhortation; ce que voians ceux de l'assemblée, deux d'entre eux s'en allèrent sans aucunes armes prier que l'on desistast de sonner, à ce que si bonne compagnie ne fust empeschée d'ouir la parole de Dieu. A ceste prière et humble requeste, s'esleva une voix de prestres, et quelques autres mutins, crians que en despit d'eux l'on sonneroit, et sus ces entrefaites s'essayent à donner plus grand bransle à leurs cloches, et à l'instant fort mutinez fermèrent la grande porte de leur eglise, enfermans l'un des deux dessusdits; l'autre se sauva de vitesse et se retira vers les siens, et, comme ainsi fust que il n'avoit qu'un petit couteau, le massacrèrent de sept coups, tant de longs bois que d'espée, quasi tous mortels, selon le recit des chyrurgiens; aussi soudain furent closes deux autres portes, l'une grande du presbitaire, l'autre plus petite du cymetière, issantes en la ruelle joignant le Patriarche, et commencèrent à jetter pierres et tirer traits d'arbalestres, dont avoient fait bonne munition. Le cry de ceux qui demandoient secours donna l'alarme à toute la compagnie, qui pour lors ne presumoit rien moins que telle esmeute, en grand effroy et confusion, et qui la redoubla plus chaude fut le son du toxin que les prestres sonnèrent aussi tost. Or furent ces trois portes susdites fermées, la baterie de pierres et arbalestres commencée, et le toxin sonné en moment si subit qu'il est à presumer qu'en tous ces lieux estoient gens disposez dès auparavant la semonce de cesser la sonnerie; toutes fois en chose si subite et inesperée fut mis si bon et prompt ordre par les evangelistes qu'ayans tiré hors de l'assemblée tous les hommes qui se trouvèrent en estat de deffence, qui estoient fort peu pour une si grande troupe, non moindre (à mon jugement) que de douze à treize mille personnes, asseurèrent si bien les autres qu'après un psalme chanté se continua l'exhortation; cependant se sonnoit tousjours le toxin, avec furieuse baterie de pierres et traits d'arbalestres.

Or y avoit en l'assemblée monsieur le prevost des mareschaux, Rouge Oreille, commis de monseigneur le gouverneur; pour la garde et seureté d'icelle, estoit accompagné de cinq ou de six de ses archers[250], desquels en envoya un pour parlementer avec le curé et faire deffense de par le roy de plus sonner le toxin et jeter pierres; puis il y voulut aller luy-mesme, mais la gresle des pierres et traits d'arbalestres le contraignirent de se retirer bien viste, et sans apporter autre response.

Tel refus et rebellion faite à la justice, se deliberèrent les evangelistes de ne laisser branler longuement cest espouvantail de peuple et appeau de sedition, discourans fort bien en quel danger evident estoit toute leur compagnie. Adonc mieux armez de bon cœur et ardent zèle, qui les incitoit à la tuition de ceste troupe de leurs frères qui se reposoit sur leur deffense et main forte du seigneur, que d'armes deffensives à repousser l'injure de leurs ennemis, ou offensives pour les endommager, tous d'un courage firent tel effort qu'ils foncèrent les portes de l'eglise, qui ne fut executé sans estre plusieurs d'entre eux blessez, qui leur augmente la colère, estant outre plus excitez et encouragez à vengeance par la compassion dont furent saisis quand ils trouvèrent au bas du seuil de l'eglise leur pauvre frère si outrageusement assassiné et meurdry, selon que cy-dessus avons recité. En ceste première furie se presentèrent nombre de prestres et autres mutins embastonnez d'espées, rondelles, longs bois, gros pavez et arbalestres, faisans armes à toute outrance et cruelle resistence, qui dura toutesfois fort peu contre le courageux effort des autres; si que furent tantost espris de frayeur et crainte, dont une grande partie d'eux se sauvèrent dans le cloché, abandonnans laschement leur troupeau qu'ils avoient conduit et exposé à la tuerie et boucherie; et entre autres prestres y avoit monsieur le curé, chef, conducteur et entrepreneur de la mutinerie, gagne le plus haut du cloché, dont avec ses complices ne cessa d'endommager les evangelistes, tant que les munitions qu'il avoit faites de longue main luy durèrent. Je ne puis passer sous silence une furie prodigieuse de certains prestres, enflammez de telle rage que, leur defaillant leurs amas de pierres fais dans l'eglise, montèrent sur les autels, et, de leurs propres mains brisans les images, qu'auparavant souloient tout reveremment adorer, se servoient des pièces à jeter contre leurs ennemis, chose toutesfois moins esmerveillable qu'il ne semble, veu que ceste furie leur est tournée en nature, car il seroit malaisé à juger s'ils estoient plus furieux et maniaques lors qu'ainsi irreligieusement brisoient la chose par eux tant honorée, ou quand ils adoroient choses si insensibles.

Or en ce conflit, qui dura une bonne demie heure, furent blessez des mutins environ trente ou quarante, dont en furent pris prisonniers quatorze ou quinze des principaux chefs et plus apparens; plusieurs se sauvèrent, et fut pardonné à la temerité du seditieux populasse, bien qu'il n'y eust vieille qui n'eust rendu tout devoir à amasser et jeter pierres, ne se sçachans ayder d'armes plus nuisibles; et fut chose digne d'une louable admiration de veoir des cœurs si esmeus et enflambez si soubdain convertis à pitoiable misericorde: car chacun s'efforçoit de conserver et garentir d'estre outragez ces pauvres idiots populaires ne donnant aucun lieu à cruauté ou vengeance.

Ce neantmoins, ceux qui s'estoient renfermez dans le cloché, dont estoit chef le moyne curé, persistoient en leurs entreprinses de branler tant le toxin qu'auroient secours d'autres mutins, pour mettre en pièces toute ceste innocente troupe qui persistoit à ouir la parole de Dieu, qui s'advançoit, et n'y eut autre remède, pour la confiance qu'ils avoient en la forteresse de leur cloché, de les faire cesser que par menace de mettre le feu au pied; et ainsi print fin la dite esmotion; environ lequel temps survient Guabaston, chevalier du guet, accompagné de sept ou huict chevaux[251]. Il restoit, l'exhortation finie, de conduire ce grand peuple sans deffence, et rendre chacun en sa demeure en la plus grande seureté que faire se pourroit, chose qui sembloit fort difficile, et requeroit un grand ordre et prevoiance, veu l'apparente presomption qu'il y avoit en ce grand fauxbourg et mesme en la ville se feust esmeu quelque chose, oyant ce toxin, appeau de sedition, sonné par si longue espace de temps. Or se trouvèrent pour la conduitte environ de cinquante ou soixante chevaux et près de deux cents hommes de pied, ayans espées et dagues, dont le tout fut ainsi disposé: une moitié des chevaux se mist avec Guabaston pour l'avant-garde, l'autre demeura avec Monsieur le prevost Rougeoreille pour l'arrière-garde et conduitte des prisonniers, qui estoient liez deux à deux d'une longue corde, dont y avoit d'entre eux quelques prestres qui portoient fort triste chère[252]. Les gens de pied avoient deux capitaines et estoient divisez en deux bandes et marchoient à la file, tenans un costé de la rue, et le peuple l'autre, qui s'escouloit sous leur garde; en ceste ordonnance fut le tout conduit fort paisiblement et sans aucune confusion. Près la porte Saint-Marceau fut donnée une fauce alarme par aucuns qui se mirent en fuitte à vauderoute, pour avoir veu jeter quelques pierres en une ruelle et accourir grande troupe de populasse qui s'amassoit à les voir passer en ceste nouvelle ordonnance, comme le peuple parisien s'amasse aisement à la moindre nouveauté qui se presente; mais, le tout soudainement rappaisé, fut chacun, par la grâce de Dieu, rendu en sa maison, et les prisonniers conduits au petit Chastelet: voylà le fait de toute la sedition à la pure verité, selon qu'il m'est passé devant les yeux[253].

Mais je ne me puis contenter d'avoir si nuement narré une chose tant memorable, bien que j'aye quasi desjà attaint au but que je m'estois proposé, comme ainsi soit que desjà assez evidemment apparoist de quelle part tourne le tort, et qu'on ne peut plus douter qui sont les premiers moteurs de la sedition. Je me licenciray donc plus outre de faire un brief discours de certaines circonstances bien dignes d'estre remerquées, par le moyen desquelles se decouvrira la source première, cause motive et origine de toute la sedition, et se descouvrira que c'estoit une entreprinse brassée de plus longue main que beaucoup ne pensent, et, apparoissant au vray le danger plus grand que n'en a l'apparence, aurons plus grande occasion de rendre grâces à l'Éternel, qui, par sa bonne et seure veille sur son troupeau, l'a delivré de la gueule gloute des loups ravissants qui avoient tendu leurs lacs pour le ruiner et devorer, et a fait tourner leurs machinations sur leur chef, en grande confusion. Il est donc à sçavoir que, trois ou quatre jours avant l'esmeute advenue, se faisant assemblée au mesme lieu du Patriarche, avoient comme de present sonné leurs cloches les prestres S. Medard à tout branle en mesme intention d'empescher d'ouir la parole de Dieu, et furent dès lors semons par plusieurs d'apparence de cesser un tel son extraordinaire, empeschement trop insupportable, ce que leur fut force de faire, pour la crainte qu'ils eurent, se voyans les plus foibles, d'estre contraints de ce faire par autre voye, le refusans par amitié; qui leur fut de si dure digestion, qu'ils en conceurent tel crève-cœur que dès lors conspirèrent curé et prestres, d'un monopole, la première fois que là on s'assembleroit, de sonner tant que cordes pourroient tirer et cloches branler, et, pour festoyer ceux qui les en voudroyent empescher, se fortifièrent et se munirent de pierres, arbalestres, espées, rondelles et long-bois, s'adjoignans bon nombre des plus mutins et seditieux de toute la paroisse. Estoit chef de l'entreprise monsieur le curé, moyne de S. Geneviefve, lequel avec ses prestres demanda secours de gens et d'armes à son abbé, comme luy-mesme a confessé; mais, pour estre chose de grand advis et deliberation, en consultèrent avec messieurs le Premier et Saint-André, presidens, ensemble le procureur general Bourdin, desquels eurent bon confort et ayde, avec asseurance de les garentir en tout evenement, et de ceste promesse fortifioit au jour de la sedition le curé ses complices prestres et mutins (en ces termes): «Ruez, frappez, tuez, n'espargnez personne; nous avons bons garans, et des plus grans de la ville.» Estans donc fortifiez de tels appuis, plus hardiment divulguoient leur conseil envers ceux que cognoissoient plus enclins à mutinerie, les solicitans de s'adjoindre à leur entreprinse, et par ce moyen de l'un à l'autre fut communiqué à tant de sortes de gens que furent advertis aucuns de ceux qui frequentent les assemblées de ne s'y trouver ce jour de samedy; et mesmes aucuns des conspirateurs, jà s'esgayans comme de ville gagnée, se vantoient dès le matin qu'il se feroit beau carnage de huguenots. Or les principaux nerfs de la sedition estoient au toxin, au son duquel devoit venir secours de Nostre-Dame-des-Champs, S. Victor et S. Geneviefve, et, pour l'attendre en seureté, s'estoient reserrez et remparez les mutins dedans leur eglise, munis et fortifiez de toutes armes necessaires à soustenir le siége. De fait, au premier son, s'achemina grande troupe embastonnée, venant du costé des champs, au devant desquels s'avança une troupe de chevaux; mais, aussi tost que les eurent apperceus, se retira à la fuite toute ceste canaille, et est chose seure que telle diligence faite par les gentils-hommes de cheval les intimida de telle crainte que ceux des autres quartiers, eh oyant le vent, n'osèrent s'esbranler. Aussi furent getées force pierres de quelques maisons voisines de l'Eglise, et faites saillies avec long-bois; mais le tout fut rambarré de si près, et tindrent si peu ceux de l'Eglise, que tous ensemble perdirent cœur, dont les prestres et aucuns autres prisonniers, pendant qu'on les menoit, et depuis en la prison, ont fait maintes complaintes, disans que trop laschement leur avoit esté rompue la foy par ceux qui leur avoient promis secours, et qu'ils s'asseuroient bien, s'ils n'eussent manqué de promesse, qu'ils n'eussent pas esté les plus foibles. Tels regrets plusieurs gens de foy leur ont ouy faire; outre plus est assez confirmée telle conspiration, parce que, dès le matin, avoient les prestres retiré de l'Eglise, en maisons voisines de leurs plus feables, tous leurs reliques, calices, platines, chasubles et ornemens de pris, pour estre plus seurement en tout evenement. Assez d'autres conjectures pourrois-je amener, si je n'estimois ceux-ci assez valables et de suffisante attestation et preuve, laissant desormais au jugement de tous bons cerveaux à prononcer qui a le tort, qui sont les assaillans, rebelles aux edits du roy et seditieux, et selon iceux quelles peines meritent les autheurs, moteurs et complices d'une mutinerie de telle consequence, en la ville capitale de ce royaume, que toutes les croniques françoises tesmoignent avoir de tous temps esté fort encline à toutes sortes d'esmotions et mutineries, dont tous fidèles ont bonne occasion de glorifier le Tout Puissant, protecteur de son eglise, qui par sa main forte a preservé les siens, environnant son troupeau des legions de ses anges, pour leur rempart, au milieu de ses ennemis, et a tellement amoli le cœur du peuple parisien et contenu en tel devoir, qui ne monstra aucune apparence de s'esmouvoir. Or le lendemain se fit le matin, au mesme lieu du Patriarche[254], l'exhortation accoustumée, à laquelle se trouvèrent les evangelistes en bon equipage d'armes accoustumées à porter et belle ordonnance, et y avoit tel nombre de bons hommes de deffense qu'ils avoient assez moyen de se ressentir des coups et outrages qu'avoient receu le jour precedant, et de chastier les seditieux mutins qui leurs avoient couru sus et brassé telle menée pour leur faire à tous perdre la vie. Toutes fois, monstrans que vouloient oublier toutes choses pour le desir qu'avoient de vivre en paix, se comportèrent en telle patience et modestie qu'il n'y a aucun qui se puisse plaindre d'avoir seulement esté outragé de parole, et ainsi en grande paix se retirent en leurs maisons après l'exhortation finie. Mais l'après dinée quelques prestres, qui s'estoient sauvez de la mutinerie le jour precedent, sachans bien que de tout le jour l'on ne se rassembleroit plus audit lieu du Patriarche, voulant en revenge du passé mettre à fin ce que pourroient de leur première entreprise, rassemblèrent grand nombre de populasse seditieux du fauxbourg, sus les quatre heures, à ce que la nuit, qui estoit proche, leur donnast plus seure retraite, qui d'impetuosité brutale rompirent les portes du Patriarche, et, amas de bois fait, mirent le feu dans toutes les chambres d'un grand corps d'hostel, accompagné d'un petit, brisèrent en pièces la chaire du ministre, rompirent tuiles, firent brèche aux murailles d'un grand pourpris de deux jardins, avec tel degast et debris dont se peurent aviser[255], dont le bruit espars par ville parvint aux evangelistes. Quelques gentilshommes avertis montèrent à cheval, et à la course donnèrent jusques audit lieu, où n'arrivèrent que dix ou douze chevaux du commencement, qui mirent toute ceste canaille en fuitte; survenoient tousjours chevaux à la file, qui se trouvèrent à la fin en nombre de quarante ou cinquante. Survint aussi le procureur du roy en Chastelet, avec cinq ou six sergeans; luy furent livrez six ou sept prisonniers; puis, le feu esteint en toute diligence, chacun se retira. Ainsi desgorgèrent le reste de leur venin et fureur enragée sur les maisons, que n'avoient peu executer sur les personnes.

Les choses horribles contenue en une lettre envoyée à Henry de Valois par un enfant de Paris, le vingt-huitiesme de janvier 1589, selon la coppie qui a esté trouvée en ceste ville de Paris, près l'orloge du Palais. Pour Jacques Gregoire, imprimeur.

M.D.LXXXIX

Henry, vous sçavez bien que, si tost que vous fistes mettre la vray croix de Jesus-Christ hors de France[256], bien tost après par dissimulation avez exercé l'estat de la religion catholique, et fut lors vostre cœur environné d'actes et faits damnables.

Vous sçavez bien que, lorsque vous donnastes liberté à tous sorciers, enchanteurs et autres devinateurs, de tenir libres escholes ès chambres de vostre Louvre, et mesme dans vostre cabinet, à chacun d'iceux une heure le jour, pour mieux vous en instruire[257].

Vous sçavez bien qu'avez obligé vostre ame à tels gens.

Vous sçavez bien qu'ils vous ont donné un esprit familier en jouyssance, tiré du nombre de soixante esprits nourris en l'eschole de Soliman, nommé Téragon[258].

Vous sçavez bien que, pour passer plus oultre vostre malignité, avez contrainct iceux sorciers et enchanteurs de transmuer cest esprit en figure d'un homme naturel, ce qu'ils trouvèrent fort estrange; et neantmoins, avec leur art diabolique, ont accordé ceste requeste, et par faicts obliques, en corps et ame, ont faict sortir un diable d'enfer, figuré en homme; et de la region ou il fust premier apparu, ce fut en Gascogne, d'un nommé Nogeno, où il print le nom de Nogaret, ou Teragon, à cause de son premier nom Teragon, et se vint trouver au milieu de ces sorciers et enchanteurs. De bonne volonté le presentèrent à Henry estant au Louvre, accommodé comme un gentil-homme pour son conseil; le roy de Navarre, qui sçavoit la tragedie, luy envoya un homme damné nommé du Beloy, pour l'introduire plus ardemment à trahison.

Henry, vous sçavez bien que, tout aussi tost que vistes Teragon, vous l'appellastes vostre frère, en l'accolant, et la nuict suyvante il coucha dans vostre chambre, seul avec vous dans vostre lict.

Vous sçavez bien que toute la nuict il tint sur vostre ventre droict au nombril un anneau, et sa main liée dans la vostre, et fust le matin vostre main trouvée comme toute cuitte; et meit sur icelle un applic, et ce matin il vous monstra que dans la pierre de son anneau estoit la vostre ame figurée.

Vous sçavez bien que toute la nuict, sur ce serment damné, il vous enseigna mille trahisons et violenses assasinatiques. Henry, vous sçavez bien que, pour mieux couvrir vostre charme et l'honneur de vostre frère Teragon, l'avez mis en parenté d'un nommé de la Valette, ce qu'il trouva fort estrange, mais par grands dons y accorda cest accueil. Le dict de la Valette a juré et faict grand serment que ce Nogaret ou Teragon ne fust jamais son frère[259], et en a asseuré le roy de Navarre.

L'on tient que ce dit Teragon eust affaire un certain jour à une fille de joye en la chambre secrette, de quoy icelle cuida mourir, suivant le recit qu'elle en a faict à ses privez amis, certifiant que Nogaret ou Teragon n'est point un homme naturel, parce que son corps est trop chaut et bruslant.

Madame la comtesse de Foix, sa femme, laquelle dict qu'elle aime mieux mourir que d'estre habitée de luy, et a dict que son mariage a esté faict par sort et par charme, et du tout contre sa volonté, et que la première nuict fut Teragon d'elle esvanouy, et puis le matin se trouva couché près d'elle, et alors iceluy Teragon la vouloit depuceler, elle ne sçeut endurer sa chair si chaulde qu'elle estoit, dont le jour ensuyvant ne cessa de plorer devant sa tante.

Or de croire cest effect damnable de ce diable desguisé est possible, car un conte de Flandres espousa le diable en figure de femme.

A Lucques, le primat tenoit le diable en figure d'un page.

A Toscane, une dame de nom tenoit une fille qui devinoit tout, et estoit un diable, comme enfin fut apparu.

En la ville de Bordeaux, un diable a esté veu un mois entier par la ville, monté sur un cheval, figuré en homme; et, en fin du temps predit, emporta un homme à luy voué par achapt.

En Angleterre, le roy Edouard tenoit Gaverston, qui enfin fut trouvé diable desguisé, et fut cause que ce roy fist mourir des bons seigneurs; dont, pour sa juste recompense, ce roy Edouard fut vif embroché en fer bruslant.

Toutes ces choses icy, ce sont des advertissemens à tous seigneurs de laisser Henry: car la verité est telle que tout homme ayant l'ame bonne accompaignant Henry, tous y seront perdus, par guerre ou par sort, ou par charmes, ou par femmes desbordées ou trahison: car c'est chose asseurée que l'estat du diable, regnant avec Henry, oste la vie, le renom, la gloire, l'honneur et la vertu des hommes.


Dialogue de Henry le tyran et du grand sorcier d'Espernon, pour faire mourir Monseigneur de Guise.

D'Espernon parle.

Sire, qu'attendez-vous? Voilà le Guysien
Qui, comme une brebis amiable innocente,
Vers vous, trop cauteleux, pour mourir se presente:
Car, veu qu'avez juré, il s'asseure trop bien.

Henry.

N'a-t-il de l'entreprise encore entendu rien?

D'Espernon.

Vostre amitié luy est autant qu'à moi plaisante;
Il faut le despecher.

Henry.

J'y ay bien mon attente;
Puis le peuple de Blois n'est pas Parisien.

D'Espernon.

Et que craignez-vous donc?

Henry.

Je doute d'une chose,
Qu'on vengera sa mort, parquoy si tost je n'ose
Que je ne sois certain d'avoir quelque secours.

D'Espernon.

Ne craignez rien; je vay armer cent mille diables,
Terribles à chacun, mays à moy amiables,
Qui pourront tout destruire en moins de quatre jours.

Par tout gaillard.


Invocation des diables pour le secours de Henry le tyran, faicte par le grand sorcier d'Espernon.

Trouppes des bas enfers, gendarmes sataniques,
Qui les lieux souterrains terribles habités,
La voix du magicien d'Espernon escoutés,
Vostre plus grand amy, frère des heretiques.
Sortez, sortez, soldats des antres plutoniques;
De venir au secours de vostre Henry hastés;
Venez, venez icy, en armes apprestés:
Nous voulons à ce coup chasser les catholiques.
Capitaine Astarot, sors de tes bas manoirs,
Ameine nous cent mil de tes gendarmes noirs,
Que renge Lucifer soubs sa noire cornette.
Desployez, mes amis, en l'air vos estandars,
Le vaillant Belzebut face de toutes parts
De peur trembler le peuple, au son de sa trompette.

Le Cochon mitré,[260]

Dialogue.


L'abbé Furetière, Scarron.

L'abbé Furetière.

Ah! je vous trouve enfin, Monsieur Scarron, après vous avoir cherché inutilement! Je ne sçai pas le temps que j'y ai mis, car, à vous dire le vrai, je suis fort desorienté depuis que je ne vois plus de Soleil ni de Lune.

Scarron.

Qui êtes-vous, ne vous deplaise? car vous voyez, ou vous ne voyez pas, que les morts n'ont ni barbe au chapeau, ni rien qui fasse reconnoître la difference du sexe. Je ne sçai si je suis homme ou femme, car, lorsque je me tâte, je ne trouve rien.

L'abbé Furetière.

Je suis l'abbé Furetière. J'ai poursuivi en vain un evêché pour pouvoir vivre en cochon; mais, dans le temps que je l'esperois le plus[261], la Parque a coupé la trame de mes jours un peu plus avant qu'au milieu de ma course[262].

Scarron.

Oh! vous soyez le bien venu, Monsieur l'Abbé! Vous ne serez pas icy tout à fait comme dans Paris, mais aussi vous y entendrez moins de tabut[263] et de tracas. Au reste, je ne sçai ce que c'est ni de procez, ni de maladie, ni de maltote, depuis que j'y suis. Comment vous y trouvez-vous?

L'abbé Furetière.

Je n'y ai pas encore senti de froid. Pour si bien fourré que je fusse là haut, j'y etois presque toujours transi durant six mois.

Scarron.

Je vous repons que le froid ne vous rendra jamais transi dans ces bas lieux; ceux qui font les esprits-forts là haut ne courent pas risque de se morfondre dans ces climats: on y est un peu plus chaudement que dans ceux de la zone torride. Il n'y a pas long-temps que j'ai vu notre illustre Balzac; il ne se plaint plus de son rhume, comme il faisoit sur les bords de la Charante, et Botru ne lui reprochera plus qu'il se morfond à parler de lui-même la tête decouverte[264]. Que nous apportez-vous de nouveau?

L'abbé Furetière.

Je m'imagine que vous êtes dans l'impatience de sçavoir ce que fait madame Scarron?

Scarron.

Je ne sçai que trop de nouvelles de ma Guillemette[265]. Le marechal d'Albret m'en a dit plus que je n'en voulois sçavoir[266]. Je sçai qu'elle est Duchesse, qu'elle a un Tabouret, qu'elle est même du Cabinet, et qu'elle rend au Roi les services que Livie rendoit à Auguste; mais, la Vilaine qu'elle est, que ne faisoit-elle Duc son mari très marri?

L'abbé Furetière.

A vous ouïr, il semble que vous avez perdu ici-bas cette force d'esprit que vous aviez là haut; est-ce que vous ne sçavez pas qu'elle vous avoit ombragé la tête d'un pennache de Cerf? Pouviez-vous eviter le cocuage, ayant une Femme d'esprit, jolie et galante, avec votre mine d'Esope et votre cul de jatte!

Scarron.

Je me fusse consolé de cette disgrace avec tant de compagnons de mon sort, si avec son sçavoir faire elle eût fait augmenter ma pension de malade de la Reine[267]; mais, la coquine qu'elle est, je n'en ay reçu autre profit qu'une garnison importune, contre laquelle il me falloit sans cesse recourir à l'unguentum grisum contra, etc. Parlez-moi, je vous prie, d'autres gens dont le souvenir ne me puisse pas chagriner comme celui de la Duchesse de Maintenon. Un mot de l'Academie Françoise.

L'abbé Furetière.

J'y viendrai après avoir dit ce mot de votre fameuse duchesse: c'est qu'elle est très bien avec le confesseur du roi, et qu'elle charrie[268] assés bien avec la Montespan.

Scarron.

Oh! je ne m'etonne pas si la lubrique a pris ce parti-là. Il n'y a ni telle chair que celle des avares, ni telle galanterie que celle des Religieux. Quand ces Tartuffes se mettent en besogne, ils y vont et de la tête et de la queue, comme une Corneille qui abat des Noix. C'est un Jesuite, c'est tout dire: depuis que ces galants sont au monde, il n'y en a presque que pour eux, au moins dans Paris. Ils ont si bien fait qu'on a changé le Proverbe; on disoit bien toujours: Jacobin en Chaire, Cordelier en Chœur, Carme en cuisine; mais on ne dit guère plus Augustin, on dit Jesuite en Bordel. Que fait-on donc dans l'Academie Françoise?

L'abbé Furetière.

On y fait d'aussi grandes sottises qu'en pas un lieu du monde; jugez de la pièce par cet echantillon: Jamais cette Compagnie n'a reçu tant d'honneur qu'elle en a presentement, le Roi l'ayant logée dans le Louvre[269]; cependant ces beaux messieurs s'y battent en drilles comme dans un Cabaret. Sur une affaire de rien, Charpentier en vint si avant l'autre jour avec l'abbé Talemant que de lui reprocher qu'il étoit fils d'un banqueroutier de la Rochelle; à quoi Talemant repliqua que Charpentier etoit fils d'un cabaretier de Paris. De ces injures de hales ils en vinrent aux coups. Charpentier jetta à la tête de Talemant un Dictionnaire de Nicot, et Talemant, de son côté, jetta à la tête de Charpentier un Dictionnaire de Monet[270]. Oh! que vous eussiez bien fait rire le monde si vous eussiez decrit cette bataille du stille de votre Typhon!

Scarron.

Si je me fusse trouvé là, je les eusse laissé battre tout leur saoul. Ils se rendoient justice respectivement, et ceux qui les separèrent etoient dignes d'une amende, d'avoir empêché le cours de la justice pour deux marauts qui meritoient les etrivières. Et vous, quelle figure faisiez-vous là?

L'abbé Furetière.

Je n'avois garde de me trouver là, car j'etois en procès avec eux au sujet d'un Dictionnaire que j'avois mis au jour; mais tout ce qui s'est passé et dit de part et d'autre ne vaut pas votre factum, surtout cette Epigramme contre la Dame que vous aviez pour partie[271].

Grand nez digne d'un camouflet,
Belle au poil de couleur d'orange,
Mâchoire à recevoir souflet,
Portrait de quelque mauvais Ange,
Face large d'un pied de Roi,
Gros yeux à la prunelle grise,
Tu veux donc plaider contre moi
Jusques à manger ta chemise?
Ah! si tu gardes ton serment,
Soit que je gagne ou que je perde,
Que j'aurai de contentement
De te voir manger tant de merde!

Scarron.

A une autre matière, celle-là pour vos plaideurs, Talemant, Charpentier, et autres academiciens jettoniers[272]. Venons à mes cochons mitrez. Comment se portent-ils?

L'abbé Furetière.

Je vous entends: jamais sobriquet n'a eté donné avec plus de justice que celui de Cochon Mitré à messeigneurs les prélats. Dans toute la Bretagne, pendant le séjour que j'y ait fait, je n'ay point ouï designer les Chanoines autrement que par celui de porcs de Dieu. Mais ils ne portent point la mître: laissons-les là.

Scarron.

Il n'y a rien qui me plaise à l'egal de la chronique scandaleuse. Lorsque j'etois là haut, c'estoit pour moi un regal.

L'abbé Furetière.

Jamais elle ne fut ni plus chargée, ni plus forte. Jamais les Dames ne furent plus effrontées; je n'en excepte pas même le siècle de Caligula et de Neron. Jamais la debauche ne fut plus outrée, et jamais le Bordel ne fut tant frequenté par les Mitrez. Aussi quand l'Assemblée du Clergé tient, on dit communement que c'est une Assemblée de Cochons; et les Maquereaux du Clergé ne sont connus que sous le titre de Marchands de Cochons.

Scarron.

N'y a-t-il pas dans ce troupeau quelque Mouton, ou ce que Virgile appelle dux gregis? Vous m'entendez bien?

L'abbé Furetière.

Point de Mouton, point d'Eunuque. Il n'entre point de ces animaux mutilés dans le Serail du Roi Très Chretien; on trouveroit plutôt du poil dans le creux de la main, et une Femme belle et chaste à la Cour, qu'une de ces bêtes parmi les Cochons Mitrez. Pour le chef du troupeau dont parle votre Virgile, il y en a un à la tête des Cochons Mitrez, qui en a la plus essentielle qualité, sans en avoir ni les cornes ni la barbe. Ce Bouc, aujourd'hui, c'est celui à la louange duquel vous fites la Chanson si fameuse: Ce que fait et deffend l'archevêque de Rouen[273].

Scarron.

N'est-ce pas aujourd'hui François Harlay-Quint, Archevêque de Paris[274].

L'abbé Furetière.

C'est lui-même en corps et en âme. Un Bouc n'a pas plus de poils que ce Prélat a de Maîtresses[275]. Il a un fonds qui ne s'epuise point, et est ardent à la curée comme un Bouc.

Scarron.

Je l'ai fort connu. Il etoit presque toujours à Paris, quoi qu'Archevêque de Rouen. C'est justement ce qu'il falloit à ce Bouc. Franchement, si Paris est l'Enfer des chevaux[276], c'est le Paradis des Boucs et des Cochons aussi bien que des Putains. Je juge assez de ce qu'il fait presentement par ce que je lui ai vu faire. Passons à nos cochons.

L'abbé Furetière.

Vous me dispenserez de vous parler de tous. Ils n'en valent pas la peine pour la plupart. Je ne vous dirai qu'un mot de ceux que vous avez ouï prêcher dans Paris avec l'applaudissement de la Cour, et qui vivoient en quelque odeur de Sainteté tandis qu'ils etoient dans la compagnie des Pères de l'Oratoire: c'est le Père le Bouc[277] et le Père Mascaron, celui-là Evêque de Périgueux, et celui-ci Evêque d'Agen.

Scarron.

Quoi! ces deux fameux Predicateurs sont aussi du nombre des Cochons Mitrez? Je les avois pris bonnement pour des moutons.

L'abbé Furetière.

Vous vous y trompez, avec tout votre discernement: c'etoit, quand je partis, deux francs Cochons. Je ne sçai pas si la Mitre a la vertu de faire des metamorfoses; mais il est sûr que l'Evêque de Perigueux ne laissoit pas une belle Religieuse dans son Diocèse sans la cochonner.

Scarron.

La bonne bête! C'est celui qui, ne trouvant pas assez de grain dans le Diocèse d'Agde, fit au Roi ce compliment: Sire, je suis né gueux, j'ai vecu gueux; mais, s'il plaît à Votre Majesté, je veux PÉRIR GUEUX[278]. Et le bon Jule Mascaron! c'est un autre cochon; il a trouvé à Agen plus de paille et de grain qu'il n'en avoit à Thule[279].

L'abbé Furetière.

Il a de la paille par dessus le ventre et du grain jusqu'aux oreilles; aussi vit-il à guoguo. Toutes les Dames d'Agen s'empressent pour lui donner du plaisir. De son côté, il tâche de ne pas leur donner de la jalousie; il y fait de son mieux. La R....use est pourtant sa favorite. Ils se trouvent frequemment tous deux à Beauregard, et dans le tête à tête ils font ce qui se doit faire pour faire un tiers[280]. Il y a sans doute bien d'autres choses plus fortes dans l'histoire de ces deux Prélats, car, quand on est devenu Cochon, le ventre n'a point d'oreilles, le bruit public ne fait point de peur; mais ce que vous allez ouïr, si vous voulez, des exploits de l'Evêque de Laon depuis quelques années, le cardinal d'Etrée[281], vous fera juger de quoi est capable un Cochon Mitré.

Scarron.

Comme j'ai fort connu la force de son genie, je ne doute pas de son savoir-faire. Il faut qu'il ait poussé la cochonnerie bien avant.

L'abbé Furetière.

Ce que j'ay à vous dire de ce Cochon justifiera le presage que vous en avez fait. Vous saurez donc que, le cardinal d'Etrée etant devenu passionné de la marquise de Cœuvres, laquelle etoit soupçonnée d'avoir accordé au duc de Seaux[282] la dernière faveur, il voulut y avoir part; pour cet effet, ayant averti son neveu, le marquis de Cœuvres, du commerce scandaleux que sa Femme avoit avec le Duc, les Parents s'assemblèrent chez le Marechal d'Etrée[283], où il fut resolu de mettre cette infidèle en Religion contre l'avis du bon Homme, qui etoit le plus sage de tous. Vous faites bien les delicats, dit-il; vous ne seriez pas ici non plus que moi si nos Mères n'avoient forligné. Nous sçavons ce que nous sçavons, mais sçachez que le plus beau de notre nez ne vient que d'emprunt, et nous avons en ligne directe, aussi bien qu'en collaterale, tant de sujets de nous louer des habiles Femmes que nous avons en notre Maison, que je m'etonne que vous en vouliez bannir celles qui leur ressemblent. Quand j'ai marié mon petit-fils de Cœuvres avec mademoiselle de Lionne, croyez-vous que j'aye consideré ni qu'elle etoit fille d'un ministre d'Etat, ni son bien, ni son credit? Ce sont des veuës trop bornées pour un homme de mon âge et de mon experience. Toute ma pensée a eté qu'etant belle comme elle etoit, elle pourroit faire revivre la grandeur de notre maison, laquelle, comme vous savez, tire toute sa consideration, non pas du côté des mâles, mais du côté des femelles[284]. Si je me suis trompé, ce n'est pas ma faute: mon intention a eté bonne en cela. Ainsi, puisque la marquise de Cœuvres n'est blamée que pour avoir recherché les plaisirs que la nature nous permet, je me declare son protecteur. Que tout cela cependant se passe entre nous sans que la cour en soit abreuvée. Les plus courtes follies sont les meilleures[285], et nous n'avons que faire que tout le monde rie à nos depens.

Scarron.

Je reconnois dans cet avis l'esprit fort et les inclinations nobles de la fameuse Gabrielle d'Etrée, Maîtresse du grand Henry. Que fut-il donc fait de la pauvre marquise? car le couvent n'accommode guères les Dames qui ont une fois goûté les plaisirs de la Cour.

L'abbé Furetière.

Le Cardinal d'Etrée ne trouva pas bon, non plus que le Marechal, de publier la turpitude de sa Nièce; mais il se chargea du soin de la mettre sur le bon pied, à quoi le Marquis de Cœuvres, son Neveu, donna les mains, ne pensant pas qu'il livroit la Brebis au Loup. Le Prelat s'en va vite trouver la Nièce: «Je viens, lui dit-il, Madame, de vous rendre un service considerable. Toute la famille etoit dechainée contre vous, et ne parloit pas moins que de vous envoyer en Religion. Je sçai bien, Madame, qu'on ne vous rendoit pas justice; mais enfin c'en etoit fait si je n'eusse pris votre parti. Cela meriteroit quelque recompense pour un autre; mais, pour moi, je serai toujours trop satisfait si vous me permettez seulement de vous voir et de vous aimer.»

Scarron.

Voilà qui est bien debuter: les suites repondront sans doute à un si beau commencement. Je vois une place assiegée dans toutes les formes. La Tranchée s'ouvrira bien-tôt.

L'abbé Furetière.

Elle ne se rendra que la brèche ne soit faite. «Je suis bien malheureuse, dit la Marquise, de me voir accusée injustement; et, quoi que je ne veuille pas nier que je vous sois obligée, vous me permettrez neanmoins de vous dire que vous effacez bien tôt cette obligation par votre procédé. Vous devriez vous ressouvenir de votre caractère et de ce que nous sommes, si vous ne voulez pas avoir egard à ma vertu et à ce que je dois à mon mari. Mais je voi bien ce que c'est: les contes qu'on a faits de moi vous ont donné cette audace, et j'aurois encore lieu de vous estimer si vous n'aviez cru qu'ayant dejà quelque penchant au crime, j'aurois moins d'horreur pour celui que vous me proposez.»

Scarron.

Peste! je plains ce Prélat. Qui eût cru que la Marquise se fût si bien deffendue? Il est vray qu'un Cochon contre une Lionne[286], la partie n'est pas bien faite.

L'abbé Furetière.

Donnez-vous patience. Un Cochon Mitré a la force, le courage d'un Lion; vous allez voir la valeur du Sang d'Etrée. Le Prelat, devenu plus amoureux par cette resistance, resolut de veiller de si près à la conduite de sa Nièce, qu'il lui fit faire par crainte ce qu'il n'avoit pu lui faire faire par amour. Il fit si bien, en effet, qu'il surprit le Duc de Seaux couché dans le lit entre Madame de Lionne et la Marquise de Cœuvres[287]. Et quand il fit ce coup il etoit accompagné de Monsieur de Lionne. Je vous laisse à penser la confusion où fut Madame de Lionne voyant son Mari, et la Marquise voyant le Prelat qu'elle avoit repoussé avec tant de vigueur. La Marquise, s'etant aprochée du Prelat, qui vouloit que l'on tuât tout: «Ne me perdez pas de reputation, lui dit-elle, et, pourvu que vous apaisiez mon père et que vous cachiez la chose à mon Mari, je vous promets de n'en être pas ingrate[288]

Scarron.

Je croi que le pauvre cocu fut bien ebaubi, ayant trouvé un homme en chair et en os couché entre sa Femme et sa Fille[289].

L'abbé Furetière.

Il en fut si etonné, qu'il ne l'auroit pas eté davantage quand les cornes lui fussent venües effectivement à la tête.

Scarron.

Et le Prelat, que fit-il après ce bel exploit? Voilà la brèche faite, j'entens battre la chamade; la place est plus qu'à demi renduë.

L'abbé Furetière.

Vous le prenez fort bien. Le Prelat fit trouver bon au Père de la marquise d'ensevelir toute l'affaire dans un profond silence[290]; et lui, sous prétexte d'aller faire une correction à sa nièce, la mena dans sa chambre, où, l'ayant sommée de lui tenir parole, elle ne l'osa refuser, de peur qu'il ne la perdît auprès de son mari et de toute sa famille.

Scarron.

Voilà un Cochon bien content. Brave Cochon! digne Prelat! digne Cardinal!

L'abbé Furetière.

Le Prelat ayant obtenu ce qu'il desiroit, comme il ne pouvoit ignorer qu'elle ne l'avoit fait que par crainte, il eut peur qu'elle ne retournât à ses premières affections; si bien que, pour la depayser, il fit en sorte que son Mari l'envoyât dans ses terres, qui etoient voisines de son Evêché. Cela produisit un bon effet, car il fit une residence plus exacte qu'il n'avoit fait encore dans son Diocèse. Ce petit commerce d'intrigue dura un an ou deux; mais, des intrigues d'Etat ayant appelé hors du Royaume le Prelat[291], l'ambition prit la place de l'amour, et finit un inceste à quoi la Marquise ne s'etoit abandonnée qu'à son corps deffendant.

Scarron.

A ce que je vois, il y a des Cochons en chapeau de Cardinal aussi bien que des Cochons mitrez. Mais je crois qu'ils sont rares.

L'abbé Furetière.

Puisqu'il y a plus d'evêques que de cardinaux, et que presque tous se tiennent à Rome, c'est la raison pourquoi on voit fort peu de ces Cochons Rouges dans les Provinces. Le Cardinal de Bonzi[292] fait assez de bruit dans Montpellier; le cardinal de Bouillon[293] en a assez fait à la cour, et le cardinal de Furstemberg[294] commençoit à en faire plus que tous les autres quand je pris le chemin de ces lieux profonds.

Scarron.

Sixte cinquième fut donc gardeur de Cochons quand il fut Pape, tout comme il l'étoit au Village de Montalte. Voilà qui est plaisant: le Pape gardeur de Cochons! Eh! que deviendra la dignité des Rois, lesquels se font honneur de se dire les fils Aînés et les fils Cadets du S. Père? Les Rois sont donc fils de gardeurs de Cochons? Mais poursuivez, monsieur l'Abbé, l'histoire du Cochon mitré.

L'abbé Furetière.

Je l'acheverai, si vous n'êtes pas ennuyé, par l'histoire de l'Archevêque Duc de Rheims[295].

Scarron.

Comment Diable, c'est aussi un Cochon? Je croyois que c'etoit un cheval. Il me semble l'avoir ouï apeler ainsi par quelqu'un des nouveaux venus.

L'abbé Furetière.

Il est vrai que le Maréchal de la Feuillade lui fit cet honneur que de l'apeler un jour Cheval de Carosse.

Scarron.

De Cochon à Cheval, c'est un degré d'honneur; à Cheval de Carosse, c'est un autre degré. La Feuillade est-il distributeur des titres dans la Maison du Roi? A-t-il plus de sens qu'au temps de Mazarin, qui ne le voyoit jamais qu'il ne lui dît: Monsieur de la Feuillade, vous n'avez point de Cervelle[296]?

L'abbé Furetière.

Il n'est pas accusé d'en avoir trop. Tant y a qu'il fit rire le Roi au sujet de l'Archevêque de Rheims. Il etoit avec le Roi à une fenêtre de Versailles qui regarde la grande rue par où l'on vient de Paris. Le Roi ayant decouvert un Carosse à plus de six Chevaux: Voilà, dit-il, un bel equipage; il semble que c'est la livrée de l'archevêque de Rheims[297].—Il est vrai, dit la Feuillade.—Mais ne voilà que sept chevaux, dit le Roi.—Sire, repliqua la Feuillade, Votre Majesté ne voit pas le huitième.—Où est-il donc? dit le Roi.—Il est dans le Carosse, repondit l'homme de peu de Cervelle. Mais je pretens degrader cet Archevêque et faire voir qu'il n'est qu'un Cochon Mitré, non plus que les autres Prelats.

Scarron.

Ah! je vous prie, Monsieur l'Abbé, pour l'amour du nom Le Tellier, à qui l'Etat est si redevable, ne lui ôtez pas le titre que la Feuillade lui a donné du consentement même du Roi.

L'abbé Furetière.

De grâce, entendons-nous. Je ne veux pas dire que l'Archevêque de Rheims ne soit un Franc Cheval de Carosse; son naturel fanfaron et brutal paroît assez partout où il affecte de paroître[298], pour ne pouvoir pas lui contester le titre dont la Feuillade l'a mis en possession: car, soit qu'il parle de Théologie, soit qu'il s'entretienne avec les Dames, soit qu'il mette le nez dans les affaires de l'Etat, soit qu'il joue à la bassette, soit qu'il mange, soit qu'il boive, il est cheval per omnes Casus. On ne vit jamais animal mieux formé[299], on ne vit jamais un prelat mieux intentionné; il est constant qu'il veut toujours plaire, mais il est si malheureux qu'il ne peut jamais faire ce qu'il veut. C'est donc un franc cheval de carosse à cet égard; mais à un autre égard, quand il est question des Ministres d'amour, c'est un Cochon Mitré.

Scarron.

Il marche donc sur les traces du Cochon en Pourpre? Il ira bien s'il ne s'écarte pas!

L'abbé Furetière.

Il est allé dejà aussi loin en qualité de Cochon Mitré; mais je serai fort trompé s'il va jamais aussi loin pour attraper le Bonnet Rouge[300]. J'ai laissé la Cour de France si fort brouillée avec la Cour de Rome[301], qu'il faut que les affaires changent du noir au blanc pour que l'Archevêque de Rheims puisse attraper le bonnet tant desiré par les Cochons Mitrez.

Scarron.

Caligula avoit honoré un de ses chevaux de la dignité de Senateur; le Pape pourroit bien, comme successeur de cet Empereur Romain, appeler dans son senat notre Cheval de Carosse.

L'abbé Furetière.

J'y consens volontiers. Cependant il sera toujours, s'il vous plaît, un Cochon Mitré, comme l'Evêque de Laon avant qu'il fût le Cardinal d'Etrée. Voici le fait: La Duchesse d'Aumont[302] ayant chassé une de ses femmes de chambre parce qu'elle avoit un commerce amoureux avec le marquis de Villequier[303], son beau-fils, cette fille, outrée de douleur de se voir eloignée de son galant, lui dit, pour se venger, que l'archevêque de Rheims couchoit avec la duchesse d'Aumont toutes les fois que le duc alloit à Versailles. Quoi! mon Oncle! s'ecria en même temps le marquis tout etonné. Ah! j'ai peine à le croire, et tu n'es qu'une medisante!

Scarron.

Il y a de l'apparence. M. l'archevêque de Rheims coucher avec la Duchesse d'Aumont, la femme de son beau-frère[304]! Ne voyez-vous pas l'esprit vindicatif de cette fille, et que, si sa maîtresse l'eût laissée en paix avec le marquis, elle n'eût eu garde de rien dire?

L'abbé Furetière.

Ecoutez la suite, et vous verrez que l'esprit de vengeance n'a servi à autre chose qu'à decouvrir la verité et à l'épandre par toute la Cour. «Puisque vous êtes incredule, dit-elle au marquis, je vous le ferai voir dès que monsieur le duc ira à Versailles». Elle lui tint parole. Ayant demandé pour toute grace à la duchesse qu'elle pût demeurer deux jours dans la maison, elle l'obtint, et, le duc etant parti, elle posta le Marquis en lieu propre à le satisfaire. Il vit entrer l'archevêque avec une lanterne sourde à la main et le nez dans son manteau, ce qui ne lui permit plus de douter de ce que la fille lui avoit dit.

Scarron.

C'etoit peut-être un fantôme et un diable galant et amoureux qui avoit pris, pour se faire honneur, la forme de l'archevêque.

L'abbé Furetière.

Le marquis ne crut pas s'être trompé. Il partit au plus grand matin de Versailles, et conta à tous les Courtisans de son âge tout ce qui s'etoit passé et tout ce qu'il avoit vu. En même temps cette nouvelle se repandit par toute la Cour. Le marquis de Louvois ne voulut jamais croire qu'elle vînt de son Neveu; mais, n'en pouvant plus douter après le temoignage de tant de personnes differentes, il lui lava la tête autant que son imprudence le meritoit.[305]

Scarron.

Brave! brave! encore une fois brave l'archevêque de Rheims, de savoir si bien planter des cornes et faire si bien cocu son Beau-frère!

L'abbé Furetière.

Il est plus brave que vous ne pensez, puisqu'il a fait cocu son neveu aussi bien que son Beau-frère.

Scarron.

Il mange donc les poules et les poulets, ce brave Cochon? Le voilà de bon appetit. N'avez-vous pas l'esprit un peu satirique?

L'abbé Furetière.

Vous allez ouïr la pure vérité. L'archevêque s'etant rendu amoureux de sa Nièce d'Aumont[306], femme du marquis de Crequi, il resolut de s'etablir auprès d'elle sur les ruines de son Mari. Il lui declara donc que son Mari etoit amoureux ailleurs, et, ayant jetté le trouble dans son esprit par cette nouvelle: «Que vous êtes folle, Madame, lui dit-il, de vous en fâcher, comme si vous n'aviez pas à lui rendre le change! S'il a fait une Maîtresse, vous n'avez qu'à faire un galant: l'un vaudra bien l'autre, et je crois que c'est là le meilleur conseil qu'on vous puisse donner.

Scarron.

Ah! pauvre marquise, je te vas bientôt voir cochonnée. Achevez, je vous prie, que je voye la fin de la comedie.

L'abbé Furetière.

La marquise ne topa point à la proposition; au contraire, elle fut fort surprise de voir son Oncle dans ces sentimens, lui qui devoit l'en détourner si elle eût eté de cet avis-là. Ainsi, n'ayant pas trouvé son compte avec elle, il prit le parti de s'expliquer mieux, ce qu'il fit en termes si intelligibles qu'elle ne douta point qu'il ne voulût être de moitié de la vengeance. Elle trouva cela horrible pour un Archevêque et pour un Oncle.

Scarron.

Avec tout cela je vois à travers tout ce nuage le cochon victorieux et la marquise cochonnée.

L'abbé Furetière.

En effet, comme elle recevoit beaucoup de bien de l'archevêque et qu'elle en esperoit encore davantage à l'avenir, elle ne jugea pas à propos de le mortifier, comme elle aurait fait sans cette consideration. Cela le rendit encore plus amoureux, s'imaginant qu'il y avoit de l'esperance pour lui; et, pour boucher les yeux au Mari, il proposa de le defrayer, lui et toute sa maison[307].

Scarron.

L'argent est le nerf de l'amour aussi bien que de la guerre. Le pauvre marquis en fût aveuglé, je le vois bien.

L'abbé Furetière.

Eh quoi donc! le pauvre Cocu fut si touché des offres de l'Archevêque, rapportant toutes ses bontés à la qualité d'Oncle, et non à celle d'Amant, qu'il en temoigna partout sa reconnoissance. C'est-à-dire qu'il etoit fort reconnaissant de ce que son Oncle couchoit avec sa Femme en bien payant. Le Marechal de Crequy, son père, ne prit pas l'affaire dans ce biais; il fut choqué des liberalitez excessives de l'Archevêque, sachant que les prelats les plus saints n'etoient que des Adultères, que des Incestes, que des Cochons, en un mot. Il s'en plaignit au Marquis de Louvois[308], lequel eut cette reponse de son digne Frère: «Ce que vous en faites, lui dit-il, n'est que par jalousie; tout riche que vous êtes, vous êtes encore assez interessé pour craindre que ma succession ne vous echappe. Le Marechal ayant appris du marquis le peu de succès qu'il avoit eu dans ses remonstrances, il s'adressa au Roi[309], qui commanda à l'heure même à l'Archevêque de se retirer dans son archevêché[310], ce qui fut fait. Le Prelat, prenant le temps qu'on accommodoit toutes choses pour son depart, fut dire Adieu à la marquise, laquelle il conjura de se souvenir que c'etoit pour l'amour d'Elle qu'il alloit souffrir l'exil.

Scarron.

Si j'etois sensible aux maux des vivans, je le serois beaucoup à la douleur de ce bon Prelat, le voyant forcé à s'eloigner d'une nièce qui fait tous ses plaisirs. N'avez-vous pas laissé quelque autre Cochon Mitré là haut? Les recits que vous m'avez faits sont divertissans.

L'abbé Furetière.

Il n'y a point d'Evêque, ni d'Archevêque, ni de Cardinal, qui ne soit aussi cochon que l'Archevêque de Reims et le cardinal d'Etrée; l'Evêque de l'Escure est peut-être le seul dont la vie n'est pas cochonne comme celle des autres, parcequ'il n'a pas le grain en abondance comme eux. Je vous ai entretenu de ces deux Prélats plutôt que de l'Archevêque de Paris, de l'Evêque de Meaux, de l'Evêque de Beauvais, de l'Evêque de Valence et de tous les autres, parce qu'ayant ouï raconter les vies de ces deux Prelats sur lesquels je me suis etendu quelques jours avant ma mort, j'en ay retenu les idées plus fraîches. Mais avec le temps et un effort de reminiscence je pourrai vous entrenir de la vie de tous les Cochons; outre qu'il arrive ici tous les jours assez de gens de Paris: il s'en trouvera quelqu'un qui pourra nous fournir la matière de plusieurs semblables entretiens.

Scarron.

On aura donc enfin une histoire qu'on pourra appeller veritable, dont l'autheur ne pourra pas être soupçonné de flatterie non plus que de haine, puisque les morts, ne craignant ni n'esperant rien de la part des vivans, ne peuvent être rien moins que flatteurs et passionnez.

L'abbé Furetière.

On aura de plus une histoire curieuse de tous les Evêques, qu'on pourra appeler l'histoire cochonnée, de même qu'on dit l'histoire auguste en parlant de celle des Empereurs.

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