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Variétés Historiques et Littéraires (07/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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The Project Gutenberg eBook of Variétés Historiques et Littéraires (07/10)

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Title: Variétés Historiques et Littéraires (07/10)

Editor: Edouard Fournier

Release date: March 18, 2015 [eBook #48519]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Guy de Montpellier, Christine
P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team
at http://www.pgdp.net

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES (07/10) ***

VARIÉTÉS
HISTORIQUES
ET LITTÉRAIRES

Recueil de pièces volantes rares et curieuses
en prose et en vers

Revues et annotées

PAR
M. ÉDOUARD FOURNIER

Tome VII

Décoration.

A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
M.DCCCLVII

Manifeste et predictions des plus veritables affaires qui se doivent passer en France cette année 1620, par le sieur de la Bourdanière[1], grand mathematicien.

À Paris, jouxte la coppie imprimée à Lyon, par Robert Marie, imprimeur et libraire. 1620.

Avec permission. In-8.

Cette année 1620, Saturne sera retrograde, Mercure inconstant, et un tas d'autres planettes n'yront selon la volonté de plusieurs: dont pour ces causes les cordiers iront à reculon; les aveugles ne verront que bien peu, ou rien; les sours oyront fort mal; les muets ne parleront guère; les riches se porteront un peu mieux que les pauvres, et les sains mieux que les malades; plusieurs moutons, beufs, pourceaux, oyseaux, poules et canarts mourront, et ne sera si cruelle mortalité entre les singes, renars et dromadères; vieillesse sera incurable cette année, à cause des années passées; ceux qui seront pluretiques auront grand mal au costé; ceux qui auront mal au ventre yront à la selle persée.

Les cathères descendront du cerveau ès membres inférieurs; le mal des yeux sera fort contraire à la veüe; lors reignera une maladie bien horible et redoutable, maligne, perverse et espouvantable, et malplaisante, laquelle rendra le monde bien estonné, et dont plusieurs ne sauront de quel bois faire flèche, et bien souvent composeront en ravaserie, sillogisant en la pierre phillosophale et ès aureilles de Midas. Je tremble de peur quand j'y pense, car je dy qu'elle sera epidimiale; et l'appelle Averrois faute d'argent[2].

L'avoine fera grand bien aux chevaux. Il ne sera guère plus de lard que de pourceaux.

Mercure nous menace de quelque peu de persil[3], mais ce nonobstant il sera à pris raisonnable. De bled, de vin, de fruitage et legumage, on en aura assés, si les souhaits des pauvres gens sont ouys. Il y aura force poissons en la mer, force estoiles au ciel, force sel en Broüage[4].

Sur l'esté sera à redoubter quelque règne des pusses. Italie, Cicile, Romanie, Naple, demeureront où ils estoient l'an passé; les marchans profiteront s'ils ne perdent. En Angleterre, Escosse, Hibernie, le vin leur sera autant sain que la bierre, pourveu qu'il soit bon et friant.

Au printemps vous verrez plus de fleurs qu'en toutes les trois autres saisons. En esté je ne sais quel vent courera, mais je sçais bien qu'il doit faire chaut et regner vent marin; toutefois, si autrement arrive, ne faudra se desesperer. Beau fera se tenir joyeux, et boire frais. En automne on vendengera, ou devant, ou après, ce m'est tout un pourveu qu'ayons bon vin en abondance. Il se faut garder en automne des arrestes de poissons, et aussi de poison; en hiver, selon mon petit entendement ne seront sages ceux qui venderont leurs fourrures pour acheter du bois. S'il pleut, ne vous en melancolizés: tant moins aurez-vous de poudre par les chemins. Sur tout tenés vous chaudement et redoutés les catherres; beuvés du meilleur, attendant que l'autre amendera. A cecy devés ajouster foy, car j'ay si bien par si devant consideré les planettes que j'ay apris de faire les plats nets, en mangeant tout, ne laissant rien. Escoutés donc ce qui sensuit:

C'este année y aura éclipse de bource, et si le vent ne soufle il y aura grande mortalité de poux à l'hospital; ceux qui yront souvent aux champs humeront plus de vent que d'huistres; les chapeaux monteront sur les testes; les pierres seront dures. Il y aura ceste année plus d'eau que de vin; n'y aura rien plus froid en hiver que la glace, en esté rien plus chaut que le feu.

Ceste année les uns tiendront longtemps scillence; il sera bon de faire plus provision d'argent que de foin; car, encore qu'il soit bien cheir, si est que toutes les bestes n'en mengeront point. Il y aura grande guerre entre les chiens et les lièvres, entre l'eau et le feu; ceux qui boiront devant la soif seront alterés.

Les vierges ne donneront leurs tetins aux enfans. Les fleurs precederont les fruicts aux arbres.

Les boureaux serviront de rubarbe aux larrons qui seront constipés du ventre. Il fera bien froid quand il gellera; plusieurs medecins seront dangereux ceste année, d'autant qu'il changeront R en D: au lieu de RECIPE mettront DECIPE. Les goutteux se porteront mieux des dents que des jambes; l'on ne prendra point les ecrevisses en l'air.

Ceste année l'apetit s'en ira en mangeant et la soif en beuvant. Il y aura ceste année plus de bestes que de picotins d'avoine. Il coutera la vie à ceux qui mourront ceste année. Vous serés contents (s'il vous plaist, Messieurs) de ceci; car, si je disois tout ceste année, ce seroit plus de la moitié.

La Faiseuse de Mouches[5].


Lettre à N.

Vous serez peut estre surprise de recevoir une lettre de la part d'une fille que vous ne visitez jamais et qui n'a l'honneur de vous connoistre que par reputation; mais, en verité, nous autres personnes du grand nom, et personnes extraordinaires, ne devons pas nous attacher aux maximes vulgaires, et ne sommes pas nez pour estre esclaves de ces petites formalitez que le commun observe. Aussi ay-je voulu m'en affranchir en cette rencontre; et, connoissant desjà votre belle humeur et votre bonté, j'ay cru que vous ne seriez pas faschée que la bonne faiseuse de mouches prist la liberté de vous écrire et de vous en envoyer de sa façon. J'appris mesme, il y a quelque temps, que quelques uns de vos galants de Toulouse en avoient donné à mademoiselle votre sœur sans vous en faire part, et je ne sceus pas plus tost cette nouvelle que je resolus de vous en envoyer de plus belles et de meilleures que les siennes, car nous en avons à tout prix et pour toute sorte de gens. J'en ay en mon particulier de toutes les façons,

Pour adoucir les yeux, pour parer le visage,
Pour mettre sur le front, pour placer sur le sein,
Et, pourveu qu'une adroite main
Les sçache bien mettre en usage,
On ne les met jamais en vain.
Si ma mouche est mise en prattique,
Tel galant qui vous fait la nique,
S'il n'est aujourd'huy pris, il le sera demain;
Qu'il soit indiférent ou qu'il fasse le vain,
A la fin la mouche le pique.

Au reste, Mademoiselle, ne vous imaginez pas que mes mouches ne soient differentes que par la taille ou par la figure; elles ont en particulier des qualitez qui les font distinguer les unes des autres; et je vous adverty que parmy celles-ci l'on y trouve de fines mouches, et que toutes ensemble ont l'inclination des abeilles, qui ne se posent d'ordinaire que sur des fleurs. Cependant, pour ne pas faire un grand discours sur un pied de mouche, et pour venir à ce qui est de plus important en cette matière, il faut que je vous apprenne qu'entre celles que je vous envoye, les longues se doivent mettre au bal[6] le plus souvent, parcequ'elles paroissent et se plaisent davantage au flambeau. Les plus grandes et les plus larges sont vraies mouches de cours, et pour les lieux d'où l'on les voit de loin, car elles portent 30 ou 40 pas, pour le moins, et vont attaquer un homme à la portée d'un pistolet. Nous en remarquons encore d'autres par dessus toutes, fort petites et coquettes à merveille, et celles-là sont vraies mouches de ruelle, qui ne tirent qu'à brusle pourpoint, et qu'on doit mestre en jeu quelque jour de collation ou de feste. Il ne dependra maintenant que de vous d'en tirer l'usage qu'il vous plaira; je veux pourtant vous apprendre à vous en servir avec succez quand il vous prendra fantaisie de saisir un cœur dans un moment, ou le prendre d'assaut, s'il faut ainsi dire.

Prenez une mouche de bal
Avec deux mouches de ruelle,
Renoncez un moment à vostre humeur cruelle;
Quand le galant viendra, radoucissez vos yeux;
Lors, d'un ton de voix gracieux
S'il dit qu'il meurt d'amour, et qu'il mourra fidèle,
Répondez en biaisant, flattez un peu son mal;
Que s'il parle encor de son feu,
Taschez de paroistre resveuse,
Et, pour deguiser vostre jeu,
Contrefaite la serieuse,
Dites: Les hommes sont trompeurs,
Ils sont fins et bien dangereux;
Ils feignent d'estre malheureux,
Pour tromper une malheureuse;
Mais une fille est sans excuse
Quand elle croit ces imposteurs!
Que si pour lors le galant jure
Qu'il n'est ny menteur ny parjure,
Qu'il ne feint pas les maux qu'Amour luy fait souffrir,
Sans vous faire tirer l'oreille,
Dites-lui, divine merveille,
Que le temps peut tout decouvrir.
Cependant, blamez l'inconstance,
Dites qu'un vray galant est un tresor de prix;
Au reste, donnez-luy quelque douce esperance,
Et tenez celui-là pour pris.

Cependant je viens de m'adviser, Mademoiselle, que je sème des vers, parcy, par-là, dans une lettre que j'avois resolu d'ecrire en prose; mais n'importe, puis que j'ai commencé, j'ai envie de ne pas me contraindre et de vous envoyer pour le moins autant de vers que de prose: car aussi bien, quand la fantaisie en prend, on ne sçauroit s'empescher d'en faire. Je vais donc vous conter une histoire en rimes; elle est de mon mestier, et vous apprendra d'où sont venuës les mouches et qui en inventa l'usage. Mais avant toutes choses je vous proteste que c'est un grand secret et un grand mystère, que je n'ai encore revélé à personne. Quand vous l'aurez sceu, je vous prie de n'en faire confidence à qui que ce soit qu'à Mademoiselle votre sœur.

Ecoutez, fille divine,
Je vous apprendray l'origine
De ces mouches que vous portez;
Que vous autres, rares beautez,
Mettez si souvent en usage
Pour embellir vostre visage.
Ce dieu redouté des humains,
Qui fait toujours mille desseins
Contre la liberté des hommes,
Mit en vogue, au siècle où nous sommes,
Toutes ces belles mouches-là,
Et voici comme tout alla:
Un jour, près de Venus, sa mère,
Et faute de meilleure affaire,
L'Amour, sans dire un pauvre mot,
Chassoit aux mouches comme un sot;
Si qu'enfin la belle déesse,
En se moquant de sa jeunesse,
Luy dit: «Arreste-toy, fripon,
Et fais quelque chose de bon!»
Mais certes elle eust beau luy dire,
Le badin ne fit qu'en rire,
Et toujours aux mouches chassa.
Venus le vit et s'en fascha,
Et, comme la chose la touche,
Ayant, comme on dit, pris la mouche,
Voulut luy donner sur les doigts,
Mais il esquiva, le matois!
Et, pour eviter la colère
De sa maman, sut si bien faire,
Qu'il lascha du creux de sa main
Une mouche dessus son sein.
Cette mouche à peine fut-elle
Sur le sein de cette immortelle,
Que l'on vit, dans le même instant,
Qu'il en parut plus eclatant,
Comme, quand un sombre nuage
Cache le ciel par son ombrage,
A l'entour de ce corps obscur
Le ciel prend un nouvel azur,
Et, rehaussé par son contraire,
Brille d'une façon plus claire.
Venus, dans ce ravissement,
Benit ce bienheureux moment,
Et fut tout-à-fait satisfaite,
Car elle n'a rien plus en teste
Et ne s'occupe tous les jours
Qu'à chercher de nouveaux atours.
Elle fit cent douces grimaces.
Mais Dieu sait! quand une des Graces,
Qui se trouva là par hazard,
Luy dit que jamais aucun fard
Ne sçauroit la rendre plus belle
Que cette invention nouvelle.
Pour lors, se tournant vers l'Amour:
«Je veux te payer ce bon tour,
Luy dit-elle, et, pour récompence,
Deux tourterelles d'importance
Seront aujourd'huy le prix
De cette mouche icy, mon fils.
—J'aurai donc deux tourterelles?
Dit l'Amour en battant des ailes;
Attendez, je veux faire mieux.»
Lors, de ses doigts industrieux
Découpant une étoffe noire,
Il fit, si l'on en croit l'histoire,
Mille mouches sans se lasser,
Puis aussy tost les vint placer,
Une près de l'œil de sa mère[7]
(La chose icy n'est pas bien claire
Si ce fut le gauche ou le droit);
Il en mit encor dans l'endroit
Où vola la première mouche,
Sur les temples[8], sur la bouche[9],
A costé du nez[10], sur le front[11],
Sur les joues[12], sur le menton.
Cependant la trouppe celeste,
Apercevant Venus si leste,
Mit des mouches pour l'imiter.
Junon, pour plaire à Jupiter,
En mit autant que Venus mesme.
Pallas eut un desir extresme
D'en mettre sur son front guerrier
Et d'abandonner le laurier.
Quand à Mars, pour plaire à Cyprine,
Il en orna sa bonne mine,
Et, depuis, en porta toujours
Une fort grande de velours[13].
Aussy tost, les beautez mortelles
En ayant appris des nouvelles,
Voulurent en mettre à leur tour
Sous le bon plaisir de l'Amour.
D'abord qu'elles furent connues,
Il sembloit qu'il en plût des nues;
La moindre bourgeoise en portoit,
Et la soubrette s'en paroit,
Comme eust pu faire une princesse,
Car c'estoit la belle ajustesse[14];
Enfin tout le monde en voulut,
Et tout le monde en eut[15].

Les plaisantes ruses et cabales de trois bourgeoises de Paris, nouvellement decouvertes; ensemble tout ce qui s'est passé à ce subject.

M.DC.XXVII[16]. In-8.

En ce petit discours, tout mon but n'est point de traicter de matière qui puisse ennuyer le lecteur, ains tout au contraire, mon desir n'est que de reciter chose qui luy puisse apporter toute sorte de contentement, comme estant de soy le subject assez bastant de chasser toutes sortes de melancolies, et d'autre part capable de faire estime des femmes sages et prudentes et d'en faire chois parmy celles qui s'abandonnent aux vices, comme vous pourrez entendre de la caballe et ruze de trois notables bourgeoises de ceste ville de Paris, desquelles, pour le respect de leurs alliances et pour ne les point scandaliser, j'en tairay le nom, me contentant seulement de discourir de ce qui s'est nouvellement descouvert touchant leurs ruzes et subtilitez.

Il n'y a celuy qui ne sache que parmy le sexe feminin il se trouve des femmes lesquelles, souz l'apparence d'une simplicité dissimulée, font souvent glisser d'aussi bons tours que plusieurs autres; c'est donc sous cette fausse apparence que les trois bourgeoises dont je veux discourir ont peu jusques à present tromper tous ceux qui ont par cy devant jugé les tenir au rang de celles qui se gouvernent selon Dieu dans la prudence et la sagesse.

Il est donc question de ces trois bourgeoises. S'estant trouvées à ces Rois derniers en une certaine compagnie, dans laquelle se trouvèrent aussi des jeunes hommes, assez capables d'attirer les dames et de leur user de la courtoisie, de telle sorte (comme c'est la coustume) que, venant de propos à autre, ils entrèrent avec mes dames les bourgeoises si avant des termes et des advenemens de l'amour, que, par les charmes amoureux de ces jeunes champions de Venus, elles vinrent, après toutes les considerations qu'elles pouvoient concevoir dans leurs fantastiques esprits, à consentir aux intentions de ces nouveaux courtisans.

De telle sorte que, pour mettre en execution les desirs de leurs volontez, elles firent eslite d'un lieu propre pour le subject, qui fut designé et accordé de part et d'autre; et, pour parvenir à leurs desseins, mes dames les bourgeoises, d'un commun accord, estant d'une mesme partie, obtindrent de leurs maris permission, pendant ceste octave des Rois derniers, d'aller à des nopces près de Senlis[17], desquelles par supposition elles s'estoient faict prier; et, pour tant mieux jouer leurs rolles, sçachant bien que les uns et les autres ne pouvoient quitter la maison, supplièrent infiniment leurs maris de leur vouloir tenir compagnie, pour autant que c'estoient mariages de leurs plus proches parens.

Messieurs leurs maris, n'estant pas ignorans de l'alliance qu'ils pouvoient avoir ensemble, et d'autre part ne pouvant ny les uns ny les autres quitter leurs maisons, permettent à mes dames leurs femmes l'execution de leurs desirs, toutesfois ne se doutans de leurs finesses: car, autrement, je ne pense pas qu'ils eussent en façon quelconque permis à leurs très chères compagnes de leurs donner pour panache les caractes de Moyse.

Ceste permission obtenue, elles ne manquèrent d'en donner advis à leurs courtisans, lesquels à ce subject allèrent les premiers au logis designé afin de faire preparer et donner ordre à tout ce qui estoit necessaire pour joyeusement passer leur temps. D'autre costé, mes dames les bourgeoises, esveillées comme souris, ne furent paresseuses, pour tant mieux jouer leurs personnages, de faire retenir places aux coches de Senlis, et pour les asseurer feirent donner un escu-cars[18] pour advance; cependant elles se parent de leurs plus beaux habits nuptiaux et de tout ce qu'elles avoient de plus exquis.

Le temps venu que le coche de Senlis devoit partir, elles prindrent congé de leurs maris, pour aller monter au dit coche, auquel messieurs les bourgeois ne voulurent manquer de les y aller conduire, et aussi pour les recommander au cocher.

Estant mes dames les bourgeoises arrivées au Bourget, l'une d'icelles commença de faire semblant qu'elle se trouvoit fort mal, tant à cause de l'esbranlement du coche que d'autre part aussi qu'elle estoit grosse de trois mois, ce qui ne luy pouvoit permettre d'avantage le dict esbranlement sans courir du danger de son enfant; ce faisant, supplia le cocher et toute sa compagnie de ne perdre point de temps et qu'elle estoit resolue de ne passer outre, et que, quant à ces compagnes, qu'elles estoient libres de parachever leur voyage; ce qu'elles ne voulurent jamais accorder, disant qu'elles ne la laisseroient jamais en cest estat. Après donc avoir satisfait de ce qui restoit au coche, lequel passe outre, commencèrent de faire bonne vie; et, voyant que leurs courtisans, qui se devoient trouver en ce lieu bien montez à celle fin de les ramener en trousses au dict logis preparé, n'estoient encores arrivez, incontinent commencèrent d'envoyer un homme qui estoit dressé au badinage au devant, lequel n'eut pas fait une lieue et demye qu'il fit rencontre de ces petits mignons tous escretez comme une poire de chiot. Mes dames les bourgeoises, qui estoient continuellement au guet, n'eurent pas si tost descouvert leurs favoris, que ce fut à qui d'entr'eux yroit la plus viste pour donner le baiser à celuy qu'elle affectionnoit; semblablement ces jeunes godelureaux, voyant leurs maistresses approcher, incontinent voulurent commencer à contre-faire les escuyers et de forcer leurs chevaux de faire ce qu'ils n'avoient jamais apris, estant plus propres à tirer un tombereau de boue que de faire des passades. Après avoir mis pié à terre, et de part et d'autre s'estant donné les accolades, ils ne furent si tost arrivez au logis que voilà la table couverte de très bons morceaux que mes dames les bourgeoises avoient faict apprester. Pendant le disner, ce ne fust qu'à rire et folâtrer, discourant de la ruse et finesse de laquelle ils s'estoient servis pour obtenir congé de leurs maris, qui devoient bien avoir pour lors le tintouin aux oreilles[19].

L'heure s'approchant qu'il falloit partir de ce lieu pour venir coucher à Paris, pour autant qu'elles ne desiroient y arriver de jour, crainte d'estre descouvertes, après avoir satisfait au logis, montèrent à cheval, ayant chacune leur conducteur, et en ceste sorte arrivèrent sur les sept à huict heures du soir, au logis designé, où le soupper les attendoit. Estant donc en iceluy, la couratière[20], après leur avoir faict les caresses accoutumées, les conduict dans un petit corps de logis sur le derrière, à cette fin de mieux et plus facilement prendre leurs esbats sans estre inquietés de personne; incontinent on leur apporte le soupper sur la table, pendant lequel on leur prepare trois licts. Il ne faut pas demander si l'issue du soupper fut remplie de gaillardise, où le muscat et l'hypocras n'y fut point epargné, si bien qu'après avoir passé joyeusement une partie de la nuict, la couratière, qui estoit grandement enluminée, se voulant aller retirer dans son cartier, commença sa harangue sur les effets de l'amour, pendant laquelle elle eust assez bonne audience. Estant icelle finie, chacun de messieurs les godelureaux prindrent leurs maistresses et s'allèrent ainsi coucher; la couratière ne fust si tost partie, et eux asseurez dans la chambre, que on eût peu entendre comme les accorts de trois bateurs dans une grange: car je m'asseure qu'il y en avoit un pour chacune de mes dames les bourgeoises, je ne sçay si elles sçavoient la musique, mais elles tenoient grandement bien leur partie; de telle sorte qu'en cet exercice, ou bien à dormir, si bon leur sembloit, ils passèrent leur temps jusques au lendemain dix heures du matin. Ce que voyant madame la couratière, à qui la gueulle gagnoit de desjeuner, alla heurter à leur porte, leur portant à chascun de quoy prendre un bouillon, comme à des nouvelles mariées[21]; ce que voyant messieurs les muguets[22], qui estoient tous fatiguez des courses qu'ils avoient estez, pour montrer leurs courages, contraints de faire, ne sçavoient quelles contenances tenir, ayant les oreilles longues comme celles de Midas; et furent encores plus estonnez lorsque leur hostesse leur demanda à chacun quatre pistolles pour satisfaire tant au rôtisseur pâtissier que pour le muscat, l'yppocras et confitures, sans rien mettre en ligne de compte de ce qu'elle pretendoit avoir, tant pour ses sallaires que pour le bon traictement qu'elle leur avoit fait. Ce fut alors que ces muguets commencèrent à se regarder de plus beau les uns les autres, pendant que mesdames les bourgeoises estoient encore au lict, qui n'attendoient autre chose que le desjeuner fust prest pour sauter en place.

La matrone, voyant le refroidissement de ces personnages, ne les importuna point davantage à bailler de l'argent, sçachant bien que ces bonnes dames avoient de bonnes chaisnes d'or et brasselets qui estoient plus que suffisans de la satisfaire, et seulement se contenta pour lors de leur demander de quoy envoyer querir à déjeuner en attendant le dîner. Parmy eux il y en avoit deux qui estoient de bas aloy, ce qui contraignit les deux autres de jetter chacun une pistolle, lesquelles furent incontinent grippées par cette couratière d'amour, qui une heure après leur fit porter un assez leger dejeuner, si bien qu'ils demeurèrent sur leur appetit, esperant de mieux disner; mais ils furent bien frustrez de leurs esperances, car, voyant deux heures après midy sonner, et que le disné n'avoit point de jambes, furent contraints d'envoyer l'un d'iceux voir si leur disné n'estoit pas encore prest, lequel, ayant trouvé la venerable hostesse les reins devant le feu qui descousoit la doublure d'une bouteille de Muscat, lui commença à dire: «Madame, lorsqu'il vous plaira nous envoyer à dîner, la compagnie est preste et en bonne deliberation de le recevoir.» Ceste vieille sempiternelle, qui n'entendoit point raison, commença à le bien renvoyer chez ses premiers parens, luy chantant plein un tonneau d'injures, en luy disant: «Monsieur le muguet, comme vostre cheval rue! Où sont les pistolles que vous avez données pour vous faire apprester à disner? Allez à tous les diables! Venez-vous en ces lieux sans avoir de quoy satisfaire à vos plaisirs? Soyez diligent, et vostre compagnie aussi, à me trouver trente pistolles pour la depense que vous avez faite et les fraiz de ceans, car autrement vous ne sortiriez en l'estat que vous estes, et outre cela les coups de bastons ne vous seront espargnez.» Qui fut bien penost, ce fut mon pauvre monsieur le muguet, qui s'en retourna un doigt au cul et l'autre en l'oreille devers sa compagnie, dissimulant par devant mesdames les bourgeoises les rodomontades qui lui avoient esté faites par ceste matrone.

Pour consulter amplement de ce qu'ils avoient à faire pour leur retirer du naufrage où ils se voyoient, delibererent en particulier de montrer à mesdames les bourgeoises le meilleur visage qu'il leur seroit possible, à cette fin de ne leur faire concevoir aucune apprehension; et, pour ce faire, il fut arresté que les uns après les autres feroient semblant d'avoir quelques affaires de grande importance ausquelles ils estoient fort obligez de pourvoir, et que par ce moyen deux d'iceux sortiroient de ce tant venerable logis, et que le dernier, voyant que ses deux compagnons retardoient beaucoup à satisfaire à leur promesse (qui estoit de revenir trouver leurs compagnes), feroit en sorte de faire le fasché, et sortît semblablement du dit logis pour aller chercher les deux autres. Ce qu'ils firent si dextrement que mesdames les bourgeoises (tant elles estoient affolées) ne peurent en façon quelconque apercevoir la trousse[23] que leurs nouveaux courtisans avoient envie de leur jouer. D'autre part, la dame matrone ne se mit pas beaucoup en peine de s'opposer à leur sortie, estant très asseurée du depost qui luy demeuroit, estant mesdames les bourgeoises assez solvables pour contenter à tout ce qu'elle desiroit, ou bien que leurs chaisnes d'or et bracelets demeureroient pour les gages.

Voylà donc messieurs les muguets esvadez du labyrinthe où ils s'estoient enfermez, pendant que leurs nouvelles maistresses sont logées sur Nostre-Dame-d'Esperance de les revoir bientost, comme ils avoient promis, et que leurs genests[24] de charue mangent pour sivade[25] une brasse de muraille. Deux jours se passent que ces freluquets ne retournent point visiter leur proye, ce qui commença de faire entrer en quelque doute mes dames les bourgeoises; et, d'un autre costé, estoient grandement importunées de leur hostesse de bailler argent ou gages, à quoy elles reculoient le plus qui leur estoit possible, esperant d'heure à autre revoir leurs favoris qui les viendroient desgager de ce lieu (de quoy elles furent bien frustrées de leurs esperances). Ce que voyant, et ne pouvant aussi plus endurer le tintamare que leur faisoit ceste seconde Megère, furent contrainctes (pour obvier à plus grand scandale) de luy donner chacune quelque asseurance. La première luy donna un diamant de la valeur de cent livres et plus, la seconde un bracelet de perles de la valeur de cinquante escus, et la dernière luy donna la chaisne d'or de son manchon[26], de la valeur de trente escus, à la charge toutesfois qu'elle promettoit leur remettre entre les mains lorsqu'elle seroît satisfaite de ce qu'il luy convenoit payer raisonnablement, soit par messieurs les evadez ou par elles, ce qui leur fut accordé.

Madame la matrone, se voyant les mains garnies comme elle desiroit, commença de monstrer à mesdames les bourgeoises meilleur visage qu'auparavant, les invitant de faire grande chère et beau feu, et qu'elles n'avoient qu'à tinter et qu'incontinent elles seroient obeyes, et qu'il ne leur falloit point engendrer de melancolie pour l'absence de leurs nouveaux serviteurs, et que pour un perdu l'on en recouvroit deux. Elles, qui n'avoient d'autre pensée qu'à leur retour, ayant demeuré toutes trois sur leur appetit du fruict de nature, dissimuloient leurs tristesses le plus qu'elles pouvoient.

Nous lairrons pour un peu de temps mesdames les bourgeoises en leurs frivolles esperances, pour revenir à leurs maris.

Messieurs les bourgeois, qui sont assez bons compagnons, voyans que les feries de la nopce estoient plus longs qu'à l'ordinaire, et que leurs femmes ne venoient point, commencèrent de leur ennuyer. L'un d'iceux disoit: «Il m'a esté impossible de pouvoir reposer depuis l'absence de ma femme.» L'autre disoit: «La première nuit, je la passay de ceste sorte; mais depuis j'ay esté contraint, pour me reschauffer, de faire coucher ma servante avec moy, avec laquelle je me suis assez bien delecté, veu aussi l'aage de dix huit ans tout au plus.» Le dernier, qui n'avoit encore rien dit, commença à dire: «Jusques à present, j'ay passé le temps sans avoir contrevenu en aucune façon à la promesse que j'ay fait à ma femme; mais il m'est impossible de pouvoir plus dominer aux tentations de la chair (car je suis homme); c'est pourquoy, dès à present, je suis deliberé d'aller chercher quelque bonne aventure, et, si vous avez du courage, suyvez-moy; toutesfois, vous sçavez qu'il ne faut point aller aux mûres sans crochet ny aux lieux d'amour sans argent. Les deux autres bourgeois eurent les oreilles fortement ententives à la remonstrance de leur compagnon, si bien qu'après leur estre garny de nombre de pistoles, allèrent chercher leur contentement. Arrive que, le plus corrompu d'iceux ayant autrefois eu advis secret que l'on passoit fort bien le temps sans bruit ny scandale en un certain logis (où, pour lors, estoient leurs femmes, ne se doutans pas de les y trouver), deliberèrent d'y aller.

Arrivez qu'ils furent en ce notable logis (pour sa qualité), celuy qui sçavoit le mot demanda à parler à la dame, laquelle incontinent ne manqua de venir au devant de messieurs les bourgeois, leur faisant dix mille complimens. Celuy qui sçavoit le mot du guet s'advança, et, tirant à quartier la dame, luy dit en particulier le signal, lequel ne fust si tost donné, qu'elle redoubla de mieux ces bien venus, les faisant entrer dans une très belle salle, dans laquelle y a deux cabinets pour servir quelquefois aux occasions. Incontinent la collation est preste, où le meilleur vin qui se peust recouvrir n'y fust point espargné; icelle estant finie, le truchement[27] commença d'entretenir cette couratière sur la perfection de leurs entreprises, laquelle ne se jettoit pas loin à leur rendre toute sorte de courtoisie. La collation faite, messieurs les bourgeois, pour jouyr de leurs pretentions, resolurent d'y demeurer à souper, à la charge que leur hostesse leur fourniroit après iceluy de quoy passer joyeusement la nuict; ce qu'elle leur accorda moyennant deux conditions: la première, qu'ils n'auroient aucune congnoissance de vue de celles qu'elle leur desiroit donner, la crainte qu'elles ne voulussent accorder (les voyant) ce que vous desirez, et aussi que ce sont jeunes femmes de qualité qui ne le font point pour avarice; la seconde et dernière condition estoit qu'elle desiroit avoir de chacun une pistolle, et qu'outre cela ils satisferoient au reste des fraiz. La curiosité de jouyr de ces beaux subjects les fit consentir à tout ce que la couratière d'amour desiroit (bien qu'il leur fust assez fascheux de ne point voir ces nompareilles beautez). Ils jettèrent sur la table chacun leur pistolle, qui furent tost relevées par cette vieille, laquelle incontinent leur fait preparer trois licts en trois divers cabinets, où ils s'allèrent, après souper, rendre chacun au sien. Estant couché, la chandelle esteinte, la messagère d'amour leur amena à chacun l'une de ces bourgeoises, qui avoient estées prattiquées par la dame matrone, à quoy elles avoient consenty, ne pensant à rien moins à l'affaire qui s'ensuyvit.

Ne pensant pour lors messieurs les bourgeois à rien moins que ce fust leurs femmes, d'autant que la fortune pour elles fut qu'il arriva un eschange, et que l'un avoit la femme de son compagnon et aussi les autres, ce qui apporta de la diversité à leur ordinaire en cette sorte, la nuit se passe aux contentements des parties, sans que pour cette fois le pot aux roses fust descouvert.

Madame la matrone, suyvant la promesse qu'elle avoit fait aux bourgeoises de les aller querir devant le jour pour empescher aucune cognoissance, ne manqua dès les quatre heures du matin de les aller lever de sentinelle (ce qui fut contre la volonté des bourgeois) et les ramena en leur cartier sans autre forme de procez. Le reste de la matinée se passe jusques sur les neuf heures que les dits bourgeois, se voulans retourner en leur logis, contentèrent assez honnestement leur hostesse, et payèrent la marchandise qui de long temps leur appartenoit. Comme ils furent hors d'icelle maison, l'un d'eux commença de faire une pose, et dit: «Ma foy, Messieurs, nous sommes veritablement bien bados de nous estre ainsi fiez à cette harpie d'enfer. Où estoient pour lors nos sens? Si elle nous avoit produit de vieilles carcasses pour de jeunes amourettes! L'argent fait tout, dit le proverbe. J'ay encore dix-sept escus pour voir celle qui m'a tins compagnie cette nuict.—C'est une folie, disoit l'autre; si elle nous monstre de vieilles pièces, cela nous crèvera le cœur. Si est-ce pourtant que je ne suis point fils de revendeur, je ne travaille jamais sur vieux drapeaux; mais il seroit bien pire si elle nous envoyoit en Suerie gagner le royaume de Bavière[28].» Cela leur donna une telle apprehension, qu'ils resolurent qu'à quelque prix que ce fust, qu'il falloit avoir la cognoissance de ces remèdes d'amour. Incontinent le harangueur retourne avec les autres sur ses pas, qui trouvèrent cette vieille entre les deux chenets, enluminée comme un Bacus, non moins estonnée qu'un Cesar, qui leur dit: «Que demandez-vous, Messieurs? (Elle faisoit bien tost de l'incogneue.)—C'est, Madame, que nous avons encore chacun dix escus que nous ne desirons pas remporter, mais bien vous les donner, pourveu qu'il vous plaise nous faire voir ces belles dames qu'il vous a pleu nous donner cette nuict pour compagnes.» Elle, cupide d'argent plus que de tous les honneurs du monde, commence d'ouvrir les yeux comme un chat qui boit du vinaigre, leur dit: «Si je vous accorde ce que vous desirez, je fausseray ma foy, et par ce moyen je feray ce que je n'ay jamais fait; et si elles estoient par fortune de vostre cognoissance, qu'en diriez-vous, Messieurs?—Helas! Madame (dirent-ils), cela ne peut estre, car notre cognoissance est bien petite, et, d'autre part, nous sommes etrangers.»

Après le nouveau marché fait, la matrone les conduit dans la chambre des bourgeoises, lesquelles estoient encore toutes endormies du travail de la nuict. Incontinent ils eurent forme de cognoissance, non pas asseurés du premier coup (n'estimans leurs femmes estre telles); toutesfois, l'un d'iceux, qui ne se peut plus tenir, dit à l'un de ses camarades: «Voisin, tu cognois bien ma femme? Je te prie, regarde si ce n'est point celle-cy.» Il ne lui eust sceu respondre le ouy ou le non, voyant la sienne tout proche.

Le troisiesme, un peu plus rusé que les autres deux, ayant certaine cognoissance du jeu, desirant couvrir l'honneur de sa femme, dit (toutesfois bien fasché, comme de raison): «Il se fait tard, allons-nous-en voir si nos femmes ne sont point arrivées.» Celuy qui se voyoit asseuré du fait: «Comment, venues? Elles n'ont par ma foy garde, si ce n'est en dormant, ou bien que ce lict les retournast en carosse.—Et pourquoy? dirent les autres.—Pource que voilà vos deux femmes avec la mienne, et, par ce moyen, nous sommes frappez les uns et les autres d'un mesme coing.»

Leur parler, qui avoit esté jusques alors enroué comme basse-contre, commença, après la chose averée, à crier à qui plus plus pour esveiller leurs femmes, et de crier les uns d'un côté, les autres d'un autre. «Eh bien! disoient-ils, Mesdames, vous estes ici?—Et vous, messieurs les ruffiens, disoient-elles, qui vous y a amenez? N'est-ce pas ce que l'on nous a tousjours dit tant de fois, qu'incontinent que nous estions absentes, que vous veniez en ce bordel depenser tout nostre bien. O! c'est nous, c'est nous qui avons eu maintenant vostre argent!» Et de semer injures à milliers, tellement que mes pauvres bourgeois ne pensent respondre à leurs interrogants. L'autre Proserpine commençoit sa harangue, en sorte qu'ils n'eussent sceu respondre un seul mot, et firent tant qu'eux-mesmes se dirent pour lors avoir le tort, à cette fin de ne point apporter de scandalle en ce lieu, et se retirèrent de la façon, y laissant mesdames les bourgeoises.

Ces pauvres Jonas, estans ensemble, tindrent quelque propos de ce fait. L'un disoit: «Ce ne fut point ma femme qui coucha avec moy, car j'ay quelque peu estudié en la geometrie; je me connois en la longueur, largeur et grosseur.—Vrayment! dit l'autre, je ne vis jamais livre qui traittast de cette matière, et si je ne laisse pas de cognoistre que ce n'estoit pas la mienne et qu'il y avoit du changement à mon ordinaire.—Je ne sçay laquelle j'avois, dit l'autre, mais je n'eus jamais un tel contentement.—Morbleu! tu avois donc la mienne, dit l'un, car c'est la plus subtile qu'il y ait en France, et ne croy pas qu'il se trouve hacquenée qui trotte plus doux?»

Voilà à quoy, pour le present, je desire conclurre ce present discours, laissant pour la seconde partie ce que devinrent messieurs nos courtisans, et les estranges advantages qui leur arrivèrent au sujet des bourgeoises, et de la procedure qui a esté faite, tant de leurs chevaux que contre la matrone, ensemble aussi ce qui s'est passé (depuis le pot aux roses descouvert) entre les bourgeois et leurs femmes, ce qui (m'asseure) donnera autant et plus de contentement aux lecteurs que le contenu de cette première partie.

L'Archi-Sot, echo satyrique[29].

Omne regnum in se divisum desolabitur.


Quatrain.

Pouvres sots, pourquoy laissez-vous
Un prince quy par trop vous aime?

Responce.

Ne sçavez-vous pas que les fous
Ne se cognoissent pas eux-mesme?

MDCV. In-8.

Puisque vous le voulez, nous le saurons, Madame,
Quand je devrois chercher les papiers sibilins
Qu'un refus de Tarquin feit jeter dans la flamme,
Ou feuilleter dix ans le roolle des villains[30].

Je ne sçaurois trouver ceste charge onereuse:
Si c'est vostre plaisir, c'est mon contentement.
Aussy je l'entreprends, et la peine est heureuse,
Puisqu'elle a pour soutien vostre commandement.

Nous savons son pays, ses parens et sa race,
Non ce qu'ores ils sont, mais ce qu'ils ont esté,
Et si son entretien, ses pompes, son audace,
Sympathisent au moins avec sa qualité.

O Dieu! quy de là-hault contemplez tant de courses
Et donnez tout à coup arrest aux charlatans,
Ou vous, dieux des fripons et des coupeurs de bourses,
Donnez-moy promptement le secours que j'attends.

Apprenez-moy bientost, non pas vostre pratique,
Mais quels sont les parens de vostre favory,
Afin que, le chantant d'un esprit prophetique,
Je fasse voir à tous que vous l'avez chery.

A quy m'adresseray-je, ô dieux! je vous supplie?
Si je suis obligé, vous sçavez bien pourquoy.
Hé! quy voudra de vous ayder à mon envie
Et m'oster maintenant d'un si fascheux esmoy?
Echo.—Moi.

Quelle voix favorable offre à m'oster de peine
Et me rendre sçavant de cela que je veux?
Les deesses quy sont dedans ceste fontaine[31],
Ou bien les Innocens, favorisent mes vœux.
Echo.—Eux.

Peut bien estre vrayment que saint Innocent mesme,
Non tant comme patron que comme son voisin,
Me desire advenir (sçachant bien que je l'ayme)
Que pour estre des siens il est un peu trop fin.

Car la fille de l'air ne seroit pas logée
Parmy les Innocens du quartier Saint-Denys.
Il est vray que peut-estre elle s'y est rengée
Pour voir nostre badin, qu'elle prend pour Narcys.

Je me ry, belle Nymphe, et repare mon crime.
J'ay tort, je le sçay bien, j'ay prophané ton nom;
Mais je l'auray vrayment desormais en estime.
Regardes si tu veux que je m'en aille ou non.
Echo.—Non.


Elegie.

Bien donc, puisque tu veux oublier mon offence,
Je te veux contenter par mon obeissance,
Demeurant avec toy quelque espace de temps,
Car, si je ne te voy, pour le moins je t'entends.
Echo, je te promets de chanter ton miracle
Et de ne vanter plus du Pelien l'oracle,
Si j'ay ceste faveur d'estre rendu certain
De ce que je te veux demander ce matin.
Je m'y suis obligé, mon devoir m'y convie.
Si le devoir me presse, aussi faict mon envie.
Ne me refuse point, et je jure les yeux
Plus reverez par moy que le Styx par les dieux,
De prier que le ciel ta langueur adoucisse
Et blasmer avec toy la rigueur de Narcisse.
Je veux te figurer ce malotru badaut
De qui la voix s'elève et le courage fault,
Afin que, te monstrant seulement sa figure,
Tu donnes les couleurs propres à sa peinture,
Et que par ton moyen je monstre en peu de mots
Qu'Angoulevant n'est pas luy seul prince des sots;
Qu'il en est encore un dont la folle sagesse
Le doibt mettre en procez pour troubler Son Altesse.
Pauvre prince! faut-il qu'un nombre de menteurs,
Pour brouiller ton Estat, soyent tes competiteurs[32]!
Et voicy le grand sot qui s'en vient à ta porte[33]
Disputer à bon droit les armes que tu porte!
Je le voy, tout bouffy de colère, emporté,
Temeraire, attenter contre ta Majesté;
Je le voy, ce grand sot, je le voy qui s'apreste
D'avoir le chaperon que tu porte à la teste;
Et, pour te faire veoir que ce desir le poinct,
Il a de tes couleurs enrichy son pourpoinct.
Il est de toyle blanche et luy servant de voille
Pour cacher son desseing soubs l'ombre de la toile.
Il est vray que la soye ou le taffetas vert[34]
Quy paroît sur la toile a son désir ouvert,
Et monstre clairement qu'il se forme et se mire
A ce grand corps des sots que tout le monde admire;
Il en a les couleurs, il en a les façons,
Et peut dès à present en faire des leçons.
Ce pourpoinct qu'on luy voit à diverses taillades
Ne luy sert pas souvent en des jours de parades;
Un de taffetas gris, enrichy de ruban
Semblable à celuy-là de deffunt Martin Gan[35],
Luy donne, ce dit-il, la façon courtisanne,
Et, bien que sans habit il soit et sot et asne,
Son pourpoinct blanc et vert, aux oreilles de foux,
Fait voir appertement ce quy est le dessoubs.
Il commence dejà de trayner à sa queue
Les asnes et les sots qu'il rencontre à sa veue;
Il n'espargne non plus les grands que les petits.
Les brides et les trous qu'on voit à ses habits[36]
Sont pour les attacher, et je croy qu'il luy semble
Qu'il peut joindre les foux et les asnes ensemble
Soubs l'ombre que luy seul represente tous deux.
Mais, s'il pouvoit encore y assembler les gueux,
Les tirer de Paris, et avec asseurance
Les mener bien avant dans la nouvelle France[37],
Rechercher son Pactole, et là, nouveau Midas,
Flûter comme un bouvier à ceux du Canadas.
Il feroit beaucoup plus de te laisser, grand prince,
Paisible gouverneur des foux de ta province,
Non point chanter aux sots, afin de les renger,
Que ton predecesseur fust fils d'un boulanger,
Et, par droict successif, qu'il doibt estre en ta place,
Ou pour en estre extraict, ou pour ce qu'il te passe
En degrez de folie, et qu'encore il reçoit
L'honneur d'estre dict sot, quelle que part qu'il soit.
Je m'afflige de voir ta Majesté reduitte
Soubs le joug de celuy quy faict ceste poursuitte;
Je m'afflige de voir qu'un sujet de ta loy
Ne fasse point estat d'un prince tel que toy,
Foule aux pieds ta grandeur, et d'une gloire sotte
Te ravisse des mains ton sceptre et ta marotte,
Mesprise ton pouvoir et ne cherche jamais
Que de te contrefaire en tout ce que tu fais.
Je le vy l'autre jour, en la rue de la Harpe,
Quy, pour mieux t'imiter, se bravoit[38] d'une escharpe
Dont les bouts luy passoient par dessus le manteau,
Ainsy que les cordons d'un valet de bourreau
Qui, bien ayse d'aller commencer son espreuve,
Faict voir en les monstrant qu'il va faire chef-d'œuvre
Sur un tel que ce sot qui, prince pretendu,
Pourroit bien estre un jour par chef-d'œuvre pendu.
Ce n'est en cela seul qu'il ose, temeraire,
Offencer ton Altesse et la veut contrefaire;
Il est d'autres forfaicts encore convaincu:
Ce que tu porte au ventre, il l'a souvent au cu;
On te foite devant, et luy c'est par derrière;
Le barbier le va voir, tu vas voir la barbière,
Et, bien que vous soyez en vos maux approchans,
Les remèdes pourtant en sont bien differens.
Je les laisse à penser à tous ceux quy m'entendent,
Aux oreilles de quy ces miens carmes s'estendent,
Car cela sent le feu quy naguère allumé
Sembloit avoir desjà tout le mal consumé.
Mais passe pour ce coup, j'y reviendray peut-estre;
Laissons là mon envie, elle est encore à naistre.
Je m'esloigne un peu trop du desseing que j'ay pris;
Il faut que de respect je borne mes escripts.
Prince, regarde à toy: c'est une chose unique
De te voir gourmandé d'un courtaut de boutique.
Ferme-luy tes palais; commande à tes archers,
A tes gardes du corps, à les asnes legers,
Qu'ils luy courent dessus, et pour telle vergongne
Qu'on en fasse une enseigne[39] à l'hostel de Bourgongne.
J'apprendray cependant de la fille de l'air
Ce que j'en dois savoir avant de m'en aller.
Echo, je te reviens figurer la peinture
De ce prince asne-sot dont j'ay faict la posture,
Te le faire cognoistre, et par enseignemens
Le monstrer à sa trongne ou ses habillemens
Aussy naïvement que si Zeuze ou Paraze[40],
Appelle ou Protogène, avoit depeint un aze[41].
Il a, premièrement, les sourcils retirez,
Les yeux plus que les chats et les foux egarez,
Le front noirement jaune, où la crasse s'escaille
Comme le plastre neuf sur la vieille muraille,
Quand le masson n'a pas haché par quelque endroict
Ou qu'il n'a pas mouillé son mur comme il falloit;
Le rire aussy plaisant comme est une grimace
D'un petit marmiton que son maistre menace,
Le nez long et petit, par le bas racourcy
Comme celuy d'Aelle et de ses sœurs aussy,
Dont le goust en est doux et la senteur friande
Comme de ces trois Sœurs qui gastoient la viande[42]
Du malheureux Phinée avant que Calaïs
Et son frère germain s'en feussent esbahis.
Belle figure à voir, sa gorge est yvoirine
Comme un os que les chiens rongent à la cuisine;
Sa lèvre espoisse est jaune et son bec relevé
Comme sont les bourletz qu'on met sur le privé.
Aussy ne croy-je point qu'un retraict soit si salle,
Bien qu'il soit tout remply de matière fecalle,
Que peut estre sa bouche, où toujours il reçoit
Ce quy de plus vilain se prononce et se voit.
La face assez jaunastre, où, s'il a chaud, il colle
Une jaune sueur à la farine folle;
Ridé par tous endroicts comme les fruicts de Tours[43]
Qu'on faict pour conserver cuire dedans les fours,
Farineux et cendreux comme ces vieilles figues
Dont tous les Provençaulx se rendent si prodigues
Sur le port de Marseille, ou cent fois plus villain,
Flestry, crasseux, ridé, que n'est un parchemin
Qui depuis trois cents ans rode les auditoires
Des sedentaires cours et des ambulatoires;
Le menton comme un os quy sert aux cordonniers
Lorsqu'ils veulent polir et lisser les souliers,
Et, bref, ce quy le rend admirable au possible
Par dessus tous les sots, est sa barbe invisible.
Je t'ay dict, chère Echo, quels estoient ses habits:
Il porte assez souvent un bas d'estame gris,
Un manteau de vinaigre[44] où je pourrois m'estendre,
Si le manteau de cour ne me faisoit entendre
Et n'avoit clairement exprimé celuy-cy,
Quy couvre notre sot et le repare aussy.
Lorsqu'il a quelques fois son chapeau sur l'oreille,
Il s'escoute marcher et se mire à merveille;
Il retourne la teste, et de trois en trois pas,
Pour regarder ses pieds, porte les yeux en bas.
Quand il a bien marché d'un costé de la rue,
Il se tourne de l'autre afin qu'on le salue,
Regarde son chapeau, et de deux en deux tours
Le montre à ses amis du costé du velours,
Se panade à plaisir, et par ses esquipées
Crache à ses ennemys cent mille coups d'espées,
Faict tarir en leur source, au bruict de son tousser,
Les discours quy se vont en torrens amasser,
Fulmine de la langue et met tout en deroute
Lorsqu'il voit que personne à son gré ne l'escoute;
Mais il ne pense pas, le courtaut mal apris,
Si l'on parle de luy, que c'est avec mespris;
Que les petits enfans quy sont à la Licorne[45]
Luy font, pour s'en mocquer, à toute heure les cornes;
Qu'on le chifle partout, et que ses compagnons
Luy donnent en passant tous les jours des lardons;
Ou encor qu'il y songe il a si peu de rate,
Qu'il veult s'esterniser comme fit Erostrate.
Il est si peu rusé qu'au despens du renom
Il veut après sa mort faire vivre son nom.
Ce renom que je dy ne se prend pas au pire:
C'est l'honneur que j'entends, où tout le monde aspire.
Pauvre sot, où cours-tu? que te doivent les cieux,
Pour leur faire savoir le desdain de tes yeux?
Ils n'ont pas descouvert par quelle tromperie
Tu te faisois mignon dedans l'argenterie:
Chacun le sçavoit bien. Estois-tu si peu cault,
Toy quy te dis Cardan, de te monstrer lourdault
En tes inventions, et, jouant de la grippe,
Porter comme un badin des galoches de trippe?
Ne pensois-tu pas bien que tu serois cogneu
Et qu'on t'en chiffleroit comme il est advenu?
Qu'il les faudroit quitter à la porte du vice
Si tu voulois encor te remettre en service?
Et ne jugeois-tu pas qu'un jour on sauroit bien
Comme faict pour braver un homme quy n'a rien,
Et qu'on verroit encor sur tes pieds la poussière
Du règne de laquais que tu laisses derrière?
Ah! que tu fus deceu quand tes inventions
Elevèrent ton vol et tes devotions!
Et que tu fus trompé quand tu meis en pratique
Tes desseings mal tissus dedans une boutique!
Echo, n'est-il pas vray, je says bien qu'aujourd'huy
L'on doibt compter le bien dont il a trop jouy?
Echo.—Ouy.
Mauvais signe pourtant, dont on ne doibt attendre
Que ce quy le fera soubz son vice respandre.
E.—Pendre.
O grand Dieu! tu le juge, et d'où provient cecy?
Cela ne se doibt pas executer ainsy. E.—Si.
Comment! cela se doibt? ô pauvre miserable!
Où t'annoncera t'on ta peine espouvantable?
E.—En table.
En table! qu'est-ce à dire? Après ses passetemps,
On luy donneroit là de beaux allegemens!
E.—Je mens.
Tu mens, je le croy bien; mais dy moy, je te prye,
Comment il doibt mourir, pour passer mon envie.
E.—En vie.
Il doibt mourir en vie! Ah! je ne le croy pas,
Mais bien mourir vivant le jour de son trepas.
E.—Repas.
Le jour de son repas! Quoy! la mort le doibt suyvre
Quand, saoul de tant de vols, il sera las de vivre!
E.—Yvre.
Il doibt mourir yvre; encore est-ce un grand bien
De courir à sa mort et de n'en sentir rien.
E.—Rien.
Le vin luy fera donc ce sinistre message,
Et l'aisle de son vol luy fera ce passage.
E.—Pas sage.
«Ce n'est pas estre sage et vivre comme il faut
Que de n'avoir point d'aisle et vouloir voler hault.
Il se faut mesurer, et donner à sa voille,
Selon les propres vents, ce qu'il y faut de toille,
Non point s'elargir trop et recevoir le vent
Qui nous est plus nuisible et nous pert plus souvent.»
En quoy se reduiront, ce pendant que j'y songe,
Ses fausses verités qui couvrent son mensonge?
E.—En songe.
Mais, puisqu'il doit mourir, ce courtaut desloyal,
Au moins asseure moy quy doibt causer son mal.
E.—Son mal.
Son mal! il en a faict, mais il est plus coulpable
Pour estre marchant feint que larron veritable.
En quel lieu peut bien estre un de qui les discours
Plaisoient à ce badin quant il parloit atours?
E.—A Tours.
Comment! nostre courtaut n'a plus icy personne
Quy des fleurs de bien dire à toute heure luy donne!
Je m'en estonne bien, et voudrois toutefois
Lui pouvoir discourir de ce sot quelques fois,
Car j'apprendrois de luy des nouvelles certaines
Plus que des Innocens, d'Echo ny des fontaines.
Nymphe, je te rends grâce, attendant que le temps
Me face revenger de ce que tu m'apprens.
Si j'en veux savoir plus, il faudra que j'envoie
Mes desirs promptement se pourmener à Bloye.
Toute fois, j'en sçay trop, les dieux m'ont revelé
Ce quy m'avoit esté jusqu'icy recelé.
J'ay tacitement sceu quelle estoit sa patrie
Et veu dans un miroir sa genealogie,
Que je porte à madame, affin de m'acquitter
D'une telle promesse et de la contenter.


Stances.

Je reviens donc à vous, garny de pioleries[46],
Vous dire qu'en un coup l'air, la terre et les cieux,
M'ont conté du badaud toutes les tromperies
Quant je les ay priez seulement par vos yeux.

La terre me portoit, l'air prenoit ma parolle,
Et les cieux mes desirs, des dieux favorisez;
Au bruict de votre nom les postillons d'Eole
Furent (bien que mutins) à l'instant apaisez.

Si bien que j'escoutois d'Echo la resonnance
Et recevois des dieux les revelations:
Grand pouvoir de vos yeux, dont la seule ordonnance
Faict reserrer les vents dedans leurs regions.

Je suis donc faict savant au gré de vostre envie,
De mille plaisans traicts qu'a faict nostre courtaut,
Et l'Echo m'a conté qu'il y va de sa vie
Si, pour s'en exempter, il ne gaigne le haut.

Mais, pour ce que je voy la matière un peu grande
Et qu'il y faut donner du temps et du loisir,
Je vous veux supplier d'accorder ma demande
Et remettre à demain ce discours de plaisir.

Aussy bien je cognois que ce que j'en sçay touche
A ce pauvre chastré dont tout le monde rit:
C'est pourquoy j'ayme mieux vous le dire de bouche,
Pour le favoriser, que non pas par escrit.


Sonnet.
Allusion sur le nom du protecteur de l'Archi-Sot.

Hé bien! te voilà donc plongé dans une fange
Dont tu ne peux sortir si tu n'as mon secours!
Dis ce que tu voudras, il faudra que tu manges
Le remède appresté contre tes beaux discours.

Au mont où ton esprit peu capable se range,
Les ardants ou luisants n'ont quasi plus de cours;
Ou j'estime cela morsure de phalange[47],
Pour laquelle guarir ma voix est mon secours.

Beau fils, dont le visage est pareil au lard jaulne,
Ton pouvoir se mesure à la longueur d'une aulne,
Dont tu ne peux juger que la fin soit le bout.

Tu sais bien que je puis apaiser ton audace;
Si ma parolle a peu te bannir d'une place,
Gardes que mes escrits ne t'exhilent du tout.

Sur les Revenus des Pasteurs[48].

Quel est donc ce cahos, et quelle extravagance
Agite maintenant tout l'esprit de la France?
Quel demon infernal, amy des changemens,
Fait tant de nouveautez dans tous nos reglements?
On fait, on redefait, on retablit, on casse;
Rien ne demeure fait, quelque chose qu'on fasse;
On retranche les saints[49], on les refeste après[50];
On plaide au Châtelet quand c'est feste au Palais.
On trouve à reformer même sur la Reforme.
L'ancien code à present est un code de forme;
On ne le connoit point, tant on le voit changé.
Encor si l'on vouloit reformer le clergé,
Si l'on vouloit oster la moitié de leurs dixmes,
La Reforme pourroit reformer bien des crimes.
Les trop grands revenus perdent beaucoup de gens,
Et les riches pasteurs sont toujours negligents.
Pourquoy ceux qui devroient imiter les Apôtres
Ont-ils seuls plus de bien qu'il n'en faut pour dix autres?
On devroit bien regler un tel dereglement
Et montrer aux pasteurs à vivre sobrement;
On ne voit que des gens de mitres et de crosses
Faire aujourd'huy rouler de superbes carosses,
Sans se ressouvenir qu'autrefois l'Eternel
Ne monta qu'un asnon dans un jour solennel.
On parle des impôts dont la France est remplie,
Tout le peuple en murmure et tout le monde en crie;
Qu'est-ce en comparaison de tant d'injustes droits
Qu'aujourd'huy les pasteurs levent en tous endroits?
Tout le monde en naissant doit à la sacristie;
Il faut payer l'entrée et payer la sortie;
Tous les pasteurs enfin, par un fatal accord,
Trouvent de quoy gagner en la vie et la mort[51].
Bonne condition, qui donne de quoy vivre
En lisant seulement quelques feuillets d'un livre;
Recitant tous les jours trois ou quatre oraisons,
Ils gagnent pour fournir aux frais de leurs maisons.
Que le breviaire est bon dans le temps où nous sommes!
Un pasteur est toujours le plus heureux des hommes.
Veut-on se marier, il faut jetter un ban;
On en achète deux, et le pasteur les vend;
Vous ne les auriez pas s'il manquoit une obole.
Comment nommer cela, si ce n'est monopole,
Qu'un sacré partisan a mis injustement
Aux yeux de tout Paris, sur le Saint-Sacrement?
Meurt-il quelque personne, autre supercherie.
Voulez-vous, dira-t-on, la grande sonnerie[52]?
Il faut tant, ou sinon l'on ne sonnera point.
Monopole jamais monta-t-il à ce point[53]?
Entre tous les impôts, quel autre impost approche
De celuy que l'on met sur le son d'une cloche?
On sonne donc enfin, et pour vos cinq escus
On vous donne du son. Sont-ce là des abus?
Un infâme crieur, de qui l'âme inhumaine
Ne voit aucun vivant qu'avec beaucoup de peine,
Ce funeste crieur qui ne vit que de morts[54],
Marchande insolemment pour enterrer des corps.
Choisissez-vous, dit-il, un endroit pour la fosse?
Plus il est près du chœur et plus la somme est grosse[55].
Il faut tant près des fonds, tant près du maître autel.
Entre tous les impots en voyez-vous un tel,
Et qui peut plus choquer les droits de la nature,
Que de vendre à des morts le droit de sépulture?
Je passe volontiers certains tours de baton
Dont un rusé pasteur attrape le teston[56].
Je suis fort catholique, et je n'ay pas envie
De censurer icy les censeurs de ma vie.
Je croy que ce qu'ils font a de bonnes raisons,
Et que tous leurs patrons font bien des guérisons;
Qu'on guerit de tous maux en leur offrant un cierge,
Qu'on en guerit plutost s'il est de cire vierge;
Que qui ne guerit pas n'a pas assez de foy,
Et je croy tout cela parceque je le croy.
Pour moy, je ne veux point penetrer ce mystere;
Mon pasteur me l'a dit, c'est à moy de le croire[57].
Je crois ce qu'il me dit; s'il fait mal, à son dam.
Mais je souffre à regret que l'on achète un ban,
Et que des ornemens qui servent à l'eglise
Soient de differens prix, comme une marchandise.
Si vous voulez les beaux à votre enterrement,
Il faut tant, vous dit-on, pour un tel parement,
Et, pour l'argenterie, un crieur vous demande
Si vous voulez avoir la petite ou la grande[58]:
Le prix est différent, ils vous cousteront tant;
Et si l'on ne fait rien si l'argent n'est comptant.
Jamais aucun credit ne se fait à l'eglise.
N'avez-vous point d'argent, la croix de bois est mise[59];
Enfin, lorsque l'on va porter les sacremens,
Si c'est chez un pauvre homme, on va sans ornemens;
On y va sans flambeau, sans daiz et sans clochette;
En un mot, on diroit qu'on le porte en cachette.
Taisons-nous, toutefois! il est fort dangereux
De parler des pasteurs, et de mal parler d'eux.
Telles gens ne sont pas des sujets de satyre.
Muse, va prendre ailleurs quelque sujet pour rire;
Va t'en au Châtelet voir ces deux conseillers:
Ils etoient l'an passé chez monsieur Desperiers,
Et, comme de seconde on monte en retorique,
Ils furent conseillers sortant de la Logique.
Une explication sur une simple loy
Les abêtit tout deux. Mais, ma muse, tais toy,
J'ay beaucoup de procès. Si tu dis quelque chose,
Tu me mets en danger de voir perdre ma cause;
Et cette liberté trop grande que tu prends
Me feroit pour le moins condamner aux depens;
Trop heureux seulement si ces jeunes novices
Se vouloient moderer en taxant leurs epices.
Je sçais qu'en fait de taxe ils valent bien les vieux,
Qu'ils le font aussi bien, pour ne pas dire mieux.
Mais brisons là dessus, ne faisons point querelle.
Les greffiers, aujourd'huy, font de plus grands abus,
Et ce sont ces gens là qui friponnent le plus.
Je voudrois bien pouvoir les passer sous silence;
Mais quoy! pour quatre mots que porte une sentence,
Pour dire: Un deffendeur payera cent escus,
Ils font en parchemin quatre roles, et plus;
Enfin, ils font si bien, que de quatre paroles
Que prononce le juge ils composent des roles.
Un petit parchemin, plus court de quatre doits
Qu'il ne leur est prescrit par l'ordre de leurs loix,
Une marge plus grande à chaque bout de lignes
Marque que ces gens là sont des fripons insignes;
Sans compter l'à tous ceux qui ces lettres verront,
Qu'ils etendront autant et plus qu'ils ne pourront,
Cent mots reiterez, cent autres synonimes,
Et, toutefois, Paris endure tous ces crimes;
Il aura reformé les pauvres Innocens[60],
Et tous ces criminels recevront de l'encens.
Je ne puis endurer que cette extravagance
Agite maintenant tout l'esprit de la France,
Qu'on fasse en notre etat des nouveaux changemens
Et que l'on laisse encor tant de dereglemens.

La Requeste presentée à Nosseigneurs de Parlement par les Marchands, bourgeois et artisans de cette ville de Paris, pour la diminution d'une demie année des loyers des maisons, chambres et boutiques.—Fait en Parlement, le 19 juin 1652.


A Nosseigneurs de Parlement[61].

Suplient humblement Jacques Motteron, Jacques Rouguon, Guillaume Bourgeois, Jean Nansse, Joseph Boutiffard, Marin David, Edme Farcy, Desprez Jouvellet, François Maurice, Jacques Le Fresne, Jacques Raymault, Jullien de Bray, Claude Mignot, Charles Vaillant, Pierre Bourgeoin, François Philippart, Françoise Chaudun veufve Charles de Combes, Jean Corriasse de Barry, Jacques Mallasye, Michel Filassier, Jacques Bazin, François Vincent, Charles Godefroy, Nicolas le Dreux, Pierre Desmarres, Georges Guillard, Jacques Migoullet, Jacques Chuppin, Jacques de la Mare, Guillaume Dufour, Romain Boutelleux, Pierre Danisy, Dantan, Chenard, Vatin, Mazé, R. Morin, Charles Dutol, Thomas le père, Micloul Maire, Isaac le Fébure, Jean du Foua, Jean Parlot, Antoine Vailly, Gabrielle Bouche, Jacques Prevost, Alexandre Chenet, Hubert Chandellier, Jean Mouppellon, Jérémie Blanchard, Charles Sanse, Lucas Dupuis, Jean Desert, Jean Granveau, Claude Vallerin, Gilbert Charton, Claude Tiphane, Nicolas Lambert, Ctenon, Feuche, Jacques Delihu, Coustellier et Michel Guillaume, Pierre Isenbert, P. Besson, Charles de Lievre, Germain Gobert, Martin Fontaine, Luc Navarte, François Norquier, Pierre Cointerel, Jean Olive, Charles Barbereau, Simon Barteau, Pierre Fromantin, Jean Forestier, Louis Denis, Jacques Tatou, Antoine Mansart, Louis Denis, Alexandre Lesselin, Pierre Poncet, Jeanne Amiot, Nicolas de Combes, Denis Mesnidrieu, Louis Lami, Jean Maglin, Nicolas Lambert, Simon Baudin, François Leclerc, Isaac de l'Estang, Jean Lesselin, Jean Joly, touts marchands bourgeois et artisans de cette ville de Paris, demeurant tant sur les ponts Sainct-Michel, au Change, rue de la Barillerie et ès environs du Palais et lieux adjacents, principaux locataires et sous-locataires des maisons, chambres et boutiques scizes et scituées ès-dits lieux; disans que quelques particuliers, au mois de mars dernier, auroient présenté leur requeste à la Cour, tendante à ce qu'à cause des troubles qui sont dans le royaume et que le commerce a cessé universellement par tout ledit royaume et en autres lieux circonvoisins d'iceluy, au moyen de quoy les supplians, qui n'ont autres revenus pour le maintien de leur famille que leur traficq ordinaire, et lequel n'ayant plus de lieu, ils sont reduits à une extrême disette, ne pouvant avoir moyen de vivre et subsister. Pour raison de quoy ils requeroient par la susdite requeste qu'ils fussent deschargez des loyers qu'ils pouvoient debvoir du terme de Noël à Pasques; mais, la Cour n'ayant voulu prononcer deffinitivement, elle auroit renvoyé lesdits particuliers à eux pourvoir pardevant le prevost de Paris, qui auroit donné jugement tout ambigu et insoustenable, puisque par iceluy il est favorable aux uns, et non aux autres; ce qui auroit donné sujet d'appel tant d'icelle sentence que des exécutions faites sur les biens des supplians; et par ainsi la Cour sera toujours importunée si elle n'en retient la connoissance et ne donne arrest deffinitif. Ce considéré, nos seigneurs, attendu qu'il vous appert de la necessité publique causée par l'effet de la guerre que les supplians n'ont autre moyen de vivre et entretenir leur pauvre famille que leur traficq ordinaire, et lequel ayant cessé, comme il est notoire, ils sont reduits à une disette extrême, joint que la pluspart du temps leurs boutiques sont fermées, estant obligés d'avoir les armes sur le dos et faire garde aux portes; aussi que les proprietaires des maisons et boutiques qu'ils occupent, tirant des louages excessifs, pouvant mieux subsister qu'eux; aussi qu'il ne seroit pas raisonnable qu'ils fussent exempts d'essuyer en partie le mauvais temps present, il vous plaise de vos graces ordonner que lesdits suppliants seront deschargez des loyers dudit terme de Pasques passé, comme aussi de celui de Sainct-Jean mil six cent cinquante-deux, avec deffence ausd. propriétaires et sous-locataires de faire faire aucune contrainte pour lesdits termes de Pasques et Sainct-Jean jusques à ce qu'autrement par la Cour en ayt esté ordonné. Et vous feres bien.

Parlent sommairement les parties à maistre Le Nain, conseiller du roy.

Fait en Parlement, le 19 jour de juin 1652.

A la requeste de maistre François Parent le jeune, procureur en parlement, et de... soit sommé et interpellé maistre... de comparoir à dix heures du matin à la barre de la Cour pardevant monsieur Le Nain, conseiller, pour estre oüys et réglez sur la requestre présentée à ladite Cour le dix-neuf du present mois et an par ledit..... et les y desnommez; de laquelle coppie a esté baillée à ce que ledit..... aye à deffendre si bon luy semble. Dont acte.

Reproches du capitaine Guillery[62] faits aux Carabins, Picoreurs et Pillards de l'armée de Messieurs les Princes.

A Paris, de l'imprimerie d'Anthoine du Brueil, entre le pont Saint-Michel et la rue de la Harpe, à l'Estoille couronnée.

M.DC.XV. In-8.

Ha! mes frères, vous deshonorez l'Estat. Est-ce ainsi qu'on se comporte à la guerre, où tout d'un coup le vallet veut estre maistre, où le pigeon veut voller avant qu'avoir des aisles, où l'escolier veut sortir de l'escolle avant que d'avoir rendu les actes et les preuves de sa profession?

Du temps que Guillery j'estois, on me voyoit marcher sous les cornettes du feu duc de Mercœur[63], et je me fis tellement sous la conduitte d'un chef si important que je devins fort grand conseiller, suptil aux entreprises, et fort grand de courage; bref, ayant acquis toutes les marques d'un bon soldat, on me donna une compagnie, en la conduite de laquelle je m'acquitay de ma charge avec autant de modestie et vaillance que capitaine de mon temps. J'estois tousjours le premier aux escarmouches, et ne demandois qu'à remuer le fer tousjours au milieu du feu et du sang, et jamais ne m'amusois au pillage, l'estimant une chose indigne de ma valeur.

Ce n'est pas là la vie que vous voulez mener, frères: car je voy bien, par les procedures que vous tenez au commancement de ceste guerre, que vous n'avez le cœur qu'à la volerie, qu'au pillage et butin, poltrons que vous estes, soldats de rapine, oyseaux de proye[64]; aussi ne vous fussiez-vous jamais enrollé sous les chefs qui vous conduisent, n'eût esté la belle esperance qu'on vous donna de demeurer maistres de la campagne et vous laisser vivre avec toute sorte de liberté. O pendards! on en pendra tant[65]!

Quant Guillery j'estois, combattans sous les enseignes de mon maistre et bon seigneur, je n'avois du sang et de la vie que pour despendre liberallement à son service, esperant qu'après avoir souffert une infinité de playes, passé et traversé dix mille dangers, le residu de ma meilleure fortune consisteroit en sa bonne affection. Mais quoy! je fus malheureux: car, pour avoir bien et fidellement servy, le sort de ma fortune me rendit miserable et me precipita aux hazards peu honnestes qui, finallement, m'ont conduit au supplice.

Mais vous ne commencez encore qu'à travailler, et desjà vous vous payez par vos mains; servans vos maistres et chefs par vos actions et menées, vous leur acquerez les plus glorieux tiltres du monde; lesquels, au lieu qu'ils croyent avoir des gens de bien avec eux, ils n'ont que des larrons, que des volleurs et des pendars, qui ne se soucient ny du service ny de la bonne affection de leurs chefs. En recognoissance de leur merite, on leur en pendra tant!

Ainsi, me voyant frustré de mes esperances, m'ayant delaissé, je me laissé emporter au desespoir, laissant abastardir mon courage, ne trouvant plus durant la paix où l'exercer genereusement; je feis ma retraicte, de rage et de despit, aux bois et aux forests, pour avancer ma main sur les passans et abandonner mes desirs aux pillages sur les moyens d'un chacun; mais ce ne fut qu'après avoir perdu la saison et le temps de pouvoir exercer ma valleur.

Mais vous autres qu'on conduit aux exercices des armes, qu'on mène sur les lieux au pretendu service du roy, où vous avez l'ame poltronne et coyonne, qu'au lieu de ce faire vous espiez les pauvres paysans: on en pendra tant!

Bien que Guillery je fusse plongé en ce desespoir et en ce dernier despit, comme fort robuste et redouté, je me trouvay assisté de beaucoup de gens qui attachèrent leur vie et leur fortune au mesme hazard que la mienne, où ramassant l'escume de toute la haute et basse Bretagne, Poictou et autres pays; je me trouvay accompagné de plus de quatre cens hommes, tous de faict et de mise[66].

Mais vous autres estes trop lasches et gourmands: vous avez la peau trop tendre pour l'estendre si loing et pour attirer à vous tant d'adjoints; vous ne voulez pas tant de suitte pour faire vos pilleries; aussi auriez-vous peur que le butin de vol ne fût assez ample; si vous estes seulement douze ou quinze d'une bande après la maison de quelque laboureur, vous entre-mangez encore, comme chiens et chats et villains, à qui montera le premier dessus la fille ou la chambrière de la maison et à qui aura la bourse. Au diable soit la canaille! On en pendra tant!

Quant Guillery j'estois, je me rangeay premierement dans la forest de Machechou en Ray, où je dressé ma puissante forteresse pour la retraicte seure de moy et des miens au retour de nos chasses.

Mais pour vous, vous n'avez pour retraictes bien seures que la campagne et quelques meschantes tavernes, où vous arrivez aujourd'huy en l'une, demain en l'autre, sans prendre garde si les prevosts ne vous suivent point. O frères, vous estes trop impudents en ce mestier! On en pendra tant!

Assuré et resolu que j'estois, je trouvay une fois un homme sur le chemin de Nantes, qui s'en alloit solliciter un procez, et me disant qu'il n'avoit point d'argent. A force de prier Dieu, je decouvray qu'il luy estoit venu quatre cens escus en sa pochette; alors luy et moy nous les comptasmes, et, après les avoir comptés, nous partissons esgallement, comme frères, sans autre bruit ny disputes, telle qu'elle fust.

Voyez, frères, voyez si vous estes de si bonne amitié; jà vous estes bien rogues, et ne vaudriez rien à torcher le cul, car vous estes trop rudes et mal gracieux; aussi n'aurez-vous jamais rien: car, quand vous trouvez le pauvre marchand en chemin, vous le saluez de chair et de mots, et, pour tout gracieux accueil, le colletez et luy vuidez sa pauvre bourse, sans vous soucier ce qu'il peut devenir. Ha! ingrats, meschans et indignes d'estre frères de Guillery, on en pendra tant!

Ainsi redouté que j'estois, me transportant en plusieurs lieux, suivant les forests et attendant le retour des marchands le long des grands chemins, je fus une fois adverty que quelques prevots s'estoient amassez avec leurs archers pour me venir surprendre dans la forest de Mochemont, qui est près de Rouen[67]. Là, j'assemblay mes gens et les tiray à quartier, puis envoyay recognoistre les forces des dicts prevots, et moy-mesme m'y transportay, habillé en paysan; puis, ayant veu que leurs forces n'estoient bastantes pour les miennes, je les allay charger dans la dicte forest de telle furie que je les mis en fuitte, et, ayant tué quelques uns et blessé plusieurs, j'en emmenay six ou sept prisonniers, et, les ayant faict attacher aux arbres, nous prîmes leurs casaques, et nous en allasmes la nuict ensuivant à un chasteau proche de là, appartenant à un president, et, feignant le chercher, luy commandasmes d'ouvrir les portes de par le Roy, à l'instant ouvrir coffres et cabinets, où nous fismes fort bien nos affaires.

Voyez, frères, voyez si vous aurez jamais tant d'esprit de resister aux prevosts comme nous fismes et faire de leurs despouilles si joliment vostre profit; c'est bien au contraire: car, si vous les sentiez venir de loing, quoy que vous fussiez aussi forts, vous auriez la fiebvre au cul. Ha! pauvres escoliers, on en pendra tant!

Moy, estant bien armé et associé de bons et valleureux soldats, j'estois la terreur de toute la campagne, l'espouvante des marchands, et guières les prevosts ne venoient me chercher, pour ce que je leur faisois mauvaise escorte et au gros des bois faisais planter des poicteaux où j'escrivois ces mots: «La mort aux prevosts, la corde aux archers[68]!» Nul n'approche ces lieux qui ne soit bien suivy.

Mais vous, nouveaux picoreurs[69], vous ne vallez rien que pour piller le bon homme, que pour destrousser les marchands et rançonner le monde. Allez, la corde à telles gens que vous, qui n'avez du courage que contre un homme seul. Guillery, de son temps, ne vouloit à sa suitte de si lasches poltrons.

Quand je trouvois quelqu'un parmy les chemins, je luy demandois où il alloit, d'où il venoit et quel il estoit; je m'enquestois en suitte des finances qu'il avoit, et, après l'avoir fouillé et particulierement visité, si je ne luy trouvois argent suffisamment pour accomplir son voyage, je luy en donnois du mien; s'il en avoit plus qu'il n'en avoit besoin pour achever son chemin, nous le comptions et partissions comme frères, et, cela fait, le laissois aller sans luy faire aucun autre tort ny dommage.

Voyez si vous estes de si bonne conscience; je tiens pour tout asseuré que vous n'auriez garde de faire le semblable; je vous tiens d'un tel naturel, et l'experience le monstre, que vous arracheriez volontiers le cœur des pauvres gens, puis que, les ayant tous vollez, pillez et desrobez, encore leur mettez-vous le poignard sous la gorge pour leur faire confesser, de force ou de gré, s'ils n'ont point destourné quelque partye de leur bien; vous leur donnez le fronteau[70], vous leur serrez les poulces avec les rouets[71] d'arquebuze. Ha! quelle desolation! Vous estes des bourreaux sans misericorde, vous en serez payez au double, car il n'y a point de supplice qui puisse esgaller vos forfaits et demerites. On disoit l'an passé que, vous estans en Poictou, après vous avoir rendus souls comme bougres[72], enyvrez jusques à jetter le vin par la gorge, par le nez et par les yeux, miserables que vous estes, vous renversiez les muids de vin dans les puits à faute de contenter vos maudites volontez par argent. Mais, quoy! que dict-on de vous en ceste armée? Je ne sçay si je dois croire: on dit que, pour avoir de l'argent, vous despouillez les hommes à leur chemise, et les battez et outragez de telle sorte que plusieurs en sont morts. Au diable soit donné vostre race; vous aurez bonne issuë de tout cecy un de ces matins.

Moy, Guillery, ayant esté si consciencieux, si fidelle, si accostable et si peu soucieux de ces richesses du monde, si ennemy des meurtriers, pour avoir fui, hay le meurtre, le sang et la cruauté; pour avoir esté si doux et si clement envers les marchands que de ne prendre que la moitié de leur argent, pour leur en avoir donné quand ils n'en avoyent point pour parachever le residu de leur voyage; pour n'avoir fait si bonne composition avec les simples; si, dis-je, pour avoir esté de cet humeur en cet indigne estat de volleur, je n'ay pas laissé d'estre prins, poursuivy et mené par les prevots, archers et sergens dans la ville de La Rochelle, où mon procez me fut faict, et moy condamné à estre rompu tout vif sur une roue[73], que devez-vous estre donc, meurtriers inhumains, volleurs insignes, brigands et larrons, qui sans mercy et sans misericorde vollez et desrobbez tout ce qui se rencontre sous vos mains, qui mettez dehors des maisons les femmes pleurans et gemissans avec leurs petits enfans entre leurs bras, contraintes de s'en aller chercher ailleurs leur meilleure advanture avec un baston blanc en la main; leurs pauvres maris en fuitte, contraints de renoncer à tout, aymant mieux souspirer leur malheur à l'ombre d'un buisson que vivre avec vous toute sorte de tyrannie, de felonnie et de barbarie; et quelle pitié, frère, d'entendre aujourd'huy parler de vous en comparaison:

Guillery fut en sa jeunesse
Carabin remply de valeur;
Puis, declinant vers sa vieillesse,
Devint un insigne volleur.

Mais jamais il ne se dira de luy les choses que quatre des meilleures provinces de nostre France publieront à l'advenir de vous, et je voy l'heure qu'un de ces matins qu'on fera une telle perquisition de vostre vie enragée et de tant de volleries que vous avez faictes contre la volonté des dicts sieurs les princes, car je le croy ainsi, qu'il ce fera une telle execution de vos charongnes qu'il n'y aura rien d'oublié du pareil qu'il se fit durant les derniers troubles, à la penderie de Bretaigne faicte par le comte de Lamoignon, commandant pour lors à un regiment pour feu monsieur le duc de Mercœur. Cela vous est tout acquis, et n'en esperez pas moins, car vous meritez cent fois plus, et ne sçay ce que c'en sera. Sa Majesté en reçoit tous les jours des plaintes et recevra encore plus que jamais d'oresnavant, par tant de familles que vous avez ruinées et mises au blanc. Telle sera vostre fin, telle la recompense de vos beaux faicts, tels les salaires de vos courses, et tel le prix destiné aux plus cruels et felons voleurs du monde, ainsi que chacun vous a recogneus.

Manifeste de Pierre Du Jardin, capitaine de la Garde[74], prisonnier en la Conciergerie du Palais, à Paris.

M.DC.XIX. In-8.

Moy, la Garde, estant à Naples, je fus traitté plusieurs fois par Charles Hebert, secretaire du feu mareschal de Biron, où estoit Mathieu de la Bruyère[75], lieutenant particulier au Chastelet pendant la Ligue, qui estoit l'un des principaux autheurs de la conspiration, et le sieur Roux, Provençal, et Louys d'Aix, cy devant gouverneur de Marseille au temps de la mort de Casau[76], tous les quels, avec ledit la Garde, estans au logis dudit sieur de la Bruyère, disnans ensemble, s'y trouva Ravaillac, qui dit qu'il tueroit le roy ou qu'il mourroit en la peine[77], et qu'il avoit apporté des lettres du sieur d'Espernon au vice-roy de Naples, comte de Benevente, et qu'après disner il en vouloit aller retirer response du dit vice-roy de Naples.

Quelques jours après, le dit de la Bruyère mena le dit la Garde chez le Père Alagon, jesuite, oncle du duc de Lerme, Espagnol; lequel jesuite luy proposa d'entreprendre l'execution dont s'estoit chargé le dit Ravaillac, comme l'estimant digne d'une telle entreprinse, pour laquelle il luy feroit donner cinquante mil escus et le feroit grand en Espagne[78].

A l'instant que j'eus descouvert ces choses, je fus avertir monsieur Zamet le lendemain au matin à la pointe du jour, le quel fit serment sur les sainctes Evangiles qu'il ne me descouvriroit et ne m'accuseroit point pour le dit advertissement, sous la quelle asseurance je luy racontay toute l'affaire cy-dessus; le quel, aussi tost qu'il l'eut entendue, escrivit au roy et au sieur Zamet[79], son frère, estant lors à Paris, et les advertissant du grand armement qui se faisoit au dit Naples de cent galères et dix ou douze gallions chargez de pouldres, canons, pics, pioches, hottes, pelles, petards, ponts à crochets, poudres pour empoisonner les eaux, force vivres et vingt-cinq mil hommes entretenus pour trois mois, le tout pour s'en venir en France.

Moy, voyant si pernicieux dessein, je partis de Naples ayant lettres dudit sieur Zamet addressantes à monsieur Rabie[80], maistre des courriers de Sa Majesté à Rome, qui est François, le quel me presenta à monsieur de Breves[81], ambassadeur pour Sa Majesté au dit Rome, chez le quel je fus plus d'un mois, et luy declaray le tout.

Pendant le quel sejour je receus lettres du sieur Zamet, qui me conjure au nom de Dieu de parachever mon voyage en France, les quelles lettres sont ès mains de nos seigneurs de Parlement, qui sçavent assez la candeur de mon affection au service de Sa Majesté et les périls et dangers que j'en ay encourus. Il y a d'autres lettres ès mains de mes dits seigneurs de Parlement que le dit sieur de la Bruyère, l'un des sus dits, m'escrivit, les quelles je receus à Gayette, qui declarent tout ce que dessus; mesmes, par mes interrogatoires devant ce celèbre Parlement, par plusieurs fois en ont ouy de ma bouche la verité de ce que dessus; lettres, passeports, lettres-patentes et autres pièces tesmoignent assez cette verité, le zèle et affection que j'ay envers le roy et son Estat.

A mon partement de Rome, je prins lettres du dit sieur de Breves, ambassadeur, addressantes à monsieur de Villeroy, au quel je les donnay à Fontainebleau le lendemain que monsieur le duc de Nevers fut arrivé, avec le quel sieur duc je vins de Rome. Le lendemain, j'eus audience de Sa Majesté, à la quelle je donnay les lettres, qu'il leut en la presence de plusieurs seigneurs que j'ay nommez par mes dits interrogatoires par plusieurs fois, et me commanda sa dicte Majesté de les bien garder, ce que j'ay fait, les ayant depuis mis ès mains de mes dits sieurs du Parlement.

Et, de plus, me commanda sa dicte Majesté d'accompagner monsieur le grand mareschal de Pologne, et faire ce qu'il me commanderoit pour le service de sa dicte Majesté, tant en Flandres, Angleterre, Hollande, Pologne, Allemagne, et de ne parler des choses sus dictes qu'à ceux à qui j'en avois parlé, et qu'il rendroit ses ennemis si petits qu'ils ne luy feroient point de mal, et que ce que Dieu garde est bien gardé[82].

Voilà tout ce qui s'est passé, selon la verité. Si j'ay delinqué en quelque chose, pour quelque crime que ce soit, je supplie Sa Majesté de commander à son Parlement de me faire faire mon procès, ou bien de me donner la liberté, afin de pouvoir employer le reste de mes jours à son service.

Histoire du poète Sibus[83].

Que voulez-vous que je vous die de ce petit homme? Il faudroit avoir autant d'industrie que Heinsius, qui nous a depuis peu donné de si beaux discours sur un pou[84], pour vous pouvoir entretenir de cette petite portioncule de l'humanité. Toutefois, si le proverbe est veritable: Deina peri phachis, il faut esperer que nous en sortirons à nostre honneur.

Premierement, vous devez sçavoir que ce n'est pas de poëte seulement, mais de musicien aussi, que Sibus a joué le personnage dans le monde; et c'est ce qui fait que vous devez moins vous estonner de sa misère, estant doué de ces deux bonnes qualitez, dont une seule ne manque presque jamais à rendre un homme gueux pour toute sa vie. Ce n'est pas qu'à dire le vray il ait jamais possedé ny l'une ny l'autre veritablement; mais tant y a qu'il n'a pas tenu à luy qu'il n'ait passé pour tel, et que quelques-uns mesme, soit pour ne le pas bien connoistre, soit peut-estre aussi pour le voir si gueux, l'ont pris pour ce qu'il desiroit d'estre. Il est vray que, comme il connoissoit son foible, il avoit l'industrie de ne parler jamais de vers devant les poëtes, mais tousjours de musique, et avec les musiciens de ne parler que de vers: de sorte que parmy les poëtes il passoit pour musicien, et parmy les musiciens pour poëte. C'est ce qui me donna bien du plaisir un jour que, m'estant successivement trouvé avec Voiture et Lambert[85], et estant tombez par hazard sur le sujet de ce petit poëte: «Il est vray, me dit Lambert, que le pauvre petit Sibus ne sçait rien du tout en musique; mais, en recompense, pour ce qui est des vers, on dit qu'il en fait à merveille.» Voilà le jugement qu'en faisoit ce musicien. Mais le bon fut qu'incontinent après, ayant rencontré Voiture: «Pour moy, nous dit-il, je ne sçay guère ce que c'est que de la musique, et je croy que Sibus y excelle; mais il a grand tort de se vouloir mesler de faire des vers, où il n'entend rien.»

C'est pourtant à ce dernier mestier qu'il s'est apliqué principalement, et c'est celuy qui l'a le plus fait connoistre dans le monde. Aussi ne vous entretiendray-je guère que de Sibus le poëte, ses principales avantures luy estant arrivées sous ce dernier personnage, ainsi que vous le verrez par le recit que je vais faire de ce que j'ay pû apprendre de sa vie.

Pour commencer donc par la naissance de nostre heros, comme j'ay remarqué dans les bons romans qu'il faut toûjours faire, je vous diray que vous ne pouviez trouver personne qui vous en pût mieux instruire que moy, personne n'en ayant jamais eu connoissance. Vous diriez que ce petit homme ait esté trouvé sous une feuille de chou comme Poussot[86], ou qu'il soit sorty de la terre en une nuit comme un champignon. Tant y a qu'il a esté si heureux qu'il n'a jamais connu d'autre père que Dieu, ny d'autre mère que la Nature. Il coula les premiers jours de sa vie dans Nostre-Dame; ses premières années dans plusieurs autres eglises, sous un habit bleu[87], avec un tronc à la main, et les suivantes dans le collége de Lizieux[88], où il trouva moyen de s'elever à l'estat de cuistre[89]. Ce fut là qu'à force de lire les plus rares chefs-d'œuvre de nos poëtes françois, qu'il rapportoit tous les jours du marché avec le beurre et les autres drogues qu'il achetoit pour le disner de son maistre, il luy prit une si forte passion pour la poësie, qu'il resolut, ainsi qu'il disoit alors, de devouer toutes les reliques du peloton de ses jours au service des neuf pucelles du mont au double coupeau. Mais pour ce qu'à son gré, pour un poëte de cour tel qu'il vouloit estre, il ne se trouvoit pas bien dans un collége, il se resolut de changer l'université pour le fauxbourg Saint-Germain. Il y alla donc loger au haut d'un grenier, et vous ne sçavez pas la belle invention dont il usoit pour y escrire ses beaux ouvrages sans qu'il luy en coustast rien en plume, en encre ny en chandelle. Il avoit l'industrie de laisser tellement croistre l'ongle du doigt qui suit le poulce de la main droite qu'il le tailloit et en ecrivoit après comme d'une plume. «Parbleu! voilà un galand homme! s'escria icy l'amy de Sylon. Ne s'en sert-il point aussi au lieu de chausse-pied, et ne vend-il point les autres pour faire des lanternes?—C'est un trafic dont je ne voudrois pas jurer qu'il ne se soit avisé, continua Sylon; mais tant y a qu'il n'y a rien de si extraordinaire dans la longueur de ses ongles qui ne passe pour une très grande galanterie au royaume de Mangy[90], ou de la Chine et de Cochinchine, comme aussi parmy les naïres[91] de la coste Malabare, où les grands ongles ne se portent que par les nobles, et où c'est une marque de roture de les avoir courts. C'est peut-estre, repliqua l'amy de Sylon, ce qui fut cause de la belle mode qui courut parmy nos godelureaux il y a quelque temps, de laisser ainsi croistre l'ongle du petit doigt[92]. Quoy qu'il en soit, reprit Sylon, ce fut l'artifice dont usa Sibus pour ne point acheter de plume. Au lieu d'encre, il se servoit de suye qu'il détrempoit dans de l'eau: de sorte que, son ecriture roussissant à mesure qu'il la faisoit, il disoit par galanterie à ceux qui l'en railloient que c'estoit qu'il n'ecrivoit qu'en lettres d'or; et il fit un petit trou, qu'il avoit soin de boucher tous les matins d'une cheville, à une meschante cloison qui separoit son galetas de celuy d'une blanchisseuse chez laquelle il logeoit, de manière que, la lueur de la lampe à la faveur de laquelle la blanchisseuse sechoit son linge venant à passer par ce trou, il appliquoit son papier justement au devant, et deroboit ainsi sans pecher ce qu'il n'avoit pas le moyen de payer. Pour le jour, il le passoit ou à corriger les fautes dans une imprimerie[93], ou à se promener dans la court du logis où il demeuroit: car j'oubliois à vous dire qu'il avoit aussi trouvé le moyen de se chauffer à peu de frais. Il avoit remarqué un matin par sa fenestre qu'il sortoit une epaisse fumée d'un gros tas de fumier qui estoit dans la court. Nostre poëte jugea que c'estoit là son fait, et ne manqua pas un seul jour de l'hyver d'y faire son peripatetisme et d'y aller rechauffer le feu de sa veine.

C'estoit sur cette plaisante façon de vivre que, faisant reflexion: «C'est ainsi, disoit-il en luy-mesme, taschant à se persuader qu'il estoit un bien grand personnage, à force de se comparer aux plus grands hommes de l'antiquité, dont il avoit leu quelque chose dans de meschans lieux communs; c'est ainsi que se promenoient Aristote dans son licée, Platon dans son academie, Zenon sous ses portiques, Epicure dans ses jardins, Diogène dans ses cynozarges, Pyrrhon dans ses deserts, Orphée dans ses forests, tant de bons anachorettes dans leur solitude, et nostre premier père Adam dans le paradis terrestre.» Ces pensées le faisoient tomber dans d'autres qui ne luy donnoient pas moins de satisfaction. Il comparoit la peine qu'il prenoit la nuit pour gagner de quoy vivre à celle qu'avoit Cleanthes de tirer de l'eau toutes les nuits pour avoir le moyen de philosopher le reste de la journée, et sa plaisante façon d'ecrire le faisant souvenir de la lanterne d'Epictète, qui fut vendue trois mille drachmes après son deceds[94], il se persuadoit que le petit trou qu'il avoit fait à sa cloison pourroit bien estre quelque jour aussi celèbre. Il est vray que, du commencement, il luy survint un accident qui modera bien sa joye: il remarqua qu'à force de se promener le long de sa court il usoit bien plus de souliers, et qu'une paire de bouts qui avoit coustume de luy durer plus de quinze jours ne luy en servoit plus que douze. Que fit-il? Il se resolut au repos. C'estoit un plaisant spectacle de considerer nostre petit enfant barbu planté comme une fourche devant une montagne de fumier, en humer l'exhalaison, et passer un demy-jour sans se mouvoir. Que s'il entendoit quelque bruit, il se contentoit de tourner la teste, car il n'avoit garde de se remuer tout à fait, de peur d'user toujours ses souliers d'autant. Il s'imagina mesme que ce fumier luy pourroit bien estre utile à moderer les ardeurs de la faim, ayant ouy dire que les cuisiniers mangent beaucoup moins que les autres hommes, à cause des fumées des viandes qui les nourrissent; mais ce ne fut pas le seul artifice dont il se servit pour suppléer au deffaut de nourriture. Par malheur, ayant mis le nez un jour dans Aulu-Gelle, il y leut que le medecin Erasistrate avoit trouvé l'invention de demeurer long-temps sans manger par le moyen d'une corde dont il se serroit le ventre[95]. Sibus jugea que c'estoit là un exemple dont il devoit faire son profit; et pour ce que ce n'estoit pas, à son advis, tant au ventre qu'à la gorge que le mal le tenoit, il voulut encherir sur cette invention, et s'etreignit le col de telle sorte qu'il se pensa etrangler, et en fut long-temps malade.

Ce n'est pas que, quand il pouvoit manger aux despens d'autruy, il ne s'en acquitast de très bonne sorte, car, pour luy, s'il se trouvoit en quelque occasion où il fallût mettre la main à la bourse, il s'en excusoit fort bien, alleguant que, comme Protogène, en faisant à Rhodes le portrait de Jalise, n'avoit vescu que d'eau et de lupins pendant plus de sept ans qu'il y travailla, il estoit obligé de mesme d'observer un regime semblable à cause de son grand poëme auquel il estoit occupé. Toutefois, ce fut une chose bien plaisante, un soir de Saint-Martin, qu'il se servit de cette defaite envers un solliciteur de procez qui logeoit en mesme maison que luy, et qui luy avoit demandé s'il ne vouloit pas qu'ils fissent la Saint-Martin ensemble: car celui-cy, voyant rostre homme si eloigné de la proposition qu'il luy avoit faite, se contenta d'envoyer querir pour son souper un poulet, jugeant que cela suffisoit pour luy. Mais il ne fut pas plutost à table que, Sibus s'en estant approché petit à petit, puis en prenant une cuisse de poulet: «Deussay-je interrompre, luy dit-il, mon travail pour quinze jours, si faut-il que j'en taste, tant je trouve qu'il a bonne mine.—Nous en pouvons encore envoyer querir un autre, repliqua le solliciteur, si le cœur vous en dit.—Ah! mon Dieu! reprit le poëte, que ce discours desesperoit, ne me donnez point occasion de violer ma loy davantage: car, s'il y avoit plus de viande, j'ay si peu de pouvoir sur moy que je ne me pourrois empescher d'en manger.» Il eluda donc ainsi la proposition du solliciteur. Neantmoins, comme celuy-cy, qui n'attendoit pas ce renfort, n'avoit fait acheter à souper que ce qu'il luy en falloit, il se trouva que, sa faim n'estant qu'à demy rassasiée, il fut obligé d'envoyer encore querir un autre poulet. Le poëte ne fit pas semblant de s'en appercevoir; mais, quand il fut sur la table et qu'il eut bien fait de l'etonné: «Ne vous l'avois-je pas bien dit, continua-t-il en se mettant encore après, que je ne me pourrois empescher d'en manger?»

C'est ainsi que Sibus vivoit le moins qu'il pouvoit à ses despens, et le plus qu'il luy estoit possible à ceux d'autruy; et ce fut en ce temps-là qu'à force de vendre ce qui n'estoit pas à luy, c'est-à-dire les sonnets et les odes qu'il avoit derobés, et d'epargner en bois, en chandelle, et principalement en viande, il amassa de quoy acheter d'une crieuse de vieux chapeaux, des canons de treillis[96] et une vieille panne. Il ne faut pas demander s'il se trouva brave quand il l'eut attachée à son manteau, et s'il fit estimer sa marchandise à tous ceux qu'il connoissoit. Tantost, afin d'avoir occasion d'en parler, il disoit qu'il croyoit avoir esté trompé; tantost il demandoit s'il n'avoit pas eu bon marché, et surtout il ne manquoit pas de dire qu'il avoit veu un homme fort bien fait en offrir autant que luy en sa presence. Ces importunes reflections, dont il lassa tout le jour la patience d'un chacun, firent qu'on se resolut de luy faire oster son manteau dès le soir mesme, afin d'avoir le plaisir de voir avec quelle force d'esprit il supporteroit la perte de ce bien-aimé. Pour ce dessein, comme il s'en retournoit chez luy fort tard, on mit dans un coin de rue par où il devoit passer une lanterne, avec un papier tout proche, où estoit escrit en grosse lettre: «Rends le manteau, ou tu es mort.» La poltronnerie du poète estoit si connue qu'on sçavoit bien que, quelque amour qu'il luy portast, il ne laisseroit pas de le quitter aussi tost qu'il auroit leu ce billet. Aussi n'y manqua-t-il pas, et, dès qu'un de ses amis qui s'en retournoit avec luy, et qui estoit de l'intrigue, eust ramassé le papier, il osta bravement son manteau de dessus ses espaules, et, le couchant auprès de la lanterne: «Quelque sot, dit-il, aimeroit mieux un manteau que sa vie.» Son amy, à dessein de l'eprouver, luy dit que, pour luy, il n'estoit pas resolu de laisser ainsi le sien à si bon marché. Sibus ne l'entendit pas seulement, car, dès qu'il avoit eu posé son manteau, il s'estoit mis à fuir de si bonne sorte qu'il estoit dejà bien loin. Je ne vous entretiendray point des lamentations qu'il fit sur sa mauvaise avanture lors qu'il fut chez luy, et que la seureté où il se vit luy permit de faire reflection sur la perte qu'il venoit de faire. Tous ceux qui estoient du complot ne manquèrent pas de le venir voir aussi-tost, disant qu'ils venoient d'apprendre le danger qu'il avoit couru; mais toutes leurs consolations furent inutiles, et il n'y eust que la restitution qu'ils luy firent de son manteau capable d'appaiser son affliction. Faisant tant d'estat de ce bel accoustrement, je vous laisse à penser s'il estoit homme à le prophaner et pour mettre à tous les jours ce beau fruit d'une diette qui avoit plus duré que celle de Ratisbonne[97]. Que pouvoit-il donc faire? Car d'avoir un autre manteau il n'en avoit pas le moyen, et il ne se pouvoit aussi resoudre à porter celuy-cy ordinairement. Il trouva un autre expedient, qui fut de ne bastir sa pane[98] qu'à grands poincts à son manteau, de sorte qu'il luy estoit facile de la mettre et de l'oster quand il luy en prenoit fantaisie. Pour ses canons de treillis, il s'avisa de les passer dans ses bras pour conserver ses coudes et luy servir de gardes-manches.

—Ah! vrayment, interrompit Sylon, c'estoit donc bien le moins que je pusse faire que de luy payer son fil et la peine qu'il avoit prise à se deboter et se harnacher de sa pane! car j'oubliois à vous dire que je l'ay tantost pensé meconnoistre, tant il estoit brave au prix de ce que je le venois de voir à la Grève.—Vous ne luy deviez pas beaucoup pour cela, reprit son amy, car ne vous imaginez pas qu'il change de fil quand il la decout; il ne manque jamais à le serrer pour la prochaine fois.

Avec tout son bon menage, neantmoins, il ne se put empescher de devoir quatre ou cinq termes à son hotesse. Jugez si c'estoit une debte bien asseurée! Il connoissoit un nommé Mamurin[99], par le moyen duquel il se tira de ce fascheux pas. Voyant que sa blanchisseuse refusoit de luy faire credit plus long-temps, et ne vouloit pas pourtant laisser sortir ses meubles, qui consistoient en un meschant lit, un escabeau à trois pieds, un vieux coffre et la moitié d'un peigne, il les fit saisir par ce Mamurin, comme plus ancien creancier: de sorte que la pauvre hostesse, qui n'avoit pas bien consulté son procureur, se resolut à luy faire credit. Il en affronta encore plusieurs autres de diverses façons, et se decredita enfin de telle sorte qu'on luy a souvent entendu dire que, bien que Paris soit très grand, il estoit pourtant fort petit pour luy, n'y ayant plus que trois ou quatre rues par où il osast passer.

Il tascha neantmoins de remedier à cette horrible pauvreté par d'assez plaisans trafics. Un jour, n'ayant point de quoy manger, il alla sur le Pont-Neuf à un charlatan, avec qui il fit marché pour dix sols de se laisser arracher deux dents[100] et de protester tout haut aux assistans qu'il n'avoit senty aucun mal. L'heure dont ils avoient convenu ensemble estant donc venue, Sibus ne manqua pas, ainsi qu'ils avoient arresté, de venir trouver son homme, qu'il rencontra au bout du Pont-Neuf qui regarde la rue Dauphine, divertissant les laquais et les badauts par ses huées, ses tours de passe-passe et ses grimaces; il tenoit un verre plein d'eau d'une main, et de l'autre un papier qui avoit la vertu de teindre l'eau en rouge. «Horçà, Cormier[101], ce disoit ce charlatan en s'interrompant et se repondant luy-mesme, qu'est-ce que tu veux faire de ce verre et de cette yeau?—Hé! je veux changer cette yeau en vin pour donner du divertissement à ces messieurs.—Hé! comment est-ce que tu changeras cette yeau en vin pour donner du divertissement à ces messieurs?—Hé! en y mettant de cette poudre dedans.—Mais, en y mettant de cette poudre dedans, si tu changes cette yeau en vin, il faut donc qu'il y ait là de la magie?—Il n'y a point de magie.—Il n'y a point de magie! Il y a donc de la sorcellerie?—Il n'y a point de sorcellerie. Non, Non.—Il y a donc de l'enchanterie?—Il n'y a point d'enchanterie. Non, Messieurs, il n'y a ny magie, ny sorcellerie, ny enchanterie, ny guianterie; mais il est bien vray qu'il y a peu de guiablerie. Gnian vela le mot.»

Le coquin n'eut pas plutost achevé ces paroles qu'il s'eleva un grand eclat de rire par toute la badauderie, comme s'il eust dit la meilleure chose du monde. Pour luy, après avoir long-temps ry avec les autres, il reprit ainsi sa harangue: «Mais, me dira quelqu'un, viençà, Cormier; je sçay bien que tu es bon frère, tu as la mine de ne te point coucher sans souper, tu ne manges point de chandelle; mais à quoy sert ça de changer ton yeau en vin, elle n'en a speut-il faire pas le goust?—Non, Messieurs, elle n'en a pas le goust. A quoy sert ça de mentir? Je ne suis ny charlatan, ny larron; je suis Cormier, à vostre service et commandement. Ardé! velà ma boutique; n'y a si petit ne si grand qui ne vous l'enseigne. Il y a trente ans, Guieu marcy, que je demeurons dans le carquier.» Il dit tout cecy en ostant son chapeau; puis, en le remettant: «Mais à quoy ça sert-il donc, poursuivit-il, de changer cette yeau en vin, si elle n'en a pas le goust? A quoy ça sert? Ho! voicy à quoy ça sert: Vous vous en allez un dimanche, par magnière de dire, après la grande messe, dans une tavarne. «Holà! Madame de cians, y a-t-il moyen de boire un coup de bon vin?—Ouydà, Messieurs; à quel prix vous en plaist-il? à six ou à huit?» Là-dessus: «Donnez-nous-en, ce faites-vous, à six ou à huit sols, tant du pus que du moins.—Pierre, allez tirer du vin à ces Messieurs, tout du meilleur. Viste, qu'on se depesche!» Velà qui va bien. Vous vous mettez à table, vous mangez une crouste, vous dites à la maistresse: «Madame de cians, faites-nous donner un sciau d'yeau pour nous rafraischir, car aussi bien velà un homme qui ne boit que du vin de la fontaine.» Dame! là-dessus, quand on vous a apporté du vin, vous le beuvez, et, quand vous l'avez beu, vous remplissez la pinte de vostre yeau, et pis vous dites au garçon: «Quel fils de putain est ça? Il nous a donné du vin poussé! Va-t'en nous querir d'autre vin!—Messieurs, c'est tout du meilleur.—Quel bougre est ça? Je te barray sur ta mouffle! je t'envoyeray voir là-dedans si j'y sis! Tu n'es pas encore revenu?» Là-dessus, le pauvre guiable, ayant regardé dans son pot et le voyant plein, emporte son yau et vous raporte en lieu de bon vin. Dame! je vous laisse à penser s'il est de la confrairie de saint Prix[102]

Le charlatan ayant ainsi expliqué l'utilité de sa poudre[103], on croyoit qu'il en alloit faire l'experience, quand il changea tout d'un coup de discours pour tenir tousjours son monde d'autant plus en haleine, et se mit à faire une longue digression sur l'experience qu'il avoit acquise par ses voyages, tant par la France qu'autre part, à tirer les dents sans faire aucune douleur. Il n'eust pas plutost achevé la parole, qu'on ouït sortir du milieu de la foule la voix d'un homme qui disoit: «Pardieu! je voudrois qu'il m'eust cousté dix pistoles et que ce qu'il dit fût vray! Il y a plus d'un mois que je ne dors ny nuit ny jour, non plus qu'une ame damnée!» Cette voix estoit celle du poëte, qui prenoit cette occasion de paroistre, ainsi qu'il avoit esté accordé entr'eux. Le charlatan luy dit qu'il falloit donc qu'il eust quelque dent gastée, et qu'il s'approchast. Et pource que Sibus feignoit d'en faire quelque difficulté: «Approchez, vous dis-je, reitera le fin matois; nostre veuë ne vous coustera rien. Je ne sommes pas si guiable que je sommes noir; s'il n'y a point de mal, je n'y en mettrons pas.» Nostre petit homme s'avança donc, et l'autre, luy ayant fait ouvrir la bouche et luy ayant long-temps farfouillé dedans, luy dit qu'il ne s'etonnoit pas s'il ne pouvoit dormir; qu'il avoit deux dents gastées, et que, s'il n'y prenoit garde de bonne heure, il couroit fortune de les perdre toutes. Après plusieurs autres ceremonies que je passeray sous silence, Sibus le pria de les luy arracher; mais quand ce fut tout de bon, et que des paroles on en fut venu à l'execution, quelque propos qu'il eust fait de gagner ses dix sols de bonne grace, la douleur qu'il sentoit estoit si forte qu'elle luy faisoit à tous momens oublier sa resolution. Il se roidissoit contre son charlatan, il s'ecrioit, reculant la teste en arrière; puis, quand l'autre avoit esté contraint de le lascher: «Ouf! continuoit-il, portant la main à sa joue et crachant le sang; ouf! il ne m'a point fait de mal!» C'estoit donc un spectacle assez extraordinaire de voir un homme, les larmes aux yeux, vomissant le sang par la bouche, s'ecriant comme un perdu, protester neantmoins en mesme temps que celuy qui le mettoit en cet estat et le faisoit plaindre de la sorte ne luy faisoit aucune douleur. Aussi, quoy qu'il en dît, y avoit-il si peu d'apparence, que le charlatan luy-mesme, au lieu de deux dents qu'il avoit mises en son marché, ne luy en voulut arracher qu'une. Il ne faut pas demander si le poëte fut aise de s'en voir quitte à si bon compte; mais ce fut bien à dechanter quand, estant allé le soir chez son homme pour toucher son salaire, l'autre le luy refusa, alleguant qu'il avoit tant crié qu'il luy avoit plus nuy que servy; qu'il ne luy avoit rien promis qu'à condition qu'il souffriroit sans se plaindre qu'on luy ostât deux dents, et qu'il n'avoit pas osé les luy arracher, de peur que, par ses cris, il ne le dechalandast pour jamais. Il ne faut pas demander s'il y eust là-dessus une grande querelle entre ces deux personnages. Le poëte, faute d'autres armes, a recours aux injures, et, pour tâcher d'attirer quelqu'un en sa faveur, se plaint que l'autre luy a arraché une gencive et appelle le charlatan bourreau. Celuy-cy s'en moque, et dit en riant qu'il a de bons temoins qui luy ont entendu dire à luy-mesme qu'il ne luy avoit fait aucun mal. Je passois par hazard par là lorsque cette plaisante repartie fut faite au pauvre Sibus, que je decouvris, malgré sa petitesse, au milieu de cent personnes qui l'entouroient. Je demanday ce qu'il y avoit, et l'on m'apprit tout ce que je viens de vous dire. Je vous avoue que cette avanture, toute plaisante qu'elle est, ne laissa pas de m'attendrir et de me donner de la compassion; et, jugeant qu'un homme qui vendoit ses dents pour avoir de quoy manger devoit estre en une etrange necessité, je tiray mon poëte de la foule et le menay souper chez moy. Je ne sçay pas comment il s'en fût acquité s'il eust eu toutes ses dents; mais je vous jure qu'à le voir bauffrer je n'eusse jamais deviné qu'il en eust manqué d'une seule, et qu'il me fit bien rabaisser de l'estime que j'avois pour le miracle de Sanson, qui defit tant d'ennemis avec la maschoire d'un asne, faisant trois fois plus d'execution avec une maschoire moindre pour le moins trois fois. Après le souper, je ne pus m'empescher de luy lascher quelque petit trait de raillerie sur son avanture passée. Mais tournant subitement la chose en galanterie: «Je croy bien, me dit-il; n'ay-je pas eu raison de m'en defaire? Elles n'estoient bonnes qu'à me faire de la depense et vouloient tousjours manger.» Cette reponse me surprit; mais il m'en fit une autre quelques jours après qui, pour n'estre pas si aiguë ny si plaisante, ne laisse pas, selon mon jugement, d'estre aussi adroite.

Contraint comme l'autre fois par la necessité, il alla encore sur le Pont-Neuf chanter quelques chansons qu'il avoit faites. Il esperoit de n'estre pas reconnu, pource qu'il s'estoit deguisé du mieux qui luy avoit esté possible; mais la chose estoit allée contre sa pensée, et, l'ayant encore reconnu en passant par là, il eut bien l'adresse, lors que je l'en pensay gausser, de me dire froidement: «Pardieu! cinquante pistolles sont bonnes à gagner», pour me faire croire que ce qu'il en avoit fait n'avoit esté que par gageure.

Ce sont les moyens par lesquels Sibus taschoit à subsister. Neantmoins, pource qu'il ne pouvoit pas fournir de dents autant qu'il luy en eust fallu tous les jours, je dis quand mesme on les lui auroit payées, voicy encore une autre invention dont il s'avisa: Comme sa veine n'estoit pas des plus fertiles, ny de celles qui portent de l'or, il faisoit faire des vers par quelqu'autre, qu'il vendoit sous main à son libraire, et l'autre avoit pour soy le gain de la dedicace, dont il ne manquoit pas de faire part à Sibus pour le bon office qu'il croyoit qu'il luy eust rendu en faisant imprimer sa pièce[104]. Vous me demanderez comme est-il possible que des libraires voulussent donner un seul teston d'un si miserable travail. Voicy l'artifice dont il usoit pour les attraper: Quelques jours avant que de leur parler de ce qu'il desiroit mettre sous la presse, il envoyoit tous ses amis au Palais s'enquerir à tous les libraires s'ils n'avoient pas un tel ouvrage de monsieur un tel[105]. Ceux-cy, voyant tant de gens venir demander son livre, croyoient qu'indubitablement ce devoit estre quelque chose de bon: de sorte qu'au commencement il en tiroit d'assez bonnes sommes. Mais enfin ils descouvrirent la trame et le firent mettre une fois en prison pource qu'il leur avoit vendu à cinq ou six un mesme ouvrage sous diferent titre, qu'il avoit aussi dedié à diverses personnes pour en tirer plus d'argent.

Vous voyez quelle sorte de vie ce petit homme mène, et combien d'affronts il est sujet à recevoir, jusque là que les petits enfans luy font tourner son chapeau sur la teste et luy donnent des coups d'epingles dans les fesses toutes les fois qu'ils le rencontrent en un certain lieu nommé l'Orvietan[106], où il ne manque jamais de les aller chercher pour un sujet que je ne veux pas dire, et qu'ils le reconduisirent une fois à coups de pierres du terrain de Notre-Dame, où il va aussi tous les soirs de l'esté pour le mesme dessein, jusques au logis d'un chanoine de condition, où il se sauva. Avec tout cela, neantmoins, vous devez sçavoir qu'il n'y eut jamais de vanité pareille à celle de ce petit personnage, et qu'il ne croit pas qu'il y ait au monde d'esprit comparable au sien. Il est si friand de louange, que, luy ayant refusé des vers qu'il m'avoit demandez pour mettre au devant de l'un de ses ouvrages, il a bien eu l'impudence d'en composer qu'il y a appliquez sous mon nom, et que, messieurs..., etc..., luy en ayant donné d'autres où il ne se trouvoit pas assez loué à sa fantaisie, il les changea et gasta tous pour y mettre plus d'eloges. C'est tout ce que je vous apprendray de Sibus, dont je ne feray pas l'histoire plus longue, m'imaginant qu'elle l'est assez pour vous avoir beaucoup ennuyé.»

L'historien du poëte n'eut pas plustost prononcé cecy que Sylon prit la parole pour l'asseurer qu'au contraire il y avoit pris beaucoup de satisfaction. Ils se mirent ensuite à faire diverses reflections sur ce petit personnage, et, pource que l'historien dit qu'il falloit que ce fût une ame bien basse de se mesler ainsi d'une chose où il n'entendoit rien (ils parloient de sa poesie): «Tant s'en faut, repliqua Sylon; je trouve, pour moy, que ce doit estre un habile homme, d'avoir trouvé moyen de vivre d'un mestier qu'il ne sçait pas.—En effet, repartit l'historien avec un souris que cette reponse attira sur ses lèvres, si Diogène eut raison, voyant qu'on se gaussoit d'un miserable musicien, de le louer bien fort de ce qu'entendant si mal son mestier il ne s'estoit point mis à celuy de voleur, ne peut-on pas dire aussi que Sibus ne peut recevoir trop de louange de ce que, gagnant si peu dans sa profession et y reussissant si mal, il a eu neantmoins la constance d'y perseverer jusques à la fin, sans qu'il luy ait jamais pris envie de se faire pendre pour une mauvaise action.—Voulez-vous que je vous die? reprit Sylon; ma foy, moquons-nous de luy tant qu'il nous plaira; si n'en peut-il si peu sçavoir qu'il n'en sçache autant que la pluspart de ceux de sa profession qui passent pour les plus habiles.—Que dites-vous, repondit l'historien, et à quoy pensez-vous? La poesie françoise n'est-elle pas aujourd'huy en un tel poinct qu'il ne s'y peut rien adjouster? Et le poëme dramatique, entr'autres, ne s'est-il pas elevé à un tel degré de perfection que, du consentement de tout le monde, il ne sçauroit monter plus haut? Se peut-il rien voir de plus beau que le sont la Mariane[107], l'Alcionée[108], l'Heraclius[109], les Visionaires[110]?—Aussi ne condamnay-je pas, repliqua Sylon, toutes les pièces de theatre ny tous les poëtes; et je vous avoueray mesme, si vous le voulez, que je ne crois pas que, depuis qu'il y a des vers et des poëtes, il y ait jamais rien eu, pour ce qui est de la beauté de l'invention, de comparable, soit en grec, latin ou françois, aux Visionaires que vous venez de nommer. Mais tant y a que, comme une goute d'eau ne fait pas la mer, vous ne pouvez pas conclure que, pour une pièce peut-estre que nous avons eue exempte des defauts des autres, nostre poesie soit en un si haut point de perfection que vous la mettez: car, je vous prie, le poëme dramatique n'estant qu'une pure, vraye et naïve image de la societé civile, n'est-il pas vray que la vraysemblance n'y peut estre choquée le moins du monde sans commettre une faute essentielle contre l'art? Les poëtes mesmes tombent d'accord de cecy, puis qu'ils ne nous chantent autre chose pour authoriser leur unité de scène et de lieu; et pourtant où m'en trouverez-vous, je dis de ceux-mesmes que vous m'aportez pour modèles, qui ne l'ayent violée une infinité de fois dans leurs plus excellens ouvrages? Montrez-moy une pièce exempte de soliloques; cependant y a-t'il rien de plus ridicule et de moins probable que de voir un homme se parler luy seul tout haut un gros quart d'heure? Cela nous arrive-t'il jamais quand nous sommes en nostre particulier, je dis dans le plus fort de nos passions les plus violentes? Nous pousserons bien quelque fois quelque soûpir, nous ferons bien un jurement; mais de parler long-temps, de resoudre nos desseins les plus importans en criant à pleine teste, jamais. Pour moy, je sçay bon gré à un de mes amis, qui, faisant ainsi parler Alexandre avec luy-mesme dans une pièce burlesque, fait dire en mesme temps par un autre acteur qui le surprend en cette belle occupation: «Helas! vous ne sçavez pas? Alexandre est devenu fol.—Hé! comment cela? repond un autre.—Hé! ne voyez-vous pas, reprend le premier, que le voilà qui parle tout seul?» Ce n'est pas là neantmoins le plus grand de leurs defauts. En voicy encore un autre aussi insupportable à mon gré. Vous y verrez une personne parler à son bras et à sa passion, comme s'ils estoient capables de l'entendre: Courage, mon bras; Tout beau, ma passion. Mettons la main sur la conscience: nous arrive-t'il jamais d'apostropher ainsi les parties de nostre corps? Quand vous avez quelque grand dessein en teste, quand vous vous devez battre en duel, faites-vous ainsi une belle exhortation à vostre bras pour l'y resoudre? Disons nous jamais: Pleurez, pleurez, mes yeux[111]? non plus que: Mouchez, mouchez-vous, mon nez? Çà, courage, mes pieds, allons-nous-en au fauxbourg Saint-Germain? Vous me direz que c'est une figure de rhetorique qui a esté pratiquée de tous les anciens. Je vous repons qu'elle n'en est pas moins ridicule pour estre vieille; que ce n'est pas la première fois que l'on a fait du vice vertu; qu'il n'y a point d'autorité qui puisse justifier ce qui choque le jugement et la vraysemblance, et qu'enfin les anciens ont failly en cecy, comme ils ont manqué quand ils ont fait durer des sujets d'une pièce plusieurs mois, et qu'ils n'observoient ny unité de lieu, ny de scène. Qu'on ne me pense donc point payer d'authorité: il n'y a vice ny defaut que je ne justifie, s'il ne faut pour cela que le trouver dans un ancien autheur. Il n'y a point d'Age, anime! dans Senèque qui puisse rendre bon: «Courage, mon ame!» en françois.

C'est encore une bonne sottise que ces sentimens qu'ils appellent cachez. Ils nomment sentiment caché ce qu'un personnage prononce sur le theatre seulement pour éclaircir l'auditeur de ce qu'il pense, en sorte que les autres acteurs avec qui il parle n'en entendent rien. Par exemple, dans le Belissaire[112], pièce dont je fais d'ailleurs beaucoup d'estat et dont j'estime l'autheur, lors que Leonce le veut tuer, ce dernier, après luy avoir fait un grand conte que Belissaire a fort bien entendu, s'écrie:

Lâche, que tardes-tu? l'occasion est belle[113].

Dans le Telephonte[114], Tindare dit à son rival, qui veut epouser sa maistresse: Traistre, je t'arracheray plutost l'ame, ou quelque chose de semblable; puis il poursuit comme si de rien n'estoit, et l'autre n'y prend pas garde le moins du monde. Or je dis qu'il n'y a rien de plus ridicule que cette sorte de sentimens cachez, pource qu'il n'est nullement probable que Leonce, par exemple, qui vouloit tuer Belissaire, fût si sot, dans une occasion comme celle-là, que de dire tout haut, à moins que de faire son coup à mesme temps: Lâche, que tardes-tu? l'occasion est belle. C'estoit pour se faire decouvrir. En second lieu, quand il seroit assez fol, je demande pourquoy Belissaire, qui a si bien entendu tout ce qu'il luy a dit jusqu'icy, et qui entendra fort bien tout ce qu'il luy dira après, n'entend point ce vers icy aussi bien que les autres. Ces sentimens cachez, dites-vous, sont necessaires pour instruire l'auditeur; mais, si l'auditeur les oit bien du parterre ou des loges, comment Belissaire, qui est sur le theâtre avec Leonce, ne les entend-il pas? Qu'est-ce qui le rend si sourd à poinct nommé? Y a-t-il là aucune probabilité? Il y en a si peu que ce n'est pas la première fois que cette sorte d'impertinence leur a esté reprochée[115]. Aussi, ayant dessein de ne leur porter que des botes nouvelles, c'est-à-dire de ne leur rien reprocher qui leur ait dejà esté objecté, pource qu'autrement cette matière s'etendroit à l'infiny, j'avoue que j'ay tort de m'arrester à une chanson qui leur a esté si souvent rebatue.

Voulez-vous rien de plus ridicule que leurs fins de pièces, qui se terminent toujours par une reconnoissance, le heros ou l'heroïne ne manquant jamais d'avoir un cœur, une flèche ou quelqu'autre marque emprainte naturellement sur le corps[116].

Y a-t'-il rien de plus sot que ces grands badauts d'amoureux qui ne font que pleurer pour une vetille, et à qui les mains demangent si fort qu'ils ne parlent que de mourir et de se tuer. Ils se donnent bien de garde d'en rien faire cependant, quelque envie qu'ils en temoignent; et s'il n'y a personne sur le theatre pour les en empescher, ils se donneront bien la patience de prononcer une cinquantaine de vers, en attendant que quelqu'un survienne qui les saisisse par derrière et leur oste leur poignard. Vous les verrez mesme quelquefois si agreables qu'au moindre bruit qu'ils entendront ils vous remettront froidement leur dague dans le fourreau, quelque dessein de mourir qu'ils eussent montré, donnant pour toute excuse d'un: Mais quelqu'un vient! Au lieu de dire cela, que ne se tuoient-ils s'ils en avoient si grande envie? Un coup est bientost donné. Toutefois, que voulez-vous? les pauvres gens auroient trop de honte de faire une si mauvaise action devant le monde; et puis tousjours ont-ils bonne raison, car il y a bien moins de mal à dire une sottise qu'à se tuer. Ils sçavent bien que ce qu'ils en font ce n'est pas tout de bon, ce n'est que par semblant; ils se souviennent qu'ils ont encore des vers à dire, et que, quelque malheur qui les accable, ils doivent bientost estre heureux et mariez au dernier acte, et ils sçavent trop bien qu'une des principales règles du theatre, c'est de ne pas ensanglanter la scène. Que diroit leur maistresse s'ils avoient esté si hardis que de sortir de la vie sans son congé? Elle est maistresse de toutes leurs actions, elle le doit donc estre de leur mort, car c'est agir que de mourir. Il faut luy aller dire le dernier adieu et la prier de les tuer de sa main; le coup en sera bien plus doux: un coup d'epée qui part du bras d'une maistresse ne fait que chatouiller. Mais elle n'a garde de rendre un si bon office à un homme qui a esté si insolent, si temeraire, si outrecuidé[117], que de l'aimer: il faut qu'il vive pour sa peine. Il voudroit bien la mort, mais ce n'est pas pour son nez, car ce seroit la fin de ses peines, et l'on n'est pas encore reconcilié. Voilà donc un pauvre amant en un pitoyable estat; neantmoins il n'y sera pas longtemps. Chimène luy va dire qu'elle ne ne le hait point. Après cela, qu'y a-t'-il qu'il ne surmonte, quels perils qu'il n'affronte? Paroissez, Navarrois, Mores et Castillans, et tout ce que l'Espagne a nourry de vaillans[118]! Paroissez, don Sanche; il va vous en donner! Il se moque des boulets de canon, car Chimène ne le hait point, et luy a dit qu'elle seroit le prix de son combat[119]. Par vostre foy, ne sont-ce pas là d'etranges conséquences? Toutefois, pourquoy s'etonner s'ils raisonnent autrement que les autres hommes, puis qu'ils ont le don de prophetie, et que la divination, au dire des Pères mesmes, est une allienation d'esprit ou un emportement de l'ame hors de ses bornes ordinaires, aussi bien que la manie. Il ne vient personne sur le theatre dont ils ne predisent l'abord et dont ils n'ayent dit: Mais voicy un tel, avant qu'il ait commencé de paroistre. Et ne voyons-nous pas que depuis la Mariane, où cet artifice ne laissoit pas d'estre beau pource qu'il estoit nouveau, il ne leur arrive pas le moindre malheur qu'ils ne predisent par quelque songe funeste? Le cœur le leur avoit bien dit; ils sentent tousjours je ne sçay quoy là-dedans qui leur presage tout ce qui leur doit arriver. Mais, à propos de deviner, n'est-ce pas encore une chose bien ridicule que leurs oracles, qu'ils prennent tant de peine à faire reussir? Tous les gens d'esprit sçavent que ces oracles n'ont esté que des fourberies des prestres des anciens pour mettre par là leurs temples en vogue, et que, s'ils reussissoient quelquefois, ce n'estoit que par hazard, pource que, disant tant de choses, il estoit impossible qu'ils n'en proferassent quelqu'une de véritable, comme un aveugle decochant un grand nombre de flèches peut donner dans le but par cas fortuit. Il n'y a donc point d'aparence de rendre ces oracles si véritables, et un autre de mes amis a bien meilleure raison dans le dessein qu'il a de mettre veritablement un oracle dans un très beau roman qu'il compose, mais à dessein seulement de surprendre davantage le lecteur en faisant reussir sa catastrophe au rebours de ce qu'avoit predit l'oracle.»

Sylon proferoit cecy d'un fil si contenu qu'il sembloit s'estre preparé sur cette matière, et il avoit encore bien d'autres choses à debiter, lors que son amy, l'interrompant: «Cette façon de surprendre le lecteur, luy dit-il, me fait souvenir d'une autre dont je me suis servy dans une espèce de roman burlesque pour railler et suivre tout ensemble la loy de nos romanistes[120] et contenter aussi le peuple, qui veulent que cette sorte de livres debute tousjours par quelque avanture surprenante. Je commence le mien ainsi: «Il estoit trois heures après midy lors qu'on vit ou que l'on put voir à Rouen, dans la rivière, un homme couronné de joncs et fait en quelque façon de la mesme sorte que les poëtes et les peintres nous representent leurs dieux marins s'elever et sortir du fond de l'eau, «Ne voilà-t'il pas un superbe spectacle, et qui tient fort l'esprit en suspens? Aussi ne manquay-je pas de l'embrouiller de beaucoup d'intrigues, selon la coustume, avant que d'en decouvrir la cause; puis, comme l'on meurt d'envie de la sçavoir, il se trouve enfin que ce Neptune qui a percé l'onde dans un si superbe appareil n'est qu'un escolier qui se baignoit, et qui, s'estant fait un peu auparavant cette couronne de quelques joncs, et l'ayant attachée à sa teste, venoit de se plonger par plaisir. Pour ce qui est de l'unité de scène ou de lieu, que, depuis la Cassandre[121], ils veulent tous faire garder dans les romans aussi bien que dans les comedies, je l'observe d'une assez plaisante façon. Je fais faire tout le tour du monde dans un navire à mon principal personnage, de sorte que, suivant la definition qu'Aristote donne du lieu, locus est superficies corporis ambientis, il se trouve que, n'ayant point sorty de son vaisseau, il n'a par consequent point changé de lieu; et pource que c'est un très mechant homme et qui a fait de très mauvaises actions pendant toute mon histoire, et que, par leurs règles, ils veulent que le vice soit toujours puny à la fin, comme la vertu recompensée, au lieu que les autres font marier leurs heros à leurs heroïnes en recompense de leurs illustres exploits, je punis le mien en luy faisant epouser sa maistresse, alleguant là-dessus qu'après avoir bien resvé au genre de son supplice, je n'ay pas cru luy pouvoir donner de plus rude peine qu'une femme.—Ces artifices sont très agreables, repondit Sylon.—C'est une bagatelle, repliqua l'amy pour faire le modeste, une fadaise, dont vous pouvez bien penser que je ne pretens pas tirer beaucoup de gloire, puis que ce n'est qu'une histoire comique.—Comment! puisque ce n'est qu'une histoire comique! reprit Sylon; hé! croyez-vous, en bonne foy, que le Dom Quichot et le Berger extravagant[122], les Visionnaires, la Gigantomachie[123] et le Pedant joué ayent moins acquis de gloire à leurs autheurs que pourroient avoir fait les ouvrages les plus serieux de la philosophie? Non, non (comme un des plus doctes hommes de ce siècle l'a fort bien sçeu remarquer), l'homme estant egalement bien definy par ces deux attributs de risible et de raisonnable, il n'y a pas moins de gloire ny de dificulté à le faire rire par methode qu'à exercer cette fonction de son ame qui le fait raisonner. Aussi voyons-nous que Ciceron, dans ses livres De oratore, ne s'est pas moins etendu sur le sujet de ridiculo que sur les autres parties d'un orateur qui semblent plus relevées. Si les ouvres et les apophtegmes de Mamurin[124], par exemple...» On ne sçait pas bien ce que Sylon vouloit dire icy, car son amy, l'interrompant: «Que voulez-vous dire d'œuvres et d'apophtegmes de Mamurin? luy dit-il.—Est-il possible, repartit Sylon, qu'en vous racontant la vie de ce parasite, j'aye oublié de vous faire part d'un papier qu'on m'a donné à la Grève où ces choses sont contenues?» L'amy dit qu'il n'en avoit rien veu, et, là dessus, Sylon luy en fit une lecture, à laquelle il temoigna par mille souris qu'il prenoit beaucoup de plaisir. «Il faut advouer, s'ecria-t'il aussi tost qu'elle fut achevée, que la vie du poëte que je viens d'apprendre a quelque chose d'agreable; mais si faut-il confesser qu'elle n'a rien d'approchant de celle de Mamurin.—Pourquoy? reprit Sylon.—Hé! qu'y a-t'il dans ces deux histoires, repondit l'autre, qui approche soit des commes[125], soit des livres et des apophtegmes de celle-cy?—Parbleu! s'ecria Sylon, en voilà d'une bonne! N'y a-t'il pas des beautez de plusieurs formes, de brunes comme de blondes? Quoy! vous estes donc d'humeur à ne vouloir que d'une seule sorte de viande? Je m'attens, pour moy, que, lors qu'on vous racontera les vies d'Alexandre et de Pompée, il ne faudra pas laisser d'y mettre des noms de leurs ouvrages, quoy qu'ils n'en ayent jamais fait, pour vous les faire trouver belles; et qu'il sera necessaire, de plus, que l'historien ait toûjours un homme prest pour l'interrompre, afin de trouver l'occasion d'y mettre des commes: car je gagerois, pour vous montrer comme ce n'est que pure imagination, que, pour ce qui est de vostre histoire du poëte, vous ne la trouveriez pas moins belle si je vous l'avois commée, et si, au lieu du train suivy et continu dont vous me l'avez rapportée, je vous disois à bastons rompus:

«Comme Sybus apprit à faire des vers à force de lire les ouvrages de nos poëtes françois, qu'il rapportoit tous les jours du marché avec le beurre et le fromage qu'il achetoit pour le disner de son maistre;

«Comme, afin de devenir poëte de cour, il quitta l'Université pour le faux-bourg Saint-Germain;

«Comme, au lieu de plume, il ecrivoit avec l'un de ses ongles, qu'il avoit laissé croistre à ce dessein;

«Comme, n'ayant pas le moyen d'acheter de la chandelle, il fit un trou à la cloison de sa chambre, qui repondoit dans celle d'une blanchisseuse;

«Comme les libraires du Palais le firent mettre en prison pour leur avoir vendu à cinq ou six un mesme ouvrage sous differens titres, qu'il dedia aussi à differentes personnes, pour y gagner davantage;

«Comme il ne se chauffoit qu'à un tas de fumier, s'imaginant que, comme la fumée des viandes repaist et engraisse les cuisinières, celle de ce fumier pourroit bien aussi rassasier sa faim; et comme, à force de se promener sur ce fumier, il luy survint un grand malheur, qui fut qu'une paire de bouts qui avoit coustume de luy servir plus de quinze jours ne luy en duroit plus que douze.»

Sylon n'eust pas manqué d'achever de reduire en commes l'histoire du poëte, ainsi qu'il l'avoit commencée, si son amy ne l'eust encore interrompu en cet endroit: «Hé bien! luy dit-il, voudriez-vous soustenir que ces particularitez des bouts de souliers, que j'ay neantmoins esté obligé de vous raporter pource qu'elles sont veritables, ne fussent pas plustost basses qu'autrement, et qu'elles eussent rien de comparable à celles de l'histoire de Mamurin?—Ah! nous y voicy! repondit Sylon; ma foy, je m'imagine que vous estes de l'humeur de nos poëtes, qui, lors qu'ils ont quelque ouvrage à faire, cherchent dans un dictionnaire tous les gros mots, comme trone, couronne, diadème, palmes, indumées, cèdres du Liban, croissant ottoman, aigle romaine, apotheose, naufrage, ondes irritées, et quantité d'autres belles paroles semblables, dont ils vous massonnent après bravement leurs sonnets et leurs odes, s'imaginant que cela suffit pour rendre une pièce excellente, et que de tant de beaux materiaux il ne peut resulter qu'un parfaitement bel edifice. Ainsi, pource que vous croyez que ces mots extraordinaires font toute la bonté d'un ouvrage, vous estes persuadé aussi que ceux qui sont plus communs ne sçauroient manquer de le gaster.—Ce n'est pas le mot que je reprens, repartit l'amy, c'est la chose: car ne m'avouerez-vous pas que cette circonstance de bouts de souliers est très basse?—Nostre pointu de tantost ne manqueroit pas d'en tomber d'accord, puis qu'il s'agit du dessous des pieds, repliqua Silon; mais, pour moy, je me donneray bien de garde de croire qu'une chose soit basse quand l'imagination en est extraordinaire et qu'elle represente bien l'objet que l'on veut depeindre. Par exemple, posez le cas que vostre histoire du poëte ne fust pas veritable, mais un conte fait à plaisir: je maintiens qu'il n'y auroit pas moins eu d'esprit à trouver cette particularité de bouts de souliers que beaucoup d'autres, qui ont un plus beau nom, pource que celle-cy represente parfaitement bien les mœurs, les desseins et la personne de celuy que l'on veut decrire. Il s'agit d'un poëte crotté; ne voudriez-vous point qu'on luy fît donner des batailles pour fendre des demesurez geans jus les arçons, se precipiter dans la mer pour sauver par generosité une dame qui se noye, et faire cent mille autres bagatelles que vous deguisez du nom de hauts evenemens?—Je ne veux point tout cela, reprit l'amy; mais je veux que, si un sujet n'est pas capable de recevoir d'autres embellissemens que de circonstances basses et qui peuvent facilement tomber dans la teste d'un chacun, on ne se donne point la peine de nous en rompre la cervelle.—Cela est bien, repliqua Sylon, mais il faut tomber d'accord de ce que nous appellerons bas et capable d'entrer dans la teste d'un chacun. Une chose paroist quelquefois abjecte et facile à trouver, quoy que cependant il n'y ait rien de plus elevé ny de mieux imaginé. C'est l'adresse de l'ecrivain de disposer si bien son fait qu'il semble qu'il n'y ait rien que d'absolument necessaire, et que, par consequent, tout autre n'eust mis aussi bien que luy. Cependant, les veaux qui ne reconnoissent pas cet artifice s'imaginent, à cause que la chose est naïfvement representée, qu'il n'y a rien de plus facile à trouver. Quand Christophle Colomb eut decouvert l'Amerique, quantité de sots et d'envieux pensoient bien diminuer de sa gloire en disant: «Voilà bien de quoi! Quoy! n'y avoit-il que cela à faire? qu'à aller là, et puis là; et de là, là; et puis encore là, et de là aborder là? Vrayment, nous en eussions bien fait autant!» Colomb, pour se moquer d'eux, il est vray qu'il n'y avoit que cela à faire: «Messieurs, leur dit-il, mais qui de vous fera bien tenir cet œuf sur ce costé icy[126]»? leur dit-il, en montrant la pointe. Ils se mirent tous incontinent à resver, et, pas un n'en pouvant venir à bout, Colomb cogna doucement la pointe de l'œuf contre la table, et, la cassant, fit ainsi tenir l'œuf dessus. Les voilà tous à dire encore: «Quoy! n'y avoit-il que cela à faire? Vrayment, nous en eussions bien fait autant.—Toutefois, repondit Colomb, pas un pourtant ne s'en est pu aviser. C'est tout comme cela que j'ay decouvert les Indes.» Ce que disoit Colomb de son voyage se doit entendre de la pluspart des belles choses; quand nous les voyons faites, nous n'appercevons plus ce qui les rendoit difficiles. Mais je voy bien ce qui vous tient: il vous faut des livres, des apophtegmes; hé bien! vous en aurez. Imaginez-vous donc, pour trouver vostre histoire du poëte belle, qu'il a composé[127]:

Une invective contre Chrisippus[128], de ce qu'ayant fait un si grand nombre de livres, il n'en dedia jamais pas un.

Commentaire sur le passage de Buscon[129] où il est parlé des chevaliers de l'industrie[130].

Très humbles actions de graces de la part du corps des autheurs à M. de Rangouze, de ce qu'ayant fait un gros tome de lettres, et se faisant donner au moins dis pistolles de chacun de ceux à qui elles sont adressées, il a trouvé et enseigné l'utile invention de gagner autant en un seul volume qu'on avoit accoustumé jusques icy de faire en une centaine[131].

Methode de faire de necessité vertu, ou l'Art de se coucher sans souper.

Recherches curieuses sur le proverbe: «Vaut mieux un tiens que deux tu l'auras».

Le moyen de faire imprimer utilement un livre à ses despens quand le libraire n'en veut pas assez donner à son autheur; ensemble le privilége gratuit. Traitté très utile à tous, tant poëtes que faiseurs de romans, où, par une methode très facile et experimentée, est enseigné l'art de ne rien payer du privilége d'un ouvrage, en gagnant les bonnes graces d'un secretaire du roy par quelque sonnet à sa louange.

Que les premiers philosophes ont esté poëtes.

Chansons nouvelles et recreatives.

Le triomphe des epigrammes, ou Les epigrammes triomphantes.

Le doute resolu, ou La question decidée, sçavoir lequel vaut mieux à un autheur, en payement d'un sonnet, d'une ode, ou d'une epistre dedicatoire mesme, de recevoir un habit complet avec le manteau, ou dix pistolles[132].

Des jours favorables à l'impression.

Le stile des requestes, ou Methode de dresser une requeste en vers pour demander une pension ou autre chose, le tout authorisé par plusieurs exemples tirez des ouvrages de M...... jadis.....

Le may des imprimeurs des années 1658 et 1659[133].

Questions memorables, où il est traitté, entre plusieurs autres recherches curieuses, du prix qu'Auguste et Mecenas donnoient à Horace et Virgile pour une epigramme ou une ode.

Le trebuchet[134] des sonnets, ou Sçavoir si, supposé que les pistolles ne vallussent que huit francs, le sonnet ne vaudroit qu'une pistolle?

Du prix et de la valeur des poëmes epique, elegiaque et dragmatique, et combien il faut de patagons[135] pour faire la monnoye d'un sonnet. Ensemble un discours particulier des sonnets, où il est traitté du sonnet de province, du sonnet façon de Paris, et singulierement du sonnet marqué au coing du Marais.»

Comme Sylon avoit l'esprit vif et imaginatif au dernier point, il n'eust pas terminé si tost cette saillie, si son amy ne l'y eust obligé en l'interrompant: «Ma foy! luy dit-il, vous verrez que le poëte fera tant de livres qu'il y mettra tout ce qu'il sçait, et qu'il ne luy restera plus rien pour ses apophtegmes.—Donnez-vous patience, vous en aurez, reprit Sylon; qu'à cela ne tienne que vous ne soyez satisfait et que son histoire ne soit aussi belle que celle de Mamurin. Figurez-vous donc que,

Un jour qu'on luy parloit de celuy qui brusla le temple de Delphes pour rendre son nom immortel: «Il le pouvoit faire à meilleur marché et avec moins de peine, dit-il: ne connoissoit-il point de poëte?»

Pource qu'on le railloit de ce qu'il portoit des cloux à ses souliers, il repondit qu'il etoit de l'ordre de Pegase.

Une fois, qu'on luy demandoit pourquoy il mangeoit si peu: «C'est de peur de mourir de faim!» repondit-il, voulant dire que c'estoit pour epargner de quoy manger le lendemain.

Mamurin luy demandant un jour: «Comment peux-tu vivre et manger si peu?—Et toy, repondit-il au parasite, comment peux-tu vivre et manger tant?»

Chantant un jour dans une compagnie, il le fit si miserablement qu'on le livra aux pages et aux laquais, qui le pensèrent accabler de pierres. Quand on luy reprochoit cette aventure, il disoit qu'il avoit cela de commun avec Orphée et Amphion d'attirer les pierres et les rochers.

Une autre fois, tout le monde s'estant levé dès qu'il commença à reciter de ses vers, il dit qu'il estoit le coq de tous ceux de sa profession.

Moqué un jour de ce qu'il gratoit sa teste pour faire des vers qu'on luy demandoit: «Comment voulez-vous que je les en tire, dit-il, si ce n'est avec les mains.»

Une autre fois, sur le mesme sujet: «Pour qu'un champ rapporte, repondit-il, il faut bien qu'il soit labouré.»

Encore une autre fois, en une occasion semblable, comme on le railloit de ce qu'il gratoit tant sa teste pour en faire sortir ses vers: «Ho! ho! je croy bien, repliqua-t'il; il fallut bien fendre celle de Jupiter pour en faire sortir Minerve!»

Comme on luy reprochoit qu'il estoit logé bien près des tuilles, il dit qu'ayant à communiquer tous les jours avec les dieux, il estoit bien raisonnable qu'il fît la moitié du chemin.

Un jour qu'on luy disoit qu'il estoit bien mal vestu pour un poëte d'importance, il repartit que souvent Virgile estoit bien relié en parchemin.»

Sylon n'eut pas plustost achevé cette plaisante tirade que son amy fut obligé de prendre congé de luy, pource qu'il se faisoit tard; ils firent encore neantmoins cette reflection avant: que, bien que le caractère de ce personnage fût aussi rare qu'il s'en pust trouver, il n'y avoit neantmoins rien de si ridicule dans sa personne qui ne se rencontre en un degré bien plus haut dans la plus grande partie de nos poëtes, dont il y en a peu qui ne soient plus miserables que Sibus.

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