Variétés Historiques et Littéraires (07/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers
Se caussam clamant, crimenque, ca utque malorum,
Filia quæque manu flavos Mons pessula crines,
Et roseas trahit ungue genas[241].
Il semble que Virgile eût prophetisé ces vers sur Montpellier, veu qu'on ne les sçauroit adapter à chose où il y ait plus de correspondance: car les bourgeoises de ceste ville, qui ont de coustume de voir un nombre infini de jeunes godelureaux qui y vont estudier en medecine, estant privées de leurs douces compagnies et des joyeux passe-temps que leur entretien leur donnoit auparavant ceste revolte, jointe à une infinité de pertes qu'ils ont faites depuis qu'ils se sont souslevez contre les armes de leur souverain, ne peuvent tenir les sanglots qui se crevent dans leurs bouches, ny boucher le passage aux soupirs qu'ils ressentent pour ce subjet.
Et quoy! dit une vieille chappronière[242] qui tenoit le haut bout en l'assemblée, serons-nous toujours misérables? Faut-il que nos maris soyent cause de nos malheurs? Ne suffisoit il jusques icy de nous avoir deschirez par lambeaux? Nous mesmes nous nous plantons le couteau dans le sein. Nous mesmes nous courons à bride abatue à nostre mort, et semble à voir qu'il nous tarde que nous ne soyons toutes dans nostre propre ruyne ensevelies miserables et mal-heureuses, pour ne revoir jamais la lumière du ciel. Faut-il, dis-je, que nos maris soient tellement oublieux de leur salut et du nostre, que de se precipiter dans les hazards et les dangers pour lutter contre les destins qui n'ont premedité autre chose que nostre totale perte? Ha! les larmes me crevent le cœur? les soupirs me bouchent les conduits de la parolle, les sanglots m'etouffent. Mon pauvre mary, hélas! ou es-tu? ou es-tu, ma seule consolation?
Tu m'as donc quitté, pauvre et infortunée, pour estre la proie du destin! Tu m'as delaissée languissante pour survivre à l'esclendre[243], tu m'as abandonnée, hélas! pour voir ceste ville renversée de fond en comble si elle poursuit davantage en ses revoltes. Que pleut à Dieu que ce lien se fust rompu en une mesme heure, puis qu'en un instant il se desnoue! Falloit-il que nous sortissions de Montauban[244] l'an passé pour estre traités de la sorte dans Montpellier? O grand et invincible Diomède, ainçois grand colosse de guerre, M. de Mayenne[245], que ne suis-je morte par vos mains!
Ainsi parloit la femme d'un medecin de Montauban, qui l'an passé estoit sortie avec son mary au commencement du siége, et se vinrent refugier à Montpellier, pensans avoir meilleur marché; mais, de malheur, son mary avoit esté tué en ceste seconde escarmouche.
La femme d'un jeune advocaceau sans cause, qui deux jours auparavant, voulant aller plaider sur la muraille, fut salué d'une pilule au travers du corps, à cause peut estre qu'il estoit constipé, va dire: «Hola! Mamie, vous parlés encore, vous qui estes vieille, et qui desja avez un pied dans la fosse! N'avez-vous point tant sujet de vous plaindre que moy, qui ay perdu mon mary depuis deux jours en ça? Vostre mari estoit vieil et caduc: quand la queue commence à se secher le fruict tombe; mais le mien estoit encor en sa verte jeunesse et bon advocat, qui bailloit tousjours le droict à sa partie, et de qui la compagnie m'estoit douce: avec combien de regrets et de ressentiments de douleurs croyez-vous que je me ressouvienne de ceste perte?»
—Et moy (dit une fille de haut goust, qui estoit au coin), pensez-vous que je ne me ressente point de tous ces troubles icy? Avant qu'on eût bloqué ceste ville, et que le bruit des reistres[246] fût venu aux oreilles des François, il y avoit un jeune Parisien logé chés nous qui estudioit en medecine, en la compaignie duquel je passois une partie de mon temps. C'estoit le plus doux et le plus affable qui se vit jamais; il m'avoit promis mariage, et mesmes nous en avions passé les patentes dans ma chambre. Maintenant à ces nouveaux troubles je ne l'ai peu retenir, et ne sçay s'il n'est point mort par les chemins; je crains qu'il ne revienne jamais.
—Encor y a-il quelque peu d'esperance en vos affaires, respondit une de ses voisines: mais pour moy il n'y en a plus. J'avois un jeune gars qui quelquefois se venoit rafraischir chez moy et prenoit une heure de recreation en mon logis; mais dernierement, las! il pensoit sortir avec les autres, il fut tué d'un soldat de M. Zamet[247]. Si vous sçaviez combien j'en suis attristée et quelle amertume m'en est restée en l'âme, vous en seriez esmerveillée.
—Aussi en avez-vous du subjet, respondit une noirette qui ne s'affectionnoit pas trop; chacun vous cognoist bien pour telle que vous estes: on sçait bien que celuy dont vous parlez n'alloit point en vostre logis que pour faire de belles affaires; mais il n'en faut mot dire. Nous sommes en un temps où il n'y a pas à rire pour tout le monde; il y en a de bien bleuds[248], n'y eût-il que de nos confrères de la Rochelle, qui n'ont rien despouillé ceste année.
—Mais qui eût creu (dit la femme d'un conseiller de la dite ville) qu'on nous eût reduit au petit pied en si peu de temps? Qui eût creu que ceste ville eût si tost succombé à la ruyne comme elle fait? Il n'y a pas un pan de muraille entier, tous nos bastions nouveaux qu'on avoit fait edifier de la demolition des esglises sont tantost tous en poudre; à peine s'ose on trouver dans les rues pour les canonades qu'on tire continuellement du cartier du Roy. J'ay une petite fille qui, allant l'autre jour en nostre grenier, fut escrasée d'une balle qui tomba sur les thuilles de la maison.
—Ma commère, repliqua une grosse dame, on dit que la ville de Troye eût esté imprenable si les Grecs n'eussent derrobé le Palladium qui estoit dans le temple de Minerve, tout le destin de ceste ville n'estoit attaché qu'à ceste petite image; mais nous ne devons encor craindre: la robbe de Rabelais est nostre Palladium[249]; tandis quelle sera en ceste ville, jamais elle ne peut estre prise.
—Ah! Madame, dit alors une damoiselle de qualité, de qui le mary estoit au lict blessé d'un coup de mousquet au bras, il ne se faut pas fier à la robbe de Rabelais; le plus beau Palladium qu'on puisse souhaiter pour la deffence d'une ville, c'est le nombre des gens et de soldats qui y sont. Si Troye ne se fust laissé ensevelir dans le vin et dans le sommeil, nonobstant le Palladium des Grecs, jamais elle n'eust été prise; mais quel Palladium et quelle sauve garde pouvons nous avoir, puis que nous n'avons tantost plus personne pour nous deffendre? Toute nostre garnison est presque taillée en pièces; personne ne s'ose adventurer d'aller aux murailles ny aux coups. Nous avons des capitaines lasches et de peu de courage. Nostre ennemy est puissant, nos forces foibles, sans esperance de secours. Que pouvons-nous esperer, si non qu'une funeste et triste journée où nous passerons toutes au fil de l'espée, si nos maris soutiennent plus longtemps l'effort, des armes royalles?
—Ma cousine dit vray (fit une autre de moyenne taille), mon aisné y est mort aussi bien que les autres, et a payé la folle enchère de son imprudence. De l'excuser, je ne le puis, cela me touche de près; car nonobstant que mon mary soit de la religion pretendue et qu'il tienne le party des rebelles, je ne peux advoüer pourtant qu'il se faille cantonner contre son maistre.
Une assés âgée, qui estoit debout au milieu de l'assemblée, print la parolle. A la verité, dit-elle, nos maris vont trop avant, c'est trop se bander contre le roy. J'ay peur enfin qu'il y en ait quelques-uns qui portent la paste au four pour leurs compaignons. Le roy en endure trop, il est trop doux et trop benin; je ne sçay comment il ne nous a desja fait abismer et ensevelir dans nos propres ruynes.
—De mon jeune temps on ne parloit point de cela, dit une vieille qui n'avoit plus que deux dents. J'ay bien veu des guerres, j'ay veu des grandes expeditions; mais il ne s'est jamais remarqué qu'on eût fait tant d'efforts contre son roy. Il est de droit divin et humain de luy obeyr, non pas de lui resister; pour moy, je n'approuveray jamais le conseil de tous ceux qui delibèrent de fermer la porte à ses trouppes: car, outre que nous encourerons un blasme universel parmy les nations voisines et une tasche qui jamais ne se pourra effacer, nous sommes en grand danger de subir de grands maux par nostre propre imprudence.
—Madame a raison, repliqua une autre fraischement arrivée de la Rochelle, nous avons tous un très mauvais horoscope ceste année; elle nous est climaterique[250] et malheureuse, ces jours derniers nous sont fort caniculaires[251]. Ce n'est point seulement à Montpellier où on a sujet de se plaindre, la Rochelle en a eu sa part. Nous avons esté entierement ruynez des troupes de monsieur le comte de Soissons, qui ont fouragé tous les environs, et n'avons peu ceste année recueillir un seul grain de bled. Encor nous avions espérance en M. de Soubise à son retour d'Angleterre qu'il nous rafraischiroit de vivres; mais, hélas! nous avons esté bien frustrez, car on nous a dit que luy-mesmes avoit esté chassé honteusement de Londres, et que, s'estant mis sur mer, ses vaisseaux avoient esté fracassez[252]. Si cela est, je vous laisse penser quel bon succès il donnera aux Rochelois.
—Ah! ma commère (dit sa voisine) vous me faites crever le cœur quand vous me parlez de M. Soubise! Il est bien cause de mon malheur: j'avois une jeune fille l'hiver passé, lorsque je demeurois à La Rochelle, belle et en bon point; un de ses capitaines devint amoureux esperduement de sa beauté et la ravit. Mon mari poursuivit ledit capitaine pour tirer raison d'un acte si impie; mais M. de Soubise, qui avoit peut-estre mouillé son pain au pot, n'en fit aucun conte, si non qu'on me renvoya ma pauvre fille quinze jours après. Je voulus voir si on l'avoit violée; c'est pourquoy, en ayant commis la charge à deux matrones et sages-femmes de La Rochelle, après l'avoir veue et visitée, elles me dirent que, tout estant considéré, elles avoient trouvé que la babole estoit abatue, l'arrière-fosse ouverte, l'entre-fesson ridé, le guillevart eslargy, le braquemart escrouté, la babaude relancée, le ponnant debiffé, le halleron demis, le quilbuquet fendu, le lipion recoquillé, la dame du milieu retirée, les toutons desvoyez, le lipondis pilé, les barres froissées, l'enchenart retourné; bref, pour le faire court, qu'il y avoit trace de v...; d'où vient que tout la cure que j'y aye pu apporter, et nonobstant la peine que j'aye prise à recoudre son canipani brodimaujoin, elle est demeurée despucellée[253].
—Voylà comme en font les capitaines de deux liarts, dit une femme de medecin; tout nostre trafic n'est attaché qu'à ces cures; quand ils sont dans une maison, ils croyent qu'ils ont permission de faire tout ce qu'ils voudront.»
La niepce du docteur Rabelais aloit dire son mot; mais on vint advertir l'assemblée qu'il y avoit une grande rumeur en l'Hostel-de-Ville; aussi tost les femmes sortirent de leur congrégation pour participer au conseil qui se tenoit en la ville. Cela fust cause que je ne peus escrire davantage de leurs babils.
Discours de la fuyte des impositeurs italiens et des regretz qu'ilz font de quicter la France, et de leur route vers les pays de Barbarie.
A Paris, pour Jacques Gregoire, imprimeur.
M.D.LXXXIX. In-8[254].
Les sectaires mahometans ne se montrèrent jamais en si grand' contumelie ny outrage contre la nation des chrestiens, ny si temeraires, que se sont monstrez parmy la France en plusieurs malignes actes ces barbares Italiens: car, combien qu'en plusieurs raisons ayent essayé par quelques alleguations fardées tascher à se pouvoir esgaler aux Romains, qui de tout temps se sont montrez preux, vaillans et magnanimes, ainsi que mesmement par les histoires du temps jadis nous cognoissons par le lustre des antiques Romains, lesquelz estoient si adextres[255] en leurs faictz que leurs gestes demonstroient et signifioient pouvoir commander sur toutes les nations du monde, que seulement par leur ombre et prudence demonstroient estre invincibles, par ce qu'en leurs entreprinses sçavoient juger jusques à la fin d'une cause à qui le droict pouvoit appartenir de la cause qui leur estoit proposée, et se gouvernoient en toute qualité et preeminence de justice, qui est la vraye force de pouvoir dompter et vaincre en tout et par tout à qui en faict l'exercice, tant aux grandz que aux petitz, que celuy qui mesme s'y attend et s'y appuye ne luy reste en semblable qualité plus que la force, qui est de Dieu, pour pouvoir vaincre et dompter seul en son particulier celuy à qui elle defaut, sans attenter contre l'autruy, que contre celuy qui lui faict temeraire poursuyte, ou qui ne luy rend ce qu'il luy a usurpé à tort et sans cause, et se sçait maintenir en telle action de grace que pour la deffense de sa maison mesme, de tout temps agitée, n'attend autre force que celle de Dieu mesme, qui est la cause que le delinquant est pour le jourd'huy en route[256], et en la plus grande confusion ou jamais ilz se virent, s'estans eux-mesmes mis la hart[257] au col, ne pouvans trainer après eux un si pesant fardeau de rapines, larrecins et volleries; dont pour le jourd'huy se trouvans prins au piége, fuyent de nuict des lieux où ils s'estoient habituez; mais comme ayanz encore la corde au col, ne pouvant trainer les maisons où ilz s'estoient liez, d'où ilz ont ravy les tresors et richesses qui estoient en icelles et en celles de leurs voisins, il s'en pourroit par aventure bien recourre quelque chose; le malefice des dessusdictz Italiens vient mal à propos pour le terme allegué des somptueux Romains et de leur justice, à l'injustice de telle canaille: car les Romains publient la justice aux humains, les Italiens vilains; les Romains usent de droicture, Italiens de forfaicture; Romains sont de grand renom, et les Italiens non; les Romains sont pleins de bombance, Italiens prisent leur pance; les Romains sont vertueux, les Italiens morveux; les Romains sont preux à l'espée, Italiens à la pipée; les Romains font à chacun raison, Italiens de trahison; les Romains sont magnanimes, Italiens font la mine; les Romains sont preux et vaillans, Italiens malveillans; Romains ont conquis la toison d'or, Italiens ont dérobé la mine d'or; les Romains constans en toute saison, Italiens en toute poison[258]; les Romains ont acquis victoire, Italiens perdent memoire; les Romains sont gens illustres, Italiens de faux lustre; les Romains gardent equité, Italiens l'iniquité; Romains amateurs de science, Italiens faux en conscience; les Romains ont acquis loz immortel et louange de durée, l'Italie n'a plus de durée.
Adieu France, adieu,
Qui estes le lieu
D'où iniquement
Avons prins la fuyte,
L'heure soit maudicte
De notre partement.
Les regretz que font ceste maudicte gent de quicter un si noble pays en sont à la desesperade, car, combien qu'ilz en ayent emporté les trésors, il leur fasche d'y laisser les maisons; et tout ainsi qu'ilz ont traicté les François par leur injustice, Dieu les traicte par sa justice. Car, de pleine arrivée qu'ilz entrèrent en France, le moien qu'ilz conceurent en celuy pays pour se prevaloir, ce fut de descouvrir les plus riches cuisines, et où gisoient les plus grandz tresors, et faire tant par fas et par nefas que de s'y habituer, et quelque chose qu'il y eust s'y faire tousjours les plus grands; non obeyr, mais toujours commander; à l'appetit se renommer du Prince, et par le tesmoignage de trois ou quatre pallefreniers atiltrez pour ce faire, asseuroient qu'un gueux de leur pays estoit un grand gentilhomme, lequel avoit esté destruict par fortune de gueule, di-je de guerre; et mettoient en admiration si grande les faictz et gestes de telz couards, que plusieurs croyans la vérité estre telle qu'on leur rapportoit, estoient par aucuns subitement nommez monsieur; lors, se sentans honorez si à coup de telz honneurs, estoit par subite poursuyte enjoinct à leurs faux-tesmoings de venir de fois à autre promptement leur dire qu'ilz vinssent incontinent parler à la Royne, qui estoit un sujet envers le peuple de les faire entrer en credit, car dès ceste heure là commencèrent à faire de cent solz quatre livres, et de quatre livres rien, envers ceux qui leur prestoient de leur bien, et eux ne se soucians point des plainctifs et remonstrances qu'on faisoit, s'ingerèrent contrefaisans les habiles à pindariser[259], sur tous les estatz et mestiers de la France, comme par manière de soubresault, intentionner le Roy et les Princes à la manutention et correction des abus qui se pouvoient commettre en iceux, comme s'estimans gens plus capables et cognoissans à telles faciendes[260] et subtilitez y prevenir les plus habiles, plus capables et de meilleur esprit que les plus vaillans qui s'y peussent rencontrer, s'estimant supportéz du Prince, devant lequel on n'eust osé dire du contraire, combien qu'à chaque fois ilz s'y trouvoient vaincuz: et pour autant que telles entreprinses ne se faisoient par eux que pour descouvrir la source du traffic, procedant du debit, se tailloient un revenu prins sur iceux, pour autant qu'estans sortis et chassez de leur pays comme gens bandoliers[261] et abandonnez à tous vices, et venuz en la France comme belistres, pour se monstrer capables de respect plus qu'autres nations, pour cause du grand support dont ilz estoient, appuyez par la benevolence et bien-vueillance que la Royne mère leur portoit, donnoient à entendre que sur le traffic de toutes sortes de marchandises il se pouvoit lever certains deniers sans interesser les opposans qui se pourroient complaindre, et pour mettre leur larrecin en evidence sans pouvoir descouvrir leur felonnie et cautelle, accostoient un banquier de Venise[262], lequel faisoit offre de grand somme de deniers au Roy, à ce qu'il luy pleut luy octroier certain denier sur cent de quelle marchandise que ce fust au poix pesant, ou tant sur livre, lequel poix semblant de petite valeur, leur estoit soudainement octroyé, et remonstrant aussi le dict suppliant, lequel avoit sa part du butin, que c'estoit pour l'entretement d'iceux belistres destruictz par fortune de gueule, di-je de guerre, pour la vie et le vestement, lesquelz par ce moyen du petit venant au plus grand, de serviteurs sont devenuz grands maistres, et ont tellement poursuivy telz imposts et enchères sur les dictes marchandises, que pour maintenant il s'en lève un denier inestimable, au detriment de plusieurs personnes.
De première arrivée qu'ilz entrèrent en France, s'estant faict recevoir en grace envers la Royne mère[263] qui ne leur manquoit de rien, se ruèrent sur les plus grands tresors qui fussent en la France, ou les deniers estoient tous comptéz, sçachant qu'ayant ceux là incontinent auroient les autres, sans dissimulation, et qu'ayant les chemins ouverts à leur volonté, fust pour entrer ou pour sortir de la France, ilz ne pouvoient manquer de mettre en execution tous leurs desseins, et emporter d'iceluy royaume tout ce qu'ilz avoient à souhait d'enlever et d'avoir.
Dont à leur arrivée ayant descouvert la plus belle prinse qui fust en la ville de Paris, estans conduicts par celuy banquier de Venise qui faisoit les premières advances au Roy, appuyez de la Royne mère, s'advancèrent d'usurper et ravir les trois parts du revenu de l'hostel Dieu de Paris, sans exception de ce que le reste pourroit devenir, comme disant: «Si pour ce coup nous n'en avons assez nous prendrons le reste.» Et avec les registres changez et le numero aussi, rechangèrent les dattes pour au temps advenir ne s'appercevoir de leurs larrecins, sans avoir aucun soucy de la vie ou de la mort des pauvres malades qui y surviennent tous les jours, qui a faute d'estre traictez humainement, ceux qui pourroient eschaper y demeurent et meurent, mais non pas des Italiens, car il ne s'en trouve point de pauvres, sinon que de François qui ont esté appauvris par le pillage fait par telz goulfarins, lesquels pauvres François errans ça et là par le pays, deshabituez de leurs maisons par l'execrable outrage commis par iceux, que souz un semblant se prevaloir de telles calamitéz, ont esté si rudement traictez par ceux qui les soustenoient, qu'il a fallu que plusieurs ayent quicté la terre pour le cens. Or, Dieu ayant maintenant sceu l'insolente poursuyte que telle maligne gent exerçoient contre ses serviteurs, les a rendus esvanouys de sa lumière, s'enfuyans plus tost de nuict que de jour, sont tellement eshontez de leurs larcins si manifestes que rien plus, qui est la cause de leur fuyte et route, sans avoir nulle discretion du lieu où ilz se doivent arrester, et sont pour le jourd'huy en telle confusion, que ne se sentans seurement en leur pays, se delibèrent se retirer en Turquie, qui est le lieu où leur devotion est du tout adonnée, pour lesquelz ilz ont tant deceuz de chrestiens, parce que le schisme qui y est apposé, et le scandale par eux y advenu, dont le Roy, le peuple et les princes sont en telle dissention, n'est du commencement jusques à la fin provenu de leur malefice, dont pour se sauver passent les mers pour s'en venir ès sus dictz lieux de Barbarie, pource que c'est un pays propre à desniaiser et là où il y a bien à prendre, et sans rendre compte sourdement desrober, tromper et decevoir les plus fins et habiles, et à faire sauts et gambades.
Ilz ont par leur ruse et cautelle
Deceu l'ame de maint fidelle,
Pippé le Roy, trompé les princes
Et pillé toutes les provinces.
Les ceremonies faites dans la nouvelle chapelle du chasteau de Bissestre[264], suivant l'ordonnance de Monseigneur l'Archevesque de Paris, à l'establissement de la pieté et charité du Roy, en la Commenderie de Sainct-Louis, soubs la conduitte de Monseigneur l'Eminentissime cardinal duc de Richelieu, pair de France, le jour et feste de sainct Louis, le 25 aoust 1634.
A Paris, chez Jean Brunet, ruë Neufve-Sainct-Louis, au Trois de chifre[265].
1634. In-8.
Il faut confesser avec verité que la France et tous ceux de la lignée de ce grand et très pieux Roy sainct Louis ont des graces et des faveurs du ciel qui ne sont communiquées à aucun empire du monde, et des prérogatives par dessus tous les autres princes de la terre.
Si jamais nous avons remarqué les effets de la providence divine dans la conduitte d'aucuns de nos Rois, il nous faut admirer ceux que nous voyons journellement dans les heureux succez des justes entreprises et affaires (puis que d'autres il n'entreprend) de notre monarque françois Louis XIII.
C'est Louis le Juste, autant heritier de la piété et de la devotion de ce grand Roy sainct Louis, que de son sceptre et de sa couronne, puis que par ses bonnes vie et mœurs, nous voyons autant et plus de prosperitez dans la France que soubs ce grand sainct son ayeul.
Ce pieux Roy (parangon de toute saincteté) estoit grandement zelateur de la justice, et judicieux à mesnager de son espargne pour le soulagement de son peuple. Ne voyons-nous pas aussi que nostre cher Louis a un singulier soing de ses sujets, tel que celuy qu'un bon père a de ses enfans?
Toutes les nations de la terre sçavent combien il a ruiné de mauvais desseins pour asseurer la paix dans son Estat, et la tranquillité parmy ses peuples.
Sainct Louis, voyant quantitez de desordres et de dissolutions effrenés de vivres, sans religion, sans justice, sans police, et sans aucune consideration des sujects, voulut (comme il fit), ayant donné la paix à son peuple, y apporter un meilleur ordre, ce qui luy succeda doucement et heureusement: aussi Dieu fortifioit de son assistance ses sainctes inspirations.
Ne voyons-nous pas les mesmes procedures en ce genereux Roy Louis XIII, lequel par ses indicibles travaux a terrassé l'heresie qui troubloit son royaume, et (ainsi que son ayeul S. Louis) a restably la religion en sa gloire et donné la plus parfaite paix qui aye jamais esté souhaitée à son peuple, et que maintenant avec ses très illustres ministres, vrais conservateurs de son Estat, que sa Majesté n'a plus grande recommandation que d'establir un bon ordre dans son royaume, d'y entretenir la vraye religion de ses pères, et faire regner la justice pour la conservation de ses sujets?
Ainsi par la consideration de ses belles, genereuses et pieuses actions, son peuple le doit justement appeler leur père, la noblesse son prince, les lois leur gardien et tuteur, la France son Roy, son eglise galicane son protecteur et deffenseur, et les pauvres l'autel commun des affligez.
Entre toutes les vertus de sainct Louis, son historiographe rapporte qu'il estoit fort judicieux à bien recognoistre et recompenser les bons offices, et services qui luy estoient rendus avec affection et fidelité.
Se peut-il trouver aucun qui ayant tant soy peu manifesté son affection au service de nostre bon prince qui n'aye reçu de sa Majesté toutes sortes de contentement, d'amour et de recompenses, et voire mesme plus que jamais ils n'en eussent esperé, tant son bon et royal naturel est porté à recognoistre par ses bienfaits ses bons et fidèles serviteurs?
Se peut-il voir encore un plus grand amour de charité que celuy que sa Majesté a de nouveau estably d'une commenderie fondée au nom de son ayeul sainct Louis, au lieu et place du chasteau de Bissestres[266], en laquelle, par l'ordre et conduitte de ce prudent et très genereux cardinal duc de Richelieu, judicieux pilote de son Estat, y doit estre admis pour estre nourris et entretenus tous les pauvres soldats que le sort de la guerre a rendu infirmes, et hors de pouvoir gaigner leurs vies[267]?
Or, comme les principales intentions de ce grand Roy et de cet esminent cardinal sont de commencer toutes choses pour la gloire de Dieu, à celle fin que tout ce qui reste à faire en succèdent mieux, Sa Majesté auroit donc voulu qu'après les enlignements de cète charitable place auroient estez pris, suivant le dessein qui en a esté faict par l'ordre de Monseigneur l'eminentissime cardinal, à qui elle a confié la conduite de ceste piété, qu'on commença à la construction d'une petite chapelle qui seroit nommée du nom de son ayeul sainct Louis, à celle fin que dans icelle, en atendant le bâtiment de l'eglise qui doibt estre dans le lieu, que les ouvriers et autres y fissent leurs exercices de devotion, et voulant sa dite Majesté que, pour ce faire, le service divin commençast à s'y dire le jour et feste de Sainct-Louis.
Pour mettre en exécution la pieuse devotion du Roy, le sieur de Saint-Germain, choisi pour ses merites, tant par sa Majesté que par mon dit seigneur l'eminentissime cardinal, pour la direction et conduite du bastiment de ceste commenderie, auroit en toute diligence fait bastir et eslever une chapelle dans le milieu du dessein, où doit estre basty la grande eglise de ceste place, et par la grande diligence qu'il auroit fait apporter, ceste chapelle a esté en cinq à six jours en estat d'un lieu de dévotion.
Or, comme il faut que toutes choses soient reglées selon les cas, et notamment celles qui regardent le culte divin, cette chapelle, ainsi promptement ediffiée, et en estat d'y celebrer la sainte messe, suivant la volonté du Roy, ledit sieur de Saint-Germain en auroit donné advis à Monseigneur l'illustrissime archevesque de Paris, pour obtenir de luy la permission de faire celebrer en cette dite chapelle le service divin, et de nommer qui luy plairoit pour ce faire.
Son illustrissime reverance, pour satisfaire à la devotion de sa Majesté, auroit commis messieurs le Grand Penitentier et Promoteur pour se transporter sur les lieux du chasteau de Bissestre, avec monsieur Davou, l'un des chanoines de l'eglise Nostre-Dame, pour voir et visiter si ladite chapelle, bastie dans ce dit lieu, estoit en estat requis d'y celebrer la sainte messe, pour à leur rapport en ordonner ce que de raison, attendu l'importance de ceste place, qui a esté par cy-devant l'azille et le receptacle des mauvaises actions de personnes mal vivantes.
Pour ce faire, les dits sieurs Grand Penitentier, Promoteur et Davou, se transportèrent sur les dits lieux du chasteau de Bissestre, le mercredy sur les quatre heures après midy, 23 juillet 1634, et après que ledit sieur de Sainct-Germain leur eust fait entendre qu'elle estoit la volonté du Roy et de Monseigneur l'eminentissime cardinal duc, il leur fit voir en quel estat ladite chapelle estoit.
Les dits sieurs commissaires voyant le peu qui restoit à faire pour mettre en estat ladite chapelle, pour y celebrer la saincte messe le jour et feste de Sainct-Louys, ainsi qu'estoit la volonté de sa Majesté, et sur les asseurances que leur auroit données ledit sieur de Sainct-Germain de faire orner richement la dite chapelle de tout ce qui seroit necessaire pour une si celèbre action, lesdits sieurs commissaires en auroient fait leur rapport au dit seigneur archevesque.
Surquoy il a esté ordonné que le curé de Gentilly, comme estant pasteur dans l'estenduë de ceste chapelle du chasteau de Bissestre, commenceroit, avec ses prestres habituez et autres, les ceremonies de l'establissement de la devotion dans ce lieu, par une benediction, suivant ce qui est prescript dans le manuel de l'eglise de Paris, et en suitte de ce, les premières vespres de l'office de sainct Louys, dont la dite chapelle doit porter le nom, le lendemain les matines du jour et la grand'messe, et ainsi tout le reste de l'office de la ferie.
Pour l'ornement de ceste chapelle, ledit sieur de Sainct-Germain y a fait porter une quantité de ses riches tableaux de devotion; plus, a aussi par sa vigilance recherché les plus beaux et riches ornemens qui luy a esté possible, pour la celebration du service divin.
Et le tout estant ainsi richement paré de tapisseries, beaux tableaux, et d'exquis ornements, les ceremonies se sont devotement faictes, suivant l'ordonnance dudit seigneur archevesque.
A cet establissement de devotion y est accouru un nombre infini de peuples, tant de la ville que des faux-bourgs de Paris, qui y ont fait prières à Dieu pour le Roy, et ont admiré et loué la grande charité de sa Majesté, et le grand zèle dudit seigneur cardinal duc.
Ce grand Roy imitant donc les actions du debonnaire et pieux sainct Louis, elles seront tousjours agréables à Dieu, et regnera selon son cœur.
Ce qui nous oblige estroitement (pour ne rien oublier de ce qui est de nostre devoir) de considerer tout ce que nous luy devons, et luy offrir en holocauste d'amour nos cœurs impollus de toutes affections estrangeres, n'estant nez François que pour luy et ses successeurs; que nos vœux et nos prières fructifient du germe d'un sainct amour, pour les porter droict au ciel, pour impetrer de ceste sagesse immense qui tient le cœur des Roys en sa main qu'elle conserve tousjours son cher Louis, nostre Salomon françois, nourrisson des anges, et que son regne soit tousjours rempli de gloire et de prosperité.
Les maistres entrepreneurs et ouvriers de ce superbe bastiment, voulans contribuer de leur part à cette devote ceremonie, ont presenté à leur patron sainct Louis, dans ce lieu, un haut et puissant May, auquel sont attachées en grands tableaux les armes de sa Majesté d'un costé, et celles dudit seigneur cardinal duc de l'autre.
Discours nouveau de la grande science des femmes, trouvée dans un des sabots de maistre Guillaume.
Maistre Guillaume est amoureux
Pour le jourd'huy, las! quand j'y pense,
Car de recueillir est soigneux
Des femmes les belles sciences.
M.D.C.XXII[268]. In-8.
Maistre Guillaume, c'est donc maintenant, à ce que je voy, que vous estes amoureux. A ce que je peux estimer en moy mesme, vous y mettez vostre esprit et amitié, pour ce jour'huy, car je ne vous avois point encor ouy tant les exalter de leurs sciences, comme vous faites à present, tous les prisez plus que n'a fait un Draco le sevère, ny un Solon le sage, mesme plus qu'un Lycurgue l'austère, ny un Charondas le prudent. Bref, maistre Guillaume, vous les prisez plus que n'ont jamais fait les poëtes anciens; toutes fois, maistre Guillaume, je vous en scay bon gré, car je represente à mes yeux l'obeissance de Griselidis, laquelle estoit si remplie de tant d'honorable science envers Gautier, marquis de Saluces, qui estoit son mary et espoux, et aussi la belle Gillette, qui estoit fille d'un medecin de Narbonne, qui a par sa belle science montré une infinité de beaux enseignemens et de belle doctrine. Vous avez leu, maistre Guillaume, à ce que je vois, l'hystoire du roy Chilperic, lequel ne fit difficulté d'espouser Fredegonde, ores qu'elle fust fille d'un pauvre homme de basse qualité. Ce souverain personnage la prist, voyant sa belle science; toute fois, M. Guillaume, je vous supplie m'excuser, vous suppliant très affectueusement de me declarer le contenu de vostre discours, vous baisant et demeurant vostre très affectionné, I. G.
—Qui es-tu, amy lecteur, qui pour ce jourd'huy m'interroge par tes supplications, que je t'aye à discourir de la science des femmes? Il me semble à ton parler que tu te veux sentir, soit du lignage ou autrement, de ce Soldat françois[269], car à t'ouyr parler me semble qu'il te faudroit bailler une hallebarde, car il t'avient bien à commander. Va, va estudier, demandeur de science, ce n'est pas à toy à qui j'en dois rendre responce. Toy qui n'as jamais fait qu'escumer la marmite, penses-tu sçavoir que c'est que la science? Et va, va estudier, sans t'amuser à la cuisine, puis tu trouveras comme moy la grande science des femmes, que j'ay si soigneusement recueillie dans plusieurs livres, et si très soigneusement conservée et gardée dans l'un de mes sabots, et enfermée souz la clef dans mon cabinet, tant peur j'avois de la perdre. Lis, mon amy, avec une grande affection ce beau passage de saincte Susane, qui remplit de tant de belle science; elle n'appeloit jamais son mary que son seigneur. Saint Hierosme raconte aussi de la grande science des femmes des Indiens, et de l'amitié qui portoient à leurs maris. Entr'autres il recite de la femme d'Asdrubal, voyant le feu en une maison où estoit son mary, de la grande amour qu'elle portoit à son mary, se jetta dedans le feu; Nicerat en fit autant quand elle vit son mary mort; Tisbée en fit autant quand elle vit son amy Piramus mort. Croy, mon amy, qu'il y a bien de la science à d'aucunes femmes, les unes au bien et les autres au mal. Les unes ont une science parfaite en gouvernant honorablement leur mesnage, vivent avec un amour enrichi d'une ferme foy, d'un courage invincible et d'une amitié non-pareille. Bref, mon amy, il ne te faut user de tel propos envers moy, car tu te trompes fort de dire que je suis amoureux.
Le Lecteur.
Mais, maistre Guillaume, ne vous faschés contre moy, je vous prie, car je sçay veritablement que je ne suis pas digne de disputer contre un tel personnage que vous, car je vous tiens pour un homme docte et sçavant et pour un homme qui a autant leu qu'homme de vostre robe; parquoy, maistre Guillaume, je vous voudrois bien demander, puis que les femmes ont de tant belle science, si s'est science à d'aucune femme de laisser leurs maris, comme je vous veux faire entendre. C'est que j'estois dernierement en la bonne ville de Paris, où je beuvois à un cabaret chopinette; j'escoutois la complainte de trois pauvres savetiers, qui disoient l'un à l'autre que leurs femmes les avoient laissez. L'un se plaignoit bien plus que les autres, car il disoit que sa femme s'en estoit allée avec son valet, et qu'elle luy avoit emporté ses habillemens et l'argent qu'il avoit espargné pour avoir du cuir. L'autre aussi se plaignoit que la sienne luy avoit tout son meuble et mesmes qu'elle avoit jusques au custode[270] du lict vendu, et qu'il ne sçavoit où elle estoit allée. L'autre se plaignoit que la sienne avoit trop de cousins et qu'il n'estoit par maistre en sa maison, et que le plus souvent estoit chargé. Bref, c'est tout autant que l'on fait d'ouyr parler des femmes qui ont delaissé leurs maris. Je ne trouve pas, maistre Guillaume, que c'est belle science, mais bien plustost c'est une science vilaine et deshonnete.
Maistre Guillaume.
Je n'entends pas parler, parlant de la science,
Des femmes abandonnées à la volupté;
Je parle de ceux-là qui ont fidelité,
Qui ayment leurs maris avecque patience.
Les amours du Compas et de la Règle, et ceux du Soleil et de l'Ombre, à Monseigneur le cardinal duc de Richelieu.
A Paris, chez Jean Camusat, rue Sainct-Jacques, à la Toison d'Or.
M.DC.XXXVII. In-8.
Avec privilége du Roy[271].
Animé du beau feu d'une gentille audace,
D'un pied libre je cours aux vallons du Parnasse,
Et la Muse, en riant, me conduit par la main,
Où ne marcha jamais le Grec ny le Romain.
Richelieu, dont les soins embrassent tout le monde,
Merveille de nos jours en merveilles feconde,
Et des temps à venir futur estonnement,
Au recit de mes jeux donne quelque moment,
Imitant le soleil, quand mille espaisses nues
Trainent parmy les airs leurs flottes continues,
Qui, sans voir les mortels, n'esclairant que les cieux,
Par fois perce le voile et se montre à nos yeux.
Dedale n'avoit pas de ses rames plumeuses
Encore traversé les ondes escumeuses,
Par un art qui d'un Roy le rendit triomphant,
Du père le salut et la mort de l'enfant[272];
Il n'avoit pas encor, pour la lubrique rage,
Assemblé de cent bois l'incestueux ouvrage[273]
Qui fut du lict royal le reproche éternel
Et rendit l'artisan celèbre criminel,
Quand sa sœur, admirant sa subtile nature,
Luy presenta Perdix, sa douce nourriture,
Pour polir son neveu par ses doctes leçons
Et le rendre sçavant entre ses nourrissons.
L'enfant monstra soudain une ame industrieuse,
Capable de conseil, prompte, laborieuse;
Et le soleil, passant par ses claires maisons,
A peine eut quatre fois produit quatre saisons,
Que ses habiles mains, heureusement guidées
Par un esprit fertil en nouvelles idées,
Formèrent un amas d'ouvrages curieux.
Que Dedale admira, puis en fut envieux.
Perdix, un jour, épris de l'amour de l'estude,
Cherchant pour en jouyr l'heur de la solitude,
Après mille détours, coucha ses membres las
Sur le sueil bien-aymé du temple de Pallas;
Soudain (qui le croira?), comme de sa cervelle
Jupiter fit sortir cette docte pucelle,
Nasquirent du cerveau du jeune vertueux
La scie et le compas, deux enfans monstrueux,
Mais dont l'utilité, dans les arts secourable,
Rend du père à jamais la mémoire adorable.
La scie, en forme d'arc, d'un cry continuel,
D'un naturel entrant, et mordant, et cruel,
Monstroit un rang de dents, long suplice des arbres,
Et capable d'ouvrir le cœur mesme des marbres.
Son frère le compas fut pourveu seulement
De jambes et de teste, et marcha justement,
Tournant de tous costez par ordre et par mesure,
Et toujours de ses pas traçant quelque figure.
Dedale, qui cherchoit l'apprentif egaré,
Enfin l'appercevant sur le seuil adoré,
Vid le moment natal de ces monstres utiles
Qu'enfantoit son neveu de ses temples[274] fertiles.
Une rougeur jalouse en son front s'épandit,
Et, craignant que par eux il n'entrast en credit,
Soudain de la raison il rejetta l'usage.
L'impiété naquit en son triste courage.
Le respect de sa sœur en vain fit son effort,
Du gentil innocent il medita la mort.
(D'une aspre jalousie abominable exemple!)
Il le precipita de la voute du temple.
Mais Pallas, qui prend soin des esprits vertueux,
De la cheute arresta le cours impetueux;
Transformant en oyseau cet ouvrier admirable
Que la fecondité seule avoit fait coupable[275].
La scie et le compas, temoins de son malheur,
Sentirent l'aiguillon d'une vive douleur;
Puis redoutant les traits de l'envieuse rage,
Afin de garantir les restes du naufrage,
Changèrent leur regret au soin de se sauver.
La scie, estant sans pieds, ne peût se soulever;
Et, grondant de dépit de se voir eschoüée,
En accusa le ciel d'une voix enroüée.
Dedale, qui la vid avec ses yeux ardens,
Par mille longs travaux usa toutes ses dents,
Puis retailla d'un fer ses bresches abbatues.
Le compas se sauva sur ses jambes pointues,
Et d'un soin prevoyant, s'estant mis à courir,
Un seul trait ne marqua qui le peût découvrir.
Dedale, trop subtil, eust reconnu ses traces;
Mais, comme un giboyeur monté sur des eschasses,
Qui sans mouiller ses pieds traverse les marests,
D'un pas viste et leger arpenta les guerets.
Enfin, se trouvant las et loin de la tempeste,
Contre le tronc d'un chesne il appuya sa teste,
Pleurant son père mort et le sort de sa sœur;
Puis d'un sommeil paisible il sentit la douceur.
Le soleil, connoissant sa gentille nature,
Et prevoyant l'eclat de sa race future,
Par un songe luy dit: «Lève toy de ce lieu:
Tu seras digne espoux de la fille d'un Dieu.»
(Souvent contre l'espoir les Deitez prospères
Font naistre le bonheur au fort de nos misères.)
Le compas glorieux se reveille en sursaut,
Emeu de cette veüe et d'un honneur si haut.
Il rend grace au soleil, et, ferme comme un aigle,
Le regarde et s'en va, puis rencontre la règle,
Droitte, d'un grave port, pleine de majesté,
Inflexible, et surtout observant l'equité.
Il arreste ses yeux, la contemple et s'estonne.
Aussi tost, pour l'aymer, son ame l'abandonne.
Et, sans se souvenir des propos du soleil,
Adore ce miracle et le croit sans pareil.
Il l'abborde, et, remply d'un honneste assurance,
Tournant la jambe en arc, luy fait la reverence.
Pour rendre le salut qu'il donnoit humblement,
Elle ne daigna pas se courber seulement.
Pour vaincre ses rigueurs, il luy tint ce langage:
«O vous dont la beauté dans ses chaisnes m'engage,
Soulagez, par pitié, mes desirs vehemens,
Et mille biens naistront de nos embrassemens.
Perdix, ce rare esprit, me donna la naissance;
N'ayez pas à mepris mon utile alliance.»
La règle, pour regler ses vœux ambitieux,
Luy dit: «Mon origine est mesme dans les cieux;
Celuy dont je tiens l'estre entre les Dieux se nombre,
Je nâquis des baisers du soleil et de l'ombre.
«Un jour, parmy les Dieux mon père se vantoit
Que rien dans l'univers ses regards n'evitoit:
Celui des immortels qui preside aux messages
Luy dit: «As-tu veu l'ombre en tous tes longs voyages,
«Cette brune agreable, et de qui les douceurs
«Sont les plus chers plaisirs des doctes, des chasseurs,
«Et de tant de mortels qui la trouvent plus belle
«Que tes plus beaux rayons, que l'on quitte pour elle?»
Le soleil fut surpris, et ce père du jour
Sentit naistre en son cœur et la honte et l'amour;
Du desir de la voir son âme est embrasée.
Il la cherche partout, croit sa conqueste aisée.
Mais l'ombre habilement evitoit ses regards.
Cette froide beauté fuyoit de toutes parts.
Sa course s'avançoit d'une invisible adresse.
Il la suit, elle fuit d'une egale vistesse.
Il double en son ardeur ses efforts vainement,
Tous les corps s'opposoient à son contentement.
Il pense la tenir, sans la voir il la touche,
De ses rayons aigus il joint cette farouche.
Enfin, ne pouvant mieux soulager sa langueur,
En courant il la baise en toute sa longueur.
Et parmy les baisers de cette douce guerre,
De leur droite union je naquis sur la terre.»
Le compas ressentit un plaisir nompareil,
La connoissant alors pour fille du soleil.
Il vid naistre l'espoir d'acquerir sa maistresse,
Roulant en son esprit la divine promesse.
Doncques, remply d'audace, il luy tint ce discours:
«Et ce mesme soleil m'a promis vos amours.
—Quoy! dit-elle en riant, je serois la conqueste
D'un amant qui n'auroit que les pieds et la teste?
Mon père, si puissant, m'imposeroit la loy
De recevoir pour maistre un tel monstre que toy?
Va presenter ailleurs tes impuissantes flammes,
Amant trop inhabile au service des dames.
—Toutefois nos amours, repliqua le compas,
Produiront des enfans qui vaincront le trepas.
De nous deux sortira la belle architecture,
Et mille nobles arts pour polir la nature.
—N'espère pas, dit-elle, ébranler mon repos,
Ou, pour authoriser tes estranges propos,
Tache à plaire à mes yeux par quelques gentillesses,
Et monstre des effets pareils à tes promesses.»
Le compas aussi tost sur un pied se dressa,
Et de l'autre, en tournant, un grand cercle traça.
La règle en fut ravie, et soudain se vint mettre
Dans le milieu du cercle, et fit le diamètre.
Son amant l'embrassa, l'ayant à sa mercy,
Tantost s'elargissant et tantost raccourcy;
Et l'on vid naistre alors de leurs doctes postures
Triangles et quarrez, et mille autres figures.
Richelieu, c'est assez, j'abuse de ton temps,
Repren le fil laissé de tes soins importans.
France, son cher soucy, pardon si je l'amuse
De contes enfantez d'une riante muse[276].
Ennuis des Paysans champestres, addressez à la Royne regente.
M.DC.XIIII. In-8.
Madame,
La crainte que nous avions que le peu de merite de noz rustiques personnes destournat vos oreilles pour oüyr et entendre les echoz pitoyables de nos particulieres plaintes et generalles complaintes rendoit du commencement nos attentes suspectes de recevoir de là nos consolations esperées. Mais estant ainsi que Vostre Majesté tant humaine reçoit si volontiers les très-humbles requestes et supplications de ses sujects, ceste seule consideration nous donne presentement l'asseurance de luy parler et faire grossièrement entendre la cause de nos ennuys. Nous pensions pour long-temps estre bien asseurez en nos cabanes rurales, jouyssant de l'amiable repos que ce grand et invincible guerrier, nostre deffunct et très-honoré maistre, avoit procuré à son peuple[277]. Mais ne pouvant les envieux de nostre prosperité longuement entretenir en France ce bien inestimable de la paix, de la quelle nous respirions si doucement les doux zephires avec une extrême crainte de la perdre, nous voyons presentement, helas! des presages dangereux de sa prochaine ruyne. Les ressentimens que nous avons encore des afflictions passées et des anciennes guerres intestines nous debilitent entierement le cœur et le courage en l'apprehension des futures, de telle sorte et manière que nous n'avons aucun goust pour savourer les biens que liberalement le ciel en ceste presente année eslargira aux enfans de la France. Nous parlerons à vous, Madame, encore que ne soyons que pauvres paysans et gens rustiques nourris à la champestre, de vile et basse condition, des quels la pointe et la portée du jugement au respect de celuy de vos experimentez Conseillers d'Estat ne s'estend et n'outrepasse la veüe des clochers de nos villages, mais pourtant nous avons ceste maxime bien avant engravée en l'ame, ressentant le naturel des simples; mais des bons et legitimes François, que quiconque se dit subjet du roy ne se doit jamais forligner de la fidelité qui luy doit inviolablement garder; et comme il est vray que les vrays sujets d'un prince ne peuvent estre tels que par l'obeïssance et par la foy solide qui les rend obligez à son service, il faut estimer ceux-là n'estre legitimes sujets, qui abandonnent le soing qu'ils doivent avoir de l'Estat et de la personne de leur souverain pour embrasser leur propre lucre de leur particulier interest, et la seule elevation de leur gloire; et alors, ainsi desguisez, n'estans plus que serviteurs affectionnez entre deux levres, delaissent ce qu'ils devroient estre et deviennent comme noircis, amoureux de leurs vaines et frivolles intentions. Nous nous garderions bien d'ecrire et de parler de ceste sorte, n'estoient les misères de la guerre que nous apprehendons[278], et particulierement l'affection que nous portons au roy, nostre bon seigneur et maistre, la quelle, par force et de son authorité, extorque et attire toutes ces parolles du cœur, de bouche et de la plume. Nous ne craignons point tant les esclairs ny les bruits des effroyables tonnerres, qui souventes fois esbranlent nos maisons et renversent les tours et clochers de nos paroisses, que les espouvantables alarmes qui s'engendrent au son du tocsin, le plus souvent de nuict au milieu de nostre repos, ores de jour au milieu de nos sueurs, peines, labeurs et travaux. Point tant ne nous attristent les gresles, ny les gelées de may, ny les coulanges[279] de juing, qui nous apportent coustumierement la cherté des vivres, que l'inhumanité des soldats et desloyauté des goujards[280] qui tuent, qui molestent, qui violent, qui bruslent, qui destruisent, rançonnant le bon-homme[281], et luy font dix mille violences, pour luy faire, à force de coups, qui de pieds, qui de mains, qui de bastons, qui de glaives, qui de dagues, qui de poignards, confesser où est son pauvre bien caché, mussé, enterré et transporté hors de sa maison. Nous ne pouvons alors nous servir contre ces cruautez barbaresques d'autres armes ny moyens que d'obeyssance, force de larmes inutiles et de vaines prières. Cela destournant tout le cours de nos petites intentions, estant la cause le plus souvent de la sterilité de nos terres, de la vente de nos biens et heritages à vil prix, de la perte de nos causes et procez, faute d'avoir de quoy faire presens à nos advocats et procureurs pour la recommandation de nos affaires; bref, de tout nostre malheur. Et puis qu'il plaist maintenant à la fortune et inconstance des temps de nous faire payer à usures l'interest de l'aise de Bontems et du repos duquel elle nous avoit faict joüyr par l'espace de vingt années et plus, nous ne pouvons avoir autre recours qu'à vous, Madame; nous vous offrons maintenant nostre cœur affligé, qui parle à vous, et vous représente, malgré que nous ayons, les registres des maux que desjà nous font ressentir les estincelles de ces esmotions intestines, qui s'allument en ce royaume et se trament sur la division de nos princes. Que si Dieu veut tant affliger la France de permettre, pour nos offenses, qu'elle se voye ensanglantée du sang de ses enfans par l'entremise d'une guerre civile, ce que nous prions journellement qu'il n'advienne, à tout le moins vos vrays et legitimes sujets vous feront aysement cognoistre en tout lieu, place et occurrence, par leur constance genereuse, que leurs volontez n'auront jamais pour guides que les commandemens de Vos Majestez, pour loy que vos desirs, et pour but que vostre contentement et service, protestant dès à present aux pieds du roy et de Vostre Majesté, Madame, qu'ils auront autant de courage pour mourir en la deffence de leur prince, qu'ils ont eu de cœur à vivre durant la paix, en vous servant, affectionnant et craignant.
Le Plaisir de la Noblesse et autres qui ont des eritages aux champs, sur la preuve certaine et profict des estauffes et soyes qui se font à Paris, et les magazins qui seront aux Provinces.
Par Barthelemy de Laffemas, sieur de Bauthor, controolleur general du commerce de France[282].
A Paris, chez Pierre Pautonnier, libraire, imprimeur du Roy, demeurant au Mont S. Hilaire.
1603. In-8.
I.
Chacun doibt cognoistre et avoir pour maxime qu'il faut labourer et semer avant que venir à la moisson, planter les arbres et les enter pour l'esperance d'avoir les fruicts. Aussi faut-il planter et eslever les meuriers pour nourrir les vers. Et lors on fera telle quantité de soye que ce royaume en aura pour sa provision, et en fournira aux estrangers[283].
Sur le bruit que beaucoup de vers à soye sont venuz à mourir ceste année en divers lieux, et sur ce allèguer que le climat de la France n'est propre: il sera remonstré au vray la faute pourquoy ils sont morts, et que à l'advenir le remède est facile de les conserver par bonnes espreuves, et faire cognoître qu'iceluy climat est aussi bon que celuy des estrangers.
III.
En premier lieu, faut remarquer que les vers à soye sont comme espèces de chenilles qui meurent aux grandes chaleurs, et aussi par les pluyes, tant en Italie qu'autres pays: car s'ils mangent seullement des fueilles mouillées, ils viennent malades et meurent.
IV.
La faute pourquoy sont venuz à mourir lesdits vers en aucuns lieux, ce n'a point esté le climat, ains ç'a esté de ne les avoir fait esclorre de bonne heure, et autres qui ne pouvoient avoir des fueilles à commandement pour les nourrir, n'y ayant chose qui leur fasse plus de tort que de les retarder[284]. Car au contraire il les faut faire advancer pour faire leurs soyes avant les grandes chaleurs, qui ont esté trop vehementes, et faict mourir les vers cette présente année, et aussi que les fueilles estant venues par trop dures, qui sont les deux occasions qui les faict mourir.
V.
Et pour exemple et preuve veritable, au jardin de l'Hostel de Retz[285] l'on a faict cette année, des meuriers de leurs jardins, dix-huict livres de soye, sans que les vers soient nullement morts, et les ont vendus quatre-vingtz-quatre escus, et ny sçauroit avoir de fraiz environ pour vingt escus, et à l'advenir ne se fera la moictié des dits fraiz. De façon que ceux qui avoient quatre fois autant de meuriers n'ont point faict la quarte partie d'autant de soye pour n'avoir faict esclorre leurs vers de bonne heure ny avoir les fueilles à commandement, comme ceux qui les avoient en leur dict jardin. Et au semblable, tous ceux qui les ont faict esclorre de bonne heure ont faict même quantité de soye.
VI.
Et ne faut oublier tenir lesdits vers chaudement estant petits; car ils feront leurs soyes dans deux mois au plus tost, et alors que le peuple des champs a le moins d'afaire, et sans qu'il en couste un seul denier à ceux qui auront leur preparatif, et noter que lesdits vers seront plus sujets de mourir en Italie qu'en France, à cause de leurs grandes chaleurs: car les froidures ne font aucun mal que de les retarder comme il est dit.
VII.
Plusieurs qui ont voullu nourrir les vers dans les villes et aillieurs, acheptant les fueilles, les tables[286], et loüant les personnes, cela leur a faict faire des fraiz extraordinaires, qui en pourroit dégouster beaucoup; mais ce qui leur a cousté un escu ne coustera pas un sol aux villages, ayant une fois leur équipage dressé et les fueilles sur les lieux. Ce qui donnera extresme plaisir et proffict à la noblesse et autres des champs qui auront planté nombre desdicts meuriers. Et faut notter qu'à l'advenir ceux qui en feront aux villages ne leur coustera du tout rien, attendu que les pauvres femmes et enfans qui n'ont point d'occupation nourriront lesdicts vers, ainsi qu'on faict en tous lieux.
Parlant des soyes de la France, il sera représenté les belles estoffes qui s'en fabriquent, et mesmes enrichies de l'or et argent façon de Milan faict dans Paris[287], et les ouvriers qui font lesdites estoffes sont aucuns d'iceux François et la pluspart enfans de ceste ville. Ce qui monstre que ce royaume a esté grandement abusé en toutes sortes de manufactures estrangères, attendu qu'il n'y a sorte d'estoffe au monde, difficille qu'elle soit, que les dits ouvriers françois ne facent en perfection.
IX.
Or est-il que depuis que Sa Majesté a veu le nombre et quantité des belles soyes qui se sont faictes ceste année à luy présentées de plusieurs eslections, et après en avoir veu les estoffes qui en sont provenues, il en a esté fort satisfait, et ayant gousté ceste belle et notable entreprise, se sont presentez des hommes cappables, et de jugement, qui font réussir la fabrication des dites estoffes, qui redondera par tout ce royaume, nonobstant les calomnies de ceux qui n'ont l'entendement ny le courage de telles entreprises. Et faut croire que toute la France aura une obligation perpetuelle aux entrepreneurs et autres grands et notables personnages qui y travaillent continuellement que sa dite Majesté y a commis.
X.
Ceste entreprise à Paris monstre le chemin sur ce qui se poura dresser des magasins de toutes sortes de marchandises aux meilleures villes des Provinces[288], ainsi que font tous les pays qui fabriquent grand nombre d'estoffes, lesquels magasins se maintiennent en richesses, attendu qu'ils ne prestent jamais, ains ce font les marchans qui acheptent dans les dits magasins, qui font crédit aux autres marchands forains, lesquels sont subjects aux naufrages de banqueroutte, et non iceux magazins. C'est pourquoy leur fondz et proffict est infaillible. Ce qui servira pour donner advis à ceux qui voudront faire telles entreprises pour faire proffiter leur argent, attendu qu'il sera en plus de seureté que non poinct les bailler aux changes et rechanges damnables et autres usures contre Dieu et ses lois.
XI.
Sur ce qu'il est traicté d'establir des bureaux publicqs et magazins pour le traffic et negoce, sera faict une comparaison de sa police à une ville, maison ou édifice ruiné qui se doibt rebastir jusques aux fondements. Ainsi est-il de la police des marchands, arts et mestiers, n'y voyant qu'abuz et tromperies aux marchandises, ne les faisant bonnes ny loyalles, et les ouvrages et manufactures au semblable. C'est pourquoy Messieurs les commissaires redressent les reiglemens et polices avec tel ordre et douceur que le public en sera soulagé, puis que Dieu par sa grâce a donné sa saincte paix, par laquelle se remettra tout ledict commerce et negoce au bien et soullagement du peuple et de l'Estat.
Conspiration faite en Picardie, sous fausses et meschantes calomnies contre l'edict de pacification.
M.D.LXXVI[289]. In-8.
Les prelats, seigneurs, gentilshommes, capitaines, soldats, habitans des villes et plat pays de Picardie, n'estimans estre besoin de representer les preuves de leur très humble fidélité, servitude et obeissance, dont leurs grands, anciens et recommandables services ont rendu tant de suffisans et certains tesmoignages, que l'on n'en peut aucunement douter, supplient tous les bons sujets du roy de croire (comme la verité est) que le seul zèle et entière devotion qu'ils ont à l'honneur de Dieu, service de Sa Majesté, repos public et conservation de leur vie, biens et fortunes, et celles de leurs femmes et enfans, avec la prevoyance de leur inevitable malheur et ruine (s'il n'y estoit proprement pourveu), les a non seulement induits et poussez, mais davantage necessitez, à la resolution qu'ils ont esté contraints de prendre, laquelle ne tend à aucun changement ou innovation de l'ancienne et première institution et establissement de ce royaume, et pourtant ne peut estre notée et sugillée d'aucune mauvaise façon, soupçon ou defiance, ains sera tousjours cognu et demonstré par les effects que leurs conseils et intentions ne regardent que la seule manutention et entretenement du service de Dieu, de l'obeissance du roy et la seureté de son Estat.
Et voyant bien, par ce qui s'est passé jusques ici, que les ennemis n'ont et n'eurent onques autre but, sinon d'establir leurs erreurs et heresies en ce royaume, de tout temps très chrestien et catholique, aneantir la religion ancienne, exterminer ceux qui en font inviolable profession, miner peu à peu la puissance et auctorité du roy, changer en tout et partout son estat, y introduire autre et nouvelle forme, eux n'ont peu moins faire, pour le devoir de leur honneur et conscience, que d'obvier, par commun accord et saincte union[290], aux sinistres desseins des rebelles, conjurez ennemis de Dieu, des majestés et de la couronne.
Mesme que pour le regard du faict particulier qui se presente, ils ont esté bien advertis et informez par les gentilshommes et soldats qui ont accompagné le prince de Condé, que si tost que la ville de Peronne seroit saisie et emparée de ses troupes, le dessein estoit d'y dresser le magasin des deniers et amas de ceux de la nouvelle opinion.
Que de là l'on proposoit envoyer et elancer les ministres par toutes les villes du gouvernement, despescher les mandemens et ordonnances, en cas du moindre refus proceder par arrests, emprisonnement des catholiques, saisies et degats de leurs biens, et toutes autres rigueurs que ledict sieur prince cognoistroit la promotion et avancement de sa cause le requerir.
De l'execution duquel dessein ne pouvans attendre que la totale ruine de la province et conséquemment de la capitale ville de Paris, le plus certain et ordinaire refuge du roy, et consideré qu'avec l'interest de Sa Majesté et du public leur subsistance y est très estroitement conjointe et que l'on peut dire Sa Majesté et ses bons sujets courre inseparablement une mesme fortune, outre ce qui est du zèle de l'honneur de Dieu, qui doit estre bien avant engravé et imprimé en nos cœurs: pour ces raisons très justes et plus que necessaires occasions, les susdicts prelats, seigneurs, gentilshommes, bons habitans, tous confrères et associez en la presente très chrestienne union, se sont resolu (après avoir preallablement appelle l'aide de Dieu, avec l'inspiration de son Saint-Esprit, par la communion et participation de son precieux corps) d'employer leurs biens et vies jusques à la dernière goute de leur sang, pour la conservation de ladite ville et de toute la province, en l'obeissance du roy et en l'observation de l'Eglise catholique, apostolique et romaine[291].
Pour cest effect supplient Sa Majesté, avec toute l'humble reverence, respect et humilité qu'ils doyvent, que son bon plaisir soit de se ramentevoir avec quelle fidelité et devotion la noblesse de Picardie et citoyens de Peronne luy ont conservé et à ses predecesseurs icelle ville qui est frontière, tant contre les sieges et entreprises des ennemis estrangers, que des embuches et conspirations domestiques.
Tellement que pour marque et recognoissance de cette ancienne et incorruptible fidelité, les feus roys et Sa Majesté à present regnant ont honoré les habitans de plusieurs grands et speciaux priviléges, entre lesquels leur est ottroyé qu'ils ne peuvent estre distraits ny desmembrez de la couronne.
C'est donc en substance qu'ils desirent demeurer très humbles, très obeissans serviteurs et sujets du roy zelateur de l'ancienne et vraye religion: en laquelle eux et leurs majeurs, depuis le règne de Clovis[292], ont esté baptisez, nourris et enseignez, et pour ces deux occasions protestent ne vouloir non plus espargner leurs vies à l'avenir, comme nostre Sauveur très liberalement s'est offert à exposer la sienne pour nostre redemption, nous conviant et appelant à l'imitation de son exemple.
C'est qu'ils somment et interpellent les bons sujets du roy de continuer et perseverer en ceste mesme recognoissance de l'honneur de Dieu et du service de Sa Majesté, sans ceder pour peu que soit aux vents, orages et tempestes de rebellion et desobeissance, et encore moins s'estonner des empeschemens et traverses que les ministres de Satan donnent journellement à la liberté de la saincte catholique religion, à l'authorité du roy et au repos de la France.
Pour lesquelles choses remettre et restablir en leur dict premier estat, splendeur et dignité, et rompre toutes les pratiques qui se bastissent à leur ruine, ils croyent leurs biens ne pouvoir estre mieux employez ny leur sang plus justement et sainctement respandu; et estant en ceste ferme deliberation, à laquelle l'evident péril de cest estat les a finalement attirez, ils s'asseurent, outre les graces et faveurs qu'ils esperent recevoir de Dieu, suyvant ses infaillibles promesses et la profession du roy leur souverain seigneur, d'estre assistez, soustenus, aidez et confortez universellement par toutes les provinces, prelats, seigneurs de ce royaume, d'autant que la mort des Majestez et de Monsieur fils et frère de roy, l'aneantissement de la saincte religion, la ruine du peuple françois estant conjurée, monopollée et designée par les rebelles, et le royaume par eux exposé en proye à tous les barbares du monde, il est desormais plus que temps d'empescher et destourner leur finesse et conspiration par une saincte et chrestienne union, parfaicte intelligence et correspondance de tous les fidèles, loyaux et bons sujets du roy, qui est aujourd'huy le vray et seul moyen que Dieu nous a reservé entre nos mains pour restaurer son sainct service, et l'obeissance de Sa Majesté, pour la manutention de laquelle nous ne pouvons que bien prodiguer nos vies et acquerir une mort très glorieuse et asseuré repos à jamais.
Fin.
La Nouvelle defaitte des Croquans en Quercy, par Monsieur le mareschal de Themines.
A Paris, chez Jean de Bordeaux, rue Daufine, au bout du pont Neuf, à la fleur de Lys[293].
In-8.
La Defaicte des Croquans en Quercy, le vij juin 1624, par Monsieur le mareschal de Themines.
Le Roy ayant estably une eslection au pays du haut et bas Quercy, qui auparavant procedoient à l'assiette des tailles et département d'icelles sur les parroisses de la dite province par assemblée des Estats et aussi pour tout ce qui concernoit les affaires dudit païs particulierement, quelques esprits de discorde, ennemis du repos public, firent passer secrettement des avis de paroisse en paroisse, figurant au pauvre peuple des chimères en l'air, disant que le clergé, la noblesse et tiers estat leur tiendroient la main si l'on vouloit prendre les armes et s'assembler pour abolir ceste eslection, qu'on leur representoit estre la ruine du pays [comme si c'estoit à ceste canaille de se devoir opposer aux volontez de Sa Majesté, qui pour éviter tant de foulle qui se fait à l'imposition des taxes desdites assemblées, et ce qui s'en ensuit, par l'advis de son conseil, et pour soulager son pauvre peuple de la dite province, qui a par cy devant receu assez d'incommoditez durant les derniers troubles de la rebellion, avoit doncques creé et estably cette eslection[294]].
Là dessus, après que les offices furent levés, et qu'on se vouloit instaler[295], un nommé Doüat, natif de Quercy, autrement Anniac, homme aagé de cinquante cinq ans ou plus, qui se mesloit de faire des horoscopes, grand physionomiste et chiromancien, qui a tousjours dit qu'il mourroit entre deux airs, après avoir commandé 5,000 hommes, practiqué secrettement beaucoup de feneans qui avoient esté congédiez des compagnies depuis la paix, et ceux cy d'autres, qu'en moins de quatre jours, sur la fin du mois de may, ils furent en nombre de huict mille hommes de pied. Leur pretexte estoit (bien que faux) que le païs seroit chargé de nouveau des tailles, pour les gages, esmolumens, signature de roolles et autres droits de ceste nouvelle eslection; et en outre, que les plus riches de la dite province, qui ont les plus grands taux, jusqu'à trois ou quatre cens livres, achepteroient des offices pour estre exempts, et que pour cela on n'osteroit cette taille du païs, ains qu'on la cottiseroit sur le menu peuple, avec les cruës tant vieilles que nouvelles à l'équipolent, et autres semblables raisons irraisonnables, de point de valeur et d'effect; ces pauvres gens ne considerans pas qu'il leur faut aller baiser le baboïn tout le long de l'année à ces estats, faire de grands presens, payer leurs frais, et de leur train, la plus part y amenant toute leur maison, donner des pierreries à leurs femmes, des estoffes, des chevaux à d'autres, et enfin de l'argent pour la taxe de chacun de ceux qui y ont sceance, et tant d'autres incommoditez au prejudice des habitans de ceste province, etc[296]. Ces huict mille hommes[297] (portans chacun vivres pour trois jours et de l'argent pour en achepter d'autres après avoir despendu leur provision), sans autrement fouler ny faire aucun ravage au peuple, s'acheminent vers les maisons de quelques particuliers, qui avoient achepté des dits offices[298], les pensans surprendre en personne pour en faire leur volonté; mais ne les trouvant point, ils ont abatu leurs maisons, arraché les fondemens, bruslé leurs meubles et leurs métairies ou domaines, arraché les vignes, labouré les prés, couppé les bleds estans encore en fleur, enfin exercé tout ce qui se pouvoit imaginer d'indignité sur les biens de ces messieurs les esleuz. Sur ce commencement, un nommé Barrau, natif de Gramat en Quercy, qui a esté nourry et eslevé parmy la noblesse du dit païs, et qui a porté les armes à ces derniers troubles dans les regimens devant Montauban et ailleurs, s'en allant pour certains affaires d'un de ses amis hors la province[299], ayant rencontré ces supprimeurs d'eslection, renvoyé ses memoires et depesches, se joinct à eux, qu'enfin les voila en nombre de seize mille hommes armez la plus grand'part de faux, manchées à rebours, bastons à deux bouts, et autres longs bois; quelques-uns avoient des mousquets et des picques, desquels ils avoient dressé des compagnies assés bien rangées pour l'offensive et deffensive; ils envoyent à Cahors[300], demandent deux de ces nouveaux esleuz pour leur estre baillez entre leurs mains et en faire leur volonté, autrement qu'on leur ouvrist la porte pour y entrer et les prendre; ils en mandent autant à Figeac, au refus de quoy l'on menace de se venir loger ès environs et y faire le degast. Le menu peuple de ces villes commence à gronder, se resout de prendre les armes pour faire ouvrir les portes, aymant mieux perdre ce qu'on demandoit que souffrir le dégast de leurs domaines et deperition de leurs maisons champestres; le conseil de la maison de ville[301] delègue des habitans pour advertir en diligence monsieur le mareschal de Themines, gouverneur pour le roy dans le pays, qui tout aussi tost s'achemine à Cahors avec le peu de monde qu'il avoit, prend une cinquantaine de soldats de la dite ville[302], employe bien peu de noblesse; enfin tout ce qu'il avoit ne faisoit pas deux cens hommes à pied ou à cheval; employe entre autres monsieur le vicomte d'Arpajon son gendre[303], qui en deffit trois compagnies en chemin, venant se joindre avec mon dit sieur le mareschal, lequel cognoissant ceste formillière de reformateurs, indigne de voir le lustre de son espée, qu'il ne vouloit aussi profaner avec le sang de ces misérables, alla au combat avec ce qui est dit, un baston à la main, les charge, les met en desordre et en route[304]. Dieu, qui favorise les justes querelles, donne une telle espouvante à ces croquans, que si monsieur le mareschal de Themines n'eust crié qu'on ne tue plus, toute leur armée y eust demeuré sur la place; il se contente des chefs Doüat et Barrau, qui furent ses prisonniers, et désarme le reste. C'estoit le septiesme juin dernier.
Tout le dommage qui fust de son costé fut un coup de mousquet par une espaule à l'un de ses gentilshommes nommé Bousquet, qui a esté à monsieur le comte de Clermont, et un gendarme de la compagnie de monsieur de Limiers eust un coup de picque dans une cuisse, de quoy ils ne sont point en danger de plus grand mal[305]. Le lendemain huictiesme juin, monsieur le mareschal fait conduire les prisonniers à Figeac, les met entre les mains du prevost, qui ce jour même fait exécuter Doüat par la main du bourreau, auquel l'on coupa la teste, et après luy avoir sorti le ventre fust mis à quatre quartiers; la teste est sur un poteau à Figeac, le reste dispersé par les villes de Quercy. Et le lundy dixiesme du dit mois, Barrau fut pendu à Gramat lieu de sa naissance. Il y en a quelques autres de prisonniers, ausquels l'on faisoit le procez. Voilà comment il fait bon se jouer avec son maistre et manger des cerises avec son seigneur: c'est cracher vers le ciel; qui s'oppose au roy, s'oppose à Dieu, car c'est son oingt qu'il nous a donné pour estre nostre Dieu en terre, lequel (après Dieu) nous devons craindre, honorer et luy obeyr avec toute fidelité. Ceux de Montauban commencèrent à lever l'oreille, et donnoient des advis secrettement à leurs voisins, car ils pensoient que ce fust un pretexte pour leur venir faire le desgast, tant ils se cognoissent coulpables[306]. Doüat dit sur l'échafaut que, si on l'eust laissé faire, il alloit commander à soixante mille hommes. Il avoit de pernicieux desseins, que Dieu luy a estouffez; car il pensoit entrer dans Cahors et en amener le canon pour faire de plus grandes executions; mais l'on a mis le cerveau au vent, afin qu'il emportast quand et luy les frivoles conceptions.
Les Vertus et Propriétés des Mignons[307].
25 juillet 1576.
C'est assez chanté de l'amour,
Il faut une nouvelle corde,
Qu'un son plus tonnant nous accorde
Les indignitez de la cour;
Car chantant un accord semblable,
On n'est pas tousjours agréable
A toutes espèces d'humeurs:
L'abeille le doux miel compose
Du thin, du lys et de la rose,
Et non tousjours de mesmes fleurs.
Ainsi qu'au printemps bien souvent
Une saison mal temperée,
Pour nostre malheur, fait et crée,
Par un trop chaut humide vent,
La chenille et la sauterelle,
Ennemis de l'herbe nouvelle,
Des boutons jadis fleurs-naissans,
Qui, bestes du tout inutiles,
Rongeans l'espoir des champs fertiles,
Donnent la cherté aux paysans.
Tout ainsi les trop libres lois
De la serve et esclave France
Ont permis de prendre accroissance,
Autour de nos princes et roys
(Et c'est pour vengence divine)
A je ne sçay quelle vermine
De mignons venus en trois nuicts,
Qui, comme les chenilles, paissent
Nos fleurs sitost comme elles naissent,
Et mangent en herbe nos fruicts.
Nostre roy doit cent millions,
Et faut, pour acquiter les debtes
Que messieurs les mignons ont faites,
Rechercher les inventions
Du nouveau tyran de Florence[308],
Et les pratiquer en la France;
Avant que l'argent en soit prest
Monsieur le mignon le consomme,
Et fait-on party de la somme[309]
A cent pour cent pour l'interest.
Et cependant que les liens
De ces tyranniques gabelles,
Et les faix des daces nouvelles
Qu'inventent les Italiens,
Cruellement tuent et accablent
Le peuple françois miserable[310],
Ces beaux mignons prodiguement
Se veautrent parmi leurs délices,
Et peut estre dedans tels vices
Qu'on ne peut dire honnestement.
Leur parler et leur vestement
Se voit tel qu'une honneste femme
Auroit peur de recevoir blasme[311]
S'habillant si lascivement.
Le col ne se tourne à leur aise
Dans le long reply de leur fraise[312].
Desja le froment n'est pas bon
Pour l'empoix blanc de leur chemise;
Il faut, pour façon plus exquise,
Faire de ris leur amidon.
Leur poil est tondu par compas,
Mais non d'une façon pareille,
Car en avant, depuis l'oreille,
Il est long, et derrière bas.
Il se tient droit par artifice,
Car une gomme le herisse
Ou retord ses plis refrisez,
Et dessus leur teste legère
Un petit bonnet par derrière
Les monstre encor plus desguisez[313].
Je n'ose dire que le fard
Leur soit plus commun qu'à la femme:
J'aurois peur de leur donner blasme[314]
Qu'entre eux ils pratiquassent l'art
De l'impudique Ganimede.
Quant à leur habit, il excede
Leur bien, et un plus grand encor[315];
Car le mignon, qui tout consomme,
Ne se vest plus en gentil-homme,
Mais (comme un prince) de drap d'or.
Pensez-vous que ces vieux François[316]
Qui, par leurs armes valeureuses,
En tant de guerres dangereuses
Ont fait retentir autrefois
Le bruit espandu de leur gloire,
Avec le nom de leur victoire,
De çà, de là, de toutes parts[317],
Eussent leur chemise empoisée,
Eussent la perruque frisée,
Eussent le taint blanchi de fard[318]?
Hector ainsi ne s'atteintoit,
Ainsi ne s'atteintoit Achille,
L'un qui, preux, défendoit sa ville,
Et l'autre qui la combattoit.
Mais ainsi le mol Alexandre,
Qui ne savoit pas se defendre,
S'accoustroit d'un atour mignard
Et fuyoit au bruit des armes;
Et au grand conflict des alarmes
Se cachoit, poltron et couard.
Et toutefois ce mol troupeau,
Ces faces ganymediennes,
Ces ames epicuriennes,
Qui ne sont qu'un pesant fardeau
Et faix inutile à la France,
Consomment toute la substance
De l'eglise et du noble aussy.
Et le tiers estat miserable
Gemit sous le faix importable
De ces prodigues sans soucy.
Les premiers et plus grands honneurs
De vous, anciens capitaines,
Pour la couronne de vos peines,
Sont pour ces delicats seigneurs,
Qui, pour le guerdon de leurs vices,
Sont jouissans en leurs delices
De l'honneur par vous merité.
Que vous sert d'aller à la guerre,
Puisqu'on peut tels degrez acquerre
Par une molle oisiveté?
Les grands biens à Dieu destinez
Et consacrez à son service
Sont, pour nourrissiers de leur vice,
Baillez à ces effeminez,
Qui trocquent, eschangent et vendent
Les bénéfices, et despendent
Les biens vouez au crucifix,
Que l'on leur baille en mariage,
En guerdon de maquerellage,
Ou pour chose de plus vil prix.
Et, pour pouvoir mieux contenter
Leur pompe, leur jeu, leur bombance
Et leur trop prodigue despense,
Il faut tous les jours inventer
Nouveaux estats[319], nouvelles tailles,
Qu'il faut du profond des entrailles
Des povres sujets arracher,
Qui traînent leurs chetives vies
Sous les griffes de ces harpies
Qui avallent tout sans mascher.
Ouvrez les yeux, peuples françois,
Voyez vostre estat miserable,
Vous de qui le nom redoutable
Faisoit peur aux plus puissans rois
Et aux nations les plus braves;
Ores, miserables esclaves,
Sous tel joug cois vous vous tenez,
Et laissez manger la substance
De tous les estats de la France
A ces mols et effeminez.
Passage du Cardinal de Richelieu à Viviers.
Anecdote extraite du journal manuscrit de J. de Banne[320].
Le 24 août 1642, Monseigneur l'eminentissime cardinal duc de Richelieu vint coucher en cette ville de Viviers avec une cour royale[321]. Il se faisoit tirer contre-mônt la rivière du Rhône, dans un bateau où l'on avoit bati une chambre de bois, tapissée de velours rouge cramoisi à feuillages, le fond étant d'or. Dans le même bateau il y avoit une antichambre de même façon; à la proue et au derrière du bateau il y avoit quantité de soldats de ses gardes portant la casaque d'écarlate, en broderie d'or, d'argent et de soie, ainsi que beaucoup de seigneurs de marque. Son Eminence étoit dans un lit garni de taffetas pourpre. Monseigneur le cardinal de Bigni et messieurs les evêques de Nantes et de Chartres y étoient avec quantité d'abbés et de gentilshommes en d'autres bateaux; au devant du sien, une frégate faisoit la découverte des passages, et après montoit un autre bateau chargé d'arquebusiers et d'officiers pour les commander. Lorsqu'on abordoit en quelque île, on mettoit des soldats en icelle pour voir s'il y avoit des gens suspects, et, n'y en rencontrant point, ils en gardoient les bords, jusques à ce que deux bateaux qui suivoient eussent passé: ils étoient remplis de noblesse et de soldats bien armés.
En après venoit le bateau de Son Eminence, à la queue duquel étoit attaché un petit bateau couvert, dans lequel étoit M. de Thou, prisonnier[322], gardé par un exempt des gardes du roi et douze gardes de Son Eminence. Après les bateaux venoient trois barques, où étoient les hardes et vaisselle d'argent de Son Eminence, avec plusieurs gentilshommes et soldats. Sur le bord du Rhône, en Dauphiné, marchoient deux compagnies de chevau-légers, et autant sur le bord du côté du Languedoc et Vivarais; il y avoit un très beau regiment de gens de pied, qui entroit dans les villes où Son Eminence devoit entrer ou coucher.
Son bateau prit terre contre la calme de Bonneri, en cette ville[323], où quantité de noblesse l'attendoit, entr'autres M. le comte de Suze. Monseigneur de Viviers le salua à la sortie de son bateau; mais il fallut attendre de lui parler jusques à ce qu'il fut au logis qu'on lui avoit preparé dans la ville. Quand son bateau abordoit la terre, il y avoit un pont de bois qui du bateau alloit au bord de la rivière; après qu'on avoit vu s'il étoit bien asseuré, on sortoit le lit dans lequel le dit seigneur étoit couché, car il étoit malade d'une douleur ou ulcère au bras[324]; il y avoit six puissans hommes qui portoient le lit avec deux barres[325], et les liens où les hommes mettoient les mains étoient rembourés et garnis de buffeteries. Ils portoient sur leurs epaules et autour du cou certaines trapointes garnies en dedans de coton, et la couverte de buffe; si bien que les sangles ou surfaix qu'ils mettoient au cou étoient comme une etole qui descendoit jusques aux barres dans lesquelles elles étoient passées. Ainsi ces hommes portoient le lit et le dit seigneur dans les villes ou aux maisons auxquelles il devoit loger. Mais ce dont tout le monde étoit étonné, c'est qu'il entroit dans les maisons par les fenêtres: car, auparavant qu'il arrivât, les maçons qu'il menoit abattoient les croisées des maisons ou faisoient des ouvertures aux murailles des chambres où il devoit loger[326], et en après on faisoit un pont de bois qui venoit de la rue jusque aux fenêtres ou ouvertures de son logis[327]. Ainsi étant dans son lit portatif, il passoit par les rues et on le passoit sur le pont jusques dans un autre lit qui lui étoit préparé dans sa chambre, que ses officiers avoient tapissée de damas incarnat et violet, avec des ameublemens très riches. Il logea, à Viviers, dans la maison de Montarguy qui est à present à l'université de notre Eglise. On abattit la croisée de la chambre qui a sa vue sur la place, et le pont de bois pour y monter venoit depuis la boutique de Noël de Vielh, sous la maison d'Ales, du côté du nord, jusques à l'ouverture des fenêtres, où le Seigneur cardinal fut porté de la manière expliquée. Sa chambre étoit gardée de tous côtés, tant sous les voûtes qu'ès côtés et sur le dessus des logemens où il couchoit.
Sa cour ou suite étoit composée de gens d'importance; la civilité, affabilité et courtoisie étoient avec eux; la devotion y étoit très grande: car les soldats, qui sont ordinairement indevots et impies, firent de grandes devotions; le lendemain de son arrivée, qui étoit un dimanche, plusieurs d'iceux se confessèrent et communièrent avec demonstration de grande pieté; ils ne firent aucune insolence dans la ville, vivant quasi comme des pucelles. La noblesse aussi fit de grandes devotions. Quand on étoit sur le Rhône, quoiqu'il y eût quantité de bateliers tant dans les barques qu'après les chevaux, on n'osoit jamais blasphêmer, qu'est quasi un miracle que de telles gens demeurassent dans une telle retention; on ne leur voyoit proferer que les mots qui leur étoient nécessaires pour la conduite de leurs barques, mais si modestement que tout le monde en etoit ravi.
Monseigneur le cardinal Bigni logea à l'archidiaconé. On avoit preparé la maison de M. Panisse pour monseigneur le cardinal Mazarin; mais, au partir du Bourg-Saint-Andéol, il prit la poste pour aller trouver le roi; le dimanche 25, le dit seigneur fut reporté dans son bateau avec le même ordre. Il étoit venu tout environné de noblesse et de ses gardes; il y avoit plaisir d'oüir les trompettes qui jouoient en Dauphiné avec les reponses de celles du Vivarais, et les redits des echos de nos rochers: on eût dit que tout jouoit à mieux faire.
Monseigneur de Viviers traita au Bourg-Saint-Andéol et à Viviers les plus apparens prelats de cette troupe, comme messeigneurs cardinaux Bigni, Mazarin, les evêques et abbés, ainsi que quantité de seigneurs. Monseigneur le cardinal-duc lui fit mille caresses et demonstrations d'amitié. Je le vis dans sa chambre: il portoit fort pauvres couleurs, à cause de son mal, qui toutesfois s'alentit étant dans cette ville. Ce seigneur étoit fort affable, savant au possible, et grandissime homme d'Etat. Les consuls firent poser ses armoiries sur les portes de la ville et de son logis; il ne voulut pas qu'on lui fît entrée en aucune part, ni qu'on tirât canon ni mousquet. Lorsqu'il fut arrivé à Lyon, le sieur de Cinq-Mars, grand ecuyer, et le sieur de Thou, furent executés à mort[328].
Le vray Discours des grandes Processions qui se font depuis les frontières de l'Allemagne jusques à la France, dont jamais n'en fut faicte de semblable, et comme plus amplement vous sera monstré dans le discours. A Paris, 1584.
In-8.
Les grandes ceremonies qui se sont faictes depuis deux mois ençà dedans les frontières des Allemaignes, où se sont assemblez une grande quantité de personnes, voyant les signes de feu qui se sont apparus tombans du ciel sur deux montaignes du mesme pays[329], le feu estant si aspre et vehement, dont le pauvre peuple fut si estonné et effrayé, qu'ils ne sçavoient que faire ne que dire, sinon que de se mettre en prières et oraisons pour invoquer la grâce et misericorde de Dieu. Ils se sont tous mis tant hommes que femmes et petits enfans, se sont habillez bien simplement, de quoy sur eux portoient de beaux linges blancs, depuis le dessus de leur teste jusques aux pieds; lesquels avoient, autant grands que petitz, des croix en leurs mains, dont il y avoit des petits chandeliers là où estoient des cierges[330], cheminans tous en grande devotion, portant le Sainct-Sacrement de l'autel, par dessus lequel y avoit un beau ciel blanc, qu'ils portoient tant de jour que de nuit, chantant fort melodieusement de beaux cantiques et oraisons. Estans en nombre de quatre mille personnes, se recommandans à la grace et misericode de Dieu, sont allez en grandes processions dedans les Ardennes[331], à M. sainct Hubert[332], y faisant leurs bonnes prières et oraisons dans son eglise, où ils feirent chanter bien honorablement une grande messe, laquelle oyant tous les pelerins étoient prosternez à genoux. Ayant faict leurs prières, ont prins congé de Messieurs du dit sainct Hubert et prins leur chemin à Monsieur sainct Servais[333], qui est une fort bonne place et digne de memoire, y faisant aussi leurs prières en la forme sus dite. De là ont reprins leur chemin à Sainct-Nicolas en Lorraine[334], où ils auroient fait leurs devotions, tenant chacun en leurs mains un cierge allumé, durant le service divin. Tellement que les habitans du dit lieu de Saint-Nicolas en Lorraine les receurent fort honorablement, leur presentant de leurs biens. Ils remercièrent les dits habitans, mais ce neantmoins, pour ce que l'obscurité de la nuit les pressoit, furent contraints d'y demeurer jusques au lendemain matin, prenant congé d'eux en les remerciant très humblement de leurs biens; de là s'en sont retournez en leur païs. Ce fait, les dits habitans du dit Sainct-Nicolas, quatre jours après, se sont assemblez avec ceux de leurs lieux circonvoisins, jusques au nombre de sept mil personnes, ayant des habits blancs et des croix semblables aux autres estrangers cy dessus declarés, et chantans aussi beaux cantiques et oraisons, et portant bannières, croix, torches et cierges allumés, et de ce conduisant le Sainct Sacrement de l'autel dessous un beau ciel blanc que portoient les quatre principaux de la ville de Sainct-Nicolas en la dite Lorraine, faisoient leurs prières et oraisons en invocquant la grace de Dieu et de sa sainte mère. De là ont prins leur chemin à monsieur sainct Marcou[335], faisants leurs prières et devotions, à leur manière accoustumée. Le lendemain, qui estoit le jour de la Nostre-Dame de my-aoust, se sont acheminez à Notre-Dame de Liesse[336], où estantz arrivez feirent celebrer une belle messe à la louange de Dieu et de Nostre-Dame de Liesse. Durant le service de laquelle ilz estoient tous à genoux, tenantz en leurs mains joinctes chacun leur croix et cierges allumez, rendant graces à Dieu et à nostre Dame de Liesse, qu'il les vueille preserver et garder de telle fortune que celle dont ils ont ouy reciter aux pelerins d'Allemaigne. Laquelle chose faite, ont prins leur chemin passant près la ville de Reims en Champagne pour aller droit à Nostre-Dame de l'Espine[337], près la ville de Chalons, en la dite Champagne. Les habitans d'icelle ville voyant la devotion en quoy ils estoient versez, eulz esmeuz de compassion, les prierent fort si c'estoit leur plaisir de passer par la dite ville de Chalons, qu'ils les recevroient fort honorablement, dont les dits pelerins les remercièrent, disant qu'ils avoient affection d'eux en retourner en leur pays, pensant avoir accomply leur voyage, et ne vouloient entrer en la dite ville, de peur de retarder leur voyage, auquel ils avoient donné fin. Ce que voyans les habitans de la dite ville de Chalons, se retirèrent dedans icelle, en prenant congé d'eux; les aucuns se prindrent à plourer de la compassion qu'ils avoient de les veoir en si bon ordre, prière et devotion, tellement que dès là les dits pelerins prindrent leur chemin pour retourner en leurs païs. Après la departie des dits pelerins, les habitans de Chalons se sont resoluz de faire semblable procession comme eux, avec ceux de leurs lieux circonvoisins, presque de dix lieux à la ronde, marchants nuds pieds, chantans à haute voix de fort beaux cantiques à la louange de Dieu et de la Vierge Marie; faisantz laquelle procession prindrent leur chemin droict à Nostre-Dame de Lespine, où ilz feirent leurs prières et oraisons. De là prindrent leur chemin à Nostre-Dame de Liesse, où ils feirent aussi de mesme façon, et puis s'en allèrent en la dicte ville de Reims, le premier dimanche de septembre, au nombre de douze mille personnes; beaucoup desquelles estans de la religion pretendue reformée furent convertis à celle des catholiques[338], où ils feirent leurs prières et devotions dedans l'église Nostre-Dame, entre lesquels estoient plusieurs de la ville de Vitry le Bruslé, de la dite religion pretendue reformée, qui tous ensemble chantoient melodieusement en la dite eglise de fort beaux cantiques, dont messieurs les habitans de la ville de Reims, les voyans en si bon ordre, les receurent bien honorablement et leurs presentèrent de leurs biens, les larmes leur tombans des yeux de crève-cueur qu'ils avoient par leur compassion de les veoir faire telles prières et oblations, avec oraisons fort pitoiables, et ny avoit hommes ny femmes et enfans qui ne plourassent à grosses larmes; et depuis ces choses faictes, les dits pelerins s'en retournèrent en leurs pays, et le dimanche mesme se trouva une grosse assemblée de monde qui arriva dez le matin dans Saint-Fiacre en Brie[339], laquelle estoit en nombre dix huict cens personnes, lesquelles feirent chanter une belle grande messe, faisans leurs prières et devotions ainsi que les autres pelerins dont est faict mention cy dessus; le service divin de laquelle messe estant accomply, elles allèrent prendre leur refection, puis après prindrent leur chemin à tirer droict dans la ville de Meaux, sur les cinq heures du soir, dont depuis leur arrivée s'en allèrent à la grande eglise, où ilz feirent leurs oraisons et oblations devant la châsse de monsieur saint Fiacre, chantans tous de beaulx cantiques ensemblement; dont messieurs les habitans de la ville de Meaux, voians leur procession si honorable, les retindrent une nuict en les traitant bien honnestement de leurs biens, chacun selon son pouvoir; le soir estant venu, prindrent congé de messieurs de la dite ville de Meaux, reprenans leur chemin droit à Chateau-Tierry, d'où ils estoient. Le jeudy ensuyvant, sur les trois heures après midy, arriva encores une procession d'alentour de La Ferté sur Jouarre et de la ville mesme, laquelle fust mise en tel estat que ceux qui estoient venuz à Sainct-Fiacre, jusques au nombre de mil personnes, arrivèrent dans la ville de Meaux sur les trois heures après midi, où estant les dites personnes, elles allèrent en l'eglise Sainct-Estienne de Meaux faire leurs prières et oraisons, en la sorte sus dite; lesquelles accomplies, tyrèrent droict à monsieur sainct Prins[340], où icelles personnes estans arrivées feirent celebrer une belle messe, laquelle ayant esté parachevée, le vendredy d'après s'en allèrent à Sainct-Denis en France, où ils reposèrent la nuict du dit jour de vendredy; le lendemain, qui estoit le samedy, dès la pointe du jour, sont partis de Sainct-Denis pour venir à Nostre-Dame de Paris[341] (dont de la dite procession il y en avoit plusieurs qui estoient de la nouvelle religion, et se sont retournez à Jesus-Christ, et croyant à l'eglise catholique), tousjours chantant melodieusement par la ville, jusques à ce qu'ils furent en la dite eglise, où ils feirent chanter une belle messe, estans tous à genoux pendant le divin service, chacun d'eux ayant leurs croix en leurs mains et un cierge ardant; laquelle dicte, furent remerciez par messieurs les chanoines de Nostre-Dame de Paris, qui leur feirent present de luminaires et torches pour reconduire le Sainct-Sacrement de l'autel jusques en leurs païs. Pour retourner auquel ils allèrent passer à Sainct-Maur-des-Fossez, où, ayants faict leurs prières et oraisons, prindrent leur chemin pour tirer droict à Sainct-Fiacre en Brie, depuis lequel lieu, après qu'ils y furent arrivez et faict leurs devotions, ils s'en retournèrent en leurs pays. Puis le depart desquelles personnes du dit Sainct-Fiacre, les habitans de la ville de Meaux, se mettans en bon ordre et grande devotion, se sont preparez à faire procession et aller pour ce faire à Nostre-Dame de la Victoire, près de Senlis[342], jusques au nombre de quinze cens, tant grands que petits. Ceux pareillement de Crecy, la Chapelle, et de quelques autres villages de la Brye, jusques au nombre de quatre mil deux cens, imitans leurs copatriaux et voisins, après avoir visité plusieurs lieux de devotion, sont enfin arrivez à la Saincte-Chapelle du Palais à Paris, conduisans comme les autres la saincte Eucharistie, le lundy XIX septembre 1583[343], où fut celebrée devotement la messe, après laquelle s'acheminans de là à l'eglise de Nostre-Dame, et passant pardevant la maison de monsieur le tresorier de la dite Saincte-Chapelle et evesque de Meaux, ils furent receuz fort honnorablement par un bon nombre de gentils-hommes qui pour ce faire avoient esté ordonnez par le dit sieur tresorier, lesquels offrirent à tous les habitans pain, vin et viande, à la mesure qu'ils passoient. Et ayans faict leur devotion et chanté quelques antiennes en l'eglise Nostre-Dame, ont repris leur chemin droit à Sainct-Fiacre, chantans hymnes et cantiques à la louange de Dieu et de la glorieuse Vierge Marie, sa mère.
Priant nostre Seigneur Jesus-Christ (amy lecteur) qu'il nous vueille preserver et garder des astres qui nous menassent, dont l'experience s'est montrée, ainsi que verrez par ce present discours.
Fin.
Le Canard qui mange cinq de ses frères, et qui est mangé à son tour par un colonel[344].
J'ai connu très particulièrement, mon cher oncle, un colonel au service de Hollande, fort gourmand, et même un peu goulu; ce brave militaire avoit imaginé une manière peu commune de manger des canards excellens, et voici quelle etoit sa methode:
Ce fier Batave faisoit chercher six canetons, que l'on plaçoit dans un endroit où ils pouvoient barboter à leur aise, et trouver de quoi s'empifrer comme des chanoines. Lorsque le gourmand s'appercevoit que sa troupe choisie commençoit à avoir une demarche lourde et embarrassée, il examinoit avec soin celui qui avoit le mieux profité, et, quand il voyoit qu'il y en avoit un qui avoit un ventre qui touchoit presque à terre, il lui attachoit un ruban rouge à la patte. Le cuisinier savoit ce que cela vouloit dire, et, en consequence, le lendemain, il prenoit un des cinq compagnons, le tuoit, le plumoit, le coupoit par morceaux, et le faisoit manger par celui qui avoit été honoré du cordon. Cet honnête frère auroit fort bien expedié dans un jour toute la chambrée; mais comme ce n'etoit pas tout à fait pour lui faire fête qu'on le nourrissoit de cette façon, on avoit soin de lui menager sa bonne fortune, et ordinairement ce n'etoit que le neuf ou le dixième jour qu'il avaloit le dernier.
Le mangeur avoit son tour; mais sa destinée etoit plus noble, puisqu'il étoit reservé pour la bouche du colonel: aussi, avant d'être sacrifié, il avoit l'avantage d'être loué par l'etat-major du regiment; j'en ai même vu quelques-uns qui ont eté assez heureux pour paroître au gala couronnés avec autant d'eclat que l'echappé des isles Sainte-Marguerite.
Mais, mon cher neveu, me direz-vous, qu'ont de commun vos canards et votre colonel hollandois avec les affaires importantes que nous traitons dans ce moment? Le voici, mon cher oncle:
J'etois hier au soir au Jardin du Roi, lorsqu'un petit chirurgien qui arrivoit de Versailles nous dit: «Messieurs, je vous apporte une nouvelle bien singulière: on assure que MM. les évêques deputés sont convenus de manger chacun par jour un curé; et, d'après le calcul de M. de Lalande, ces prélats avaleront les derniers le 12 de ce mois[345]. Or, s'il est vrai, comme je n'en doute pas, que messeigneurs, après avoir empifré nos bons pasteurs, les croquent, j'ose me flatter que vous ne révoquerez pas en doute la petite friandise de mon colonel hollandois, puisque, par sa nature, un canard, à ce que disent les Italiens, est comme un cardinal, c'est-à-dire un animal vorax et rapax.»
Réponse de M. le Curé à son neveu.
Vous avez cru, mon cher neveu, me faire une plaisanterie; eh bien, il faut que je vous avoue que nous avons parmi nous beaucoup de canetons, et qu'à l'exception de quatre ou cinq de nos prélats députés, les autres cherchent à nous faire barboter et à nous empifrer. Je connois même plusieurs de mes confrères qui, après avoir mangé deux ou trois de leurs camarades, ont été avalés par nos messeigneurs; mais, Dieu merci, jusqu'à présent, on n'a pas encore enlevé de mes ailes une seule plume. Je lis tous les matins mes instructions, et je dis: Louis XVI t'a rendu tes droits; souviens-toi que le curé de V..... est assis à côté de ce pontife orgueilleux, qui, l'année dernière, le faisoit attendre deux heures dans son anti-chambre, qui croyoit qu'il étoit du bon ton de ne pas l'admettre à sa table, et qui souvent, sans vouloir l'écouter, le renvoyoit à un jeune grand vicaire, nourri de vanité, pétri de suffisance et moins instruit qu'un enseigne des gardes françoises. Rappelle-toi que la dignité de ton sacerdoce ne te permet aucune complaisance, et que tu ne dois jamais oublier que le Roi te regarderoit comme le plus vil des esclaves, si après avoir eu la bonté de rompre tes chaînes, tu les reprenois. Soyez donc, mon cher neveu, tranquille sur mon sort, et dites à votre carabin que je ne permettrai pas qu'on m'attache le ruban à la patte, quand bien même l'on me flatteroit de l'honneur d'être croqué par une éminence.
Nous avons, vous et moi, deux tâches bien difficiles à remplir: si vous tuez votre malade, c'est pour toujours; et moi, si je n'ai pas soin de son ame, il est perdu pour l'éternité. Travaillons donc avec zèle, et marchons avec fermeté et courage chacun dans notre état.
Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.
Fin.
FIN DU TOME VII.
TABLE DES PIÈCES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
- 1. Manifeste et prédictions des plus véritables affaires qui se doibvent passer en France cette année 1620, par le sieur de La Bourdanière 5
- 2. La faiseuse de mouches 9
- 3. Les plaisantes ruses et cabales de trois bourgeoises de Paris 19
- 4. L'Archi-Sot, écho satyrique 37
- 5. Sur les revenus des Pasteurs 53
- 6. La Requeste présentée à Nosseigneurs du Parlement... pour la diminution d'une demie année des loyers[346] des maisons, chambres et boutiques (19 juin 1652) 61
- 7. Reproches du capitaine Guillery faits aux carabins, picoreurs et pillards de l'armée de messieurs les Princes 71
- 8. Manifeste de Pierre du Jardin, capitaine de la Garde, prisonnier en la Conciergerie du Palais 83
- 9. Histoire du poète Sibus 89
- 10. Discours sur les causes de l'extresme cherté qui est aujourd'hui en France (1586) 137
- 11. Le May de Paris 193
- 12. Le pot aux rozes decouvert du plaisant voyage fait par quelques curieux au bois de Vincennes, à dessein de voir Jean de Werth 199
- 13. Edict du Roy pour contenir les serviteurs et servantes en leurs devoirs 205
- 14. Discours de la deffaicte qu'a faict M. le duc de Joyeuse et le sieur de Laverdin contre les ennemis du Roy à La Motte Sainct-Eloy 211
- 15. Lettre de Calvin, apportée des enfers par l'esprit du sieur Groyer, aux pasteurs du petit Troupeau 217
- 16. Discours de la prinse du capitaine Chapeau et du capitaine la Callande, ensemble l'exécution qui en a esté faicte à Montargy 227
- 17. Sur l'enlèvement des reliques de saint Fiacre, apportées de la ville de Meaux pour la guérison du derrière du C. de R. 231
- 18. Institution de l'Ordre des Chevaliers de la Joye, établi à Mézières 237
- 19. La grande division arrivée ces derniers jours entre les femmes et les filles de Montpellier 247
- 20. Discours de la fuyte des impositeurs italiens 261
- 21. Les ceremonies faites dans la nouvelle chapelle du chasteau de Bissestre le 25 aoust 1634 271
- 22. Discours nouveau de la grande science des femmes, trouvé dans un des sabots de maistre Guillaume 281
- 23. Les amours du Compas et de la Règle, et ceux du Soleil et de l'Ombre 287
- 24. Ennuis des paysans champestres 295
- 25. Le plaisir de la noblesse, sur la preuve certaine et profict des estauffes et soyes..., par B. de Laffémas 303
- 26. Conspiration faite en Picardie (1576) 315
- 27. La nouvelle defaitte des Croquans en Quercy, par M. le mareschal de Themines 323
- 28. Les vertus et propriétés des Mignons 331
- 29. Passage du cardinal de Richelieu à Viviers 339
- 30. Le vray Discours des grandes processions qui se font depuis les frontières de l'Allemagne jusques à la France (1584) 347
- 31. Le Canard qui mange cinq de ses frères et qui est mangé à son tour par un colonel 359