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Variétés Historiques et Littéraires (08/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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Nouveau Règlement général pour les Nouvellistes,

s. l. n. d. In-4[356].

Dans les assemblées qui se forment de ces infatigables curieux qui font profession actuelle de s'entretenir des grands événemens, l'on n'y entend ordinairement que du galimatias et des qui-pro-quo, au lieu de discours judicieux et vraisemblables; cet abus a obligé les presidens de tous les bureaux etablis pour le debit et l'entretien des nouvelles du temps de convoquer une assemblée generale pour convenir ensemble et authentiquement des moyens de remedier à un tel abus[357].

Mais la plus grande difficulté fut de s'ajuster sur le lieu et la manière de s'assembler, car les nouvellistes des Thuilleries pretendoient que tous les autres devoient s'y rendre et leur ceder la preseance, à cause que c'etoit la maison du roi[358]. Le president du Luxembourg soutint qu'elle lui appartenoit d'ancienneté, et à cause du bon air qui fait ordinairement la substance des partisans de nouveautés[359]; mais celui du Palais-Royal disputa à tous le premier rang, par la raison que son fondateur avoit été le plus grand politique de son siècle[360]. Le president du cloître des Grands-Augustins le voulut emporter de haute lute[361]. Il proposa, pour soutenir son droit, toutes les boutiques qui en dependent, dans lesquelles on faisoit une continuelle lecture de toutes les gazettes qui s'impriment dans l'Europe: de sorte qu'on devoit regarder ce lieu celèbre comme le tronc copieux de toutes les nouvelles, et dont les branches s'etendent et fleurissent dans tous les autres bureaux. Neanmoins, le president des Celestins s'y opposa formellement, sous pretexte que leur jardin etoit, par privilége, destiné pour les nouvellistes de distinction, et qu'aucune autre personne n'avoit la liberté d'y entrer[362]. Il avança que de tout temps les plus habiles politiques en avoient fait leur centre, temoin Antoine Perez[363], secretaire d'Etat des depêches universelles de Philippe II, roi d'Espagne, lequel, s'étant refugié en France, conçut tant d'inclination pour ce couvent, qu'il voulut qu'après sa mort on l'enterrât dans le cloître, où l'on voit encore son epitaphe, qui doit imprimer un vrai respect dans l'esprit des savans nouvellistes[364].

Ceux du Palais, qui ne sont nourris que d'un lait qui ne sauroit jamais se cailler, formèrent empêchement à la pretention de tous les autres, et même au dessein qu'ils avoient de travailler à la reforme. Ils alleguoient pour moyen le long usage où ils etoient de parler de tout sans règle et sans connoissance, en soutenant que les saillies d'esprit et l'invention avoient bien plus de beauté et d'agrement qu'une froide relation de faits et d'evenemens; que ce style n'etoit bon que pour les marchands, qui ne comptent que sur leur propre fonds, au lieu que les personnes d'un genie vif et heureux savoient trouver dans l'imagination un plaisir et un applaudissement qu'on ne goûtoit point dans un recit simple et uni; que c'etoit par le secret de faire des applications hardies des loix sur differentes matières opposées que plusieurs avocats acqueroient de la reputation et de grosses fortunes; en un mot, que l'inclination des François étoit toujours d'aller bien loin, sans s'embarrasser de la science des chemins, et qu'il suffisoit d'avoir une langue et du courage pour gagner bien du pays.

Le deputé des caffés remontra que la question dont il s'agissoit ne regardoit nullement la noblesse ni l'ancienneté des lieux où les bureaux se tenoient, mais seulement ceux qui y avoient entrée et voix deliberative; qu'on ne pouvoit pas nier que presentement les caffés ne fussent le rendez-vous le plus ordinaire des nouvellistes d'esprit et de distinction, particulièrement en hyver, où les promenades n'etoient pas de saison, et que c'etoit pour cette raison qu'il devoit avoir la preseance dans cette generale assemblée.

Les barbiers eurent avis des motifs pourquoi elle se tenoit. Ils ne manquèrent pas d'y faire leurs remontrances, aux fins d'y être reçus comme membres de ce digne corps, fondés sur ce que de tout temps ils étoient en possession d'être les premiers nouvellistes de tous les pays, et d'être choisis pour battre l'estrade et decouvrir tout ce qui se passe d'important dans ce genre de science, ayant pour cet effet beaucoup de relations auprès des personnes de la première qualité: en sorte que c'etoit dans leurs boutiques que se rafinoient les plus curieuses nouveautés avant que de se repandre dans le public; qu'au reste ils avoient soin de prendre regulièrement les gazettes toutes les semaines, dont la lecture ne coûtoit rien qu'un peu de patience, en attendant son rang d'être rasé, en y ajoutant, aussi gratis, des commentaires considerables, concluant que, si l'on ne leur faisoit pas la justice de leur accorder la preseance sur tous les bureaux, ils esperoient au moins d'y être agregés pour y occuper la seconde place.

Après qu'on eut examiné toutes les circonstances de ces contestations, les presidens et deputés convinrent enfin de laisser la preseance au bureau du Palais, non-seulement à cause que c'est le magasin general des nouvelles, et où il en vient moins qu'il ne s'en fabrique, mais encore pour n'avoir point de procès, qui acheveroient de gâter l'esprit s'ils étoient joints avec le negoce des nouvelles[365]. A l'egard du rang des autres presidens et deputés, il fut arrêté qu'il se prendroit comme ils entreraient, n'y ayant point de place, après celle du president du Palais, plus honorable l'une que l'autre. Les choses etant ainsi reglées, quoiqu'avec beaucoup de peine, on travailla serieusement aux moyens de mettre un bon ordre par tous les bureaux, qui fût ponctuellement observé par tous les nouvellistes, à peine aux contrevenans de n'être pas ecoutés, et de confisquer leurs nouvelles comme marchandises de contrebande.

On trouve les principaux articles de ce reglement, qui a eté lu, publié et affiché dans les bureaux[366].

Le Feu de joye de Mme Mathurine[367], où est contenu la grande et merveilleuse jouissance faicte sur le retour de M. Guillaume, revenu de l'autre monde.

A Paris, nouvellement imprimé.

1609.

O trois et quatre fois heureuse madame Mathurine, levez les yeux au ciel, porte le zèle de ton cœur par dessus les planchers plus relevez de l'Olympe; d'un genouil flechy, remercie le ciel; ne sois ingrate, et luy rends graces pour le bien heureux retour de ton cher favori M. Guillaume. Rends luy preuve qu'il n'a point logé une ame ingrate et que le bien quy t'est faict ne tombe point en une terre sterile.

Mais quoy? qu'ay je besoing de telz advertissementz? Suis-je pas ceste Mathurine quy ay renversé les escadres des plus animez de la ligue, quy ay tousjours monstré que j'estois une autre Pallas, que d'une main je portois la lance et l'estoc[368] et de l'autre l'olive? Arrière donc tout conseil fors que le mien, car quel est le simple ruisselet quy peut accuser la rivière de manquer d'eau, ou quelle est la rivière quy peut faire reproche à la mer? Partant encore une fois, arrière tous ceux quy se veulent avancer de conseiller celle quy ne doit recevoir de conseil que d'elle. Bref, vous, fuseaux de la Destinée, je vous rends grâces de ce qu'il vous a pleu ramener mon bien aymé M. Guillaume sain, sauf, et tot, en ce monde, autant comme il estoit allé en l'autre; de ce qu'il vous a pleu luy donner passage parmy tant de sentiers incogneuz, en un pays où les plus gens de bien sont en grand hazard et courent grand risque de leur equipage et laissent le moulle du pourpoint. Comptes sont fort dificiles à rendre; y pense quy voudra; si vous l'avez faict pour l'amour de moy, je vous en ay de l'obligation. Or donc, si j'ay dy vray, je m'en dedy et suis contente de m'en desdire maintenant, et pour satisfaction sacrifier aux Deïtez infernales tous les ans, à la my-aoust en avril, trente et dix-sept bales de nazardes, à la charge que messieurs les laquais de l'autre monde en auront leur bonne part, et cinquante et treize royaumes en painture pour suppléer à l'ambition de ceux quy envient la grandeur et le repos de monsieur mon bon amy; cent vingt et onze chasteaux en Espagne pour la gloutonnie avarice du cronologie transmarin, à la charge qu'il laissera Genebrard[369] en repos, ne pillera plus les escriptz de ceux quy en ont parlé en vrays clercs.

Eh bien! c'est assez pour le present, me voilà quitte de mes grands remercîmentz; je n'en suis pas plus pauvre pour avoir promis, ny eux plus riches pour s'estre contentez de ma promesse.

Venons maintenant aux comparaisons, tous desmenties à part, d'autant que mon espée commence à tenir au fourreau depuis la paix; toutes fois, s'il se faut bastre, le Soldat François le fera pour moy[370]. Les secrettes faveurs qu'il a receües de moy l'obligent à ceste corvée. Et mon M. Guillaume l'en remerciera plus amplement, estant venu brave, leste, galand; et moy, plus heureuse que Venus pour son Adonis, ou Clyméne pour son Phaeston, ay fleschy les Parques et Pluton. Et bien! qu'en dites-vous? ne voilà pas assez de quoy faire un feu de joye de chenevotes? Or allez un peu comparer la fleur de l'une et les arbres de l'autre avec mon fruict? Ce seroit le songe avec la realité, le souhait avec l'accomplissement. Le diable n'emporte pas le plus consciencieux de la compagnie quy n'aymeroit mieux avoir bien à point et à profit de menage saboure l'infante de Fricandouille que d'avoir songé que Laïs ou Flora luy promettoit leur pucelage. Pour moy, par la volonté de M. Guillaume de Glasco, qu'il a devotement jurée à tous les bourdels de reputation, lorsqu'avec sa sottane ou sultane il les fait fredonner au bal de la rue des Pommiers[371], et outre plus jurera de n'estre à l'advenir comme il a esté cy devant, j'aymeroys mieux 50 mille escus que 50 saccades realement par l'Albanois du seigneur Turlupin et du seigneur Don Diego d'Ocagna, que 100 et onze fantastiquement par le seigneur Cocodrille ou Sophy de Perce. Or, puisque j'ay reçu ce grand bien du ciel, j'en vay rechercher la jouissance avec mon bien aymé M. Guillaume et sçavoir si les courtisannes de l'autre monde l'ont si bien estranqué et courthaleiné qu'il ne puisse courir la pretentaine joyeusement, gaillardement, quelques couples de douzaines de postes, avec sa chère et bien aymée.

Fin.

Conference d'Antitus, Panurge et Gueridon[372].

S. L. N. D. In-8.

Ant. En bonne foy, nous voylà bien. Si la guerre dure encore quelque sepmaine, nous sommes tous à la besasse, voire à la faim, et pour cela il n'en faut pas aler au devin. On ne faisoit que se remettre un peu des maux et desolations qu'avoient aporté les guerres civiles, et nous voilà pis que jamais. Toute ma ferme a esté raflée. Les veaux, les moutons, les aigneaux de mon fermier, son blé, son vin, en ont paty. Par S. Jean le bon S., ces mangeurs de cul de poule ont fait gorge chaude de tout. O! qu'on dit bien vray que les chevaux qui labourent l'avoine ne la mangent pas! C'estoit tout le vaillant de mon fermier, et sa femme trouvoit par son calcul que par ce moyen il pouvoit s'avancer pour estre quelque jour un gentil homme de son vilage. En ce temps de rumeurs et de confusion que tout le monde s'avance aux honneurs, hé! pouvoit-il pas bien esperer ce grade? Voicy le compère Panurge. Et bon jour!

Pan. Monsieur mon amy, vous ne sçavés pas les grosses nouvelles et malheureuses. Toute ma ferme a esté gaulée, on n'y a rien laissé jusques à une poule. Tout fut empieté en ma presence et mangé par ces epicuriens zelateurs transcendans de la picorée[373].

Ant. Je vous en dis de mesme, tout fut pris et emmené; ils dirent à mon fermier Nicolas qu'ils le contenteroient jusques à une maille à la premiere monstre de messieurs les reformateurs. J'ay opinion que ce sera en monoye de singe[374]. Patience, cela ne durera pas, à ce que m'a dit le compere Guéridon, qui vient de la grande ville. Vous sçavez qu'il a nouvelles à commendement, et des bonnes.

Pan. Vous a-il pas dit d'où procède ceste meschante guerre de trousse-vache et de mange-veaux? Je voudrois et tous ceux de nostre vilage que ceux qui en sont la cause principale eussent quelques dragmes du feu S. Anthoine dans le perinée[375] aussi bien qu'ils font manger nos poules.

Ant. Vous avez dit là un mot latin, vous l'entendez donc?

Pan. Je n'en sçai gueres, et si me coute bon, car ce fut l'année du cher latin. Mais voicy venir Guéridon en chantant. Quoy qu'il ait, il est tousjours gay.

Guer.

Tous lous habitans de nos bonnes villes
Disant qu'estiant sous de guerres civiles.

Pan. Ceux qui sont aux champs en sont bien encore plus souls et plus las (Guer., mon amy), car ils n'ont ny murailles ny fossés pour se garentir, et faut avoir recours aux bourgeois des villes, qui vendent bien chère leur courtoisie, ou bien aux gentils hommes voisins, qui les tondent quelque fois ras à l'espagnolle, et encore les appellent vilains.

Ant. La belle chose d'estre sous son toict en toute seureté, sous l'authorité de son prince souverain! Mais voicy le plus eveillé Guéridon que je vis de cest an. Dictes-moy, je vous prie, faut-il dire Guéridon, ou Guérindon[376]?

Guer. I n'en sé per la cordiène ren.

Pan. Voyez l'humeur des François! ils se prenoient au poil l'autre jour (des gens d'esprit) par ce que les uns opiniatroient qu'il faloit dire Guerindon, les autres Gueridon. Ils s'atachent tousjours à des choses de neant.

Guer. Olet vré iqu. I me souvien que lous clgercs disiant qui quets Gregeois (qu'is apeliant) donniriant de grousses et sanglantes batailles per ine voyele[377]. Agarés sis nestiant pas ben de lesi, et lous Françez fesiant lou mesme. Is se batiant per iquet honour qu'is ne cognoissiant mie. Cré ben qu'is ariant grand besoin d'étre in poy trapanez. O let in grous cas diquets cerveas.

Ant. Laissons tout cela et dites nous encore quelque guéridon, compère, mon amy.

Guer. I vous en diré in tout nouvea:

Les Walons estiant venus à la guerre,
S'en retourairant ben tost à louer terre.

Olet per vray. Is lour prometiant grousses richesses per lou sac d'ine bonne ville. Quand is s'aprochirant is lour vouliant donné deux escus per téte, is s'en retournirant tous gromelous, hormis quauques uns agarés les gens diquelle nouvele reformation. Iqu me fai souveni des gens d'in prince dau tans passé. Les femmes disiant: Ique les gens diquet Seignour nous travaillant ben, mais ne nous donant ren.

Ant. Il sçait tout, le compagnon, et n'espargne personne, entre dans les lieux secrets et souterrains comme un chien d'Artois et dit sa ratelée du monde. Je te prie, mon Bedon, dy nous des nouvelles.

Guer. Vous otres en sçavez plus que mé. I me sens la téte rompue de questions. Iquets qui hantiant la cour ne demandant que nouvelles fresches portées par lous chassemarée. Et qui ato de neuf? Que dit on de nouvea? Que vous en semblge de la paix, de la guerre? Tousjours sur iquele demarche, mais qu'est igu? I vous voy tous meshaignés[378] et tristes; lous affaires vont elles pas ben?

Ant. Non, certes, on nous mange; et si nous ne sommes pas bien venés, nos fermiers ont tout perdu.

Guer. I vous en dis lou mesme, iquets gendarmeas me mangirant tout, jusques à ine belle oie; oletet plgene de gravité espagneule, et sembglet ine grosse espousée de vilage, la povre oye! Olet ine grousse perte, elle fut engoulée avec les otres, et cré qu'is la mangirant plgume et tout tant is estiant afamez.

Pan. Tu l'as donc perdue?

Guer. Voire, da! et aguis ine bele pour iquele journée. Vous otres avés ouy dire et avés veu que d'otre tans lous gendarmeas se couvriant d'acié, de lames treluisantes qui esclatiant au soleil; mai olet ben in otre tans. I rencontris l'otre mardy diquets reformatours qui vouliant faire ine otre France, ô qu'is estiant afrous! lous uns chargés d'ine pèce de terre, otres montés sur daus mouleins à vent, plusieurs sur mouleins d'eue, otres jambe deça, jambe de la sur ine pièce de vigne; otres sur des fiefs en parchemin. Is estiant tous suans et poudrous.

Ant. Voilà de belles gens, et fort ambitieux! Nous cognoissons tous ces vaillans guerriers. O les bonnes lames!

Pan. Messieurs de la Vigne, du Pré, du Moulin[379], des fiefs en parchemin fort nouveau qui se fait baroniser; c'est un gentil fredaine[380] mirelaridaine. Ces gens là sont tous aliés. Ce compagnon du parchemin en fief nouveau avoit un gros vignier de père qui fut capitaine durant les guerres civiles. J'en fis ce gueridon:

Il n'en est de tel de Paris à Rome,
Car il est baron et point gentil-homme.

Guer. Ha! ha! vela pas ine gaillarde noblgesse? Mais hau! compère, me voudriés vous ben oté mon metié?

Pan. Que vous semble de monsieur du Pré?

Guer. Olet in benet. Car qui point n'a pré, point de foin, ergo point de chevos, so ne sont dique le race de Pacolet[381]. Pour iquet moulein à vent, ha! ha! ô merite ben d'estre habillé en moulein à vent et vivre de vent[382] et d'air come iquets lesardeas (que lous clgercs apeliant cameleons) et non de poules et poulets. Olet in grous cas de porté in moulein à la guerre: lou vent (i cré ben) emporteroit ique le vaillance; olienat qui deveniant d'evesques mouinés et olet devenu de mounié gendarmea.

Pan. Voicy venir M. Jean, le savetir de nostre vilage, qui ne fait qu'arriver de la grande ville, où il a demeuré longtemps; il chante le Te Deum et jargone des affaires d'estat.

Guer. Is disiant quo lest opiniatre comme in mule; mais dites-mé, que vous semble encore de tous iquets lous gendarmeas nouvellement creés?

Pan. Je dis qu'ils auront tous un pié de nais quand ils verront que la guerre s'en retournera au premier passage de rivière; et puis il n'y a ny foin ny avoine de ceste année.

Guer. Je vis l'otre matein l'aine dau compère Estienne, is le vouliant faire passé au pont de Satein, is ne puguirant jamais. Olavét pour, ayant passé, de ne trouvé ren à petre. O faudrét doné l'anguillade[383] à tous iquets picourours si serré que lour peu ne vosit ren après à faire vèzes[384] ou cornemouses, comme disiant iquets courtisans.

Ant. Celuy qui a vendu le bois tortu est un sot homme; vous diriés qu'il est bien amy des armes, mais il est indigne de jamais avaler du piot, et que Bachus luy pardonne.

Guer. Olet per vrè in nigaut,

O vaudret ben meux estre en la cuisine
Pre se rejoui que vendre sa vigne.

Pan. Maistre Jean s'est arresté, mais il viendra à nous. C'est un grand fat; comment il tranche du politique! Nous sommes en un temps qu'il n'y a petit pelé de secretaire de S. Innocent, clerc, pedant, magister croté, artisan, qui ne se mele d'escrire et de parler des affaires d'estat; ils sont fricassés sur les pons et par les rues, que c'est pitié. Tu verras tantost que ce maistre savetier enfilera les affaires comme grains benits[385].

Ant. Il faut bien qu'il y en ayt tousjours qui parlent, qui escrivent et qui donnent suject de rire. Vous sçavés comment Pasquin et Marforio en font à Rome.

Guer. Mais olet in grous fait quin chacun se mele dans affaires. J ne vis jamés tant de conseillers diquet estat. I cré ben quiquet Pierre du Pui[386] (quis apeliant) demanderat de letre. I pense qu'en fein or en fairat lou mulet de quauque presidant. Per vré olet in grousse pitié. I fis ine rimaille lotre matein sur iqu.

De l'Estat oh parle entre nous,
In chasqu'un sur icu caquete,
Is s'en vouliant melé tretous,
Jusques au fis de la jaquete.

Pan. Le voicy venir, ce maistre discoureur, qui nous resoudra sur toutes questions d'estat: car il est grand politique en plusieurs poins. Vous soyés le bien rencontré, maistre Jean, et le bien revenu.

Me Jean. Et à vous, messieurs et amis. J'ay ouy dire que vous autres avés fait des pertes: ce n'est rien, il faut bien que les gendarmes vivent. Par S. Crespin, je leur eusse faict bonne chère s'ils fussent venus chés moy, et sans pleurer.

Pan. Par ma barbe, c'est bien rentré pour un courtisan à la grande forme. Il faudra donc que les bons François nourrissent les mauvais de poules, de poulets et de veaux?

Me Jean. Aga, je sçay bien que j'ay travaillé pour des grans seigneurs de la cour, et que j'ay oüy dire à plus de quatre savetiers de bonne mémoire que cest esloignement de monsieur le Prince n'estoit à autre fin que pour racoutrer l'estat[387].

Ant. A! maistre Jean, il est bien aisé à dire, mais on ne racoutre pas l'estat comme une paire de botes ou de souliers. Il y a bien à tirer au chevrotin et des bouts à metre.

Pan. Mon grand ayeul maternel m'a conté souvent que du temps de Loys douziesme, père du peuple, il y avoit en son vilage une bonne et sage dame s'il en fust oncques; mais les vilageois ne la peurent soufrir, et firent les chevaux eschapés parce qu'ils estoient trop à leur aise. Elle fut contraincte de les quiter là, et un sien parent vint qui les assomoit tous de coups, leur prenoit leur bien par belle force, les rançonoit, deshonnoroit femmes et filles. On s'ennuye souvent de manger du pain blanc.

Me Jean. Sur mon honneur, je pense que ces grans Princes ne songent qu'au bien public.

Guer. Oyés in poi iquet juron d'aleine. Is aviant donc de l'onour, lous savetiés? Je ne disons mie quiquets seignours nous pensiant qua lour profit particulié et ne tiriant qu'à iquet Papegaut, maistre nigaud.

Me Jean. Aga, mes amis, ils sont bonnes gens et veulent soulager le povre peuple de tailles, desirent que tout aille par ordre, que les bons soient reconnus, les meschans chassés et punis, et que les estats ne se vendent plus.

Guer. Agarês ce goguelu[388], coment ol en contet et quolet ben avant en hote mer. I sè ben qu'en ma paresse oliat trois ans que j'avons eu soulagement de plgus de deux cens francs de tailles, et oüy dire à des gens de ben, qui queles gens qui gouverniant aviant osté plgus de quinze cens mille escus de tailles et otres subsides depus iquet tans. O faut tousjours trouvé in mantea pré couvry lou mau, mais olet ben malaisé astoure que lou monde n'est plus nigaud. I fus ine fois à ine maison toute rompue, ô ny avet que dea peas de vea pendues en ine qui serviant de tapisserie. Ol y avet en escrit, au bas diqueles peas: O les gros veas! Is vouliant dire que c'estet à des veas de croire qui queles ruines aguissiant esté faites durant les guerres pré lou ben publgic.

Pan. Ce maistre ligneul[389] n'est Parisien, encore qu'il die aga[390]: car les Parisiens sont fort sages et affectionnés au service du Roy, tesmoin monsieur le Prevost des marchands[391], qui offrit ces jours passés à leurs Majestés cent mile hommes armés qui s'entretiendroient six sepmeines à leurs despens. Alés moy dire que ces nouveaux refondeurs d'estat en trouvent autant.

Guer. Si lours Majestés vouliant, cordiene, is lous metriant tous à sac; mais iquets bons Princes ne vouliant ja lour ruine. Lou compère Panurge parle de refondre. I me treuvis l'otre mardy qu'is refondiant ine cgloche, oliat ben de lengin à iquelle besongne. Is demeuriant beacoup de tans, is estiant tous suans et tous mehaignés. I pensés en mé meme: oliaret ben à faire de refondre ine si grousse cgloche qui quele d'in tel estat.

Me Jeh. Aga, mes amis, ce bons Princes et messieurs ses associés ont force gens, Anglois, Flamans, Alemans, et argent prou.

Guer. Olet in mantour iquet ravodour: car is n'aviant ja diquets estrangers sô n'est comme de l'arche de Noé, de chacun in paire. L'otre matein in bachelié de mon village en parlét ben et disét qui quel Rey d'Angleterre, qui est in gran Rey, desire faire lou mariage de son fils avec ine des sours de nostre bon Rey[392], que Dieu maintienne, et que lous fers en estiant ben avant dans lou feu. Pré lous otres, is ny songeant mie. Quand à l'argent, nut farlorum[393]; et, saincte Dame, d'où lou tireriant is?

Pan. A tout le moins ces nouveaux soldats ne trouvent rien à brouter à la campaigne; on a tout serré dans les villes. Ils ressemblent les compaignons d'Ulysse, ils ont esté jeté sur le roc de bon apetit et n'ont faute que de mengeaille.

Guer. Is voudriant ben trouvé parmy tous champs de bons logis come iquele Pome du pein[394], Cormié[395] et la Croix blganche[396]; ô qu'is aimeriant la guerre! I cré ben qu'is en serant pglustot sous que de fozes[397] de gelines.

Me Jeh. Par S. Crespin, je gageray que ces princes ne demandent que l'ordre.

Pan. Comment est-ce, maistre benet, que l'ordre peut estre mis par le plus grand desordre[398] du monde, qui est la guerre civile? Nous en voyons des exemples à l'entour de la grande ville, où les gendarmes mesmes du Roy font chere lie et puis batent leurs hostes: tesmoing le jardinier de M. Du Harlay, jadis premier president de la Cour des Pairs.

Guer. Ine compaignie de carabins faira plus de mau en in jour que toute iquele reformation ne scaurét aporté de ben en in an. Is aviant desja mangé la Champaigne, la Bourgoigne et la Brie, is ne sçariant jamés reparé lou tort qu'is fesiant au Rey nostre seignour, et à ses sujets, non pervré.

Ant. Ces reformateurs me font souvenir d'un voisin que j'avois, qui avoit une fort belle maison percée et ouverte en quelques endroits. Il fut si fin que pour la racommoder il la fit abatre un beau matin jusques aux fondemens.

Guer. Agarés iqui in bea mesnage. O ly avét de méme in homme au vilage de ma mere grand, la grousse Jaquete, ô metit lou feu dans sa maison pré chassé lous rats et les souris. I me trouvés ine fois avec ine femme quo n'avét qu'ine robe un poi dechirée, et n'en pouvet aver d'otre; o ne fut jamés possibgle de ly faire entendre quo se pouvet racoutré. O la metit en pieces et fausit qu'alit en chemise toute rompue, et si bien quo monstrét lou darré. Olet in gran fait d'in opiniatre.

Me Jeh. Vous dires ce qu'il vous plairra, mais ces Princes ont bien avancé la besongne.

Pan. Voir da! bien advancé; ils ont mis de leur bon argent, et la plus part de ceux qui l'ont pris ont fait voile. Ils ont alarmé le royaume, attiré sur eux l'imprecation des peuples, et puis c'est tout.

Guer. Mais vous ne sçavés pas come is disiant qu'is estiant magnifiques en iquele seance de lours estats de la nouvelle impression? In secretaire d'in des gros monsieurs m'a tout conté. Ha! ha! Oly en at per rire. O m'assurét qu'à in mesme banc de monsieur lou Prince et des otres Princes et Seignours estiant assis i ne sé queles gens qui teniant la plgace de lours maistres, en qualité (come a disét iquet secretaire) de deputés presumptis. I n'enten ja iquet parlange; que vous en sembgle, diquele nouvele espousée?

Pan. Ceste piece n'est pas de bonne mise.

Me Jeh. Par S. Crepin, si est, et monsieur le Prince n'est-il pas lieutenant-general pour le Roy ès terres et pays de son obeissance, et protecteur de l'estat?

Guer. Hô! maistre Goguelu, vous estes ine bete de dire iqu. I cré ben que lou grand Prince n'y a songé maille. Lou curé de nos vilage disét l'autre matein quo ne songe mie à toutes iqueles fredaines.

Pan. Guéridon, mon amy, il y en a qui disent qu'il met ce tiltre là dans les commissions qu'on tient qu'il a envoyées en Poictou et Guyene. Je n'en sçay rien que par le bon homme Ouy-dire, qui va partout.

Guer. S'ol étet vré iqu, ol yarét ben que dire, mais i ne le cré ja: car o se rendret coupabgle. Olet vré qu'iquets hanicrochemens apartenant aux clgercs. I n'enten ja lou latein.

Me Jeh. Il ne sçauroit mal faire en quoy que ce soit, par S. Crespin, et je vous en pleuvis; il est certain qu'à Nevers[399] l'argent ne manque non plus que l'eaue de la fontaine; qu'il a près de luy huit cens gentils hommes; que tout le Languedoq et la Guyene sont à sa devotion, avec huit mile gentis hommes, tous des parles.

Pan. Vous mantés, inposteur; vous aurés dronos[400] sur ce beq de corbin. Je ne pouvois plus tenir mon eau. Je luy ay fait manger ses parolles.

Guer. Estrille, estrille le, Panurge, iquet marroufgle. I m'en vais li faire ine Guéridon.

Ce crassous savetié, infantour de miseres,
Come inpaerturbatour en soit mis os galeres.

Ainsi tous les factions y puissiant allé per ecrire di quele longue plgume; coment olat fait gile, iquet vilein! I dis sur iqu: malhour à qui prendrat les armes, so nest pre lou service do Rey.

Pan. Il faudrait punir ces discoureurs et conteurs de balivernes. Il y en a qui parlent si advantageusement de ceux qui troublent l'estat et qui nous mangent, que c'est une honte. Je veux coiffer le premier que je rencontreray, qu'il s'en souviendra trois jours après la feste.

Ant. Mes bons amis, vous voyés en la personne de ce maistre savetier une vive image et naïfve representation de la populace et des esprits foibles qui courent à la nouveauté sans sçavoir pourquoy. Ils ayment et hayssent, louent et blasment une mesme chose. Ainsi les anciens ont dit que le peuple estoit une beste à plusieurs testes, aveugle, ignorant, et par consequent opiniastre et inconstant.

Guer. O l'et come la girouete din chatea qui se viret à tous vens. Agarés ben la lune, i cré quo serèt malaisé de li faire ine robe per tous lous jours.

Ant. Cependant, comme dit Panurge, il faudroit punir ces charlatans qui contre toute justice exaltent ainsi les perturbateurs du repos publiq: car posé qu'ils fussent bien fondés, les moyens et procedures ne sont pas justes.

Guer. Ol en est come des antes[401] dau compère Michea, qui estiant des beles diquele terre; o les emundit hors de tans: cordiene, li mourirant toutes une nuit.

Ant. A Dieu, Panurge; à Dieu, Guéridon; mes amis, le ciel nous conserve en paix. O que c'est une bonne chose! et souvenés vous que jamais personne ne s'ataque à son Prince souverain qu'il n'en paye les pots cassés tost ou tart.

Fin.

Arrest du très haut Conseil des Dix contre Georges Corner, fils du duc de Venise, et autres, siens complices, publié sur les degrez de Saint Marc et de Rialtes, avec pouvoir que quyconque pourra prendre ledict Georges Corner vif ou mort, il aura de rescompence dix mille ducatz de la Seigneurerie de Venise. Traduit de l'italien en françois. A Lyon, par Claude Armand, dit Alphonse.

MDCXXVII.Avec permission[402].


L'an 1628, le 7 janvier, en Conseil des Dix.

Que Georges Corner, fils du serenissime prince, cité à cri public et non comparant;

Pour cause qu'iceluy ayant conceu une haine mortelle contre N. H. sieur Renier Zen, chevalier, pour les très injustes et indignes raisons quy se voyent au procez, et resolu totalement de luy ravir la vie, estoit pour peser et machiener le moyen d'executer ce sien diabolique et scelerat dessein, par aguet et preparatifs d'armes, et atitrement de meurtriers et assassins, pour s'en servir au dict succez.

Et à cest effect auroit donné rendez vous à quelques uns des dicts meurtriers par luy nommément et par deliberations choisis à cest acte atroce[403], pour se trouver, le 30 du mois de decembre passé, au dict lieu, la petite descente de sa senerité, et les auroient fait arrester à dessein et en embusche dans le propre palais ducal, attendant que le dict chevalier Zen sortît du Conseil des Dix, duquel il est à present, et iceluy estant descendu par l'escalier, environ les cinq heures de la nuict dudict 30 decembre, sans se douter de rien, et se tenant asseuré, tant pour la qualité du lieu d'où il sortoit que d'iceluy auquel il se trouvoit, se pourmenant soubz le porche de la cour du palais, près de l'escalier des Geans, quy est autant à dire que le sein propre de la Republique, lequel, par les sacrées loix d'icelle, doit estre reveré, respecté et très asseuré à tous[404], iceluy Georges mettant en oubly toute reverence et craincte de Dieu et de la justice, et tout esgard à la très griefve offence qu'il faisoit à sa patrie, auroit faict assaillir iceluy Zen d'une façon inhumaine, barbare et inouïe, et blesser et malmener à coups de hachette[405] et de poignard, en intention de luy oster totalement la vie; lesdicts meurtriers n'ayant cessé de le meurtrir et blesser qu'ils n'eussent assouvy leur cruauté et felonie, le croyant mort; après quoy, s'estant retirez et sauvez au dedans la porte quy va au palais et à la descente de sa serenité, et l'ayant fermée pour n'estre suivis de sergents et d'autres gens accourus à un delict si atroce et si execrable, se seroient acheminez au lieu dict Car-ane[406], là où le dict Georges faisoit tenir une gondole toute preste à cest effect, par le moyen de laquelle il auroit eu commodité de s'enfuir de ceste ville, accompagné de quatre des susditcts assassins, ayant pour rameurs en icelle Olive Poppier, son maistre gondolier, et Jean, fils de feu Dominique Tavan, rameur du milieu et neveu du susdict Olive, ses barcarols, et un autre dont la justice n'a pu jusqu'à present avoir la cognoissance, sur laquelle gondole ils seroient tous passez sur le Po ès estatz de prince estranger[407].

Pour ces causes, ledict sieur Corner soit et s'entende deschu et privé de nostre noblesse, ensemble tous ses descendants à perpetuité, et rayé des registres de l'Avogaria.

En outre, soit et s'entende banny et proscript de ceste ville de Venise et de son duché, et de toutes les autres villes, terres et lieux de nostre estat, terrestres et maritimes, navires armez et desarmez, et ce à perpetuité.

En cas advenant qu'il soit pris, qu'il soit amené en ceste ville, et, à l'heure accoustumée, entre les deux colonnes de Sainct Marc, il ait la teste tranchée sur un hault eschaufaulx, en sorte qu'elle soit séparée du corps et qu'il meure.

Avec tailles à quy le prendra ou tuera dans nos estatz, après avoir faict suffisante foy de l'occision, de six mille duzats, et en terres estrangères de dix mille, lesquels seront tout promptement et sans deslay desbourcez et comtez, du coffre de ce conseil, à ceux quy l'auront pris ou tué, ou à leurs legitimes procureurs ou commis, ou quy auront cause d'eux, sans contredit, nonobstant surannation ou autre chose au contraire; avec pouvoir à celuy qui l'aura pris ou tué, ou à son commis ou charge ayant, de percevoir à son bon plaisir et sans difficulté quelconque la susdite taille de toutes sortes de deniers, nonobstant chose quelconque au contraire, de telle chambre de nos estats qu'il aymera mieux, pour son plus grand et entier contentement[408].

Et outre la susdite taille, il obtiendra pouveoir de delivrer un banny relegué ou confiné pour quelque estat du cas et condition que ce soit, sans exception; quant mesme le dict banny seroit chargé de plusieurs bannissemens et condamnations de ce conseil ou d'autres ayant charge et deleguez d'iceluy; nonobstant condition de temps, d'astriction de balottes en nombre complet[409] et autres imaginables, lecture de procez, etc., mesme pour cause d'estat.

Et, de plus, quy le livrera en vie aux mains de la justice, outre les susdictes tailles et benefices, aura pouvoir de delivrer un autre banny, relegué ou confiné, pour quelque cas que ce soit, comme dessus, en tout et par tout, comme bien mesme il n'auroit les qualités requises par les loix, hormis seullement en matiere d'estat.

Et s'il advenoit qu'en telle capture ou occision le preneur ou le tueur demeurast mort, les legitimes heritiez d'iceluy auront et percevront tous les susdits benefices et tailles, sans aucune diminution; à la reelle concession desquelles suffira la moitié des ballottes de ce conseil; nonobstant tout reiglement ou arrest, tant general que particulier, en fait de bannis ou d'autre sorte, tant faicts qu'à faire ou jà expirez, auxquels, en ce cas, et en tout et partout derogé.

Qu'iceluy Georges Corner ne puisse jamais, par aucun pouvoir qu'aucun ait ou puisse avoir, en aucun temps, tant en vertu d'arrest generaux en fait de bannis que par voie d'advis ou de delations mesme concernant matiere d'estat, ne luy mesme par la capture ou occision d'autres bannis, d'esgale ou mesme superieure qualité à la sienne, ny en aucun nombre, temps ou qualité que ce soit, estre delivré de ce present bannissement, ne luy estre faict grace de aucune suspension, alteration, remission, compensation, levation d'astriction ou autre imaginable destruction d'arrest present; ou despence du nombre complet des dix sept ballottes, non pas mesme par voie de revision de procez, ne de sauf-conduict sous pretexte de porter les armes pour le service du public, ne pour instances ne gratifications de princes, ne pour autre cause quelconque, publique ou particulière; non pas mesme, en temps de guerre, par aucun lieutenant ou representant de terre ou de mer à quy eust esté donné plein pouvoir, ne par magistrat esleu par authoritié, quel quelle soit, de livrer bannis, si ce n'est par arrest passé par toutes les neuf ballottes unanimes et conformes de tous les six conseillers et des trois chefs; et puis de toutes celles du Conseil, reduit au nombre complet de dix sept, et, en tout cas, après avoir au prealable leu audict Conseil entierement tout ledict procez, lequel, en aucun cas ne temps, ne pourra estre tiré hors du coffre et mesme ne pourra estre arresté ne deliberé, si ce n'est qu'il soit leu et par arrest passé en la forme que dessus; et ce après la lecture du present arrest, avec toutes les charges et imputations; sur peine de mille ducats à quy proposera, au contraire, tant à l'esgard de la susdite extraction dudict procez hors du coffre que des autres habilitations; laquelle amende sera exigée d'iceluy par quy que ce soit des conseillers, chefs et advogadours du commun, sans obligation de leurs serments; et, nonobstant tout cela, tout autre arrest passé contre la disposition de ce present sera et s'entendra annuler et d'aucune valeur, et iceluy Georges Corner soumis à toutes les peines de bannissement et autres clauses portées par le present arrest, et pourra estre pris ou tué impunement; voire mesme avec les benefices et tailles cy devant desclarées en ce present arrest, lequel doit demeurer ferme et inviolable à perpetuité.

Tous les biens d'iceluy, meubles, immeubles, presens et à venir, quy luy appartiennent à present, en quelque manière que ce soit, et pourroient en aucun temps luy appartenir ou escheoir, mesme la legitime, seront et demeureront confisquez et saisis par nos avogadours du commun et appliquez au coffre de ce conseil. Pareillement luy seront confisquez, pendant sa vie, les biens tenuz en fidei-commis quy luy pourroient, en aucun temps ou pour cause quelconque, appartenir ou escheoir.

Et les biens quy, dès à present, luy peuvent appartenir par voie legitime ou autre quelconque, seront vendus, ainsi que les immeubles, et le produict d'iceux mis au coffre du conseil, à condition que les ventes en soient approuvées et ratifiées par les deux tiers des balottes du dict conseil; et, en cas que, pour n'estre vendus à leur juste prix, les dictes ventes ne soient approuvées par le dict conseil, que des ditz biens ce quy consistera en batimens et structures soit demoly, et le provenu des materiaux porté au coffre du conseil, et ce quy consistera en terres labourables soit reduit en vains paturages à l'usage des communautez voisines. Tout promptement seront esleuz trois inquisiteurs du corps actuel de ce conseil, quy seront obligez de rechercher et enquerir par toutes voies, mesme par billets secrets, tout ce quy, en quelque façon, peut appartenir au dict Georges Corner[410].

Et sera publié et fait savoir que toute personne, de quelque degré et condition qu'elle soit, quy aura biens, deniers ou argent, joyaux, ou saura où et par devers quy sont credits ou escritures, ou documens et droicts, de quelque somme que ce soit à luy appartenant, ou bien aura de quelqu'un quy luy sera debiteur, pour quelque cause que ce soit, ait à le notifier reallement et distinctement aux susdits inquisiteurs dans le terme de huict jours prochainement venans; à defaut de quoy il encorera la peine d'estre contrainct au payement du double et d'estre banny de ceste ville de Venise et de son ressort, et de toutes autres villes, terres et lieux quy sont entre les rivières de Menzo[411] et du Quarner[412], pour le temps et terme de vingt ans consecutifs, avec taille de six cents livres de petits à prendre sur ses biens, s'il en a; à leur defaut, les deniers du coffre de ce conseil destinez aux tailles; et qu'en cas qu'il contrevienne à son ban, estant apprehendé, qu'il ait à tenir prison estroicte par l'espace de cinq ans consecutifs, et puis retourner à son ban, quy commencera alors tout de nouveau, et ce toutefois et quantes; et la susdicte taille s'entendra devoir estre baillée aux delateurs ou accusateurs, quy seront tenuz très secretz.

Il est aussy dit et declaré que tous contrats que le dict Corner pourroit avoir faits dès un mois en çà doivent estre et s'entendent cassez et annulez, et que chacun sera obligé à les venir notifier dans le terme de huict jours prochainement venans, et tout ce quy en sera retiré sera confisqué comme tous les autres biens, comme dessus.

Il est bien aussy expressement arresté que tout ce quy proviendra des dits biens et sera rapporté au coffre du dict conseil sera gardé en iceluy et conservé pour le payement des tailles sus desclarées, lesquelles, en tout evenement et totalement, seront payées et debourcées sans deslay, comme dessus, et de quelques deniers que ce soit.

Si aucuns gentilhommes ou citadins de nos subjets ou autres, ayans des biens dans nos Estats, de quelque condition ou degré qu'ils puissent estre, sans en excepter aucun, non pas mesme quand ils seroient conjoints avec le dict Corner en degré quelconque de parentage, jamais, en aucun temps, en ceste ville ou en quelque lieu de nos Estats ou hors iceux, luy donnera aucune faveur, adresse, denier ou commodité quelconque, le recevra en sa maison, voyagera avec luy, luy escrira, luy donnera advis, luy prestera aide ou confort en quelque façon que ce soit, ou tiendra aucune pratique ou intelligence avec luy, quand mesme ce ne seroit que de simple devis, encoure la peine, estant gentilhomme ou citadin, de confiscation de tous ses biens, de quelque sorte et qualité qu'il soit, et, estant apprehendé, de prison estroicte ès prison des chefs de ce conseil nouvellement construicte, quy sont tournées au jour, pour le temps et terme de dix ans; et n'estant apprehendé, de bannissement de cette ville de Venise et de son duché et de tous nos Estats de terre et de mer, navires armez et non armez, à perpetuité, sous la mesme peine que dessus en cas de rupture de ban; et n'estant le delinquant gentilhomme ne citadin, outre la confiscation des biens, soit condamné à servir de forçat à la rame, les fers aux pieds et conformement à tous les reiglemens et astrictions de la chambre de l'armement, en une galère de condamnez, pour le temps et terme de dix ans consecutifs et, en cas qu'il ne soit habile à tel service, tiendra prison estroicte ès sus dicte prison pour le mesme temps.

Et quy accusera un tel à la justice, ou mesme par billet secret et sans souscription le deferrera aux chefs de ce conseil, lesquelz même seront tenus proceder en cecy par voie d'inquisition, sera tenu très secret, et, coulpable estant convaincu et puny, obtiendra pour sa delation le tiers des biens confisquez et cinq cents ducats de tailles, lesquels sans difficulté luy seront promptement payez dès l'heure qu'il aura faict apparoir que c'est luy quy a esté l'accusateur[413].

Et si, dedans ceste ville ou hors d'icelle, se trouvoit aucune statue, effigie ou monument public du dict susdict Georges Corner, qu'elle soit totalement ostée; et, pour cest effet, sera escrit par les chefs de conseil à Zara, et donné ordre semblable ès autres lieux qu'il appartiendra, selon qu'ils en auront notice.

Au mesme endroict auquel fut commis le deslict sera erigé et placardé une pierre vive de marbre, quy y demeurera pendant toute la vie du dict Georges Corner, et en icelle seront inscrites les tailles, benefices et recompences que doivent recepvoir ceux quy le tueront ou le livreront en vie, comme il est convenu cy dessus; ce quy sera tout promtement executé par les chefs de ce conseil.

Le present arrest sera publié au grand conseil et sur les degrez de Sainct-Marc et de Rialte, et tous les premiers dimanches de caresme, pendant la vie d'iceluy, par l'organe de l'avogadour du commun en iceluy grand conseil, et sera en outre imprimé et envoyé à tous nos gouverneurs et lieutenans de terre et de mer et à tous les chefs de mer, à ce qu'ils le facent publier pour en donner cognoissance à tous; pareillement à tous les ambassadeurs et secretaires residans ès cours des princes à nos conseils, afin qu'il soit notoire partout.

Et, en ce cas où on vienne à savoir où Georges Corner sera, les chefs de ce conseil seront tenuz eux-mesmes de venir au conseil pour le demander à quelque prince que ce soit, et pour faire faire tout le possible pour s'emparer de sa personne.

Et soit faicte de temps en temps perquisition diligente du lieu où il pourra estre, recevant mesme à cest effect delation et billets secrets.


Du 7 janvier 1628, en conseil des Dix.

Que Bernard Pucci, Romain ou Romagnol, lequel par cy-devant souloit hanter et demeurer en la maison de Georges Corner, et Louis Remet, autrefois gouverneur du dace de la douane du vin de mer[414], soient bannis de ceste ville de Venise et de son duché, et de toutes les autres villes, terres et lieux de nos Estats terrestres et maritimes, navires armez ou non armez, à perpetuité; et, rompant leur ban et estans apprehendez, à chacun d'eux soit au propre lieu du delict coupée la plus aisée et valide main par l'executeur de la justice, en sorte qu'elle soit separée du bras, et icelle attachée au col, et puis à queue de cheval chacun d'eux soit mis dans un bateau plat sur un eschaufaut, et conduict à Saincte-Croix, là où, par le mesme executeur de la justice, luy sera coupée l'autre main, et semblablement attachée au col, sera traîné jusqu'à entre les deux colonnes de Sainct-Marc, là où, sur un echafaut, il aura la teste coupée par l'executeur de la haute justice, en sorte qu'elle soit separée du corps et qu'il meure, et que le corps soit mis en quatre parties pour estre attaché et pendu ès lieux accoustumez, jusqu'à ce qu'il soit consommé;

Avec tailles pour quyconque les prendra ou les tuera dedans nos terres, après avoir faict suffisamment apparoir de l'occision, de mille ducats pour chacun des dessus dicts, et de deux mille en terres estrangères, lesquelles sommes seront toutes promptement desbourcées du coffre ou des chambres, ainsy qu'il est plus à plein contenu dans l'arrest contre le principal, et avec le benefice de ces mesmes tailles au profict des heritiers, selon la teneur du susdict arrest;

Que tous et chacun des biens des susdicts, presens et à venir, soient et s'entendent confisquez;

Que jamais ils ne puissent estre delivrez du present ban par aucun suffrage ou pouvoir que aucun ait ou puisse avoir, sinon en cas que l'un d'eux tue l'autre, ou tue George Corner, ou le livre entre les mains de la justice, mesme obtenir aucune grace d'aucune sorte, non pas mesme revision de procez, et que le procez ne puisse estre tiré hors du coffre, si ce n'est qu'au prealable lecture ait esté faite du procez, et par arrest passé par tous les neuf ballotes des conseillers et chefs, et puis partout le 17e du conseil reduict à son nombre complet. Et sera le present arrest publié et imprimé comme l'autre.


Du 7 janvier 1628, en conseil des Dix.

Qu'Olive Poppier, gondolier de Georges Corner, et Jean, fils de Dominique Tavan, rameur du milieu de la dicte gondole, et nepveu du susdit Olive, soient bannis à perpetuité de ceste ville de Venise et de toutes les autres villes, terres et lieux de nos Estats terrestres ou maritimes, navires armez ou desarmez; rompant leur ban, chacun d'eux soit conduict en ceste ville, là ou ailleurs accoustumé, entre les deux colonnes de S.-Marc, par l'executeur de la justice; il sera pendu par son col sur une haute potence; avec tailles à ceux quy les tueront ou prendront, de 4000 livres en terres estrangères, et 2000 dans nos terres, à prendre des deniers du coffre de ce conseil. Que si toutefois, dans le terme d'un mois prochainement venant, aucun d'eux envoiera, par quelque moyen que ce soit, offrir de se representer dans le dict terme pour se deferer quelqu'un dont la justice n'ait encore cognoissance, quy ait su, ou aidé, ou conseillé le fait dont est question, et specialement revelera quy sont ceux quy estoient assis avec Georges Corner dans la barque lors de sa fuite et evasion, ou quy ait preste aucune aide, faveur, comfort et assistance à la perpetration du très atroce delict des blessures donnez à Nob. Hon. Sr Regnier Zen, chevalier, et justifiera la verité. Après que le delinquant, ou les delinquans, aura esté pris, convaincu et puny comme dessus, chacun des prenommez Olive et Jean obtiendront la liberation d'eux-mesmes du present ban.

Et sera le present arrest publié sur les desgrez du Rialte, afin que tous en ayent cognoissance.

Ce 10 janvier 1628. Publié sur les degrés de Sainct-Marc et de Rialte[415].

Fin.

Règlement arresté au conseil tenu au Palais d'Orleans pour pourvoir aux vivres de la Ville[416], et les miracles de la paille.

A Paris, chez Jacques Le Gentil, rue de l'Escosse, à l'enseigne de Sainct-Jerôme, près Saint-Hilaire.

M.DC.LII, in-4.

Monsieur le duc d'Orleans, prenant un soin particulier non seulement de tout ce qui peut contribuer au restablissement general de l'estat, par l'extermination du Mazarin et de son party, mais encore de pourvoir au besoin particulier de cette ville, qu'il voyoit aucunement incommodée faute d'ordre, pour y faire venir les pains, bleds, farines et autres denrées necessaires pour la subsistance des habitans[417], convoqua assemblée en son palais d'Orleans l'aprèsdinée du cinquiesme de ce mois, où se trouvèrent Mademoiselle, monsieur le prince de Condé, le duc de Beaufort[418], à present gouverneur de cette ville, et plusieurs autres seigneurs de marque, conseillers de la cour et bourgeois affectionnez au bon party, lesquels ayant donné leur advis, il fut conclu qu'on envoyeroit des commissaires, tant du costé d'Orleans, Chartres, Melun, qu'autres lieux, pour achepter et faire venir en cette ville les bleds, farines, bœufs, moutons et autres choses necessaires pour la subsistance de la ville; que, pour la seureté des convois, il y auroit des compagnies tirées des trouppes de Sa dite Altesse Royale qui leur serviroient d'escorte; et que, pour la distribution desdits bleds et farine, elle se feroit en divers quartiers de la ville, sur le pied du prix de l'achapt, pour empescher le desordre qu'apportent ceux qui, voulans profiter de la misère publique, mettent un prix excessif au pain et auxdits bleds et farine[419].

De cet ordre on reconnoist la prudence et l'affection de son Altesse royale, de messieurs les princes et de l'Union, puisque, par ce moyen, non seulement les pauvres tireront un grand soulagement dans leur disette, mais encore les mieux accommodez se trouveront en seureté et hors de la crainte du pillage et de l'emotion que la necessité auroit pu exciter faute de vivres.


Les Louanges de la paille[420].

Ma foy, je ne m'estonne guiere
Que froment soit graine si chiere,
Si la paille a tant de vertu.
Quoy! le plus Mazarin du monde
Est à l'abry des coups de fronde,
S'il est à l'abry d'un festu!

Quelle merveille que la paille,
Qui passe pour un rien qui vaille,
Ait tant d'effet sur le chapeau!
Le plus vaillant de tous les hommes
(Prodige en ce temps où nous sommes)
Sans elle tremble dans sa peau.

Sans elle passez par la rue,
Chacun vous chifle, befle, hue,
Et vous fait bien pis quelquefois;
D'espingle la fesse on vous larde,
On vous applique la nazarde,
Et vostre dos porte le bois.

Sans elle, quand bien vos pensées
A Dieu seul seroient addressées,
Vous haïssez le commun bien;
Disiez vous vostre patenostre,
Fussiez vous plus saint qu'un apostre,
Sans elle vous ne valiez rien.

Sans elle vous avez la mine
D'estre cause de la famine
Et des maux que fait le soldat;
Le Mazarin est vostre maistre.
Sans elle vous passez pour traistre
Et pour ennemy de l'Estat.

Sans elle contre la Bastille
(Non contre la Maison de Ville[421])
Vous machinez quelques desseins;
Vous y voulez loger Turenne,
Pour par la porte Saint Antoine
Introduire ses assassins.

Sans elle vous avez envie
Que la faim finisse la vie
De ceux qui veulent l'Union,
Cette Union si necessaire
Pour livrer un lâche corsaire
Entre les griffes du lion[422].

Mais en portez-vous sur la teste,
Chacun vous rit et vous fait feste,
Tout le monde vous fait beau beau;
Estes-vous dans quelque bagarre;
Pour vous en tirer on dit: «Garre!
Il a de la paille au chapeau!»

Si toutefois, dans l'assemblée,
Vostre opinion mal reglée
Vient à dementir le bouchon,
On vous recoigne, on vous houspaille,
Et l'on employe vostre paille
Pour vous rostir comme un cochon.

Peuple qui par là veux connoistre
Le bon François d'avec le traistre,
Prens bien garde à ce que tu fais,
Et crains que ta paille allumée
Se dissipe toute en fumée
Sans faire ny guerre ny paix.

Use de cette noble marque
Comme l'oncle de ton monarque[423],
Comme un Condé, comme un Beaufort:
Ils s'en servent, mais avec elle
Ils vuident aussi l'escarcelle
Et vont sans pallir à la mort[424].

Cette merveille de nostre âge
Qui fait des leçons de courage
Aux plus braves de nos guerriers
T'enseigne aussi de quelle sorte
Un vray frondeur la paille porte
Pour changer ses brins en lauriers.

Fin.

La notable rencontre nouvellement faicte par les carrabins et chevaux legers de Monsieur le duc d'Epernon, aux environs de La Rochelle, avec tout ce qui s'est passé en icelle, ensemble la prise et deffaicte de quatre trouppes de volleurs, par les prevost des mareschaux de Poictou, Angoulesme, Xaintes, Limosin, et autres lieux.

A Paris, sur la coppie imprimée à Fontenay-le-Conte par Pierre Petit-Jean, imprimeur du Roy en ladite ville.

Avec permission.DC.XXII, in-8.

Se peut-il rien voir de plus auguste et de plus triomphant, rien de plus magnanime que nostre prince, la terreur du monde, qui porte l'obeissance et l'amour par tout où ses volontés et ses affections le conduisent? Il esbranle et estonne les courages les plus resolus, et asseure, et bannit la peur des esprits les plus craintifs; chasse et dissipe par sa presence, comme un autre soleil, tous les nuages espais qui pourroient ternir le lustre et l'esclat de sa brillante lumière et royauté.

Ce sont les effects que produisent à tous momens ses actions toutes genereuses; ainsi suivent les vrays et legitimes moyens dont un grand prince doibt user, d'un soin et d'une vigilance particulière en ses affaires, d'une prudence ordinaire en ses desseins, et use d'une authorité souveraine en toutes ses resolutions, qui nous font remarquer un juge solide, orné des plus rares vertus dont le ciel pouvoit jamais enrichir un grand prince.

Lisez dans sa vie, dans ses actions, vous n'y remarquerez que vertu, que justice, que bonté, qu'amour envers Dieu et envers ses subjects, et un desir de les maintenir eternellement dans la douceur du repos, et de les faire jouyr d'une paix perpetuelle.

Dieu est autheur et tout ensemble amateur de paix. Puis que c'est le seul dessein de nostre roy de l'asseurer parmy ses subjects, asseurement Dieu benira et favorisera ses justes intentions, et fera reussir ses entreprises glorieuses dans la perfection d'une fin très heureuse, puisqu'un si noble subject anime ses dessins et authorise ses courses et ses voyages, encores qu'ils ne prennent loy que d'eux mesmes, qui font fleurir la piété et la religion catholique dans l'estendue de son estat, et principalement ès lieux où il y a des rebelles et des subjects qui refusent le joug de sa puissance et de son authorité royale, sans se servir du pretexte de la religion, afin que, par ce moyen, les dicts rebelles ne peussent authoriser leurs armes, et que leurs entreprinses fussent sans aucune apparence parmy les gens de bien de son royaume, et les estrangers encores moins, qui peuvent faire leur profit de ce qui se passe en France.

Sur tout, on jugera que le sieur de Mortenière (nepveu et heritier de mauvaises volontez et cruelles passions de son oncle Guillery)[425] et ses factions communiquées à une troupe nouvelle de desesperez, en nombre de sept à huit cens, laquelle, depuis quelque temps en çà, prend plaisir à courir par tout le Poictou, et y commet mille et mille cruautez et meschancetez, dont la moindre merite de perdre la vie, ne peuvent servir à Sa Majesté que d'un moyen propre pour eslever sa gloire et se faire craindre en les punissant, non selon leur demerite, qui n'est que très grand, offençant un roy, mais humainement et selon la clemence de Sa Majesté, qui n'ayme le sang et le carnage.

Monsieur le duc d'Espernon[426], ayant eu advis qu'une partie de ces gens rodoyent aux environs de La Rochelle (pensant y estre à couvert des dicts prevots des mareschaux, principalement de celuy de Poictiers, Angoulesme, Xaintes et Cyvray, qui les avoient jà courus, et mesme en avoient fait prendre quelque vingt ou trente), aurait commandé à une partie de ses carrabins et chevaux legers, qui depuis ces troubles ont esté mises en garnison à Surgère, Croy-Chappeau, Nouaille, Cou-de-la-Vache et autres lieux[427], de faire un corps de sept à huict cens hommes pour courir dessus, à celle fin de tascher à les prendre et deffaire.

Ce commandement estant executé, les dits carrabins et chevaux legers ayants faict un gros de six cens ou environ, donnant vers La Rochelle, firent rencontre de quelques cent ou six vingts de desesperez, près le village de la Font, distant de La Rochelle d'une grande lieue et demye; lesquelz, après avoir esté recognus par les dicts carrabins et chevaux legers, furent tellement chargez qu'il n'en est pas resté une trentaine que le tout n'ayt esté mis en pièce, et les autres bien blessez emmenez pour en estre faict punition exemplaire.

En cette rencontre et deffaicte a esté pris deux chariots chargez de bagage, comme linges, vaisselles, licts et autres hardes, qu'ils avoient prins et desrobez en divers lieux; le tout a esté partagé parmy eux, à celle fin de leur donner plus de courage à courir dessus les ennemis.

Peu auparavant cette rencontre, cette trouppe de volleurs avoit commis mille outrages dans le pays de Limoges, notamment vers Mommorillon et Bellac, ayant fait toutes sortes de malversations près du bourg de la Verchère, ayant mesme pensé brusler tout le dict bourg, en vindicte de ce que les habitans d'iceluy leurs en avoient empesché l'entrée, en ayant tué vingt et deux sur la place, et bien autant et plus de blessez, ce qui anima tant ces volleurs que douze jours durant ils le bloquèrent d'une telle sorte que les dicts habitans n'osèrent faire mener leur bestial paistre, et ny eux-mesmes sortir sans courir le risque d'estre mal traictez.

Près la ville de Mesle en Poictou, vingt quatre de ces voleurs, trouvant un marchand tanneur du bourg de Sainct-Leger, lequel venoit de la ville de Niort, le tuèrent et luy prirent environ cinq mille francs qu'il rapportoit de marchandise; cet homicide ayant esté descouvert, furent poursuivis, et à ce suject se separèrent et divisèrent çà et là; et trois sepmaines après, sept d'iceux furent recogneus au marché de Couay par le moyen du cheval de ce marchand qu'ils exposoient, aussi par l'un des cousins dudit marchand, qu'il s'informa d'eux combien il y avoit de temps que le cheval estoit en leur possession, et de qui ils l'avoient eu. Par cet interrogatoire l'on les trouva en plusieurs paroles, d'où l'on jugea qu'ils pourroient estre les homicides et autheurs du meurtre duquel le bruit estoit commun presque en tout le pays; et, sur cet indice, la justice, sur le rapport qui luy fut fait, se saisit d'eux par l'assistance des archers du prevost des mareschaux de Civray, qui les menèrent prisonniers; et, le fait estant recogneu par leur bouche, ils furent jugez et condamnez, les uns à estre roüez vifs, les autres à estre pendus et estranglez. Voilà la fin de ces gens miserables. Ces exemples serviront et pour les bons et pour les mauvais.

Oderunt peccare boni virtutis amore.
Oderunt peccare mali formidine pœnæ.

Pour eux, affin qu'ils recognoissent que la bonté de Dieu est pleine de toute patience et diffère tousjours la punition que la justice pourroit tirer des iniquitez des hommes, et bien à propos, disoit un ancien:

Si, quoties peccant homines, sua fulmina mittat
Jupiter, exiguo tempore inermis erit.

Pour les autres, afin qu'ils apprennent que Dieu les attend tousjours à misericorde, et ne les veut chastier selon leurs demerites à toute heure, ains leur donne loisir de se recognoistre; de sorte qu'ils ne sçauroient accuser ny blasmer la divine Majesté de trop grande severité; et pour eux, je leur laisse ce mot: Perditio tua ex te est.

Fin.

La Famine, ou les Putains à cul, par le sieur de La Valise, chevalier de la Treille.

A Paris, chez Honoré l'Ignoré, à la Fille qui truye, rue sans bout.

M.DC.XLIX, in-4[428].

Elles sont à cul, les putains;
Il n'y a que les Brigantins,
Les Dupas, les Polichinelles,
Qui font gagner les macquerelles;
Il n'y a que les Spacamons[429]
Qui carillonnent des roignons,
Il n'y a que les Belle-Roses[430]
Qui desirent faire ces choses;
Il n'y a que les Rocantins[431],
Les Jodelets[432], les Picotins,
Qui, mal-gré la grande famine,
Font des farces sur la voisine;
Enfin, les voleurs, les filoux,
Qui des autres estoient jaloux
Lors que nous n'estions point en guerre,
Avec du pain et de la bière
Ils font ce que par cy-devant
Ils ne pouvoient faute d'argent:
Car, filoutans sur le passage
Quelque pauvre homme de village
Qui portoit du pain à Paris,
Ils en ont tant qu'ils en ont pris.
Ces farceurs, en mesmes postures
Que ces vilaines creatures,
Pour ensemble se consoler,
Ils ont voulu s'entre-mesler;
Ils ont vendu tout leur bagage
Pour un centiesme pucelage,
S'asseurans qu'avecque du pain
Ils plairoient à une putain.

Nichon[433], quelle estrange misère
Vous cause une petite guerre,
Qu'il faille pour un peu de lard
Vous soubsmettre à quelque pendard?
Que pour un boisseau de farine
Il faille faire bonne mine
A un qui, peu auparavant,
N'auroit pu voir vostre devant,
Ny vous faire quelques bricoles,
Qu'avecque beaucoup de pistoles?
Chacun est assez bon galand,
Pourveu qu'il ait un pain chaland,
Vous ne regardez plus sa trogne,
S'il est vaillant à la besogne,
S'il a un museau de cochon,
S'il a un plantureux menton,
S'il a le front tout plein de rides,
S'il a le nez en pyramides,
S'il a le visage luisant
Comme la peau d'un elephant,
S'il a des oreillettes d'asne;
S'il a le col en sarbacane;
S'il a une barbe de c..,
Ou s'il a des yeux de lyon,
S'il a la poictrine tortue,
S'il a la panse mal-otrue,
S'il a des membres de fuzeau
Et s'il n'a qu'un petit boyau,
S'il est habillé de village,
S'il porte en teste un beau plumage;
S'il a un chapeau plein de trous,
S'il est bien paré comme vous;
S'il a quelque sale chemise;
S'il a la chevelure grise,
Si son habit et son manteau
Est tout entier ou par lambeau,
Si, pendant toute la journée,
Il a la hure enfarinée;
S'il a au bout de ses gigots
Des souliers ou bien des sabots,
S'il a pour canons et manchettes
Rien du tout avec des housettes,
Si c'est quelque brave soldat
Ou un crieur de mort au rat,
S'il est crieur du vieil fromage
Ou bien fripier de pucelage,
S'il est crieur de trepassez[434]
Ou solliciteur de procez,
Si c'est un marchand d'allumettes
Ou joueur de marionnettes;
Enfin, vous estes toute à luy,
Il est vostre meilleur amy,
Et, pour enfler vostre bedeine,
Vous ne vous mettez pas en peine
S'il est honneste homme ou vilain,
Pourveu qu'il vous donne du pain.

N'estes-vous pas bien malheureuse
D'avoir esté si paresseuse
Auparavant ce temps icy,
D'avoir esté de cul rassy?
Ah! si, dans la grande abondance,
Vous eussiez eu la prevoyance
Du malheur qui est advenu,
Vous y auriez bien moins perdu,
Car vous auriez, pour vous esbatre,
Pour un coup de cul donné quatre.
Je crois que si, par un bon-heur,
On vouloit vous faire faveur
De vous visiter à toute heure,
Ma belle Nichon, je m'asseure
Que vous n'auriez pour vostre pain
Jamais assez de magazin:
Car, pendant toute la journée,
Vous seriez si bien enfournée
Que quatre cens pains pour un jour
Seroient tirez de vostre four;
Mais, Dieu mercy, nostre disette
Nous a renoué l'aiguillette,
Et, s'il falloit fournir de pains
A un million de putains
Et tant d'autres honnestes filles,
On affameroit les familles.
S'il falloit nourrir la Du-Bois,
La Babeth et la Du-Beffrois,
La Neveu[435], Toynon, Guillemette,
La de la Tour, la l'Espinette,
La Gantière, la Du-Fossé,
La Chappelle, la Du-Houssé,
La Desmaison, la Hautemotte,
La Dufresnois et la Tourotte[436],
Et mil autres belles putains
Desquelles les Marais sont pleins[437];
Il ne faudroit, pour leur cuisine,
Que mil chariots de farine;
Outre que tous les maquereaux
Et mil autres vieux bordereaux,
Estans de mesme confrairie
Et en mesme categorie,
Ils voudroient qu'on leur en partist
Pour contenter leur appetit;
Et, en ce cas, tous les villages
Ne pourroient par mille voyages
Leur ammener assez de pain
Pour oster leur estrange faim.

Quel pays voudroit entreprendre
De contenter maistre Alexandre,
Maistre Thibault et du Moustier,
Maistre Cola le savetier,
Maistre Guibert et la Montagne,
Dufour, la Croupière, Champagne,
La Verdure, Guichet, Petit,
Et autres de hault appetit?
Outre ces marchans de pucelles,
Il faudroit que les maquerelles
Eussent leur part à ces gasteaux,
Aussi bien que les maquereaux.

Mais puisque, pendant cette guerre,
On ne vous visite plus guère,
Ny celles de vostre mestier
Qui sont dedans vostre quartier,
Nichon, souffrez que je vous die
Quelque moyen qui remedie
Au mal qui vous presse à present;
C'est de recevoir tout venant,
Riche ou non, vilain ou honneste,
Homme d'esprit ou une beste,
Pourveu qu'il apporte en sa main
Quelque bon gros morceau de pain.
Que si toutefois la diette
Refroidit si fort la caillette
Que l'on ne vous visite plus
Et que vous demeuriez à culs,
Puisque vous avez par famine
Vendu les meubles de cuisine
Et les pièces de cabinets,
Coiffures, mouchoirs et colets,
Rubans, vertugadins, calotes,
Et puis qu'ayant vendu vos cottes,
Vos jupes et vos cottillons,
Avec tous vos vieux guenillons,
Vous n'avez plus que la chemise,
D'une chose je vous advise,
De crainte de trop tost l'user,
Que vous la laissiez reposer,
La mettant dans une cassette,
Afin que, la paix estant faite,
En couvrant vostre nudité,
On ayme moins vostre beauté:
Car si, dans la grande abondance,
Nous suivions la concupiscence
Que nous causeroit vostre cas,
la chemise n'y estant pas,
Ma foy, il n'y auroit personne
Qui voulust, tant fust-elle bonne,
Ne point vous donner le couvert.
Mais dites-moy à quoy vous sert
De vous cacher dans la famine?
Pour moy, Nichon, je m'imagine
Que vous feriez mille fois mieu
De nous monstrer vostre milieu,
Parce qu'il n'y auroit personne
Qui ne vinst mettre son aumosne
Dedans tous les troncs des putains,
Qui leur seroient des gaigne-pains;
Au lieu que si, par couardise,
Elles se couvrent de chemise,
Je cognois bien, par mon calcul,
Qu'elles demeureront à cul.

Fin.

Le Pasquil touchant les affaires de ce temps.

M. DC. XXIV, in-8.

Tremblez, tremblez, la Vieville[438],
Bardin, aussi Beaumarchais[439]!
Je prie Dieu que l'aze vous quille,
Vive la foy!
Et aussi tous vos amis.
Vive Louys!

Que disiez-vous, la Vieville,
Lors que le charivary
Trotoit par toute la ville?
Vive la foy!
Vous estiez bien esbahis,
Vive Louys!

Vous fermastes vos fenestres
Et tuastes vos flambeaux,
Et vous n'osasfes paroistre,
Vive la foy!
De peur d'en estre assaillis.
Vive Louys!

Mommorency, d'Angoulesme,
Longueville et d'Alets,
En estoient en fort grand peine.
Vive la foy!
Et en estoient fort marris.
Vive Louys!

Mais demain on recommence
De plus belle que jamais.
Vous verrez une dance,
Vive la foy!
Dont vous serez bien marris.
Vive Louys!

Joyeuse et la Bretonnière,
Gran-pré[440] et aussi du Bec[441],
Passeront tous la carrière,
Vive la foy!
Et son nepveu du Plessis
Vive Louys!

Bellegarde et Bassompierre,
Tillière et monsieur Dellebœuf,
Leur jetteront à tous des pierres;
Vive la foy!
Aussi feront tous leurs amis.
Vive Louys!

Monsieur et Monsieur le Comte,
Et monsieur le Colonel,
Leur feront à tous si grande honte
Vive la foy!
Qu'ils en mourront de despit.
Vive Louys!

TABLE DES PIÈCES
CONTENUES DANS CE VOLUME.

  •   Pages.
  • 1. L'interrogatoire et deposition de Jean de Poltrot sur la mort de M. de Guyse 5
  • 2. Le faict du procez de Baïf contre Frontenay et Montguibert 31
  • 3. Fragmens de Mémoires sur la vie de Mme de Maintenon 53
  • 4. La surprinse et fustigation d'Angoulevent 81
  • 5. Le musicien renversé 93
  • 6. Histoire admirable d'un faux et supposé mari 99
  • 7. Lettres de Vineuil sur la conspiration de Cinq-Mars 119
  • 8. L'Evantail satyrique, par le nouveau Theophile 131
  • 9. Consolation aux dames sur la réformation des passemens et habits 140
  • 10. La vie genereuse des Mercelots, Gueuz et Boesmiens, par Pechon de Ruby, avec un Dictionnaire en langage blesquin 147
  • 11. Le Salve regina des prisonniers 193
  • 12. Le Purgatoire des prisonniers 201
  • 13. L'emprisonnement D. C. D 211
  • 14. Sur les Dragonnages en Dauphiné 217
  • 15. Brevet d'apprentissage d'une fille de modes à Amatonte 223
  • 16. Requête d'un poëte à M. de Vattan, pour être exempté de la capitation 231
  • 17. Les advis de Charlot à Colin sur le temps présent 237
  • 18. L'Entrée de la Reyne et de Messieurs les Enfans de France à Bourdeaulx 247
  • 19. Nouveau règlement general pour les Nouvellistes 261
  • 20. Le feu de joye de Mme Mathurine sur le retour de M. Guillaume de l'autre monde 271
  • 21. Conference d'Antitus, Panurge et Gueridon 279
  • 22. Arrest du Conseil des Dix contre Georges Corner 303
  • 23. Reglement pour pourvoir aux vivres de la ville d'Orléans 323
  • 24. Les Louanges de la paille 325
  • 25. La rencontre des carrabins de M. le duc d'Espernon aux environs de La Rochelle, ensemble la prise de quatre trouppes de voleurs 331
  • 26. La Famine, par le sieur de La Valise 337
  • 27. Le Pasquil touchant les affaires de ce temps 347

Notes

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