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Variétés Historiques et Littéraires (09/10): Recueil de piéces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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The Project Gutenberg eBook of Variétés Historiques et Littéraires (09/10)

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Title: Variétés Historiques et Littéraires (09/10)

Editor: Edouard Fournier

Release date: March 18, 2015 [eBook #48520]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Guy de Montpellier, Christine
P. Travers and the Online Distributed Proofreading Team
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de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES (09/10) ***

VARIÉTÉS
HISTORIQUES
ET LITTÉRAIRES

Recueil de pièces volantes rares et curieuses
en prose et en vers

Revues et annotées

PAR
M. ÉDOUARD FOURNIER

Tome IX

Décoration.

A PARIS
Chez Pagnerre, Libraire
M.DCCCLIX

Le Gouvernement présent, ou Eloge de Son Eminence.

Satyre, ou La Miliade.

In-4[1].


Peuple, eslevez des autels
Au plus eminent des mortels,
A la première intelligence
Qui meut le grand corps de la France,
A ce soleil des cardinaux,
De qui d'Amboise et d'Albornaux[2],
Ximenès, et tout autre sage,
Doivent adorer le visage.
Le globe de l'astre des cieux
Est moins clair et moins radieux.
Ses rayons percent les tenèbres,
Produisent cent autheurs celèbres[3],
Et font un affront au soleil
Par cet ouvrage non pareil.
Que si vos debiles paupières
Ne peuvent souffrir les lumières
De ce corps desjà glorieux,
Qui vous esblouiront les yeux,
Contemplez l'ame plus obscure,
La sagesse et la foy moins pure,
Le jugement moins lumineux
De ce polytique fameux
Qui rend l'Espagne triomphante
Et la France si languissante.
Dans ses ambitieux souhaits,
Il ne veut ny trefve ny paix;
Sa fureur n'a point d'intervalles:
Il suit les vertus infernalles.
Les fourbes et les trahisons,
Les parjures et les poisons
Rendent sa probité celèbre
Jusqu'à l'empire des tenèbres.
C'est le ministre des enfers;
C'est le demon de l'univers.
Le fer, le feu, la violence,
Signallent partout sa clemence.
Les frères du Roy mal traittez,
Les mareschaux decapitez[4],
Quatre princesses exilées[5],
Trente provinces desolées,
Les magistrats emprisonnez,
Les gardes des sceaux dans les chaisnes[6],
Les gentils-hommes dans les gesnes,
Tant de genereux innocents
Dans la Bastille gemissans;
Cette foule de miserables
Où les criminels sont coulpables
D'avoir trop d'esprit et de cœur,
Trop de franchise ou de valeur,
Tant d'autres celèbres victimes,
Tant de personnes magnanimes
Qu'il tient soubs ses barbares loix,
Dont il ne peut souffrir la voix,
Dont il redoute le courage,
Dont il craint mesme le visage:
Ce grand nombre de malheureux
Qui sentent son joug rigoureux,
Leur sang, leurs prisons, leurs supplices,
Sont ses plus aimables delices.
Il se nourrit de leurs mal-heurs,
Il se baigne en l'eau de leurs pleurs,
Et sa haine fière et cruelle
Dans leur mort mesme est immortelle;
Il agite encor leur repos,
Il trouble leur cendre et leurs os,
Il deshonnore leur memoire,
Leur oste la vie et la gloire.
Ce tyran veut que ces martyrs
N'ayent que d'infames souspirs,
Dans leur plus injuste souffrance
Qu'on approuve sa violence,
Et qu'on blesse la verité
Pour adorer sa cruauté.
Il ayme les fureurs brutales
Des trois suppots de sa caballe,
De ce pourvoyeur de bourreaux
Et de ces deux monstres nouveaux,
Qui, plus terribles qu'un Cerbère,
Deschirent sans estre en colère;
Ce testu, cette ame de fer,
Digne prevost de Lucifer,
Cet instrument de tyrannie
Qui rend la liberté bannie,
Ce geolier, qui de sa maison
Fait une cruelle prison,
Et qui traitte avec insolence
Les braves mareschaux de France,
Lorsqu'il les conduit à la mort,
Lorsque l'Estat pleure leur sort,
Lorsque leur destin miserable
Rendroit un tygre pitoyable.

Mais quels insignes attentats
N'ont faict Machaud[7] et L'Affenas[8]!
Quels juges sont aussi sevères
Que ces deux cruels commissaires,
Ces bourreaux, de qui les souhaits
Sont de peupler tous les gibets,
De qui les mains sont tousjours prestes[9],
A couper des illustres testes,
A faire verser à grands flots
Le sang dessus les eschaffaux!
La mort naturelle et commune
Leur desplait et les importune,
Et la sanglante a des appas
Où leurs cœurs prennent leurs esbats.
En decapitant ils se jouent,
Ils sont encor plus guays s'ils rouent,
Mais leur plus agreable jeu
Est de bruler à petit feu.
Armand a choisi ces deux Scythes
Pour ses fidelles satellites,
Pour monstrer qu'il tient en ses mains
La vie et la mort des humains,
Et qu'il règne par sa puissance
Comme les Roys par leur naissance.
Ses juges menacent les grands,
Et font trembler les innocens.
Castrain[10], Marillac et De Jarre[11]
Ont paty[12] devant ces barbares,
Et veu leur mort dedans les yeux
De ces tygres audacieux.
Armand voulant des sacrifices
De cruauté et d'injustice,
Pour paroistre ses serviteurs
Ils font les sacrificateurs.
Ce Moloce les a pour prestres[13];
Il arme de couteaux ces traistres
Pour immoler sur ses autels,
Non des bestes, mais des mortels.
Le vieux tyran des Arsacides
A moins commandé d'homicides
Que ce moderne Phalaris,
Ce monstre entre les favoris.
Son œil farouche et sanguinaire
S'allume dedans sa colère;
Ses regards sont d'un bazilic;
Sa langue a le venin d'aspic,
Elle sert d'arme à sa malice,
Elle couvre son injustice,
Et mesle la douceur du miel
A l'amertume de son fiel;
Et sa parole est infidelle
Autant que sa main est cruelle.
Il ne perce qu'en caressant,
Il n'estouffe qu'en embrassant,
Il flatte lors mesme qu'il tüe,
Et son ame n'est jamais nüe.
Il deguise ses actions,
Dissimule ses passions,
Compose son geste et sa mine.
Le demon à peine devine
Le mal qu'il cache dans son sein;
Il lit à peine en son dessein.
Il ayme les lasches finesses,
De perdre malgré ses promesses,
De lancer soudain dans les airs
La foudre, sans bruict, sans esclairs,
De faire esclater un orage
Lorsque le ciel est sans nuage.
Il est meschant, il est trompeur,
Il est brutal, il est menteur;
Ses baizers sont baizers de traistre.
Il n'est jamais ce qu'il feint d'estre,
Il trompe par tous ses discours,
Et s'il traitte avecque des sourds,
Il les deçoit par son visage,
Contrefaict le doux et le sage,
Leur sousrit, leur presse les mains,
Et par des conseils inhumains,
Faict après tomber sur leur teste
Une formidable tempeste.
Si les reynes l'ont en horreur,
Il pleure pour gaigner leur cœur,
Il les combat avec leurs armes,
Et lors qu'il verse plus de larmes,
Il leur prepare une prison,
Et, s'il est besoin, du poison.
Ses pleurs sont pleurs de crocodille,
Qui menacent de la Bastille,
Qui, pour venger des desplaisirs,
Causent des pleurs et des souspirs.
Son ame prend toute figure,
Hormis celle d'une ame pure.
Il faict ce qu'il veut de son corps:
Le dedans combat le dehors.
C'est luy sans que ce soit luy-mesme;
Enfin, c'est un bouffon supresme.
Sans masque il est tousjours masqué;
Turlupin n'a point pratiqué
Tant de tours ny tant de souplesses,
Tant de fourbes ny tant d'adresses,
Que ce protecteur des bouffons,
Ce grand Mæcenas des fripons.
Il faict bien chaque personnage,
Fors celuy d'un ministre sage.
Il imite bien les tyrans
Et les ministres ignorans.
Ce charlatan, sur son theatre,
Croit voir tout le monde idolatre
De ses discours, de ses leçons,
De ses pièces, de ses chansons.
On souffriroit ses comedies,
Quoi que foibles et peu hardies,
Si des tragiques mouvemens
N'en troubloient les contentemens;
S'il n'avoit affoibli la France,
En destruisant son abondance,
En augmentant tous les impots,
En multipliant tous les maux,
En tirant le sang des provinces,
En persecutant les grands princes,
En outrageant les potentats,
En leur usurpant leurs estats,
En formant une longue guerre,
En l'attirant dans nostre terre,
En nous livrant aux estrangers,
En mesprisant les grands dangers,
En desgarnissant les frontières,
En n'assurant point les rivières,
Bref, en abandonnant les lys
A la fureur des ennemis,
Au sort des armes si funestes,
A la faim, la guerre, la peste.
Lorsqu'il doit penser aux combats,
Il prend ses comiques esbats,
Et pour ouvrage se propose
Quelque poesme pour Belle-Rose[14],
Il descrit de fausses douleurs
Quant l'Estat sent de vrays malheurs.
Il trace une pièce nouvelle
Quand on emporte la Capelle[15],
Et consulte encor Bois-Robert[16]
Quand une province se pert.
Les peuples sont touchez de crainte,
Le Parlement porte leur plainte,
Implore le Roy pour Paris
Sans offenser les favoris.
Armand, toutesfois, le querelle,
Enflamme sa face cruelle,
Et d'un regard de furieux
Le traite de seditieux.
Certes, illustre Compagnie,
Tu dois adoucir ce genie,
Dont le jugement nompareil
Paroist plus clair que le soleil;
Luy seul descouvre toute chose,
Previent les effects dans leur cause,
Perce la nuict de l'advenir,
Sçait tout deffendre et tout munir;
Il a pris l'attaque de Liége[17]
Pour une fraude et pour un piége;
Il a preveu ce que tu vois,
Le meurtre des peuples françois.
Dix mille bourgades pillées,
Un grand nombre d'autres bruslées;
L'horreur, la mort de toutes parts,
Trente mille habitants esparts,
Cachez dans les lieux solitaires;
Dix mille desjà tributaires,
Et les fers encor preparez
Aux foibles et moins remparez.
Demeure donc dans le silence,
Auguste oracle de la France;
Laisse Armand mener le vaisseau.
Nul autre pilote nouveau
Ne peut conjurer la tempeste
Qui gronde au dessus de nos testes;
Luy seul commande aux elemens,
Luy seul est le maistre des vents,
Luy seul bride le fier Neptune
Lors que son onde l'importune;
Il luy fait des escueils nouveaux,
Il se promène sur ses eaux,
Et d'une digue merveilleuse
Dompte sa nature orgueilleuse.
Si le Dieu de toutes les mers
S'est veu captif dessous ses fers,
Ne domptera-t-il pas l'Espagne,
S'il la rencontre à la campagne?
Les humains flechiront-ils pas
Voyant que les dieux sont à bas?
Il a vaincu les Nereides,
Terrassé les troupes humides,
Foudroyé cent mille Tritons;
Et ne craint vingt mille fripons,
Et ceste espagnole canaille
Qui fuira devant la bataille.
Armand, le plus grand des humains,
Porte le tonnerre en ses mains.
Il gouverne la Destinée,
Il tient la Fortune enchaisnée;
Son esprit fait mouvoir les cieux
Et brave les Roys et les Dieux.
Crains-tu de n'avoir point de poudre?
Ce Jupiter porte la foudre.
Crains-tu de manquer de canons?
Il est trop au dessus des noms,
Au dessus des tiltres vulgaires,
Au dessus des loix ordinaires,
Pour employer dans les combats
Autre tonnerre que son bras.
Ses moins fortes rodomontades
Sont bien plus que des canonades.
Dans ses plus foibles visions
Il terrasse dix legions.
En parlant avec ses esclaves,
Il fait desjà peur aux plus braves.
Avec ses seules vanitez
Il reprend desjà les citez,
Et dans sa plus froide arrogance
Conçoit une riche esperance.
Il plaint quasi ces estrangers
De s'estre mis dans les dangers
Où se sont mis Valence et Dôle[18]
Par leur temerité frivolle.
Ce sage se rit de ces fous
Et les croit voir à deux genoux
Excuser leur outrecuidance
D'avoir irrité sa prudence,
D'avoir mesprisé Richelieu,
Dont le nom rime à demy-Dieu;
D'avoir d'une atteinte mortelle
Ebranlé sa pauvre cervelle,
D'avoir resveillé ses humeurs
Qui l'ont agité de fureurs;
D'avoir terny toute sa gloire,
D'avoir esmeu sa bile noire,
D'avoir rendu son poil plus blanc,
D'avoir trop eschauffé son sang,
Et d'avoir reduict son derrière[19]
A sa disgrace coustumière.
Il croit, se voyant à cheval,
Voir Alexandre et Bucefal;
Il croit que sa seule prudence,
Le renom de son insolence,
Le son de ses trente mulets,
Le grand nombre de ses valets,
Les destours de sa polytique,
Les secrets de son art comique,
Le verd esclat de ses lauriers,
Le bruit de ses actes guerriers,
Le feu de son masle courage,
Et les rayons de son visage
Glaceront les timides cœurs
De ses fiers et cruels vainqueurs;
Il croit desjà piller Bruxelles,
Et par des vengeances cruelles
Traitter comme l'on fit Louvain
Après la bataille d'Avain[20].
Pour faire de si beaux miracles
Il consulte de grands oracles,
Le Moyne[21], Des Noyers[22], Seguier[23],
Le jeune et le grand Bouthillier[24].
Voilà les conseillers supresmes
Qu'il consulte aux perils extremes:
Le Moyne imite sainct François,
Il protege les Suedois;
Il a le zèle seraphique,
Il travaille pour l'heretique,
Il est percé du divin traict,
Mais non encore tout à faict,
Car il porte bien les stigmates,
Mais non les marques d'escarlates.
Son capuchon piramidal
Ne luy plaist qu'estant à cheval
Sur la beste luxurieuse
Qui prend la posture amoureuse,
Et par le branle et par le chocq
Faict dresser la pointe du frocq.
Il n'a plus le simple equipage
Du fameux mulet de bagage,
Qui n'avoit, comme un cordelier,
Pour train qu'un asne regulier:
Ceste vieille beste de somme
A pris le train d'un gentil-homme,
Qui bien, quand le vin l'animoit,
Brave cavalier se nommoit;
Il a suivant et secretaire,
Il a carosse, il a cautère,
Il a des laquais insolens
Qui jurent mieux que ceux des grands.
Il est l'oracle des oracles,
Il est le faiseur de miracles;
L'Esprit sainct forme ses discours,
Un ange les escrit tousjours;
Ils font partout fleurir la guerre,
Ils le canonizent en terre;
Il est des saincts reformateurs[25]
De l'Ordre des Frères-Mineurs.
Il fait une règle nouvelle[26]
Pour grimper au ciel sans eschelle,
Pour y monter à six chevaux
Et par des ambitieux travaux,
Et gaigner Dieu par où les âmes
Gaignent les eternelles flammes,
Pour estre capucin d'habit,
Pour estre esclave de credit,
Pour estre eminent dans l'Eglise[27],
Pour empourprer la couleur grise,
Pour estre martyr des enfers,
Pour estre un monstre à l'univers.
Seguier, race d'apothiquaire,
Est un esclave volontaire;
Il est valet de Richelieu
Et l'adorateur de ce Dieu[28];
Il prend pour règle de justice
Ce bon sainct sans fard ny malice;
Il dict, le voyant en tableau:
Le Ciel n'a rien faict de si beau.
Ses volontez luy sont sacrées,
Les aigres injures sucrées,
Il tremble, il fleschit les genoux;
Il est prest à souffrir les coups,
L'appelle monseigneur et maistre,
Et pour luy, violent et traistre,
Pour luy ne cognoist plus de loix,
Pour luy viole tous les droicts,
Sur son billet n'ose rien dire,
Scelle trente blancs sans les lire,
Trahit son sens et sa raison,
Tant il redoute la prison;
Il est morne, melancholique,
Il est niais et lunatique,
Une linotte est son jouet;
Il est solitaire et muet,
Tousjours pensif et tousjours morne,
Rumine comme beste à corne;
Il auroit esté bon Chartreux,
Car il est sombre et tenebreux;
Son humeur pedantesque et molle
Sent très bien son maistre d'escolle;
Il n'a point noblesse de cœur,
Quoi qu'aye dit un lasche flateur;
Sa perruque, en couvrant sa teste,
Couvre en mesme temps une beste,
Car des bastons au temps jadis
Ont rendu ses sens estourdis;
Il va tous les jours à la messe
Sans que son injustice cesse;
Les moynes gouvernent son sceau,
Quand ils veulent il fait le veau.
Les ordonnances seraphines
Luy tiennent lieu de loix divines,
Et la plus saincte faculté
Par luy n'a plus de liberté.
Si Richelieu devient injuste
Contre le Parlement auguste,
Il a l'ardeur d'un renegat,
Et sous mains le choque et l'abbat;
Mais son avarice est extrême,
Et dans sa dignité suprême
Il fait le gueux et le faquin,
Comme s'il n'avoit pas du pain;
Son ame basse et mercenaire
Le rend plus cruel qu'un corsaire;
S'il y va de son interest,
Ou quand quelque maison luy plaist,
Il ne croit point d'illustre ouvrage
Que de s'enrichir davantage,
Et pleure de n'avoir encor
Peu gagner un million d'or.
La F....., ceste serrurière[29],
Cette layde, cette fripière[30],
Ce dragon qui rapine tout,
Qui court Paris de bout en bout,
Pour avoir aux ventes publiques
Les meubles les plus magnifiques,
Et ne donner que peu d'argent,
En faisant trembler le sergent;
C'est à Seguier une harpie,
Un demon, qui sans cesse crie
Qu'il faut voler à toutes mains,
Que sans biens les honneurs sont vains;
Elle contrefait la bigotte
Et se laisse lever la cotte,
Assaisonnant ses voluptez
D'eau beniste et de charitez.
Son mary caresse les moynes,
Elle caresse les chanoines,
Et fait avecque chacun d'eux
Ce que l'on peut faire estant deux.
Des Noyers, nouveau secretaire,
Merite bien quelque salaire,
Car il est assez bon valet[31],
Quoy qu'il ne soit qu'un Triboulet,
Et ne cognoist point de prudence
Que la plus lasche complaisance,
Et cherche son élèvement
Par un infâme abaissement[32].
Sa vertu n'est point scrupuleuse,
Et, d'une adresse merveilleuse,
Quitte le bien et suit le mal,
Selon qu'il plaist au cardinal.
Une legère suffisance
Passe en luy pour grande science
Et le signale entre ces veaux,
De Lomenie[33] et Phelipeaux[34];
Son ame est esgale à sa mine:
Elle est petite, foible et fine,
Et n'a point du tout cet esclat
D'un grand secretaire d'Estat;
Sa splendeur n'estant que commune,
Ne peut aux yeux estre importune,
Et son naturel bas et doux
Luy donne fort peu de jaloux.
Servient[35], ton noble genie
T'a faict sentir la tyrannie
De ce règne, où les genereux
Sont tous pauvres et malheureux.
Ainsi l'astre par la lumière
Esclatte une vapeur grossière,
Qui ternit toute la clarté
Et qui nous cache sa beauté.
Que si le soleil cache l'ombre,
Il perce le nuage sombre;
Espère que les envieux
Te verront un jour glorieux;
Mais le plus beau des polytiques
Est Chavigny[36], dont les pratiques
Luy procurent avant le temps
Le venin des plus vieux serpens;
Il est fourbe, il est temeraire;
Armand l'a pour son emissaire,
Et vers Monsieur, et vers le Roy[37],
Et vers tous deux il est sans loy;
Il tromperoit son propre père.
Et trahiroit sa propre mère,
Si le cours de ses passions
Rapportoit à ses actions.
Il a tant appris d'un tel maistre
Le mestier de fourbe et de traistre,
Qu'il est le premier favory
De ce ministre au cul poury.
Ses prodigieuses richesses
Le font brusler pour deux maistresses:
Par la gloire il est emporté,
Par les femmes il est dompté;
Son esprit embrasse les vices,
Son corps embrasse les delices
Qui corrompent le jugement
Par le brutal debordement;
Il se flatte de l'esperance
De se voir duc et pair de France;
Et, dans son desir violent,
Trouve que son bonheur est lent.
L'amour qu'Armand luy porte est telle,
Qu'elle esgale la parternelle[38];
Et si son père n'estoit doux,
Il en pourroit estre jaloux.
Sa femme apprend du bon stoïque
La naturelle polytique,
Et que, tout vice estant esgal,
L'adultère est un petit mal;
Mais pour punir ceste coquette,
Il luy rend ce qu'elle luy preste.
Voilà les Jeannins, les Sullys,
Les Villeroys, les Sylleris,
Dont ce fier tyran de la France
Consulte la rare prudence:
Si tu demandes des heraus
Qui nous deslivrent de nos maux,
Les Brezay[39] et les Meillerayes[40]
Sont les medecins de nos playes;
Si tu veux des foudres de Mars
Qui servent de vivants rempars,
Coëslin[41], dans la plaine campaigne,
Sert plus qu'une haute montaigne;
Courlay[42], dans l'empire des flots,
Faict un grand rocher de son dos.
Ces bossus preservent la France
De toute maligne influence.
Tous ces braves avanturiers
Nous promettent mille lauriers;
Ils outragent les capitaines,
Ils font des entreprises vaines,
Et, quoy qu'ils craignent les hazars,
Veulent passer pour des Cesars.
Mais qui règne sur les finances?
Bullion[44], dont les violences
Sont le principal instrument
De cet heureux gouvernement,
Le plus cruel monstre d'Affrique
Est plus doux que ce frenetique,
Qui triomphe de nos malheurs,
Qui s'engraisse de nos douleurs;
Qui par ses advis detestables
Rend tous les peuples miserables;
Qui par ses tyranniques loix
Les fait pleurer d'estre François;
Qui surpasse les bourreaux mesmes,
Se plait dans leurs tourmens extremes;
Qui d'un œil sec trempe ses mains
Dans le sang de cent mille humains;
Qui leur blessure renouvelle
Du fer de sa plume cruelle,
Et rit en leur faisant souffrir
Mille morts avant que mourir.
Est-il un merite si rare
Qui puisse adoucir ce barbare?
Le grand Veimard[45] et sa valeur
Peuvent-ils flechir ce voleur?
Il ne cognoist point de justice
Que les fougues de son caprice;
Il outrage les officiers,
Il gourmande les chanceliers;
Armand soustient son insolence,
Volle avec luy toute la France,
Et, pour confirmer les edicts,
Rend les magistrats interdits.
Tous les François sont tributaires
De ces deux horribles corsaires;
Jamais pirates sur les mers
N'ont faict tant de larcins divers.
Ce notonnier a ce pilotte,
Rapinant avec une flotte;
Cornuel meut les avirons,
Luy seul vaut bien trente larrons[46];
Bullion, par ses avarices,
Entretient son luxe et son vice;
Ce Gros-Guillaume raccourcy[47]
A tousjours le ventre farcy
Et plein de potage et de graisses,
Baise ses infames maistresses;
Le gros Coquet, ce gros taureau,
Est son honneste macquereau[48]:
Voilà la fidelle peinture
D'un avorton de la nature,
D'un Bacchus, d'un pifre, d'un nain,
D'un serpent enflé de venin,
Que Louys, d'un coup de tonnerre,
Doit exterminer de la terre.
Paris, pour illustre tombeau,
Luy prepare un sale ruisseau,
Promet de longues funerailles
A ses tripes, à ses entrailles,
Et s'oblige à graver son nom
Sur les pilliers de Montfaulcon.
Il fera bien la mesme grace
A un Moreau qui le surpasse
En blasphesmes et juremens,
Et l'esgalle en debordemens;
Ce magistrat est adultaire,
Injuste, fripon, themeraire,
Et, pour estre fils de Martin,
N'en est pas moins fils de putain.
Dans Paris il vent la justice,
Il exerce encor la police;
Mais on y meprise sa voix
Et l'on hait ses injustes loix.
Grant senat, tu hais tout de mesme
Ce Le Jay[49], ce buffle supresme,
Le chef honteux d'un noble corps,
L'horreur des vivans et des morts,
Cet infame qui, sans naissance,
Sans probité, sans suffisance,
Et sans avoir servy les Roys,
Se voit sur le trosne des loix;
Cet animal faict en colosse,
Ce grand coquin et ce vieux rosse,
Qui n'est bon que pour les harats
Et pour ses amoureux combats;
Qui dans Maison rouge se pasme[50]
En baisant une garce infame,
Qui parut mort entre ses bras,
Qu'on trouva couché en ses dras;
Qui, dans cette extase brutalle,
Approcha de l'onde infernalle.
C'est pour couronner son bon-heur
S'il mouroit en son lict d'honneur.
Cet ivrongne n'a rien d'honneste;
Son ame est l'ame d'une beste,
Et n'a que de lasches desirs,
Et rien que de sales plaisirs;
Sa maison est une retraicte
Où loge l'ardeur indiscrette,
Où règne Venus et Bacchus,
Des macquereaux et des cocus,
Curgy, d'Herblay et de Courville,
Dont il voit la femme et la fille;
Il se plaist d'estre yvre souvent:
C'est alors qu'il paroist sçavant,
Et que, ceint d'un laurier bacchique,
Il discourt de la republique,
De la d'Herblay et de la Tour,
De leur beauté, de son amour;
Il vieillit sans devenir sage,
Il fuit tousjours le mariage;
Il estoit gendre, et très meschant,
Du grand capitaine Marchand[51].
Il estoit cruel à sa femme,
Bruslant d'une impudique flamme;
Elle de sa part l'encornoit,
Prodigue vers qui luy donnoit[52].
Ce boucquin, pour nourrir son vice,
Vend publiquement la justice;
La d'Herblay la met à l'encan,
Tire huict mille escus par an,
Fait ordonner ce qu'on demande,
Pourveu qu'on luy porte une offrande;
Se vante parmy les railleurs
Qu'elle est grosse des procureurs,
Qu'elle enfantera vingt offices,
Digne prix de ses bons services;
Que, s'il est sale en ses amours,
Il est plus sot en ses discours;
Ses harangues sont pedantesques
Et pleines d'infinies grotesques,
Empruntant tousjours son rollet,
D'un esprit pedant et follet.
Il ayme si fort la nature
Qu'il parle au Roy d'agriculture,
De bien semer, de bien planter,
D'esmonder, elaguer, anter;
Il discourt tout d'un art si rare
Que dans les jardins il s'esgare,
Traitte Louys en vigneron,
Adjouste ce tiltre à son nom,
Compare un grand arbre à la France,
Et ce bel astre à sa prudence,
Qu'il sçait esbranler les estats,
Qu'il sçait couper les potentats,
Qu'il sçait anter guerre sur guerre,
Qu'il sçait bien cultiver les terres.
Ainsi ce sublime orateur,
Ce sage et delicat flatteur,
Ce satyre à la gorge ouverte,
Ce beau porteur de cire verte,
Cet athée ennemy de Dieu,
S'est fait amy de Richelieu;
Il est traistre à sa compagnie,
Les soubmet à la tyrannie,
Denonce les plus genereux,
Excite Richelieu contre eux,
Et fait qu'il ordonne un supplice
Pour le courage et la justice.
Il bannit les bons magistrats
Comme perturbateurs d'estats,
Introduit par toute la France
Le crime de lèze-Eminence,
Vange avec moins de cruauté
Celuy de lèze-Majesté.
Il fait reverer sa personne
Plus que Louis et sa couronne;
Par services dignes du feu,
Il a gaigné le cordon bleu,
Cordon qui servira de corde
Si on luy fait misericorde,
Car la roue à peine est le prix
Des attentats qu'il a commis.
Armand à ces ames si pures
Dispense les magistratures,
Et fait regner sur les subjets
Ceux qui sont dignes de gibets.
C'est là la conduite admirable
De ce ministre incomparable,
De ce capitan sourcilleux,
De ce matamore orgueilleux,
De ce jeune Hercule des Gaules,
Qui les porte sur ses espaules,
Qui sous ce faix n'est jamais las,
Qui n'a point besoin d'un Athlas,
Et qui dessus sa maigre eschine
Veut porter la ronde machine.
Ce courtisan futile et vain
A fait le politique en vain;
Ses fautes sont tousjours visibles
Et ne nous sont que trop sensibles.
Les premières prosperitez
L'ont signalé de tous costez,
Mais les avantures sinistres
L'ont mis au rang des sots ministres:
Ce n'est que dans les grands malheurs
Que l'on reconnoist les grands cœurs.
L'esclat des heureuses fortunes
Rend rares les ames communes,
Et les ouvrages du hazard
Passent pour chef-d'œuvre de l'art.
Tout pilote est bon sans orage,
L'imprudent alors paroist sage;
Mais il se monstre ingenieux
Lors que les flots montent aux cieux.
Quand Dieu punissoit l'infidelle,
Quand il foudroioit les rebelles,
Quand il vengeoit le droict des Rois,
Quand il combattoit pour les loix,
Quand il châtioit la Savoye,
Quand il nous la donnoit en proye,
Quand il se servoit de nos mains
Pour delivrer les souverains,
Armand estoit égal aux anges,
Et les auteurs, dans leurs louanges,
Donnoient au bras de Richelieu
Les miracles du doigt de Dieu.
Non que par ses soins et ses veilles
Il n'ait eu part à ces merveilles,
Et que Dieu n'ait des instrumens
Des plus fameux evenemens;
Mais la divine Providence
Conduisoit sa foible prudence,
La force des astres divains
Mettoit la force entre ses mains;
Dieu regloit les causes secondes
Et calmoit la fureur des ondes;
Il leur faisoit baiser alors
Nostre digue ainsi que leurs bords,
Et la Providence eternelle
L'a destruicte après La Rochelle.
Donnons en la louange à Dieu,
Non pas au nom de Richelieu.
Dans Ré, dans Cazal et Mantoue[53],
Qui n'a point veu que Dieu se joue
Des vains et des ambitieux
Qui pensent escheller les cieux?
Lorsque le Seigneur des batailles
Attaque ou deffend des murailles,
Les foibles domptent les puissans,
Et les nains vainquent les geans.
Soubs luy les hommes obéissent,
Soubs luy les elemens flechissent;
Il retient le cours du soleil,
Il destourne un sage conseil,
Il glace de peur les armées,
Il les rend d'ardeur enflammées,
Il meut leurs corps, pousse leurs bras,
Dresse leurs mains, règle leurs pas,
Et, par des detours invisibles,
Conduit les ouvrages sensibles.
Armand faisoit fleurir les lys
Quand Dieu perdoit nos ennemis,
Armand ne trouvoit point d'obstacles
Quand Dieu nous faisoit des miracles;
Mais, quand il a pris pour object
D'estre plustost Roy que subject,
De faire adorer sa prudence
Plus que la royale puissance,
D'estre le tyran des François
Et le fleau des plus grands Rois,
D'eterniser dedans la terre
Le triste flambeau de la guerre,
De violer tous les traictez,
De voler toutes les citez,
D'usurper toute la Loraine[54],
D'emprisonner sa souveraine,
De separer ce que Dieu joinct,
De mespriser ce qu'il enjoinct,
De rendre l'Eglise asservie,
De ne luy laisser que la vie,
De la faire esclave des Rois,
De ravir ses biens et ses droicts,
De dissoudre un sainct mariage
Pour faire un ridicule ouvrage,
Pour joindre avec des jeunes lys
Des grateculs et seps vieillis,
Pour mesler le sang de la France
Au vil sang de Son Eminence,
Pour faire reyne Combalet[55],
La veufve d'un pauvre argoulet,
La posterité d'un notaire,
L'hermaphrodite volontaire,
L'amante et l'amant de Vigean[56],
La princesse au teint de saffran,
La Nayade qui dans sa chambre
Tient une fontaine d'eau d'ambre,
Et le chaste Dieu des jardins
Parmy ses lys et ses jasmins;
Quand, renversant le cours des choses,
Il a faict des metamorphoses
A rendre vierge Combalet,
La femme d'un maistre mulet,
Alors les celestes puissances
N'ont pu souffrir ses insolences:
On a veu cet audacieux
Hay de la terre et des cieux,
On a veu ses palmes fanées
Depuis le cours de trois années;
Dieu ne reglant pas ses desseins,
Ils ont paru des songes vains:
Car vouloir vaincre l'Allemagne
Et dompter la maison d'Espagne,
En laissant perir nos soldats
Victorieux aux Pays-Bas,
En consumant l'or des finances
Dans l'esclat des magnificences,
C'est montrer qu'il n'a plus de sens
Que pour perdre les Innocents[57];
En prodiguant pour ses duchesses
De quoy munir ses forteresses,
En amassant de grands tresors
Dedans le Havre et autres ports,
En laissant dans les autres villes
Des troupes foibles et debiles,
Ayant plus de soin des prisons
Que des forts et des garnisons,
C'estoit un dessein chimerique
Digne de ce grand polytique,
D'un heros au dessus des noms,
Du roy des petites maisons.
Ses visions creuses et folles
Ont mis les forces espagnolles
Dans le sein de l'Estat françois,
Et près du trosne de nos rois.
La France a receu mille atteintes,
Ses douleurs esgallent ses craintes;
Tous ses membres sont languissans,
La guerre a perclus tous ses sens,
Et la vigueur de sa noblesse
N'est plus aujourd'hui que foiblesse.
Elle est malade en tout son corps,
Ne peut faire de grands efforts,
A besoin que la main divine
La preserve de sa ruine,
Et ne doit demander à Dieu
Que la perte de Richelieu:
Car, si le Ciel benit nos armes,
S'il sèche le cours de nos larmes,
Et qu'Armand possède Louis
Par ses mensonges inouïs,
Il reprendra sa tyrannie,
Il redoublera sa manie;
Il bannira les plus puissans,
Il perdra les plus innocents;
Il connoit desjà des vengeances,
Il prepare des violences;
Ce lyon bat desjà son flanc,
Son cœur est alteré de sang;
Ses yeux estincellans de rage,
Sa gueulle s'apreste au carnage.
Faut-il que, combattant pour nous,
Nous nous exposions à ses coups,
Et qu'en deffendant nos murailles,
Ce serpent ronge nos entrailles?
Faut-il qu'en asseurant nos biens
Nous nous asseurions nos liens?
Faut-il qu'en gardant nostre maistre,
Nous gardions ce barbare prestre,
Et qu'esclaves comme devant,
Nous nous perdions en nous sauvant?
Grand Roy, bannis par ta puissance
La servitude de la France,
Chasse l'orgueilleux potentat
Et le demon de ton Estat.
Ton triomphe sera funeste
Si ce cruel monstre nous reste.
Ouvre les yeux, arme ton bras
Pour mettre deux tyrans à bas;
Couronne les faicts de la gloire
Qu'auroit ceste double victoire;
Fais punir l'autheur de nos maux,
L'autheur de mille et mille impots;
Fais que la justice divine
Accable ce nouveau Conchine;
Laisse deschirer à Paris
Le plus meschant des favoris,
Et fuys, en sauvant la couronne,
Cet oracle de la Sorbonne.
Son sepulchre en vain sera beau,
Les tyrans n'ont point de tombeau.

Fin.

Le Duel signalé d'un Portugais et d'un Espagnol[58].

Extrait d'une lettre escritte de Lisbonne à Paris, au Prince de Portugal[59].

Du Bureau d'adresse, au Grand-Coq, rue de la Calandre, près le Palais, à Paris, le 31 aoust 1633.

Avec privilége.


J'ai disputé à par moy se je vous ferois part d'un combat memorable arrivé le 27 du passé entre deux personnes de telle qualité qu'il semble plustot un combat de nation que de personne à autre; mais, voyant que les Espagnols en semoyent le bruict à leur avantage, sur ceste maxime qu'à mal exploiter il n'est que de bien escrire, je me suis senti obligé à vous en mander la verité.

Les Espagnols sont de tout temps mal voulus des Portugais, et leur histoire moderne nous apprend qu'ils ont porté leur animosité jusques au Nouveau-Monde, au partage duquel ils ne se sont jamais pu accorder, bien que le S. Siége s'en soit meslé. Mais ceste haine est venuë à son comble lorsque les Espagnols se sont rendus maîtres du Portugal, aneantissans les beaux priviléges de ceste grande province, et mesmes lorsqu'ils ont changé leur liberté en des citadelles, le moyen ordinaire dont se servent les Espagnols pour retenir sous leur domination les peuples par force, puisqu'ils ne le peuvent par amour.

La garnison espagnole qui estoit dans la citadelle de Lisbonne s'estant voulu égayer dans la ville et y vivre avec moins de retenue, les bourgeois portugais, ausquels une domination estrangère ne peut faire oublier leur generosité, lassez de leur façon de faire, l'ont naguères rechassée dans leur citadelle, sans leur vouloir souffrir de remettre le pied dans la ville.

Ce que dom Federico de Tolède[60], general de l'armée espagnole, n'ayant pu endurer sans leur tesmoigner son ressentiment, lascha quelques parolles au desavantage des Portugais; de quoy estant adverty dom Francisco Mascarenhas, gentilhomme portugais de l'ordre de Christo (qui est le principal ordre de Portugal), homme de grande reputation, tant pour avoir fait de grands exploits d'armes aux Ost-Indes que pour avoir esté chef de la faction portugaise qui chassa les Espagnols dans cette citadelle, comme je vous ay dit, employa cinq jours entiers à chercher dom Federico, et l'ayant enfin trouvé seul en une place de cette ville de Lisbonne ditte Terrero de Passo, sur les quatre heures après midy, il luy dit: «Me voilà bien content d'avoir rencontré vostre seigneurie, pour luy demander raison du blasme qu'elle donne aux gentilshommes portugais, dont le moindre vaut mieux que tous les Espagnols; mais afin que vostre meschanceté et impudence face recognoistre vostre tort devant Dieu et le monde, je vous appelle au combat Dos Cardaiz. Amenez-y tant d'Espagnols que vous voudrez: j'ay si bonne opinion de moy qu'avec le tiltre que je porte de Mascarenhas et mon ordre, il y aura assez de moy tout seul pour battre tous les Castillans; il ne reste plus qu'à me donner l'heure, à laquelle je ne manqueray point de me trouver.»

Dom Federico luy respondit en se mocquant: «Je suis bien aise qu'il y ait en ce royaume une personne si vaillante que vous, qui ait la hardiesse d'appeler au combat un général de l'armée espagnole; mais quant à moy, qui suis ministre de Sa Majesté Catholique, je ne le puis accepter.»

Mascarenhas repart: «Je jure par mon ordre que, si vous ne l'acceptez pas, je vous decrieray par tout le monde comme un poltron, et le moindre mal qui vous puisse arriver à la première rencontre est d'avoir l'oreille coupée. Espagnols, quand vous parlez des Portugais, apprenez à mettre les deux genoux à terre.—Eh bien, dit lors Federico, pour faire donc plaisir à si vaillant Portugais, j'accepte l'appel et me trouverai demain au lieu assigné dès les six heures, non, dès les quatre heures après midi, vous donnant avis au parsus que j'iray en général.»

A l'heure dite, dom Francisco Mascarenhas parut le premier au champ où se devoit faire le combat, sans autres armes que l'espée et le poignard; mais vingt-cinq gentilshommes du même ordre le suivoient à cent pas de là, pour voir quelle en seroit l'issue. Dom Federico y arriva aussi, mais fort tard, et après cinq heures, à la teste de trente-cinq capitaines. Lors, après quelques démarches à l'avenant, ils degaînèrent leurs longues estocades, et dom Francisco Mascarenhas disant force injures à l'Espagnol, il luy donna deux coups d'estramasson sur la teste. L'Espagnol fit alors un grand cri, disant qu'il estoit mort; au bruit duquel le neveu de dom Federico bailla un coup d'espée au derrière de la teste de dom Francisco, en suite de quoy les spectateurs accoururent tous de part et d'autre et se meslèrent, de sorte que le combat dura une heure entière. Et toutesfois de la part des Portugais il n'y eut qu'un neveu de dom Francisco tué, mais du costé des Espagnols il demeura sept capitaines sur la place, dont l'accident fit retirer tous les autres. Jugez par là si les Espagnols ont de quoy se vanter.

Fin.


Quinziesme Feuille du Bureau d'addresse, du premier septembre 1633[61].

Terres seigneuriales à vendre.

Une terre seigneuriale en chastelenie, avec toute justice, à quatre lieues au deçà d'Orléans, dans la forest, consistant en beau chasteau bien logeable, terres labourables, vignes, prez, droit de pesche et de chasse, bourg qui en depend, plusieurs mestairies, rentes, droits de patronnage et autres droits seigneuriaux. Elle est de deux mille livres de revenu, le prix de soixante mille livres. V. 3. f. 252. à. 3. v.[62]

2o Une autre au village de Saclé, à quatre lieues de Paris, sur le chemin de Chevreuse, consistant en une maison où il y a court, puits dedans, deux grandes chambres, cuisine, salle, caves, bergerie, estables, droit de colombier à pied, et un jardin d'arbres fruitiers, le tout contenant deux arpens et demi, cent arpens de terre labourable, deux arpens et demi de prez, et seize sols parisis de censives. Elle est affermée cinq cens livres; le prix de treize mille livres. V. 3. f. 44. à. 5. r.

Maisons et heritages aux champs en roture à vendre.

3o Une maison au village de Creteil, à trois lieues de Paris, proche Nostre Dame des Mesches, consistante en porte cochère, cour fermée de murs, colombier; un grand corps de logis où il y a cuisine, salle, trois chambres hautes, deux greniers et une foulerie; clos planté d'arbres fruitiers et d'excellentes vignes, fermé moitié de murailles et moitié de hayes vives; demi arpent de terre labourable et un arpent et demi de vignes. Elle est affermée deux cens livres; le prix de trois mille trois cens livres. V. 3. f. 251 à 4. r.

4o Deux mille arpens de bois, tant en taillis que balliveaux anciens et modernes, entre Rembouillet et Espernon, à six lieues de Mantes et Poissi, lequel bois est exempt de dixmes, de tiers et danger; le prix de quatre-vingts livres l'arpent à tout prendre. On vendra aussi cent cinquante milliers de fagots, sçavoir: ceux de pelart, sept livres dix sols le cent, et les autres non pelez quatre livres. V. 3. f. 256. 3 v.

Maisons à Paris à vendre.

5o Deux maisons vers l'hostel de Nemours[63], l'une consistante en porte cochère, court, caves, escurie pour quatre chevaux, grande salle, quatre chambres, bouges, cabinets et galleries, louée mille livres; dans l'autre il y a porte cochère, petite court, escurie pour trois chevaux, cuisines, caves, puits, quatre chambres, cabinets et greniers, louée six cens cinquante livres; on les veut vendre toutes deux trente-six mille livres. V. 3. f. 251. à. 5. v.

6o Une autre vers la vieille rue du Temple, consistante en porte cochère, place au carosse, court, escurie pour cinq chevaux, trois salles, deux chambres au-dessus de plein pied, l'une desquelles avec un cabinet qui en est proche, sont enrichis de force belles peintures; deux autres chambres, un grand grenier, un autre petit corps de logis au-dessus de la cuisine, où il y a deux chambres. Elle est louée depuis dix ans douze cens livres; le prix de trente mille livres, qui est le denier vingt-cinq. V. 3. f. 249. à. 8. v.

7o Une autre bastie de neuf vers la place Maubert, consistante en deux boutiques, deux caves, court, puits, six chambres avec leurs bouges, un pavillon dessus la montée, dans lequel il y a une chambre et grenier avec une estude à costé. Louée quatre cens livres; le prix de neuf mille livres. V. 3. f. 253. à 6. r.

Maisons à Paris à donner à loyer.

8o Une maison au quartier du Pont-Neuf, consistante en deux portes cochères, deux caves, cuisine, puits, grande salle, sept chambres avec leurs bouges et cabinets, du prix de douze cens livres. V. 3. f. 249. à. 6. v.

9o On veut transporter le bail d'une maison, qui n'expirera que dans deux ans, vers la montagne Saincte Geneviève, consistante en petite porte, escurie pour trois chevaux, court dans laquelle y a un beau cabinet; cuisine, puits, salle, six grandes chambres et trois petites, greniers et caves. Le prix de quatre cens vingt-cinq livres. Il faut que celuy qui prendra ce logis veuille tenir des pensionnaires, afin d'acheter vingt lits et autres meubles qui y sont, et on luy laissera douze pensionnaires qui sont dans ledit logis. V. 3. 252. à. 2. v.

10o Une autre au mesme quartier, consistante en porte cochère, escurie pour six chevaux, place à un carosse et beau logement, du prix de six cens livres. V. 3. fol. 250. à 1. v.

11o Une autre au mesme quartier, consistante en porte cochère, place au carosse, escurie, cour et plusieurs chambres, du prix de neuf cens livres. V. 3. f. 250. à. 1. v.

Maisons à Paris qu'on demande à prendre à loyer.

12o Une maison n'importe du quartier ni du prix, où il y ait porte cochère, place à mettre un carosse et un chariot, et trois ou quatre chambres. V. cl. 3. f. 252. art. 1. v.

13o Une autre au Marais du Temple, vers S. Paul ou ès environs, où il y ait porte cochère, place à un carosse et un chariot, et une escurie pour dix chevaux; on y mettra jusques à douze cens livres. V. 3. f. 252. à 1. v.

14o Une autre au fauxbourg S. Germain ou vers S. André des Arts, de trois cens livres; ou bien, à faute d'en trouver une de ce prix, on se contentera de deux belles chambres. V. 3. f. 252. à 2 v.

15o Une autre à porte cochère, de huict à neuf cens livres, n'importe du quartier. V. 3. fol. 249. art. 2. r.

16o Une autre à porte cochère, ou une portion, où il y ait escurie pour quatre chevaux. V. 3. f. 249 à 2. r.

17o Une maison vers le Louvre, consistante en porte cochère, court, place à un carosse, jardin, escurie pour unze chevaux et grand logement, du prix de seize cens livres. V. 3. f. 250 à 1. v.

Rentes à vendre.

18o Une rente, dont le fonds est de mil livres, constituée au denier seize sur une terre en Gastinois, affermée trois mil livres. V. 3. f. 253. à. 7. v.

Benefice à permuter.

19o Une cure au diocèse de Troyes en Champagne, de six cens livres de revenu, contre quelque petit benefice simple, ou autre cure près de Paris. V. 3. f. 33. à. 2. v.

Offices à vendre.

20o Un office de trésorier des régiments en Limousin, aux gages de cinq cens livres, et quelques autres petits profits. Le prix de six mil livres. V. 3. f. 119, à. 2. v.

21o Un autre de conseiller au parlement de Rouen, pour le prix du dernier vendu, qui est quatre vingt quatre mil livres. V. 3 f. 250. à. 2. r.

Meubles à vendre.

22o Un habit neuf de drap du sceau[64] escarlate, qui n'est pas encore achevé, doublé de satin de mesme couleur avec un galon d'argent. Le prix de dix huict escus. V. 8. f. 253. à. 3. r.

23o Un lit à pentes de serge à deux anvers, vert brun, avec des bandes de tapisserie et la couverture traînante. Le prix de soixante livres[65]. V. 3. f. 253. à. 4. r.

24o Une tanture de tapisserie de Flandres à personnages, de cinq pièces, du prix de cinq cens livres. V. 3. f. 252. à. 2. r.

25o Deux pendans d'oreille, de deux perles en poires bien blanches et unies de quatre carras, pendantes à un croissant d'or, du prix de cent livres. V. 3. f. 251. à. 3. r.

26o Un chapelet à six dizaines d'amethistes avec des grains et une grosse croix d'or, du prix de soixante escus. V. 3. f. 251. à. 2. r.

27o Une chesne de deux cens perles orientales rondes et blanches, du prix de vingt cinq escus pièce. V. 3. f. 249. à. 2. v.

Affaires meslées.

28o On donnera l'invention d'arrester le gibier et l'empescher de sortir du bois et d'y rentrer, quand il en sera sorti, par d'autres lieux que ceux qu'on voudra. V. 3. f. 253. art. 9. v.

29o Une autre donnera l'invention de nourrir quantité de volailles à peu de frais[66]. V. 3. f. 254, art. 10. v.

30o On demande un homme qui sçache mettre du corail en œuvre. V. 3. f. 251. à. 1. r.

31o On demande, à constitution de rente, la somme de huict cens livres, sur bonnes assurances. V. 3. f. 250. à. 2. v.

32o On veut vendre un atlas de Henricus Hondius le prix de quarante huit livres[67]. V. 3 f. 251. à. 1. r.

33o On prestera, à constitution de rente, la somme de mil livres en une partie, mesme au denier vingt, pourveu que ce soit à quelque communauté. V. 3. f. 250. à. 5. v.

34o On demande compagnie pour aller en Italie dans quinze jours. V. 3. f. 249. à. 3. v.

35o On vendra un jeune dromadaire à prix raisonnable. V. 3. f. 253. à. 11. v.

Le premier des deux points desquels il se traitera céans[68], en la première heure de la conference du lundi cinquiesme du courant, à sçavoir: à deux heures après midi, sera des causes; en la seconde heure, on recherchera particulièrement pourquoy chacun desire qu'on suive son avis, n'y eust-il aucun interest; la troisiesme heure sera employée, à l'ordinaire, en la proposition, rapport et examen des secrets, curiositez et inventions des arts et sciences licites[69].

Fin.

Deluge et innundation d'eaux fort effroyable, advenu ès faulxbourgs S. Marcel, à Paris, la nuict precedente jeudy dernier, neufième april, an present 1579.

Avec une particulière declaration des submergemens et ravages faits par les dites eaux.

A Paris, par Jean d'Ongoys, imprimeur, rue du Bon-Puits, près la Porte Sainct-Victor, 1579.

Avec permission[70].

In-8.


Entre les terreurs et espouventements lesquels peuvent survenir à l'homme, se voyent journellement estre les plus à redouter ceux qui viennent inopinement et sans qu'on en soit adverty, par ce que aux autres il y a aucun moyen de s'en pouvoir garantir, et non (ou à grand peine) quand les adversitez viennent lorsque moins nous en sommes advertis; et de ce nous en avons plusieurs exemples, et veuz de nostre temps, aussi autres congneuz par noz devanciers et anciens, principalement quand il faut mettre en rang les impetuositez, ravages et demolitions des eaux, element entre les autres superbe et violent, duquel le cours est invincible, ne pouvant estre retenu.

Outre tout ce que de cet element a esté escrit par infiniz historiens (aucuns desquels je citeray ci-après, parlans de telles innondations), je diray premièrement ce que j'ay entreprins faire sçavoir à ceux qui ne l'ont peust estre veu, touchant une petite rivière (dite de Gentilly) descendant ès faulxbourgs S. Marcel, à Paris: d'autant que sur cela (suivant mon propos) je feray entendre ce qui en est advenu de merveilleux et espouvantable.

Mercredi dernier, huictiesme de ce present moys d'avril 1579, entre unze et douze heures de la nuict[71], l'eau d'une petite riviere, laquelle prend son cours ès faulxbourgs S. Marcel, lez Paris (nommée la rivière de Gentilly, d'autant que de ce village ou peu plus loing elle prend sa source et origine) se desborda si outrageusement à cause des pluyes tombées par deux jours entiers, sans cesser, que de mémoire d'homme ne s'est veu en ce lieu eau plus violente et dommageable que celle-là; et par ce que ceste petite rivière passe, par une infinité de canaux fort estroictz, soubz les maisons de plusieurs particuliers (lesquels pour lors ne luy peurent donner assez de liberté pour s'escouler et esvanouyr[72], estans surprins), elle rompit plusieurs bâtimens de maisons, murailles et autres plusieurs edifices faisans obstacle à son cours, si que, à cause qu'il estoit toute nuict et à heure de repos, elle saisit plusieurs personnes dormans ès lieux bas, grande partie desquels seroyent peris par telle sinistre aventure.

De ceste heure, venant sur le jour, elle creut encor de telle sorte, que ceux lesquels pensoyent estre bien asseurez ès chambres ou estages plus hauts que ne venoit le cours de ceste eau, furent incontinent contraints saillir dehors, craignans la ruyne des maisons, les uns à nage, desquels les moins foibles, soit pour la force de l'eau precipitée et inaccessible, furent incontinent submergez par la fureur et violence de ces ondes, et les autres, pensans y demeurer sauves, furent preservez et quelques-uns trouvez à demy noyez et prests à expirer[73].

Ce ravage a fait tomber es dits faulxbourgs plus de soixante maisons[74] dessoubz lesquelles ont esté accablez plusieurs corps peris et blessez par cet encombre, et ne faut douter qu'il ne s'en trouve encor lorsque l'eau sera retirée d'avantage.

O cas estrange! il s'y est trouvé une dolente et pitoyable mère, laquelle, pensant sauver la vie à son enfant bien jeune et delicat, a esté offusquée de la rage et furie de ceste eau sauvage, tenant son tendre enfant embrassé, lequel on a sauvé respirant encor: ce qui doit veritablement estre esmerveillable, la mère y finer plustôt que l'enfant.

On ne sçait au vray le nombre des personnes qui y sont peris, parce que l'eau n'est du tout retirée et que plusieurs de ceux qui estoyent logez ès bas lieux des maisons ne se retrouvent; seulement on a cognoissance de ceux qui ont esté retirez morts de l'eau, et grand nombre qui ont esté secourus par les voisins, à quoy entre les autres ne s'y est faint un soldat des gardes du Roy, nommé Videcoq, demeurant là auprès (et fidèlement), pourquoy il est grandement à louer.

Plusieurs bestiaux, comme vaches, porcs et autres, ont esté trouvez noyez ès estables où ils estoyent. Tellement que la perte advenue a ce faulxbourg, en ce comprins la ruyne des edifices, est estimée à plus de cent mil escuz[75], sans le dommage faict ès jardins et lieux de plaisance estans en ceste part.

Le dommage de ces grandes eaux n'a esté seulement en un lieu, mais en plusieurs autres, tellement que, sur une heure de la nuict sus dicte, ont esté perceuz sur la rivière de Seine grande quantité de diverses sortes de meubles emportez par la violence subite et inopinée de ces eaux.

Aucuns pourront dire que telles sinistres fortunes ne devroyent estre escrites, et que bien souvent on taist les evenemens saincts et prospères, et se divulguent ceux lesquels ne nous apportent que tristesse et desplaisir; mais d'autant que toutes choses viennent par la volonté divine, et que les historiographes en ont escrit d'autres moindres, et aussi que cela ne sçauroit sinon de tant plus inciter le peuple à contrition de ses pechez sur la fin ce caresme, je n'ay voulu passer soubs silence ceste horrible et dommageable innondation d'eaux, afin que chacun se tienne en la crainte de l'omnipotent et que l'on sache que ses faits sont si incompréhensibles que nul n'en peut avoir aucune cognoissance.

Au surplus, c'est pitié de voir les maisons champestres abbatues, lesquelles sont du long de la rivière de Seine, et croy pour certain que le long des autres fleuves n'y a pas moins de desolation: les pauvres villageois s'enfuyans desnuez de tous leurs biens, estans leurs maisons couvertes d'eaux, leurs champs ensemencez noyez, leur espérance de recueillir assez vaine (n'est la grace du Tout-Puissant), leur bestial en partie emporté et noyé par la violence de ces eaux, lesquelles auroyent ruyné entièrement plusieurs villages, abattu et desraciné infini nombre de grands arbres, emporté plusieurs ponts et grande quantité d'hommes, femmes et enfans submergez dans les ondes; ce que vrayement nous doit bien induire à penitence, car depuis plusieurs années n'en a esté veu une en laquelle soyent advenus plus de desastre par tremblemens de terre et ravages des eaux qu'en ceste cy.

Plusieurs deluges sont advenus par le passé, comme celuy en l'aage de Noé, auquel je ne m'arresteray, ny à celuy de Thessalie, du temps de la captivité des Israelites, affligez par Pharaon peu paravant Moyse; seulement je diray de ceux advenuz beaucoup depuis escrits par plusieurs historiens tant anciens que modernes.

En l'an 200 auparavant la nativité de nostre Seigneur Jesus-Christ, y eut à Rome telle innondation du Tibre que l'armée du consul Appie en fut quasi toute submergée; et depuis par plusieurs fois s'est le dit fleuve tellement desbordé, que ce est grand merveille, quand puis après on remarque les endroits jusques où les dites eaux se seroyent haulsées. Parlons de nostre temps, et seulement nous souvienne du deluge advenu en l'an 1570 en la ville de Lyon, lorsque le Rhosne se desborda de telle sorte que la plus grande partie des edifices assis ès environs le cours de ce fleuve furent emportez et ravis par les ondes, et une infinité de personnes peries par ce ravage.

N'est que les histoires sont toutes plaines de tels desbordemens d'eaux, j'en citerois icy d'avantage, et les ruynes et dommages qu'ils auroyent causé, et que peu cela advient qu'il ne soit suivy de quelques maladies et cherté de vivres; mais je n'ay escrit ce peu pour intimider un peuple, seulement afin de luy mettre devant les yeux une contrition de pechez, et que ce sont chastimens que Dieu nous envoye à fin de nous inciter à penitence, auquel je supplie très humblement nous donner ce qui nous est necessaire[76].

Fin.

La Bravade d'amour, contenant sonnets où sont naïfvement escrites les ruses et les appasts des dames, beautés orgueilleuses, et le mespris qu'on en doit avoir.

Favus distilans labia meretricis, novissima ejus amara quasi absynthium sapientiæ.

A Paris, par Claude Percheron, rue Galende, aux Trois Chapelles.

1611.—In-8.

Avec Permission.


Suivant l'erreur commune où guide l'ignorance,
Je me pasmois aymant une ingrate beauté,
Et, aveuglé d'esprit, en ma naïfveté
Je glissois en l'abus d'une vaine esperance;

J'allois, plain de soupirs, rechercher allegeance
Vers l'objet qui m'estoit object de cruauté,
Et ne pensois qu'à l'œil qui m'avoit arresté,
Comme chacun s'adonne à ce que son cœur pense.

Je me perdois d'amour, de regrets et d'ennuis,
Je soupirois de jour, je lamentois de nuicts,
Furieux, n'ayant rien qu'en l'âme une maistresse,

Et ne descouvrant pas que les dames faisoient
Mille jeux de mespris de ceux qui les prisoient,
Trompé par un bel œil, je mourois de destresse.

II.

Maintenant que je sçay (commençant mon bonheur)
De quel esprit fascheux les dames sont menées,
Suivant en liberté meilleures destinées,
Je me donne plaisir de ma première erreur;

Je recognois l'abus dont cette folle humeur
Agitoit quelquefois mon âme et mes pensées,
Et sans plus me former au cœur telles idées,
Je vivray triomphant, et non pas serviteur.

Je braveray l'amour, et d'une belle audace,
Ne craignant leur rigueur ny souhaittant leur grace,
Des dames je prendrai tout ce que je pourray;

Je les feray resoudre à oublier leur gloire,
A se laisser conduire, à prier et à croire
Qu'elles feront enfin tout ce que je voudray.

III.

Lors que premièrement nous abordons les dames,
Nous qui avons l'honneur de la perfection,
Elles ont (je le sçay) de toute esmotion
Pour nous vouloir du bien les agreables flames.

On cognoist aussi tost les delicates ames
Donner lieu doucement à leur affection,
Et si elles osoient, plaines de passion,
Elles descouvriroient leurs amours par leurs larmes.

Cependant, finement par l'art de leur beauté,
Elles sapent nos cœurs, et nostre volonté,
Aise, se laisse aller à leur bel artifice,

Et nous ne voyons pas combien dedans leur cœur
Se logent de desdains, de mepris et d'erreur,
Mais nous sacrifions nostre âme à leur malice.

IIII.

Leur faisant les doux yeux, nos vœux elles reçoivent,
Et d'un soupir larron feignans mesme desir,
Nous tirent doucement pour se donner plaisir
Par les evenemens qu'au cœur elles conçoivent.

Vrayment, quand doucement nostre âme elles deçoivent,
De je ne sçay quel bien nous nous sentons saisir;
Que, peu considerez, nous n'avons pas loisir
De voir en leurs façons ce que tous apperçoivent.

Ainsi subjects d'amour, leurs yeux nous adorons;
Nous nous rendons captifs, nous prions, nous pleurons,
Tous humbles, leur rendans devoir d'obeyssance;

Et lors elles, qui sont d'un cœur rude et hautain,
Se jouent de nos pleurs, et, fières en desdain,
Bravent nostre sottise avec trop d'insolence.

V.

Il faut avoir un cœur pour aller à la guerre,
Et non pour se laisser aux femmes abuser.
Il ne faut aux appas d'un bel œil s'amuser,
Ains prendre ses esclairs pour un rude tonnerre.

Il ne faut pas qu'une âme indiscrettement erre
Pour un lustre d'abus que l'on doit mespriser,
Mais il faut vivement son courage atiser
A surmonter l'orgueil, qui trop fier nous atterre.

Quand nous aurons les cœurs si dignement formez,
Pour des vaines beautez ne serons animez,
Mais sçaurons à propos gouverner nos pensées.

Alors, pleines d'amour, les dames nous prîront;
Humbles, elles viendront à ceux qui les voudront,
Et si s'estimeront encore bien prisées.

VI.

Si quelque dame est belle, elle aura le cœur fier,
Heureux estimera ceux qui parleront d'elle,
Et plus heureux encor cil qui, la trouvant belle,
A ses pieds osera humble s'humilier.

S'elle pense sçavoir en son esprit leger,
Imaginant tousjours quelque chose nouvelle,
Vers les hommes sera vaine, ingratte, rebelle,
Rude à qui la voudra doucement supplier.

Si elle a des moyens, fondée en sa richesse,
Triomphera galande[77] en faisant la maistresse,
Et, pleine de fierté, fascheuse, bravera.

Mesme s'elle estoit laide, ignorante et haire[78],
Elle aura de l'orgueil, car elle pensera
Qu'elle a je ne sçay quoy dont nous avons affaire.

VII.

Je ne regrette point, douce-belle maistresse,
De vous avoir servy, car vous le meritiez;
Mais, loin de ce bel œil duquel vous m'allumiez,
Je plains d'avoir cogneu des autres la rudesse;

Ma belle, vivez donc sans peine et sans detresse,
Et vous, vivez aussi, vous qui humiliez;
Mais vous dont le cœur feint fait que fière soyez,
Perissez de fureur, de despit, de tristesse.

Belle, quand j'adorois l'honneur de vos beaux yeux,
Humble je leur estois, car ils m'estoient piteux;
Mais les autres beautez indignes qu'on admire

Pour se faire valoir font mourir un amant,
Et à plusieurs amis octroyent librement
Ce qu'un pauvre abusé mal à propos desire.

VIII.

Vous ne sçavez que c'est, vous qui blasmez amour;
Vous n'avez point senty d'un bel œil la blessure,
Mais vains et paresseux ennemis de nature,
Passez loing de l'honneur indignement le jour.

Vous sçavez bien que c'est, vous qui prisez l'amour,
Qui dans le cœur avez d'un bel œil la blessure,
Qui, prompts et diligens, dignes fils de nature,
Passez selon vertu heureusement le jour.

Tous ces propos sont beaux et faits à fantaisie;
Un chacun eslira le sentier de la vie,
Estimant bon et beau le chemin qu'il prendra.

Mais moy j'estime digne, heureux, accort et sage
Qui gentil, jouyssant de son libre courage,
Sy non pour passetemps, aux dames n'entendra.

IX.

Lamenter à part soy pour une beauté vaine,
Importuner le ciel de ses cris amoureux,
Sans cesse regretter, se plaindre malheureux,
Et se feindre à son gré la douleur d'une gesne,

Passionner[79] son ame et s'emmaigrir de peine,
Appeler un bel œil, or doux, or rigoureux,
Idolâtrer l'objet pour qui, tout langoureux,
On souspire son mal d'une piteuse aleine;

Prier honteusement une femme qui n'est
Ny beauté ny vertu qu'autant qu'elle nous plaist,
Et, souffrant son dédain, en tourmenter sa vie,

Avecques trop d'honneur, lasche s'assujettir
A la femme, qui n'est née que pour servir,
Ce sont, à dire vray, des effects de folie.

X.

Que vous estes genez, vous, pauvre douloureux!
Si vous aviez senti de la gesne la presse,
Vous n'auriez point au cœur le nom d'une maistresse,
Et n'auriez en l'esprit les desirs amoureux.

C'est bien faute de cœur à l'homme langoureux
De se forger ainsi une dure destresse;
Au lieu que d'un sang chaud que la grandeur adresse,
On se doit monstrer fort, prudent et genereux.

Qui est celuy qui nous irrite,
Dira quelque belle depite,
Et ne trouve en nous rien de bon?

C'est un qui à tous fait entendre
Que, si ne vouliez nous le vendre,
N'en mettriez à l'air le bouchon.

Fin.

Description du Tableau de Lustucru[80].

Amy, si tu es curieux
De voir une pièce plaisante,
Escoute, jette un peu les yeux
Sur cette image icy presente:
En ce Tableau plusieurs sujets
Sont representez et portraits
Par une excellente graveure;
Et chaque chose au naturel
Est tracée en cette figure
Par l'art d'un burin immortel.

Il faut qu'à rire tu t'apreste
Voyant qu'un nouvel ouvrier
Bon forgeron de son mestier
S'exerce à forger une teste:
Si Boudan, ce sçavant graveur,
Est de vray le père et l'autheur
De son nom et de sa naissance,
Ce beau nom qui va triomphant
Signale autant sa suffisance
Que l'estre de son propre enfant.

Ce gros vallet refond icy
Une teste fière et facheuse,
Dont l'espoux matté de soucy
Souffroit l'humeur capricieuse:
Un sang fumeux et bouillonnant
Sort des veines abondamment
Brûlé d'une ardeur colerique,
Il s'efforce avec action
A la faire plus pacifique,
Et la rendre sans passion.

Cet homme est des plus admirables
A raffiner tous les metaux,
Et changer ces fiers animaux
En belles assez raisonnables.
Or, pour marque de son sçavoir,
Dans sa loge vous pouvez voir
Des testes de femmes et filles
Qu'il a fondues dextrement,
Et fait devenir plus docilles
Par l'effort de son instrument.

On repare icy les cerveaux
Des femmes les plus obstinées
Qu'on arrive en mille vaisseaux.
Pour mettre sous ses cheminées.
Ce vallet qui court promptement
Les reçoit à chaque moment,
Ravy de voir tant de pratique.
Cet homme avec son hottereau
Va decharger en la boutique
La pesanteur de son fardeau.

Un certain envoye à la forge,
Par un crocheteur rude et fort,
Malgré elle et tout son effort,
Sa femme, afin qu'on la reforge.
Elle veut toujours resister,
Mais enfin il l'y fait porter
Pour qu'on l'y refasse la teste.
Vous y viendrez, chez le limeur,
Luy disoit-il, méchante beste,
Pour faire changer votre humeur.

Sur le dos d'une beste asine
Deux paniers je vois proprement
Qu'un singe assis plaisamment
Guidoit avec une houssine;
L'animal gemit sous le faix
De ces testes pleines d'excès
Dont on souffre tant de caprice.
Au dessous on voit en escrit:
Il est plus chargé de malice
Que le singe qui le conduit.

En voicy une infinité,
A pied, à cheval, en civière,
Qui viennent de chaque costé,
Comme en cage, en coche, en littière;
On les porte chez l'artisan,
Qui se montre lassé d'ahan
Lors que sur la langue il les touche;
Car, les retirant du fourneau,
Pour adoucir leur fière bouche
Il la rabat de son marteau.

Or, l'enseigne de sa maison
C'est une femme decollée,
Qu'à bon tiltre et juste raison
Tout-en-est-bon il a nommée.
Pour son secret rare et divin
On l'appelle le medecin
Et l'operateur cephalique;
Et, comme il est tres-obligeant,
Il aide de son art chimique
Sans recevoir aucun argent.

Mais si cet homme incomparable
Fond les testes si dextrement
De ce sexe altier et charmant,
Qui nous est tant inexorable,
On en doit pourtant excepter
Ces objets qu'on voit habiter
La merveille des autres villes,
Où, sans perdre leur gravité,
Les dames sont aussi civilles
Qu'elles sont pleines de beauté.

Elles surpassent en blancheur
Le teint du lys et de la neige;
Et leur attrayante douceur
Finit un tourment, ou l'allege.
Leur taille, leur grace et leurs yeux
Font des efforts victorieux
Sur les cœurs des plus indomptables;
Et leur bouche, et leurs belles mains,
Sous des loix assez equitables
Asservissent tous les humains.

Ce n'est donc pas dessus sa forge
Que cet insigne LUSTUCRU,
Grand raffineur d'esprit bouru,
Ramolissoit leur belle gorge.
Les belles dames de Paris
Font trop d'honneur à leurs maris,
Pour meriter qu'on les relime;
Et celles que les ouvriers
Repurgeoient d'ordure et de crime
Estoient toutes d'autres quartiers.

Mais que vois-je icy de nouveau?
Sont des femmes qui font carnage,
Et qui, dans cet autre tableau,
Exercent leur fiel et leur rage;
Sur le corps d'un seul innocent
Elles vont toutes s'empressant
Pour le trancher en mille pièces;
Sans doute il n'evitera pas
La fureur de tant de tigresses,
Qui luy vont causer le trespas.

Qu'elles monstrent de passion
En faisant cette boucherie,
Et qu'en cette infame action
On voit de rage et de furie!
A coups de besche et de marteaux,
De pelle, de broche et coûteaux,
Elles luy font mille taillades;
Et cet excellent reforgeur,
Aussi bien que ses camarades,
Est bafoué comme un voleur.

Bien qu'elles soient toutes galantes,
Et que de riches just-à-corps
Ornent la beauté de leurs corps,
Elles contrefont les bacchantes.
Hola! belles, arrestez-vous!
Ne ressemblez pas à ces foux
Qui ne veulent qu'on les reprenne,
Et ne vueillez pas massacrer
Celuy dont la forge et la peine
Concouroit à vous reparer.

Si Penthée, fils d'Echion,
Meurtry dans sa terre natale,
Souffrit l'horrible oppression
D'Agavé, sa mère brutale,
Il avoit un peu méprisé
Ce Dieu si fort authorisé,
Qu'on revère dans la Bourgongne,
Mais le sujet de vos fureurs
Montre bien par sa rouge trongne
Qu'il aime le Dieu des beuveurs.

Mais, pimbèches pleines de rages,
Ces discours ne vous touchent pas,
Et vous l'allez mettre au trépas
De peur qu'il ne vous rende sages.
On dit que vostre intention
Est de traitter en espion
Cet autheur de tant de mystères,
En haine d'un de ses ayeux
Qui découvrit vos adultères
A la face de tous les Dieux.

Les Menades en leur transport
Commirent la mesme injustice,
Persecutans jusqu'à la mort,
Le noble mary d'Euridice.
Et, voyant ce chef tronçonné
A mille opprobres destiné,
Dont vous élevez un trophée,
Il me resouvient qu'autre fois
Les femmes tuèrent Orphée
Pour s'estre mocqué de leurs lois.

Enfin, tant d'excès rigoureux
Luy ont ravy sa pauvre vie,
Sans que dans son sort mal-heureux
Vostre ire puisse estre assouvie;
Car, après l'avoir saccagé,
Et de mille coups outragé
Par une fureur meurtrière,
Vous l'y donnez honteusement
Le beau milieu d'une rivière
Pour honorable monument.

Toutefois, perfides mutines
Qui l'avez tué méchamment,
Vous recevrez le châtiment
De ces cruautez feminines:
Car il eust purgé vos espoux
D'un esprit fantasque et jaloux
S'il eust peu vivre davantage;
Mais vous sentirez leurs rigueurs,
Leurs dépits, leur fougue et leur rage,
Comme il a senty vos fureurs.

Catalogue des Princes, Seigneurs, Gentilshommes et autres qui accompaignent le Roy de Pologne.

A Lyon, par Benoist Rigaud, 1574.

Avec permission.

In-8[81].


Benoist Rigaud[82] aux Lecteurs.

M'estant de tout temps voué au service du public, je desire ne laisser chose en arrière qui puisse proffiter ou delecter; pourtant, ayant recouvert le present catalogue des Princes, seigneurs et autres conduisans le roy de Polongne en son royaume, je le vous ay bien voulu communiquer, lecteurs debonnaires. Je suis tout asseuré que le depart de ce magnanime prince de la très noble et très illustre maison de France causera un regret indicible à tout vray François; mais, considerant que Sa Majesté s'achemine à un ample et florissant Royaume, duquel la coronne luy est apprestée, au grand contentement et resjouissance de tous ses fidèles sujects en iceluy, vous ne devez de vostre part luy envier son heur, ains en souvenance de ses rares vertus, bonté naturelle, et de ses plus que heroïques deportemens en ses tendres ans[83], au service de noste Roy très chrestien, son frère, et de la patrie[84], prier Nostre Seigneur pour sa prosperité. A Dieu.

Premierement.

La maison de Sa Majesté, assavoir: maistres d'hostel, escuyers, gentilshommes servans, vallets de chambre et autres officiers, c chevaux.
Monsieur de Villequier, grand maistre et grand chambellan[85], 24
Monsieur de Chomberc, grand mareschal de la court[86], 14
Monsieur de Villequier l'aisné, premier gentilhomme de la chambre[87], 9
Monsieur le viconte de la Guierche, maistre de la garderobe[88], 9
Monsieur de Larchant, capitaine de la garde[89], 8
Monsieur Miron, premier médecin[90], 4

Chancellerie du dit Seigneur.

Monsieur de Pibrac[91], conseiller au conseil privé du Roy, 9
Monsieur Sarred, secretaire d'Estat, 9
Monsieur de l'Isle[92], 8
Monsieur de Beaulieu, sieur de Ruzé, secretaire ordinaire[93], 9
Monsieur le tresorier general, 9
Monsieur des Portes, secretaire[94], 3

Princes.

Monsieur de Nevers[95], 35
Monsieur le marquis du Mayne[96], 30
Monsieur le marquis Dalbeuf[97], 25
Monsieur le grand prieur[98]. 25

Ambassadeurs.

Monsieur de Bellievre[99], 15
Messieurs les Ambassadeurs de Pologne, qui sont neuf, et la garde à cheval. 66

Seigneurs, chambellans et gentilshommes de la chambre.

Monsieur de la Roche-Pousay, conseiller du Roy en son conseil privé[100], 8
Monsieur de la Guiche, gouverneur du Bourbonnois[101], 8
Monsieur de Seissac[102], 6
Monsieur de Bessigny, 6
Monsieur de la Roche Guyon[103], 6
Monsieur du Gas[104], 6
Monsieur de Belle-Ville[105], 6
Monsieur de Lessum[106], 6
Monsieur de Couldray, 6
Le colonel Otho Planto[107], 6
Monsieur de Ruffé de Bourgoigne[108], 6
Monsieur de Clermont d'Antragues[109], 6
Le sieur de Castelnau[110], 6
Le sieur de Combault[111], 6
Le sieur de Ruffy[112], 6
Monsieur le conte Coccomaz[113], 6
Monsieur de Beauvais Nanzi[114], 6
Monsieur de la Nocle[115], 6
Monsieur de Crillon[116], 6
Monsieur de Rouvray[117], 6
Monsieur d'Antragues le jeune[118], 6
Monsieur de Cheverand la Roche[119], 6
Monsieur de Beaufort[120], 6
Monsieur de Chasteau-Vieux[121], 6
Monsieur de Ranty[122], 6
Monsieur de Lyancourt[123], 6
Monsieur Dampierre[124], 6
Monsieur de Champvallon[125], 6
Monsieur de Ganaches[126], 6
Monsieur de Quellus[127], 6
Monsieur l'abbé Gadayne[128], 6
Monsieur de Sainct-Luc[129], 6
Monsieur de Rochefort le jeune[130], 6
Le sieur d'Inteville[131], 6
Le sieur de Camille[132], 6
Le sieur d'Aurigny. 6

Secretaires et interprètes.

Note que monsieur de la Mauvissière vient jusques à Mayance[133].

Rolle du nombre d'hommes qui sont à la première troupe, conduite par monsieur le mareschal de Retz.

Premièrement.

  • Le dict sieur mareschal[134],
  • Le colonel Stampiz[135],
  • Le grand aumosnier et les chapellains.
  • Le sieur Loys de la Mirande, capitaine de gens d'armes.
  • Monsieur de Montmorin, premier escuyer de la Royne[136].
  • Monsieur de Rissay[137].
  • Monsieur le conte de Chaulne[138].
  • Monsieur de Tavanes le jeune[139].
  • Le sieur de Nenny.
  • Le sieur de Beaumont.
  • Le sieur Petre-Paulo Tasimghi[140].
  • Monsieur de Nogerolles[141].
  • Monsieur de Gordes le jeune[142].
  • Monsieur de Sainct Denys[143].
  • Messieurs d'Aux, l'aisné et le jeune[144].
  • Monsieur de Briannes[145].
  • Monsieur Danglures[146].
  • Monsieur de la Tour[147].
  • Monsieur de Rostaing le jeune[148].
  • Monsieur de Suze[149].
  • Monsieur de Chamesson.
  • Son frère.
  • Le sieur de la Raverye.
  • Monsieur de Harlay.
  • Monsieur de Fontenay[150].
  • Monsieur le Normant.
  • La Hillière.
  • La Rouvette.
  • Blanchet.
  • Monsieur de Sainct Supplice[151].
  • Les gentilshommes polognois qui sont à la première trouppe.
  • Plus tous les gentilshommes servans de Sa Majesté.

Fin.

Lettre circulaire à tous les seigneurs de la cour pour leur donner advis de la mort du grand Macaty, singe de S. A. S. M. le C. D. C., et pour les inviter à sa pompe funèbre[152].


De par Dragon[153], fidèle amy
Et compère de Macaty,
A la respectable jeunesse
Quy brille en ce beau sejour
Et d'un auguste roy compose la cour,
Salut! mais salut de tristesse.

Comme tout finit icy bas
Qu'il est un moment fixe où tout ce quy respire
Doit grossir de Pluton le sombre et vaste empire,
Quadrupèdes, humains, bergers et potentats;
Qu'à ce fatal arrest toute espèce asservie
Subit la même loy du sort,
Et qu'en tout ce qui nait le germe de la vie
Devient un principe de mort,
Macaty, né sujet à ceste loy sevère,
Vient de payer au Styx le tribut necessaire.
Macaty, singe en son vivant,
Mais singe d'illustre memoire,
Singe dont à jamais doit vivre ici la gloire,
Singe courtois, singe amusant,
Delices d'une cour fleurie,
Singe fleur de singerie,
Singe subtil, singe badin,
Faute de dents singe benin;
Singe enfin qui de son espèce
Avoit, sans les deffauts, toute la gentillesse,
Ce même Macaty n'est plus!
Mais du pauvre animal sur la funeste rive
L'ombre encore errante et plaintive,
Desdegnant des pleurs superflus,
Exige seulement qu'on se haste de rendre
Les derniers devoirs à sa cendre.

Et demain, par ordre du roy,
Pour soulager le mort, pour consoler ses mânes,
On doit celebrer son convoy,
D'où seront exclus tous profanes.
Vous seuls, habitans de la cour,
Dument instruits par ces presentes,
En habit noir, mantes traînantes,
Venez par votre hommage honorer ce grand jour.
Surtout qu'une honneste contenance,
Interprète de vos douleurs,
A travers un morne silence
Exprime aux yeux de tous ce que sentent vos cœurs.
Car, pour qu'aucun n'allègue excuse d'ignorance,
Nous, Dragon, nous faisons extrême deffence
A tout courtisan invité
De venir en ces lieux, par un ris sacrilége,
Profaner du convoy la noble gravité,
Insulter au deffunt et troubler son cortége.


Épitaphe.

Macaty, ce pauvre animal,
Victime du ciseau fatal,
Est mort à la fleur de son âge;
Macaty, qui si joliment
Avoit fait, je ne sçay comment,
Un grand prince à son badinage,
Macaty n'est plus! Quel dommage!


Autre.

J'ai vécu, ma course est finie;
Mais, tombant sous ses coups, je triomphe du sort,
Et me console de ma mort
Par l'honneur dont elle est suivie.

Ce nouveau monument, qui s'élève à vos yeux
Par les soins de Louis, consacre ma mémoire;
Les plus fameux héros que célèbre l'histoire
Trouveroient mon sort digne d'eux.


Autre.

Singe sans fourbe et sans malice,
Singe de cour sans artifice,
D'un prince que j'aimois favori sans hauteur,
Son domestique sans bassesse
Et son complaisant sans fadeur,
Je sçus par mes talens mériter sa tendresse.
Homme, de qui le lot fut, dit-on, la raison,
Souffre que je te parle en maistre:
Mon portraict, utile leçon,
T'apprend ce que tu devrois être.

De l'imprimerie de Jean Batiste Coignard,
Imprimeur ordinaire du Roy.

1723.
Avec permission.

Le vray discours sur la route[154] et admirable desconfiture des Reistres[155], advenue par la vertu et prouësse de Monseigneur le Duc de Guyse, sous l'authorité du Roy, à Angerville, le vendredy xxvij de novembre 1587; avec le nombre des morts, des blessez et prisonniers.

A Paris, par Pierre Chevillot, au Palais, en l'allée de la Chapelle Saint-Michel.

M.D.LXXXVII


Encores que nous soyons en possession sur tous les autres peuples de la terre de ce beau et excellent tiltre de tres chrestien peuple françois, si est-ce que nous sommes si prompts à nous deffier de la grace et misericorde de nostre Dieu, que, lors que les affaires ne nous viennent à poinct nommé et selon que nous les avons pourpensées, nous nous laissons très-lachement couler en une desasseurance de la bonté divine: il ne fault pour preuve de mon dire que les occurences du present. Noz deportemens portent tesmoignage contre nous-mesmes. La saison nous a esté très-apre, la disette grande, la famine universelle. Nous nous laissons presque emporter au long et au loing.

Mais lorsque le desespoir est prest de nous gaigner, la largesse celeste nous retient: la main de Dieu ouvre ses benedictions et thresors d'abondance: il nous remplit de tant de biens, que nous nous trouvons grandement empeschez à les resserrer. Pour cela, nostre legereté ne peult estre asseurce avec solidité en la puissance celeste; nous faisons de mesmes que ceux lesquels, eschappez d'une très perilleuse tourmente, lorsqu'ils se trouvent à bord, ne se ressouviennent du danger auquel ils ont esté; avons-nous des biens à planté[156], il nous semble que nous ne sommes plus ceux lesquels estions battus de la famine, de la souffrette et nécessite.

Et pour ce, afin de nous resveiller, Dieu a permis que l'aquilon a chassé en nostre France une formillières de hannetons, deliberez non point de brotter seulement le tendron de noz arbres, mais de s'emparer de l'estat, nous bannir de nostre propre terre, nous en chasser. Ce coup de fouet a fait gemir les plus advisez souz la juste prudence de nostre Dieu, recognoissans que sa Majesté estoit grandement indignée contre le peuple françois, en ce qu'à peine avoit-il le pied tiré hors de Scylle, qu'il choquoit Charybde; la famine n'estoit presque appaisée, que la guerre venoit moissonner le rapport de l'année, et qui pis est menaçoit l'estat françois de submersion, et nostre saincte Eglise catholique, apostolique et romaine d'esbranlement.

Tant de soupirs, tant de regrets, tant de gemissements, enfin ils ont tasché à semondre la clemence divine à prendre pitié et commiseration des desolations de nostre France, et des restes de son Eglise sacrée, par vœux, par penitences et par autres œuvres devotieuses. Les autres ont pensé qu'il failoit opposer la force à la force, et monstrer à ceste racaille estrangere quelle estoit la vertu des François; ils y ont porté ce qui s'est peu, la générosité, la magnanimité, l'adresse, leurs moyens, y ont exposé leur propre vie. Les autres, faillis de cœur et tournans le dos à la masle dignité du nom françois et de la magnanimité chrestienne, ont voulu que l'on traictast avec l'estranger[157].

Aucuns d'eux mesmes ont esté tellement pippez, que, se deffians d'eux-mesmes et de l'assistance celeste, ils se sont rangez avec eux, et de vrais et naturels François qu'ils estoient, ils se sont lachement bandez contre la propre France. Qu'ils prennent tel masque qu'ils vouldront, ils ne se sçauroient sauver que l'on ne les repute pour estre tombez en deffiance de la bonté de Dieu.

Voire mais, ne taxons point. Bien peu d'entre nous se trouveront qui, par l'apparence humaine, ne fit jugement que se rendre du costé des reistres c'estoit suyvre le party le plus fort, une armée estrangère de trente à quarante mil hommes, despouillée de toute humanité, ne respirant que le ravagement de cest estat, secondée des intelligences que le party huguenot et de noz chrestiens à simple semelle avoit pratiqué en France, estoit bien pour affoiblir les forces de la France, et renforcer l'ennemi de nostre France.

Ne faisons point des vaillans et des trop asseurez; nous nous trompons nous mesmes si nous nous voulons coucher pour avoir esté sans peur. Ceste grande et efformidable force nous effrayoit seulement dès qu'elle estoit delà le Rhin. Elle le passe, elle donne jusques au cœur de la France. On fait mine de luy faire teste, elle gaigne pays. Desja se promettoit la conqueste de ce très florissant royaume françois; desja ces brodes[158] se partageoient entre eux nos despouilles, dissipoient cest estat françois, y batissoient leurs tudesques colonies, et pour combler la France d'infelicité, luy vouloient ravir ce beau lys de très-chrestienté, pour y planter la cigüe d'atheisme, d'huguenotisme, d'impiétée et heresie. He! pauvre peuple françois, où estois-tu? Tu ne perdrois point seulement la franchise françoise, mais aussi ta foy chrestienne.

Tu allois souffrir la tyrannie de l'estranger. Lorsque tu es aux abbois de perdre cœur, et que l'Alemand bransle son estendard au milieu de tes terres, voicy le Dieu du ciel qui te veult apprendre qu'il ne t'a jamais perdu de veue, qu'il t'a gardé, qu'il a eu pitié de toy; il nous a mis à l'esperance, non point pour nous perdre, ains pour ce que noz pechez ont attiré sur nous sa juste indignation. Le reistre nous a la pistole sur le gosier; il ravage notre France; elle est tellement bigarrée, que tant de milliers de François qui l'habitent, à peine s'est trouvée une poignée de François qui ait voulu combattre ceste volée de voleurs estrangers.

Le roy a eu des forces; quelque partie de sa noblesse l'a assisté, mais cela estoit-ce pour opposer à ces Tudesques? Ce grand et valeureux prince monseigneur le duc de Guyse avoit quelques troupes, mais qui n'esgalloient de beaucoup près en nombre celles des estrangers; toutes fois, comme jamais la vertu ne se fait bien paroistre que lors qu'il y a apparence qu'elle ne peut subsister, aussi ce non moins prudent que martial prince, voyant un tel monceau d'estrangers, delibère, à quelque pris que ce fut, restaurer la reputation et la vertu françoise et d'exterminer les espouvantaux d'ames tièdes et non françoises, leur passer sur le ventre, en engraisser et fumer les champs françois, et qu'ils publioient que c'estoit à luy qu'ils en vouloient, leur faire ressentir que sa generosité estoit trop heroique pour souffrir le choc de ces ames venales; alors, avoir veu quels ont esté ses exploits en la deffaicte qu'il fit à Villemory pres Montargis[159], comme il fit perdre la vie aux ennemis qui estoient en nombre de quinze à seize cens, lesquels demeurèrent morts sur la place, sans compter les blessez et les prisonniers, et bien quatre cens chariots qu'ils pillèrent et furent brusler une grande partie, outre seize cens chevaux de butin.

La deffaicte d'Auneau[160] est singulièrement remarquable, pour y avoir esté faicte une execution merveilleuse de ces miserable reistres, sept de leurs cornettes deffaictes, trois cens de leurs chariots bruslez, deux mil cinq cens d'entre eux morts, sans compter les blessés et prisonniers, qui estoient en nombre de trois cens hommes, et soixante qui gaignerent le hault par l'une des portes du village d'Auneau, et emporterent deux cornettes avec eux; oultre ce ils ont deux mille chevaux de butin, sans ceux qui furent bruslez. Exploicts que je celèbre volontiers, comme je me resjouis de ce qu'il plaist à Dieu de benir les sainctes et vertueuses entreprinces de ce magnanime prince, non point pour nous faire chanter (comme l'on dit) le triomphe avant la victoire.

Ceste descharge n'escruoit pas beaucoup l'armée ennemie; il sembloit qu'ils se roidissent d'avantage contre leur desconvenue.

Cependant monseigneur de Guyse se retire à Dourdan, et envoyé à Estempes prier et louer Dieu par les Eglises de la grace qu'il luy avoit faict d'avoir eu un si grand heur à la desconfiture de ces reistres, ce qui fut faict mardy au matin par une grande messe chantée avec le Te Deum laudamus[161]. A peine fut parachevée l'action de grace, que nouvelles vindrent que les reistres, esperdus au possible de l'eschec que mon dit seigneur venoit de leur livrer, s'acheminoient droict à Angerville[162] pour prendre deliberation de ce qu'ils devoient faire; et là faisoient estat d'y sejourner le mercredy vingt cinquiesme de novembre lendemain de la deffaicte d'Aulneau; mais ils entendirent que mon dit seigneur de Guyse avoit volonté de les aller combattre, mesmes esventerent qu'il estoit party d'Estempes avec ses forces.

Ce qui leur donna un extreme allarme, s'attendans bien de n'avoir meilleur marché que leurs compagnons d'Auneau.

Si jamais vous avez veu des personnes complices d'un vol, et qui, voyans ceux qui leur ont assisté au vol monté sur l'eschelle du gibet, prest à estre jetté du haut en bas, et que d'eux on s'informe de ceux qui ont assisté au vol qui leur ont tenu escorte, vous pourrez vous représenter ces reistres; ils avoient veu quel traictement mon dit seigneur de Guyse avoit faict à leurs compagnons, tant à Villemory qu'à Aulneau; qu'il n'en laissoit eschapper pas un qu'il ne luy fist rendre gorge et poser le butin qu'il avoit fait en France; ils trembloient en eux mesmes, et estoient aussi peu asseuré qu'est le pauvre criminel, lequel ayant receu la condamnation de mort, a en queue l'executeur de la haulte justice, qui le tient attaché du licol par le col. Que font ils? De se sauver, ils ne peuvent. Ils sont prevostables non domiciliez, et pourtant prevoyent bien qu'ils ne peuvent decliner ny reculer en arière, moins pallier la verité, ont recours à la misericorde de la justice; les autres, comme ils se sentent horriblement miserables pour leurs forfaicts, desesperans que la justice puisse aucunement leur faire grace et misericorde, brisent et rompent les prisons.

De mesme, peuple françois, il en est pris aux ennemis de la France. Les Suisses, recognoissans qu'ils avoient offensé griefvement contre la majesté du roy, ont tasché de le rappaiser; il n'ont cessé à le poursuyvre de leur vouloir donner un pardon et passeport à ce qu'ils eussent moyen d'eux retourner en leur pays, protestants de ne porter jamais les armes en France contre sa dicte Majesté, ny contre l'Eglise catholique, apostolique et romaine, benefice duquel, jaçoit qu'ils s'en soient renduz indignes par leur grande forfaiture, si croi-je qu'ils jouyront, ayans affaire à un prince lequel, instruit par le Sauveur de tous les humains, ne desire point la mort du pecheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive; ils ont requis mercy à ce grand et invincible Henry, lequel se repute à une victoire très signalée de ce qu'il se rend vainqueur de soy mesme, quittant à ces miserables l'offense, laquelle il avoit moyen de vanger.

Et quant aux reistres et autres François bigarez, qui ont conjuré avec l'estranger contre la France, ils s'en sont enfuis; ils n'ont osé comparoir devant le soleil de justice, devant la majesté du roy très chrestien, leur propre conscience leur donnant affre[163]: ils ne se sont osé asseurer; ils ont fremy de peur. Eux mesmes se sont mis en vau de route pour eviter la justice du prevost; ils ont levé le siege, ils ont brisé les prisons, ils ont bruslé leurs chariots et bagaiges, enterré leur artillerie, pour monstrer qu'ils avoient du courage et de la force par les talons.

Mais, je vous prie, considerons un peu à part nous, peuple françois, qui nous a mis la victoire en main? Qui a humilié ces Suisses? Qui a estouppé et bridé ces pistoliers? Ce ne sont point les forces françoises: l'estranger nous surmontoit. Ce n'est point le bras humain: le prince du monde avoit desployé sa puissance contre l'estat très chrestien, esperant de donner soudainement le coup de ruine à l'epouse de Jesus-Christ. C'est donc Dieu qui a rendu noz ennemis esperdus. Noz forces ont esté les bouteilles de Gedeon. En un mot, peuple françois, si tes ennemis ont vuidé la France, si la France jouit de sa franchise, n'impute point ce bien à la prudence humaine: elle ny voyoit goutte; moins à noz forces: elles estoient trop foibles; ains à la toute puissante grace de Dieu, lequel a voulu encores pour ce coup te garentir des pattes du loup et de la griffe du lyon. N'espère qu'en luy; ne l'appuie sur ce qui est de l'extérieur. Dieu fait ses miracles et œuvres prodigieuses lors que toutes choses sont reduites au desespoir. De ma part je presage, mes vœux tendent là, que Dieu veult retirer son courroux de nostre France, moyennant que par recognoissance de noz faultes et repentance de noz pechez nous nous rendons capables de sa digne faveur.

Desja, peuple chrestien, françois, parisien, je vois que tu te veux estranger au nombre des ingrats et mescognoissants, attendu que si tost que ceste heureuse nouvelle de la route de noz ennemis nous a esté annoncée, il n'y a eu celuy d'entre nous qui ne se soit bandé pour en remercier humblement la majesté divine; et pour plus particulièrement tesmoigner l'obligation que tous unanimement nous avons recogneue avoir reçue par ceste signalée desconfiture, nous nous sommes tous assemblez pour presanter à la divine majesté l'hymne Te Deum laudamus, messieurs de la cour et autres corps de la ville y assistans avec une grande et solennelle ceremonie.

Dieu par sa saincte grace vueille que ce soit avec fruit et utilité, et face prosperer à toujours les heureux et sages desseins de nostre Roy, l'assiste de bon conseil chrestien et prudent, à ce que ce royaume françois puisse fleurir à son honneur et gloire, et à l'edification de sa sainte Eglise.

Courage donc, peuple françois! Tu vois le Dieu des armées de ton costé, qui empoigne la querelle, qui tracasse les ennemis, qui donne du courage et de la force au vrais chrestiens et François pour chasser l'estranger; que l'heur est inopinement de ton costé, que tu jouis de la victoire, que noz ennemis ont reçeu la perte, le dommaige et le joug; que le champ de la battaille nous est demeuré. Il te faut en louer et benir la majesté divine, et la supplier que tousjours il luy plaise de continuer sa favorable assistance, tendre les mains à sa bonté.

Fin.

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