Variétés Historiques et Littéraires (09/10): Recueil de piéces volantes rares et curieuses en prose et en vers
La Promenade du Cours[164] à Paris.
M.DC.XXX
Ces carosses dont la rencontre
Contente si fort nos esprits,
Tous ces beaux objects que Paris
Meine au Cours pour en faire montre,
Tirsis, est-ce pas un plaisir
Qui merite que ton plaisir
Luy donne une heure en la journée?
Comme l'hyver meine au printemps,
Le travail de la matinée
Nous convie à ce passe-temps.
Le Cours n'est pas chose nouvelle,
Puisque tout court en l'univers
Et que ses mouvemens divers
En rendent la face plus belle.
Ne voyons nous pas mesme un cours
Au ciel, aux planettes, aux jours?
Les eaux courent dessus la terre,
Les vents courent parmy les airs;
Voit-on pas rouler le tonnerre
Après le signal des esclairs?
Entrons dans ce palais de Flore[165]
Où son soin entretient des fleurs
Avec de plus vives couleurs
Que les lumières de l'aurore:
On diroit, à voir l'ornement
De ce pompeux ameublement,
Que la terre toute orgueilleuse
Veuille combattre avec les cieux,
En cette saison amoureuse,
A qui se parera le mieux.
Ce champ de tulipes diverses
Retire l'ame du soucy,
Et plusieurs viennent perdre icy
La mémoire de leurs traverses.
La nature en ces beaux effects,
Pour nous rendre plus satisfaits,
Semble avoir usé d'artifice:
Mesme elle en tire de son sein
Quelques fois plutost par caprice
Que non pas avec du dessein.
Mais ce sont subjets d'inconstance
Qui se laissent aller au temps;
Cherchons des objets plus constans
Et qui luy fassent resistance.
Toute cette confusion
N'est qu'une vaine illusion:
Au sentiment des hommes sages,
Un esclat qui dure si peu
Vaut bien moins que ces beaux visages
Qui cachent un cœur tout de feu.
A voir du haut de la Bastille
Tant de carosses à la fois,
Qui ne croiroit que quatre roys
Font leur entrée en ceste ville?
Le soleil, dans l'estonnement
De les voir si superbement
Fouler une mesme carrière,
Voudroit bien descendre icy bas
Avec son coche et sa lumière
Pour y prendre aussi ses esbats.
Icy les dames plus discrettes
Communiquent à leurs amans,
Par de certains allechemens,
L'effect de leurs flames secrettes.
De leurs regards, sans discourir,
Elles nous font vivre et mourir;
Et cette aggreable licence
De s'entendre avec leurs appas
Est si juste que l'innocence
Ne nous en destourneroit pas.
Tirsis, tu seras idolatre,
De ce bel œil qui va passer.
Pour moy, je viens de trepasser
Devant ceste gorge d'albastre;
Cette déesse a des cheveux
Qui me ravissent mille vœux;
Mais que cet autre objet me touche!
Celui-cy sera mon vainqueur,
Mon ame est desjà sur ma bouche,
N'as-tu point veu sortir mon cœur?
Tu cognois bien cette rieuse?
Son roquentin[166] n'est pas mal faict:
Vrayment, j'ay l'esprit satisfait;
Mon humeur devient plus joyeuse
A voir cette bouche et ces yeux.
Le ciel ne sauroit faire mieux;
On peint ainsi les belles choses,
Comme le soleil et l'Amour,
Ou l'Aurore en un lict de roses
Quand elle accouche d'un beau jour.
Ce resveur au fond du carosse
Medite sur ses pensions,
Et ses plus fortes passions
Regardent la mithre et la crosse;
S'il voit venir un cardinal
C'est là le seul objet fatal
Oui passe jusques dans son ame;
Et, comme il est ambitieux,
Cette vive couleur de flame
Est la plus charmante à ses yeux.
Amy, voicy venir les reines[167],
Avec autant de majestez
Que toutes les divinitez
Qui sortent du bois de Vincennes.
Il faut que tant d'astres errans
Qui paroissent dessus les rangs
Deviennent fixes à leur veue:
Il se faut descouvrir icy.
Que Cloris n'est-elle venue?
Je la verrois sans masque aussy[168]!
Qui vit jamais une des Graces,
Et tout ce qu'elle avoit de beau,
Dira que voicy son tableau,
Que ce visage en a les traces.
Encor si ce fascheux cocher,
Quand nous le pouvons approcher,
Rendoit sa course un peu plus lente!
Que n'ay-je quelque invention
Pour arrester ceste Athalante
Où j'ay mis mon affection!
Cette coquette, à la portière,
Fort mal instruite en son devoir,
Dans l'impatience de voir,
Regarde devant et derrière;
On l'accuse de tous costez,
Et des collets qu'elle a gastez,
Et de la peine qu'elle donne;
Mais, son esprit suivant ses yeux,
Elle est sourde, et n'entend personne
Que ses desirs trop curieux.
Qu'Aminthe sera regardée!
Mais je n'en ay point de soucy,
Pourveu qu'on n'emporte d'icy
Que sa memoire et son idée;
Pourveu qu'elle garde sa foy,
Sa constance et ses feux pour moy,
Je me plairay dans sa victoire,
Et ceux que j'en verray mourir,
Je m'empescheray bien de croire
Qu'ils en puissent jamais guerir.
Ce fanfaron croit que les dames
Ne vont au Cours que pour le voir,
Et qu'on ne peut pas concevoir
Combien il leur donne de flame.
Ce cavalier vit de credit,
Car ces jours passez il perdit
Tous ses biens dessus une carte.
Cet autre, durant tout le Cours,
N'a songé qu'a la fièvre quarte,
Qui l'a quitté depuis huict jours.
Considère cette mignarde:
Elle a de quoy se faire aymer,
Et ses yeux me pourroient charmer
Si ce n'estoit qu'elle se farde.
Enfin, tous ses attraits pipeurs,
Se reduisans en des vapeurs,
Se perdront comme une fumée,
Et ceste merveille en beauté
N'aura plus que la renommée
De l'avoir autrefois esté.
Ce faiseur de vers, que l'estude
A rendu si pasle et défaict,
Est bien dans le Cours en effect,
Mais comme dans sa solitude;
Il medite certaines loys
Qu'il mesure dessus ses doigts,
Et roule dans sa fantaisie
Quelques vieux fragmens mal appris,
Que la meilleure poësie
Condamne aux Chansons de Paris.
Approuve-tu cette fantasque,
Qui n'a point d'attraicts si puissans
Qu'elle en puisse ravir les sens,
Et ne met pourtant point de masque?
Regarde ces petits amours
Dessus des carreaux de velours:
Que j'ayme ces jeunes visages,
Qui dans la fleur de leur printemps
Donnent desjà de beaux presages
De se faire aymer en leur temps!
Ces gens d'estat et de finances
Passent dedans le souvenir
Tous les moyens de parvenir
Et d'asseurer les espérances.
Ces cordons bleus, dans leurs discours,
Au milieu des plaisirs du Cours
Parlent du succez de la guerre;
Ils condamnent les factieux;
Et ces petits dieux de la terre
Font des desseins dignes des cieux.
Que ces deux mouches[169] à la face
Et sur le beau sein de Philis,
Parmy les roses et les lys,
Luy donnent une bonne grace!
Cette autre avec tout son caquet
Fait plus de bruit qu'un perroquet;
Je la trouve un peu trop folastre,
Et tous ses gestes affetez
Ressentent trop l'air du theatre
Pour arrester mes volontez.
Ces respects, ce profond silence.
Ces devoirs, et ces doux regards
Qu'on eslance de toutes pars
Avec un peu de nonchalance,
Ces charmes, ces enchantements,
Sont-ce pas des contentements
Qui flattent doucement une ame
Et la font resoudre à chérir
Tous les mouvemens d'une flame
Que la raison ne peut guerir?
Cependant le jour diminue;
Luy mesme a tantost fait son cours,
Sans avoir donné du secours
A nostre fievre continue.
A moins que d'aymer des prisons,
On ne doit rentrer aux maisons;
Mais chacun retourne à la sienne.
O douceurs! plaisirs sans pareils!
Dieux! se peut-il que la nuit vienne
Au milieu de tant de soleils?
Fin.
Discours de M. Guillaume et de Jacques Bonhomme, paysant, sur la défaicte de 35 poulles et le cocq faicte en un souper par 3 soldats.
M.DC.XIV
Maistre Guillaume. L'impatience me faict mourir d'un extreme desir de te cognoistre, Jacques, affin d'emploier tout ce qui est en moy pour honorer le brave et rustique jugement de ta venerable vieillesse de quatre-vingts dix sept ans.
Bon-homme. Ce n'est pas moy, Guillaume, de qui il se faut railler: car, combien que tous les jours je ne sois comme toy à caymander de porte en porte, de palais en palais des seigneurs de la cour[170], humant l'odeur et la fumée de leurs marmites bouillantes, passant par devant leurs cuisines, desquelles tu es assez souvent chassé, néantmoins je ne laisse pourtant d'estre assez estimé, voire plus que toy, pour la vérité que souventefois je persuade à plusieurs qui se sont assez bien trouvez de m'avoir creu[171].
Guillaume. Je trouve ma condition feneante plus aisée que la tienne, car avec quelque cartel de ma fantaisie mal timbrée j'ay plustot acquis une pistole que toy un teston avec tes caquets persuasifs[172].
Bon-homme. Il est vray, et croy bien ce que tu dis; mais pourtant avec mon hocqueton de treillis[173] qui ne ressent que paix et amitié, j'ay plus de reputation entre les bons François que toy avec ta casaque rouge plissée à la turquesque.
Guillaume. Tes parolles et ton habit demonstrent la capacité de ta cervelle et de ton beau jugement, qui est tout radouté[174], ramenant par tes devis les vieilles neiges du grand hyver passé.
Bon-homme. Et les tiennes, Guillaume, procedant de ta cervelle pleine de follie, sont vrayes frivolles, badineries et discours qui ressent la bave comme les devis ordinaires des petits enfants.
Guillaume. Tout beau, Bon-homme! tu es cause de ma misère; ne te mocque de moy, car on s'amuse à tes lettres, qui, comme follies, courent les rues de Paris, et moy on me laisse passer sans me dire, comme on souloit: «Monsieur Guillaume, qu'avez-vous de nouveau?» Ainsi parloient à moy nos bons seigneurs de la cour, devant ces querelles d'Allemand.
Bon-homme. Ne te fasche non plus que moy: nous serons doresnavant aussi contens l'un que l'autre. Je croy que tu n'es non plus envieux de ma condition que je suis de la tienne. Voylà la paix, par la grace de Dieu, remise en la France[175]: tu seras comme devant aussi bien receu en ton estat de caymandier que devant; on prendra doresnavant plaisir à lire tes rapsoderies, de quoy tu retireras argent; et moy, paisible en ma maison rustique, sans crainte de gens d'armes ny de soldats pilleurs et poullaillers, revisiteray mon petit clos et mes vingt cinq arpens de terre que j'ay herité de mon grand père. La fortune et la chance sont retournez et pour toy et pour moy, selon tes desirs et les miens.
Guillaume. Desjà voudrois avoir veu cela, car il me desplaist assez d'ouyr parler de la guerre, source de toute misère, et particulièrement de la mienne.
Bon-homme. Je t'apprend pour certain que cela est. Je ne le sçay que par un de mes enfants que j'envoyay hier à Paris solliciter un mien procez. Pour toy, qui hante et entre partout malgré que l'on en aye, qui hume le vent de toutes les rues de Paris, tu en peux plus que moy savoir des nouvelles.
Guillaume. On le dit ainsi.
Bon-homme. Voyla donc qui va bien; nous deux en aurons du proffit.
Guillaume. Je ne scay quel proffit. La guerre, qui avoit fait faire tant de dépenses, aura tellement rendu les bourses flasques et légères qu'on n'aura plus envie de me donner.
Bon-homme. O! que le proffit de la paix est grand! En ceste resjouissance publique, on ne demandera plus qu'à rire, et à ouyr des comptes de plaisir comme les tiens, d'où retireras du lucre.
Guillaume. Pour vous cela est bon, car les soldats et gouvards[176] seront par ce moyen cassez et congediez, et partant contraints par les prevosts des villes d'abandonner vos maisons.
Bon-homme. Helas! que c'est une douce consolation pour nous! Car je t'asseure, Guillaume, mon bon amy, qu'ils nous ont fait mille ruines. Les marchands de la halle se pleignent de nous de quoy nous leur encherissons les œufs; mais les bonnes gens n'en sçavent pas la cause: tous nos sacs sont vuidez, et nos pauvres poulles, helas! ont esté mangées, sans en compter les plumes; c'est de quoy se plaignent aussi bien que moy les autres paysans d'auprès Pontoise, Poissy et Mante.
Guillaume. Cela n'est rien. Possible tu en as perdu quelque demy douzaine: est-ce là si grand sujet de te plaindre? Enqueste toy plus avant, fais un voyage à Nostre Dame de Liesse, et tu verras ce que l'on te dira prez de Laon[177].
Bon-homme. Quoy donc apprenez vous de nouveau de ces quartiers?
Guillaume. N'en sçais tu rien? N'as-tu point ouy parler de ceste grande occision de poulles?
Bon-homme. Non.
Guillaume. Je t'en veux dire quelque chose.
Bon-homme. Les choses nouvelles plaisent fort aux vieilles gens comme moy.
Guillaume. J'estois, il y a un jour ou deux, derrière deux laquais, dont l'un revenoit de Soissons[178], l'autre de Bretagne[179]. Pour la longue cognoissance qu'ils avoient l'un de l'autre, furent fort aises de se voir; tous deux, de plain accord pour apprendre l'un de l'autre des nouvelles de leur voyage, entrèrent en une taverne, comme c'est l'ordinaire de telles gens. Moy les suit, car, ne pouvant vivre de mes papiers, je hante volontiers en ces lieux, ou par fois l'un me presente à boire, l'autre à manger. Je m'assis à mesme table qu'eux, et les oy volontiers discourir. L'un apprend à l'autre ce qu'il a apprins des affaires de Bretaigne, et l'autre luy conte ce qui s'estoit passé à Soissons et aux environs. Entr'autres choses j'oüy un traict qui fera rire, Bon-homme, les vieilles bestes comme toy et moy. Celuy donc qui revenoit de Soissons disoit à l'autre qu'il avoit logé en un certain village qui estoit le quartier de quelque gendarmerie de nouveau enroollée. Il trouve en un certain logis trois soldats qui faisoient une chère desespérée aux despens des pauvres paysans et manans, ce qui, disoit-il, me faisoit grand mal au cœur, car je n'avois qu'un quart d'escu pour venir de Soissons à Paris; voylà pourquoy alors je ne mangeois que du pain à la fumée de leur souper, sans que ces vieux gourmands eussent le courage de me faire par charité estre de leur esquot (voy, Bon-homme, quelle gourmandise, je te prie; tu en devrois pleurer à chaudes larmes aussi bien que moy, qui ne mange le plus souvent que du pain, encore mon demy saoul). Ils avoient en un grand chaudron, pour trois qu'ils estoient, 35 poulles à l'estuvée, sans compter le cocq, qu'ils faisoient rostir; a-t-on jamais ouy parler de telle vie de soldats? Je ne sçay quels diables de ventres ils avoient; le plus fort poullailler eust bien esté chargé de porter un pannier plein de telles poulles grasses comme etoient celles-cy. Je vous laisse à penser combien de beurre et d'œufs et de poivre il fallut pour assaisonner telle fricassée de goulus, sans faire compte de vin qui fut tiré pour arroser leurs grands gosiers pavez et laver leurs trippes et boyaux de soixante et dix neuf aulnes de vuide. Il falloit, helas! quelle pitié! porter le chauderon à quatre, tant il estoit pesant! Je te laisse à penser si les Suisses en leur Suisserie en peuvent faire davantage. Le capitaine ou colonel à qui apartenoient ces trois poullaillers soldats fut adverty de telle drollerie, et luy mesme le voulut voir, qui, ne prenant garde aux larmes des quelques paysans despoullaillez, se prit à rire et en tint ses discours partout où il alloit. Je te laisse à penser, mon Bon-homme, quel ravage eût fait la guerre si elle se fût allumée à bon escient! Dieu a eu compassion de telles cruautez, et pource nous a redonné la paix, que nous devons à jamais conserver, en le priant d'accroistre la bonne fortune des François et destourner de la France tout ce suject et occasion de guerre et émotion civile.
Bon-homme. Ainsi soit-il.
Fin.
Le Bourgeois poli, où se voit l'abregé de divers complimens selon les diverses qualités des personnes, œuvre très-utile pour la conversation.
A Chartres, chez Claude Peigné, imprimeur, rue des trois Maillets.
M.DC.XXXI[180].
A MONSIEUR DU CHARMOY,
Conseiller du Roy, son President en l'Eslection de Chartres, etc.
Monsieur,
Entre mille belles qualités qui vous rendent aimable, celle du bien dire eclate tellement que l'on ne peut pas avoir eu l'honneur de vostre cognoissance, et n'avoir point esté pris aux charmes de vostre conversation. J'en serois un foible tesmoing pour mon peu de suffisance à cognoistre les choses principalement si relevées, et n'aurois garde aussi de vouloir temerairement obliger le public à me croire, si tant de bons esprits qui vous honorent ne confirmaient mon dire, et ne tesmoignoient comme moy des merveilles qu'ils admirent en vos discours. C'est, Monsieur, ce qui m'a fait vous dedier ce livre des compliments polis[181], ne pouvant mieux addresser l'eloquence qu'à un homme très-eloquent, ny des compliments bien faicts qu'à celuy qui en est un parfaict maistre. La diversité ayant cela qu'elle se rend tousjours agreable, je croy que ce livret ne vous ennuyra pas. Vous y verrez toutes sortes de personnes representer au naïf toutes sortes de civilités par les plus honnestes paroles que la nature et le païs leur peuvent fournir: la simplicité règne icy, on n'y voit point d'artifice: je m'asseure de vostre courtaisie qu'elle verra de bon œil le travail que fay pris à recueillir des choses si dignes d'estre estimées, et que vous m'excuserés facilement, si pour vous les dedier en ceste epistre je ne vous faits des compliments davantage, puis que ce m'est chose entièrement impossible, ayant mis dans le livre toutes les belles paroles que je sçavois.
Le Bourgeois poli.
DIALOGUE I.
Le Gentilhomme.
L'Armurier.
La Femme de l'Armurier.
Le Gentilhomme.
Dieu vous gard', mon maistre; y a t'il moyen icy de nous accommoder?
L'Armurier.
Ouy dea, Monsieur, que desirez-vous?
Le Gentilhomme.
Je veux une paire d'armes.
La Femme.
Monsieur, on vous accommodera de tout ce qu'il vous faut.
L'Armurier.
Entrez, entrez, Monsieur, s'il vous plaist. Vous plaist-il que nous montions à hault? vous verrez à la monstre si quelque chose vous duit: il y en a encore plus de cinquante paires de toutes les sortes. Vous en plaist-il à l'espreuve du mousquet? en desirez-vous à l'espreuve du pistolet? Tenez, voyez, choisissez, et ne vous deffendez que du prix: voila de la meilleure marchandise que vous sçauriez jamais voir.
La Femme.
Monsieur, si vous ne vous accommodez içy, à grand' peine vous accommoderez-vous ailleurs; il n'y a personne qui vous fasse meilleur prix que nous.
Le Gentilhomme.
Mordieu! voila qui est trop pesant. Dieu me damne si je n'aimerois mieux aller en pourpoint à la mercy des mousquetades que de porter un tel fardeau!
L'Armurier.
Monsieur, en voila de toutes les sortes, vous avez moien de choisir.
La Femme.
Monsieur, en voila de bien legères, il m'est à voir qu'elles vous accommoderont bien; c'est tout vostre faict, vous n'en serez guières plus chargé.
Le Gentilhomme.
Et bien, mon maistre, combien ceste paire là?
L'Armurier.
Monsieur, je vous asseure que vous n'en sçauriez moins payer que cinquante escus; encores, si c'estoit un autre, il ne les auroit pas pour le prix; mais il me fasche de vous envoier, par ce que je sers presque toute la noblesse du païs.
La Femme.
Monsieur, voila une paire d'armes que vous ne sçauriez payer de bonté, aussi elles sont de commande, et faites pour un Gentilhomme environ de vostre taille.
Le Gentilhomme.
Mon maistre, dites le plus juste prix; encore ne serez-vous pas marchand à vostre mot[182].
L'Armurier.
Monsieur, je ne surfaits point ma marchandise: je vous les vendray ce que je vous les ay faites. Je ne suis point homme à deux paroles; quand je vous les ferois cent escus, elles n'en vaudroient pas mieux.
La Femme.
Monsieur, quand vous iriez en cinq cens bouticques, on ne vous accommodera pas mieux qu'icy.
Le Gentilhomme.
Je pourray m'accommoder de ceste paire là; mais le dernier mot, je vous en prie.
L'Amurier.
Monsieur, je vous les vendray cens francs, autant en un mot qu'en mille.
O bien, c'est donc un marché fait. Mais escoutez, je ne puis encor vous donner de l'argent si tost.
La Femme.
Monsieur, j'en aurions pourtant bien affaire; des marchands à qui j'en avons promis viendront bien tost en demander: il ne faut pas qu'ils viennent en faute, il faut faire leur somme.
L'Armurier.
La la, tre-dame, hé mes amis, Monsieur est honneste Gentilhomme, il ne nous manquera pas au temps qu'il nous promettra; il est trop honneste homme, il ne voudroit pas le faire.
Le Gentilhomme.
Non pardieu, j'en serois bien marry: ce que je vous promets, je le vous tiendray, foy de Gentilhomme.
La Femme.
Au moins, Monsieur, si vous nous manquez, vous serez cause que je demeurerons honteux, et que les marchands ne nous amarons[183] plus rien.
Le Gentilhomme.
Asseurez vous en ma parole, je ne vous manqueray point. Adieu.
Vous estes un fin marchand! Vous baillez vostre marchandise, et si vous ne sçavez à qui: j'aymerois autant ma marchandise en ma boutique que de la bailler de la façon; j'aymerois autant rien que ces gentilhommes de Beausse: il en faudrait bien de tels pour nous enrichir.
Le Mary.
Tay-toy, tay-toi, ma femme, il nous pai'ra bien.
La Femme.
C'est mon, ma foy, il nous payera comme un tas d'autres qui nous ont affrontés[184].
Le Mary.
Tu ne te veux pas taire?
La Femme.
Non, hola, je ne me tayra ja; il y a bien de l'apparence que je me taise et veoir perdre ce que j'avons.
Le Mary.
Si tu ne te tay, je m'en iray.
La Femme.
Ma foy, allez.
Le Mary.
Si je sors, je ne reviendray de huit jours.
La Femme.
Ne revenez de quinze si vous ne voulez.
Le Laboureur.
Bon jour, bon jour, Monsieur nostre Maistre.
Le Bourgeois.
Ah! Dieu te gard', Pasquier. Et bien, qu'est-ce?
Le Laboureur.
Monsieur, des biens assez, mais ils sont ma partis[185].
Le Bourgeois.
Que dis-tu de nouveau?
Le Laboureur.
Monsieur, je ne sçauras que dire de peur qu'il n'advienne.
Le Bourgeois.
Tu ne me parles point de ce que tu me doibs? M'ameines-tu du bled? Quand est-ce que tu me veux payer? il y a assez long-temps que je t'attens.
Le Laboureur.
Monsieur, vous m'eussiez fait plaisir de ne pas tant m'attendre: il n'est moyen que je vous puisse payer à cette heure que le bled est si char; il en est si peu que je n'avons rien recueilly quasiment: si vous ne voulez faire diminution pour la mauvaise année, j'ayme autant quitter vos tarres.
Le Bourgeois.
Et bien, je te prends au mot: puisque tu ne me veux point payer, je n'en sçaurois avoir moins d'un autre.
Le Laboureur.
Et bien, bien, Monsieur, je vois bien ce que c'est: vous me voulez envoïer avec ma femme et mes enfans un baston blanc à la main. Un autre ne fera pas mieux que moy; vos tarres sont trop chères, il n'y a pas moyen de s'y sauver; voila trois ou quatre années que j'ay semé, je n'ay pas seulement recueilly la semence et de quoy vous payer: ce sont de belles tarres, des tarres à chardons.
Le Bourgeois.
J'ay eu d'autres fermiers que toy, qui s'y sont bien sauvez, et qui m'ont bien payé.
Le Laboureur.
Voire, voire, Monsieur; mais vous ne dites pas tout: s'ils n'eussent eu que vos tarres, ils y fussent morts de faim; ils y ont mangé de bon bien qu'ils avoient; il estoit temps qu'ils en sortissent, ils estoient bien à la flac. Monsieur, les fermiers n'enrichissent point tant en vostre metarie; en voilà desja quatre ou cinq de cognoissance qui n'en sont pas sortis avec la chesne d'or: on m'avoit bien dit qu'il n'y avoit rien à profiter avec vous; si j'eusse creu le monde, je ne feusse pas entré à vostre farme, vous regardez de trop près les pauvres gens.
Le Bourgeois.
Mon amy, je ne te faits point de tort, je ne te demande que ce qui m'appartient; encore faut-il que chacun vive de son bien; si les autres ne me payoient non plus que toy, je serois reduit au bissac.
Le Laboureur.
O bien, Monsieur, si vous me voulez ruiner, cela depend de vous; mais pourtant, si vous voulez avoir patience, vous n'y perdrés rien avec le temps; vos tarres sont bien emblavées, cette année en vaut deux; encore faut-il que nous vivions les uns avec les autres; je n'ay pas envie de vous faire rien perdre; quand vous me consommerez en frais, vous n'en serez pas plustot payé, la justice mangera tout.
Le Bourgeois.
Mon amy, si je pensois pour attendre n'y rien perdre, j'aurois encore patience.
Le Laboureur.
Monsieur, je vous asseure vous n'y pouvés rien perdre; j'ay encore deux ou trois septiers de tarres de mon propre jouxte les vostres qui vous accommoderont bien, et me les faites valoir ce qu'ils valent, en rabattant sur ce que je vous doy.
Le Bourgeois.
Ah! bien, mon ami, puisque tu te mets à la raison, tu seras encore mon fermier; prens courage, tasche à te r'avoir, j'en seray bien aise; j'ayme mieux m'accommoder avecque toy que de te ruiner; je ne desire point ton mal, je ne veux que ton bien.
Le Laboureur.
Monsieur, je vous remarcie: je suis obligé à prier Dieu pour vous, vous me donnez du pain à manger.
Le Bourgeois.
O bien, adieu, mon ami; recommande moy bien à Guillemette ta femme.
Le Laboureur.
Monsieur, je n'y feray faute, je la-salüeray de par vous.
DIALOGUE III.
La Bourgeoise.
La Marchande de soye.
La Bourgeoise.
Bon jour, Madame, et bonne santé. Vous portez-vous bien, Madame?
La Marchande.
Toute preste à vous obeir, Madame.
La Bourgeoise.
Monsieur vostre mary se porte-il bien, Madame?
A vostre service et commandement, Madame; et vous aussi, Madame, chez vous se porte t'on bien?
La Bourgeoise.
Tout se porte bien, Madame, Dieu mercy! Et vous, madame? Je viens voir si vous avez point quelque beau satin pour habiller mon mary.
La Marchande de soye.
Jesu, Madame, nous vous accommoderons de tout ce qu'il vous faudra: nous en avons des plus beaux. Tenez, Madame, choisissez.
La Bourgeoise.
Madame, de quel prix est-il? Encore celui là ne me semble t'il pas tant bon: il m'est avoir qu'il est empezé et qu'il n'a pas beaucoup de lustre.
La Marchande.
Madame, je ne vous ay point voulu faire tant de monstres, à cause que je sçay bien que vous voulez tousiours du meilleur, aussi est-ce là le plus beau qui soit ceans, et ne croy pas qu'ailleurs vous en trouviez de pareil.
La Bourgeoise.
Il m'est avoir pourtant que vous m'en avez baillé autresfois de meilleur; celui-là n'est qu'à deux poils[186], et j'en voudrois bien à trois; il me fasche pourtant d'aller chez un autre, car quand j'ai accoustumé une personne, je n'aime pas à changer.
La Marchande de soye.
Madame, il y a trop longtemps que nous vous fournissons pour commencer à vous tromper; vous pouvez vous asseurer en moy comme en vostre propre sœur: quand ce seroit pour moy mesme, je ne pourrois pas mieux choisir.
La Bourgeoise.
Et bien, Madame, combien le voulez vous vendre? Encore qu'il ne soit pas beaucoup à ma fantaisie, je seray bien aise d'en sçavoir le prix.
La Marchande.
Madame, je le vendray dix francs.
La Bourgeoise.
Jesu! Madame, dix francs! C'est bien là du satin à dix francs! J'en ay veu à ma cousine la Conseillère qui estoit bien plus beau, et qui n'avoit garde de luy couster le prix que vous me le faites.
La Marchande.
Madame, il y a de la marchandise à tout prix. Il y en a qui font quelquesfois bon marché de leur bource; on ne leur donne pas la marchandise non plus qu'à nous: j'ay le moyen de vous en faire aussi bon marché qu'un autre.
La Bourgeoise.
Madame, je suis d'avis de n'en donner que sept francz, c'est tout ce qu'il peut valoir; si je croiois qu'il valust davantage, je ne suis point femme à barquigner[187] tant: ce n'est point moy qui regarde pour cinq ou six sols par aulne.
La Marchande.
Madame, ce n'est point moy aussi qui surfaits de tant ma marchandise, encore à une personne comme vous qui payez content; cela seroit bon pour ces faiseurs de chevissoires[188].
La Bourgeoise.
Et Dieu, Madame, vous leur salez donc bien?
En doutez vous, Madame? Comment attendre si longtemps, et estre en hazard de perdre son denier? Si nous avions nostre argent, il nous profiteroit.
La Bourgeoise.
Pour moy, je n'achepte rien à credit, j'ayme autant payer comptant que de payer une autre fois: tousjours faut-il payer.
La Marchande.
Madame, je le sçay bien, c'est pourquoy je vous dis aussi tout du premier coup le plus juste prix.
La Bourgeoise.
Madame, je ne suis pas resolue d'en donner davantage que huit francz au dernier mot.
La Marchande.
O la, Madame, faut que vous en alliez voir d'autres; mais que vous ayez esté à d'autres boutiques, vous serez plus hardie de m'en offrir d'avantage; et gardez d'estre trompée, je voy bien que vous le voulez estre.
La Bourgeoise.
O bien, Madame, je m'en vais vous donner le bon jour: je suis bien marrie que nous ne pouvons nous accommoder du prix.
La Bourgeoise.
Bon jour, Madame; n'avez vous point quelque belle estoffe pour faire un manteau à mon mary?
La Drappière.
Ouy dea, Madame, vous avez moyen de choisir, nous vous en monstrerons de toutes les sortes. Madame, vous plaist il du drap? ou bien voila de beau carizi d'Angleterre[189].
Madame, il m'est avis que du drap est plus propre à faire un manteau que du carizi; mais j'ay si grand peur que vous me donniez de l'estoffe qui se descharge, car quand cela rougit en manteau, cela est grandement laid.
La Drappière.
Madame, asseurés vous en ma parole que je serois bien marrie de vous tromper; asseurement tant plus le manteau sera porté, et tant plus il sera beau: c'est la plus belle estoffe à l'user que vous sçauriés trouver. J'en tromperois bien d'autres auparavant que de m'adressera vous; encore, si c'estoit quelque passant, je dirois, mais vous m'en feriez tous les jours des reproches.
La Bourgeoise.
Cette estoffe ne me semble point bien fine; me la pluvissez vous sus estain[190]?
La Drappière.
Madame, jamais je ne puisse vendre marchandise, si elle n'est sus estain.
La Bourgeoise.
Mais, Madame, a-t'il une aulne entre deux lizières? Il me semble le lay[191] moult estroit: quand le drap est si estroit, il faut tant de chanteaux et tant de coustures à un manteau.
La Drappière.
Madame, asseurez vous que vous n'en trouverez point de plus large; au cas que vous en trouviez, je le payerai pour vous; mais, Madame, maniez un peu ce drap; vous diriez, quand vous maniez cela, que vous maniez du velours.
La Bourgeoise.
Je voy bien ce que j'achepte, je voy bien qu'il n'est point si fin que vous le criez.
La Drappière.
Mais, Madame, c'est donc que vous n'y regardez pas? Regardez à deux fois ce que vous acheptez; voilà du meilleur drap, qui a aussi bon maniment que vous en sçauriez jamais manier; tenez, mettez le hors la boutique, voyez le au jour; je ne crains point que vous le desployez, je n'ay point peur qu'on voye ma marchandise: il faut estre marchand ou larron.
La Bourgeoise.
Madame, je ne veux point tant de paroles; dittes moy le plus juste prix que vous le voulez vendre, et ne me le surfaites point tant.
La Drappière.
Madame, je vous le vendray huict francs et ne pense point vous le surfaire; si ce n'estoit pour l'amour de vous, vous ne l'auriés pas à ce prix là.
La Bourgeoise.
Huit francs, Madame? Oh! vous n'y pensez pas de me le faire ce prix là; vous ne me le surfaites que de la moitié.
La Drappière.
Nous ne sommes point gens à surfaire la marchandise de moitié. Madame, vous la voyez; si c'estoit à la chandelle, vous pourriez dire; mais il fait assez grand jour pourvoir ce que vous acheptez; si elle vous duit, prenez la pour le prix; si j'en voiois un petit denier moins, je vous asseure que vous ne l'auriez pas.
La Bourgeoise.
Je vous prie, Madame, ne me faites point aller ailleurs, je n'aime point à me pourmener tant; vous en aurez cent sols, je le fais valoir autant qu'il vault.
La Drappière.
Je vous asseure, Madame, qu'il me revient à davantage, il n'y a pas moien de vous l'y bailler.
La Bourgeoise.
A vramment, Madame, vous tenez tousjours la main davantage que vostre mary; si c'estoit luy, j'en aurois bien meilleur marché; j'aimerois bien mieux avoir affaire aux hommes qu'aux femmes.
La Drappière.
A vramment, Madame, quand mon mary y seroit, il ne sçauroit vous le bailler à meilleur prix; il sait bien ce qu'il couste, il ne vous le bailleroit pas à perte. Je vous asseure qu'à sept francs ce n'est qu'argent changé; mais quoi, encore faut il remuer la boutique: nous nous recompenserons sur autre chose.
La Bourgeoise.
O bien, je n'en donneray pas davantage que ce que je vous ay dit.
La Drappière.
Madame, donnez en six francs; il n'y a remède, il faut que j'y perde: si vous ne le prenez à ce prix là, je voy bien que vous n'avez pas envie d'avoir de ma marchandise; prenez l'y si vous voulez, jamais un autre ne l'y aura.
La Bourgeoise.
Je ne vous en donneray pas un double davantage; je vous en offre justement ce qu'il vault.
La Drappière.
Donnez en un quart moins de six francs, je ne veux pas refuser mon estreine.
La Bourgeoise.
Non, je n'en donneray que cela.
La Drappière.
Tenez, tenez, Madame, c'est pour vous; j'ayme mieux vostre amitié que vostre argent; je ne veux pas prendre garde à vous, c'est à la charge que vous nous recompenserez une autre fois.
La première Voisine.
Bon soir, Madame, et bonne santé. Comment vous trouvez vous, Madame?
L'Accouchée.
Madame, je ne sçaurois encore bien me trouver; j'ay esté si malade cette nuict, que j'ay pensé mourir; je disois que jamais je ne verrois le jour.
La seconde Voisine.
Et à cette heure, Madame, vous trouvez-vous mieux que vous n'avez pas fait?
L'Accouchée.
Et ouy, Madame, Dieu mercy, et vous; je n'ay pas esté si tranchée[192] de celuy-cy que de l'autre.
La troisiesme Voisine.
Et vostre enfant se fait il bien nourrir?
Jesu! Madame, il est si gros et si gras que vous ne sçauriez croire; on le fendroit avec une arreste.
La première Voisine.
Avez-vous une bonne nourrice?
L'Accouchée.
Jesu! elle est si bonne nourrice, elle n'est point melancholique; mon enfant profite de couchée à autre, elle le tient si blanchement! Quand j'aurois autant de pieds que de cheveux, j'aurois beau aller pour mieux r'encontrer.
La seconde Voisine.
Jesu! je n'ay pas fait si bonne r'encontre; j'en ay trouvé une saloppe, une harassière[193], qui est dès les quatre heures en besongne et le laisse crier jusques au soir: «Crie! crie! dit-elle, ta mère est à Chartres, elle ne t'oira pas.» Oh! il faut que je l'oste.
L'Accouchée.
Vrayment, Madame, il y a charge de conscience: je vous conseille de l'oster; une bonne nourrice ne vous coustera pas davantage qu'une autre.
La Troisiesme Voisine.
Une bonne année leur en vault deux.
La première Voisine.
Il luy faut donner un frais laict, cela le fera aller ou venir.
J'avois comme cela ma fille Guillemette, qui m'a donné du mal à eslever; elle tetoit comme cela de mauvais laict, elle a esté trois ans en orfanté[194].
La seconde Voisine.
Voire! Mais à cette heure qu'il y a longtemps qu'il n'a teté tout son saoul, si je luy donne une bonne nourrice, il en prendra tant qu'il en mourra.
L'Accouchée.
Il luy en faut donner petit et souvent.
La Sage femme.
Bon soir, Madame. Eh bien, comment vous trouvez-vous? Pour cela vous avez esté bien malade; mais pourtant j'en accouchay hier une, c'estoit bien autre chose: elle a été plus de six heures en son grand mal. Seigneur Dieu, j'aimerois mieux en accoucher trois autres de mesme vous que celle là.
L'Accouchée.
Jesu! ma commère, je trouve que j'en ay assez eu pour le prix. Bien heureuse qui a fait son temps.
La Sage femme.
C'est mon[195] vramment, vous voila bien malade, c'est bien à vous à vous plaindre; vous en devriez avoir tous les neuf mois.
L'Accouchée.
Jesu! ma commère, je trouve que je n'en ay que trop souvent; si le bon Dieu se vouloit contenter, je serois bien aise de n'en avoir plus: nous en avons assez pour le bien que nous avons à leur faire.
La Sage femme.
Helas! Madame, ne dites pas cela, car si notre Seigneur vous punissoit et qu'il vous ostast vostre mary, ce seroit un grand ennuy pour vous.
La première Voisine.
Ouy, ma foy! Qu'est-ce qu'un homme sert? Ils sont si desbauchés! L'autre jour je pensois aller aux champs, j'avois donc oublié quelque chose au logis: je retournay sur mes pas, tellement que je le trouvay couché avec nostre chambrière[196]; et bien c'estoit encore à moy à me taire, autrement il m'eust fait beau bruict.
La seconde Voisine.
Il y a huict ans que si Dieu m'eust osté le mien, je n'eusse pas l'ennuy que j'ay.
Jesu! comment dites-vous cela? Pour moy, je trouve que c'est une grande consolation qu'un mary: il n'y a si petit buisson qui ne porte ombre. Toute l'apprehension que j'ay, c'est que le mien aille devant moy; il n'est point desbauché; si je sors de la maison, je suis en repos, je n'ay point peur qu'il la quitte.
La première Voisine.
Helas! ma commère, que vous estes heureuse d'avoir si bien r'encontré! Le mien n'est pas de mesme: le premier qui vient l'emporte. Qu'on luy dise beuvons demy setier, il dira beuvons en cinq.
La troisiesme Voisine.
Ils ne sont pas pour manger leur pain en leur sein, encore faut il qu'ils se resjouissent; je n'en aymerois point un qui crachast tout le jour sur les tizons; on ne sçauroit tourner un œuf qu'il ne le voye.
La seconde Voisine.
J'en voudrois bien un, moy, qui gardast la maison: je ne serois point en peine qu'il fist des noises ny des querelles, et qu'il perdist son argent. L'autre jour le nostre revint après avoir tout perdu; il veid que j'avois reçu une demi-pistole et huit demi quarts d'escus, tellement qu'il les vouloit encore pour aller joüer. Je lui dis: «Vous ne les aurez pas, pas vous ne les aurez; vous voulez encore les perdre.» Il me dit. «Je les auray, ou si tu ne me les bailles, je joüeray tout ce qui est à la maison.» Je fus donc contraincte de les luy bailler; quand je ne les luy eusse pas baillé, il eust fait un beau miracle, il eust tout hagé: en eussé-je eu meilleur marché? Ce n'est que sa mode; toutes les fois qu'il m'a arraché ma bourse de mon costé, ç'a bien encore esté à moy à me taire; quand on est avec eux, on n'est pas maistre de son bien.
La première Voisine.
Helas! ma commère, qu'il est heureux qui n'a point de tels hommes que cela!
La seconde Voisine.
Maudits soient ceux qui m'en ont emplastrée et qui m'en ont jamais porté les premières paroles; s'ils eussent esté endormis à l'heure, j'eusse encore assez gagné; je ne m'esbahy pas si on le faisoit si bon et si riche! Il est marqué à l'A, il est des bons[197] encore pas.
La première Voisine.
Jesu! s'il plaisoit au bon Dieu nous separer, plustost moy que luy.
Jesu! Madame, je ne sçay comment vous parlez, ainsi; il faut qu'il y ayt de vostre faute; les bonnes femmes font les bons hommes. Il faut dire: «J'en ai un qui est bon, mais si je faisois comme j'en voy qui font, il ne me seroit pas meilleur qu'un autre.»
La première Voisine.
Hen, Madame, il faut dire: «Vous cognoissez bien le vostre, mais vous ne cognoissez pas celuy aux autres.» En voilà une de nos voisines qui a bien à souffrir, la pauvre jeune femme! Je vous promets qu'avec sa grande jeunesse elle supporte bien du sien; depuis qu'elle est en mesnage, elle n'a pas mangé tout ce qu'il luy a donné, il s'en faut de bons coups. Elle ne manie pas un double, et si il faut qu'elle face bonne mine en mauvais jeu.
La seconde Voisine.
Quand a de moy, je faits plus souvent de mine que je n'ay d'argent. Mais quoy! quand je m'en iray plaindre à nos voisins, qu'est-ce qui m'en fera raison? O bien j'y suis, je l'ay voulu: où la chèvre est liée, il faut qu'elle broute[198]. La, la, je voulois un homme à ma fantaisie, mais j'en ai un à mes despens.
La troisiesme Voisine.
Pour moy, je n'ay rien à me plaindre, Dieu mercy! Nostre maison iroit bien, n'estoit nostre chambrière; mais c'est la plus franche teste: elle parle à moy comme si j'estois sa servante.
La première Voisine.
Pour nous, nous en avons une assez bonne, mais elle est si amoureuse que sçavouquoi. Mais quoi, où est-ce que j'en prendray une autre? On y est si bien empesché, Jesu! qu'il est heureux qui s'en peut passer.
La seconde Voisine.
Ah! que je craindrois ces chambrières amoureuses! Je n'aimerois point à voir tant de trains de garçons qui sont tousjours après.
La troisiesme Voisine.
Pour moy, j'en aimerois mieux une amoureuse que de ces meschantes testes; on ne leur oseroit rien dire. La mienne parle plus haut que moy. Vramment, si ce n'eust été mon mary, qui ne veut pas, il y a longtemps que je l'eusse envoyée.
La première Voisine.
Je ne voudrois point de ces amoureuses-là, moy: car dans deux ou trois jours cela se marira, cela aura une troupe d'enfans, qui viendront gueuser à nos huis; dès qu'il y a trois jours qu'elles sont en service, elles se veulent marier, et n'ont pas une chemise à mettre à leur dos.
La nostre seroit assez bonne mesnagère, n'estoit qu'elle est mangée des palles couleurs, aussi bien que nostre fille Jacqueline, qui en est au mourir.
La troisiesme Voisine.
Madame, il la faut marier. Qu'est-ce, que vous y ferez davantage? C'est le meilleur remède que vous luy puissiez trouver.
La seconde Voisine.
Voilà qui est bien aisé à dire: Il faut marier les filles, il faut marier les filles. La marchandise est belle et bonne, mais il faut de l'argent pour s'en deffaire; quand il faut partir[199] le gasteau entre sept ou huit, les parts en sont bien petites.
La troisiesme Voisine.
Jesu! que je craindrois tant d'enfans!
La première Voisine.
Que diriez-vous donc, si vous estiez comme moy, qui en unze ans que j'ay esté mariée ay accouché douze fois?
La première Voisine à l'Accouchée.
Mon Dieu, Madame, nous vous avons bien elourdée[200]. Il s'en va tantost nuit, il est temps de s'en aller; car si nostre homme ne me trouve à la maison, ce sera pitié que de l'entendre: il dira que je n'auray point de soing de la maison. Je m'en va vous dire à Dieu.
La seconde Voisine.
O bien, ma commère, Dieu vous vueille donner bonne gesine et bonne relevée!
La troisiesme Voisine.
Bon soir, ma commère; Dieu vous donne bonne garde de vostre enfant.
L'Accouchée.
Bon soir, Mesdames; en vous remerciant de la peine que vous avez prise de me venir veoir.
DIALOGUE VI.
La Bourgeoise.
Le Boucher.
La Femme du Boucher.
La Bourgeoise.
Hé bien, mon amy, avez-vous là de bonne viande? Donnez-moy un bon quartier de mouton et une bonne pièce de bœuf, avec une bonne poictrine de veau[201].
Ouy dea, Madame, nous en avons de bonne, d'aussi bonne qu'il y en ayt en la boucherie, sans despriser les autres. Approchez, voyez ce que vous demandez; voilà une bonne pièce de nache du derrière[202], bien espaisse; cela vous duit-il?
La femme du Boucher.
Madame, voila un bon colet de mouton: tenez, voila qui a deux doigts de gresse; je vous promets que le mouton en couste sept francz, et si encore on n'en sçauroit recouvrir, je serons contraints de fermer nos boutiques.
La Bourgeoise.
Combien voulez-vous vendre ces trois pièces-là?
Le Boucher.
Madame, vous n'en sçauriez moins donner qu'un escu; voilà de belle et bonne viande.
La Bourgeoise.
Jesu! mon amy, vous mocquez-vous? et vramment prisez mon vos pièces.
Le Boucher.
Madame, je ne sommes pas à cette heure à les priser; il y a longtemps que je sçavons bien combien cela vault: ce n'est pas d'aujourd'huy que nous en vendons.
La Bourgeoise.
Tredame, mon amy, je croy que vous vous mocquez quant à moy, de faire cela un escu; encore pour quarante sols je me lairrois aller.
La femme du Boucher.
Ah! Madame, il ne vous faut pas de si bonne viande; il faut que vous alliez querir de la cohue[203], on vous en donnera pour le prix de vostre argent; je n'avons point de marchandise à ce prix là, il vous faut de la vache et de la brebis.
La Bourgeoise.
Tredame, m'amie, vous estes bien rude à pauvres gens[204]! Je vous en offre raisonnablement ce que cela vaut; vous me voudriez faire accroire, je pense, que la chair est bien chère.
Le Boucher.
Madame, la bonne est bien chère; voirement, je vous asseure que tout nous r'encherit: la bonne marchandise est bien chère sur le pied. Mais tenez, Madame, regardez un peu la couleur de ce bœuf-là? Quel mouton est cela? Cette poictrine de veau a t'elle du laict? Vous ne faictes que le marché d'un autre.
La Bourgeoise.
Mon ami, tout ce que vous me dittes là et rien c'est tout un; je voy bien ce que je voy; je sçay bien ce que vaut la marchandise; je ne vous en donneray pas un denier davantage.
La Bouchère.
Allés, allés, il vous faut de la vache. Allés à l'autre bout, on en y vend: vous trouverrez de la marchandise pour le prix de vostre argent. Il ne faudroit guières de tels chalans pour nous faire fermer nostre estau.
DIALOGUE VII.
Le Medecin.
L'Apotiquaire.
Le Chirurgien.
La Bourgeoise maladie.
Son Mary.
Sa Servante.
Deux Servantes malades.
La Bourgeoise malade.
Mon amy, je me trouve grandement mal. Je ne sçay qui m'a pris cette nuit, c'est à dire que tout me fait mal; je serois bien aise qu'on entendist à moy plustost que plustard.
Le Mary.
Et bien, m'amie, il faut avoir patience, nous envoyrons querir le medecin. Perrette, va-t'en dire au medecin que je le prie de venir jusques icy, voir ma femme qui est bien malade.
Perrette au Medecin.
Bon jour, Monsieur; M. Bourgeois m'a envoyée par devers vous pour vous prier de venir un peu voir madame, qui est grandement malade.
Le Medecin.
Allez, allez, m'amie, je m'y envois tout à cette heure; j'y seray aussi tost que vous.
Le Mary.
Monsieur, je vous ay envoyé querir pour voir nostre femme qui est toute desbauchée.
Le Medecin.
Il faut la voir, il faut la voir. Bon jour, Madame; eh bien, comment vous trouvez-vous?
La Bourgeoise malade.
Monsieur, je me trouve grandement mal, j'ay de si grandes douleurs que ne sçaurois durer.
Le Medecin.
Hon! Que je taste un peu vostre poux? Elle a de la fiebvre. N'a t'elle rien pris aujourd'huy?
Le Mary.
Vous m'excuserez, Monsieur: nous luy avons fait prendre un bouillon à toute force.
Le Medecin.
Ah! ah! ah! falloit pas, falloit pas. Que je voie un peu vostre langue? Voilà de l'ardeur; elle est bien chargée. Avez-vous le ventre libre?
La Bourgeoise malade.
Nany, Monsieur; il y a deux ou trois jours que je n'ay esté à la selle; je suis si recuite dans le corps!
Le Medecin.
Hon! Comment vostre mal vous a t'il pris?
La Bourgeoise malade.
Monsieur, cela m'a prise à mon resveil cette nuit; je me suis trouvée avec un si grand mal de cœur et une si grande douleur de teste, j'estois toute de glace: jamais on ne m'a pensé eschauffer.
Le Medecin.
Hon! il y a bien là de la repletion d'humeurs. Y a il longtemps que vous n'avez rien veu?
La Bourgeoise malade.
Monsieur, à la verité, cela m'a un peu tardé plus que de coustume.
Le Medecin.
Hon! Il ne vous faut pas donner une purgation bien forte, j'aurois peur que vous fussiez empeschée et que cela vous fist tort; il vous faudra seulement donner un petit lavement[205], et puis après on vous tirera un petit de sang.
Mon Dieu, Monsieur, j'apprehende bien cela.
Le Medecin.
O la, la, il ne faut point apprehender, cela est bien aisé à prendre; il y en a bien d'autres que vous qui en prennent: cela ne vous sçauroit faire de mal. Je crois qu'après cela vous vous trouverez bien.
La Bourgeoise malade.
Hé, mon Dieu, je voudrois bien pourtant n'en prendre point; j'apprehende trop cela.
Le Mary.
Et la, la, faut-il tant faire la delicate? Ce ne sera que par derrière, tu n'en verras rien[206].
Madame, prenez courage, vous n'en aurez que le mal. Y a il moien d'avoir un peu de papier, que j'envoie une ordonnance à l'apotiquaire? Que je voie un peu de son urine.
Le Mary.
La, ma fille, monsieur veut voir un petit de ton urine.
Le Medecin, tout bas au mary.
Voilà de l'urine qui est bien cruë! Prenez-y garde, elle est plus malade que vous ne pensez. Sa fiebvre ne paroist pas, c'est ce que j'en trouve de plus mauvais; voilà qui se prepare à une longue maladie: donnez-vous bien de garde pourtant de l'estonner. Vous lui ferez prendre son lavement sur les six heures; je reviendray demain au matin la voir pour lui faire tirer un petit de sang; après, selon qu'elle se trouverra, nous verrons ce que nous aurons à faire.
L'Apotiquaire.
Ca, Madame, voila un lavement que je vous apporte: il faut le prendre vistement, cela vous deschargera beaucoup.
La Bourgeoise malade.
Jesu! que je sens de mal! Je ne pense pas vivre encore longtemps comme cela: je me sens si debile!
L'Apotiquaire.
O la, la, Madame, prenez courage, taschez à vous fortifier, et me prenez souvent de bons bouillons.
La Bourgeoise malade.
Helas! je ne sçaurois rien prendre.
L'Apotiquaire, en donnant le clistère.
Madame, ne vous estonnez point, ouvrez la bouche et retenez vostre haleine, s'il vous plaist.
Le Mary.
Eh bien, m'amie, comment te trouves-tu? Tu ne veux pas prendre courage? Tasche un peu à te r'avoir: il me fasche de te voir si longtemps comme cela, tu m'attristes grandement.
La Bourgeoise malade.
Helas! mon ami, je prends le meilleur courage que je puis, mais je sens tant de mal que je ne sçay de quel costé me tourner.
Le Mary.
Et bien, ma fille, ton clistère a t'il bien opéré?
La Bourgeoise malade.
Nany, tout m'est demeuré dans le corps; il ne m'a de rien servi qu'à m'affoiblir davantage; cela m'a esmeue de la plus terrible façon que je ne sçay plus où j'en suis; ne me parlez plus de prendre des clistères, si vous ne me voulez faire mourir.
Le Mary.
Mais, ma fille, encore faut-il se contraindre pour sortir vistement de là; car si tu ne voulois rien prendre, ce ne seroit pas le moien de te guerir. Le medecin a ordonné que tu serois saignée demain, et puis après tu prendras une petite potion.
La Bourgeoise malade.
Mon Dieu, vous me rendez si debile que vous n'y pourez plus quelle pièce coudre, et que vous ahannerez[207] bien à me tirer de là. Vous sçavez bien que je ne suis pas femme à prendre tant de drogues; j'ay le plus meschant cœur du monde: il n'est pas possible que je prenne rien. Si vous croiez ces medecins, ce ne sera jamais fait. Vous voulez faire une boutique d'apotiquaire de mon corps.
Le Medecin.
Bon jour, Madame. Et bien, comment vous trouvez vous, m'amie? O là là, prenez courage: avec l'aide de Dieu vous n'en aurez que le mal. Vous vous estonnez de vous mesme. Que je taste vostre poux. Je ne vous trouve pas la fiebvre si forte que vous aviez hyer. Là, ma fille, voilà monsieur qui vous vient saigner. A t'elle pris quelque chose?
Le Mary.
Monsieur, nous lui avons donné le jaune d'un œuf.
Le Medecin.
Ha! falloit bien, falloit bien.
Le Mary.
Ouy, mais il a fallu que tout soit revenu.
Le Medecin.
Ah! falloit pas, falloit pas.
La Bourgeoise malade.
Mais je ne sçay pour moy ce que vous pensez faire, car, pour moy, si vous me saignez, je demeureray entre vos mains: je suis desja assez debile.
Le Chirurgien.
Madame, on ne vous fera qu'ouvrir la veine; vous n'en serez pas debilitée davantage, et si cela diminuera beaucoup vostre fiebvre.
La Bourgeoise malade.
Ah! entendez à moy. Ah! je me meurs!
Le Medecin.
Un peu d'eau fresche, ce n'est rien.
Le Chirurgien.
Une goutte de vin.
La Bourgeoise malade.
Ah Jesu! vous me ferez mourir. Que je serois heureuse si j'estois morte!
Le Medecin.
La la, ce n'est rien qu'une petite debilité qui vous a prise. Il faudra tantost que vous lui faciez un bon bouillon avec toute sorte d'herbes; et surtout ne la laissez pas dormir.
Le Mary.
Perrette, faicts un bouillon à ma femme, mets-y toutes sortes de bonnes herbes et un morceau de beure frais; surtout ne le salle guière.
Perrette.
Madame, vous plaist-il prendre vostre bouillon?
Jesu, quel bouillon! Voilà qui est amer comme suye: j'aimerois autant prendre une medecine. Vous estes une pauvre sorte de fille de n'avoir pas l'habileté de faire un potage.
Perrette.
En da, Madame, j'y ai gousté: il est fort bon; c'est que vous estes degoustée; voilà du meilleur bouillon qu'on sçauroit jamais prendre.
La Malade.
M'amie, puisque tu le trouves bon, mange-le.
Perrette.
En da, je ne sçay donc quel bouillon il vous faudroit; quand ce seroit pour la bouche du roy, il ne sçauroit estre meilleur.
Rouline, deuxième voisine.
Hé bien, Perrette, comment se trouve ta dame? Nostre maistresse m'avoit envoyée pour en sçavoir des nouvelles.
Perrette.
Je ne sçay comment elle se trouve: elle me donne plus de mal que la gresle[208]. Je ne sçaurois rien faire à son gré: je lui avois tantost faict le meilleur bouillon qu'on eust sceu voir, et si elle n'y a daigné gouster. Il y a bien des affaires après elle; si son mary n'est tout le jour à luy licher le nez, on n'a ny beau fait ny beau dict avec elle. Elle se chatouille pour se faire rire. J'en voudrois estre aussi loing que j'en suis près.
Georgette, seconde voisine.
Et bien, Perrette, ta dame ne se veut pas bien tost guerir? Il y a moult longtemps qu'elle est malade; cela est bien ennuiant pour toy. Tu me sembles grandement changée.
Perrette.
Je n'ay garde de faillir que je ne sois bien changée, d'estre jour et nuit sur pied: j'ay plus de mal qu'un pauvre chien, et si encore on ne m'en sçait point gré.
Rouline.
Pardy, la nostre n'est point comme cela, Dieu mercy: c'est la femme la plus aisée à gouverner qui soit en Chartres. Mais en recompense, notre maistre est assez malaisé pour tous deux.
Georgette.
Vramment, tu aurois donc beau dire si tu estois en ma place; tu te plains de saine teste. J'ay affaire à la veufve et aux heritiers, moy; si la femme est bien mal-aisée, le maistre est encore pire.
Perrette.
J'aymerois bien mieux oüir crier une femme debout que de la voir geindre couchée, car tout de jour elle me viendra dire: Chauffez-moy un peu des linges; tantost: Tirez-moy un petit ce rideau; tantost: Faictes taire ces enfans si vous voulez; cela fait un si grand bruit que cela m'alourde. Enfin ce n'est jamais fait, car je n'ozerois jamais destraquer[209] de sa chambre: il faut que je sois là tousjours liée.
Rouline.
Jesu! si tu sçavois la vie que nostre maistre me fit l'autre jour, c'estoit bien autre chose. Je ne sçais ce qu'il avoit en la teste, je croy qu'il s'estoit levé le cul le premier; il sembloit qu'il me deust tout jetter à la teste; vramment je disois bien que je sortirois ce jour-là. Jamais je n'en endureray tant que j'en ay enduré: je gratterois plustot la terre avec les ongles que de me retenir en une telle maison.
Georgette.
Helas! qu'il est heureux qui se peut passer de servir! Helas! ma pauvre, j'aymerois mieux ne manger qu'une croute de pain et n'aller point en service; il y a tantost je ne sçay combien d'années que je sers, et si Dieu sçait ce que j'y ay amassé.
Perrette.
Ouy vramment, en amasser! Une personne qui va droit en besongne, ma foy, il n'en amasse point tant; quand il faut prendre de quoy s'entretenir sur cinq ou six escuz, le demeurant est bien jeune à la fin: car de dons il n'en faut point chercher ceans. C'est une maison bien chanceuse; ils ont regret au pain qu'on mange; ce sont les gens les plus mécaniques[210]: seulement mes qu'elle soit relevée, Dieu sçait la vie qu'elle fera, je ne seray pas bonne à donner aux chiens; j'auray bien fait de la despence. Elle me dira bien: Jesu! m'amie, vous mettez bien tout à sac, hardy qui rien n'y met; si vous estiez à vostre mesnage, je ne sçay si vous feriez comme cela; la, la, m'amie, quelque jour vous chommerez de ce que vous gaspillez. Et si Dieu sait comme nous nous traictons, je n'ay pas seulement le cœur de manger.
Rouline.
Jesu! qui eust cru que ces gens-là eussent esté comme cela! Je croyois pour moi que tu y feusses bien à ton aise.
Perrette.
Ma foy, on ne cognoist pas le monde pour le voir: tout ce qui reluit n'est pas or! Voilà que je prends bien de la peine après elle, et quand j'acquesteray quelque bonne maladie, ils ne me feront pas gouverner, ils ne mettront guières à me mettre dehors; encore si en ne faisant point de bien, ils ne faisoient point de mal par leurs criries.
Rouline.
Tu fais bien de la dissimulée. Je veux bien que ta maistresse te fasche, mais ton maistre t'appaise bien; je ne m'estonne pas si elle te crie, elle a mal à la teste.
Georgette.
Ma foy, le nostre n'arrestera pas les coups, il la fera bien plustost crier contre moy; s'il recognoist seulement qu'on ne fasse pas bien quelque chose à sa fantaisie, il yra tout reconter; c'est le plus maussade villain: je suis bien heureuse quand il n'est point à la maison, j'en demande plustost les talons que le devant.
Rouline.
Encore je patianterois, moy, si je n'avois qu'un maistre et une maistresse à gouverner; mais j'avons un si grand train d'enfans que je ne sçay auquel entendre: l'un me demandera du pain, l'autre me demandera à boire, l'autre me demandera à pisser, l'autre voudra aller jouer, et je ne sçaurois auquel obeïr. Je n'ay jamais eu d'enfans, et si j'en suis bien saoule.
Le Mary.
Perrette, n'est-ce point tantost assez caquetté? Voilà une pauvre femme qui se meurt, et, au lieu d'estre là auprès d'elle à y prendre garde, il y a une heure qu'elle est à cette porte à causer. Si je vas à toy, je te hasteray bien d'aller.
Perrette.
Tredame! cela luy a donc pris bien soudain? Je n'en viens que de partir tout à cette heure, elle m'a dit que je la laissy un peu reposer.
Le Mary.
Va-t'en vistement querir le medecin.
Qu'est-ce, Monsieur? Qu'y a-t'il de nouveau? Est-il empiré à madame vostre femme?
Le Mary.
Hélas! Monsieur, on n'y cognoist plus rien; c'est à ce coup que je n'ay plus de femme.
Le Medecin.
Je la trouve grandement changée, je croy que vous ne la garderez plus guières; il faut attendre la grace de Dieu. Si ce n'est la grande jeunesse qui la puisse r'amener, je n'y vois pas grande apparence qu'elle en puisse reschapper. Si vous avez quelques affaires, prenez-y garde, il est temps d'y penser.
Perrette au mari.
Hé Jesu! Monsieur, je pense que voilà madame qui tire à sa fin.
Le Mary à sa femme.
Ma fille, prends courage. Tu ne veux rien dire?
La Femme.
Helas! mon ami, je voy bien qu'il me faut mourir. Je vous recommande vos pauvres petits enfans; comme vous m'avez esté bon mary, soiez-leur bon père; encore que vous vous remariassiez, ne les oubliez pas pourtant.
Le Mary.
Que je me remarie? Ah! ma fille, ne me parle point de cela: je ne croy pas que jamais je peusse aimer autre femme que toy.
Mon cœur, que je te dise adieu. Baise-moy encore un coup pour la dernière fois; je te prie de ne m'oublier jamais.
Le Mary.
Hé bien, m'amie, hé bien, ma fille, mon pauvre cœur, tu ne me veux rien dire? Ne me connois-tu point? Ma fille, parle un petit à moi; hé, dis-moy encore une pauvre parole. Ah! mon Dieu, je croy qu'elle est passée! Ah! que je suis misérable! Ah! que j'ay perdu une bonne femme! Ah! que c'estoit une bonne mesnagère! Je ne trouverray jamais sa pareille: c'estoit la femme de la meilleure humeur. Ah! mes enfans, que vous avez perdu une bonne mère! Vous avez perdu la plus belle rose de vostre rosier, mes pauvres enfans!
Perrette.
Hé! Monsieur, qu'est-ce que vous pensez faire de vous affliger tant? Il vous faut conserver pour survenir à vos enfans: car s'il vous alloit ecasser du mal, ce seroit une terrible playe pour vos enfans.
Le Mary.
Mais quoy? ou iray-je! de quel costé me tourneray-je! Helas! j'ay perdu toute ma consolation! Combien ay-je de mal au cœur, quand je vois tant de pauvres petits enfans après moy! Hélas! que j'ay la queuë longue[211]! Je n'avois le soing de rien, et à cette heure, il faut que j'aye le soing de mon mesnage et de ma vacation.
Perrette.
Monsieur, encore faut-il se consoler avec Dieu. Vous avez perdu une bonne femme, et moy j'ai perdu une bonne maistresse. Hélas! je disois qu'elle estoit si grondeuse; mais pleust à Dieu qu'elle fust encore au monde, à la charge de la gouverner encore autant que j'ay fait: la pauvre femme! c'estoit le mal qui luy faisoit dire cela. Hé! Jesu! que j'ay perdu une bonne maistresse!
Le Mary.
Perrette, mon enfant, si tu as perdu une bonne maistresse, tu as trouvé en moy un bon maistre; pourveu que tu gouvernes bien mes enfans, je ne te delairay ny à la mort ni à la vie, ce sera au plus vivant des deux.
Perrette.
O Monsieur, je n'ay garde de vous quitter. Je vous gouverneray vous et vos enfans aussi fidellement que j'aye jamais faict; je ne feray pas pis que j'ay faict.
L'Amant.
Bon soir, Madame; comment vous portez-vous depuis que je n'ay eu l'honneur de vous voir?
La Maistresse.
Je me porte fort bien, Monsieur, pour vous rendre service.
L'Amant.
Pour moy, Madame, je n'ay peu me bien porter estant absent d'une personne si belle que vous estes.
La Maistresse.
Monsieur, cela vous plaist à dire.
L'Amant.
Madame, je ne dis rien qui ne soit, moy indigne d'en parler.
La Maistresse.
Monsieur, vos mespris vous servent de louanges[212].
Madame, j'ay esté bien fasché d'estre esloigné si longtemps de ces beaux yeux qui sont mes soleils; je vous jure que j'ay reçu mille desplaisirs de leur eclipse.
La Maistresse.
Monsieur, je n'ay pas tant merité envers vous.
L'Amant.
Madame, vous avez tant de merites qu'on ne sçauroit les nombrer; mon Dieu, que voila une belle bouche, que voila des cheveux qui sont beaux!
La Maistresse.
Monsieur, ne vous mocquez point de vostre servante.
L'Amant.
Madame, je n'aurois garde de m'adresser à vous pour me mocquer, mais je vous prie de croire que c'est l'amour que je vous porte qui me faict parler de la façon.
La Maistresse.
Monsieur, vous ne voudriez pas choisir un si bas subject, vous ne voudriez pas estendre vos drappeaux en si basse haye.
L'Amant.
Ah! Madame, voila comme on dict quand on se veult desfaire d'une personne; aussi ne suis-je pas digne que vous pensiez en moy; je n'ay pas assez de merite pour vous; il vous en faut bien un autre; peut-estre qu'il y en a desja quelqu'un qui occupe la place.
La Maistresse.
Pardonnez-moy, Monsieur, je vous asseure que je n'aime personne plus que l'autre; quant à de moy, je voy tout le monde esgalement.
L'Amant.
Ah Dieu! que celuy sera heureux qui possedera une si belle dame! Que je ferois estat de moy si j'avois ses bonnes graces.
La Maistresse.
O Monsieur, je sçay bien que vous sçavez bien vostre monde; vous n'allez point chercher à vos talons ce que vous voulez dire.
L'Amant.
Madame, pardonnez-moy, je n'ay point tant de discours; mais c'est que vous estes si belle qu'on ne sçauroit s'empescher de vous aymer. Mon Dieu, que voila un bras qui est blanc et potelé!
La Maistresse.
Monsieur, vous vous mocquez aussi bien d'assiz comme debout; il n'y a nullement de beauté en moy.
L'Amant.
Madame, c'est vostre humilité qui vous faict parler ainsi; il vault mieux que ce soit vous qui le die qu'un autre.
Monsieur, il faudroit avoir leu les livres de bien dire pour vous respondre[213]. Je ne suis pas personne qui entende si bien le discours; c'est une chose ou je ne m'estudie guieres.
L'Amant.
O Madame, vous n'estes pas en ceste resputation-là: vous avez le bruict d'estre la mieux disante de Chartres, et d'estre bien venue en toutes sortes d'honnestes compagnies, où on vous affectionne grandement.
La Maistresse.
O Monsieur, ne m'attribuez point tant de louanges, car elles ne me sont point deuës pour tout.
L'Amant.
Madame, je ne vous en sçaurois tant attribuer qu'il vous en est deu; vous n'avez que toutes belles perfections dont vous charmez tout le monde, car je croy que toutes les sept beautés sont en vous. Mon Dieu, que voila un beau visage! Il m'est a voir que je serois assez content si vous me vouliez favoriser seulement d'un baiser.
Monsieur, vous m'en excuserez, s'il vous plaist: je ne suis point fille qui baise personne.
L'Amant.
Jesu! Madame, me refuserez-vous pour si peu de chose? Si vous ne me le voulez donner d'amitié, je le prendrai de force, encore que ce me seroit plus de contentement d'une façon que de l'autre.
La Maistresse.
Monsieur, arrestez-vous si vous voulez, je ne prends point de plaisir à tout cela.
L'Amant.
Ah! Madame, voulez-vous me desobliger de la façon! Serez-vous tousjours farouche de la sorte?
La Maistresse.
Je ne suis farouche que de bonne sorte; si on vous donne un pied d'abandon, vous en prenez deux; on n'a que faire de se rendre familier avec vous, vous prenez assez de liberté.
L'Amant.
Madame, je vous demande pardon, si je vous presse de me permettre un baiser, mais c'est la grande amour que je vous porte qui m'incite à cet effet. Madame, je vous prie de me l'accorder.
La Maistresse.
Monsieur, vous estes grandement importun; arrestez-vous si vous voulez, je n'aime pas le bruit si je ne le fais; on en a bien veu d'autres que vous.
Quoy, Madame, on n'ozeroit donc vous approcher? Au moins que je touche à ce beau sein là.
La Maistresse.
C'est un autre fait, Monsieur. Nous ne sommes pas de ces gens là, qui se laissent ainsi manier: c'est à faire à d'autres. Je croy que ce n'est que pour m'esprouver ce que vous en faictes; je ne croy pas que vous ayez rien recogneu en moy qui vous porte à cela.
L'Amant.
Madame, ce que j'en ay fait ce n'estoit pas pour vous offencer; vous vous faschez pour un bien maigre subjet: j'ayme bien mieux m'en aller que de vous estre davantage importun. Je voy bien que vous n'estes pas aujourd'huy en vostre belle humeur, je m'en vais vous donner le bon soir: peut-estre que vous ne serez pas demain si fascheuse. Tout cela n'empeschera point que je ne demeure vostre serviteur. Mais, Madame, je vous prie que je ne m'en aille point disgracié de vostre personne.
La Maistresse.
Monsieur, il n'y a point de disgrace à tout cela; mais c'est que vous estes si pressant, et si mouveux[214], qu'on ne sçauroit estre un quart d'heure en repos avec vous.
Madame, si je sçavois vous avoir esté importun, je m'estimerois le plus malheureux du monde.
La Maistresse.
Et la, la, mon Dieu, vous n'estes pas si fasché que vous en faites le semblant; on vous cognoist bien; vous en yrez dire tantost autant à une autre: c'est pour donner carrière à vostre esprit.
L'Amant.
Madame, croyriez-vous que je feusse de ces gens là qui sont si changeants? Je vous asseure que vous estes le seul subjet pour qui j'aye de l'affection, et vous jure que si vous avez mon service pour agreable, je n'en auray jamais d'autres que vous.
La Maistresse.
O Monsieur, tous les jeunes hommes disent ainsi. Si je n'avois oüy dire beaucoup de tels diseurs et autres, vous pourriez m'en faire accroire; mais je ne suis pas de si legère creance.
L'Amant.
Madame, en quoy desirez-vous que je vous tesmoigne l'amour que je vous porte? Vous n'avez qu'à me commander, je vous obeïrai en tout.
La Maistresse.
Monsieur, je ne voudrois pas faire de mon maistre mon serviteur; je voy bien que vous estes grandement obligeant.
Hélas! Madame, je ne me mets qu'en mon devoir.
La Maistresse.
Monsieur, vostre devoir ne vous y oblige point, c'est que vous estes ainsi bien appris.
L'Amant.
Madame, ce n'est point civilité, mais affection: je m'asseure que maisque[215] vous l'ayez recongneuë, vous l'aurez agreable; vous ne trouverrez jamais personne qui vous serve avec plus de bonne volonté et de discretion.
La Maistresse.
Ouy vramment, Monsieur, discretion, je le penserois bien. Cela est bon pour un temps; mais quand on a eu d'une fille ce qu'on en desiroit, on ne s'en soucie plus: quand vous serez hors d'ici, vous en rirez.
L'Amant.
Madame, je vous prie de n'avoir point cette pensée-là de moy; j'aimerois mieux estre mort mille fois, que d'avoir songé à parler de la moindre faveur que j'aurois receuë de vous.
La Maistresse.
Monsieur, vous me faites maintenant de belles promesses, mais j'ay grand peur qu'elles ne tiennent pas; si vous me trompez en la moindre chose, jamais je ne me fieray en vous.
L'Amant.
Madame, je ne vous puis dire autre chose, sinon que vous me cognoistrez fidelle en tout et par tout.
La Maistresse.
Monsieur, je le verray bien. Mais, mon Dieu, je croy que voila dix heures qui viennent de sonner; il est temps de se retirer, il ne faut pas que ma mère vous trouve icy.
L'Amant.
Pardonnez-moy, Madame, il n'est pas si tard. Quoy! faut-il que je me separe si tost d'avec vous? Je vous conjure de me tenir tousjours pour très affectionné serviteur, et que je tiendray tousjours très secret notre amour. Pour le confirmer, Madame, permettez-moy un baiser sur cette belle bouche.
La Maistresse.
Hé! mon Dieu, vous me gastez tout mon colet.
L'Amant.
Quoy, m'en irois-je sans toucher ce beau sein? Il n'y a pas moïen, il faut que je le baise.
La Maistresse.
Hé! Jesu! vous me foupissez toute[216]! Que dira-t'on de me voir ainsi?
A Dieu, mon cœur. Faut-il que je me sépare si tost! Je ne sçaurois vivre absent de toy.
La Maistresse.
Bon soir, Monsieur; vous pourrez venir tous les soirs icy; nous pourrons y estre librement une heure ou deux sans que personne nous puisse voir; mais sur tout je vous recommande d'estre secret.
L'Amant.
Mon cœur, tu n'auras jamais sujet de te plaindre de moi. A Dieu jusqu'à demain.
DIALOGUE IX.
Le Bourgeois qui traite ses amis.
Les deux Conviés.
Le Bourgeois.
Messieurs, je vous donne le bon jour; vous soyez les très-bien venus en nostre logis, vous me faites beaucoup d'honneur.
Le premier Convié.
Monsieur, c'est moi qui le reçois.
Messieurs, vous plaist-il pas passer?
Le second Convié.
O Monsieur, je n'ay garde de faire cette faute-là.
Le Bourgeois.
Messieurs, je vous en prie, sans ceremonie.
Le premier Convié.
Monsieur, je ne le feray pas, je ne passeray jamais devant vous.
Le Bourgeois.
Messieurs, à quoy est bon cela? Nous fussions desjà à la table. Entrez, je vous prie.
Le second Convié.
Monsieur, nous ne le ferons pas: nous serions plustost là tout aujourd'huy[217].
Messieurs, ce sera donc pour vous obéïr: j'aime mieux faire l'incivil que l'importun[218]. Là, Messieurs, ne laissons point froidir les viandes, elles n'en seroient pas meilleures. Messieurs, lavons, s'il vous plaist. Là, Monsieur, mestez-vous là.
Le premier Convié.
Monsieur, quand vous aurez pris vostre place.
Le Bourgeois.
Non, Messieurs, je n'ay garde. Je vous supplie, ne perdons point de temps. Messieurs, vous estes venus pour faire penitence.
Le second Convié.
La penitence est bien douce à faire, Monsieur.
Messieurs, excusez si je vous traite si mal; je ne sçay en quelle ville nous sommes, je n'y ay jamais sçeu rien faire trouver.
Le premier Convié.
Jesu! Monsieur, hé! que pourriez-vous desirer davantage? voilà trop de viande de moictié.
Le second Convié.
Vous nous voulez rassasier tout d'un coup: quand je voy tant de viande, je ne sçaurois manger. Sans mentir, Monsieur, voilà trop de mets. O maisque vous veniez chez nous, vous ne serez pas si bien traité; pourveu qu'il y ait une pièce ou deux plus que l'ordinaire, c'est assez: on mange jusques aux os avec appetit.
Le Bourgeois.
Pardonnez-moy, il n'y a rien de superflu; mais c'est qu'on est bien aise qu'une table soit couverte. Messieurs, vous ne mangez point.
Le premier Convié.
Hélas! Monsieur, il n'y a que moy.
Le Bourgeois.
Messieurs, je m'en vais boire à vostre santé; vous soyez les très bien venus.
Mon fils, donne-moy du vin. Monsieur, je m'en vais vous faire raison.
Le Bourgeois.
Ah! Monsieur, n'y mettez point d'eau, le vin est petit.
Le second Convié.
Monsieur, voilà de fort bon vin.
Le Bourgeois.
C'est du vin de ma cueillette, à votre service. Messieurs, si vous le trouvez bon, ne l'espargnez pas.
Le premier Convié.
Il n'y a point de plaisir d'avoir des vignes, c'est un pauvre heritage, elles ne payent pas leurs façons. Je trouve que c'est un plus grand mesnage d'achepter le vin: il n'apartient qu'aux vignerons d'avoir des vignes.
Le Bourgeois.
Pour moy, j'ayme mieux avoir des vignes: on a le plaisir de voir faire son vin, on est asseuré qu'il est pur et net, on sçait ce qu'on boit; ou ces vignerons font mille meschancetez à leur vin quand on l'achette.
Le second Convié.
J'en achetay l'autre jour qui estoit le plus pauvre vin du monde; je croy qu'il y avoit plus de moictié d'eau, et cependant il ne laissoit pas de me couster bien cher.
Le Bourgeois.
O! il n'y a rien tel que de voir faire son vin; le mien n'est pas des plus excellents, mais il est bon pour un ordinaire.
Le premier Convié.
Comment, il n'est pas des plus excellents! Hé Dieu, je le trouve fort bon.
Le Bourgeois.
O! beuvons-en donc, puisque vous le trouvés bon, et ne le faictes point pour l'espargner.
Le premier Convié.
Comment, Monsieur, encore un service? Hé, que pensez-vous faire? Je pense que vous vous mocquez. Vous ne nous traitez pas en amis, vous n'avez pas envie que nous y revenions.
Le Bourgeois.
Monsieur, ce ne sont que deux ou trois pièces que l'on m'a données; ce lapin et ce levrault sont pris au ah ah, ils ne nous coustent rien.
Le second Convié.
Voilà un lapin qui est de bonne garanne, je ne mangeay de ma vie d'un meilleur morceau.
Le Bourgeois.
Courage, mangeons-en donc, resjoüissons-nous; qui chapon mange, chapon luy vient: quand nous aurons dépesché ce lapin, nous en aurons d'autres. Allons, je m'en vais boire à vostre santé, faites comme moy.
Le premier Convié.
Je m'en vais vous faire raison, et le porte à Monsieur; il est trop brave homme pour manquer de repartie.
Le second Convié.
Pour faire raison à Monsieur, à la santé de Monsieur nostre hoste, je le porte aux Anges.
Le Bourgeois.
Garçon, oste-nous tout: il m'est advis que Messieurs ne mangent plus.
Le premier Convié.
Ma foy, c'est trop mangé; je n'en suis pas mieux quand j'ay fait de telles desbauches.
Le second Convié.
Pour moy, je n'en puis plus, tant j'ay donné furieusement sur ce levrault.
Le Bourgeois.
Messieurs, priez Dieu pour les mal traitez. Ce ne sont pas les grands banquets qui font les grands amis; ce peu que je vous ay donné, ça esté de bon cœur; le bon visage vaut mieux que tous les festins du monde.
Mémoire pour les Coëffeuses, Bonnetières et Enjoliveuses de la ville de Rouen[219].
La communauté des coëffeuses de la ville de Rouen, erigée depuis un tems immemorial, et gouvernée par des statuts particuliers, dont la redaction date de l'année 1478, a toujours opposé, avec succès, l'antiquité de son origine, et la certitude de ses prerogatives aux pretentions des perruquiers de la même ville. Ces derniers ont essayé plusieurs fois de porter un coup mortel à l'existence de cette communauté florissante. Des decisions solennelles et successives sembloient avoir imposé silence à leurs jalouses reclamations. L'autorité, d'accord avec la justice, avoit fixé d'une manière irrevocable les bornes où devoient se circonscrire les pretentions respectives de ces deux communautés, et le partage naturel de leurs occupations entre les deux sexes qui en sont l'objet[220]. Les perruquiers n'ont pas été contens de ce partage, dont l'egalité ne pouvait pourtant donner lieu au moindre murmure de leur part. Une loi nouvelle, interpretée à leur manière, leur a paru une occasion favorable de renouveller avec succès des pretentions si authentiquement proscrites; leur rivalité s'appuye sur les lettres patentes données à Versailles, le 12 septembre 1772, en faveur des perruquiers des provinces du royaume, et contre l'esprit de ces lettres, contre la disposition precise de leur enregistrement, contre les loix et les arrêts qui assurent l'etat et le commerce des coëffeuses, ils veulent depouiller ces dernières de tous leurs priviléges[221].
Celles-ci viennent avec confiance reclamer aux pieds du trône des droits dont la confirmation a eté l'ouvrage du trône même. La discussion la plus rapide suffira pour devoiler toute l'injustice des pretentions qu'elèvent contre ces droits les perruquiers de la ville de Rouen.
Cette ville est peut-être la seule dans le royaume, où la coëffure des hommes et celle des femmes aient eté confiées, dans l'origine, à des mains differentes. Cette division utile a son principe dans la raison et la nature; il est plus simple en effet de laisser aux femmes le soin de parer et d'embellir les personnes de leur sexe[222]; un tact plus sur sur tous les details de l'ajustement, une intelligence plus fine pour l'invention et l'arrangement des accessoires qui le composent, un goût plus recherché pour les ornemens qui font ressortir la beauté, sans donner dans l'affectation; un instinct, en quelque sorte, inné pour tout ce qui tient à l'elegance de la chevelure; enfin une connoissance plus particulière des moyens que l'art peut ajouter aux grâces naturelles: voilà ce qu'on ne sauroit disputer aux femmes[223].
Il n'est pas d'ailleurs indifferent, aux yeux de la decence, que l'ornement des femmes ait fait l'objet d'un departement exclusif en faveur d'une communauté d'ouvrières. Nos pères auroient cru, sans doute, blesser cette decence si delicate et si sevère, s'ils avoient permis aux mains profanes d'un perruquier de decorer ces têtes charmantes, dont la modestie et la pudeur sont les premiers ornemens.
Quoi qu'il en soit, la communauté des coëffeuses, bonnetières et enjoliveuses de la ville de Rouen etoit regie, il y a plusieurs siècles, par des statuts dressés le 15 juin 1478, et confirmés par lettres-patentes du roi Henri III, du mois de juillet 1588[224].
La succession des tems amène celle des modes, et la varieté des circonstances occasionne des abus, ou necessite des reformes dans les meilleures disciplines. En 1709, les coëffeuses de Rouen perfectionnèrent celle de leur communauté; leurs statuts et reglemens furent dressés alors au nombre de trente articles, le suffrage des magistrats intervint à cette nouvelle redaction. Louis XIV la confirma par ses lettres patentes enregistrées au parlement de Rouen le premier juillet de la même année[225].
Les premier et second articles de ces derniers statuts s'expliquent avec la plus rigoureuse precision sur les objets qui n'ont cessé d'exciter parmi les perruquiers une emulation inquiète et jalouse. Suivant ces articles, les coëffeuses ont le droit exclusif de coëffer les filles et femmes[226], et celui de faire, concurremment avec les perruquiers, tous les ouvrages de cheveux pour la coëffure et ornement de têtes de femmes; et pour cet effet, d'acheter de toutes sortes de personnages, tant de la ville de Rouen qu'etrangères, des cheveux de toute espèce[227].
Le titre des coëffeuses, à cet egard, est donc clair autant que solennel; telle est l'extension que l'autorité souveraine leur a permis de donner à leur industrie et à leur commerce. Mais c'est peu que les termes mêmes des statuts leur assurent ce droit d'ailleurs ancien et incontestable, elles en ont encore joui sans trouble, et toutes les difficultés qu'on a voulu faire à ce sujet ont toujours eté terminées en leur faveur; en effet, un arrêt contradictoire du parlement de Rouen, du 12 mai 1687, a maintenu les coëffeuses dans le droit de faire, concurremment avec les perruquiers, tous les ouvrages de cheveux pour les coëffures des filles et des femmes, et dans la liberté du commerce des cheveux. Cet arrêt défend encore aux perruquiers et à tous autres de leur contester l'exercice de ce droit; un autre arrêt du même tribunal, du 14 août 1752, egalement contradictoire entre les mêmes parties, consacre celui qu'on vient de rappeler[228].
Ce dernier arrêt paroissoit opposer aux vexations des maîtres perruquiers de Rouen contre la liberté du commerce des coëffeuses, une barrière insurmontable; les tentatives des premiers pour la renverser avoient toutes échoué; mais, toujours aveuglés par le même esprit de rivalité et d'intérêt personnel, ils ont saisi avec empressement l'apparence de raison que leur donnent les lettres-patentes du douze decembre 1772, pour apporter un nouveau trouble dans l'exercice paisible du metier des coëffeuses.
Ces lettres patentes ont pour objet d'etendre aux perruquiers de province la jouissance de differens avantages que les loix precedentes ont assurés à ceux de Paris, et de leur attribuer en consequence, sans exception ni restriction, à titre exclusif, et privativement à toutes personnes quelconques, la frisure et l'accommodage des cheveux naturels et artificiels des hommes et des femmes.
Il s'agit de savoir si l'attribution generale, portée par ces lettres patentes en faveur des maîtres perruquiers de province, peut deroger au droit particulier des coëffeuses de Rouen. Cette question est aisée à resoudre.
A n'examiner les choses que superficiellement, la teneur de ces lettres patentes sembleroit peut-être envelopper les coëffeuses de Rouen dans la proscription universelle qu'elles prononcent contre toutes les femmes et filles occupées de la frisure ou de la coëffure des femmes. S. M. permet, à la verité, à ces filles et femmes de continuer ledit exercice, mais à charge par elles, et sous peine de punition, de ne pouvoir faire ni composer des boucles, tours de cheveux ou chignons artificiels, etc.
D'après ce dernier texte et l'exclusion portée plus haut en faveur des maîtres perruquiers des provinces, voici comme raisonnent ceux de Rouen dans la circonstance presente: La prohibition est indefinie, l'exercice de notre metier est interdit à toutes personnes quelconques; si le legislateur permet, par grâce, aux filles et femmes de l'exercer, il leur defend le commerce des cheveux, la composition des boucles, etc. Cette denomination generale de filles et femmes occupées de la frisure et coëffure, comprend necessairement les coëffeuses de Rouen; donc le privilége reclamé par elles est aneanti par ces lettres-patentes; donc elles ne peuvent plus ni travailler les cheveux, ni vendre les chignons, ni, enfin, jouir de toutes les autres libertés que leurs statuts leur avoient données.
On ne nous reprochera pas, sans doute, d'affecter de prendre par son côté foible l'argument de nos adversaires. Nous rapportons leur objection dans toute sa force: deux considérations vont la détruire.
La première est tirée des termes mêmes des lettres-patentes, la seconde est empruntée de leur esprit.
Nous disons d'abord que les termes mêmes des lettres-patentes prouvent evidemment que S. M. n'a pas eu intention de nuire aux droits dont les coëffeuses etoient en possession, à l'epoque de ces lettres, de faire et composer des boucles, tours de cheveux ou chignons artificiels pour les femmes, etc.; en effet, S. M. n'interdit pas ce travail à celles qui en ont le droit, mais seulement aux filles et femmes qui s'occupent actuellement, ou qui s'occuperont par la suite, de la frisure et de la coëffure des femmes. Or, il serait bien singulier de pretendre que ces expressions pussent caracteriser les maîtresses coëffeuses de Rouen; ce ne sont pas des filles et femmes qui se livrent à une occupation vague ou à un commerce arbitraire: c'est une communauté entière, devouée, par etat et par les lois qui la gouvernent, à des occupations fixes, à un commerce determiné. On ne peut pas, comme S. M. le prescrit à l'egard de ces filles et femmes, les faire inscrire sur le registre du bureau de la communauté des perruquiers, puisqu'elles forment une communauté ancienne, reconnue, avouée, protegée; puisqu'elles ont elles mêmes un bureau[229], puisqu'enfin leurs noms, surnoms et demeures sont inscrits sur leurs propres registres. Il est donc certain qu'aux termes de la loi, les coëffeuses de Rouen ne sont pas comprises dans la prohibition de ces lettres-patentes.
Elles ne sauroient y être comprises: l'esprit de la loi y repugne. Le moyen de l'interpreter avec elle même, c'est d'en etudier les differentes dispositions. Or, on y en lit une dont l'application doit se faire à l'espèce presente. Les chirurgiens des Provinces qui etoient en droit et possession d'exercer la barberie et qui n'y ont pas renoncé, y sont maintenus[230]; Sa Majesté attribue aux perruquiers la frisure et l'accommodage, sans exception ni restriction, mais aussi sans prejudice du droit dont sont en possession les chirurgiens qui n'ont pas renoncé à la barbarie, d'en continuer l'exercice comme par le passé.
Cette attention scrupuleuse du legislateur à conserver les droits des chirurgiens sera la sauve garde des maitresses coëffeuses de Rouen; leur droit etoit legitime, il etoit etabli et respecté lors des lettres patentes. Ce ne sauroit donc être l'intention de Sa Majesté de prejudicier, par ce reglement general, à cette prerogative particulière, que l'origine la plus ancienne, la possession la plus longue et les titres les plus solennels consacrent egalement. Tout ce qui emane de l'autorité souveraine doit porter le caractère de l'equité suprême. Cette equité seroit blessée par la derogation que les maitres perruquiers de Rouen voudroient trouver dans ces lettres au droit des maitresses coëffeuses, derogation qui ne s'y trouve point et qu'on ne sauroit y supposer, puisqu'elle seroit contradictoire avec la reserve qui y est faite du droit des chirurgiens-barbiers.
La pretention des maitres perruquiers de Rouen est donc absolument injuste et mal fondée; tout, malgré leurs efforts, se reunit pour solliciter en faveur des maitresses coëffeuses, des lettres patentes de confirmation de leurs priviléges, qui établissent une exception favorable à la disposition dont on pretend inferer l'aneantissement de ces privileges.
Toutes les communautés sont egalement sous la protection bienfaisante du Gouvernement; tous les citoyens sont les enfants d'un même père. Il est trop bon pour enrichir les uns de la substance des autres; il est trop juste pour satisfaire la jalousie des maitres perruquiers de Rouen par la ruine de la communauté des coëffeuses.
Tel est le resumé de ce memoire. Depuis 1478, les coëffeuses jouissent du droit qu'on leur dispute, les lettres-patentes du 12 décembre 1772 ne leur ont pas enlevé ce droit immemorial. Elles ne peuvent pas être censées l'avoir detruit; rien ne s'oppose donc à ce que la puissance, qui lui a donné l'être et la forme, le munisse encore du sceau de la confirmation la plus authentique. Il est même de la bonté equitable de Sa Majesté d'empêcher que la fausse interpretation d'un reglement dicté par sa sagesse ne donne atteinte à l'existence d'une communauté etablie sous l'autorité et l'empire de la loi.