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Variétés Historiques et Littéraires (10/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers

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Lettres de Mme de La Fayette à Mme de Sablé[164].


I

Ce mardy au soir[165].

Vous ne songez non plus à moy qu'aux gens de l'autre monde, et je songe plus à vous qu'à tous ceux de celui-cy. Il m'ennuie cruellement de ne vous point voir, j'ay esté quinse jours à la campagne[166], c'est ce qui m'a empeschée d'aller un peu vous empescher de m'oublier. Si vous vouliez demain de moy, j'yrois disner avec vous, à condition qu'il n'y aura ny poulet, ny pigeon d'extraordinaire[167]. Si vous avez affaire demain, donnés-moi un autre jour.


II

Ce jeudy au soir[168].

Voilà un billet que je vous suplie de vouloir lire, il vous instruira de ce que l'on demande de vous. Je n'ay rien à y adjouster, sinon que l'homme qu'il l'escrit[169], est un des hommes du monde que j'ayme autant, et qu'ainsi, c'est une des plus grandes obligations que je vous puisse avoir que de luy accorder ce qu'il souhaitte pour son amy. Je viens d'arriver à Fresne, où j'ay esté deux jours en solitude avec madame du Plessis[170]; en ces deux jours-là, nous avons parlé de vous deux ou trois mille fois; il est inutile de vous dire comment nous en avons parlé, vous le devinés aisement. Nous y avons leu les Maximes de M. de La Rochefoucauld[171]: Ha Madame! quelle corruption il faut avoir dans l'esprit et dans le cœur, pour estre capable d'imaginer tout cela! J'en suis si espouvantée, que je vous asseure que si les plaisanteries estoient des choses sérieuses, de telles maximes gasteroient plus ses affaires que touts les potages qu'il mangea l'autre jour chez vous[172].


III[173]

Vous me donneriés le plus grand chagrin du monde, si vous ne me montriés pas vos Maximes[174]. Madame du Plessis m'a donné une curiosité estrange de les voir; et c'est justement parce qu'elles sont honnestes et raisonnables que j'en ay envie, et qu'elles me persuaderont que toutes les personnes de bon sens ne sont pas si persuadées de la corruption générale que l'est M. de La Rochefoucauld. Je vous rends mille et mille grâces de ce que vous avés faict pour ce gentilhomme[175], je vous en irai encore remercier moy-mesme, et je me serviray toujours avec plaisir des prétextes que je trouveray pour avoir l'honneur de vous voir; et si vous trouviés autant de plaisir avec moy que j'en trouve avec vous, je troublerois souvent vostre solitude.


IV[176]

Il y a une éternité que je ne vous ai veue, et si vous croyés, Madame, qu'il ne m'en ennuyé point, vous me faittes une grande injustice. Je suis résolue à avoir l'honneur de vous voir quand vous seriés ensevelie dans le plus noir de vos chagrins; je vous donne le choix de lundy ou de mardy, et de ces deux jours là, je vous laisse à choisir l'heure, despuis huit du matin jusques à sept du soir. Si vous me refusés après toutes ces offres là, vous vous souviendrés au moins que ce sera par une volonté très déterminée que vous n'aurés voulu me voir, et que ce ne sera pas ma faute[177].

Ce dimanche au soir.


V[178]

Ce mardy au soir.

De peur qu'il n'arrive quelque changement à la bonne humeur où vous estes, j'envoye vistement sçavoir si vous me voulés voir demain, j'yray chés vous incontinent, après disné, car je vous cherche seule; et si vous envisagés des vissittes, remettés-moy à un autre jour: il est vrai qu'il faut que vous ayés de grands charmes ou que je ne sois guère sujette à m'offenser, puis que je vous cherche après tout ce que vous m'avés fait.


VI[179]

Ce mardy.

Vous devés me haïr de ne vous avoir pas escrit, dès hier au matin que Madame[180] m'a commandé expressement de vous faire des compliments de sa part, et de vous dire que si elle ne fust point sortie si tard des Carmélites, elle auroit esté vous faire une vissitte. Je lui dis tout ce que vous m'aviés ordonné. Madame de Saint-Loup[181] ne luy avoit point parlé de vostre grande lettre ny de vostre billet; voilà, ce me semble, ce que vous m'aviés ordonné de sçavoir. Si vous me commandiés autre chose, vous verriés avec quelle exactitude je vous obéirois.


VII[182]

Je ne voulois rien que vous voir, Madame; mais je me plains bien que vous ne me regardiés que comme une personne qu'il ne faut voir que dans la joye, et quy n'est pas capable d'entrer dans les sentiments que donne la perte d'une amie; il s'en faut peu que je ne sois offencée contre vous, et je croys que je le serois si je ne sçavois qu'en l'estat où vous estes, il faut plustot vous plaindre que se plaindre de vous; je vous asseure que je vous plains aussi autant que vous le devés estre, et que je comprends à quel point la perte de madame la comtesse de Maure vous est douloureuse[183]. Si vous revoyés cette personne, ayés la bonté de la faire souvenir de parler à l'autre; il ne me paroist pas qu'on luy ait encore rien dit.


VII[184]

Ce lundy au soir.

Je ne pus hier respondre à vostre billet, parce que j'avois du monde, et je croys que je n'y respondray pas aujourd'hui, parce que je le trouve trop obligeant. Je suis honteuse des louanges que vous me donnés, et d'un autre costé, j'ayme que vous ayés bonne opinion de moy, et je ne veux vous rien dire de contraire à ce que vous en pensés. Ainsi, je ne vous respondray qu'en vous disant que M. le comte de Saint-Paul[185] sort de céans, et que nous avons parlé de vous une heure durant, comme vous sçavez que j'en sçay parler. Nous avons aussi parlé d'un homme que je prends toujours la liberté de mettre en comparaison avec vous pour l'agrément de l'esprit[186]. Je ne sçay si la comparaison vous offense; mais quand elle vous offenseroit dans la bouche d'une autre, elle est une grande louange dans la mienne, si tout ce qu'on dit est vray. J'ay bien veu que M. le comte de Saint-Paul avoit ouy parler de ces dits-là, et j'y suis un peu entrée avec luy; mais j'ay peur qu'il n'ait pris tout sérieusement ce-que je luy en ay dit. Je vous conjure, la première fois que vous le verrés, de lui parler de vous-mesme de ces bruits-là. Cela viendra aisément à propos, car je lui ay donné les Maximes, il vous le dira sans doute; mais je vous prie de luy en parler bien comme il faut, pour le mettre dans la teste que ce n'est autre chose qu'une plaisanterie[187]. Je ne suis pas assez asseurée de ce que vous en pensés pour respondre que vous dirés bien, et je pense qu'il faudroit commencer par persuader l'ambassadeur. Néanmoins, il faut s'en fier à vostre habileté; elle est au-dessus des maximes ordinaires, mais enfin persuadés-le; je hays comme la mort que les gens de son âge puissent croire que j'ay des galanteries[188]. Il me semble qu'on leur paroist cent ans dès que l'on est plus vielle qu'eux, et ils sont touts propres à s'estonner qu'il soit encore question des gens; et de plus, il croirait plus aisément ce qu'on luy diroit de M. de la R. F.[189] que d'un autre. Enfin, je ne veux pas qu'il en pense rien, sinon qu'il est de mes amis, et je vous suplie de n'oublier non plus de luy oster de la teste, si tant est qui le l'eût, que j'ay oublié vostre message. Cela n'est pas généreux de vous faire souvenir d'un service en vous en demandant un autre.

.........................

Je ne veux pas oublier de vous dire que j'ay trouvé terriblement de l'esprit au comte de Saint-Paul.

La nouvelle manière de faire son profit des Lettres, traduitte en françois par J. Quintil du Tronssay, en Poictou[190].

Ensemble: le Poëte-Courtisan.

A Poictiers.

1559.—In-8o.


Moy a Toy.

Salut.

Quant à ce que tes vers frissonnent de froidure,
Que tes labeurs sont vains, et que pour ta pasture
A grand'peine tu as un morceau de gros pain,
Voire de pain moisi, pour appaiser ta faim;
Que ton vuide estomac abboye, et ta gencive
Demeure sans mascher le plus souvent oysive,
Comme si le jeusner exprès te feust enjoinct
Par les Juifs retaillez[191]; que tu es mal en poinct,
Mal vestu, mal couché: Amy, ne pren la peine
De faire désormais ceste complainte vaine.

Tu sçais faire des vers, mais tu n'as le sçavoir
De pouvoir par ton chant les hommes decevoir:
Car le dieu Apollon avec le dieu Mercure
S'assemble, ou autrement de ses vers on n'a cure.
Mercure, par finesse et par enchantement,
Dedans les cueurs humains glisse secrètement;
Il glisse dans les cueurs, il trompe la personne,
Et d'un parler flatteur les ames empoisonne:
Avec tel truchement peut le dieu Délien
Possible quelque chose, autrement ne peut rien.

Celuy qui de Mercure a la science apprise,
En cygne d'Apollon bien souvent se deguise;
Encore que le brait d'un asne, ou la chanson
D'une importune rane[192] ait beaucoup plus doulx son.

Veulx-tu que je te montre un gentil artifice
Pour te faire valoir? Pousse-toy par service;
Par art Mercurien trompe les plus rusez,
Et pren à telz appas les hommes abusez:
Tu feras ton profit, et bravement en point
De froid, comme tu fais, tu ne trembleras point.

Premier, comme un marchand qui parle navigage,
S'en va chercher bien loing quelque estrange rivage.
Afin de trafiquer et argent amasser,
Tu dois veoir l'Italie et les Alpes passer,
Car c'est de là que vient la fine marchandise
Qu'en bëant on admire, et que si hault on prise.
Si le rusé marchand est menteur asseuré,
Et s'il sçait pallier d'un fard bien coloré
Mille bourdes qu'il a en France rapportées
Assez pour en charger quatre grandes chartées;
S'il sçait, parlant de Rome, un chacun estonner;
Si du nom de Pavie il fait tout resonner;
Si des Vénitiens que la mer environne,
Si des champs de la Pouille il discourt et raisonne;
Si, vanteur, il sçait bien son art authoriser,
Louer les estrangers, les François mespriser;
Si des lettres l'honneur à luy seul il reserve
Et desdaigue en crachant la françoise Minerve[193].

Il te faut dextrement ces ruses imiter,
Le sçavoir sans cela ne te peut profiter.
Si le sçavoir te fault, et tu entens ces ruses,
Tu jouyras vainqueur de la palme des Muses.
Ne pense toutefois, pour un peu t'estranger
De ces bavardes sœurs, que tu sois en danger
De perdre tant soit peu: tu n'y auras dommage,
Car aux Muses souvent profite un long voyage.
Tu en rapporteras d'un grand cler le renom,
Et de saige sçavant meriteras le nom.
Mais si tu veux icy te morfondre à l'estude,
Chacun t'estimera fol, ignorant et rude.

Doncques en Italie il te convient chercher
La source Cabaline, et le double Rocher,
Et l'arbre qui le front des poëtes honore.
Mais retien ce précepte en ta memoire encore:
C'est que tu pourras bien François partir d'icy,
Mais tu retourneras Italien aussi,
De gestes et d'habits, de port et de langage,
Bref, d'un Italien tu auras le pelaige,
Afin qu'entre les tiens admirable tu sois:
Ce sont les vrays appas pour prendre noz François.
Lors ta Muse sera de cestui la prisée
Auquel auparavant tu servois de risée.

Il sera bon aussi de te faire advoüer
De quelque Cardinal[194], ou te faire loüer
Par quelque homme sçavant, afin que tes loüenges
Volent par ce moyen par des bouches estranges.
Mais il faut que le livre où ton nom sera mis
Tu donnes çà et là à tes doctes amys.
Ainsi t'exempteras du rude populaire,
Ainsi ton nom partout illustre pourras faire:
Car c'est un jeu certain, et quiconque l'a sçeu,
Jamais à ce jeu là ne s'est trouvé deçeu,
Surtout courtise ceulx auquelz la court venteuse
Donne d'hommes sçavants la loüenge menteuse,
Qui au bout d'une table, au disner des seigneurs,
Deplient tout cela, dont furent enseigneurs
Les Grecs et les Latins, qui de faulses merveilles
Emplissent, ignorans, les plus grandes oreilles,
Et abusent celuy qui par nom de sçavant
Desire, ambitieux, se pousser en avant.

Ces gentils reciteurs te loüront à la table,
Non comme au temps passé, aux horloges de sable[195];
Ilz ne dédaigneront avec toi practiquer
Et avecques tes vers les leurs communiquer,
Puisque tu as le goust et l'air de l'Italie,
Mais rendz leur la pareille, et fay que tu n'oublie
De les contre-loüer; aussi quant à ce point
Le tesmoing mutuel ne se reproche point,
D'en user autrement ce seroit conscience.

Surtout je te conseille apprendre la science
De te faire cognoistre aux dames de la court
Qui ont bruit de sçavoir. C'est le chemin plus court,
Car si tu es un coup aux dames agréable,
Tu seras tout soubdain aux plus grands admirable.
Par art il te convient à ce point parvenir,
Par art semblablement t'y fault entretenir;
Il te fault quelques fois, soit en vers, soit en prose,
Escrire finement quelque petite chose
Qui sente son Virgile et Ciceron aussi[196];
Car si tu as des mots tant seulement soucy,
Tu seras bien grossier et lourdault, ce me semble,
Si par art tu ne peux en accoupler ensemble
Quelque peu: car icy par un petit chef-d'œuvre
Assez d'un courtisan le sçavoir se descœuvre.

Je ne veulx toutefois qu'on le face imprimer,
Car ce qui est commun se fait desestimer,
Et la perfection de l'art est de ne faire
Ains monstrer dédaigner ce que faict le vulgaire.
Mesmes, ce qui sera des autres imprimé,
Afin que tu en sois plus sçavant estimé,
Il te le fault blasmer[197]; mais il te fault estre
Des loüeurs à propoz pour tes ouvraiges lire.
Et n'en fault pas beaucoup. Avec telles faveurs
Recite hardiment aux dames et seigneurs,
Tu seras sçavant homme, et les grands personnages
Te feront des presens, et seras à leurs gages.
Mais si tu veulx au jour quelque chose éventer,
Il fault premièrement la fortune tenter,
Sans y mettre ton nom, de peur de vitupère
Qu'un enfant abortif porte au nom de son père;
Car en celant ton nom, d'un chacun tu peux bien
Sonder le jugement, sans qu'il te couste rien.
D'autant que tels escripts vaguent sans congnoissance
Ainsi qu'enfans trouvez, publiques de naissance.
Mais ne faulx pas aussi, si tu les voids loüer,
Maistre, père et autheur, pour tiens les advoüer.

Le plus seur toutefois seroit en tout se taire,
Et c'est un beau mestier, et fort facile à faire,
Le faisant dextrement. Fay courir qu'entrepris
Tu as quelque poëme et œuvre de hault pris,
Tout soudain tu seras montré parmy la ville
Et seras estimé de la tourbe civile.

Un vieulx ruzé de court naguières se vantoit
Que de la republique un discours il traitoit;
Soudain il eut le bruit d'avoir épuisé Romme,
Et le sçavoir de Gréce, et qu'un si sçavant homme
Que luy ne se trouvoit. Par là il se poussa,
Et aux plus haults honneurs du palais s'avança,
Ayant mouché les roys avec telle practique,
Et si n'avoit rien fait touchant la republique.
Toutefois cependant qu'il a esté vivant,
Il a nourry ce bruit qui le meit en avant.
Jusqu'à tant que la mort sa ruse eut descouverte,
Car on ne trouva rien en son estude ouverte,
Ains par la seule mort au jour fut revelé
Le fard dont il s'estoit si longuement celé.

Quelque autre dit avoir entrepris un ouvrage
Des plus illustres noms qu'on lise de nostre age,
Et jà douze ou quinze ans nous deçoit par cet art;
Mais il accomplira sa promesse plus tard
Que l'an du jugement. Toutefois par sa ruse
Des plus ambitieux l'esperance il abuse:
Car ceulx-là qui sont plus de la gloire envieux,
Le flattent à l'envy, et tachent, curieux,
De gaigner quelque place en ce tant docte livre
Qui peut à tout jamais leur beau nom faire vivre.
Ce trompeur par son art très riche s'est rendu,
Et son silence aux roys chèrement a vendu,
Noyant en l'eau d'oubly les beaux noms dont la gloire
Seroit, sans ses escripts, d'éternelle mémoire:
Car les Parthes menteurs, faulx, il surmontera,
Et nul (comme il promet) n'immortalisera;
Mais il peindra le nez à tous, et pour sa peine
De les avoir trompez d'une esperance vaine,
Dessus un cheval blanc ses monstres il fera
Par la ville, et du roy aux gages il sera.

C'est un gentil apas pour les oyseaux attraire,
Ce que d'un autre dit le commun populaire,
Qui par les cabaretz tout exprès delaissoit
Quatre lignes d'un livre, et outre ne passoit
Avec un titre au front, qui se donnoit la gloire
D'estre le livre quart de la françoise histoire.
Qui doncques, je te pry, nyra que cestuy cy
Ne soit des plus heureux sans se donner soucy,
Qui quatre livres peult de quatre lignes faire,
Qui du doy pour cela est montré du vulgaire,
Qui pour cela de France est dit l'historien,
Et auquel pour cela on fait beaucoup de bien[198]?

J'ay, filz d'un laboureur, discouru brefvement
Tout ce facheux propoz, moy qui ay bravement
Delaissé les rasteaux pour m'attacher aux Muses.
Tu pourras par usage apprendre d'autres ruses;
Or à Dieu, pense en moy, et pour attraper l'heur
Suy Mercure, qui est le plus fin oyseleur.

Fin.


In editione latina hæc omissa fuerant.

Area sed fœlix potiusque hæc aucupis illex
Quod fecisse alium narrat plebecula tota,
Urbis qui quandoque in diversoria nota
Venerat, ingressus conclave relinquere fuerat
Ut multi legerent non ferme plura quaternis
Versiculis, titulo charta minioque notata.
En liber historiæ jam quartus in ordine Gallæ,
Quis neget hunc nullo fœlicem quæso labore.
Bis duo cui totidem peperere volumina versus?
Monstrari hinc digito, scriptorque hinc dicier esse
Gallorum historiæ, atque hinc maxima premia ferre[199].


Le Poëte courtisan.

Je ne veulx point icy du maistre d'Alexandre
Touchant l'art poëtiq' les preceptes t'apprendre;
Tu n'apprendras de moy comment joüer il fault
Les misères des roys dessus un eschafault[200];
Je ne t'enseigne l'art de l'humble comœdie
Ni du Mëonien la muse plus hardie;
Bref, je ne montre icy d'un vers Horatien
Les vices et vertuz du poëme ancien,
Je ne depeins aussi le poëte du vide.
La court est mon autheur, mon exemple et ma guide[201];
Je te veulx peindre icy comme un bon artisan
De toutes ses couleurs l'Apollon courtisan,
Où la longueur surtout il convient que je fuye,
Car de tout long ouvraige à la court on s'ennuye.

Celuy donc qui est né (car il se fault tenter
Premier que l'on se vienne à la court presenter)
A ce gentil mestier, il fault que de jeunesse
Aux ruses et façons de la court il se dresse;
Ce precepte est commun, car qui veult s'avancer
A la court, de bonne heure il convient commencer.

Je ne veulx que longtemps à l'estude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,
Fueilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires grecs et les autheurs latins.
Ces exercices là font l'homme peu habile,
Le rendent catareux, maladif et debile,
Solitaire, facheux, taciturne et songeard;
Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.
Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge,
Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe,
Se brouillant le cerveau de pensemens divers
Pour tirer de sa teste un miserable vers,
Qui ne rapporte, ingrat, qu'une longue risée
Partout où l'ignorance est plus authorisée.

Toy donc qui as choisi le chemin le plus court
Pour estre mis au ranc des sçavants de la court,
Sans macher le laurier, ny sans prendre la peine
De songer en Parnasse, et boire à la fontaine
Que le cheval volant de son pied fist saillir,
Faisant ce que je dy, tu ne pourras faillir.

Je veulx en premier lieu que sans suivre la trace
(Comme font quelques uns) d'un Pindare et Horace,
Et sans vouloir comme eux voler si haultement,
Ton simple naturel tu suives seulement.
Ce procès tant mené, et qui encore dure,
Lequel des deux vault mieulx, ou l'art, ou la nature,
En matière de vers à la court est vuidé:
Car il suffit icy que tu soyes guidé
Par le seul naturel, sans art et sans doctrine,
Fors cet art qui apprend à faire bonne mine;
Car un petit sonnet, qui n'ha rien que le son,
Un dixain à propos, ou bien une chanson,
Un rondeau bien troussé, avec une ballade
(Du temps qu'elle couroit[202]), vaut mieux qu'une Iliade.
Laisse-moy donques là ces Latins et Gregeoys
Qui ne servent de rien au poëte françois,
Et soit la seule court ton Virgile et Homère,
Puis qu'elle est (comme on dict) des bons esprits la mère.
La court te fournira d'arguments suffisants,
Et seras estimé entre les mieulx disants,
Non comme ces resveurs qui rougissent de honte,
Fors entre les sçavants des quelz on ne fait compte.

Or, si les grands seigneurs tu veulx gratifier,
Arguments[203] à propoz il te fault espier.
Comme quelque victoire, ou quelque ville prise,
Quelque nopce, ou festin, ou bien quelque entreprise
De masque, ou de tournoy: avoir force desseings,
Des quelz à ceste fin tes coffres seront pleins.

Je veulx qu'aux grands seigneurs tu donnes des devises[204]
Je veulx que les chansons en musique soient mises;
Et à fin que les grands parlent souvent de toy,
Je veulx que l'on les chante en la chambre du roy.
Un sonnet à propoz, un petit épigramme
En faveur d'un grand prince ou de quelque grand'dame,
Ne sera pas mauvais; mais garde-toy d'user
De mots durs ou nouveaulx qui puissent amuser
Tant soit peu le lisant: car la doulceur du stile
Fait que l'indocte vers aux oreilles distille,
Et ne fault s'enquerir s'il est bien ou mal fait,
Car le vers plus coulant est le vers plus parfaict.

Quelque nouveau poëte à la court se presente:
Je veulx qu'à l'aborder finement on le tente;
Car s'il est ignorant, tu sçauras bien choisir
Lieu et temps à propoz pour en donner plaisir;
Tu produiras partout ceste beste, et en somme
Aux despens d'un tel sot tu seras galland homme.

S'il est homme sçavant, il te fault dextrement
Le mener par le nez, le loüer sobrement,
Et d'un petit soubriz et branlement de teste
Devant les grands seigneurs luy faire quelque feste,
Le presenter au roy, et dire qu'il fait bien
Et qu'il a mérité qu'on luy face du bien.
Ainsi, tenant tousjours ce pauvre homme soubz bride,
Tu te feras valoir en luy servant de guide;
Et, combien que tu sois d'envie époinçonné,
Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.

Je te veulx enseigner un aultre poinct notable,
Pour ce que de la court l'eschole c'est la table[205];
Si tu veulx promptement en honneur parvenir,
C'est où plus saigement il te fault maintenir.
Il fault avoir tousjours le petit mot pour rire;
Il fault des lieux communs qu'à tout propoz on tire
Passer ce qu'on ne sçait, et se montrer sçavant
En ce que l'on ha leu deux ou trois soirs devant.

Mais qui des grands seigneurs veult acquerir la grace
Il ne fault que les vers seulement il embrasse,
Il fault d'aultres propoz son stile déguiser,
Et ne leur fault tousjours des lettres deviser.
Bref, pour estre en cest art des premiers de ton age,
Si tu veulx finement joüer ton personnage,
Entre les courtisans du sçavant tu feras,
Et entre les sçavants courtisan tu seras.

Pour ce te fault choisir matière convenable
Qui rende son autheur aux lecteurs agreable,
Et qui de leur plaisir t'apporte quelque fruict.
Encores pourras tu faire courir le bruit
Que, si tu n'en avois commandement du prince,
Tu ne l'exposerois aux yeulx de ta province,
Ains te contenterois de le tenir secret,
Car ce que tu en fais est à ton grand regret.

Et, à la verité, la ruse coustumière,
Et la meilleure, c'est ne rien mettre en lumière,
Ains, jugeant librement des œuvres d'un chacun,
Ne se rendre subject au jugement d'aulcun,
De peur que quelque fol te rende la pareille,
S'il gaigne comme toy des grands princes l'oreille.

Tel estoit de son temps le premier estimé,
Duquel si on eust leu quelque ouvraige imprimé,
Il eust renouvelé peut-estre la risée
De la montaigne enceinte; et sa Muse prisée
Si hault auparavant eust perdu (comme on dict)
La reputation qu'on luy donne à credit.

Retien donques ce point, et si tu m'en veulx croire,
Au jugement commun ne hasarde ta gloire;
Mais, saige, sois content du jugement de ceulx
Lesquelz trouvent tout bon, auxquelz plaire tu veux,
Qui peuvent t'avancer en estats et offices,
Qui te peuvent donner les riches benefices,
Non ce vent populaire et ce frivole bruit
Qui de beaucoup de peine apporte peu de fruict.
Ce faisant, tu tiendras le lieu d'un Aristarque,
Et entre les sçavants seras comme un monarque.
Tu seras bien venu entre les grands seigneurs,
Des quelz tu recevras les biens et les honneurs,
Et non la pauvreté, des Muses l'héritage,
Laquelle est à ceulx-là reservée en partage,
Qui, dedaignant la court, facheux et malplaisans,
Pour allonger leur gloire accourcissent leurs ans.

Fin.

Comment se faisoit une éducation au XVIe siècle

(Fragment des Mémoires de M. de Mesmes)[206].


I

Mon père[207] me donna pour précepteur J. Maludan, Limosin, disciple de Dorat[208], homme savant, choisi pour sa vie innocente et d'âge convenable à conduire ma jeunesse jusques à temps que je me sçusse gouverner moi-même, comme il fit; car il avança tellement ses études par veilles et travaux incroyables, qu'il alla toujours aussi avant devant moi comme il étoit requis pour m'enseigner, et ne sortit de sa charge sinon lorsque j'entrai en office. Avec lui, et mon puiné, J.-J. Mesmes, je fus mis au collége de Bourgogne dès l'an 1542[209] en la troisième classe; puis je fis un an, peu moins, de la première. Mon père disoit qu'en cette nourriture du collége il avoit eu deux regards: l'un à la conservation de la jeunesse gaie et innocente; l'autre à la scholastique, pour nous faire oublier les mignardises de la maison, et comme pour dégorger en eau courante. Je trouve que ces dix-huit mois au collége me firent assez bien. J'appris à répéter, disputer et haranguer en public, pris connoissance d'honnêtes enfans dont aucuns vivent aujourd'hui; appris la vie frugale de la scholarité, et à régler mes heures; tellement que, sortant de là, je récitai en public plusieurs vers latins et deux mille vers grecs faits selon l'âge, récitai Homère par cœur d'un bout à l'autre. Qui fut cause après cela que j'étois bien vu par les premiers hommes du temps, et mon précepteur me menoit quelquefois chez Lazarus Baïfus[210], Tusanus[211], Strazellius, Castellanus[212] et Danésius[213], avec honneur et progrès aux lettres. L'an 1545, je fus envoyé à Tolose[214] pour étudier en lois avec mon précepteur et mon frère, sous la conduite d'un vieil gentilhomme tout blanc, qui avoit longtemps voyagé par le monde. Nous fûmes trois ans auditeurs en plus étroite vie et pénibles études que ceux de maintenant ne voudroient supporter. Nous étions debout à quatre heures[215], et ayant prié Dieu, allions à cinq heures aux études, nos gros livres sous le bras, nos écritoires et nos chandeliers à la main. Nous oyions toutes les lectures[216] jusqu'à dix heures sonnées, sans nulle intermission; puis venions dîner après avoir en hâte conféré demi-heure sur ce qu'avions écrit de lectures[217]. Après dîner nous lisions, par forme de jeu, Sophocles ou Aristophanus ou Euripides et quelque fois Demosthènes, Cicero, Virgilius, Horatius[218]. A une heure aux études; à cinq, au logis[219], à répéter et voir dans nos livres les lieux allégués, jusqu'après six. Puis nous soupions et lisions en grec ou en latin. Les fêtes, à la grande messe et vêpres. Au reste du jour, un peu de musique et de pourmenoir. Quelque fois nous allions dîner chez nos amis paternels, qui nous invitoient plus souvent qu'on ne nous y vouloit mener. Le reste du jour aux livres; et avions ordinaire avec nous Hadrianus Turnebus[220], Dionysius Lambinus[221], Honoretus Castellanus, depuis médecin du roi; et Simon Thomas, lors très-savant médecin. Au bout de deux ans et demy nous leumes en public demy an à l'école des Institutes; puis nous eûmes nos heures pour lire aux grandes écoles et leumes les autres trois ans entiers, pendant lesquels nous fréquentions aux fêtes les disputes publiques, et je n'en laissai guère passer sans quelque essai de mes débiles forces. En fin des bancs, tînmes conclusions publiques par deux fois, la première, chacun une, après deux heures; la seconde trois jours entiers, et seuls avec grande célébrité; encore que mon âge me défendît d'y apporter autant de suffisance que de confidence..... Après cela, et nos degrés pris de docteurs en droit civil et canon, nous prîmes le chemin pour retourner à la maison; passâmes à Avignon pour voir Æmilius Ferratus[222] qui lors lisoit avec plus d'apparat et de réputation que lecteur de son temps. Nous le saluâmes le soir de l'arrivée, et il lui sembla bon que je leusse en son lieu, lendemain matin, jour de saint François, et que de foy prenant la loi où il étoit demouré le jour précédent. Il y assista lui-même avec toute l'escole, et témoigna à mon père par lettres latines de sa main qu'il n'y avoit pas pris déplaisir. Ce même fut à Orléans.....

Nous fûmes à Paris le 7 novembre 1550.

Lendemain je disputai publiquement ez escoles de droit en grande compaignie, presque de tout le parlement, et trois jours après je pris les points pour débattre une régence en droit canon, et répétai ou lus publiquement un an ou environ. Après cela il sembla bon à mon père de m'envoyer à la cour avec le garde des sceaux, depuis cardinal Bertrandy, pour me faire cognoître au roi[223]...

II[224]

«Mon père ne reçut qu'à force l'honneur de l'état de conseil privé, qui n'étoit pas vulgaire alors; mais sur ce qu'il remontroit sa vieillesse et impuissance, le roi Charles répliqua: C'est ce qui me fait vous prier d'en être, pour éviter le blâme que ce me feroit si vous mouriez sans en être.

«Le roi François Ier lassé de feu Rusé, son avocat au parlement de Paris, il manda mon père, pour lors fraîchement venu à Paris, pour lui donner cet office, lequel aussi rudement que sévèrement lui contesta qu'il ne feroit pas bien de dépouiller son officier sans crime, et qu'il pourroit, lui vivant, autrement vaquer.—«Mais c'est mon avocat; chacun prend celui qui lui plaît; serai-je de pire condition que le moindre de mes sujets?—C'est, dit-il, l'avocat du roi et de la couronne, non sujet à vos passions, mais à son devoir. J'aimerois mieux gratter la terre aux dents que d'accepter l'office d'un homme vivant.»—Le roi excusa cette liberté de parler et la loua, et changea de conseil, de sorte que trois jours après l'avocat Rusé se vint mettre à genoux devant mon père en son étude, l'appelant son père et son sauveur après Dieu. «Je n'ai, dit-il, rien fait pour vous, ne m'en remerciez point, car j'ai fait à ma conscience, et non à votre satisfaction.»

Les larmes et complaintes de la Reyne d'Angleterre sur la mort de son Espoux, à l'imitation des quatrains du sieur de Pibrac, par David Ferrand.

A Paris, chez Michel Mettayer, imprimeur ordinaire du Roy, demeurant en l'isle Nostre-Dame, sur le Pont-Marie, au Cigne.

M.DC.XLIX.

In-4[225].


Pleine d'ennuys et de rudes atteintes,
O tout puissant, escoute mes clameurs!
Le grand excez de mes divers malheurs
Me fait vers toy adresser ces complaintes.

Dans le contour de la machine ronde,
Parmy le Scythe, et peuples plus pervers,
Bien qu'il y ayt eu maints malheurs divers,
Je ne crois point en avoir de seconde.

Mon accident attaint jusqu'à l'extresme,
Et ne se peut trouver pareil courroux:
Ayant perdu mon très fidelle espoux,
Lequel j'aimois plus encor que moy-mesme.

Comme deux luths de mesme consonnance,
Estant touchez, rendent mesmes accords,
Ainsi vivoit, sans avoir nuls discords,
Son cœur Anglois avec celuy de France.

Les fruits conçeuz de nostre mariage
Monstrent assez quels estoyent nos desseins;
Nous les pensions voir un jour souverains.
Mais comme nous ils sentent cet orage.

Et vous avez rompu cette armonie,
Maudits sujets sans croyance et sans foy:
Quand vous avez fait mourir vostre Roy,
M'avez-vous pas ensemble osté la vie?

Vous m'eussiez fait sans doute le semblable
Quand je quiltay vostre rivage Anglois[226]
Pour m'enfuir en celuy des François,
Bien qu'en nul point je ne fusse coupable.

Auparavant que sortir d'Angleterre,
L'on a chassé mes Prestres et amis;
L'on a brizé jusqu'à mon Crucifix,
Et mes Autels l'on a jette par terre[227].

Un faut semblant de Foy, d'hypocrisie,
Vous a causé cette rébellion:
Chacun esprit fait sa Religion;
Vous voguez tous au flot de l'heresie.

Le Ciel pour vous appreste ses tempestes;
Vous ne voyez vos malheurs à present.
Asseurez-vous que ce sang innocent
Retombera quelque jour sur vos testes.

Traistre Ecossois, mais plustost double traistre,
Le Roy s'estoit jetté entre vos bras;
Pour de l'argent, ainsi comme Judas,
Vous avez pris et vendu vostre maistre[228].

Il n'est permis à la puissance humaine,
Pour cas qu'il soit, d'attenter à son roy;
Aussi n'est-il escrit en nulle loy:
Dieu seul le peut de sa main souveraine.

Peux-tu choquer de ce Dieu la presence,
Peux-tu, meschant, estre encor plus que Dieu:
Si sa justice opère en quelque lieu,
Ce n'est le roy, mais plustost ton offense.

Sur tous les roys Dieu est souverain maistre;
Et si quelqu'un est injuste ou tyrant,
Ne peut-il pas de son bras tout puissant
En un clin d'œil lui arracher son sceptre?

Ne peut-il pas l'escraser d'un tonnerre
Sans le laisser dessus un lict mourir;
Ne peut-il pas encore le punir
De ses fleaux: peste, famine et guerre?

Quand tu n'aurois qu'au cœur la souvenance
(Tout tel qu'il soit, qu'il est oingt du Seigneur),
Tu ne devois faire telle rigueur,
Puisque l'effet surpassoit la puissance.

Ceux qui ont leu leur souvienne de l'Arche,
D'un qui voulut y apposer sa main.
Ce n'estoit pas avec mauvais dessein;
Il fut puny, bien qu'il fust Patriarche.

Nul ne doit estre au monde sanguinaire.
L'on voit fluer le sang des massacrez!
Songez qui touche à des vaisseaux sacrez
Se voit puny de la mesme manière.

Vous n'avez mis seulement en deroute
Ce vaisseau saint beny du Tout Puissant;
Mais vrays gloutons d'un digne et royal sang
L'avez succé ensemble goutte à goutte.

Quand il passa parmy la populace
Pour contester qu'on l'accusoit à tort,
Elle crioit qu'on le mist à la mort:
Maudits sujets naiz de maudite race.

Rougissez donc de cet arrest injuste;
Je veux qu'il soit derivé du commun.
C'estoient corbeaux dont le cri importun
Tendoit après le sang d'Abel le juste.

Vos predicans, qu'en ces vers je ne flatte,
Pour s'exempter de ce meurtre inhumain,
Par leurs escrits ils se lavent la main;
Mais ils le font ainsi que fit Pilate.

Si je voulois tracer un paralelle
A cet Aigneau qui mourut innocent,
Verroit-on pas mesme faux jugement;
Mais sur ce point je veux caller ma voille.

A ton seigneur la vie ne desrobe,
Parce qu'il peut devenir ton amy:
David le fit à Saul son ennemy,
Se contentant de luy couper sa robbe.

Vous avez leu, ô race miserable,
La saincte loy du grand Dieu souverain:
Nul ne se doit souiller de sang humain,
Car il deffend d'occire son semblable.

Bien vray qu'il dit que l'homme pour son vice,
Y persistant, est digne du cercueil.
La dent pour dent, ainsi que l'œil pour œil[229],
Ce sont decrets de la saincte justice.

Mais mon espoux, vray monarque très-sage,
A-t-il jamais trempé sa main au sang;
A-t-il jamais fait un acte meschant,
Pour desgorger sur son chef telle rage?

Vous l'accusez selon votre heresie
D'un changement de loy: c'estoit à tort.
Il protesta, prest de souffrir la mort,
Qu'il n'eut jamais ce point en fantaisie.

Il protesta encore davantage
Qu'il a esté tousjours vostre soustien;
Mais comme on dit: «Qui veut noyer son chien,
On le feint estre atteint de quelque rage.»

Peuple insolent, deschargez-vous encore
(Comme insensez) dessus son royal sang;
Ces rejeitons conceus dedans mon flanc
Sont les sujets qu'à present je déplore.

Estrange cas, triste metamorphose:
Je ne pensois jamais voir ma maison
Tomber aux lacs de vostre trahison;
«Mais l'on propose, et le seul Dieu dispose.»

Disposez donc, ô divine clemence,
De ces sujets comme de mes douleurs;
De mes enfants dechassez les mal-heurs,
Et dessus tout, donnez-moy patience.

Adieu, grandeurs! adieu, toutes richesses!
Et les faveurs de ce val terrien:
Le vray Dieu est tout le souverain bien;
Le possédant, on n'a point de tristesses.

Je laisse à luy d'en faire la vengeance:
Le droit royal dépend du souverain.
Il remettra mon sceptre dans ma main;
Je crois en luy: il en a la puissance.

Le temps present mon esperance aterre,
Ce m'est un ver qui ronge mon esprit:
Car maintenant je suis, comme on m'a dit,
La reyne en paix au milieu de la guerre.

Mais neant-moins je sçay que ta malice
Se trouvera punie en ce bas lieu:
«Les jours ne sont limitez devant Dieu,
Soit tost ou tard il en fera justice.»

Le sang royal dont j'ai pris ma naissance
Fera peut-estre un jour que le François,
Se ressentant des ruses de l'Anglois,
De son forfaict en prendra la vengeance[230].

Tousjours dans l'air ne regne la tempeste,
Tousjours la mer n'a ses flots irrités,
Tousjours ne s'ouvre Opis[231] de tous costés;
Un vain penser n'est toujours dans la teste.

Souvent le foible endure l'injustice,
Plusieurs ressorts en donnant les moyens;
Mais neant-moins tous les princes chrestiens
Sont obligez de punir la malice.

Dieu, dont l'effet est toujours admirable,
Et qui seul est scrutateur de nos cœurs,
Peut susciter de deux vieilles rancœurs
En un moment une paix agreable[232].

C'est un espoir, comme toute la France
L'aspire aussi pour soulager son faix.
O Souverain! donne-nous donc la paix:
Nous esperons une mesme allegeance.

La réjouissance des femmes sur la deffence des tavernes et cabarets.

A Paris, de l'imprimerie de Chappellain rue des Carmes, au collége des Lombards.

M.DC.XIII.

Avec permission[233].

Pet. in-8o.


Ce n'est pas d'aujourd'huy que la prudence des hommes a esté surmontée par la force du vin, que le vin a rendu leurs actions ridicules, leur a faict perdre leur fortune, et leur a servy de honte et d'infamie.

Noé n'eust si tost cultivé, ou plustot pressuré le raisin, que ses enfans, se riant de son insolence inacoutumée, il ne payast luy mesme le tribut de son ouvrage.

Comme le vipère donne l'estre à celuy qui luy donne la mort, ainsi Noé mist le vin au pouvoir et en la cognoissance des hommes, lequel pourtant fut cause de la mauvaise opinion que ses enfans eurent de son yvresse.

Ce n'est pas assez à l'homme de n'offencer en public, ou plus tost de ne recevoir le chastiment de ses offences, mais de ne servir de mauvais exemple à ceux auquel il doit servir d'instruction et d'enseignement.

Le vin traisne après luy force autres vices, et Dieu ne seroit tant offencé si les hommes n'estoient commandez du vin.

Ésaü resina[234] follement sa primogeniture à son frère pour des lentilles; je croy que la faim ne luy fit pas faire ceste faute, qu'il ne fust prevenu du vin.

Le roy des Caldéens voulut forcer la femme d'Abraham, après estre assoupy de vin, et le lendemain il luy demanda pardon de l'offence qu'il luy avoit voulu faire, et tança mesme ses porte-poulets de luy avoir mis cest amour en teste.

David fit tuer Urie après avoir festiné avec Bersabée, et fit pénitence de la faute qu'il avoit commise.

Herode fit trencher la teste à S. Jean-Baptiste, enyvré de vin et passionné des beautez de sa sœur. Laissons l'Ecriture à part; venons chez les payens, lesquels ne se debordoient qu'ez jours des baccanalles, autrement de la feste de Bacchus, où, suffoquez de vin, ils n'avoient autre Dieu que leur desbauche, ny autre vertu que leur desordre. Il est vray que les femmes estoient les premières à ceste feste, où maintenant les hommes seuls font sacrifice à Bacchus; je ne sçay si quelque femme y sacrifie aussi.

Alexandre eust laissé une plus grande estime de sa personne s'il ne se fust laissé emporter par le vin, et s'il a eu de la gloire d'avoir esté continent à l'endroit des femmes et des filles de Darius, il estoit tellement assoupy de vin, qu'il estoit incapable d'amour.

Les Lacedemoniens, pour faire haïr l'yvresse à leurs enfans, faisoient ennyvrer leurs valets, afin qu'ayant leur insolence à contre-cœur, ils eussent la sobriété en plus grande recommandation; mais les hommes de maintenant ne se contentent pas seulement de servir de risée au public, mais encor de mauvais exemple à leur postérité, et bien que tous n'ayent les crochets, si ont-ils les bastions des crocheteurs ou le rouleau des patissiers pour endurcir le dos de leur femme.

Vous ne voyez pas tant de casse-museaux[235] chez les patissiers que chez les yvrongnes, ny tant d'œufs pochez au beurre noir aux cabarets que d'yeux pochez chez ceux qui font gloire et coustume de les frequenter.

Les femmes auront, les unes des cotillons de taffetas ou si gras ou si deschirez qu'elles auront honte de les porter, cependant que leur petit ordinaire ira; les maris iront aux champs, aux jeux de boules et billars, et souvent à des lieux infames, despencer en un jour ce qui suffirait à leur mesnage pour un mois.

Jadis Marc-Anthoine, voyant son armée fatiguée, et pour l'aspreté des chemins, et pour la soif insuportable qu'elle enduroit, ne voulut boire, afin qu'à son modelle tous les soldats prinssent patience. Messieurs de la police, voyant le desordre de tant de desbauchez, et les mauvais mesnages des yvrongnes à l'endroit de leurs femmes, ont tary ceste fontaine, c'est-à dire ont deffendu les tavernes, afin que chacun soit content de son ordinaire.

Ils ne beuvaient verres de vin qu'ils ne tirassent autant de larmes de yeux de leurs femmes et de leurs enfans, lesquels marquez à la teste et au visage sçavoient mieux les forces des bras de leurs maris et de leurs pères que celle du vin, encores que le vin surmontant l'homme, il soit surmonté de la femme et la femme des blandices de ses enfans.

Encores entre les Allemans, les Bretons, les Flamans et les Anglois, les femmes vont à la taverne avec leur mary, où elles les empeschent de s'ennyvrer, ou elles les assoupissent; de sorte qu'ils ont plus envie de dormir que de frapper, et sans autre cérémonie, vont le lendemain prendre du poil de la beste. Mais les François et les estrangers francisez n'esloignent leurs maisons que pour estre esloignez de leurs femmes, afin d'avoir la liberté du vin et de ce qui peut rire à leurs desbauches.

Vous en verrez une brigade de trois, de quatre, de plusieurs quelquefois: les uns iront à la taverne par rencontre, et pour cela n'en traicteront pas mal leurs femmes; les autres en feront coustume, pour n'estre point coustumiers d'avoir la paix à leur logis. A leur retour, toutes choses les mieux faictes leur sembleront des imperfections, et fonderont le subject de leur noise sur une escuelle renversée, ou sur une serviette pliée de travers.

A ce coup, mes commaires, rejouyssons-nous; M. Martin viendra bien chez nous, mais baston[236] ny sera pas; il sera dans les tavernes, ou bien au Chastellet pour arrondir les espaules des yvrongnes.

Nos marys ne craignent pas cela, ils ont des retraictes particulières, plus dangereuses que les tavernes. Jean, il n'y a pas longtemps que nous sommes mariées, nous serions bien marries qu'ils suyvissent la piste des autres; il vaut mieux qu'ils aillent aux champs, nous en serons plus libres que de hanter ainsi ces diseurs de collibets qui les font devenir méchans. Esjouyssons-nous que les tavernes soient fermées, et qu'on aille quérir à pot et à pinte[237] nous en boirons nostre part, et cognoistrons la beste qui nous fait tant de peine[238].

Un certain poëte s'estrangla d'un pépin de raisin: si les yvrongnes en pouvoient faire autant, nous serions relevées de peines, mes commaires les mal mariées; mais le diable est bien aux veaux quand à eux, et non pas aux vaches quand à nous, puisqu'on ne nous tette plus, de ce que plus ils en boivent et mieux s'en portent. Si quelque homme qualifié, nécessaire à une republique, avoit fait le moindre excez que font les yvrongnes, il luy en cousteroit la vie, et ils en vivent davantage, pour fortifier ce proverbe: Plus de vieux ivrongnes que de vieux medecins. Je le croy, parce qu'il y a plus d'yvrongnes que de medecins.

Prions seulement que ceste ordonnance ne porte son appel en croupe, que les commissaires l'effectuent, et pour nostre profit et pour nostre consolation, et ainsi nous aurons la pais chez nous; car si elle est observée, nous aurons plus de biens et moins de coups. Nous sommes le plus souvent marquées à l'H, pour monstrer que nostre peau est tendre; on ne le jugeroit pas à nostre mine reformée comme la tirelire d'un enfant rouge.

L'utilité est si grande, nostre repos si longtemps reconneu, que toutes les femmes doivent à jamais respecter les magistrats. Ce qui se consommoit ès tavernes en un jour sera suffisant pour entretenir la maison un mois. Le mary seul se ressentoit de ceste despence excessive, ou si nous en ressentions quelque chose, c'estoit plustot le fleau que le fruict, à nostre dommage qu'à notre utilité. A ceste heure, la femme, les enfans se ressentiront de l'espargne qui se fera, et auront leur part au profit aussi bien qu'à la peine; les cabaretiers, enrichis de nostre labeur, sucçoient le meilleur de nostre aliment, et souvent pour un qui venoit saol des tavernes, il y en avoit cinq ou six à la maison qui crioyent à la faim. Tout le monde mettait la main à l'œuvre pour subvenir à la nourriture du mesnage, et le mary seul consumoit l'argent que la femme, les enfans et les serviteurs prenoient peine de gagner.

C'est une œuvre de misericorde aux magistrats d'avoir prevu et prevenu la necessité de tant de pauvres femmes et enfans, que la honte empeschoit de demander leur vie, et qui pourtant travailloient assez pour la gaigner.

Chantons te rogamus, desjà le Ciel audit nos, et le peuple est secouru de la prudence des magistrats.

Si quelqu'un pouvoit venir jusques à l'esgalité des biens, ce seroit un grand coup pour nous, parce que nous avons autant d'ambition que les plus huppées, tout le monde seroit vestu esgalement comme à Spartes, l'homme iroit à la femme, et les vivres seroient communs; par ainsi personne n'en abuseroit à nostre dam.

Laissons là ceste superstition, c'est assez si nous n'avons plus les espaules frottées d'huille de cottret[239], et que nous ne jeunions plus souvent que le caresme, pourveu qu'on nous laisse esbaudir à nostre tour; ils seront bien camus si nous ne leur tirons les vers du nez, et pourroient avoir les testes si legères qu'il nous seroit besoin de les appuyer avec des fourches; le temps viendra que les femmes seront amazones; puis que le vin est deffendu, elles combattront avec la lance et l'eau.

Trefve à nos testes comme au vin: quand nous fusmes mariées, ce ne fut pas pour nous frapper par la teste; si vous abusez des nopces pour les mettre en noises, vous en pourrez estre chastiez, et pour avoir irrité l'amour, possible aurez-vous la mort, ou du moins, si on ne vous coupe la teste, on vous l'alongera de deux doigts. A la fin on est puny de son meffaict: qui se rend indigne de pardon en perseverant à son mal est exposé à l'ire et à la vengeance de celuy qu'il a offencé.

Nous voilà (Dieu mercy et la police) libres de la fureur du vin; qu'un accident de fièvre chaude nous delivre de la fureur des mauvais maris, afin qu'ayant quelque repos le reste de nos jours, nous commencions à gouster une felicité que nous n'avons encor peu trouver en mariage: autrement malerage pour nous.

Fin.

Vers d'Erasme à sainte Geneviève, traduit en vers françois par E. Le Lièvre (1611)[240].


O saincte Geneviefve, à qui je m'estudie
D'offrir ces vers promis que mon cœur te dédie,
Favorise mes vœux, arrousant le canal
De mon esprit tary, tant que d'un chant égal
A tes mérites saincts, je raconte ton ayde.
Donne m'en le pouvoir toy qui seurement aide
Le peuple qui t'invoque en tous les saincts endroits
Par où s'estend la Foy et sceptre des François.
Mais surtout celuy-là t'est aymé par où Seine
Roulle ses flots meslez avec la blanche areine,
De Marne qui l'acroist et l'accolle à travers
Les vergers pommoneux, et parmy les prez vers,
Et entre les cousteaux renommés les plus nobles
En fertiles et beaux et genereux vignobles;
Et par où ce grand fleuve et superbe et luysant
Va d'un cours plantureux les plaines arrousant
Qui foisonnent de fruits, et, tranchant la contrée,
Se haste d'aller faire à Paris son entrée.
Paris, chef des citez, où du gauche costé
Ses ondes à l'approche adorent la cité
Où sur toutes paroist l'eglise Nostre-Dame;[241]
Et à coup se fendant, ses rives il entame
Et comme avec deux bras les serre estroitement,
Et d'un dévot reply se flechit humblement
Devant la Vierge mère eu sa plaisante islette
Puis, retournant à soy d'une course plus preste,
Il vogue allaigrement au très plaisant terroir
Où tu naquis heureuse en très heureux manoir,
Dans un petit village, heureux par ton issue,
Où se tournant en deux en passant il saluë
Le Monastère sainct sepulchre des grands Rois,
Sacré à sainct Denis, apostre des Gaulois.
Par ces vallons retors il se recourbe et erre,
Et se recostoyant arrouse enfin la terre
Des ondes qu'il respand des cornes de son front,
Et dirois que ses flots à regret s'en revont[242].
A bon droit les François honnorent tous Nanterre,
Qui faict monstre aux passans au milieu de sa terre,
O saincte, de ton bers[243] et des sainctes liqueurs
De la fontaine vive et propice aux langueurs[244]:
Mais par sus tout Paris, peuplade nompareille,
Se sent infiniment heureuse par la veille
Et patronage, ô vierge, ou c'est que de ta part
Avec la vierge mère un bonheur se départ
Sans qu'elle en soit en rien jalouze qu'avec elle
Tu face là dedans garde perpetuelle.
Là bien haut eslevée à la cime du mont,
Tu descouvres de loin les plaines jusqu'au fond,
Et repousses les maux qui menacent la France.
Mais icelle au milieu de la ville s'avance
D'embrasser en pitié les habitans piteux,
Oyant les pleurs et cris des pauvres souffreteux;
Et là, comme elle sait son cher fils pitoyable,
Tu l'imites aussi son espouse amiable.
Tandis vous deffendez ensemble, en vœux pareils,
Les saincts Estats unis, le Conseil des Conseils,
Le parlement sacré, mais surtout la province
Et le Roy très-chrestien et très-auguste Prince,
Les uns qui sainctement découvrent les secrets
Au peuple très-dévôt des mistères secrets!
Les autres qui par loix équitables régissent
La ville où maintes gens, merveille! se policent.
C'est donc de voz bienfaitz qu'on ne voit aujourd'hui
Peuple florir ailleurs au-dedans de cestuy.
Mais, ô saincte, il est temps que je te remercie
Pour avoir recouvré par tes mérites vie,
Et veux, un entre mille et mille retirez
De mort par ton secours, t'offrir ces vers sacrez.
L'hivernallet frisson d'une fièvre infuiable[245],
Qui le quatriesme jour revient presque incurable,
M'avoit déjà passé jusques au fond des os,
Lorsque le médecin requis pour mon repos
Me console et promet que telle maladie
Ne sera qu'ennuieuse et sans perte de vie.
Il m'esjouit autant que s'il m'eust en effect
Dict que dans quatre jours je pendrois au gibet,
Car il me semble avis que le mal recommence
Quand après si longs ans[246] j'ai bien la souvenance
Que ce peu langoureux en ma prime verdeur
Me geina tout un an, dont je n'avois au cœur
Que desir de la mort, la quelle, bien que blesme,
N'est si triste qu'un mal dict du medecin mesme.
Alors, ô saincte Vierge, il me souvient de toy
Et d'un espoir très bon je confirme ma foy,
Remuant en mon cœur ces secrètes pensées:
O épouse de Dieu, qui vierge lui agrées,
Et qui durant qu'icy la vie eut si beau cours
Souloit toujours donner aux malades secours,
Et qui peux ores plus, après que le ciel mesme
T'a donné près de Dieu ta demeure suprême;
Icy, icy regarde et chasse de mon corps
La lente fièvre quarte et la banny dehors:
Rends moy, je te supply, et moi-mesme à mon livre
Sans la joye du quel je ne saurais plus vivre.
Car je pense qu'il est plus aisé de mourir
Une fois que fiévreux par tant de jours languir.
Mais ce n'est rien qu'icy je te fasse promesse:
Aussi tu n'as besoin de notre petitesse,
Ainsy je chanteray le loz de ton bienfaict.
A peine sans parler j'avois ce vœu parfaict,
Mais sans plus, à part moy, au secret de mon âme,
Je diray grand merveille, et si n'y aura blasme,
Je retourne à l'estude et dispos et gaillard
Sans aucun sentiment de langueur de ma part
Ni de lente frisson de sa fièvre scieuse.
Sept jours passoient déjà que la fièvre odieuse
Se devoit remonstrer, mais tout le corps devient
Plus frais qu'auparavant. Le médecin revient
Admirant le miracle, il me visage en face,
Il visite ma langue et faict produire en face
De l'urine qu'il void, puis me taste le poux,
Et me trouvant tout sain, il dict: «Qui t'a recous[247]
De la fièvre si tost, Erasme, et quelle grace,
Et quel Dieu t'a rendu le bon air de ta face?
Quiconque est le bon sainct qui t'a si bien guery,
Il en sçait plus que moy, bien que je sois nourry
En l'art de medecine, et n'en a plus affaire.»
Le nom du medecin je ne veux jamais taire:
C'est Guillaume Le Coq[248], lequel estoit alors
En la fleur de ses ans, jeune encore de corps,
Mais plus agé que moy ez vieilles bonnes lettres,
Philosophe parfaict entre les plus grands maistres,
Aujourd'huy tout chenu et chargé de vieux ans,
Il est presque adoré de tous les courtizans.
Près du grand roy Françoys entre les plus illustres,
Comme un astre esclatant de mille et mille lustres,
Et jouït là du bien de ses divers labeurs,
Dignement respecté des princes et seigneurs[249].
Or, je produiray donc devant ta saincte image,
O vierge (mon secours), son grave tesmoignage
De la santé reçüe et de la vie encor.
A la debilité de mon fragile corps,
Combien que tout l'honneur de ce bien appartienne
Du tout à Jesus-Christ, mais (vierge très-chrestienne)
Il t'a donné cet heur avecques luy là haut,
Pour luy avoir compleu au monde comme il fauct,
C'est de sa grâce aussi qu'après ta chère vie
Quoique morte tu peux guerir la maladie,
Comme par charité tu feis en ton vivant.
C'est ainsy que le veut ton espoux tout pouvant.
Il luy plaist d'eslargir par toy ses dons et graces,
Et de se voir loué par toy en tant de places,
Prenant plaisir de luire au temple transparent
De ton corps qu'il esleut, comme un jour esclairant
Au travers de la vitre, et comme une fontaine
Pousse par des canaux sa source pure et saine.
Ce point me reste seul, que j'obstienne de toy
Par ta saincte prière (ô vierge) que sur moy
Ce blasme ne soit mis, de quoy par si long terme
J'ay differé ce vœu, payé de foy très-ferme.
Endure, je te prie, qu'il te soit adjousté
Ce beau cantique deu à ton los mérité
Et à tant de blasons, d'honneurs et de louanges
Et lettre de ton nom, que les peuples estranges,
Ny latins, ni Gregeois, ni aultres nations,
Ne cogneurent jamais plus de perfections
En vierge de renom; que par ta modestie
Et par ta chasteté la grâce est departie,
A ton pouvoir parmy les bienheureux espritz
N'auront pas plus que toy de gloire en paradis.

FIN.

La Doctrine de la nouvelle devotion cabalistique, composée des veritables maximes que la nouvelle secte (formée depuis peu dans Lyon par un barbier estranger, natif du conté de Bourgogne, d'où il tasche de l'estendre aux environs au grand dommage de la vraye et ancienne piété) observe constamment, dans la pratique et methode quelle tient à conduire les âmes, par l'Oraison mentale, apparemment à la perfection, mais en effet à la folie, ou du moins à la simplicité, et à tirer à soy leurs biens, dans la bourse qu'il pretend estre commune à tous.

Le tout mis en forme de simple poésie, sans fiction ou priudice aucun de la verité, pour la substance des choses, afin qu'il soit appris plus aisement et agréablement de ceux qui ont encore quelque soin de ne perdre ny leurs ames ni leurs biens.

Seconde edition.

Ils se vendent en rue Mercière, à l'escu de Venise.

M.D.C.LVI[250].


Le Decalogue de la nouvelle devotion.

1. Un seul directeur aimeras
Et le croiras aveuglement.

2. Tous tes péchez tu luy diras
Quoiqu'il soit barbier seulement.

3. Les dimanches tu te rendras
A Sainct-Pierre fidellement.

4. Tes instructeurs honoreras
Afin qu'ils vivent longuement.

5. Chose aucune tu ne feras
Sinon de leur consentement.

6. Femme et fille leur fieras
Sans en avoir nul pensement.

7. De ton bien ne disposeras
Que selon leur commandement.

8. Pour la secte tu mentiras
A bonne fin licitement.

9. Certains jours tu te contiendras
Au mariage mesmement.

10. Des biens d'autruy tu jouïras
Comme eux des tiens communement.


Les Commandements de la nouvelle confraternité.

1. Mentale oraison tu feras
Tant jours festez que jours ouvrants.

2. Tous tes péchez confesseras
A ceux du party seulement.

3. Et ton Créateur recevras
Trois fois dans huit jours resglément.

4. Loy œuvre de chair ne feras
Ny vendredy pareillement.

5. Jours de jeunes tu garderas
A demy mesme t'enyvrant[251].

6. Dans le party femme prendras
Et chez les autres nullement.

7. Au barbier disme payeras,
Luy fiant ton bien pleinement.


Instruction aux predicants de la secte nouvelle[252].

Ces maximes tu garderas
De point en point exactement.
Assez matin messe diras
Pour dejeuner secrettement.
Un bon bouillon avalleras
Et deux jaunes d'œuf sobrement,
Après quoy de mesme prendras
Deux noix confittes seulement[253].
Cela fait, tu ne manqueras
De prescher courageusement.
Du livre commun tireras
Ce qu'il faut dire entierement.
Tous nos dogmes enseigneras
Pour les idiotz doctement.
Des doctes conte ne tiendras
S'ils ne sont de ton sentiment;
Mais aux simples croire feras
Qu'ils ont beaucoup d'entendement,
Par où leur persuaderas
De faire oraison hardiment.
L'esprit de Dieu tu leur diras
Aimer les simples seulement.
A tes auditeurs promettras
De vivre en santé longuement.
De tous biens les asseureras
Et du ciel infailliblement.
Soubmission d'eux requerras
D'esprit et de corps mesmement.
Biens en commun sonner feras
Pour se sauver asseurément;
Ce point tu recommanderas
Comme le grand commandement.
De la part de Dieu promettras
Tout pour total delaissement.
Parfaite oraison jureras
Suivre cest abandonnement.
Le ciel pour terre donneras
Comme doit faire bon marchand.
Vicaire et curé blasmeras.
En secret et publiquement,
Excepté ceux que tu verras
S'accorder à ton sentiment.
De ceux-cy tu te serviras
Pour te prosner journellement.
Mentale oraison louëras
Comme onzième commandement.
La vocale reprouveras
Comme un petit amusement.
Petit office deffendras,
Et chapelet également.
Gagne-petit l'appelleras
Qui n'est bon que pour un enfant.
A toutes les femmes diras
Comme à tous hommes hardiment
Que le ciel tu leur fermeras
S'ils n'obéissent humblement.
D'enfer tu les menaceras
S'ils ne font tout aveuglement.
Leur couche leur interdiras
Pour aller au Saint Sacrement.
A quoy tu les obligeras
A ton gré plus ou moins souvent,
Et fortement prohiberas
D'en user jamais autrement.
Après toy livres porteras
Pour en vendre à denier content,
Et sur un chacun gaigneras
Plus que ne feroit un marchand:
Car tout le lucre qu'y feras
Se fait pour Dieu licitement.
La bourse commune enfleras
De tout gain indifferemment.
Plus de biens y ramasseras,
Meilleur sera ton traittement.
Au Bruno vogue donneras,
Vers les plus despourveus d'argent.
L'Introduction louëras
Aux femmes principalement.
Mais les Thoniels tu mettras[254]
A deux doigts du firmament.
A tout propos tu chanteras
Que c'est un docteur eminent;
Mais pour l'oraison tu diras
Qu'il n'en est point de plus sçavant.
Autre que toy ne permettras
En debiter publiquement,
Et ton gain ne partageras
Avec aucun autre marchand.
Comme un fol tu descrieras.
Si quelqu'un d'en vendre entreprend.
Nul billet tu ne donneras
Qu'à ceux du party nommément;
Les autres tu ne permettras
S'en pourvoir que chez ton ageant[255],
Ny le libraire nommeras
Qui nous les vend uniquement.
Par puissance tu chasseras
Qui les revendroit autrement.
Travaillant tu conserveras
Ta santé fort soigneusement.
Trois heures tu confesseras[256],
Après quoy pas un seul moment;
Le restant congedieras
Quoiqu'il t'en conjure instamment.
Chaque semaine un jour prendras
Pour te reposer doucement,
Et ton embonpoint ne perdras
Pour le donner trop de tourment.
Au sortir de la chaire[257] iras
Te faire secher promptement.
Un bon feu te procureras
Pour empescher l'enroüement.
Deux devotes tu meneras
Pour te frotter soigneusement;
Mais pour l'exemple tu feras
Que le tout soit secrètement.
Ce faisant tu reformeras
L'Eglise apostoliquement,
Et dans peu de temps luy rendras
Son lustre et premier ornement.
Des champs à la ville viendras
Plein comme un œuf fait fraischement;
Sur ton cheval tu porteras
Du temporel abondamment.
Dans l'âme tu tesmoigneras
Rapporter grand contentement.
Si tu veux, alors escriras
Livres de grand emolument[258],
Et justement le signeras
De L'Amour divin l'Instrument.


Instruction du directeur general aux femmes mariées de la Caballe.

De bon matin te lèveras
A la même heure règlement;
Au galetas[259] tu monteras
Pour mediter plus hautement;
Ta famille y recueilleras
Sans souffrir qu'aucun soit absent;
Mais en peine ne te mettras
Si quelqu'un medite en dormant.
De ce lieu tu ne bougeras
Que le temps coulé pleinement;
De là pour rien ne sortiras
Quand il presseroit grandement.
Ton oraison n'interrompras
Quelque cause le demandant.
Beaucoup moins du tout l'obmettras
Pour ne pecher mortellement.
Quand un des tiens reconnoistras
Parler contre ce document,
De ta maison le chasseras
Comme du demon l'instrument.
Les pedagogues recevras
Veu mon billet tant seulement,
Aveuglement tu les prendras
Comme envoyé du firmament.
De luy les points ecouteras
Soir et matin en te levant.
Mesme respect tu luy rendras
Comme à moy personnellement.
Dans ta maison rien ne feras
Sans consulter mon lieutenant,
Et plus mal ne le traitteras
Que s'il estoit ton propre enfant.
A ton mary n'obeïras
Qu'à ta volonté seulement.
Cependant tu travailleras
De le posseder pleinement;
Du mariage luy diras
Que c'est certes un sacrement,
Mais par addresse tascheras
De l'en degouter doucement[260].
L'oraison tu luy prescheras
Comme un plaisir plus innocent;
Le devoir luy refuseras
Sur l'accez du Saint-Sacrement.
Le mesme aux festes tu feras
Pour les chaumer plus saintement;
Par là tu le degouteras
Et n'auras de luy plus d'enfant.
Ceux que desjà possible auras,
S'ils sont enfans tant seulement,
En pension tu les mettras
A beau conte en mon logement,
Et plus ne l'en soucieras,
Mais de prier uniquement.
A moy tu t'en rapporteras,
J'en auray soin fidelement.
S'ils sont grands, tu commenceras
D'agir imperieusement,
Pleine authorité tu prendras
Pour les conduire absolument;
Aux miens tu les obligeras
De se confesser règlement,
Et tu les desheriteras
S'ils ne le font exactement.
Le mesme au serviteur diras
Et servantes pareillement.
Puis ton mary tu rangeras
Par pieté subtilement:
De l'enfer souvent parleras
Pour luy troubler l'entendement;
Comme toy le disposeras
A suivre notre reglement.
Ta maison à Dieu gagneras
Si j'en suis maître absolument.
Cela fait, les clefs saisiras
Du cabinet[261] et de l'argent;
De tous les biens disposeras
Par la clef de ce document;
Avec l'oraison tu feras
Plus qu'on ne fait communement
Coffre et cabinet ouvriras
Et non pas le ciel seulement;
Mais ingrate tu ne seras
A ton directeur bienfaisant,
Par qui chez toi gouverneras
Biens et mary pareillement;
A moy donc tu te soumettras
Pour ta conduitte entierrement.
Jusqu'à la mort tu regneras,
Si je te dresse uniquement.
Ta maison commune rendras
A tous ceux de mon regiment.
Ton argent propre ne diras,
Mais le tiendras indifferent.
Plus volontiers le donneras
Au plus petit commandement,
Que pour t'enrichir ne prendras
Ce qui t'est dû bien justement;
Chez moy tribut apporteras,
Preuve de ton destachement.
Chemises, linceuls[262] donneras
Pour vestir mes gens du Levant.
L'argent mesme n'espargneras
Sans esperer remboursement,
Car à grand honneur tu tiendras
De fournir à ce qu'on pretend.
Aucune aumosne ne feras
Aux capucins absolument.
Hermite et moine escarteras
Par un: Dieu vous doin[263]! seulement,
Jusques à ce que tu sauras
Qu'ils parlent de nous autrement,
Les jesuites fuïras
Comme je les crains grandement;
De mes secrets ne leur diras
Pas même le plus innocent.
Par cela seul tu les craindras
Qu'ils me veulent mettre à néant,
Au grand directeur tu feras
Ta confession sechement.
Tous tes péchez tu luy diras
A l'oreille confidemment;
De tout pire rien ne craindras
Pour ton meilleur gouvernement,
Et boiser de paix recevras
Comme seau de ce sacrement.
Continence tu garderas
Avec ton mary frequemment[264],
Et pour ce faire te mettras
Dedans un sac separement.
Nul domestique ne prendras
Que de nostre main seulement.
D'artisan ne te serviras
Qui ne soit de nostre element.
Bien moins les tiens allieras
A qui de mediter n'apprend.
Vis au reste ainsi que voudras:
En observant ce reglement,
Tout droit au ciel tu t'en iras,
N'en doute mie, asseurement
Après la mort y monteras
Beaucoup plus viste que le vent.
Mais reprouvée tu seras
Si tu ne gardes ton serment.


Chanson nouvelle de la Boutique Barbifique, sur l'air:
AH FRIPONNE! AH COQUINE!

Vien çà, ma Musette,
De longtemps tu n'as chanté,
Ne sois pas muette.
Pour la confraternité.
Un venerable ouvrier
Implore ton mestier
A l'honneur de sa boutique
Barbifique, barbifique,
Car c'est un barbier,

Suy donc le menage
D'un si celèbre artisan,
Apprens-nous l'usage
Qu'il en sçait faire à present.
Tant de divers outils
Si nets et si gentils,
N'estant plus une boutique
Barbifique, barbifique,
A quoi servent-ils?

Tout change d'usage,
Les outils les plus cruels,
Rasoir et badinage
Deviennent spirituels.
Sainte conversion
A depuis peu, dit-on,
Sceu faire d'une boutique
Mechanique, mechanique,
Maison d'oraison.

Le Rasoir.

Le fer barbifique,
Sçavant à raser menton,
Aime qu'on l'applique
A faire autre section.
Le tranchant acéré,
D'un empire adoré
Rompt le nœud du mariage
Sans veusvage, sans veusvage,
Du ciel veneré.

La Lancette.

Cette pointe aigüe,
Qui tiroit le sang du corps,
Devient la sangsuë
Dont on saigne les thresors;
Car celuy qui n'a rien
Qu'il puisse dire sien
Porte jusqu'à la lancette,
La lancette, la lancette,
Pour avoir du bien.

Le Bistori[265].

Mais à ce miracle,
Qui de vous n'aura pas ry,
Q'un nouvel oracle
Perce tout d'un bistory[265]?
Il ouvre bourse et cœur,
Comme aposthème meur,
D'où comme pus il retire
Par empire, par empire,
Un fonds de bonheur.

La Sonde.

Ce n'est qu'à la pierre
Qu'on ordonne de sonder[266],
Ce barbier empierre
Qui pretend le seconder.
La nouvelle oraison,
Qui fait perdre raison,
Veut qu'en vertu de la sonde
Tout se fonde, tout se fonde,
Dans une maison.

Les Pincettes.

Sans faire la taille
Par cruelle incision,
Il met à la taille
Son association.
Sans tenailles il prend,
Et jamais il ne rend,
S'il porte dans les cassettes,
Les pincettes, les pincettes,
Pour happer l'argent.

Le Costic.

Cette pierre ardente,
Qui nous brûle sans douleur,
D'oraison fervente
Ressemble à la sainte ardeur:
L'une oste sentiment,
Et l'autre entendement,
Pendant qu'un barbier applique,
Sans replique, sans replique,
L'onguent de Tiran[267].

Le Boetier.

La boette partie
En carrets bien prattiquez,
Ne se voie remplie
Que d'onguents sophistiquez.
Femmes et villageois,
Ignorants du narquois[268],
Sont pris sans addresse ou force,
A l'amorce, à l'amorce,
D'un barbier contois.

Le Peigne.

De plus, à son peigne,
Armé de dents et cornu,
On dit qu'il enseigne
Un employ bien inconnu,
Il ajuste les mœurs
Des petits directeurs;
Mais ce peigne ecorche et blesse
La richesse, la richesse,
De ses sectateurs.

Les Ciseaux.

Ce nouveau menage,
Qui veut que tout ne soit qu'un,
Fait un autre usage
De ces ciseaux en commun;
Il trenche avec un mot
Jusqu'à la chair du pot,
Et tout ce qu'il dit s'observe,
Sans reserve, sans reserve,
De tous aussi-tost.

La Savonette.

Il fait l'âme nette
De tous ses plus confidents,
Par la savonette,
Qui lave ses penitents;
Mais l'esprit decevant
Passe bien plus avant,
Car il degraisse la bourse
Sans resource, sans resource,
Qu'il remplit de vent.

Le Relève-Moustache.

Pour donner courage
A l'esprit qui depuis peu
Est hors du village,
Où jamais bien n'a repu,
Après que le rasoir
A bien fait son devoir,
Il fait, pendant qu'on le cache,
La moustache, la moustache,
Puis il le fait voir.

Les Vergettes.

Ses suppots fidelles,
Pour la pluspart des oysons,
Remplument leurs aisles,
Ne vivants que d'oraisons;
Ils sortent du debris,
On les voit noirs de gris,
Et, tant jours ouvriers que festes,
Les vergettes, les vergettes,
Grattent leurs habits.

La Brosse.

Or, comme leur teste,
Qu'on destine aux grands emplois,
Pour lever la creste,
Est crasseuse en villageois,
D'abord un bon frater,
Par l'ordre du pater,
Prend dans un tiroir la brosse,
Rude et grosse, rude et grosse,
Pour les en frotter.

Le Frisoir.

Mais ces testes viles,
Sans science et sans vertu,
Seroient inutiles
A ce grand corps pretendu,
Si, faute du dedans,
Les dehors evidents
N'ont une mine ajustée
Et frisée, et frisée,
Sous les fers ardents.

Le Frottoir.

Si, parmy la peine
D'une longue mission,
L'ouvrier perd haleine
Dans la prédication,
Crainte de se tuer,
Pour se trop remuer,
Une suivante dévote
Sèche et frotte, sèche et frotte,
S'il vient à suer.

L'Emplastre.

D'ailleurs cette secte,
Ayant de principes faux,
Ainsi qu'un insecte
Tout composé de défauts,
Ne voulant les guerir,
Mais les faire courir,
Il faut employer l'emplastre
Et le plastre, et le plastre,
Pour nous les couvrir.

Les Ventouses.

La race est petite
Et de taille à remper bas,
Le chef en depite,
Car il ne pretend pas;
Il pousse donc avant
Cet insecte bavant,
Et par la ventouse sèche,
Quand il presche, quand il presche,
Il l'enfle de vent.

Le Miroir.

Mais les femmelettes,
Dans ce miroir enchanté,
Sans prendre lunettes,
Prennent toutes de beauté,
Et ce charme trompeur
Qui les flatte d'erreur,
Les fait voir pleines de grâce;
Mais en glace, mais en glace,
Gît tout leur bonheur.

Le Bassin.

Les femmes rasées
Sans le travail du barbier,
Par belles menées,
Vont à foule à cet ouvrier;
Mais il n'est pas mal fin,
Car, visant à sa fin,
Les prend au col pour les faire,
En prière, en prière,
Cracher au bassin.

Le Bandage[269].

Si la procedure
De ce nouveau directeur
Fait quelque rupture,
D'un delire par malheur,
Il n'en a plus de soin,
Puisqu'il n'espère point
De le pouvoir par bandage
Faire sage, faire sage,
Comme il a besoin.

A tant ma Musette,
Sur un air harmonieux,
Dit à son poëte
Les points les plus curieux.
Le barbier et ses gents,
En bien peu de moments,
Pourront voir icy la liste
Creteniste, creteniste,
De leurs instruments.


Aux Dames de l'oraison faite au Puy, et se chante partout.

A la minuit se coucher d'ordinaire,
Après avoir ensemble fait grand chère,
1 Beu des santés et fait le reveillon,
Est-ce le fruit qu'apporte l'oraison?

On fait intrigue, on cajole, on se moque,
2 Le double sens nullement ne vous choque,
Vous en riez, et le trouvez fort bon:
Est-ce le fruit qu'apporte l'oraison?

Vous vous piqués d'une belle conqueste,
3 Et tous les soirs vous les passez en feste,
Vous épuisez le sçavoir de Crepon[270]:
Est-ce le fruit qu'apporte l'oraison?

Le directeur vous presche penitence,
4 Monsieur Tenant en crie à toute outrance,
Pourtant tousjours on vit de la façon:
Est-ce le fruit qu'apporte l'oraison?

Vous accordez de si belle manière
5 Le monde, Dieu, le plaisir, la prière,
Qu'il n'en est point de si bon compagnon
Qui ne voulust ainsi faire oraison?

Je pourrois bien dire quelque autre chose,
6 Mais par respect je me tais ou je n'oze,
Car je veux croire, après cette leçon,
Que vous ferez un peu mieux l'oraison.

Si quelqu'un est curieux d'avoir une plus grande lumière sur les points de pratique qui ne sont que touchez et indiquez plustot qu'expliquez et prouvez dans cette introduction, il pourra voir quelques autres petits traitez qui ne sont encore qu'escrits et qui sont entre les mains de ceux qui ont desiré d'avoir une plus parfaite connoissance du procedé de la caballe par leurs actions particulières, comme sont:

1o L'Entrevue et la Conference des Hermites de Beaunan et du Mont-Cindre, voisins de Lyon;

2o Les Rapports d'une extrême opposition dans la chose, nonobstant l'affinité des noms du cretenisme et du christianisme[271], rangez en deux colonnes par thèses et antithèses;

3o Les Rapports de ressemblance entre les illuminez d'Espagne, qui parurent l'an 1623, à Seuille et Cadix, dont les auteurs y furent brulez, et les illuminez de Lyon en ce temps par les propositions de ceux-là, et les pratiques et actions de ceux-ci opposées et confrontées en deux colonnes;

4o L'Apologie de la nouvelle caballe, où il est respondu aux principales accusations dont on la charge;

5o La docte et ingénieuse lettre d'un veritable chanoine de Saint-Just à un de messieurs de Sorbonne sur le sujet des nouveaux illuminez de Lyon;

6o L'Addresse methodique pour decreteniser un esprit et detacher de corps un membre qui n'est ny ensorcellé ny tout à fait encore depourvu de raison, attendant une plus ample declaration du tout, dans l'œuvre burlesque de la boutique du cretenisme et dans le serieux de l'anatomie, ou dissection de la nouvelle caballe, sous le pretexte specieux de l'oraison mentale, partagée en trois sections, dont la première traitte et prouve par raison et par exemple une douzaine de ses maximes principales; la deuxième, de mesme le secret et la fin où vise la caballe[272], qui, estant la première dans le dessein qui est l'ordre de la pretension, ne paroistra néantmoins que la dernière en effet dans l'ordre de l'execution quand le mal sera plus fort que le remède; la troisième traitera de l'esprit de la caballe, qui agit et meut diversement tout le corps, selon les divers usages qu'il fait de ses membres differents pour abboutir et arriver au but où tout cet appareil conspire d'une haleine...

Fin.

Logemens pour la cour de Louis XIII[273].


Monsieur mon bon amy,

Je ne puis bonnement vous representer la peine que j'ay eüe pour faire marquer tes logemens pour Sa Majesté et toute la cour; car, comme c'est l'ordinaire de nos François de ne faire rien qu'avec precipitation, sans jugement et sans ordre, chacun vouloit estre logé en mesme temps et prendre des logis à ses plaisirs sans respect ou consideration de qualité ni de merite. Je vous en diray les particularitez.

Nous avons marqué le logis du roy à l'Aigle impériale[274]: mais, avant que d'y venir loger, il faudra venir aux mains avec des Alemans qui s'en sont emparez et qui ne veulent point quiter prise. Nous verrons qui sera le maître. Pour la reyne, nous eussions fort desiré la loger au Dauphin[275], je m'asseure que ce logement eust esté fort agréable à Sa Majesté, mais il y a je ne sçay quoi qui l'en empêche; en attendant que cet obstacle soit levé, nous la logerons à l'Espérance, c'est un beau et grand logis. Nous avons marqué le Grand Serf[276] pour Monsieur, et avons bien de la peine à loger Son Éminence, car vous savez qu'il a grande suite et force bagage, et que sa court est aussy grosse que celle du roy. C'est pourquoy il luy faut beaucoup de lieus. Nous avons marqué l'Ancre, la Couronne ducale et l'Écu de Bretagne[277], mais on nous a dit que cela nous suffiroit pas seulement pour la moitié de sa suite, et qu'il en faudra bien marquer d'autres pour sa personne. Il veut avoir la Couronne royale, mais cela ne se peut, parce qu'il y revient un esprit qui tourmente le monde. J'estois d'advis de lui marquer la maison des Clefs[278], croyant qu'elle luy seroit plus propre; mais l'on m'a dit que l'on n'y loge que des Italiens par un privilége special. Nous avons fait marquer l'Homme d'argent pour M. le Prince à tout hasard; car nous ne croyons pas qu'il vienne icy, parce qu'il n'est guères souvent en court[279]. Pour M. le Comte, on luy vouloit donner la Cage[280]; mais ses gens l'ont refusé à cause que le logement est trop melancolique. Ils ont mieux aimé la Banière de France. M. de la Vallette s'est fait marquer l'Epée royale[281]. Nous l'avons fait par complaisance, car nous n'estimons pas que ce logement luy demeure. Il y a longtemps que Monsieur son père a desiré l'y loger, mais il trouve toujours la place occupée; possible que la faveur l'y pourra etablir. M. le chancelier est marqué au Cerf-volant[282]; Monsieur son gendre et M. le general des galères, au Chameau[283]. Il y a deux personnes de la faveur (sans les nommer, c'est le père Joseph et M. Des Noyers) qui veulent loger au Chapeau rouge[284]; plusieurs desirent ce logement, parce qu'il est beau; mais, comme ces messieurs sont recommandez de bonne part, je croy qu'ils y demeureront. Il s'est formé un grand conflit pour le logis de la Harpe[285] entre messieurs des finances et monsieur le grand-maître de l'artillerie[286]. Messieurs des finances soutiennent que ce logis leur est affecté de tout temps; Monsieur le grand maître allègue deux ou trois raisons par les quelles il pretend qu'il le doit avoir; outre que c'est une impertinence à ces messieurs de vouloir resister aux puissances superieures. Enfin, ils ont trouvé bon de s'accommoder et M. de Bulion[287] a fait dire qu'il ne luy importe pourveu qu'il ait le couvert, et qu'il s'accomodera au Mortier. M. Bouthillier[288] au Bras d'or, M. Du Houssay[289] au Cheval bardé, M. Cornüel[290] à la Galère, M. d'Emery à l'Ecu de Savoye[291], et messieurs les secrétaires à la Main d'argent. Mais ce qui nous a travaillé le plus, c'est une dame de haut parage[292] (je ne sçay si elle est dame ou damoiselle, car tantôt on l'appelle madame, tantôt mademoiselle[293]). Elle vouloit avoir l'Ecu de Bourbon[294]; mais la vieille hostesse[295] s'y est opposée[296], alleguant qu'elle n'est de la qualité requise[297]; bien plus, on avoit juré qu'elle auroit l'Ecu d'Orléans; mais la place est prise[298], de sorte que, n'estimant pas les autres logis propres pour elle, je croy qu'elle sera contrainte de prendre l'Abbaye[299]. Nous avons bien eu du bruit pour cela; je ne m'etonne pas si les hostelliers refusent de loger les femmes, car elles sont trop mal aisées à contenter, et donnent souvent de la peine à leurs hostes. L'on a marqué l'Ecu de Milan à M. de Créquy[300], à la charge qu'il fera deloger les Espagnols qui l'occupent; il aura de la peine à en venir à bout. J'oubliois un grand prelat des plus eminents que l'on doit faire loger au Moulin à vent. Il nous reste deux secrétaires d'Estat à loger; nous avons fait marquer pour eux la Plume d'or.

Fin.

Le Louis d'or[301].


A Mademoiselle de Scudery.


Sapho, qui recevez de mille endroits divers
Tant de prose galante et d'agréables vers,
Jettez les yeux sur cet ouvrage:
De grâce, daignez le souffrir;
Quand j'eus dessein de vous l'offrir,
Votre seule bonté m'en donna le courage!
Ainsi, rare Sapho, l'ornement de nos jours,
Sans chercher de plus longs detours,
Ni sans m'excuser davantage,
Je vais commencer mon discours:

Ne vous imaginez pas, Mademoiselle, que ce que je vais vous conter soient des nouvelles particulières de la cour; bien que j'y sois depuis quelque temps, je n'en sai pas davantage. Les gens aussi peu considerables et aussi peu empressez que moi la suivent assez ordinairement sans la voir, ou la voyent bien souvent sans la connoître. L'autre jour, m'étant retiré de meilleure heure qu'à l'ordinaire, dans l'oisiveté où je me trouvai, m'amusant à compter ce qui me restoit d'argent pour mon voyage, il me tomba dans la pensée que, si tant de pièces differentes que je tenois avoient du sens et de l'intelligence dans la tête, dont elles étoient marquées, il n'y auroit presque rien qu'elles ne pûssent m'apprendre; et que, l'or et l'argent ayant de tout temps gouverné le monde, on pourroit sçavoir par leur moyen des nouvelles de tous les siècles. A peine avois-je eu cette pensée, qu'une pistole d'Italie[302], que j'avois séparée des autres, prenant brusquement la parole pour toutes, me parla de cette sorte

Comme je te connois discret,
Je t'avertis en confidence;
Mais n'en dis rien, car c'est un grand secret:
A tort vous nous croyez manquer de connaissance;
La pluspart des hommes sont fous,
Car, bien que nous sçachions nous taire,
Nous voyons ce qu'ils font pour nous,
Et savons ce qu'ils nous font faire.

Je fus fort epouvanté d'une nouveauté si extraordinaire; bien que je n'ignorasse point que les pistoles se mêloient de beaucoup de choses, je ne sçavois pas encore qu'elles sçussent parler. Mais enfin, m'étant un peu rassuré, je lui repartis: «Eh quoi, as tu bien assez d'esprit pour repondre à toutes les questions que je te ferai?»

Alors, avec ardeur reprenant la parole;
«Je dirai d'or!» repliqua la pistole.

«Vraiment, lui dis-je, tu ne te contentes pas de parler, tu fais des vers, et, qui pis est, tu fais des pointes! Mais, puisque te voilà de si belle humeur, je suis prêt à t'écouter. Je ne serai pas le premier qui me serai engagé dans des dialogues extraordinaires; en tout cas, puisqu'il y en a dans Lucien d'aussi surprenans, il sera mon garant. Surtout, si tu me veux plaire, entretiens-moi de diverses choses dont tu peux avoir connoissance; conte-m'en des galantes autant qu'il te sera possible, mais au moins que je ne sçache rien de certaines aventures qui ne meritent pas le nom de galanterie, et dans les quelles les pièces de moindre valeur que toi peuvent avoir cours.

Sur cet article, par avance,
J'impose un eternel silence
Aux ecus d'or autant qu'aux ecus blancs,

«Ne crains point, interrompit gravement un double louis qui mouroit d'envie de parler; si nous avions à l'entretenir de quelque chose qui approchât de l'amour, où l'intérêt peut avoir quelque lieu, nous ne traiterions pas cette matière si grossierement; je ne le parlerois que de ces dons, utiles et secrets, que l'on appelle generosité et grandeur d'âme; que de ces personnes bien faites et bien faisantes[303] qui, pour donner courage à leurs galans, travaillent à leur etablissement et à leur fortune, ou de ces galans industrieux qui sçavent faire des liberalitez si à propos qu'on ne sçauroit les refuser; enfin, de tous ceux qui employent leurs richesses pour l'utilité ou pour le plaisir des personnes qu'ils aiment.

Qui sçait de ses grands biens faire un parfait usage
Est magnifique en equipage,
Fait tout avec profusion,
Tâche à donner souvent bal ou colation;
Que s'il peut engager en quelque promenade
L'objet dont les beaux yeux l'ont sçû rendre malade,
Son carrosse attelé de six chevaux de pris
Fait trembler sous ses pas le pavé de Paris;
Il se met en campagne, et, sans reprendre haleine,
En d'agréables lieux il conduit l'inhumaine.
Là l'aimable musique et les mets delicats,
Par des soins diligens, ont devancé leurs pas.
Cependant, ce train magnifique,
Tous ces mets delicats, cette aimable musique,
Ce qui devance ou ce qui suit,
Et qui gagne le cœur des plus indifferentes,
Ce n'est que de l'argent traduit
En cent manières differentes.

«En effet, poursuivit le louis, recevoir ou donner de l'argent est une chose également honteuse; même après l'avoir donné, quelques-uns tâchent de le ratraper. Une dame de ma connoissance en usa de cette sorte assez plaisamment, il y a quelque temps. Après avoir fait un present considerable à son amant, elle le pria, à deux jours de là, de lui prêter tout ce qu'il auroit d'argent en son pouvoir pour une affaire de consequence qui lui étoit survenue.

Le cavalier, surpris d'entendre ces paroles,
De sa mourante bourse arracha ses pistoles,
Et, confus autant qu'interdit,
Les croyant prêter, les rendit.

«Toutes fois, continua le quadruple, si tu voulois être entierement satisfait, il te faudroit parler à tous ceux que tu viens de remettre dans ta bourse. Quand nous sommes seuls, comme je suis presentement, nous ne sommes pas propres à grand-chose ni ne sommes point d'un fort grand entretien. Cependant, beaucoup de nous ensemble faisons tous les jours des choses incroyables; et c'est en grande compagnie que nous avons contribué au gain de plusieurs batailles, à la prise de plusieurs villes imprenables, et à mille conquêtes amoureuses.» Il m'avertit même de bonne foi que, le plus souvent, la vertu des gens ordinaires n'alloit que du plus au moins[304];

Que leur grand nombre avait des charmes si puissans,
Que souvent la plus prude, et que le plus habile,
Qui peut resister à deux cens,
Se laisse emporter à deux mille.

«Je croi fort aisément ce que tu dis, lui repondis-je; mais, quoi qu'il en soit, j'aime mieux ne m'engager en conversation qu'avec toi seul, de peur d'embrouiller la chose.—Tu n'as pas tant de tort, me dit-il; si nous étions plus de deux, nous voudrions peut-être parler tous à la fois, comme font assez ordinairement les hommes quand ils se trouvent plusieurs ensemble. Ecoute-moi donc tout seul, je t'en conjure, et sois persuadé que je te ferai sçavoir des choses assez curieuses. Comme je suis d'un or le plus ancien qu'on puisse trouver, je pourrai te conter mes aventures: car, afin que tu ne t'y trompes pas, j'ai conservé le même sens et la même intelligence que j'ai présentement, dans toutes les formes differentes sous lesquelles j'ai paru. Je fus tiré de la mine sous le règne du dernier Darius, et j'ai vû tout le bouleversement de ce grand empire. Cependant, sans te rien dire de toute la suite de l'histoire, dont je te fais grâce et que je te pourrois conter ici s'il m'en prenoit fantaisie, il me suffira de t'apprendre qu'en ce temps-là je portai la figure du conquerant qui renversa le trône des Perses; et je me contenterai de te faire sçavoir, en passant, quelque chose des amours de ce siècle-là, qui étoient tout à fait differentes de celles de celui-ci. Les langueurs, les plaintes et les desespoirs n'étoient point en usage parmi les courtisans de ce grand prince. Comme c'étoient tous gens accoutumez à de promptes et grandes expeditions, ils avançoient bien plus en un jour qu'on ne fait maintenant en une année. Pour te confirmer en cette verité, souviens-toi de la reine des Amazones.

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