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Aventures d'un Gentilhomme Breton aux îles Philippines

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Sur la géologie et la nature du sol des îles Philippines; sur ses habitants; sur le règne minéral, le règne végétal et le règne animal; sur l’agriculture, l’industrie et le commerce de cet archipel.

§ I.—Nature du sol.

L’île de Luçon, la principale de l’archipel des Philippines, est située entre les 123º 22′ et les 127° 53′ 30″ de longitude, et par les 12° 10′ et 15° 43′ de latitude du méridien de Madrid.

C’est la plus grande de l’archipel.

A l’est, ses côtes sont baignées par l’océan Pacifique, et à l’ouest par la mer de Chine.

Dans toute sa longueur du nord au sud, elle est divisée par une haute chaîne de montagnes, dont de grandes ramifications s’étendent à l’est et à l’ouest.

Son sol est essentiellement volcanique. On y remarque encore quelques volcans en combustion, de nombreux cratères éteints, et de grands bouleversements produits par des feux souterrains. Ses montagnes doivent leur origine à de grands soulèvements du sol.

Le volcan de Taal, au milieu du lac de Bombon, dans la province de Batangas, est toujours à l’état d’ignition; et, bien que depuis 1754 il n’ait pas fait de grandes éruptions, d’énormes colonnes de fumée s’échappent continuellement de son vaste cratère, qui n’a pas moins de quatre kilomètres de circonférence. L’éruption de 1754 fut si terrible, qu’à une distance de trente à quarante lieues la clarté du jour était obscurcie par l’immense quantité de cendres qu’il avait projetée dans l’air. A Manille, éloignée de vingt lieues, on entendit plusieurs détonations semblables à celles de la grosse artillerie. Les bourgs de Sala, Lipa, Tanaban et Taal, situés sur les bords du lac de Bombon, furent entièrement détruits.

Il est probable que ce volcan a des communications souterraines avec la haute montagne de Mainit, située au nord-est, à une distance de quatre à cinq lieues du lac de Bombon. Peut-être à une époque prochaine cette haute montagne se transformera-t-elle en un énorme volcan: elle menace continuellement de faire éruption; à son sommet, plusieurs crevasses laissent parfois échapper une épaisse fumée et souvent des flammes. A sa base, dans la partie baignée par les eaux du lac de Bay, surgissent de nombreuses sources thermales, à la température de l’eau bouillante. Toutes ces sources vont se jeter dans les eaux froides de Bay, et dégagent une si grande quantité de vapeur, qu’à une petite distance cette partie du lac paraît dans une ébullition continuelle. C’est dans ces sources que quelques auteurs ont prétendu que des poissons vivaient et que des plantes croissaient. Je puis assurer que c’est là une erreur.

L’île de Socolme, dont j’ai parlé, éloignée de quatre à cinq kilomètres des sources thermales, est un ancien cratère.

Dans les provinces de la Lagune et de Tayabas, plus à l’est de Mainit, la montagne de Majayjay, une des plus élevées de l’île de Luçon, a probablement été formée par un volcan dont le cratère, qui occupait le sommet, est maintenant un lac circulaire; sa profondeur n’a jamais pu être mesurée. A l’époque où ce volcan était en ignition, la lave qui coulait du sommet vers la base, dans la direction du bourg de Nacarlang, a probablement recouvert d’immenses cavités dans une grande étendue. Souvent, à la suite d’inondations ou de tremblements de terre, la couche volcanique qui recouvre ces cavités vient à se rompre, et laisse à découvert d’énormes profondeurs que les Indiens nomment bouches de l’enfer.

Entre Mainit et Majayjay, sur tout le territoire du bourg de San-Pablo, on trouve de distance en distance des petits lacs circulaires qui étaient autant de volcans. Les amas de pierre ponce et de laves de diverses natures qu’on remarque aux alentours de ces lacs ne laissent aucun doute sur leur première nature.

Le volcan de Mayon, qui, le 23 octobre 1766, fit une si terrible éruption, est situé tout à l’extrémité de Luçon, dans la province d’Albay. En 1814, une nouvelle éruption détruisit complétement le bourg de ce nom.

Tout le territoire de cette province est volcanique. On y trouve un grand nombre de cratères éteints, d’où l’on retire une grande quantité de soufre pour le commerce.

Tout à fait au nord de Luçon, les îles Babuyanes sont entièrement volcaniques. Dans ce groupe, celles nommées Camiguin, Dalapury et Fuya fournissent une grande quantité de soufre.

Comme on vient de le voir, au centre de l’île de Luçon, et à ses deux extrémités, le sol est essentiellement volcanique. Il serait superflu de donner dans ce court aperçu plus de détails sur les autres parties, qui sont absolument de la même nature, et qui prouvent évidemment que les Philippines ont été bouleversées par des feux souterrains et de fréquents tremblements de terre.

Ceux de ces tremblements de terre qui font époque ont eu lieu en 1627, 1645, 1675, le 24 septembre 1716, le 20 juin 1767, 1796, 1824, 1828 et 1852.

Celui de 1627 engloutit une des plus hautes montagnes de la province de Cagayan.

Celui de 1675 sépara, dans l’île de Mindanao, une haute montagne. Les eaux de la mer se précipitèrent par cette ouverture, et inondèrent une immense étendue de terres cultivées.

Le dernier qu’a éprouvé Luçon commença le 16 septembre 1852, à six heures trente minutes du soir. Les premières oscillations, accompagnées d’un fort bruit souterrain, firent varier le pendule de 43 degrés; elles se répétèrent, moins fortes, d’intervalles en intervalles plus ou moins éloignés, jusqu’au 12 octobre.

Il causa la ruine de tous les grands édifices; la montagne d’Uba-Uba, située dans la baie de Subic, province de Zembales, fut complétement engloutie.

Dans plusieurs parties de Luçon, la terre s’entr’ouvrit pour rejeter des masses d’eau, de vase et de sable. Non-seulement ce cataclysme fit sentir ses terribles effets dans toute l’île de Luçon, mais aussi dans les îles voisines. A Mindanao, les édifices et les ponts s’écroulèrent, et la terre, comme à Luçon, s’ouvrit dans plusieurs endroits pour vomir des masses d’eau, de vase et de sable.

§ II.—Climat.

La position topographique de l’île de Luçon et la haute chaîne de montagnes qui la divise du nord au sud, nommée Caravallo, procurent à ces belles contrées un printemps perpétuel. Cependant deux saisons bien distinctes y régnent en même temps: celle des pluies ou l’hivernage, celle des sécheresses ou l’été.

Pendant six mois, depuis juin jusqu’à la fin de novembre, le vent souffle du sud-ouest, et, pendant les autres six mois, du nord-est.—On distingue ces deux époques par mousson de sud-ouest et mousson de nord-est.

Pendant la durée de la mousson de sud-ouest, toute la partie de l’île située à l’ouest est dans la saison de l’hivernage, tandis que la partie opposée, à l’est, est dans la saison d’été, et vice versa, lorsque c’est le vent de nord-est qui règne. Celui qui voudrait éviter l’hivernage pourrait employer le même moyen que les Négritos ou Ajetas, lesquels, ainsi que je l’ai dit, changent de localité avec la mousson.

Le vent, dans une mousson ou dans l’autre, vient toujours de la mer. Il est arrêté par la haute chaîne de montagnes. Les nuages qu’il apporte, retenus par cette barrière, grossissent et s’accumulent jusqu’à ce qu’un orage vienne à se former. Alors le tonnerre gronde, la foudre sillonne l’air, la pluie tombe comme si le ciel avait ouvert ses cataractes; les rivières et les torrents grossis se précipitent dans la plaine, qu’ils fertilisent de tous les détritus et des terres limoneuses qu’ils ont arrachés au flanc des montagnes couvertes de hautes forêts. Mais bientôt le calme se rétablit, les nuages se dissipent, et le soleil luit de tout son éclat. Alors l’air est rafraîchi non-seulement pour les habitants de la région de l’hivernage, mais aussi pour ceux qui, de l’autre côté des montagnes, se trouvent dans la saison des sécheresses, car la brise qu’ils reçoivent a lamé cette fraîcheur dans la région humide qu’elle a parcourue.

Les orages, qui se répètent continuellement pendant la saison de l’hivernage, ne se passent pas toujours comme je viens de l’indiquer: souvent le tonnerre se fait à peine entendre, et la pluie tombe à torrents pendant cinq à six jours sans interruption; ou bien le vent ne suit pas son cours naturel. Dans moins de vingt-quatre heures, il parcourt tous les points de la boussole; il se déclare alors des ouragans ou tay-foungs, tels que je les ai décrits au commencement de ce livre.

Généralement, ces grands bouleversements de l’atmosphère arrivent au changement de mousson, pendant la lutte qui se livre entre le vent de nord-est et celui de sud-ouest. A cette époque aussi il survient des calmes de plusieurs jours, pendant lesquels les plus fortes et les plus accablantes chaleurs de l’année se font sentir.

§ III.—Regne minéral.

Le règne minéral est très-riche dans les Philippines.

L’or s’y trouve en paillettes et en grains dans presque toutes les rivières et les torrents.

Dans l’île de Luçon, les provinces de Tondoc, Nueva-Ecija, Camarines-Nord, en fournissent abondamment.

M. Oudan de Virly, Parisien d’origine, a longtemps exploité une mine en filon dans les montagnes nommées Caragas, dans l’île de Mindanao.

On trouve aussi à Luçon plusieurs mines de fer hydraté et d’aimant qui pourraient fournir à des exploitations gigantesques.

Dans la province de Boulacan, les montagnes d’Angat sont presque entièrement formées de ce minéral.

Dans la province de la Laguna, sur le territoire de Moron, il existe une grande étendue couverte de blocs séparés de minerai de fer, dont le rendement à la fonte n’est pas moindre de 80 p. 100. Ces blocs, disséminés sur le sol, paraissent avoir été rejetés du sein de la terre par une éruption volcanique.

On trouve aussi des mines de cuivre dans les provinces de Batangas et de Panpanga; leurs échantillons indiquent qu’elles sont d’une grande richesse.

Les Igorrotès et les Tinguianès connaissent, sans aucun doute, sur leur territoire, des mines vraisemblablement très-riches de ce métal; car ils fabriquent pour leurs usages des ustensiles grossiers qui paraissent avoir été faits avec un seul bloc de cuivre, tiré de la mine à l’état natif.

Le soufre, le charbon de terre y sont aussi très-abondants.

Enfin les roches basaltiques, le porphyre, le cristal de roche et les agates se trouvent en abondance, ainsi que des marbres de diverses couleurs.

Le granit y est peu connu; celui dont on se sert à Manille pour les trottoirs est apporté de la Chine.

La pierre la plus utile, celle que l’on emploie pour la construction des édifices, est une espèce de tuf volcanique très-solide, et aussi facile à tailler que le tuf ordinaire.

La province de la Laguna renferme une quantité considérable de sources thermales et minérales.

On trouve les premières à des températures différentes: elles ont de 80 à 90 degrés aux environs du bourg de Mainit, et de 28 à 30 degrés à Pagsanjan et à Jala-Jala.

Cette dernière localité renferme une grande variété de sources minérales, ferrugineuses, acides et sulfureuses.

Dans un des ravins de Jala-Jala on trouve du sulfate de fer en grande quantité. C’est sans doute la dissolution de ce sulfate de fer qui donne à quelques sources le goût acide.

Dans diverses autres parties de Luçon, aux environs de Manille entre autres, il y a aussi plusieurs sources d’eaux minérales ferrugineuses.

§ IV.—Règne végétal.

C’est dans le règne végétal que la nature a déployé aux Philippines toute sa magnificence.

Les hautes montagnes s’étendant du nord au sud dans tout l’archipel, qui, à une époque reculée, ont éprouvé de si grands bouleversements où les feux souterrains ont joué un si grand rôle, sont actuellement le plus grand, le plus puissant auxiliaire qui puisse aider cette luxuriante végétation.

Ainsi que je l’ai fait remarquer lorsque j’ai parlé du climat, ces montagnes divisent l’année en saison des pluies et en saison des sécheresses.

Leurs versants est et ouest, chacun à son tour, pendant six mois, reçoivent abondamment les eaux du ciel.

Les vallées qui se trouvent entre les montagnes, les inégalités du sol, les crevasses, les cratères éteints, sont autant de réservoirs où, pendant ces six mois, se réunissent les eaux pluviales pour s’échapper, pendant la saison des sécheresses, en sources et en ruisseaux limpides qui vont serpenter dans les plaines et y porter la fertilité et l’abondance.

Presque sans exception, toutes les montagnes sont recouvertes d’une forte couche de terre végétale, et revêtues de la plus splendide végétation qu’il y ait au monde.

Sur leurs versants se déroulent d’immenses forêts d’arbres gigantesques de diverses essences, où se mêlent des palmiers, des fougères hautes comme des arbres, des bambous, des rotins, des pandanus et des lianes de mille espèces, qui semblent avoir été créées pour former, d’un arbre à l’autre, des décors de guirlandes de verdure, de fleurs et de fruits.

La nature a pourvu à tout aux Philippines.

Ces hautes montagnes couvertes de bois précieux ont généralement un de leurs versants (celui qui se trouve le plus exposé aux pluies) garni de magnifiques et gras pâturages, où croissent diverses graminées, particulièrement le talaje, espèce de canne à sucre sauvage, le cogon, long et flexible, d’un usage précieux pour la couverture des cases indiennes.

Dans ces beaux pâturages s’engraissent, sans aucun soin, d’innombrables troupeaux de buffles, de bœufs, de chevaux et de timides cerfs, qui, la nuit, sortent en troupes des sombres forêts pour y venir prendre leur pâture.

A l’époque des sécheresses, toutes ces graminées ont atteint une hauteur de six à huit pieds.—Les Indiens prévoyants, pour renouveler l’herbe trop sèche et trop dure, y mettent le feu. D’immenses incendies se déclarent; la flamme, emportée par le vent, détruit tout sur son passage jusqu’à la lisière des bois, où elle s’arrête toujours1. Le sol, mis à nu, paraît brûlé et calciné; mais, trois jours après, la nature a déjà repris ses droits. Il ne reste plus trace de l’incendie, un tapis d’herbe tendre et verdoyante a remplacé les désastres de l’incinération, et offre aux animaux une nourriture abondante et succulente.

Les bois les plus remarquables par leur emploi dans l’industrie sont les suivants:

Le molauin ou molave, vitex (didynamie de Linné). Son bois, de la couleur du buis, est incorruptible et inattaquable par les insectes; il est employé dans toutes les constructions exposées aux intempéries, et particulièrement pour la membrure des vaisseaux.

Le banaba, mouchausia speciosa (polyadelphie de Linné). Le bois, de couleur rose, sert pour toutes espèces de construction, et il donne de belles fleurs couleur violette.

Le palomaria, calophyllum, inophyllum (polyadelphie de Linné), fournit une gomme résine employée dans la médecine indienne; son bois, léger et flexible, est d’une grande solidité, et il est employé particulièrement pour la mâture.

Le mangachapoi, mocanera (polyandrie de Linné), et le guio, de la même espèce, parviennent tous deux à une hauteur prodigieuse. Il n’est pas rare d’en trouver de 30 à 40 mètres sur un équarrissage de 70 à 90 centimètres sur toute leur longueur. Leur bois, compact, serré, et d’une grande solidité, est employé pour les grandes pièces de charpente, et notamment pour la mâture des jonques chinoises.

Le dongon, helicteres apelata (décandrie de Linné), est aussi un arbre gigantesque, dont le bois solide est propre aux constructions.

L’anobin, arctocarpus maxima (monoécie de Linné), acquiert des dimensions colossales; son bois, jaune, léger, et inaltérable dans l’eau, est employé aux constructions navales, et particulièrement pour faire des pirogues. Cet arbre est de la même famille que celui connu sous le nom d’arbre à pain: en faisant des incisions à l’écorce, il en découle une gomme dont les Indiens se servent pour prendre des oiseaux, comme avec la glu.

La narra, ou asana, pterocarpus palidus (diadelphie de Linné). Le bois est semblable à l’acajou pour la couleur. Cet arbre acquiert des dimensions énormes; un seul tronc est souvent employé à faire une embarcation qui peut charger plusieurs tonneaux; il est généralement employé à faire des meubles, et particulièrement des tables d’une seule pièce, qui peuvent contenir vingt et trente couverts.

Le calantas, cedrela odorata (pentandrie de Linné), est une espèce de cèdre dont le bois a la couleur, l’odeur et toutes les propriétés du cèdre du Liban; il est généralement employé pour les constructions navales.

Le baleté, ficus indius (monoécie de Linné), est un arbre dont le bois blanc et spongieux est peu employé; il parvient à une élévation prodigieuse, et son tronc acquiert des dimensions colossales: c’est avec son écorce que les sauvages font leurs vêtements et les cordes de leurs arcs. J’ai déjà parlé de cet arbre dans le cours de mon livre.

Dans les espèces propres à l’ébénisterie, on trouve une grande variété:

L’ébène ordinaire; puis le camagon, ou mabolo, diospyros koki (octandrie de Linné), qui donne un fruit savoureux, de la grosseur et de la couleur de la pêche, et dont le bois est veiné de noir et de blanc.

Le malatapai, diospyros pilosanthera (octandrie de Linné), donne une ébène veinée de noir et de rouge.

Le lanotan, uvaria lanotan (polyandrie de Linné), dont le bois blanc et compacte ressemble beaucoup à l’ivoire.

On trouve aussi aux Philippines des citronniers d’une dimension prodigieuse, ayant plusieurs mètres de circonférence; et enfin pour le commerce une grande variété de bois de teinture.

Il serait trop long de donner ici la nomenclature de tous les arbres qui croissent dans les forêts des Philippines. La province d’Ilocos Nord en produit à elle seule cent seize espèces différentes, toutes utiles et propres à l’industrie.

Auprès de ces arbres gigantesques et dont le bois est précieux, il s’en trouve une multitude qui fournissent aux habitants des fruits savoureux et d’excellents aliments.

Le manguier, manga mangifera india (pentandrie de Linné). Dans aucun pays du monde cet arbre, qui atteint la taille de nos plus grands chênes, ne fournit des fruits aussi savoureux et aussi variés qu’aux Philippines.

Le lanzones, ekebergia de Jus. (ennéandrie de Linné), est un arbre propre aux Philippines; il fournit un excellent fruit, qui a beaucoup de rapport avec le lechi.

Le chicos, achras sapota (hexandrie de Linné), est un arbre dont cinq ou six espèces donnent des fruits délicieux.

Le macupa, eugenia iambos (icosandrie de Linné), produit des fruits d’une belle couleur rose et très-savoureux, ayant l’odeur de la rose.

Le lumboi, calyptrantes jambolana (icosandrie de Linné), se trouve dans toutes les forêts; son fruit, de couleur violette, est rafraîchissant et d’un goût agréable.

Le santol, sandoricum ternatum (décandrie de Linné), est un grand arbre qui donne une prodigieuse abondance de fruits de la grosseur d’une pomme.

Le camias, averrhoa bilimbi (décandrie de Linné), est un arbuste qui produit un gros fruit, remarquable par sa propriété rafraîchissante.

Le tamarinier, le papayer, le goyavier, les diverses espèces d’orangers et citronniers, les pamplemousses, fournissent tous des fruits aussi savoureux que variés, ainsi que les bananiers de tant d’espèces dont j’ai déjà parlé.

Il y a aussi dans les forêts des Philippines une grande variété de palmiers, parmi lesquels on en trouve qui servent d’aliment, tel que celui qui donne le sagou; d’autres, d’où découle une liqueur douce et agréable à boire; et enfin une grande quantité de rotins, dont quelques-uns produisent un fruit agréable au goût et très-rafraîchissant.

Le rima, arctocarpus maxima (monoécie de Linné), connu vulgairement sous le nom d’arbre à pain, est aussi très-abondant aux Philippines.

Les plantes et les arbustes cultivés dans l’île de Luçon, et qui font la richesse du pays, sont:

  • Le caféier,
  • Le cacaotier,
  • L’indigo,
  • Le poivre,
  • Le tabac,
  • Le riz, de diverses espèces;
  • Le froment,
  • Le maïs;
  • Une grande variété de plantes légumineuses;
  • La canne à sucre,
  • L’abaca, espèce de bananier qui croît presque naturellement dans la province d’Albay;
  • Diverses espèces de cotonniers.

J’aurai à entretenir le lecteur de ces diverses plantes lorsque je parlerai de l’agriculture.

On cultive aussi des patates de diverses espèces.

Dans les forêts on trouve plusieurs genres de tubercules très-abondants, et excellents comme nourriture.

Parmi les palmiers de diverses espèces, on trouve celui (dont j’ai déjà parlé) qui produit le sagou, et celui dont la sève, d’une saveur agréable, donne, lorsqu’elle est réduite au feu, une espèce de sucre très-recherchée comme assaisonnement pour le riz.

Un pays aussi riche dans le règne végétal fournit également, à l’état sauvage, les plus belles, les plus brillantes fleurs que l’on puisse voir.

§ V.—Des habitants des Philippines.

Avant de m’occuper du règne animal, sur lequel je suis obligé de m’étendre plus que je ne me l’étais proposé, je vais passer rapidement en revue les diverses races d’hommes qui habitent les Philippines, et chercher à établir, par des calculs et des rapprochements approximatifs, l’origine probable de celles de ces races qui ne sont pas connues.

Des Espagnols.

Les Espagnols et leurs créoles sont au nombre de 4,0502. Ce sont généralement, à part les créoles, des habitants de passage, qui viennent aux Philippines comme employés du gouvernement ou négociants, y séjournent le temps nécessaire pour y faire fortune, et retournent dans leur patrie.

Il est remarquable que quelques milliers d’hommes puissent gouverner et maintenir en paix une population de plus de trois millions d’habitants, composée d’êtres si divers, braves et belliqueux, souvent cruels envers leurs ennemis. Ce n’est ni par l’oppression ni par la force brutale qu’ils les dominent, mais par une justice bien entendue, scrupuleusement administrée, par un gouvernement tout paternel, et par la plus juste indépendance dont puisse jouir l’homme en société. Si, dans cette vaste administration, il se commet quelques abus, ce sont des faits isolés, provenant d’employés subalternes, contre la volonté du pouvoir.

Dans aucun pays du monde le peuple ne jouit d’une plus grande somme de liberté et de plus larges prérogatives qu’aux Philippines. L’Indien, à quelque classe qu’il appartienne, est un mineur qui a pour tuteur la loi et ceux qui la font exécuter3.

Il y aurait une grande étude à faire, une belle page à écrire sur la conquête des Philippines, et sur cette maxime sublime du conquérant disant à des peuples presque à l’état sauvage: «Vous êtes mes enfants; mon Dieu m’envoie vers vous: fiez-vous à moi. Je vous offre l’appui et l’indulgence qu’un père doit à la faible créature que la Providence lui a confiée.»

Cette indulgence, cette justice que l’homme éclairé doit à son semblable à l’état primitif, n’a point enrichi l’Espagne, mais elle lui a donné plus que la richesse, la satisfaction d’avoir répandu l’abondance, la paix et le bonheur parmi des peuples divisés et décimés par des guerres de province à province; elle les a réunis en une grande famille, leur a apporté ses lumières, ses relations, les animaux domestiques qui leur manquaient, les préservatifs à la terrible épidémie qui moissonnait leurs enfants4, des lois indulgentes qui protégent toutes les classes, l’ordre et la paix; et enfin le culte d’un Dieu plein de bonté et de clémence, qui a remplacé l’idolâtrie et le mensonge.

Tous ces bienfaits, si justement appréciés par les peuples auxquels ils étaient offerts, et qui ont eu de si grands résultats pour leur bonheur, ne valent-ils pas l’or et les richesses conquis par le fer et la destruction? L’Espagne, en exécutant scrupuleusement le programme qu’elle avait offert, en remplissant religieusement sa noble mission, ne doit-elle pas s’enorgueillir de sa belle conquête?

Je serais heureux que cette page, écrite avec toute l’impartialité d’un observateur consciencieux, pût inspirer à mon lecteur une partie de l’admiration dont je suis pénétré pour cette noble nation, et détruire les préventions qu’ont pu donner quelques fragments écrits par des voyageurs de passage, qui saisissent avec avidité une faute exceptionnelle, un abus inévitable dans une grande administration, sans se rendre compte de l’organisation toute paternelle qui gouverne un peuple encore dans l’enfance.

Il est un fait positif: c’est que l’Espagne a fait le bonheur de la population indienne. Il serait trop long d’entrer ici dans tous les détails de son administration; quelques lignes suffiront à démontrer sa sollicitude pour cette classe d’hommes.

Le capitaine général des Philippines a le pouvoir et les attributions de l’autorité royale en Espagne.

Il a pour adjoint un assesseur, espèce de ministre responsable, qui prépare les décrets et les ordonnances soumis à sa signature.

Il est à la fois le chef civil et militaire, et il préside la cour royale, la seconde autorité de la colonie.

Cette cour se compose d’un régent, de cinq conseillers (oïdores) et de deux fiscaux, l’un pour le civil, l’autre pour le criminel. Ces deux fiscaux sont spécialement chargés de protéger les Indiens.

L’un des membres de la cour royale est nommé juge contre l’esclavage. Il n’y a pas d’esclaves aux Philippines. Cependant, comme cet abus pourrait se présenter, le magistrat dont il s’agit est spécialement chargé de le surveiller et de le réprimer au besoin.

L’archipel est divisé en provinces. Chaque province est gouvernée par un alcade. Comme souvent il est, dans sa province, le seul et unique Espagnol, il a droit à une garde de vingt à trente indigènes.

Chaque province est divisée par bourgs, et chaque bourg est administré par un gobernadorcillo et son conseil municipal, indigènes élus d’après le mode que j’ai indiqué.

Le capitaine général gouverne, promulgue des lois, rend des décrets.

La cour royale fait exécuter les lois, rend la justice, et protége la classe indienne contre les abus.

L’alcade, dans la province, remplit les fonctions du gouverneur, fait exécuter les décrets, et reçoit des percepteurs les fonds provenant de l’impôt.

Le gobernadorcillo, dans son bourg et avec le conseil municipal, administre la commune et exécute les ordres de l’alcade.

Des Indiens convertis au christianisme.

La population indienne soumise au christianisme s’élève à 3,304,742 âmes. A l’époque de la conquête, elle était fort inférieure à ce chiffre. Elle était divisée en grandes peuplades qui se gouvernaient elles-mêmes, et qui parlaient chacune un idiome différent. Ces idiomes paraissent dériver du tagaloc, lequel a lui-même une certaine analogie avec la langue malaise.

Les noms de ces diverses peuplades et leurs idiomes se sont conservés; ils ont servi aux Espagnols dans la division de l’archipel en provinces.

En commençant par le nord de Luçon, on trouve les provinces de Cagayan, habitées par les Cagayanès, qui ont une langue particulière;

En descendant vers le sud, les provinces d’Ilocos, qui ont aussi un idiome particulier, l’ilocano;

Celles de Pangasinan et de Panpanga, où l’on parle le panpango;

Les provinces de Zembales, Nueva-Exija, Bulacan, Tondoc, la Laguna, Tayabas et Batangas, habitées par les Tagalocs, qui parlent la langue tagale;

En allant toujours vers le sud, les provinces de Camarinès, Albay, et tout le groupe des îles que l’on nomme Bisayas, où l’on parle le bisayo.

Les habitants de ces diverses provinces, dont la langue varie, présentent aussi une différence marquée dans leur type et leur physionomie. Doit-on attribuer cette différence à la variété des races? ou n’est-ce pas des hommes de même origine qui, sous l’influence du climat et des habitudes, auraient subi un changement dans leurs formes et leurs couleurs primitives?

Quoi qu’il en soit, il est un fait certain, c’est que de toute cette diversité d’hommes, Cagayanès, Ilocanos, Panpangos, Tagalocs et Bisayos, aucune n’est originaire des Philippines.

Il est probable qu’elles sont un mélange d’hommes de différentes nations, que des circonstances fortuites ont amenés dans une partie de l’archipel.

Que l’on jette un coup d’œil sur la carte, et l’on verra les Philippines entourées, d’un côté, par le Japon, la Chine, la Cochinchine, Siam, Sumatra, Bornéo, Java, les Célèbes, et, de l’autre côté, par toutes les îles dont est semé l’océan Pacifique.

On peut supposer, de ce voisinage, que les premiers conquérants, établis dans cet archipel contre la volonté des Ajetas, véritables aborigènes dont je parlerai bientôt, auront eu des relations, soit par le commerce, soit par des naufrages, avec les divers peuples qui les environnaient, et avec les Ajetas eux-mêmes. De ces relations il est sans doute résulté un si grand mélange de races, que les types primitifs se sont presque entièrement effacés.

A l’appui de cette opinion, je puis citer un fait dont j’ai déjà parlé: mon curé de Jala-Jala, le père Miguel, naturel de la province de Tayabas, connaissait exactement l’origine de sa famille; il descendait du mariage d’un Japonais avec une femme tagaloc, et on remarquait chez lui tous les traits japonais.

Cependant le type malais est le plus généralement répandu, et celui qui est demeuré le plus apparent.

Il est probable que les Malais furent les premiers qui occupèrent les côtes de l’archipel des Philippines, et qu’à ceux-ci se mêlèrent successivement quelques Ajetas, des Japonais, des Chinois, et des habitants si variés de la Polynésie.

Les Indiens soumis aux Espagnols diffèrent fort peu, dans leurs coutumes et leur caractère, des Tagalocs que j’ai décrits et fait connaître.

De la langue tagale.

On a recherché l’origine des divers idiomes en usage aux Philippines. Quelques personnes les font provenir du chinois et du japonais; d’autres, de l’hébreu ou du malais. Cette dernière opinion paraît la plus vraisemblable, si l’on considère la langue malaya comme primitive.

Dans le bisayo et le tagaloc, d’où dérivent tous les idiomes parlés aux Philippines, on trouve un grand nombre de mots malayos, et qui ont la même signification dans les deux langues. On en trouve aussi d’exactement semblables, mais qui ont une signification différente.

  • Ainsi, Olo, tête;
  • Puti, blanc;
  • Languit, ciel;
  • Mata, yeux;
  • Susu, saint;
  • battu, pierre, sont les mêmes en togaloc: bisayo et malayo.

Beaucoup d’autres mots varient fort peu. Ainsi, en malayo, lina veut dire langue; babi, porc; en tagaloc, dila signifie langue; babui, porc.

Il faut considérer que les idiomes des Philippines ont été singulièrement altérés par les divers dialectes qui s’y sont mêlés. La langue espagnole a fourni les caractères qui lui sont propres aux idiomes des races placées sous la domination de cette nation.

On ne retrouve plus de documents écrits avec les premiers caractères de la langue tagale. Les anciens Tagalacs écrivaient sur les feuilles d’un arbre nommé banava; ils traçaient leurs caractères sur ces feuilles au moyen de la pointe d’un bambou.

La langue tagale est claire, riche, élégante, métaphorique et poétique. Elle prête beaucoup à l’improvisation, pour laquelle le Tagaloc a un goût prononcé.

L’écriture, avant l’adoption des caractères espagnols, allait de droite à gauche, à la manière orientale.

L’alphabet tagaloc ne possédait que dix-sept lettres, dont trois voyelles ayant la même valeur que les voyelles de notre langue.

A et E ont le même son que I, et un autre son qui équivaut à O et U. De là vient une grande diversité dans la prononciation. Ainsi le mot tubi (qui signifie permettez-moi) se prononce tobe; olo se prononce ulu.

Les consonnes sont au nombre de quatorze; elles se prononcent toujours avec la finale A. Ainsi les lettres C, M se prononcent CA, MA. Mais en plaçant un point au-dessus, cette prononciation se change en E ou en I. Le même point mis au bas, la finale se change en O ou en U. Les lettres C et S ont la même valeur. Le D se prononce souvent comme R: ainsi madali se prononce marali. F se change en P. Souvent le C se change en M, le G en Y.

Dans la poésie, les syllabes Ge-Ji se prononcent quelquefois comme guy.

H se prononce d’une manière gutturale, comme la J espagnole; Q comme K, et U comme ou.

La langue tagale a ses noms, qui se déclinent en six genres; elle a aussi ses conjonctions: de telle sorte que l’on peut écrire le tagaloc et le bisayo comme nos langues européennes.

On a publié à Manille, en langue tagale, divers ouvrages en vers et en prose, par exemple, une traduction de l’Écriture sainte, diverses tragédies, des odes, etc.

Métis espagnols-indiens, chinois-indiens, et métis chinois-espagnols.

Les métis espagnols-indiens sont au nombre de 8,584. Les métis chinois-indiens et les métis chinois-espagnols sont les plus nombreux: on en compte 180,000. Ils sont répandus dans tout l’archipel, et gouvernés par les mêmes lois que celles qui régissent les Indiens, sans différence de priviléges.

Des Chinois aux Philippines.

A l’époque du dernier recensement, en 1845, on comptait dans toutes les Philippines 9,901 Chinois.

Depuis, la cour de Madrid ayant accordé de nouveaux priviléges aux naturels du Céleste Empire afin d’encourager l’immigration, leur nombre a dû augmenter considérablement.

Ce sont, en général, des hommes laborieux, s’occupant, avec une remarquable aptitude, d’agriculture, d’industrie, et particulièrement de commerce. Aussi économes qu’habiles, ils sont peut-être les premiers commerçants du monde. Lorsqu’ils ont amassé une fortune assez considérable pour que le tiers puisse satisfaire la cupidité de leur mandarin, le second tiers celle de leur famille, et leur dernier tiers leur suffire à eux-mêmes, ils retournent volontiers dans leur patrie.

Comme c’est uniquement l’intérêt matériel qui les amène aux Philippines, ils s’y marient et y changent facilement de religion; mais s’ils y trouvent leur compte, lorsqu’ils rentrent en Chine ils reprennent leur ancienne religion, et souvent même la femme qu’ils y avaient laissée.

Les Chinois ont à Manille une juridiction à part, mais à peu près semblable à celle des Tagalocs, c’est-à-dire qu’ils nomment entre eux leur gobernadorcillo, ainsi que les collecteurs de l’impôt qu’ils sont tenus de payer au gouvernement espagnol.

Ainsi qu’on vient de le voir, la population de l’archipel des Philippines, gouvernée par les lois espagnoles, se compose:

1º De la population blanche. 4,050 habitants.
2º Métis espagnols-indiens. 8,584 habitants.
3º Métis chinois-espagnols et chinois-indiens. 180,000 habitants.
4º Indiens. 3,304,742 habitants.
5º Chinois. 9,901 habitants.
Ensemble. 3,507,277 habitants.

Des infidèles.

Au centre de l’île de Luçon se trouve une étendue de terres de quatre cent cinquante lieues carrées, que les Espagnols nomment le pays des infidèles.

Cette partie de l’île est habitée par des peuples insoumis, vivant plus ou moins à l’état sauvage, mais en grandes réunions, se garantissant des intempéries des saisons sous un toit dans le genre des cases indiennes, vivant de chasse, d’un peu d’agriculture, et empruntant aux arbres de la forêt l’écorce qui leur sert de vêtement.

Les Ajetas sont les seuls qui, dans l’état de primitive nature, habitent indistinctement presque toutes les montagnes de l’île de Luçon. Ces peuples, dont l’origine se perd en vaines conjectures, changent de nom selon les localités qu’ils habitent, ou portent celui qu’ils se sont donné eux-mêmes. En 1838, le gouvernement espagnol voulut tenter de les soumettre, et fit pénétrer chez eux une petite armée. Cette expédition fut obligée de se retirer sans avoir rempli le but qu’on s’était proposé5. On ne connaîtra leurs mœurs que lorsqu’on aura pu les aller étudier chez eux-mêmes.

Les Tinguianès et les Igorrotès sont ceux chez lesquels j’ai le plus voyagé. J’ai donné dans ce livre d’assez longs détails sur leurs coutumes et leurs mœurs; je crois inutile de me répéter.

Il serait difficile d’indiquer d’une manière exacte l’origine des Tinguianès, de même que celle des peuplades qui les avoisinent. Il paraît cependant certain qu’ils ne sont point aborigènes des Philippines.

Les Tinguianès, par leur couleur, leurs belles formes, leurs cheveux longs, leurs yeux bridés, le prix qu’ils attachent aux vases en porcelaine, leur musique, par l’ensemble de leurs habitudes enfin, pourraient bien descendre des Japonais. Peut-être, à une époque sans doute bien reculée, des jonques japonaises, poussées par la tempête, auront-elles fait naufrage sur la côte nord-est de Luçon. Les équipages, dans l’impossibilité de retourner dans leur pays, pour se soustraire aux Ajetas ou aux habitants des côtes, se seront réfugiés dans l’intérieur des montagnes, dans des lieux où la difficulté de pénétrer aura pu les mettre à l’abri des poursuites de leurs ennemis.

Les marins japonais, dont la navigation est généralement limitée au simple cabotage sur leurs côtes, embarquent ordinairement leurs femmes avec eux. J’ai eu l’occasion de m’en assurer à bord de deux jonques de cette nation qui avaient été poussées par une tempête, et s’étaient abritées sur la côte est de Luçon. Elles y séjournèrent quatre mois, pour attendre avec la mousson du nord-ouest qu’un vent favorable leur permît de retourner dans leur pays. Si elles n’avaient pas trouvé un gouvernement protecteur, leurs équipages auraient été obligés, comme je suppose qu’ont dû le faire les premiers Tinguianès, de se réfugier dans les montagnes. Ces derniers ayant quelques femmes, s’en seront procuré d’autres, soit des Ajetas ou des populations environnantes. De ce mélange, de l’influence du climat, il sera résulté des types différant du primitif, et, sous ce beau ciel, dans ce magnifique pays, leur nombre se sera rapidement accru.

Ne seraient-ils pas encore descendants des Dajacks, que l’on croit être les habitants primitifs de Bornéo?

Comme les Tinguianès, les Dajacks ont la coutume de couper la tête de leurs ennemis, et de les emporter comme trophée de victoire. De même qu’eux également, ils attachent un grand prix aux vases, qui sont une marque de noblesse et de richesse pour celui qui les possède. Dans leurs fêtes, d’après M. Temminck, ils font des libations de docok-katan, boisson enivrante préparée avec du riz fermenté qui lui donne la couleur laiteuse que prend le bassi des Tinguianès, lorsqu’ils y ont dissous les cervelles de leurs ennemis. Enfin, comme ces derniers, les Dajacks portent une espèce de turban et une ceinture faits avec la seconde écorce d’une espèce de figuier.

Aujourd’hui la race des Tinguianès habite seize villages6.

Les Igorrotès, que j’ai eu bien moins l’occasion d’étudier, paraissent être, et on le croit généralement, les descendants de la grande armée navale du Chinois Lima-on, qui, après avoir attaqué Manille le 30 novembre 1574, s’était réfugié avec son armée dans le golfe de Lingayan, province de Pangasinan. Là il fut de nouveau attaqué et battu. Sa flotte, complétement détruite, une grande partie des équipages prit la fuite, et se sauva dans les montagnes, où les Espagnols ne purent les poursuivre.

Les Igorrotès sont de petite stature; ils ont les cheveux longs, les yeux à la chinoise, le nez un peu gros, les lèvres épaisses, les pommettes prononcées, de larges épaules, les membres gros et nerveux, et la couleur fortement cuivrée. Ils ressemblent beaucoup aux Chinois des provinces avoisinant la Cochinchine.

Je n’émets ici qu’une opinion basée sur des probabilités. On ne connaîtra sûrement jamais d’une manière exacte l’origine des Tinguianès et des Igorrotès, pas plus que celle des Guinanès, des Buriks, Busaos, Ibréis, Apayoos, Gadanos, Caluas, Ifugos et Ibilaos.

Toutes ces populations, si différentes entre elles, habitent la terre des infidèles. On ne peut que supposer qu’ils descendent des Chinois, des Japonais, des Malais et des naturels de la Polynésie.

Des Ajetas ou Négritos.

Si on se perd en conjectures sur l’origine des habitants de la terre des infidèles, il n’en est pas de même des Ajetas. Toutes les traditions indiennes s’accordent à dire qu’ils sont les véritables aborigènes et les anciens possesseurs des Philippines.

A certaine époque ils étaient si nombreux, si puissants, que beaucoup de villages tagalocs les reconnaissaient pour maîtres et seigneurs du sol, et leur payaient un tribut annuel en riz, en patates, ou en maïs.

Ainsi que j’ai déjà eu occasion de le dire, tous les ans, à une époque déterminée, ils descendaient de leurs montagnes, sortaient de leurs forêts, et obligeaient les Tagals à payer le tribut. Si ces derniers refusaient, ils leur déclaraient la guerre, et ne retournaient dans leurs forets qu’après avoir coupé quelques têtes à leurs vassaux. Ils emportaient ces têtes comme trophées et comme preuves de leur domination.

Après la conquête des Philippines, les Espagnols prirent la défense des Tagalocs; et les Ajetas, éprouvant pour la première fois l’effet des armes à feu, furent saisis d’effroi, obligés de demeurer dans leurs forêts et de renoncer à l’exercice de leurs droits de suzeraineté.

J’ai déjà eu l’occasion, lorsque j’ai raconté mon voyage chez les Ajetas, de parler longuement de cette race d’hommes, la seule qui vit, aux Philippines, à l’état de nature primitive. C’est la plus nombreuse, la plus répandue.—Elle n’est susceptible d’aucune civilisation, et a donné, dans plus d’une occasion, la preuve irrécusable qu’elle préfère sa vie nomade, l’ombre des bois pour abri, l’écorce des arbres pour vêtements, la terre nue pour reposer ses membres, la poursuite de sa proie pour assouvir sa faim, aux douceurs et au confortable de la vie civilisée. Elle peut être comparée à certains animaux sauvages qu’on n’a jamais pu réduire à l’état de domesticité.

Un archevêque de Manille avait pu se procurer un Ajetas tout à fait en bas âge. Il le fit élever avec une sollicitude toute paternelle. Après lui avoir fait donner une instruction solide, il le destina à l’état ecclésiastique; mais lorsqu’il fut devenu vicaire, et par conséquent entièrement libre, pouvant mener une existence paisible et heureuse, il se rappela son enfance, sa vie nomade d’autrefois, ses montagnes et ses forets. Tout à coup il se dépouille de sa soutane, reprend le vêtement primitif de ses parents, s’enfuit, et va les rejoindre. Toutes les tentatives qu’on a pu faire pour le ramener à la vie civilisée furent inutiles.

On pourrait citer bien des exemples de ce genre.

Il serait impossible de déterminer, même approximativement, la population des Ajetas. Elle a dû considérablement diminuer depuis la conquête des Philippines; elle finira par disparaître entièrement.

§ VI.—Règne animal.

Mammifères.

Les animaux domestiques que possédaient les habitants des Philippines avant l’époque de la conquête, et ceux qui peuplaient leurs forêts, ont conservé leurs noms tagals; ainsi:

  • Cambin, chèvre;
  • Babui, porc;
  • Asso, chien;
  • Poussa, chat;
  • Oussa, cerf;
  • Carabajo, buffle;

Les animaux domestiques apportés par les Espagnols ont conservé, ou à peu près, les mêmes noms qu’en Espagne:

  • Caballo, cheval;
  • Vaca, vache;
  • Carnero, mouton, etc., etc.

Des quadrumanes, en langue Tagaloc, matchin.

Les singes sont peu variés aux Philippines. A Mindanao on en remarque qui sont albinos, tout à fait blancs, ayant les yeux rouges et la peau d’un joli rose. Cette variété est recherchée par les Chinois, qui les élèvent à l’état de domesticité comme animaux curieux.

Les deux espèces que l’on trouve dans l’île de Luçon, connus sous le nom de bonnets-chinois, macacus niger, que les Tagalocs nomment matschin, vivent par petites familles dans les grands bois, et de préférence aux environs des champs cultivés. L’étude de leurs mœurs serait assez curieuse; mais je crains d’abuser de la patience de mon lecteur, et je me bornerai à faire connaître qu’ils ont l’instinct le plus intelligent pour satisfaire leur appétit vorace et se défendre de leurs ennemis.

J’ai souvent vu autour d’une cage, espèce de piége pour les prendre, toute une petite famille. Celui qui paraissait le plus âgé se donnait tous les soins qu’aurait pu prendre un grand’père pour ses petits-enfants; il semblait les empêcher de s’approcher de la cage; lorsqu’il les avait placés à une certaine distance, il s’en approchait seul, prenait un morceau de bois, le fourrait à l’intérieur de la cage, à travers les barreaux, et en retirait adroitement et sans danger les épis de riz qui y avaient été mis comme appât. Lorsque les Indiens voyaient tant de précautions, ils disaient: «Nous n’en prendrons point de cette famille, car les écoliers ont un vieux maître avec eux.»

Des quadrupèdes.

Il y a peu de variétés dans les quadrupèdes. La nature, qui a prodigué tous ses bienfaits aux Philippines, n’y a point fait naître d’animaux féroces, et dans le genre carnassier on ne compte qu’une petite espèce, peu nuisible, comme on le verra.

Les chevaux, les bœufs et les moutons, comme je l’ai déjà fait savoir, ont été apportés par les conquérants. Dans ce beau pays, dans ces gras pâturages, où ils vivent presque en liberté, ils ont prospéré d’une manière si extraordinaire, qu’un bœuf gras rendu à Manille ne se vend pas plus de 60 à 70 francs; un beau cheval, depuis 50 jusqu’à 100 francs. Les moutons n’ont pas de valeur; les Indiens ne se donnent pas la peine d’en conduire au marché.

Le porc paraît de la même race que celui de Chine. Il est très-abondant; sa chair est l’aliment préféré des Indiens, qui ne manquent jamais d’en pourvoir abondamment leur table dans les grands festins.

Le chien et le chat sont des animaux qui se trouvaient aux Philippines lors de la conquête. Une espèce de chien paraît particulière à Luçon: c’est un dogue d’une taille monstrueuse et d’une férocité remarquable; il a le poil court, d’une couleur jaunâtre, un peu plus foncé que celui du lion. Cette belle race tend à disparaître; lors de mon séjour aux Philippines, il était fort difficile de s’en procurer.

1. Le buffle sauvage (carabajo-bondoc).

Le buffle sauvage est de la taille de nos plus grands bœufs. Sa couleur est noire, et sa peau, semblable à celle de l’éléphant, peu couverte de poil. Il est armé de deux magnifiques cornes qui, à leur base, se réunissent presque sur le front, et dont les extrémités sont très-aiguës. Il s’en sert avec une remarquable adresse. Il ressemble beaucoup au buffle domestique pour les formes. Cependant il est à observer que jamais il n’a été possible de le réduire à l’état de domesticité, pas même à l’âge le plus jeune; ce qui ferait supposer que cette espèce est différente de celle du buffle domestique, qui sans doute est originaire de la Chine ou des îles de la Sonde.

Cet animal est aussi féroce que sauvage. Le jour, il habite l’intérieur des forêts les plus sombres, particulièrement les lieux marécageux; la nuit, il sort dans la plaine pour y chercher sa pâture. Son instinct le conduit à faire une guerre acharnée à l’homme, son seul ennemi. Lorsqu’il peut le surprendre, il se plaît à mettre son corps en lambeaux avec ses cornes aiguës. Aussi, dès qu’un Indien aperçoit un buffle, il se hâte de grimper sur un arbre, où cependant il n’est pas encore à l’abri du danger. L’animal demeure souvent des journées entières au pied de l’arbre pour y attendre sa proie à la descente. Dans ce cas de persistance, le seul moyen de s’en débarrasser est de lui jeter les vêtements que l’on a sur soi. Il les met en morceaux, et lorsqu’il croit avoir fait beaucoup de mal à celui qu’il attendait, il se retire dans la forêt la plus voisine.

Sa chasse, comme on l’a vu, est remplie de dangers, pleine d’émotions. Aussi est-ce celle que préfèrent les grands chasseurs indiens; elle est pour eux une véritable fête.

Sa chair, composée de fibres beaucoup plus fortes que celle des bœufs, est très-bonne à manger. Sa peau, d’une ténacité et d’une force incroyables, coupée en petites lanières, sert à faire des lacets et des courroies qui résistent à un attelage de trente à quarante buffles. De ses longues cornes, les Indiens font de jolies cannes, des boîtes, des peignes et des tabatières.

2. Le buffle domestique (carabajo).

Le buffle domestique est presque entièrement noir; seulement il a les genoux blancs, et une raie de la même couleur sous le poitrail.

On en voit cependant quelquefois qui sont entièrement blancs, dont la peau est rose et les yeux rouges: ce n’est point une variété, mais bien un accident de la nature.

De tous les animaux domestiques, c’est celui qui rend le plus de services à l’homme. Il est plus doux, plus fort, et a plus d’instinct que le bœuf.

Jusqu’à l’âge de quatre à cinq ans, il vit en liberté dans les montagnes et les forêts. C’est à cet âge que les Indiens le prennent pour le dompter. Il est alors comme un animal sauvage, qu’il faut poursuivre avec de bons chevaux et de forts lacets. On ne se rend maître de lui qu’après l’avoir assujetti, au moyen de fortes cordes, au tronc d’un arbre, et lié de tous côtés. Il faut encore prendre des précautions pour l’approcher. Il n’est entièrement vaincu que lorsqu’on lui a percé la cloison qui sépare les deux naseaux, et qu’on y a passé un anneau en fer ou en rotin. A cet anneau on attache la longe pour le conduire, comme la bride sert à diriger le cheval.

Après cette dernière opération, il devient tout à fait inoffensif. Il a reconnu son impuissance, et il se laisse facilement conduire. Cependant, s’il est méchant ou rétif, on lui donne pour gardien un enfant: son instinct lui fait comprendre qu’il n’a pas de mauvais traitement à craindre de la part d’une faible créature; aussi jamais ne lui fait-il aucun mal.

Sa nourriture est des plus faciles. Il mange toute espèce d’herbes, celles délaissées par les animaux les moins dégoûtés. Il va chercher sa pâture dans les plaines, dans les ravins, dans les sombres forêts, sur les montagnes les plus escarpées, et au fond des eaux, où il broute pendant les heures de chaleur avec la même facilité que dans les lieux secs.

C’est le seul animal que les caïmans n’osent pas attaquer. Lorsque plusieurs femelles, pendant la chaleur, sont plongées avec leurs petits dans le lac où se trouvent des caïmans, elles ont soin de former un cercle au milieu duquel elles les placent, pour les préserver de la surprise du caïman. Celui-ci n’ose pas attaquer les grands, mais il pourrait fort bien enlever un des petits.

L’Indien associe le buffle à tous ses travaux. C’est avec lui qu’il laboure ses champs, son jardin, les terrains secs et ceux couverts d’eau jusqu’à mi-jambe, destinés aux plantations de riz. C’est aussi avec lui qu’il fait ses charrois, ses transports à dos dans les montagnes, par des routes presque impraticables. Il lui sert également de monture, comme le cheval, pour faire de longs trajets. Sa force permet au buffle de porter à la fois trois ou quatre hommes.

L’Indien se sert aussi de cet utile animal pour traverser de larges et profondes rivières et des étendues d’eaux considérables. La bride à la main pour le diriger et l’empêcher de plonger, il se place debout sur son large dos, et le patient animal nage en suivant la direction que son maître lui indique; souvent il traîne en même temps sa charrette, qui flotte derrière lui.

De tous les herbivores, c’est assurément le plus patient, celui dont l’instinct est le plus développé. Il sait quand il commet un dommage quelconque. Lorsqu’il est dans un champ cultivé, s’il y est surpris, il se cache; et s’il s’aperçoit qu’il a été découvert, il se sauve comme un voleur pris en flagrant délit.

J’ai souvent vu des bûcherons, travaillant dans la forêt à une grande distance de leur demeure, atteler leurs buffles à une pièce de bois, et leur dire: Va à la maison. Les patients animaux partaient, sans guide, marchaient, suivaient leur route en évitant avec précaution les mauvais pas et ce qui aurait pu entraver leur marche, et arrivaient à l’habitation de leur maître.

Son attelage est des plus simples et des plus commodes: il consiste en un morceau de bois courbé naturellement, de la forme du garot (voyez fig. B). Ce collier prend le col, et descend jusqu’au milieu des épaules; il est attaché au-dessous du col avec une corde ou une liane, et les traits sont fixés aux deux extrémités.

La femelle, peu employée aux travaux, produit beaucoup de lait, et aussi bon que la meilleure crème. On en fait du beurre d’un goût agréable et d’excellents fromages.

La chair du buffle est presque aussi bonne que celle du bœuf; mais on en fait peu d’usage aux Philippines.

C’est un animal tellement utile à l’agriculture, que, malgré la modicité de son prix (40 à 60 fr. pour un beau buffle de travail, et 20 à 25 fr. pour un jeune buffle venant d’être dompté), les Espagnols ont fait une loi pour protéger sa vie. Ainsi, un Indien n’a le droit d’abattre son buffle que lorsqu’un jury spécial l’a autorisé, et a déclaré qu’il n’est plus en état de servir à l’agriculture.

Je considère que cet animal serait de la plus grande utilité pour nos colonies d’Afrique, et aussi pour la Corse. Il détruirait les herbes qui poussent dans les marais et sur leurs berges, les nombreux insectes qui y prennent naissance, et contribuerait ainsi à faire disparaître les émanations qui produisent le mauvais air.

3. Le cerf (oussa).—Cervus Philippinensis.

De tous les mammifères, le cerf des Philippines est le plus nombreux. Il habite les montagnes, les forêts, et se cache dans les hautes herbes.

Le mâle a un bois beaucoup plus petit que nos cerfs d’Europe. Jamais il ne porte plus de trois andouillers.

Sa chasse est un des plus grands amusements des Indiens, qui le poursuivent souvent avec de bons chiens jusqu’à le mettre aux abois; ou bien, armés d’une longue lance et montés sur de bons chevaux, ils le suivent de toute la vitesse de leur monture, jusqu’au moment où ils peuvent l’atteindre. Ils le prennent aussi avec des filets ingénieusement fabriqués; mais cette dernière chasse, exigeant beaucoup moins d’adresse et d’exercice, est à la fois trop facile et trop abondante pour leur procurer le même plaisir que les deux premières.

Sa chair est d’un goût savoureux, bien meilleure que celle de nos cerfs d’Europe, préférable même à nos meilleures viandes de boucherie.

Les Chinois attribuent une grande vertu médicinale au jeune bois lorsqu’il est encore recouvert de sa peau. Ils payent jusqu’à 30 et 40 fr. une paire de jeunes bois. Ils les font sécher pour les conserver et les administrer en poudre dans certaines maladies.

Ils attribuent aussi une grande vertu aphrodisiaque aux tendons, et tous les ans ils en exportent pour la Chine une quantité considérable.

4. Le sanglier (babui-damon).

Le sanglier que les Indiens nomment babui-damon (cochon d’herbes) est presque semblable au porc domestique des Philippines. Le mâle seulement en diffère par deux énormes glandes garnies de soies longues et dures, placées des deux côtés du cou, près des os maxillaires.

Il habite les lieux les plus sombres et les plus fourrés des forêts, où il trouve abondamment, pour sa nourriture, des fruits et des racines, ainsi que de gros bulimes, espèce de limaçon dont il est très-friand.

On le chasse avec des chiens, des filets, et avec la lance. On lui fait, avec cette arme, une chasse particulière aux Philippines, et assez singulière pour mériter une description.

A l’époque des pluies, les sangliers qui habitent les grands bois situés sur le sommet des montagnes souffrent du froid. Pour s’en garantir, ils coupent avec leurs dents une énorme quantité d’herbes et de jeunes plantes. Ils en font un immense tas, et se blottissent dessous quelquefois au nombre de douze. Les chasseurs sont armés de lances préparées pour cette chasse, dont le fer tient faiblement par sa douille à la hampe, et qui cependant y est attaché par un bout de corde; de façon que le fer se détachant de la hampe y reste fixé, et forme une espèce de crochet qui s’embarrasse dans les broussailles et arrête l’animal dans sa fuite.

Ces dispositions faites, les chasseurs parcourent la forêt, et lorsqu’ils aperçoivent un de ces grands tas d’herbes, ils s’en approchent avec précaution. S’ils voient se dégager au-dessus de ce monticule une vapeur comme celle que produit notre haleine par un temps froid, c’est pour eux l’indication certaine que des sangliers y sont couchés. Alors, à un signal convenu, ils envoient tous leurs lances comme des javelots, dans la direction où ils croient devoir atteindre leurs proies. Les sangliers s’enfuient précipitamment. Ceux qui ont été blessés emportent la lance; mais au moindre mouvement la hampe se détache du fer, s’accroche dans les broussailles, arrête l’animal, et les chasseurs achèvent de le tuer avec une autre lance.

Comme le sanglier d’Europe, le mâle est armé de deux fortes défenses. Sa chasse doit toujours se faire avec précaution; car, ainsi qu’on l’a vu, il ne ménage pas le chasseur lorsqu’il tombe en son pouvoir.

Sa chair est d’un goût exquis, délicat, préférable à celle de toute espèce d’animaux sauvages.

5. La civette (moussan et alimous).

Deux espèces de civettes sont connues aux Philippines: l’une, d’une couleur grise, mouchetée et rayée de noir, de la grosseur d’un chat, nommée par les Indiens moussan; l’autre, plus petite, couleur de tabac, nommée alimous. Ces deux espèces ont les mêmes habitudes; elles se tiennent dans les bois, et font la chasse aux petits oiseaux, aux rats, aux reptiles et aux insectes.

C’est de la civette nommée moussan que les Indiens retirent le musc. Ils les enferment, les élèvent dans des cages, et les nourrissent de poisson. Tous les matins, à travers les barreaux de la cage, ils leur saisissent la queue pour les rendre furieuses, et, après les avoir tourmentées pendant un quart d’heure, ils retirent, avec une petite spatule en argent, l’humeur qui a été sécrétée entre les deux glandes qui produisent le musc.

A l’époque où les belles Liméniennes se servaient avec profusion de cette substance pour leur toilette, le musc se vendait de 80 à 100 francs l’once. Depuis qu’elles en font moins d’usage, ce prix a beaucoup diminué.

6. Plæmis Cumingii (parret).

Le plus gros mammifère après la civette est le plæmis Cumingii, nommé par les Indiens parret. Il est de l’espèce des rongeurs, de la grosseur d’un petit chat. Sa fourrure est d’un gris blanchâtre. On le trouve particulièrement dans la province de Nueva-Ecija, où il vit, dans les bois, de fruits et de racines.

J’en ai remis deux sujets au musée du Jardin des Plantes.

7. La roussette (paniquet).—Pteropus.

Les roussettes, nommées par les Indiens paniquet, dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ainsi que de leur chasse, sont des chauves-souris de la grosseur d’une petite poule. Elles vivent en grandes familles. Le jour, elles se tiennent accrochées dans les arbres qu’elles ont adoptés pour demeure, et dont elles ont détruit toutes les feuilles. Elles y sont en si grand nombre, que les arbres paraissent recouverts de grandes feuilles noires, et qu’il n’est pas rare d’en abattre douze ou quinze d’un seul coup de fusil.

La nuit, elles prennent leur vol, et vont à plusieurs lieues chercher leur pâture.

Elles se nourrissent de fruits, dont elles sucent le jus sans avaler la pulpe. Elles sont aussi carnivores, et sucent le sang des petits animaux qu’elles peuvent prendre, ce qui leur a fait donner le nom de vampires.

La femelle n’a jamais qu’un petit à la fois. Elle l’allaite, le tient accroché à sa poitrine, et le transporte partout où elle va, jusqu’à ce qu’il ait la force de voler.

L’instinct des roussettes leur fait distinguer la différence des moussons. Elles font exactement comme les Ajetas: lorsqu’elles sont à l’ouest des montagnes et que cette mousson remplace celle de l’est, elles quittent leur refuge, partent toutes ensemble, et vont chercher à l’est le même lieu qu’elles avaient abandonné six mois avant pour la même cause.

La chair de la roussette est très-bonne à manger. Les Indiens en font un ragoût particulier qui n’est point à dédaigner.

8. Le galéopithèque (guiga).

Le galéopithèque, nommé guiga par les Indiens, est un joli petit animal de la grosseur d’un lapin de garenne. Sa fourrure, fine et soyeuse, varie beaucoup dans sa couleur. Ainsi, il y en a de tout à fait noirs, de gris de diverses nuances, de jaune nankin, de noirs tachetés de blanc, de gris tachetés de blanc, etc. Il est extraordinaire qu’un animal à l’état sauvage présente une aussi grande variété dans la couleur de sa robe.

Le guiga porte des membranes comme les écureuils volants; il s’en sert pour sauter d’un arbre à l’autre. Il ne se trouve que dans les Bisayas.

Le jour, il demeure caché dans les arbres sur lesquels il peut trouver un trou pour se blottir. Il en sort la nuit pour se nourrir de fruits et d’insectes.

Les Indiens ont une habileté particulière pour préparer leurs peaux, qu’ils vendent généralement aux Américains du Nord.

Comme on vient de le voir, le nombre des mammifères aux îles Philippines est réduit à quelques individus. Ses grandes forêts n’abritent point d’animaux féroces comme Java, Bornéo et Sumatra, leurs voisines.

§ VII.—Oiseaux.

Les oiseaux sont si nombreux aux Philippines, que plusieurs volumes suffiraient à peine pour dépeindre toutes leurs variétés de forme et de plumage, leurs habitudes, et l’instinct que la prévoyante nature a donné à plusieurs espèces pour se reproduire, se garantir de leurs ennemis, et pourvoir à leur subsistance.

Ne pouvant pas faire un cours d’ornithologie, je vais me borner à décrire quelques individus dans les familles les plus remarquables, et donner le catalogue de tous ceux qui sont connus.

Dans les rapaces, où se trouve le monarque des habitants de l’air, on remarque l’haliateus blagrus, l’aigle-pêcheur, que les Indiens nomment laouyn. Il habite les bois situés près des bords de la mer, des lacs ou des grandes rivières. Son plumage est varié de noir et de blanc; il est armé d’un bec crochu et tranchant; il a des pattes nerveuses couvertes d’écailles, des serres aiguës, l’œil étincelant; il frappe l’air de ses puissantes ailes, plane dans les nuages, d’où il se précipite sur sa proie avec la rapidité d’une flèche; il la saisit dans ses serres, s’élève de nouveau, puis, suspendant son vol rapide, plane majestueusement pendant qu’il déchire sa victime. Lorsqu’elle est sans vie, il reprend son vol, et va se percher sur un arbre élevé qu’il a choisi pour le lieu de ses festins.

A l’époque de la reproduction, le mâle aide sa femelle à construire son aire. Celle-ci y dépose deux ou trois œufs, et, pendant tout le temps qu’elle passe à les couver, le mâle, sur une branche voisine, veille sur elle, et ne s’en éloigne que pour chercher sa pâture. Lorsque les aiglons sont éclos, il partage avec sa compagne le soin de les nourrir.

Le plus petit individu connu de cette famille, l’irax siriceus, auquel quelques naturalistes ont donné le nom de gironieri, est un joli faucon de la grosseur du moineau. Son ventre et sa gorge sont blanc argenté, et le reste de son corps d’un beau noir bronzé.

On pourrait le prendre pour le symbole de la fidélité: le mâle ne quitte jamais sa femelle; il est toujours perché près d’elle, sur une branche morte, d’où il plane de son œil perçant sur le sommet des arbres voisins; lorsqu’il aperçoit voler un insecte, il s’élance à tire-d’aile, le saisit, et revient partager sa proie avec sa compagne.

Dans les perroquets, famille si variée par la diversité du plumage, on remarque plusieurs espèces de jolies perruches, dont la couleur dispute aux feuilles leur verdure, à l’écarlate, au jaune et au bleu leur éclat. Ces jolis oiseaux, qui flattent si agréablement la vue, n’ont qu’un cri discordant et désagréable. Ils vivent ordinairement par couples, font leur nid dans des trous d’arbres, et se nourrissent de fruits.

Dans cette même famille se trouvent les cacatois au blanc plumage, à la huppe couleur de soufre. A certaines époques de l’année, ils sont réunis en grandes bandes, font retentir la lisière des bois de leurs cris aigus et discordants, et ne s’interrompent qu’après avoir placé des sentinelles de distance en distance, pour avertir de l’approche de l’ennemi, pendant que la bande entière s’est abattue sur un champ de riz ou de maïs, qu’elle dévaste.

Plusieurs espèces de gallinacés méritent l’attention du naturaliste. L’une est le labouyo des Indiens, le bankiva des naturalistes, ou le coq sauvage, le coq primitif qui a fourni son espèce à toutes nos basses-cours.

Dans les champs, en liberté, loin de l’esclavage, le bankiva a conservé son beau plumage noir bronzé et rouge doré, et sa femelle celui de noir, mêlé d’un peu de gris et de jaune.

Dans l’état de nature, il est étranger aux vices contractés dans la civilisation par les esclaves de son espèce; il a conservé intactes les lois qu’il a reçues de la nature; ainsi il ne remplit jamais le rôle de nos sultans de basses-cours, auxquels il faut tout un harem de jeunes poules. Pendant la saison des amours, il choisit une seule compagne, qu’il aide assidûment dans tous ses soins maternels.

Le coq sauvage a plus de fierté et de bravoure que le coq domestique. Les Indiens profitent de son courage pour le faire succomber dans un combat inégal, et se régaler ensuite de sa chair délicate.

Le matin, lorsque la sentinelle vigilante des hôtes des bosquets annonce l’aube du jour, l’Indien aux aguets lui envoie un de ses semblables qu’il a apprivoisé et armé de deux éperons en acier tranchant. Dès que les deux champions se rencontrent, il s’engage entre eux un combat acharné. L’habitant des bois, avec ses armes naturelles, ne fait que de légères blessures à son ennemi, tandis que celui-ci, fort de celles que lui a données son maître, le blesse mortellement, fait couler son sang jusqu’à ce que, trahi par ses forces et son intrépidité, le loyal habitant des bois succombe aux pieds de son déloyal vainqueur.

La seconde espèce du même genre présente, dans sa reproduction, des particularités qui font admirer l’art et l’intelligence que le Créateur a donnés à tous les êtres qui peuplent notre globe.

Le mangapodius rubripes des naturalistes, nommé par les Indiens tabon7, est de la grosseur d’une poule ordinaire. Le mâle et la femelle sont de la même couleur, noir fauve. Ils se servent peu de leurs ailes pour voler, ont des pattes plus fortes et plus longues que la poule, des ongles très-forts dont ils se servent pour gratter la terre.

Ces oiseaux vivent ordinairement en troupe dans les grands bois. A la saison de la ponte, ils se séparent par couples. Le mâle et sa femelle cherchent aux environs des lacs ou des rivières de grands amas de sable. La femelle s’y introduit à une profondeur de huit à dix pieds; elle y dépose un œuf et le recouvre soigneusement. Le lendemain, elle revient à la même place, fait la même opération, et dépose un second œuf à côté du premier. Elle continue ainsi tous les jours, jusqu’à ce que sa ponte, qui se compose de huit à dix œufs, soit terminée.

Ces œufs, entièrement blancs ou de couleur rosée, sont d’une grosseur plus que double de celle des œufs de nos poules.

L’œuvre de l’incubation est abandonnée à la chaleur du sable. Pendant tout le temps qu’elle s’opère, le mâle et la femelle se tiennent éloignés de leur précieux dépôt, de crainte que leur présence ne le fasse découvrir à leurs ennemis.

A une époque fixe, que la nature sans doute leur indique, ils reviennent. La femelle s’introduit de nouveau dans le sable, casse le premier œuf qu’elle a pondu, et il en sort un petit qui a toute la force nécessaire pour suivre sa mère. Elle recouvre le reste de la couvée, revient le lendemain, et ainsi de suite tous les jours, jusqu’à ce qu’elle ait cassé un par un tous les œufs dans le même ordre qu’elle les avait pondus. Toute la famille retourne alors habiter les bois et vit en commun jusqu’au retour de la saison de l’accouplement.

L’éperonnier (polyplectron bicalcaratum), qui se trouve aux îles Bisayas, est aussi de la famille des gallinacés. C’est un bel oiseau, de la taille d’un petit faisan, et dont le plumage est à peu près semblable à celui du paon.

On compte aux Philippines trois espèces de calaos. Le grand, le plus remarquable (buceros hydrocorax), est brun et blanc, et porte, sur son énorme bec rouge, une monstrueuse protubérance osseuse, de la même couleur que le bec; elle est entièrement vide, et sa cavité communique par des ouvertures à l’intérieur du bec. C’est un vrai diapason, qui donne au cri de cet oiseau une telle sonorité, que ce cri s’entend à des distances considérables; il imite parfaitement le nom de l’oiseau: calao.

La nature a refusé au calao la faculté de se poser à terre. Les arbres lui servent de demeure, les fruits qu’ils produisent de nourriture; et les feuilles qui conservent la rosée du ciel lui fournissent l’eau nécessaire pour étancher sa soif.

L’une des deux autres espèces, noire et blanche, porte sur le bec une moins grosse protubérance, d’une couleur blanchâtre.

La troisième espèce, beaucoup plus petite, que les Indiens nomment talictic, a le dos verdâtre, le ventre blanc, et une très-petite protubérance noirâtre, bariolée de jaune.

Tous ces oiseaux se nourrissent de fruits, et particulièrement de celui que produit le balète-ficus.

Aucun pays n’offre plus de variétés de colombes que les Philippines. Pour orner leur beau plumage, la nature semble avoir mis à contribution toutes les combinaisons possibles.

C’est dans les Bisayas que se trouve ce beau pigeon (calœnas nicobarina) d’un vert d’émeraude resplendissant, et qui porte à la naissance du cou de légères plumes d’un brillant métallique, longues et flottantes, et qui forment au-dessus des ailes et sur sa poitrine la plus jolie collerette qu’il soit possible d’inventer.

C’est aussi à la même espèce qu’appartient la jolie colombe coup de poignard (calœnas luzonica). Elle a le dos couleur d’ardoise, le ventre et le cou d’un blanc parfait, et à la poitrine une tache de sang si naturelle, que celui qui la voit pour la première fois a peine à ne pas la prendre pour une blessure.

Cette espèce se trouve dans l’île de Luçon, habite sous les grands bois, et fait son nid sur la terre.

Parmi les hirondelles, on trouve deux espèces de salangans: l’une, l’esculenta, et l’autre, le nidifica. Les habitudes de ces oiseaux, au vol léger, sont bien différentes de celles des oiseaux de la même famille habitant nos pays.

L’esculenta et le nidifica vivent presque toujours sur les eaux de la mer. Ils s’éloignent des plages à plusieurs centaines de lieues, planent continuellement entre les vagues, et pendant les plus terribles tempêtes ils caressent l’onde du bout de leurs ailes sans paraître y toucher; et cependant, dans leur vol rapide, ils recueillent, sur la surface de l’eau, une gomme blanche et diaphane. Ils l’apportent dans des cavernes, sur les rochers les plus arides, les plus escarpés, pour y construire artistement leur nid. Ces nids sont recherchés avec avidité par les Indiens; ils les vendent au poids de l’or aux opulents Chinois, qui, après leur avoir fait subir une préparation culinaire, les considèrent comme l’aliment le plus riche et le plus recherché qu’ils puissent servir dans leurs splendides festins.

La famille des palmipèdes est aussi très-abondante et très-variée. Sur les eaux des lacs et des grandes rivières on voit continuellement se jouer des millions de canards, de sarcelles, de plongeons, de poules d’eau, de cormorans et de monstrueux pélicans blancs, auxquels la nature a donné, sous leur long bec, une énorme poche membraneuse où ils conservent tout vivants, comme dans un vivier, les poissons qu’ils ont pris pendant le calme, et dont ils se nourrissent à loisir lorsque l’onde trop agitée ne leur permet pas de pourvoir à leur subsistance.

Sur les plages des lacs et des rivières, on voit se promener majestueusement des troupeaux d’échassiers, parmi lesquels on distingue la belle aigrette aux plumes blanches comme neige, qui donne une partie de sa parure pour orner la tête de nos dames et la coiffure de nos officiers.

Enfin, la famille la plus nombreuse, la plus variée, celle qui offre dans le plumage tant de couleurs différentes, est celle des passereaux. Bien que l’on dise généralement qu’entre les tropiques les oiseaux ne chantent pas, aux Philippines ils sont les véritables orphéonistes du ciel. Le matin surtout, lorsque de leurs chants harmonieux ils célèbrent la naissance d’un beau jour, chaque bosquet semble une académie de musique, où une troupe de jeunes artistes fait assaut d’harmonie. Mais ces doux ramages sont interrompus par intervalle par les pics, les coucous et les martins, plus brillants par leur plumage que par leur chant, et qui font retentir les bois de leurs cris aigus et discords.

Je dois à MM. Édouard et Jules Verreaux la nomenclature scientifique des oiseaux des Philippines.

A une époque où les trois frères Jules, Alexis et Édouard Verreaux avaient un grand établissement d’histoire naturelle au cap de Bonne-Espérance, Édouard, le plus jeune, interrompit ses périlleuses excursions dans l’intérieur de l’Afrique, pour visiter les contrées asiatiques. Sa vie aventureuse l’amena à Jala-Jala. Pendant les quelques mois de son séjour chez moi, il se livra particulièrement à l’étude de l’ornithologie, et il recueillit une belle collection qui figure maintenant dans le grand établissement que son frère Jules et lui ont créé à Paris, place Royale, 9.

Les curieux et les savants qui désireraient consulter MM. Verreaux sur les particularités que j’ai pu omettre dans mon aperçu sur l’histoire naturelle, peuvent le faire en toute confiance. Ils trouveront en eux, avec l’obligeance la plus bienveillante, une profonde et solide instruction sur toutes les branches de l’histoire naturelle.

C’est avec plaisir que j’insère ici cette note, qui n’est qu’un faible témoignage de ma reconnaissance pour le concours qu’ils m’ont donné dans mon travail sur l’ornithologie.

Ornithologie des Philippines.

Numéros. Noms scientifiques. Noms Tagalocs.
1 Psittacula loxia (Less.) Boubouctouc.
2 Loriculus Coulaci (Bonap.) Coulacissi.
3 Tanygnatus marginatus (Wagl.)
4 Prioniturus platurus (Bonap.)
5 Cacatua Philippinarum (Bourj.) Cacatoua.
6 Haliætus blagrus (Smith.) Laouin.
7 Haliastur ponticerianus (Selby.) Id.
8 Aviceda magnirostris (Bonap.) Id.
9 Ierax sericeus (Gray), ou falco Gironieri (Eydoux) Laouin-monti.
10 Spizætus lanceolatus (Tem.) Laouin.
11 Astur trivirgatus (Cuv.) Id.
12 Accipiter virgatur (Gray) Id.
13 Jeraglaux philippensis (Bonap.)
14 Otus philippensis (Gray.)
15 Syrnium philippense (Gray.)
16 Caprimulgus macrotis (Dig.)
17 Acanthylis giganteus (Bonap.)
18 Cypselus sinensis (Cuv.)
19 Dendrochelidon comatus (Boie.)
20 Buceros hydrocorax (Lin.) Calao.
21 Buceros antracinus (Tem.) Id.
22 Tockus sulcatus (Bonap.) Talictik.
23 Tockus sulsirostris (Bonap.) Id.
24 Dasylophus supersiliosus (Swains.) Sabucot-pula.
25 Dasylophus Cumingi (Fraser.) Id.
26 Eudynamis australis (Swains.) Saboucot.
27 Centropus viridis (Pueher.) Id.
28 Centropus Molkenboeri (Bonap.) Id.
29 Cacomantis flavus (Bonap.) Id.
30 Chrysocolaptes hæmatribon (Bonap.) Manounuctouc.
31 Id. palalaca (Bonap.) Id.
32 Id. menstruus (Bonap.) Id.
33 Picus moluccensis (Lin.) Id.
34 Megalaima philippensis (Gray.) Aso.
35 Harpactes ardens (Gould.)
36 Halcyon fusca (Gray.) Salacsac.
37 Id. collaris (Gray.) Id.
38 Id. Lindsayi (Gray.) Id.
39 Ceyx melanura (Kaup.) Id.
40 Alcyone cyanipectus (Bonap.) Id.
41 Merops badius (Gm.) Pirit.
42 Do javanicus (Horsf.) Id.
43 Kitta speciola (Bonap.)
44 Eurystomus orientalis (Bonap.) Ouackuackean.
45 Parus quadrivittatus (Lafres.)
46 Motacilla luzoniensis (Scopol.)
47 Brachyurus atricapillus (Bonap.)
48 Id. erythogastra (Bonap.)
49 Hypsypetes philippensis (Strickl.)
50 Microscelis philippensis (Gray)
51 Ixos chrysorrhæus (Tem.)
52 Id. sinensis (Bonap.)
53 Copsychus luzoniensis (Kittl.) Dominico.
54 Megalurus palustris (Horf.)
55 Calliope camtschatkensis (Bonap.)
56 Petrocincla eremita (Gray)
57 Petrocossypha manillensis (Bonap.)
58 Pratincola caprata (Bonap.) Tainbabouii.
59 Cyornis elegans (Bonap.)
60 Myiagra manadensis (Bonap.)
61 Rhipidura nigritoryques (Bonap.) Maria-Cafra.
62 Muscipeta rufa (Bonap.)
63 Collocalia nidifica (Bonap.) Salangan.
64 Id. esculenta (Bonap.) Id.
65 Artamus leucorhynchus (Vieill.) Palacpat.
66 Oriolus acrorhynchus (Vig.) Couliaouan.
67 Irena cyanogastra (Vig.)
68 Dicrourus balicassicus (Vieill.) Balicassiao.
69 Ceblepyris cærulescens (Blyth.)
70 Graucalus lagunensis (Bonap.)
71 Lalage orientalis (Boie.) Balac-angin.
72 Enneoctonus superciliosus (Bonap.)
73 Lanius sach. (Lin)
74 Crypsirhina varians (Vieill.)
75 Corvus inca (Horsf.) Couac.
76 Meliphaga mystacalis (Tem.) Coulanga.
77 Jora scapularis (Horsf.)
78 Zosterops meyeni (Bonap.)
79 Dicæum trigonostigma (Gray.)
80 Cinnyris pectoralis (Vieill.) Pipi.
81 Id. ruber (Vieill.) Id.
82 Lamprotornis insidiator (Caban.) Tordo.
83 Id. columbianus (Bonap.) Id.
84 Heterornis ruficollis (Bonap.) Id.
85 Acridotheres philippensis (Bonap.) Id.
86 Gymnops calvus (Cuv.) Coulin.
87 Ploceus philippensis (Bonap.)
88 Munia oryzivora (Bonap.) Maya.
89 Id. minuta (Bonap.) Id.
90 Estrelda amandava (Gray) Id.
91 Passer jugiferus (Tem.) Maya-pakin.
92 Ptilinopus roseicollis (Gray) Batu-batu punay.
93 Ramphiculus occipitalis (Bonap.) Batu-batu.
94 Treron psittacea (Gray) Id.
95 Id. vernans (Steph.) Id.
96 Phapitreron leucotis (Bonap.)
97 Carpophaga chalybura (Bonap.)
98 Ptilocolpa griseipectus (Bonap.)
99 Id. carola (Bonap.)
100 Macropygia phasianella (Bonap.) Batu-batutabacuan.
101 Tutur chinensis (Scopol.)
102 Streptopelia humilis (Bonap.) Batu-batu monti.
103 Phlegænas cruenta (Bonap.)
104 Chalcophaps indica (Gould.) Lipagin.
105 Calœnas nicobarica (Gray) Batu-batu dougou.
106 Megapodius rubripes (Tem.) Tavon.
107 Id. Forstenii (Müll.)
108 Polyplectron Napoleonis (Less.)
109 Gallus bankiva (Tem.) Labouio.
110 Coturnix chinensis (Gould.) Pogo.
111 Turnix pugnax (Steph.) Id.
112 Id. ocellata (Gray) Pogo-malaquit.
113 Melanopelargus leucocephalus (Bonap.)
114 Typhon robusta (Müll.)
115 Ardea purpurea (Lin.)
116 Herodias sacra (Bonap.)
117 Buphus malaccensis (Bonap.)
118 Butorides javanica (Bonap.)
119 Ardeola cinnamomea (Bonap.)
120 Nycticorax manillensis (Vig.)
121 Id. caledonicus (Steph.)
122 Id. Goisagi (Gray)
123 Platalea luzoniensis (Scopol.)
124 Plegadis bengaleusis (Bonap.)
125 Totanus glareolus (Gray)
126 Id. ochropus (Tem.)
127 Id. hypoleucus (Gray)
128 Rallus torquatus (Lin.) Ticline.
129 Id. philippensis (Lin.) Id.
130 Ortygometra ocularis (Gray) Id.
131 Porphyrio pulverulentus (Tem.) Abab.
132 Gallinula cristata (Lath.) Id.
133 Gallinula olivacea (Meyer) Abab.
134 Dendrocygna vagans (Eyton.) Itic.
135 Id. arcuata (Swains.) Id.
136 Id. viduata (Swains.) Id.
137 Anas luzonica (Fraser.) Id.
138 Id. gibbifrons (Müll.) Id.
139 Id. superciliosa (Gm.) Id.
140 Spatula rhynchotis (Gould ) Id.
141 Querquedula crecca (Steph.) Id.
142 Id. circia (Steph.) Id.
143 Podiceps gularis (Gould.) Coulisi.
144 Id. australis (Gould.) Id.
145 Plotus Novæ-Hollandiæ (Gould.) Cassili.
146 Phalacrocorax sinensis (Gray.) Id.
147 Carbo javanicus (Horsf.) Id.
148 Pelecanus philippensis (Gm.) Pagala.
149 Fregata ariel (Gould.)
150 Larus pacificus (Lath.)
151 Xema Jamesonii (Gould.)
152 Sylochelidon strenuus (Gould.)
153 Thalasseus poliocercus (Gould.)
154 Sterna melanauchen (Tem.)
155 Onychoprion fuliginosa (Swains.)
156 Anous melanops (Gould.)
157 Diomedea exulans (Lin.)
158 Id. chlororhynchos (Lath.)
159 Id. culminata (Gould.)
160 Id. fuliginosa (Lath.)
161 Procellaria gigantea (Lath.)
162 Id. atlantica (Gould.)
163 Id. hasitata (Kuhl.)
164 Procellaria glacialoides (Smith.)
165 Puffinus æquinoctialis (Less.)
166 Prion turtur (Forst.)
167 Id. ariel (Gould.)
168 Thalassidroma marina (Less.)
169 Id. leucogastra (Gould.)
170 Id. nereis (Gould.)
171 Id. Wilsonii (Bonap.)
172 Spheniscus minor. (Tem.)

§ VIII.—Poissons.

Les lacs et les rivières abondent en excellents poissons. J’ai déjà fait connaître les espèces qui habitent le lac de Bay. J’ai cependant omis de parler de l’espèce la plus abondante, celle qui se distingue par les particularités qui lui méritent une place spéciale: je veux parler du machoirin, nommé par les Indiens candolé.

Le candolé est un poisson sans écailles, dont la longueur ne dépasse jamais deux pieds à deux pieds et demi; il est bleu sur le dos, et blanc argenté sous le ventre. Il a une grosse tête en proportion de son corps. Il porte trois fortes défenses, l’une sur le dos à la naissance de la nageoire, et les deux autres de chaque côté du thorax. Ces défenses sont longues d’un pouce à un pouce et demi, selon la grosseur du poisson, très-aiguës, et sont dentelées en scie le long des bords. Lorsque ce poisson est menacé par un ennemi, il dresse ses trois défenses, et aucune force, à moins de les rompre, ne peut leur faire reprendre leur position naturelle.

La piqûre de cette arme est très-dangereuse, et produit une douleur atroce. Un individu qui serait blessé en même temps par plusieurs de ces poissons en mourrait. Lorsque les Indiens en sont piqués, ils se guérissent en faisant tomber dans la blessure quelques gouttes d’huile enflammée. Pour cette petite opération, ils se servent d’une mèche de coton fortement imbibée d’huile, allument l’une de ses extrémités, et, en l’inclinant au-dessus de la blessure, quelques gouttes s’en détachent et tombent dans la plaie. Cette manière de cautérisation fait immédiatement cesser la douleur.

Il est de la famille des vivipares. A l’époque de la reproduction, on trouve dans l’intérieur des femelles un long chapelet d’œufs globuleux, de la grosseur d’un gros pois. Ces œufs renferment un germe à un état plus ou moins parfait de création. Quelques-uns ne présentent à l’intérieur qu’une substance laiteuse, tandis que d’autres contiennent un fœtus tout formé, et si plein de vie, qu’il suffit de rompre l’enveloppe et de le mettre dans l’eau pour le voir nager aussi bien que s’il était né naturellement.

La chair du candolé se mange surtout fumée ou séchée au soleil.

Avec son estomac on fait de la colle de poisson.

On trouve aussi, et particulièrement dans le lac de Bay et la baie de Manille, une espèce de serpent d’eau, dont les plus forts ne dépassent pas une longueur de trois à quatre pieds. Il est gris, bariolé de noir et de jaune. Il est plus répugnant que dangereux; il est même inoffensif. Dans les grandes crues les Indiens pêchent ce serpent pour en faire de l’huile à brûler. Les aigles-pêcheurs lui font une chasse acharnée.

La mer fournit aux habitants des plages une quantité considérable de bons et excellents poissons. Ceux que nous avons en Europe, et qui se trouvent dans les mers de Luçon, sont les sardines, les mulets, les maquereaux, les soles, les thons, les dorades et les anguilles.

On prend dans la baie de Manille, avec des lignes de fond, une espèce de serpent de mer, d’une longueur de dix à douze pieds, d’une couleur verdâtre mêlée de jaune. Les pêcheurs prétendent que sa morsure est mortelle; aussitôt qu’ils en prennent un, ils lui coupent la tête.

C’est un animal dégoûtant et hideux. Cependant les Indiens le font figurer dans leurs repas.

Les Indiens pêchent une grande quantité de trépangs; des requins, dont ils prennent les ailerons pour les vendre aux Chinois; des tortues, qui fournissent un bon aliment et de l’écaille, et des huîtres perlières.

Parmi ces huîtres il en est une espèce très-abondante dans la baie de Manille, dont les écailles sont très-plates, minces et transparentes. On taille ces écailles en petits carrés, pour servir aux vitraux des maisons de Manille. Ces vitraux ont sur le verre l’avantage de ne donner aux appartements qu’un clair-obscur, et de ne pas laisser pénétrer les rayons du soleil.

La mer produit encore une grande quantité et une variété infinie de crustacés, des mollusques, des coquillages de toute espèce, et notamment d’excellentes huîtres.

§ IX.—Reptiles.

Il ne manque pas de reptiles aux Philippines; mais, n’ayant pas l’intention de faire un cours d’histoire naturelle qui serait au-dessus de mes forces, je vais seulement, ainsi que je l’ai fait pour les poissons, m’occuper des espèces qui ont fixé mon attention par leur particularité.

Dans le genre des sauriens j’ai déjà décrit l’aligator, le plus monstrueux de tous les reptiles.

On trouve dans la même famille plusieurs espèces d’iguanas. La plus grande a souvent sept à huit pieds de longueur. C’est un énorme lézard couleur gris verdâtre, mêlé de points jaunes. Il vit sur le bord des lacs, des rivières, dans des lieux humides, et souvent dans les maisons. Il est presque amphibie, se nourrit de poissons, de rats, de volatiles, et il est tout à fait inoffensif pour les hommes. Sa chair blanche ressemble beaucoup à celle du poulet; elle est très-bonne à manger. Les Indiens n’en font pas usage; ils sont seulement très-friands de leurs œufs, de la dimension de grosses noix, et, comme ceux de la tortue, sans enveloppe solide.

Une petite espèce d’iguana, d’une couleur fauve, dont la longueur ne dépasse pas un pied et demi à deux pieds, porte une crête ou carenne qui se prolonge de la tête jusqu’au milieu de l’épine dorsale. Elle habite toujours le bord des rivières et des lacs; elle se tient ordinairement au soleil, sur les arbres qui avoisinent les bords de l’eau.

Dans toutes les maisons de Manille, il y a toujours une grande quantité de petits lézards qui ne se montrent que lorsque les lumières sont allumées. Ils sont de couleur grise. Ils ont sous les pattes une membrane qui les fait adhérer au sol, et leur facilite la faculté de se promener au plafond, sur les murs, et même sur les glaces. Ils se nourrissent de mouches et de moustiques.

Les tacons ou tchacons, espèce bien plus grande que la dernière, habitent aussi les maisons. Ils ont la longueur d’un pied; ils sont de couleur grise mêlée de jaune, de bleu et de rouge. Leur tête est énorme, et leur gueule d’une grandeur disproportionnée à tout le corps. Ils ont aussi, comme les petits lézards dont je viens de parler, une membrane sous les pattes. Ils adhèrent avec tant de force où ils se posent, que lorsque c’est sur une partie du corps d’une personne, on ne peut leur faire lâcher prise qu’en leur présentant un miroir; la vue de leur semblable les fait se jeter sur lui pour le combattre.

Ce sont, du reste, des animaux inoffensifs. Ils se nourrissent de cancrelats, espèce de scarabée. La nuit, ils font entendre par intervalle un cri qui se répète sans interruption sept à huit fois: tcha-con, ce qui leur a fait donner ce nom.

Les Indiens considèrent les maisons où ils habitent comme favorisées du sort. Cette croyance les empêche de les détruire.

Dans les bois on voit voler d’un arbre à l’autre des petits dragons. Ce sont aussi des lézards d’une longueur de sept à huit pouces. Ils ont le corps mince et la queue très-déliée. La nature leur a donné, comme aux chauves-souris, des ailes membraneuses, et de plus, sous la mâchoire inférieure, une longue poche qui se termine en pointe. Ils remplissent cette poche d’air pour se rendre plus légers, et prolonger leur vol lorsqu’ils ont une longue distance à parcourir.

Ils sont inoffensifs, et se nourrissent d’insectes.

On trouve plusieurs espèces de serpents. Les plus connus, que j’ai déjà décrits, sont le monstrueux boa; et dans ceux dont la morsure est mortelle, l’alin-morani; puis une espèce de vipère nommée dajou-palay (feuille de riz).

Beaucoup d’autres sont aussi très-dangereux, mais leurs noms ne me sont pas connus.

§ X.—Des insectes.

Plusieurs espèces d’insectes sont un tourment et même, on peut le dire, une véritable calamité pour les habitants des Philippines.

Telles sont les innombrables sauterelles qui, ainsi qu’un gros nuage et un foudroyant orage, s’abattent sur les récoltes et les moissonnent en quelques heures; et sur les montagnes, les petites sangsues, qui ne laissent pas un instant de repos au voyageur.

Une troisième famille dont je n’ai pas parlé, celle des fourmis, vient aussi apporter son contingent d’incommodité et de destruction: ouvrières diligentes, nuit et jour en mouvement, elles s’introduisent partout, dévorent les provisions, montent dans les lits lorsqu’on n’a pas la précaution de placer les pieds dans des vases remplis d’eau, détruisent les récoltes avant de naître, font crouler les édifices sans qu’on s’y attende; et enfin, lorsqu’on les trouble sans précaution dans leurs travaux, elles vous enfoncent leur aiguillon dans les chairs, et vous causent une vive douleur.

Cette famille mérite, pour chacune de ses espèces, une description particulière.

1. Fourmi rouge (langam).

La fourmi rouge, de la couleur que son nom indique, et que les Indiens nomment langam, est la plus nombreuse, la plus répandue. Elle se trouve partout, dans les champs et les habitations; elle dévore toutes les provisions qu’on laisse à sa portée, attaque les animaux vivants qui sont sans défense. J’ai vu souvent des oiseaux en cage, que l’on n’avait pas eu soin de mettre hors de leur portée, dévorés dans une nuit. Elles montent dans les lits, si on n’a pas pris la précaution de s’en garantir, et leur morsure produit une douleur et une démangeaison insupportables. Elles détruisent dans les champs les graines qui sont ensemencées, ce qui oblige le cultivateur à semer le double des semences dont elles sont le plus friandes8. Elles sont, en un mot, une véritable calamité contre laquelle il faut constamment être en lutte. Elles ont cependant un avantage: celui de faire disparaître, en peu de temps, tous les débris d’animaux dont les émanations putrides pourraient être nuisibles.

2. Fourmi des bois (lanteck).

La fourmi des bois, que les Indiens nomment lanteck, est d’un beau noir, de la grosseur et plus longue qu’une mouche ordinaire. Elle n’habite que les bois, où elle construit des fourmilières, et elle y renferme ses provisions. Elle n’est nuisible que si on l’attaque; alors elle saisit son ennemi avec deux fortes pinces qu’elle porte près des antennes, se replie sur elle-même et lui enfonce dans les chairs l’aiguillon dont elle est armée à l’extrémité du corps. La douleur que produit sa piqûre est si vive, qu’elle se fait sentir comme une étincelle électrique. J’ai vu des étrangers piqués par un seul de ces insectes, et qui ont cru avoir été mordus par un serpent. La douleur vive se passe très-vite, mais l’enflure et la démangeaison durent plusieurs heures.

3. Petite fourmi noire (couitis).

Cette petite fourmi, nommée couitis par les Indiens, habite les bois, n’établit pas de fourmilières, et se tient généralement sur le tronc des arbres. Elle est presque imperceptible; cependant, lorsqu’on la touche, elle pique, et occasionne une douleur plus vive que toutes les autres, mais qui se passe instantanément, sans laisser de traces.

4. Des termites ou fourmis blanches (anay).

Les termites ou fourmis blanches, nommées par les Indiens anay, sont divisées en trois classes: les travailleuses, celles qui les dirigent ou les commandent, et les reines.

Les travailleuses ont généralement le corps blanc, plus gros et plus court que les fourmis ordinaires, les pattes très-courtes, le corselet et la tête un peu jaunes. Elles sont armées de deux mandibules, capables d’entamer et de broyer les bois les plus durs.

Les secondes, celles qui commandent, diffèrent des premières par une petite corne placée à l’extrémité de la tête, comme celle du rhinocéros.

Les reines ont la tête et le corselet absolument semblables à ceux des travailleuses; mais, à partir du corselet, le corps est d’une grosseur démesurée; il est ordinairement long de 1 à 2 pouces, et il a 8 à 10 lignes de circonférence.

La demeure habituelle des termites est dans les champs qui ne sont pas exposés à de fortes inondations. Dans les campagnes on aperçoit, de distance en distance, de petits monticules de terre de forme conique, qui s’élèvent de 5 à 6 pieds au-dessus du sol, et se terminent en pointe. La base de ces monticules, appuyée au sol, a de 12 à 15 pieds de circonférence.

C’est dans l’intérieur de ces meules ou monticules que réside tout un gouvernement, composé d’individus de divers grades, et une seule et unique reine, dont la mission est de reproduire les générations qui s’éteignent. C’est là aussi que se fait un travail continu, digne de l’étude de l’observateur qui cherche à pénétrer les admirables secrets de la nature.

Chaque demeure ou monticule a plusieurs ouvertures extérieures pour pénétrer dans l’intérieur, et pour la sortie de celles qui vont parcourir les champs environnants, où elles dévorent et rongent toutes les plantes, tous les bois morts qu’elles rencontrent.

Les termites ne font pas, comme nos fourmis d’Europe, des amas de provisions pour l’hiver. Sous le beau climat des Philippines, rien ne les oblige à se confiner dans leur demeure une partie de l’année. Elles recueillent seulement une espèce de gomme dont elles tapissent les nombreux compartiments qui composent leur habitation souterraine. Cet enduit, autant que j’ai pu m’en rendre compte, sert à alimenter la reine et les jeunes termites, depuis le premier âge jusqu’à l’époque où elles ont la force de pourvoir elles-mêmes à leur subsistance. Il est probable que cette gomme est appropriée aux divers âges, et qu’elle est plus parfaite là où se trouvent la reine et ses derniers nés, que vers l’extérieur, où se tiennent celles qui ont déjà toute leur force.

Comme je viens de le dire, l’intérieur des petits monticules est divisé en une foule de compartiments, de chambres et de galeries artistement construits avec de la terre tellement dure, qu’elle semble avoir été pétrie pour en faire de la poterie.

Lorsqu’on pénètre avec la pioche dans cet asile, on trouve les compartiments tapissés de petites fourmis qui n’ont pas la force de sortir; et plus on pénètre à la partie la plus profonde, qui se trouve généralement à 3 ou 4 pieds au-dessous du sol, ou à 9 ou 10 du sommet du cône, on remarque qu’elles sont plus petites. Près la demeure de la reine, celles qui viennent de naître sont presque imperceptibles à l’œil nu.

La reine occupe la chambre la plus profonde. Là elle est renfermée, sans pouvoir sortir par les petites ouvertures qui communiquent de sa demeure aux autres compartiments. Sa mission est de travailler continuellement à la reproduction de ses sujets.

Lorsqu’on veut détruire un de ces essaims, il faut pénétrer à l’intérieur jusqu’à ce qu’on puisse s’emparer de la reine. Si on néglige cette précaution, si on se contente d’aplanir le monticule et de remettre le terrain au niveau du sol, les fourmis recommencent leur travail, et le rétablissent en peu de mois dans son état primitif.

Elles font souvent, pour se garantir de la pluie ou pour monter au sommet d’un arbre, de longues galeries couvertes qui les conduisent de leur demeure au lieu de leur travail. Ces galeries sont ordinairement à deux voies, l’une pour aller, l’autre pour revenir.

Lorsqu’on veut bien examiner leurs habitudes et leurs travaux, il faut démolir une partie de ces galeries. On voit aussitôt arriver les commandeurs; ils semblent examiner le dommage fait à leurs travaux, partent tous pour revenir, un instant après, avec un bon nombre d’ouvrières qui se mettent immédiatement à l’œuvre; chacune va chercher un globule de terre, et le place artistement pour rétablir la galerie.

Les chefs ou commandeurs qui accompagnent les ouvrières poussent, avec leur petite corne, celles qui marchent trop lentement, et paraissent animer toute la bande laborieuse.

Les termites ne se bornent pas à habiter la campagne, elles s’introduisent souvent dans les maisons; et comme elles le font toujours par des ouvertures souterraines et cachées, elles produisent des dégâts considérables. Par exemple, si la maison n’est pas construite avec des bois qu’elles n’attaquent pas, elles s’introduisent par les extrémités des charpentes, laissent parfaitement intact l’extérieur du bois, et dévorent tout l’intérieur. Si, par malheur, on ne s’en aperçoit pas, la maison s’écroule sans qu’on s’y attende.

Elles attaquent aussi les meubles et les vêtements en réserve, et il leur faut peu de jours pour occasionner des dégâts considérables; mais elles n’attaquent jamais les matières animales.

On connaît encore, dans le genre termite, une variété beaucoup plus grosse et entièrement noire; mais est-ce une variété, ou le même insecte à une époque différente de son existence? C’est ce que je ne saurais déterminer.

Cette variété, nommée par les Indiens anay-maitim, n’habite point sous terre; elle court dans les forêts et se nourrit des bois en décomposition; elle ne cause pas les mêmes ravages que les blanches.

A une certaine époque, sans doute la dernière de leur existence, il leur pousse quatre grandes ailes, et elles prennent leur vol.

Lorsque, la nuit, on s’aperçoit que ces insectes, attirés par les lumières, s’introduisent dans les maisons, il est indispensable de fermer immédiatement toutes les fenêtres, si on ne veut pas rester dans les ténèbres. Sans cette précaution, ils arrivent en si grand nombre qu’ils ont bientôt éteint les lumières, et le lendemain le sol est jonché de leurs cadavres.

Ainsi que je l’ai dit, elles ont l’avantage sur les blanches de ne causer aucun dégât.

5. Le cancrelat (blatte).

Un autre insecte habite aussi l’intérieur des maisons: c’est une espèce de scarabée nommé cancrelat, animal dégoûtant, qui répand une odeur désagréable, attaque toutes les provisions, vole pendant la nuit, surtout dans les temps d’orage, se repose partout, souvent sur les personnes, et leur enfonce ses ongles aigus dans l’épiderme.

Si tous ces insectes sont un véritable fléau pour les habitants des Philippines, il en est aussi une innombrable quantité que je ne peux pas décrire, et qui embellissent les campagnes: une variété infinie de beaux, de magnifiques papillons aux couleurs resplendissantes, qui, dans les beaux jours, sillonnent l’air et caressent toutes les fleurs; les mouches phosphorescentes, qui, la nuit, se jouent dans les feuilles des arbres, et les font paraître émaillés de pierres précieuses; enfin les buprestes, aux ailes de couleur métallique, qui, encadrés dans l’or et l’argent, servent à faire de charmants bijoux: leur brillant est plus éclatant que les émaux les plus beaux.

§ XI.—De l’agriculture aux Philippines.

Aucune terre n’est plus féconde, plus riche que celle des Philippines, et ne rémunère plus largement les travaux et les soins du cultivateur; ce qui fait dire aux habitants de Manille: «Gratter la terre, faire de la boue, y jeter de la semence, suffit pour remplir son grenier.»

La végétation est d’une si grande vigueur dans ce beau pays, que des champs abandonnés quelques années sans culture se couvrent de végétaux et deviennent des bois impénétrables. Certaines espèces de plantes s’élèvent si spontanément, que quelques jours suffisent pour une croissance de plusieurs mètres.

Cette grande fertilité est due à plusieurs causes, dont le concours réuni contribue puissamment à la fécondité et au développement de la végétation.

La première de ces causes, et sans doute la plus puissante, doit être attribuée à la formation volcanique de toutes les îles de ce vaste archipel.

La seconde est due aux hautes montagnes généralement recouvertes d’une forte couche de terre végétale, d’où s’élève une gigantesque végétation qui restitue continuellement au sol les parties nutritives qu’elle lui emprunte. A l’époque de l’hivernage, les pluies torrentielles enlèvent du versant de ces montagnes les terres limoneuses et les détritus des végétaux qui s’y sont amassés pendant la saison des sécheresses, et les précipite vers les plaines, engrais naturel qui les vient fertiliser.

La troisième est due à ce que, pendant la même saison des pluies, les sources, les réservoirs se remplissent et sont abondamment pourvus pour fournir, pendant la saison des sécheresses, l’eau nécessaire aux irrigations, et pour entretenir le sol inférieur dans un état d’humidité constante.

La quatrième cause doit être attribuée à ces longues nuits des tropiques, rafraîchies par la brise qui souffle constamment de la partie où règne l’hivernage. Ces brises apportent d’abondantes rosées qui conservent cette fraîcheur et cette souplesse aux feuilles, si nécessaire pour absorber l’air et faciliter la végétation.

La cinquième cause enfin, l’électricité, n’est-elle pas aussi un puissant moyen qu’emploie la nature pour la splendeur du règne végétal? De nombreuses observations m’amènent à constater ici un fait qui semble venir à l’appui de cette opinion.

A une époque de l’année, au moment du changement de mousson, pendant un mois ou plus, il se forme journellement des orages; le tonnerre gronde sourdement; l’air se charge d’électricité; de gros nuages parcourent l’atmosphère, et sont bientôt dissipés sans pluie; le soleil brille de tout son éclat, ses rayons brûlants dardent sur une terre qui, privée d’eau pendant six mois, paraît calcinée. Cependant c’est alors que les grands végétaux semblent prendre une vie nouvelle, et se couvrent de bourgeons qui se développent presque instantanément, et donnent de belles et larges feuilles qui ont toute la fraîcheur de celles qui naissent pendant la saison humide.

On doit comprendre qu’avec tous ces éléments de fécondité, le sol des Philippines est largement privilégié de la nature, et qu’une culture qui ne serait pas dans l’enfance donnerait à l’agronome des résultats presque incalculables.

Je vais donner maintenant quelques détails sur la propriété, sur la culture en général, et décrire ensuite celle de chacun des produits qui font la richesse des cultivateurs.

Les Espagnols sont les maîtres suzerains de tout le territoire des Philippines; mais les lois qu’ils ont établies sur la propriété protégent autant qu’il est possible le cultivateur laborieux, et lui assurent à perpétuité la possession du champ qu’il a défriché. Il peut le vendre ou le transmettre à ses héritiers; seulement il perd ses droits, et le gouvernement reprend les siens, lorsque, par paresse ou négligence, il a laissé, pendant plusieurs années, ses terres sans aucune espèce de culture. Dans ce cas encore, les autorités espagnoles n’agissent jamais qu’avec la plus indulgente réserve.

Presque tous les bourgs avoisinent des terres incultes et des forêts. Jusqu’à une certaine distance du bourg, les habitants possèdent en communauté ces terres incultes et ces forêts, et chacun d’eux peut devenir le propriétaire exclusif de la portion qu’il lui convient de défricher.

Les terres et les forêts en dehors des limites du bourg, et que les Espagnols nomment realengas (terres incultes), appartiennent à l’État. Il les vend aux personnes qui veulent acquérir de grands domaines. Le prix est de une à cinq piastres (5 à 25 fr.) le quiñon, mesure qui représente une superficie de 810,000 pieds espagnols.

Voici la mesure des terres aux Philippines:

Le quiñon est un carré de 100 brasses sur toutes ses faces;

La balita représente 10 brasses en largeur sur 100 brasses de longueur;

Le lucan représente une brasse en largeur sur 100 brasses de longueur;

La brasse espagnole est de trois varas castillanes, et la vara castillane, de trois pieds espagnols.

Le pied espagnol équivaut à 11 pouces français.

Ainsi, le quiñon est un carré de 900 pieds espagnols sur toutes ses faces, ou une superficie de 810,000 pieds espagnols, soit environ neuf hectares de notre mesure agraire.

Les Indiens ne payent aucun impôt territorial. Ce que l’on appelle dîme se réduit à un réal d’argent par année, soit soixante-dix centimes par individu au-dessus de dix-huit ans.

La plus grande partie des terres cultivées sont la propriété des Indiens, et sont fort divisées. Il y a cependant de vastes domaines qui appartiennent généralement aux ordres religieux, et quelques-uns à des particuliers. Ces grands domaines sont donnés à ferme aux Indiens par petites portions. Depuis peu d’années, quelques propriétaires font valoir par eux-mêmes ceux qui leur appartiennent.

Presque toutes les terres, et même les montagnes, sont susceptibles d’être fructueusement cultivées; mais les terres préférées sont celles qui peuvent être abondamment arrosées pendant la saison des sécheresses. Elles sont généralement destinées à la culture du riz; jamais elles ne reçoivent d’autre engrais que celui que leur fournit la nature et l’écoulement des eaux, et cependant elles donnent chaque année et sans repos d’abondantes récoltes.

Les terres aménagées pour les plantations du riz sont nommées par les Indiens tubiganès (terres irriguées). Elles ont alors une véritable valeur qui varie, selon les localités, de 200 à 300 piastres le quiñon, (1,000 à 1,580 fr.), qui est de trois cents varas castillanes carrées.

On calcule qu’il faut trois ouvriers pour mettre en culture un quiñon de terres tubiganès, et cinq cabanès, mesure qui équivaut à 133 livres espagnoles, pour ensemencer un quiñon, qui produit, année commune, de 60 à 80 pour un. Presque toutes les terres tubiganès peuvent être ensemencées deux fois dans l’année. La seconde récolte est moins abondante que la première.

Les terres non irriguées, celles situées sur le penchant des montagnes, sont d’une valeur inférieure et qui varie selon les situations. Dans beaucoup de localités, on peut acquérir des terres déjà cultivées, et qui ne laissent rien à désirer sous le rapport de la bonne qualité, à raison de 20 à 50 piastres (100 à 250 fr.) le quiñon.

Ces terres non irrigables s’ensemencent en riz de montagne, en indigo, canne à sucre, tabac, et toutes espèces de plantes qui n’ont pas essentiellement besoin d’eau.

Il serait difficile d’établir, même approximativement, la production des terres de ce genre. Cette production varie selon la culture. Le riz y produit moins que dans les terres irriguées; mais généralement les autres récoltes donnent, dans les bonnes années, au cultivateur un bénéfice plus que double de celui des terres exclusivement destinées à la culture du riz.

Le prix de la journée des ouvriers indiens varie selon les localités. On peut cependant l’évaluer, en moyenne, sur le pied de 0,60 à 0,70 centimes pour les hommes, à 0,33 centimes pour les femmes et les enfants, à 0,33 centimes pour le buffle, et à 0,33 centimes pour une charrue. L’ouvrier qui fournit son buffle et sa charrue reçoit à peu près 1 fr. 30 cent.

En temps ordinaire, la journée commence à six heures du matin pour finir à six heures du soir. On accorde une heure et demie de repos pour les repas.

Aux époques des récoltes, et particulièrement pendant celle du sucre, la journée commence, pour les ouvriers employés au moulin et à l’usine, à trois heures du matin, et se termine à huit heures du soir.

Les instruments qui servent aux Indiens pour la culture sont de la plus grande simplicité, comme on peut le voir par les dessins et l’explication des planches.

Les produits qui font la base de la grande culture sont:

  • Le riz,
  • L’indigo,
  • L’abaca (soie végétale),
  • Le tabac,
  • Le café,
  • Le cacao,
  • Le coton,
  • Le poivre,
  • Le froment,
  • Et la canne à sucre.

§ XII.—Culture du riz.

Plus de trente espèces de riz sont cultivées aux Philippines, toutes bien distinctes par le goût, la forme, la couleur, et la pesanteur des grains.

Ces trente espèces sont divisées en deux classes:

1o Les riz des montagnes;

2o Les riz aquatiques.

Elles se cultivent différemment; cependant les riz des montagnes peuvent recevoir la même culture que les riz aquatiques.

1o Culture du riz des montagnes.

Les riz des montagnes, dont je donne tous les noms en note9, se cultivent sur les terres élevées, et qui sont à l’abri des inondations pendant la saison des pluies.

Dans la partie ouest de l’île de Luçon, aussitôt que commencent les premières pluies, vers la fin de mai ou les premiers jours de juin, le cultivateur prépare les terres en leur donnant deux labours et deux hersages. La charrue (fig. A.) est employée à cet effet. La herse est triangulaire, comme celle dont nous nous servons en France, et dont je n’ai pas cru nécessaire de donner le modèle.

Les terres étant bien préparées et bien meubles, le riz est semé à la volée, et environ un mois après on fait un bon sarclage, qui suffit ordinairement pour débarrasser le champ des mauvaises plantes qui y ont poussé.

Si c’est l’espèce nommée pinursegui qu’on a cultivée, espèce la plus précoce, on peut faire la récolte trois mois ou trois mois et demi après l’ensemencement.

Si c’est une des autres espèces, il faut calculer, pour atteindre une maturité complète, au moins cinq mois.

Après cette maturité, le riz est coupé avec la faucille (voir fig. E.), mis en petites gerbes, dont on forme de grandes meules pour attendre plusieurs jours de beau temps, afin de séparer le grain de la paille. Cette opération se fait avec des buffles qui tournent dans une grande aire où est étendu le riz, ou bien sur un treillage en bambous élevé à une dizaine de pieds du sol. Là, un Indien écrase avec les pieds les gerbes de riz qu’on lui passe, et il fait tomber les grains par les intervalles du treillage.

Les riz des montagnes se sèment aussi quelquefois sans aucun labour.

Culture du riz pour les défrichements.

Après avoir coupé les arbres et les broussailles qui recouvrent le terrain, on y met le feu, et ensuite on sème le riz en faisant, avec un bâton ou plantoir, un trou dans lequel on met trois à quatre grains de riz; ou bien on se contente de semer à la volée, et de renfermer dans le champ, pendant une nuit, un troupeau de buffles qui, par leurs piétinements, enfoncent les grains dans la terre. Dans cette sorte de culture l’herbe pousse vigoureusement, et oblige à plusieurs sarclages; mais la peine du cultivateur est amplement payée par une abondante récolte, qui généralement produit de 100 à 120 pour un.

Dans les petites cultures, on coupe les épis un à un, pour les faire ensuite sécher au soleil. Cette manière de récolter, longue et ennuyeuse, offre, sur celle qui se fait en grand, l’avantage de préserver une partie des grains de la voracité des oiseaux.

Toutes les autres espèces de riz des montagnes se sèment de la même manière que celui appelé pinursegui. Ce dernier a l’avantage sur les autres de se récolter trois mois ou trois mois et demi après la semence, tandis qu’il faut au moins cinq mois pour les autres.

2o Culture des riz aquatiques.

Les diverses espèces de riz aquatiques sont au nombre de neuf10. Ils se cultivent de la même manière. Les deux derniers, malaquit-puti et malaquit-pula, ne servent pas pour les aliments habituels; l’un a le grain d’un blanc mat, tandis que l’autre l’a d’une belle couleur violette, même à l’intérieur. Tous les deux s’emploient généralement pour des friandises, et pour faire une colle qui remplace l’amidon.

Les cultures de ces divers riz se font par semis, qui se transplantent dans des terres préparées ad hoc.

Pour un terrain d’une superficie de 10,000 mètres, soit un hectare, il faut à peu près de 90 à 100 kilog. de semences.

Semis.

Aussitôt les premières pluies, dans le mois de juin, on prépare la terre pour recevoir la semence; on la couvre d’abord de 15 à 20 centimètres d’eau, ensuite on lui donne un bon labour à la charrue, et on y passe le peigne (fig. E.) jusqu’à ce qu’elle soit réduite en vase liquide; on laisse ensuite écouler les eaux, et on y jette la semence, qui préalablement, pour faciliter la germination, a été mise pendant vingt-quatre heures à tremper dans l’eau. Lorsque le champ est entièrement recouvert de semence, on passe sur toute la superficie une planche longue d’un mètre et demi à deux mètres. Cette opération a pour but d’enfoncer les grains dans la vase, et de les en recouvrir.

Pendant les cinq ou six premiers jours, il n’est pas utile d’irriguer; mais si, lorsque les plantes sont déjà élevées à quelques centimètres de terre, les sécheresses étaient trop fortes, il faudrait faire une irrigation en ayant soin de ne pas couvrir totalement les jeunes feuilles d’eau, car sous l’eau elles périraient.

Plantation.

Quarante à quarante-cinq jours après que la semence a été mise en terre, le riz est en état d’être transplanté. La terre qui doit recevoir les jeunes plantes est divisée en grands carrés, entourés de petites chaussées qui servent à retenir les eaux. Après qu’elle en a été complétement couverte, on lui donne un labour à la charrue, et ensuite, comme pour les semailles, au moyen d’un peigne on la réduit en vase liquide. Le lendemain, on écoule les eaux et on prépare les plants qui doivent y être placés.

Ordinairement ce sont des hommes qui sont chargés d’arracher le plant, et des femmes de le mettre en terre.

Deux hommes suffisent pour cette opération: l’un arrache le plant, et l’autre le conduit au lieu de la plantation, qui n’est jamais bien éloigné, et le distribue aux planteuses.

Celui qui est chargé de l’arracher a devant lui une petite table, fixée en terre par un pieu, et une grande quantité de petits liens en bambou, qu’il porte à la ceinture, comme nos jardiniers portent le jonc quand ils taillent les arbres. Il arrache le plant sans aucune précaution, coupe sur sa petite table les feuilles et les longues racines, en forme de petites bottes de la grosseur d’un bras, et les place dans une espèce de traîneau auquel est attelé un buffle.

L’autre Indien les conduit au lieu de la plantation, et jette les bottes dans toutes les directions sur le terrain qui doit être planté, les séparant assez les unes des autres pour que les planteuses puissent les prendre en allongeant le bras, sans avoir à se déranger de la direction qu’elles suivent pour faire la plantation.

Les planteuses, dans la vase jusqu’à mi-jambe, sont placées sur une même ligne; elles marchent à reculons, prennent les petites bottes de plants qui ont été jetées sur le champ, en défont le lien, séparent un à un les plants, les enfoncent avec le pouce dans la vase, en observant de les placer à une distance de dix à douze centimètres les uns des autres.

Elles ont une si grande habitude de cette plantation, elles la font avec une rapidité et une régularité si parfaites, qu’on serait tenté de croire qu’elles se sont servies d’une mesure pour conserver la distance qui existe d’une plante à l’autre.

Aussitôt la plantation terminée, et malgré un soleil ardent, on laisse le champ sans eau pendant huit à dix jours; mais dès que les plants commencent à pousser leurs feuilles vertes, s’il n’y a pas de pluies, on irrigue et on recouvre la terre de cinq à six centimètres d’eau; au fur et à mesure que la plante s’élève, on augmente la quantité d’eau.

Il est rare qu’il soit nécessaire de faire un sarclage; mais les bons cultivateurs ont soin de débarrasser les champs des grandes plantes aquatiques qui nuiraient au riz.

Lorsque le riz a acquis sa plus grande hauteur, un mètre dix à un mètre vingt centimètres, il n’est plus nécessaire d’irriguer; il serait même nuisible de le faire à l’époque de la floraison.

Quelquefois le terrain est si fertile, que la plante acquiert une hauteur presque égale à celle de nos blés; alors elle croit tout en herbe, et, pour l’obliger à produire, un Indien armé d’une longue perche, sur le milieu de laquelle il marche pour lui donner plus de poids, couche toutes les plantes, qui semblent alors avoir été versées par un fort coup de vent.

Quatre mois après la plantation, c’est-à-dire cinq mois et demi après les semailles, le riz est à sa maturité et bon à récolter. On le coupe à la faucille. Des hommes et des femmes sont chargés de ce travail. Au fur et à mesure, on en fait de grosses gerbes, qui sont placées en meules sur un terrain élevé pour attendre le moment du triage.

Dans quelques parties de l’île de Luçon, cette première récolte est remplacée par une seconde plantation d’une espèce de riz plus précoce (par celle de montagne, nommée pinursegui); mais alors le semis s’est fait à l’avance, et d’une manière toute différente de celle dont je viens de donner la description.

Trois semaines ou un mois avant la première récolte, les Indiens placent sur les étangs, sur les rivières, de petits radeaux en bambous qu’ils recouvrent d’une forte couche de paille, et sur cette paille ils font leur semis; les grains poussent, les racines s’entrelacent à la paille, et vont à la surface de l’eau puiser leur nourriture. Lorsque la première récolte a été faite, lorsque le champ a reçu un labour et qu’il a été préparé à recevoir la seconde plantation, on enlève le semis du radeau, en roulant tout simplement la paille comme on roulerait une natte; on la transporte au lieu de la plantation, et là on arrache une à une les jeunes plantes, on les débarrasse des feuilles et des longues racines, et on les met en terre. Moins de trois mois après, on obtient une seconde récolte, bien moins abondante, il est vrai, que la première, mais qui cependant indemnise largement le cultivateur.

L’Indien des Philippines a étudié tous les moyens possibles de se procurer son aliment naturel, et il a profité de tous les avantages que lui fournit la nature féconde de son pays. Aussi emploie-t-il encore une autre méthode pour obtenir presque sans travail d’abondantes récoltes.

Une espèce de riz essentiellement aquatique (macon sulug) donne d’abondants produits, quoique baignée continuellement par les eaux.

Dans quelques parties de l’île où se trouvent des marais, des lacs de petite profondeur, les Indiens préparent des semis de cette espèce de riz, qui a la propriété de donner de très-longues feuilles.

Ces semis se font comme pour l’espèce aquatique.

Six semaines après, on arrache le plant, on coupe les racines, mais on a bien soin de conserver les feuilles dans toute leur longueur.

On les place dans de légères embarcations, et un Indien parcourt toute la partie du lac où son bras peut atteindre le fond; il enfonce le plant dans la vase, et laisse surnager la feuille.

Bientôt ces feuilles prennent de la force, et s’élèvent au-dessus de l’eau, à peu près à la même hauteur que si la surface de l’eau était la terre.

Survient-il un accident qui fasse monter les eaux? la tige du riz s’élève encore, si elle peut surnager. La plante ne périt que lorsqu’elle est entièrement submergée.

Enfin, quatre mois après la plantation, on fait la récolte avec de petites embarcations, au moyen desquelles on parcourt toute la partie du lac qui a été plantée.

Toutes les espèces de riz produisent d’abondantes récoltes; on peut toujours compter pour les plus exiguës sur 25 pour un, et dans les bonnes, 60 et 80.

Un seul fléau, qui arrive à peu près tous les sept ou huit ans, prive le cultivateur de ses peines et de ses fatigues: je veux parler des sauterelles, qui tout à coup, comme de gros nuages, viennent s’abattre sur un champ couvert d’une luxuriante végétation, et la détruisent dans un instant jusqu’à la racine.

Quelquefois de grandes sécheresses détruisent également les rizières des montagnes. Aussi l’Indien dit-il: De l’eau, du soleil, point de sauterelles, et nos récoltes sont assurées.

§ XIII.—Culture de l’indigo.—Sa récolte.

Dans diverses parties des Philippines, particulièrement à Luçon, on cultive l’indigo avec succès.

Cependant cette culture est celle qui présente le plus d’éventualités. Quelques jours de mauvais temps et de vent détruisent souvent toute la récolte. Quelquefois aussi des myriades de chenilles dévorent dans quelques heures toutes les feuilles; ce qu’elles laissent ne suffit pas pour payer les frais de manipulation.

Mais si la saison a été favorable, s’il n’arrive pas d’accidents, si la fabrication se fait avec intelligence, le prix élevé de l’indigo indemnise largement le cultivateur.

Pour la culture, aussitôt après l’hivernage, avant la saison des grandes chaleurs et lorsque l’on n’a pas à craindre de fortes pluies, on prépare les terres par deux ou trois bons labours à la charrue et plusieurs hersages, jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement ameublies, et on sème à la volée.

La plante sort de terre le troisième ou le quatrième jour. Elle pousse tant qu’elle trouve un peu d’humidité; mais les sécheresses la font demeurer stationnaire pendant tout le temps de leur durée. Aussitôt que les premières pluies arrivent au commencement de la mousson d’ouest, elle s’élève avec vigueur, ainsi que toutes les mauvaises herbes; c’est alors qu’il faut faire successivement un, deux, et parfois trois sarclages.

Deux mois et demi après les premières pluies, les plantes ont acquis toute leur hauteur, et l’on reconnaît qu’elles sont bonnes à récolter lorsque la feuille est épaisse, recouverte d’un velouté blanchâtre, et qu’elle est cassante à la moindre pression.

La maturité arrive ordinairement vers la fin du mois de juillet, au milieu de la saison des pluies.

A cette époque, on a déjà préparé tout ce qui est nécessaire pour la fabrication, afin de ne pas être pris au dépourvu et de ne pas donner aux plantes le temps de se dégarnir d’une partie de leurs feuilles, ce qui arriverait si on ajournait la récolte.

Des préparatifs plus ou moins considérables sont nécessaires, selon l’importance de la récolte. Ils consistent en plusieurs batteries.

Chacune d’elles est ainsi composée:

Deux grandes cuves d’un diamètre de 2 mètres 70 centimètres à 2 mètres 80 centimètres, et de 3 mètres de profondeur. L’une sert pour la fermentation, et l’autre pour le battage. Cette dernière doit être un peu plus petite que la première.

Elles sont toutes deux placées sur le bord d’un ruisseau ou d’une rivière, pour la facilité de l’eau. Celle destinée à la fermentation doit être placée sur un plan assez élevé pour qu’au moyen de robinets établis longitudinalement, toute l’eau qu’elle contient puisse être transvasée dans la cuve du battage.

Un ou deux seaux sont placés à l’extrémité de balanciers, avec des poids à l’autre extrémité. Ces balanciers, fixés sur des fourches, s’élèvent à quelques mètres au-dessus de la cuve de fermentation.

Cet appareil à puiser est en tout semblable à celui que l’on voit sur les bords du Nil, en Espagne, et dans quelques-unes de nos contrées méridionales:

Deux longs bambous, armés à l’extrémité d’une petite planchette de 12 à 15 centimètres de longueur sur 5 à 6 centimètres de largeur, que l’on nomme battoirs;

Enfin sous un hangar, à une petite distance des batteries, une petite cuve, des hamacs ou couloirs en grosse toile de coton, une petite presse et de grandes claies pour la dessiccation.

Tout étant ainsi disposé, on commence la récolte.

Dans la première journée, on coupe assez de plantes pour avoir toujours un jour d’avance.

La plante est coupée à ras du sol avec l’espèce de coutelas que l’Indien a toujours au côté, et qu’il nomme bolo.

Si la saison se comporte favorablement, la plante repousse, et donne quelquefois successivement deux ou trois récoltes dans la même année.

Chaque batterie est conduite par deux Indiens, l’un pour remplir la cuve de plantes, l’autre pour la remplir d’eau, et tous deux pour exécuter le battage.

De grand matin, la cuve de fermentation est chargée de toute la quantité de plantes qu’elle peut contenir.

On les maintient au niveau des bords de la cuve avec des madriers qui viennent se fixer à de petits tasseaux ménagés dans les douilles. Sans cette précaution, elles surnageraient.

Lorsque cette cuve est pleine d’eau et de plantes, on l’abandonne à la fermentation, qui s’opère ordinairement en vingt ou vingt-quatre heures, selon la température.

Quand la fermentation est arrivée à son plus haut degré, ce qui a lieu le lendemain matin, on enlève les plantes de la cuve, en ayant soin de bien les secouer pour qu’il n’y reste pas d’eau.

Lorsqu’il n’y reste plus que le liquide, qui est alors d’un vert émeraude, on divise dans un seau d’eau une certaine quantité de chaux vive, que l’on verse avec soin dans la cuve de fermentation, sans remuer le liquide qu’elle contient.

L’Indien alors prend un des battoirs, le plonge au fond de la cuve, et fait quelques mouvements pour que la chaux se répande partout.

Il juge alors s’il en a mis assez par la couleur, qui change subitement de nuance. De vert émeraude, le liquide devient vert foncé, et paraît contenir une grande quantité de petits grumeaux, qui ne sont autre chose que l’indigo encore en dissolution.

La quantité de chaux nécessaire ne peut être appréciée que par un homme expérimenté.

De cette quantité dépend exclusivement la qualité que l’on veut obtenir, ainsi que les diverses nuances.

Après que la chaux a été mise dans le liquide, on laisse reposer pendant quelques minutes, pendant lesquelles se précipitent au fond de la cuve toutes les parties étrangères à l’indigo, qui, encore à l’état de solubilité dans l’eau, y reste en suspens.

Après quelques minutes écoulées, on ouvre, les uns après les autres, les robinets superposés sur toute la hauteur de la cuve, et le liquide s’écoule dans la cuve du battage.

On travaille ensuite à remplir la cuve de nouvelles plantes, après toutefois l’avoir débarrassée du dépôt de chaux et de terre qui est resté au fond.

Dans l’après-midi on procède au battage.

Les deux Indiens, armés de leurs battoirs, agitent avec force le liquide en le ramenant du fond à la surface, pour le mettre en contact avec l’air, qui le rend insoluble dans l’eau.

Lorsqu’il a pris une belle couleur bleue, l’opération est terminée.

Trois ou quatre heures après, tout l’indigo contenu dans le liquide s’est déposé au fond de la cuve; alors on ouvre les robinets superposés, pour laisser écouler l’eau au dehors.

Cette eau ne contient plus aucune partie colorante.

Chacune de ces opérations produit en moyenne 3 kilog. d’indigo.

Tous les six jours, lorsque 18 ou 20 kilog. sont récoltés, on les retire de la cuve pour les transporter dans une autre cuve beaucoup plus petite placée près des couloirs.

Dans cette dernière on laisse encore déposer, et on décante le plus possible avec un siphon.

Enfin, lorsqu’on ne peut plus en retirer de l’eau, et lorsque l’indigo est déjà comme une espèce de boue, on le place dans des couloirs, où il finit de s’égoutter.

Ensuite on le met sous la presse, d’où on le retire comme un gros gâteau que l’on divise au moyen d’un fil d’archal en petits carrés, que l’on place sur les séchoirs. Cette dessiccation, pour être complète, se fait souvent attendre plus d’un mois, selon l’état de la température.

Lorsque l’indigo est parfaitement sec, on le met dans des caisses pour le livrer au commerce.

Cette manière de faire la récolte est celle qui est usitée partout aux Philippines.

Cependant quelques grands cultivateurs y apportent une modification dont j’ai été le premier auteur, et qui réduit de beaucoup les frais de manipulation.

Cette modification consiste à remplacer les cuves pour la fermentation par un grand bassin en maçonnerie, disposé de manière à recevoir naturellement l’eau nécessaire pour le remplir dans l’espace d’une heure. A une distance de 50 à 60 mètres sur un plan au-dessous du niveau de ce bassin, on place le nombre de cuves nécessaires pour recevoir tout son contenu.

Ce bassin, dont les bords sont au niveau du sol, facilite beaucoup le travail, et apporte une grande économie de main-d’œuvre.

D’abord il se remplit sans qu’il soit nécessaire de puiser de l’eau à force de bras, et on évite de monter les plantes à une hauteur de 4 à 5 mètres.

L’Indien qui transporte la récolte à la fabrique arrive avec une petite charrette sans roues sur le bord du réservoir, et là, sans difficulté, il la décharge dans le réservoir même.

Les cuves pour le battage sont placées à une distance de 50 à 60 mètres sur une même ligne.

La première communique au réservoir par des bambous divisés en deux et formant une espèce de dalle; ensuite chaque cuve communique l’une avec l’autre par le même moyen. Le liquide se rend à la première cuve en recevant, dans toute la longueur du trajet qu’il parcourt, le contact de l’air.

Lorsque la première cuve est pleine, elle déverse par un robinet son trop-plein, qui va remplir la seconde cuve; et ainsi de suite jusqu’à la dernière.

Tout ce mouvement que reçoit le liquide est un véritable battage qui se complète avec peu de travail, et les deux tiers de moins d’ouvriers que dans le système des cuves de fermentation.

Les diverses autres cultures aux Philippines présentent si peu de différence avec celles des mêmes produits pratiquées dans d’autres pays, que je crois inutile de les décrire ici.

§ XIV.—Culture du tabac.

Après le riz, le tabac est le produit qui donne, pécuniairement parlant, les plus grands résultats, bien qu’il soit mis en régie et ne puisse être vendu qu’au gouvernement.

C’est dans les provinces de Nueva-Ecija et de Cagayan que l’on cultive la plus grande quantité de tabac.

Cette culture diffère sans doute bien peu de celle mise en pratique dans tous les pays du monde: elle consiste à faire de grands semis qui sont ensuite transplantés dans des terres bien ameublies par plusieurs labours à la charrue et à la herse. On repique les jeunes plantes par lignes distantes de 1 mètre 50 centimètres les unes des autres, et sur la longueur on laisse 1 mètre d’intervalle entre chaque plant.

Pendant les deux mois qui s’écoulent après la plantation, il est indispensable de donner quatre labours avec la charrue entre chaque rang, et après chaque labour, tous les quinze jours, détruire à la main, ou mieux avec la pioche, les herbes qui n’ont pu être atteintes avec la charrue.

Les quatre labours doivent être pratiqués de manière à former alternativement un sillon au milieu de chaque ligne et sur les côtés; et par conséquent, au dernier labour, la terre recouvre les plantes jusqu’aux premières feuilles, et il reste une rigole au milieu pour l’écoulement des eaux.

Aussitôt que chaque plant a acquis une hauteur suffisante, on l’étête pour obliger la sève à se porter vers les feuilles; et quelques semaines après on fait la récolte.

Récolte.

Cette récolte consiste à arracher du tronc les feuilles, et à les diviser en trois classes selon leur grandeur, et ensuite à les réunir par 50 ou 100, en les traversant vers le pied avec une petite baguette de bambou, de manière à en former des espèces de brochettes que l’on suspend dans de vastes hangars où le soleil ne doit pas pénétrer, mais où l’air circule librement. On les laisse dans ce hangar jusqu’à ce que la dessiccation soit parfaite; elle se fait plus ou moins attendre, selon la température. Lorsqu’elle est terminée, chaque qualité est réunie par ballots de 25 livres, et ensuite livrée dans cet état à la régie.

La culture du tabac est l’une des plus importantes de la colonie.

Le gouvernement espagnol a mis ce produit en régie, et il emploie dans ses deux manufactures de Binondoc et de Cavite 15 à 20,000 ouvriers, hommes et femmes, occupés à la fabrication des cigares et des cigarettes. Cette grande quantité d’ouvriers ne suffit pas à fournir aux besoins de l’exportation et à ceux de la population.

Les seuls produits de la régie des tabacs suffisent et au delà pour couvrir toutes les dépenses du gouvernement colonial.

§ XV.—Culture de l’abaca ou bananier (soie végétale).

L’abaca se cultive exclusivement sur les versants des montagnes. Il pousse vigoureusement dans les terres volcaniques, et s’y reproduit indéfiniment.

La graine, que chaque plante donne abondamment, n’est point employée pour sa reproduction; si l’on s’en servait, il faudrait attendre trop longtemps pour obtenir une première récolte: c’est le pied même d’un vieux plant, préalablement divisé en autant de morceaux que l’on aperçoit d’indices d’où doivent sortir de nouvelles pousses, qui sert à former une nouvelle plantation.

Pendant la saison des sécheresses on prépare le terrain, on coupe toutes les broussailles et les jeunes arbres; on conserve seulement les plus élevés, pour donner de l’ombre. Les deux premières années, lorsque le sol est bien nettoyé, on trace des lignes transversales à la montagne, espacées de 3 mètres ½ les unes des autres. On ouvre, avec une pioche, des trous de 10 à 15 centimètres de profondeur, et d’un diamètre à peu près égal. Aux premières pluies on place un morceau dans chaque trou, et on le recouvre de terre.

Les deux premières années, il faut pratiquer de fréquents sarclages, détruire les broussailles qui gêneraient les jeunes plantes, et à plusieurs reprises, pendant la saison des pluies, remuer la terre avec la pioche.

La seconde année, les longues et larges feuilles, élevées de 4 à 5 mètres du sol, suffisent pour empêcher les herbes et les broussailles de pousser.

Récolte.

Après trois ans de plantation, chaque plante a produit de 12 à 15 jets, dont une partie a donné des fruits, indice qu’elles doivent être coupées. Pour en tirer les filaments, on sépare les feuilles des troncs, et ces derniers sont transportés hors du champ au lieu de la manipulation, où des femmes les divisent en longues lanières de 8 à 10 centimètres de largeur, séparant les premières couches des couches intérieures. Les premières couches fournissent l’abaca qui sert aux cordages, et les autres, dont les filaments sont plus fins, servent aux tissus.

Les lanières sont exposées au soleil pendant quelques heures, pour les rendre plus flexibles. Ensuite un Indien, placé devant un petit banc sur lequel vient s’abaisser par la pression du pied une lame en fer, place une des lanières sur le banc, pèse sur son marchepied, fait descendre la lame sur la lanière, la tire avec force vers lui, et, au moyen de ce mouvement et de la pression, les filaments se séparent du parenchyme et sortent d’un beau blanc. Après cela il suffit de les exposer quelques heures au soleil pour qu’ils soient en état d’être livrés au commerce.

Tous les ans, à l’époque des sécheresses, on a une nouvelle récolte, et une plantation faite dans un terrain convenable dure indéfiniment.

§ XVI.—Culture du café.

La culture de cet arbuste se pratique de la même façon que dans toutes nos colonies. Elle consiste à faire de grands semis dans des lieux garantis du soleil, soit naturellement par des arbres, ou artificiellement par de petits toits en paille.

Lorsque les caféiers ont acquis une élévation de 15 à 20 centimètres, on les transplante dans le terrain préparé à cet effet. C’est ordinairement dans les grands bois, à l’exposition du soleil levant, et sur une pente où préalablement on a détruit toutes les broussailles, les petits arbres, et conservé seulement ceux dont l’ombre est nécessaire. Ensuite, sur des rangs séparés les uns des autres de 3 mètres, on ouvre des trous de 2 mètres en 2 mètres, et l’on y place les jeunes plants, dont on recouvre les racines avec de la terre meuble.

Les premières années, on est obligé, à trois fois différentes, de détruire avec la pioche les mauvaises herbes. Lorsque les caféiers ont acquis l’âge de trois ans, époque où ils commencent à produire, il suffit de faire chaque année, après la récolte, un bon sarclage. La quatrième et la cinquième année, on les étête à la hauteur de 10 pieds du sol: une trop grande élévation nuirait au développement des branches horizontales, qui sont celles qui produisent le plus, et serait une difficulté pour la récolte.

Récolte.

La récolte se fait par cueillette, au fur et à mesure que les fruits passent du vert à un beau rouge cerise.

Dans nos colonies, aussitôt les fruits cueillis, on les met au soleil pour les sécher avec toute la pulpe; ensuite on les pile dans des mortiers pour séparer la pulpe séchée et le parchemin, ou seconde enveloppe du grain.

Les Indiens, aux Philippines, après chaque cueillette écrasent avec la main la pulpe, et la séparent des grains en la lavant à grande eau. Après cette manipulation, les grains, qui conservent seulement leur seconde enveloppe ou parchemin, sont séchés pendant quelques heures au soleil et ramassés dans des sacs.

Par la première méthode, il faut plusieurs semaines pour opérer la dessiccation. S’il survient des pluies et qu’on n’ait pas la précaution de remuer trois ou quatre fois par jour les grands amas qui sont à sécher, il s’y établit une fermentation qui doit nécessairement nuire à la qualité du café. Par la méthode indienne, il suffit d’un beau jour de soleil pour opérer une parfaite dessiccation, et pour que la récolte puisse être mise en magasin.

§ XVII.—Culture du cacao.

Le cacao croît facilement dans toutes les localités de l’île de Luçon; mais c’est l’île de Cebu qui fournit la meilleure qualité, et où cette culture se fait le plus en grand.

Les terres d’alluvion qui ont un grand fond et qui sont un peu ombragées par de grands arbres sont les plus convenables pour cette culture, qui exige la première année bien plus de frais et de main-d’œuvre que celle du café. Après avoir, comme pour cet arbuste, détruit toutes les broussailles, les mauvaises herbes et tous les arbres qui donneraient trop d’ombrage, on ouvre en quinconce des fosses de 4 à 5 pieds de profondeur sur un carré à peu près égal; on passe la terre à la claie, on y mêle les détritus des plantes que l’on a détruites, et on rejette la terre dans la fosse; ensuite on place au milieu les jeunes plants, qu’on a eu soin de faire pousser trois semaines auparavant dans une petite portion de terre contenue dans des feuilles de bananier.

Pendant deux ou trois ans on bêche les jeunes arbustes, et l’on détruit toutes les mauvaises plantes qui pourraient leur nuire.

Récolte.

Cette récolte consiste à cueillir les fruits à leur maturité, à les ouvrir, à séparer les fèves du parenchyme, et à les faire sécher.

§ XVIII—Culture du coton.

Cette culture se fait en grand, particulièrement dans les provinces d’Iloco; elle est de tous les produits des Philippines celui qui demande le moins de frais. Ordinairement il remplace une récolte de riz de montagne. Aussitôt que cette récolte est faite, on donne un petit labour à la charrue, et, sur des lignes tracées avec le même instrument de mètre en mètre, on met quelques grains de coton que l’on recouvre de terre. A peu près deux mois après, les cotonniers commencent à entrer en fleurs et à produire des fruits que l’on récolte tous les jours, pendant que le soleil est le plus ardent.

Cette récolte continue jusqu’aux premières pluies, qui détruisent les arbustes ou tachent le coton qu’ils produisent alors.

§ XIX.—Culture du poivre.

Autrefois l’île de Luçon, et particulièrement les provinces de la Laguna et de Batangas, livraient une grande quantité de poivre au commerce. La compagnie des Philippines, qui avait alors le monopole, arrêta avec les cultivateurs le prix d’une mesure nommée ganta; mais lorsque ces derniers vinrent à Manille livrer leurs récoltes, les agents de la compagnie avaient changé la mesure, et lui avaient donné une capacité double de celle qui avait servi de base au marché. Les Indiens, furieux d’avoir été trompés, retournèrent dans leur province, et en quelques jours détruisirent toutes leurs plantations; de sorte que maintenant l’île de Luçon ne fournit que le poivre nécessaire à la consommation du pays.

Le poivre se cultive généralement près des montagnes, dans les parties où les fortes rosées entretiennent un peu d’humidité. Cette plante parasite exige peu de culture; elle croît de bouture. Il suffit d’en couper un morceau long de 15 à 20 centimètres, de le courber en deux, de recouvrir le milieu de terre, et de lier les deux extrémités contre un support de 5 à 6 pieds d’élévation, autant que possible de bois mort recouvert encore de son écorce et susceptible d’absorber beaucoup d’humidité. La jeune plante s’y attache, pousse jusqu’au sommet; et il suffit, pour la faire produire, de quelques sarclages, et de bêcher une fois par an la terre autour de chaque pied.

Récolte.

La récolte se fait par cueillette, au fur et à mesure que les grains passent du vert au noir. Ces grains sont mis sur des nattes, et exposés pendant quelques jours au soleil.

§ XX.—Culture du froment.

Le froment, à l’île de Luçon, qui produit de soixante à quatre-vingts pour un, se cultive sur les montagnes, dans diverses provinces, particulièrement dans celles de Batangas et Ylocos-Nord. Pour cette culture, les Indiens préparent la terre absolument comme pour celle du riz des montagnes. Vers la fin du mois de décembre ou au commencement de janvier, ils font les semailles; trois semaines ou un mois après, un bon sarclage, exécuté ordinairement par des femmes; et trois mois et demi ou quatre mois après les semailles, l’on fait la récolte, qui ne diffère en rien de celle du riz des montagnes.

§ XXI.—Culture de la canne a sucre.

La culture de la canne à sucre se pratique par deux méthodes différentes: l’une pour les terres nouvellement mises en culture, et l’autre pour celles qui peuvent être travaillées à la charrue.

Première méthode:

Cette première méthode est un des plus puissants moyens pour opérer à peu de frais de grands défrichements. Elle consiste, vers le mois d’octobre, à couper tous les arbres et broussailles qui recouvrent la terre destinée à la plantation. Cette opération doit se faire avec soin, et on ne doit pas négliger, aussitôt qu’un arbre est abattu, de le dégarnir complétement de ses branches; si on attendait quelques jours, le bois se séchant rendrait cette main-d’œuvre plus difficile et plus coûteuse. Quinze jours après que tout le bois a été abattu, on choisit une belle journée, sans vent, et avec un soleil ardent, pour y mettre le feu.

Le lendemain, quand tout est brûlé, moins les arbres d’une certaine dimension, on s’occupe de suite à former un entourage pour garantir la plantation des animaux. Pour construire cet entourage, on se sert des arbres qui n’ont pas été brûlés, et qui recouvrent une partie du sol: les plus gros, qui offriraient beaucoup de difficultés pour être enlevés, restent sur le champ pour être brûlés l’année suivante.

Après que la clôture est terminée, ou pendant le temps qu’on y travaille, on met des ouvriers à préparer le sol pour recevoir le plan des cannes. Chaque ouvrier est muni d’une corde pour tracer des lignes de quatre à cinq pieds de distance les unes des autres, et sur chacune de ces lignes, à trois pieds de distance, il ouvre à la pioche une petite fosse d’un pied et demi de long sur cinq à six pouces de large et au moins six pouces de profondeur. C’est dans ces fosses que l’on place les plants. Avant de faire les trous pour recevoir les plants, il est indispensable de diviser son champ en grands carrés de quatre-vingts à cent mètres sur chaque fosse, et séparés entre eux par des allées d’au moins trois mètres.

Toutes ces opérations terminées, on prépare le plant. C’est l’extrémité des cannes que l’on récolte qui sert de plant. On coupe ces extrémités de dix à douze pouces de long, on les lie en gros paquets comme des asperges, et on les met pendant au moins trois jours à tremper dans une eau, autant que possible, non corrompue.

Après trois jours on les retire de l’eau, on défait les paquets sur les lieux de la plantation, et on les livre aux planteurs. Ceux-ci les dépouillent en partie de leurs feuilles et en placent deux dans chaque fosse, de manière que tout le plant repose parfaitement dans toute sa longueur sur la terre. Si le fond de la fosse n’est pas de niveau, on ajoute un peu de terre, pour que tout le plant porte sur la terre.

Chaque plant doit avoir son extrémité opposée à celui placé dans la même fosse; ensuite on recouvre légèrement avec un peu de terre très-divisée.

Si la plantation était faite dans un temps de grande chaleur, et que la terre fût très-sèche, il serait indispensable, avant de placer le plant dans la fosse, d’y jeter un litre et demi ou deux litres d’eau.

Lorsque la plantation est finie, l’on n’y touche plus jusqu’à ce que la mauvaise herbe commence à se montrer. Il faut alors avoir grand soin de la détruire au fur et à mesure qu’elle pousse, car sans cela elle étoufferait les jeunes cannes. Mais lorsque celles-ci se sont élevées de terre et qu’elles recouvrent tout le sol de leurs longues feuilles, il n’est plus nécessaire de faire de sarclage, ni aucun travail, jusqu’à la récolte.

C’est ordinairement dans le mois de mars, jusqu’à la fin de mai, et même au commencement de juin, que l’on fait les plantations selon la méthode que je viens de décrire.

Dix à douze mois après, la canne est bonne à récolter.

Aussitôt que l’on a coupé toutes celles qui recouvrent un des grands carrés qui forme une des divisions de la plantation, on nettoie avec grand soin toutes les allées qui l’entourent des herbes sèches et des feuilles de cannes qui s’y trouvent; et au moment de la journée où il y a le moins de vent on entoure le carré d’ouvriers avec des branches à la main, et l’on met le feu à l’amas de feuilles qui généralement recouvre le champ d’une épaisseur d’un pied et demi à deux pieds, et dans quelques minutes le feu a tout réduit en cendres.

La précaution que l’on prend de nettoyer les allées et de mettre des ouvriers avec des branches, est nécessaire pour éviter que le feu ne se communique aux autres parties du champ qui n’ont pas encore été récoltées.

Quelques jours après avoir brûlé les feuilles, on passe quelques traits de charrue près des souches, de manière à les dégarnir et rejeter la terre au milieu des rangs.

Cette première fois, le travail de la charrue offre des difficultés et doit se faire avec précaution; car une grande partie des racines des arbres qui ont été coupés pour être remplacés par la canne ne sont pas encore détruites, et le labour, par conséquent, ne se fait que très-difficilement. Si la difficulté était trop grande, il faudrait remplacer la charrue par la pioche, et dégarnir chaque pied en rejetant la terre au milieu des rangs.

Aussitôt que les premières pluies commencent, et que les mauvaises herbes poussent avec les cannes, il faut les détruire, partie avec la charrue, si c’est possible, et partie avec la pioche, si on ne peut pas se servir de la charrue. Cette opération de sarclage se fait ordinairement trois fois dans l’année; à la seconde, on bine légèrement les pieds des cannes, et à la troisième fois, on ajoute encore un peu de terre au pied. Mais cette opération de binage doit varier selon la fertilité du terrain et l’âge de la canne; plus la canne est jeune et le terrain fertile, moins il faut mettre de terre au pied. Je vais expliquer pourquoi:

La canne, à l’inverse des autres plantes, tend toujours à s’élever au-dessus de la terre; c’est-à-dire que si la première année vous l’avez plantée à six pouces au-dessous du sol, à la seconde année elle ne se trouve qu’à trois pouces, à la troisième à la superficie, et à la quatrième tout à fait au-dessus de la terre qui a servi de binage. Ainsi, plus on met de terre, et plus vite elle monte; et l’on perd alors quelques années de récolte.

Dans une terre fertile, il suffit de recouvrir légèrement le pied de la canne pour qu’elle pousse avec vigueur et produise bien; et alors on augmente le binage peu à peu, pour avoir de la même plantation le plus grand nombre de récoltes possible.

A la troisième année, généralement tous les troncs d’arbres et les racines sont détruits, et presque tout le travail peut se faire à la charrue. Seulement on se sert de la pioche pour le binage, qui alors doit être assez fort pour bien recouvrir le pied de la canne à une hauteur de dix à douze pouces.

Voilà à peu près tout ce qu’il est important d’observer pour une plantation par défrichement.

Cependant je dois ajouter une recommandation des plus importantes: c’est de ne jamais planter plus que l’on ne peut entretenir, et si l’on avait commis cette faute, abandonner plutôt une partie de la plantation pour soigner convenablement l’autre, que de mal entretenir le tout.

Culture a la charrue.

La culture de la canne à sucre à la charrue coûte moins que par défrichement; mais aussi elle produit un moins grand nombre d’années: deux récoltes, quelquefois trois, dans de très-bonnes terres.

Une des premières conditions est, vers les mois de novembre, décembre et janvier, de bien préparer la terre que l’on veut planter, de la rendre bien meuble en y passant au moins trois fois la charrue et deux fois la herse. Lorsque la terre est bien ameublie et bien labourée à la plus grande profondeur possible, on divise le champ par grands carrés de 80 à 100 mètres sur chaque face, entre lesquelles on laisse des allées de 3 et 4 mètres de large. Cette division est nécessaire pour faciliter l’incinération des feuilles à la récolte, comme il est dit pour les plantations par défrichement.

Lorsque le champ est divisé, on donne une troisième et dernière façon à la charrue. Cette dernière main-d’œuvre est pour tracer les lignes où doit être placée la canne. Ces lignes sont distantes les unes des autres de quatre pieds à quatre pieds et demi; et comme ce dernier labour se donne en forme de sillon, c’est la division de chaque sillon qui forme les lignes où doivent se faire les trous pour recevoir les plants.

Lorsqu’on a terminé le labour, on entoure la plantation de palissades pour les préserver des animaux qui pourraient détruire les cannes, et on prépare le plant comme pour une plantation par défrichement. Ensuite, des ouvriers, avec des pioches, ouvrent sur les lignes des fosses comme pour une plantation par défrichement, et d’autres ouvriers qui les suivent par derrière y placent le plant, et le recouvrent légèrement de terre.

Si la plantation s’est faite dans un temps convenable, il n’est pas nécessaire d’arroser; mais si c’était au moment des sécheresses, il serait indispensable, avant de placer le plant dans la fosse, d’y jeter un à deux litres d’eau. Ordinairement, c’est pendant la récolte que l’on fait les plantations, parce qu’alors on se sert pour plant des extrémités des cannes qui ont été récoltées; mais cette époque est celle des plus grandes sécheresses, l’eau est alors indispensable. C’est généralement une main-d’œuvre longue et coûteuse de transporter aux champs des milliers de litres d’eau: pour l’éviter, et pour éviter également trop de main-d’œuvre de sarclage, il faut avoir un champ de cannes destiné à la plantation, et qui doit exclusivement servir de pépinière pour le plant.

On fait la plantation au mois de décembre ou de janvier, avant de commencer la récolte, à l’époque où il n’y a plus de grandes pluies, mais où la terre est encore très-humide. Alors le plant pousse vigoureusement, et la canne est déjà grande lorsque les premières pluies commencent à tomber. Un sarclage ou deux suffisent pour détruire les plantes parasites, qui ne commencent à pousser qu’aux premières pluies.

Soit enfin que la plantation ait été faite pendant la sécheresse, ou à l’époque où la terre conserve encore de l’humidité, la culture pendant sa croissance est la même. Aussitôt les premières pluies, dès que la mauvaise herbe commence à pousser, il faut passer entre chaque rang la charrue, en ayant soin de conserver le sillon au milieu du rang, et de garnir toujours un peu les pieds des cannes. Après une façon de charrue, il est presque indispensable de sarcler avec la main et la pioche autour de chaque pied, pour détruire les mauvaises herbes que la charrue ne peut pas atteindre.

Ordinairement, pendant le temps que la canne met à pousser et à acquérir une hauteur assez grande pour que l’herbe ne pousse plus, il faut passer trois fois la charrue et sarcler trois fois.

La récolte se fait comme pour les plantations par défrichement.

Dès que les cannes d’un carré ont été coupées, il faut brûler les feuilles, et autant que possible passer immédiatement la charrue entre chaque rang, en rejetant la terre au milieu. Je dis le plus tôt possible passer la charrue, parce qu’au moment où on vient de brûler les feuilles la terre est très-humide, et le labourage se fait facilement. Si l’on attend quelques jours, le soleil, ardent à l’époque de la récolte, sèche la terre, et rend le labour moins facile et moins avantageux pour la repousse.

La canne plantée de cette manière produit, dans de bonnes terres, deux et trois récoltes.

Récolte.

La récolte de la canne se fait, aux Philippines, depuis janvier jusqu’à la fin de mai, époque des grandes chaleurs. Si cette récolte peut se terminer en deux mois, il serait préférable de la commencer dans le mois de mars, pour la terminer vers la mi-mai. C’est pendant ces deux mois que la canne produit un jus plus riche et plus chargé de sucre; c’est aussi l’époque où les pluies ne sont pas à craindre. Mais lorsque l’on a une grande plantation, et pas de moyens en bras et en machines pour la terminer en deux mois, c’est en janvier qu’il faut commencer, pour la terminer à la fin de mai, époque où commencent les grandes pluies.

Les ouvriers sont divisés en quatre escouades: deux pour le champ; une de coupeurs, l’autre de charretiers ou conducteurs de la canne à l’usine.

Pour l’usine, deux escouades: celle qui s’occupe de moudre la canne, et celle qui cuit le sucre.

Récolter avec économie dépend d’un bon moulin et de la distribution que l’on fait des ouvriers. Le moulin est l’âme du travail, c’est de sa bonne direction que dépend le bon emploi des ouvriers et l’utile concours de leur temps.

Si le moulin marche bien, avec de bons ouvriers bien choisis, ceux qui cuisent n’ont pas un instant à perdre, car ils sont obligés de cuire tout le jus que le moulin leur envoie. Si le moulin moud beaucoup de cannes, les coupeurs sont obligés d’accélérer leur travail, et ceux qui les transportent, de les conduire rapidement. C’est donc une précaution essentielle que d’avoir un bon moulin, et de bons ouvriers pour le conduire.

Deux jours avant de commencer à moudre, on fait couper autant de cannes que possible, que l’on fait transporter au moulin. Cette précaution est pour avoir à l’avance une provision, et être à l’abri de l’inconvénient de voir le moulin manquer d’aliment; car dans ce cas tout le travail est arrêté, et une partie des ouvriers reste inoccupée.

On doit recommander aux coupeurs de couper la canne aussi bas que possible, c’est-à-dire au ras de la terre; car toute la partie que l’on laisserait au-dessus de la terre serait autant de perdu, et un embarras pour la culture.

Je n’entrerai dans aucun détail sur la cuisson du sucre. Depuis quelques années on a apporté de si grandes améliorations dans les appareils pour la cuisson, qu’il serait impossible, dans une simple relation, de décrire ces nouveaux appareils et la manière de s’en servir.

Aux Philippines, la dernière amélioration qui a été faite a été de copier ce que l’on faisait, et peut-être ce que l’on fait encore, à Bourbon.

C’est une batterie composée ordinairement de cinq ou six chaudières qui vont en diminuant de dimension, depuis la première où se fait la défécation, jusqu’à celle de cuisson. Chaque opération ne dure que quarante-cinq minutes; c’est-à-dire que, dès l’instant que la batterie est bien en train, chaque quarante-cinq minutes on retire ce qui a été déféqué, à peu près 135 à 150 livres de sucre. Ce qui est seul difficile, c’est la défécation et le point de cuisson; la pratique seule peut apprendre lorsqu’on a mis une assez grande quantité de chaux pour que le jus soit bien déféqué, et la pratique seule aussi peut apprendre lorsque le sucre est cuit à point.

Explication des figures.

Fig. A. Charrue indienne.

Elle est extrêmement simple; elle se compose de quatre morceaux de bois (1, 2, 3, 4) que le laboureur le plus maladroit peut confectionner lui-même; d’une oreille, et d’un soc en fonte (5 et 6) qui, aux Philippines, se vend 2 fr. 50 c.

La légèreté et la simplicité de cette charrue en facilite l’emploi pour toute espèce de culture; et dans les plantations divisées par lignes, comme celles des tabacs, maïs, cannes à sucre, etc., on s’en sert avec avantage, non-seulement pour le sarclage, mais aussi pour donner, entre chaque rang, un labour qui profite à la plantation, et qui est moins coûteux et moins long qu’un simple sarclage à la pioche.

Fig. B. Joug pour l’attelage du buffle.

Fig. C. Guiligan, espèce de moulin à bras pour séparer le riz de son enveloppe.

1 et 2 représentent deux cônes tronqués, faits avec des bambous tressés en forme de panier. Chaque cône est séparé, vers le milieu, par une cloison aussi en bambou; et le vide du côté du sommet est rempli d’argile bien battue. Dans cette argile sont enfoncées de petites planchettes en bois de palmier, de la largeur du doigt, d’une épaisseur d’un centimètre et d’une longueur de dix; elles sont placées de manière à se toucher presque, et par rayons représentant une meule qui vient d’être nouvellement piquée. Ces deux cônes ainsi préparés sont superposés par leur sommet: le supérieur, au moyen d’une manivelle, tourne sur l’inférieur, et le riz, qui passe entre les deux meules, est légèrement broyé, et n’a plus besoin que de quelques coups de pilon pour être parfaitement décortiqué et d’un beau blanc.

Fig. D. Luçon, mortier en bois, dont l’île de Luçon tire son nom, parce qu’il se trouve dans toutes les cases indiennes pour piler journellement le riz.

Fig. E. Lilit, ou faucille indienne.

Avec le croc on saisit le riz qui, réuni dans l’angle, facilite d’en prendre une bonne poignée de la main gauche; on pousse alors le croc en avant, en faisant faire un petit mouvement à la main, qui le dégage, et, par le même mouvement, la lame d’acier se trouve appliquée contre la paille; on tire vers soi, et toute la poignée que l’on tenait de la main gauche est coupée d’un seul coup.

Fig. F. Peigne, instrument qui sert, après un premier labour à la charrue, à réduire la terre en boue et à niveler le terrain:

1 représente un morceau de bois rond que tient des deux mains le laboureur.

2. Long morceau de fer armé de fortes et longues dents.

Les traits où le buffle est attelé sont figurés aux deux extrémités de ce fer.

§ XXII.—Industrie.

L’industrie, à Manille, commence à sortir de ses langes; elle est généralement exercée par les Indiens et par les Chinois. On trouve parmi eux tous les corps de métiers nécessaires à la vie habituelle, tels que tailleurs, cordonniers, ébénistes, charpentiers, forgerons, maçons, etc., etc.

Depuis quelques années, on commence à introduire quelques machines à vapeur; une de ces machines fait marcher une scierie mécanique située dans les faubourgs. Il en est d’autres, dans les provinces, employées aux grandes sucreries, comme à l’habitation de Calatagan. Cette belle propriété appartient à don Mariano Roxas, homme éclairé, plein d’instruction, qui, depuis plusieurs années, voyage utilement en Europe pour étudier et envoyer aux Philippines, sa patrie, tout ce qui peut y faire avancer l’industrie. Le progrès ne tarderait pas à prendre un développement considérable, si l’Espagne possédait dans cette belle colonie quelques hommes de la capacité et de la persévérance de celui que je viens de nommer.

Plusieurs bateaux à vapeur naviguent sur les lacs et les rivières, et dans la mer des Bisayas, où ils rendent d’immenses services au commerce contre la piraterie des Malais. Ces redoutables pirates ne peuvent plus lutter de vitesse contre la vapeur, avec leurs pancos armés de deux ou trois rangs de rames, comme les anciennes galères, tandis qu’ils échappaient facilement aux poursuites des bâtiments à voiles.

L’industrie la plus considérable à Manille, celle qui occupe le plus de bras, est sans contredit la fabrication des cigares et des cigarettes. Le gouvernement a pris possession de la régie des tabacs, et il emploie continuellement de 15 à 20,000 ouvriers des deux sexes. Le commerce de Manille exporte des cigares pour des sommes considérables dans l’Inde, l’Australie et l’Europe.

Après la fabrication des cigares viennent les grandes usines où sont terrés les sucres exportés à l’étranger. Don Mariano Roxas possède un des plus beaux établissements de ce genre; il y a ajouté une distillerie où les appareils de Derosne et Cail produisent journellement des quantités considérables d’excellent rhum. Par suite d’un accord avec le gouvernement, le même M. Roxas a établi, il y a peu de temps, vingt-cinq appareils sur divers points de l’archipel, pour fournir à la régie des boissons les vins de Nipa, qui lui sont nécessaires11.

De jolies calèches, des voitures de luxe se fabriquent également à Manille.

Il y a dans les environs plusieurs grandes briqueteries et fabriques de poterie, ainsi que des corderies où se confectionnent, en abaca, tous les cordages nécessaires à la navigation.

Presque tous les cuirs employés aux Philippines sont tannés et préparés à Manille. Les Indiens ont un art particulier pour préparer les peaux de tous les animaux quelconques: dans vingt-quatre heures ils tannent une peau de bœuf ou de buffle, et la mettent en état d’être employée dans l’industrie.

L’orfèvrerie et la bijouterie sont des branches d’industrie qui laissent peu à désirer aux Philippines: des femmes fabriquent des chaînes en or qui sont de véritables chefs-d’œuvre de ciselure.

Manille et les provinces fournissent une grande quantité d’étoffes en soie, en coton et en abaca, remarquables pour leur solidité, leur finesse et la modicité de leur prix.

Les batistes, fabriquées avec les filaments que l’on retire des feuilles de l’anana, sont d’une régularité et d’une finesse auxquelles ne peuvent être comparés aucun de nos tissus d’Europe. Cette fabrication est un travail de patience et qui exige beaucoup de temps: la feuille de l’anana n’a pas plus de deux pieds de longueur; l’ouvrier en retire les fils, les choisit ensuite un par un, tous de la même grosseur, les unit au moyen d’un nœud artistement fait, puis les place sur le métier situé sous une tente dans une chambre soigneusement fermée, précaution nécessaire afin que l’air ne puisse pas casser les fils. Lorsque la toile est tissée, les milliers de nœuds qui réunissaient les fils ont disparu, et l’étoffe, légère, diaphane, est d’une régularité parfaite.

Il se fabrique aussi une grande quantité de chapeaux de paille et de jolis étuis à cigares, qui sont généralement faits dans les provinces. On ne s’imagine pas la patience et l’adresse dont il faut que les Indiens soient doués, pour la confection de ces deux objets, surtout pour les porte-cigares, qui sont souvent d’une si grande finesse, qu’on en expédie en Europe dans une lettre. Les chapeaux, comme les boîtes à cigares, sont faits avec de gros rotins dont la première couche est enlevée, divisée et taillée en petits filaments de la finesse qu’exige l’objet que l’on veut fabriquer.

Dans presque tous les villages on fait, avec les feuilles du pandanus, de charmantes nattes sur lesquelles s’harmonisent mille brillantes couleurs, que les Indiens obtiennent au moyen des plantes colorantes recueillies dans les champs.

Ils fabriquent aussi, avec les feuilles du latanier, de grands sacs. Ils servent à contenir et à expédier en Europe toutes les denrées coloniales, et il s’en fait un important commerce.

On construit à Cavite et à Manille des embarcations de toutes les dimensions: des chaloupes, des trois-mâts, des jonques chinoises et des frégates de guerre; et, dans les provinces, de jolies pirogues et de grosses embarcations de transport pour naviguer dans la baie, sur les rivières et les lacs.

Enfin, dans quelques villages, les habitants s’occupent presque exclusivement de l’éducation des canards pour faire le commerce des œufs. Ils ont un moyen de leur invention pour pratiquer l’œuvre de l’incubation. Cette industrie singulière, que j’ai étudiée avec soin, me semble mériter une petite description:

Les habitants du bourg de Payteros, situé à l’entrée du lac, sur un des bras du Pasig, se livrent particulièrement à l’éducation des canards. Chaque propriétaire a un troupeau de 800 à 1,000 canes, qui lui produisent chaque jour 800 à 1,000 œufs, un par cane. Cette grande fécondité est due à la nourriture qu’on leur donne.

Un seul Indien est chargé de pourvoir à la subsistance de tout le troupeau. Il pêche tous les jours, dans le lac, une grande quantité de petits coquillages; il les concasse et les jette dans la rivière, dans un lieu circonscrit par des bambous flottants qui servent de limite à son troupeau, et empêchent ses canards de se mêler à ceux des voisins. Les canes vont au fond de l’eau chercher leur pâture; et le soir, au premier son de cloche de l’Angélus, on les voit sortir elles-mêmes de l’eau et se retirer dans une petite cabane, pour y pondre les œufs et y passer la nuit.

Après trois ans, la stérilité succède à cette grande fécondité, et il faut alors renouveler complétement le troupeau. Ce n’est pas l’opération la moins curieuse de cette industrie, qui rappelle les fours des Égyptiens pour l’éclosion des œufs. Cependant la méthode des Indiens est toute différente; elle est de leur invention, comme on va pouvoir en juger.

Quelques Indiens ont pour unique profession de faire éclore des œufs; c’est un métier qu’ils apprennent, comme ils apprendraient celui de menuisier ou de charpentier; on pourrait les nommer des couveurs.

Près de la maison de celui qui a réclamé les soins d’un couveur, dans un lieu choisi, bien abrité du vent et exposé toute la journée au soleil, le couveur fait construire une petite cabane en paille, de la forme d’une ruche; il n’y laisse qu’une petite ouverture, celle absolument nécessaire pour s’introduire dans la ruche.

On lui confie mille œufs, maximum qu’il puisse faire éclore en une seule couvée, de mauvais chiffons et de la balle de riz séchée au four. Il sépare ses œufs de dix en dix, les renferme par dix dans un chiffon avec une certaine quantité de balles. Après cette première opération, il place une forte couche de balle au fond d’une caisse en bois de cinq à six pieds de longueur sur trois de largeur, ensuite une couche d’œufs; et il continue en alternant, jusqu’à ce qu’il ait logé les cent petits paquets. Il termine par une épaisse couche de balle et une couverture.

Cette caisse doit lui servir de lit et la cabane de prison, pendant tout le temps nécessaire à l’incubation.

On introduit tous les jours par l’ouverture, que l’on referme ensuite avec soin, les aliments qui lui sont nécessaires.

Chaque trois ou quatre jours, il change ses œufs de place; il met en dessus ceux qui étaient en dessous.

Le dix-huitième ou le dix-neuvième jour, lorsqu’il croit que l’incubation est à son dernier période, il pratique une petite ouverture à sa cabane pour y laisser pénétrer un rayon de lumière; il y présente quelques œufs, les examine, et juge, au plus ou moins de transparence, et à des signes que ceux qui exercent cette industrie connaissent seuls, si l’incubation est complète.

Lorsqu’il en est ainsi, son travail est presque terminé; il n’a plus de précautions à prendre. Il sort de la cabane, il retire ses œufs de la caisse, et il les casse un par un. Les petits canards, aussi forts que s’ils étaient éclos sous leur mère, accourent immédiatement à la rivière.

Le lendemain, l’Indien sépare soigneusement les mâles des femelles. Ces dernières seulement sont conservées; les mâles sont rejetés.

Les huit premiers jours, on nourrit les jeunes canes avec de petits papillons de nuit, qui voltigent le soir en si grande quantité, en suivant le cours de la rivière, qu’il est facile de s’en procurer autant qu’il est nécessaire. On leur donne ensuite des coquillages, et, aussitôt qu’elles commencent à pondre, elles ne s’arrêtent plus pendant trois ans.

On comprendra facilement que dans un climat brûlant comme celui des Philippines, dans une cabane soigneusement fermée, exposée à un soleil ardent, avec la présence continuelle d’un homme, il se produise et se conserve une chaleur tout à fait convenable pour l’incubation des œufs. Aussi, ce qui est étrange dans cette méthode n’est pas le résultat de l’incubation, mais que les Indiens aient pu apprécier et trouver les moyens que la nature mettait à leur portée.

§ XXIII.—Commerce.

Le commerce des Philippines n’est point en rapport avec la population, l’étendue et la richesse du sol. Il pourrait être bien plus considérable si les Espagnols voulaient gouverner cette colonie comme les Hollandais gouvernent Java, c’est-à-dire s’ils voulaient placer la population indienne sous un joug oppresseur. Dans ce cas, au lieu de n’avoir qu’une minime partie du sol en état de culture, ils pourraient en avoir une étendue assez vaste pour approvisionner la plus grande partie de l’Europe en denrées coloniales12.

Mais, en fait de progrès, l’Espagne marche lentement; et aux Philippines elle préfère le rôle de souverain indulgent, de maître paternel et bienfaiteur, à celui de tyran et d’oppresseur.

L’Indien, qui n’a point d’ambition et pas de besoins, pour lequel la richesse n’est pas le bonheur, se borne à labourer le morceau de terre qui lui est strictement nécessaire pour suffire à sa frugale existence, et se procurer des vêtements dont il se couvre plutôt par luxe que par nécessité.

Lorsque l’on a habité parmi eux, on s’explique facilement le penchant qu’ils doivent avoir à la paresse, ou plutôt à ne s’occuper que de travaux à leur convenance.

Que l’on compare l’habitant des Philippines à la classe pauvre, aux laboureurs de nos contrées civilisées; on ne pourra s’empêcher de convenir que les premiers sont les privilégiés de la Providence, tandis que les derniers en sont les déshérités.

Nos laboureurs acquièrent difficilement un morceau de terre. Lorsqu’ils peuvent y parvenir, ils sont obligés de le fumer et le travailler avec acharnement pour lui faire produire au maximum dix-huit pour un. Il leur faut en outre payer un impôt exorbitant, et toujours, année de bonne ou de mauvaise récolte, il est impérieusement exigé.

Pour se nourrir d’aliments grossiers, notre laboureur est assujetti à un travail pénible, continu, qui détruit avant l’âge sa santé et ses forces; il souffre de l’intempérie des saisons, se couvre de vêtements insuffisants qu’il ne peut pas renouveler selon les exigences d’une bonne hygiène; enfin il habite des chaumières humides, froides, fétides, où la clarté du jour ne pénètre souvent que par la porte entrebâillée.

Aux Philippines, au contraire, le laboureur jouit d’un climat tempéré, d’un printemps perpétuel. Il n’a pas besoin de vêtements pour se couvrir. Il laboure son champ une ou deux fois, pour lui faire produire quatre-vingts et cent pour un. Il habite des maisons commodes, aérées, qu’il peut construire lui-même sans beaucoup de peine. Il se procure facilement des aliments aussi bons, aussi sains que ceux du riche. S’il veut changer ses pénates, il peut s’établir où bon lui semble, prendre en terres l’étendue à sa convenance, sans qu’aucun propriétaire puisse exiger de lui une redevance quelconque, et sans que le fisc impitoyable, plus exigeant encore, vienne lui arracher la meilleure part de son labeur.

S’il n’a pas ensemencé son champ, il peut emprunter à la forêt les racines, les fruits et le gibier pour remplacer sa récolte; il peut prendre à profusion, sans presque aucun travail, dans les lacs, les rivières et sur les plages, d’excellents poissons.

Enfin, il jouit de toutes les aisances de la vie, d’une liberté entière. Pourquoi travaillerait-il en vue d’acquérir d’inutiles richesses, qui assurément, sous un ciel privilégié, ne donnent pas le bonheur?

Le commerce maritime de Manille peut se diviser en trois classes: le petit cabotage, le grand cabotage, le long cours.

Le petit cabotage est exclusivement fait par de petits navires et des embarcations du pays, qui transportent sur tous les points de l’archipel les marchandises apportées à Manille par les navires au long cours, et y rapportent les produits agricoles et industriels des provinces.

Le grand cabotage se fait généralement aussi par des navires du pays. Ces navires, appartenant aujourd’hui à une compagnie, font le commerce avec l’archipel de Jolo, les Moluques, Ternate, Manado, Amboyne, Banda, les îles Pelew, Tongatabou, Batavia, Singapoor, la Chine, et la Nouvelle-Hollande.

Le commerce des îles de Jolo, dont les habitants sont connus par leur mauvaise foi, est généralement fait par les Chinois ou par leur entremise. Malgré le danger de traiter avec des hommes qui ne présentent aucune garantie de moralité, ce commerce est si lucratif, que les négociants de Manille ne reculent pas à y envoyer des navires richement chargés, mais avec la précaution d’embarquer comme subrécargue un Chinois de Manille, ayant l’habitude des hommes et du commerce de cet archipel. Généralement les Chinois font ces expéditions pour leur compte et au risque des armateurs.

Voici les conditions ordinaires que les armateurs font avec les Chinois qui veulent entreprendre ces voyages:

Pour l’affrétement d’un navire de 200 à 250 tonneaux, les Chinois payent mensuellement à l’armateur de 6 à 700 piastres (3,000 à 3,500 francs.) En outre, l’armateur fait à l’affréteur chinois un prêt à la grosse de 10 à 20,000 piastres (50 à 100,000 fr.) Au retour du navire, il reçoit en marchandises la somme qu’il a avancée, plus l’intérêt de 20 à 25 p. 100. Mais il perd tout si le navire périt.

Les objets d’importation à Jolo consistent en indiennes de qualités inférieures, à fonds rouges, à grands ramages de couleurs vives et éclatantes, en mousselines lisses et ouvrées, en percales, en étoffes imitant les madras, nommées cambayas, à fonds rouges.

En produits des Philippines, on y importe du riz de première et de seconde qualité, du tabac en feuille, des bisayas, de l’huile de coco, et une infinité de petits articles de peu de valeur.

En produits du Bengale, on y importe les toiles que l’on nomme cachas et chitas, des toiles en coton teintes en rouge, des toiles fines en coton mêlé de fils d’or, des madras où le rouge domine, de l’opium de Patna.

Les articles de Chine sont les nankins, des pièces de monnaie en cuivre nommées chapuas, de la porcelaine commune, quelques étoffes de soie, et des ustensiles de cuisine.

Les articles qui offrent le plus d’avantages sont le riz et les pièces de nankin. Ces dernières sont reçues comme monnaie courante, à raison d’une piastre (5 fr. 40 c.) la pièce, et elles ne coûtent ordinairement à Manille que 33 piastres le cent.

Les monnaies courantes à Jolo sont les chapuas, pièces en cuivre percées au milieu; les piastres espagnoles, et les roupies de l’Inde.

Les mois de juin et de juillet sont ceux de l’année où il se fait le plus grand commerce à Jolo.

Il est utile d’apporter une grande circonspection dans les transactions que l’on fait avec les naturels. Il faut cependant agir de manière à ce qu’ils ne s’aperçoivent d’aucune méfiance; ils sont, bien que de fort mauvaise foi, d’une grande susceptibilité.

Les retours se font en nids de salanganes, en écaille de la plus belle qualité nommée testudo imbricata: le prix ordinaire de cette écaille est de 1,000 à 1,100 piastres le pécul; en balate, holoturies, nommées à Jolo tripang et en Chine bogshum, espèce de zoophyte informe, dont trente-six espèces différentes sont connues; en ailerons de requin, dont la valeur en Chine est de 20 à 45 piastres le pécul; il faut à peu près cinq cents ailerons pour faire un pécul. On exporte aussi de la nacre, dont le prix en Chine est de 12 à 15 piastres le pécul. Généralement, les chargements se complètent avec de l’or en poudre, des perles fines, et de la cire.

On emploie ordinairement de sept à huit mois pour un voyage complet à Jolo et retour.

Les navires qui vont aux Moluques partent de Manille vers le mois de décembre. Ils emportent les mêmes cargaisons que pour les îles de Jolo, et en plus quelques articles de luxe pour les femmes et les autorités supérieures.

Les retours se font en cacao, oiseaux de paradis, clous de girofle et noix muscades.

Les Hollandais, qui possèdent ces îles, ont imposé des droits de douanes considérables; mais, en revanche, on peut y négocier avec toute sécurité.

Les navires de Manille font aussi le commerce avec l’archipel des îles Pelew. Ils y apportent de grosses toiles, des perles en verroterie de toutes couleurs, des couteaux un peu plus grands que les couteaux de table, et toute espèce de vieux fers.

En retour, ils chargent du balate-trépang, de l’écaille, de la nacre.

Il se fait aussi quelques expéditions pour les îles Tongatabou, lieu du naufrage du capitaine Lafond de Lurcy, qui avait entrepris une spéculation du même genre.

Batavia et Singapoor sont les deux points dans l’Inde où le commerce de Manille a pris le plus de développement.

On exporte de Manille à Java des cigares, des guinaras, étoffes fabriquées avec l’abaca, du sibucao ou sapan, des cordages en abaca, et du rhum.

On exporte de Manille à Singapoor du sucre, de l’indigo, du bois de sapan, de l’abaca, des cordages en abaca, des chapeaux de paille, des boîtes à cigares, de l’huile de coco, du rhum, des os, et une grande quantité de cigares.

Les navires espagnols qui arrivent d’en deçà ou d’en delà du cap de Bonne-Espérance jouissent d’un privilége de 7 p. % sur les navires étrangers, pour les droits de douane dus à l’entrée de Manille. Il en résulte que la plus grande partie des marchandises d’Europe, d’Asie et d’Afrique sont déposées à Singapoor, et chargées, dans ce port, sur des navires espagnols immatriculés au port de Manille. Les principales marchandises qu’ils embarquent sont des fers anglais et de Suède, des aciers, du cuivre laminé, des toiles à voiles, des cordages de chanvre, des ancres, des chaînes pour navires, de la peinture, de l’huile de lin, de la cire, du poivre, des clous de girofle, et toute espèce de tissus en lin, en coton, en laine, en soie, de tous les pays de l’Europe.

Le commerce de Singapoor avec Manille était, en 1842, d’une importance de 36,000 tonnes. Tout l’avantage est pour Singapoor, qui encombre Manille de marchandises d’Europe.

Bombay trafique également avec le port de Manille, et y envoie, en lest, ses grands navires nommés enchimanès, pour y charger du sucre.

Manille fait aussi un assez grand commerce avec l’Australie; elle fournit à Sydney une grande quantité de sucres de qualité inférieure, du tabac, des cigares, des chapeaux de paille, des bois de sapan, des cordages d’abaca, des nattes.

Une des branches les plus importantes du commerce de Manille, est celui qu’elle fait avec la Chine. Les objets d’exportation des Philippines pour les ports du Céleste Empire sont: les riz pilés et non pilés, le bois de sapan, le sucre brut, l’huile de coco, l’indigo liquide nommé à Manille tintarron, les trépangs, les taclovos, mollusques desséchés du tridas; des nids d’oiseaux, des ailerons de requin, de l’ébène, des nerfs et des peaux de cerf; des cuirs verts de bœufs, de buffles et de chevaux; du coton, de l’or en poudre, de l’écaille, de la nacre, des perles fines, des piastres à colonnes d’Espagne, de la viande boucanée de buffle et de cerf, des poissons salés ou séchés ou sous forme d’anchois, et mille autres objets de peu d’importance.

Des ports de la Chine, les navires apportent à Manille: des caisses de cannelle, de thé, des nankins, du vermillon, des étoffes en soie de divers genres, des crêpes de Chine, du papier pour écrire et pour cigarettes, de la porcelaine, des percales, des parasols, des chaudières et des ustensiles de cuisine en fonte, du cuivre ouvré sous diverses formes, des fruits secs, de l’or en feuilles.

Le mouvement maritime entre Manille et la Chine a été, en 1842, de plus du tiers de toute la navigation du port.

J’emprunte au dictionnaire historique et géographique publié à Manille en 1851, un simple aperçu qui démontre que le commerce de Manille, avec l’Europe, est bien au-dessous de celui de bien d’autres pays moins riches, moins peuplés, et dont la position géographique est moins favorable.

Les marchandises que les navires espagnols exportent de la Péninsule aux Philippines consistent en: vins rouges de Catalogne, vins doux de Malaga, de Xerès et de San-Lucar; quelques vins généreux et des liqueurs en bouteilles; eaux-de-vie anisées, dont il se fait une grande consommation; papiers, cartes à jouer; comestibles, tels que jambons, fromages, saucissons de Galice, etc.; huile d’olive, garbansos (pois chiches), et olives.

Les marchandises importées par les navires étrangers, et dont le débit est facile, sont: les fers, les aciers, l’huile d’olive, la parfumerie, les toiles de coton, percales, madapolams, cambayas, les indiennes, les mousselines, les articles de nouveautés, les soieries de luxe, les toiles de lin, les batistes, les goudrons, les vins de diverses qualités, particulièrement ceux de Bordeaux et de Champagne, les eaux-de-vie et les liqueurs, les charbons de terre, la carrosserie, le cuivre laminé, le zinc, les comestibles, les conserves, les cristaux, la faïence, les pianos, les savons, les cordages en chanvre, les toiles à voile, le savon de toilette, l’orfévrerie, l’horlogerie, les livres, les étoffes en laine, les médicaments, les meubles, l’opium, l’or et l’argent monnayés, les parapluies, les ombrelles, la chapellerie, les dentelles, les tulles, la peinture, le plomb, la quincaillerie, les effets confectionnés, et la bière en bouteilles.

Les marchandises exportées annuellement des Philippines, par les navires de diverses nations européennes, sont: l’abaca (soie végétale), l’huile de coco, les cotons, l’indigo, le riz, les sucres terrés et bruts, les rotins, la gomme élémi, le café, les guinaras, étoffes d’abaca, les mendrinaquès, étoffes également en abaca, les petites crevettes desséchées, les cuirs de buffles, de bœufs et de cerfs, les bois de construction, les mongos (espèce de lentilles), l’or en poudre, les nattes, le sel marin, les bois de teinture, les chapeaux de paille, les boîtes à cigares, les tabacs en feuilles et fabriqués en cigares, les nerfs de cerfs, l’écaille, la nacre, les perles, les viandes boucanées de buffle et de cerf, les poissons salés et séchés.

Le tableau suivant indique le mouvement commercial de Manille, en 1841, avec les diverses nations.

Nations. Valeur des marchandises Total.
Importées à Manille. Exportées de Manille.
Réaux de veillon. Réaux de veillon. Réaux de veillon.
Angleterre. 33,949,200 20,643,500 54,592,700
États-Unis. 15,815,600 22,678,400 38,494,000
Espagne. 3,800,000 18,008,200 21,808,200
Chine. 8,360,000 12,522,900 20,882,900
Indes Orientales. 1,637,800 6,532,200 8,170,000
Australie (Sydney). 307,800 4,164,800 4,472,600
France 729,600 2,850,000 3,579,600
Total. 64,600,000 87,400,000 152,000,000

Ainsi, le commerce d’importation des Philippines s’élève à la somme de 64,600,000 réaux de veillon, soit à peu près... 16,150,000 fr. et celui d’importation à 87,400,000—21,850,000
Total en import. et export., 152,000,000 réaux, ou... 38,000,000 fr.

Depuis l’année 1841, le commerce des Philippines a pris une importance plus grande; et maintenant, en 1855, on peut calculer sur un bon tiers au-dessus des chiffres qui précèdent.

Pour compléter les renseignements que je donne sur le commerce de Manille, il me reste à parler des poids et mesures dont on fait usage dans le pays, des droits de douanes, et de la police des ports de Manille et Cavite.

Le pico ou pécul des Philippines pèse 137 livres espagnoles, soit. 65 kil. 25 c.
Il se divise en 10 chinantas et 100 caltis de 16 taëls; d’où il résulte que le taël pèse 579 gr. 84 cent. On ne se sert de ce poids que pour l’or en poudre et les perles.
Le pico ou pécul de Chine ne pèse que. 60 kil. 25 c.
Le quintal d’Espagne. 46 kil. 25 c.
L’aroba. 11 kil. 50 c.
Le caban de cacao. 38 kil. 50 c.
Celui du riz. 60 kil. 50 c.
Le fardo équivaut à 3 arobas ½. 40 kil. 25 c.
Le quintal de cire pèse 110 livres espagnoles. 50 kil. 61 c.

La vara de Castille, mesure de longueur adoptée, équivaut à 0,914 millimètres.

Pour les liquides, on se sert de la ganta et du gallon anglais, particulièrement pour le rhum.

Droits de tonnage.

Les droits de tonnage, dans le port de Manille ou dans celui de Cavite, sont fixés, pour tous les navires chinois ou européens, à deux réaux (cinquante centimes) par tonne, lorsque les navires chargent ou déchargent dans le port.

Ces droits sont réduits à un réal (vingt-cinq centimes) par tonne pour les navires qui entrent ou sortent en lest, ou comme relâche, pour faire des vivres ou réparer des avaries.

On ne considère pas, pour l’application du droit maximum, comme partie du chargement, les articles de première nécessité et les approvisionnements de vivres pour l’équipage.

Droits de douanes.

Entrepôt.

Tout capitaine arrivant à Manille a un délai de quarante jours pour déclarer à l’entrepôt une partie ou la totalité de sa cargaison.

Les droits de magasinage s’élèvent à 1 p. 100 sur la valeur totale des marchandises entreposées, pourvu que le dépôt ne dépasse pas une année.

Lorsque le temps du dépôt dépasse l’année, le droit est augmenté proportionnellement au temps écoulé.

Au delà de deux ans, il faut obtenir une autorisation spéciale de l’intendant.

Dans aucun cas le dépôt ne peut se prolonger au delà de trois ans.

Droits d’importation.

Toutes les productions étrangères, sauf quelques exceptions, introduites sous pavillon étranger, payent à l’entrée un droit de 14 p. 100 de leur valeur.

Les mêmes produits étrangers, sous pavillon espagnol, payent 7 p. 100
Les produits espagnols, sous pavillon espagnol 3 p. 100
Et dans quelques cas 8 p. 100
Tous les produits étrangers des pays situés au delà du cap de Bonne-Espérance et du cap Horn, lorsque leur importation a lieu par navires espagnols, par Singapoor, Batavia et autres ports voisins, payent un droit de 8 p. 100
Par la Chine 9 p. 100
Ce droit de 8 et de 9 p. 100 n’est pas perçu pour les marchandises taxées par avance à un droit supérieur.
Quelques articles, tels que les olives, l’huile d’olive, les amandes, les pois chiches, sont frappés d’un droit d’entrée de 50 p. 100 par navires étrangers, et de 40 p. 100 par navires espagnols.
Les eaux-de-vie de production étrangère, par navires étrangers 60 p. 100
Les mêmes, par navires espagnols 30 p. 100
Les eaux-de-vie d’Espagne, par navires étrangers 25 p. 100
Les mêmes, par navires espagnols 10 p. 100

Les objets avariés par une cause quelconque sont évalués par experts, et ne payent que d’après leur valeur.

Sont exemples de droits d’entrée:

Les matières propres à la teinture, telles que cochenille, racines, fruits, etc., ainsi que les plantes et les graines de toute espèce de fleurs et de légumes.

Sont prohibés:

Les produits agricoles et industriels des possessions étrangères asiatiques, tels que boissons spiritueuses ou fermentées, rhum, arack, etc.; les cafés, cotons, laines, huiles de coco, indigo, opium, poudres, sucres et tabacs.

Tous ces divers articles sont seulement reçus en transit dans les magasins de l’entrepôt.

Les poudres de guerre doivent être déposées dans un magasin du gouvernement.

Les armes à feu, fusils de calibre ou de chasse, et pistolets d’arçon, ne peuvent entrer qu’avec une permission spéciale du gouvernement.

Droits d’exportation.

Tout produit des Philippines exporté par navires espagnols pour l’Espagne paye à sa sortie. 1 p. 100 de sa valr.
Par les mêmes navires, pour un port étranger. 1½ p. 100—
Par navires étrangers, pour un port d’Espagne. 2 p. 100—
Par les mêmes navires, pour un port étranger. 3 p. 100—

L’exportation du tabac en feuilles ou manufacturé, pris dans les magasins du gouvernement, est libre de droits de sortie, sans distinction de pavillon.

L’or et l’argent monnayés ou non monnayés, destinés pour l’Espagne, sont libres de droits d’exportation, soit par navires nationaux ou étrangers.

Mais si la destination est pour l’étranger, ils payent sans distinction de pavillon:

L’argent monnayé. 8 p. 100.
—en lingots. 6 p. 100.
L’or monnayé. 3 p. 100.
—en lingots ou en poudre. ½ p. 100.
L’abaca ou soie végétale paye, par navire espagnol. ½ p. 100.
—par étranger. 2 p. 100.
Le riz ne paye aucun droit par navire espagnol. 2 p. 100.
—par navire étranger. 4 p. 100.

Police du port.

Règlement pour la police du port de Manille et ses dépendances.

1. Tout navire arborera son pavillon à son entrée dans la baie dès son arrivée à l’île du Corrégidor, et se laissera reconnaître par les embarcations du gouvernement.

Le capitaine qui, sans y être obligé par force majeure, éluderait cette reconnaissance, et auquel on serait obligé de tirer un coup de canon comme avertissement, payera une amende équivalant au double de la valeur de la poudre brûlée.

Le capitaine conservera son pavillon hissé jusqu’à la vue de Manille ou de Cavite.

2. Aucun navire ne pourra communiquer avec qui que ce soit avant la visite de la santé et avant son admission à la libre pratique. Jusqu’alors il conservera, au mât de misaine, le pavillon de quarantaine.

Après la visite de la santé, le capitaine est responsable de toutes les infractions à la loi. Pour chaque contravention, il sera passible d’une amende de 250 piastres (1,250 fr.).

3. Au moment de la visite de la santé, le capitaine présentera le certificat de l’état sanitaire du port du départ; s’il n’en avait pas, il sera tenu de signer un procès-verbal constatant l’état sanitaire de ce port, des individus qu’il y aurait embarqués et de tous les incidents de la navigation. Pendant la visite, l’équipage et les passagers se tiendront sur le pont, prêts à répondre aux interpellations qui leur seraient adressées.

Le capitaine présentera en même temps le rôle de l’équipage et celui des passagers. Il exhibera les passe-ports de ces derniers, et il indiquera leurs qualités ou professions. Pour chaque inexactitude, il sera tenu de payer une amende de 250 piastres.

Si, à la première visite, tous les papiers ne sont pas trouvés en règle, l’entrée lui sera refusée jusqu’à une seconde visite.

Le capitaine remettra les dépêches à l’employé des postes qui accompagne les officiers de la santé, et en recevra immédiatement le port selon les tarifs établis.

4. Tout navire en quarantaine sera tenu d’observer les instructions qui lui seront données, et conservera le pavillon jaune au mât de misaine.

5. Aussitôt que le capitaine descendra à terre, il devra se présenter devant le capitaine du port avec ses passagers, afin que cet officier puisse les remettre à l’autorité.

6. Il n’est pas permis de tirer des pièces d’artillerie ou de les conserver chargées au mouillage, sans une autorisation spéciale.

7. Les capitaines de navire doivent indiquer un consignataire, et fournir une caution de 500 piastres pour garantie de l’observation du présent règlement.

8. Pour charger ou décharger du lest, le capitaine sera tenu de demander une autorisation au capitaine du port.

9. Les personnes qui communiqueraient avec un navire en quarantaine payeront une amende de 25 piastres, et leur capitaine celle de 50 piastres, sans préjudice des autres peines qu’ils pourraient encourir.

10. Après dix heures du soir, les navires comme les petites embarcations ne pourront effectuer aucune opération de commerce sans une autorisation.

Les navires au mouillage pourront retenir, après dix heures, toute pirogue qui les approcherait et qui paraîtrait suspecte.

Les matelots qui resteront à terre à des heures indues seront retenus et punis selon les désordres qu’ils auront commis.

11. Tout navire qui entrera en rivière sera tenu de renfermer ses poudres dans des sacs marqués et bien fermés. Les capitaines qui ne se conformeront pas à cette prescription seront passibles d’une amende d’une piastre par livre de poudre.

12. Après huit heures du soir, les feux seront éteints à bord, et les lumières placées dans des fanaux.

Il est interdit de cuire à bord du brai, du suif, ou toute autre matière inflammable.

13. Il est aussi défendu de débarquer, sous aucun prétexte, les armes du bord.

14. Personne n’a le droit de châtier les indigènes pour les fautes qu’ils pourront commettre dans les travaux qu’on leur fera faire à bord. Le capitaine du port a seul le droit de leur infliger une amende applicable au dommage commis par ceux qui seraient reconnus coupables.

15. Aucun indigène ne peut être embarqué à bord d’un navire contre sa volonté. Sera considéré comme nul de droit tout contrat passé par des capitaines, et qui aurait pour objet de protéger ou de faciliter la désertion.

16. Il est défendu d’embarquer un passager qui ne serait pas muni d’un passe-port.

Il est également défendu de débarquer furtivement aucun passager, ou de permettre son débarquement, sans l’autorisation du capitaine du port.

Est également défendu le transbordement des individus de l’équipage et de leurs effets, sans l’autorisation du capitaine du port.

Les consignataires et les cautions répondront, pendant le séjour du navire et jusqu’à sa sortie du port, des individus de l’équipage qui resteront à terre pour maladie ou pour toute autre cause.

Les capitaines payeront une amende de 10 piastres si, immédiatement après la désertion d’individus faisant partie de leurs équipages, ils ne prévenaient pas le capitaine du port, pour qu’il puisse prendre les mesures nécessaires à leur arrestation. Si la désertion avait lieu au moment du départ, les consignataires seraient responsables des frais qu’elle entraînerait.

17. Dans le cas de mort d’un individu à bord d’un navire, le capitaine sera tenu de prévenir par écrit le capitaine du port de faire un rapport sur la maladie, et de demander l’autorisation de l’inhumer.

18. Pour obtenir l’autorisation de départ, le capitaine devra se présenter devant l’autorité deux jours à l’avance, muni de son rôle d’équipage visé par le capitaine du port. Ce dernier ne lui permettra pas de mettre à la voile sans s’être fait représenter le permis de l’autorité supérieure, ceux de la douane et de l’administration des postes.

Les navires, pour sortir du port, arboreront un pavillon à leur grand mât.

19. Dans le cas de circonstances extraordinaires, les capitaines de navire se soumettront à la visite des officiers de la santé et des autres autorités.

20. Les capitaines ne permettront pas la descente à terre des individus de leurs équipages dont ils ne voudraient pas garantir les dettes qu’ils contracteraient ou pourraient contracter à terre.

Les capitaines veilleront, en mouillant, à ne pas jeter leurs ancres sur les amarres des autres navires. Toutes les fois que leur position causera quelque dommage, ils seront tenus d’en changer.

Lorsque le navire aura mouillé, il ne pourra plus changer de place sans une permission.

Au mouillage du Canacao, dans l’intérieur des caps, les navires doivent mouiller avec deux ancres N. O. S. O. Plus loin des caps, ils ne peuvent pas se placer entre le télégraphe de Cavite et celui de Manille.

Les navires au mouillage peuvent faire des signaux à leurs consignataires ou propriétaires. Si ces derniers ne pouvaient pas y répondre, l’autorité facilitera les secours demandés toutes les fois que les circonstances le permettront.

En cas de détresse ou de danger, des coups de canon pourront se répéter par intervalles, avec le pavillon hissé.

Ce pavillon sera toujours le pavillon national, et si c’est nécessaire, il en sera hissé un de signal; s’il n’y en avait pas à bord, on le remplacerait par un prélart.

Secours demandés. Pavillons. Coups de canon.
Pour une amarre. 1 au beaupré. 1
—une ancre. 1 dans les haubans de misaine. 1
—amarre et ancre. 1 au beaupré. 1
1 dans les haubans de misaine.
—une chaloupe. 2 au mât de misaine. 1
—révolte à bord. 1 dans les haubans du grand mât. 1
—incendie. 2 à la pomme du grand mât 2

FIN.


1 Le voyageur, surpris par ces grands incendies qui embrasent souvent plusieurs lieues à la fois, est obligé, pour se soustraire au danger du feu, alors qu’il est encore assez éloigné des flammes qui menacent de l’entourer, de mettre lui-même le feu aux grandes herbes qui sont sur la route. Il se retire ensuite à quelques pas, dans la direction opposée à celle que suivent les flammes poussées par le vent; lorsqu’elles ont détruit toutes les matières combustibles sur leur passage, le voyageur rentre dans l’espace mis à nu, et attend, sans aucun risque, que l’incendie qui le menaçait ait accompli son œuvre de destruction.

2

Moines et religieux de divers ordres. 500
Commerçants. 70
Rentiers. 200
Employés, cour royale, intendance de la marine, chefs militaires, officiers et sous-officiers de tous grades. 3,280
Ensemble. 4,050

3 L’Indien est toujours considéré comme un mineur, même dans les transactions commerciales. Ainsi, celui qui aurait contracté une dette de plus de 25 francs ne pourrait pas être contraint de la payer, d’après la loi, pas plus qu’un mineur parmi nous.

4 La petite vérole.

5 Depuis 1838, le gouvernement a continué ses tentatives pour soumettre ces diverses populations. Déjà il est parvenu à amener sous sa domination quelques bourgades tinguianès et igorrotès.

6 Ces seize villages se nomment: Palan, Jalamy, Mabuantoc, Dalayap, Languiden, Baac, Padanguitan y Pangal, Campusan y Danglas, Lagayan, Ganayan, Malaylay, Bucay, Gaddani, Langanguilan y Madalag, Manabo, Palog y Amay.

7 Tabon signifie, en langue tagale, couvrir de terre ou de sable.

8 Les Indiens, pour préserver les semences de melon, que les fourmis attaquent de préférence à toute autre, emploient un moyen de leur invention: ils enlèvent à la graine sa première enveloppe, la mettent dans un linge qu’ils renferment dans un vase; ils la font chauffer à un degré qu’ils connaissent. Ensuite ils sèment le soir; le lendemain, la graine est germée, et par conséquent à l’abri des fourmis.

9 Pinursegui, Laulan-Sanglay, Quinarayon, Pinurutung, Quinamalig, Pinulut, Mangasavag-Puti, Binuriri, Pinagocpoc, Quinandam-Pula, Quinan-Panputi, Mangusa, Bolibot, Dinumero, Quinabiba, Binoliti, Quiriquiri, Binulut-Cabayo, Dinulang, Macapilay-Pusa, Tinuma, Mongolès.

10 Macabunut-Dila, Macan, Macan-Soulucan, Macan-Sulug, Macan-Muriti, Macan-Suson, Macan-Bucavé, Malaquit-Puti, et Malaquit-Pula.

11 Nipa, espèce de palmier-nain qui pousse très-rapidement et en abondance dans les savanes baignées par les eaux de la mer, aux époques des grandes marées. Cet arbuste produit, comme le cocotier, un spath qui, coupé à l’extrémité, fournit pendant plusieurs jours une liqueur douce et sucrée. Cette liqueur, après avoir fermenté, est distillée, et donne un alcool qui est la boisson enivrante dont les Indiens font usage dans leurs fêtes.

12 On évalue à 24 millions d’hectares les terres improductives susceptibles d’être mises facilement et fructueusement en culture!!... A peine 400,000 hectares sont-ils cultivés.

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