Brelan des dames
I
MUSÉES POUR RIRE
I
« Reçu un mot tout gracieux de Saint-Saëns malade, mais content du tambourin chargé de fleurs et de la nomenclature de ses œuvres. »
Marquise de Blocqueville.
Un homme dont le succès personnel accréditait la parole, en cette occasion, me disait, un jour : « C’est, selon moi, une erreur de croire que certaines personnes n’ont pas de veine. Tout le monde a de la veine ; seulement, on sait, ou non, s’en servir. »
En ce qui me concerne, au moins une fois dans ma vie, je n’ai pas su me servir de la veine. Un mien ami, entre tous avisé, fort au courant de ce qui pouvait réjouir ma fantaisie et exciter ma verve, à son tour, m’avait dit, aux environs de 89 : « Allez à Dieppe, voir le Musée Saint-Saëns, je ne vous dis que ça, vous m’en donnerez — ou, plutôt, vous nous en donnerez des nouvelles, car, étant celui qu’elle peut impressionner avec le plus de vivacité, vous nous devez le compte rendu de cette étonnante collection, qui va des « sauterelles d’Algérie » aux « scories volcaniques » et, de la « Marquise de Présalé » à la « Marquise de Saint-Paul ».
J’entendis le conseil, mais je m’y rendis trop tard. Une fois de plus, le deliberando sæpè perit occasio me joua un méchant tour : j’entends celui de laisser, sans que nos regards en aient extrait le spectacle et déduit la moralité, s’écouler l’espace de jours qui nous en offraient le champ d’exception. C’en est un, en général, que celui qui nous est soumis par ce que j’appelle ici les Musées pour rire ; et, si j’en juge par ce qu’il nous présente encore, même modifié, celui dont je parle, dut être, à l’époque où on me le signala, un des plus typiques du genre.
Tel qu’il subsiste, nous allons l’examiner, non sans avoir tout d’abord spécifié ces modifications et recherché leurs causes. En ce qui regarde ces dernières, notons bien vite, qu’il suffit, pour les déterminer, de quelques réflexions caustiques, amenant les organisateurs à s’apercevoir que le public ne se croit pas toujours forcé d’entrer dans un plan d’admiration mutuelle.
L’instinct de faire un nid, dont parle le poète, et qui tourmente les hommes, au cours de leur brève existence, cet instinct se prolonge. Oui, l’instinct de faire un nid à ce qui s’est groupé autour de nous, durant notre carrière, vient à plusieurs, à beaucoup, disons-le, à un trop grand nombre.
Cette forme de l’amour-propre, qui consiste à se survivre dans la glorification, plus ou moins relative, des objets qui nous ont appartenu, est trop humaine pour que, si les États et les cités ne l’enrayent, la menace ne se dresse, contre eux, de voir nombre de particuliers s’ériger, de leur vivant, dans leur petit hôtel, une sorte de cénotaphe civil, tenant à la fois du muséum et du mausolée, et dont la concession à perpétuité, hors-cimetière, est bien écrasante pour se mesurer avec le peu de durée des objets auxquels on en accorde l’excessif honneur.
Si la création du Musée constitue, pour un pays, une richesse et une gloire, la Collection Cernuschi, malgré ce qu’elle a de remarquable, répond-elle au besoin d’une nation ? — Que dire de la Collection d’Ennery ? — Or, je prends à dessein des réunions d’objets d’un intérêt réel, parce que, s’il y a lieu de condamner même celles-là, le procès des autres sera fait du coup. Encore une fois, il y a danger à risquer de transformer une ville, en une sorte de champ de repos, composé de petites chapelles devenues silencieuses, et dans lesquelles le fumeron de la vanité n’éclaire que trop, des bibelots que rien n’engageait à sortir de l’ombre.
Quand le don est fait directement à un Musée, le mal n’est pas moindre, si la faveur accordée au donateur, de prolonger son souvenir, à l’aide d’une exposition permanente, apparaît plus importante que celle accordée au dit Musée, par l’adjonction, à ses richesses, de médiocres objets d’art et de contestables chefs-d’œuvre.
Pour une Collection La Caze, d’ailleurs bien mal récompensée de ses beautés, par le traitement qu’on lui inflige, que de legs inconsidérément acceptés, au Musée du Louvre ! Quel rehaut lui apportent, je vous le demande, les copies à l’aquarelle de la Collection Thiers et ses piles d’assiettes ?
Le Louvre ! quelle tentation, pour le snobisme esthétique, d’inscrire un pareil nom sur son testament, de se constituer un héritier si honorifique ! Il est à craindre que la Comtesse René de Béarn n’y résiste pas.
Mais il n’est pas besoin que le Louvre lui-même soit en jeu, pour donner à réfléchir sur le sujet. L’acceptation d’un legs comme telle ou telle donation connue ne s’impose pas. Les testateurs le savent bien, qui posent au gouvernement une colle posthume, et se retranchent derrière un prendre ou laisser immédiat, qui ne manque pas de pouvoir, puisqu’il enlève l’affaire.
Cette question, comme la question de la Censure, est de celles qui se représentent continuellement au tribunal des peuples ; j’entends l’aléa d’accepter ou de refuser des dons entre vifs, ou des présents d’outre-tombe. Il y faut une grande circonspection, laquelle, d’ordinaire, se voit remplacée par de lourdes gaffes. Il est aujourd’hui à peu près certain que la Collection Wallace aurait pu, un moment, appartenir à la France. On sait ce qu’il en est advenu. Il a fallu, à Georges Hœntschell, de la persévérance, et l’ingénieuse collaboration d’Henry Lapauze, pour glorifier, comme ils l’ont fait, l’œuvre de Carriès. Dieu veuille (et Saint Orphée) que la contrepartie naturelle d’une telle erreur et d’une telle hésitation, ne soit pas d’accueillir triomphalement quelque pinacothèque de toc !
* *
Paulŏ minora canamus. C’est par là que nous avions commencé, là que nous voulions en revenir ; mais il nous fallait, pour donner certaine force à notre démonstration, l’appuyer sur des exemples plus importants, lui donner de plus solides bases.
Convenir avec nous de ces deux dangers : encombrer le Louvre de dons insuffisants et combler Paris de collectionnettes ; puis ajouter que la province doit se montrer bon enfant et tout heureuse d’accepter le déchet de ce qui messied à la Capitale, ce serait ne se montrer qu’à demi clairvoyant et à moitié juste. La dénomination de Musée contient et représente une dignité qui n’est ni parisienne ni provinciale, et ne devrait jamais être conciliable avec de petits panthéons individuels ou du bric-à-brac sans valeur.
Tels n’en sont pas moins, je le répète, les deux dangers qui menacent le Musée de province.
Or, il ne faut pas oublier que le petit Musée de Montauban contient la collection des dessins d’Ingres, et le Musée de Nantes, son portrait de Madame de Senones, pour ne citer que ces deux exemples. Ils suffisent à prouver que rien de grand n’est étranger aux galeries provinciales, et que, s’il leur convient de rester peu remplies, ou de demeurer désertes, même ce dernier état serait préférable à la faute de les faire servir à telles ou telles glorifications individuelles, par des accumulations de colifichets ou de bimbeloterie.
Pour ce qui est du premier cas, à savoir ce que j’appelle le petit panthéon individuel, c’est lui que nous devons examiner, parce que c’est lui qu’il faut rendre responsable de l’autre, c’est-à-dire : l’apport du bric-à-brac sans valeur.
Qu’est-ce qui pousse le particulier à cet envahissement du territoire public ?
Ce serait évidemment mal s’exprimer que de parler d’infatuation, à propos d’un véritable mérite. Néanmoins, traitant de Monsieur Sargent, je me souviens d’avoir écrit : « Quand certains hommes sont devenus tout à fait, je ne dis pas de grands hommes (de ceux-là l’espèce est encore rare), mais de grands bonshommes et, si vous préférez, de gros bonnets, il semble qu’on ne puisse plus, sous peine d’impiété, hasarder la plus faible objection sur leurs grosses méprises. C’est leur rendre un très mauvais service. Il en résulte, pour eux, ce sentiment d’infaillibilité sous-entendue, toujours dangereux pour celui qui s’y abandonne. »
C’est, on peut l’affirmer, il me semble, d’un sentiment équivalent à celui-là, que peut résulter, du fait même de quelqu’un de valable, la création du petit panthéon individuel. Il se peut que le grand bonhomme et, si vous voulez même, le grand homme vive dans une atmosphère d’adulation qui lui fasse perdre de vue que ses mérites n’ont pas de raison de rendre chères, fût-ce à ceux qui les apprécient, telles circonstances de son existence, ou des membres de sa famille.
On peut admirer la Danse Macabre et les Mélodies Persanes, sans que, pour cela, les souvenirs de « la Grand’Tante Masson » deviennent un objet de culte.
Le rédacteur du catalogue nous apprend que le Musée Saint-Saëns a été créé pour servir de cadre aux œuvres de Madame Saint-Saëns mère, qui était « la meilleure élève de Redouté ».
Or, comme peu d’instants de réflexion suffisent à nous persuader qu’un Musée, composé d’œuvres de Redouté lui-même, n’offrirait qu’un intérêt restreint, je vous laisse à tirer la conclusion, en ce qui concerne les œuvres de sa meilleure élève.
Il est facile de démontrer la touchante erreur, qui fait qu’un artiste réputé veut faire participer à sa renommée des mémoires qui lui sont chères. Cependant, non seulement il n’est pas prouvé que son public ait le devoir de le suivre dans cette voie ; mais on peut même affirmer qu’il est en droit de l’abandonner sur ce point.
Le « ayant appartenu » ne saurait être suffisant pour conférer du prestige à des objets qui n’en sont pas doués par eux-mêmes, que si le feu titulaire, fût-il, entre tous, respectable, possédait d’autre titre que celui de tenir de près à un grand artiste, lequel tire de son cœur l’admiration à lui inspirée par les œuvres du défunt.
Entre autres objets de ce genre, je me vante de posséder, la cage de Michelet, la canne de Musset, les lunettes de Becque. Mais ces noms en disent assez pour doter de rayonnement les pauvres choses qui les accompagnent.
Il est possible, sans manquer de respect à la gloire de Monsieur Saint-Saëns, et sans risquer de méconnaître son noble sentiment filial, qu’on puisse ne pas juger de même à l’égard de ce qui nous est donné pour la raison d’être de son Musée. Et, puisque le reste n’est que pour servir d’encadrement, examinons un peu ce cadre.
Et, tout d’abord, je dénonce un scandale ; l’indigne placement infligé, par le Musée de Dieppe, à l’œuvre charmante de Madame Madeleine Lemaire : le Char des Fées. Ce tableau (le catalogue nous l’indique) fait partie du Musée Saint-Saëns. Alors pourquoi n’y figure-t-il point ? Ce n’est pas assez le louer que de dire qu’il en serait le plus bel ornement. Et si Monsieur Saint-Saëns a jugé bon de spolier ses salles, d’un tel appoint, pour en faire bénéficier le Musée proprement dit, comment n’a-t-il pas mis comme condition à sa générosité, qu’on la reconnaîtrait d’un meilleur remerciement que de perdre dans les frises, l’œuvre qui en faisait l’objet ?
Ce n’est pas, certes, Monsieur Blanche qui voudrait y contredire, lui dont la grande artiste occupe l’atelier, toujours au dire du catalogue.
Quel que soit donc l’exceptionnel intérêt de l’œuvre exposée, au même Musée de Dieppe, par ce peintre, nous ne doutons pas qu’il n’ait à cœur d’en céder galamment la place à l’étincelant Char des Fées. Et cependant, jamais le jeune Maître ne s’est montré plus en possession de ses moyens, ni mieux inspiré que dans la réalisation du poignant chef-d’œuvre dont il a fait don à la ville maritime.
Ce tableau, nul de ceux qui l’ont vu, autant dire admiré, n’en aura perdu le souvenir. C’est l’enfant se préparant à subir l’opération de la transfusion du sang. Bien que coiffée de fourrure, et son pauvre petit corps roulé dans un amas de pelleterie, au point d’en paraître inexistant, la diaphane fillette anémiée grelotte et, sans doute, n’est pas non plus sans trembler, à l’idée de la minute redoutable. Néanmoins, une flamme est dans ses yeux, on sent qu’elle aura du courage et qu’un jour, bientôt peut-être (Dieu le veuille !) nous verrons le rose affluer à ses joues pâlottes et colorer ses menottes de cire.
Non seulement cette page est une des plus expressives de l’œuvre si personnelle de cet artiste, mais c’est une des plus marquantes de l’École Française ancienne et moderne, mieux encore un saisissant spécimen de l’histoire de l’humanité. Sa place est, moins dans un Musée frivole, que dans une clinique de hautes études, entre une reproduction du Médecin aux Urines et un fac-simile de la Leçon du Professeur Tulp.
Revenons au Musée Saint-Saëns et, cette fois, pour ne plus le quitter, avant d’en avoir fait le tour. Au moins un petit tour, car d’autres tournées nous sollicitent ; un tout petit tour.
* *
Voici d’abord, deux portraits de Monsieur Saint-Saëns, qui, pour être dus à des artistes peu connus de nous, n’en offrent pas moins d’intérêt. Qu’on en juge par leur description dieppoise.
Le premier est porté au numéro 1807 du catalogue, qui nous le présente sous cette forme : « C. Saint-Saëns, de profil, couronné et tenant une lyre, chevauche un aigle planant dans les nuages. » Signé : « A Saint-Saëns, J. Nucci, contre-basse, son admirateur. » — L’autre, inscrit au numéro 1809, nous apparaît un peu moins ambitieux, mais non moins pittoresque : « Camille Saint-Saëns, debout sur une masse de volumes empilés, œuvres du Maître, avec cette inscription : « Saint-Saëns, célèbre musicien. » Signé à gauche : « J. Parera », avec cette dédicace : « Au grand artiste, le petit Parera, Barcelone ».
Au reste, et soit dit en passant, le Maître nous paraît avoir le don de faire jaillir, de ses admirateurs, les facultés les plus inattendues. C’est, en effet, à peine si nous en croyons nos yeux, quand nous lisons, au numéro 1814, « Henri Roujon, Tête de Camille Saint-Saëns, de face. Dessin au crayon, croquis. » Ce mot croquis a beau être modeste, n’en voilà pas moins Monsieur Roujon passé décorateur. Nous ne l’attendions pas dans ce nouveau rôle. Le « cesse de vaincre… » s’impose.
La Marquise de Saint-Paul emboîte le pas. Celle-là aussi sort de son domaine, celui des bruits. Lisez plutôt, à la suite de son nom, au numéro 1815 : « Fleurs, anémones, et sa tête photographiée ». La rédaction, qui surprend un peu d’abord, s’explique ensuite. Fleurs, qui ferait pléonasme avec anémones, s’applique pareillement à la tête de la Marquise. Et, alors, cela va de soi.
Au numéro 1990, dans les portraits divers, nous lisons ensuite ces mots mystérieux : « Profil d’une tête de nègre, avec reproduction d’attestations. » Après tout, c’est peut-être le nègre de Mac-Mahon, flanqué de la phrase célèbre. — Au 1992, la Reine de Roumanie a écrit une de ses phrases simplettes : « Devant le buisson en flammes, on ôte ses souliers et l’on donne son âme. » — Pour Loti, elle s’est fait représenter, offrant théâtralement, à une image de Madone, un diadème de carton et un instrument de même matière, avec, au-dessous, toujours en toute simplicité : « Ma Couronne et ma Lyre aux pieds de la Mater Dolorosa. » — Au 2015, nous rencontrons Mademoiselle Harding, dans le rôle de Phryné, et respirant une rose. Cette photographie, comme on le voit, n’a pas été prise le jour de la première.
Au 2084, dans les papiers de famille, voici des « Lettres de Monsieur Grisard du Sauget, cousin de Madame Masson, dans lesquelles il est question de deux tableaux, en sa possession, qu’il croyait de Fra Angelico et qui n’étaient que des copies d’après Van Loo. » — La distance est, en effet, assez grande pour mériter d’être mentionnée. — Au numéro 2090, c’est de Madame Masson, née Charlotte Gayard, grand’tante de Saint-Saëns, « une poésie intitulée : A mon esprit (son mari, Monsieur Masson, libraire, à Paris). » — Au numéro 2091, dans une lettre de Madame Saint-Saëns mère, il est fait mention de Camille « malade, pour avoir trop grandi ». La scène se passe en 1848. Empressons-nous d’ajouter que, depuis, il ne cesse de grandir, mais, grâce à Dieu, se porte comme le Pont-Neuf. — Au numéro 2092, autre lettre de Madame Saint-Saëns à son fils « après lequel elle est en colère ». — Viennent ensuite des lettres du Maître lui-même. Elles sont infiniment variées de ton. Qu’on en juge, puisqu’elles traitent successivement « d’études comparées sur le chant des obus », de l’éruption du Vésuve, de la gentillesse des ours bernois et se terminent sur un « mot sans date et sans adresse, à un intime dont il réclame la présence, en lui apprenant que son petit André s’est tué en tombant par la fenêtre ».
Parmi les nombreuses lettres adressées à Monsieur Saint-Saëns, il y en a huit de la Marquise de Saint-Paul. Gageons qu’il pourrait bien s’en trouver une pour taper le Maître, d’une petite audition Rue Nitot, en l’honneur de la Sainte Eugénie.
Quant aux huit lettres de la Vicomtesse de Trédern, je ne serais pas surpris, au contraire, qu’elles aient, toutes les huit, pour but, d’offrir son concours.
Au 2248, j’entends parler d’une grande scène lyrique intitulée : La Marquise de Présalé ; et je me demande s’il ne s’agirait pas d’une préfigure ou, si vous le préférez, d’une post-figure de la même Marquise Versaillaise. — Au 2165, saluons, en passant, du Docteur Don Grégorio, un éloge des Canaries et de Camille Saint-Saëns. — Au 2283 et passim, notons des tambourins, peinturlurés et honorifiques, offerts par la Marquise de Blocqueville, cadeaux significatifs qui nous permettront de faire valoir, tout à l’heure, un éloquent rapprochement. — Au 2319 nous enregistrons la présence d’un « casse-croûte en bois orné ». Cette expression ne nous étant pas très familière, nous en cherchons le sens dans notre dictionnaire, qui nous apprend, sans ménagements, qu’elle signifie : « instrument qui sert à broyer la croûte pour ceux qui n’ont plus de dents ». On comprend, dans cette circonstance, que le catalogue n’indique pas de qui provient ce bibelot, moins heureux, par suite, et moins illustre que ce presse-papier, orné d’un cheval au galop, dont on nous apprend qu’il fut, lui, la propriété de Monsieur Ambroise Thomas.
Casse-croûte et presse-papier, que vos destins sont divers !
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A notre regret, nous devons borner notre glane dans le Musée Saint-Saëns.
Donc, après avoir noté nombre de familières dédicaces « à l’ami Camille » et cette inscription plus altière de Divus Camillus, il ne nous reste plus qu’à recueillir les échos du Dimanche 18 juillet 1897, mémorable jour de l’inauguration du Musée Saint-Saëns. Le menu du banquet nous est parvenu. Nous savons qu’il eut pour prélude un « cantaloup glacé » et pour finale, un « Gâteau Camille Saint-Saëns ». Là, nos connaissances gastronomiques sont en défaut. Nous avouons ignorer cette pâtisserie, ne pas savoir si elle est feuilletée ou glacée, en forme de tarte ou de tourte, de chausson ou de pièce montée. Cependant, un esprit de déduction nous porte à croire que ce pourrait bien être tout simplement (n’êtes-vous pas de notre avis ?) quelque chose comme un Saint-Honoré de la Musique.
Ce qui est certain c’est que l’entremets fut mangé aux sons de la cantate ci-jointe, due à la lyre d’« un vieil ami », Monsieur Alfred Tranchant, que certainement Rivarol, en récompense, aurait placé dans son Petit Almanach des Grands Hommes, à côté de Minar de la Mistringue.
A CAMILLE SAINT-SAËNS
Et maintenant, muni de la lampe de porion, trouvée « auprès d’un cadavre » dans le puits numéro 2, à Billy-Montigny, faisons une dernière station au Musée d’Histoire Naturelle qui, lui aussi, porte des traces de la générosité de Monsieur Saint-Saëns. Admirons le « Macrocrona » dont il a doté ces vitrines, en même temps que de « sauterelles d’Algérie », de « crânes de cochon et de porc-épic », de « coquilles à l’état fossile, recueillies dans les déjections boueuses du volcan éteint, nommé Mont de Galdar, aux Grandes Canaries ».
Puis, éloignons-nous, éblouis, charmés, un peu étonnés, un brin frissonnants, à travers les « crânes mérovingiens », les « bras décharnés », les « fœtus humains », les « calculs de vessie », les bocaux de ténias, les cocons, les coucous, les molaires d’éléphants, les mâchoires de marsouins, les restes de cachalots ; les araignées de mer, les bécasseaux, les huîtriers, les oies-cravants, les buses pattues, les outardes barbues, les stercoraires parasites, les guillemots à capuchon et les pingouins en plumage de noce !