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Brelan des dames

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II
LES MIRLITONS AZURÉS

L’Invitée : « Baptiste, quelle est la poétesse que la Duchesse vient de serrer dans ses bras ?

L’Annonceur : « Madame la Marquise est comme moi, nous ne connaissons personne aujourd’hui. »

Forain.

Ayant eu l’occasion d’étudier, dans le précédent Essai, le personnage d’une Précieuse de la première moitié du dernier siècle, je me suis demandé si un type semblable, ou seulement similaire, se pourrait reproduire de nos jours, en tenant compte des modifications qui résultent de l’entourage et de la mise. — Mais n’est-ce pas déjà beaucoup, étant donné ce que nous avons vu accomplir par ces deux éléments combinés ?

Quant à la mentalité résultant, pour Maîtresse Corbeau, de l’infatuation due à la flagornerie des renards d’à présent, serait-il même besoin d’insister beaucoup pour la faire reparaître ? Certain « délicieux chevalier » que nous voyons jouer un rôle de metteur en scène, dans l’histoire du bas-bleu d’avant-hier, ne demande qu’à ressusciter (si ce n’est déjà fait) pour organiser les « thés littéraires » où Mademoiselle Vacaresco, bombant sous son noir, débite la Ballade Roumaine.

Il persuade aux mondaines, le chevalier, comme autrefois Caro, qu’elles pourraient bien avoir en elles, les moyens (dirai-je : le moyeu ?) d’un Voiture. C’est lui qui les incite à éclaircir leurs crêpes, pour déjeuner chez un tiers, avec Pierre Lafitte, et lui lâcher, au bon moment, qu’elles ont « fait de jolis vers… hier ». — Le décevant barbier, lui, devait toujours raser gratis, le lendemain… Elles, c’est toujours la veille, qu’elles ont rimé, et pourtant, cela revient au même.

Dès l’aube, elles ont apostrophé le berger de la montagne, trempé la soupe aux herbes des champs, et leur mouchoir, des pleurs de la nuit ; puis, dans une branche du laurier d’Apollon, taillé la poutre qui doit occuper leur œil, sans les empêcher de juger la paille des autres points de vue. Ainsi nanties, elles se glissent aux réunions de Fémina, au Concours Sévigné, au Thé Conférence. Le délicieux chevalier les attend, à la sortie, pour les conduire au Dîner des Poètes, où l’on vient de les élire. Dans l’intervalle, elles ont posé pour un photographe de Madame et Monsieur, et on leur a pris une interview. — N’est-ce pas, après tout, assez échauffant, de s’asseoir à son bureau, devant un kodak, et d’affecter un air de Sibylle de Cumes en invoquant la Postérité, et en composant des vers à son édredon ?

Mais elles sont nombreuses, celles qui sortent aujourd’hui de ce gaufrier et rien ne peut, ne doit sembler plus ordinaire. Il faudra donc, pour que le type reprenne du relief, qu’il se greffe sur des circonstances capables de lui assurer, avec abondance et continuité, des développements falots et risibles.

Ces circonstances peuvent se rencontrer.

Quand notre Dame de Charité, lectrice-née d’un journal à charades et à patrons, s’égare dans les officines d’un journal à palmes, elle y rencontre les plus dodus encriers de la contemporaine production féminine. Mais la quenouille, qui veut se faire aussi grosse que Madame Bulteau, risque fort de perdre son lin, sans gagner de laine. Tout au plus obtiendra-t-elle qu’on lui applique le titre travesti du roman de cette éminente confrère ; et, ce titre, ce sera, pour elle : La Sueur sur la Rime.

*
*  *

Un des principaux obstacles à la réapparition, de nos jours, du type dont je parlais plus haut, c’est, tout d’abord, et tout simplement que le Bas-Bleu n’existe plus. J’ai dénoncé, ailleurs, les raisons de cette faillite, selon moi, regrettable, si je le compare au type qui s’y est substitué. La femme savante, même dans la mauvaise acception du mot, ne valait-elle pas mieux, en effet, que la femme soi-disant sincère, fort exactement définie par Monsieur Richepin, dans sa Préface au livre de Monsieur Stoullig, l’autoresse « dénuée de style et de grammaire », la poétesse « incapable de chanter quatre vers de suite se tenant », mais très capable « de prendre une antiquaille pour une trouvaille en sa gaucherie niaise et prétentieuse » ?

J’ai moi-même ajouté quelques touches à ce portrait, dans ma réponse à Émile Berr, à propos de l’Avenir de l’Aristocratie :

« En ce qui concerne les femmes, ces immunités vont plus loin, elles tournent à ce que j’appellerais volontiers : l’ovation dans l’œuf. Une autre que Madame de Noailles pourrait trouver mauvais de voir mettre à son niveau, de si foudroyante façon, des Saphos si élémentaires. Elle s’en gardera bien, puisque ce serait manquer d’esprit. Elle se contentera d’en sourire. Il n’en est pas moins vrai que des dames cessent brusquement de tricoter, pour délyrer, et remplacent les aiguilles dont elles ourdissaient des coiffures pour de petits gueux, par des calames, tressant, dressant, pour Apollon, des lauriers qui se souviennent du casque-à-mèche.

« Ont-elles raison, ces Parques, de vouloir jouer les Muses ? Elles brodaient au passé ; aborderont-elles à l’avenir ?…

« Pour celles qui sont sincères, je conseille de se représenter l’accueil qui serait fait à la nouvelle qu’elles ont perdu leur titre (nobiliaire), leur fortune, leur hôtel et leur cuisinier. Peut-être l’interview se ferait moins nombreuse, l’appareil photographique les viserait moins, on se passerait d’elles dans les banquets et les distributions de prix ; traitements dont, au reste, elles n’auraient qu’à se louer, s’ils communiquaient un peu d’hésitation à leur lyrisme, de sécurité à leur syntaxe et de discrétion à leur génie. »

Ce portrait n’est pas du tout celui de la Précieuse d’avant-hier. Elle avait beau se défendre d’être un bas-bleu, elle l’était parfaitement, une femme savante, trop savante, à tort et à travers, j’en conviens, mais avec, au moins, le mérite de son étude et de son effort.

Point n’était autre, cette Marguerite de Navarre à qui l’Évêque de Meaux écrivait : « Madame, s’il y avait, au bout du monde, un docteur qui, par un seul verbe abrégé, vous pût apprendre, de la grammaire, autant qu’il est possible d’en savoir, et un autre, de la rhétorique, et un autre, de la philosophie, et aussi des sept arts libéraux, chacun par un verbe abrégé, vous y courriez comme au feu. »

Les dames dont je parle ne veulent, elles, rien apprendre que l’Art d’accommoder les restes d’Orphée, et d’en trousser un miroton, aromatisé de laurier-sauce.

Un qui plaide pour leur cause, sans d’ailleurs y tenir beaucoup, et plutôt pour donner satisfaction aux sentiments d’amitié qui l’unissent à une de ces Demi-Muses, me disait récemment : « A-t-on le droit de chicaner les gens sur les passe-temps qu’ils adoptent ? » — La proposition n’est pas soutenable. Et si les gens décident, ingénument ou non, de se moquer du monde en lui donnant des vessies pour des lanternes, comment le monde ne serait-il pas en droit de faire sentir aux gens qu’il n’est pas leur dupe ? Comment, en outre, cette déclaration ne serait-elle pas la contrepartie de la joie qu’on peut et doit éprouver à honorer une Desbordes-Valmore, dans le passé, et à vanter, dans le présent, un livre comme Les Huit Paradis par exemple ?

C’est le même sophisme dont usait, avec une égale insincérité, un homme de talent, cherchant à innocenter l’encrier de sa Dame : « Elle fait ça, disait-il, comme elle ferait de la tapisserie. » Oui, la tapisserie, c’est toujours à elle qu’il faut en revenir ; mais non pour l’injurier, comme voulait cet auteur, en la comparant à de la cacographie.

Beaux canevas, attendus par le point de Hongrie, espérés par le point de Saint-Cyr, je crois plutôt vous avoir rendu justice quand j’écrivais à une de vos anciennes fidèles, menacée de vous abandonner pour le point d’admiration de la fausse gloire : « C’est déjà bien assez triste de ne pas faire de la tapisserie ! Une femme, selon moi, ne doit y renoncer que si la Sapho qui est en elle, — ou qu’elle y croit, — l’emporte décidément sur la Pénélope que, pour mon compte, je préférerai toujours ! »

J’ai, pour cela, de bonnes raisons : je reçois, d’une dame Scandinave, qui était venue voir mon palais rose, un coussin charmant ; il porte inscrit, en caractères de rubis, de grenat et de corail, de pourpre et de sang, de feu, d’aurore et de fantaisie, le nom de ma demeure, tracé de soies aux rougeurs diverses, laques sombres, carmins pâlis, les premiers comme le jour quand il expire, les seconds comme le jour quand il naît. — Oh ! que ce coussin me repose ! Non seulement d’être venu, des pays du ski, servir à ma sieste ; mais d’être un oreiller auquel on ne fait pas de vers !… et dont l’Atropos qui le brode, m’apparaît comme une parque d’élégance et de délicatesse, faisant justice du Prix Vie Heureuse… et même du Prix Nobel !

Mon Zodiaque de lettres féminines est au complet. On n’y jetterait pas une épingle, — même à tête bleue. Douze signes, douze cygnes.

J’y vois Madame Edmond Adam, la vaillante doyenne de nos auteuresses et la robuste aïeule de nos politiciennes ; Gyp, qui est ma voisine et, j’ose dire, mon amie ; Judith Gautier, que je considère ; Daniel Lesueur, dont les facultés jouent avec une souple force, capable de redonner foi en la vie ; Madame Alphonse Daudet, qui a un joli brin de plume aux aiguilles de son tricot ; Madame Bulteau, qui traite ses lecteurs de napoléonienne façon.

Partout Lui, toujours Elle, ou brûlante, ou glacée,
Leur image, sans cesse assiège ma pensée !…

Madame Goyau, dont la culture désarme et dont la bonne grâce attache ; Madame Delarue-Mardrus, que j’admire et que j’aime ; Madame de Régnier, que j’apprécie sans la connaître, et Madame de Noailles, que j’admire sans l’aimer.

Enfin, la Princesse Bibesco, sur le seuil de ses Paradis, comme un charmant Saint Pierre féminin dont le trousseau compte huit clefs ; et certaine montagnarde dont j’ai oublié le nom, qui fait du Théocrite dans les Grisons, et du Lespinasse dans l’Engadine, brûle sur la glace, et nous apparaît un peu comme une Religieuse Portugaise de la neige.

J’entends une voix me dire qu’un zodiaque féminin, dans lequel ne figure pas Madame Séverine, a bien des chances d’être incomplet. Et comme je suis de cet avis, je propose d’associer Madame Goyau et Madame Bulteau, pour en confectionner de considérables Gémeaux. Deux têtes sous un même bonnet, deux bienséances sur un même siège. Cela nous rendra, pour l’auteur de Pages Rouges, le signe auquel il a droit, et que nous lui offrirons de grand cœur.

Quant à la Duchesse de Rohan, elle s’est mise à jouer aux Lettres, avec une puérilité enjouée dont je ne conteste pas la bégayante bonhomie, et comme les enfants font des trous dans le sable, ou organisent une dînette, au cours de laquelle une noix joue le rôle d’un poulet rôti, cependant qu’une crotte de chocolat prend l’importance d’un plum-pudding ; elle malmène l’alphabet, elle tripote les mots qui servirent à Montesquieu et à Chateaubriand, à Hugo et à Gautier (je ne cite que ceux-là) pour construire leurs pyramides ; et elle les dérange en petits pâtés, pour ses amis et connaissances. Elle fait penser à des écoliers brouillons et naïfs, qui auraient ouvert un médaillier, et pris des profils laurés pour jouer au bouchon. Comme ces espiègles sont bien gentils, on ne les gronde que juste ce qu’il faut. Seulement on leur reprend les Césars, pour les remettre dans le médaillier… dont on ne laisse plus traîner la clef.

*
*  *

« C’est regrettable qu’il ne se soit trouvé, dans son entourage, personne pour la décourager ! » me disait fort bien un jeune homme qui, dans ce temps-là, ne manquait pas de clairvoyance, en me parlant d’une de ces dames fâcheusement atteintes de ce que j’appellerais volontiers : l’incontinence du rythme.

C’est bien dit, avec mesure, indulgence et sévérité.

Non, il n’a pas raison (et il le sait bien) l’ami du Quart-de-Muse, quand il affirme qu’il ou elle a le droit de se divertir, aux dépens de nos oreilles et de nos cœurs.

Notez d’abord que la personne prendrait elle-même fort mal, si elle en avait vent, le plaidoyer de son défenseur, parce qu’elle n’admet pas du tout que son passe-temps soit, pour elle, un amusement, mais bien un labeur ; elle y insiste, pleurant, avec sincérité, les jours perdus, par elle, pour l’Œuvre ! — Non, il n’a pas raison, et il le sait encore mieux, le subtil ami du d’Annunzio féminin, en affirmant que son Égérie est en droit de ne pas tapisser. Quel service cette nymphe aurait-elle rendu à Numa, si elle avait prétendu régner pour son compte, au lieu de l’assister, dans son intérêt ?

Là est la maldonne transcendante. Quand celles qu’on appelait autrefois les Maîtresses de maison (avant l’invention de Madame Four) se seront toutes mises à jouer du plectre, ce n’est pas chez elle qu’on ira jouer de la fourchette. Et on n’aura pas tort : on y mangerait mal.

Non, une Maîtresse de maison ne doit pas être un d’Annunzio féminin, mais un Mécène féminin, si elle est apte à jouer ce noble et difficile rôle ; et, si elle a le bonheur d’avoir un d’Annunzio chez elle, je lui conseille de le prendre par la main, de le conduire vers ce qu’elle aura de mieux à lui soumettre comme tribune ou comme cathèdre, au lieu d’y monter elle-même et de s’y asseoir, en offrant à son public, moins docile et moins louangeur qu’elle ne le croit (à quelques exceptions près, prises dans l’aveuglement ou dans la flatterie) offrant, dis-je, un spectacle assez semblable à celui du Dormeur éveillé, ou du personnage qui en est l’équivalent dans le prologue de la Mégère Apprivoisée.

Oui, représentez-vous qu’une simple lectrice (encore pas des meilleures puisqu’elle s’endormira) s’endorme sur les œuvres d’un bon poète, et qu’elle se réveille, persuadée par un songe (à moins que ce ne soit par Monsieur du Bled, Monsieur de Bouchaud ou Monsieur Sarlovèze) qu’elle est devenue ce poète lui-même. Vous voyez d’ici les amusants développements, sans compter les enseignements, qu’un dramaturge pourrait tirer de cette situation, jusqu’au réveil final, accompagné, je le crains, de quelques nazardes.

Fallait pas qu’elle y aille !

Or, savez-vous ce qu’elle fait, en attendant la foudre, la Demi-Muse ? — Je le demandais, l’autre jour, à quelqu’un qui la fréquente, et qui me répondit, sans que j’aie bien su démêler ce qu’il y avait de blagueur ou de convaincu, dans cette réplique : Elle jouit de sa gloire !…

Je préfère, je l’avoue, et infiniment, celle de la Dame qui, — au lieu de chercher un Orphée dans son for intérieur, où ne se rencontre que Morphée — regarde autour d’elle, et trouvant, hors de son âme, ce qu’elle y poursuivait imprudemment, un artiste vrai, lui fait la fête et la place qui conviennent, avec goût et avec grâce.

Mais si la Poésie est réellement en elle, et capable de s’exprimer, combien plus grande sera la valeur de la Dame, quand elle fait, de son plein gré, le sacrifice de ce don, lui préférant son devoir, qui est d’accueillir un talent supérieur au sien, et de le célébrer, au lieu de le contrefaire !

C’est le grand mérite de la Comtesse Greffulhe, d’avoir su comprendre cette loi, et c’est l’hommage que j’ai tenu à honneur de lui rendre, sur ce point, au cours du passage que je lui ai consacré dans mon Éloge de Gustave Moreau :

« Certes ! il y a quelque chose de divin, dans le fait de retrouver une main, que pourraient distraire des futilités, sans cesse occupée à exalter de nobles causes d’art ; et cela, sans y mêler rien de pédant, sans y ajouter des productions personnelles, qui en excluraient le désintéressement ; en un mot, sans rien perdre de sa grâce. »

Une autre Grande Dame, la Duchesse de Rohan, parut, un instant, aussi, se complaire dans l’art désintéressé d’accueillir les Maîtres, de les exalter et semblait devoir y exceller.

Je ne sais ce qui l’en a détournée ; une simple distraction, je veux l’espérer, et qui ne se prolongera pas, je veux le croire.

*
*  *

Un mien ami qui se fait un malin plaisir de me mystifier, m’apporte, parfois, de soi-disant vers de poétesses à la mode. Je le soupçonne de les fabriquer à mon usage, ces vers ; mais comme il réussit à m’égayer, je n’approfondis pas, et me laisse bercer par cette Érato incohérente. Voilà sa dernière cueillette, dont je lui laisse la responsabilité :

J’aime à me promener sur les bords de la Seine,
Sur la berge fleurie ou sur le Cours-la-Reine…

Ceci, mon ami le chante sur un air de Café-Concert, avec lequel le distique s’accorde, à vrai dire, assez bien.

Mais ce n’est qu’une entrée de jeu. Voici maintenant une veillée mortuaire, dans une maison de paysans.

Le cheval et la vache,
Compagnons des labeurs,
Veillaient après leur tâche,
Tout près, comme les sœurs.

Mon ami trouve le dernier vers irrévérencieux pour les nonnes.

De prime-abord, cette critique peut paraître avoir raison. Mais, en y regardant mieux, ne serait-ce pas le cas d’évoquer cette fameuse sincérité dont parle Richepin, et de rappeler ces tableaux de primitifs, en lesquels, dans le voisinage d’une crèche, on voit fumer des mufles et renifler des naseaux, non loin de la touchante humanité des bergers et des rustres ?

On voit que mon ami exagère.

Le vrai, c’est que ces dames-maçonnes (ou qui auraient pu l’être), dans leur empressement à construire un monument rival de celui d’Horace, en oublient un peu trop la simple construction grammaticale. Il n’est que trop certain, que celle qui s’écrie, dans un bel élan :

J’étais sur le balcon, près de Louis de France[9] ;
Il était à cheval…

donne à entendre, incontestablement, que ce balcon est de proportions assez inusitées, puisqu’il supporte un cavalier avec sa monture. Or, il n’en est rien ; en réalité, la Dame est sur le balcon de Monsieur de Nolhac, et à quelques mètres de la statue équestre de Louis XIV. Seulement, cela, notre poétesse le sait si bien, qu’elle oublie de le dire, sans s’apercevoir qu’elle dit tout autre chose, et d’assez comique, ma foi ! Heureusement que :

Le célèbre Nolhac, l’érudit de sa race…

est là pour tout remettre en place : la dame, chez Vaugelas, le Soleil, sur son socle, avec son coursier, et se voit récompensé de son hospitalité, non moins que de ses soins, par ce bel hexamètre qu’on ne lui envoie pas dire.

[9] Cet auteur se plaît fort à faire apparaître nos grands rois dans ses petites machines. « Henri IV a passé… une branche a cassé… » sans autre raison que de fournir une rime, et la provision de chevilles nécessaires à l’établissement de la chose.

J’ai pour amie une femme d’esprit qui, non seulement découpe et collectionne les strophes de cette poétesse, mais les fait encadrer. Après tout, l’encadrement c’est une distinction, quels qu’en puissent être les motifs. Tout le monde ne l’obtient pas. Mon amie aime mes vers, elle ne les fait pas encadrer.

Ce qui suit, mon ami l’admire, et il a raison. Il s’agit d’un caniche au poil jamais taillé trop court.

Le citateur affirme, et je suis de son avis, que rien ne donne la sensation de l’infaillibilité, comme ce jamais appliqué à la tonte. Les années, elles-mêmes, peuvent être d’inégale durée, bissextiles, en un mot ; les tondeurs d’hommes peuvent, une fois par hasard, émonder, d’un ciseau distrait, une boucle d’Alcibiade ou d’Antinoüs, de d’Orsay ou de Brummel ; seul, le merlan de Petto (c’est, paraît-il, le nom du caniche, sans cesse égal à lui-même) réussit à faire se rencontrer, dans la frisure d’un toutou, le tranchant d’Atropos et la ponctualité de Saturne. Les queues des comètes pourront bien être rasées de trop près ; jamais celle du symbole de fidélité, qui associe en lui la mesure du sentiment et la régularité de la fourrure.

Quelques personnes, feuilletant le même volume (à vrai dire, je ne sais plus bien lequel, mais peu importe) blâment la hardiesse de certaine apostrophe au vice-président de la Société Artistique des Amateurs, l’honorable Monsieur Fournier, que l’auteur interpelle, en lui demandant si, quelque jour d’orage, dans un petit trou pas cher, il ne se serait pas, par hasard, senti :

Le sel à pleine lèvre, auprès d’un cormoran ?

A vrai dire, on se représente difficilement à pareille fête, le sympathique père du sympathique Maire de Compiègne, debout, dans sa tenue correcte, aux côtés de l’oiseau pêcheur, faisant claquer son bec et gonflant son col, où se débattent sardines et maquereaux, rougets et limandes !

Mais la Poésie a de ces audaces. J’ai gardé pour la fin celle qui me paraît, entre toutes, mériter ce titre.

L’étoile, dans la nuit, guide l’homme, vers l’anse…

fait un vers devenu célèbre, emprunté aux « fugitives » d’une grande Dame dont, entre nous, j’ignore le nom, que je préfère ne pas savoir. L’Œuvre suffit.

J’entends dire que Sem projette d’illustrer cet étonnant alexandrin. Voici comment il interprète la scène : un décor de profondes ténèbres, parmi lesquelles, bras étendus, s’avance, en tâtonnant, un personnage dans le simple appareil dit pan de chemise. Au-dessus, une étoile à cinq branches, l’étoile en papier d’argent des Rois Mages, décoche un rayon sur l’huis entr’ouvert d’une table nocturne, laquelle laisse s’arrondir hors d’elle-même, pourvue d’un éclat blanc par l’astre démonstratif, l’oreille du vaisseau ardemment évoqué par la confidence du pèlerin noctambule. (Ouf !)

Et, pour plus de sécurité en même temps que d’autorité, le quatrain est dédié à un ministre plénipotentiaire. J’ai nommé Monsieur Paléologue.

Est-ce en mémoire de ces citations, qu’un autre de nos amis (celui-là « un tout petit peu méchant » comme disait, de lui, une auteuresse) avait terminé, par cet hexamètre, le portrait d’une poétesse un peu trop pressée d’arriver :

« Et son désir d’écrire est un petit besoin » ?
*
*  *

La cause de ces désorientations, sinon de ces désordres[10], réside et se résume tout entière dans ce distique cité par Rivarol :

Le charme de leurs vers sublimes et parfaits
M’inspire la fureur d’en forger de mauvais.

[10] L’enrôlement spontané, dans le bataillon des écrivaines, de dames qui n’ont aucune vocation pour cet art et aucune aptitude pour ce métier.

On commence par réciter le Mouflon du Vicomte de Guerne ; mais, à ce jeu, le désir d’y aller de son Mouflon personnel ne tarde pas à naître ; et le premier mouflon se fait sans qu’on y pense.

Estimez-vous heureux, si le mouflon n’est pas bicéphale, comme le mouton récemment mis au jour par une de ces éleveuses de Salon, au cours d’un poème (?) qui m’apparaît tel qu’un Roi des Aulnes de la tératologie.

Et l’on n’en vit jamais d’aussi maigre à la foire.

C’est la bergère elle-même qui l’avoue, en nous décrivant son agneau phénomène.

Ma foi, pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas appliquer, à ce Roi-des-Aulnes là, ce qui reste de ce vers auto-justicier ?

Et l’on n’en vit jamais d’aussi maigre… dans Schubert.

L’ardeur de créer ce qu’on croit être un Salon Littéraire s’en mêle, et les petits succès de vanité qu’on y remporte, devant un public de complaisance, transforment en une insatiable pituite de vanité, ce qui n’avait d’abord été qu’un apéritif de gloriole.

Autre éleveuse :

En voici une qui a le toupet de déranger un grand journal (un peu bien condescendant, ce me semble) pour lui publier des sornettes de ce calibre. Elle se promène au milieu de ses bêtes dont elle se proclame reine (Ce n’est pas moi qui le dis). Et elle énumère ses sujets :

Écureuil est mon page,
Lapin, mon écuyer.
. . . . . . .
Et toi, chat qui sommeilles,
Sois mon Prince Régent.

Voyons, n’en conviendrez-vous pas avec moi, plutôt que d’écrire ces bêtises et de les faire imprimer, est-ce que Clotho ne ferait pas mieux de coudre une brassière ?

Vous me direz peut-être, avec l’Ami des Femmes Savantes, dont je parlais tout à l’heure, que le mal n’est pas bien grand et que Banville se contentait de tenir Bélise pour « une pauvre insensée presque attendrissante ».

Tout d’abord, si j’étais, moi, l’ami de Bélise, je ne voudrais pas pour elle de ce compliment-là. Je me permets d’ajouter ensuite que je crois préférable de ne pas confondre les fugitives avec les fuites, et de ne pas s’en aller mirlitonnant, comme cet autre barytonnait.

C’est le moyen de parler comme Monsieur de Krüdner ; et le moyen n’est pas enviable.

Quant à l’auditoire de ces hôtels de Ramponneau, l’éclectisme avec lequel il est recruté apparaîtra suffisamment dans l’anecdote suivante.

Un jour que j’avais fait réciter, devant une de ces Madame Muse, un poème de Pierre Dupont, j’eus l’étonnement d’entendre qu’elle me disait : « Il était, l’autre jour, chez moi. »

Et comme je faisais observer, à ma gracieuse interlocutrice, que l’auteur des Bœufs ne pouvait, quelque désir que pût en éprouver son ombre, avoir quitté son mausolée pour entendre réciter le Mouflon, même dans un salon select, je dus me contenter de cette réponse : En tout cas, c’est un nom qui ressemble bien à ça.

*
*  *

Il existe cependant un public autre que celui de ces petits endroits, desquels il est assez naturel, après tout, que les habitués applaudissent au « tarte-à-la-crême » d’une Dame qui leur en offre leur part. Mais cet autre public, lui aussi, n’est pas insensible à certaine forme de snobisme, dans l’inférieure acception de ce mot, lequel peut en avoir une supérieure, quand il signifie : désir de s’honorer en fréquentant de véritables grandeurs.

Quoi qu’on en puisse dire, les publics ressemblent, de plus en plus, à ces dîneurs sans appétit, qui négligent la pièce de résistance, pour ne chipoter que la garniture et la quenelle.

La démonstration en fut encore récemment faite par une anecdote que je veux conter, je m’empresse d’ajouter : sous toutes réserves, parce qu’elle est due à la source dont j’ai parlé, à l’apport d’un ami aimable, mais inventif, peut-être bien capable d’avoir fabriqué l’ana, pour le besoin de la cause.

On prétend qu’un éditeur sérieux ayant projeté, même, en partie, réalisé, une réimpression des Pensées de Pascal, laquelle lui occasionnait de grands frais, qui devaient se couvrir par la souscription, s’attrista de voir celle-ci ne pas donner ce qu’il en attendait, mais au contraire, s’attarder et bouder avec une paresse humiliante pour le sentiment contemporain et la mentalité française.

Comme il exprimait sa déconvenue, devant un groupe d’amis qu’il consultait sur le meilleur moyen de remédier à ce marasme, l’un d’eux parut réfléchir profondément ; puis, tout à coup, avec la flamme que dut avoir, dans les yeux, l’homme qui clama : « Mouillez les cordes ! » au moment où l’obélisque allait retomber, ce nouveau sauveteur, lui, s’écria : « Obtenez une préface de la Duchesse de Rohan ! »

*
*  *

Je n’aurais pas demandé mieux que de finir sur ce trait, à la fois profond et badin, beaucoup moins préoccupé de décocher une malice personnelle, trop joyeuse pour n’être pas elle-même désarmée, que de rechercher une vérité générale ; mais quelques réflexions me sont encore apparues sur le propos, et je préfère les consigner ici, dans l’espoir de n’y pas revenir. Car il ne me plaît pas qu’on imagine que je veuille prolonger ce débat. Le sujet m’a paru plaisant et opportun. Je l’avais abordé incidemment dans un autre article. Aujourd’hui, je l’accoste avec plus de netteté ; mais, je le répète, pour l’épuiser, en ce qui me concerne.

Un de nos Maîtres a écrit que « le génie est une patience ». Il faudrait dire de même que l’Art est, avant tout, un métier, ou du moins ne peut s’en passer. La Duchesse de Verluise serait très étonnée, et fort mécontente, en un mot, se jugerait impudemment mystifiée si, cherchant un cuisinier, on lui en offrait un qui jusque-là, titulaire d’autres fonctions et seulement, la veille, charmé des jeux de couleurs offerts par le mélange de la tomate et de l’omelette, aurait décidé de se consacrer à l’art de Vatel, sans autre garantie, pour les convives, que la subite passion de cet ancien cocher pour les œufs battus et la crème fouettée.

La bonne Dame ne s’aperçoit pas que c’est pourtant ce qu’elle fait elle-même avec les cordes de la lyre, dont elle nous sert les débris, sous forme de boyaux de chats, qui se souviennent du miaulement de leurs ancêtres.

Laissez les enfants à leurs mères, laissez les roses aux rosiers, laissez les duchesses à leurs métiers, qui sont des métiers à tapisserie !

Ah ! la tapisserie ! la tapisserie ! on dira que j’en radote, ça m’est bien égal. D’abord parce que ce sera vrai, et que je m’applique à ne pas être de ceux que la vérité choque. Savez-vous, Mesdames, que Louis XV y travaillait avec passion ? Sinon, je me forge un plaisir de vous l’apprendre, dans l’espoir, d’ailleurs vain, de vous réconcilier avec elle. N’importe ! Apprenez qu’il faisait crever des postiers, sur le chemin de Versailles, afin d’aller lui quérir, à Paris, l’écheveau dont il avait besoin pour terminer un fond, ou compléter une fleurette ? — Et si ce détail ne suffit pas pour vous rendre au canevas qui vous attend, que vous faut-il ? — Une statue ? Eh bien, je veux qu’on la vote, et qu’elle soit la plus charmante du monde, avec son air recueilli, son front penché sur l’aiguille au chas oblong, sur la souple aiguillée et le réseau symétrique du tissu ajouré, qui ressemble aux alvéoles d’un candide rayon, prêt à se remplir agréablement du miel coloré des soies.

Oui, une statue, dans le passé, à la Comtesse Mathilde, et dans le présent, à Madame Delessert, à la Princesse de Beauvau, les deux dernières qui, parmi nous, aient porté haut et beau la fidélité aux arts délicieux des Parques de salon, les Dames filandières.

Revenons à la Duchesse de Rohan. Ce qui caractérise son art (?) c’est l’audace. L’autre jour, elle se représentait occupée à faire des achats, dans de Grands Magasins. Le bon Coppée eût approuvé le choix du sujet ; aurait-il (ce n’est pas certain) sanctionné la témérité de l’image qui met en scène la cliente de feu Boucicaut et de feu Chauchard, et la fait

Acheter de la soie et de longs fils de laine ?

Un autre aurait écrit : de longs brins de laine. En effet, un brin peut-être plus ou moins ténu, mais garde le droit d’être aussi long que possible. Notre éminente acheteuse fait bon marché (c’est le cas de le dire) des scrupules dont s’embarrassent encore l’entêtement du rhéteur et l’hésitation du grammairien. Aujourd’hui elle nous dévide des fils de laine ; demain nous lui devrons de la laine de fil ; après avoir bouleversé les rayons d’Hélios, elle chambarde les « rayons » d’Hériot, et je donnerais volontiers, pour épigraphe à la pièce, le vieux calembour, autrefois inspiré par un roi de Grèce, dont on avait dit : « Il faut qu’Othon soit philhéllène. »

C’est égal, je n’en tiens pas moins pour un heureux symptôme, le retour de la dame, aux broderies de ses aïeules. Puissent les fils de laine, vraiment dignes d’un magasin de nouveautés, la rattacher à un métier qui, désormais ne soit plus celui de Lamartine retouché par La Palisse, ou de Musset revu par Boquillon !

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Sortant, un jour, d’une de ces matinées, dont certains invités commencent par écrire à la patronne, pour solliciter d’elle la redingote qui leur permette de se produire, une dame que nous appellerons Édith, et dont l’avis, en ce temps-là, ne me semblait pas négligeable, me saisit de cette conclusion discutable, déjà. « Comment ne pas tenir pour une flatterie, à notre égard, le fait qu’ayant tout, elles veulent encore ce qui nous appartient, le bel art d’écrire ? » — Édith, je ne suis pas de votre avis ; et bien au fond, pas non plus vous-même. Jamais le distinguo ne fut plus nécessaire ; jamais le « soyez plutôt maçon » de l’honnête Boileau, ne résonna d’un plus urgent rappel ; jamais la qualité de la vocation ne dut être plus scrupuleusement interrogée qu’à l’heure où Thersite se prend pour Tityre et pour Tyrtée, sans omettre Walter, ni même Beckmesser qui a, du moins, pour lui, la supériorité de sa passion pour la tablature.

Pendant que je suis en train de dire Thersite, j’ajouterais fort bien Thersitie. Si j’affirme qu’ils se tiennent tous deux pour Tircis et pour Tiresias, c’est sous-entendre que je ne doute pas de leur bonne foi. Pour cela on peut les plaindre autant et, si vous y tenez, plus que les blâmer. Le blâme est pour ceux qui les abusent. « Si vous assistiez à l’arrivée du courrier de Thersitie, m’assurait quelqu’un, vous comprendriez qu’elle soit leurrée ; des noms sérieux, ou que, jusqu’à ce jour, on crut tels, signent pour elle des protestations qui la déçoivent et consomment sa perte. »

Quoi d’étonnant alors, qu’elle se méprenne sur l’intention de ses SEULS VRAIS AMIS, ceux qui, par de légères piqûres, essaient de dégonfler son illusion et de la rendre aux doux devoirs où elle excellait. Mais elle n’en veut plus entendre parler ! La voilà en cothurne et en péplum, la bouche en O, à nous fournir une incroyable épreuve de Suétone moderne, de César de Salon, Le Néron du Féminisme !

Je lisais dernièrement un curieux plaidoyer en faveur de Néron, dont l’auteur prétendait que ce Prince fut sincère, en la croyance à sa vocation d’art. C’est en cela que Thersitie lui ressemble. Admettez (à Dieu ne plaise ! nous ne voulons pas la mort, je ne dis pas de la pécheresse, elle n’est que fautive, mais de la pêcheuse de bravos) admettons qu’un feu de cheminée (la cheminée est une grande responsable dans ces affaires de déclamation salonnière) admettez qu’un feu de cheminée fasse justice de tout ce faux semblant et, non content de roussir une bandelette indue, aille jusqu’à vouloir griller notre Néronnette ; il est possible que, dans une dernière contorsion buccale, applaudie par Mademoiselle Vacaresco, elle pousse la clameur suprême du grand histrion Romain : Qualis artifex pereo !

C’est une figure à fixer, pour le théâtre contemporain et universel, que le personnage de Thersitie. Philaminthe d’Escarbagnas, trônant sur un Monde où l’on s’ennuie dont le Bellac serait Monsieur Fournier-Sarlovèze. Car, il faut en convenir, c’est cet aimable homme qui a tout perdu. Tout cela pour faire rimer Greffulhe avec libellule, sur la fin d’un dîner auquel, remarquez-le bien, se donne grandement de garde d’assister la belle Comtesse.

Je serais surpris que Monsieur Hermant, qui pourrait le réaliser avec tant de force et de finesse, ne se laissât pas séduire par un tel sujet, à la fois mondain et social, si propre à mettre en valeur ses qualités de dialogue et d’observation, de courtoisie et de satire.

Si je ne parle pas de Monsieur Bataille, pour cet accomplissement, c’est que la matière, uniquement plaisante, ne me semble pas réserver de place pour le pathétique poignant auquel cet écrivain excelle. Mais un tel esprit a tous les registres, et son perpétuel renouvellement, à chacune de ses manifestations, pourrait bien nous le faire apparaître, un jour, tel qu’un Aristophane amer, élégamment tempéré par un Archiloque sympathique. Enfin, quand je relis Ces Messieurs du Tiers, de Monsieur Claude Berton, je songe à la belle pièce qui s’est émiettée dans ce volume, et que ce jeune auteur nous rendra, sous d’autres aspects, refondue et remaniée.

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Revenons à Thersitie. Je le répète, elle méconnaît ses seuls vrais amis, ceux qui la réveillent. « Il est jaloux de mon salon littéraire ! » aurait-elle dit, de l’un d’eux. — Détrompez-vous, bonne Madame, votre Salon, tant que vous ne cesserez pas d’y mettre en avant votre mirliton bleu, ne méritera de s’appeler que le Guignol des Muses. — « Au reste, ajouta celui qui nous rapportait le propos, Thersitie ne demanderait qu’à s’égayer elle-même des chiquenaudes que lui valent ses vers, plus ou moins luisants, mais elle a, paraît-il, une bru qui prend mal la chose. » — « Çà, c’est une belle démonstration de l’esprit de famille, à l’usage de ceux qui prétendent qu’il n’existe plus », répliqua Timon qui passait par là. Et il conclut, non sans gravité : « En tout cas, cela prouve surabondamment, n’est-ce pas ? que cette jeune Dame aime mieux sa belle-mère que la littérature. »

Ce n’est pas sans plaisir que j’ai retrouvé en tête d’une liste d’invités, qu’il couronnait, ma foi ! fort ducalement, le nom de certaine Dame du Corbeau, qui s’était laissé persuader par des renards à deux pattes, à force de naïveté de sa part et, de l’autre, à force de flagorneries, de faire un sort à son blanc fromage de lettres, dans le groupe des récitants et même des débitants, de façon à la fois médiocre et tapageuse. Si ce rétablissement est sérieux (car il s’agissait bien là d’une indisposition) et que la ci-devant Muse le doive à des critiques sagement inspirées, je le répète, elle fera bien de tenir pour ses vrais amis ceux qui les lui ont adressées, et de placer au rang des suspects, ceux auxquels elle devra le mauvais souvenir (heureusement vite oublié) de son échauffourée lyrique.

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J’entends dire que les Auteuresses de la Vie Heureuse projettent d’élire, pour leur Présidente, la Duchesse de Rohan. Non seulement une telle circonstance ne me trouve ni dénigrant, ni hostile, mais je lui sais gré de me fournir une occasion de préciser avec netteté le distinguo dont j’ai parlé.

C’est une chose charmante que de voir une aimable Grande Dame à la tête d’un groupe de nobles travailleuses (je parle pour celles-là). S’il s’en trouve parmi elles (je le crains) qui feraient bien de retourner à l’aiguille, qu’elles n’hésitent pas ! Cette agile compagne, momentanément délaissée par elles, au nom des tropes épointés et du lyrisme décousu, leur piquera peut-être le bout du doigt, pour se venger du porte-plume, mais ce sera tout bénéfice pour nos repenties, quand, la saison d’après, au lieu de déconsidérer leur écritoire par la ponte d’un nouveau roman informe et infirme, détaillé par Monsieur Ballot, elles honoreront leur corbeille à ouvrage par l’éclosion d’un sachet bien odorant, ou d’un coussin bien fleuri dont je ferai l’éloge, pour les dédommager.

C’est aussi, de la part de ces laborieuses, un geste intelligent que celui qui leur fait mettre à leur tête celle qu’elles jugent justement haut placée par la naissance et par le cœur. Cela prouve qu’elles ne font pas uniquement cas du mérite d’art. La distinction sociale leur paraît aussi avoir son prix. Je leur donne raison, à une condition, c’est que les démarcations soient nettement établies et que ces ouvrières commencent par dire à leur affable Présidente, non pas : « Grande Dame, cesse de vaincre ! » mais bien plutôt : Cesse d’être vaincue à la bataille des mots et des rythmes ! en un mot : « Cesse d’écrire ! »

La Duchesse d’Uzès préside comme cela, je crois bien, certaine association de dames peintres et sculpteurs, sans compter un cercle de femmes. Je ne connais pas les sculptures de la Duchesse d’Uzès. Si elles sont bonnes, la Présidente fait très bien de les exposer. Dans le cas contraire, elle donnerait un meilleur exemple en s’abstenant[11].

[11] Depuis, la même dame s’est mise, elle aussi, à faire des Conférences, mais avec sonneries de trompe. Duchesse et Cor de Chasse ; voilà un chant alterné, qui ne manque ni de piquant ni de piqueurs.

On sait la magnifique notoriété que s’est acquise la Comtesse Greffulhe comme Présidente d’auditions musicales.

Je ne sache pas que cette Société célèbre nous ait jamais invités à entendre des opéras de la belle Comtesse. Je ne le regrette ni pour elle, ni pour nous, bien persuadé, au contraire, que l’incontestable autorité de sa présidence, vient de ce qu’elle s’est sagement abstenue de la compromettre par la recherche de succès personnels, sur un terrain qui n’était pas le sien.

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Une chose que j’en suis encore à me demander, c’est si les propos, quand ils nous reviennent défigurés et détournés de leur sens, le sont par une mauvaise foi initiale de ceux qui les ont proférés ou par les rapporteurs. Voici, par exemple, la Comtesse Norbert de Fitz-Rabbin, laquelle, de sa voix de canard mégalomane, aurait dit, de Timon : « Voilà deux ans que je ne le connais plus. » — Mis au courant de cette parole, celui-ci répliqua : « Ce n’est pas mal, pour un canard hébreu et allemand ; mais enfin, c’est un canard tout de même et, par suite, une erreur ; vu que, si la Dame avait bien voulu parler franc, elle se serait contentée de dire : Voilà dix ans qu’Il ne me connaît plus ! »

Décidément, il y a tout lieu de le craindre, la sincérité ne s’est pas réfugiée dans toutes ces boîtes à thé que sont devenus les salons d’autrefois. En voici une dernière preuve.

Nul n’ignore que, depuis un certain temps, des Messieurs et des Dames du meilleur monde, les uns désargentés, les autres besogneuses, se sont improvisés reporters et, à peine dans le tympan le dernier hémistiche de Tirésie ou de Tircythère, de Tityrette ou de Tyrtéa, s’en vont fournir, aux grands quotidiens haletants, le nom des privilégiés que vient de charmer l’asclépiade estropié ou le phaleuque pauvre.

Mais voici ce que je suis avide de dénoncer et dont je suis surpris que la vindicte des innommés (on pourrait l’appeler ainsi) n’ait pas fait justice : chacun de ces Messieurs, chacune de ces Dames folliculaires, obéissant à de personnelles prédilections, ou à ses propres antipathies, omet volontairement dans sa nomenclature, l’élégante qu’il ou elle veut humilier, l’homme d’esprit qui leur porte ombrage. Il en résulte que chacun des comptes rendus de la même réunion relate des noms différents, ce qui déroute la province, et quand je dis la province, je n’excepte pas Paris lui-même. Hormis la Comtesse Edmond de Pourtalès, qui n’a que des amis dans le journalisme du monde (si j’en juge par ce fait que son nom continue à inaugurer la liste de tous les assistants, de toutes les assistances, partout et toujours, même quand la Dame est retenue au temple ou au foyer, au rouet ou à la prière) aucun autre nom ne peut être sûr d’échapper au crible du Vicomte d’Eaque, devenu gazetier, ou du Baron de Minos, fait courriériste, sauf, bien entendu, deux autres noms, lesquels ne sont pas moins sympathiques, je m’empresse de l’ajouter, que fondamentaux, mais qui finiraient par donner à croire aux étrangers et aux indigènes, que Messieurs Fournier-Sarlovèze et Becq de Fouquières (ne pas confondre avec l’auteur des Corbeaux), représentent à eux seuls, toute l’élégance de Paris, tout son esprit, toute son aristocratie.

Ce serait exagéré. C’est beaucoup, mais ce n’est pas tout.

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En guise de conclusion, lisez ce passage de la Corbeille des Roses de Monsieur Jean de Bonnefon, page 109 :

« La Duchesse de Rohan fait des vers qui boitent non d’un pied, mais « de l’un et l’autre côté » comme dans la Bible. — Cette Dame est utile ; elle résume la nullité artistique d’une société qui l’admire. Pour signer d’un si grand nom des choses aussi insignifiantes, sans soulever de colères, il faut appartenir à un groupe frappé de mort. — La décadence est plus belle que la jeunesse. Mais la littérature de Madame de Rohan n’appartient pas à la décadence. Pour descendre, il faut avoir atteint un sommet. Ce qui manque précisément dans la poésie (?) de cette femme racée, c’est la race. L’effort d’une servante en retraite qui ne saurait pas le français serait en tout semblable aux produits littéraires de cette duchesse… »

Inscrivez, en regard, cette citation de presse :

« Une candidature intéressante à la Société des Gens de Lettres, celle de Madame la Duchesse de Rohan, qui est présentée par Messieurs Paul Hervieu et Jean Richepin, de l’Académie française. »

Qu’est-ce que cela prouve ?

Premièrement, cela prouve, si la première de ces opinions n’a pas tort, une vérité bien connue, mais qui n’avait jamais reçu de démonstration aussi évidente, à savoir que la plus faible apparence de talent n’est, en aucune façon, requise pour faire partie d’une Société Littéraire. Au reste, à quoi serviraient les distinctions, si ce n’est précisément à consoler de ne pas avoir de talent, ceux et celles qui ne demandent à la soi-disant pratique d’un art, que de les mettre en vedette. Le talent n’est pas pour les vaniteux, mais pour les orgueilleux, il suffit seul.

Deuxièmement, cela prouve que des hommes, il semblerait, entre tous, marqués pour maintenir les traditions et faire respecter le langage, acceptent de patronner publiquement des sujets entièrement dénués des qualités techniques, lesquelles désignent à la sollicitude d’un tel protectorat. Or, dans un portrait du premier de ces deux immortels, je vois mentionné ce trait de son caractère : « Une indulgence qui prend soin de n’être jamais complaisante. » Voilà un jamais qui vient de rencontrer une exception.

Mais ce n’est pas la seule, l’éminent co-parrain en fournit une pour faire la paire, et une qui ne craint pas d’aller jusqu’à la plus flagrante contradiction. Relisez plus haut le passage que j’ai cité, d’une préface où il est parlé de l’autoresse dénuée de style et de grammaire, de la poétesse incapable de chanter quatre vers de suite se tenant, mais très capable de prendre une antiquaille pour une trouvaille, en sa niaiserie gauche et prétentieuse.

Qui donc a écrit ce morceau judicieux, capital et cinglant, si bien fait pour donner satisfaction aux esprits « affamés de justice » ?

Eh bien ! mais, précisément, Monsieur Richepin lui-même !

Logique ! logique ! Ce sont bien là de tes coups ! — Concession ! Concession ! Ce sont bien là de tes crimes !

La Duchesse de Rohan sera de l’Académie.

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Est-ce pour ne pas mentir à ces hautes ambitions exaltées pour elle, que le talent (préférez-vous l’art ?…) de la Duchesse de Rohan vient de se transformer, en cinq sec ? Adieu les gentils coqs-à-l’âne d’hier, si réjouissants dans leur bonhomie naïve ! L’allumeuse de Lucioles s’est mise à pondre, comme les oiseaux qu’elle a si allègrement chantés,

« Pondez, pondez, poules de Pâques
Et pondez-nous de jolis œufs !
Au bazar de la Tour Saint-Jacques[12]
On les vendra dix sous pour deux… »

s’est mise, dis-je, à pondre (et, cela, dans la propre chaire — horresco referens — dans la personnelle cathèdre de Madame Bulteau, qui doit la trouver mauvaise,) — de gros morceaux de prose hirsute et de pathos pontifiant. Plus rien du crû de l’Oust, ni du clos du Deffé. On dirait du Bouchaud débouché, démarqué, tarabiscoté, même vacarescoté, ce qui est pire. On ne m’ôtera pas de l’idée que cette Mademoiselle Cormon de la Littérature, a dû promener ses tropes sur l’écritoire de la Philaminthe Celte. Vrai, c’est aussi rasoir que ça !

[12] Charmant euphémisme pour dire « Bazar de l’Hôtel de Ville », sans être accusé de faire la réclame au profit d’une maison ; seulement voilà, cela crée des passe-droits. La dame va brouiller les monuments. Par bonheur, elle ne saurait manquer d’écrire quelque chose sur Séville, avant qu’il soit longtemps. Alors, selon toute vraisemblance, l’Hôtel de Ville reprendra ses droits. Mais peut-être, les prix auront augmenté.

Et, de bout en bout, plus le moindre petit mot pour rire (si ce n’est en bloc). La bonne Dame, qui n’avait jamais lu que Botrel, vous cite Homère, gros comme le bras de Madame de Montgomery. Est-elle donc allée à l’école chez Monsieur du Bled ? — Quoi qu’il en soit, adieu tout l’arriéré de bonne franquette prosodique ! On se prend à le regretter, en face de cette pédagogie mal assimilée et de ce pédantisme cousu de fil blanc, qui semblent prétendre à « river des clous » si ce n’est à « boucher des coins » (sans le moins du monde y réussir) et qui ne décrochent que cette timbale, laquelle est à la portée de toutes les principautés, et qui est d’émerveiller Monsieur Sarlovèze.

Et pourtant si ! le petit mot pour rire, je l’ai repêché dans ce solennel fatras ; c’est quand la narratrice (qui, j’aime à le conclure, ne se prend pas trop au sérieux) se voit, sur je ne sais plus quelle frontière, contester sa personnalité ducale (voilà ce que c’est que de patoiser !) par une douanière qui se représentait sans doute autrement les tempes ceintes de couronnes fermées.

« Oh ! que ce quoi qu’on die est, pour moi, plein de charmes !

Oui, quoi qu’on die, je la retrouve là, notre aimable hôtesse d’avant la fatale crue des grandes encres ; dépouillée de toutes ces bandelettes roumaines qui ne sont que des bandeaux de Colin-Maillard, reprise aux enchantements d’Alcanter de Brahm, elle m’apparaît prête à repiger le droit d’aînesse de sa vieille gaîté, échappée, par miracle et grâces à Dieu, d’entre les féculents de Madame de Baye.

Hélas ! vain espoir, éclaircie d’un instant ! Adieu paniers, vendanges sont faites, des métaphores sans suite et des bouts rimés sans queue ni tête. Adieu corbeilles à papiers, débordantes de cuirs saugrenus et de joyeux lapsus ! On nous a joué le tour de rentrer tout ça, qui heureusement ne s’absente pas sans laisser d’adresse. C’est aux soins obligeants de Lemice-Terrieux, baie des Lestrygons, dans l’Odyssée !

Encore un mot.

On se souviendra peut-être que je me suis demandé s’il était toujours temps de rendre à la Grande Dame, si malencontreusement transformée en petite muse, le service de restituer la seconde à la première, au point de ne plus entendre parler de celle-ci ; et qu’un interlocuteur m’avait répondu : « Il est trop tard. »

— Était-il réellement trop tard ?

Peut-on supposer que la rimeuse éolienne ait eu connaissance de certaines petites mercuriales, et, plus ou moins consciente du service que, sincèrement, elles voulaient lui rendre et quoi qu’en puissent penser ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur encensoir, n’en ait pas moins fait son profit ? Il est sûr que la composition paraît s’étancher, la récitation, se résorber. De temps à autre, de loin en loin, les clients des thés poétiques, terrifiés de se voir reprendre leur verseuse ducale, exaltent bien encore le débit acclamé d’une sornette philosophique ; tout de même les rechutes sont moins fréquentes, il y a du mieux.

Ce qui ferait croire, même à des satiriques modestes, qu’ils pourraient bien avoir quelque part dans cette amélioration, c’est l’obéissance abusive à l’un de leurs conseils (on voit que de tels critiques n’abusent pas, eux, de la victoire). « Nulle ne serait mieux qualifiée pour ce titre de Présidente, on n’en saurait trouver de plus affable… » formulait un libelle bienveillant[13]. Malgré tout, l’auteur n’entendait pas, avec ce seul propos de consolation, créer, du même coup, un tel nombre de fauteuils présidentiels, pour un même séant, fût-il bienséant, parmi tous. Présider, la même année, aux destins de Shakspeare et à ceux d’Ingres, n’était-ce pas déjà beaucoup, même pour une fringale de sièges ; était-il besoin d’y ajouter encore un discours de réception, en l’honneur de Madame Paquin, dans je ne sais plus quel cercle ?

[13] Ce n’est pas l’avis de tout le monde ; une raison de plus pour que ce soit le bon. Quelqu’un me dit avoir rencontré, dans une gare de banlieue, une petite dame qui gesticulait, levant au ciel de petits yeux et de petits bras. Elle parlait de tels ou tels châtelains du voisinage et vociférait : « Montesquiou a écrit sur eux des choses affreuses ! »

Je demandai le nom de la crieuse ; c’était, me dit-on, une provinciale, qui habite Fontainebleau, régalée chez ceux qui, dès lors, lui paraissent intangibles. Un nom qui finit en i.

C’est tout ce dont le narrateur se souvenait.

J’ai répliqué : « Disait-elle au moins, que le livre était bien ? » — On m’a répondu : « Pas du tout ! Elle était furieuse ».

Un voisin de ladite dame aurait encore formulé, parlant de l’auteur d’Une Petite Mademoiselle : « Il vient de publier un volume dans lequel il tape sur toute sa famille. » — Ce n’est pas exact, je n’ai pas parlé de lui.

Me voilà tenu de le dédommager.

Comme je demandais à quelqu’un la raison qui faisait s’unir tant de hampes et de bâtons, de sceptres et de thyrses, dans une main, sans nul doute, aristocratique, mais peut-être mieux faite pour le crochet tunisien ou la broderie anglaise, la personne me répondit : « C’est vrai… MAIS IL Y A UNE TOMBOLA ! »

Cette parole fut le Chemin de Damas de mon incertitude et de mon doute. Je compris, une fois de plus, que « Dieu fait bien ce qu’il fait » comme l’affirme notre bon La Fontaine, dans le Gland et la Citrouille. Si les dieux des méchants païens ont créé la Muse de la Danse, et celle de la cadence, celle du rire et celle du sanglot, il convenait que le Dieu des bonnes gens leur adjoignît une sœur officieuse, une dixième muse, la Muse de la Tombola, mêlant aux boutons des lotus d’Homère, les boules du loto, fatidiques et tumultueuses.

Veuillot comparait Hugo à une cloche, dont le métal, fait d’alliages divers, résonnait tour à tour sous des impulsions que l’écrivain des Odeurs jugeait par trop dénuées de rapports entre elles, et parmi lesquelles, je m’en souviens, il citait Polichinelle et Garibaldi.

Après avoir vu donner à l’homme de Guernesey, le titre de cloche, il ne me semble pas qu’une Muse, si ambitieuse soit-elle, puisse juger offensant d’être comparée à une clochette ; et si cette clochette tinte au nom de Madame Éloffe, après avoir sonné en l’honneur de Shylock et de Monsieur Bertin, cela vient de ce que ce n’est pas tous les jours dimanche.

Et quand toutes les Présidentes du monde viendraient nous certifier que ces incohérences et ces disproportions représentent l’aléa d’un « rôle de Mécène » (sic !) nous ne ferions aucune difficulté d’en convenir, à la condition qu’on nous permette d’ajouter que, s’il existe des Muses de la Tombola, il peut bien y avoir aussi des Mécènes qui abattent des noix.

*
*  *

Une nouvelle boîte de petits fours vient d’être mise en vente, sous la même marque ; ceux-là, d’inspiration saline ; quelques-uns au fucus et au varech, d’autres au goëmon et à l’algue ; mais la plupart, à la camomille. Cela s’appelle modestement : Souffles d’Océan. Rien que ça ! Comme Oceano Nox.

Une chose qui pourrait confondre, c’est que celle qui les glace ne s’aperçoive pas de ce qu’il y a de téméraire à déranger l’Océan, pour cette tempête de ventilateur.

Je me souviens d’avoir rencontré, un jour, dans un bureau de poste, une dame, à qui l’employé demanda son adresse. Elle répondit : Villa Soupir des Flots. — Voilà un titre pour notre poétesse.

Malheureusement, de cette tournée, de cette fournée, je connaissais déjà, je ne dis pas les meilleures, mais les bien bonnes. Tout de même, pas toutes. Le phénomène traditionnaliste, qui veut bien s’appeler encore « Mouton à deux têtes », dans une note en bas de page, arbore le titre plus relevé, de « Bélier Bicéphale », quand il se hausse jusqu’à l’intitulé. On sent qu’il a fait toilette pour Mademoiselle Vacaresco. Inutile d’ajouter qu’à défaut de probité littéraire (qui, celle-là n’est pas à la portée de toutes les lyres) la probité de renseignement est parfaite : quand le Printemps est nommé, en cours de route, et que ce n’est pas le vrai, il y a un renvoi pour expliquer qu’il s’agit d’un magasin du Boulevard Haussmann. Puisse l’intégrité de ce comptoir se régler sur celle de cet avis !

L’édifice creux et océanien se couronne par certain Donjon des Poupées, dans lequel je croirais volontiers que l’auteuresse a voulu faire son Chantecler. Elle l’a fait. Même chouette :

Un orateur la vit, c’était Albert de Mun,
Le député célèbre, un certain soir d’automne…
Elle était porte-veine, et lui porta la bonne.

Alors le chœur des hiboux répond :

Et nous faisions hou-hou-hou-hou en nous aimant.

Survient une puce, qui se change en grenouille. La chouette lui parle familièrement et lui dit :

Venez, éclaircissez, pucette, ce mystère.

On voit que la dame n’est pas pour le style soutenu : elle appelle pucette, un insecte qui, selon toute apparence, doit être de fort volume, si j’en crois les exploits qu’elle lui prête ; elle nomme Isado, Mademoiselle Duncan et, petit Robertus, le géranium, Robertianum, qui le juge familier. — Qui sait si la puce ne juge pas, elle-même, le diminutif, amoindrissant ?

Encore une citation :

Quel martyre, pour moi, quand on me taillera !

Heureusement que c’est un lierre qui dit ça !

Une autre :

L’électricité règne, ici, sur le palier.

Une troisième :

Moi je vais au café, prendre un apéritif.

Un gentil compliment confraternel :

Nous vivons, grâce à la poétesse célèbre
Judith Gautier, artiste au superbe talent,
Fille de Théophile, ah ! je la vis sur l’Èbre :
Elle était magnifique et bonne en souriant.

L’Èbre me fait, je l’avoue, un peu loucher. Madame Gautier est casanière, elle va de la Rue de Berri à Saint-Enogat, sans beaucoup de détours. Or, Logrono, Tortose, Saragosse sont des cités trop soucieuses de leur décorum, pour laisser inaperçu le passage d’une Académicienne. Alors, pourquoi l’Èbre ? — Peut-être, après tout, l’auteur des Poupées a-t-il simplement voulu dire : le ruisseau de la Rue du Bac. Il plaisait à Delphine et peut bien refléter Judith. A moins que ce ne soit encore un méfait de la rime et, par suite, de la frime. Dans ce cas, la chose rentre dans ce que d’Aurevilly appelait blaguer.

Je reproche un peu d’indifférence à la Josselinaise. Une Sicilienne, qui lui parle de « l’ensevelissement de ses espérances », reçoit d’elle cette réponse plutôt détachée :

Il n’y faut plus penser, prenez de ce café.

Plus loin, ce vers, du moins plein de fraîcheur :

Madame, avez-vous soif ? Prenez de l’eau de Seltz.

A la fin, les choses s’arrangent et toute la troupe réconciliée se donne rendez-vous « chez Bronne ».

Chez Bronne… attendez donc… voilà un nom qui ne m’est pas complètement inconnu[14].

[14] Peut-être l’auteur veut-il parler de Braun. Mais alors, la probité de renseignement, dont nous parlions plus haut, devrait indiquer la Rue Louis-le-Grand.

Tout est bien qui finit bien.

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