Ce qu'il faut lire dans sa vie
DEUXIÈME PÉRIODE
Passons au second septain. De 25 à 31 ans. La jeunesse encore, mais dans sa maturité plus que dans sa fleur. Trois séries parallèles, celle des poètes étrangers, celle des classiques nationaux, celle des historiens antiques. Cela pourrait ne faire, en somme, que trois auteurs par an. Les fervents de la lecture ne seront pas en peine pour corser la dose.
D’abord les poètes étrangers. Leur série, qui se prolongera pendant le troisième stade, comprend, pour ce second, les anglais, les allemands et les espagnols. Sept grands poètes, au minimum. Trois anglais : Shakespeare, Milton, Shelley. Deux allemands : Gœthe et Heine. Deux espagnols : Calderon et Cervantes ; on peut bien qualifier Cervantes de poète.
Pour les anglais : 25, Shakespeare ; 26, Milton ; 27, Shelley. Que l’on commence par Shakespeare, dût-on s’attarder avec lui, dût-on lui sacrifier tous les autres ! Un lettré digne de ce nom ne peut se dispenser de l’avoir exploré en entier, depuis les Méprises jusqu’à la Tempête, et je ne sais pourquoi, à ce propos, l’excellente traduction Montégut (10 volumes, Hachette) s’ouvre justement par cette féerie, la dernière œuvre du grand homme. Dix volumes, cela se lit sans peine en un an, et si le lecteur a pris l’habitude de goûter Dickens et Poe dans le texte, cela doit se lire en anglais. Sans doute Shakespeare est moins aisé à comprendre qu’un article du Daily Telegraph, mais une fois la glace rompue, on se plongera avec tant de délices dans son océan de poésie ! Qu’on n’aie pas honte, au surplus, de recourir aux traducteurs ; mieux vaut avoir connu tout en français, avec joie, que d’avoir péniblement achevé le déchiffrement de quelques pages dans l’original. Inutile, d’ailleurs, de préciser par quoi devront commencer les gens trop pressés. D’abord, quand il s’agit de Shakespeare, personne n’a le droit d’être pressé. Ensuite tout le monde connaît les noms des grands chefs-d’œuvre. Je préférerais indiquer des drames devant lesquels on serait peut-être tenté de ne pas faire halte, comme Coriolan ou Cymbeline, ou des scènes qu’on risquerait de sauter si on feuilletait d’un doigt trop hâtif les vastes chroniques dialoguées où elles se trouvent, la scène de Talbot et de son fils dans la première partie d’Henri VI, ou la révolte de Jack Cade dans la seconde, la chute de Wolsey dans Henri VIII, la scène du messager dans Antoine et Cléopâtre, mais citer les unes n’est-ce pas faire tort aux autres ? Qu’on lise donc tout, jusqu’aux adaptations de Bandello, jusqu’aux poèmes, Vénus et Adonis, Lucrèce, les Sonnets, et qu’on s’intéresse même — car dès qu’il s’agit d’un tel génie rien n’est indifférent — aux petites énigmes anecdotiques, savoir si H. W., à qui est dédié le poème de Vénus, est le comte de Southampton ou le comte de Pembroke, et quelle sorte de femme était la dark lady dont il y est parlé si douloureusement.
On n’ignore pas, au surplus, qu’il y a, à propos de Shakespeare, d’autres problèmes, sinon plus réellement obscurs, du moins plus irritants. Du moment qu’on n’a rien d’authentique sur lui, ni une ligne de son écriture, ni un trait de sa physionomie, il était à prévoir qu’on devait le considérer comme un masque. La thèse baconnienne a encore ses défenseurs enragés ; il est vrai que le « rabisme » est déjà une mauvaise note en pareille matière ; laissons au lord chancelier sa gloire, d’ailleurs mélangée, et n’enlevons pas au « gentleman-player » son noble et pur génie. Si l’on veut éclaircir des obscurités, il en reste assez et de plus importantes. Quelle était sa race ? Stratford est près du pays de Galles ; Shakespeare était-il Saxon ou Gallois ? Son génie semble bien celte. Et sa religion ? Était-il papiste ou puritain ? Ici, l’accord se fait. Son génie est bien catholique dans le sens étymologique comme dans le sens cultuel. Naguère encore, un collaborateur du Mercure de France (fév. 1902) tressait en arguments favorables de multiples inductions tirées de ses pièces, et il aurait pu en ajouter d’autres jusqu’à cet amour des orfèvreries d’église qui, par exemple, fait à Lorenzo amoureux de Jessica comparer les étoiles à des patènes. Mais quoique ces questions soient attrayantes, on aura la prudence de ne pas trop s’y enfoncer, il a tant été écrit sur Shakespeare ! La simple énumération des titres d’études formerait déjà un gros in-quarto. A moins de vouloir se consacrer au dieu, on laissera toute cette exégèse adventice, et l’on se contentera pour bréviaire de l’admirable chapitre de Taine au tome II de son Histoire de la littérature anglaise.
Si Shakespeare fut, comme le dit Carlyle, le plus noble fruit du catholicisme, Milton pourrait être qualifié le plus grand poète du puritanisme. Et ceci doit, à la fois, rendre indulgent pour l’aspect morose de son génie et inciter à connaître à fond cette âme dont notre littérature ne révélerait aucun double. Sans doute, il paraîtra dur, au sortir du merveilleux monde enchanté du Songe d’une nuit d’été, d’arriver jusqu’au bout du Paradis perdu ; mais le lecteur pour qui j’écris n’est plus l’enfant insatiable de romans-feuilletons. A vingt-six ans, on peut bien s’imposer quelques lectures austères. La figure géante du Satan miltonien a de quoi faire passer sur bien des lenteurs. On lira donc le Paradis perdu, dans l’original, si faisable ; sinon dans la version de Chateaubriand, qui s’efforça de calquer le mot français sur le mot anglais, traduisant ainsi dungeon par donjon et non par prison, ou pit par puits et non par abîme. Si l’on s’en devine le courage, il y a encore le Paradis regagné…
Comme représentant de la poésie anglaise contemporaine, je propose Shelley. Il a moins vieilli que Byron, il est moins insulaire que Swinburne, et son génie tourmenté nous émeut souvent plus que celui de Tennyson. Une traduction de ses œuvres en 2 volumes a paru chez Savine, mais qu’on le lise autant que possible dans le texte ; la poésie perd tant à passer par un interprète ! Après lui, comme il restera du temps, on en profitera sans doute pour lire quelques autres grands poètes d’outre-Manche.
Byron d’abord. Ses œuvres traduites tiennent 4 volumes dans l’édition Garnier ; il faut les connaître ; leur influence sur notre romantisme a été énorme ; qu’on se rappelle la Lettre d’Alfred de Musset à Lamartine. « Vous aviez lu Lara, Manfred et le Corsaire… » Et que ces trois personnages se ressemblent fort entre eux, et ressemblent non moins à Childe Harold et à tous les autres enfants du poète, cela importe peu. Ce mot « vieilli » que j’employais n’est juste qu’un temps, après quoi l’œuvre se maintient simplement, seule forme de vie possible pour les poèmes. Byron est ainsi consacré. Ce qu’on peut accorder c’est qu’il est permis, puisque tous ses livres ne reproduisent que la même image, la sienne, d’aller tout droit à ceux où cette image se dresse de la façon la plus hautaine et la plus douloureuse, je pense à Manfred et à Don Juan.
Ceux qui aiment la poésie anglaise de cette époque ne s’en tiendront d’ailleurs pas là. Ils liront encore l’âpre Burns et le délicat Keats, frère d’André Chénier, dont l’Endymion s’obtient pour trois pence dans la Cassel’s Library. La même collection vous offre d’autres poèmes de Cowper, de Southey, de Wordsworth, mais ce sont là lectures de spécialiste. Peut-être pourra-t-on se contenter, pour ces temps qui déjà s’éloignent, de la Chanson du Vieux marin, de Coleridge, dont il a paru chez nous une version de luxe, et des Poèmes gaëliques, d’Ossian, traduits en 1 volume chez Hachette ; le pastiche de Macpherson a eu une telle action sur le commencement du dix-neuvième siècle qu’il fait partie de la littérature européenne.
Il faudrait, en effet, ne pas trop s’attarder chez les Lakists et chez les romantiques si l’on veut apprécier quelques poètes modernes. Comment ignorer Tennyson ? La pureté de son génie, le retentissement de sa gloire, l’influence de son œuvre sur notre jeune symbolisme font un devoir de le connaître. Les Idylles du roi ont été traduites et richement illustrées ; malheureusement le volume est comme un peu « l’omnibus de Corinthe » ; il est vrai qu’on peut le demander dans les grandes bibliothèques publiques ; économie 100 francs. Pour les poètes vivants, il faudra se donner quelque mal pour ne réunir que des spécimens fragmentaires et peu nombreux. Au « Mercure de France » on obtiendra la traduction par Davray de la Ballade de la geôle de Reading, d’Oscar Wilde, et celle par Vielé-Griffin, du Laus Veneris, de Swinburne. Les poésies de Yeats, de Le Gallienne, d’Arthur Symons finiront assurément par paraître en notre langue.
Voilà, pour un simple siècle, bien des poètes à connaître en sus de nos trois grands. On pourra en commencer la lecture, avant l’année de Shelley. Deux ans ne sont pas de trop pour explorer, même superficiellement, ce domaine. Heureusement que le temps antérieur est moins riche en poésie. Après l’admirable floraison de la Renaissance, le génie anglais se repose. Dryden n’intéresse guère que les érudits. Chatterton n’a été traduit qu’à la suite du drame d’Alfred de Vigny. Otway serait inconnu sans sa Venise sauvée qu’on a fait passer en français. Pope et les lakistes sont moins ignorés chez nous ; on pourra s’amuser à lire la paraphrase en vers de l’Essai sur l’homme par Delille ou à comparer les Jardins du même abbé aux Saisons, de Thomson, et le Jour des morts, de M. de Fontanes, à l’Élégie dans un cimetière de campagne, de Gray. Toutefois, Milton lu, on peut, à la rigueur, se dispenser de connaître à fond toute cette gent versifiante. Mieux vaut laisser de côté les gentillesses de Pope et les pleurnicheries de Young pour quelques œuvres en prose du même temps, les Lettres de lord Chesterfield, quelques Essais d’Addison ; l’École de la Médisance, la célèbre comédie de Sheridan, et les Lettres de Junius, d’un intérêt un peu refroidi aujourd’hui (le procès Warren Hastings fut l’Affaire brûlante d’alors), toutes œuvres pour lesquelles on n’a pas besoin de recourir au texte, alors qu’il faut le faire si on veut apprécier les discours de Pitt ou de Burke et les essais de Reynolds ou de Swift.
Par contre, et pour en finir avec la poésie anglaise, il sied de réserver l’année de Shakespeare, si quelque loisir y reste, à ses contemporains. Le second tome de Taine, ou les trois volumes de M. Mézières (Hachette) serviront de guide. Ce serait vraiment pitié d’ignorer quelques œuvres de ce temps, le Docteur Faust, de Marlowe (traduit par F.-V. Hugo, Calmann-Lévy), Annabella, de Ford, la Duchesse de Malfi, de Webster, Séjan, de Ben Johnson. J’ajoute, pour mémoire, le grand poème de Spencer, The faery Queen qui n’a pas été traduit, mais qu’on ne manquera pas, pour peu qu’on sache l’anglais, de se procurer ; la chose est facile, pour 3 sh. 6 d. on l’a tout entier imprimé un peu dense mais lisible dans la collection des classiques Chandos, chez Warne ; nulle œuvre ne révèle mieux la beauté poétique de la Renaissance anglaise ; si Gustave Doré avait connu ce défilé de rêves, il aurait assurément voulu l’illustrer, et pas un lecteur chez nous n’ignorerait cette admirable féerie qui n’est goûtée que par les curieux d’art. Les poètes antérieurs, Chaucer et autres, partagent ce sort. Ici, on pourra recourir au premier volume de l’Histoire littéraire du peuple anglais, de Jusserand (Plon), qui sur certains points complète celle de Taine. Taine, par exemple, ne parle pas de Langland, que son successeur étudie avec complaisance. De plus, le rôle de l’élément celtique y est mis en juste lumière ; à lire Taine, on pouvait croire que toute la poésie anglaise venait de la Germanie ; avec M. Jusserand on se dira que sans l’Irlande et l’Écosse cette poésie anglaise n’aurait pas existé, et ce sont deux « positions », mais la dernière est peut-être la plus solide.
Une littérature ne se compose pas uniquement de poètes et de dramaturges. Il faut faire leur place à ceux qui, s’ils n’accroissent pas le nombre des chefs-d’œuvre, du moins provoquent ou prolongent les floraisons de beauté. La littérature anglaise au dix-neuvième siècle ne le cède à nulle autre pour ses critiques et ses esthètes, et puisque nous lui avons réservé trois années, désignons ici trois grands écrivains en prose, Macaulay, Carlyle et Ruskin.
Des trois, Macaulay est le plus accessible, même si l’on n’est pas grand clerc en anglais, on fera bien de le lire dans le texte ; la collection Cassel contient de lui plusieurs de ses meilleures études : Bacon, Warren Hastings, Lord Chatham, Burleigh, etc. D’ailleurs on l’a traduit en grand. Guizot a publié 6 forts recueils d’Essais chez Calmann-Lévy ; Montégut et Pichot ont donné ses 4 volumes de Jacques II et Guillaume III chez Charpentier. Tout est intéressant, et parfois, pour nous Français, surprenant. Louis XIV, vu de l’autre côté du détroit, garde son grand air ; mais il faut lire l’Essai sur Barrère pour savoir l’effet que produisent à l’étranger certains de nos « géants de 93 ».
Carlyle est moins commode. Heureusement on a traduit, et fort bien ma foi, le Sartor Resartus (Mercure de France) et les Héros (A. Colin). Aussi Cathédrales d’autrefois et Usines d’aujourd’hui (Charpentier). La traduction de l’Histoire de la Révolution française est malheureusement épuisée ; on pourra d’ailleurs la réserver pour plus tard, de même que les autres ouvrages d’histoire, point encore francisés, sur Cromwell et Frédéric II. La correspondance avec Emerson n’est pas davantage traduite, et c’est dommage. Et à ce propos citons d’Emerson, ce cadet de Carlyle, les Essais (traduction J. Will, Lacomblez, Bruxelles) et les Surhommes, titre approximatif pour rendre « Representative men » (traduction Roz, A. Colin). On a beaucoup écrit sur Carlyle (voir notamment le livre de M. Edmond Barthèlemy, Mercure de France) et sur sa femme ; la question de savoir qui avait tort, de Jane Welsh ou de son mari, a fait couler des flots d’encre ; la publication des Réminiscences de Froude et des Letters and Memorial de Mrs. Carlyle, avait d’abord détourné du vieux puritain les sympathies ; puis elles lui revinrent, Mme Arvède Barine est en somme plus favorable que M. Barthèlemy à Jane Welsh ; M. Augustin Filon, lui, est dur pour son mari. Au fond, peut-être vaut-il mieux ne voir les puritains, comme les stoïciens, que dans leurs livres. Mais peu importe que Carlyle n’ait pas été un héros lui-même ; son Hero-worship est un bréviaire d’héroïsme, il suffit.
Enfin Ruskin, dont l’influence sur l’art et la pensée anglaise fut décisive pendant toute la seconde moitié du siècle. Il faut avec lui un guide. Heureusement, car le livre de Milsand (Alcan) avait déjà vieilli, M. Robert de la Sizeranne a écrit sur lui un volume tout à fait remarquable (Hachette). Après l’avoir lu, on pourra, on devra même lire quelques-uns de ses essais aux titres mystérieux dont la liste ferme le volume ; on commence à en traduire quelques-uns, les Sept lampes de l’architecture, par exemple, la Couronne d’olivier, Sésame et les Lys et la Bible d’Amiens (Mercure). Comme on ne peut pas apprécier justement Ruskin sans connaître l’école préraphaëlite dont il fut l’âme, j’indique un autre volume de M. de la Sizeranne : la Peinture anglaise contemporaine (Hachette).
En comparaison de Ruskin, nos esthètes à nous semblent un peu scolastiques : ils ont souvent l’air de venir de fermer la Grammaire des arts du dessin, de Charles Blanc. Pourtant il y a une belle flamme chez certains, droite dans le Tourment de l’Unité, de Mithouard, scintillante dans le Paysage de Raymond Bouyer, sereine dans le Sentiment de l’art, d’Alphonse Germain ; un livre comme la Sphère de Beauté, de Maurice Griveau, représente toute une vie de réflexions.
En somme, en trois ans, on aura, avec une vingtaine de volumes, ce qui n’est pas énorme, acquis une connaissance première de la littérature anglaise. Avant tout Shakespeare, 10 volumes ; Milton, 1 ; l’Histoire de Taine, 5 ; Carlyle et Barthèlemy, 3 ; Ruskin et la Sizeranne, 2. En seconde ligne les poètes Shelley, 2 volumes ; Byron, 4 ; Ossian, 1 ; Coleridge, 1 ; Tennyson, 1 ; et les critiques Jusserand, 1 ; Mézières, 3 ; Macaulay (les Essais), 6. En troisième, tout ce que j’ai cité d’autre, une dizaine de volumes traduits, le double ou le triple de non traduits, voilà de quoi calmer les premières curiosités.
Profitons-en pour passer à la littérature allemande. Deux grands noms : Gœthe et Heine.
Gœthe, encore un de ces hommes qu’il faut connaître à fond ! On peut à la rigueur se dispenser de lire quoi que ce soit en anglais, si on sait Shakespeare, et quoi que ce soit en allemand, si on sait Gœthe. Ce qu’on a traduit de lui tient une quinzaine de volumes, où rien n’est à négliger. Les Conversations, recueillies par Eckermann par exemple, constituent le plus précieux des documents. Les 4 volumes mis en français de la Correspondance sont à lire aussi. Pour le Faust, quoique la version de Blaze soit bonne, on pourra prendre celle de Gérard de Nerval (Calmann-Lévy), dont Gœthe lui-même fit l’éloge. Est-il nécessaire d’ajouter que c’est le Second Faust, plus encore que le premier, qu’il importe d’étudier, et qu’il est convenable de ne point s’arrêter dès le premier quart de Werther ou le premier tiers de Wilhelm Meister, sous prétexte que ce n’est pas amusant ? Comme traducteur d’ensemble, on donne la palme à Porchat (Hachette). En fait de critiques, car il est bon de savoir ce que les uns et les autres ont pensé sur Gœthe (Taine l’admirait, mais Hugo le détestait), on pourra lire, pour le côté éloges, les 2 volumes de Mézières (Hachette) ; pour le côté réserves, l’Essai d’Édouard Rod (Perrin). Il est possible, en effet, que la gloire de Gœthe aille en s’embrumant un peu ; il fallait un grand Allemand pour faire pendant au grand Italien et au grand Anglais, mais Gœthe n’est pas plus de la taille de Dante et de Shakespeare que Camoëns n’est l’égal d’Homère. Sur la famille du grand homme vous lirez avec plaisir le livre de Mme Arvède Barine, Bourgeois et Gens de peu. Je n’ose conseiller, ne les ayant pas lues, la Philosophie de Gœthe, de Caro, ni les Œuvres scientifiques de Gœthe analysées et appréciées, de Faivre ; le Gœthe en France, de M. Baldensperger, est pour nous plein d’intérêt.
De Heine on a traduit 17 volumes (Calmann-Lévy) ; mais ici tout n’est pas sacré. Ce qu’il faut connaître avant tout, c’est le volume de Poèmes et Légendes, qui contient l’admirable Intermezzo, un des plus exquis petits chefs-d’œuvre qui soient, et ceux des Drames et fantaisies et des Poésies inédites qui renferment le reste du Buch der Lieder. Ensuite les Reisebilder, où pétillent les spirituelles pages du Voyage dans le Harz et de la Mer du Nord. A la rigueur, on peut s’arrêter là ; mais les fervents ajouteront De la France et De l’Allemagne et la Correspondance qui est loin de tenir en ses 3 volumes, heureusement pour le poète, tout ce que le poète a écrit. M. J. Legras, auteur d’un bon livre qui peut servir de guide, Henri Heine, poète, a publié dans la Deutsche Rundschau une lettre à Michel Chevallier, où se trouve, par exemple, cet étrange aveu : « En homme que je suis, je me sentis blessé dans mon amour-propre et dans mes intérêts financiers ; j’étais blessé du coup aux deux tendons qui sont vulnérables chez un Achille moderne. Je me suis reproché d’avoir commis une bassesse, et la chose pire de toutes, une bassesse pour rien. » L’Achille moderne était un assez fâcheux personnage ; il vaudrait mieux ne pas le savoir quand on lit « les petites chansons qu’il faisait avec ses grands amours ». N’importe pourtant, il lui sera beaucoup pardonné parce qu’il a beaucoup aimé.
A ne lire que quatre ou cinq volumes d’Heine, il restera quelque loisir pour un autre grand poète allemand, Schiller, dont on ne peut pas ignorer au moins les Poésies et le Théâtre, si l’on hésite devant la pourtant intéressante Guerre de trente ans ; cela fait 3 volumes dans la Bibliothèque Charpentier. Les œuvres complètes, trad. Ad. Regnier, tiennent 8 volumes in-8, chez Hachette.
Gœthe, Schiller et Heine, voilà ceux qu’on n’a pas le droit d’ignorer pour l’Allemagne. Mais bien d’autres seraient à connaître. Si on veut éprouver sa vaillance, la Messiade de Klopstock vous attend (Charpentier). Encore, si simplement on tient à explorer un peu plus à fond son sujet, il faudra prendre quelques volumes de Lessing, le Théâtre (3 volumes, Flammarion), le Laocoon (Renouard) et la Dramaturgie de Hambourg (1 volume, Perrin), aussi la Cruche cassée, d’Henri de Kleist (Didot), le Faust, de Lenau (Savine), et les autres Poètes autrichiens, de Marchand (Charpentier), les Pages choisies, d’Uhland (Perrin), le Théâtre de Kotzebue (Perrin), etc.
Il vaudrait mieux d’ailleurs, car le temps est précieux, ne pas s’enfoncer trop profondément dans la « silve obscure » de la poésie allemande et se réserver la visite de quelques prosateurs. Je dis quelques, car, hélas, il faut faire un choix. Tout ce qui serait digne d’être lu ne peut pas être lu. Je me contente d’un nom par année, Herder pour faire pendant à Gœthe, et Nietzsche pour accompagner Heine.
La Philosophie de l’histoire de l’humanité, de Herder, a été traduite par Taudel pour l’éditeur Lacroix (3 volumes, Flammarion). C’est un de ces livres consacrés qu’il faut connaître, même si, au cours de la connaissance, on leur trouve l’air un peu perruque ; ils gardent toujours leur valeur représentative ; la Philosophie de l’histoire c’est toute l’Allemagne du dix-neuvième siècle, comme le Discours sur l’histoire universelle, c’est toute la France du dix-septième siècle.
Par contre, Nietzsche est le philosophe à la mode, mais que ceci ne le desserve pas ! Ce qui fait l’admiration des snobs peut aussi maîtriser l’intérêt des penseurs. M. Henri Albert poursuit la traduction complète de ses œuvres qui tiendra plus de 17 volumes (Mercure de France). Si on ne les prend pas tous, on écoutera du moins Ainsi parlait Zarathoustra, son livre le plus célèbre, et aussi Par delà le bien et le mal et Humain, trop humain : odes, traités et aphorismes. Pour les gens archi-occupés, les traducteurs ont eu l’attention de colliger un volume spécial de Pages choisies ; il vaudrait mieux ne pas commencer par là pour se refuser le droit de laisser de côté les volumes in extenso. Il y a déjà toute une littérature nietzschéenne : La Philosophie de Nietzsche, d’Henri Lichtenberger, Nietzsche et l’Immoralisme, d’Alfred Fouillée, En lisant Nietzsche, de Faguet, etc. On trouvera plus tard les grands philosophes allemands ; toutefois, peut-être pourrait-on dès maintenant joindre à la connaissance de Nietzsche la lecture d’un volume de son premier maître Schopenhauer, les Pensées et Fragments, par exemple, que M. Bourdeau a donnés dans la petite collection d’Alcan.
Ceci suffit pour l’instant. On aura pris dès le début, je pense, une histoire de la littérature allemande, celle, probablement, de M. Bossert (Hachette) ; elle est bien touffue, mais rendra service, ce malgré, par ses jugements propres et aussi par ses indications bibliographiques, un peu maigres d’ailleurs ; bien que la littérature allemande n’ait pas trop séduit nos critiques et que le livre même de Mme de Staël, De l’Allemagne, soit plus important comme manifeste que comme étude de fond, on y verra pourtant que nos compatriotes ont écrit un certain nombre de livres remarquables non seulement sur les grands protagonistes, mais même sur des acteurs de seconds rôles. Les Hommes et Choses d’Allemagne, de Victor Cherbuliez, seraient ici à consulter. Sur tel grand génie dont je n’ai pas encore cité le nom, bien qu’il soit presque aussi puissant comme poète que comme musicien, Wagner, il y a, on le sait, toute une littérature spéciale, Chamberlain, Lichtenberger, etc. Il n’en faudra pas moins recourir aux auteurs allemands, les critiques comme les producteurs, si l’on veut avoir une idée un peu approfondie de leur domaine. Cela représente, assurément, beaucoup de lectures, trop même si l’on ne sait pas se borner ; mais les vastes ambitions mises de côté, on pourra se satisfaire avec une douzaine de volumes, Gœthe non compris : 1 volume de Bossert, pour guide, puis 3 de Schiller, 5 de Heine, 1 de Schopenhauer, 2 ou 3 de Nietzsche, 1 de Wagner. Bien entendu, ce n’est là qu’un minimum.
J’arrive aux Espagnols : Cervantes et Calderon.
Don Miguel Cervantes de Saavedra. Pour la beauté sonore des noms, vive l’Espagne ! On aura probablement lu déjà la Merveilleuse histoire de l’Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche. Mais on la relira. Don Quichotte est un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain ; l’enfant y rit aux éclats, l’homme y sourit, pensif, et le vieillard revient s’y réchauffer en se frottant les mains. La traduction Viardot est excellente, mais le texte original est préférable encore ; on le prendra en main, ignorât-on l’espagnol ; dès le troisième jour on devinera presque tout, et dès la fin du mois, on le lira couramment. Faites l’expérience vous-mêmes, si vous n’avez pas appris la langue « qu’il faut parler à Dieu » : « Dichosa edad y siglos dichosos aquellos a quien los antiguos pusieron nombre de dorados : y no porque en ellos el oro que en nuestra edad de hierro tanto se estima, se alcanzase en aquella venturosa sin fatiga alguna, sino porque entonces los que en ella vivian ignoraban estas dos palabras de tuyo y mio. » Il est difficile, même si vous n’avez jamais lu un traître mot d’espagnol, que vous n’ayez pas compris ce dont il s’agissait dans cette palabre du bon Chevalier de la Mélancolique Figure.
L’œuvre de Cervantes est si lumineuse qu’on peut se dispenser de lire un de ces guides critiques qui sont utiles pour Dante, Gœthe et Shakespeare. Sa vie (sait-on que Shakespeare et Cervantes sont morts à la même date, 23 avril 1616 ?), dont une traduction accompagne en général nos éditions de Don Quichotte, suffit ici. Plutôt que de s’infliger de vagues compilations critiques, on lira les autres œuvres du grand homme qui ont été traduites in extenso chez nous, en 1820 ; il sera d’ailleurs plus facile de se procurer le texte espagnol que cette traduction.
Calderon est l’autre grand nom de tra los montes. On a mis en français le meilleur de son théâtre (3 volumes, Charpentier). Tout ne serait peut-être pas à lire dans ses œuvres complètes (plusieurs centaines de pièces, assure-t-on) ; mais tout doit être lu dans cette sélection. Ici encore qu’on recourre de préférence au texte, au moins pour la Dévotion à la croix, la pièce la plus profondément espagnole de toute la littérature d’Espagne. M. Rouanet a bien traduit rigoureusement ce drame en octosyllabes calqués sur l’original, mais, encore une fois, l’espagnol est si aisé à comprendre qu’on serait blâmable de ne pas s’attaquer à l’original.
Lope de Vega, le rival glorieux de Calderon, a ses chefs-d’œuvre également traduits (2 volumes, Charpentier). Il serait regrettable de les négliger. A vrai dire, je ne vois pas, pour ma part, en quoi le Meilleur Alcade est le roi est inférieur au Médecin de son honneur, et Calderon a le droit d’envier à son aîné une chronique dialoguée d’allure aussi shakespearienne que la Découverte du nouveau monde. A ce propos, à l’Henri VIII, de Shakespeare, on pourra comparer le Schisme d’Angleterre, de Calderon, comme du Faust, de Marlowe, on rapprochera le Magicien prodigieux, du même. D’une façon générale, il me semble qu’on ne rend plus assez justice à ce riche théâtre espagnol ; on lui reproche jusqu’à sa richesse, les deux millions de vers qu’aurait, dit-on, écrits Lope. Mais personne n’est forcé de les compter, et il suffit qu’une demi-douzaine de pièces surnage pour que le poète reste en pleine lumière ; en reste-t-il beaucoup plus d’Eschyle ou de Sophocle ?
A ces six ou sept volumes de chefs-d’œuvre qu’il faut nécessairement connaître, on ajoutera une bonne Histoire de la littérature espagnole, celle de Ticknor par exemple (traduite de l’anglais, 3 volumes, Hachette) qui n’a nullement vieilli ; ou si l’on ne veut qu’un manuel, celui de M. Baret (Delagrave, 1 volume). A notre point de vue français nous consulterons avec fruit l’Histoire comparée des littératures espagnole et française, de M. de Puibusque (2 volumes), ou la Comédie espagnole, de M. Martinenche. Je cite pour mémoire les Études sur l’Espagne, de Philarète Chasles, celles de M. Morel Fatio, celles de M. Desdevises du Dézert, sans oublier, pour l’intelligence de l’autrefois, le Voyage en Espagne, de la comtesse d’Aulnoy (Plon).
Mais pour peu qu’on ait le goût du pittoresque et du picaresque, on ne s’en tiendra pas là. Que d’admirables choses à connaître chez ces poètes, ces romanciers, ces mystiques ! Peut-être sommes-nous psychologiquement plus loin des Espagnols que de tout autre peuple d’Europe, puisque ces soi-disant Latins sont des Berbères, et pourtant leur littérature est, de toutes, celle qui nous plairait le plus dans son ensemble ; elle ne nous choque ni par le puritanisme comme la moitié de l’anglaise, ni par l’afféterie comme les deux tiers de l’italienne, ni par le pédantisme comme les trois quarts de l’allemande. L’espagnole est bien un peu solennelle, redondante et volontiers sanguinaire, mais tout cela gêne plus dans la réalité que dans les livres.
On soupèsera donc quelques caractéristiques spécimens de plus de cette littérature. D’abord nous autres Français ne pouvons guère ignorer l’origine de certains de nos chefs-d’œuvre : la Jeunesse du Cid de Guillem de Castro, le Don Juan, de Tirso de Molina, le Menteur (la Vérité devenue suspecte), d’Alarcon. Toutes ces pièces ont été traduites dans la Collection des chefs-d’œuvre des théâtres étrangers, de Ladvocat, 1822 (25 volumes), qu’on ne trouve plus guère, il est vrai, que dans les bibliothèques publiques. Ensuite certains poèmes d’outre-mont font partie de la littérature universelle, par exemple le Romancero du Cid qui a été traduit plusieurs fois en français ; faut-il y ajouter l’Araucana, d’Ercilla, traduite aussi ? Ce serait beaucoup de bonne volonté. A lire une vaste épopée, d’au-delà les Pyrénées, il vaut mieux prendre connaissance des Lusiades (trad. Hippeau, 1 volume, Garnier), qu’hélas, j’ignore moi-même, à l’exception des épisodes consacrés ; tous les recueils de morceaux choisis étrangers donnent l’apparition d’Adamastor. Et à ce propos, il serait excellent de se procurer un de ces recueils en espagnol, par exemple celui de Carlos de Ochoa, ou les deux volumes de Campillo y Correa. Enfin les romans classiques, l’Amadis de Gaule, si l’on se pique d’érudition (thèse de M. Baret, 1853), et surtout le Lazarille de Tormes, chef-d’œuvre du genre picaresque, de Mendoza (trad. Morel Fatio), à quoi on pourra ajouter la Nonne Alferez (trad. Heredia), le Don Pablo de Ségovie, de Quevedo (trad. Rosny), et les autres œuvres du même genre dont il sera facile de se procurer les titres dans les bibliographies.
Résumons nos lectures étrangères : 25, Shakespeare, Macaulay, la grande « Histoire » de Taine ; 26, Milton, Carlyle ; 27, Shelley, Byron, Ruskin ; 28, Gœthe et Schiller, l’« Histoire » de Bossert ; 29, Heine, Schopenhauer, Nietzsche ; 30, Cervantes, l’« Histoire » de Puibusque ; 31, Calderon, Lope de Vega.
Après les grands poètes du dehors, les grands prosateurs du dedans. En voici sept qui recueilleront, je l’espère, tous les suffrages : 25, Rabelais ; 26, Montaigne ; 27, La Bruyère ; 28, Saint-Simon ; 29, Voltaire ; 30, Diderot ; 31, Rousseau. Je les ai rangés, méthode comme une autre, en ordre chronologique, lequel ici est, de plus, logique. Il est bon de lire Rabelais à vingt-cinq ans, âge de force effervescente où l’on n’est pas trop choqué par l’effréné du grand chantre de la vie ; et il n’est pas mauvais d’attendre la trentaine pour apprécier Jean-Jacques et ses théories sur l’éducation et la société. D’ailleurs, pas d’inconvénients à intervertir la marche du cortège, à commencer par le juvénile Voltaire ou le débridé Diderot pour finir par l’amer La Bruyère ou l’assagi Montaigne. Chacun verra aussi ce que de ces auteurs lui permettront ses loisirs ou ses forces. Rabelais, Montaigne, La Bruyère se liront en entier. Pour les autres on peut faire un choix : il n’est pas nécessaire pour connaître, même à fond, Voltaire, d’avoir lu les Annales du Saint-Empire.
En entier Rabelais, source de joie, flamme de sagesse, tempête de rire, en entier sauf le cinquième livre de Pantagruel, bien entendu. Comment a-t-on pu penser que ce plat pastiche pouvait être du dionysiaque Alcofribas Nasier, et comment ose-t-on continuer à l’imprimer à la suite des quatre premiers ? Les éditeurs ne lisent donc pas (étonnement naïf !) les livres qu’ils publient ? Aussi sera-ce avec les seules authentiques aventures de Gargantua et de Pantagruel qu’on s’esbaudira tout à l’aise du corps et au profit des reins. S’il ne fallait lire que trois ou quatre livres dans sa vie, Rabelais serait un des trois ou quatre, et si l’on vous condamnait à trois mois de prison cellulaire, vous pourriez, avec un Rabelais caché dans votre paille humide, vous moquer de votre cachot. J’en connais intimement un que Rabelais garantit du spleen londonien. Lisez-le donc, et le relisez et le marmottez tout le jour en patenostres comme singe desmembrant escrevisse. Et lisez-le tout seul, sans vous embarrasser des glossateurs, commentateurs et autres tirelupins que le maulubec trousse ! Rabelais se suffit à lui-même, et bren pour ceux qui veulent en faire un papimane ou un papefigue !
Et qu’on se défie aussi des enragés éclaircisseurs de Montaigne. Il n’y a rien de plus lumineux que la philosophie des Essais, à condition qu’on n’appelle pas les porteurs de torches ; on n’y verrait plus goutte et on tousserait pendant quarante-huit heures. Sainte-Beuve est étonnant ici : « Ce qui se trouve vrai quand on presse et qu’on tord son livre ne l’est pas également quand on ne fait que l’ouvrir et le feuilleter ». Ah ! l’habile homme ! L’auteur du Malleus maleficorum n’avait pas d’autres moyens pour extirper la vérité : presser et tordre ; c’est en contemplant son jeu de serre-vis qu’il s’écriait avec complaisance : Je ferais bien avouer, même au pape, qu’il est sorcier ! La bataille qui se perpétue autour de Montaigne doit réjouir son ombre, il l’avait prévue : « Pelaudé à toutes mains, aux gibelins j’étais guelfe et aux guelfes gibelin. » Les fluctuations sont amusantes. Un moment « le scepticisme de Montaigne » était devenu un tel article de foi que je ne sais plus qui s’est taillé une réputation en affirmant « le dogmatisme de Montaigne ». Et pendant que les uns exaltent en lui le professeur de doute, les autres font des extraits « Montaigne chrétien » pour les petits séminaires. Au fond, l’auteur des Essais est le sage d’ici bas (un sage que Pascal regarde bien de travers, mais parce que lui est un sage d’en haut), un penseur parfait qui est croyant jusqu’où il faut l’être, et souriant au delà. On peut être très religieux et trouver que c’est mettre ses conjectures à bien haut prix qu’en faire bouillir un homme tout vif, et il n’est pas nécessaire d’être prêtrophobe pour avoir horreur de ceux qui sont toujours sûrs d’avoir la vérité en poche. Mais laissons cela, le lecteur saura bien se faire tout seul une opinion sur un homme qui écrit quatre volumes sur lui-même. Quels volumes, il est vrai ! Eux aussi sont à lire et à relire (« le bréviaire des honnêtes gens », disait-on jadis) si possible dans la première édition plus primesautière, non embroussaillée de citations latines, texte reproduit dans l’édition Feret, de Bordeaux, sinon dans les 4 volumes maniables et bon marché de la Bibliothèque Charpentier, ou dans les 7 volumes artistiques de l’édition Jouaust. Les relire même ne suffirait pas, il faudrait s’en nourrir, et laisser là les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des ouvrages que j’énumère pour revenir à eux ! Ah si toutes nos connaissances de près et de loin avaient les sentiments de Montaigne et les jugements de Rabelais !
La Bruyère, « le charme des délicats », on pourrait lui appliquer la moitié de son mot sur l’auteur de Pantagruel, justement. Et l’on ne s’étonnerait pas qu’un fanatique du style artiste se fût juré à lui-même de ne jamais sortir, en ses lectures, de Rabelais et de Montaigne ; mais on lui pardonnerait de leur avoir été infidèle, un jour, pour La Bruyère. C’est le Goncourt du grand siècle ; s’il nous semble moins naïvement gendelettre, c’est peut-être qu’il n’a pas écrit son « Journal » ; mais les Goncourt auraient pu ne pas publier le leur. Il sied de se rappeler, en lisant La Bruyère, ce côté littéraire, pour ne pas prendre au mot les tropes subtils dont il émaille son œuvre d’art. Le fameux portrait du paysan avec quoi on a prouvé, je ne sais combien de fois, qu’à deux pas de Versailles on mourait de faim en pleine splendeur ludovicienne est, par exemple, la transposition d’un « document humain », précieux d’ailleurs : « Les pauvres ramassent dans les champs des grains germés à demi pourris ; le pain qu’ils font est comme de la boue. Retirés dans des cabanes ou des trous, couchés sur le sol ou de la paille pourrie, sans linge ni habit, en haillons, ils ont des visages noirs et défigurés, ressemblent plutôt à des fantômes qu’à des hommes. » Mais ce « document » est daté du 5 janvier 1651 au fort de la Fronde, et il est de saint Vincent de Paul, ce qui est une recommandation pour les âmes sensibles, mais non peut-être pour les critiques pointilleux.
La Bruyère tient en un volume. Pour la compensation, Saint-Simon, l’année suivante, en exigera vingt-deux, dans l’édition Chéruel (Hachette). Il y a bien une autre édition identique en 13 volumes seulement, mais elle est imprimée si menu que la lecture en est pénible. Je n’ose pas conseiller non plus le choix de Scènes et Portraits en deux volumes qu’on a tiré, toujours chez Hachette, de l’édition complète. Mieux vaudrait prendre au hasard deux volumes de celle-ci, au risque de ne pas tomber sur les morceaux classiques, la mort du Dauphin ou la dégradation des Bâtards. Chez un homme comme Saint-Simon ce qui est admirable c’est le mouvement, « la suite enragée », la vie qui palpite de la première à la dernière des trois cents mille lignes du manuscrit, lequel, on le sait, est rédigé comme d’un trait, sans répit, sans têtes de chapitres ; or cela, on le voit dans un gros fragment de quinze mille lignes comme un volume, on ne le sent pas dans un recueil de morceaux dessoudés, de quelques pages chacun. Quel tome, alors, prendre ? N’importe lequel, le premier, si on veut. Il y aura beaucoup de chances pour qu’on tire ensuite le second, puis le troisième, et qu’on arrive ainsi jusqu’à la fin du vingt et unième, et qu’on soit désolé, comme pour Balzac, que ce soit si tôt fini. Peut-être même se sera-t-on mis à haleter, soi aussi, pour la question des tabourets, à dresser des arbres généalogiques, et à prendre parti pour les ducs et pairs contre les ducs à brevet ! En ce cas, il faudrait — les passions sont fortes — laisser là l’édition Chéruel et se ruer sur l’édition Boilisle, des Grands Écrivains de la France (Hachette). Seize volumes sur trente ont seulement paru ; mais ces seize volumes bourrés de documents, d’explications, de pièces de toutes sortes sont un monument digne du texte. Au bout de quelques semaines de lecture on est ensorcelé, et l’on s’étonne en se regardant dans la glace de ne pas se voir en jabot de dentelles et en perruque léonine…
Les vingt ou trente volumes de Saint-Simon ne sont que peu de chose en comparaison des cinquante ou soixante volumes de Voltaire. Ici, en vérité, il sera permis d’élaguer. On n’est pas déshonoré pour n’avoir pu arriver au bout de l’Orphelin de la Chine ou du Commentaire sur Corneille. Mais en ce cas par où commencer ? Avant tout par les Contes en prose ; tous sont amusants, et un sur quatre au moins, c’est-à-dire une bonne demi-douzaine, sont merveilleux (s’il fallait dans toute l’œuvre voltairienne sauver une seule chose, ce serait Candide ; c’est un peu notre Ingénieux Hidalgo à nous). Ensuite, on continuera par quelques livres d’histoire, et comme notre plan comporte une colonne historique où l’Essai sur les mœurs et le Siècle de Louis XIV trouveront place, ce pourra être ici l’entraînante Histoire de Charles XII. Alors, non sans quelque courage, on s’ordonnera diverses tragédies : Mérope, souvenir effacé du collège, Zaïre, qu’on préférera sans doute entendre à la Comédie-Française, Tancrède où l’entrelacs des rimes met un peu de variété ; et quelques poèmes : la Loi naturelle et le Désastre de Lisbonne, assez brefs et substantiels (plaisants éloges pour des poèmes), les Contes en vers, genre Ce qui plaît aux dames, qui sont le plus souvent charmants, les Épigrammes et autres petits vers. Quant à la Henriade, on sait que c’est terrible, « pour la lire, il faut être éveillé », comme dit Joseph de Maistre ; on essaiera pourtant, et avec un peu de patience, on réussira. Aussi pour sa récompense, on lira la Pucelle. Oui, je sais ! Et je suis de votre avis ! Mais une fois votre conscience en repos, lisez la Pucelle comme vous liriez Bradamante ; je ne sais si ce n’est pas, avec Candide, ce que Voltaire a le mieux réussi. Enfin, tous les mélanges polémiques qu’il vous plaira, les Lettres sur les Anglais, un Chrétien contre six Juifs, le Traité de la tolérance, sans oublier, bien entendu, le Dictionnaire philosophique, et la Correspondance. Il y a là de quoi butiner toute l’année. Vous ouvrez au hasard le « Dictionnaire », vous êtes sûr de tomber sur quelque chose d’amusant, et vous prenez n’importe quelle « lettre », vous ne tombez jamais sur quelque chose d’insignifiant. Le tour de force, on l’a dit avec raison, est d’un continu admirable. Il ne faudrait pas toutefois se faire trop d’illusions : Dictionnaire et Correspondance sont pétillants, mais d’un pétillement un peu monotone ; le cercle de Voltaire est vaste, mais c’est toujours le même cercle. J’ai pris bien souvent un de ses volumes au hasard avec plaisir, et chaque fois, je l’ai lâché assez vite.
Curieuse destinée littéraire que celle de Diderot ! Sa gloire était réelle dès son vivant, et c’est après sa mort qu’on s’aperçut qu’elle était méritée. L’aventure est, je crois, unique. Tous ses chefs-d’œuvre, en effet, sont posthumes, et quelques-uns ont subi d’étranges aventures ; le texte original du Neveu de Rameau a été retrouvé, il y a quelques années, sur les quais, et l’analogue découverte d’un manuscrit du Paradoxe sur le comédien, de l’écriture de Naigeon, a fait bâtir bien des hypothèses. Naigeon ou Diderot ? Diderot ou Naigeon ? On trouvera la discussion complète chez les spécialistes comme M. Bédier. Ici, nous ne faisons qu’étiqueter les provisions de l’année, avec le prix à côté. A 1 franc on peut se procurer dans la petite collection elzévirienne le Neveu de Rameau, la Religieuse, Jacques le Fataliste, et les Pensées philosophiques. Pour 1 fr. 75, chez Garnier, on aura les Bijoux indiscrets. A 3 francs dans l’édition Jouaust, six volumes de mélanges, contes, comédies, lettres à Mlle Voland, variétés. Enfin, à 7 francs, chez Garnier, les vingt volumes de l’édition complète, où l’on ne manquera pas de lire le Rêve de d’Alembert, le Supplément au voyage de Bougainville, et les Salons. Peut-être les lira-t-on, tous ces volumes, alors qu’on n’aura pas pu arriver à la moitié, ou au tiers, de Voltaire. Diderot est, en somme, plus vivant, plus violent et plus puissant ; il est aussi, ce qui n’est pas peu dire, plus pimenté. Aujourd’hui encore nous lisons avec intérêt sa Lettre sur les aveugles, alors que nous bâillons un peu à la Diatribe du docteur Akakia. Il est vrai, rétablissons la balance, que Ceci n’est pas un conte est fort bien, mais que Candide est fortement mieux !
Et Rousseau ? Ira-t-on jusqu’au bout ? Je le souhaite, car il serait utile de l’avoir tout lu, mais je n’ose l’espérer. Finir la Nouvelle Héloïse n’est pas à la portée de tout le monde. Il faut emporter les volumes à la campagne et se prendre par la famine. L’Émile et le Contrat social sont mieux retenants ; ils rentrent dans la rubrique que certains journaux adoptent pour leurs comptes rendus : « Les livres qui font penser ». Ils vous font aussi soubresauter ; mais il y a tant d’autres livres qui vous affalent ! Est-il besoin de dire que les gens pressés, très pressés, devraient prendre tout d’abord les Confessions ? C’est le livre essentiel de Jean-Jacques, celui qui le peint au naturel, mais peu flatteusement : un laquais qui se… on verra le reste de la définition dans le Journal des Goncourt, et il est bon de commencer par là, pour se mettre en garde, contre sa séduction, car Jean-Jacques, comme tant de gens atteints de la manie des persécutions, a été un grand séducteur. Tous ces livres-là se trouvent à prix accessible chez Garnier. Chez Hachette les œuvres complètes ont été imprimées en 13 volumes à meilleur marché encore. Il y en a d’autres éditions intégrales. On recourra à l’une d’elles pour certains ouvrages qu’il est malaisé de trouver à part, la Lettre à l’archevêque de Paris sur l’Émile, par exemple, qui est pleine de verve, ou les Considérations sur le gouvernement de Pologne, indispensables pour qui voudrait préciser les vraies théories politiques de Jean-Jacques. D’autres opuscules encore sont classiques, le Discours sur les sciences et les arts, la Lettre sur les spectacles et le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité. Tout cela est bien un peu passé de mode, et les Jean-Jacquistes ont ici fait grand tort à Jean-Jacques, mais il n’en faut pas moins connaître l’Évangile des temps nouveaux. Ne pas oublier, si l’on est fidèle de la nouvelle église, les « Épîtres » : la Correspondance de J.-J. Rousseau ne vaut pas toujours celle de Diderot par la vie, ni celle de Voltaire pour l’esprit, mais elle a son prix. Comme document humain sur le malheureux grand écrivain, en ont davantage encore les œuvres de la fin, Rousseau juge de Jean-Jacques, etc., où se révèle et s’accentue un dédoublement de la personnalité aussi net que ceux qu’on voit « observés » dans les traités de psychiatrie. Psychologiquement, Jean-Jacques est un possédé, ou un dépossédé, ce qui revient au même, un aliéné.
Je n’ai indiqué sur tous ces auteurs aucun ouvrage de critique. Ce n’est certes pas qu’il en manque, mais leur défaut à tous, rédhibitoire, est de vous détourner de la lecture des auteurs eux-mêmes. Quelque intéressants que soient les 8 volumes de Desnoiresterres sur Voltaire, il vaut mieux lire 8 volumes de Voltaire en personne. D’une façon générale, on se munira sur la littérature française d’un guide précis, concis et solide — le Manuel de Brunetière (1 volume, Delagrave) ici est tout à fait indiqué — et on s’abstiendra de tout le reste. Si on entame les Lundis de Sainte-Beuve, on est perdu, à moins de pouvoir disposer de douze heures par jour pour l’ornement de son esprit. Dans ce cas, et toujours à condition que l’on ait lu les auteurs, tout entiers, et parfois qu’on les ait relus, on pourra s’adonner aux critiques, car je ne dis certes pas qu’on n’y trouvera ni plaisir, ni profit ; la charge à fond qu’exécute Barbey d’Aurevilly sur Saint-Simon (les Historiens, Lemerre) est un spectacle de choix, et tel « essai » de Taine, tel médaillon de Lemaître, telle dissection de Faguet, tel pèlerinage d’Henry Bordeaux, tel corrigé d’Albalat, gardent tout leur prix. On lira aussi avec fruit ce que pensent les étrangers de nos grands hommes, Morley de Rousseau, Strauss de Voltaire, Rosenkranz de Diderot. L’important c’est que les gloses n’étouffent pas les textes.
Mieux vaudra, si chaque auteur n’occupe pas son année entière, ou si le louable souci de la variété incite à des lectures variées, en profiter pour voir, à chaque volte, les ouvrages qui peuvent former le cercle autour du protagoniste. L’année de Rabelais, par exemple, certains noms s’imposent ; celui de Brantôme dont on trouve aisément la Vie des Dames galantes et la Vie des Dames illustres françaises et étrangères ; celui aussi de Béroalde de Verville : le Moyen de parvenir n’est pas simplement salé, il excite aussi la curiosité d’esprit comme tous les livres à substance médullaire, tenu compte au surplus de la simple verve qui fait que « parfois essayer de comprendre, c’est déjà n’avoir pas compris », comme dit Sainte-Beuve. Notons encore l’Histoire macaronique de Merlin Coccaie, tout à fait indiquée à propos de Rabelais, et le Cymbalum mundi, de Bonaventure Des Périers (tous ces livres chez Garnier). Faut-il inscrire de plus sur la liste les Cent nouvelles nouvelles et l’Heptaméron ? Je crains que ce soit s’exposer à se décrocher la mâchoire. Un recueil quelconque de morceaux choisis en donnera suffisante idée, ainsi que de la Satyre ménippée, la « Procession de la Ligue » et la fameuse apostrophe : « O Paris qui n’est plus Paris, mais une spelunque de voleurs, » étant des pierres de fondement pour toutes les anthologies du vieux français. On trouvera au surplus d’autres choix judicieux et savoureux dans les 2 volumes de Lenient, la Satire au seizième siècle (Hachette).
Pourra-t-on, en lisant Montaigne, se dispenser de connaître la Boétie ? Assurément non, d’autant que la Servitude volontaire fait suite aux Essais dans l’édition Charpentier. Et faut-il aller jusqu’au Traité de la Sagesse, de Pierre Charron ou jusqu’aux Discours politiques et militaires, de François de La Noue ? Sans doute, si l’on se pique ici d’érudition. Mais ce sera tout. Pourquoi citerais-je les œuvres du chancelier du Vair que je n’ai jamais vues même de dos ? Plutôt que de courir après de graves disparus, qu’on s’adresse à de moins moroses subsistants. L’ombre centrale de Montaigne ne cessera pas de sourire si l’on passe de sa conversation à celle de Dassoucy, de Cyrano de Bergerac ou de Tabarin. Ajoutez quelques livres du même genre : le Roman comique, de Scarron, le Roman bourgeois, de Furetière, l’Histoire de Francion, de Sorel (tous ces ouvrages chez Garnier). Si le burlesque vous semble, à force, monotone, passez au solennel, il est à côté sous la figure de Guez de Balzac, dont Lecoffre a publié un choix maniable de Lettres en 2 volumes. Mais Balzac appelle Voiture ; de celui-ci, il y a un bon recueil de Lettres choisies par Octave Uzanne dans la collection Jouaust.
L’année d’après, on glissera sans effort de La Bruyère aux autres moralistes. L’ensemble de leurs œuvres est peu de chose pour le poids. On les trouvera tous (y compris Pierre Charron) réunis dans un seul volume du Panthéon littéraire (Delagrave). Il est vrai que c’est un gros volume à deux colonnes compactes, et que les moralistes s’accommodent bien davantage de petits livres qu’on peut tirer de sa poche jusque dans une antichambre de ministre, au lieu de bâiller au nez des huissiers. On ne s’en tiendra pas, bien entendu, à La Rochefoucauld et à Vauvenargues ; il faut absolument qu’on aille jusqu’à Chamfort et à Rivarol. Ce sont de très grands esprits. Sans Chamfort, nous n’aurions peut-être eu ni Schopenhauer ni Nietzsche ; et Rivarol nous aurait sauvés de la Terreur si la sottise pouvait être vaincue par la finesse. La collection Jouaust renferme des choix en 2 volumes, et celle des « Plus belles pages » du Mercure, en un. On pourra ici pousser jusqu’à nos jours ; le « rayon » des moralistes est un des mieux fournis de notre littérature ; le français doit avoir cela de commun avec la langue turque qui fait tenir tant de choses en deux mots. D’intarissables journalistes éprouvent, eux aussi, le besoin de condenser leur meilleur en un petit volume, tel l’Esprit d’Alphonse Karr. Et il y a assez de chances pour faire quelque chose d’intéressant avec quelques centaines de pensées extraites de plusieurs centaines de chapitres. Ces moralistes contemporains, je n’essaie pas de les énumérer ; il y a beaucoup de dames parmi elles, et le ressentiment de nos sœurs en littérature est tenace.
A titre d’exemple seulement, je cite : les Pensées de Joubert, et les Pensées et fragments, de Ximenès Doudan ; et puisque nous sommes entre bibliophiles, je détache des Pensées d’un Yoghi, de Paul Masson qui fut Lemice-Térieux, cette ironie mélancolique : « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque, les plus haut placés sont ceux qui servent le moins. »
Saint-Simon suffira, dis-je, à remplir son année, d’autant que c’est aussi l’année de Gœthe et de Schiller. Ce n’est pas qu’on ne doive avoir la tentation de comparer les dires hargneux du noble duc et pair avec ceux d’autres contemporains dont nous avons les mémoires. L’édition Boilisle éveillera ici bien des curiosités ; mais qu’on ne les satisfasse pas toutes, on passerait douze heures par jour à lire des mémoires. C’est qu’il y en a tant d’intéressants sur le grand siècle ! Mémoires, de Mme de Motteville, de Rabutin-Bussy, de Sourches ; Souvenirs, de l’abbé de Choisy, du marquis de La Fare, du comte de Cosnac ; Souvenirs, de Mme de Caylus, de Mme de La Fayette, Lettres de la Princesse palatine, de Mme de Maintenon, sans oublier Mme de Sévigné qu’on retrouvera plus tard ; en vérité, c’est trop. Pensez que les écrits qui côtoient le plus exactement — haud proximo intervallo — ceux de Saint-Simon, j’entends le Journal de la Cour, du marquis de Dangeau, ont 19 volumes ! D’autant que la comparaison, pas à pas, de l’orgueilleux duc et du vaniteux marquis n’intéresse que les érudits très spéciaux. Il n’y a qu’un personnage historique dont il faudrait éprouver les écrits tout en écoutant Saint-Simon, parce que Saint-Simon est à son égard d’une injustice âpre, c’est Mme de Maintenon. Qu’on lise donc un ou deux volumes de sa Correspondance éditée par Théophile Lavallée, ou le livre que Geoffroy lui a consacré.
Nous n’en sommes encore, d’ailleurs, qu’à la littérature. Plus tard on reviendra à l’histoire, et on retrouvera quelques-uns de ces noms. De même, autour de Voltaire, de Diderot et de Rousseau, je ne donnerai que des indications d’ordre littéraire. Pour Voltaire, la table, cette année-là, étant suffisamment chargée, contentons-nous de quelques friandises. Par exemple les Entretiens sur la pluralité des mondes habités, de Fontenelle, ou les Avis d’une mère à sa fille, de Mme de Lambert. On peut obtenir les premiers pour 0 fr. 25 à la Bibliothèque dite nationale et les seconds pour 0 fr. 10 à la collection Henri Gautier. Mais il est assurément préférable de les savourer dans la collection Jouaust qui contient 2 volumes d’Œuvres choisies de Fontenelle, et un d’Œuvres morales de la marquise de Lambert. Dans le voisinage, attendent d’autres livres du temps, le Voyage en Laponie, de Regnard, les Conseils à une amie, de Mme de Puysieux, et divers Contes du dix-huitième siècle qu’on n’aura pas eu le temps de lire quand on dévorait coup sur coup les romans contemporains et qu’il sera bon de connaître à ce moment, moitié comme œuvres littéraires, moitié comme documents psychologiques ; par exemple le Sopha, de Crébillon fils, l’Histoire de Mme de Luz, de Duclos, les Confessions du Comte de…, de Duclos, le Diable amoureux, de Cazotte. On sait que les volumes Jouaust, bien que mis en vente à prix réduit chez Flammarion, sont un peu plus chers que les autres. Aux prix ordinaires on peut avoir, chez Garnier, les Amours du chevalier de Faublas, de Louvet, et l’ouvrage pour qui l’on pourrait, presque, négliger tout ce qui précède, les Mémoires, de Casanova. Les 8 volumes qui les tiennent constituent le document par excellence sur les mœurs du dix-huitième siècle, bien que l’édition dont nous disposons soit incomplète et fautive, au dire des privilégiés qui ont vu le manuscrit à Leipsick ou fouillé dans les archives du château de Dux en Bohême.
L’année suivante, à l’occasion de Diderot, on prendra connaissance de quelques ouvrages indispensables, suivant la formule, à l’intelligence littéraire de son temps, la Correspondance, de Grimm, trop vaste malheureusement (16 volumes, in-8o, Garnier) pour qu’on puisse espérer la lire en entier à moins d’un dessein tenace, les Lettres, de Mlle de Lespinasse et de Mme du Deffand, et les Mémoires, de Mme d’Épinay (1 volume, Charpentier) qui éclairent la vie de Jean-Jacques autant que celle de Diderot. Inutile de s’atteler aux équipages d’Helvétius, d’Holbach, de La Mettrie ; mais si l’on a sous la main l’Encyclopédie — et on l’a dans toutes les grandes bibliothèques publiques, et beaucoup de bibliothèques privées de province, en des châteaux ou de vieilles villes de bourgeoisie — on ne manquera pas d’en lire plusieurs articles. L’ombre de Lord Chesterfield en grincera des dents : « Oui, mon fils, vous achèterez l’Encyclopédie, et vous vous assoierez dessus pour lire Candide. » Sans doute, mais une fois Candide fini, qu’on se retourne ! La lecture d’un dictionnaire est toujours intéressante, et combien quand il s’agit de ceux de Voltaire, de Bayle ou ceux d’Encyclopédistes ! Jusqu’à l’imprévu des voisinages alphabétiques qui ajoute un agrément de plus ; aucun distrait dont la causerie ait plus de variété.
Enfin, l’année de Rousseau, qui sera donc l’année du Contrat social, on sera tout à portée des autres politiques et économistes de l’époque. Quelques spécimens d’ailleurs suffiront : l’Ami des hommes, du marquis de Mirabeau, l’Homme aux quarante écus, de Voltaire, les Lettres, de l’abbé Galiani, l’Esquisse d’une histoire des progrès de l’esprit humain, de Condorcet, celui-ci fort important ; un positiviste qui vous soupçonnerait de tiédeur à son égard serait capable de vous chercher noise. Si du temps reste, on pourra lire quelques œuvres de Turgot et de Quesnay et remonter jusqu’à la Dîme royale, de Vauban. La plupart de ces ouvrages se trouvent dans la collection Guillaumin.
Un regard en arrière, et une halte pour compter sur nos doigts : 25, Rabelais, Brantôme, Béroalde de Verville, Ch. Lenient : une demi-douzaine de volumes ; 26, Montaigne et La Boétie, Balzac et Voiture, les Burlesques : un peu plus ; 27, La Bruyère, La Rochefoucauld, Saint-Evremond, Vauvenargues, Chamfort, Rivarol, pas davantage ; 28, Saint-Simon, Mme de Maintenon, le double, 24 ou 25 volumes ; 29, Voltaire de 1 à 60, Casanova et les petits conteurs du dix-huitième siècle, une douzaine ; 30, Diderot, Grimm, Mlle de Lespinasse, Mme d’Épinay, une douzaine encore ; 31, Rousseau, Condorcet, les économistes, une douzaine toujours. Cela ne fait, en moyenne, qu’un volume par mois.
Restent, pour ce même septain, les historiens, ceux de l’antiquité. Sept noms éclatants : 25, Moïse ; 26, Hérodote ; 27, Thucydide ; 28, Xénophon ; 29, Plutarque ; 30, Tite-Live ; 31, Tacite.
Ce ne sont là que des têtes de ligne. Rien ne sera plus facile que de lire Arrien après Xénophon ; Polybe après Plutarque ; Salluste et César après Tite-Live ; Suétone et Ammien Marcellin après Tacite. L’ensemble des historiens de l’antiquité, d’ailleurs, n’est pas si vaste, qu’en sept ans il ne soit facile d’en venir à bout jusqu’à la dernière ligne. Mais il est préférable, ici aussi, de ne prendre que le meilleur, et alors, de lire chaque auteur posément, sinon dans le texte, du moins dans une traduction portant le texte en regard, de façon à s’efforcer chaque fois de comprendre un peu de grec ou de latin ; quand ce ne serait qu’une demi-page par jour, l’exercice serait profitable et, au bout de quelque temps, la lecture se ferait à livre ouvert. Pour César, comprendre ce qu’on lit est un jeu dès le premier jour, et pour Tacite, la peine réelle a sa récompense ; qui n’a pas essayé de faire passer en français une de ces phrases étonnantes de raccourci dont les Annales regorgent ignore un des plaisirs d’esprit les plus vifs qui soient. Même en suivant cette discipline, il n’en restera pas moins assez de temps disponible ; on en profitera pour revoir ce qu’on a si mal vu au collège, et à le revoir dans le même ordre. La mode allemande qu’on essaya d’acclimater chez nous, d’aller en remontant le cours des âges, est incohérente. Mieux vaut suivre le fil de l’eau, et ce, depuis la source jusqu’à l’embouchure. « L’histoire, a dit Freeman, est une continuité, il ne faut pas écrire d’histoire spéciale. »
Mon premier historien a peut-être surpris. Faut-il dire que, par Moïse, j’entends l’anonyme auteur du Pentateuque ou, si l’on préfère, de l’Hexateuque ? Et ces simples mots nous jettent en plein dans le maëlstrom biblique. Origine de l’homme, naissance des cultes, source des civilisations, tous ces énormes problèmes, la Genèse, en quelques versets, les tranche. Pas une des sciences les plus récentes, sur laquelle elle n’ait, très d’avance, dit son mot. On comprend la mauvaise humeur des savants, et le caractère grincheux du duel des deux exégèses, la traditionnelle et l’uni-rationnelle. A vrai dire, il y a force malentendus, et de même que la traditionnelle se pique d’être plus rationnelle encore que l’autre, la rationnelle, en renversant la tradition, restaure une tradition antérieure puisque saint Jérôme, par exemple, ne tenait nullement à l’origine mosaïque de ces vieux livres : « Je ne m’inquiéterai pas, disait-il, qui d’Esdras ou de Moïse a écrit le Pentateuque. »
Au fond, tout ce tumulte est important pour l’histoire, mais non pour la religion. La thèse métaphysique de l’inspiration de l’Écriture sainte est aussi invulnérable à la critique qu’un fantôme aux coups d’épée. Il y a de nos jours tels prêtres hardis qui vont plus loin encore en exégèse biblique que les plus radicaux rationalistes de naguère, qui nient Moïse, coupent Isaïe en deux et en quatre, bousculent Daniel jusqu’au temps d’Épiphane et n’en restent pas moins inébranlés sur le Credo. Les personnes dévotes devraient donc ne pas s’épouvanter à l’idée qu’en sortant d’une lecture du Pentateuque on pourrait bien prendre, pour s’éclaircir les idées, le premier volume de l’Histoire d’Israël, de Renan (Calmann-Lévy). Il y a beaucoup de chances, au surplus, pour que le lecteur, se sentant mal éclairci, recoure à d’autres auteurs serrant de plus près encore les questions, et concluant en un sens bien plus favorable à la tradition, ainsi François Lenormant dans ses Origines de l’histoire (2 volumes, librairie des Beaux-Arts), Fulcran Vigouroux dans la Bible et les découvertes modernes (4 volumes, Bray et Retaux), et Loisy dans son Histoire du canon de l’Ancien Testament (Alph. Picard).
On lira donc le Pentateuque, sinon tout entier (le Lévitique et le Deutéronome sont aussi palpitants que nos cinq codes), du moins en partie. L’Exode et les Nombres offrent de l’intérêt, et la Genèse est une merveille. Qu’elle soit de Moïse ou non, peu importe certes, puisque les fragments dont elle est « mosaïquée », le mot est parfait, sont antérieurs de plusieurs siècles à Moïse, lequel au surplus était probablement un égyptien et non un hébreu. Arrivera-t-on jamais à expliquer comment des bédouins sortis d’Égypte avaient conservé si net le souvenir de mythes florissant sur le Bas Euphrate, mille ans auparavant, et comment ces mythes se trouvent avoir une couleur à nous si franche, alors qu’aucun indice autre ne permet de croire à une origine nordique de la première civilisation de Chaldée ? La vanité mésopotamienne serait, tout de même, quelque peu humiliée si on arrivait à établir que le Iao des Asiatiques est tout simplement le Zeus des Européens.
L’hébreu n’étant pas à la portée de tout le monde, on lira la Bible dans la Vulgate, ou si l’on recule devant ce latin barbare, mais d’ailleurs sapide, dans la translation Le Maistre de Sacy (texte revu par Fillion dans l’édition Letouzey et Ané, 8 volumes). Les fragments qu’on trouve chez les exégètes modernes montreront la différence des anciennes et des nouvelles traductions. Chez Lenormant, par exemple, le récit du déluge est imprimé en deux typographies suivant que c’est le jéhoviste ou l’élohiste qui prend le calame, et l’effet est très convaincant. Quant aux nombreuses questions soulevées par la Genèse, on verra les attaques dans cent livres dont les Conflits de la science et de la religion, de Draper, peuvent être pris pour type, et les réponses dans cent autres livres, dont le Manuel biblique de Saint-Sulpice (2 volumes, Bray et Retaux) peut aussi servir de spécimen. Le mieux serait d’ailleurs de laisser de côté ce duel irritant et insignifiant et de se faire des idées en ethnologie ou en archéologie sans se préoccuper de leurs concordances avec la Bible. Sur ces diverses sciences, les plus récents auront chance d’être les mieux informés.
Hérodote a le bon goût de ne soulever aucun de ces problèmes épineux. Ses Neuf Muses se lisent comme neuf romans. On se servira de la traduction Larcher (Charpentier), à moins qu’on ne préfère l’amusant vieux français de Saliat réimprimé (Talbot) chez Plon, en 1864. Cet archaïsme donne au Père de l’Histoire un air naïf qui ne lui messied pas, encore qu’Hérodote ne soit pas le bavard crédule et suspect qu’on a longtemps dit ; on devine toujours chez lui un demi-sourire, quand il rapporte les hâbleries de ses drogmans, et on finit, quand il relate ce qu’il a vu, par découvrir que son dire est exact ; ainsi le lac Mœris n’a jamais existé en tant que réservoir d’irrigation, mais existait en fait pendant la saison d’inondation ; Hérodote, visitant le Fayoum pouvait très bien croire que les pyramides qui se réfléchissaient dans la mince nappe d’eau plongeaient à une énorme profondeur ; ses guides n’avaient ni peine ni mérite à le tromper, comme ils le firent probablement aussi en lui faisant visiter indéfiniment, plaisanterie classique, les mêmes salles du Labyrinthe.
Ajoutez que les chiffres manifestement faux ne doivent jamais servir d’arguments contre un historien ancien : ils ont pu si facilement être altérés par les copistes ! Ce qui détruit l’autorité de Ctésias touchant Ninive, ce n’est pas la hauteur de 1.800 mètres qu’il donne au tombeau de Bel, c’est qu’entre autres bévues il place Ninive sur l’Euphrate ; encore peut-il y avoir là lapsus d’un scribe, et n’est-ce pas une raison pour condamner en bloc les notes d’un homme qui, médecin des Grands Rois, devait, tout de même, en savoir plus long que nous sur l’Asie médique. Que le plateau de Kouyoundik ne représente que la dixième partie de l’aire que Ctésias donne à Ninive, cela ne prouve pas que le mur d’enceinte ninivite n’ait pas eu 43 kilomètres. Babylone aussi, sur quoi il n’y a pas de doutes, était un pays clos plus qu’une ville. A l’appui de ceci, on sait que dans le fameux verset de la Genèse : « De là il (Nemrod) alla en Assyrie et il y bâtit Ninive, Raboboth-Ir, et Kalah, et aussi Resen » ; au lieu de traduire la fin « et aussi Resen qui est la grande ville », les nouveaux philologues interprètent : « ces quatre cités forment ensemble la Grande Ville ».
Cette année-là, le charme d’Hérodote aidant, on se remémorera l’Histoire d’Orient qu’on n’a probablement pas revue depuis sa sixième, mais en se gardant bien de tomber dans les enfantillages des noms propres biscornus que les archéologues enfilent par douzaines. De savants ouvrages comme celui de Maspéro sont rendus presque illisibles par cette abondance de détails sans intérêt. On parcourra toujours les trois gros volumes de l’Histoire des peuples d’Orient, de cet auteur, ne serait-ce que pour les illustrations qui sont précieuses. Mais si l’on ne prépare pas son agrégation d’histoire, on préférera l’histoire antérieure de Lenormant et Babelon ; la broussaille des petits faits y est éclaircie et le style débarrassé de la couleur chanson de geste que Maspéro affectionne, je ne sais pourquoi.
Il ne faudra pas, au surplus, s’attarder sur ces vieilleries. En somme, rien de si fastidieux et oiseux que l’histoire de la vallée du Nil, si ce n’est celle de la vallée de l’Euphrate. Les questions de très haute origine sont assurément passionnantes (relations lointaines de l’Iran et de la Chaldée prouvées par les mythes de l’Éden, du Serpent ou par l’épopée d’Izdubar-Gilgamès ; probabilité d’une civilisation atlante prouvée par le totémisme des Peaux-Rouges, des Égyptiens, des Prépélasges, etc.) ; mais ceci est hors de portée de l’épigraphie, et ce qu’atteint l’épigraphie, les conquêtes des Thoutmès et des Ramsès, les alternances de Ninive et de Babylone, tout cela ne vaut que la peine d’être ignoré. J’en dirai volontiers autant de ce qu’on a pompeusement appelé les civilisations égyptienne et chaldéenne. Une fois qu’on a pris connaissance des systèmes de numération, des procédés d’écriture, et de quelques vagues rêveries cosmogoniques on a tout vu, et l’on perd vraiment son temps à s’enfoncer dans les ennéades des prêtres d’Hiérapolis.
A ce propos, et puisque chaque année voit paraître une « Histoire universelle » de plus, pourquoi l’une de celles qui nous menacent ne serait-elle pas faite sur le plan suivant qui aurait du moins le mérite de la simplicité : un maximum d’un nom propre, d’une date, d’un fait de détail par page ; des considérations générales très substantielles, très simplement dites, et le tout en 9 volumes seulement (les Muses d’Hérodote), trois pour l’antiquité, trois pour le moyen âge, trois pour les temps modernes ; le premier volume de l’antiquité, qui serait celui de notre année de lecture, s’arrêtant aux guerres médiques ; et tout l’ouvrage tâchant de proportionner aux importances les dimensions : Si l’Égypte et la Mésopotamie ont 100 pages, que la Judée et la Grèce aient le quadruple, tous les Sargonides ne pèsent pas un Homère ! Et sur les 100 pages de l’Égypte, par exemple, qu’il y en ait 10 sur le pays, 15 sur la race, 20 sur la religion, 25 sur les arts, et 30 au plus sur les événements ; au fond, il n’y a dans toute l’histoire d’Égypte que trois figures intéressantes : Rhodopis, Hatanou et Cléopâtre, trois femmes, un peu comme ce qu’il y a de plus attirant dans l’histoire de Chaldée, c’est le fantôme plus vague encore de Sémiramis.
La Grèce préhistorique est en effet cent fois plus digne d’attention que tout l’Orient. Et plus on remonte les siècles, plus l’intérêt s’accroît. D’où viennent les premiers habitants de l’Archipel ? Ont-ils passé d’Europe en Asie, ou d’Asie en Europe, ou n’ont-ils pas passé du tout, l’effondrement du plateau égéen les ayant brusquement séparés les uns des autres ? Pourquoi ces traces de totémisme que Lang a mises en lumière, ces poils et ces écailles qui subsistent chez les Olympiens ? Les Olympiens eux-mêmes furent-ils des hommes divinisés ou des principes abstraits ? Trouvera-t-on dans les fouilles de Cnossos des traces de Zeus en personne ? D’où vient la première civilisation égéenne ? Où les décorateurs pélagiques des vieilles poteries ont-ils pris leurs idées sur l’évolution des espèces ? Est-il bien exact que pour eux le poulpe soit la première esquisse de la créature humaine ? Que sont les héros d’Homère à ces morts mystérieux qu’on a retrouvés à Mycènes, masqués d’or et bardés d’or ? Voilà des questions qui, ce me semble, passent en intérêt toutes celles qu’on peut se poser sur Aménophis et Téglathphalasar. Il faut malheureusement recourir à de nombreux, onéreux et difficultueux ouvrages pour les étudier. On tâchera toujours de lire dans une bibliothèque publique : Ilios, ville et pays des Troyens, de Schliemann (Didot), ainsi que Mycènes, du même, et, quand elles auront paru, les Fouilles de Crète, d’Evans.
Avec la Grèce historique, nous entrons dans l’océan d’érudition. Sous peine d’être submergé, il faut se hisser sur la hauteur. Le mieux serait de se contenter d’un « manuel » pour l’ensemble, de façon à réserver un peu de temps pour ce qu’on voudrait voir plus à fond. Quoi, un simple manuel, quand nous avons une excellente traduction de l’Histoire grecque, de Curtius (5 volumes, Leroux) ? Mon Dieu oui, à moins qu’on ne veuille s’adonner complètement à l’hellénisme. D’autant que, pour les origines justement, Curtius n’est plus dans le mouvement ; on ne considère plus la Grèce d’Asie comme la mère de la Grèce d’Europe. Je préfère conseiller des livres spéciaux tels que les Phéniciens et l’Odyssée, de Victor Bérard (Colin), encore que le côté original de la primitive Hellas y semble trop sacrifié à l’influence phénicienne. Celle-ci dominait sans doute dans le bassin méditerranéen quand les Grecs le redécouvrirent après la guerre de Troie. Mais bien longtemps auparavant, ils l’avaient exploré dans tous les sens. Et qui sait si l’Hercule tyrien n’est pas lui-même la personnification de ce très ancien mouvement hellénique ? L’identité des deux noms sacrés Héraklès et Melkart quand on les lit de droite à gauche et de gauche à droite, est encore une énigme irrésolue, leur sens est satisfaisant dans les deux langues ; sont-ce donc les Grecs qui ont lu de travers le nom phénicien, ou les Phéniciens qui ont déchiffré à rebours le nom hellène ? L’Oracle de Delphes seul pourrait résoudre ce problème boustrophédonien. Comme on lira sans doute le gros volume de M. Bérard dans une bibliothèque publique, on en profitera pour demander la Science sociale de 1891 et 1892 où M. Philippe Champault a publié des études sur les Achéens (les Héros d’Homère), qui me semblent remarquables.
Peut-être l’époque la plus étonnante, la plus héroïque de l’histoire grecque est-elle son expansion des neuvième, huitième et septième siècles. Malheureusement l’histoire de toutes ces brillantes cités, Milet, Olbia, Sybaris, Massalia, nous est presque inconnue. A la rigueur on peut sauter d’Achille à Miltiade. Les guerres médiques qu’on connaît déjà par Hérodote (il y a un livre de M. Hauvette justement sur Hérodote, historien des guerres médiques, Hachette), on pourra les voir dans Curtius. Mais mieux encore serait de les lire dans l’Histoire des Perses, de M. de Gobineau. On est tellement habitué à juger Salamine du point de vue occidental qu’on est tout désorienté quand on la considère du haut du trône d’or que Xerxès s’était fait dresser sur la plage de Phalère. Le soubresaut est bon. On peut, tout en restant fidèle à la divine Hellas, ne pas être injuste pour les nobles Perses et leur roi déconcertant. L’homme qui s’éprend de la beauté d’un arbre jusqu’à passer des bracelets d’or à ses branches n’est pas le premier venu.
La traduction de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, de Thucydide, est très aisée à avoir (1 volume, Garnier ; 2 volumes, Charpentier ; 3 volumes, Didot). Celle de l’Anabase, de Xénophon, aussi (Charpentier ou Hachette). Arrien, Ctésias, Polybe se trouvent dans le « Panthéon littéraire » (Delagrave) qui, en 3 volumes, donnent tous les grands historiens grecs, sauf Plutarque, mais les Vies illustres ont été souvent traduites (par Pierron, Charpentier ; par Riccard, Garnier ; par Talbot, Hachette, 4 volumes). La traduction d’Amyot serait assurément plus savoureuse, mais elle est encombrante à l’excès (à moins alors d’imiter le bonhomme Chrysale « hormis un gros Plutarque à mettre mes rabats »). On sait enfin, ceci pour les érudits, que tous les historiens grecs ont été traduits en latin dans la collection Didot.
Une fois ces œuvres classiques lues, ce qui sera peu long et point désagréable, celles de Thucydide et Xénophon se lisant comme des romans de Dumas, et celles de Plutarque comme des Essais, de Macaulay, on pourra voir ce que pensent des mêmes sujets les histoires modernes. Si on a le temps, Curtius et Droysen (8 volumes, Leroux), sinon un simple résumé permettant alors, soit de considérer quelques figures isolées, Alcibiade, avec Henri Houssaye (Perrin), ou Aspasie, avec Becq de Fouquières, soit d’étudier des points spéciaux, par exemple le progrès des sciences, avec Paul Tannery : Pour servir à l’histoire de la science hellène (Alcan), ou la Médecine grecque entre Homère et Hippocrate, avec Daremberg, ou la stratégie navale, avec Jurien de la Gravière (la Marine des Anciens, 2 volumes, les Campagnes d’Alexandre, 4 volumes, la Marine des Ptolémées, 2 volumes, Plon).
Sur certains points, philosophie, religion, littérature, arts, on devra pousser plus loin. L’Hellade est notre mère, et rien d’elle ne doit nous être étranger. Mais qu’on ne se laisse pas recouvrir par le flot des livres ; il faudrait plusieurs vies pour lire tout ce qui mériterait d’être lu. Certains ouvrages sont classiques : l’Histoire de la littérature grecque, d’Alfred et Maurice Croiset (6 volumes, Fontemoing), la Philosophie des Grecs, d’E. Zeller (3 volumes, Hachette) ; j’en reparlerai à propos d’Homère et de Platon, plus tard. Sur la religion, avant tout, il faut lire et relire la Cité antique, de Fustel de Coulanges (1 volume, Hachette) ; quelque excessif que puisse être au fond le point de vue, il est indispensable de secouer les idées que se faisaient nos pères du monde antique pour se placer au centre de l’enclos sacré. Une fois le culte des mânes bien compris, on pourra lire les auteurs qui firent ou qui font encore autorité dans leur partie : Alfred Maury pour les Religions de la Grèce antique en général (2 volumes), Bouché-Leclercq pour la Divination (4 volumes, Leroux), et l’Astrologie (1 volume, id.), J. Girard pour l’Évolution du sentiment religieux d’Homère à Eschyle (1 volume, Hachette), Havet pour le Christianisme et ses origines (les 2 premiers volumes surtout, Calmann-Lévy).
Plus particulièrement, qu’on explore à fond le domaine de l’art grec. L’Hellade est plus dans ses artistes que dans ses archontes. Entre une photographie des ruines de l’Acropole et les 20 volumes de l’Histoire grecque, de Grote, il n’y a pas à hésiter une seconde. Qu’on se procure donc les Essais sur l’art, de Taine (Hachette), le Parthénon et le Génie grec, de Boutmy (Colin), l’Histoire de la sculpture grecque, de Collignon (2 gros volumes, Didot), ou la grande Histoire de l’art dans l’antiquité, de Perrot et Chipiez (8 volumes parus, Hachette) ; en dépit de longueurs fâcheuses, c’est un très solide monument ; les restitutions des temples chaldéens de Chipiez sont de vraies réussites. Si l’on reculait devant tous ces gros in-4o, on trouverait de clairs résumés dans les livres de la collection Quantin (Bibliothèque de l’enseignement des beaux-arts).
Comme historiens latins, j’ai cité Tite-Live et Tacite, mais sans cacher que bien d’autres noms pourraient leur être joints. La Bibliothèque latine de Didot contient en 4 volumes (à deux colonnes, il est vrai) tous les historiens latins qu’on devrait connaître : 1o Salluste, César (en plus Florus et Velleius Paterculus) ; 2o Suétone (en plus l’Histoire auguste) ; 3o Tacite ; 4o Tite-Live. On trouve des éditions plus maniables de ces grands historiens, sauf Tite-Live, chez Charpentier, et de Tite-Live et Tacite, chez Hachette. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit du texte latin à préférer aux traductions. Quel Nisard pourra jamais traduire le Titus dimisit Berenicem invitus invitam, de Suétone, ou le Dignus imperare nisi imperasset, de Tacite ?
Même lus en latin, ces quatre in-8o laisseront de suffisants loisirs qu’on pourra employer à contempler sous toutes ses faces « le pompeux édifice de la grandeur romaine » pour rappeler le mot de Montesquieu. Il serait bon ici de lire justement les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, ainsi que le Discours sur l’Histoire universelle, ces deux chefs-d’œuvre ne vont guère l’un sans l’autre. Ensuite, on frappera à la porte des savants modernes. Des sept ans de notre période, si l’on a consacré un an à l’Orient et trois à la Grèce, il restera trois ans encore pour Rome. C’est suffisant pour lire non certes tout ce qui existe d’important sur S. P. Q. R. (en Allemagne il paraît chaque année plus de cent travaux rien que sur le Sénat romain), mais quelques études particulières auxquelles on s’intéressera de préférence. Comme guide, l’Histoire romaine, de Mommsen (8 volumes, Flammarion), pour la Royauté et la République, encore que le parti pris têtu du vieux Teuton pour la plèbe contre le patriciat soit bien fatigant, et pour l’Empire, l’Histoire des Romains, de Victor Duruy (7 gros volumes, Hachette). Ainsi bien appuyé sur ces quatre bases, Bossuet, Montesquieu, Mommsen et Duruy, on peut aller de l’avant.
D’abord, on étudiera de près la question de l’accaparement des richesses qui est le nœud de l’histoire romaine. Ici des livres spéciaux comme les Chevaliers romains, de Belot (Hachette), ou les Manieurs d’argent, de Deloume (Fontemoing) seront nécessaires. Si on recule devant leur docte appareil, qu’on lise du moins ce qui a rapport à l’antiquité dans les Lois de la civilisation et de la décadence, de Brooks Adams (traduction Dietrich, 1 volume, Alcan) ; je ne crois pas que la conception ploutocratique de l’histoire ait été mieux exprimée que là. Si on prend goût à ce côté de l’histoire, on n’aura, pour continuer, que l’embarras du choix. La Politique et le commerce des peuples dans l’antiquité, d’Heeren (7 volumes, Plon) est un peu démodée, mais l’Économie politique des Romains, de Dureau de la Malle, se consulte encore et l’Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, de Wallon (3 volumes, Hachette), reste d’une lecture agréable. Pour le droit public et privé, rien de mieux que le Manuel des antiquités romaines, de Mommsen et Marquardt (Leroux) ; mais hélas il compte 17 gros volumes. Ce « manuel » n’est maniable que pour des dieux hindous à bras multiples. Celui de Philologie classique, de Th. Reinach (1 volume, Lahure) du moins est pratique ; il suffira même à beaucoup d’érudits qui ne recourront que dans des cas particuliers au « colosseum » des savants allemands, ou à celui de nos savants à nous, le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, de Daremberg et Saglio (33 fascicules parus, environ la moitié de l’œuvre, Hachette).
Mais tout cela est bien austère, et notre but est plutôt d’aider ceux qu’un excès d’érudition pourrait rebuter. Ceux-ci préféreront des récits pittoresques ou de captivantes biographies. Les vaincus de Rome, notamment, n’ont pas eu à se plaindre des érudits contemporains. Que n’a-t-on pas écrit sur un simple épisode des guerres puniques, le passage des Alpes par Annibal ! C’est un sujet favori pour académiciens de province. Pour aucun d’eux la leçon acutum à substituer à acetum n’a aujourd’hui de mystère. Annibal n’a pas d’ailleurs que des monographies de détails ; il a de grandes histoires en plusieurs volumes, celle par exemple du colonel Hennebert (3 volumes, Plon). Th. Reinach a publié un fort volume sur Mithridate Eupator (Plon), et Camille Jullian a consacré une très belle étude à Vercingétorix (Hachette). Quant aux Romains eux-mêmes, l’Histoire de César, de Napoléon III, n’est nullement méprisable, ni l’Antonin le Pieux et son temps, de Lacour-Gayet (Fontemoing), ni l’Église et l’empire romain au quatrième siècle, du duc de Broglie (Perrin, 6 volumes), ni les études sur le même temps, d’Amédée Thierry (3 volumes, Perrin). Sur la vie à Rome, je n’ose rappeler le Voyage d’un Gaulois à Rome, de Dezobry, ou l’Histoire romaine à Rome, d’Ampère, qui ont plus vieilli encore que le Jeune Anacharsis de l’abbé Barthélemy ; mais je citerai volontiers plusieurs ouvrages qui n’ont pas cru devoir sacrifier à cette mode de fiction un peu naïve. Par exemple les restitutions faites par nos savants ou nos « prix de Rome », du Palatin, du Forum, de Pompéi, de la villa d’Hadrien ; les ouvrages sur les villes romaines de Provence, d’Afrique ou d’Illyrie, les Promenades archéologiques, de Gaston Boissier, les Excursions archéologiques, de Diehl, etc.
Des trois années que j’affecte à l’antiquité latine, il siéra d’en réserver une aux origines du christianisme. La question reste pour nous brûlante, alors que la civilisation romaine n’est plus que cendres froides. Le christianisme est-il fils du seul judaïsme, comme parfois incline à le croire la tradition, ou du seul hellénisme, comme s’est efforcé de le prouver Havet dans le Christianisme et ses origines, ou des deux, comme on l’admet le plus souvent pour concilier tout le monde ? Et dans sa constitution originaire, le grand rôle revient-il à Jésus, ou à saint Paul ? Et à quel moment l’esprit juif a-t-il fait place dans l’Église à l’esprit gréco-romain ? Questions délicates et passionnantes. On voudra sans doute lire ici le pour et le contre. Qu’on le fasse sans appréhension. Les bonnes âmes timorées peuvent se dire d’avance qu’en ces matières n’est convaincu que qui doit l’être. Au « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé, » correspond un « tu ne m’interrogerais pas si tu ne m’avais déjà abandonné ». Qui sait d’ailleurs quels contre-coups peuvent avoir ces enfants prodigues et fils rebelles que sont nos livres ? Le Père Gratry disait que la Vie de Jésus, de Renan, avait ramené à la foi beaucoup d’âmes. Elle donnera, si on la lit, d’ailleurs envie de relire les Évangiles eux-mêmes ensuite, et la comparaison recélera quelque surprise. Quel que soit le charme de son style, Renan « dégringole », comme disent les peintres, quand on le met à côté de saint Marc ou de saint Jean.
Les autres volumes des Origines du Christianisme, de Renan, seront à lire plus encore. Certains chapitres sont admirables, et il est si facile de rectifier ce qu’a d’excessif la sympathie du dilettante pour « le malheureux jeune homme » que fut Néron. Au surplus, si quelqu’un avait besoin d’antidote, il trouvera tant de pharmacies qui en regorgent ! Peut-être aucun livre n’a provoqué plus de réponses que la Vie de Jésus, leur énoncé tient des colonnes entières du Lorenz. D’autres opiniâtres ont suivi pas à pas les volumes suivants. Les livres de l’abbé Fouard qui a traité le même sujet que Renan sont très estimables. Il paraît même que, sur certains points, l’opinion traditionnelle a repris force en science, par exemple sur la date exacte de l’Apocalypse. D’autre part beaucoup de hardiesses, qui avaient fait scandale au début, sont aujourd’hui couramment admises dans les séminaires.
Mais, au fond, comme toutes ces petites chicanes d’érudition sont indifférentes au grand événement historique ! Que le christianisme soit l’aboutissant de la grande civilisation païenne, la merveille n’en est que plus forte. Et qu’il se soit dégagé de son milieu originaire pour se créer un milieu différent, l’évolution n’en est que plus étonnante. Latins et Grecs avaient en horreur les Juifs, qui étaient déjà maîtres de la situation, couvrant la voix de Cicéron en plein Forum (voir le De Flacco) et dominant toutes les cités du monde romain (voir Strabon). Si un hiérophante subtil avait voulu créer une religion nouvelle, il aurait pu confier sa fortune à toutes les races, sauf à la juive. Il est probable que les persécutions n’ont eu lieu que parce que les premiers chrétiens étaient juifs ou crus juifs, et qu’elles ont cessé quand on s’est aperçu que les vrais Juifs étaient au contraire les pires haïsseurs des chrétiens.
Tout cela est fort intéressant, et sur les persécutions notamment, on pourra lire les histoires parallèles et assez antithétiques d’Aubé et de Paul Allard. Sur l’évolution intérieure de l’Église, d’après le caractère métaphysique de la patrologie grecque d’abord et ensuite le caractère juridique et politique de la patrologie latine, les idées de Sumner Maine ont été souvent reprises. Je n’ai garde d’oublier les admirables travaux d’érudition de l’abbé Duchesne sur l’Église des premiers siècles. Au point de vue protestant, l’Histoire, de M. E. de Pressensé, a maintenant un peu passé, mais les articles de M. Vollet dans la Grande Encyclopédie sont au courant. Parallèlement à la montée du christianisme, on considérera la descente du paganisme, avec la Religion à Rome sous les Sévères, de Jean Réville (Leroux, épuisé), la Religion romaine d’Auguste à Antonin, et la Fin du paganisme, de Gaston Boissier (Hachette).
Tout ceci fait à première vue un énorme amas de volumes. Mais réparti sur sept années, la montagne s’abaisse en chaîne de collines : 25, la Genèse, Renan, Lenormant, Vigouroux, Loisy, cela ne fait guère qu’un volume par mois ; 26, Hérodote, Maspéro, Schliemann, Bérard, Gobineau, pas davantage ; 27, Thucydide, Curtius, Fustel de Coulanges, Taine, Collignon, Perrot et Chipiez, un peu plus, mais il y a des illustrations ! 28, Xénophon, Arrien, Droysen, Tannery, Jurien de la Gravière, toujours un volume par mois environ ; 29, Plutarque, Bossuet, Montesquieu, Mommsen et Reinach, un peu plus ; 30, Tite-Live, Duruy, Jullian, Gaston Boissier, davantage à cause des gros volumes de Duruy ; 31, Tacite, Renan, Havet, Aubé, Allard, Duchesne, davantage aussi à cause de Renan, mais en vérité on peut y tenir.
Je résume donc, en ne prenant que l’indispensable, le second septain, un seul auteur par série, trois auteurs par an :
- 25, Shakespeare, Rabelais, Moïse.
- 26, Milton, Montaigne, Hérodote.
- 27, Shelley, La Bruyère, Thucydide.
- 28, Gœthe, Saint-Simon, Xénophon.
- 29, Heine, Voltaire, Plutarque.
- 30, Cervantes, Diderot, Tite-Live.
- 31, Calderon, Rousseau, Tacite.