Chroniques de J. Froissart, tome 05/13 : $b 1356-1360 (Depuis les préliminaires de la bataille de Poitiers jusqu'à l'expédition d'Édouard III en Champagne et dans l'Ile de France)
The Project Gutenberg eBook of Chroniques de J. Froissart, tome 05/13
Title: Chroniques de J. Froissart, tome 05/13
1356-1360 (Depuis les préliminaires de la bataille de Poitiers jusqu'à l'expédition d'Édouard III en Champagne et dans l'Ile de France)
Author: Jean Froissart
Editor: Siméon Luce
Release date: May 15, 2024 [eBook #73632]
Language: French
Original publication: Paris: Vve J. Renouard, 1869
Credits: Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))
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CHRONIQUES
DE
J. FROISSART
PARIS.—TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9
CHRONIQUES
DE
J. FROISSART
PUBLIÉ POUR LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
PAR SIMÉON LUCE
TOME CINQUIÈME
1356-1360
(DEPUIS LES PRÉLIMINAIRES DE LA BATAILLE DE POITIERS JUSQU’À L’EXPÉDITION D’ÉDOUARD III EN CHAMPAGNE ET DANS L’ÎLE DE FRANCE)
A PARIS
CHEZ MME VE JULES RENOUARD
(H. LOONES, SUCCESSEUR)
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, Nº 6
M DCCC LXXIV
EXTRAIT DU RÈGLEMENT.
Art. 14. Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d’en préparer et d’en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable chargé d’en surveiller l’exécution.
Le nom de l’Éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l’autorisation du Conseil, et s’il n’est accompagné d’une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d’être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome V de l’Édition des Chroniques de J. Froissart, préparée par M. Siméon Luce, lui a paru digne d’être publié par la Société de l’Histoire de France.
Fait à Paris, le 1er juin 1874.
Signé L. DELISLE.
Certifié,
Le Secrétaire de la Société de l’Histoire de France,
J. DESNOYERS.
SOMMAIRE.
CHAPITRE LXXVIII.
1356. CHEVAUCHÉE DU PRINCE DE GALLES A TRAVERS LE PÉRIGORD, LE LIMOUSIN, LE BERRY, LA TOURAINE ET LE POITOU.—BATAILLE DE POITIERS.—RETOUR DU PRINCE DE GALLES A BORDEAUX[1] (§§ 371 à 399).
Le roi Jean assemble son armée à Chartres pour marcher contre le prince de Galles[2] qui entre en Berry[3] après avoir ravagé l’Auvergne. P. 1 à 3, 237, 238.
Les Anglais mettent le feu aux faubourgs de Bourges[4]; ils sont repoussés devant le château d’Issoudun[5] en Berry, mais ils s’emparent de la ville, puis du château de Vierzon[6] et se dirigent vers Romorantin[7], dont le château est défendu par Boucicaut[8], le sire de Craon et l’Hermite de Caumont, qui s’y sont enfermés après avoir été battus dans une escarmouche par Barthélemi de Burghersh et Eustache d’Auberchicourt. Siége et reddition du château de Romorantin. P. 3 à 11, 238 à 244.
De Chartres, le roi de France se rend à Blois, puis à Amboise, tandis que les divers corps de son armée passent la Loire à Orléans, à Meung[9], à Blois, à Tours[10], à Saumur; à Loches, où il s’arrête[11] pour concentrer ses forces, qui s’élèvent à vingt mille hommes d’armes, il apprend que les Anglais sont en Touraine et se disposent à regagner le Poitou. P. 11 à 14, 244 à 246.
De Loches, le roi de France vient à la Haye en Touraine[12] où il passe la Creuse; il arrive le jeudi soir à Chauvigny[13], pensant que les Anglais sont devant lui, tandis qu’ils sont derrière[14]. Pendant toute la journée du lendemain vendredi, son armée franchit la Vienne sur le pont de Chauvigny et se dirige vers Poitiers.—Le prince de Galles ne se remet en mouvement que le vendredi soir[15], et le samedi un détachement d’éclaireurs, où se trouvent Eustache d’Auberchicourt et Jean de Ghistelles, rencontre, en traversant la route qui va de Chauvigny à Poitiers, l’arrière-garde française et la met en déroute. P. 14 à 17, 246 à 249.
Le prince de Galles, comprenant qu’il ne peut échapper, donne tous ses soins à choisir l’emplacement le plus favorable pour livrer bataille; il établit son camp à deux petites lieues de Poitiers, en un lieu très-fort et hérissé de haies, de vignes, de buissons, qu’on appelle dans le pays les Plains de Maupertuis[16], en face de l’armée française échelonnée entre Poitiers et les Anglais. P. 17, 18, 249, 250.
Le dimanche matin[17], le roi de France, après avoir entendu la messe dans sa tente et avoir communié ainsi que ses quatre fils, donne l’ordre de tout préparer pour le combat; il forme son armée en trois divisions ou batailles composées chacune de seize mille hommes d’armes, la première sous les ordres du duc d’Orléans, la seconde sous ceux du dauphin, duc de Normandie; il se réserve le commandement de la troisième[18]. Il envoie en éclaireurs Eustache de Ribemont[19], Jean de Landas, Guichard de Beaujeu et Guichard d’Angle, il charge ces quatre chevaliers de le renseigner exactement sur la situation des Anglais. P. 18 à 21, 250 à 252.
Eustache de Ribemont rend compte au roi du résultat de sa mission. Les forces ennemies peuvent être évaluées à trois mille hommes d’armes, cinq mille archers[20] et quatre mille bidauds à pied. Les Anglais occupent une très-forte position sur des hauteurs hérissées de vignes et de buissons. On ne peut aborder ces hauteurs que par un chemin où quatre hommes d’armes pourraient à peine chevaucher de front, et ce chemin est bordé des deux côtés de haies épaisses garnies d’archers anglais. Au fond de ce chemin, sur les hauteurs, derrière leurs archers disposés sur deux lignes en forme de herse, les hommes d’armes se tiennent à pied, leurs chevaux sous leur main, et leur charroi derrière eux. Eustache de Ribemont conseille au roi d’engager l’action en lançant contre les lignes des archers ennemis, pour les rompre, trois cents hommes d’armes d’élite choisis entre les plus braves et montés sur fleur de coursiers, et de faire mettre à pied le reste de l’armée tout prêt à les suivre et à les appuyer.—Noms de quelques-uns de ces trois cents hommes d’armes qui sont placés sous les ordres de Gautier, duc d’Athènes, connétable, de Jean de Clermont et d’Arnoul d’Audrehem, maréchaux de France, et auxquels se joignent un grand nombre d’Allemands auxiliaires commandés par les comtes de Saarbruck et de Nassau. P. 21 à 23, 252 à 254.
Le roi de France fait mettre à pied tous ses hommes d’armes excepté ceux de la bataille des maréchaux, il leur fait ôter à tous leurs éperons, couper les poulaines de leurs souliers et retailler leurs lances à la longueur de cinq pieds.—Toute la journée du dimanche se passe en négociations par l’intermédiaire du cardinal de Périgord qui va et vient sans cesse d’une armée à l’autre. Le prince de Galles, qui craint par-dessus tout que l’ennemi ne se contente de le tenir bloqué sans lui livrer bataille, offre de mettre en liberté les prisonniers faits dans le cours de cette expédition, de restituer en outre les villes et les châteaux et de s’engager à ne pas prendre les armes contre le royaume de France pendant sept ans. Le roi de France, convaincu que les Anglais ne peuvent lui échapper, exige que le prince se rende, lui et ses gens, sans condition et se mette à sa merci. Les démarches, les supplications du cardinal de Périgord n’aboutissent qu’à faire accepter une trêve entre les belligérants, qui doit durer toute cette journée du dimanche et le lendemain lundi jusqu’au lever du soleil. P. 23 à 27, 254 à 257.
Jean Chandos, l’un des principaux chevaliers anglais et Jean de Clermont, maréchal de France, qui se rencontrent en faisant des reconnaissances, échangent des invectives parce qu’ils portent tous deux la même devise[21]. P. 27 à 29, 257 à 259.
Les Français passent cette journée du dimanche dans l’abondance de toutes choses. Les Anglais, au contraire, commencent à être en proie à la disette; ils creusent des tranchées et font des retranchements en avant de leurs archers.—Le lundi matin, vers le lever du soleil, le cardinal de Périgord recommence ses voyages d’un camp à l’autre pour négocier un accord entre les belligérants, mais il n’a pas plus de succès que la veille et retourne à Poitiers; plusieurs gens de son entourage se détachent de la suite de leur maître et vont, à l’insu du cardinal, combattre dans les rangs des Français sous les ordres du châtelain d’Amposte[22]. P. 29, 30, 259, 260.
L’ordonnance de l’armée anglaise est telle qu’Eustache de Ribemont l’a rapporté au roi de France, sauf que le prince de Galles a fait rester à cheval un certain nombre de ses gens entre chacune de ses batailles, afin de pouvoir les opposer aux soudoyers également montés de la bataille du duc de Normandie. Il a disposé en outre, sur sa droite, un détachement de trois cents hommes d’armes et de trois cents archers à cheval, qui a pour mission de contourner la hauteur où il est campé et de prendre en flanc la bataille du duc de Normandie échelonnée au bas de cette hauteur. L’armée anglaise est divisée en trois batailles, composées chacune de mille hommes d’armes, de deux mille deux cents à deux mille cinq cents archers, de quinze à seize cents brigands à pied, et commandées, la première par les comtes de Warwick et de Suffolk, maréchaux d’Angleterre, la seconde par le prince en personne, assisté de Jean Chandos et de James Audley, la troisième ou arrière-garde, par les comtes de Salisbury et d’Oxford[23]. Noms des principaux chevaliers, tant anglais que gascons, qui figurent dans les rangs de cette armée. P. 31, 32, 260 à 263.
Jean Chandos se tient aux côtés du prince qu’il ne quitta pas un instant pendant toute la durée de l’action; c’est d’après ses conseils et ceux de James Audley qu’on a adopté l’ordre de bataille et les autres mesures prises le dimanche.—James Audley, qui a fait voeu d’être le premier assaillant dans toutes les batailles où sera présent le roi Édouard ou l’un de ses fils, sollicite et obtient du prince la faveur de combattre au premier rang; il en vient aux mains avec Arnoul d’Audrehem et les gens de la bataille des maréchaux de France; Arnoul d’Audrehem est blessé et fait prisonnier du côté des Français, Eustache d’Auberchicourt du côté des Anglais. La bataille du connétable et des maréchaux de France se fait écraser en voulant s’engager dans l’étroit chemin[24] qui mène à la hauteur où se tient le gros des forces ennemies; les archers anglais, à l’abri derrière les haies épaisses dont ce chemin est bordé des deux côtés, font pleuvoir une grêle de traits qui tuent hommes et chevaux; pas un des chevaliers français ne réussit à se frayer un passage et ne peut arriver jusqu’à la bataille du prince de Galles. P. 32 à 37, 263 à 266.
Jean de Clermont, maréchal de France, est tué sous sa bannière en combattant pour son roi.—En même temps, un détachement de trois cents hommes d’armes et de trois cents archers à cheval vient à la faveur d’un détour prendre en flanc la bataille du duc de Normandie dont les derniers rangs commencent à battre en retraite devant cette attaque imprévue. A vrai dire, les Anglais sont redevables de la victoire au tir rapide et régulier de leurs archers qui mettent les Français hors de combat avant même qu’ils aient pu joindre leurs adversaires. P. 37, 38, 266, 267.
Les Anglais, témoins de la déroute des maréchaux de France et voyant la bataille du duc de Normandie qui déjà commence à plier, jugent que le moment est venu de prendre l’offensive et de marcher à l’ennemi; ils remontent en toute hâte sur leurs chevaux et s’élancent en avant au cri de: Saint-George! Guyenne! «Sire, en avant, s’écrie Chandos, la journée est vôtre; allons droit au roi de France, il est trop brave pour reculer, et c’est autour de lui que va se décider le sort de la journée.» Le prince de Galles, apercevant sur le chemin Robert de Duras, neveu du cardinal de Périgord, tué dans la mêlée, donne l’ordre de porter à Poitiers les restes de ce chevalier, afin qu’on les présente de sa part au cardinal. Un autre personnage de la suite du cardinal de Périgord, le châtelain d’Amposte, étant tombé entre les mains des Anglais, le prince lui aurait fait trancher la tête, si Jean Chandos n’avait intercédé en sa faveur. P. 38 à 40, 267, 268.
Les Anglais culbutent la bataille des Allemands auxiliaires, et Jean de Ghistelles reprend et délivre Eustache d’Auberchicourt qui, fait prisonnier par un chevalier de la suite du comte de Nassau, avait été attaché sur un chariot de bagages.—A la vue de cette déroute de la bataille des maréchaux et des Allemands, le duc de Normandie et ses deux frères les comtes de Poitiers et de Touraine, par ordre et de propos délibéré[25], s’éloignent du champ de bataille dans la direction de Chauvigny à la tête de huit cents lances saines et entières qui n’ont pas donné un seul instant. Toutefois deux chevaliers de la suite du comte de Poitiers, Guichard d’Angle et Jean de Saintré se détachent et vont se jeter au plus fort de la mêlée; ainsi font deux des conseillers du duc de Normandie, Jean de Landas et Thibaud de Vaudenay, après avoir obtenu du seigneur de Saint-Venant qu’il resterait seul chargé de la direction et de la garde du dauphin.—Ces braves chevaliers rencontrent en chemin la grosse bataille du duc d’Orléans qui quitte aussi le théâtre de l’action sans avoir été engagée et va se cacher sur les derrières de la bataille du roi. P. 40 à 42, 268 à 270.
Rapprochement entre les batailles de Crécy et de Poitiers; la bataille de Crécy avait commencé fort tard dans l’après-midi; celle de Poitiers s’était engagée le matin, à l’heure de prime (6 heures).—Le roi de France descend de cheval ainsi que tous les siens, saisit une hache de guerre et marche au premier rang de sa bataille qui en vient aux mains avec celle des maréchaux d’Angleterre.—Énumération des seigneurs qui composent les principaux groupes de combattants de la bataille du roi de France.—Le comte de Douglas d’Écosse, après avoir fait des prodiges de valeur, s’éloigne en toute hâte du champ de bataille dans la crainte de tomber entre les mains des Anglais ses mortels ennemis. P. 42 à 45, 270 à 272.
Jean Chandos[26] et Pierre Audley, frère de James Audley, se tiennent au frein du prince de Galles.—James Audley, après avoir accompli son vœu et porté les premiers coups, reçoit tant de blessures, il perd tant de sang qu’il tombe épuisé entre les bras des quatre écuyers qui l’escortent. P. 45 à 47, 272 à 274.
Noms des grands seigneurs, tués du côté des Français[27].—Noms des princes, des grands feudataires et des principaux chevaliers faits prisonniers[28]. P. 47, 48, 274 à 276.
Oudart de Renty fait prisonnier un chevalier anglais qui lui donnait la chasse.—De même Thomas, seigneur de Berkeley[29], tombe entre les mains d’un écuyer picard, nommé Jean d’Allaines[30], à la poursuite duquel il s’était imprudemment élancé. P. 48 à 52, 276 à 279.
Le combat s’était livré dans les plaines de Beauvoir[31] et de Maupertuis, mais les Anglais poursuivent les fuyards jusqu’aux portes de Poitiers que les bourgeois ferment par précaution.—Le roi de France, sa hache de guerre à la main, fait merveilles d’armes; à ses côtés se font tuer Renaud, sire de Pons[32] et Geoffroi de Charny[33] qui porte l’oriflamme; Guichard d’Angle et Jean de Saintré sont blessés grièvement; Baudouin d’Annequin et le comte de Dammartin sont faits prisonniers, le premier par Barthélemi de Burghersh, le second par Renaud de Cobham.—Le roi Jean, après avoir couru ainsi que Philippe son plus jeune fils de grands dangers par la convoitise des Anglais qui se disputent sa prise, se rend à un chevalier artésien nommé Denis de Morbecque[34] auquel il remet son gant dextre. P. 52 à 55, 279 à 282.
Le prince de Galles, qui voit que la journée est finie, plante sa bannière au haut d’un buisson pour rallier ses gens. En même temps, il envoie le comte de Warwick et Renaud de Cobham demander des nouvelles du roi de France, que l’arrivée de ces deux seigneurs délivre d’un péril croissant. P. 55 à 58, 282, 283.
Le prince de Galles fait venir James Audley[35] et, après l’avoir proclamé le plus brave de la journée, le retient pour son chevalier et lui assigne cinq cents marcs de revenu.—Sur ces entrefaites, le comte de Warwick et Renaud de Cobham reviennent avec le roi de France qu’ils présentent au prince. P. 58, 59, 283, 284.
Cette grande bataille se livra ès champs de Maupertuis, à deux lieues de Poitiers, le lundi 20[36] septembre 1356; commencée à l’heure de prime, elle était terminée à basse nonne (un peu après 3 heures de l’après-midi).—Dix-sept comtes y furent faits prisonniers, sans les barons, les chevaliers et les écuyers; en outre, elle coûta la vie à trente-trois bannerets, à six ou sept cents hommes d’armes, chevaliers ou écuyers, et à cinq ou six mille simples gens, du côté des Français.—Chaque Français pris est la propriété personnelle de l’Anglais qui l’a fait prisonnier[37]; mais les vainqueurs, les Anglais aussi bien que les Gascons, traitent leurs prisonniers avec beaucoup de courtoisie et les mettent en liberté sur parole, à la condition de se retrouver à Bordeaux à la fête de Noël le 25 décembre suivant, s’ils n’ont pas payé leur rançon dans l’intervalle.—Sans parler des rançons et des armures, les Anglo-gascons trouvent dans le camp français un immense et magnifique butin[38]. P. 59 à 61, 284 à 286.
James Audley, rentré dans sa tente après son entrevue avec le prince de Galles, distribue les cinq cents marcs de revenu dont il vient d’être doté entre les quatre écuyers qui lui ont fait escorte pendant la bataille. P. 61 à 63, 286, 287.
Le soir de la bataille, le prince de Galles donne à souper[39] en sa tente au roi de France et aux principaux captifs; il sert lui-même Jean à table et refuse de s’asseoir à côté du roi, en disant qu’il n’est pas digne d’un si grand honneur; il prodigue en un mot à son prisonnier toutes les marques du respect le plus profond et le proclame le plus brave d’entre ceux de sa partie, aux applaudissements des Français comme des Anglais. P. 63, 64, 287 à 289.
Après le souper, la nuit se passe à traiter du rachat des captifs; les Anglo-gascons se montrent pleins de courtoisie, à la différence des Allemands qui taxent les gentilshommes prisonniers au delà de leurs moyens et les torturent au besoin pour leur arracher plus forte rançon.—La nuit même qui suivit la bataille, Mathieu, seigneur de Roye, était allé s’enfermer dans Poitiers à la tête de cent lances, par l’ordre du duc de Normandie qui l’avait rencontré à quelque distance de Chauvigny.—Les Anglais reprennent le chemin de Bordeaux; ils s’avancent à petites journées, précédés des comtes de Warwick et de Suffolk qui éclairent le pays sur leur passage, à la tête de cinq cents armures de fer.—Le prince de Galles confirme le don fait par James Audley à ses écuyers[40] et gratifie de nouveau de six cents marcs de revenu ce chevalier. P. 64 à 68, 289, 291.
Les Anglais traversent le Poitou et la Saintonge, passent la Gironde à Blaye et arrivent à Bordeaux[41]. Le prince de Galles et le roi de France se logent à l’abbaye de Saint-André, et le prince achète à ses gens la plupart des comtes et grands feudataires français faits prisonniers. Il fait donner deux mille nobles à Denis de Morbecque auquel un écuyer gascon, nommé Bernard de Truttes[42], dispute la prise du roi de France.—Grâce à l’entremise des seigneurs de Caumont, de Monferrand et du captal de Buch, ses cousins, le cardinal de Périgord vient à Bordeaux et réussit à rentrer dans les bonnes grâces du prince; le châtelain d’Amposte recouvre la liberté moyennant dix mille francs.—Le prince de Galles et les Anglo-gascons passent toute la saison en fêtes et en réjouissances jusqu’au carême (22 février-7 avril) 1357.—A l’époque de la bataille de Poitiers, le duc de Lancastre faisait la guerre avec Philippe de Navarre et Godefroi de Harcourt dans le comté d’Évreux ainsi que sur les marches du Cotentin[43]; il avait tenté de faire sa jonction avec le prince de Galles, mais il avait trouvé les passages de la Loire trop bien gardés. A la nouvelle de la victoire de Poitiers, il s’était rendu en Angleterre en compagnie de Philippe de Navarre, laissant Godefroi de Harcourt tenir frontière à Saint-Sauveur-le-Vicomte. P. 68 à 71, 292, 293.
CHAPITRE LXXIX.
LIEUTENANCE DU DUC DE NORMANDIE ET GOUVERNEMENT DES ÉTATS GÉNÉRAUX (1356, OCTOBRE-1357, NOVEMBRE).—DÉFAITE ET MORT DE GODEFROI DE HARCOURT.—TRÊVE ENTRE LA FRANCE ET L’ANGLETERRE, ARRIVÉE DU ROI JEAN A LONDRES.—PAIX ENTRE L’ANGLETERRE ET L’ÉCOSSE.—SIÉGE DE RENNES.—OCCUPATION D’ÉVREUX PAR LES NAVARRAIS.—RAVAGES DES COMPAGNIES EN PROVENCE, DANS L’ÎLE DE FRANCE ET EN NORMANDIE[44] (§§ 400 à 409).
Le désastre de Poitiers plonge le royaume de France dans la consternation et excite le mécontentement des gens des communes contre les nobles[45].—Les États généraux, composés des députés du clergé, de la noblesse et des bonnes villes, se réunissent à Paris et prennent en main, non-seulement le gouvernement, mais encore l’administration qu’ils confient à trente-six délégués élus, douze par le clergé, douze par la noblesse et douze par la bourgeoisie[46]. En même temps, les États prohibent l’ancienne monnaie et en font forger une nouvelle dont les pièces sont de fin or et se nomment moutons; ils ordonnent des poursuites contre les principaux conseillers du roi Jean; ils remplacent les receveurs des subsides qu’ils trouvent en fonctions par d’autres qu’ils instituent; ils vont même jusqu’à faire des démarches auprès du duc de Normandie pour obtenir la mise en liberté du roi de Navarre alors détenu au château de Crèvecœur en Cambrésis, mais le dauphin oppose à leur demande un refus formel. P. 71 à 74, 293 à 296.
Sur ces entrefaites, Godefroi de Harcourt fait des incursions aux environs de Saint-Lô, de Coutances, d’Avranches et jusqu’aux faubourgs de Caen. Le duc de Normandie et les États envoient en Cotentin Raoul de Renneval à la tête de trois ou quatre cents lances et de cinq cents armures de fer. Français et Anglo-navarrais se livrent un combat acharné[47] où Godefroi de Harcourt est vaincu et tué; la mort de ce chevalier fait passer sa terre de Saint-Sauveur-le-Vicomte, dont le revenu annuel est de seize mille francs, entre les mains du roi d’Angleterre qui l’avait achetée de Godefroi[48]. P. 74 à 79, 296 à 299.
Après un hiver passé à Bordeaux en fêtes et réjouissances, des difficultés s’élèvent au retour de la belle saison entre le prince de Galles et les seigneurs gascons; ceux-ci ne veulent pas laisser emmener en Angleterre le roi Jean qu’ils prétendent être aussi bien leur prisonnier que celui des Anglais; le prince les fait taire en leur payant cent mille francs. Puis il s’embarque à Bordeaux[49] sur une flotte dont un des vaisseaux est occupé par le roi de France et sa suite. La traversée dure onze jours, et le débarquement a lieu à Sandwich[50] où l’on se repose deux jours. On se remet en route en s’arrêtant successivement à Canterbury, à Rochester, à Dartford; et quatre jours après son départ de Sandwich, le prince de Galles fait son entrée dans Londres; il suit sur une petite haquenée noire son prisonnier qui monte un coursier blanc. On assigne pour demeure au roi de France, d’abord l’hôtel de Savoie[51], puis le château de Windsor[52], en lui laissant la faculté de chasser et de prendre toute sorte de divertissements.—Par ordre du pape Innocent VI, les cardinaux de Périgord et d’Urgel viennent en Angleterre pour s’entremettre de nouveau entre les deux rois; grâce à leur médiation, on conclut une trêve qui doit durer jusqu’à la Saint-Jean-Baptiste (24 juin) 1359; mais Philippe de Navarre, le comte de Montfort et le duché de Bretagne sont exceptés de cette trêve[53]. P. 79 à 84, 300 à 302.
Un traité de paix est conclu entre l’Angleterre et l’Écosse, et David Bruce[54], retenu captif depuis sa défaite à Nevill’s Cross, recouvre la liberté. P. 84, 85, 302 à 304.
Le duc de Lancastre, qui soutient le parti de la comtesse de Montfort, assiége la cité de Rennes[55]. En l’absence de Charles de Blois, prisonnier du roi d’Angleterre et mis en liberté sur parole, cette ville est défendue par le vicomte de Rohan, les seigneurs de Rochefort, de Beaumanoir, et par Bertrand du Guesclin, alors jeune bachelier, qui soutient une joute brillante contre Nicolas d’Agworth, chevalier anglais.—Épisode des perdrix d’Olivier de Mauny. P. 85 à 87, 304 à 308.
Les habitants d’Évreux, même après la conquête de cette ville par le roi de France[56], sont restés Navarrais de cœur. Vers le temps où les trois États s’efforcent de faire mettre en liberté le roi de Navarre[57], un chevalier appelé Guillaume de Gauville vient à Évreux, et, mettant à profit les dispositions des gens de la cité et du bourg, ainsi que la passion du châtelain du roi de France pour le jeu d’échecs, s’avise d’une ruse de guerre qui livre le château et par suite la cité et le bourg aux Navarrais. P. 87 à 93, 308 à 310.
Un chevalier, nommé Arnaud de Cervole[58], vulgairement l’Archiprêtre[59], à la tête d’une grande compagnie de gens d’armes licenciés depuis la trêve de Bordeaux, met la Provence au pillage; il fait trembler dans Avignon le pape Innocent VI[60], qui l’invite à dîner dans son palais, lui donne quarante mille écus et l’absolution de ses péchés par-dessus le marché, à condition qu’il videra le pays. P. 93, 94, 310, 311.
Des compagnies de gens d’armes et de brigands se répandent dans le pays situé entre Seine et Loire et y commettent toute sorte d’excès; ils infestent surtout les routes de Paris à Orléans, à Chartres, à Vendôme et à Montargis[61]. Un de leurs principaux chefs est un Gallois nommé Ruffin[62], qui s’enrichit de ses brigandages et devient chevalier. Ces compagnies occupent ou rançonnent Saint-Arnoult[63], Gallardon[64], Bonneval[65], Cloyes[66], Étampes[67], Châtres[68], Montlhéry[69], Pithiviers en Gâtinais, Larchant[70], Milly[71], Château-Landon[72], Montargis[73], Yèvre[74].—Pendant ce temps, Robert Knolles se met à la tête de brigands anglo-navarrais et rançonne les frontières de Normandie, où il gagne bien cent mille écus[75]. P. 94, 95, 311 à 313.
CHAPITRE LXXX.
1357, 8 NOVEMBRE-1358, 31 JUILLET, DOMINATION DE LA COMMUNE DE PARIS ET D’ÉTIENNE MARCEL, PRÉVÔT DES MARCHANDS.—DÉLIVRANCE DU ROI DE NAVARRE ET POPULARITÉ DE CE ROI A PARIS.—ASSASSINAT DES MARÉCHAUX DE CHAMPAGNE ET DE NORMANDIE PAR LES PARISIENS.—LE DAUPHIN, LIEUTENANT DU ROI, PREND LE TITRE DE RÉGENT ET S’ÉCHAPPE DE PARIS.—JACQUERIE.—ATTAQUE DU MARCHÉ DE MEAUX PAR LES JACQUES AIDÉS DES PARISIENS.—LE RÉGENT VIENT CAMPER AU PONT DE CHARENTON ET ASSIÉGE PARIS; IL TRAITE AVEC LE ROI DE NAVARRE ÉTABLI A SAINT-DENIS.—RIXES ENTRE LES PARISIENS ET LES ANGLO-NAVARRAIS; DÉFAITE DES BOURGEOIS PAR LA GARNISON ANGLAISE DE SAINT-CLOUD.—MORT D’ÉTIENNE MARCEL ET RENTRÉE DU RÉGENT A PARIS[76] (§§ 410 à 421).
Les États généraux ne dirigent que de nom l’administration; tout se fait en réalité sous l’influence d’Étienne Marcel[77], prévôt des marchands et d’un certain nombre de bourgeois de Paris. Le prévôt fait porter à ses partisans, pour les distinguer des autres, des chaperons d’une certaine couleur[78]; un jour il envahit à la tête d’une multitude armée la chambre du duc de Normandie: Robert de Clermont, maréchal de Normandie, Jean de Conflans, maréchal de Champagne[79], et un avocat nommé Regnault d’Acy[80] sont massacrés en présence du dauphin. P. 95 à 97, 313 à 314.
Jean de Picquigny enlève par surprise le roi de Navarre de sa prison d’Arleux[81] et l’amène à Paris, où ce roi fait des discours[82] en plein air aux habitants et jouit bientôt d’une grande popularité au détriment du duc de Normandie. P. 97 à 99, 344 à 317.
Les paysans[83], nommés Jacques Bonshommes, se soulèvent dans le Beauvaisis, l’Ile-de-France, la Brie et les évêchés de Laon, de Noyon et de Soissons; ils mettent à leur tête comme roi un paysan originaire de Clermont[84] en Beauvaisis, et commettent toute sorte d’excès contre les nobles.—Les duchesses de Normandie, d’Orléans et une foule de nobles dames se réfugient dans la forteresse du marché de Meaux pour échapper à la fureur des Jacques. P. 99 à 101, 317 à 322.
Les gentilshommes du Beauvaisis, du Vermandois et du Valois réunissent leurs forces pour tenir tête à l’ennemi commun; ils font la chasse aux Jacques et les exterminent sans pitié ni merci; le roi de Navarre en tue un jour plus de trois mille aux environs de Clermont[85].—Le duc de Normandie quitte alors Paris[86] et rassemble une armée pour faire la guerre aux Parisiens et à leur allié le roi de Navarre[87]. Étienne Marcel, prévôt des marchands, se prépare à soutenir un siége et emploie trois mille ouvriers aux fortifications de Paris[88]. P. 101 à 103, 322 à 324.
Des gens d’armes parisiens, réunis aux Jacques, viennent au nombre de neuf mille attaquer la forteresse du marché de Meaux[89] où le duc d’Orléans, les duchesses de Normandie et d’Orléans auraient couru un grand danger, si le comte de Foix[90] et le captal de Buch[91], de passage à Châlons au retour d’une expédition en Prusse, n’étaient accourus avec quarante lances, à la faveur de la trêve entre l’Angleterre et la France, au secours des assiégés; ces chevaliers repoussent les agresseurs dont ils font une horrible boucherie, puis ils mettent le feu aux faubourgs de Meaux.—Enguerrand, le jeune seigneur de Coucy, à la tête des gentilshommes de sa baronnie, consomme l’extermination des Jacques. P. 103 à 106, 324 à 327.
Peu après l’attaque du marché de Meaux, le régent, duc de Normandie, vient avec une armée de trois mille lances assiéger Paris du côté de la porte Saint-Antoine[92]; le duc se tient tantôt au pont de Charenton, tantôt à Saint-Maur-des-Fossés. Maître du cours de la Marne et du cours de la Seine, il empêche tous vivres d’entrer à Paris, et ses gens d’armes brûlent et saccagent tous les villages des environs.—Le prévôt des marchands s’attache de plus en plus au roi de Navarre[93] dont il a besoin et prend à la solde de la commune des soudoyers anglo-navarrais; mais déjà il se forme secrètement dans Paris tout un parti, dont Jean et Simon Maillart sont les chefs, qui désire faire la paix avec le régent.—Le roi de Navarre, trop clairvoyant pour que les agissements et les progrès de ce parti lui échappent, quitte Paris et vient tenir garnison au bourg de Saint-Denis[94] dont ses gens d’armes pillent et ravagent les environs. P. 106 à 108, 327 à 329.
Un accord intervient entre le régent et le roi de Navarre[95]. Le régent promet de faire grâce aux Parisiens à condition qu’on lui livrera le prévôt des marchands et douze des principaux rebelles, et il va rejoindre à Meaux la duchesse sa femme. L’archevêque de Sens et l’évêque d’Auxerre le prient de venir à Paris, mais il refuse de rentrer dans cette ville tant qu’on ne lui aura pas donné satisfaction.—En dépit de l’accord conclu avec le régent, le roi de Navarre continue sous main de prêter son appui aux rebelles; un jour, il y a rixe sanglante[96] entre les soudoyers anglo-navarrais aux gages de la commune, dont beaucoup sont restés à Paris même après le départ du roi de Navarre pour Saint-Denis et son accord avec le régent, et les habitants qui massacrent un certain nombre de ces soudoyers et font enfermer les autres en prison au Louvre. Au grand mécontentement des bourgeois, Marcel met en liberté ces prisonniers[97] qui vont rejoindre à Saint-Denis leurs compagnons et qui, pour se venger, font à partir de ce moment une guerre incessante aux Parisiens. P. 109 à 112, 329 à 331.
Les Parisiens, au nombre de deux mille deux cents, font une expédition[98] contre la garnison anglaise[99] de Saint-Cloud; ils se forment en deux colonnes dont la première, sous les ordres d’Étienne Marcel, rentre d’assez bonne heure à Paris par la porte Saint-Martin sans avoir rencontré l’ennemi. La seconde colonne bat la campagne jusque fort tard dans l’après-midi, et lorsqu’elle reprend dans le plus grand désordre la route de la porte Saint-Honoré, elle est surprise au fond d’un chemin creux par quatre cents Anglais qui tuent plus de sept cents bourgeois. Le lendemain encore, les Anglais massacrent plus de cent vingt Parisiens qui sont venus avec des charettes sur le théâtre du combat pour emporter les restes de leurs parents ou amis morts afin de les ensevelir.—On comprend tout ce qu’un tel échec attire d’impopularité sur la personne et le parti du prévôt des marchands; aussi la mésaventure des bourgeois vient-elle à point pour le régent, sans déplaire au roi de Navarre, qui a toujours sur le cœur le massacre de ses gens d’armes. A Paris, le nombre des mécontents va sans cesse croissant, et l’on commence à se plaindre tout haut de l’état des choses. P. 112 à 114, 331 à 333.
Étienne Marcel et ses principaux partisans, voyant que le régent ne veut à aucun prix leur faire grâce, trament secrètement une conspiration pour livrer Paris, à l’insu et contre la volonté de ses habitants, au roi de Navarre.—La nuit même que ce complot doit être mis à exécution, les deux frères Jean et Simon Maillart[100], à la tête d’un certain nombre de bourgeois qui étaient toujours restés fidèles au régent, entrent en lutte ouverte contre le prévôt des marchands et le tuent un peu avant minuit à la porte Saint-Antoine avec six de ses partisans dont soixante sont arrêtés et mis en prison. Le lendemain, Jean Maillart réunit les Parisiens aux halles et leur rend compte de ce qui s’est passé. Après avoir jugé sommairement et fait exécuter les rebelles les plus compromis, on députe Simon Maillart et deux maîtres du Parlement vers le duc de Normandie, qui se tient à Charenton[101]. Le régent, ayant à ses côtés Jean Maillart, fait son entrée dans Paris aux applaudissements du peuple et descend au Louvre, puis il se rend à l’hôtel Saint-Pol où la duchesse de Normandie, qui était à Meaux, vient bientôt le rejoindre. P. 115 à 118, 334 à 339.
CHAPITRE LXXXI.
GUERRE OUVERTE ENTRE LE RÉGENT ET LE ROI DE NAVARRE (1358, 31 JUILLET-1359, 21 AOUT).—OCCUPATION PAR LES NAVARRAIS D’UN GRAND NOMBRE DE FORTERESSES EN NORMANDIE, DANS L’ILE DE FRANCE ET EN PICARDIE.—TENTATIVE DE JEAN DE PICQUIGNY CONTRE AMIENS.—PRISE DU CHATEAU DE CLERMONT PAR LE CAPTAL DE BUCH; SIÉGE DE SAINT-VALERY PAR LES FRANÇAIS.—RAVAGES DES COMPAGNIES ANGLO-NAVARRAISES DANS L’ORLÉANAIS, L’AUXERROIS, LA CHAMPAGNE, LA BOURGOGNE, LE PERTHOIS, LE COMTÉ DE ROUCY ET LA SEIGNEURIE DE COUCY.—REDDITION DE SAINT-VALERY AUX FRANÇAIS; CHEVAUCHÉE DE ROBERT, SIRE DE FIENNES ET DU COMTE DE SAINT-POL A LA POURSUITE DE PHILIPPE DE NAVARRE.—ATTAQUE DE CHALONS-SUR-MARNE PAR PIERRE AUDLEY.—DÉFAITE DU COMTE DE ROUCY PAR LA GARNISON DE SISSONNE.—EXPLOITS D’EUSTACHE D’AUBERCHICOURT EN CHAMPAGNE.—SIÉGE DE MELUN PAR LES FRANÇAIS. —TRAITÉ DE PAIX CONCLU A PONTOISE ENTRE LE RÉGENT ET LE ROI DE NAVARRE[102] (§§ 422 à 440).
A la nouvelle de la mort de Marcel, le roi de Navarre quitte Saint-Denis après avoir défié le régent[103] et vient tenir garnison à Melun[104], qui lui est livré par surprise, grâce à la connivence de la reine Blanche sa sœur; Philippe de Navarre son frère occupe Mantes[105] et Meulan[106].—Les Anglo-navarrais s’emparent d’Eu[107], de Saint-Valery, de Creil, de la Hérelle et de Mauconseil. A Saint-Valery[108], Guillaume Bonnemare et Jean de Segur tiennent à leur discrétion tout le pays compris entre Dieppe, Abbeville, le Crotoy, Rue et Montreuil.—Jean de Fodrynghey, capitaine de la garnison de Creil[109], commande le cours de l’Oise et rançonne tous ceux qui vont de Paris à Compiègne, à Noyon, à Soissons ou à Laon; il y gagne cent mille francs à délivrer des sauf-conduits aux voyageurs.—A la Hérelle[110], Jean de Picquigny menace Montdidier, Amiens, Péronne, Arras et tout le cours de la Somme.—A Mauconseil[111], Rabigot de Dury, Richard Franklin et Frank Hennequin obligent les grosses villes non fermées, aussi bien que les abbayes des environs de Noyon, à se racheter toutes les semaines. Les campagnes se dépeuplent, et partout les terres restent en friche faute de bras pour les cultiver. P. 118 à 122, 339 à 343.
Par l’ordre du régent, l’évêque de Noyon[112], Raoul de Coucy, le sire de Renneval et un certain nombre de chevaliers picards viennent mettre le siége devant Mauconseil. Les assiégés appellent à leur secours Jean de Picquigny et les Anglo-navarrais de la Hérelle, qui, après avoir chevauché toute une nuit, tombent à l’improviste dès le point du jour sur les assiégeants et les taillent en pièces. Le combat se livre entre Noyon, Ourscamps[113] et Pont-l’Évêque[114]; l’évêque de Noyon[115] et cent chevaliers ou écuyers y sont faits prisonniers; quinze cents morts, dont sept cents étaient des soudoyers envoyés par la commune de Tournai, restent sur le champ de bataille[116]. On enmène la plupart des prisonniers à Creil dont la garnison s’enrichit par ses rançons et aussi par la délivrance des sauf-conduits qu’elle accorde pour le passage de toutes les marchandises autres que les chapeaux de bièvre (castor), les plumes d’autruche et les fers de glaive.—La garnison de Mauconseil pille et brûle l’abbaye d’Ourscamps[117].—Rabigot de Dury et Robin l’Escot prennent par escalade la bonne ville de Vailly[118] et s’y fortifient.—Le jeune sire de Coucy, qui fait garder sa terre par un chevalier nommé le Chanoine de Robersart, et le seigneur de Roye parviennent seuls à se défendre contre les entreprises des Anglo-navarrais. P. 122 à 127, 343 à 346.
Jean de Picquigny, qui tient garnison à la Hérelle, essaye de s’emparer d’Amiens par surprise, grâce à la complicité d’un certain nombre de bourgeois avec lesquels il entretient des intelligences; il est déjà maître d’un faubourg, lorsque Robert de Fiennes, connétable de France, et son neveu le comte de Saint-Pol[119] accourent en toute hâte de Corbie et repoussent les Navarrais qui se retirent après avoir mis le feu à ce faubourg[120]. Le lendemain, dix-sept des plus coupables, entre autre l’abbé du Gard[121], sont mis à mort; six bourgeois, qui avaient trempé dans le complot, sont aussi exécutés à Laon[122], dont l’évêque se réfugie à Melun auprès du roi de Navarre.—On n’est en sûreté nulle part, et l’on n’ose même plus cultiver la terre; il en résulte une famine telle qu’on vend trente écus un tonnelet de harengs. Aussi, les petites gens meurent de faim.—Pour comble de misère, le régent, qui a mis un impôt sur le sel pour payer ses soudoyers, oblige chacun à l’acheter dans ses greniers et à en prendre une certaine quantité, car la plupart des sources de ses revenus en temps ordinaire sont taries. P. 127 à 131, 346 à 349.
Le connétable Robert de Fiennes et son neveu le comte de Saint-Pol mettent le siége devant Saint-Valery à la tête de deux mille chevaliers de Picardie, de l’Artois, du Boulonnais, du Hainaut et de douze mille gens des communes.—Le captal de Buch vient en Normandie avec deux cents lances servir son cousin le roi de Navarre; il prend un matin par escalade, à l’aide d’échelles de corde et de grappins d’acier, le château de Clermont[123] en Beauvaisis; Bernard de la Salle[124], un de ses hommes d’armes, y pénètre le premier en rampant comme un chat. Dès lors, les forteresses anglo-navarraises de Clermont, de Creil, de la Hérelle, de Mauconseil se prêtent un mutuel appui pour tenir à discrétion le plat pays de Vexinet de Beauvaisis. P. 131 à 134, 349 à 351.
Pendant le siége de Saint-Valery, des capitaines de gens d’armes s’emparent au nom du roi de Navarre d’un grand nombre de châteaux en Brie, en Gâtinais, en Bourgogne et en Champagne.—Le plus riche, le plus rusé et le plus puissant de ces capitaines est Robert Knolles. Il tient garnison à Châteauneuf-sur-Loire[125] et il a bien sous ses ordres deux ou trois mille combattants; il est riche de deux cent mille florins et maître de quarante bons châteaux. Un jour, il prend la bonne cité d’Auxerre[126] et la saccage, ainsi que le pays des environs. Il se vante de ne faire la guerre ni pour le roi d’Angleterre ni pour le roi de Navarre, mais pour lui, et il fait graver cette devise sur ses armoiries:
Pierre Audley se tient au château de Beaufort[127], situé entre Châlons et Troyes et appartenant au duc de Lancastre.—Un écuyer allemand nommé Albrecht s’empare de la bonne ville de Rosnay[128] et de la forteresse de Hans[129] d’où il fait des incursions jusqu’à Sainte-Menehould[130].—Le plus grand et le plus renommé de ces capitaines, est Eustache d’Auberchicourt; ce chevalier, originaire du Hainaut[131], fait sa résidence habituelle à Nogent-sur-Seine[132] et à Pont-sur-Seine[133], mais il occupe aussi Damery[134], Lucy[135], Saponay[136], Troissy[137], Arcis-sur-Aube, Plancy[138].—En Perthois et sur la marche de Bourgogne, Thibaud et Jean de Chauffourt s’emparent d’un très-fort château de l’évêché de Langres nommé Montsaugeon[139] d’où ils ravagent les environs de Chaumont, les évêchés de Langres et de Verdun. P. 134 à 136, 351 à 353.
Du côté de Soissons, de Laon et de Reims, dans la seigneurie de Coucy et le comté de Roucy, les brigands, sous les ordres de deux écuyers, Rabigot de Dury, anglais, et Robin l’Escot, font de Vailly[140] leur souveraine garnison.—Vers la fête de Noël (25 décembre) 1358, Robin l’Escot prend de nuit par surprise le fort château de Roucy[141] où il fait prisonnier le comte, la comtesse et leur fille qu’il rançonne à douze mille florins d’or au mouton; il détient ce château pendant tout l’hiver et l’été de 1359. Après le payement de sa rançon, le comte de Roucy va demeurer à Laon. Les environs de cette ville sont tellement désolés que la terre y reste complétement inculte. P. 136, 137, 353, 355.
Le Chanoine de Robersart, capitaine de Pierrepont[142] pour le sire de Coucy, tombe un jour à l’improviste sur les Navarrais de Vailly et de Roucy qui avaient attaqué près de Craonne[143] en Laonnois le seigneur de Pinon[144], banneret du Vermandois et les met en déroute. P. 137 à 141, 355.
Le siége de Saint-Valery dure depuis le commencement d’août 1358 jusqu’au carême de 1359[145]; les assiégés, réduits à la famine par un étroit blocus, se rendent à Robert de Fiennes, connétable de France et au comte de Saint-Pol, à la condition d’avoir la liberté et la vie sauves. Trois jours après avoir quitté Saint-Valery et rendu la place aux Français, Guillaume Bonnemare et Jean de Segur rencontrent en chemin Philippe de Navarre, le jeune comte de Harcourt et Jean de Picquigny qui accouraient à leur secours avec une armée de trois mille combattants rassemblés à Mantes et à Meulan. P. 141 à 144, 355 à 357.
Le connétable de France et le comte de Saint-Pol, apprenant que les Navarrais ne sont qu’à trois lieues de Saint-Valery, se mettent en devoir de les poursuivre. Philippe de Navarre et ses gens battent en retraite, passent la Somme et vont s’enfermer dans le château de Long[146] en Ponthieu; ils sont serrés de près par leurs adversaires qui viennent camper le soir même devant cette forteresse. Les Navarrais, craignant de manquer de vivres, profitent du sommeil des Français pour quitter précipitamment Long vers minuit et chevaucher dans la direction de Péronne sous la conduite de Jean de Picquigny qui connaît le pays. P. 144 à 146, 357 à 359.
Arrivés à Thorigny[147], petit village situé sur une hauteur au milieu de la plaine entre Saint-Quentin et Péronne, Philippe de Navarre et Jean de Picquigny, qui ne peuvent aller plus loin à cause de la fatigue de leurs chevaux, trouvant la position favorable pour en venir aux mains avec l’ennemi, s’y établissent et se rangent en bon ordre comme pour livrer bataille; ils ne sont rejoints qu’assez tard dans l’après-midi par les Français qui, épuisés eux-mêmes par une longue marche, n’osent attaquer des gens si bien préparés à les recevoir. P. 146 à 149, 359 à 362.
Les Navarrais décampent pendant la nuit, passent la Somme en face de Bertaucourt[148] et longent les bois de Bohain[149] pour gagner la forteresse de Vailly[150] occupée par des gens d’armes de leur parti. Les Français, qui ne s’aperçoivent de ce mouvement qu’au lever du jour, vont pour passer la Somme à deux lieues de là au pont de Saint-Quentin, afin de prendre les devants sur l’ennemi en marchant à la traverse et de l’attendre au passage du côté de Lience[151]; mais les bourgeois de Saint-Quentin refusent obstinément de leur ouvrir les portes de leur ville. Le connétable de France et le comte de Saint-Pol, furieux d’avoir laissé échapper leurs adversaires et désespérant de les rejoindre, licencient leur armée, tandis que Philippe de Navarre et Jean de Picquigny, après avoir passé l’Oise à gué et s’être rafraîchis à Vailly, reprennent le chemin de la Normandie[152]. P. 149 à 152, 362, 363.
Pierre Audley, capitaine de Beaufort pour le duc de Lancastre et maître de cinq ou six forteresses des environs, essaye de s’emparer par surprise de Châlons-sur-Marne; à la faveur d’une attaque de nuit, il parvient à occuper l’abbaye de Saint-Pierre et la partie de cette ville située sur la rive gauche de la Marne; mais il est repoussé, à l’assaut du pont qui réunit les deux rives du fleuve, par les bourgeois auxquels Eudes, sire de Grancey, prévenu à temps de la chevauchée des Anglais, amène pendant le combat un renfort de soixante lances. P. 152 à 157, 363 à 366.
Les Navarrais de Vailly et de Roucy se rendent maîtres de Sissonne[153] dont la garnison, sous les ordres d’un Allemand, originaire de Cologne, nommé Frank Hennequin, se signale par ses cruautés aussi bien que par sa rapacité. Un jour, les comtes de Roucy et de Porcien, à la tête de cent lances dont quarante avaient été fournies par la cité de Laon, attaquent Frank Hennequin; ils sont défaits par la faute des bourgeois de Laon qui lâchent pied au milieu de l’action. Le comte de Porcien est grièvement blessé ainsi que le comte de Roucy, qui, fait prisonnier une seconde fois et livré à Rabigot de Dury et à Robin l’Escot, est enfermé dans son propre château[154]. P. 157, 158, 366 à 368.
Pendant ce temps, Eustache d’Auberchicourt étend sa domination au pays de Brie et de Champagne, sur les deux rives de la Seine et de la Marne; il tient à ses gages bien mille combattants, occupe dix ou douze forteresses et rançonne tout le pays compris entre Troyes et Provins, Château-Thierry et Châlons-sur-Marne. Eustache s’est épris d’une dame de la plus haute naissance, qui devint bientôt sa femme[155], Isabelle de Juliers, nièce de la reine d’Angleterre et veuve du comte de Kent. Émerveillée des exploits de ce chevalier, cette princesse lui envoie des haquenées, des coursiers et lui adresse des lettres d’amour qui redoublent l’ardeur d’Eustache pour les belles entreprises en même temps que sa passion pour une si noble dame. P. 158 à 160, 368, 369.
Après la reddition de Saint-Valery, le régent, duc de Normandie, vient avec deux mille lances assiéger Melun[156], où trois reines font alors leur résidence.—Noms des principaux chevaliers de l’armée du régent.—Le roi de Navarre, qui se tient à Vernon, Philippe de Navarre, qui occupe Mantes et Meulan, mandent à leur secours les garnisons navarraises de Creil, de la Hérelle, de Clermont, Eustache d’Auberchicourt et Pierre Audley, afin de forcer les Français à lever le siége de Melun.—Sur ces entrefaites, des négociations interviennent entre les deux rois, qui concluent un traité de paix[157] stipulant une amnistie complète pour trois cents chevaliers ou écuyers complices du roi de Navarre. Fidèle à l’alliance d’Édouard III, Philippe de Navarre refuse de ratifier ce traité et se retire auprès du capitaine de Saint-Sauveur-le-Vicomte[158] pour le roi d’Angleterre.—Le roi de Navarre est confirmé dans la possession de Mantes et de Meulan.—Le jeune comte de Harcourt se réconcilie avec le régent et se marie à une fille du duc de Bourbon, sœur de la duchesse de Normandie[159].—Les Français lèvent le siége de Melun, dont le traité leur assure la possession. P. 160 à 163, 359 à 371.
CHAPITRE LXXXII.
Expiration de la trêve de Bordeaux; reprise des hostilités et de la guerre ouverte entre la France et l’Angleterre (1359, 21 AVRIL-OCTOBRE). PRISE DU CHATEAU DE HANS ET DÉFAITE D’EUSTACHE D’AUBERCHICOURT PRÈS DE NOGENT-SUR-SEINE.—ACHAT ET RASEMENT DU FORT DE MAUCONSEIL PAR LES BOURGEOIS DE NOYON.—ÉMEUTE A TROYES ET MASSACRE DE JEAN DE SEGUR.—RUPTURE DES NÉGOCIATIONS ENTRE LA FRANCE ET L’ANGLETERRE.—REDDITION DE ROUCY A L’ARCHEVÊQUE DE REIMS.—OCCUPATION D’ATTIGNY PAR EUSTACHE D’AUBERCHICOURT.—PRISE ET PILLAGE DE BAR-SUR-SEINE PAR BROCARD DE FÉNÉTRANGE.—CHEVAUCHÉE DE ROBERT KOLLES EN AUVERGNE[160] (§§ 441 à 452).
Malgré la paix de Pontoise, la guerre ne cesse pas en France parce que, la trêve avec l’Angleterre venant d’expirer[161], les gens d’armes qui avant la conclusion de cette paix guerroyaient sous le couvert du roi de Navarre continuent de guerroyer au nom et pour le compte du roi d’Angleterre.—L’évêque de Troyes[162], les comtes de Vaudemont, de Joigny et Jean de Châlon rassemblent une troupe de mille lances et de quinze cents brigands. Aidés d’un chevalier lorrain nommé Brocard de Fénétrange que le régent prend à sa solde, ils assiégent et emportent au troisième assaut la forteresse de Hans[163] en Champagne, occupée depuis un an et demi et dont ils passent la garnison par les armes. P. 163 à 165, 372.
La veille de la fête Saint-Jean-Baptiste[164] 1359, l’évêque de Troyes et ses compagnons d’armes battent Eustache d’Auberchicourt près de Nogent-sur-Seine. Eustache d’Auberchicourt reste au pouvoir des vainqueurs ainsi que Jean de Paris et Martin d’Espagne faits chevaliers le matin de la bataille. Courageux de Mauny, cousin d’Eustache d’Auberchicourt, fait aussi chevalier et laissé pour mort sur le champ de bataille, se traîne jusqu’à la forteresse de Nogent dont Jean de Segur est capitaine. A la nouvelle de la défaite de leur chef, les garnisons de Pont-sur-Seine[165], de Torcy[166], de Saponay[167], d’Arcis, de Méry[168], de Plancy[169] évacuent ces places. Seuls, Pierre Audley, Jean de Segur et Albrecht se maintiennent dans les forts qu’ils occupent, le premier à Beaufort, le second à [Pont[170]], le troisième à Gyé-sur-Seine[171]. P. 165 à 175, 372 à 377.
Jean de Picquigny meurt[172] après avoir étranglé son chambellan dans un accès de rage; un chevalier de sa suite nommé Luc de Béthisy a comme son maître une fin tragique.—Autant en advient à un soudard de la bande d’Albrecht, qui, ayant un jour pillé l’église de Rosnay, frappé le prêtre à l’autel et jeté par terre le vin consacré, est étranglé par son cheval pris soudain d’un accès de rage et réduit en poudre[173]. P. 175, 176, 377 à 379.
Le château de Mauconseil est racheté au prix de douze mille moutons et rasé par les bourgeois de Noyon[174]; les gens d’armes qui occupaient cette forteresse se retirent à Creil, à Clermont, à la Hérelle, à Vailly, à Pierrepont, à Roucy et à Sissonne. P. 176, 379.
Jean de Segur, étant venu un jour à Troyes traiter de la vente du château de [Pont-sur-Seine][175], d’où il a mis à rançon pendant si longtemps le pays environnant, est massacré dans l’hôtel même de l’évêque, où il est descendu, par la population indignée. P. 177, 178, 379, 380.
A l’expiration de la trêve entre la France et l’Angleterre, le roi Jean et Jacques de Bourbon, d’une part, Édouard III et le prince de Galles, d’autre part, avaient conclu à Londres un traité de paix dont Arnoul d’Audrehem, maréchal de France, et le comte de Tancarville furent chargés de porter le texte sur le continent[176]; mais les trois États, convoqués à Paris par le régent, trouvent ce traité trop onéreux et refusent de le ratifier, au grand mécontentement des deux rois et surtout d’Édouard, qui fait dès lors de grands préparatifs pour recommencer la guerre contre la France. P. 178 à 181, 380 à 382.
Jean de Craon, archevêque de Reims, aidé du comte de Porcien et d’un certain nombre de gens d’armes tant de l’évêché de Laon que du comté de Rethel, met le siége devant le château de Roucy, dont le capitaine Frank Hennequin[177] se rend après une résistance de trois semaines à condition que la garnison aura la liberté et la vie sauves, ce qui n’empêche pas la plus grande partie de cette garnison d’être massacrée par les gens d’armes de Reims et des environs; Hennequin lui-même n’est arraché qu’avec peine à leur fureur. P. 181, 182, 382, 383.
Après la reddition de Roucy aux Français, Pierre Audley meurt au château de Beaufort. Restées sans chef, les garnisons anglaises de Champagne se cotisent pour payer la rançon d’Eustache d’Auberchicourt, taxée à vingt-deux mille francs, et livrent en outre le château de Conflans[178]. A peine Eustache est-il mis en liberté qu’il s’empare de la forteresse d’Attigny[179] dans le comté de Rethel d’où il fait des incursions, d’une part, jusqu’à Château-Thierry et la Ferté-Milon[180], de l’autre, jusqu’à Mézières, Donchery[181] et au Chesne-Populeux[182]; en même temps, ses gens d’armes prennent et pillent les environs de Reims, Épernay, Dammarie[183], Craonne[184] et la grosse ville de Vertus[185]. P. 182 à 184, 383, 384.
Brocard de Fénétrange, furieux contre le régent qui refuse de lui payer trente mille francs dus pour ses gages et ceux de ses gens d’armes, met à sac Bar-sur-Seine, ravage la Champagne[186] et ne rentre dans son pays de Lorraine qu’après avoir obtenu satisfaction. P. 184, 185, 384 à 386.
Au mois d’août 1359[187], Robert Knolles, à la tête de trois mille combattants, remonte la Loire, entre en Berry et ravage l’Auvergne, puis il rebrousse chemin devant les seigneurs de cette province, qui ont rassemblé six mille hommes pour lui livrer bataille et se dirige vers Limoges. P. 185 à 190, 385 à 390.
CHAPITRE LXXXIII.
1359, OCTOBRE. CHEVAUCHÉE DU DUC DE LANCASTRE EN ARTOIS ET EN PICARDIE.—1359, NOVEMBRE-1360, AVRIL. EXPÉDITION D’ÉDOUARD III EN CHAMPAGNE, EN BOURGOGNE ET DANS L’ILE-DE-FRANCE[188] (§§ 453 à 473).
Édouard III fait de grands préparatifs pour envahir la France[189]. A cette nouvelle, beaucoup de chevaliers étrangers s’assemblent à Calais pour faire partie de l’expédition. P. 190, 191, 390, 391.
Le duc de Lancastre débarque à Calais vers la Saint-Remi (1er octobre); il est envoyé en avant par le roi d’Angleterre afin de donner de l’occupation aux gens d’armes étrangers rassemblés à Calais et surtout pour leur faire vider cette ville qu’ils encombrent. Le duc de Lancastre se met à la tête de ces auxiliaires et entreprend une chevauchée à travers l’Artois; il passe devant Saint-Omer, devant Béthune et occupe l’abbaye du Mont-Saint-Éloy[190]. P. 191, 192, 391, 392.
Après une halte de quatre jours au Mont-Saint-Éloy, le duc de Lancastre se dirige vers la Picardie du côté de Bapaume et de Péronne. Il ravage toute la vallée de la Somme[191] et met le siége devant Bray-sur-Somme[192]. Les Anglais sont repoussés après un assaut qui dure tout un jour et où les assiégés[193] déploient un grand courage; ils vont traverser la Somme à Cerisy[194] et passent dans ce village le jour de la Toussaint. Le duc de Lancastre reçoit, ce jour même, la nouvelle de l’arrivée à Calais d’Édouard III qui mande à son lieutenant de l’y venir rejoindre; il reprend aussitôt le chemin de cette ville.—Noms des principaux chevaliers de Flandre, du Hainaut, du Hasbaing qui avaient pris part à cette chevauchée. P. 193, 194, 392 à 394.
Ces gens d’armes étrangers rencontrent en chemin, à quatre lieues de Calais, entre cette ville et l’abbaye de Licques[195], Édouard III et le prince de Galles qui s’avancent à la tête d’une puissante armée; ils prient le roi d’Angleterre de les prendre à sa solde. Édouard demande du temps pour réfléchir à leur demande et les invite à se rendre à Calais où il promet de leur transmettre promptement sa réponse. Deux jours après cette entrevue, il leur fait dire par trois de ses chevaliers qu’il n’a pas besoin de leurs services et que d’ailleurs il manque d’argent pour leur payer des gages. La plupart de ces seigneurs étrangers prennent alors le parti de retourner dans leur pays, et l’on prête une petite somme à chacun d’eux pour faciliter son rapatriement. P. 195 à 197, 394 à 397.
Le roi d’Angleterre avait fait pour cette expédition les plus grands préparatifs. Après avoir fait renfermer à la Tour de Londres le roi de France son prisonnier et le jeune Philippe compagnon de captivité de son père, il avait convoqué à Douvres[196] et appelé sous les armes tous les hommes valides de son royaume depuis vingt ans jusqu’à soixante; et cette immense armée avait débarqué à Calais deux jours avant la Toussaint[197] 1359. P. 197 à 199, 397, 399.
Après avoir séjourné quatre jours à Calais, Édouard se dirige vers l’Artois et la Picardie et va à la rencontre du duc de Lancastre. Voici l’ordre de marche de l’armée anglaise. Cette armée est divisée en trois corps. Le premier corps ou avant-garde est sous les ordres de Jean, comte de March, connétable d’Angleterre; le roi commande en personne le second corps. Après la bataille du roi vient le train composé de six mille chariots tous attelés où sont les moulins à main, les fours à cuire le pain et tout ce qui est nécessaire à la subsistance de l’armée; il ne couvre pas moins de deux lieues de pays et il est précédé de cinq cents sapeurs, armés de pelles et de cognées, qui frayent la voie pour le passage des chariots. Le prince de Galles, qui est à la tête de l’arrière-garde, ferme la marche. Tous ces corps s’avancent en bon ordre; chaque homme d’armes est à son rang, prêt à combattre, si besoin est. L’armée ne laisse pas derrière elle un seul traînard; aussi ne fait-elle pas plus de trois lieues de chemin par jour.—Noms des principaux seigneurs qui font partie de cette expédition.—Les Anglais traversent l’Artois et trouvent ce pays en proie à la famine, car on n’y a rien labouré depuis trois ans, non plus qu’en Vermandois et dans les évêchés de Laon et de Reims; on y serait mort de faim, si l’on n’avait tiré des bleds et des avoines du Hainaut et du Cambrésis. Mais les Anglais ont apporté avec eux toutes leurs provisions, sauf les fourrages et l’avoine. En revanche, ils souffrent beaucoup de l’humidité, car l’automne fut si pluvieux cette année que les vins ne valurent rien. P. 199 à 202, 399 à 402.
L’armée d’Édouard arrive aux environs de Bapaume[198]. Aventure de Galehaut de Ribemont. P. 202 à 210, 402.
Les Anglais occupent Beaumetz[199] et pillent le Cambrésis, malgré les réclamations de Pierre[200] évêque de Cambrai; ils entrent en Thiérache et se logent à l’abbaye de Femi[201] d’où ils font des incursions aux environs de Saint-Quentin. Dans une de ces incursions, Barthélemi de Burghersh fait prisonnier Baudouin d’Annequin[202], capitaine de Saint-Quentin qui avait été déjà pris par le même Barthélemi à la bataille de Poitiers. P. 210 à 211, 402.
Le roi d’Angleterre assiége Reims depuis la Saint-André environ[203] (30 novembre 1359) jusqu’à l’entrée du carême[204] (19 février 1360); Édouard est logé à Saint-Basle[205], tandis que le prince de Galles et ses frères campent à Saint-Thierry[206]. Le reste de l’armée anglaise se répand dans les villages des environs de Reims. Cette cité est défendue[207] par Jean de Craon[208] son archevêque, par le comte de Porcien[209], Hugues de Porcien, frère du comte, les seigneurs de la Bove[210], d’Anor[211] et de Lor[212]. Les Anglais font des incursions par tout le comté de Rethel jusqu’à Warcq[213], Mézières, Donchery[214] et Mouzon[215]. P. 211, 212, 403, 404.
Vers le temps de l’arrivée d’Édouard devant Reims, Eustache d’Auberchicourt s’empare de la bonne ville d’Attigny[216] sur Aisne, où il trouve plus de mille tonneaux de vin; il fait cadeau d’une grande partie de ce vin au roi anglais et à ses enfants. P. 213, 404.
Pendant le siége de Reims, Jean Chandos et James Audley prennent le château de Cernay-en-Dormois[217]; le sire de Mussidan[218] est tué à l’assaut.—La guerre éclate de nouveau entre le régent et le roi de Navarre; ce dernier quitte précipitamment Paris et vient s’enfermer dans Mantes[219].—Un écuyer originaire de Bruxelles, nommé Gautier Strael[220], prend prétexte de cette reprise des hostilités pour occuper le fort de Rolleboise[221] situé sur le bord de la Seine, à une lieue de Mantes. P. 213 à 215, 404 à 406.
Le sire de Gommegnies[222], qui vient rejoindre le roi d’Angleterre, est battu et fait prisonnier à Herbigny[223] par le sire de Roye[224], capitaine du Rozay[225] en Thiérache, par Flament de Roye[226] et par le Chanoine de Robersart, capitaine du château de Marle[227] pour le jeune seigneur de Coucy[228]. P. 215 à 220, 406 à 410.
A l’aide de mineurs de l’évêché de Liége, Barthélemi de Burghersh abat le beau château de Cormicy[229] appartenant à l’archevêque de Reims; la garnison dont Henri de Vaux, chevalier champenois, est capitaine, a la vie sauve. P. 220 à 223, 410 à 413.
Le roi d’Angleterre lève le siége de Reims qui dure depuis sept semaines[230] et se dirige vers la Champagne du côté de Châlons et de Troyes; il campe avec son armée à Méry-sur-Seine[231] et vient rejoindre son connétable le comte de March, qui a mis le siége devant Saint-Florentin[232], place située sur la rivière d’Armançon; les Anglais sont repoussés par Oudart de Renty, capitaine de la garnison; ils viennent ensuite loger à l’abbaye de Pontigny[233] et veulent enlever les restes de saint Edmond qui y sont conservés, mais un miracle les empêche de donner suite à leur projet. Édouard III prend d’assaut la ville de Tonnerre où il trouve plus de trois mille pièces de vin; le château de Tonnerre, dont Baudouin d’Annequin[234], maître des arbalétriers, est capitaine, résiste seul à tous les assauts des Anglais. P. 223 et 224, 413 à 415.
Après une halte de cinq jours à Tonnerre, le roi anglais, laissant à sa droite Auxerre où se trouve alors le sire de Fiennes[235], connétable de France, à la tête d’une nombreuse garnison, prend le chemin de la Bourgogne pour y séjourner tout le carême; il passe à côté de Noyers[236] et défend d’y donner l’assaut, car il tient le seigneur prisonnier depuis la bataille de Poitiers[237]; il loge à Montréal[238] puis à Guillon[239], villages situés sur une rivière nommée Sellètes[240]; il reste à Guillon depuis la nuit des Cendres (mercredi 19 février) jusqu’à la mi-carême (dimanche 15 mars 1360), et pendant ce temps Jean de Harleston, écuyer de sa suite, s’empare de Flavigny[241] où il trouve de quoi approvisionner l’armée. P. 224, 225, 415, 416.
L’armée anglaise traîne derrière elle huit mille chariots, attelés chacun de quatre forts roncins et chargés de tentes, de pavillons, de moulins, de fours pour cuire du pain et de forges pour forger les fers des chevaux. Ces chariots transportent en outre de petits bateaux que trois hommes peuvent monter et avec lesquels on peut pêcher dans les étangs, ce qui fut d’un grand secours aux Anglais en carême. Le roi d’Angleterre voyage, ainsi que plusieurs seigneurs de sa suite, avec ses oiseaux et ses chiens afin de pouvoir aller à la chasse.—L’armée se compose de trois corps distincts, qui sont sous les ordres du roi, du prince de Galles et du duc de Lancastre, et qui se tiennent toujours à une lieue de distance l’un de l’autre. Tel est l’ordre de marche qui fut invariablement suivi depuis Calais jusqu’à Chartres. P. 225, 226, 416, 417.
Édouard, pendant son séjour à Guillon, conclut un traité[242] avec Philippe, duc de Bourgogne, par lequel il s’engage à ne pas ravager le duché de Bourgogne et à le tenir en paix pendant trois ans moyennant le payement de deux cent mille francs tous appareillés. Après quoi, il repasse l’Yonne au-dessous de Clamecy[243] et de Vezelay[244], se dirige vers Paris à travers le Gâtinais et arrive à deux lieues de Bourg-la-Reine[245]. P. 226, 227, 417, 418.
Pendant qu’Édouard envahit ainsi le royaume, une foule de garnisons anglaises ravagent le Beauvaisis, la Picardie, l’Ile-de-France, la Brie et la Champagne.—Le roi de Navarre, de son côté, fait une rude guerre sur les confins de la Normandie.—La plus terrible de ces garnisons ennemies est celle d’Attigny dont Eustache d’Auberchicourt est capitaine. Les gens d’armes de cette garnison font sans cesse des incursions dans les comtés de Rethel et de Bar jusqu’à Donchery, Mézières, Stenay[246] et au Chesne-Populeux[247]; un jour, ils prennent par surprise un fort château du Laonnois voisin de Montaigu[248] et situé au milieu des marais qu’on appelle Pierrepont[249], dont ils emportent le butin à Attigny[250]. P. 227, 228, 419, 420.
En ce temps, il y avait ès parties d’Avignon un frère mineur ou cordelier, nommé Jean de la Roche Taillade, que le pape Innocent VI tenait enfermé au château de Bagnols[251] parce qu’il avait annoncé dans ses livres de prophétie, commencés dès 1345, tous les malheurs qui devaient fondre sur la France, notamment de 1356 à 1359, les attribuant à la vengeance de Dieu irrité de la corruption des grands seigneurs et des prélats du royaume[252]. P. 228 à 230, 420 à 423.
Le roi d’Angleterre est logé à Bourg-la-Reine à deux petites lieues de Paris, et son armée est campée depuis cet endroit jusqu’à Montlhéry[253]; il envoie ses hérauts à Paris demander la bataille au duc de Normandie qui la refuse. Après une escarmouche de Gautier de Mauny devant les barrières de Paris, Édouard quitte Bourg-la-Reine et prend le chemin de Montlhéry. P. 230 à 232, 423.
Des chevaliers français au nombre de cent lances s’aventurent à la poursuite des Anglais qu’ils voient opérer leur mouvement de retraite de Bourg-la-Reine sur Montlhéry, mais ils tombent dans une embuscade dressée par un certain nombre de seigneurs anglais et gascons qui avaient prévu cette sortie; neuf chevaliers français, entre autres le sire de Campremy, restent entre les mains des Anglais qui, après avoir donné la chasse jusqu’au delà de Bourg-la-Reine à ceux qui réussissent à s’échapper, emmennent leurs prisonniers à Montlhéry où campe le roi d’Angleterre[254]. P. 232 à 234, 423 à 426.
CHRONIQUES
DE J. FROISSART.