Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably, Volume 2 (of 15)
REMARQUES ET PREUVES
DES
Observations sur l’histoire de France.
LIVRE SIXIÈME.
CHAPITRE PREMIER.
[223] Sous la première race, les rois rendoient la justice par eux-mêmes; et en leur absence, le maire du palais tenoit leur place. Les affaires multipliées qu’eurent les Carlovingiens, ne leur permirent pas souvent de présider le tribunal de leur justice; l’Apocrisiaire et le comte Palatin remplirent à cet égard leurs fonctions. Sous la troisième race, les premiers Capétiens ne manquèrent jamais d’assister à leurs plaids ou assises, qui prirent enfin le nom de parlement. Ils avoient le plus grand intérêt de voir ce qui se passoit dans cette cour, soit pour influer dans les jugemens, soit pour parlementer ou conférer avec les seigneurs qui s’y rendoient, et qui profitoient quelquefois de cette occasion pour traiter ensemble et régler leurs affaires.
Il est vraisemblable que les Capétiens ne cessèrent de se rendre à leur parlement avec régularité, que quand cette cour, un peu dégradée, ne fut plus composée de leurs principaux vassaux. Les mêmes raisons qui dégoûtèrent les seigneurs de l’administration de la justice, après l’abolition du duel judiciaire, en durent aussi dégoûter ces princes. Bientôt je parlerai fort au long de l’autorité que le parlement commença à prendre sous les successeurs du roi Jean. Je me contenterai de rappeler ici ce que j’ai déjà prouvé dans les livres précédens, que n’y ayant point d’états-généraux ou d’assemblées de la nation, avant le règne de Philippe-le-Bel, les prédécesseurs de ce prince, soit pour acréditer l’opinion qui leur attribuoit la puissance législative, soit pour donner plus de force à leurs établissemens, les venoient eux-mêmes publier dans le parlement, et cette cérémonie se faisoit toujours avec beaucoup d’éclat. Charles V rétablit cette coutume oubliée, pour qu’on regrettât moins les états-généraux. Les officiers du parlement avoient de la réputation et il étoit sûr de les conduire à son gré.
[224] Nec non acquisitione feudorum, retrofeudorum et allodiorum francorum in nostris feudis et retrofeudis et aliorum dominorum in quacumque parte regni nostri, eaque feuda, retrofeuda et allodia ipsi et eorum predecessores tenuerunt et possederunt pacificè et quietè; usique fuerunt secundùm meritum et facultates personarum loriis oratis et aliis ornamentis ad statum militiæ pertinentibus; necnon jure assumendi militiam armatam, prout nobili genere et origine regni nostri. (Lettres-patentes du 9 août 1371).
[225] On a dû remarquer dans mon ouvrage que le gouvernement féodal avoit fait disparoître tous les sentimens d’honneur, de patriotisme et de bien public que les Français devoient aux lois de Charlemagne. On ne servit plus à la guerre son suzerain, que parce qu’on étoit censé payé par le fief qu’on tenoit de lui. C’est pour cela que tout, jusqu’aux dons et aux pensions qu’on donnoit à un gentilhomme, fut regardé comme un fief; voyez le second chapitre du troisième livre. C’est cette avidité mercenaire qu’il falloit détruire pour former un bon gouvernement; mais elle étoit chère à un prince qui n’aimoit que le pouvoir arbitraire.
[226] (Ordonnances du Louvre. T. 6, p. 335.) Voyez les lettres-patentes de Charles V, en faveur d’une compagnie d’usuriers à qui on accorde le privilége de faire l’usure pendant six ans dans les villes d’Amiens, Abbeville et Meaux. «Ainsi toutes voyes que ils ne pourront prendre oultre deux deniers pour franc par chascune sepmaine, à compter le franc pour vint sols tournois la pièce, et ne prendront point d’usure. (Art. 2.) Que ilz puissent tenir, avoir, et exercer par eulz, leurs facteurs, gens et familiers, publiquement et notoirement, changes et ouvrouers aparanment, et à ouvert es dictes villes, s’il leur plaît et bon leur semble; nonobstant que en quelles villes soient statuts et ordonnances à ce contraire. (Art. 4.) Que devant les diz six ans, ils presteront, comme dit est, sur toutes manieres de gaiges excepté saintes reliques, calices, etc. sans ce qu’il en puissent par nos juges et officiers ou autres personnes quelconque estre repris, ne faire ou paier pour ce aucune amende corporelle, pécuniaire ou autre quelconque.» (Art. 5.)
Quoique dans le quatorzième siècle, ce commerce d’usures ne parût point aussi révoltant qu’il le seroit aujourd’hui, les articles qu’on vient de lire indiquent cependant qu’il étoit contraire aux mœurs publiques. Ces produits usuraires étoient comptés au nombre des revenus ordinaires de la couronne, comme il est prouvé par le premier article de l’ordonnance du dernier février 1378. «Tous les deniers qui isteront des eaux et forez, avec les rachats, quins deniers, amortissemens, finances de francs fiez, compositions ordinaires des Juifs, anoblissemens, amendes de parlement, et aussi les revenus des monnoyes avec les compositions des usuriers, passent et viegnent par nostre dit tresor en la maniere qui dessus est dit.» Ces usuriers étoient Juifs ou Italiens.
(Tome 6, p. 477.) Lettres-patentes du 2 juin 1380, accordées à cinq usuriers pour faire exclusivement, pendant quinze ans, l’usure dans la ville de Troye. On leur permet de prendre un plus gros intérêt qu’aux précédens. «Si aucunes femmes renommées estre de fole vie, estoient dedans les maisons des diz marchands, qui voulsissent dire et maintenir par leur cautelle et mauvaistié, estre ou avoir esté efforcées par les diz marchands ou aucun d’eulz, que à se proposer ycelles femmes ne fussent point reçues, ne les diz marchands ou aucuns d’eulz pour ce empeschier en corps ne en biens. (Art. 25.) S’il avenoit que aucuns mandemens ou prieres venissent à nous de part nostre saint père, d’aucuns legatz de court de Rome, ou d’autre personne de sainte église quelle que elle feust, pour prendre ou arrester les devant diz marchands, leurs compaignons, leurs menies, leurs biens ou aucuns d’eulz, et d’eulz faire vuider hors de ladicte ville ou de nostre royaume, nous ne ferons ou souffrerons faire audessus diz, ne à leurs biens aucuns arrest, destourbier ne empeschement, comment que ce soit, que ils ne ayent temps souffisant pour eulz partir, et leurs biens emporter hors de notre dit royaume.» (Art. 26.)
[227] Voyez dans le livre précédent la remarque 187 du premier chapitre.
CHAPITRE II.
[228] «Auquel nostre dit frere (le duc d’Anjou,) nous des maintenant pour lors donnons autorité et pleniere puissance de gouverner, garder et deffendre nostre dit royaume pour le temps dessus dit, de créer officiers pour le fait de justice, et pour toutes choses touchans les dictes gardes, defense et gouvernement, toutes fois qu’il sera besoingz et appartiendra a faire selon raison, tant en la maniere qui a esté accoutumé de faire ou temps passé donner et octroyer lettres de justice, de presentations et collations de benefices à nous appartenans tant à cause de regale comme autrement, lettres de remission de crimes, deliz et malefices, faire cuillir, lever et recevoir toutes les rentes et revenus, proffiz et emolumens ordinaires et extraordinaires du nostre dit royaume, et sur icelles prendre ou faire prendre ce qui sera nécessaire pour la dépense du gouvernement; garde et deffense d’icelui royaume. Saufs et exceptés parexprès les lieux, terres et pays par nous ordenez pour l’estat et gouvernement de nos diz enfans et de ceulx qui auront la garde et le gouvernement de eulx.» (Ord. du mois d’octobre 1374.) L’autorité du régent étoit absolument la même que celle du roi. Toutes les ordonnances, tous les actes, tous les ordres étoient donnés et intitulés au nom du régent, et scellés de son sceau particulier.
[229] Considerans aussi les grans griés, pertes, dommaiges, oppresions, tribulacions et meschiez et quels nos diz subjés ont esté, et qu’ils ont soufferts, supportés et soutenus par nos ennemiz; et que ces choses non obstanz, ils ont toujours voulentiers paiés les diz aides, comme nos vraiz subjés et obéissans; et pour ce voulans et désirans yceulx aucunement relever et alegier des pertes, dommaiges et oppressions dessus dictes, par avis et meure délibéracion de nostre dit peuple, de nostre autorité royal, plaine puissance, certaine science et grace spécial, avons quiétés, remis et annullé, et par ces présentes quietons, remettons et annullons et mettons du tout au néant tous aides et subsides quelzconques qui pour le fait des dictes guerres ont esté imposez, cuilliz et levés depuis nostre prédécesseur le roi (Philippe-le-Bel que Dieux absoille,) jusqu’à ce jour d’ui, soient fouages, imposicions, gabelles, treiziemes, quatorzièmes et autres quelzconques ils soient et comment qu’ilz soient diz et nommés, et voulons et ordonnons par ces mêmes lettres que les diz aides et subsides de chacun d’iceux nos diz subjés soient et demeurent francs quictes et exemps dores en avant à tous jours, mais comme ils estoient par avant le temps de nostre dit prédecesseur le roi (Philippe-le-Bel) et avec que ce avons octroié et octroyons par ces présentes à nos diz subgés que chose qu’ilz aient paié à cause de dessus diz aides, ne leur tourne à aucun préjudice ne à leurs successeurs, ne que ils puisient estre trait à aucune conséquence ores ne ou temps avenir.» (Lettres-patentes du 16 novembre 1380.)
Le lecteur sera peut-être bien aise de connoître quelques-uns des abus que Charles-le-Sage introduisit dans l’administration des finances, après qu’il eût ruiné l’autorité des états.
«Voulons et ordonnons, que dores en avant, en chacun diocèse ou les aydes ordonnées pour la defense de nostre dit royaulme ont cours, tous les deniers qui des dites aides isront, demeurent et soient gardées en iceulx dioceses, tant et jusques ad ce que nécessité soit de les prendre pour le payement de gens d’armes, hormis et excepté que de nécessité prendre en fauldra pour le faict de la provision et defense de nostre dit royaulme. (Ordon. rendue en conséquence des états tenus à Chartres en 1367, art. 3.) Avons accordé à iceulx gens d’eglise, nobles et gens de bonnes villes confirmé leurs privilleiges, et ordonnances royaulx à eulx donnez par nos prédécesseurs roys de France; et aussi les ordonnances faites par feu nostre dit seigneur et pere, toutes fois qu’il leur plaira. (Ibid. art. 13.)
Les personnes établies dans les provinces pour la levée des aides, feront passer tous les mois au receveur général à Paris les sommes qu’elles auront touchées. (Règlement du 13 novembre 1372 sur les finances, art. 3.) Les dons et graces qu’il plaira au roi à faire dores en avant, et les causes pourquoi, seront contenues et déclairées expressément es lettres qui seront faite sur ce; et il plaira au roy commander à ses gens de comptes que toutes lettres de dons fais à ses officiers et serviteur sur le fait des aides signées et vérifiées selon la teneur de ceste présente ordenance, ils alloent es comptes de ceulx à qui il appartiendra, sans difficulté aucune. (Ibid art. 6.) Les généraux conseillers verront chacun mois sans faillir l’estat du receveur general au tout et au juste, et ceux qui seront ordonné à aler par devers le roy, lui en porteront tous les mois un abrégié; lequel il retendera et fera garder par qui lui plaira. (Ibid. art. 12.) Les generaux auront déliberacion, les restraindront et modereront au mieux qu’ils pourront au proufit du roy.» (Ibid art. 15.)
«Sera par tout le royaume de France, l’imposition de 12 deniers par livre, et sera baillée par tous les dioceses, par les esleus commis à ce, à part. (Ordon. du mois d’avril 1374, art. 1.) Le treizieme du vin qui y sera vendu en gros, sera levé et baillé à part. (Ibid. art. 2.) Le quart denier du vin qui sera vendu à taverne, sera levé et baillé par les diz esleus à une autre part. (Ibid. art. 3.) Seront levés les fouaiges; c’est assavoir, es villes fermées, six francs par feu; et au plat pays deux francs pour feu; le fort portant le foible. (Ibid. art. 4.)
«Voulons et ordonnons que toutes les receptes de nostre royaume, viennent et soient reçues en nostre trésor à Paris; et que aucuns fors les tresoriers que nous y ordenerons, n’y ait aucune connoissance. (Ord. du dernier février 1378. art 1.) Nous aurons un signet pour mettre es lettres sans lequel nul denier de nostre dit domaine ne sera payé. (Ibid. art. 4.) Assignacions d’arrérages, dons, transports, aliennacions, changemens de terre, ventes et composicions des rentes à temps et à vie, à héritage ou à volenté, seront signées dudit signet, et ainsi auront leur effet, autrement non.» (Ibid. art. 5.)
[230] «Comme à la convocation et assemblée général que nous avons fait faire et tenir à Paris, des gens d’église, nobles, bourgeois et habitans des bonnes villes de notre royaume de la Languedoyl, pour avoir avis sur la défense et provision d’icellui; ilz se fussent complains des aides, subsides, &c.... Nous voulons nos dictes gens et subgiés en leurs dictes immunités, nobleces, franchises, libertés, priviléges, constitucions, usaiges et coustumes anciennes, remettre, ressaisir, restituer, maintenir et garder, et les relever en tout nostre povoir de tous griefs, charges et oppressions quelconques, par le conseil, avis, deliberacion de nos tres chiers et ames oncles et autres prouchains de nostre sanc, et de nostre conseil, voulons, ordonnons et octroyons de nostre plaine puissance, certaine science et autorité royal, que les aides, subsides, imposicions et subvencions quelconques, de quelque nom ou condicion qui soient, ou par quelque manière ils aient esté imposés sur nos dictes gens et peuple, qui aient eu cour en nostre dit royaume du temps de nostre dit seigneur et père et autres nos prédécesseurs, depuis le temps du roi Philippe-le-Bel, nostre prédécesseur, soient cassées, ostées et abolies, et quelles ostons, cassons et abolissons et mettons au néant par la teneur de ces presentes.»
Après avoir lu le préambule de cette ordonnance, on ne m’accusera pas, je crois, d’avoir reproché à Charles V des injustices, des rapines et des vexations qu’il n’a pas commises. Une nation qui a pu lui donner le surnom de sage, est elle-même bien insensée!
Une académie qui propose son éloge aux insipides boursoufflés orateurs qu’elle couronne, est bien ignorante ou bien dévouée à la servitude. On voit, par la teneur de cette ordonnance, que les lettres du 16 novembre 1380, que j’ai rapportées dans la note précédente, n’avoient pas été mises à exécution. Si en effet les impositions extorquées et levées contre toutes les règles, avoient été abolies, le conseil n’auroit pas fait cette ordonnance, ou du moins n’auroit pas manqué de faire valoir la fidélité avec laquelle il auroit rempli ses engagemens. Il n’est que trop vrai que le gouvernement n’avoit aucun égard aux ordonnances mêmes les plus solennelles. Il ne les regardoit que comme un piége tendu à la crédule simplicité du peuple. On donnoit des lettres-patentes pour calmer l’inquiétude des esprits; on promettoit de corriger les abus; et quand la tranquillité étoit rétablie, bien loin de penser à remplir ses promesses, on ne méditoit que de nouvelles fraudes. Je reprends la suite de l’ordonnance.
«Et voulons et decernons que, par les cours que ycelles imposicions, subcides et subvencions ont eu en nostre dit royaume nous, nos prédecesseurs, successeurs, ou aucuns de nous ne en puissions avoir acquis aucun droit, ne aucun préjudice estre engendrés à nos dictes gens et peuple, ne à leurs immunités, nobleces, franchises, libertés, priviléges, constitucions, usaiges et coustumes dessus dictes, ne à aucune d’icelles en quelque manière que ce soit; et oultre voulons et décernons de nostre dicte plaine puissance, certaine science et auctorité royal que toutes les immunités, droits, franchises, libertés, priviléges, constitucions, usaiges et coustumes anciennes et toutes les ordonnances royaux dont et desquelles jouissoient et usoient les dictes gens d’église, nobles, bonnes villes et le peuple de nostre dit royaume en la Languedoyl, ou aucun des eslus dessus diz, ou temps du roi Philippe-le-Bel, depuis jusques à ores, leur soient restitués et restablis; et nous par ces meismes presentes leur restituons et restablissons et de certaine science voulons et decernons qu’ilz demeurent en l’estat et fermeté qu’ils estoient lors, sans estre enfrains ou dommaigiés en aucune manière, et yceulz leur avons confirmés et confirmons par la teneur de ces presentes, nonobstant faiz, usaiges ou ordonnances fait ou faictes depuis le temps du d. feu roy Philippe-le-Bel à ce contraires; et en oultre voulons et decernons que si à l’encontre de ce aucune chose a esté faicte depuis ycellui temps jusques à ores, nous ne nos successeurs ne nous en puissions aider aucunement, mais les mettons du tout au néant par ces mesmes presentes.» (Ordon. de janvier 1380.) Cette ordonnance est postérieure aux lettres-patentes rapportées dans la remarque précédente, et qui sont en date du 16 novembre 1380. Car il faut toujours se rappeler que l’année commençoit à Pâques.
Si on a lu mes remarques avec quelque attention, on a dû y trouver une preuve bien suivie des libertés de la nation, au sujet des subsides, aides, impositions, &c. depuis que les rois, ne se contentant plus de leurs revenus ordinaires, ont demandé des secours extraordinaires à leurs sujets. J’ai rapporté fidellement quelques lettres-patentes ou quelque déclaration de chaque prince, par lesquelles il reconnoît que les subventions qu’on lui accorde sont de purs dons gratuits, et qu’il n’en inférera aucun droit ni aucune prétention sur ses sujets. Cette suite d’autorités fait connoître quel étoit le droit public de nos pères; ces titres subsistent, et on peut toujours demander aux rois en vertu de quel pouvoir ils ont dépouillé la nation d’une immunité qu’elle n’a jamais voulu abandonner. Quand nous croupirions encore dans l’ignorance du quatorzième siècle; quand nous croirions encore stupidement qu’une première injustice donne le droit d’en commettre une seconde, il faudroit convenir que les rapines, les fraudes et les violences du roi Jean et de Charles-le-Sage n’ont point laissé à leurs successeurs le droit de les imiter; puisqu’on vient de voir que ces rapines, ces fraudes et ces violences ont été condamnées, et qu’un nouveau traité entre la nation et le prince a rétabli l’ancien droit. Quel contraste les pièces que j’ai rapportées, vont former avec la conduite que tint Charles VI après son retour de Flandre!
[231] «Les esleus qui seront ordonnés sur ledit fait (des aides) auront la connoissance sur lesdits fermiers, et feront droit aux parties et de plain, sans figure de jugement; et en cas d’appel, parties seront renvoyées devant ceux qui auront la connoissance dudit fait, lesquels y seront ordonnés de par le roi nostre sire.» (Ordon. du 21 janvier 1382, art. 16.) «Si aucuns appelle desdits esleus, l’appellation viendra par-devant les généraux conseilleurs à Paris sur le fait desdites aides, pareillement qu’autrefois a été fait, et qui ne relèvera son appel dedans un mois, il sera decheu d’icelluy appel, et l’amendera de vingt livres parisis; mais ils pourront renoncer sans amende dedans huit jours; et s’ils poursuivent, et il est dit bien jugé et mal appelé, par les généraux conseilleurs dessus dit, l’amende ou quoi encourra l’appellant, sera de soixante livres parisis.» (Ibid. art. 21.)
Les généraux des aides et les élus avoient d’abord été, comme on l’a vu, des officiers nommés par les états mêmes pour exécuter leurs ordres, faire observer les ordonnances, et veiller aux intérêts de la nation dans le temps qu’elle n’étoit pas assemblée. A son retour d’Angleterre, le roi Jean les nomma, ainsi que le prouve le premier article de l’ordonnance du 5 décembre 1360, que j’ai rapporté dans la remarque 221 du livre précédent, chapitre 5. «Que dores en avant, dit le même prince dans son ordonnance du 5 décembre 1363, toutes les exécutions qui seront à faire, tant pour le fait de notre délivrance (c’est-à-dire des aides et subsides qu’il avoit établis pour payer sa rançon) comme autres quelconques soient faits par nos sergens royaux ou autres ordinaires du pays, et non par autres personnes: et nous mandons aux commissaires sur ledit fait et à tous autres à qui il appartiendra, que se ils ont ordonné aucuns deputés sur ce autres que les diz sergens, ils les rappellent du tout, et nous, des maintenant les ostons des diz offices et les rappellons.» (Art. 9.)
Charles V nomma aussi les élus, mais comme plus habile ou plus adroit que les autres princes, il feignit quelques fois de permettre que ces officiers de finance fussent choisis dans le bailliage même dans lequel ils devoient exercer leurs fonctions. «Tous les eleuz, receveurs, grenetiers, controlleurs et autres officiers seront visités, et leurs euvres et gouvernement sceuz: et ceulz qui ne seront trouvés pour le fait suffisans en discretion, loyauté et diligence, ou ne exerceront leurs offices en personne, en seront mis hors, et y pourvoirons d’autres bons et convenables, que nous fairons eslire ou pays, ou seront ailleurs si le cas si offre.» (Ordon. du 21 novembre 1379, sur le fait des aides et gabelles, art. 1.)
[232] On trouve dans les ordonnances du Louvre, tom. 7, pag. 28, des lettres-patentes en date du 24 octobre 1383, qui portent que l’aide établie sera payée par toutes sortes de personnes, et notamment par ceux des habitans de Languedoc qui s’en prétendent exempts. Cette pièce est curieuse. La comtesse de Valentinois, le sire de Tournoy et plusieurs autres barons prétendoient exempter leurs terres en vertu des traités qu’ils avoient fait avec le roi ou des lettres-patentes qu’ils en avoient obtenues. Charles VI leur répond. «Nous considerons que les diz aides n’ont pas tant seulement esté octroyée pour la garde et deffense de ceulz qui ne sont taillables, mais aussi qui sont taillables, et de tous autres de quelconques estat ou condition qu’ils soient, demorans et habitans en nostre royaume; considerons aussi que les dittes aides ne sont pas par maniere de fouage, mais par maniere de imposition et gabelle; à quoi toute maniere de gens qui achetent ou vendent sont tenus, sans ce que ceulz de notre sanc et lignage ou autres en soient exceptés; et ainsi que du temps qu’ils se dient avoir les diz privileges, n’estoient mu les guerres ainsy comme elles sont, et que d’une chose feroit que ceux qui sont frans (c’es-à-dire sont sujets à payer la taille à leurs seigneurs) feussent de pire conditions que les autres.» Le roi défend, par ces mêmes lettres-patentes, à son parlement de connoître des appellations faites au sujet des aides par ceux qui se croient exempts en vertu de quelque titre.
«Combien de grandes finances fussent exigées, tant de taille que gabelles quatrieme et impositions, toutes fois elles estoient mal distribuées et les appliquoient les seigneurs, et ceux qui en avoient le gouvernement à leurs plaisirs et profits, tellement qu’à grande difficulté le roy et la reyne en avoient-ils, ou pouvoient avoir pour leur dépense ordinaire, et aussi leurs enfans pour leurs necessitez. (Hist. de Charles VI, par Jean Juvenal des Ursins, arch. de Rheims, p. 181.) En ce temps (1406) c’étoit grande pitié de voir le gouvernement du royaume: les ducs prenoient tout, et le distribuoient à leurs serviteurs, ainsi que bon leur sembloit; et le roi et monseigneur le Dauphin n’avoient de quoy ils pussent soutenir leur moyen état.» (Ibid. p. 186.)
«A laquelle taille (celle qui fut levée au sujet de mariage de la fille de Charles VI avec le roi d’Angleterre), nous voulons et ordonnons que toutes les personnes de quelque estat qu’ils soient, contribuent, soient nos diz officiers et de nos diz oncles et frere et des autres de nostre sang ou autres, excepté nobles estrais de noble lignée, non marchands ne tenans fermes et marchiés, mais frequentans les armes ou qui les ont frequentées au temps passé, et de present sont en tel estat par bleceures, maladies ou grant aage, que plus ne le pevent frequenter, et aussi exceptés gens d’église et poures mendians.» (Ord. du 28 mars 1395, art. 14.)
(Ordon. du Louvre, tom. 7, p. 524.) Voyez l’instruction du 4 janvier 1395, sur le fait des aides. Il y est dit que les nobles issus de noble race vivant noblement, qui portent les armes, ou qui ne seront plus en état de les porter, seront exempts des aides pour les fruits de leurs terres qu’ils vendront en gros à Paris; mais qu’ils payeront le quart pour les fruits qu’ils vendront en détail. Si les nobles afferment leurs terres sous la condition qu’ils recueilleront une partie des fruits, et que l’autre partie appartiendra au fermier, ils ne payeront point l’aide pour la portion qui leur reviendra, et le fermier la payera pour celle qui lui appartiendra. «S’aucuns abbés ou prieurs conventuels s’en veulent exempter (de l’aide) que leurs temporels soient prins et mis en la main du roy ou leurs biens saisis.»
[233] Jusqu’à cette époque, les ecclésiastiques n’avoient contribué que de concert avec les autres ordres assemblés pour représenter la nation, ou en conséquence de quelque bulle par laquelle le pape accordoit au roi une ou plusieurs décimes. «Lesquels prelatz et clergié communaument et comme représentans l’église de nostre dit royaume, comme dit est, par grant et meure deliberacion pour les causes dessus dictes, le nous aient ainsi consenti et accordé (les aides) pourveu que ce feust sans préjudice des libertés et franchises des églises et des personnes ecclésiastiques, et que ce ne feust trait à conséquence ou temps à venir, et aussi que les exécucions qui se feroient pour le payement d’iceulx aides, sur les personnes d’église, cessant toute contrainte de justice laie, et ne feussent tenus de payer à nostre prouffit autres aides les ditz trois ans durans. Nous, considérées les choses dessus dictes, et que les provisions sur ce requises par les dictes gens d’église sont raisonnables, avons accepté et acceptons l’octroy et consentement dessus diz des diz prelaz et clergié par forme et maniere qu’ils le nous ont consenti et accordé, et leur avons octroié et octroions par ces présentes, que ce soit senz préjudice de leurs libertés et franchises, et aussi de nous et de nos droitz.» (Let. pat. du 2 août 1398.) Le clergé étoit bien aveugle, s’il croyoit que ces lettres-patentes lui conservoient ses immunités, et que ses assemblées particulières seroient une barrière plus forte que les états-généraux contre les entreprises du gouvernement le plus indigent et le plus avide. Ces dernières paroles, et aussi de nous et de nos droits, devoient l’effrayer, et lui faire prévoir quelles seroient les prétentions des ministres.
Pour ne laisser aucun doute sur l’origine de nos assemblées particulières du clergé, j’ajouterai ici d’autres lettres-patentes en date du même jour que les précédentes, et adressées aux élus sur le fait des aides. «Sçavoir vous faisons que...... de l’accort et consentement des prelaz et autres gens d’église de nostre dit royaume, qui pour certaines causes ont n’agaires esté assemblées à Paris par devers nous, avons ordonné et voulons que iceulx aides soient mis sus et aient cours par-tout nostre dit royaume pour l’année avenir... et que à iceulx aides contribuent toutes personnes quelconques, tant gens d’église comme autres, de quelque estat et condicion qu’ils soient, actendu que à ce sont consenti les diz prelaz et autres gens d’église».
En imposant arbitrairement la noblesse et le tiers-état, le gouvernement n’avoit eu quelque condescendance pour le clergé, que parce qu’il redoutoit son pouvoir sur l’esprit du peuple, et sur-tout ses interdits et ses excommunications. Si les évêques avoient été assez bons patriotes ou assez éclairés pour se servir de leur autorité, ils auroient pu rendre à la nation sa liberté, ses franchises et ses états-généraux. Un peu de fanatisme, quoi qu’en puissent dire nos petits philosophes d’aujourd’hui, nous auroit été d’une grande ressource. Le clergé ne s’est pas bien trouvé de sa lâche politique, puisqu’à l’exception de la capitation et des vingtièmes ou dixièmes, il est soumis à toutes les mêmes charges que les autres citoyens, et qu’il ne conserve cette exception qu’en l’achetant par des dons gratuits souvent répétés. Voyez les remontrances qu’il fit, il y a quelques années, lorsque, sous le ministère de Machault, contrôleur-général, on voulut l’assujettir à payer le vingtième qui subsista après la paix d’Aix-la-Chapelle. On attaqua alors, dans plusieurs écrits, les immunités du clergé. Il censura les lettres Ne repugnante, &c. Voyez encore cette censure, et vous jugerez que les évêques conservent toujours les mêmes maximes, ne songent qu’à eux, et sont toujours prêts à sacrifier la nation entière à leurs intérêts particuliers; mais si le clergé conserve son même esprit, le gouvernement, de son côté, conserve son même caractère, et Machault aura un successeur plus heureux que lui.
CHAPITRE III.
[234] «Nos considerantes attentè gratiam et liberalitatem dicti domini et fratris nostri regis, et amorem specialem quem ad nos in hoc et in aliis genere precipimus et habemus, insuper quod naturaliter ad ipsum et ejus regnum, à quibus honores nostros suscepimus, multipliciter afficimur, impositiones et cetera subsidia quacumque valeant nomine nuncupari, quæ in regno Franciæ nunc levantur, et quæ ibidem in futurum per dictum dominum et fratrem nostrum regem, vel successores suos pro liberatione dicti domini genitoris nostri, pro facto guerrarum et aliis dicti regni et reipublicæ necessitatibus levabuntur, consentimus ex nunc pro vobis et vestris heredibus et successoribus, universas quatenùs nos et successores nostros tangit et tangere poterit, colligi et levari in toto ducatu prædicto, dùm tamen in his imponendis nos et successores nostri evocemur, si alios pares Franciæ contigerit evocari.» (Lettres-patentes de Philippe, duc de Bourgogne, du 2 juin 1364.)
FIN DU TOME SECOND.
TABLE
Des Chapitres contenus dans le second Tome.
SUITE DU LIVRE TROISIÈME.
| Chap. III. Devoirs respectifs des suzerains et des vassaux. De la jurisprudence établie dans les justices féodales. Son insuffisance à maintenir une règle fixe et uniforme. | page 1 |
| Chap. IV. Des fiefs possédés par les ecclésiastiques. De la puissance que le clergé acquit dans le royaume. | 18 |
| Chap. V. Des causes qui concouroient à la décadence et à la conservation du gouvernement féodal. Qu’il étoit vraisemblable que le clergé s’empareroit de toute la puissance publique. | 29 |
| Chap. VI. Ruine d’un des appuis du gouvernement féodal, l’égalité des forces. Des causes qui contribuèrent à augmenter considérablement la puissance de Philippe-Auguste. | 46 |
| Chap. VII. De l’établissement et du progrès des communes. Ruine d’un troisième appui de la police féodale; les justices des seigneurs perdent leur souveraineté. | 58 |
LIVRE QUATRIÈME.
| Chap. I. Des changemens survenus dans les droits et les devoirs respectifs des suzerains et des vassaux. Progrès de la prérogative royale jusqu’au règne de Philippe-le-Hardi. | 77 |
| Chap. II. De la puissance législative attribuée au roi. Naissance de cette doctrine, des causes qui contribuèrent à ses progrès. | 90 |
| Chap. III. Examen de la politique de Philippe-le-Bel. Par quels moyens il rend inutile le droit de guerre des seigneurs, le seul des quatre appuis du gouvernement féodal qui subsistât, et qui les rendoit indociles. Origine des états-généraux. Ils contribuèrent à rendre le prince plus puissant. | 103 |
| Chap. IV. Règnes des trois fils de Philippe-le-Bel. Ruine du gouvernement féodal. Union des grands fiefs à la couronne. | 125 |
| Chap. V. Décadence de l’autorité que le pape et les évêques avoient acquise sous les derniers Carlovingiens et les premiers rois de la troisième race. | 136 |
| Chap. VI. Par quelles causes le gouvernement a subsisté en Allemagne, pendant qu’il a été détruit en France. | 158 |
LIVRE CINQUIÈME.
| Chap. I. Situation de la France à l’avénement de Philippe de Valois au trône. État dans lequel ce prince laissa le royaume à sa mort. | 174 |
| Chap. II. Règne du roi Jean. Des états tenus en 1355. Ils essaient de donner une nouvelle forme au gouvernement. Examen de leur conduite; pourquoi ils échouent dans leur entreprise. | 193 |
| Chap. III. Suite du règne du roi Jean. Des états convoqués par le dauphin, après la bataille de Poitiers en 1356. Examen de leur conduite. | 228 |
| Chap. IV. Des causes par lesquelles le gouvernement a pris en Angleterre une forme différente qu’en France. | 244 |
| Chap. V. Suite du règne du roi Jean. Désordres qui suivent les états de 1356. Conduite du dauphin pour reprendre l’autorité qu’il avoit perdue. Situation du royaume à la mort du roi Jean. | 286 |
LIVRE SIXIÈME.
| Chap. I. Règne de Charles V. Examen de sa conduite. Situation incertaine du gouvernement à la mort de ce prince. | 301 |
| Chap. II. Règne de Charles VI. La nation recouvre ses franchises au sujet des impositions. Examen des états de 1382. Etablissement des impôts arbitraires. | 316 |
| Chap. III. Suite du règne de Charles VI. Les Français perdent le souvenir de leurs anciennes coutumes, et le caractère que le gouvernement des fiefs leur avoit donné. | 338 |
REMARQUES ET PREUVES.
SUITE DU LIVRE TROISIÈME.
| Chapitre III. | 353 |
| Chapitre IV. | 364 |
| Chapitre V. | 372 |
| Chapitre VI. | 377 |
| Chapitre VII. | 387 |
LIVRE QUATRIÈME.
| Chapitre I. | 411 |
| Chapitre II. | 428 |
| Chapitre III. | 443 |
| Chapitre IV. | 462 |
| Chapitre V. | 471 |
| Chapitre VI. | 482 |
LIVRE CINQUIÈME.
| Chapitre I. | 486 |
| Chapitre II. | 516 |
| Chapitre III. | 531 |
| Chapitre IV. | 535 |
| Chapitre V. | 558 |
LIVRE SIXIÈME.
| Chapitre I. | 570 |
| Chapitre II. | 575 |
| Chapitre III. | 595 |
Fin de la Table.
Au lecteur.
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