Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 1 (of 2)
Les serviteurs entendirent tout, mais ils n'osèrent rien dire.
Le matin, le roi vint trouver la sorcière et lui demanda comment elle allait. «Pas trop bien, et si je ne mange de la biche blanche au bois, je mourrai.»
Le roi poursuivit encore la biche, mais elle se cachait dans les taillis, dans les broussailles, et il ne put l'atteindre.
La nuit, la reine revint encore:
Les serviteurs avaient encore entendu les paroles de la reine, et cette fois ils les rapportèrent au roi.
Le matin, le roi vint demander à la sorcière comment elle allait. «Pas trop bien, et si je ne mange de la biche blanche au bois, je mourrai.»
Le roi poursuivit la biche, mais il ne la pressa pas tant que les autres jours. La biche se cachait dans les taillis, dans les broussailles, et elle échappa au roi.
La nuit, la reine revint; le roi s'était caché dans un coin de la chambre.
«Non, ma bien-aimée,» s'écria le roi, «vous ne le serez pas plus longtemps.» Au même instant le charme fut rompu. Le roi fit mourir la méchante sorcière et vécut heureux avec sa femme.
REMARQUES
Ce petit conte doit être rapproché de plusieurs contes étrangers dans lesquels il ne forme qu'un épisode du récit. Celui qui lui ressemble le plus, à notre connaissance, est un conte suédois (Cavallius, p. 142): dans ce conte, la mère de la fausse reine demande au roi, pour guérir sa fille, le sang de la petite cane, qui n'est autre que la vraie reine, comme la sorcière demande à manger de la biche blanche[241]. Là aussi, la reine revient trois nuits; chaque fois elle demande au petit chien ce que fait la sorcière, etc.
Dans un conte russe (Ralston, p. 184), la reine, changée en oie sauvage par sa marâtre, qui lui a substitué une sienne fille, revient également trois nuits de suite, sous sa véritable forme, pour allaiter son enfant. La troisième fois, il faudra qu'elle s'envole pour toujours «par delà les sombres forêts, par delà les hautes montagnes.»—Comparer les contes allemands nos 11 et 13 de la collection Grimm.
Dans un conte catalan (Rondallayre, III, p. 149), une reine a été changée en colombe blanche par une gitana, qui a pris sa place auprès du roi; elle vient plusieurs fois sous cette forme demander au jardinier du château comment se trouve le roi avec sa «reine noire» et ce que fait son enfant à elle.—Comparer le conte portugais no 36 de la collection Braga et un conte espagnol, recueilli au Chili et publié dans la Biblioteca de las tradiciones populares españolas (I, p. 109).
Un conte grec moderne (J.-A. Buchon, La Grèce continentale et la Morée, p. 263, reproduit dans la collection E. Legrand, p. 140) présente ainsi le même épisode: Les deux sœurs aînées de la reine, jalouses de celle-ci, s'introduisent dans sa chambre le jour où elle met au monde un fils, et enfoncent une épingle magique dans la tête de l'accouchée. Aussitôt la jeune reine est changée en un petit oiseau qui s'envole, et une de ses sœurs se met dans le lit à sa place. Le roi, qui avait coutume de déjeuner au jardin, voit un jour un joli petit oiseau qui lui dit: «Prince, la reine-mère, le roi et le petit prince ont-ils bien dormi la nuit passée?—Oui,» dit le roi.—«Que tous dorment du sommeil le plus doux; mais que la jeune reine dorme d'un sommeil sans réveil, et que tous les arbres que je traverse se sèchent.» La verdure et les fleurs se flétrissent en effet. Les jardiniers demandent au roi la permission de tuer l'oiseau, mais le roi le leur défend. Plusieurs jours de suite, le petit oiseau revient; il se pose sur les genoux du roi et mange avec lui. Un jour le roi, l'examinant, voit sur sa tête une épingle. Il la retire, et sa vraie femme reparaît à ses yeux.—Dans un conte breton (Luzel, Légendes, II, p. 303), la vraie reine est aussi changée en oiseau, par la vertu magique d'une épingle, que sa marâtre lui a enfoncée dans la tempe. Elle vient, trois nuits de suite, se plaindre auprès de son enfant nouveau-né: si personne ne la délivre en retirant l'épingle, elle restera pour toujours oiseau bleu dans le bois. Le roi, prévenu après la seconde nuit par son valet de chambre, retire l'épingle magique[242].
Mentionnons enfin le conte allemand no 135 de la collection Grimm, et un conte lithuanien (Chodzko, p. 315). Dans ces deux contes, une marâtre, qui conduit sa belle-fille à un roi que celle-ci doit épouser, la jette dans l'eau en la transformant en cane, et lui substitue sa propre fille. Trois nuits de suite, la cane vient au palais du roi et (dans le conte allemand) demande ce que devient son frère et ce que fait le roi, ou (dans le conte lithuanien) va pleurer sur le cercueil de son frère.—Comparer un conte islandais (Arnason, p. 235) et deux contes siciliens (Gonzenbach, nos 13 et 33).
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La collection de miss M. Stokes nous fournit un conte indien à rapprocher de ces récits. Dans ce conte (no 2), probablement recueilli à Bénarès, une reine, qui est morte, prie Khuda (Dieu) de lui permettre d'aller visiter son mari et ses enfants. Khuda lui permet d'y aller, mais non sous forme humaine; il la change en un bel oiseau et lui met une épingle dans la tête en disant que, quand l'épingle serait enlevée, elle redeviendrait femme. L'oiseau va se percher la nuit sur un arbre près de la porte du palais du roi et demande au portier comment va le roi, puis comment vont les enfants, les serviteurs, etc. Et il ajoute: «Quel grand imbécile est votre roi!» Alors il se met à pleurer, et des perles tombent de ses yeux; ensuite il se met à rire, et des rubis tombent de son bec. Le roi qui, la nuit suivante, l'entend tenir le même langage, le fait prendre dans un filet et mettre dans une cage. En le caressant, il sent l'épingle, la retire, et sa femme se trouve là vivante devant lui.
La réflexion faite par l'oiseau montre bien qu'il y a une altération dans ce conte indien. Dans la forme primitive, ce n'était évidemment pas Khuda qui transformait la reine en oiseau; c'était une femme qui, pour se substituer à elle auprès du roi, enfonçait dans la tête de la reine une épingle magique et la changeait en oiseau. Voilà l'explication des paroles de l'oiseau. Il veut dire que le roi est bien aveugle de ne pas voir que la fausse reine n'est pas sa femme. De plus, si l'oiseau pleure des perles, et si des rubis tombent de son bec, quand il rit, c'est que, comme dans des contes européens du même genre (par exemple, dans le conte lithuanien et dans le conte suédois cités plus haut), la reine avait ce don quand le roi l'a épousée.
Un trait d'un livre siamois (Asiatic Researches, t. XX, 1836, p. 345) n'est pas sans quelque analogie avec le passage de notre conte où la sorcière demande, pour se guérir, à manger de la biche blanche: Une yak (sorte d'ogresse ou de mauvais génie) a pris la forme d'une belle femme et est devenue l'épouse favorite d'un roi. Voulant se débarrasser des autres femmes du roi, douze princesses sœurs, elle feint d'être malade et dit qu'elle ne pourra guérir que si on lui donne les yeux de douze personnes nées de la même mère. Il n'y a que les douze princesses qui se trouvent dans ce cas, et le roi leur fait arracher les yeux.—Nous ferons remarquer à ce propos que, dans un des contes islandais mentionnés plus haut (Arnason, p. 443), une troll[243] prend aussi la forme d'une belle femme et se substitue auprès du roi à la vraie reine qu'elle a fait disparaître.
XXII
JEANNE & BRIMBORIAU
Un jour, un mendiant passait dans un village en demandant son pain; il frappa à la porte d'une maison où demeurait un homme appelé Brimboriau avec Jeanne sa femme. Jeanne, qui se trouvait seule à la maison, vint lui ouvrir: «Que demandez-vous?—Un morceau de pain, s'il vous plaît.—Et où allez-vous?—Je m'en vais au Paradis.—Oh! bien,» dit la femme, «ne pourriez-vous pas porter une miche de pain et des provisions à ma sœur qui est depuis si longtemps en Paradis? Elle doit manquer de tout. Si je pouvais aussi lui envoyer des habits, je serais bien contente.—Je vous rendrais ce service de tout mon cœur,» répondit le mendiant, «mais jamais je ne pourrai me charger de tant de choses. Il me faudrait au moins un cheval.—Qu'à cela ne tienne!» dit la femme, «prenez notre Finette; vous nous la ramènerez ensuite. Combien vous faut-il de temps pour faire le voyage?—Je serai revenu dans trois jours.»
Le mendiant prit la jument et partit, chargé d'habits et de provisions. Bientôt après, le mari rentra. «Où donc est notre Finette?» dit-il.—«Ne t'inquiète pas,» dit la femme; «tout à l'heure il est venu un brave homme qui s'en va au Paradis. Je lui ai prêté Finette pour qu'il porte à ma sœur des habits et des provisions; elle doit en avoir grand besoin. Je lui en ai envoyé pour longtemps. Ce brave homme reviendra dans trois jours.»
Brimboriau ne fut guère content; pourtant il attendit trois jours, et, au bout de ce temps, ne voyant pas revenir la jument, il dit à sa femme de se mettre à sa recherche avec lui. Les voilà donc tous les deux à battre la campagne. En passant près d'un endroit où l'on avait enterré un cheval, Jeanne vit un des pieds qui sortait de terre. «Viens vite,» cria-t-elle à son mari; «Finette commence à sortir du Paradis.» Brimboriau accourut, et, quand il vit ce que c'était, il fut fort en colère.
Sur ces entrefaites, survinrent des voleurs qui emmenèrent Brimboriau et sa femme. Les pauvres gens trouvèrent moyen de s'échapper, et emportèrent en se sauvant une porte que les voleurs avaient enlevée d'une maison. Comme il se faisait tard, ils montèrent tous les deux sur un arbre pour y passer la nuit, Brimboriau tenant toujours sa porte. Bientôt après, le hasard voulut que les voleurs vinssent justement sous cet arbre pour compter leur argent. Pendant qu'ils étaient assis tranquillement, Brimboriau laissa tomber la porte sur eux. Les voleurs effrayés se mirent à crier: «C'est le bon Dieu qui nous punit!» Et ils s'enfuirent en abandonnant l'argent. Brimboriau s'empressa de le ramasser, et dit à sa femme: «Ne nous fatiguons plus à chercher Finette; nous avons maintenant de quoi la remplacer.»
REMARQUES
Nous avons entendu raconter à Montiers-sur-Saulx ce conte de plusieurs manières.
Dans une de ces variantes, le mari, en rentrant à la maison, est si fâché en apprenant ce que sa femme a fait du cheval, qu'il décroche la porte pour la lui jeter sur le dos. Jeanne s'enfuit, Jean court après elle, tenant toujours sa porte. Survient une troupe de voleurs; Jean et Jeanne grimpent sur un arbre avec la porte pour n'être pas aperçus. Les voleurs viennent s'asseoir au pied de l'arbre, etc.
Dans une autre version, en partant à la recherche du cheval, l'homme, aussi simple que sa femme, prend la clef de la maison et dit à sa femme de prendre la porte sur son dos, «de peur que les voleurs n'entrent»[244].—Une troisième variante met en scène un petit garçon emportant la porte de la maison, «pour qu'elle soit bien gardée.»
Dans une quatrième variante, apparaît un nouvel élément: Un jour, un homme dit à sa femme de faire une soupe maigre. «Pourquoi maigre,» dit la femme, «puisque nous avons du lard?—Le lard,» répond le mari, «c'est pour dor'navant (dorénavant, plus tard).» Un pauvre, qui passait, a entendu la conversation. Quand l'homme est à la charrue, il frappe et dit qu'il est «Dor'navant.» La femme s'empresse de lui donner sa plus belle bande de lard et lui tire du vin. Le pauvre lui ayant fait croire qu'il revient du Paradis, elle lui parle d'une sienne fille, qui est morte. «Je la connais,» dit le pauvre; «elle sera bien aise d'avoir ses habits.» La femme les lui donne, ainsi qu'une jument pour porter tout ce bagage. A son retour le mari est bien fâché, etc.
Les différents thèmes qui composent notre conte et ses variantes, figurent, soit séparés, soit réunis, dans divers autres contes français et étrangers.
Prenons d'abord le thème de l'homme qui prétend aller au Paradis ou en revenir. Nous le retrouvons dans un conte français du Vivarais (Mélusine, 1877, col. 135); dans un conte breton (ibid., col. 133); un conte basque (J. Vinson, p. 112); un conte allemand de la Souabe (Meier, no 20); un conte suisse (Sutermeister, no 23); un conte norwégien (Asbjœrnsen, I, no 10); un conte anglais (Baring-Gould, no 3); un autre conte anglais (Mélusine, 1877, col. 352); un conte valaque (Schott, no 43),—tous contes dans lesquels il se présente isolé;—dans des contes de diverses parties de l'Allemagne (Grimm, no 104; Meier, p. 303; Prœhle, I, no 50; Müllenhoff, p. 415); un conte du Tyrol allemand (Zingerle, I, no 14); un conte des Valaques de la Moravie (Wenzig, p. 41); un conte italien de Rome (miss Busk, p. 361); un conte irlandais (Kennedy, II, p. 13),—où il est combiné avec d'autres thèmes, souvent (dans les collections Meier, Prœhle, Zingerle, Wenzig) avec le thème de notre quatrième variante, que nous examinerons après celui-ci.—Dans un conte russe (Gubernatis, Zoological Mythology, I, p. 200), ce n'est pas du ciel, mais de l'enfer, qu'un soldat dit revenir, et il raconte à la bonne femme qu'il y a vu le fils de celle-ci, forcé de mener paître les cigognes et grandement à court d'argent.
Dans un bon nombre des contes de ce type, le mari ou le fils de la femme qui a été attrapée, monte à cheval quand il apprend la chose (ici le cheval n'a pas été donné par la femme), et poursuit le voleur, et celui-ci trouve encore moyen de lui escroquer son cheval.
Un conte français, inséré dans un livre publié à Paris en 1644 et intitulé: La Gibecière de Mome ou le Trésor du ridicule (dans Ch. Louandre: Chefs-d'œuvre des conteurs français contemporains de La Fontaine, Paris, 1874, p. 51), présente cette dernière forme: Un écolier mal garni d'argent arrive devant la maison d'un riche villageois, qui en ce moment est au bois. Sa femme demande à l'écolier qui il est et d'où il vient; à quoi il répond qu'il est un pauvre écolier venant de Paris. La femme, qui est simple, et qui a mal entendu, s'écrie: «Quoi! vous revenez du Paradis!» Et elle lui demande des nouvelles d'un premier mari qu'elle a eu. L'écolier lui dit que le pauvre homme n'a ni argent ni accoutrement, «et si aucuns gens de bien ne lui eussent aidé, il serait mort de faim.» La femme charge l'écolier de lui porter ses meilleurs habits avec quelques ducats. Le mari rentre, et, ayant appris l'histoire, il monte vite sur son meilleur cheval. L'écolier l'aperçoit de loin et jette sa malle dans une haie. «Avez-vous vu passer un homme portant une malle?» lui demande le mari.—«Oui, mais dès qu'il vous a vu, il est entré dans le bois.» Le mari prie l'écolier de lui tenir son cheval et s'enfonce dans le bois. Pendant ce temps, l'écolier décampe avec la malle et le cheval. Le villageois, au retour, ne trouve ni cheval ni homme. Quand il rentre au logis, sa femme lui demande s'il a rencontré le messager. «Oui, oui,» dit-il, «et lui ai d'abondant donné mon cheval, afin qu'il fasse plus tôt le voyage en Paradis.»
Le thème que nous examinons a été plusieurs fois traité dans la littérature allemande du XVIe siècle. M. Sutermeister, dans ses remarques sur le conte suisse mentionné plus haut, renvoie au livre du moine franciscain allemand Jean Pauli, Schimpf und Ernst, publié pour la première fois en 1519 (feuille 84 de l'édition de 1542), à une facétie de Hans Sachs, l'Écolier qui s'en allait en Paradis (3, 3, 18, éd. de Nuremberg), qui aurait été imitée de Pauli, et au Rollwagenbüchlein de Jœrg Wickram (1555, p. 179 de l'éd. de H. Kurz).
Dans l'Inde, ou plutôt dans l'île de Ceylan, il a été recueilli un conte presque entièrement semblable aux précédents (voir la revue the Orientalist, Kandy, Ceylan, 1884, p. 62): Un jour, un mendiant, relevant de maladie, se présente à la porte d'une maison où il ne se trouve que la femme. Celle-ci s'étant récriée sur sa mine pâle et défaite: «Ah!» dit le mendiant, «je reviens de l'autre monde!» La bonne femme prend la chose à la lettre. «Si vous revenez de l'autre monde,» dit-elle, «vous devez avoir vu notre fille Kaluhâmi, qui est morte il y a quelques jours. Comment va-t-elle?—Madame,» répond le mendiant, «elle est maintenant ma femme, et elle m'a envoyé chercher ses bijoux.» La bonne femme s'empresse de lui donner les bijoux de sa fille, en y ajoutant d'autres cadeaux. Après quoi, le mendiant prend congé. Il n'est pas encore bien loin, quand il voit le mari à cheval galoper à sa poursuite. Il monte sur un grand arbre. Le mari met pied à terre, attache son cheval et cherche à grimper sur l'arbre. Mais le mendiant est bien vite descendu; il saute sur le cheval et détale. Alors le mari, voyant qu'il ne peut l'atteindre, lui crie: «Mon gendre, dites à notre fille que les bijoux sont de sa mère, et que le cheval est de moi.»
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La quatrième variante lorraine que nous avons indiquée offre un nouveau thème, qui se présente sous diverses formes dans les contes suivants: un conte français du Quercy (Mélusine, 1877, col. 89); des contes allemands (Prœhle, loc. cit.;—Meier, loc. cit.;—Colshorn, no 36;—Strackerjan, II, p. 291); des contes du Tyrol allemand (Zingerle, loc. cit., et II, p. 185); un conte du Tyrol italien (Schneller, no 56); un conte italien du Bolonais (Coronedi-Berti, no 12); un conte du pays napolitain (Jahrbuch für romanische und englische Literatur, VIII, p. 268); un conte des Valaques de la Moravie (Wenzig, loc. cit.); un conte croate (Krauss, II, no 106); un conte anglais (Halliwell, p. 31). Ainsi, dans tel de ces contes (Zingerle, II, p. 185), un homme s'en va en voyage en recommandant à sa femme d'être bien économe et de garder quelque chose «pour l'avenir». Arrive un mendiant qui demande à la femme un peu de lard. «Non,» dit-elle, «je ne puis rien donner; mon mari est parti; il faut que je garde tout pour l'avenir.—Cela se trouve bien,» dit le mendiant, «donnez-moi le lard: c'est moi qui suis l'Avenir.» Et la femme lui donne tout le lard.—Dans tel autre (conte allemand de la collection Colshorn), un homme a mis de côté de l'argent, comme il dit en plaisantant, «pour Jean l'Hiver» (für Hans Winter). Pendant qu'il est parti, ses enfants demandent aux passants s'ils s'appellent Jean l'Hiver. Un compagnon cordonnier répond que oui, et ils lui donnent l'argent. Ailleurs, la sotte femme donne l'argent ou les provisions qui avaient été mis en réserve «pour le long hiver» (dans le conte allemand de la collection Prœhle), «pour le temps long» (dans le conte du Quercy), «pour le besoin» (dans le conte valaque), etc.—Dans le conte souabe de la collection Meier, un homme dit à sa femme qu'elle lui fait trop souvent manger du lard et des pommes séchées au four et qu'il faut garder cela «pour le long printemps». Un passant qui a entendu se donne pour «le long printemps».
Cette histoire se retrouve, elle aussi, dans la littérature du XVIe siècle. M. Imbriani, dans ses Conti pomiglianesi (p. 227), reproduit le passage suivant de Béroalde de Verville: Mauricette, la chambrière d'une veuve, est un peu simple, «follette». Voyant depuis longtemps un jambon dans la cheminée, elle demande à sa maîtresse si elle le mettra cuire. «Non,» dit la dame, «c'est pour les Pâques.» Mauricette parle de la chose à quelques-unes de ses amies, et le clerc d'un notaire en a vent. Un jour que la bonne femme est allée à sa métairie et qu'elle a laissé Mauricette toute seule, il vient heurter et demande madame. Mauricette dit qu'elle n'y est pas. «J'en suis bien marri,» dit l'autre, «pource que je suis Pâques, qui était venu quérir le jambon qu'elle m'a promis.» Il entre, et la chambrière le laisse prendre le jambon.
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Venons maintenant au troisième thème principal, l'aventure de la porte et des voleurs. Il ne se rencontre pas ordinairement réuni avec les deux précédents ou même avec l'un d'eux. Nous n'avons vu cette combinaison que dans le conte du Quercy et le conte bolonais mentionnés tout à l'heure.
Ce thème existe dans un conte bourguignon (E. Beauvois, p. 203); un conte de la Basse-Normandie (J. Fleury, p. 161); des contes allemands (Grimm, no 59; Kuhn et Schwartz, no 13); un conte autrichien (Vernaleken, no 39); des contes du Tyrol allemand (Zingerle, I, no 24; II, p. 50); un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, no 64; cf. no 62); un conte slave de Bosnie (Mijatowics, p. 259); un conte anglais (Halliwell, no 26); des contes italiens de Rome (Busk, p. 369 et 374); d'autres contes italiens (Jahrbuch für romanische und englische Literatur, VIII, p. 263); un conte catalan (Rondallayre, III, p. 47), et aussi, mais sous une forme mutilée, dans un conte sicilien (Gonzenbach, t. I, p. 251-252; Pitrè, III, no 190, p. 366), etc.
Dans nombre de ces contes, il est assez mal expliqué comment il se fait qu'on prenne la porte avec soi. Dans les uns (conte du Quercy, conte bolonais, conte autrichien), c'est parce que la femme ou le jeune homme n'a pas compris ce que lui disaient son mari ou ses frères. Ailleurs, c'est parce que la mère a dit aux enfants de bien faire attention à la porte (conte allemand de la collection Kuhn et Schwartz), ou parce que la femme se dit que celui qui est maître de la porte est maître de la maison (conte allemand de la collection Grimm), ou, comme dans notre troisième version lorraine, qu'ainsi la porte sera mieux gardée (conte bosniaque), etc.
Quelques contes présentent l'idée-mère de cet épisode sous une forme légèrement différente. Dans un conte grec moderne (Simrock, Appendice, no 2), un fou est mis en prison; il enlève les portes et les charge sur son dos. Il monte sur un arbre avec son fardeau, puis en dormant il le laisse tomber sur des marchands, qui s'enfuient, et il prend leurs marchandises. Comparer un conte grec d'Epire (Hahn, t. II, p. 239).—Dans un autre conte épirote (ibid., I, no 34), c'est une meule de moulin que le héros, fou également, laisse tomber aussi sur des marchands. Dans un conte valaque (Schott, no 23), où nous retrouvons les voleurs, c'est un moulin à bras. Dans un conte wende de la Lusace (Veckenstedt, p. 65), un pilon à millet.—Enfin, rappelons les contes cités dans les remarques de notre no 13, René et son Seigneur (contes français de l'Amiénois et de la Bourgogne, et conte toscan), où le héros laisse tomber du haut d'un arbre sur des voleurs une peau de vache.
Plusieurs des contes européens mentionnés ci-dessus en dernier lieu ont, dans l'épisode des voleurs, un trait qui se retrouve dans deux de nos variantes. Dans le conte allemand de la collection Grimm, la sotte femme a pris avec elle, outre la porte, une cruche de vinaigre et des pommes séchées au four (dans une variante, des raisins secs). Quand elle est sur l'arbre avec son mari, elle se trouve trop chargée; elle jette d'abord ses pommes sèches. «Tiens!» disent les voleurs qui sont au pied de l'arbre, «les oiseaux fientent!» Puis elle verse son vinaigre, et les voleurs croient que la rosée commence à tomber. Enfin elle lâche la porte.—Notre seconde variante, dont nous n'avons résumé ci-dessus qu'une partie, a un passage analogue, mais le présente d'une manière qui n'a pas grand sens.
Dans un des contes tyroliens indiqués plus haut (Zingerle, I, no 24), les trois frères qui sont sur l'arbre sont si effrayés à la vue des voleurs, que la sueur d'angoisse dégoutte de leur front, et les voleurs croient qu'il va pleuvoir[245].
Enfin, dans divers autres contes (conte du Quercy, conte normand, conte allemand de la collection Kuhn et Schwartz, conte du «pays saxon» de Transylvanie, conte grec moderne, conte bolonais, conte catalan, et aussi conte toscan no 21 de la collection Nerucci), ce n'est plus de la sueur qui tombe sur les voleurs, et le passage est grossier. Il se reproduit identiquement dans notre troisième variante.
En Orient, la collection kalmouke du Siddhi-Kür, originaire de l'Inde, nous fournit un récit analogue à l'épisode de la porte et des voleurs. Dans le conte no 6, un homme traversant un steppe trouve sous un palmier un cheval mort. Il en prend la tête comme provisions de bouche, l'attache à sa ceinture et grimpe sur le palmier pour y dormir en sûreté. Pendant la nuit, arrivent des démons qui se mettent à festoyer sous l'arbre. Tandis que l'homme les regarde, la tête de cheval se détache de sa ceinture et tombe au milieu des démons, qui s'enfuient sans demander leur reste. L'homme trouve sous l'arbre une coupe d'or qui procure à volonté à boire et à manger.
Dans un petit poème ou conte recueilli chez les Tartares de la Sibérie méridionale (Radloff, I, p. 311), un fou, qui est entré avec ses deux frères dans la maison d'un Jælbægæn (sorte d'ogre) à sept têtes, parvient, après diverses aventures, à tuer ce Jælbægæn. Il lui coupe une de ses sept têtes, une main et un pied, et emporte le tout avec lui. Poursuivis par un autre Jælbægæn, celui-ci à douze têtes, les trois frères grimpent sur un arbre. Le Jælbægæn vient précisément passer la nuit au pied de cet arbre. Tout à coup, le fou dit à ses frères qu'il ne peut tenir plus longtemps la tête dont il s'est chargé, et, malgré leurs remontrances, il la laisse tomber. Le Jælbægæn, fort étonné, s'imagine qu'il y a une bataille dans le ciel, puisqu'il pleut des têtes de Jælbægæn, et, quand ensuite le fou lâche successivement la main, puis le pied qu'il portait, le Jælbægæn se dit que décidément il y a la guerre là-haut, et il s'enfuit.
Nous avons cité, dans les remarques de notre no 10, René et son Seigneur (p. 115), un conte afghan qui, comme certains contes européens, réunit au thème principal de ce no 10 une introduction dans laquelle une peau de vache, tombant du haut d'un arbre sur des voleurs en train de compter leur argent, les met en fuite.
Dans l'Inde, on peut citer d'abord un épisode d'un conte recueilli chez les Sântâls (Indian Antiquary, 1875, p. 258) et dont nous avons déjà fait connaître un fragment dans les remarques de notre no 10 (p. 118): Gouya et son frère Kanran ont, par ruse, fait périr un tigre. Ils le dépècent; Kanran prend quelques-uns des morceaux les plus délicats, Gouya choisit les entrailles. Ils montent tous les deux sur un arbre pour y être en sûreté pendant la nuit. Or, il se trouve qu'un prince, passant par là, s'arrête avec sa suite sous l'arbre pour s'y reposer. Gouya, qui pendant tout le temps a eu dans les mains les entrailles du tigre, dit à son frère qu'il ne peut les tenir plus longtemps, et il les laisse tomber justement sur le prince endormi. Le prince se réveille en sursaut, et, voyant du sang sur lui, il s'imagine qu'il a dû lui arriver quelque accident; il s'enfuit comme un fou, et ses serviteurs, pris de panique, le suivent, abandonnant tout le bagage, qui est pillé par les deux frères.
Un autre conte indien, recueilli dans la région du nord, chez les Kamaoniens (Minaef, no 20), est encore à citer: Après diverses aventures, Latou, sorte d'imbécile, s'en va en voyage avec son frère Batou. Il emporte de grosses pierres, disant que dans le pays où ils vont il n'y aura peut-être pas de pierres pour faire un foyer. La nuit vient. Latou et son frère montent sur un arbre de peur d'être dévorés par les bêtes fauves, Latou tenant toujours ses grosses pierres. Arrive une noce qui s'établit juste sous l'arbre. Après avoir bien festoyé, tout le monde se couche en ce même endroit. Latou pris de douleurs d'entrailles, n'y tient plus, et, quoi que fasse son frère pour l'en empêcher, donne des signes de sa présence qui mettent la noce en émoi. Puis, n'en pouvant plus de fatigue, il veut remettre les pierres à son frère et les laisse tomber. Les gens de la noce, épouvantés, s'enfuient, laissant là la fiancée. Latou s'empare de la jeune fille et la donne à son frère, qui l'emmène chez lui.—Tout se retrouve dans ce conte indien, même le passage grossier que nous avons indiqué comme existant dans divers contes européens de ce type et dans une variante de Montiers-sur-Saulx. La fin seule diffère.
L'Inde nous fournit encore un trait qui figure dans une des variantes lorraines et dans d'autres contes de ce type. Dans la Kathâ-Sarit-Sâgara, la grande collection sanscrite publiée au XIIe siècle de notre ère par Somadeva, un marchand, en sortant de chez lui, dit à son valet, qui est niais: «Garde la porte de ma boutique; je reviens dans un instant.» Le valet prend la porte sur son dos et s'en va voir des bateleurs. Tandis qu'il revient, son maître le rencontre et lui adresse une réprimande. «Mais,» répond le valet, «j'ai gardé la porte, comme vous me l'aviez dit.» (T. II, p. 77, de la traduction anglaise de M. C. H. Tawney).
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Enfin, dans certains contes, l'histoire ne s'arrête pas à la chute de la porte et à la fuite des voleurs. Ainsi, dans le conte bosniaque mentionné plus haut, le vieux et la vieille, étant descendus de l'arbre, se mettent à faire honneur au repas que les voleurs avaient préparé. L'un de ces derniers revient sur ses pas et demande au vieux et à la vieille à partager leur souper. Ils le lui permettent et s'entretiennent de diverses choses, quand tout à coup le vieux bonhomme dit au voleur: «Prenez garde! vous avez un cheveu sur la langue! Ne vous étranglez pas, car il n'y aurait pas moyen de vous enterrer ici.» Le voleur prend la plaisanterie au sérieux. La vieille femme lui dit: «Je vais vous ôter ce cheveu de la bouche, et cela gratis. Seulement tirez la langue et fermez les yeux.» Elle prend un couteau et lui coupe un bon bout de la langue. Le voleur s'enfuit du côté où sont allés ses compagnons, en criant: «Au secours!» Les autres croient entendre qu'il leur dit que la police est à leurs trousses, et ils s'enfuient encore plus vite.—Comparer le conte de la Basse-Normandie: ici la bonne femme, voyant les voleurs revenir sur leurs pas, fait semblant de gratter avec un couteau la langue de son mari, et elle dit au chef des voleurs que, «quand on a été bien gratté comme cela, la mort ne peut plus rien sur vous.» Le voleur prie la bonne femme de lui rendre le même service. Alors elle lui coupe la langue, et le voleur s'enfuit vers ses camarades en poussant des cris inarticulés. Les voleurs croient que le diable est dans le bois, et s'enfuient aussi. (Voir encore le conte grec moderne no 34 de la collection Hahn, mentionné plus haut.)
Toute cette fin se retrouve en Orient. Dans un conte du Cambodge (E. Aymonier, p. 19), une femme astucieuse a joué à quatre voleurs le mauvais tour de les faire entrer dans un bateau chinois, où ils sont retenus comme esclaves. En revenant chez elle, surprise par la nuit, elle monte sur un arbre pour attendre le jour. Surviennent les voleurs, qui se sont enfuis du bateau en brisant leurs chaînes. La nuit est très obscure; ils montent sur l'arbre qui sert déjà de refuge à la femme. Trois d'entre eux s'établissent sur les branches inférieures. Le quatrième grimpe jusqu'au sommet; il reconnaît la femme et croit tenir sa vengeance. La femme lui montre de l'argent qu'elle a, lui propose de l'épouser et de partager avec lui. Le voleur est alléché. La femme feint alors de douter de son amour. Il propose toute sorte de serments; elle n'exige qu'un baiser donné et reçu sur la langue. Le voleur commence, et, lorsqu'elle lui rend son baiser, elle lui mord violemment la langue, dont elle enlève le bout. En même temps, elle le pousse rudement et le fait dégringoler à terre, où il se roule en poussant des cris inarticulés, lol lol. Les autres voleurs croient entendre les Chinois à leur poursuite. Ils sautent en bas de l'arbre, suivis par le mutilé qui s'obstine à vouloir leur parler et leur expliquer son malheur; mais il ne peut que répéter lol lol, et les autres s'enfuient à toutes jambes.
Dans un conte indien du Pandjab (Steel et Temple, p. 240), cette même histoire forme le dernier épisode des aventures de la rusée femme d'un barbier avec des voleurs à qui elle joue toutes sortes de tours. Ayant réussi à s'échapper, tandis que les voleurs l'emportaient couchée dans son lit, et à grimper sur un arbre au dessous duquel ils s'étaient arrêtés, la femme a l'idée de faire la fée en chantant doucement, enveloppée de son voile blanc. Le capitaine des voleurs, homme un peu fat, s'imagine que la fée est amoureuse de lui; il monte sur l'arbre et fait à la fée des déclarations. «Ah!» dit-elle, «les hommes sont inconstants: touchez-moi le bout de la langue avec la vôtre, et je verrai si vous êtes sincère.» Le voleur s'empresse de tirer la langue, et la femme la lui coupe net. Il dégringole jusqu'à terre, et, quand ses compagnons l'interrogent, il ne peut leur répondre que bul-a-bul-ul-ul. Les voleurs le croit ensorcelé, et, craignant qu'il ne leur en arrive autant, ils s'enfuient tous.—Enfin, dans l'île de Ceylan, nous trouvons un conte du même genre que ce conte du Pandjab (voir, dans la revue the Orientalist, citée au commencement de ces remarques, les pages 39-40). Ici, une partie des voleurs se sont établis sous l'arbre pour faire cuire un daim. Apercevant la femme, ils lui demandent, non sans hésitation, si elle est une râkshî (sorte de démon). «Oui», répond la femme. Les voleurs, peu rassurés, lui offrent une part de leur venaison. «Apportez-la moi sur l'arbre», dit la femme. Un des voleurs grimpe sur l'arbre. Alors la femme lui dit: «Approchez; mettez de la viande sur votre langue, et, sans la toucher avec votre main, introduisez-la moi dans la bouche: c'est ainsi que nous autres râkshîs nous recevons les offrandes des mortels.» De cette façon, elle coupe la langue au voleur.
XXIII
LE POIRIER D'OR
Il était une fois des gens riches, qui avaient trois filles. La mère n'aimait pas la plus jeune, elle l'envoyait tous les jours aux champs garder les moutons et lui donnait, au lieu de pain, des pierres dans un sac: la pauvre enfant mourait de faim.
Un jour qu'elle était à chercher des fraises, elle rencontra un homme qui lui dit: «Que cherches-tu, mon enfant?—Je cherche quelque chose à manger.—Tiens,» dit l'homme, «voici une baguette: tu en frapperas le plus gros de tes moutons, et tu auras ce que tu pourras désirer.» Cela dit, il disparut. Aussitôt la jeune fille donna un coup de baguette sur le plus gros de ses moutons, et elle vit devant elle une table bien servie, du pain, du vin, de la viande, des confitures. Elle mangea de bon appétit, et quand elle eut fini, tout disparut. Comme elle fit de même tous les jours, elle ne tarda pas à devenir grasse et bien portante, si bien que sa mère ne savait qu'en penser.
Un jour, la mère dit à la seconde de ses filles d'accompagner sa sœur aux champs, pour s'assurer si elle mangeait. La jeune fille obéit, mais, à peine arrivée, elle s'endormit. Aussitôt la plus jeune donna un coup de baguette sur le plus gros de ses moutons: il parut une table bien servie, et elle se mit à manger; sa sœur ne s'aperçut de rien. Quand elles furent de retour: «Eh bien!» dit la mère, «as-tu vu si elle mangeait?—Non, ma mère, elle n'a ni bu ni mangé.—Tu as peut-être dormi?—Oh! point du tout.—Ma mère,» dit alors l'aînée, «j'irai demain avec elle, et je verrai ce qu'elle fera.»
Quand elles furent aux champs, l'aînée fit semblant de dormir. Alors la plus jeune donna un coup de baguette sur le mouton, la table parut, et elle mangea. Le soir, la mère dit à l'aînée: «Eh bien! as-tu vu si elle mangeait?—Oh! elle a mangé beaucoup de bonnes choses! Elle a donné un coup de baguette sur le plus gros de nos moutons et il a paru aussitôt une table bien servie, du pain, du vin, de la viande, des confitures.»
La mère fit semblant d'être malade et demanda à son mari de tuer le mouton. «Il vaudrait mieux tuer une poule,» dit le mari.—«Non, c'est le mouton que je veux manger.» On tua le mouton, et la pauvre enfant se trouva de nouveau en danger de mourir de faim. Elle retourna au bois chercher des fraises et des mûres. Comme elle y était occupée, l'homme qu'elle avait déjà vu s'approcha d'elle et lui dit: «Que cherches-tu, mon enfant?—Je cherche quelque chose à manger.» L'homme reprit: «Tu ramasseras tous les os du mouton, et tu les mettras en un tas, près de la maison.» La jeune fille suivit ce conseil, et, à la place où elle avait mis les os, il s'éleva un poirier d'or.
Un jour, pendant qu'elle était aux champs, un roi vint à passer près de la maison, et, voyant le poirier, il déclara qu'il épouserait celle qui pourrait lui cueillir une de ces belles poires. La mère dit à ses filles aînées d'essayer. Elles montèrent sur l'arbre, mais quand elles étendaient la main, les branches se redressaient, et elles ne purent venir à bout de cueillir une seule poire. En ce moment la plus jeune revenait des champs. «Je vais monter sur l'arbre,» dit-elle.—«A quoi bon?» dit la mère, «tes sœurs ont déjà essayé, et elles n'ont pu y réussir.» Pourtant la jeune fille monta sur l'arbre, et les branches s'abaissèrent pour elle. Le roi tint sa promesse: il prit la jeune fille pour femme et l'emmena dans son château.
Environ un an après, pendant que le roi était à la guerre, la reine accoucha de deux jumeaux, qui avaient chacun une étoile d'or au front. Dans le même temps, une chienne mit bas deux petits, qui avaient aussi une étoile d'or. La mère du roi, qui n'aimait pas sa belle-fille, écrivit à son fils que la jeune reine était accouchée de deux chiens. A cette nouvelle, le roi entra dans une si grande colère qu'il envoya l'ordre de pendre sa femme, ce qui fut exécuté.
VARIANTE
LES CLOCHETTES D'OR
Il était une fois un roi et une reine qui avaient une fille nommée Florine. La reine tomba malade, et, sentant sa fin approcher, elle recommanda sur toutes choses à Florine de prendre grand soin d'un petit agneau blanc qu'elle avait et de ne s'en défaire pour rien au monde: autrement il lui arriverait malheur. Bientôt après, elle mourut.
Le roi ne tarda pas à se remarier avec une reine qui avait une fille appelée Truitonne. La nouvelle reine ne pouvait souffrir sa belle-fille; elle l'envoyait aux champs garder les moutons, et ne lui donnait pour toute la journée qu'un méchant morceau de pain noir, dur comme de la pierre.
Tous les matins donc, Florine prenait le morceau de pain et partait avec le troupeau; mais, quand personne ne pouvait plus la voir, elle appelait le petit agneau blanc, le frappait avec une baguette sur l'oreille droite, et aussitôt paraissait une table bien servie. Après avoir mangé, elle frappait l'agneau sur l'oreille gauche, et tout disparaissait. Sa belle-mère s'étonnait fort de la voir grasse et bien portante. «Où peut-elle trouver à manger?» disait-elle à sa fille.—«J'irai avec elle,» dit un jour celle-ci, «et je verrai ce qu'elle fait.»
Quand elles furent toutes les deux dans les champs, Truitonne dit à Florine: «Voudrais-tu me chercher mes poux?—Volontiers,» répondit Florine. Truitonne mit sa tête sur les genoux de sa sœur et ne tarda pas à s'endormir. Aussitôt Florine frappa sur l'oreille droite de l'agneau: une table bien servie se dressa près d'elle, et, quand elle n'eut plus faim, elle frappa l'agneau sur l'oreille gauche, et tout disparut.
Le soir venu, la reine dit à sa fille: «Eh bien! l'as-tu vue manger?—Non, je ne l'ai pas vue.—N'aurais-tu pas dormi, par hasard?—Oui, ma mère.—Ah! que tu es sotte! Il faut que j'y aille moi-même demain.—Non, ma mère, j'y retournerai; j'aurai soin de ne pas dormir.»
Le jour suivant, elle demanda encore à Florine de lui chercher ses poux, et fit semblant de dormir. Alors Florine, croyant n'être pas vue, frappa sur l'oreille droite de l'agneau; elle mangea des mets qui se trouvaient sur la table, et, quand elle fut rassasiée, elle fit tout disparaître.
De retour au château, Truitonne dit à sa mère: «Je l'ai vue se régaler: elle a frappé sur l'oreille droite du petit agneau blanc, et aussitôt il s'est trouvé devant elle une table couverte de toute sorte de bonnes choses.»
La reine feignit d'être malade et dit au roi qu'elle mourrait, si elle ne mangeait du petit agneau blanc. Le roi ne voulait pas d'abord faire tuer l'agneau, car il savait combien Florine y tenait; à la fin pourtant il fut obligé de céder. L'agneau dit alors à la jeune fille: «Ma pauvre Florine, puisque votre belle-mère veut à toute force me manger, laissez-la faire; mais ramassez mes os et mettez-les sur le poirier: les branches se garniront de jolies clochettes d'or qui carillonneront sans cesse; si elles viennent à se taire, ce sera signe de malheur.» Tout arriva comme l'agneau l'avait prédit.
Un jour, pendant que Florine était aux champs, un roi vint à passer près du château. Voyant les clochettes d'or, il dit qu'il épouserait celle qui pourrait lui en cueillir une. Truitonne voulut essayer; sa mère la poussait pour l'aider à monter sur le poirier: mais plus elle montait, plus l'arbre s'élevait, de sorte qu'elle ne put même atteindre aux branches. «N'avez-vous pas une autre fille?» demanda le roi.—«Nous en avons bien une autre,» répondit la belle-mère, «mais elle n'est bonne qu'à garder les moutons.» Le roi voulut néanmoins la voir, et attendit qu'elle fût de retour des champs. Quand elle revint avec le troupeau, elle s'approcha de l'arbre et lui dit: «Mon petit poirier, abaissez-vous pour moi, que je cueille vos clochettes.» Elle en cueillit plein son tablier, et les donna au roi. Celui-ci l'emmena dans son château et l'épousa.
Quelque temps après, Florine tomba malade. Son mari, qui était obligé à ce moment de partir pour la guerre, pria la belle-mère de Florine de prendre soin d'elle pendant son absence. A peine fut-il parti, que la belle-mère jeta Florine dans la rivière et mit Truitonne à sa place. Aussitôt les clochettes d'or cessèrent de carillonner. Le roi, ne les entendant plus (on les entendait à deux cents lieues à la ronde), se souvint que sa femme lui avait dit que c'était un signe de malheur, et reprit en toute hâte le chemin du château. En passant près d'une rivière, il aperçut une main qui sortait de l'eau; il la saisit et retira Florine qui n'était pas encore tout à fait morte. Il la ramena au château, fit pendre Truitonne et sa mère, et le vieux roi vint demeurer avec eux.
REMARQUES
Dans la variante les Clochettes d'or, les noms de la fille du roi et de celle de la reine, Florine et Truitonne, sont empruntés à l'Oiseau bleu, de Mme d'Aulnoy; c'est, du reste, la seule chose qui ait passé de ce conte dans le nôtre. Une autre variante, également de Montiers-sur-Saulx, a emprunté encore à Mme d'Aulnoy les noms des héros, Gracieuse et Percinet. Là, c'est Percinet, l'«amoureux» de Gracieuse, qui donne à celle-ci, persécutée par sa marâtre, la baguette avec laquelle elle doit frapper l'oreille gauche d'un mouton blanc. Dans cette variante manque l'épisode de l'arbre, et la conclusion est directement empruntée au conte de Mme d'Aulnoy: Gracieuse, jetée dans un trou par ordre de sa marâtre, appelle Percinet à son secours, et celui-ci, qui est «un peu sorcier», la fait sortir du trou par un souterrain qui aboutit à sa maison.
La fin du Poirier d'or donne, sous une forme mutilée, une partie du thème développé dans notre no 17, l'Oiseau de Vérité. Celle de la variante les Clochettes d'or présente aussi, croyons-nous, une altération. Dans des contes allemands (Grimm, no 13 et no 11 var.), la reine est aussi jetée dans l'eau par sa marâtre, qui lui substitue sa propre fille; mais, en tombant dans l'eau, elle est changée en oiseau, et la suite du récit se rapproche de notre no 21, la Biche blanche, et des contes analogues. Notre conte n'est pas, du reste, le seul qui soit incomplet sur ce point. Dans un conte breton (Mélusine, 1877, col. 421) et dans un conte basque (Webster, p. 187), qui, l'un et l'autre, se rattachent à la fois aux contes que nous examinons et à la Biche blanche, la reine, jetée dans un puits ou dans un précipice, ne subit non plus aucune métamorphose, et, comme dans les Clochettes d'or, elle est sauvée d'une manière qui n'a rien de merveilleux.
Au sujet du passage réaliste de cette même variante, dans lequel Truitonne demande à Florine de lui chercher ses poux, nous ferons remarquer que c'est là un détail qui se trouve assez fréquemment dans les contes populaires de toute sorte de nations.
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Nous rapprocherons de notre conte et de ses variantes un conte bourguignon (E. Beauvois, p. 239). Dans ce conte, intitulé la Petite Annette, c'est par sa marâtre (comme dans les Clochettes d'or et dans l'autre variante) et non par sa mère (comme dans le Poirier d'or) que la jeune fille est maltraitée. Il en est ainsi, du reste, dans presque tous les contes du genre du nôtre. C'est la Sainte Vierge qui apparaît à la petite Annette et qui lui donne un bâton dont elle doit frapper un bélier noir, et aussitôt il se trouve là une table servie. Quand l'aînée des deux filles de la marâtre est envoyée aux champs pour surveiller Annette, celle-ci l'endort en récitant cette formule: «Endors-toi d'un œil, endors-toi de deux yeux,» Elle répète les mêmes paroles à la cadette, à qui sa mère a mis un troisième œil derrière la tête (sic), de sorte que cet œil reste ouvert. Comme dans notre conte, la marâtre feint d'être malade et demande à son mari de lui tuer le bélier. Suit, comme dans notre conte aussi, l'épisode de l'arbre qui pousse à la place où a été enterré le foie du bélier.—Comparer un conte de la Haute-Bretagne (Sébillot, I, no 58) et un conte de la Basse-Bretagne (Luzel, Légendes, II, p. 264), assez altéré.
Le conte bourguignon présente un grand rapport avec un conte de la collection Grimm (no 130), recueilli dans la Lusace. Dans ce conte, les deux sœurs de l'héroïne ont l'une un seul œil, l'autre trois yeux.
Dans un conte russe, provenant du gouvernement d'Arkhangel (Ralston, p. 183), la princesse Marya est obligée par sa marâtre de garder une vache, et on ne lui donne qu'une croûte de pain dur. Mais, «arrivée aux champs, elle s'inclinait devant la patte droite de la vache, et elle avait à souhait à boire et à manger et de beaux habits. Tout le long du jour, vêtue en grande dame, elle suivait la vache; le soir venu, elle s'inclinait de nouveau devant la patte droite de la vache, ôtait ses beaux habits et retournait à la maison.» Dans ce conte russe, la marâtre fait aussi espionner successivement sa belle-fille par ses deux filles à elle, dont la seconde a trois yeux. Des entrailles de la vache, enterrées par Marya près du seuil de la maison, il pousse un buisson couvert de baies, sur lequel viennent se percher des oiseaux qui chantent à ravir. Seule, Marya peut donner au prince une jatte remplie des baies du buisson: les oiseaux, qui avaient presque crevé les yeux aux filles de la marâtre, cueillent ces baies pour elle. Le conte ne se termine pas au mariage du prince avec Marya; il passe ensuite,—comme notre variante les Clochettes d'or,—dans une nouvelle série d'aventures, où se trouve développé le thème que notre variante ne fait qu'indiquer d'une manière très imparfaite. Nous avons eu occasion de résumer cette dernière partie dans les remarques de notre no 21, la Biche blanche.
Dans un autre conte russe (Gubernatis, Zoological Mythology, t. I, p. 179-181; cf. Ralston, p. 260), ainsi que dans d'autres contes dont nous allons avoir à parler, ce n'est pas en la faisant mourir de faim, mais en lui imposant une tâche impossible (la même, à peu près, dans tous ces contes), qu'une marâtre persécute sa belle-fille. Ici la jeune fille doit, en une nuit, avoir filé, tissé et blanchi cinq livres de chanvre. La vache qu'elle garde lui dit d'entrer dans une de ses oreilles et de ressortir par l'autre, et tout sera fait. La marâtre envoie successivement pour la surveiller ses trois filles, qui ont l'une un œil, l'autre deux, l'autre trois. A l'endroit du jardin où la jeune fille a enterré les os de la vache, il s'élève un pommier à fruits d'or, dont les branches d'argent piquent et blessent les filles de la marâtre, tandis qu'elles offrent d'elles-mêmes leurs fruits à la belle jeune fille, pour que celle-ci puisse les présenter au jeune seigneur dont elle deviendra la femme.
Citons encore un conte corse (Ortoli, p. 81): Mariucella, que sa marâtre envoie garder les vaches en lui donnant du poil à filer, est aidée par sa mère, transformée en vache, qui fait pour elle la besogne. La marâtre s'en aperçoit. Quand elle est au moment de faire tuer la vache, celle-ci dit à Mariucella qu'elle trouvera trois pommes dans ses entrailles: elle mangera la première, elle jettera la seconde sur le toit et mettra la troisième dans le jardin. De cette dernière pomme naît un magnifique pommier couvert de fruits, et ce pommier se change immédiatement en ronces quand une autre personne que Mariucella veut en approcher. De la seconde pomme il sort un beau coq: quand, plus tard, la marâtre veut substituer sa propre fille à Mariucella, qu'un prince envoie chercher pour l'épouser, ce coq signale la tromperie. (Voir, pour ce dernier trait, les remarques de notre no 24, la Laide et la Belle.)
Dans un conte écossais (Campbell, no 43), nous retrouvons les «trois yeux» des contes bourguignon, allemand et russes: la servante que la marâtre envoie aux champs avec sa belle-fille pour épier celle-ci a un troisième œil derrière la tête, et cet œil ne s'endort pas. Aussi peut-elle voir une brebis grise apporter à manger à la jeune fille. Après que la brebis a été tuée, le récit se rapproche des contes du genre de Cendrillon.
Un conte dont le début est analogue à celui du nôtre et qui développe ensuite, comme le conte écossais, le thème de Cendrillon, c'est le conte norwégien de Kari Træstak (Asbjœrnsen, 1, no 19). La princesse, obligée de garder les vaches et mourant de faim, est secourue par un taureau bleu, dans l'oreille gauche duquel se trouve une serviette qui donne à boire et à manger autant qu'on en désire[246]. Dans un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, no 35), c'est aussi un taureau qui file pour une jeune fille, persécutée par sa marâtre, une énorme quenouille de chanvre qu'elle doit avoir filée pour la fin de la journée. Ici encore, la fille de la marâtre a trois yeux[247].
Dans un conte islandais, dont le commencement a quelque rapport avec celui des contes lorrains (Arnason, p. 235), c'est la défunte mère de Mjadveig qui vient au secours de la jeune fille, maltraitée par la sorcière, sa marâtre: elle lui donne, en lui apparaissant pendant son sommeil, une serviette toujours remplie de provisions. La fille de la sorcière surprend le secret et enlève à Mjadveig la serviette merveilleuse.
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En Afrique, il a été recueilli un conte du même genre chez les Kabyles (J. Rivière, p. 66): Un homme et sa femme ont un fils et une fille. La femme meurt en défendant à son mari de vendre une certaine vache: «C'est la vache des orphelins.» L'homme se remarie, et les enfants sont maltraités par leur marâtre, qui les prive de nourriture. Ils tettent leur vache pendant qu'ils la gardent, et redeviennent bien portants. La marâtre envoie ses enfants à elle voir ce qu'ils mangent. Sa fille veut, elle aussi, téter la vache; mais la vache lui donne un coup et l'aveugle. La marâtre exige que le père vende la vache au boucher. Alors les orphelins vont pleurer sur la tombe de leur mère, qui leur dit de demander au boucher les entrailles de la vache et de les déposer sur sa tombe. Les enfants l'ayant fait, aussitôt deux mamelles paraissent, l'une donnant du beurre, l'autre du miel. La marâtre envoie de rechef ses enfants espionner les orphelins; mais, quand ils veulent téter à leur tour les deux mamelles, l'un tette du pus, l'autre du goudron. La marâtre, furieuse, crève les mamelles et les jette au loin. Les orphelins vont encore pleurer auprès de la tombe de leur mère, et, sur le conseil de celle-ci, ils quittent le pays. Ils s'engagent au service d'un sultan, qui plus tard épouse la jeune fille.
Un conte indien du Deccan (miss Frere, no 1) a beaucoup de rapport avec ce conte kabyle: Les sept filles d'un roi sont persécutées par leur marâtre, qui ne leur donne presque rien à manger. Elles vont pleurer sur la tombe de leur mère. Un jour, elles voient pousser sur cette tombe un oranger pamplemousse; elles en mangent chaque jour les fruits et ne touchent plus au pain que leur donne la reine. Celle-ci, fort surprise de ne pas les voir maigrir, dit à sa fille d'aller les épier. Les princesses, excepté la plus jeune qui a le plus d'esprit, donnent chacune un de leurs fruits à leur belle-sœur, laquelle va raconter la chose à sa mère. Alors celle-ci fait la malade et dit au roi que, pour la guérir, il faut faire bouillir l'arbre dans de l'eau et lui mettre de cette eau sur le front. Quand l'arbre est coupé, un réservoir près de la tombe de la défunte reine se remplit d'une espèce de crème qui sert de nourriture aux sept princesses. La marâtre, qui l'apprend par sa fille, fait renverser le tombeau et combler le réservoir. De plus, elle feint encore d'être malade et dit au roi que le sang des princesses peut seul la guérir. Le roi n'a pas le courage de les tuer; il les emmène dans une jungle, et, quand elles sont endormies, il les abandonne et tue un daim à leur place. Sept princes, fils d'un roi voisin, qui sont à la chasse, les rencontrent, et chacun en prend une pour femme.
Un autre conte indien est plus voisin du Poirier d'or et des contes similaires. Ce conte indien offre une grande ressemblance avec la forme serbe du thème de Cendrillon. Malheureusement, la Calcutta Review, à laquelle nous devons cette communication, ne nous donne qu'une analyse fort incomplète du conte indien, publié originairement dans la Bombay Gazette. Voici ce qu'elle nous en fait connaître (t. LI, [1870], p. 121): Comme dans plusieurs contes européens, c'est une vache (ou, dans une autre version, un poisson) qui vient au secours de la jeune fille persécutée par sa marâtre. «Quand la marâtre apprit que la vache nourrissait de son lait la jeune fille, elle résolut de la faire tuer. La vache, l'ayant appris, dit à la jeune fille: «Ma pauvre enfant, voici la dernière fois que vous boirez de mon lait; votre marâtre va me faire tuer. Ne pleurez pas et ne vous affligez pas à cause de moi; il n'y a pas moyen d'empêcher ma mort. Je ne vous demande qu'une chose, et, si vous m'écoutez, vous n'aurez pas à vous en repentir.» A ces paroles, la jeune fille se mit à pleurer amèrement, et tout d'abord le chagrin l'empêcha de répondre; elle pria enfin la vache de lui dire ce qu'elle avait à lui demander. «Le voici», dit la vache: «quand on me tuera, ramassez avec soin mes os, mes cornes, ma peau et tout ce qu'on jettera de côté, et enterrez-le; mais, sur toutes choses, ne mangez pas de ma chair.» Le lendemain, on tua la vache, et la jeune fille ramassa soigneusement les os, les cornes, la peau et ce qui restait, et enterra le tout.»—La Calcutta Review nous apprend que le conte indien renferme l'épisode du fils de roi qui veut faire choix d'une femme: la jeune fille est laissée à la maison pour préparer le souper, tandis que la fille de sa marâtre se rend au palais; puis la vache revient à la vie et donne à sa protégée de beaux habits et des sandales d'or; poursuivie par le prince, la jeune fille laisse sur la route une de ses sandales; quand le prince arrive pour chercher la jeune fille, celle-ci est cachée dans le grenier, et un coq trahit sa présence (voir les remarques de notre no 24). Le prince se la fait amener et l'épouse. Le conte se termine par le châtiment de la marâtre et de sa fille.
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Nous ne dirons ici qu'un mot d'un groupe de contes, voisins de ceux que nous venons d'étudier. Dans les contes de ce groupe, ce n'est plus pour priver quelqu'un de secours ou pour lui faire de la peine qu'on tue certain animal ou qu'on abat certain arbre: c'est parce qu'on soupçonne ou plutôt qu'on reconnaît l'existence, sous cette forme, d'une personne détestée, que l'on poursuit à travers plusieurs transformations successives. Nous renverrons à l'étude que nous avons faite de ces contes, dans notre introduction, à l'occasion du vieux conte égyptien des Deux Frères.
XXIV
LA LAIDE & LA BELLE
Il était une fois un roi et une reine, qui avaient chacun une fille d'un premier mariage. La fille de la reine était affreuse à voir, elle avait trois yeux, deux devant et un derrière; celle du roi était fort belle.
Il se présenta un jour au château un jeune prince, qui voulait épouser la fille du roi. La reine déclara au roi que sa fille à elle se marierait la première, et cacha la belle princesse sous un cuveau.
Le prince, ne sachant pas qu'il y avait deux princesses, partit avec la laide pour aller célébrer les noces dans son pays. En les voyant passer, les enfants criaient:
«Hé! le beau! il prend la laide et il laisse la belle!
La belle est sous le cuveau.»
Le prince, surpris, demanda à la princesse: «Que disent-ils donc?—Ne faites pas attention à ce que peuvent dire des enfants,» répondit-elle. Mais le prince réfléchit à ce qu'il venait d'entendre; il retourna au château du roi et y resta trois jours. Enfin il découvrit où était la belle, et, après avoir mis la laide sous le cuveau, il emmena la belle dans son royaume, où il l'épousa.
REMARQUES
On a vu que le conte précédent, le Poirier d'or, et ses variantes de Montiers-sur-Saulx se rapprochent du no 130 de la collection Grimm, Simplœil, Doublœil et Triplœil. Le petit conte que nous venons de donner rappelle deux détails du conte allemand, qui n'existaient pas dans nos contes lorrains: la «laide» a trois yeux, comme Triplœil[248], et la reine cache la «belle» sous un cuveau, comme la méchante mère cache Doublœil sous un tonneau.
Dans le conte corse (Ortoli, p. 81), cité dans les remarques du Poirier d'or, quand la marâtre substitue sa fille Dinticona à Mariucella que le prince envoie chercher pour l'épouser, le coq crie: «Couquiacou! couquiacou! Mariucella est dans le tonneau et Dinticona sur le beau cheval!» comme dans notre conte les enfants crient: «La belle est sous le cuveau!»—Dans le conte serbe de Cendrillon (Vouk, no 32), cité également dans les remarques de notre numéro précédent, quand le prince vient pour essayer la pantoufle, la belle-mère cache Cendrillon sous une huche et dit au prince qu'elle n'a qu'une fille; mais le coq de la maison se met à chanter: «Kikeriki! la jeune fille est sous la huche!»—Un passage du même genre se trouve dans un conte espagnol, un conte de Cendrillon aussi, recueilli dans le Chili (Biblioteca de las tradiciones populares españolas [Madrid, 1884], t. I, p. 119), où le coq du conte corse et du conte serbe est remplacé par un chien. Comparer aussi la fin d'un conte portugais (Coelho, no 36).—Dans un conte toscan (Nerucci, no 5), c'est, par suite d'une altération évidente, la fiancée elle-même qui dit: «La belle est dans le tonneau, la laide est dans le carrosse, et le roi l'emmène.»
Dans le conte toscan des Novelline di S. Stefano (no 1), cité dans nos remarques du Poirier d'or, un prince vient pour épouser la «belle». La marâtre met celle-ci dans un tonneau, voulant ensuite y verser de l'eau bouillante, et le prince emmène sur son cheval la fille de la marâtre, cachée sous un voile. Un chat se met à dire: «Miaou, miaou, la belle est dans le tonneau; la laide est sur le cheval du roi.» Le prince met la laide dans le tonneau, où sa mère, sans le savoir, la fait périr.—Comparer la fin de deux contes italiens des collections Busk (p. 35) et Comparetti (no 31).
Un recueil du XVIIe siècle, le Pentamerone, de Basile, nous offre un récit napolitain analogue. A la fin du conte no 30, une marâtre, Caradonia, envoie sa belle-fille Cecella garder les cochons. Un riche seigneur, Cuosemo, la voit et va la demander en mariage à Caradonia. Celle-ci enferme Cecella dans un tonneau avec l'intention de l'y échauder, et elle donne sa propre fille, Grannizia, à Cuosemo, qui l'emmène. Furieux d'avoir été trompé, Cuosemo retourne chez Caradonia, qui est allée à la forêt chercher du bois pour faire bouillir l'eau. «Miaou, miaou,» dit un chat noir, «ta fiancée est enfermée dans le tonneau.» Cuosemo délivre Cecella et met Grannizia à sa place. La vieille échaude sa fille, et, de désespoir, va se jeter à la mer.
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On peut encore comparer le conte allemand de Cendrillon, no 21 de la collection Grimm: Les deux sœurs de Cendrillon réussissent à mettre la pantoufle en se coupant, l'une l'orteil, l'autre le talon. Le prince les emmène l'une après l'autre; sur son passage deux colombes chantent: «Roucou, roucou, le soulier est plein de sang, le soulier est trop petit; la vraie fiancée est encore à la maison.»—Ce passage se retrouve presque identiquement dans le conte islandais cité dans nos remarques du Poirier d'or. Comparer un conte écossais (Brueyre, p. 41), un conte breton (Revue celtique, 1878, p. 373), etc.
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En Orient, rappelons un passage d'un conte indien, du genre de Cendrillon, résumé dans les remarques déjà mentionnées. Quand le prince arrive pour chercher la jeune fille, elle est cachée dans le grenier, et un coq trahit sa présence.
M. A. Lang, dans la Revue celtique (loc. cit.), cite un épisode d'un conte zoulou de la collection Callaway (I, p. 121), qu'on peut rapprocher de ce passage. Les oiseaux avertissent le prince qu'il chevauche avec la fausse fiancée: «Ukakaka! le fils du roi est parti avec une bête.»
XXV
LE CORDONNIER & LES VOLEURS
Un pauvre cordonnier allait de village en village en criant: «Souliers à refaire! souliers à refaire!» Sa condition lui paraissait bien triste, et il maugréait sans cesse contre les riches: «Ils sont trop heureux,» disait-il, «et moi je suis trop malheureux!»
Un jour, en passant devant une revendeuse, il eut envie d'un fromage blanc. «Combien ce fromage?—Quatre sous.—Les voilà.» Il mit le fromage dans son sac et poursuivit son chemin. Il rencontra plus loin une marchande de mercerie: «Combien la pelote de laine?—C'est tant.» Il en prit une et se remit à marcher en sifflant.
Arrivé au milieu d'un bois, il vit devant lui un beau château; il y entra hardiment. Ce château était habité par des voleurs. «Camarades,» leur dit le cordonnier, «voulez-vous jouer avec moi au jeu qui vous plaira?—Volontiers,» répondit le chef de la bande; «jouons à lancer une pierre en l'air. Si tu jettes plus haut que moi, le quart du château t'appartient.»
Le voleur lança très haut sa pierre. Le cordonnier, lui, tenait dans sa main un petit oiseau; il le lança en l'air de toutes ses forces comme si c'eût été une pierre: l'oiseau s'envola et disparut. Les voleurs furent bien étonnés de ne pas voir retomber la pierre. «Tu as gagné,» dit le chef au cordonnier; «le quart du château est à toi. Jouons maintenant à qui fera sortir le plus de lait de ce chêne: si tu gagnes, tu auras un autre quart du château.»
Le voleur étreignit le chêne d'une telle force qu'il en fit sortir du lait. Le cordonnier s'était mis sur l'estomac son fromage blanc; il embrassa l'arbre à son tour, et l'on vit le lait couler en abondance. «C'est toi qui as gagné,» dit le voleur. «Maintenant jouons la moitié du château contre l'autre moitié, à qui fera le plus gros fagot.»
Le voleur monta sur un chêne, coupa des branches et en fit un énorme fagot. Le cordonnier grimpa sur l'arbre après lui, et se mit à entourer toute la tête de l'arbre avec sa pelote de laine. «Que fais-tu là?» lui demandèrent les autres.—«Je fais un fagot avec tout ce chêne.—Arrête,» dit le chef des voleurs. «Ce n'est pas la peine de continuer: tu as gagné, nous le voyons bien d'avance.»
Ils rentrèrent tous ensemble au château, et l'on conduisit le cordonnier dans la chambre où il devait passer la nuit. En regardant autour de lui, le cordonnier vit pendus au mur un grand nombre d'habits de toute espèce. «Hum!» se dit-il, «les gens de ce château ne seraient-ils pas des voleurs? Il faut se méfier.» Il prit une vessie remplie de sang et la mit dans le lit à sa place; lui-même se cacha sous le lit. Au milieu de la nuit, trois voleurs entrèrent dans la chambre, s'approchèrent du lit sans faire de bruit, et l'un d'eux y donna un grand coup de couteau. «Le sang coule!» dit-il. Le second fit de même. «Oh!» dit le troisième, «il ne doit pas encore être mort; je vais l'achever.» Et il frappa à son tour. Cela fait, les trois voleurs se retirèrent.
Le lendemain matin, les voleurs étaient réunis dans une des salles du château quand ils virent entrer le cordonnier. «Quoi!» s'écrièrent-ils, «tu n'es pas mort?—Vous voyez,» dit le cordonnier.—«Ecoute,» lui dirent les voleurs; «si tu veux nous laisser le château, nous te donnerons un sac plein d'or.» Le cordonnier accepta la proposition et partit bien joyeux. Mais, pendant qu'il traversait la forêt, d'autres voleurs tombèrent sur lui et le dépouillèrent. «Ah!» s'écria-t-il, «que j'étais sot d'envier le sort des riches! ils ont tout à craindre. Moi, je suis plus heureux qu'eux.»
De retour dans son pays, il trouva une belle jeune fille qui lui plut; il l'épousa et vécut heureux.
REMARQUES
Ce conte a beaucoup de rapport avec un autre de nos contes, le Tailleur et le Géant (no 8). Il n'est même pas rare que l'introduction de ce no 8 se trouve jointe à des contes analogues à celui dont nous nous occupons ici. Nous mentionnerons comme offrant cette combinaison plusieurs contes allemands (Grimm, no 20; Kuhn, Mærkische Sagen, p. 289; Meier, no 37), un conte du Tyrol allemand (Zingerle, II, p. 13), un conte suisse (Sutermeister, no 30), un conte hongrois (Gaal-Stier, no 11), un conte des Tsiganes de la Bukovine (Miklosisch, no 3), un conte grec moderne d'Epire (Hahn, no 23), un conte sicilien (Gonzenbach, no 41).
L'introduction en question n'existe pas dans les contes suivants: un conte autrichien (Grimm, no 183), un conte de l'Allemagne du Nord (Müllenhoff, p. 442), un conte suisse (Sutermeister, no 41), un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, no 27), un conte suédois (Cavallius, p. 1), un conte norwégien (Asbjœrnsen, I, p. 45), un conte lapon (no 7 des contes traduits par M. Liebrecht dans le tome XV [1870] de la revue Germania), un conte italien de Vénétie (Widter-Wolf, no 2), un conte sicilien (Pitrè, no 83), un conte albanais (Dozon, no 3), un conte grec moderne de l'île de Tinos (Hahn, t. II, p. 211), un conte basque (Webster, p. 7).
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Le conte lorrain présente une altération assez notable du thème primitif: les voleurs sont un souvenir affaibli des géants, drakos, etc., qui figurent dans les contes étrangers. D'un autre côté, le récit a pris la tournure d'une leçon morale.
On peut aussi faire remarquer qu'un trait du thème primitif a ici une forme particulière.
Dans la plupart des contes de ce type, c'est en faisant sortir de l'eau d'une pierre,—c'est-à-dire, en réalité, du petit-lait d'un fromage mou,—que le tailleur, cordonnier, etc., donne au géant, drakos, ou autre, une haute idée de sa force. Dans plusieurs de ces contes, il veut, par cet exploit, surenchérir, si l'on peut parler ainsi, sur ce qu'a fait le géant, qui vient de broyer réellement une pierre entre ses doigts. Dans le no 20 de la collection Grimm, le géant a vraiment fait sortir de l'eau d'une pierre; mais, sous les doigts du petit tailleur, il en ruisselle en apparence bien davantage.
Dans notre conte, c'est d'un arbre qu'il s'agit de faire sortir du lait, de la sève. Comparer, dans un conte gascon (Cénac-Moncaut, p. 90), l'épisode où Juan doit, sur l'ordre de son seigneur, lancer une pierre contre un arbre de façon à le faire «saigner». Juan s'en tire en lançant un œuf contre l'arbre.
L'épisode de l'oiseau, lancé en l'air comme si c'était une pierre, se trouve dans les contes allemands des collections Kuhn, Meier et Müllenhoff, dans le premier conte suisse, dans le conte des «Saxons» de Transylvanie, dans le conte hongrois, le second conte grec et le conte basque.
Un épisode analogue à celui de l'arbre dont le cordonnier feint de vouloir faire un fagot, figure dans le conte des «Saxons» de Transylvanie, dans le conte des Tsiganes de la Bukovine, dans les deux contes grecs, le conte albanais, le conte sicilien de la collection Gonzenbach et le conte basque. Dans tous ces contes (excepté dans le conte sicilien), le héros fait semblant de vouloir rapporter à la maison, non pas tout un arbre, mais la forêt tout entière.
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Tous les contes de ce type,—à l'exception du conte allemand de la collection Kuhn, des deux contes suisses, du conte des «Saxons» de Transylvanie et du conte norwégien,—ont un épisode dans lequel le géant croit avoir assommé le héros pendant que celui-ci est endormi. A peu près dans tous ces contes se trouve une même hablerie du héros: le matin, il dit au géant stupéfait qu'il n'a rien senti pendant la nuit, sinon des puces qui l'ont un peu piqué.
Un livre populaire anglais, Jack le Tueur de géants, dont on connaît une édition datée de 1711, renferme ce dernier épisode: Jack, qui a demandé l'hospitalité à un géant, entend pendant la nuit celui-ci se dire à lui-même qu'un bon coup de massue va le débarrasser de son hôte. Il met une bûche dans le lit à sa place. Le lendemain, le géant, qui croit avoir tué Jack, est fort étonné de le voir s'avancer vers lui. «Ah! c'est vous!» lui dit-il, «comment avez-vous dormi? n'avez-vous rien senti cette nuit?—Rien,» dit Jack, «si ce n'est, je crois, un rat qui m'a donné deux ou trois coups avec sa queue.»
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En Orient, un voyageur a trouvé le pendant de tous ces contes. Dans un conte persan (Malcolm, Sketches of Persia, Londres, 1828, t. II, p. 88), qui a été traduit par M. Emile Chasles, dans ses Contes de tous pays (p. 10), un homme d'Ispahan, nommé Amîn, obligé dans un voyage de traverser certaine vallée hantée par des ghouls (sorte d'ogres), prend pour toutes armes une poignée de sel et un œuf. Il rencontre effectivement un ghoul. Sans se déconcerter, il lui dit que lui, Amîn, est le plus fort des hommes, et il l'invite à se mesurer avec lui. Il le défie d'abord de faire sortir de l'eau d'un caillou. Le ghoul ayant essayé en vain, Amîn glisse son œuf dans le creux de sa main; puis, saisissant le caillou, il le presse, et le ghoul stupéfait voit un liquide couler entre les doigts du petit homme. Ensuite, par un procédé du même genre, Amîn tire du sel d'une autre pierre. Le ghoul, peu rassuré, se fait humble et invite le voyageur à passer la nuit dans sa caverne. Amîn le suit. Quand ils sont arrivés chez le ghoul, celui-ci dit à son hôte d'aller chercher de l'eau pour le repas, tandis que lui-même ira chercher du bois. Amîn, ne pouvant seulement soulever l'énorme outre du ghoul, s'avise d'un expédient; il se met à creuser le sol et dit au ghoul qu'il lui fait un canal pour amener l'eau chez lui, en souvenir de son hospitalité[249]. «C'est bon,» dit le ghoul, et il va remplir l'outre. Après le souper, il indique à Amîn un lit au fond de sa caverne. Dès qu'Amîn entend le ghoul ronfler, il quitte son lit et met à sa place des coussins et des tapis roulés. Sur ces entrefaites, le ghoul se réveille; il se lève tout doucement, prend une massue et frappe sept fois de suite sur ce qu'il croit être Amîn endormi; puis il va se recoucher. Amîn regagne aussi son lit et demande au ghoul ce que c'est que cette mouche qui sept fois de suite s'est posée sur son nez. Le ghoul, étonné, effrayé, s'enfuit, et Amîn peut s'esquiver de son côté.—La fin de ce conte persan, que nous laissons de côté, est identique à celle de plusieurs des contes mentionnés plus haut (voir, par exemple, le conte des «Saxons» de Transylvanie, le conte tsigane, le conte grec moderne no 23 de la collection Hahn); elle n'a plus de rapport avec notre conte[250].
XXVI
LE SIFFLET ENCHANTÉ
Il était une fois un roi et ses deux fils. Ce roi avait un oiseau si beau et si charmant, que jamais on n'avait vu son pareil; aussi y tenait-il beaucoup.
Un jour qu'il lui donnait à manger et que la porte était ouverte, l'oiseau s'envola. Le roi appela ses fils, et leur dit: «Celui de vous deux qui, d'ici à un an, retrouvera l'oiseau, aura la moitié de mon royaume.»
Les deux frères partirent ensemble, et, arrivés à une croisée de chemin, ils se séparèrent. Bientôt l'aîné fit la rencontre d'une vieille femme: c'était une fée. «Où vas-tu?» lui dit-elle.—«Je vais où bon me semble; cela ne te regarde pas.» Alors la vieille alla se mettre sur le chemin où passait le plus jeune. «Où vas-tu, mon bel enfant?—Je vais chercher l'oiseau que mon père a laissé envoler.—Eh bien! voici un sifflet. Va dans la forêt des Ardennes; tu donneras un coup de sifflet et tu diras: Je viens chercher l'oiseau de mon père. Tous les oiseaux répondront: C'est moi, c'est moi. Un seul dira: Ce n'est pas moi. C'est celui-là qu'il faudra prendre.»
Le prince remercia la vieille, mit le sifflet dans sa poche et s'en alla dans la forêt des Ardennes. Il donna un coup de sifflet et dit: «Je viens chercher l'oiseau de mon père.» Tous les oiseaux se mirent à crier: «C'est moi, c'est moi, c'est moi.» Un seul dit: «Ce n'est pas moi.» Le prince le saisit et reprit le chemin du château de son père.
Il rencontra bientôt son frère, qui lui demanda: «As-tu trouvé l'oiseau?—Oui, je l'ai trouvé.—Donne-le-moi.—Non.—Eh bien! je vais te tuer.—Tue-moi si tu veux.» Son frère le tua, creusa un trou et l'y enterra; puis il retourna chez son père avec l'oiseau. Le roi, bien content de ravoir son oiseau, fit préparer un grand festin, et y invita beaucoup de monde.
Cependant, le chien d'un berger, passant dans la forêt, s'était mis à gratter à la place où le jeune prince était enterré. Le berger, qui avait suivi son chien, aperçut quelque chose à l'endroit où il grattait et crut d'abord voir un doigt qui sortait de terre; il regarda de plus près et vit que c'était un sifflet; il le prit et le porta à ses lèvres. Le sifflet se mit à dire:
Le maire du pays, qui était le voisin du berger, entendit parler du sifflet et l'acheta. Ayant été invité au festin du roi, il prit le sifflet pendant qu'on était à table et se mit à siffler:
Le roi prit le sifflet à son tour:
Le fils aîné du roi comprit bien que c'était de lui qu'il s'agissait; il voulut s'enfuir, mais on courut après lui, on le fit revenir et on l'obligea à siffler aussi:
Aussitôt le roi fit brûler son fils dans un cent de fagots. Ensuite il demanda au berger s'il se rappelait l'endroit où il avait trouvé le sifflet. Le berger dit qu'il ne s'en souvenait pas bien, qu'il essaierait pourtant de l'y conduire, mais le chien y alla tout droit. Dès qu'on eut retiré le corps, le jeune homme se dressa sur ses pieds.
Le roi, bien joyeux, fit préparer un grand festin en signe de réjouissance, et moi je suis revenu.
REMARQUES
Nous avons à rapprocher de notre conte plusieurs contes recueillis dans différentes parties de la France: en Picardie (Carnoy, p. 236), dans le département de la Loire (Mélusine, 1877, p. 423), dans l'Armagnac (Bladé, no 1), dans la Bretagne non bretonnante (Sébillot, Littérature orale, pp. 220 et 226), dans une région non désignée (Semaine des Familles, 8e année, 1865-1866, p. 709);—en Allemagne: dans la Hesse (Grimm, no 28), dans la principauté de Waldeck (Curtze, no 11), dans le Hanovre (Colshorn, no 71), dans le duché de Lauenbourg (Müllenhoff, no 49);—dans le «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, no 42);—chez des populations polonaises de la Prusse orientale (Tœppen, p. 139);—en Pologne (Woycicki, p. 105), d'après M. R. Kœhler;—en Russie (Gubernatis, Zool. Myth., I, p. 195; Naakè, p. 170);—dans le Tyrol italien (Schneller, no 51);—en Italie: dans le Montferrat (Comparetti, no 28), en Toscane (Gubernatis, Novelline, no 20), dans le pays napolitain (Imbriani, Conti pomiglianesi, p. 195), en Sicile (Gonzenbach, no 51; Pitrè, no 79);—en Espagne: dans la Catalogne (Rondallayre, I, p. 33), dans la province de Valence (Caballero, II, p. 29), à Séville (Biblioteca de las tradiciones populares españolas, I, p. 196);—enfin, en Portugal (Braga, no 54, et, sous une forme assez différente, Coelho, no 40).
Ceux de ces contes qui se rapprochent le plus du nôtre pour l'introduction sont les contes italiens et siciliens: là, les trois fils d'un roi vont chercher des plumes d'un certain oiseau, qui doivent guérir les yeux de leur père. (Dans le conte du Tyrol italien, les trois princes s'en vont à la recherche d'une plume d'«oiseau griffon», que leur père a perdue, comme le roi du conte lorrain a laissé échapper son oiseau, et à laquelle il tient beaucoup.)—Dans le conte espagnol de Séville, ce ne sont pas des plumes d'oiseau qu'il faut pour guérir les yeux du roi; c'est une certaine fleur: de même dans le conte catalan, où le roi a la jambe malade. C'est une fleur aussi qu'un roi a la fantaisie de demander à ses fils dans le conte français de la Loire et dans le conte espagnol de la province de Valence; et celui qui apportera cette fleur aura la couronne. Comparer le conte breton p. 220 de la collection Sébillot, où, comme dans notre conte, le jeune prince est tué «dans la forêt d'Ardennes».—Dans le conte allemand du duché de Lauenbourg, un père, sur son lit de mort, désire manger du lièvre: celui de ses trois fils qui lui apportera un lièvre, aura tout l'héritage;—Dans un autre conte allemand (Grimm, variante du no 28), un roi laissera sa couronne à celui de ses trois fils qui pourra prendre un certain ours.
Ailleurs (conte allemand de Waldeck, conte du «pays saxon» de Transylvanie), un roi a promis sa fille à celui qui prendrait un sanglier terrible. Trois frères tentent l'entreprise. Le plus jeune ayant réussi, les aînés le tuent pour s'emparer du trophée de sa victoire.—Comparer le conte hessois.
Dans un autre groupe (contes français de la collection Sébillot (p. 226) et de la Semaine des Familles, et contes russes), toute introduction de ce genre fait défaut. Elle est remplacée par une introduction absolument différente, dont le conte français de la collection Sébillot donnera l'idée: Un père, partant en voyage, demande à ses trois filles ce qu'elles veulent qu'il leur rapporte. La première demande une robe couleur du soleil, la seconde une belle rose, la troisième un pot de réséda. C'est pour s'emparer de ce réséda que l'aînée tue la plus jeune.
Dans le conte picard, un petit garçon tue sa sœur pour lui prendre le fagot qu'elle a fait dans la forêt et avoir ainsi la galette que leur mère a promise à celui qui rapporterait le plus de bois mort.
Plusieurs contes de cette famille,—notamment les contes allemands des collections Müllenhoff et Grimm (III, p. 55), et le conte du «pays saxon» de Transylvanie,—ont un épisode qui correspond à celui de la vieille à laquelle le jeune prince seul répond poliment. Dans le conte espagnol de Séville, nous retrouvons la vieille elle-même, ou plutôt la Sainte Vierge, qui a pris cette forme.
Dans tous les contes mentionnés ci-dessus, figure l'instrument,—sifflet, flûte, etc.,—qui dénonce le meurtrier. Mais c'est dans le conte lorrain seulement que ce sifflet a été précédemment donné à la victime par la personne qui l'avait aidée dans son entreprise. Il y a là une altération, ingénieuse d'ailleurs, du thème primitif.
Sur ce point, les contes de cette famille se partagent en deux groupes. Dans le premier (conte français de la Loire; conte picard; contes allemands des collections Grimm et Curtze; conte du Tyrol italien; conte napolitain; contes siciliens; conte espagnol de Séville), le sifflet ou tout autre instrument qui parle, a été fait par un berger avec un os du frère ou de la sœur assassinés.—Dans le second (conte du «pays saxon» de Transylvanie; conte polonais; contes russes; conte toscan; conte catalan; conte espagnol de la province de Valence; conte portugais de la collection Braga), le berger se taille une flûte dans un roseau (un sureau, dans le conte allemand de la collection Müllenhoff), qui a poussé à la place où la victime a été enterrée.
Nous rencontrons dans le conte italien du Montferrat, dans le conte espagnol de la province de Valence et le conte catalan, le détail, si peu vraisemblable, même dans un conte merveilleux, du jeune homme retrouvé vivant quand on le retire du trou où il a été enterré.—Dans le second conte russe, la flûte dit qu'il faut asperger la victime d'une certaine eau, et elle revient à la vie.
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Enfin la littérature orientale nous offre un trait du même genre, mais dont nous n'oserions pas affirmer la parenté directe avec nos contés, dans un drame chinois intitulé le Plat qui parle (Journal Asiatique, 4e série, vol. 18, p. 523): Un riche voyageur est assassiné par un aubergiste et sa femme. «Pan (l'aubergiste) brûle le corps de sa victime, recueille ses cendres, pile ses os, dont il fait d'abord une espèce de mortier, puis un plat. C'est ce plat qui, apporté à l'audience de Pao-Tching, parle et dénonce les coupables.»
XXVII
ROPIQUET
Il était une fois une femme qui avait du fil de chanvre à porter au tisserand. Pendant qu'elle finissait de l'apprêter, le diable entra chez elle et la salua: «Bonjour, ma bonne femme.—Bonjour, monsieur.—Si vous voulez,» dit le diable, «je vous tisserai tout votre fil pour rien, mais à une condition: c'est que vous devinerez mon nom.—Volontiers,» répondit la femme. «Vous vous appelez peut-être bien Jean?—Non, ma chère.—Peut-être Claude?—Non.—Vous vous appelez donc François?—Non, non, ma bonne femme; vous n'y arriverez pas. Cependant, vous savez, si vous devinez, vous aurez votre toile pour rien.» Elle défila tous les noms qui lui vinrent à l'esprit, mais sans trouver le nom du diable. «Je m'en vais,» dit celui-ci; «je rapporterai la toile dans deux heures, et, si vous n'avez pas deviné, la toile est à moi.»
Le diable étant parti, la femme s'en fut au bois pour chercher un fagot. Elle s'arrêta près d'un grand chêne et se mit à ramasser des branches mortes. Justement sur ce chêne était le diable qui faisait de la toile et qui taquait, taquait; autour de lui des diablotins qui l'aidaient. Tout en travaillant, le diable disait:
La femme leva les yeux et reconnut son homme. Elle se hâta d'écrire sur son soulier le nom qu'elle venait d'entendre, et, en s'en retournant au logis, elle répéta tout le long du chemin: «Ropiquet, Ropiquet.» Elle ne fut pas plus tôt rentrée chez elle, que le diable arriva. «Voilà votre toile,» lui dit-il. «Maintenant, savez-vous mon nom?—Vous vous appelez Eugène?—Non, ma bonne femme.—Emile?—Vous n'y êtes pas.—Vous vous appelez peut-être bien Ropiquet?—Ah!» cria le diable, «si tu n'avais été sous l'arbre, tu ne l'aurais jamais su!» Et il s'enfuit dans la forêt en poussant des hurlements épouvantables et en renversant les arbres sur son passage.
Moi, j'étais sur un chêne: je n'ai eu que le temps de sauter sur l'arbre voisin et je suis revenu.
REMARQUES
Il a été recueilli des contes de ce genre dans le «nord-ouest de la France» (Mélusine, 1877, col. 150); dans la Haute-Bretagne (Sébillot, I, no 48 et variante); dans la Basse-Normandie (J. Fleury, p. 190); en Picardie (Romania, VIII, p. 222);—en Allemagne (Grimm, no 55; Prœhle, II, no 20; Müllenhoff, pp. 306-309 et p. 409; Kuhn, Westfælische Sagen, I, p. 298);—en Autriche (Vernaleken, nos 2 et 3);—en Suède (Cavallius, no 10);—chez des populations polonaises de la Prusse orientale (Tœppen, p. 138)[251];—chez les Lithuaniens (Schleicher, p. 56);—chez les Slovaques de Hongrie (Chodzko, p. 341);—dans le Tyrol italien (Schneller, no 55),—en Sicile (Gonzenbach, no 84);—dans le pays basque (Webster, p. 56);—en Islande (Arnason, p. 27), et aussi, d'après M. R. Kœhler, en Flandre, en Angleterre, en Irlande (remarques sur le conte sicilien no 84 de la collection Gonzenbach) et en Hongrie (Zeitschrift für romanische Philologie, II, p. 351).
***
Nous dirons d'abord un mot du groupe le plus nombreux de contes de cette famille (contes allemands des collections Grimm, Prœhle, Müllenhoff, p. 409; conte suédois; conte slovaque; conte du Tyrol italien; conte sicilien; conte basque;—comparer, comme se rapprochant plus ou moins de ces divers contes, le conte français publié dans Mélusine et le conte islandais).
Dans ce groupe, une jeune fille, que son père ou sa mère a, tantôt pour une raison, tantôt pour une autre, fait passer pour une très habile fileuse, doit devenir reine ou grande dame, si elle file dans un temps très court une énorme quantité de lin, ou, dans plusieurs versions, si elle réussit à transformer de la paille en fil d'or (conte allemand de la collection Grimm, conte suédois, conte slovaque) ou du lin en soie (conte allemand de la collection Müllenhoff), comme ses parents ont prétendu qu'elle savait le faire. Un être mystérieux, souvent un diable, lui propose de se charger de cette tâche. Si elle devine son nom, ou, dans certains contes (conte français de Mélusine, conte breton, conte basque, conte allemand, p. 307 de la collection Müllenhoff, conte autrichien, conte islandais), si elle retient ce nom, elle n'aura rien à lui donner; autrement, elle, ou, dans certaines versions (Grimm, Müllenhoff, Kuhn), son premier enfant, lui appartiendra.—Dans aucun de ces contes, ce n'est la jeune fille qui entend le diable dire son nom; c'est une autre personne, qui ensuite le rapporte à la jeune fille, le plus souvent sans savoir l'intérêt qu'elle a à le connaître.
Trois contes présentent d'assez notables différences. Dans le conte westphalien de la collection Kuhn, l'héroïne est une femme qui file très mal et qui, à cause de sa maladresse, est continuellement grondée par son mari. Un nain mystérieux la rend adroite aux conditions que l'on sait.—Dans la variante bretonne, un homme menace sa femme de la tuer si elle n'a filé en huit jours tout le chanvre qui est dans un grand grenier.—Dans le conte picard, il s'agit d'un tisserand, à qui un inconnu remet une balle de lin à tisser. Dans huit jours il faut que la toile soit prête. «Si elle ne l'est pas, vous aurez de mes nouvelles.» Le tisserand ne pouvant venir à bout de sa besogne: «Ah! dit-il, je donnerais beaucoup à qui pourrait m'aider!» Arrive alors un petit homme habillé de vert qui lui dit: «Ta toile sera tissée à l'instant; mais, si tu ne me dis pas dans trois jours quel est mon nom, je prendrais ton âme.»
Dans d'autres contes, l'héroïne est également exposée à tomber entre les mains d'un être malfaisant, mais ce dernier lui a rendu un tout autre service que de filer à sa place: ainsi, dans le conte allemand, p. 308 de la collection Müllenhoff, il a montré leur chemin à une princesse et au roi son père, égarés dans une forêt; dans le conte de la Haute-Bretagne, il a donné à une jeune fille laide un charme destiné à la faire paraître belle aux yeux de celui qu'elle aime.
On voit que, dans notre conte, l'élément tragique, si l'on peut parler ainsi,—le danger qui menace l'héroïne,—a disparu. Aussi le récit a-t-il pris une tout autre couleur.
Parmi les contes dont nous avons donné la liste, le conte normand et le conte lithuanien peuvent seuls, à notre connaissance, être rapprochés sur ce point du conte lorrain.—Le conte normand est presque identique à notre conte; seulement le nom du diable est Rindon.—Le conte lithuanien présente quelques traits particuliers. Dans ce conte, une paysanne a du fil de lin à tisser; mais les travaux des champs l'empêchent de se mettre à cet ouvrage; aussi dit-elle souvent de dépit: «Mon lin, vous verrez que ce seront les laumes (êtres malfaisants sous forme de femmes) qui le tisseront!» Un jour, à sa grande surprise, une laume entre chez elle et lui dit: «Tu offres sans cesse ton lin aux laumes; eh bien! me voici; je te le tisserai. Quand la toile sera finie, si tu devines mon nom et que tu me régales bien, la toile sera à toi; sinon, elle m'appartiendra.»
Un almanach lorrain, Lo pia ermonèk loûrain (Strasbourg, 1879, p. 51), présente ce thème d'une façon toute particulière: Le diable, sous la forme d'un beau monsieur, dit à un pauvre bûcheron que, si le lendemain celui-ci a deviné son âge, il lui donnera un sac d'écus; sinon le bûcheron deviendra son valet et devra le suivre partout. Le lendemain, le bûcheron, arrivé à l'endroit du rendez-vous, est pris de peur en voyant qu'il n'a pas deviné, et il se cache dans un arbre creux. Quand le beau monsieur arrive, le bûcheron se met à crier dans sa cachette: coucou, coucou. Le diable s'arrête court et dit tout haut: «Je suis pourtant bien vieux; voilà que j'ai bien cent mille ans, et je n'ai jamais entendu chanter le coucou dans cette saison.» Le bûcheron, qui a entendu, peut répondre à la question du diable, et celui-ci est obligé de lui donner le sac d'écus.
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Au commencement du XVIIIe siècle, en 1705, Mlle Lhéritier insérait un conte de ce genre, Ricdin-Ricdon, dans son livre intitulé la Tour ténébreuse. Contes anglais. Dans ce conte, altéré en plus d'un endroit et tourné en manière de roman, la jeune fille, Rosanie, doit (comme dans certains contes actuels indiqués plus haut) non pas deviner, mais se rappeler le nom de l'homme habillé de brun dont elle a reçu pour trois mois une baguette qui lui permet de soutenir à la cour de la reine sa réputation peu méritée d'incomparable fileuse. Vers la fin des trois mois, le prince royal, qui aime Rosanie, et qui souffre de la voir préoccupée, s'en va à la chasse pour se distraire. Passant près d'un vieux palais en ruines, il y aperçoit plusieurs personnages d'une figure affreuse et d'un habillement bizarre. L'un d'eux fait des sauts et des bonds en hurlant une chanson dont le sens est que, si certaine étourdie avait mis dans sa cervelle qu'il s'appelait Ricdin-Ricdon, elle ne tomberait pas entre ses griffes. En rentrant au château, le prince raconte la chose à Rosanie, qui se trouve ainsi tirée du danger et qui épouse le prince.
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Il se raconte en Suède un conte de ce genre sous forme de légende, la légende de l'église de Lund. (Voir Une excursion en Suède, par M. Victor Fournel, dans le Correspondant du 10 décembre 1868, p. 868.) Il s'agit du géant Jætten Finn, qui promet à saint Laurent de bâtir une église; mais, quand l'église sera finie, il faudra que le saint ait deviné le nom du géant; sinon, il devra lui donner le soleil et la lune ou «les deux yeux de sa tête». Quand approche le moment fatal, saint Laurent interroge tous ceux qu'il rencontre et jusqu'aux bêtes de la forêt pour savoir le nom du géant; mais personne ne connaît ce nom. Enfin, passant le soir dans un pays qu'il n'avait jamais vu, devant une maison, il entend un enfant qui pleure et sa mère qui lui dit: «Tais-toi, ton père Jætten Finn va rentrer, et, si tu es sage, il t'apportera le soleil et la lune, ou les deux yeux de saint Laurent.» (Comparer, dans la collection Müllenhoff, p. 299, une légende très ressemblante, recueillie dans le Schleswig-Holstein.)
Le Magasin pittoresque a publié en 1869 (p. 330) un «vieux conte tourangeau», fort arrangé, mais dont le fond a de l'analogie avec cette légende suédoise: Un paysan doit livrer son fils à un démon, si dans trois jours il n'a pu deviner le nom de celui-ci. La mère de l'enfant entend une voix qui chante comme font les nourrices: «Cher petit démon, ne pleure pas: ton père Rapax (sic) va t'amener un beau petit compagnon.»
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Enfin, en Orient, dans la collection mongole du Siddhi-Kür, d'origine indienne, comme on sait, nous trouvons un récit (no 15) dont la donnée a du rapport avec les contes ci-dessus indiqués et particulièrement avec la légende suédoise et le conte tourangeau. Le voici: Un prince a été assassiné par son compagnon d'études et de voyages; en mourant il a dit un seul mot, dont personne n'a pu comprendre le sens. Le roi son père rassemble tous les savants, les devins, les enchanteurs du pays, et les fait enfermer dans une tour: si dans huit jours ils ne lui ont pas expliqué le mot mystérieux, ils seront mis à mort. La veille du jour où expire le délai, un des plus jeunes, qui est parvenu à sortir de la tour, va se cacher dans une forêt. Pendant qu'il est assis au pied d'un arbre, il entend des voix qui viennent du haut de cet arbre. C'est un enfant qui pleure; en même temps, son père et sa mère le consolent en lui disant que demain le roi fera mettre à mort mille savants. «Et pour qui seront leur chair et leur sang, si ce n'est pour nous?» L'enfant ayant demandé pourquoi le roi les fera exécuter, le père lui dit que c'est parce qu'ils ne peuvent deviner ce que signifie un certain mot, dont il lui donne le sens. Le jeune savant a tout entendu; il se rend auprès du roi, lui explique le mot en question, par lequel le prince désignait son assassin, et il sauve ainsi la vie à tous ses confrères.
XXVIII
LE TAUREAU D'OR
Il était une fois un roi qui avait pour femme la plus belle personne du monde. Elle ne lui avait donné qu'une jolie petite fille, qui devenait plus belle de jour en jour. La princesse était en âge d'être mariée, lorsque la reine tomba malade; se sentant mourir, elle appela le roi près de son lit et lui fit jurer de ne se remarier qu'avec une femme plus belle qu'elle-même. Il le promit, et, bientôt après, elle mourut.
Le roi ne tarda pas à se lasser d'être veuf, et ordonna de chercher partout une femme plus belle que la défunte reine, mais toutes les recherches furent inutiles. Il n'y avait que la fille du roi qui fût plus belle. Le roi, qui avait en tête de se remarier, mais qui voulait aussi tenir sa parole, déclara qu'il épouserait sa fille.
A cette nouvelle, la princesse fut bien désolée et courut trouver sa marraine, pour lui demander un moyen d'empêcher ce mariage. Sa marraine lui conseilla de dire au roi qu'elle désirait avoir avant les noces une robe couleur du soleil. Le roi fit chercher partout, et l'on finit par trouver une robe couleur du soleil. Quand on lui apporta cette robe, la princesse fut au désespoir: elle voulait s'enfuir du château, mais sa marraine lui conseilla d'attendre encore et de demander au roi une robe couleur de la lune. Le roi réussit encore à se procurer une robe telle que sa fille la voulait. Alors la princesse demanda un taureau d'or.
Le roi se fit apporter tout ce qu'il y avait de bijoux d'or dans le royaume, bracelets, colliers, bagues, pendants d'oreilles, et ordonna à un orfèvre d'en fabriquer un taureau d'or. Pendant que l'orfèvre était occupé à ce travail, la princesse vint secrètement le trouver et obtint de lui qu'il ferait le taureau creux. Au jour fixé pour les noces, elle ouvrit une petite porte qui était dissimulée dans le flanc du taureau et s'enferma dedans; quand on vint pour la chercher, on ne la trouva plus. Le roi mit tous ses gens en campagne, mais on ne l'avait vue nulle part. Il tomba dans un profond chagrin.
Il y avait dans un royaume voisin un prince qui était malade; il lui vint aussi la fantaisie de demander à ses parents un taureau d'or. Le roi, père de la princesse, ayant entendu parler de ce désir du prince, lui céda son taureau d'or, car il ne tenait pas à le conserver. La princesse était toujours dans sa cachette.
Le prince fit mettre le taureau d'or dans sa chambre, afin de l'avoir toujours devant les yeux. Depuis sa maladie, il ne voulait plus avoir personne avec lui et il mangeait seul; on lui apportait ses repas dans sa chambre. Dès le premier jour, la princesse profita d'un moment où le prince était assoupi pour sortir du taureau d'or, et elle prit un plat, qu'elle emporta dans sa cachette. Le lendemain et les jours suivants, elle fit de même. Le prince, bien étonné de voir tous les jours ses plats disparaître, changea d'appartement; mais comme il avait fait porter le taureau dans sa nouvelle chambre, les plats disparaissaient toujours. Enfin, il résolut de ne plus dormir qu'il n'eût découvert le voleur. Quand on lui eut apporté son repas, il ferma les yeux et fit semblant de sommeiller. La princesse aussitôt sortit tout doucement du taureau d'or pour s'emparer d'un des plats qui étaient sur la table; mais, s'étant aperçue que le prince était éveillé, elle fut bien effrayée; elle se jeta à ses pieds, et lui raconta son histoire. Le prince lui dit: «Ne craignez rien: personne ne saura que vous êtes ici. Désormais je ferai servir deux plats de chaque chose, l'un pour vous et l'autre pour moi.»
Le prince fut bientôt guéri et se disposa à partir pour la guerre. «Quand je reviendrai,» dit-il à la princesse, «je donnerai trois coups de baguette sur le taureau pour vous avertir.»
Pendant l'absence du prince, le roi son père voulut montrer le taureau d'or à des seigneurs étrangers qui étaient venus le visiter. L'un d'eux, pour voir si le taureau était creux, le frappa de sa baguette par trois fois. La princesse, croyant que c'était le prince qui était revenu, sortit aussitôt de sa cachette. Elle eut grand'peur en voyant qu'elle s'était trompée. Le roi, très surpris, lui fit raconter son histoire, et lui dit de rester au château aussi longtemps qu'elle voudrait.
Or, il y avait à la cour une jeune fille qu'on y élevait pour la faire épouser au prince. En voyant les attentions qu'on avait pour la princesse, elle fut prise d'une jalousie mortelle. Un jour qu'elles se promenaient ensemble au bois, cette jeune fille conduisit la princesse au bord d'un grand trou en lui disant de regarder au fond, et, pendant que la princesse se penchait pour voir, elle la poussa dedans et s'enfuit. La princesse, qui était tombée sans se faire de mal, appela au secours. Un charbonnier, qui passait près de là, accourut à ses cris, la retira du trou et la ramena au château. Justement le prince, la guerre étant terminée, venait d'y rentrer lui-même, et l'on faisait les préparatifs de ses noces avec sa fiancée. Un grand feu de joie avait été allumé devant le château. Le prince, ayant appris ce qui était arrivé, ordonna de jeter dans le feu la méchante fille, puis il épousa la belle princesse. On fit savoir au roi son père qu'elle était mariée; il prit bien la chose, et tout fut pour le mieux.
REMARQUES
Il est inutile de faire remarquer la ressemblance de l'introduction de notre conte avec celle du conte de Peau d'Ane. Nous n'avons pas à nous occuper spécialement de ce dernier conte; disons seulement un mot de son introduction, c'est-à-dire, pour préciser, de la partie du conte où il est parlé du projet criminel du roi et des premières demandes que lui fait la princesse pour en empêcher l'exécution (demandes de vêtements en apparence impossibles à fabriquer). On la retrouve notamment dans les contes suivants: un conte allemand (Grimm, no 65), un conte lithuanien (Schleicher, p. 10), un conte tchèque de Bohême (Waldau, p. 502), un conte valaque (Schott, no 3), des contes grecs modernes (Hahn, no 27 et variantes), un conte sicilien (Gonzenbach, no 38), un conte italien de Rome (miss Busk, p. 84), des contes basques (Webster, p. 165), un conte écossais (Campbell, no 14),—tous du type de Peau d'Ane,—et dans deux des contes que nous allons avoir à rapprocher de notre Taureau d'or, un conte de la Haute-Bretagne (Sébillot, II, no 40) et un conte catalan (Rondallayre, I, p. 111).
La promesse faite par le roi à sa femme de n'épouser qu'une femme aussi belle ou plus belle qu'elle, se retrouve dans plusieurs de ces contes; mais là, le plus souvent, la reine a quelque qualité merveilleuse, par exemple, des cheveux d'or (conte allemand) ou une étoile d'or sur le front (conte tchèque).—Dans d'autres contes, le roi promet de n'épouser que la femme au doigt de laquelle ira l'anneau de la reine (conte sicilien; conte grec no 27, var. 2, de la collection Hahn), ou bien qui pourra mettre ses souliers (conte romain) ou ses vêtements (conte écossais; conte breton).
Dans plusieurs de ces contes, les vêtements demandés sont à peu près les mêmes que dans notre conte et dans celui de Perrault; dans d'autres, il y a quelques différences: ainsi, dans le conte sicilien, la première robe doit être couleur du ciel avec le soleil et les étoiles; la seconde, couleur de la mer avec les plantes et les animaux marins; la troisième, couleur de la terre avec tous les animaux et les fleurs.—A la peau de l'âne aux écus d'or, demandée en dernier lieu par la princesse dans le conte de Perrault, correspond, dans la plupart des contes du type de Peau d'Ane, un manteau de peau, plus ou moins extraordinaire: par exemple, dans le conte allemand, un manteau où doit entrer un morceau de la peau de tous les animaux du pays; dans le conte valaque, un manteau de peaux de poux, garni de peaux de puces, etc. Dans quelques-uns de ces contes (conte romain; conte grec no 27, var. 1, de la collection Hahn), le dernier objet demandé par la princesse est une sorte de boîte ayant forme humaine, dont elle se revêt pour ainsi dire, et qui ne l'empêche pas de se mouvoir.
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A partir de l'endroit où la princesse demande le taureau d'or, notre conte se sépare du conte de Peau d'Ane et développe un thème bien distinct. Nous trouvons ce thème dans le conte breton indiqué plus haut, qui offre de grands rapports avec notre conte, mais qui n'en a pas la dernière partie (les aventures de la princesse pendant que le prince est à la guerre); dans ce conte breton, en effet, le prince épouse la princesse, dès qu'il l'a surprise sortant du «bœuf d'or», et le conte se termine là.—Cette dernière partie manque également dans un conte italien, recueilli à Rome (miss Busk, p. 91). Ici le commencement est altéré: le roi, père de la princesse, veut simplement lui faire épouser un «vieux vilain roi». La princesse demande à son père, avant de donner son consentement, un chandelier d'or, haut de dix pieds et plus gros qu'un homme. A peine l'a-t-elle qu'elle s'en montre dégoûtée, et elle dit à son chambellan de l'en débarrasser: le prix qu'il en tirera sera pour lui. Puis elle s'enferme dans le chandelier. Le chambellan porte le chandelier dans un pays étranger, et le vend au fils du roi, qui le fait mettre dans sa chambre. Le soir, quand il revient du théâtre, il trouve mangé le souper qu'on lui avait apporté dans sa chambre. Le lendemain, même chose. La troisième fois, il se cache et surprend la princesse. Depuis ce moment, il ne sort plus de sa chambre, et, quand ses parents le pressent de se marier, il dit qu'il ne veut épouser que le chandelier (la candeliera). On le croit fou; mais, un jour, la reine, entrant à l'improviste dans la chambre de son fils, voit ouverte la porte ménagée dans le chandelier et une jeune fille à table avec le prince. Elle comprend alors ce que celui-ci voulait dire, et, comme le roi et la reine sont charmés de la beauté de la princesse, le mariage se fait aussitôt.—Un conte italien de Bologne (Coronedi-Berti, no 3), dont la première partie est toute différente[252], se rapproche beaucoup de ce conte romain (la jeune fille se met, là aussi, dans un gros chandelier); mais il est moins complet.
C'est également un chandelier qui, dans un conte albanais (Dozon, no 6), tient la place du taureau d'or, et ce conte albanais, à la différence des trois contes précédents, a une dernière partie correspondant à celle du conte lorrain: Le prince, comme dans notre conte, est déjà fiancé, mais cela ne l'empêche pas d'épouser la princesse «sans faire de noces». Plus tard, obligé d'aller en guerre, il dit à sa femme de rester cachée dans le chandelier; les serviteurs lui apporteront à manger. Un jour, la mère de la fiancée du prince entre dans la chambre, et, y trouvant la jeune femme, elle la fait jeter dans un endroit rempli d'orties. La princesse est recueillie par une vieille, qui est venue chercher des orties pour en faire un plat. A son retour de la guerre, le prince, ne retrouvant plus sa femme, tombe malade de chagrin. Pendant sa maladie, il lui prend envie de manger un plat de légumes, et il fait crier par toute la ville qu'on lui en procure un. La vieille lui en apporte; mais les herbes ont été hachées par la jeune femme, qui y a mis son anneau de mariage. Le prince, ayant trouvé l'anneau, le reconnaît aussitôt; il se rend chez la vieille et retrouve sa femme. (Cet épisode de l'anneau mis dans le plat d'herbes rattache la dernière partie de ce conte albanais au conte de Peau d'Ane, dont il avait déjà presque toute l'introduction.)—Nous citerons encore, comme ayant une dernière partie analogue à celle du conte lorrain, le conte catalan mentionné tout à l'heure (Rondallayre, I, p. 111). Dans ce conte, la princesse, après avoir, sur l'avis de son confesseur, demandé à son père une robe de plumes de toutes les couleurs, une autre d'écailles de tous les poissons, et une troisième «faite d'étoiles», lui demande enfin une boîte d'or, assez grande pour qu'elle y puisse tenir. Quand elle a cette boîte, elle s'y enferme et dit à ses serviteurs de la porter en lieu de sûreté. Ceux-ci, passant dans un royaume où tout le monde est triste à cause de la maladie du fils du roi, plongé dans une profonde mélancolie, se laissent entraîner par l'appât du gain à vendre la boîte d'or, dont on veut faire présent au prince. La boîte est mise dans sa chambre. Deux nuits de suite, pendant que le prince est endormi, la princesse sort de la boîte et va lui écrire dans la main[253]. La troisième nuit, le prince fait semblant de dormir. Il voit la princesse et apprend d'elle qui elle est. A partir de ce moment, il cesse d'être triste et ordonne que désormais on lui apporte dans sa chambre double part de chaque mets. Par malheur, bientôt le prince est obligé de partir pour la guerre. Il donne son anneau à la princesse et dit à ses gens de continuer à porter tous les jours à manger dans sa chambre. Les valets, fort étonnés de cet ordre, vont regarder par le trou de la serrure et découvrent la présence de la princesse. Ils l'emportent bien loin dans la boîte d'or, vendent la boîte et jettent la princesse dans un trou rempli d'épines. Elle est délivrée par des bergers, qui lui font garder les cochons. Cependant le prince, de retour, envoie partout à la recherche de la princesse; mais c'est peine inutile, et il retombe dans sa noire tristesse. Le roi son père ayant fait publier partout qu'il donnerait une grande récompense à qui rendrait la gaieté à son fils, la princesse se présente au château, sous ses habits de porchère, montre au prince l'anneau que celui-ci lui a donné, et elle l'épouse.
Nous rencontrons encore à peu près la même idée dans un conte sicilien (Pitrè, I, p. 388), où la princesse, que son père veut épouser, s'enferme avec des provisions dans un magnifique meuble de bois doré qu'elle fait jeter à la mer. Un roi recueille le meuble et le fait porter dans son palais. Ici, comme dans les contes précédents et dans notre conte, la princesse sort trois fois de sa cachette pour manger, et le roi la surprend et l'épouse.—Le coffre doré où s'enferme la princesse et qui est porté dans la chambre d'un prince, figure encore dans un conte grec moderne (B. Schmidt, no 12), au milieu d'un récit où cet épisode est très gauchement introduit.—Voir enfin (dans la revue Giambattista Basile, 1883, p. 45) un conte napolitain, dont l'introduction est celle du conte bolonais. De même que, dans le conte romain, le prince déclare qu'il veut épouser la candeliera, de même ici il dit qu'il veut épouser la cascia (la «caisse», le «coffre»).
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Il paraît que le conte que nous étudions ici forme le sujet d'un de ces petits livres populaires anglais connus sous le nom de chap-books. C'est ce qui ressort du titre de ce chap-book, que M. Kœhler (Zeitschrift für romanische Philologie, II, p. 351) emprunte à un livre anglais de M. Halliwell. Voici ce titre: «Le Taureau d'or, ou l'Adroite Princesse, en quatre parties.—1. Comment un roi voulut épouser sa propre fille, la menaçant de la tuer si elle ne consentait pas à devenir sa femme. 2. Adresse de cette demoiselle qui se fait transporter au delà de la mer dans un taureau d'or vers le prince qu'elle aimait. 3. Comment son arrivée et son amour vinrent à la connaissance du jeune prince. 4. Comment sa mort fut concertée par trois dames en l'absence de son amant; comment elle fut préservée, et, bientôt après, mariée au jeune prince, avec d'autres remarquables incidents.»
Au milieu du XVIe siècle, en Italie, Straparola insérait parmi ses nouvelles un conte de ce genre (no 6 des contes extraits de Straparola et traduits en allemand par Valentin Schmidt): La princesse de Salerne, en mourant, remet son anneau à son mari Tebaldo et lui fait promettre,—comme dans plusieurs des contes mentionnés ci-dessus,—qu'il ne se remariera qu'avec la femme au doigt de laquelle ira cet anneau. Or l'anneau ne va qu'au doigt de la fille du prince, Doralice, qui, le trouvant un jour, s'est amusée à l'essayer. Tebaldo veut épouser Doralice. Celle-ci, sur le conseil de sa nourrice, s'enferme dans une armoire artistement travaillée que la nourrice seule sait ouvrir et dans laquelle elle a mis une liqueur dont quelques gouttes permettent de vivre longtemps sans autre nourriture. Tebaldo, furieux de la disparition de sa fille, voit un jour l'armoire, et, comme elle lui rappelle des souvenirs odieux, il la fait vendre à un marchand génois, lequel à son tour la vend au jeune roi d'Angleterre. Ce dernier la fait mettre dans sa chambre à coucher. Pendant qu'il est à la chasse, Doralice sort de l'armoire, met en ordre la chambre et l'orne de fleurs odoriférantes. Cela se renouvelle plusieurs fois. Le roi demande à sa mère et à ses sœurs qui lui pare si bien sa chambre; mais elles n'en savent pas plus que lui. Enfin, un matin, le roi fait semblant de partir pour la chasse, et il se cache dans un endroit d'où il peut voir dans sa chambre par une fente. Doralice est découverte et le roi l'épouse.—La suite n'a aucun rapport avec notre conte.
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En Orient, un conte syriaque ressemble beaucoup au conte lorrain, malgré diverses altérations (E. Prym et A. Socin, no 52): La femme d'un riche juif, se sentant mourir, fait promettre à son mari de ne se remarier qu'avec la femme à qui iront ses souliers à elle. Le juif a beau essayer les souliers à toute sorte de femmes: aucune ne peut les mettre. Un jour, sa fille les prend, et ils lui vont à ravir. Le juif déclare qu'il veut l'épouser[254]. La jeune fille lui dit qu'elle veut d'abord qu'il lui rapporte de beaux habits de la ville. Pendant qu'il est parti, elle fait mettre une serrure à l'intérieur d'un coffre et s'y enferme avec des provisions. Le juif, étant de retour, cherche partout en vain sa fille, et, de colère, il porte le coffre au marché et le met en vente (il est probable que, dans la forme originale, sa fille lui avait demandé de lui donner un coffre de telle et telle façon: on comprend alors que la vue de ce coffre l'irrite). Un prince achète le coffre et le fait porter dans la chambre de son fils. Pendant l'absence de celui-ci, la jeune fille sort de sa cachette, fait cuire le riz et met la chambre en ordre. Le lendemain, de grand matin, elle prépare le café. Le prince, fort surpris, fait semblant de sortir, et se cache dans un coin de la chambre. Il surprend ainsi la jeune fille, qui lui raconte son histoire, et il l'épouse.—Le conte se poursuit en passant dans d'autres thèmes, dont le principal n'est pas sans analogie avec la dernière partie du conte de Straparola. Voir les remarques de notre no 78, la Fille du marchand de Lyon.
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Nous rapprocherons des contes de ce type qui ont la dernière partie, un conte sicilien se rattachant à un autre thème, et où nous retrouverons un détail du conte lorrain que nous n'avons pas jusqu'ici rencontré. Voici ce conte (Pitrè, no 37): Une reine a mis au monde, au lieu d'enfant, un pied de romarin, si beau qu'il fait l'admiration de tous ceux qui le voient. Un sien neveu, roi d'Espagne, obtient d'emporter ce romarin dans son pays. Un jour qu'il joue du flageolet à côté du romarin, il en voit sortir une belle jeune fille, et il en est de même toutes les fois qu'il joue de son flageolet. Obligé de partir pour la guerre, le prince dit à Rosamarina (la jeune fille) que, quand il reviendra, il jouera trois fois de suite du flageolet et qu'alors elle pourra sortir de son romarin. (Comparer, dans notre conte, les trois coups de baguette sur le taureau d'or.) Pendant son absence, les trois sœurs du prince entrent dans son appartement, et, trouvant le flageolet, chacune en joue à son tour. A la troisième fois, apparaît Rosamarina. Les princesses, s'apercevant alors pourquoi leur frère n'aimait plus à sortir, et furieuses contre Rosamarina, l'accablent de coups et la laissent à demi morte. Suit un long épisode où le jardinier chargé par le prince de soigner le romarin découvre par hasard le moyen de rompre le charme qui tient Rosamarina attachée à son arbuste. Il la guérit, et, à son retour, le prince l'épouse.—Comparer un conte serbe (Archiv für slawische Philologie, II, p. 635) et un conte napolitain du XVIIe siècle (Pentamerone, no 2).
XXIX
LA POUILLOTTE & LE COUCHERILLOT
Un jour, la pouillotte[255] et le coucherillot[256] s'en allèrent aux noisettes. En cassant les noisettes à la pouillotte, le coucherillot avala une écale; il étranglait.
La pouillotte courut à une fontaine: «Fontaine, donne-moi de ton eau pour m'abreuver, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot[257].—Tu n'en n'auras pas, si tu ne vas me chercher de la mousse.»
La pouillotte s'en alla près d'un chêne: «Chêne, mousse-moi, que je mousse la fontaine, que la fontaine m'abreuve, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot.—Tu n'auras rien, si tu ne vas me chercher une bande.»
La pouillotte alla trouver une dame: «Madame, bandez-moi, que je bande le chêne, que le chêne me mousse, que je mousse la fontaine, que la fontaine m'abreuve, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot.—Tu n'auras rien, si tu ne vas me chercher des pantoufles.»
La pouillotte entra chez le cordonnier: «Cordonnier, pantoufle-moi, que je pantoufle madame, que madame me bande, que je bande le chêne, que le chêne me mousse, que je mousse la fontaine, que la fontaine m'abreuve, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot.—Tu n'auras rien, si tu ne vas me chercher des soies.»
La pouillotte alla trouver une coche[258]: «Coche, soie-moi, que je soie le cordonnier, que le cordonnier me pantoufle, que je pantoufle madame, que madame me bande, que je bande le chêne, que le chêne me mousse, que je mousse la fontaine, que la fontaine m'abreuve, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot.—Tu n'auras rien, si tu ne vas me chercher de l'orge.»
La pouillotte alla près d'une gerbe: «Gerbe, orge-moi, que j'orge la coche, que la coche me soie, que je soie le cordonnier, que le cordonnier me pantoufle, que je pantoufle madame, que madame me bande, que je bande le chêne, que le chêne me mousse, que je mousse la fontaine, que la fontaine m'abreuve, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot.—Tu n'auras rien, si tu ne vas me chercher le batteur.»
La pouillotte s'en alla trouver le batteur: «Batteur, bats la gerbe, que la gerbe m'orge, que j'orge la coche, que la coche me soie, que je soie le cordonnier, que le cordonnier me pantoufle, que je pantoufle madame, que madame me bande, que je bande le chêne, que le chêne me mousse, que je mousse la fontaine, que la fontaine m'abreuve, que j'abreuve le petit coucherillot, qui étrangle en grand gosillot.»
REMARQUES
Le conte s'arrête, comme on voit, brusquement. Dans la forme complète, la poule finit par avoir de l'eau, mais elle arrive trop tard auprès du coq, mort et bien mort.
Depuis la publication de notre conte lorrain dans la Romania, on nous a communiqué un conte inédit, provenant des environs de la Ferté-Gaucher (Seine-et-Marne): Le coq a donné un coup de bec à la poule. Celle-ci va trouver le cordonnier «pour qu'il lui raccommode le petit trou que le coq lui a fait». Le cordonnier n'a pas de soies. La poule va en demander au cochon. Le cochon veut avoir du son. Le meunier, avant de donner le son, veut avoir des chats pour se débarrasser des souris. La chatte ne veut donner de ses petits chats que si on lui apporte du lait. La vache demande de l'herbe. Le pré n'en veut pas donner sans avoir une herse (sic). La poule va chercher la herse, qui fauche vingt arpents d'un coup. Le conte finit là.
Dans deux contes allemands (Grimm, III, p. 129 et no 80), dans un conte norwégien (Asbjœrnsen, I, no 16), dans un conte tchèque de Bohême (Waldau, p. 341), le coq et la poule vont aussi aux noix, et l'un d'eux,—dans les trois premiers contes, la poule,—étrangle pour avoir voulu avaler un trop gros morceau. Dans un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, no 75), c'est un pois que la poule avale.—Dans un conte picard (Carnoy, p. 217), le petit coq, que son père a conduit au bois pour lui faire manger des noisettes, avale une écale.
Au lieu du coq et de la poule, les deux principaux personnages d'un conte corse (Ortoli, p. 237) sont un petit chat et une petite chatte qui mangent des amandes (sic); une amande reste dans le gosier de la petite chatte.
Nous retrouvons dans ces divers contes à peu près la série de personnages et d'objets mis en scène. Ainsi, dans le conte norwégien, la fontaine, pour donner de son eau, demande des feuilles; le tilleul, pour donner ses feuilles, un beau ruban (comparer la «bande» de notre conte); la Vierge Marie, pour donner le ruban, une paire de souliers; le cordonnier, des soies; le sanglier, du grain; le batteur, du pain; le boulanger, du bois; le bûcheron, une hache; le forgeron, du charbon. Le charbonnier donne le charbon, etc. (Ici, par exception, la poule revient à la vie.)
Un conte de la Souabe (Meier, no 80) se rapproche de la variante de Seine-et-Marne: Le coq et la poule voyagent ensemble. En sautant un fossé, le coq prend si fort son élan, que son jabot crève. Ils s'en vont chez le cordonnier. «Cordonnier, donne-moi du fil, que je recouse mon jabot.» Le cordonnier demande des soies; la truie, du lait; la vache, de l'herbe, etc.
Ce conte souabe a beaucoup de rapport avec deux contes, l'un allemand (Simrock, no 36), l'autre suisse (Sutermeister, no 5), où une souris a tant ri en voyant son compagnon de route, le chat (ou le charbon: comparer Grimm, no 18 et III, p. 27), tomber dans l'eau, que sa «petite panse» en a crevé. Elle va trouver le cordonnier pour lui demander de la recoudre; le cordonnier demande des soies, et ainsi de suite. Comparer un conte catalan, très voisin (Rondallayre, III, p. 48).—Dans un conte du département de l'Ardèche (Mélusine, 1877, col. 425), un rat ayant eu, on ne dit pas comment, la queue coupée, va aussi trouver le cordonnier, etc. Comparer un conte italien de Bologne, du même genre (Coronedi-Berti, no 10).—Dans d'autres contes, l'un anglais (Halliwell, p. 33), l'autre allemand (Meier, no 81), le chat a coupé la queue de la souris, et il ne veut la lui rendre que si la souris va lui chercher du lait (ou du fromage). Suit tout un enchaînement de personnages.
Ajoutons encore à la liste des rapprochements à faire un conte sicilien (Pitrè, no 135), dans lequel notre thème est très bizarrement rattaché au thème de notre no 62, l'Homme au pois; trois contes italiens du pays napolitain (Imbriani, XII Conti pomiglianesi, p. 236 seq.), un conte portugais (Coelho, no 13) et un conte écossais (Campbell, no 8).
Enfin, notre thème se présente sous une autre forme que celle de conte. Ainsi, dans Mélusine (1877, col. 148), la «randonnée» suivante, recueillie dans la Loire-Inférieure: «Minette m'a perdu mes roulettes. J'ai dit à Minette: Rends-moi mes roulettes. Minette m'a dit: Je ne te rendrai tes roulettes que si tu me donnes croûtettes. J'ai été à ma mère lui demander croûtettes. Ma mère m'a dit, etc.» Et à la fin: «Le chêne m'englande,—J'englande le porc;...—Ma mère m'encroûte,—J'encroûte Minette,—Et Minette m'a rendu mes roulettes.» Comparer encore, dans Mélusine (1877, col. 218), une «randonnée» du département de l'Eure, et, dans les Contes populaires recueillis en Agenais, de M. J.-F. Bladé, le no 5, le Lait de Madame.
***
En Orient, nous trouvons un conte du même genre d'abord chez les Ossètes du Caucase (Mélanges asiatiques, publiés par l'Académie de Saint-Pétersbourg, t. V [1864-1868], p. 99, et Bulletin de l'Académie, t. VIII, p. 36): Le pou et la puce voyagent ensemble; ils sont obligés de passer l'eau. La puce saute sur l'autre bord, mais le pou tombe dans l'eau. La puce s'en va trouver le cochon et lui demande une de ses soies pour retirer son compagnon. Avant de donner la soie, le cochon veut avoir des glands. Le chêne demande que Qürghüi ne vienne plus souiller le terrain auprès de lui (sic). Qürghüi veut un œuf. La poule demande que la souris ne vienne plus ronger son panier; la souris, que le chat ne l'attrape plus; le chat veut du lait. La vache donne le lait; le chat le boit et ne prend plus la souris; la souris ne ronge plus le panier; la poule donne un œuf; Qürghüi mange l'œuf et ne souille plus le terrain auprès du chêne; le chêne donne des glands; le cochon les mange et donne une de ses soies, et la puce retire de l'eau son compagnon. «Aujourd'hui ils vivent encore.»
Il a été recueilli dans l'Inde un conte très voisin des contes européens, et qui est, paraît-il, très populaire chez les Hindous et chez les Mahométans dans les districts de Firôzpûr, de Siâlkôt et de Lahore (Indian Antiquary, 1880, p. 207;—Steel et Temple, p. 111): Un moineau et une corneille conviennent un jour de faire cuire du khirjrî (préparation de riz et de pois) pour leur dîner. La corneille apporte les pois; le moineau le riz, et le moineau fait la cuisine. Quand le khirjrî est prêt, la corneille arrive pour avoir sa part. «Non», dit le moineau; «tu es malpropre; va laver ton bec dans l'étang là-bas, et ensuite tu viendras dîner.» La corneille s'en va près de l'étang. «Tu es monsieur l'étang; moi, je suis madame la corneille. Donne-moi de l'eau, que je puisse laver mon bec et manger mon khirjrî.—Je t'en donnerai,» dit l'étang, «si tu vas trouver le daim, que tu prennes une de ses cornes pour creuser un trou dans le sol auprès de moi, et alors je laisserai couler mon eau claire et fraîche.» La corneille va trouver le daim: «Tu es monsieur le daim; moi, je suis madame la corneille. Donne-moi une de tes cornes, que je puisse creuser un trou, etc.» Le daim lui dit: «Je te donnerai une de mes cornes, si tu me donnes du lait de buffle; car alors je deviendrai gras, et cela ne me fera pas de mal de me casser une corne.» La femelle du buffle demande à son tour de l'herbe; l'herbe dit à la corneille d'aller d'abord chercher une bêche. Le forgeron, à qui la corneille s'adresse pour avoir la bêche, dit qu'il la donnera, si la corneille lui allume son feu et fait aller le soufflet. La corneille se met à allumer le feu et à faire aller le soufflet; mais elle tombe au milieu du feu et elle y périt. «Ainsi le moineau mangea tout le khirjrî à lui seul.»
XXX
LE FOIE DE MOUTON
Il était une fois un militaire qui revenait de la guerre. Sur son chemin il rencontra un homme qui lui proposa de faire route avec lui; le militaire y consentit. Les deux compagnons étant venus à passer auprès d'un troupeau de moutons: «Tiens,» dit l'homme au militaire, «voici trois cents francs; tu vas m'acheter un mouton, et nous le ferons cuire pour notre repas.»
Le militaire prit l'argent et alla demander au berger de lui vendre un mouton. «C'est impossible,» dit le berger, «le troupeau ne m'appartient pas.—Je te paierai cent francs pour un mouton,» dit l'autre. Finalement, le berger accepta le marché, et le militaire revint avec la bête.
«Maintenant,» lui dit son compagnon, «nous allons apprêter notre repas. Va d'abord me chercher de l'eau.» Et il lui donna un vase sans fond. Le militaire puisa à la plus prochaine fontaine, mais il ne put rapporter une goutte d'eau; il fallut que l'homme y allât lui-même.
Le militaire, pendant l'absence de son compagnon, s'occupa de faire rôtir le mouton, et, tout en tournant la broche, il prit le foie et le mangea. L'homme, de retour, demanda ce qu'était devenu le foie du mouton. «Le mouton n'en avait pas,» répondit le militaire.—«Un mouton qui n'a pas de foie! cela ne s'est jamais vu.—Moi,» dit le militaire, «je l'ai déjà vu.—Combien a coûté le mouton?» reprit l'homme.—«Il a coûté les trois cents francs que vous m'avez donnés.—Tu as gardé une partie de l'argent,» dit l'homme; «autrement tu aurais pu rapporter l'eau dans le vase sans fond. Mais passe pour cette fois.»
Ils poursuivirent leur route et entrèrent chez une vieille dame, qui avait bien quatre-vingts ans et qui était fort riche. Elle avait promis la moitié de sa fortune à celui qui pourrait la faire redevenir jeune comme à quinze ans. L'homme s'offrit à la rajeunir. Il commença par la tuer, puis il brûla son corps, mit les cendres dans un linge et fit une fois le tour du puits. Aussitôt la vieille dame se retrouva sur pied, pleine de vie et de santé, et jeune comme à quinze ans; elle paya bien volontiers le prix de son rajeunissement. Quelque temps après, l'homme rendit encore le même service à une autre vieille dame, et reçut la même récompense.
Or cet homme était le bon Dieu qui avait pris la forme d'un voyageur. Il fit trois parts de l'argent et dit au militaire: «As-tu mangé le foie du mouton?—Non, je ne l'ai pas mangé.—Eh bien! celui qui l'a mangé aura deux de ces trois parts.—Oh! alors,» dit l'autre, «c'est moi qui l'ai mangé.—Prends tout,» dit le bon Dieu, «mais tu auras encore besoin de moi.» Et il le quitta.
Le militaire continua son voyage et eut encore une fois la chance de rencontrer une vieille dame qui voulait aussi rajeunir. Il entreprit la chose et fit tout ce qu'il avait vu faire au bon Dieu: il tua la dame, brûla son corps, mit les cendres dans un linge et tourna une fois autour du puits; mais ce fut peine perdue. Il refit jusqu'à six fois le tour du puits, sans plus de succès. La justice arriva, et notre homme allait être conduit en prison quand, fort heureusement pour lui, le bon Dieu le tira d'affaire en ressuscitant la vieille dame. Le militaire remercia le bon Dieu, et se promit bien de ne plus s'aviser à l'avenir de vouloir rajeunir les gens.
REMARQUES
Le conte qui, à notre connaissance, se rapproche le plus du conte lorrain, est un conte toscan (Nerucci, no 31): Pipetta, soldat revenant de la guerre avec trois sous seulement dans sa poche, en donne successivement deux à deux vieux pauvres et partage le dernier avec un troisième. Celui-ci (en réalité, les trois sont un seul et même personnage mystérieux) dit à Pipetta d'aller chercher un mouton à tel endroit: le berger à qui il en demandera un le lui donnera. Pipetta rapporte, en effet, un mouton, et ils le font cuire. Quand il est cuit, le vieillard dit à Pipetta qu'il voudrait manger le cœur. Mais Pipetta l'a lui-même mangé, pendant qu'il surveillait la cuisine. Il répond que le mouton n'avait pas de cœur. Les deux compagnons se mettent en route.—Bientôt ils ont une rivière à passer; Pipetta a de l'eau jusqu'aux genoux. Le vieillard lui demande si vraiment le mouton n'avait pas de cœur, «Non,» dit Pipetta, «il n'en avait pas.» Alors l'eau lui monte jusqu'au cou; il persiste à nier. L'eau monte encore; il en a par dessus la tête, qu'il fait encore signe que non. Le vieillard, qui ne veut pas sa mort, fait baisser l'eau, et ils arrivent sains et saufs sur l'autre bord.—Le vieillard se présente avec Pipetta devant un roi dont la fille est atteinte d'une maladie mortelle, promettant de la guérir. Le roi le prévient que, s'il ne réussit pas, il y va de sa tête. Le vieillard; accompagné de Pipetta, s'enferme avec la malade dans une chambre où il y a un four; quand le four est bien chauffé, il y met la princesse. Au bout de trois jours, il tire du four un monceau de cendres; il prononce dessus certaines paroles, et voilà la princesse debout, vivante et bien portante. Le roi fait conduire les deux compagnons dans son trésor, et Pipetta prend tout l'argent qu'il peut emporter. Quand il s'agit de partager, le vieillard fait trois tas de l'argent: le troisième sera pour celui qui a mangé le cœur du mouton. «C'est moi qui l'ai mangé», dit Pipetta. Plus tard, après s'être séparé du vieillard, Pipetta veut, lui aussi, guérir la fille d'un roi par le moyen qu'il a vu employer par son compagnon. Mais, naturellement, il ne réussit pas. On est en train de le conduire au supplice, quand le vieillard apparaît, ressuscite la princesse et sauve Pipetta.
Dans ce conte italien, il n'est pas dit qui est ce vieillard mystérieux. Dans un conte hessois (Grimm, III, p. 129), dans un conte autrichien (Grimm, no 81), et aussi dans un conte souabe (Meier, no 62), qui pourrait bien dériver directement du livre des frères Grimm, c'est saint Pierre. Le conte hessois a tous les épisodes du conte italien; dans le conte autrichien, il manque (comme dans notre conte) l'épisode de la rivière[259].—Tous ces contes, ainsi qu'un conte de la Flandre française (Deulin, II, p. 116 seq.), rattachent à ce récit une seconde partie appartenant à un autre thème.
Dans les contes qui vont suivre, ce n'est plus saint Pierre qui joue le grand rôle. Dans un conte de la Basse-Bretagne (Luzel, Légendes, I, p. 30), où le cadre général du récit est tout particulier, c'est Notre-Seigneur, voyageant avec saint Pierre et saint Jean. Dans un conte catalan (Maspons, p. 56) et dans un conte allemand du duché d'Oldenbourg (Strackerjan, II, p. 301), c'est Notre-Seigneur avec saint Pierre seulement.
Dans le conte oldenbourgeois, complet, mais assez altéré, ce n'est pas le cœur d'un mouton ou d'un agneau (comme dans presque tous les contes indiqués ci-dessus) ou le cœur d'un lièvre (comme dans le conte flamand) que le héros a mangé; c'est la seconde moitié d'un pain, dont la première lui avait été précédemment donnée.—Même chose, ou à peu près, dans un conte russe (Ralston, p. 351), où le vieillard est saint Nicolas.
Le conte catalan et un conte toscan (Gubernatis, Novelline di Santo-Stefano, no 31) n'ont que l'épisode des guérisons. Dans le conte toscan, c'est Jésus qui a pris la forme d'un vieux pauvre; dans le conte catalan, c'est saint Pierre, et le commencement ressemble beaucoup à celui du conte toscan de la collection Nerucci, analysé plus haut.—Un conte tchèque de Bohême (Wenzig, p. 88) n'a que l'épisode des parts. Saint Pierre, ou plutôt Pierre, comme dans le conte lorrain cité en note, joue vis-à-vis de Jésus un rôle analogue à celui du soldat des contes lorrain, autrichien, etc. Il fait semblant de ne pas entendre quand le Maître lui demande ce qu'est devenu l'un des trois fromages que Pierre est allé acheter. Le conte se termine par une leçon morale.
Dans les contes autrichien, hessois, flamand et catalan, le héros est, comme dans notre conte et dans le conte toscan de la collection Nerucci, un ancien soldat.
***
Guillaume Grimm donne l'analyse d'un conte semblable qui se trouve dans un livre allemand, imprimé probablement en 1551, le Wegkürzer, de Martinus Montanus. Là, les deux compagnons sont le bon Dieu et un Souabe. Le bon Dieu ayant ressuscité un mort, on lui donne cent florins en récompense. Suit l'épisode de l'agneau, dont le Souabe mange le foie, comme dans le conte lorrain. Puis le Souabe veut ressusciter, lui aussi, un mort, et il est sauvé de la potence par le bon Dieu. Enfin les cent florins sont partagés en trois parts, et le Souabe s'empresse de dire qu'il a mangé le foie de l'agneau.
G. Grimm résume encore un autre conte de la même époque, qui met en scène saint Pierre et un lansquenet, et il relève des allusions à des contes de ce genre dans des livres du XVIe et du XVIIe siècle.
Le Novellino italien, qui date du XIIIe siècle ou de la première moitié du XIVe (Romania, 1873, p. 400), contient une nouvelle dont se rapproche beaucoup le conte allemand du XVIe siècle. Voir, dans la Romania (1874, p. 181), l'analyse qu'en a donnée M. d'Ancona et les remarques dont il l'a accompagnée. Les personnages de ce conte italien sont le bon Dieu et un jongleur. Au lieu du foie d'un agneau, le jongleur mange les rognons d'un chevreau.
***
En Orient, on peut citer un petit poème persan de la première moitié du XIIIe siècle, dont la source,—au moins la source immédiate,—est évidemment chrétienne (Zeitschrift der Deutschen Morgenlændischen Gesellschaft, XIV, p. 280). Là, comme dans le conte oldenbourgeois (comparer aussi le conte russe), c'est un morceau de pain que le compagnon de Jésus nie avoir mangé pendant l'absence de celui-ci. Jésus lui donne des preuves de sa puissance en le faisant marcher avec lui sur la mer, puis en rassemblant les os d'un faon qu'ils ont mangé ensemble et en rendant la vie à l'animal, et chaque fois il demande à son compagnon s'il a mangé le pain. L'autre persiste toujours à nier. Mais quand Jésus a changé en or trois monticules de terre et dit que la troisième part appartiendra à celui qui a mangé le pain, l'homme s'empresse de dire que c'est lui.
FIN DU TOME 1er.
TABLE DES MATIÈRES
| Pages | ||
| Avant-propos | V | |
| Introduction. | —Essai sur l'origine et la propagation des contes populaires européens | VII |
| Appendice A. | —La «Vie des saints Barlaam et Josaphat» et la Légende du Bouddha | XXXXVII |
| Appendice B. | —Le Conte égyptien des deux Frères | LVII |
| CONTES POPULAIRES DE LORRAINE | ||
| I. |
Jean de l'Ours (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 351.) |
1 |
| II. | Le Militaire avisé | 28 |
| III. |
Le Roi d'Angleterre et son Filleul (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 351.) |
32 |
| IV. | Tapalapautau | 51 |
| V. | Les Fils du Pêcheur | 60 |
|
Variante: La Bête à sept têtes (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 352.) |
64 | |
| VI. | Le Follet | 82 |
| VII. | Les deux Soldats de 1689 | 84 |
|
Variante: Jacques et Pierre (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 353.) |
87 | |
| VIII. |
Le Tailleur et le Géant (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 353.) |
95 |
| IX. | L'Oiseau vert | 103 |
| X. |
René et son Seigneur (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 354.) |
108 |
| XI. | La Bourse, le Sifflet et le Chapeau | 120 |
|
Variante (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 355.) |
123 | |
| XII. |
Le Prince et son cheval (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 355.) |
133 |
| XIII. | Les Trocs de Jean-Baptiste | 153 |
| XIV. | Le Fils du Diable | 158 |
| XV. |
Les Dons des trois Animaux (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 356.) |
166 |
| XVI. | La Fille du Meunier | 178 |
| Variantes I-II | 180 | |
| XVII. |
L'Oiseau de Vérité (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 356.) |
186 |
| XVIII. | Peuil et Punce | 201 |
| XIX. |
Le petit Bossu (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 357.) |
208 |
| XX. | Richedeau | 222 |
| Variante I | 229 | |
| Variante II | 230 | |
| XXI. |
La Biche Blanche (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 358.) |
232 |
| XXII. | Jeanne et Brimboriau | 237 |
|
Variantes I-IV (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 358.) |
238-239 | |
| XXIII. | Le Poirier d'or | 246 |
|
Variante: Les Clochettes d'or (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 359.) |
248 | |
| XXIV. | La Laide et la Belle | 255 |
| XXV. | Le Cordonnier et les Voleurs | 258 |
| XXVI. | Le Sifflet enchanté | 263 |
| XXVII. | Ropiquet | 268 |
| XXVIII. | Le Taureau d'or | 273 |
| XXIX. | La Pouillotte et le Coucherillot | 281 |
|
Variante (Voir le Supplément aux remarques, t. II, p. 361.) |
282 | |
| XXX. | Le Foie de mouton | 285 |
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| NADAILLAC (Le marquis de). L'ancienneté de l'homme, 2e éd. Un vol. petit in-8 br. | 4 » |
| Il a été tiré quelques exemplaires sur papier Whatman et sur papier de Chine au prix de 25 francs l'exemplaire. | |
| NISARD (C.). Etude sur le langage populaire ou patois de Paris et de sa banlieue, précédée d'un coup d'œil sur le commerce de la France au moyen âge, les chemins qu'il suivait et l'influence qu'il a dû avoir sur le langage. In-8 br. 7 50 | |
| PARENT (A.). Machaerous. Gr. in-8 br., orné d'une carte | 6 » |
| Relation historique et géographique d'un voyage autour de la mer Morte et du siège par les Romains de la ville et de la forteresse de Machaerous, dernier boulevard de l'indépendance du peuple juif. | |
| PARIS (G.). Le petit Poucet et la grande Ourse. In-16 br. | 2 50 |
| PUYMAIGRE (Le comte de). La cour littéraire de don Juan II, roi de Castille, 2 vol. petit in-8 br. | 7 » |
| REBOLD (E.). Histoire générale de la franc-maçonnerie, basée sur ses anciens documents et les monuments élevés par elle, depuis sa fondation en l'an 715 av. J.-C. jusqu'en 1850. In-8 br. Au lieu de 5 fr. | 2 50 |
| ROLLAND (E.). Devinettes ou énigmes populaires de la France, suivis de la réimpression d'un recueil de 77 Indovinelli, publié à Trévise en 1628, avec une préface de M. G. Paris. Un vol. petit in-8 br. | 4 » |
REVUE CELTIQUE
Fondée par H. Gaidoz
(1870-1885)
Publiée sous la direction de H. d'Arbois de Jubainville,
Membre de l'Institut, Professeur au Collège de France,
AVEC LE CONCOURS
De MM. E. Ernault,
J. Loth et de plusieurs savants des
Iles Britanniques et du continent.
| PRIX D'ABONNEMENT | {France | 20 fr. |
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Le 7e volume est en cours de publication.
ROMANIA
RECUEIL TRIMESTRIEL CONSACRÉ A L'ÉTUDE DES LANGUES
ET DES LITTÉRATURES ROMANES
PUBLIÉ
Sous la direction de MM. Paul Meyer
et Gaston Paris,
Membres de l'Institut.
| PRIX D'ABONNEMENT | {France | 20 fr. |
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La 15e année est en cours de publication.
MACON, IMP. ET LITHO. PROTAT FRÈRES.