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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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The Project Gutenberg eBook of Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième

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Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: October 29, 2012 [eBook #41226]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Robert Connal, Hélène de Mink, and the Online
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file was produced from images generously made available
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http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, TOME CINQUIÈME ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,

PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

TOME CINQUIÈME.
ANNÉES 1572—1573.

PARIS ET LONDRES.


1840.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1840.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Imprimé par BÉTHONE et PLON, à Paris.

A
S. E. Mr GUIZOT
AMBASSADEUR DE S. M. LE ROI DES FRANÇAIS
PRÈS LA COUR DE LONDRES.
CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ
COMME TÉMOIGNAGE DE RESPECT
PAR
SON TRÈS-HUMBLE ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR
CHARLES PURTON COOPER.

DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON.

CCLIVe DÉPESCHE

—du IIIe jour de juing 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Négociation de Mr Du Croc en Écosse.—Demandes adressées secrètement par les partisans de Marie Stuart.—Propositions faites dans le parlement de mettre la reine d'Écosse à mort, de déclarer traître quiconque reconnaîtra son droit à la succession de la couronne d'Angleterre, et d'exiger l'exécution du duc de Norfolk.—Succès des Gueux dans les Pays-Bas; prise de Valenciennes par les révoltés.

Au Roy.

Sire, je vous ay escript, du XXVIIIe du passé, tout ce que, sur le partement du comte de Lincoln, j'ay peu aprandre des particullarités de sa légation, dont ne vous en toucheray, icy, davantage; et sera la présente pour accompaigner ung pacquet, que Mr Du Croc faict à Vostre Majesté, des choses qui luy ont succédé à son arrivée en Escoce, et de la bonne réception que ceulx des deux partys luy ont faicte, qui monstrent que, nonobstant les extrêmes difficultés de ce commencement, il y a aparance que la paix sera enfin embrassée des ungs et des aultres; et je juge, par une lettre, que j'ay receue en chiffres de ceulx de Lillebourg, que le dict Sr Du Croc s'est comporté si sagement en ses premières propositions qu'on n'a descouvert plus avant de son intention qu'aultant que de ses parolles générales l'on en a peu comprendre, et que ceulx, à qui sa commission est plus favorable, ont pour encores senty le moins de faveur. J'estime, Sire, que ce sera chose fort à propos que certeine demande du capitaine Granges et du Sr de Ledington, qui est portée par le dict chiffre, laquelle ilz veulent, pour ung temps, estre cellée au dict Sr Du Croc, leur soit accordée; car, par ce moyen, l'authorité de Vostre Majesté, demeurera plus grande au dict pays, et vostre allience mieulx confirmée. En confience de quoy je donray, par mes premières, grande espérance et mesmes assurance, comme de moy mesmes, aus dicts de Granges et de Ledington que Vostre Majesté les en gratiffiera; et n'aura, pour cella, le maréchal Drury, quand bien il le sçaura, occasion de se pleindre que Mr Du Croc ayt rien négocié par dellà contre ce qui a esté promis, icy, à la Royne, sa Mestresse. Cependant je vous supplie très humblement, Sire, me mander comme il vous plait qu'en vostre nom je leur en escripve, car c'est ung des principaulx poinctz dont ceulx de Lillebourg desirent estre promptement esclarcis: et l'aultre poinct après, est en quelle sorte il vous plaira qu'ilz facent l'accord. Le Sr de Vérac m'a mandé de le vouloir advertyr s'il s'en doibt retourner, ou non, attandu que Vostre Majesté ne luy en a rien escript. Sur quoy je luy conseilleray, par mes dictes premières, qu'il attande le commandement de Vostre Majesté; et je croy qu'il sera fort à propos qu'il ne bouge de là jusques à ce que la paciffication soit conclue, ou bien que l'abstinence de guerre soit bien accordée. J'ay envoyé au dict Sr Du Croc, avec vostre pacquet du Xe du passé, ung extrêt des articles du traicté qui concernent le faict d'Escoce. J'espère que bientost il vous mandera toutes aultres nouvelles de dellà.

Ce a esté, Sire, par les soixante six depputez du parlement, qui se tient maintenant icy, que les deux billetz, dont je vous ay cy devant faict mencion, ont esté proposés contre la Royne d'Escoce: l'ung, de la faire mourir; et l'aultre, de déclarer traître quiconques, à jamais, métroit en compte, ou relèveroit, le tiltre qu'elle prétend à la succession de ceste couronne; et y ont adjouxté ung troysiesme, de la sentence de mort contre le duc, demandant qu'elle fût exécutée. Lesquelz billetz, après que la Royne d'Angleterre a heu remercyé les dicts depputés du soing qu'ilz avoient d'elle et de sa seureté, parce qu'ilz fondoient là dessus l'occasion de leurs troys propositions, elle les a priés de se déporter entièrement de la première; et ayant encores considéré, de plus près, la segonde, elle ne l'a voulu admettre, et m'ont ses conseillers mandé que je ne sois plus en peyne de cella, car leur Mestresse estoit dellibérée de respecter tant vostre amityé qu'elle ne laysseroit passer en cest endroict rien qui pût offancer l'honneur et réputation de Vostre Majesté; en quoy j'entendz, Sire, que la contradiction, que ceulx de la noblesse y ont faicte, y a beaucoup valu; et a beaucoup servy de rabatre aussi la proposition contre le dict duc, car ont remonstré qu'ilz avoient faict leur debvoir de procéder par les loix à le condampner, mais qu'il n'apartenoit aulx subjectz de recalculer rien maintenant sur la clémence de la Royne, leur Mestresse. Or, demeure la détermination des dicts trois poinctz encores en quelque suspens par l'opiniastreté de ceulx de la segonde chambre, dont le duc court grand péril ceste sepmayne. Et semble qu'il sera depputé troys évesques, troys comtes, troys barons et troys chevalliers, pour aller ouyr et examiner sur quelques poinctz la dicte Royne d'Escoce.

Le bruict de la prinse de Valenciennes[1], par les Gueux, et ce, qu'on présume que les Huguenotz veulent ayder de tout leur pouvoir et moyen leur entreprinse, et qu'on dict que le prince d'Orenge marche avec trente enseignes d'allemans et six mille chevaulx, et le jeune comte d'Ayguemont avec aultres deux mille chevaulx, pour les venir secourir, eschauffe ung peu ceulx cy de s'en vouloir mesler. Vray est que Anthonio de Guaras, lequel a receu pouvoir expécial, par lettres du duc d'Alve, d'assister, icy, ez choses qu'il verra appartenir au service du Roy d'Espagne, a faict mettre en prison deux capitaines qui levoient des gens de guerre pour aller à Fleximgues. Je croy bien qu'ilz ont esté depuis relaschés, et qu'ilz sont desjà embarqués pour suyvre leur voyage avecques leurs gens; tant y a que le dict de Guaras a grand accès en ceste court, et est favorablement ouy; et j'entendz qu'il faict de fort grandes offres, de la part du dict duc d'Alve; lesquelles ceulx cy trouvent recepvables et ne les rejettent nullement. Sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1572.

CCLVe DÉPESCHE

—du Ve jour de juing 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Mr de L'Espinasse.)

Résolution prise par Élisabeth de rejeter les propositions faites dans le parlement contre Marie Stuart.—Exécution du duc de Norfolk.—Arrivée du comte de Lincoln en France.—Nouvelles d'Écosse; nécessité d'envoyer des secours à Lislebourg.—Craintes que les succès des Gueux dans les Pays-Bas donnent aux Anglais.—Détails sur l'exécution du duc de Norfolk.

Au Roy.

Sire, de la communicquation que j'ay faicte de voz deux dernières lettres, du IIe et Xe passé, à la Royne d'Angleterre, elle a comprins qu'il y avoit desjà ung très bon acheminement, de vostre costé, à tous les debvoirs de la bonne amytié qu'avez nouvellement conclue avec elle; de quoy est advenu qu'elle a faict à ses plus expéciaulx conseillers, ainsy qu'on me l'a fort assuré, une remonstrance comme s'ensuit:

«Que, puysqu'entre les grandz dangers qui s'estoient, depuis quelque temps, manifestés au monde contre elle, Dieu avoit voulu, du milieu de ceulx, que les feus Roys d'Angleterre, ses prédécesseurs, avoient tousjours réputés leurs plus grandz ennemys, luy succiter à elle ung très grand et parfaict amy, qui ambrassoit sa protection et sa deffence, sellon le traicté de ligue qu'elle avoit faicte avec Vostre Majesté, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, qu'on proposât rien en son parlement qui vous peût offancer; et, qu'ayant considéré les deux billetz, qui avoient esté mis en avant contre la Royne d'Escoce, desquelz elle avoit desjà cassé celluy qui touchoit à sa vie, elle vouloit qu'on se désistât encores de celluy qui concernoit la succession qu'elle prétandoit en ce royaulme; car elle voyoit bien ne se pouvoir faire que Vostre Majesté, pour le debvoir de parantage, et pour les aultres obligations que vous avez avec ceste princesse, n'en fussiez offancé, sellon qu'elle le comprenoit bien par les lettres que je luy en avois communicquées; (car, à la vérité, Sire, je les luy ay assés faictes sonner en ce sens). Et a adjouxté qu'on trouveroit aussy bien estrange, par toute la Chrestienté, qu'on la condampnât sans l'ouyr; mais que, pour satisfaire à ses Estatz, elle vouloit bien que, dorsenavant, l'on soubsmît la dicte Royne d'Escoce à l'obligation des plus rigoureuses loix qu'on pourroit faire contre elle, si elle atamptoit jamais rien plus au préjudice de ce royaulme.»

De quoy, monstrantz les dicts Estatz n'estre assez contantz, ont incisté qu'aulmoins l'on ne leur refuzât l'exécution du duc de Norfolc, qui estoit desjà condampné; ce qui a esté si chauldement mené, par ceulx qui avoient la matière à cueur, que la Royne d'Angleterre n'y a peu résister. Dont estant ce pouvre seigneur mené sur l'eschafault, à heure non accoustumée, de fort grand matin, a confessé, en présence de ceulx qui s'y sont trouvez, qu'il avoit fort offancé Dieu comme pécheur, et avoit offancé la Royne, sa Mestresse, en ce que, contre sa promesse qu'il luy avoit faicte de ne traicter avec la Royne d'Escoce, (ce que toutesfoys il ne luy avoit confirmé par sèrement), il avoit escript des lettres et en avoit receu de la dicte Dame, et avoit pareillement receu une lettre du Pape, non qu'il l'eût pourchassée, mais Ridolfy la luy avoit adressée; et qu'au reste il assuroit, avec toute vérité, de n'avoir jamais rien atempté de faict, de parolle, ny encores de pensée, contre la Royne, sa Mestresse, ny contre ce royaulme; et de cella il en bailloit sa mort à tesmoing, devant Dieu et devant les hommes. Et ainsy, d'un visage constant et magnanime, s'est exhibé luy mesmes au supplice, au grand regret des gens de bien. Et son corps a esté raporté dans la Tour en ung cercueil couvert de velours noir; et luy a esté faict quelque forme d'exèques.

Hier vint nouvelles comme monsieur l'admiral d'Angleterre estoit descendu à Boulogne, le pénultiesme jour du passé, premier que Mr de Piennes ny le Sr de Mauvissière y arrivassent, et que la présence de Mr de Foix, avec la diligence de Mr de Cailliac, avoient grandement suply à sa réception; en laquelle, s'il y a heu quelque manquement, il a esté bien honnorablement excusé par une honneste lettre, que Mr de Foix m'a escripte là dessus, laquelle a esté bien fort agréable en ceste court.

Le Sr de L'Espinasse vous comptera, Sire, les difficultés ès quelles Mr Du Croc, son beau père, se retrouve en Escoce; où semble qu'il importe grandement, pour vostre réputation, qu'il soit pourveu promptement à ceulx de Lillebourg qu'ilz ne soient ruynés, et que le chasteau ne viègne ez meins de ceulx qui sont à la dévotion de la Royne d'Angleterre; car de ces deux poinctz dépend non seulement la conservation de vostre ancienne allience, mais que l'estat, qui souloit estre françoys, ne deviègne du tout angloys. Dont vous plerra, Sire, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix seront icy, nous ordonner de prendre quelque résolution là dessus avec ceste princesse et avec ceulx de son conseil, pour réduyre ce pays à une bonne paciffication; et cependant mander quelque honnorable promesse à ceulx de Lillebourg, accompagnée d'aulcun présent effect pour les consoler; dont seroit bien à propos, Sire, que Mr de Flemy les allât trouver avec ce qu'il leur pourroit apporter de refraichissement.

Le progrès des entreprinses, qui s'entend des Pays Bas, commence de mettre ceulx cy en quelque souspeçon qu'elles tendent d'impatroniser Vostre Majesté de cest estat, ce qui leur seroit formidable; et ne vouldroient qu'en façon du monde cella succédât, s'ilz n'y participoient. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juing 1572.

A la Royne.

Madame, j'ay esté en une merveilleuse peyne pour la partinacité de laquelle ceulx de ce parlement ont incisté que la Royne d'Escoce fût punie de mort, et que le tiltre, qu'elle prétend à la succession de cette couronne, fût aboly pour elle et pour les siens à jamais, car cella tournoit merveilleusement à l'indignité du Roy; et non seulement faisoit mal sonner le traicté de la ligue, qu'il a faicte avec ceste princesse, mais diffamoit beaucoup tous les aultres honnestes pourchas d'allience, que Voz Majestez Très Chrestiennes ont mené, et continuent de mener encores avec elle. Je rends grâces à Dieu que ce danger est, pour ceste fois, évité; de quoy la dicte Royne d'Escoce en doibt recognoistre l'obligation, après Dieu, au seul respect que la Royne d'Angleterre a heu de ne vouloir ou de n'ozer, en ce temps, offancer le Roy. Il est vray que le pouvre duc de Norfolc a passé; lequel, par l'acte dernier de sa vye, a confirmé davantage au monde une très grande justiffication de luy, et a layssé ung grand regret et une grande compunction du cueur à ung chacun. Il a parlé fort clèrement de tout son faict; dont la Royne d'Angleterre peut, à ceste heure, demeurer esclarcye si je y ay esté jamais en rien meslé, ainsy que ses ambassadeurs vous en avoient quelquefoys touché quelque mot. J'ay requis que le collier de l'ordre du Roy, qu'il avoit, fût remis entre mes mains, ce qui ne m'a esté encores accordé; tant y a que je supplye très humblement Voz Majestez trouver bon que je m'en charge, sellon qu'il me faict aussy grand besoing d'en avoir ung pour la dignité de ceste charge, aux jours de solennité.

L'apareil de la réception de messieurs voz depputés est si honnorable par deçà, et la provision si grande pour les bien traicter, avec toute leur compagnie, dez qu'ilz descendront à Douvres, que je ne veulx fallir de le recorder à Voz Majestez affin de faire uzer de quelque correspondance vers monsieur l'admiral d'Angleterre; car c'est chose qu'on regarde bien fort en ceste court: et desjà s'est dict quelque mot qu'il n'avoit esté assez favorablement receu à Bouloigne, mays une lettre de Mr de Foix, qui m'est arrivée fort à propos, en a aporté la satisfaction. Et se dict, Madame, que le présent de Mr de Montmorency sera d'envyron vingt mille escus; tant y a que je mettray peyne de le sçavoir plus au vray. Sur ce, etc.

Ce Ve jour de juing 1572.

CCLVIe DÉPESCHE

—du IXe jour de juing 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Chamberland.)

Préparatifs faits à Londres pour recevoir. MMrs de Montmorenci et de Foix.—Résolution secrète arrêtée dans le parlement de soumettre la reine d'Écosse aux lois d'Angleterre.—Nécessité de s'opposer à cette résolution.—Défense faite en France de porter secours aux révoltés des Pays Bas.

Au Roy.

Sire, à ce matin, bon matin, j'ay receu des lettres de Mr de Montmorency et de Mr de Foix, de devant hier, VIIe de ce moys, à Boulogne, qui me mandent que ce sera à la première marée de ce jourdhuy, IXe, qu'avec l'ayde de Dieu, ilz passeront la mer; de quoy toute ceste court est grandement ayse, laquelle adjouxte toutjour quelque chose de plus à l'ordre de leur réception, affin de la faire plus honnorable. Eulx deux, par la fréquence des lettres qu'ilz m'ont souvant escriptes sur la légitime excuse de leur retardement, m'ont beaucoup aydé de pouvoir solager ceulx cy en leur atante; lesquelz ont desjà tant faict qu'ilz ont prolongé le parlement jusques après la St Jehan, affin d'avoyr plus grande compagnie de noblesse en ceste ville quand ilz arriveront; et le comte de Pembroth, milord de Vuindesor et milord Bocaust, avec bon nombre de noblesse, n'ont jamais bougé de Douvres, depuis le dernier de l'aultre moys.

Ceulx du dict parlement, quand ilz ont veu qu'ilz avoient gaigné le poinct de l'exécution du duc de Norfolc, ont remis sus, plus instamment que jamais, la poursuyte contre la Royne d'Escoce, avec tant de partinacité, instigués par les ennemys de la pouvre princesse, que je viens d'estre adverty que le décret, de privation du tiltré de ceste succession, s'en ensuyvra contre elle; et qu'ilz la soubsmettront à la rigueur des lois du Royaulme pour tout ce que, dez ceste heure en là, elle pourra atempter contre la Royne d'Angleterre ou contre le repos de son estat. Qui sont actes peu correspondans à la considération d'entre Voz Majestez, et sur lesquelz, encor qu'on se puisse assez esbahyr comme j'en auray esté adverty, car le tiennent fort secret, je ne larray pourtant de m'y oposer en vostre nom, si Vostre Majesté me le commande, et en façon néantmoins si gracieuse et modeste que la Royne d'Angleterre n'aura occasion quelconque, aulmoins qui soit juste, de le trouver maulvais; dont suplie très humblement Vostre Majesté m'en faire une prompte responce affin que, tout à temps, j'en puisse faire la remonstrance.

Ceulx cy ont entendu la deffence, que Vostre Majesté a faicte publier en la frontière, que nulz gens de guerre françoys aillent en Flandres, de quoy ilz se sont assez esbahys, et n'empeschent pourtant, de leur part, qu'il ne coule tousjours des soldatz d'icy à Fleximgues; mesmes beaucoup d'Anglois commencent d'y passer, et forniront les dicts de Fleximgues de grand nombre de vivres et de monitions de ce royaulme.

J'estime que messieurs voz depputés pourront arriver en ceste ville vendredy prochein, et que la ratiffication du traicté se fera le quinziesme de ce moys; et sur ce, etc.

Ce IXe jour de juing 1572.

CCLVIIe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de juing 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par ung courier de Mr de Montmorency.)

Arrivée de MMrs de Montmorenci et de Foix.—Serment solennel prêté par la reine pour la confirmation du traité.—Demande officielle de la main d'Élisabeth pour le duc d'Alençon.—Détails circonstanciés de la réception faite à MMrs de Montmorenci et de Foix, de l'audience qui a suivi, et des fêtes qui leur ont été données.

Au Roy.

Sire, nous, de Montmorency et de Foix, sommes arrivés icy vendredy, XIIIe de ce moys, ayant en chemin receu toutes les caresses et honneurs possibles. Le lendemein, après disner, sommes toutz troys allés trouver la Royne d'Angleterre, à laquelle nous avons présenté les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, concernant la confirmation et ratiffication du traicté, lesquelles elle a reçues avec déclaration de l'opinion de voz vertus, et grand estime qu'elle fait de vostre amytié; de sorte que tout ce premier jour s'est passé en propos courtois et gracieux. Le lendemein matin, nous sommes allés recepvoir d'elle le sèrement accoustumé, avant lequel presté, elle nous a aussy déclaré n'avoir restitué le chasteau de Humes, scitué en Escoce, comme elle est obligée par le traicté de confédération, d'aultant qu'elle s'est trouvée en peyne auquel des deux partis elle le debvoit rendre, ou au Sr de Humes, ou au régent, mais qu'elle protestoit que son intention estoit de le randre aux Escouçoys, et satisfaire en toutes choses au dict traicté; dont nous l'avons priée de faire la dicte restitution au plus tost, et avec le consantement et volonté de Vostre Majesté, ce qu'elle a promis de faire. Et, après le dict sèrement faict, elle nous a menés en sa chambre, où nous luy avons présenté les lettres escriptes de la mein de Vostre Majesté, de la Royne, et de Noz Seigneurs voz frères, desquelles elle a leu à l'instant la vostre, remettant alors les aultres jusques après dîner; à l'yssue duquel elle nous a ramenés en la mesmes chambre, et dict à moy, de Montmorency, que je luy exposasse la créance. Sur quoy nous l'avons priée de lire premièrement la lettre de la Royne, vostre mère, ce qu'elle a faict tout hault; et après, dict qu'elle se santoit très obligée en son endroict, d'aultant qu'elle luy avoit présenté toutz ses enfans, réitérant à moy, de Montmorency, que je luy exposasse donc nostre dicte créance. Ce que j'ay faict, sans rien obmettre de ce qui estoit contenu en noz instructions, et conforme à vostre intention.

La dicte Royne, pour responce, est entrée en quelques discours des choses passez, que nous remétrons de vous dire à quand nous serons auprès de Vostre Majesté, dont la fin a esté qu'estant l'affaire de grande importance, qu'elle en vouloit dellibérer, tellement que, ce jourdhuy, elle a envoyé milord de Burgley devers nous pour entendre sur ce faict plus amplement vostre dicte intention, nous proposant plusieurs difficultés, auxquelles nous avons mis peyne de satisfaire le mieulx qu'il nous a esté possible; de sorte qu'il s'en est retourné, nous promettant de faire, de sa part, tous bons offices: comme aussy nous a assuré le comte de Lestre, de son costé, auquel nous avons déclaré le bien qu'il doibt espérer de Vostre Majesté, si cest affaire peut bien réuscyr; de façon que nous n'avons rien oublié, à l'endroict de luy, ny de toutz les aultres, que nous avons cuydé pouvoir servir pour conduire cest affaire à bonne fin; duquel nous ne voyons pas encores aulcune assurance, aussy n'avons nous occasion d'en mal espérer; et, de ce que nous verrons de lumière, de jour à aultre, nous ne faudrons de vous en advertir, et suyvant voz commandementz, de vous en aporter une dernière résolution. Sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de juing 1572.

Au Roy.

Sire, aussytost que Mr de Montmorency, estant arrivé à Bouloigne, a veu que le vent luy pouvoit servir, il a passé la mer, ensemble Mr de Foix et tous les seigneurs et gentilshommes qui sont en leur compagnie, le VIIIe de ce moys; et, le mesme jour, ilz ont esté, du comte de Pembroc et des milords de Vuindesor et de Boucaust, et aultre bon nombre de noblesse de ce royaulme, fort bien et fort honnorablement recueillis à Douvre, ainsy que Mr de Foix m'a assuré qu'il le vous avoit amplement escript du dict lieu, et ont séjourné là ung jour entier pour se refère du travail de la mer. Et, le lendemain, se sont acheminés à Conturbery, à Setemborne et à Rochester, où ilz ont de mesmes esté partout fort bien reçus, et sont arrivez le vendredy, XIIIe du moys, à Gravesines; auquel lieu je les suys allé trouver. Et, peu après, le comte d'Ochestre, accompagné de milord Grey, de milord Staffort, de milord Comthom, de milord Cheyne, et aultre bon nombre de gentilshommes, leur y est venu au devant, avec les barges de la Royne; sur lesquelles il nous a tous reconduictz, l'après dînée, en ceste ville de Londres, à laquelle ainsy que sommes arrivés, la Tour a faict son debvoir de tirer force coups de canon; et, quand avons esté descendus à Sommerset Place, le dict comte d'Ochestre a présenté à Mr de Montmorency, de la part de la Royne, sa Mestresse, ung petit St George à mettre au coul, et luy a baillé les estatutz de l'ordre d'Angleterre; et puis le hérault d'armes luy a ataché la jarretière, ce que mon dict sieur de Montmorency a receu, avec plusieurs bien dignes et honnorables parolles de mercyement à la dicte Dame, avec mencion expresse du congé qu'il avoit de Vostre Majesté de le pouvoir accepter, accollant le dict sieur comte qui le luy présentoit, et le baysant fort cordialement à la joue, comme l'ung des confrères. Et, peu d'heures après, le comte d'Exex, accompagné d'aultre troupe de noblesse, l'est venu visiter pour luy dire, et à Mr de Foix, la bien venue de la part d'elle. Et, le matin ensuyvant, le comte de Sussex, encores plus accompaigné que nul des précédans, luy est venu faire plusieurs honnestes complimens qu'il luy a mandés, et a dîné en la compagnie; puis, sur les quatre heures du soyr, nous a conduictz, avec les mesmes barges du jour précédent, à Ouestmenster. Et là, avec ung concours fort grand des seigneurs et dames de ceste court, et de ceulx qui se sont trouvés en ceste ville, elle a fort favorablement receu, premièrement, mon dict sieur de Montmorency avec une très grande démonstration d'ung vray et inthime contantement, et après, Mr de Foix avec plusieurs gracieuses parolles de grande privauté et confience, et puis tous les gentilshommes françoys, ung à ung, avec tant d'honneste faveur que je ne puis dire, Sire, sinon que ceste princesse a monstré combien elle vous veult honnorer, et combien par effect elle veult satisfaire au debvoir de l'amityé qu'elle vous promet de parolle.

Le jour ensuyvant, qui a esté dimanche, quinziesme de ce moys, après que le pouvoir et la forme du sèrement ont esté monstrés à milord de Burgley, et après que Mr de Montmorency, accompagné de Mr de Foix et de moy, a heu présanté à la dicte Dame, à l'issue de ses prières, le dict pouvoir, et luy a heu, en très honnorable façon et avec parolles à ce convenables, faict la réquisition en tel cas requise. Elle, uzant d'une expression grande à monstrer combien volontiers et plus cordiallement, que de nul aultre acte qu'elle heût faict de son règne, elle alloit accomplir cestuy cy, et combien elle réputoit heureux ce jour, auquel elle s'alloit conjoindre d'une perpétuelle confédération avec Vostre Majesté; appellant Dieu à tesmoing pour la punir, si, dans son cueur, il ne voyoit une vraye intention d'en produire les effectz comme estantz les vrays fruictz trop meilleurs et plus grandz que par ses parolles, qui n'en estoient que les feuilles, elle ne le nous pouvoit exprimer; elle a dict, tout hault, que, premier que jurer, elle vous vouloit bien déclarer qu'elle n'avoit, pour encores, randu en Escoce le chasteau de Humes, n'estant bien résolue auquel des deux partis ce seroit, de peur d'y augmanter le trouble, néantmoins que sa résolucion estoit de le remettre ez mains des Escouçoys. Sur quoy nous luy avons requis que la dicte rédiction se fît avec le sceu de Vostre Majesté, ce qu'elle nous a accordé. Et, après, s'estant aprochée de l'autel et estandu la mein sur les évangiles de Dieu, le livre touché entre les mains d'ung de ses évesques, a fort sollennellement juré l'entretènement de tout le contenu au traicté de confédération, jouxte la forme qui en avoit esté auparavant dressée par Mr de Foix, laquelle estant rédigée par un escript en parchemin, elle l'a signée de sa mein sur ung poulpitre d'or soubstenu par quatre comtes, à ce assistans grand nombre de seigneurs françoys et toutz les principaulx seigneurs et dames de sa court. De quoy mon dict sieur de Montmorency, pour tous troys, en a requis l'acte, qui nous a esté concédé avec ung infiny contentement de la dicte Dame et de toutz ceulx qui, des deux partis, y ont assisté.

Elle nous a, au partir de sa chapelle, mené toutz troys en sa privée chambre, et, peu après, à la sale de présence, où elle a voulu qu'ayons dîné en sa table, et toutz les aultres françoys en une aultre grande sale auprès, avec les seigneurs de sa court; et, l'après dînée, ayant entretenu quelque temps à part mon dict sieur de Montmorency, elle nous a ramené toutz troys seuls en sa mesmes chambre privée, pour entendre le reste de leur charge; laquelle mon dict sieur de Montmorency, après qu'elle a heu lues les petites lettres, la luy a fort dignement proposée, et Mr de Foix y a adjouxté la confirmation, là où il en a esté besoing. A quoy elle, après les mercyements bien honnorables, dont elle a sceu, sellon sa coustume, fort à propos et fort expressément, uzer vers Voz Majestez Très Chrestiennes, est entrée en ung petit discours des choses du passé et des difficultés présentes; et, sans rien rejecter de ce qui luy estoit maintenant mis en termes, ny monstrer aussy d'en rien accepter, a remis la responce à une aultre foys, après qu'elle y auroit ung peu pensé. Puiz, ayant faict la faveur à mon dict sieur de Montmorency de le mener en la propre chambre où elle couche, elle l'a licencié pour quelques heures, affin qu'il s'allât retirer en la sienne, qui luy estoit préparée là auprès; en laquelle il n'a guyères séjourné que les comtes de Lestre et de Sussex le sont venus prendre pour le mener voyr le combat des ours, des taureaux et du cheval, du cinge, et puys à l'esbat dans les jardins jusques à ce que la dicte Dame y est sortie, attandant l'heure du festin; qui a esté dressé fort grand et magnifique sur une terrasse du chasteau, dans une feuillée fort belle et ample, bien ornée de beaucoup de compartimens et de deux des plus beaux et riches buffetz de l'Europe. Et, de rechef, elle a faict manger Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, à sa table, et tout le reste des seigneurs françoys et angloys, meslés avec les dames de la court, en une aultre fort longue table près de la sienne, fort opulentment traictés, prolongeant les services jusques environ minuict, qu'elle nous a menés sur une aultre terrasse qui regarde dans une grande court du dict chasteau; où nous n'avons guyères tardé qu'ung viellard avec deux jeunes pucelles est entré, qui a requis secours pour elles en ceste court: et soubdein se sont présentés vingt chevalliers sur les rancz, dix blanz menés par le comte d'Essex, et dix bleus menés par le comte de Rotheland, qui ont, pour l'occasion des dictes pucelles, attaqué ung brave combat à l'espée, à cheval; lequel a duré jusque sur l'aube du jour que la Royne, par l'adviz des juges du camp, a déclaré les dictes pucelles libres, et s'est retirée pour s'aller dormir, et a licencié mon dict sieur de Montmorency et toute sa troupe pour s'aller reposer.

Aujourdhuy il va à Windesor pour y recepvoir l'ordre à la cérémonie accoustumée, accompagné de toute ceste court, et au retour, il passera à Hamptoncourt, remettant, Sire, toutes aultres choses à ce que, en la lettre générale de nous troys, et en les leurs aultres particullières, ils vous escripvent plus amplement, pour adjouxter seulement icy que je suis infinyement bien ayse que, par les lettres de Voz Majestez, du VIIe de ce moys, je voy qu'il est à tout cecy très bien correspondu de dellà à honnorer et bien traicter le comte de Lincoln et ceux qui sont avecques luy. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de juing 1572.

CCLVIIIe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de juing 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le courrier Barroys.)

Négociation de MMrs de Montmorenci et de Foix.—Audience.—Proposition du mariage.—Réunion du conseil pour délibérer sur la demande.—Affaires d'Écosse.—Détails sur la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, nous avons, le dix huictiesme de ce moys, receu la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté nous escripre, du XIIIe, avec le postcript du XIIIIe, et avons trouvé par icelle que nous, de Montmorency et de Foix, estions arrivés en ceste ville de Londres le mesme jour que vous aviez donné la première audience à monsieur l'admiral d'Angleterre; et avions aussy toutz trois receu le sèrement de ceste Royne, le mesme jour, que luy l'avoit receu de Vostre Majesté; et vous envoyons la coppie de la forme du dict sèrement et acte d'icelluy, que Vostre Majesté trouvera conformes à celluy de la forme et acte du vostre, qu'il vous a pleu nous envoyer.

Quand au mariage, nous avons escript à Vostre Majesté, par lettres du XVIIe, envoyez par courrier exprès, ce que nous y avons faict jusques alors; et, le mesme jour, du XVIIe, moy, de Montmorency, suys allé, accompagné de plusieurs seigneurs et gentilshommes de ce pays, à Windesore distant d'icy de vingt milles, où est la chapelle de l'ordre de la Jarretière pour y estre instalé et prendre la possession accoustumée. Par tout le chemin, j'ay tousjours esté, moy et ma suyte, comme auparavant, et suis encores, deffrayé et servy aulx despens et par les officiers de ceste Royne, avec grande abondance; et ay veu ez maysons du dict Windesor et Hamptoncourt, et principallement à Hamptoncourt, la plus grande quantité de riches et précieulx meubles que je vys jamais, et que l'on se sauroit imaginer. Je n'ay esté de retour que jusques au XIXe au soir, et, pendant ce voyage, j'ay parlé plusieurs foix du dict mariage au comte de Lestre, et à milord de Burgley, qui ont monstré le desirer, et promis de s'y emploier de leur pouvoir. Je leur ay aussy faict entendre que nous en voulions avoir responce au plus tost, et, pour ce faire, desirions parler à la Royne d'Angleterre; ce que fut cause qu'elle nous manda toutz troys le lendemein, vingtiesme, pour aller parler à elle après disner, sans cérémonies et en privé; et fusmes conduictz par eau en son jardrin, et l'allasmes trouver en une gallerie, où elle nous accueillit fort gracieusement. Et, après quelques devis du susdict voyage, nous luy dismes que nous avions receu lettres de Vostre Majesté, par lesquelles il vous plaisoit nous faire entendre combien vous avoit esté agréable de voyr le dict sieur amiral et le bon nombre de noblesse qui l'accompaignoient, nous commandant de la remercyer très affectueusement des très bons et honnestes propos qu'il vous avoit tenus de sa part.

Et, peu après, rentrant sur le faict du dict mariage, elle continuoit tousjours de mettre en avant le jeune aage de Monseigneur le Duc, monstrant prendre plésir de continuer ce propos, et principallement d'entendre ce que nous luy disions de sa doulceur, bonté et louables meurs, et aultres qualités; et enfin elle demanda comment est ce qu'on feroit de la religion, sur quoy nous luy respondismes que nous estions assurés que l'on n'en seroit en aulcun différend, parce que, si d'ailleurs elle trouvoit bon le dict mariage, elle auroit soing de la conscience, honneur et réputation de Mon dict Seigneur le Duc, comme de la sienne propre, comme aussy luy auroit tout esgard à son contantement d'elle et de ses subjectz, et à l'union et repos de son royaulme.

Sur quoy elle réplicqua que c'estoient parolles générales, et qu'elle desiroit entendre le particullier. Nous respondismes que, pour le grand desir que Voz Majestez et Mon dict Seigneur avoient à ce mariage, nous espérions que vous vous contanteriés de ce qu'elle avoit voulu accorder à Monsieur. Et, sur ce qu'elle disoit qu'elle ne luy avoit rien accordé, nous luy respondismes qu'il étoit vray, mais que nous entendions ce qu'elle avoit donné charge à Me Smith de luy accorder. Et, disant la dicte Dame que nous n'en pouvions rien sçavoir, nous luy dismes que nous en appellions à tesmoing sa propre conscience, et que nous sçavions qu'elle estoit si vertueuse qu'elle ne vouldroit rien taire de la vérité. Elle assura que non, et que jà, à Dieu ne pleust que en chose de telle importance, elle voulût tant offancer sa conscience que d'y apporter rien de faulx. Sur ce, ne réplicquant la dicte Dame autre chose, nous prinsmes congé d'elle.

Ce jourdhuy nous avons entendu, et de lieu seur, que la dicte Royne déduysoit, sur le soir, bien au long au comte de Lecestre et à milord de Burgley tout ce que nous luy avions dict; et enfin requit le dict de Burgley de luy en dire son advis. Qui luy dict qu'il luy sembloit qu'elle debvoit aujourdhuy assembler son conseil pour en dellibérer, estant l'affaire de si grand poidz et importance qu'il méritoit l'assemblée et conférence de toutz ceulx qu'elle avoit honnorés de ce lieu, et estimoit luy estre fidelles. Ce qu'elle estima bon, et, à ces fins, toutz les seigneurs de ce conseil ont esté mandés pour ceste après dînée, où l'affaire doibt estre proposé par icelluy de Burgley; et de ce que nous entendrons en avoir esté résolu nous en advertirons incontinent Vostre Majesté.

Quant au commerce, et affères d'Escoce, il ne nous a pas semblé à propos d'en parler devant qu'avoir résolution du principal, lequel, venant à réuscyr sellon vostre intention, emporte avec soy tout le reste. Cependant nous avons escript à Mr Du Croc que nous ne faudrons, pour les affères d'Escoce, de nous emploier de nostre pouvoir, et comme nous en avons charge et commandement de Vostre Majesté, le priant d'assurer ceulx de Lillebourg que l'intention vostre est de pourvoir à leur seureté, et ne les laisser oprimer par leurs adversaires. Et sur ce, etc.

Ce XXIIe jour de juing 1572.

A la Royne

Madame, ce seroit chose trop longue de vous racompter en combien d'honnestes façons la Royne d'Angleterre s'est efforcée de caresser et honnorer messieurs voz depputés, et leur faire, et à toute leur compaignie, depuis qu'ilz sont en ce royaulme, le plus grand et le meilleur traictement qu'il est possible de penser, et comme elle a donné ordre que cella leur soit continué jusques à ce qu'ilz remonteront en mer. Dont vous diray seulement, Madame, que Mr de Montmorency et Mr de Foix, chacun en son endroict, et moy avec eulx, du mien, ne cessons, parmy ces bonnes chères, d'acheminer toutjours, aultant qu'il nous est possible, le propos de Monseigneur le Duc vostre filz, et n'obmettons ung seul de toutz les poinctz que nous imaginons y pouvoir servir que nous ne l'y amployons.

Et voycy, Madame, l'advancement que nous y avons peu donner, c'est que ne nous sommes en rien layssez vaincre des argumentz de la dicte Dame, bien qu'ilz soient grandz, et nous sommes efforcés de la randre vaincue par les nostres, qui, à la vérité, sont plus grandz et plus urgentz que les siens; mais ils sont fort contredictz par les adversaires, comme j'espère bien aussy qu'ilz seront soubstenus par ceulx qui y ont bonne affection. La matière est ung estat si doubteux que ceulx, qui ne la veulent, commancent bien fort de la creindre, et ceulx qui la desirent ne voyent où debvoir espérer encores rien de certein, et ce qui tient et les ungs et les aultres en merveilleux suspens est que aujourdhuy l'on la met en dellibération de conseil; dont ce qui s'en entendra cy après Vostre Majesté le sçaura bientost. Mais j'estime, Madame, que bonne partie de la conclusion de ce propos a de résulter du bon acheminement que Voz Majestez y donront par dellà avec le comte de Lincoln, et avec les ambassadeurs d'Angleterre, et de ce qu'ilz escripront et rapporteront de la vraye et indubitable intention de Voz Majestez, de l'honneste affection et non feincte de Monseigneur le Duc, et de la bonne opinion qu'ilz imprimeront de luy et de ses vertueuses qualitez par deçà, et du contantement avec lequel vous les aurez en toutes sortes de faveur, de bonnes chères, de présentz, de promesses et d'honnorables entretènementz, renvoyez par deça la mer; vous supliant très humblement, Madame, commander, de bonne heure, que l'apparat soit aussy bon et meilleur pour eulx à leur retour, partout où ilz passeront, comme a esté à l'aller, sellon que je vous puis dire, avec vérité, Madame, que tout ce qui se faict icy pour Mr de Montmorency et Mr de Foix, et les siens, est très magnifique, très sumptueux et royal. Sur ce, etc.

Ce XXIIe jour de juing 1572.

Si l'affaire continue de cheminer comme il a commencé, il parviendra bientost à une ou aultre conclusion, et j'ay occasion d'espérer que plutost elle sera bonne que maulvayse, sinon que l'ordinayre instabilité de ceste court y change quelque chose. Je desire que Vostre Majesté escripve une lettre, de sa mein, au comte de Lester pour le mercyer de l'advancement qu'il a donné à ce propos, et pour le prier d'y mettre luy mesmes la perfection, et l'assurer de la récompense. Nous uzons cepandant de toutes les promesses et honnestes persuasions que nous pouvons vers les dames qui sont les plus près de ceste princesse, et vers toutz ceulx qui ont quelque moyen de nous ayder. Je remercye très humblement Voz Majestez de l'honneur et faveur qu'il leur plaist me faire du collier de l'ordre. L'on m'avoit, une foys, respondu qu'il estoit égaré et perdu, mais ayant remonstré qu'il y avoit une promesse par escript de le debvoir rendre, l'on l'a faict trouver, et a esté remis en mes mains depuis deux jours.

CCLIXe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour de juing 1572.—

Négociation du mariage du duc d'Alençon.

Icy défault une dépesche, mais, en lieu d'icelle, suplèe ung discours que Mr de Foix a adressé.

Ce Discours, qui renferme le détail de toute la négociation de Mrs de Montmorenci, de Foix et de La Mothe Fénélon, touchant le mariage du duc d'Alençon, ayant été imprimé en entier dans l'édition que Le Laboureur a donnée des Mémoires de Castelnau (t. 1er, p. 652), nous croyons inutile de le reproduire. Il n'a pas été d'ailleurs transcrit sur les registres de l'ambassadeur, mais il s'en est trouvé dans ses papiers plusieurs copies, qui sont littéralement conformes à celle qui a été publiée par Le Laboureur.

CCLXe DÉPESCHE

—du premier jour de juillet 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne.)

État de la négociation de MMrs de Montmorenci et de Foix.—Plaintes de Marie Stuart.—Nouvelles des révoltés de Flessingue.—Riches présens faits à MMrs de Montmorenci et de Foix.—Explication sur la négociation du mariage du duc d'Anjou.

Au Roy.

Sire, de tout ce qui s'est négocié, icy, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix y ont esté, et combien avant, eulx et moy, y sommes allés, et où nous en sommes demeurés, je laisse à eulx de le vous particullariser par le menu; et vous diray seulement, Sire, que ce que la présence d'ung seigneur de grande qualité, qui a la réputation d'estre fort entier et véritable, et plein de toute sorte d'honneur et de vertu, peult en cella, Mr de Montmorency l'y a tout aporté; et ce que les sages advertissementz, et prudentes considérations, et vifves remonstrances pleines de rayson, y ont peu donner d'efficace, Mr de Foix l'y a fort abondamment et fort dignement presté. Et je n'ay obmis, de ma part, rien de ce que je y ay peu aporter de ma dilligence, y ayans, toutz troys, fort soigneusement observé le temps, et l'ayant faict observer par ceulx d'icy qu'avons cognu y avoir bonne intention; de sorte que rien n'y a esté précipité, ny aussy rien délayssé. Et croy bien, Sire, quand à l'acte de confirmation et sèrement du traicté, et à donner impression à ceste princesse de vous demeurer perpétuellement confédérée, qu'il ne se peut desirer rien de plus, ny de mieulx, de ce qui en a esté faict.

Et, au regard du propos de Monseigneur le Duc, ceste princesse l'a prins de fort bonne part, et a fort grandement remercyé Voz Majestez qui le luy présentiés, et a fort honnorablement parlé de luy qui se offroit à elle. Ses conseillers l'ont générallement approuvé, et ont réduict toutes les difficultés à deux seules, qui sont de l'aage et de la religion; et encores, si la première se peult vaincre, que la seconde se modèrera. Sur quoy a esté prins le dellay d'un moys pour y faire une résolue responce, laquelle dépend assez du raport que feront ceulx qui retournent de France; lesquelz, pour ceste occasion, je me resjouys infinyement que Vostre Majesté les ayt renvoyez ainsy bien contantz, comme elle le nous escript, du XXIIIe et XXVe du passé.

Et, quant aux aultres poinctz, concernant les deux lettres que ceste princesse vous debvoit escripre: l'une, de sa mein, pour l'expression de la cause de la religion au traicté, et l'aultre de l'interprétation du XXVIe article; pareillement de la paix d'Escoce; et du transport du commerce d'Angleterre en vostre royaulme; il a été satisfaict au premier, et Mr de Montmorency en a emporté la lettre: laquelle, ainsy qu'elle est, a esté dressée par ceste princesse, qui estime estre en meilleure forme que l'aultre que milord de Burgley luy avoit minituée, dont nous a en faillu contanter.

Et le segond a esté tant débatu qu'il a esté remis d'ouyr là dessus Me Smith, après qu'il sera arrivé, premier que d'en dépescher nulle lettre.

Pour le troysiesme, il sera promptement envoyé une déclaration en Escoce, contenant que résolution a esté prinse entre ceste princesse et nous, voz depputés, d'admonester les deux partys, qui sont par dellà, de faire commancer que soyt une vraye et seure abstinence d'armes affin de traicter des moyens d'accord entre eulx; et, s'il y a quelque différend sur les condicions de la dicte abstinence, qu'ilz se raporteront à ce que les deux ambassadeurs, qui sont devers eulx, en ordonneront.

Le quatriesme, qui est du commerce, demeure à estre traité, icy, à loysir, par les marchandz de ceste ville avecques moy, dans les quatre moys du dellay, qui a esté préfix à cella.

Et, oultre ce dessus, Mr de Montmorency et Mr de Foix ont proposé aulcunes choses honnorables, de vostre part, pour la personne de la Royne d'Escoce, en quoy ilz n'ont esté du tout esconduictz; et mesmes ont heu permission de pouvoyr envoyer devers elle, dont ilz y ont dépesché le secrettère d'Ardoy. Elle m'a escript deux fort amples lettres, du Xe et XVe du moys passé, et m'a envoyé aultres deux lettres pour Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et m'a prié de vous faire entendre le misérable estat, auquel elle et ses affères sont réduictz; dont, de tant que je ne le vous sçaurois mieulx représanter que par ses propres lettres, je les ay adjouxtées à ce pacquet, et loue infiniement le bon et vrayement royal office qu'avez faict pour elle vers ces seigneurs angloys, qui estoient par dellà, lequel servira grandement à ceste pouvre princesse.

Il semble que des nouvelles, qui viennent d'arriver de dellà la mer, que Flexingues a cuydé estre surprinse, et qu'on n'a tant de contantement du debvoir que les françoys, qui y sont, ont faict pour y résyster que des angloys. L'on prépare d'y envoyer, d'icy, quelque renfort d'hommes, et pensent aulcuns qu'enfin la Royne d'Angleterre prendra ceste ville là en sa protection. Je vous manderay, jour par jour, ce qui s'en entendra. Et, pour faire fin, je vous diray, Sire, que Mr de Montmorency et Mr de Foix, et toutz les seigneurs et gentilshommes françoys de leur compagnie, après avoir, l'espace de quinze jours, esté en toute magnificence et grandeur fort favorablement entretenus en festins, en bonnes chères, en diverses sortes de passe temps, sans laysser quasy une seule heure vuyde de plésir; et, ayant mon dict sieur de Montmorency, oultre le collier et l'habillement de l'ordre d'icy, et deux petites ordres et deux jarretières, fort belles et riches, que ceste princesse et le comte de Lestre luy a donné, esté gratiffié d'elle d'ung présent, d'envyron sept mille escuz en vaysselle d'argent doré, et d'un vase d'or fort beau; et Mr de Foix aussy d'un buffet d'environ douze cens escuz; et toutz deux, et encores aulcuns des aultres seigneurs, d'ung nombre de belles hacquenées et de dogues par le dict comte de Lestre; et estantz reconvoyez jusques à Douvres par le comte de Herfort avec cinq aultres milordz, ilz s'en sont retournés très contantz par dellà; et ont layssé ung semblable grand contantement d'eux à tout ce royaulme. Dont je prie Dieu que les effectz plus grandz puissent bientost suyvre ces honnestes démonstrations. Et sur ce, etc. Ce Ier jour de juillet 1572.

A la Royne

Madame, il suffira, s'il vous plaist, pour ceste foys, que je ne passe à choses plus expresses de la négociation, qui a esté faicte icy, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix y ont séjourné, qu'ainsy que présentement je les metz générales en la lettre du Roy; m'assurant que Vostre Majesté aura plus de plésir d'en entendre la particullarité par eulx mesmes, que si je vous en faysois, icy, un récit à part. Seulement vous diray, Madame, que, pour le propos de Monseigneur le Duc, il a esté besoing de respondre à ung particulier escrupulle, que ceste princesse et les siens nous ont faict, du doubte, où l'on les a voulu mettre, que Vostre Majesté n'avoit jamais heu bonne inclination que Monsieur, vostre filz, l'espousât. En quoy, oultre les vrayes et indubitables occasions, que toutz troys avons alléguées à la dicte Dame pour la persuader au contraire, et, oultre celles que, de longtemps, je luy avoys représantées avec grand démonstration de vérité, comme, cy devant, je le vous ay escript, Mr de Montmorency luy a faict tant de particulliers comptes de ce qu'il avoit veu, sceu et ouy en cella, et l'a confirmé avec tant d'expression, et avec sèrement, que la dicte Dame en est demeurée très abondamment satisfaicte, et si bien édiffiée de la vraye et indubitable sincérité et droicte intention de Voz Majestez Très Chrestiennes, et de la dévotion et affection de Monsieur qu'elle en demeure du tout deschargée du mal qui luy en restoit sur le cueur; de sorte que, quand luy et Mr de Foix sont partis, elle a uzé de termes si honnorables de Voz dictes Majestez et de Monsieur, et encores de tant honnorables et bons de Monseigneur le Duc, que de meilleurs ny plus honnorables ne s'en pourroit tenir au monde. Je verray bientost, et le plus souvant que je pourray, la dicte Dame, et auray grand plésir que ce puisse estre avec l'occasion de voz lettres, en la forme et substance que Mr de Montmorency et Mr de Foix sçavent qu'il les faudra escripre; et qu'il y en ayt une fort expresse, de vostre mein, ou de celle du Roy, pour le comte de Lestre; et, jour par jour, je vous manderay tout ce que je pourray entendre et descouvrir en cella. Sur ce, etc. Ce Ier jour de juillet 1572.

CCLXIe DÉPESCHE

—du Ve jour de juillet 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Négociation du mariage du duc d'Alençon.—Conversations intimes d'Élisabeth et de l'ambassadeur à ce sujet.—Espoir d'un meilleur traitement pour Marie Stuart.—Secours préparé à Londres pour Flessingue.—Nouvelles d'Écosse.—Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh sur le projet de mariage.—Desir que le duc d'Alençon passe en Angleterre.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, le troysiesme de ce moys, devers la Royne d'Angleterre pour luy dire que, par une dépesche de Vostre Majesté, du XXVe du passé, (laquelle Mr de Montmorency et Mr de Foix, après que je fuz départy d'eux à Rochestre, l'avoient reçue, ainsy qu'ilz arrivoient à Setimborne, et l'avoient leue, et puis me l'avoient envoyée), vous nous commandiez, à tous troys, de luy dire que vous ne pouviez sentyr chose, en ce temps, qui plus vous apportât de contantement que d'avoyr de si expresses et si certeines déclarations d'amytié, comme nous vous monstrions, par noz précédantes lettres, que la dicte Dame s'esforçoit, en beaucoup d'honnorables sortes, de vous rendre; et que vous la remercyez infiniement des honnestes faveurs et honneurs, et bonnes chères, qu'elle avoit faictes à Mr de Montmorency, à Mr de Foix et à toute leur compagnie; et de ce que, tant franchement, et d'un cueur ouvert et entier, elle avoit satisfaict au sèrement et ratiffication du traicté. De quoy vous estimiés, Sire, ne la pouvoir mieulx récompanser que par une correspondance de semblable amityé vers elle, esloignée de toute simulation, et qu'à cella, suyvant le sèrement et ratiffication que, de mesmes, vous aviez faict de vostre part, vous ne manqueriez à jamais d'aulcun debvoir que vous luy puissiez rendre de bon et naturel frère et perpétuel confédéré, sans excuse ny dellay quelconque, en tout ce que le bien de ses affères, l'accroissement de sa grandeur, le repos de son estat et la seureté de sa personne, le pourroient requérir.

A quoy la dicte Dame, pleine d'ung grand ayse, ainsy qu'elle l'a monstré, m'a respondu qu'elle ne sentoit aussy rien, de son costé, qui plus luy donnât de consolation et de contantement, que l'assurance de vostre amytié, laquelle luy estoit le plus riche et le plus précieux acquest qu'elle heût faict, de tout son règne, et c'estoit ce qu'elle vouloit le plus soigneusement conserver; qu'elle savoit bien qu'il n'avoit esté possible d'arriver à fayre icy vers les vostres ce que Vostre Majesté avoit faict par dellà vers les siens, sinon en affection, en quoy elle croyoit de vous égaller, et, possible, de vous surmonter; et aulmoins remercyoit elle Dieu que ceste bonne troupe des vostres, qui s'en retournoit, luy seroit aultant de tesmoings vers Vostre Majesté, et vers toute la France, d'avoir veu par démonstration d'effect accomplir ce qu'elle m'avoit souvant promis et assuré de parolle: qu'elle procédoit de vraye et droicte intention, pleine de toute sincérité, à se confédérer pour jamais avec Vostre Majesté et vostre couronne; et qu'encor que, par lettres, qu'elle venoit tout freschement de recepvoir d'Escoce, il luy estoit mandé que le capitaine Granges la menaçoit du contraire, assurant que ceste ligue ne seroit d'aulcune durée, qu'elle n'en croyoit rien, ains se confioit parfaictement en l'assurance et vérité de vostre parolle.

Je luy ay dict qu'elle la trouveroit perpétuellement ferme et indubitable. Et ay adjouxté, Sire, que, par la mesme dépesche, du XXVe du passé, vous nous commandiez à tous trois de luy représanter le singullier contantement, que vous aviez, de ce qu'elle avoit prins de bonne part l'offre, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy aviez faicte, de Monseigneur le Duc, vostre frère et filz, et que c'estoit la chose de ce monde par laquelle vous desiriez plus signiffier à toute la Chrestienté que vous estiez uny avec elle d'ung lien si indissoluble qu'il ne restoit nul moyen de le pouvoir rompre; nous ordonnant qu'avant nous départir, nous fissions tout ce qu'il nous seroit possible pour mener l'affaire à quelque résolution, affin que les deux la vous peussent rapporter à leur retour. Dont ilz creignoient bien que ne vous rapportant qu'ung dellay, qu'ilz ne seroient bien receus de Vostre Majesté; mais ilz se consoloient en deux choses: l'une, que le dellay n'estoit long; et l'aultre, que la dicte Dame estoit si prudente et vertueuse, que tant plus elle prendroit de loysir pour considérer l'affaire, plus elle se confirmeroit non seulement de le vouloir, mais de le desirer, soit qu'elle regardât à elle mesmes ou bien à son estat, ou aulx amys qu'elle faysoit, ou combien elle se jectoit hors du danger de toutz ses ennemys, mais singullièrement combien de sortes de vray contantement, d'honneurs, d'advantages, de seuretés et infinyes commodictés, elle s'acquerroit par ce mariage, et combien elle mettroit fin à toutz les ennuys, à toutz les inconvénientz et à toutz les périlz qu'elle pouvoit creindre, pour le reste de sa vye. Ce que je luy ay bien voulu dire, Sire, parce que ceulx, qui veulent bien à ce propos, me l'ont conseillé.

Elle m'a respondu qu'elle cognoissoit avoir plus d'obligation à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, qu'elle n'en avoit, ny pourroit jamais avoyr, à nulz princes de la terre, et qu'ung de ses conseillers luy venoit de dire qu'elle advisât bien de ne faire que les difficultés, qui n'estoient que légières pailles dedans l'une des balances de cest affaire, n'emportassent ce qui estoit de plomb et de solide dedans l'aultre; ce qui luy faisoit desirer, de bon cueur, que l'inégalité de l'aage ne se monstrât si malaysée qu'elle est, mais bien voyoit que celluy de Monseigneur le Duc ne se sçavoit tant approcher que le sien ne s'esloignât davantaige de la vraye proportion que les deux debvoient avoir ensemble, ce qui la retenoit en plusieurs doubtes pour ce regard; car, quand à tout le reste, elle estimoit qu'il n'y avoit rien qui ne fût facille à accomoder.

J'ay réplicqué, Sire, que j'estois bien ayse que toutes les difficultés fussent réduictes à celle seule de l'aage, et qu'elle n'eût sinon creinte que Mon dict Seigneur le Duc, pour estre jeune, ne la sceût bien aymer. Sur quoy je luy avois desjà dict et ne voulois cesser de luy dire que ce, que j'estimois de plus parfaict en cest affaire, estoit le jeune aage de ce prince; car, encor qu'il ne fût pour s'entremettre si tost du gouvernement, bien qu'elle l'y associât, ains pour se laysser conduire à tout ce qu'elle et ses conseillers vouldroient, qui seroit chose que ses subjectz n'auroient que bien agréable, si, voyoit on en luy tout ce qui estoit requis pour satisfaire aux deux plus nécessaires occasions qui faisoient desirer ung roy par deçà: la première estoit la personne avec la présence et la dignité, qui se monstroient en luy très royalles, et accompaignées d'ung bon sens et de beaucoup de valeur, pour estre desjà fort capable de commander; l'aultre, qu'il estoit comblé de toutes les honnestes et agréables et souhaitables qualités, qui se pouvoient desirer pour estre très digne mary d'elle; et n'y avoit, je ne voulois pas dire ung prince en Europe, mais entre les gentilshommes, d'espée et cape, ne s'en trouveroit ung qui fût pour satisfaire, mieulx que luy, à tout ce qui pouvoit contanter la bonne grâce d'une belle et vertueuse princesse; et qu'au reste elle feroit tort à elle mesmes, de ne s'estimer assez digne de l'amour et du service du plus accomply prince qui soit en la terre; et à luy, qu'il fût de si maulvais jugement, et si mal nourry, qu'il ne recognût en elle les excellentes et belles qualités qui la rendoient singulièrement aymable. Dont la supliois qu'elle voulût demeurer très fermement persuadée que nulle, soubz le ciel, seroit plus parfaictement bien aymée et honnorée qu'elle, s'il luy playsoit de bien aymer ce prince, et le recepvoir en sa bonne grâce.

Elle m'a respondu qu'encor seroit il besoing, si Monseigneur le Duc avoit à venir par deçà, qu'il sceût estre au conseil, et commander, bien qu'elle ne le desiroit ny trop sévère ny mélancolicque; mais une chose surtout luy faysoit tousjours peur, c'est que toutz deux, en ung mesme temps, se verroient fort diversement croistre, luy en perfections, et elle en deffaultz, ce qui feroit qu'après sept ou huict ans, dedans lesquelz, à la vérité, elle espéroit de luy estre assez agréable, il viendroit, incontinent après, à la mespriser et la hayr, ce qui l'envoyeroit le landemain au tombeau.

Je luy ay respondu qu'en une amityé contractée entre deux personnes royalles, soubz la bénédiction de mariage, telle chose n'estoit aulcunement à creindre, et que Mr de Montmorency et Mr de Foix luy avoient dict tout ce qu'ilz avoient sceu et creu, et espéré, de cest affaire, et elle leur debvoit adjouxter foy, estantz personnages d'honneur et de vertu, et parlantz de la part de princes très vertueux et très honnorables; et que je n'avois que adjouxter, pour ceste heure, à leurs remonstrances, sinon ung petit escript, que j'avois trouvé dans leur pacquet, lequel je n'avois, à la vérité, nulle commission de le luy monstrer, mais j'estimois qu'il pouvoit beaucoup servir à l'esclarcir de ce principal doubte qu'elle avoit sur le cueur.

Sur quoy, ayant la dicte Dame demandé des sièges, elle m'a menné assoir auprès d'elle en ung coing de la chambre; et luy ayant baillé le dict escript, elle a veu que c'estoit une lettre, que Monseigneur le Duc avoit escripte de sa mein à Mr de Montmorency, concernant ce propos, dont elle l'a lue tout au long et l'a relue une segonde foys, et l'a trouvée merveilleusement bien faicte, et fort convenable à ce qu'elle desiroit cognoistre de luy. Et, après avoir loué la belle et propre et bien ornée façon d'escripre, et l'escripture mesmes, elle m'a dict que cella seroit cause dont elle me diroit qu'elle s'estoit fort esbahye qu'en tout le temps que le comte de Lincoln avoit demeuré en France, il ne luy avoit escript ung seul mot de ce propos, et qu'elle croyoit que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne luy en aviez aulcunement parlé; dont ne sçavoit que penser sinon que la maladie de la Royne en avoit esté cause, me demandant là dessus bien fort curieusement comme elle se pourtoit.

A quoy ayant satisfait que, grâces à Dieu, j'estimois que fort bien; elle a suyvy à dire qu'il estoit bien vray que, depuis le partement de Mr de Montmorency et de Mr de Foix, elle avoit veu une lettre d'ung des angloys qui estoient allez en France, homme de bon jugement, qui parloit le plus honnorablement de ce prince qu'il estoit possible, assurant qu'il estoit d'une belle disposition, fort adroit, et qui s'exerçoit à toutes sortes d'armes aultant vigoureusement que nul prince ou seigneur qui fût en la court, et qu'il avoit la grâce fort bonne, et toutes ses condicions et qualités fort aymables et fort recommandables, seulement la petite vérolle luy avoit faict un peu de tort au visage, mais que cella se pourroit guérir dans ung moys; et qu'elle attandoit, en brief, le comte de Lincoln pour en entendre plus avant, ne demeurant en rien si creintifve que de ceste diverse sorte qu'ilz avoient à croistre ensemble, luy en toutes sortes de pris, et elle en toutes sortes de despris; néantmoins qu'elle prioit Dieu, et vouloit que je le priasse aussy, qu'elle peût faire en cest endroict une telle résolution qui peût bien contanter Voz Très Chrestiennes Majestez.

Qui est en substance, Sire, tout ce que, pour ceste fois, j'ay peu recueillir des propos de la dicte Dame, bien qu'ilz ayent esté plus longs, et que je les aye tout exprès prolongés davantaige pour pouvoir remarquer quelque chose de son intention.

Au surplus, Sire, vous entendrés par Mr de Montmorency la parolle qu'il a obtenue d'elle pour la personne de la Royne d'Escoce. Luy et Mr de Foix ont faict beaucoup de dignes offices pour elle; et j'espère que celluy, que la Royne a faict en l'endroict des seigneurs angloys qui estoient par dellà, servira grandement à ceste pouvre princesse. J'ay suyvy icy, le plus doulcement que j'ay peu, les instances que toutz troys avions commancé d'en faire, en sorte que, grâces à Dieu, le parlement a esté remis jusques à la Toutz Sainctz, sans rien toucher au tiltre que la dicte Dame prétend à la succession de ce royaulme. Je sçauray encores mieulx comme la chose en demeure, et la vous manderay par le premier.

Il se prépare icy ung bon secours pour envoyer à Fleximgues, et semble qu'on vueille passer plus avant en l'entreprinse de Olande qu'on ne le pensoit du commancement. J'en apprandray, jour par jour, les particullarités. L'on est fort escandalisé du propos que le cappitaine Granges a tenu: que la ligue ne seroit pas de durée, et que Vostre Majesté luy avoit offert dix mille escus, s'il vouloit mettre le chasteau de Lillebourg entre voz mains. J'ay fort soubstenu qu'il ne pouvoit avoir dict une chose si faulce que cella. Nous sommes après à faire conjoinctement une dépesche au dict pays, et, encore que ne convenions encores du tout bien comme se fera, je croy qu'à la fin nous nous en accorderons. Sur ce, etc.

Ce Ve jour de juillet 1572.

A la Royne

Madame, après avoir heu avec la Royne d'Angleterre le long discours que trouverez en la lettre du Roy, j'ay parlé au comte de Lestre pour le confirmer en celle tant dévote affection qu'il a assuré Mr de Montmorency et Mr de Foix qu'il avoit à la confirmation du propos de Monseigneur le Duc, et il m'a monstré qu'il y estoit plus disposé que jamais. Et puis je me suis retiré, à part, avec milord de Burgley, soubz prétexte de traicter avec luy des choses d'Escoce, et luy ay récité tout ce qui s'estoit passé entre la Royne, sa Mestresse, et moy; lequel a loué grandement le propos, et encores plus loué l'advis que j'avois prins de monstrer la lettre de Monseigneur le Duc, vostre filz, à la dicte Dame, et luy mesme l'a trouvée très bien faicte, et la plus à propos du monde; et m'a dict que plusieurs doubtes avoient saysy la Royne, sa Mestresse, quant elle avoit veu qu'en tout le temps que le comte de Lincoln avoit demeuré en France, il n'avoit rien escript de ce propos par deçà, et qu'elle craignoit qu'il heût cognu de la froideur en Monseigneur le Duc, ou bien quelques desfaultz qu'il n'avoit ozé les mander; mais que, despuis, il avoit escript en si bonne et advantageuse sorte de luy, qu'elle en demeuroit la mieulx édiffiée du monde, et que je ferois bien d'advertir Mr de Montmorency et Mr de Foix, si le temps le portoit, qu'ilz instruisissent bien le dict sieur comte de Lincoln et Me Milmor aussi, quand ilz les rencontreront en chemin, sur tout ce qu'ilz auront à rapporter par deçà, sans toutesfois tromper leur Mestresse, et que je fisse aussy aller quelqu'ung au devant d'eux pour les bien disposer.

Sur quoy, Madame, mon dict sieur de Montmorency et Mr de Foix, avant partir d'icy, ont bien advisé de ce qu'ilz auroient à faire et dire, quand ilz rencontreroient les dicts sieurs comte Smith et Milmor, de sorte qu'il ne fault doubter qu'ilz n'y ayent abondamment satisfaict. Et j'ay donné ordre, icy, qu'aussitost qu'ilz aprocheront de cest court, milord de Boucaust et maistre Enich aillent au devant d'eux pour leur faire la bouche. Et encores le comte de Lestre me vient de mander qu'il les priera de faire bien leur debvoir, mais qu'il me vouloit bien assurer que Mr de Montmorency, ny Mr de Foix, ny moy, ny pareillement luy, ny milord de Burgley, ny tout le conseil d'Angleterre n'avoient tant advancé ce propos vers la Royne, comme avoit faict ceste petite lettre que je luy avois montrée au soyr; et que pourtant il me prioit de dépescher en dilligence vers Vostre Majesté pour faire que Mon dict Seigneur le Duc me vueille escripre une aultre bonne lettre, plaine d'affection, pour me recommander de m'emploier vifvement en cest affaire, et qu'elle soit pour estre monstrée à la dicte Dame; et encores, s'il luy sembloit bon, une aultre à luy mesmes, et encores une aultre à elle, car estimoit que cella ne luy pourroit de rien préjudicier, mais aulmoins une à moy, et qu'il ne creignît de dire que, si n'estoit la réputation du monde, et que Voz Majestez le luy voulussent permettre, il passeroit très volontiers par deçà pour la venir remercyer de la faveur qu'elle avoit porté au propos qu'on luy avoit tenu de luy, et pour se dédier et consacrer pour jamais à l'honneur, et service d'elle; car dict que surtout elle vouloit estre requise, et avoyr quelque cognoissance qu'elle fût aymée.

Je ne veulx, Madame, faire trop de fondement en ces démonstrations, car l'ordinayre instabilité de ceste court ne me le permet, mais, de tant que c'est chose qui n'est ny esloignée du propos ny malaysée à faire, j'ay estimé qu'il ne sera que bon de l'essayer. Le dict sieur comte ne déclare encores rien de son intention, touchant le party qui luy a esté proposé pour luy, et dict que, pourveu que le principal succède bien, il ne peut demeurer que trop bien pourveu par la bénéficence du Roy et de celle du segond Roy, voz enfans, et de celle de la Royne, sa Mestresse; par ainsy qu'il ne fault parler de son faict jusques après la conclusion de l'aultre. Tant y a qu'il desire avoir le pourtraict de madamoyselle de Montpensier, lequel il sçait bien qu'est en la mayson du comte Palatin; dont je vous suplie très humblement, Madame, l'en vouloir faire gratifier, et croyre que c'est ung poinct fort important. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juillet 1572.

CCLXIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de juillet 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Laurent.)

Retour du comte de Lincoln et de Me Smith.—Clôture du parlement.—Résolution concernant Marie Stuart.—Secours envoyés à Flessingue.—Fausse nouvelle d'une victoire remportée près de Mons par les Gueux.—Négociations du mariage.

Au Roy.

Sire, le VIIe de ce moys, Mr le comte de Lincoln et les milordz et gentilshommes, qui estoient passez en France avecques luy, et Me Smith sont arrivés en ce lieu, lesquelz, par le raport qu'ilz ont faict de leur voyage à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de ce conseil, et à toute ceste court, j'entendz qu'ilz se sont bien fort louez de l'honneur, faveur et bonne chère qu'ilz ont receus par dellà, et que si, d'avanture, il y a heu quelque deffault, ou à Paris, ou par les chemins, que cella reste trop plus que suffisemment récompansé par l'abondance de bonne affection que Vostre Majesté monstre de porter à la Royne, leur Mestresse, et à toute ceste nation, et par la privaulté et courtoysie, et gracieuseté, dont il vous a pleu uzer en meintes sortes vers eulx; de façon qu'avec beaucoup de louenge, qu'ilz donnent à Voz Majestez Très Chrestiennes et à Messeigneurs voz frères, pour les excellantes et vertueuses qualitez qu'ilz ont remarquées en vous et en eulx, ilz protestent qu'après leur Mestresse, ilz vous sont plus serviteurs qu'à nul prince qui soit aujourd'huy en tout le reste du monde.

Le dict sieur comte de Lincoln, et Me Smith et Me Milmor font de très bons offices pour advancer le propos de Monseigneur le Duc, et parlent bien fort à l'advantage de luy, assurantz qu'il est d'une fort belle disposition, et qu'il a la taille belle et bien proportionnée, et est fort vigoureux et adroict, et, au reste, qu'il est si accomply, en toutes aultres bonnes et desirables condicions et qualités, qu'il n'y a que le seul accidant du visage qui luy face ung peu de tort. Icelluy sieur comte et Me Smith m'ont envoyé visiter, et m'ont mandé qu'ilz me viendroient voyr. Je mettray peyne de cognoistre d'eux à quoy il leur semble que incline l'affère, et de leur confirmer, par toutes les persuasions qu'il me sera possible, la bonne affection qu'ilz monstrent d'y avoyr.

Milord Sideney et meylady Sideney, sa femme, laquelle peut infinyement vers sa Mestresse, se sont soigneusement enquis si leur filz estoit bien veu en vostre court, et s'il aura l'honneur que le faciez gentilhomme de vostre chambre; dont je seray bien ayse, Sire, qu'il s'en puisse louer vers eulx, avant la fin de ce moys.

Le Sr de L'Espinasse est passé en Escoce, lequel j'ay mis peyne, avec quelques advertissementz de Mr David Chambres, de l'envoyer, le mieulx instruict que j'ay peu, vers Mr Du Croc, son beau père, sur toutz les affères de dellà, et n'ay obmis d'envoyer au dict Sr Du Croc, une segonde foys, le mesmes arresté, qu'il a, à mon advis, desjà receu par mes précédantes, des choses qu'on nous a accordées pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix ont esté icy.

Au surplus, Sire, le jour que la Royne d'Angleterre a esté clorre son parlement, après que milord Quiper a heu proposé assez briefvement pour elle en l'assemblée, elle a faict lire, tout hault, les déterminations du dict parlement qui se sont trouvées en nombre vingt et troys, desquelles elle a passées la pluspart; mais, quand est venu à celles qui touchent la Royne d'Escoce, elle a dict qu'elle y vouloit penser, parce qu'elles estoient de grande conséquence, priant ceulx de l'assemblée de croyre que ce n'estoit en la façon accoustumée par le passé, que, quand le prince remétoit d'y penser, c'estoit qu'il n'en vouloit rien faire; et qu'elle dellibéroit de pourvoir indubitablement à ces affères de la Royne d'Escoce, après qu'elle auroit bien et meurement consulté quand, et comment, et par quel ordre et façon, elle y debvroit procéder. De quoy les ecclésiastiques et les plus passionnés de la religion protestante sont restez fort malcontantz, car ilz pensoient avoir bien dressé leurs praticques pour rendre, à ce coup, désauthorée ceste pouvre princesse de la future succession de ceste couronne; mais je croy, Sire, que la Royne d'Angleterre se contantera de donner ordre que, durant sa vye, elle ne luy puisse rien quereller. Je loue Dieu que, parmy beaucoup de très grandz et très imminantz dangers, il préserve tousjours ceste princesse, et nous laysse espérer quelque chose de mieulx à l'advenir pour elle par la clémence et débonnaireté de sa cousine.

Ceulx de ce conseil se sont assemblés par plusieurs foys, et s'assemblent toutz les jours, sur les affères de Flandres. Je voy bien qu'ilz veulent ayder à bon esciant à ceulx de Fleximgues, et mettre pied en Zélande. Il est vray que leur agent en Hembourg leur escript que de bien fort grandes levées d'allemans sont prestes à marcher pour les deux partis, et qu'il creint que celles du prince d'Orange, par faulte d'argent, seront les dernières en campaigne, ou bien qu'elles s'arresteront du tout, et que l'espérance gist en deniers qui pourront provenir de ces marchandises, qui ont esté prinses à la venue du duc de Medina Celi. Tant y a qu'on n'a layssé d'envoyer pour cella d'icy, depuis deux jours, mille soldatz en fort bon équippage à Fleximgues, soubz la charge du cappitaine Gelibert, en sorte qu'il y a, à présent, près de deux mille angloys, et s'en apreste beaucoup plus grand nombre, sans commission toutesfois, ny sans aulcune apparante authorité de cette princesse, ny de son conseil.

Milord de Burgley m'a mandé que les marchandz de Londres ont commancé de parler avecques luy du commerce, et que bientost nous en pourrons traicter, et pareillement de l'esclarcissement du XXXVIe article, puisque Me Smith est arrivé. Mr de Montmorency et Mr de Foix m'ont faict tenir la dépesche, que Vostre Majesté avoit conjoinctement faicte à eulx et à moy, du XXVIIe du passé, sur laquelle j'yray trouver ceste princesse avant qu'elle entre en son progrès. Et sur ce, etc.

Ce Xe jour de juillet 1572.

Depuis ce dessus, est venu nouvelles que dom Fédéricque d'Alba et le Sr Chapin ont esté deffaictz près de Montz[2], ce qui eschauffe davantage ceulx cy à secourir ceux de Fleximgues.

A la Royne

Madame, j'ay grand regret que Mr de Montmorency et Mr de Foix n'ayent rencontré en chemin Mr le comte de Lincoln et sa compagnie, pour plusieurs bons effectz que leur conférance, partantz ainsy freschement, les ungs de ceste court, et les aultres de la vostre, eussent peu apporter au propos de Monseigneur le Duc vostre filz, mais l'incommodicté de la mer a empesché cella. J'ay mis peyne, avant que nul de ceulx qui sont retournés ayent parlé à ceste princesse, que les principaulx, comme est monsieur l'admiral, Me Smith et Me Milmor, ayent esté préocupés et préparés par ceulx qui ont singullière affection au dict propos; de sorte que, quand ilz sont venus à faire leur raport, il ne se peut desirer rien de mieulx que ce qu'ilz ont dict à la louenge de Mon dict Seigneur le Duc, n'obmettant rien de ce qu'ilz ont cognu de valeur, de vertu et de perfections en luy; mais, comme ilz ont parlé à la vérité de ces choses, ilz n'ont aussy rien dissimulé de l'inconvénient du visage; et quelques ungs, qui ne sont des troys, l'ont exagéré en façon que les mieulx disposez se sont teus. Dont milord de Burgley, lequel persévère constamment en l'affère, m'a mandé que, quand à luy, il ne cesseroit de monstrer que le party, de soy, estoit très honnorable et très utille, et encores desirable pour sa Mestresse et pour son royaulme; mais, quand au deffault de l'eage et inconvénient du visage, qu'il ne pouvoit, ny vouloit, en cella, la presser, et qu'à la vérité ce qu'on raportoit du visage estoit tel que luy, ny aultre, n'en ozeroit plus parler; et qu'il me prioit, sur ce que je luy mandois que cella seroit aysé à remédier, que, si je sçavois quelqung en ce royaulme qui en heût esté guéry par le mèdecin, qui en assuroit la guérison, que je le luy nommasse, et qu'il s'esforceroit d'en faire valoir la remonstrance aultant qu'il luy seroit possible.

J'ay mis peyne, Madame, de luy en faire nommer deux, dont l'ung est de ceste ville de Londres, et l'aultre est une dame du pays, laquelle est parante de la comtesse de Betfort. Et, à la vérité, le dict mèdecin, qui est personnage de grand sçavoir et de beaucoup d'expériance, ne met grand difficulté en cella, et dict que le remède n'est nullement malaysé, et si, est bien seur. J'ay faict tenir vostre lettre au comte de Lestre, avec confirmation de tout ce que j'ay estimé bien à propos pour luy pouvoir rendre indubitable la promesse de Voz Majestez, et l'assurer de la perpétuelle faveur de Monseigneur le Duc, et le semblable à milord de Burgley, en luy baillant la sienne; et ne se peut rien voyr de mieulx disposé en parolle et démonstration que l'ung, ny rien mieulx en effect que l'aultre. Et vous veulx bien dire aussy, Madame, que Monseigneur le Duc s'est acquis une très grande faveur en ce royaulme par la bonne réputation qui y court de luy, et pour s'estre faict remarquer en plusieurs vertueux et agréables déportemens aux angloix qui l'ont veu, et qui l'ont curieusement observé, pendant qu'ilz ont esté par dellà. Mais je considère bien que ceste princesse est facille à retourner à sa naturelle inclination de ne se marier point, pour la moindre difficulté qu'elle y trouve, et à l'habitude qu'elle a faicte, de longtemps, de vivre en grandeur et régner tantost quatorze ans heureusement sans mary. Et puis meylady Sideney est arrivée depuis six jours, et a tretté fort secrettement, et en privé, avec elle qui, pour estre dévote à l'Espaigne, et plus intime avec le comte de Lestre que nulle aultre seur qu'il ait, et le mène là où elle veult, nous l'avons tousjours plus souspeçonnée au premier propos, et la souspeçonnons en ce segond, plus que nulle aultre dame de ceste court; de sorte que ceulx, qui s'y entendent le mieulx, doubtent assez que la responce ne sera telle que nous la desirons, bien qu'il leur semble qu'il ne se doibt pour cella rien obmettre du debvoir et dilligence de Voz Majestez en cest endroict. Par ainsy, Madame, j'attandz ce que me manderez par le Sr de Sabran pour, tout incontinent et sans dellay ny excuse quelconque, très soigneusement et très fidellement l'accomplir. L'affaire va si secret que j'estime impossible de vous pouvoir faire rien entendre de la responce jusques à ce que par Mr de Montmorency, si elle est bonne, ou par le Sr de Walsingam, si elle n'est telle, ceste princesse la vous fera sçavoir au jour qu'elle a promis; dont je prierai Dieu cepandant de luy bien disposer le cueur. Sur ce, etc. Ce Xe jour de juillet 1572.

CCLXIIIe DÉPESCHE

—du XVe jour de juillet 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr Derdey.)

Audience.—Négociation du traité de commerce avec l'Angleterre et de la pacification de l'Écosse.—Vives assurances d'amitié réciproque.—Négociation du mariage.—Conversations intimes de l'ambassadeur avec la reine à ce sujet.—Détails particuliers sur l'état de cette négociation.

Au Roy.

Sire, premier que la Royne d'Angleterre ayt commancé son progrès, je luy suis allé dire que, bientost après que le comte de Lincoln heût prins congé de Vostre Majesté, vous receûtes ung pacquet que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy vous avions ung peu auparavant dépesché, où nous vous parlions du sumptueux et magnificque traictement qu'elle nous faysoit recepvoir en son royaulme, des honnorables et vertueux propos qu'elle tenoit de Vostre Majesté, de la confience qu'elle prenoit de vostre parolle et promesse en l'observance du traicté, et des termes où nous estions avec elle, touchant Monseigneur le Duc. Sur lesquelles quatre choses vous nous aviez respondu par voz lettres du XXVIIe du passé, (lesquelles Mr de Montmorency et Mr de Foix avoient reçues en chemin; et après les avoyr leues, parcequ'elles s'adressoient à toutz troys, ilz me les avoient envoyées); que Vostre Majesté, voyant que le trettement, qu'avoit esté faict par dellà au dict comte de Lincoln et sa compagnie, n'aprochoit de celuy qui nous estoit faict icy, vous aviez heu recours aulx mercyementz, nous commandant d'en faire de bien exprès à la dicte Dame pour le surplus de ce qu'elle avoit mis peyne de vous excéder, et surpasser en cella; et que vous promettiez de le luy recognoistre bien largement à la première occasion, qui se offriroit, de vous envoyer quelqung des siens, ce que, vous espériez, seroit bientost, et qu'il n'y avoit heu faulte de bonne volonté ny d'affection de vostre costé, car en cella ne pouviez vous estre surmonté; et que vous aviez heu le dict sieur comte bien fort agréable, et n'y avoit heu rien en ses déportementz, ny de toutz ceulx qui estoient avecques luy, qui ne vous heût bien fort contanté, et toute vostre court, de sorte que vous desiriez, de bon cueur, que Mr de Montmorency et sa troupe heussent layssé à elle et aux siens pareille satisfaction d'eux par deçà; que ces propos tout honnorables, qu'elle avoit tenus de vous, vous les recognoissiez procéder de sa bonne et vertueuse inclination et de l'affection qu'elle vous portoit, et que c'estoit à Vous, Sire, à qui les excellantes qualités siennes vous bailloient ample argument, de dire beaucoup de choses à l'honneur et louange d'elle, dont serez prest d'en publier de parolle la bonne et grande estime que vous en avez, et ainsy le maintenir d'effect, sans y espargner rien de ce que Dieu vous avoit donné de moyen et de pouvoir au monde.

Au regard de la confience qu'elle prenoit de vostre promesse en l'observance du traicté, que vous n'obmettriez, ny permettriez qu'il fût obmis par nul des vostres, chose aulcune qui peût servir à le bien entretenir avec vraye et sincère affection d'ung bien bon frère envers celle que vous réputiez pour propre seur, espérant le semblable, qu'elle vous tiendroit pour son vray et propre frère germein; qui estoit une partie de ce que nous mandiez par voz lettres; et que le surplus estoit pour monstrer qu'il restoit seulement troys choses pour conduire ceste vostre amityé à une perfection indissoluble, pleine d'honneur et de proufict, et hors de tout danger qu'on la peût jamais rompre ny altérer; dont, de tant que les deux estoient portées par le traicté: sçavoir, le commerce d'entre les deux royaulmes et d'esteindre les troubles d'Escoce; je ne voulois en cella luy recorder sinon son sèrement, et que si, d'avanture, ces deux poincts demeuroient non accomplis, que cella seroit de grand préjudice à tout le traicté, lequel pourroit estre argué d'invalidité, comme n'ayant sorty à nul effect; et que, pour le regard de l'Escoce, il avoit esté desjà procédé à une dépesche, de laquelle failloit attandre la responce; mais, quand au commerce, qu'ayant esté desjà déclaré, de vostre part, à ceulx de son conseil, l'offre que vous luy faysiez de toutes les commodictés de vostre royaulme pour servir à celles du sien, c'estoit à elle maintenant de les demander, et à Vous, Sire, de les luy avoyr assises et establies, avant que les quatre moys de la dathe du traicté soient expirés.

Et comme je voulois continuer le reste, elle m'a interrompu avec ung gracieulx soubsrire, me disant qu'elle entendoit bien ce que j'avois à dire davantage, et que nous y reviendrions, puis après, à loysir, après qu'elle m'auroit respondu à tout le précédant: qu'elle estimeroit faire grand tort à elle mesmes, et à ceulx qui, pour l'amour d'elle, avoient receu tant d'honneur, de faveur et de bon traictement de Voz Très Chrestiennes Majestez et de toutz les vostres, à l'aller et à la demeure, ou au revenir, qu'ilz ne s'en pouvoient assez louer, si elle ne vous en remercyoit; et qu'elle avoit grand plésir que le comte de Lincoln vous heût contanté; car, à cest effect, l'avoit elle esleu, pour aulmoins correspondre à une partie de l'honneur et contantement, que vous luy aviez donné, de luy envoyer Mr de Montmorency et sa compagnie par deçà; que ce, qu'elle avoit dict en vostre louenge, n'aprochoit de ce qu'elle en avoit dans le cueur, luy deffaillant parolles pour le bien exprimer, mais c'estoit avec telle opinyon qu'elle se réputoit heureuse que vous la voulussiez tenir en ce degré de bienvueillance et d'amityé de seur, que, sur ceste grande estime qu'elle avoit de vous, fondoit elle l'assurance des choses que vous luy promettiés, et ne doubtoit aulcunement que ne les luy observissiez toutes comme, de sa part, elle ne manqueroit à une seule de celles qu'elle vous avoit promises et jurées; et que vous la pouviez, à bon esciant, mètre pour troysiesme aux deux seurs qui vous restoient, qui ne vous aymeroient jamais, ny vous honnoreroient plus qu'elle faysoit.

Et touchant les deux choses de ces troys, que je luy disois rester pour conduire l'amityé qui estoit entre vous à sa perfection, qu'elle avoit desjà satisfaict à la première, concernant les Escouçoys, de leur avoir mandé qu'ilz se missent en paix; à quoy s'ilz n'acquiesçoient, elle estoit dellibérée de ne s'en plus mesler pour l'ung party ny pour l'aultre; et, quand à la segonde, qui estoit du commerce, qu'elle estoit après à ordonner troys ou quatre personnages de bonne qualité, qui en traicteroient avecques moy; au regard de la troysiesme, elle estoit preste d'ouyr maintenant ce que je luy en vouldrois dire.

J'ay suivy à dire, Sire, que j'estoys bien ayse que nous nous fussions ainsy desmélés des aultres pour mieulx vacquer à ceste cy, qui estoit la plus importante, et de laquelle vous espériez, Sire, que viendroit l'accomplissement des aultres deux, et encores l'establissement de tout ce qui estoit à desirer entre Voz Majestez, pour Voz Majestez, et contre ceulx qui n'aymeroient Voz Majestez: c'estoit le propos du mariage. Auquel, pour la parfaicte amityé que Vous et la Royne, vostre Mère, luy aviez tousjours portée, et pour l'honneste estime que vous aviez d'elle, et aussy pour segonder l'honneste affection de Monseigneur le Duc, et ayder, aultant que vous pourriez, le hault et généreulx desir, lequel vous voyez qu'il avoit de servir une si excellente et grande princesse comme elle, vous persévériez plus que jamais d'aspirer à son allience, et me commandiez de sentir comme elle demeuroit meintenant bien édiffiée de luy, après le raport que Mr le comte de Lincoln et sa compagnie luy en auroient faict.

Elle m'a respondu que le dict sieur comte luy avoit faict plusieurs singulliers raports de Vostre Majesté et de vostre bonne inclination vers elle, et le desir que vous aviez de la voyr, et le semblable de la Royne, vostre mère, de qui elle restoit fort contante; et luy avoit aussy faict d'aultres fort honnorables raportz de Monsieur et de Monseigneur le Duc, voz frères, et n'avoit obmis ce qui pouvoit servir à l'advantage du troysiesme, assurant qu'il estoit, quand à la personne, d'une fort jolye taille et bien proporcionnée, fort vigoureux et adroict, l'esprit et le sens fort bons, le cueur grand et magnanime, la grâce bonne, sa conversation fort agréable, et toutes ses condicions et meurs bien fort vertueuses et desirables; et pour n'obmettre rien, sçachant combien elle avoit l'œuil délicat et vif pour remarquer toutes les choses qui seroient en luy, qu'il ne luy vouloit dissimuler qu'il avoit le visage gasté de la petite vérolle, et qu'il heût, pour le parfaict contantement d'elle, desiré au troysiesme une semblable présence qu'il avoit bien veu au segond; et avoit adjouxté qu'elle debvoit considérer le dedans, et ce qui estoit le plus important en ceste affaire, sans s'arrester à l'extérieur et aux choses légères qui n'estoient de tel poix, comme s'il luy heust voulu représanter ce que son chancellier luy avoit naguières dict qu'elle ne ballancât la paille avec le plomb; et que Milmor aussy, qui avoit le jugement bon, luy avoit dict mille louenges de Monseigneur le Duc, et qu'il s'estoit fort esbahy, luy ayant d'autresfoys veu les proportions et teinct du visage si bon, qu'il monstroit debvoir estre plus beau que nul de ses frères, comme la petite vérolle l'avoit peu tant gaster. Et Me Smith, nonobstant cella, n'avoit layssé de luy alléguer tant de grandes raysons et commodictés sur ce mariage, qu'il failloit qu'elle me confessât que c'estoit maintenant elle seule qui faysoit les argumentz contre elle mesmes.

J'ay respondu, Sire, que j'avois tousjours bien creinct que le raport du visage ne la contanteroit assez, sçachant, quand à tout le reste, que Monseigneur le Duc pouvoit estre paragonné à quel autre prince qui vesquît au monde; et de cella mesmes il se pouvoit espérer, n'estant qu'ung accident de la petite vérolle, que le temps le guériroit de brief, et que j'avois parlé à ung personnage de grand sçavoir et d'expériance, qui assuroit que le remède, bien que ne fût cognu de plusieurs, n'estoit pourtant difficille, ny long, et si, estoit seur; et qu'il en avoit guéry ung, en ceste ville, qui en estoit le plus gasté du monde, et que je m'assurois, si elle acceptoit le service de Mon dict Seigneur le Duc, que, en peu de jours, il se rendroit beau et très accomply en toutes sortes de perfections par la faveur de sa bonne grâce, et que je la priois de ne m'alléguer plus l'eage ny aultres semblables argumentz, qui confirmoient plus en vérité qu'ilz ne destruisoient ce bon propos, auquel aparoissoit par trop de bien, trop d'honneur, trop de bonheur et trop d'avantageuses commodictés, pour laysser à si légères occasions de le parfaire; et qu'elle se voulût mettre, ceste foys, hors des grandz ennuis, fâcheries et dangers, que la solitude et faulte de mary pouvoient apporter à une telle princesse qu'elle estoit; et que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez prins si bonne espérance de cest affère que ce ne seroit sans grand regret, ny sans ung extrême déplaisir, si maintenant elle la vous vouloit diminuer ou faire perdre, ainsy qu'il se pouvoit comprendre par voz dernières lettres; lesquelles je ne ferois difficulté de les luy monstrer.

La dicte Dame, estant bien ayse de les voyr, les a leues tout au long, et puis m'a dict qu'il n'y avoit rien plus vray que toutz ses conseillers luy remonstroient que, quant à ce qui touchoit à eulx, de regarder aux meurs, aux condicions, à l'extraction, aux commodictés et advantages de ce party, qu'ilz y avoient satisfaict, et qu'ilz remettoient à elle de regarder à l'eage, à la taille et aux aultres commodictés particullières, requises au contantement de son mariage, et que je ne trouvasse maulvais, si elle jouyssoit du terme qu'elle avoit prins de s'en résouldre; et qu'elle en feroit entendre à Vostre Majesté sa responce par Mr de Montmorency, qui ne seroit sans que je la sceusse bientost; et qu'elle avoit occasion de se pleindre de luy, de Mr de Foix, et de moy, de vous avoyr donné, ainsy qu'elle voyoit, trop plus d'espérance que nous n'avions heu occasion de le faire.

Je luy ay respondu qu'à la vérité nous vous l'avions donnée grande, et serions encores prestz de le faire, si ne l'avions faict, car ne nous avoit apparu difficulté ny empeschement quelconque qui nous en deût retarder.

Elle a répliqué, en riant, qu'elle vouloit donc estudier d'aultres argumentz, puisque nous tournions les siens premiers contre elle mesmes; et est retournée à parler de l'inconvénient du visage, et de l'homme que je luy avois allégué, en ceste ville, qui en estoit parfaictement guéry; et, quand bien le propos n'auroit à réuscyr, si desiroit elle, et me prioit, que je misse peine de procurer qu'on appliquât tout le remède qu'on pourroit à Mon dict Seigneur le Duc. Après lequel propos, elle m'a parlé de la Royne d'Escoce, et qu'elle estoit bien ayse que Mr d'Ardoy l'eût visitée, et qu'il eût cognu qu'elle est en la compagnie d'ung fort honnorable seigneur; et qu'elle vous prie, Sire, de croire que, pour l'amour de vous, elle a voulu avoir tant d'esgard à elle, qu'elle a cuydé offancer toutz ses Estatz, et que c'est la dicte Royne d'Escoce elle mesmes qui procure son mal.

Je l'ay remercyée grandement de vostre part, et, sans toucher pour ce coup davantage à matière si visqueuse, je me suis licencié gracieusement de la dicte Dame, et suis allé parler à ses conseillers, remettant de vous continuer en la lettre de la Royne, parce que ceste cy est desjà trop longue, ce qui s'est passé entre nous. Et sur ce, etc.

Ce XVe jour de juillet 1572.

A la Royne

Madame, parce qu'en la lettre du Roy je récite assez par le menu les principaulx propos qui ont, ceste foys, esté tenus entre la Royne d'Angleterre et moy, j'ay seulement à vous dire en ceste cy que la dicte Dame s'est fort soigneusement enquise de vostre santé, luy ayant le comte de Lincoln dict que vous teniez encores le lict, quand il print congé de Vostre Majesté, dont desiroit sçavoir comme à présent vous vous portiez; et que le dict comte avoit esté si surprins de ce peu de motz, que vous luy aviez lors tenus touchant le mariage, qu'il n'avoit ozé faire semblant de les entendre: ce qu'elle prenoit en bonne part, considérant que Vostre Majesté, pour ne sçavoir en quoy en estoient lors les choses par deçà, parce que n'aviez encores receu noz lettres, et pouviez doubter de la responce qu'on vous y feroit, n'en aviez quasy voulu toucher qu'ung mot; et le Roy n'en avoit parlé en façon du monde; vray est que ses démonstrations et les vostres, et celles de Monsieur, et de Monseigneur le Duc, en avoient plus signiffié que plusieurs expresses parolles ne l'eussent sceu faire. Il me semble, Madame, que ceste princesse se conduict d'une mesmes sorte en ce propos, après le retour du dict sieur comte de Lincoln et de ceulx qui sont revenuz de France, qu'elle faysoit auparavant, et ne laysse cognoistre ou si sa disposition y est meilleure ou bien empirée, sinon que je voy bien qu'on luy a faict l'accidant du visage plus grand qu'elle ne le cuydoit, et monstre, à bon esciant, qu'elle desire qu'il y soit remédié; dont, Madame, je mettray peyne de vous envoyer pour cest effect le personnage duquel je vous ay cy devant escript, s'il vous playst de me le commander. J'ay comprins par aulcuns motz des propos de la dicte Dame, et l'ay aussy entendu d'ailleurs, que le filz de l'Empereur a esté mis en avant, et, à la vérité, Anthonio de Gouaras, l'espagnol, est plus assidu en ceste court qu'il ne souloit; dont j'auray l'œuil le plus ouvert là dessus qu'il me sera possible.

Or ayant, après mon audience, conféré avec les deux conseillers de ceste princesse, ilz m'ont confirmé cella mesmes qu'elle m'avoit dict, du rapport que le comte de Lincoln, et Me Smith, et Me Milmor, avoient faict de Monseigneur le Duc. Et m'a le comte de Lestre fort incisté que je fisse bientost venir de ses lettres, ainsy qu'il me l'avoit desjà dict; et que, de sa part, il ne manqueroit d'aulcun debvoir qu'il peût rendre à l'advancement du bon propos. Milord de Burgley m'a dict que je pouvois avoyr cognu, aux propos de la dicte Dame, combien il s'estoit esforcé de la persuader, sur l'accidant du visage, qu'il se pourroit remédier; et qu'il y avoit deux de ceulx, qui estoient naguières revenus de France, qui avoient fermement assuré à elle mesmes que quand elle le verroit, elle ne s'en pourroit nullement contanter; dont, estant à ceste heure tout ce faict en la pure volonté d'elle, il falloit attandre ce que Dieu luy en vouldroit inspirer, et que, de sa part, il voyoit encores toutes choses pour ce regard si incertaynes, qu'il ne m'en vouloit rien promettre ny assurer jusques à ce que la résolution s'en manderoit par Mr de Montmorency à Leurs Très Chrestiennes Majestez; et que cepandant il persévèreroit en ses accoustumées remonstrances de louer et approuver ce party, aultant qu'il luy seroit possible de le faire. Sur ce, etc.

Ce XVe jour de juillet 1572.

Tout maintenant, Mr le comte de Lincoln m'est venu visiter, et m'a signiffié ung très grand desir de servir à cest affaire, et ne m'a point donné à cognoistre que sa Mestresse n'ayt prins playsir d'ouyr bien dire de Monseigneur le Duc. Il y a heu quelque rencontre en Escoce, dont j'en sçauray bientost la particullarité.

CCLXIVe DÉPESCHE

—du XXe jour de juillet 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Gautier.)

Conférence de l'ambassadeur avec le comte de Lincoln.—Irrésolution d'Élisabeth sur le mariage.—Promesse de la mise en liberté de l'évêque de Ross.—Commission délivrée contre le comte de Northumberland.—Nouvelles de Flessingue.—Etat de la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, m'estant le comte de Lincoln venu visiter en mon logis, ainsy que, par le postille de ma précédente dépesche, je le vous ay mandé, il s'est esforcé de me monstrer combien Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Messeigneurs voz frères, et toutz les principaulx de vostre court, avoient mis peyne que luy et ceulx de sa compagnie s'en retournassent trop plus que bien contantz des faveurs, et des grandes et extraordinayres chères, et des honnestes présens qu'ilz y avoient receus, et qu'ilz raportassent surtout une singullière satisfaction à la Royne, leur Mestresse, de la vraye et sincère amityé que voz parolles et toutez voz démonstrations leur ont indubitablement signiffié que vous luy portiés. De quoy il dict, Sire, qu'ayant retrouvé icy, après nostre dernière négociation de Mr de Montmorency, de Mr de Foix et de moy, une parfaicte correspondance en sa Mestresse, il ne veult espérer de moins que de voyr bientost, oultre le sèrement du traicté, se faire un bien plus seur et plus ferme establissement de vostre confédération par une bonne allience et ung bon parantage entre Voz Majestez Très Chrestiennes et elle; et qu'en particullier il m'estoit venu remercyer du bon succez que j'avois faict prendre à sa légation en France, et de la luy avoyr encores randue honnorable, et aprouvée par deçà, par les bons raportz, qu'au nom de Vostre Majesté j'en avois faict à sa Mestresse; dont me offroit tout ce qu'il me pourroit rendre d'amityé, tant que je serois en ce royaume. Je luy ay gratiffié, Sire, bien grandement toutz ces honnestes propos qu'il luy plaisoit me tenir, mais beaucoup plus ceulx que j'avoys bien cognu qu'il avoit desjà tenu à la Royne, sa Mestresse, le priant de l'y vouloir tousjours bien disposer, et que vous aviez prinz une si grande confience de la bonne affection qu'il avoit monstrée vous porter, que vous ne pouviez ni vouliez espérer de nul aultre de ce royaulme aulcuns meilleurs offices, pour le propos de Monseigneur le Duc, que de luy et de madame la comtesse sa femme; et qu'aussy se pouvoient ilz assurer, toutz deux, oultre une bonne recognoissance de vostre part et de la Royne, vostre mère, que jamais la faveur de Monseigneur le Duc ne leur deffauldroit ny à toutz les leurs, quant il seroit par deçà. Il m'a réplicqué qu'il pouvoit jurer avecques vérité de s'en estre retourné aultant plein de bonne affection vers vostre grandeur et vers celle de toutz les vostres, et vers l'amplitude de vostre couronne, en ce qui ne seroit contre celle de sa Mestresse, qu'il n'y avoit nul de voz meilleurs subjetz qui en sceût avoyr davantaige; et, en espécial, si dévot à Monseigneur le Duc qu'il n'avoit nul plus grand soing maintenant que de luy rendre la noblesse de ce royaulme de mesmes très affectionnée, et bien dévote à faire incliner la Royne, sa Mestresse, à son party, leur remonstrant à toutz que les difficultés de l'eage n'empeschoient que ses aultres perfections ne le rendissent bien capable d'estre, dès ceste heure, mary de leur Royne, et qu'encores bientost il en seroit si parfaictement digne qu'elle se pourroit réputer aussy heureusement accompaignée que nulle aultre princesse de l'Europe; et que ce qu'on luy pouvoit avoir raporté du visage estoit de nulle considération, car le temps en amanderoit, de bref, la pluspart, et la barbe couvriroit l'aultre; et que je creusse ardiment que Me Smith, et Me Milmor, et luy, et encores aulcuns de sa troupe, n'avoient rien obmis de ce qui se pouvoit dire de bien pour ce propos; et que, de sa part, il persévèreroit constamment de l'advancer aultant qu'il luy seroit possible de le faire.

Par lesquelz propos, Sire, les raportant à d'aultres, qu'on m'a tenus d'ailleurs, et que luy m'a dict ceulx cy, après avoir conféré avec sa dicte Mestresse, je juge qu'elle n'avoit encores résolu la responce qu'elle vous debvoit faire, quand elle est partie d'icy; et qu'il semble encores ceste foys qu'elle ne la vous fera entière, ce que prévoyant j'en ay voulu parler bien expressément avec ses deux conseillers, et les admonester de la promesse d'elle et de la leur en cest endroict, et qu'ilz ne vueillent permettre que rien en aille en longueur; à quoy ilz m'ont fort promiz qu'ilz s'y employeroient de toute leur puyssance. Cepandant la dicte Dame a commancé son progrès, et est allé à Avrin, d'où elle ne bougera de six jours, et après s'acheminera, peu à peu, vers Warwic, m'ayant le comte de Lestre fort prié que je la vueille aller trouver, quand elle arrivera, en sa mayson de Quilincourt. Elle a faict une distribution d'estatz, avant bouger de ce lieu, ayant donné celluy de grand trésorier, qui est le premier d'Angleterre, après le chancellier, à milord de Burgley, et a faict milord Chamberland privé scéel, et baillé celluy qu'il avoit de grand chamberlan de la mayson au comte de Sussex, et l'estat de secrettère à Me Smith. Elle a encores entre ses mains l'estat de grand mestre, duquel elle heût desjà pourvueu le comte de Lestre, mais il n'est bien résolu à qui faire tomber celluy qu'il a de grand escuyer; et dict qu'elle fera vischamberlan Me Pigrin, et capitaine de ses gardes Me Hathon. L'on espère qu'elle donra liberté à quelques ungs de ceulx de la Tour, et desjà elle m'a promis celle de l'évesque de Roz. Je ne sçay si l'on l'en détournera. J'entendz qu'il a esté envoyé commission à Barvic pour procéder contre le comte de Northomberland.

Je ne vous escriptz, Sire, des nouvelles d'Escoce ny de la confirmation de ce que je vous ay mandé par mes dernières: que le comte de Honteley avoit donné une estrette vers le North à ceux du party d'Esterling. J'espère que Mr Du Croc, par les lettres qu'il vous escript, satisfera largement à tout cella.

L'on continue d'envoyer tousjours gens, monitions et artillerie, à Fleximgues; et le capitaine Pelan, lieutenant de l'artillerie, est party, depuys deux jours, pour y aller. Ceulx du dict Fleximgues ont ouvert les digues et ont environné leur ville d'eau; ilz n'ont receu, à ce qu'on dict, toutz les angloys ny pareillement les françoys, ains en ont envoyé une partie ez aultres villes qui tiennent pour eulx en Zélande. Ilz ont couru l'estrade entre Envers et Bruges, et ont prins quelques deniers, que le duc d'Alve envoyoit à l'Escluse pour payer les navires et mariniers qui ont conduict le duc de Medina Cely. Il a esté apporté, ces jours passez, grande quantité d'espiceries du dict lieu de Fleximgues en ceste ville, et en envoye l'on quérir davantage. Les marchandz de ceste ville ont esté appellés devant le conseil affin d'adviser au faict du commerce pour l'accomplissement du traicté, mais ne sont encores venus devers moy. Sur ce, etc. Ce XXe jour de juillet 1572.

A la Royne.

Madame, aultant de choses que je cognois pouvoir advancer le propos de Monseigneur le Duc, et aultant que ceux qui y ont bonne affection me monstrent qu'il y en a qui y peuvent servir, je n'en obmetz une seule que je ne mette peyne, tout incontinent, de les essayer; dont Dieu, s'il luy plaist, y adjouxtera, puis après, la perfection qu'il voyt et cognoit y estre honnorable et nécessaire. Je ne presse de sçavoir de ceulx cy rien de la résolution de la responce; il ne seroit ny honneste à moy, de la leur demander, ny à eulx, de me la dire, ayant esté arresté que la Royne d'Angleterre la fera sçavoir à Voz Très Chrestiennes Majestez par Mr de Montmorency; et elle me l'a ainsy confirmé, depuis son partement, avec une fort honnorable commémoration de luy, et de la confience que, pour son intégrité, elle met ez choses qu'il luy a dictes, et pareillement de Mr de Foix. Le comte de Lestre et milord de Burgley affirment que le raport, qu'on a faict de Monseigneur le Duc, ne sçauroit estre plus grand pour sa réputation, ny meilleur pour tout ce qui se pourroit desirer de luy pour ce royaulme, que l'ont faict ceulx qui sont freschement revenus de France; et tout le conseil d'Angleterre a fort bien faict son debvoir d'aprouver son party, de sorte que le tout reste maintenant en la pure volonté de la Royne, leur Mestresse; à laquelle, parce qu'elle a touché de discerner d'aulcunes particullarités, qui peulvent rendre, à une telle princesse qu'elle est, ou agréable ou désagréable son mariage pour toute sa vye, ilz ne peuvent ny veulent davantage l'en presser. Et m'a le dict comte dict qu'il trouve fort expédiant que Monseigneur le Duc escripve les lettres que j'ay desjà mandées; car estime que nul ne peult tant en cest affaire pour luy que luy mesmes. Et milord de Burgley m'a confirmé que la petite lettre, que Monseigneur le Duc avoit escripte à Mr de Montmorency, laquelle j'avoys naguyères, comme par accidant, faicte voyr à la dicte Dame, avoit beaucoup servy, et qu'il desiroit surtout qu'il fût pourveu à l'inconvénient de son visage. Néantmoins l'ung et l'aultre assurent que l'affaire est encores bien incertein, dont aulcuns des amys donnent pour conseil, qu'encor que la responce n'aye à estre si bonne comme nous la desirerions, que, pourveu qu'elle ne soit du tout maulvayse, et qu'elle ne porte ung entier refus, que Vostre Majesté n'en doibt couper court le propos. Et, de ma part, Madame, j'ay trouvé tousjours tant de changement, d'heure en heure, ez résolutions de ceste court, que je ne puis dire sinon ce qui semble bon, et pareillement ce qui semble maulvais, n'y demeurent guyères en ung mesme estre. Sur ce, etc.

Ce XXe jour de juillet 1572.

CCLXVe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de juillet 1572.—

(Envoyée jusques à la court par Giles Malapart.)

Négociation du mariage.—Avis émis par un seigneur du conseil d'écouter les propositions faites par Antonio de Gouaras pour le mariage d'Élisabeth avec le fils de l'empereur.

Au Roy.

Sire, il n'a esté possible au Sr de Sabran d'arriver icy plus tost que hier matin, en la compagnie de plusieurs aultres qui ont esté contrainctz, aussy bien que luy, de temporiser, troys jours entiers, le passage à Callays, à cause du vent. Il m'a randu vostre dépesche du unziesme et quatuorziesme de ce moys, laquelle est très ample et fort à propos pour l'occasion présente. Je mettray peyne de l'emploier le mieulx qu'il me sera possible en ma première audience, laquelle j'ay desjà envoyé demander; et ay faict tenir à milord de Burgley la lettre de Mr de Walsingam. Ceste princesse, continuant son progrès vers Warvic, arrivera demein en la mayson du dict de Burgley, à présent son grand trésorier, où les principaulx seigneurs de sa court et de son conseil, lesquelz, au partir d'icy, estoient allez se rafraischir en leurz maysons, se doibvent randre. Et j'entendz que, au dict lieu, se résouldra la responce qui vous doibt estre faicte sur le propos de Monseigneur le Duc, n'ayant point cognu, Sire, qu'en nul aultre affaire, depuis que je suis en ce royaulme, l'on soit allé plus réservé qu'on faict en cestuy cy, duquel ne se permet qu'il en sorte une seule parolle dehors. Néantmoins l'on m'a fort assuré que le moys ne se passera sans qu'on ayt satisfaict à la promesse qui nous a esté faicte, quant Mr de Montmorency et Mr de Foix sont partis; et cependant je verray la dicte Dame, et n'obmettray rien, Sire, de tout ce que me commandez, ny de tout ce que je me pourray adviser, pour la persuader, et mesmes la presser de vous faire la responce telle que vous la desirez, et que singullièrement je la desire, plus à la vérité qu'il ne me semble que je le puisse de tout bien espérer, ayant quelque advis qu'il y sera faict mencion de ce contrepoix, dont le Sr de Walsingam a desjà parlé à la Royne, pour récompanser le deffault de l'eage et l'inconvénient du visage de Monseigneur le Duc.

Il n'y a rien plus vray qu'ung des seigneurs de ce dict conseil, entendant débattre les difficultez qu'on alléguoit de Monseigneur le Duc, a mis en avant qu'on debvoit ouyr Anthonio de Gouaras sur ce qu'il proposoit du filz de l'Empereur, ainsy que d'aultres foys l'on l'avoit bien escouté sur le propos du Roy d'Espaigne, ayant esté le premier qui l'avois mis en termes, et avoit réuscy. Mais de tant que, par les deux lettres que le dict de Gouaras avoit naguières présentées du dict Roy d'Espagne; et aulcunes du duc d'Alve touchant les choses de Flandres, il n'apparoissoit qu'ilz luy donnassent assez expécial pouvoir de parler maintenant de cestuy cy, cella n'a esté suyvy.

L'on prépare icy tousjours nouveau renfort pour envoyer à Fleximgues, mais, jusques au retour de Me Pelan, l'on ne se hastera de le faire partir. Je n'ay, à présent, rien de nouveau d'Escoce, et suis attandant ce que les deux partis auront respondu sur l'abstinence de guerre à Mr Du Croc, auquel je feray cependant tenir vostre dépesche; et, m'ayant esté octroyé ung passeport pour envoyer visiter par ung mien secrettaire la Royne d'Escoce, avec ung peu d'argent, je vous manderay à son retour de toutes ses nouvelles. Et sur ce, etc.

Ce XXIIe jour de juillet 1572.

CCLXVIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de juillet 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Audience.—Négociation du mariage.—Conversations intimes entre la reine et l'ambassadeur.—Conférences de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh sur la négociation.

Au Roy.

Sire, ayant envoyé prier le comte de Sussex, qui est à présent grand chambellan de ceste court, de vouloir entendre de la Royne, sa Mestresse, quand elle auroit agréable que je l'allasse trouver pour une dépesche que j'avoys reçue de Vostre Majesté, elle m'a soubdain mandé que ce seroit le landemein matin en la mayson de son grand trésorier, qui luy faysoit un festin, où je serois le bien venu. Et m'ayant le dict grand trésorier envoyé son coche en chemin, j'ay esté fort bien receu de la dicte Dame, laquelle m'a semblé estre en beaucoup meilleure et plus belle disposition, depuis le commancement de son progrès, que pendant qu'elle estoit en ceste ville. L'après disnée, après s'estre soigneusement enquise de vostre bon portement, et de celluy de la Royne, en la continuation de sa grossesse, et pareillement de la Royne, vostre mère, après sa dernière maladie, aussy de l'arrivée du Roy de Navarre et des prochaines nopces qui se doibvent faire de luy avecques Madame, et de plusieurs aultres particullarités, ausquelles j'ay mis peyne de bien luy satisfaire, elle m'a mené en ung petit compartiment hors de la sale, où ayant faict apporter des sièges, n'a souffert qu'aulcun aultre y ayt demeuré.

Et luy ayant dict que Vostre Majesté avoit fort volontiers entendu par Mr de Montmorency le discours de tout ce qui avoit passé icy, pendant que luy et Mr de Foix, et toute leur troupe, y avoient esté; et que vous n'aviez, longtemps y a, ouy ung récit qui plus vous heût contanté, ny qui plus vous heût apporté d'honnestes satisfactions que celluy là, pour y avoir remarqué plusieurs choses, lesquelles vous estoient ung indubitable tesmoignage de l'affection et de la vraye inclination qu'elle avoit à vostre amityé, vous la supliés de croyre que vous recepviez à grande obligation qu'elle heût voulu faire une si expresse profession et déclaration, comme elle avoit faict, de vous aymer, et de vouloir demeurer vostre perpétuelle confédérée; et qu'elle estimât par là d'avoir tant acquis et gaigné de vostre amityé et bienvueillance que vous fesiés compte de n'espargner vostre propre personne, et avec icelle tout ce qui se pouvoit compter de la grandeur d'ung roy de France, pour l'employer pour elle, quand l'occasion s'y offriroit; et, qu'après le rapport de Mr de Montmorency, vous aviez ouy celluy de Mr de Foix sur tout ce qui avoit esté dict et déduict ez négociations qu'ilz avoient faictes par deçà, qui ne vous avoit pas moins contanté, encor que vous heussiez bien desiré qu'ilz vous heussent apporté une entière résolution du propos de Monseigneur le Duc, mais aulmoins cognoissiez vous qu'il ne monstroit qu'il y heût apparu aulcune difficulté qui fût assez considérable pour debvoir différer d'une seule heure, après le moys, la response qu'elle nous avoit promis de vous faire, et laquelle vous ne pouviez espérer de moins, sinon qu'elle la vous rendroit conforme à l'honneste et honnorable demande que vous luy aviez faicte; et que la Royne, vostre mère, qui avoit esté présente aux deux discours, jugeoit bien que, sur ce qu'elle m'en feroit mander par ses lettres, je ne pourrois assez à son gré représanter, icy, à elle, le contantement qu'elle recepvoit de ceste sienne tant déclarée amityé, et du bon acheminement qu'elle voyoit que alloit prendre le propos de Monseigneur le Duc, son filz, elle avoit advisé d'envoyer quérir le Sr de Walsingam pour luy en signiffier aultant, de parolle, comme elle en avoit dans le cueur; et que je croyois que mesmes elle luy avoit faict voyr jusques dans son âme; dont le dict de Vualsingam, à mon advis, n'avoit obmis de le bien représanter par ses lettres, et que Vous, Sire, par les lettres dernières, et elle, par les siennes, me commandiez bien fort expressément que je luy incistasse à ce que sa dicte responce vous peût venir et bonne, et bientost, sellon que vous sçavez bien que le plus mortel ennemy qu'eust ce propos estoit la longueur; et que vous luy promettiez, s'il venoit à succéder, de le luy rendre comble de tout bien, de tout honneur, de toute seurté, de toute vraye et perdurable amour, et d'ung perpétuel contantement, ainsy que je luy en engagoys la foy, la parolle et la promesse de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, par les propres lettres que vous et elle luy en escripviez de voz meins, lesquelles je luy ay incontinant présentées.

La dicte Dame, premier que rien respondre, a voulu ouvrir les dictes lettres, lesquelles elle a lues avec son grand contantement, et a monstré prendre une singullière confiance de l'offre que luy fesiez par la vostre, et de l'honnorable soubscription et bien affectionnée que vous y aviez mise; et a curieusement nothé toutes les particullarités de celles de la Royne, sans en laysser rien, monstrant à bon esciant qu'elle n'en vouloit perdre ung tout seul mot, tant elle y trouvoit de satisfaction; et y voyoit, ainsy qu'elle a dict, une déclaration très honneste, et vrayement royalle, de tout ce qu'une si grande, et néantmoins très prudente, et vertueuse princesse pouvoit honnorablement, et sans trop considérer sa propre affection, desirer au propos de Monseigneur le Duc, son filz. Et puis, les ayant mises en sa pochète, a suyvy me dire qu'il luy venoit, chacun jour, de devers vous et de devers la Royne, vostre mère, tant de bons rencontres d'amityé, et iceulx accompaignez de tant de respect et d'honneste faveur, et aultres honnorables observances, et si esloignées, ainsy qu'elle croyoit, de toute feintise, qu'elle ne se sentoit si obligée à chose de ce monde que d'en avoir perpétuelle recognoissance; et qu'elle vous prioit, Sire, de croire qu'elle le recognoistroit, tant qu'elle vivroit en ce monde, avec dellibération, dès aujourdhuy, de souffrir plustost quelque offance que de se porter jamais vostre adversaire, ny contraire, ny se monstrer ingrate vers la Royne, vostre mère; et qu'elle vous prioit toutz deux de prendre parfaicte confience d'elle, tout ainsy qu'elle se commettoit du tout pour jamais à la vostre. Et, au regard du propos de Monsieur d'Alançon, elle vous prioit bien de considérer que la seule opinyon, que ses subjectz avoient, qu'elle fût ung peu sage, l'avoient faicte, quatorze ans, et la fesoient, encores aujourdhuy, régner heureusement et paysiblement sur eulx, et que, s'ilz la voyoient aller à ceste heure inconsidéréement en son mariage, qui estoit ung acte qui s'estendoit pour tout le cours de sa vye, et que elle, desjà vielle, prînt ung mary par trop jeune, et encores avec l'accidant que Monsieur d'Alançon avoit au visage, qu'il y avoit grand danger qu'ilz ne la tinsent pour mal advisée, et ne l'eussent à mespris, ne leur monstrant mesmement qu'en contrepois on luy eût offert quelque chose pour récompanser ces deux deffaultz; dont avoit donné charge à ceulx de son conseil de dresser la response, laquelle estoit desjà preste, et la vouloit envoyer, du premier jour, à monsieur de Montmorency, s'il luy plaisoit prendre la peyne de la vous présanter, ou sinon au Sr de Vualsingam son ambassadeur; et qu'elle vous suplioit de la prendre de bonne part, ainsy que d'une princesse qui, estant toute vostre, vous debviez penser d'elle comme d'une vostre propre seur.

Je luy ay respondu, Sire, que, à la vérité, sa prudence, avec la faveur de Dieu, l'avoient faicte et la faysoient heureusement régner, mais que nul plus prudent acte sçauroit elle faire au monde pour elle, ny pour ses subjectz, que d'accepter ce party; lequel, si ces deux deffaultz avoient à le monstrer ung peu plus judicieulx que plein d'affection, tant plus elle s'en acquerroit de louange, et que, d'y mettre le contrepoix, Vostre Majesté estimoit sa bonne grâce estre de si excellant pris que vous n'aviez avec quoy l'achepter qu'avec l'abondance d'amityé et de respect que Monseigneur le Duc luy porteroit; lequel vous luy offriez avec les mesmes condicions que luy aviez offert Monsieur, qui, estantz toutz deux voz frères, ne luy pouviez faire ung plus égal présent; dont ne failloit aussy qu'elle haulçât ses demandes, et seulement qu'en lieu d'Henry elle prînt Francoys, sinon que l'ung se contanteroit d'ung peu moins de l'exercice publicque de sa religion, là où la conscience n'avoit peu permettre à l'aultre qu'il en peult rien laysser; et que, pour mieulx conduire son inclination à satisfaire à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, en cest endroict, Mon dict Seigneur d'Alançon mesmes y adjouxtoit sa bien humble requeste, par une sienne lettre à part, qu'il me commandoit de luy présenter.

La dicte Dame a soubdain prins la dicte lettre, et l'a lue tout du long avec démonstration de contantement, et a dict que tout ce que son escript luy faysoit voyr de luy correspondoit à ce qu'elle en oyoit dire. Et puis, je l'ay supliée bien humblement qu'elle voulût encores prendre la peyne de lire ce qu'il me prioit, et me commandoit de faire, pour luy, par une aultre sienne lettre; à quoy elle n'a faict aulcune difficulté.

Et j'ay adjouxté que c'estoit affin qu'elle ne m'estimât ny présomptueux ny téméraire, si j'entreprenois de luy faire entendre quelque chose de la bonne affection que ce prince luy portoit, et si je la supliois de le réputer digne de la sienne; que, à la vérité, il estoit jeune, mais nourry en tant de meureté qu'il le failloit, quand au sens, estimer desjà homme parfaict, et quand à la personne, qu'il estoit de l'extraction de princes si bien formés et d'une si parfaictement belle taille, et si bien proporcionnés, qu'il ne failloit doubter que leur filz ne leur ressemblât, et qu'il ne vînt aussy hault d'estature et aussy beau de visage comme ilz avoient esté; et que mesmes il avoit advancé son eage de troys ou quatre ans, se trouvant en ceste sienne première puberté ung bien accomply et bien vigoureulx chevalier, et qu'il estoit filz et petit filz, et deux foys frère, de quatre grandz roys, et luy mesmes tout royal, qu'il estoit magnanime et généreulx, et remply de toutes vertueuses condicions, mais qu'il n'estoit en tout rien tant que tout à elle, et tout transformé en ung vraye et naturel amour qu'il portoit à sa grandeur, à ses perfections et à ses belles et excellantes qualités, et ne se délectoit de rien tant que d'ouyr ses louanges, d'adjouxter ce qu'il pouvoit à icelles, et de vouloir emploier sa personne pour les maintenir jusques à la mort, ne cherchant aulcune chose de meilleur cueur que de se perdre soy mesmes pour se retrouver tout en sa bonne grâce. Dont je la supliois qu'à une telle perfection d'amityé, comme elle trouvoit en Vostre Majesté, et en la Royne, vostre mère, et en luy, elle ne voulût uzer d'aulcune male correspondance en sa responce, et que vous jugiés, Sire, les choses estre passées si avant qu'il ne se pouvoit faire, oultre l'intérest des affères que vous aviez communs avec elle, qu'il n'y courût beaucoup de vostre honneur et réputation, si le mariage ne succédoit.

Elle m'a dict qu'elle vouloit estimer cella mesmes que j'avoys dict, et encores mieulx de Monsieur d'Alançon, car le rapport qu'on faysoit de luy estoit parfaict en toutes choses d'honneur, de valeur et de vertu; et qu'elle vouloit encores croire ce qu'il luy escripvoit de son amityé, et ce que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy en promectiez, neantmoins que les difficultés de l'eage et du visage restoient aparantes, et que ce que j'avois allégué de la religion ne se pouvoit prendre pour récompance, car ne failloit dire ny que Monsieur se fût voulu contanter de l'exercice de sa religion en privé, ny qu'elle le luy heût voulu accorder, affin que ny l'ung ny l'aultre ne se peussent maintenant advantager ny qu'il l'eût délayssée, ny qu'elle l'eût délaissé; et, quand au point que Monsieur d'Alançon m'escripvoit que, s'il n'estoit retenu d'aulcuns respectz, qu'il passeroit volontiers par deçà, que c'estoit ung faict sien, et de Vostre Majesté, et de la Royne, vostre mère, qui debvoit estre réglé par vostre conseil, dont n'en vouloit rien dire, mais qu'elle croyoit certaynement que si Monsieur luy mesmes fût venu, quand il se parloit de luy, que l'affère heût mieulx réuscy qu'il n'a; et que je pourrois encores conférer de toutes ces choses avec ceulx de son conseil, affin que la responce peût estre plus promptement expédiée.

Et ainsy, Sire, ayant esté encores quelque temps avec elle à luy respondre sur aulcunes demandes qu'elle m'a faictes de Mon dict Seigneur le Duc, s'il n'estoit pas creu depuis le pourtraict qu'elle avoit veu, et si j'avois point adverty la Royne, vostre mère, du mèdecin qui promettoit de remédier à cest inconvénient du visage; et, luy ayant satisfaict de tout cella à son contantement, je me suis gracieusement licencié d'elle pour aller traicter de ces mesmes choses avec les seigneurs de son conseil; de quoy, en la lettre de la Royne, parce que ceste cy est trop longue, je mettray comme tout le reste a passé. Et sur ce, etc.

Ce XXIXe jour de juillet 1572.

A la Royne

Madame, affin que Vostre Majesté puisse mieulx juger des choses qui concernent icy le propos de Monseigneur le Duc, vostre filz, après que les aurez entendues par ordre, je metz peyne, en la lettre du Roy, de vous bien particulariser celles qui ont passé en la dernière audience que j'ay heue de cette princesse; de la quelle, à vray dire, je suis retourné plus contant des parolles et démonstrations que j'ay notées d'elle, pendant ses discours, que des poinctz qu'elle m'a voulu toucher de la responce qu'elle a promis de mander à Mr de Montmorency. J'avoys desjà faict voyr à milord de Burgley, premier que d'aller trouver la dicte Dame, les troys lettres qui s'adressoient à elle et les deux qui s'adressoient au comte de Lestre et à luy, ensemble ce que, en particullier, vous me mandiez, par une des vostres, de luy dire, qui a trouvé le tout merveilleusement bon, et bien à propos. Et, après infinys et très humbles mercyementz de la confiance qu'il voyoit que Voz Majestez Très Chrestiennes prenoient de luy, avec assurance de s'emploier plus affectueusement pour cest affaire que pour nul aultre qu'il ayt jamais manyé, il m'a mandé que je me hastasse de porter les dictes lettres, parce que les comtes de Lestre et de Sussex, et luy, avoient desjà commandement de leur Mestresse de dresser la dicte responce, qu'elle avoit à vous faire: ce qui m'a randu encores plus dilligent de l'aller trouver.

Et, après que j'ay heu devisé avec elle, aultant longuement que je l'ay peu desirer, je suis allé parler aux dicts comtes de Lestre et de Sussex, et au dict de Burgley, lesquelz n'ont voulu entrer guyères avant à contester et débatre aulcun poinct de l'affère; ains, après avoyr escouté ce qui s'estoit passé entre la dicte Dame et moy, ilz m'ont respondu que, puisque j'avoys présenté nouvelles lettres, ilz confèreroient de nouveau avec la dicte Dame pour voyr si elle leur commanderoit de changer rien en sa dicte responce, et ont assez estendu leurz propos sur le mesmes faict; mais ilz l'ont tousjours tenu bien loing de la conclusion. Dont, ayant tiré à part le comte de Lestre, je luy ay baillé la lettre de Monseigneur le Duc, et luy ay monstré ce qui estoit en article exprès pour son bien dans celle que Vostre Majesté m'escripvoit; à quoy il m'a randu de si honnestes responces qu'il ne se peut dire mieulx. J'ay aussy exprimé à milord de Burgley ce que je luy avois auparavant mandé, lequel m'a assuré qu'il persévèreroit de solliciter sa Mestresse. Et n'ay obmis de confirmer de mesmes le comte de Sussex en la bonne affection qu'il a tousjours monstré de porter à cest affère; et puis, je les ay ainsy layssez quelques jours pour faire leurs dellibérations.

Et depuis, je les ay envoyez sonder si les lettres avoient esté d'aulcun effect, dont le comte de Lestre m'a mandé qu'il me prioit de croyre qu'il avoit parlé sur icelles de si grande affection à sa Mestresse que moy mesmes ne l'eusse peu faire davantaige, et qu'elle demeuroit en suspens, sans se sçavoir bien résouldre, monstrant d'incliner à ce qu'elle puisse voyr Monseigneur le Duc, et qu'il la voye aussy à elle, ce que le dict comte ne pouvoit trouver bon, et estimoit qu'il seroit tousjours meilleur qu'elle fît une plus certaine responce. Et milord de Burgley m'a respondu qu'il n'y avoit rien plus vray que, pour ceste heure, l'accident du visage donnoit plus d'empeschement au propos que ne faysoit la difficulté de l'eage, car sa Mestresse avoit parlé à ceulx qui estoient naguières revenus de France, et s'estoit enquise à ung chacun d'eux, à part, fort particullièrement, de Monseigneur le Duc; qui luy avoient toutz, d'une commune voix, raporté beaucoup de louanges des condicions et qualités de Mon dict Seigneur le Duc, et encores de sa taille et disposition, mais il n'y en avoit heu pas ung qui ne luy eût dict, quand au visage, qu'ilz avoient opinyon qu'elle ne s'en pourroit nullement contanter, quand elle le verroit: ce qui estoit cause que les lettres, que je luy avoys présentées, feroient peu ou guières changer la responce qu'on avoit dellibéré de vous faire mander; et que, de tant que j'avoy dict à elles mesmes qu'il y avoit ung mèdecin qui promettoit de remédier au dict inconvénient du visage, qu'il failloit que je y pourveusse, me voulant au reste bien assurer que sa Mestresse s'estoit infinyement contanté de la lettre que Vostre Majesté luy avoit escripte, qui estoit bien la meilleure qu'elle eust jamais reçue et la plus pleyne d'honnestes respectz; et qu'en effet il ne voyoit aulcune chose à présent, sur laquelle il voulût me mettre plus avant en espérance, ny aussy du tout me désespérer, cognoissant très bien que sa Mestresse procédoit d'une vraye et droicte intention en cest affère, et qu'il n'y avoit que les deux difficultés, et celle mesmement du visage, qui la retardoient.

Et de tant que la pluspart de la négociation d'entre milord Burgley et moy a esté mené par le Sr de Vassal, présent porteur, que j'ay souvant envoyé vers luy, je le vous dépesche présentement pour vous en aller rendre meilleur compte, et pour, tout ensemble, apporter à Voz Majestez le traicté tout ratiffié, qui m'a esté, depuis deux jours, dellivré de la part de ceste princesse; et vous suplier très humblement, Madame, que par luy il vous playse me faire entendre en quelz termes on vous aura faicte la susdicte responce, et, comme après icelle, vous vouldrez que je continue de la poursuivre. Et sur ce, etc.

Ce XXIXe jour de juillet 1572.

CCLXVIIe DÉPESCHE

—du IIIe jour d'aoust 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Arrivée de Mr de La Mole à Londres.—Entrevue avec le lord garde-des sceaux.—Nouvelles de la guerre des Pays-Bas.—Progrès du prince d'Orange.—Détails sur le combat de Mons.

Au Roy.

Sire, ayant Mr de La Mole faict si bonne dilligence qu'il est arrivé le XXVIIe du passé à Londres, j'ay incontinent envoyé faire entendre sa venue à la Royne d'Angleterre, à quarante mille de là, sur son progrès de Warvic, laquelle, se trouvant en lieu incommode et trop estroict pour nous recepvoir, et voyant encores que les quatre ou cinq premiers gittes, qu'elle auroit à faire, le seroient de mesmes, elle nous a remis jusques au lieu de Eston, où elle faysoit estat d'y arriver dès hier, et nous y donner aujourdhuy l'audience. Mais, s'estant trouvée ung peu lasse de la chasse de devant hier, au lieu de Saldon, pour y avoir suivy, tout le jour et jusques à quelque heure de la nuict, ung grand cerf, elle n'en a bougé de hier ny aujourdhuy, et nous a mandé, sachant que nous estions desjà en ce lieu de Brichil, bien près d'elle, que nous fussions les bien venus; et que, demein, qui est lundy, elle se rendroit sans aulcun doubte au lieu de Eston pour nous y recepvoir mardy, et que cepandant elle avoit commandé au sire Henry Cobhan de nous accompaigner, et nous faire accomoder à Tocester, qui est à ung petit mille du dict lieu; monstrant la dicte Dame, après qu'on luy a heu touché quelque mot de l'honneste occasion du voyage du dict Sr de La Mole, et par l'instance de qui il estoit faict, et combien l'élection de luy estoit bien fort bonne et propre en cest endroict, qu'elle en avoit grand contentement; dont nous mettrons peyne, Sire, de le luy augmanter davantage et le rendre le plus utile qu'il nous sera possible pour Vostre Majesté.

Nous avons, en venant icy, visité milord Quipper en une sienne mayson aulx champs, où la dicte Dame avoit passé, qui a monstré de nous y voir de bon cueur, et de persévérer en la bonne et droicte intention qu'il a tousjours heue à ce bon propos d'ung des Filz de France pour sa Mestresse; et nous a dict que, pour estre Monseigneur le Duc plus esloigné d'ung degré de vostre couronne que Monsieur, que de ce degré l'aprouvoit il davantage et le jugoit plus propre pour eulx, et qu'il luy sembloit que la présence sienne avoit à produire une trop plus briefve conclusion en cest affère que nulle aultre chose qu'il cognût aujourdhuy au monde. A quoy nous avons oposé que cella estoit peu requis, et nullement uzité entre grandz princes, et que, sans plus grande assurance, je ne voyois qu'il se peût faire, ny qu'il deût passer deçà, ny que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, le voulussiez jamais consentir.

Je comprans bien, Sire, qu'une partie de la responce qu'on vous a faicte tend à cella; dont Mr de La Mole et moi adviserons de modérer vers elle, et vers ceulx qui la conseillent, ceste dellibération le plus qu'il nous sera possible, et ne précipiterons rien sans réserver toutes choses à vostre disposition; qui vous suplie cependant, Sire, de nous mander par le Sr de Vassal comme, après la dicte responce, il vous semblera que nous aurons à procéder.

Le comte de Lestre, qui estoit allé devant à Quilingourt, est retourné pour se trouver à la réception du dict Sr de La Mole; mais milord de Burgley, qui est allé en une sienne mayson vers le Nort, ne sera de retour jusques à samedy, qui sera cause que nous temporiserons davantage pour l'attandre, et pour ne presser de vous rien respondre qu'il n'y soit.

Maistre Pelan est retourné de Fleximgues, lequel rapporte, à ce que j'entendz, que quatre centz françoys et aultant d'anglois, et semblable nombre de walons, sont logés dans la ville, et qu'avec ce nombre les habitans se font fort de la garder; et que le cappitaine Gilibert, avec quinze centz angloys, est logé aux environs, ayant cinq centz escuz d'entretènement par moys comme coronnel, et ses gens bien entretenus à la rayson de quatre escus la simple paye; et que tout le pays d'Olande, sinon Utrec et Ostradam, recognoissent le prince d'Orange pour légitime gouverneur, et que desjà l'on a estably à Dordrec une forme de conseil, et le lieu de la monoye pour y battre ce qui se pourra ramasser d'argent pour servir à ceste guerre; et semble que le dict Pelan persuade bien fort à ceste princesse de prendre en sa protection le dict lieu de Fleximgues, comme très oportun à l'Angleterre et fort aysé de le pouvoir deffendre.

Anthonio de Guaras a porté, ces jours passez, en ceste court, une relacion des choses advenues près de Montz[3], par lettre que le duc d'Alve luy en a escripte de Bruxelles; où il mande la défaicte sur les Huguenotz estre fort grande, et qu'il y en a envyron troys mille cinq centz de mortz, avec fort petite perte des leurs, plusieurs prisonniers de qualité et vingt cinq enseignes et huict cornettes prinses; ce qui met assez de réfroidissement à ceulx cy: bien que d'ailleurs la certitude qu'ilz disent avoir de l'arrivée du prince d'Orange, en Gueldres, avec sept mille reytres et trèze mille hommes de pied, les eschauffe. Sur ce, etc.

Ce IIIe jour d'aoust 1572.

CCLXVIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour d'aoust 1572.—

(Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience accordée à l'ambassadeur et à Mr de La Mole.—Négociation de Mr de La Mole au sujet du mariage.—Desir d'Élisabeth que le duc d'Alençon passe en Angleterre.—Suspension d'armes en Écosse.—Nouvelles de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, je ne doubtois nullement que la Royne d'Angleterre ne fît une bien bonne réception à Mr de La Mole, à cause de la plus estroicte amityé qu'elle a maintenant avec Vostre Majesté, mais elle la luy a faicte beaucoup meilleure que je ne l'avois espéré, et nous a donné, mardy dernier, au lieu de Sthon, une très favorable audience, de laquelle n'est besoing que je vous racompte icy ce que j'ay dict et faict pour introduire le dict Sr de La Mole et sa légation vers elle, car j'ay mis peyne de n'y rien oublier, et seroit trop long de le vous réciter; ny que je vous représante aussy, Sire, ce que luy, de sa part, et en une très bonne façon et avec parolles vifves et pleines d'efficace, et bien accompaignées de tout ce que l'honneste présence et bonne grâce et modestie d'ung gentilhomme les a peu segonder, luy a tenus, car je laysse tout cella à vous estre mieulx cognu, quand bientost il s'en retournera.

Et vous diray seulement, Sire, qu'elle a monstré d'avoir aultant agréable le message et le messager, comme Vostre Majesté le pourroit desirer, ainsy que les honnestes responces et les très grandz mercyementz, qu'elle nous a chargé de vous en faire, le nous ont témoigné; qui, entre aultres choses, elle vous prie, Sire, de vouloir croyre que l'obligation qu'elle vous a pour la suyte de tant d'amityé et de bonne affection, dont, de plus en plus, il vous plaist persévérer vers elle, la rendent non moins germayne à Vostre Majesté ny moins vraye fille de la Royne, vostre mère, que le pourroit estre à toutz deux Madame Marguerite; et qu'elle vous avoit desjà envoyé sa responce, de laquelle elle attandoit, dedans troys jours, une dépesche de son ambassadeur, pour sçavoir comme Vostre Majesté l'auroit prinse, et que, sur ce qu'il luy en manderoit, se pourroit, puis après, adviser comme passer plus avant. Et me semble, Sire, qu'elle a commancé, ceste foys, d'uzer des mesmes parolles et contenances que j'avois auparavant remarquées d'elle, quand elle dellibéroit à bon esciant d'entendre au propos de Monsieur, de sorte que je n'estime l'avoir jamais cognue mieulx disposée à la résolution de se marier que maintenant, inclinant néantmoins à vouloir estre satisfaicte de la venue de Monseigneur le Duc plus pour cognoistre, ainsy qu'elle dict, si elle luy sera agréable, et si les difficultés qu'il pourroit faire d'elle le pourroient divertir, que non pas qu'elle s'arreste à celles qu'on luy a faictes de luy; assurant la dicte Dame qu'elle le répute d'estre tel, sellon le rapport qu'on luy en a faict, qu'elle ne s'estime assez digne d'estre sienne, et qu'elle nous vouloit bien promettre, s'il venoit icy, et que le mariage ne succédât, qu'elle prandroit sur elle la plus grande moictié de la honte, d'avoir esté plustost refuzée de luy, que non pas qu'elle ne l'eust voulu accepter; et puis l'excuse de la religion pourroit servir à toutz deux: monstrant la dicte Dame une fort grande affection à ceste entreveue et de chercher elle mesmes comme elle se pourroit faire, sans qu'il y courût nul intérest de vostre grandeur, ny de celle de Mon dict Seigneur le Duc.

Et je voy bien, Sire, que ceulx de son conseil ne sont trop marris qu'elle ayt ceste opinyon, affin qu'elle mesmes face l'élection de son mary.

Et je luy ay respondu, Sire, qu'il y avoit beaucoup de voyes bien honnestes et bien fort honnorables à Monseigneur le Duc pour venir vers elle, et qu'elle s'assurât hardiment d'avoir aujourdhuy tant de pouvoir sur luy qu'il feroit très volontiers tout ce qu'elle vouldroit, et qui seroit de son contantement; et que, sans doubte, il viendroit aussytost qu'il entendroit ceste sienne bonne volonté, mais elle mesmes ne le debvoit, en façon du monde, desirer sinon à la charge de le prendre pour mary, aussytost qu'il seroit icy, ou bien de le retenir prisonnier en la Tour de Londres; car il ne y avoit nulle assez honnorable voye pour s'en retourner: et que je ne croyois pas que Vostre Majesté, ny la Royne; qui est comme mère à toutz, voulussiez, sans quelque assurance du dict mariage, jamais consentir qu'il y vînt; ayant ajouxté, Sire, affin de ne laysser trop de dureté en ce qui, peu à peu, monstre se ramoller en ce propos, que, comme nous la suplions à elle de n'introduire nouvelles difficultés et longueurs en cest affère, qu'ainsy vous suplierions nous très humblement, Sire, de ne vous randre difficille en rien de ce que, sans diminuer la réputation de vostre couronne, ny la dignité de Mon dict Seigneur le Duc, vous pourriez complaire à la dicte Dame.

Et après plusieurs bien fort gracieulx propos, qu'elle nous a continués plus de troys heures à son grand contantement, quelquefoys avec toutz deux ensemble, et quelquefoys séparéement avecques luy, parce que j'ay estimé que cella seroit très oportun; et, après qu'elle nous a heu de rechef priés de randre plusieurs sortes de mercyementz à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, pour elle, avec une si honnorable mencion de Mon dict Seigneur le Duc que de plus honnorable ne s'en pourroit faire de nul prince qui vive, sans oublier ung expécial grand mercys de l'élection que Voz Majestez, et luy, aviez voulu faire de Mr de La Mole pour le luy envoyer, elle nous a, pour ceste première foys, bien fort gracieusement licenciez, remettant à nous voyr le jour ensuyvant à la chasse, où elle nous convioit.

Et, au sortir de la dicte audience, le dict Sr de La Mole a salué le comte de Lestre et le comte de Sussex, et Me Smith, avec les lettres qu'il leur a présentées et avec les bons propos qu'il leur a tenus; qui ont monstré d'adjouxter je ne sçay quoy de nouvelle disposition à celle qu'ilz avoient toutjours à ce propos. Et nous a le comte de Lestre depuis faict entendre qu'il seroit bon que ne nous lassissions de temporiser icy quelques jours; dont faysons estat d'accompaigner la dicte Dame jusques à Quilingourt, où milord de Burgley et le comte de Lincoln, qui sont maintenant absentz, ne faudront, lundy prochain, de s'y rendre.

Et cependant j'ay receu ung petit pacquet du Sr de Vérac, du pénultiesme du passé, qui porte l'abstinance d'armes en Escoce pour deux moys, sellon la forme d'un brouillard qui contient la publication que, ce mesme jour, en a esté faicte à Lislebourg; et ay pareillement sceu, en ce lieu, des nouvelles de la Royne d'Escoce par le retour d'ung mien secrettère, que je luy avois envoyé avec ce peu d'argent, qui m'assure qu'elle se porte bien de sa santé, mais ennuyée de se voir toutjours estroictement gardée, bien que, depuis ung moys, l'on luy permet de aller souvant se promener aux champs. Je n'ay oublié de faire vers la Royne d'Angleterre l'office que m'avez commandé pour elle, qui a esté assez bien receu. Il n'y a icy rien de nouveau de Flandres depuis mes précédantes. Sur ce, etc.

Ce VIIe jour d'aoust 1572.

La nuict après notre audience, la Royne d'Angleterre s'est trouvée bien mal pour s'estre promenée trop tard au serein, faysant bien froid; et pour avoir trop travaillé à la chasse, les jours auparavant; mais aujourdhuy elle se porte fort bien, et sommes conviez pour l'aller accompaigner aux champs après dîner.

CCLXIXe DÉPESCHE

—du XIe jour d'aoust 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Bourdillon.)

Maladie et rétablissement d'Élisabeth.—Négociation de Mr de La Mole avec les comtes de Leicester, de Sussex et de Warwick.—Audience.—Insistance d'Élisabeth pour que le duc d'Alençon vienne en Angleterre.—Desir de Leicester d'être chargé d'une mission en France.—Nouvelles de Flessingue.—Crainte des Anglais que Strozy ne s'empare de cette ville pour la France.

Au Roy.

Sire, à l'occasion d'ung peu de mal d'estomac qui a prins à la Royne d'Angleterre, le jour qu'elle nous a donné audience, au lieu de Sthon, ainsy que, par le post scripta de noz précédantes, du Ve du présent, nous le vous avons mandé, elle a esté deux jours sans sortir de la chambre, pandant lesquelz les comtes de Lestre, de Sussex et de Warvic nous ont mené chez ung riche gentilhomme voysin; là où ilz nous ont faict fort honnorer et bien tretter, et nous ont, le matin et l'après dînée, donné beaucoup de plésir dans les parcz de la Royne, qui estoient là auprès, en diverses sortes de chasses qui n'ont esté moins roïales que si la Royne mesmes s'y fût trouvée; et avons heu ample commodicté de négocier avec les dicts deux comtes de Lestre et de Sussex, dont n'avons perdu temps. Cepandant milord trézorier est arrivé de sa mayson de Burgley, auquel moy, La Mole, ay faict l'exprès office de recommandation du faict de Monseigneur le Duc, de la part de Vostre Majesté et de celle de la Royne, et avec les mesmes lettres de Mon dict Seigneur, comme me l'avez commandé, qui ay trouvé qu'il estoit en toute bonne disposition.

Et le troysiesme jour, la dicte Dame, encores non du tout bien guérye, nous a permis de la voyr, laquelle, après nous avoyr compté de l'occasion de son mal, et nous avoyr infinyement mercyez de ce que nous avions monstré ung non moins extrême ennuy, durant sa douleur, que ung très singulier plésir après qu'elle nous heût mandé qu'elle luy estoit passée, elle nous a dict qu'elle avoit cerché son meilleur soulagement ez lettres de Vostre Majesté et en celles de la Royne, et de Nosseigneurs voz frères, et encores en celle que Monseigneur le Duc, en particullier, m'avoit escripte à moy, La Mothe; lesquelles elle s'estoit faictes toutes lire durant son mal, et y avoit trouvé tant de singullières et expécialles occasions de se resjouyr en la vraye amytié qu'il vous plaist à toutz luy porter, et vous en estre à jamais tant obligée que, quand elle auroit commancé bon matin de nous en dire des mercyementz, elle n'auroit achevé, à beaucoup d'heures de la nuict, à vous randre toutz ceulx qu'elle en avoit dans son cueur; mais elle vous prioit de croyre qu'elle avoit prins là dessus une très ferme résolution d'emploier une bonne partie de sa vye pour en avoyr aultant de recognoissance, comme Dieu feroit aparoistre au monde qu'elle en pourroit avoir les moïens; et qu'elle avoit pensé de ne se debvoir encores haster de respondre ceste foys à voz lettres ny à celles de la Royne, jusques à ce qu'elle heût entandu, par le Sr de Walsingam duquel elle attandoit d'heure à aultre ung courrier, comme Voz Majestez auroient prins sa responce; et pourtant, s'il nous plesoit temporiser jusques à Quilingourt, elle remettroit allors de faire ses lettres, ou sinon elle s'esforceroit de nous en bailler à ceste heure de telles qu'elle pourroit; et qu'elle nous avoit desjà dict que son desir seroit d'estre satisfaicte d'une entrevue, plus pour le contantement de Monseigneur le Duc, que pour le sien, bien qu'elle vouldroit que ce fût comme par fortune de temps, qui l'eût poussé par deçà; et que néantmoins plusieurs doubtes là dessus la mettoient en peyne, s'il luy arrivoit, d'avanture, quelque inconvénient au passage, ou bien si, estant icy, l'on ne se pouvoit accorder des condicions: dont remettoit cella à Vostre Majesté, affin que rien ne procédât jamais d'elle qui vous pût offancer; car c'est ce qu'elle vouloit le plus éviter en ce monde; bien nous vouloit dire qu'elle avoit des maysons assez voysines de la mer qui seroient fort à propos pour cest effect.

Sur quoy, Sire, commançantz à ce qu'elle nous avoit discouru de son mal, et puis de sa convalessance, et sur la faveur qu'elle nous faysoit de la pouvoir voyr, premier qu'elle fût du tout bien guérye, et sur le soing que cepandant elle avoit heu de nous faire donner du plésir dans ses parcz, mais principallement sur les bonnes parolles qu'elle nous venoit de dire de Vostre Majesté et de la Royne, et de Nosseigneurs voz frères, et de voz lettres, nous luy avons respondu, l'ung après l'aultre, tout ce que nous avons estimé qui estoit bien convenable de luy dire; et vous promettons, Sire, que ce a esté tant au contantement de la dicte Dame que, quand nous avons monstré creindre de l'ennuyer, pour n'estre encores parfaictement guérye, elle mesmes a estendu davantage le propos. Dont, sur celluy de notre temporisement icy, nous luy avons dict que Mr de Vualsingam ne luy pourroit mander rien de plus expécial de vostre intention que ce que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, La Mothe, et puis voz précédantes lettres, et puis celles de maintenant, et encores ce que de parolle à moy, La Molle, et par escript à moy, La Mothe, vous nous aviez donné charge de luy en déclarer; et qu'il ne failloit, au cas que la responce qu'elle vous avoit desjà mandée ne fût si bonne comme vous la desiriez et l'espériez, sinon qu'elle la nous melliorât, et qu'elle la nous voulût faire entière et résolue; car serions prestz de l'accepter, et temporiserions très volontiers pour cest effect jusques à Quilengourt, ainsy qu'elle monstroit de le desirer; que, quand à l'entrevue, il n'estoit nul besoing de chercher en cella le contantement de Monseigneur le Duc, car non seulement il estoit très contant, mais tout transformé au desir des bonnes grâces et des perfections qu'il sçavoit estre véritablement en elle, mais c'estoit à sa satisfaction d'elle qu'on avoit à regarder; et que pour cella croyons nous bien que Monseigneur le Duc ne regardoit à nul danger ny inconvénient, ny s'il y auroit quelque diminution de sa propre grandeur, pourveu qu'il peût aultant defférer à celle de la dicte Dame; mais qu'il nous sembloit que Vostre Majesté, ny la Royne, ne le luy vouldriez jamais permettre, et qu'encor que vous jugiés très bien que nulle sorte de passer vers elle ne pourroit sembler que très honneste et pleine d'ung singullier plésir à ce prince, si, ne pouviez vous voyr qu'il luy en peût rester pas une honnorable ny sinon accompaignée d'ung extrême crèvecueur et d'ung perdurable regret, qui luy dureroit jusques à la mort, de s'en retourner refuzé ou non accepté; et qu'il nous sembloit qu'en ung affaire tant approuvé de Dieu, et louable devant les hommes, et tant plein d'honneur et de vray contantement aux deux partis, et desjà passé par le conseil universel des deux royaulmes, l'on ne debvoit proposer ung acrochement, lequel monstroit partir de l'invention de quelque maulvès ange, qui ourdissoit desjà, par la longueur et par la difficulté de ceste entrevue, une entière ruyne du propos, premier qu'il fût conclud.

La dicte Dame, ayant un peu pensé là dessus, a monstré qu'elle desireroit infiniement de cognoistre quel auroit à estre Mon dict Seigneur le Duc vers son amytié, et a percisté qu'il luy failloit attandre quelque dépesche du Sr de Walsingam; puis a passé à plusieurs gracieulx propos d'elle et de Monseigneur le Duc, au cas que le dict mariage succédât entre eulx: dont, ayant préveu ensemble qu'il ne seroit que bon que moy, La Mole, luy en continuasse encores aulcuns à part d'aulcunes privés particullarités et remarquables enseignes de l'inthime affection et dévotion de Mon dict Seigneur vers elle, moy de La Mothe, les ay ung peu layssez toutz deux, qui en ont tenu plusieurs, desquelles elle a monstré, de son costé, en sentir ung fort singullier contantement; et moy, La Mole, suis retourné du mien avec tousjours meilleure espérance, comme j'espère bientost vous en aller rendre compte. Cepandant moy, La Mothe, ay pressé milord de Burgley de nous faire avoir une résolution, et il n'a heu rien d'assez aparant pour en excuser davantage sa Mestresse, sinon de me dire que Vostre Majesté auroit trouvé la responce en telz termes qu'il n'estoit possible qu'on passât à rien plus avant, que vous n'eussiez de rechef parlé, bien qu'il me vouloit assurer que luy et les deux comtes trouvoient que le voyage de moy, La Mole, estoit très oportun, et très oportunes les lettres que j'avoys apportées, et qu'il ne vouloit, de sa part, encore cesser de bien espérer.

Ainsy, Sire, nous suyvons jusques à Quilingourt, et nous veulent, ceulx qui sont bien intentionnés en cest affaire, persuader que ce que ceste princesse monstre d'avoir fort grande affection à ceste entrevue est le meilleur signe qui se pourroit desirer d'elle, dont nous conseillent de ne le trop rejecter. Et le comte de Lestre m'a encores refrayschy à moy, La Mothe, qu'il avoit ung grand desir d'aller en France pour la conjouyssance des premières couches de la Royne Très Chrestienne, et qu'il seroit tousjours prest de partir dans troys jours, après que la Royne, sa Mestresse, le luy auroit commandé; laquelle nous a desjà dict, Sire, qu'elle le vouloit de bon cueur, pourveu que ce fût ung filz, et qu'elle prioit Dieu de vous donner ung daulfin.

Maistre Pelan a rapporté de Fleximgues que la ville est tenable, si la Royne, sa Mestresse, la veult prendre en sa protection; mais il semble que, icy, l'on est entré en quelque souspeçon que le Sr Strossy s'en vueille saysir, et qu'il a desjà escript à ceulx qui y commandent d'y vouloir recepvoir deux mille françoys. Sur quoy quelqun m'a declaré à moy, La Mothe, que cella réfroydira bien fort les Angloys, et qu'ilz ne voudroient que les Françoys entreprinsent rien de ce costé, à la charge qu'ilz favoriseroient tout ce qu'ilz vouldroient entreprendre ez aultres endroictz. J'ay jetté bien loing tout ce qu'on m'a dict du dict Sr Strossy. Hier, ung des gens du prince d'Orange a esté renvoyé d'icy avec force bonnes parolles, et attand l'on de luy une plus solenne légation, quand il sera plus avant en pays; dont lors il sera mieulx respondu. Sur ce, etc.

Ce XIe jour d'aoust 1572.

CCLXXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'aoust 1572.—

(Envoyée jusques à la court par Mr de L'Espinasse.)

Nouvelles d'Écosse.—Vives plaintes de l'ambassadeur contre le mépris que font des ordres du roi les Ecossais qui occupent Leith.

Au Roy.

Sire, estant Mr de La Mole et moy en ce lieu de Conventery, à la suyte de ceste princesse, laquelle arrive aujourdhuy en la mayson du comte de Lestre à Quilingourt, qui est à quatre mille d'icy, le Sr de L'Espinasse m'a envoyé de Londres en hors les mémoires qu'il a raporté d'Escoce, sur lesquelz je me suys infinyement esbahy des façons de procéder de ceulx du Petit Lith, qui sont telles qu'elles me semblent bien requérir, Sire, que Vostre Majesté y pourvoye avec authorité pour ne laysser aller les choses, qui ont esté, en ce faict, faictes et négociées par vostre ambassadeur en vostre nom, à l'indignité que ceulx du Petit Lith monstrent qu'ilz les veulent réduyre, qui n'est sans beaucoup de mespris et quasy mocquerye de vostre grandeur. Il est vray que la passion les mène de vouloir chercher tant d'avantage qu'ilz pourront pour ruyner ceulx qui leur font teste; et, si l'assemblée du parlement se pouvoit tenir, possible que l'on parviendroit à quelque accord, mesmement si Vostre Majesté monstre qu'en toutes sortes elle veult et entend qu'il se face, et qu'il vous plaise en parler vifvement à l'ambassadeur d'Angleterre et luy dire que vous n'estes pour comporter qu'on achève de ruyner cest estat, ny que les dicts du Petit Lith abusent des mesmes moyens qui procèdent de vous contre ceulx qui, plus que eulx, ont espéré en Vostre Majesté.

Je verray, Sire, comme la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil prendront le faict, et requerray en cella ce que j'estimeray convenir au bien de vostre service; dont par mes premières je ne faudray de vous en escripre ce qu'ilz m'y auront respondu. Et cependant, pour ne rien retarder, je mande au dict Sr de L'Espinasse de parachever sa dilligence vers Vostre Majesté, vous supliant très humblement de le renvoyer, ainsy bien et bientost expédié, comme jugerez qu'il se debvra faire, et qu'envoyez par luy quelque petite provision au capitaine Granges pour le faire persévérer, car en luy consiste aujourdhuy la conservation de tout ce qui peut dépandre de l'allience de vostre couronne au dict pays. Sur ce, etc.

Ce XIIIe jour d'aoust 1572.

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