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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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MÉMOIRE.

Sire, pour garder que je ne me pleignisse du dellay de mon audience, la Royne d'Angleterre, après aulcunes excuses des maulvais et estroitz logis où elle avoit passé, m'a dict que, en lieu que j'avois accoustumé d'aller vers elle, elle estoit pour satisfaction de mon attante venue ceste foys vers moy, toute preste d'ouyr de bon cueur ce que je luy voudrois dire de la part de Vostre Majesté; mais ce seroit après qu'elle vous auroit infinyement remercyé de tant de sortes de faveurs et d'honnestes respectz, et de bons traictementz, dont il vous avoit pleu, et aulx deux Roynes Très chrestiennes, uzer vers le comte de Worchester son depputé, qui en avoit encores tant receu en vostre court; et partout où il avoit passé en vostre royaulme, que, de son abondante satisfaction, il avoit, à son retour, satisfaict elle et toutz les siens par deçà, aultant qu'il estoit possible de le fère; de quoy, pour beaucoup de mutuelles occasions d'entre Voz Majestez et de voz communs subjectz, elle en estoit bien fort ayse, et me prioit croyre qu'elle se santoit vous en avoyr beaucoup d'obligation.

Je luy ay respondu que cella monstroit aulmoins que les siens et toutz ceulx de ceste nation sont et seront tousjours mieulx receus en France qu'on ne luy avoit voulu fère accroyre; et, de tant que ce que m'aviez mandé par voz deux dernières dépesches donnoit ung fort parfaict tesmoignage à la foy, intégrité et droicte conscience, dont vous procédés en toutes choses vers elle, et au regret que vous auriez qu'à l'appétit d'aulcuns de voz subjectz malcontantz, ou des siens passionnés, elle layssât naistre quelque préjudice en l'amityé qu'elle vous avoit jurée; et que vous l'assuriez bien que le Pape, ny Mr le cardinal de Lorrayne ne pourroient jamais rien traverser en celles que vous luy portiés; que j'avoys estimé bon de laysser à part tout ce que je pouvois avoyr pensé de luy dire, et remonstrer de moy mesmes là dessus, pour luy fère voyr les propres conceptions vostres, et celles de la Royne, vostre mère, par les propres lettres de Voz Majestez.

Ce que la dicte Dame monstrant d'avoyr bien agréable, a fort attentivement leu tout l'extrêt, que je luy ay faict voyr, des plus notables poinctz de voz deux lettres du XIIIIe et du XXIIIe du passé;

Et, après avoyr déduict aulcunes choses, pour conférer l'effect, qu'elle dict vous avoyr tousjours monstré de son amityé et bons déportementz vers vous, à ceulx de Vostre Majesté vers elle,

J'ay suivy à luy dire que ce qu'elle avoit leu monstroit qu'il ne se pouvoit desirer rien de mieulx en l'affection, où vous vous confirmiés de plus en plus, de luy demeurer à jamais très bon amy et perpétuel confédéré; et que vous vouliez que cella fût notoyre à toute la Chrestienté avec dellibération que, si le feu Roy François le Grand, vostre ayeul, s'estoit oncques monstré ferme amy des princes protestantz en la première guerre que l'Empereur Charles cinquiesme leur avoit commancé, aulxquelz il avoit faict secours, pour une foys, de cinq centz mille escuz, car ilz avoient d'aultres forces assez; et le feu Roy Henry, vostre père, quand il fit, quelque temps après, la guerre au mesme Empereur pour la dellivrance du duc de Saxe et lansgrave de Hetz, et pour la liberté de l'Allemaigne; et, si l'ung et l'aultre avoient esté constantz vers les feus Roys Henry et Edouard, ses père et frère, quand eulx mesmes ne les avoient provocqués, que vous vous proposiez de l'estre encores plus vers elle en toutz les accidentz et occasions qui s'en présenteroient jamais au monde;

Et, pour ne m'arrester trop en ce poinct, duquel elle avoit vostre foy, vostre sèrement et vostre propre lettre, pour gages, je voulois venir à l'aultre principal poinct de voz lettres, lequel estoit l'entière confirmation d'estuy cy, et confutoit toutz les argumentz qu'on pouvoit fère au contraire: c'estoit du propos de Monseigneur le Duc, lequel Voz Majestez me commandoient de le résouldre avec elle, et que, pour ne le laysser plus en simples parolles et remises, et n'y laisser ainsy naistre des difficultés les unes après les aultres, vous la vouliez instamment prier de vous vouloir maintenant esclarcir de sa résolue volonté, affin qu'après ceste foys Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, vous imposissiez à vous mesmes ung perpétuel silence de ne donner à elle l'ennuy, ny à vous la honte, de jamais plus en parler; qu'elle se pouvoit souvenir qu'au moys d'aoust dernier elle m'avoit donné charge de vous respondre, présent le Sr de La Molle, que, suivant la contreinte, qu'elle s'estoit faicte à elle mesmes pour l'amour de ses subjectz, de se résouldre à se marier, qu'elle avoit dellibéré de prendre party de grand lieu, parce qu'elle n'estoit petite, et que celluy que Voz Majestez luy offroient de Monseigneur le Duc luy sembloit très honnorable, si toutes aultres choses y pouvoient convenir, dont elle avoit estimé que aulcunes gisoient en l'entrevue d'entre eulx deux; et qu'elle m'avoit dict et faict bailler par escript qu'elle estoit contante que toutz les articles, qui avoient esté trouvés bons au premier propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, restassent accordés en ce segond, réservé le seul poinct où l'aultre avoit esté délayssé, touchant accorder plus ou moins de l'exercice de la religion: dont n'y pouvoit plus rester que celle seule difficulté, et une aultre, laquelle il falloit plus tost vuyder, qui estoit, si elle avoit depuis faict nulle contrayre résolution de ne se marier pas; car sur celle là faudroit il couper entièrement le propos, et establyr, en tout ce que fère se pourroit, celluy de la ligue.

Elle m'a respondu qu'elle avoit bonne souvenance des propos que je luy ramantevoys, de la résolution à prendre party sellon elle, et qu'elle en estoit encores là, et ne se feroit jamais ce préjudice, d'en prendre d'aultre qualité, et qu'elle voudroit qu'aussi peu se fussent elloignées les choses du costé de Vostre Majesté que du sien; mais si, en ung tel party, ne se trouvoient maintenant, les aultres considérations qui estoient requises pour le repos d'elle et de son estat, force luy seroit de s'en passer.

J'ay réplicqué que, puisque ce doubte estoit vuydé, tout l'affère estoit bien près de sa conclusion, car ne restant plus aulcun escrupulle, ny apparance de danger, que au seul poinct de la religion, la Royne, vostre mère, en avoit parlé si clèrement au comte de Worchester et au Sr de Valsingam, et croy qu'encores escript à elle mesmes, que c'estoit maintenant à elle d'y mettre l'effect, quand elle voudroit.

Elle m'a dict incontinent que la Royne n'avoit parlé que en termes généraux, et qu'il sembloit qu'elle estoit allée fort retenue en ce propos, auquel l'on voyoit néantmoins que, du costé de Monseigneur le Duc, estoit raysonnable que se demandoit l'esclarcissement de toutz les doubtes, et s'est mise à en déduyre plusieurs.

Dont enfin je luy ay dict, en termes bien clers, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, desiriez qu'elle jugeât ainsy de Monseigneur le Duc comme d'ung prince catholicque, qui avoit aultant à cueur ce qui estoit de son Dieu, de sa religion et de sa conscience, que prince qui fût au monde; et, s'il estoit aultre, vous l'estimiés si vertueuse qu'elle ne l'auroit en aulcun compte, et que d'un prince desirable qu'il estoit, elle le tiendroit pour ung ambitieulx digne d'estre rejetté;

Que pourtant Voz Majestez la prioient de luy accorder aultant du dict exercice comme elle jugeoit bien qu'il ne pouvoit estre en Dieu, en conscience et en honneur, qu'il n'en heût; et, pour parler en termes plus exprès, que, venant Monseigneur le Duc par deçà, elle ne le voulût tant contreindre en sa conscience que de ne luy laysser pour luy et ses domesticques, non subjectz de ceste couronne, l'exercice de sa religion en privée, en ung quartier où il logeroit, et, pour obvier à toutz les escandalles qu'elle alléguoit, s'il estoit besoing que ce fût à huys clos, avec ung de ses huyssiers à la porte, qu'il ne refuzeroit de le fère.

Elle a monstré de ne trouver poinct maulvais cella, et m'a dict que, si on luy eût voulu parler si clèrement, il y a longtemps qu'elle eût baillé sa response, et qu'elle s'en alloit, le jour après, à Grenvich, où elle en confèreroit avec ceulx de son conseil, et puis me manderoit un jour pour me la fère, m'ayant demandé, d'elle mesmes, si Vostre Majesté m'avoit envoyé le reste des articles.

Je luy ay dict qu'il fauldroit suyvre ceulx mesmes du premier propos.

Et puys ay suivy à luy dire que maintenant voulois je, hors de voz lettres, luy parler de l'expédition qu'ung chacun disoit et qu'on voyoit que le comte de Montgommery s'aprestoit de fère je ne sçavois où, parce que je n'avois pas tant pénétré en ses entreprinses; mais j'entendois que c'estoit en quelque lieu contre vous, et que je n'avois pas tant de regret au mal qu'il vous pourroit fère, qui y aviez très bien pourveu, comme à ce qu'il s'estoit pourveu d'armes, d'argent, d'hommes et de monitions, et possible, de maulvaise affection dedans Londres, allant et venant en la court de la dicte Dame, et alloit prendre vaysseaulx et tout aultre équipage en ses portz; que ce m'estoit chose si griefve, après luy avoir veu, ceste mesmes année, lever la mein à Dieu pour vous jurer amityé, et vous la luy aviez pareillement jurée à elle, qu'il falloit bien ou que je luy demandasse congé, ou bien qu'elle commandât que le dict de Montgommery ny aultres eussent à sortir de ses portz avec armement, sans prendre bonne seureté qu'ilz n'yroient poinct contre Vostre Majesté, ny troubler vostre royaulme, ny porter dommage à voz subjectz, ny atempter aulcune chose, soit à la Rochelle ou ailleurs, contre la bonne ligue et confédération d'entre Voz Majestez.

La dicte Dame, après m'avoir, en contre eschange de cella, racompté aulcunes particullarités des propos que Carcade avoit tenus à son retour en Escoce, et des souspeçons que la dépesche de Vérac par mer, et plusieurs advis qu'elle avoit de France, luy pouvoient avoyr donné beaucoup plus grandes à elle de Vostre Majesté que non à vous d'elle, si elle les vouloit prendre, m'a dict qu'elle desireroit de bon cueur que vous sceussies au vray ce qui s'estoit passé, de sa part, sur les instances de Montgommery et de ceulx de la Rochelle, et sur les présens affères de vostre royaulme; car avoit opinion que ne pourriez fère que ne luy en sentissiez une bien grande obligation, et que j'aurois occasion de me pleindre, si je voyois qu'elle baillât de ses navyres, et argent, et hommes, au dict de Montgommery, mais, de le laisser aller là où il voudroit, mesmement qu'elle juroit ne sçavoir quelle part c'estoit, et cuydoit que ce ne seroit poinct à la Rochelle, elle ne le debvoit empescher; et, affin que pas ung angloys ne peût traicter avecques luy, au préjudice de ce qu'elle me disoit, elle commanderoit à ses conseillers de conférer avecques moy, et je leur pourrois fère la mesmes remonstrance que j'avois faicte à elle.

Sur quoy, ayant reprins le premier propos de l'entretènement de vostre traicté, et l'ayant priée qu'elle voulût si bien déposer toutz ces umbrages et deffiances, qu'on s'efforçoit de luy imprimer de vous, qu'elle vous en rendît son amityé plus parfaicte, et de me vouloir bientost résouldre du faict de Monseigneur le Duc, elle m'a bien fort gracieusement licencié.

CCCVIIe DÉPESCHE

—du XIXe jour de mars 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Ouater.)

Efforts de l'ambassadeur pour empêcher le départ de l'expédition du comte de Montgommery.—Nouvelles d'Allemagne.—Arrivée de Mr de Chateauneuf à Londres.—Audience.—Mémoire au roi. Détails de l'audience.—Nouvelles plaintes au sujet de l'expédition du comte de Montgommery.—Assurance donnée par la reine que toutes les mesures sont prises pour arrêter l'exécution de ses projets.—Déclaration que les prises faites sur les Français ne seront pas reçues en Angleterre.—Affaires d'Écosse.—Plainte de la reine à l'égard du projet imputé au roi de venir en personne au secours de l'Écosse, après la réduction de la Rochelle, afin d'envahir l'Angleterre.—Demande d'un délai pour répondre sur la négociation du mariage.—Mémoire à la reine. Détails particuliers de la négociation de Mr de Chateauneuf sur le mariage.

Au Roy.

Sire, le jour après que j'eus communicqué avec la Royne d'Angleterre des poinctz principaulx de voz lettres, du XIIIIe et XXIIIe du passé, elle mit en dellibération les remonstrances que je luy avoys faictes, dont le comte de Montgommery s'apperceut incontinent qu'elle auroit grand regret que, par les déportementz de luy, vous vous sentissiez offancé d'elle, ny qu'il se fît aulcune altération au bon traicté d'entre Voz Majestez; et que pourtant il ne pourroit tirer ny hommes, ny argent, ny monitions, ny aulcung notable secours procédant de la dicte Dame, ny sinon celluy que les évecques, et aulcuns siens particulliers parantz, et quelques passionnés protestantz, aulxquelz elle mesmes n'ozeroit contredire, luy pourroient moyenner sur le seul crédit et responce de ceulx de la Rochelle, dont il a changé l'ordre qu'il avoit préparé pour son voyage; et au lieu que le cappitayne Poyet, et ung nombre de françoys, debvoient aller en Holande, il les mène presque toutz avecques luy, réservé les Srs vidame, Pardaillan, Le Plessis, La Garde et quelques aultres, qui demeurent. Il est bien certein que, suyvant l'eschange du sel et du vin, qu'on va quérir à la Rochelle pour d'aultres vivres et monitions, qu'on y porte d'icy, plusieurs navyres angloys y vont de compagnie, qui sont équippés, moytié en guerre, moytié en marchandises; et avec ceulx là, et les pirates, et d'aultres vaysseaulx, qui l'attendent au pays d'Ouest, il faict estat de mettre plus de cinquante navyres de combat ensemble: dont le rendez vous est ez isles de Grènesay, avec résolution de crever ou de se fère mestres de la mer, et de combattre les gallères et navyres de Vostre Majesté; et puis, par les marées haultes, mettre des hommes, des armes, des monitions, et des vivres pour ung an, dans la Rochelle.

Le cappitayne Morguen, et mille angloys passent peu à peu en Holande, et, le quatorziesme de ce moys, l'homme du comte Palatin a conféré de rechef fort estroictement avec milord Quipper et avec le comte de Lestre, et puis s'est licencié pour aller, du premier bon temps, tout de long, en Hembourg; et ung marchand d'Allemaigne, qui est icy, assure qu'il se faict une levée de reytres en son pays, nomméement pour aller en France.

Toutes ces choses, Sire, m'ont donné occasion de retourner à l'audience, dont je donne le récit à part, en ayant assez bon argument par les deux dépesches de Vostre Majesté du IIe et IIIIe du présent, et par la venue de Mr de Chasteauneuf, laquelle j'ay toute convertye en une honneste visite de Monseigneur le Duc vers ceste princesse, chose qui s'est trouvée estre plus à propos que je n'eusse espéré. Et sur ce, etc.

Ce XIXe jour de mars 1573.

MÉMOIRE AU ROY.

Sire, après avoyr aydé au Sr de Chasteauneuf de fère l'office qui convenoit pour Monseigneur le Duc, duquel il s'est aussy bien et modestement acquicté qu'il se pouvoit desirer pour le contantement de ceste princesse, j'ay parlé bien exprès à elle de toutes les choses, une à une, qui sembloient tourner au préjudice de l'amityé et des bons traictés d'entre Voz Majestez; et que, de tant que je n'estois icy que pour procurer l'entretènement de l'une, et pour m'oposer à l'infraction des aultres, je la suplioys d'y pourvoir, ou bien qu'elle trouvât bon que je supliasse très humblement Vostre Majesté de me permettre que je la peusse requérir de mon congé; car, après cella, il ne siéroit plus bien ny à moy, ny à pas ung aultre, de la part de Vostre Majesté, de se trouver auprès de la sienne.

La dicte Dame, en bonne et bien fort bénigne façon, m'a respondu que quelle démonstration que je fisse, je sçavois bien que Vostre Majesté avoit occasion de la remercyer sur le faict mesmes du comte de Montgommery, duquel tant je me pleignois; et que, oultre ce que j'avoys entendu par les gens de son conseil, qu'elle luy avoit interrompu une armée, laquelle la noblesse d'Angleterre luy avoit offerte, et faict prendre ses pirates, et qu'elle pouvoit assurer qu'il n'avoit esté accomodé par elle d'ung seul escu, n'y d'aultant de poudre qu'il en pourroit dans la mein, ny d'armes jusques à une simple espée, ny d'hommes, ny de vaysseaulx; encores l'avoit elle, après ma précédante audience, faict appeller en son conseil pour luy deffandre de sortir, aulcunement armé, de ses portz, ce qu'il avoit trouvé si estrange qu'il luy avoit demandé à quel titre le vouloit elle retenir prisonnier;

Et que néantmoins elle luy avoit esté si redde en cella, que les évesques et plusieurs principaux personnages de ce royaulme luy estoient venus remonstrer que, oultre le tort qu'elle faysoit à elle mesmes, à sa couronne et à ses subjectz, d'abandonner la deffance de leur religion, elle ne pourroit plus griefvement offancer Dieu et à sa conscience que d'empescher que le dict de Montgommery n'allât soubstenir en son pays, par les moyens qu'il pourroit, la cause de sa religion; et que, nonobstant, elle ne l'avoit voulu laysser partir sans prendre promesse et seureté de luy qu'il n'iroit point contre Vostre Majesté, ny fère chose aulcune au préjudice de la bonne confédération d'entre ces deux royaulmes;

Dont pouvoit jurer qu'elle ne sçavoit où il alloit; et que, possible, alloit il aussytost en Flandres que en France; néantmoins que, ayant depuis sceu comme il y avoit, en l'isle d'Ouyc, sèze vaysseaulx et six centz françoys, qui se préparoient pour l'aller trouver, elle les avoit faict arrester, et avoit aussy elle mesmes, de sa bouche, prescript à des milords et à plusieurs gentilshommes de sa court, qui avoient affection à ceste entreprinse, d'entièrement s'en départir.

Au regard des prinses qu'on avoit faictes sur voz subjectz, elle n'entendoit qu'il en eût esté rien débité en son royaulme, ny rien entré dans sa coustume, ains vouloit que tout ce qu'elle en avoit faict recouvrer par ses propres vaysseaulx, fût entièrement rendu; et que de cella j'en parlasse avec ceulx de son conseil;

Quand aulx choses d'Escosse, que je m'advançoys bien de me pleindre de cella, mesmes qu'elle avoit bien fort grande occasion de se douloir pour les menées qu'elle avoit découvertes qui s'y faysoient contre elle du costé de France, jusques à y debvoir Vostre Majesté mesmes passer, en personne, après la prinse de la Rochelle, et entrer en armes en Angleterre; où elle ne s'attandoit pas, à la vérité, que vous y voulussiez jamays venir en sorte d'ennemy, puisque vous y pouviez venir en sorte d'amy, et y estiés ainsy plus desiré que personne qui fût au monde;

Et, encor qu'elle eut pensé, comme je disoys, d'envoyer du secours en Escoce pour expugner le chasteau de Lillebourg, c'estoit en faveur du jeune Roy, son parant, et pour la noblesse et la paix universelle du royaulme, et non pour y préjudicier en rien à vostre alliance, ny pour fère, de ce costé, ny de nul aultre, aulcun préjudice à l'amityé et aulx bons traictés d'entre Voz Majestez; et qu'elle vous prioit de croyre qu'elle n'estoit pas plus résolue de ne souffrir point d'offance, si, d'avanture, quelqu'ung luy en vouloit fère, qu'elle avoit fermement résolu de ne commancer à vous en fère aulcune de sa part;

Et quand à l'instance, que je luy fesois, de respondre au faict de Monseigneur le Duc, qu'elle ne le vouloit ny différer, ny prolonger, bien que ces saincts jours de Pasques la rendoient un peu excusable, et qu'elle avoit advisé d'y procéder ainsy honnorablement, et par l'ordre que les aultres princes avoient accoustumé fère en choses de si grand importance, comme estoit ceste cy à elle, qui me prioit ne trouver maulvais si elle respondoit là dessus à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, par son ambassadeur; pour de tant plus s'assurer de voz intentions; et qu'elle m'en feroit aussy participant par deçà, et espéroit que sa responce seroit si honnorable que Voz Majestez s'en contanteroient.

Les propos de la dicte Dame ont esté dictz en si bonne façon que j'ay estimé luy en debvoir rendre beaucoup de mercyement pour les ungs, et j'ay bien voulu aussy réplicquer ung peu sur les aultres, et nomméement j'ay passé à diverses remonstrances sur le faict du comte de Montgommery, et bien fort expressément sur n'envoyer point de forces en Escosse, et de vouloir elle mesmes deffandre les poinctz de l'amityé et confédération d'entre Voz Majestez, et commander à ses conseillers de n'y laysser venir, de son costé, aulcune altération; comme vous ne souffririez qu'il y en vînt du vostre;

Et m'ayant fort assuré qu'elle le feroit ainsy; et que mesmes ce qu'elle m'avoit dict mander des forces en Escoce, n'estoit que contre les larrons de la frontière, et qu'elle envoyeroit milord trézorier pour conférer davantage avecques moy à Londres, et qu'elle seroit preste de favoriser l'élection de Monsieur en Pouloigne, en tout ce qu'elle pourroit; et nous nous sommes fort gracieusement licenciés d'elle.

MÉMOIRE A LA ROYNE.

Au regard du propos de Monseigneur le Duc, j'ay faict que le voyage de Mr de Chasteauneuf, qui aultrement eut esté peu honnorable pour Voz Majestez, ayt esté fondé sur une honneste visite de Mon dict Seigneur le Duc vers ceste princesse, ce qui a esté receu de merveilleusement bonne part.

Et après qu'il a eu, en fort bonne façon, explicqué sa créance, j'ay dict à la dicte Dame que Mon dict Seigneur le Duc ayant fally au plésir et contantement qu'il espéroit recepvoyr par la venue du comte de Worchester, s'il fût arrivé à temps de s'enquérir à luy de toutes les bonnes nouvelles de la dicte Dame, et luy tesmoigner la dévotion et servitude qu'il luy porte, ayant esté contreinct, pour sa réputation, de s'acheminer au camp avec Monsieur, son frère, il avoit moyenné, estant devant la Rochelle, au dict Sr de Chasteauneuf, qui estoit de ses favoris, gentilhomme de mayson, et des mieulx apparantés de France, ce voyage tout exprès pour la venir visiter, luy bayser les meins de sa part, luy présenter une sienne lettre, sçavoyr de son bon portement, et santé, luy tesmoigner le regret de n'avoir veu le comte de Worchester, et l'assurer qu'entre les princes qui avoient aspiré à son amityé, nul luy demeureroit jamays plus constant serviteur que luy; et qu'il la suplioit de luy permettre qu'il peût commancer sa première guerre et ses armes soubz la faveur de son nom, et qu'en quelle part qu'il fût, il se peût advouer son champion, espérant que la recordation d'elle le feroit venir à bout des plus haultes et généreuses entreprinses qu'il eût en son cueur, et le jetteroit hors des plus grands dangiers, et luy feroit acquérir tant de réputation qu'il mériteroit ung jour le bien de ses bonnes grâces; et surtout qu'il la suplioit de fère une bonne responce aulx honnestes et raysonnables demandes que Voz Majestez luy avoient faictes pour luy.

A quoy la dicte Dame ayant, avec toute faveur, receu le dict Sr de Chasteauneuf, et leu fort curieusement la lettre qu'il luy portoit, nous a respondu qu'elle participoit au mesmes regret de Mon dict Seigneur le Duc, aultant que luy, que le comte de Worchester ne l'eût peu voyr pour le remercyer bien fort de la bonne souvenance qu'il luy plésoit avoyr d'elle, et de l'honneste affection qu'il monstroit luy porter, laquelle luy estoit si expressément signiffyé par Voz Majestez Très Chrestiennes, et par les propres lettres de luy, et fort souvant par celles du Sr de Vualsingam, et quasy, à toute heure, par les bons rapportz que je luy en fesois, qui luy monstrois ordinayrement ce qu'il m'en escripvoit;

Et, à présent, estoit confirmée par ce nouveau message, qu'elle vouloit confesser de luy avoyr une très grande obligation, et qu'il méritoit d'apporter quelque meilleure et plus agréable faveur, que ne luy seroit la sienne, en ses premières armes, et mesmes qu'elle avoit regret de luy en bailler là où il estoit, qui voudroit de bon cueur que Monsieur, son frère, et luy, employassent tant de valeur, qu'il y a en eulx, en d'aultres entreprinses qui fussent contre les ennemys et non contre les subjectz de la couronne d'où ilz sont;

Et que, touchant vous fère responce à ce que demandiés pour luy, il estimeroit qu'elle y auroit trop respondu s'il la voyoit, car la trouvant ainsy vieille qu'elle estoit, elle le feroit bientost retirer de sa poursuyte; néantmoins que le dict Sr de Chasteauneuf l'assurât qu'elle la vous feroit bientost, et la vous feroit honnorable.

Et après avoyr monstré d'estre bien marrye du tort qu'on avoit faict en chemin au dict de Chasteauneuf, de luy avoyr osté la lettre qu'il portoit, et avoyr faict quelque difficulté d'y vouloir respondre, elle l'a fort gracieusement licencié; et, le jour après, luy a envoyé la responce à Mon dict Seigneur le Duc, avec laquelle il s'en retourne vers luy par le mesmes chemin qu'il estoit venu, et passera là où est le comte de Montgommery, affin qu'avec les choses que je luy ay communicquées de son entreprinse, il puisse encores mieulx informer Monseigneur de tout ce qu'il en aura veu davantage et apprins sur le lieu.

CCCVIIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de mars 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Réponse de la reine sur la négociation de Mr de Chateauneuf.—Sa persistance dans son refus de prendre un engagement formel sur le mariage, avant qu'une entrevue ait eu lieu.

Au Roy.

Sire, suyvant ce que la Royne d'Angleterre m'avoit dict qu'elle m'envoyoit milord de Burgley pour me communiquer la responce qu'elle entendoit fère à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, sur les choses que je luy avoys proposées, le VIIe et XVIe de ce moys, du mariage d'entre elle et de Monseigneur le Duc vostre frère, elle n'a pas failly, le XVIIIe ensuyvant, de fère venir en mon logis le dict milord, qui m'a dict que la dicte Dame me prioit de croyre qu'elle avoit mis en grande considération ce que, sur voz dernières dépesches, du IIe et IIIIe de ce moys, je luy avoys remonstré, de l'entière et parfaicte amityé que Vostre Majesté luy portoit;—«Et comme, depuis la dernyère paix, en toutes les choses qui s'estoient offertes pour le faict d'elle en la Chrestienté, d'où qu'elles eussent procedé, fût ce de Rome, ou d'Espaigne, ou de Flandres, ou de son mesme pays, vous vous estiez tousjours porté en très parfaict amy à destourner ce qui pouvoit estre contre elle, et advancer ce qui estoit à son repos; et que n'aviez jamays voulu admettre en vostre présence aulcuns de ses rebelles; et que, ceste année, vous vous estiez, au veu et au sceu de toutz les Chrestiens, ouvertement confédéré avec elle, et en aviez mutuellement juré le traicté, et aviez envoyé de notables ambassadeurs, de chacun costé, pour estipuler voz promesses, et aviez sur icelles escript lettres de voz propres meins l'ung à l'aultre, et que, pour confirmation de cella, vous faysiez, encores à présent, requérir l'accomplissement des articles et observance d'iceulx; et que vous ayant, ceste mesmes année, esté offert une aultre ligue avec de grandz avantages, vous l'aviez refuzée pour demeurer entier en la sienne; et que, ez choses d'Escoce, vous vous estiez toujours comporté en façon que vous aviez bien monstré de ne la vouloir offancer; et que de ce, d'où elle avoit peu prendre quelque deffiance de Vostre Majesté, pour les accidantz naguyères survenus en France, vous aviez eu, en l'évènement mesmes d'iceulx, et tousjours depuis, un grand soing qu'elle y fût respectée et ses subjectz conservés; et qu'aussytost que Dieu vous avoit donné lignée, vous l'aviez choisye pour une de voz comères, et, pour plus grande confirmation de vostre bienveillance, vous persévériez à desirer son alliance, et faisiez que Monseigneur le Duc, vostre frère, l'envoyoit en bonne façon rechercher:»

Que toutes ces choses, desquelles la recordation luy estoit fort agréable, lui donnoient occasion de réputer bien employés toutz les bons tours de très bonne amye, que, non moins expressément, elle avoit aussy rendus de sa part à Vostre Majesté, en voz plus grandz affères, et mesmes tout freschement de si bons, avec quelque hazard d'elle et de son propre estat, que de meilleurs ne vous en eût sceu rendre la feue Royne d'Espaigne, qui estoit vostre seur germayne, si elle eut esté en vye; et que, pour conduyre ceste concurrence d'amityé à plus de perfection, elle s'esforceroit de vous rendre, et à la Royne, vostre mère, sur le propos, dont je la pressois, de Monseigneur le Duc, la meilleure responce qu'il luy seroit possible; mais vouloit, devant cella, me fère entendre qu'il y avoit deux choses qui l'avoient longtemps retenue, et la retenoient encores beaucoup, de ne s'ozer advancer guyères en ce propos: l'une, qu'il s'estoit peu nother, du costé de Voz Majestez Très Chrestiennes, que n'y aviez guyères de volonté, et que, possible, ne le vouliez du tout; la segonde, que plusieurs considérations luy avoient tousjours faict, et luy faysoient encores, juger estre expédiant de ne s'obliger à pas ung mariage, sans qu'elle peût voyr et estre veue de celluy qui l'épouseroit.

Et, là dessus, s'estant mis le dict milord à discourir plusieurs choses et ouyr, aussy fort paciemment, celles que je luy ay voulues déduyre pour comprouver que l'intention de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc estoit pure et parfaicte vers la dicte Dame, il m'a faict la responce que j'ay mise en ce pacquet. Et sur ce, etc.

Ce XXXIe jour de mars 1573.

CCCIXe DÉPESCHE

—du IIIe jour d'apvril 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Laurent.)

Négociations au sujet du mariage et de l'expédition du comte de Montgommery.—Audience.—Affaires d'Écosse.—Autorisation donnée par la reine à Mr de Vérac de retourner en Écosse.—Déclaration du comte de Morton qu'il ne veut pas le recevoir.—État de la négociation des Pays Bas.

Au Roy.

Sire, ceste princesse et l'ung de ses expéciaulx conseillers, car l'aultre est allé pour quinze jours en sa mayson de Quilingourt, monstrant que, par la responce qu'ilz vous ont maintenant envoyée, ilz pensent avoyr faict une assez grande ouverture, pour découvrir bien avant ce qu'avez en l'intention touchant le propos de Monseigneur le Duc, (et sont assez en suspens si Voz Majestez voudront accorder l'entrevue sous ung incertein évènement, et mesmement après vous avoyr admonestés que, si vous debviez tant soit peu rester offancés, au cas que le mariage ne succédât, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, que la dicte entrevue se fît: qui, à la vérité, est ung poinct fort considérable, et lequel elle estime n'estre chose indiscrète ny impertinante à elle de le mettre en avant,) je luy ay d'ailleurs recordé, Sire, comme de moy mesmes, ainsy que me le mandiez fère, du XVIIe du passé, les mesmes instances, que je luy avoys cy devant faictes, touchant le comte de Montgommery, et que vous la priez bien fort de ne laysser à l'arbitre d'ung tel homme, qui faict le malcontant et le désespéré, la seureté de vostre mutuelle amityé, ny celle de vostre confédération, car il y pourroit fère du préjudice, qui vous randroit offancé, et elle, à la fin, malcontante; et je me oposoys, de rechef, qu'on ne le layssât sortir d'aulcun port de ce royaulme, sans prendre assurance qu'il n'yroit poinct contre Vostre Majesté. De quoy se trouvant la dicte Dame en quelque perplexité, elle m'a respondu qu'elle avoit prins de luy la dicte assurance que je demandoys, et pensoit luy avoir faict cognoistre qu'elle vous estoit très bonne seur; dont il s'estoit party fort malcontant d'elle, et avoit dict ne sçavoyr s'il alloit à la Rochelle, ou en sa mayson trouver ses amys qui l'y attandoient, ou bien en Holande, mais qu'elle avoit bien sceu qu'au partir d'icy, ung des gens du comte Ludovic le vint rencontrer en chemin, qui heurent une longue conférance ensemble, et qu'elle ne pensoit que pas ung de ses subjectz, sinon son beau filz seul, l'allât accompaigner.

J'ay pareillement remonstré à cette princesse, touchant les choses d'Escoce, que (se traictant avec le Sr de Quillegreu, son ambassadeur, de faire une ligue par dellà sans vous en parler, toute séparée de celle qu'aviez très ancienne avec l'Escoce; et de transporter le filz, aussy bien que la mère, qui sont les seuls princes de ceste couronne, et les plus estroictz confédérez que vous ayez en la vostre, sans vostre sceu, par deçà; et de vouloir expugner le chasteau de Lillebourg, et ruyner ceulx de dedans, qui ont tousjours heu recours à vous, et que mesmes elle y vueille envoyer à cest effect de ses forces et des monitions; ainsy que de toutes ces choses l'on vous avoit adverty de dellà, et que mesmes l'on n'aspiroit à rien tant que d'y effacer du tout la mémoire de vostre nom, et de la France), qu'il estoit impossible que n'en fussiez beaucoup offancé; et de tant qu'elle se souvenoit bien que, pour vostre regard, elle n'y avoit oncques senty aulcune sorte d'offance depuis vostre règne, vous la vouliez bien fort prier de fère cesser ces poursuytes; lesquelles je luy voulois bien dire que romproient à la fin les traictés, et que son bon plésir fût de se ranger, comme vous feriez aussy, à uzer vers l'Escoce et les Escouçoys en la forme de vostre dernier traicté; et qu'estant le Sr de Vérac, lequel vous aviez dépesché pour aller trouver le petit Prince d'Escoce, abordé par temps contrayre en ce royaulme, elle luy voulût faire bailler son passeport pour s'y conduyre, soubz bonne promesse, que vous luy fesiez, qu'il n'y procureroit rien, qui ne fût sellon la bonne amityé et les bons traictés que vous aviez avec elle.

La dicte Dame, discourant là dessus plusieurs choses, de l'occasion que ceulx du chasteau de Lillebourg luy avoient donnée de ne s'entremettre plus de leur faict, et des divers rolles que le Sr de Ledington jouoit au monde, et des divers rapportz que Carcade avoit faictz, m'a enfin assez gracieusement respondu qu'elle vouloit, en tout et partout, observer les traictés.

Et luy ayant, à l'heure mesmes, le dict Sr de Vérac baysé la mein, elle luy a libérallement accordé son passage; mais, le jour d'après, comme il est allé poursuyvre son passeport, milord de Burgley luy a respondu qu'il estoit cependant venu nouvelles d'Escoce, par lesquelles apparoissoit que le comte de Morthon ne vouloit que le dict Sr de Vérac allât par dellà, par ce mesmement que les lettres qu'il portoit n'estoient inscriptes avec le tiltre qu'il appartenoit à leur jeune Prince, et qu'il avoit résolu de n'admettre pas ung dans le royaulme qui ne l'advouhât, et ne s'addressât à luy, come à Roy; et de souffrir que le dict Sr de Vérac se tînt à Barvic jusques à ce qu'il eût démeslé tout ce différand avec le dict de Morthon, la Royne, sa Mestresse, ne le vouloit pas. A quoy nous avons répliqué que le dict Sr de Vérac n'ozeroit rebrousser chemin, ny délaysser, en façon du monde, son voyage, sinon que la dicte Dame luy déniât son passeport.

Et, là dessus, le dict milord nous a offert que, si nous voulions sonder la volonté du dict comte de Morthon par lettres, qu'il les luy feroit apporter par la poste, et aurions sa responce dans six jours. De quoy ne nous contantantz, comme aussy milord de Leviston et le Sr de Molins, qui veulent aussy passer en Escoce, se trouvent icy arrestés et malcontantz, icelluy de Burgley nous a promis d'en conférer de rechef avec la dicte Dame pour, puis après, nous fère entendre sa volonté, mais j'entendz qu'il prolongera cella jusques à ce que la responce de ceulx du dict chasteau de Lillebourg soit arrivée; auxquelz, depuis mon audience, la dicte Dame a mandé qu'ilz ayent à se renger au party de la paix, comme les aultres, et remettre le dict chasteau ez meins du dict de Morthon, ou bien qu'elle luy envoyera gens, argent et monitions, pour les y forcer; et cepandant quelqu'ung m'a dict qu'elle a escript à Barvic de fère encores temporiser les soldats qui estoient pretz d'y aller. Je creins enfin qu'il faudra que le dict Sr de Vérac preigne son chemin par ailleurs.

Au regard de l'accord des Pays Bas, ceulx cy ont desjà respondu à Guaras que la Royne, leur Mestresse, avoit très agréable la déclaration du duc d'Alve, et qu'aussytost que la ratiffication en serait venue d'Hespaigne, elle feroit publier la liberté du commerce et ouverture des portz, et mesmement, si le dict duc donnoit ordre que la rivyère d'Envers fût ouverte; qui sont des remises qui monstrent y avoyr encores quelque accrochement: et ne cessent pour cella les Angloys de passer en Holande et à la Brille comme prétandans, si les choses prospèrent au prince d'Orange, ainsy qu'ilz disent qu'elles font, de suyvre son party, et aussy, s'il accorde avec le Roy d'Espaigne, comme il en est quelque bruict, qu'ilz pourront encores mieulx que jamays uzer lors du commerce que le dict duc leur offre. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour d'apvril 1573.

CCCXe DÉPESCHE

—du VIe jour d'apvril 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Forces de l'expédition du comte de Montgommery.—Opinion de l'ambassadeur qu'Élisabeth n'est pas résolue à abandonner l'alliance de France.—Négociation avec l'Espagne.—Affaires de la Rochelle et d'Écosse.

Au Roy.

Sire, je suis adverty que, après beaucoup de difficultez, qui ont esté faictes au comte de Montgommery pour traverser son entreprinse, il a enfin dressé ung assez beau appareil de mer, et que, dans le Xe de ce moys, au plus tard, il s'embarquera, et qu'il a de quoy mectre troys mil hommes bien armés en terre; que sa flote sera de plus de cinquante cinq vaysseaulx de toutes sortes, et qu'il en y aura envyron quarante de combat, dont les cinq sont aultant bien équippés qu'il y en y ayt en ceste mer, et qu'il est encores assez incertein où il dressera son entreprinse. D'ailleurs, Sire, il m'est venu ung aultre advis comme le Sr de Languillier, avec les nouvelles qu'il a rapportées de la Rochelle, presse si fort le dict de Montgommery de partir, qu'il luy faict anticiper son embarquement de quelques jours devant le dict dixiesme, et qu'il faict estat que, entre le XIIIIe et XXe de ce moys, il se pourra présenter avec son armée devant la ville; et que, à cause des empeschementz qu'on luy a rapporté qu'il trouvera à l'entrée du port et auprès de la place, il dellibère, s'il ne peult combattre l'armée de mer de Vostre Majesté, de prendre terre en l'isle de Rhé, ou en quelque aultre lieu voysin de là, que la cavallerye n'y puisse aller; et, de là en hors, tenant ses vaysseaulx les plus près qu'il pourra de ce qu'il aura mis en terre, s'esforcer par marées d'envoyer tout le secours et refraychissement qu'il luy sera possible aulx assiégés. J'entendz que le dict de Montgommery a descouvert que quelques ungs vouloient attempter à sa vye, dont a envoyé requérir icy commission pour les pouvoir fère mettre en arrest, et m'a l'on dict que Maysonfleur en est l'ung.

J'attandray la procheyne dépesche de Vostre Majesté, premier que de parler à nul des françoys qui sont icy, et ne monstreray, lors, que vous vous soulciez guyères de tout l'effort du dict de Montgommery, comme aussy me semble, Sire, que n'en debvez fère trop de cas, ayant Monsieur ainsy bien pourveu, du costé de la Rochelle, et les gouverneurs, le long de la coste, comme me le mandez: qui ne seroit que encourager davantage le dict de Montgommery et ceulx qui le favorisent, si l'on l'alloit rechercher et luy fère maintenant de nouvelles offres, et mesmement que les affères de Vostre Majesté ne s'en porteront qu'avec plus de réputation, si donnez ordre, ayant desjà préveu son entreprinse, qu'elle ne puisse réuscyr à effet.

Et, quand aulx souspeçons et deffiances que Vostre Majesté a quelque occasion de prendre de ceste princesse et des siens, sellon que très sagement il vous playst me le discourir en vostre dépesche du XXVe du passé, vous aurez, Sire, sellon mon jugement, receu quelque satisfaction là dessus par la dépesche du Sr de Vassal, vous suppliant très humblement de fère prendre bien garde du costé d'Allemagne et d'Espaigne. Néantmoins, quant aulx choses d'icy, je ne puis penser pour encores, Sire, que ceste princesse se vueille du tout alliéner de Vostre Majesté; et, bien que je la voye fort recherchée, du costé d'Espaigne, pour le mariage du filz de l'Empereur, et pour l'accord des différendz des Pays Bas, et pour le restablissement du commerce en Envers; et puis assez persuadée que Voz Majestez ayent juré la ruyne de ceulx de sa religion; et ung peu par trop prompte aulx choses d'Escoce; et aulcuns de ses conseillers soient menés, les ungz par présantz et les aultres par passion, à l'allienner, tant qu'ilz peuvent, de la France, si ne me veulx je encores du tout désespérer de la dicte Dame. Et avez, Sire, quand à son mariage, beaucoup meilleures erres d'elle pour Monseigneur le Duc, par la responce que vous ay naguyères envoyée, que n'en a peu tirer encores l'agent d'Espaigne pour le Roy de Hongrie; et, au regard de l'accord des Pays Bas, les choses en sont aux termes que le vous ay escript.

Quant à la persuasion, en quoy la dicte Dame et les siens sont, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, soyez animés à la ruyne des Protestantz, je leur ay faict voyr combien les condicions qu'offrez à ceulx de la Rochelle, et aultres de leur opinyon en France, sont au contraire, ce qui les a assez remis; et donnent à cognoistre maintenant qu'ilz desirent la paix de vostre royaulme, avec quelque accommodement, à ceulx de leur religion, d'ung exercice ou d'une tollérance beaucoup moindre et plus modérée qu'ilz ne l'avoient auparavant.

Et, touchant les choses d'Escoce, ce sont celles qui plus donnent de peur et de souspeçon à ceste princesse et à tout ce royaulme, et lesquelles elle voudroit, devant toutes aultres, accommoder à son repoz; dont sera bien difficille qu'on la puisse retenir de s'en mesler plus avant, possible, qu'elle ne debvroit. Toutesfoys j'ay mis et mettray toute la peyne, qu'il me sera possible, de luy représenter tousjours là dessus l'infraction des traictés, qui est chose qu'elle monstre en toute sorte de vouloir éviter. Elle demeure encores en cella de ne nous vouloir octroyer ny refuzer le passeport du Sr de Vérac, et les mesmes difficultés faict elle à milord de Leviston et au Sr de Molins; et néantmoins il faudra que bientost elle se résolve ou à l'ung ou à l'aultre, et possible n'aura elle avec tant de facillité rengé cependant les choses par dellà comme elle l'a espéré. Sur ce, etc.

Ce VIe jour d'apvril 1573.

CCCXIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'apvril 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne.)

Audience.—Négociation du mariage.—Déclaration de la reine-mère qu'elle ne peut accorder à l'entrevue sans avoir une assurance, au moins secrète, qu'Élisabeth consent au mariage.—Persistance de la reine d'Angleterre dans sa proposition.—Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh.—Mémoire. Détails de l'audience sur les affaires générales.—Demande faite à Élisabeth de déclarer ses véritables intentions à l'égard du roi.—Assurance d'amitié de la part de la reine.—Affaires d'Écosse.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle envoie des troupes en Écosse pour réduire Lislebourg.—Protestation de l'ambassadeur contre cette infraction au traité d'alliance.—Promesses qui lui sont faites par les seigneurs du conseil.

A la Royne

Madame, estant adverty que ceste princesse ne se trouvoit assez satisfaicte d'aulcunes choses, que le Sr de Vualsingam luy avoit escriptes, de la dernyère audience que luy aviez donnée à Fontènebleau, j'ay voulu voyr si, en ne m'esloignant poinct de la teneur de vostre lettre, du XXIXe de mars, je luy pourrois en quelque si honneste façon réciter ce que m'escripviez, de la dicte audience, qu'elle s'en peût contanter; mais, encor qu'elle ayt bien prins la pluspart de ce que je luy ay dict, si a elle monstré néanlmoins de santir bien fort celle portion où il luy semble qu'elle demeure refuzée.

Mon parler a esté que, devant toutes choses, Vostre Majesté me commandoit de la saluer de voz meilleures et plus cordialles recommandations, et que le Roy, vostre filz, et Vous, aviez receu, de la meilleure et plus inthime affection de vostre cueur, ce que son ambassadeur vous avoit déduict, de l'intention d'elle vers le propos de Monseigneur le Duc; qui ne vouliez faillir de la remercyer infinyement de la faveur qu'elle portoit au dict propos, et de ce qu'elle ne rejectoit l'instance que le Roy, son frère, et Vostre Majesté, qui estiez sa mère, luy faysiez pour luy; et que le dict Sr de Walsingam vous avoit commancé son récit par celluy que j'avoys faict icy à elle, après le retour du comte de Wourcester, et vous avoit dict que, si l'entrevue se faisoit, il auroit espérance que la résolution de l'affère s'ensuyvroit, et que le poinct de la religion seroit accordé; duquel, s'estant, puis après, mis à discourir, il avoit dict que le desir d'elle seroit que Monseigneur le Duc se contentât de la liberté de conscience, sans avoyr aulcun exercice, privé ny externe, de sa religion en ce royaulme: ce qui vous avoit mis en peyne; et néantmoins aviez promptement esclarcy le dict Sr de Walsingam de la volonté du Roy et vostre: c'est que vous offriez, avec le plus d'honneur et de respect que vous pouviez, Monseigneur le Duc à la dicte Dame, et avecques luy vous mesmes, et toutz les moyens et commodictés de vostre couronne, et la priez, de la plus pure et droicte affection qui fût en vostre âme, qu'elle le voulût accepter comme entièrement sien, et qu'il se viendroit mettre en sa possession, toutes les foys qu'elle vouldroit, en ce qu'elle voulût avoyr esgard aulx choses qui pouvoient estre de l'honneur du Roy et vostre, et de celluy de vostre couronne, et de la réputation de vostre filz en cest endroict; qui, proposiez bien, toutz troys, de ne rechercher jamais d'elle, sinon ce qui seroit pour l'honneur sien, sa grandeur, sa satisfaction, et son perpétuel contantement et repoz, et que vous la priez aussy que, de sa part, elle fît en sorte que n'eussiez à sentir ny regret, ny offance, de vostre honneste pourchas;

Que, quand à la religion, le Roy et Vous, vous estiez restreincts, et aviez faict restreindre avecques vous ceulx de vostre conseil, au plus extrême poinct qui se pouvoit requérir en cella, qui estoit d'avoyr l'exercice en privé, à huys clos, l'huyssier à la porte; ce que si elle n'octroyoit, c'estoit, à bon esciant, couper du tout le propos, et monstrer que non à la religion, mais à la volonté, estoit tout l'empeschement;

Au regard de l'entrevue, que Voz Majestez ne la luy vouloient aulcunement refuser, et permettriez très volontiers à Monseigneur le Duc qu'il se satisfît soy mesmes du grand desir qu'il avoit de la voyr, aussytost qu'il pourroit apparoir de quelque seureté; que ce n'estoit pour le refuser, ains pour accepter les vertueux et généreulx desirs qui le faysoient aspirer à ses bonnes grâces, que son intention estoit qu'il vînt par deçà; et que vous vous contanteriez qu'elle vous en baillât l'assurance en telle et si secrette façon qu'elle voudroit, par articles signés entre Voz Majestez seulement, ou par une lettre qu'elle pourroit respondre à celles que Voz Majestez, à cest effect, luy en escriproient; et qu'elle pouvoit considérer que, oultre l'opinyon qu'on pourroit prendre que Voz Majestez fussent mal fondées en leurs consciences, et réputassent Monseigneur le Duc de l'estre mesmes, et peu révérantz toutz troys à Dieu, si l'envoyez doubteux et incertein de pouvoir avoyr sa religion par deçà, il y couroit encores le hazard du refus, lequel engendreroit ung perpétuel crèvecueur à luy et ung regret par trop grand à Voz Majestez, de luy avoyr veu recepvoyr ceste honte et ce déplaysir;

Que vous confessiez bien que la grandeur d'elle et ses excellantes perfections méritoient bien que Monseigneur le Duc et ceulx qui pourchassoient pour luy la vinssent rechercher, et luy déférassent toutz les advantages qu'il seroit possible, et qu'elle le peût avoyr agréable, si elle le debvoit espouser, et, possible aussy, que luy, de son costé, monstrât qu'il se complésoit d'elle, parce que nul mariage peût estre bon sans correspondance d'amityé; mais que, pour le regard du premier, Voz Majestez y vouloient entièrement satisfère, aussytost qu'il vous pourroit apparoir quelque peu de seureté, et ne faudriez de fère incontinent passer Monseigneur le Duc, accompaigné des plus solennels ambassadeurs que vous pourriez, vers elle, pour la requérir et pour traicter du mariage, comme si jamays n'en eut esté parlé; quand à luy estre Monseigneur le Duc agréable, que vous espériez et vous assuriez fort qu'il le seroit, si prince desoubz le ciel le pouvoit estre; car il estoit bien nay, d'une très belle disposition et taille, et aultant accomply en excellentes et vertueuses qualités qu'il se pouvoit desirer; et, quand à se complère luy d'elle, elle mettoit en plusieurs sortes ce poinct hors de tout doubte, oultre qu'elle auroit les promesses de Voz Majestez et la sienne, et luy mesmes entre ses meins, dont ne tenoit plus qu'à elle seule qu'elle ne se rendît tout maintenant dame et mestresse de ce grand bien.

La dicte Dame, après avoyr ung peu pensé, m'a, d'une fort bonne et modeste façon, respondu qu'elle vouloit tousjours remercyer le Roy et Vostre Majesté du bon desir que monstriez avoyr à son alliance, et de l'honnorable pourchas que continués d'en fère, et de ce que, toutz deux, aviez mis peyne de chercher ung expédiant sur la principalle difficulté, qui estoit celle de la religion; mais qu'il sembloit que, sur l'aultre, qui estoit de l'entrevue, vous y aviez, Madame, trouvé ce dont elle vous avoit tousjours requise, que ne la voulussiez consentir, si jugiez qu'il y eût tant soit peu de chose mal honnorable pour Monseigneur le Duc; et qu'il luy sembloit que Vostre Majesté avoit fort bien réduict l'affère au poinct où il la falloit proprement délaysser: car, après vous avoyr faict entendre qu'elle avoit résolu de ne s'obliger jamays à aulcun mariage qu'elle n'eût veu celluy qu'elle espouseroit, et Vostre Majesté estant résolue que Monseigneur le Duc ne passe icy, sans qu'elle vous ayt promis de l'espouser, c'estoient deux résolutions si contrayres l'une à l'aultre, qu'il ne luy restoit sinon de mander à son ambassadeur de n'en parler plus, et à moy de me prier que je vous voulusse assurer, de la part d'elle, qu'elle n'avoit esté si meschante ny si desloyalle, après vous avoyr faict déclairer qu'elle se vouloit résoluement marier d'ung bon et grand lieu sellon elle, qu'elle eût faict proposer à Voz Majestez l'entrevue de Monseigneur le Duc et d'elle, en intention de vous offancer toutz troys en le refuzant, ains de l'espouser de bon cueur, s'il eût pleu à Dieu qu'ilz se fussent compleus l'ung de l'aultre, et qu'elle verroit ce que, sur la dépesche du gentilhomme que je vous avoys naguyères envoyé, vous m'en respondriez; qui toutesfoys ne sçavoit si elle debvoit plus consentir la dicte entrevue, puisque Vostre Majesté y voyoit du danger; car avoit tousjours estimée que le poinct de la religion pourroit estre très honnorable à l'ung et à l'aultre, s'il advenoit, par quelque occasion, que le dict mariage ne peût succéder.

Je n'ay fally de remonstrer à la dicte Dame combien vous aviez de justes occasions de requérir ceste secrette seureté, et de n'azarder le voyage de Mon dict Seigneur le Duc, sans plus de fondement de bonne espérance qu'elle ne vous en avoit encores donné, et qu'elle debvoit laysser conduyre ce mariage en la façon accoustumée des princes, par ambassadeurs et ministres; mais elle est demeurée ferme au poinct de l'entrevue, et d'attandre ce que me manderez par le Sr de Vassal.

Sur quoy m'estant gracieusement licencié de la dicte Dame, Mr le comte de Lestre m'est venu demander où j'en estoys demeuré avec elle; et je le luy ay particullièrement récité: lequel m'a dict qu'il y avoit de la rayson des deux costés, et qu'il en vouloit aller, sur l'heure mesmes, parler avec elle, et que, le jour après, il viendroit à Londres, où milord trézorier estoit, pour en conférer toutz deux avecques moy; comme il a faict, bien que, après avoyr, eulx deux, esté quelque temps ensemble, il n'a heu loysir davantage d'attandre, et le propos a esté seulement entre le dict milord et moy. Lequel m'a dict que, sellon troys choses, que le Sr de Walsingam avoit recuillies de voz propos, la Royne, sa Mestresse, et eulx avoient prins quelque conjecture que Vostre Majesté ne vouloit poinct le dict mariage; la première estoit le refus de l'entrevue, après l'avoyr d'aultrefoys voulue, et après avoyr offert, Vostre Majesté mesmes, d'y venir, qui estoit ung trêt qu'il estimoit non guyères dissemblable à celluy du premier propos, pour fère que la dicte Dame se trouve tousjours refuzée; la segonde est le party que Vostre Majesté a dict avoyr en mein pour Monseigneur le Duc, si n'estiez bientost respondue d'estuy cy; et la troysiesme, la commémoration qu'avez faicte de la Royne d'Escoce, comme le Sr de Vérac avoit charge de relever son party en Escoce, bien que vous fussiez depuis corrigée, quand le dict Sr de Walsingam vous avoit dict que le traicté portoit qu'il ne seroit poinct parlé d'elle.

Aulxquelles troys choses j'ay mis peyne de satisfère si bien au dict milord, qu'il a bien veu que la vérité surmontoit les dictz argumentz, et que le Roy et Vous, Madame, et Monseigneur le Duc, et toutz ceulx de vostre couronne, aviez une très droicte, très certayne et indubitable, bonne intention au dict mariage, et qu'il estoit desjà tout résolu de vostre costé, et le poinct de la religion entièrement esclarcy.

Il m'a réplicqué que, puisque Monseigneur le Duc estoit de si belle disposition, et de belle taille, et avoit de si belles et vertueuses qualitez, comme je disoys, pourquoy est ce que Vostre Majesté creignoit l'entrevue, car me pouvoit jurer, devant Dieu, qu'il ne voyoit aultre dellibération en sa Mestresse que de se marier pour satisfère à ses subjectz, et servir à la nécessité du temps; et qu'elle ne s'arresteroit poinct à la couleur du visage; et le faict de la religion se pourroit assez bien accomoder entre eulx, sellon ce qui en estoit desjà proposé; mais qu'elle estoit entièrement résolue de voyr celluy qu'elle espouseroit, fût ce le plus grand prince de la terre, premier que de luy promectre mariage; et qu'il sçavoit bien certaynement que ce n'estoit en intention de refuzer Mon dict Seigneur le Duc, qu'elle demandoit l'entrevue, ains pour l'espouser, si Dieu vouloit qu'ilz se peussent complère. Et sur ce, etc.

Ce XIIIe jour d'apvril 1573.

MÉMOIRE AU ROY.

Sire, je suis allé trouver la Royne d'Angleterre, et, après l'avoir fort grandement mercyée, ainsy qu'il vous plaisoit me commander de le fère, de ce qu'elle avoit envoyé réprimer les pirates, et de ce qu'elle avoit faict rendre à voz subjectz ce qui avoit esté recoux d'eulx, qui leur appartenoit, et singullièrement de ce qu'elle n'avoit layssé au comte de Montgommery, ny à ceulx qu'il avoit praticqués par deçà, toute la faculté et les moyens d'exécuter leur maulvayse volonté et leurs maulvais desseings qu'ilz avoient contre Vostre Majesté; je luy ay dict que, par ung article d'une de voz lettres, vous vous esbahyssiez néantmoins comme j'osoys vous assurer si confidemment, comme je faysois, de la parfaicte amytié d'elle et de l'observance des traictés, là où vous aviez trois argumentz devant les yeulx qui vous donnoient occasion de creindre le contrayre.

L'ung estoit ceste persévérance en laquelle le dict Montgommery continuoit de prendre icy les armes, pour s'aller esprouver sinon contre vostre personne, aulmoins contre celle de Messieurs voz frères, qui estoient campés devant la Rochelle, pour les empescher en la réduction de ceste place à vostre obéyssance, chose que vous ne pouviez en façon du monde bien gouster; le segond, qu'en mesmes temps les marchandz angloys, qui estoient à Roan et ez aultres villes de vostre royaulme, vendoient leurs biens et laissoient à vils prix leurs marchandises pour se retirer à grand haste deçà la mer, pour quelque advertissement qui leur estoit venu d'icy, ou bien du Sr de Walsingam, comme si elle avoit proposé de vous commancer bientost la guerre; et le troisiesme, que le Sr de Vérac, lequel vous envoyez en Escoce, estoit arresté par deçà, bien qu'il fût garny de vostre passeport, et de voz lettres et pacquetz;

Qui estoient troys trêtz, sur lesquelz me commandiez de vous esclarcyr de l'intention d'elle, affin de ne vous trouver surprins de quelque mal, du costé que vous n'espériez que bien; car c'estoient tousjours les plus nuysans coups, ceulx qu'on n'avoit pas préveus: et que, de tant que vous luy renouvelliez et confirmiez de rechef devant Dieu, et sur l'obligation de vostre honneur et de vostre conscience, de luy garder invyolablement la confédération que luy aviez jurée, et d'empescher que vous, ny voz subjectz, ny pas un, vers qui vous eussiez moyen ou puissance, l'enfrennissent à jamais au préjudice d'elle, ny du repoz de sont estat, que vous la priez et l'adjuriez qu'elle voulût uzer de mesmes droictement vers vous; et que, suyvant cella, elle fît cesser l'apareil et les entreprinses du dict de Montgommery, et fît que les marchandz angloys, qui estoient en France, y continuassent doulcement leur commerce, comme ilz avoient accoustumé, et qu'au Sr de Vérac fût baillé son passeport pour continuer le voyage que luy aviez commandé en Escoce.

A toutes lesquelles choses la dicte Dame m'a respondu que, devant toutes aultres, elle vous prioit de vivre en très parfaicte assurance d'elle, et qu'elle ne vous deffaudra ny d'amityé ny de ligue, ainsy qu'elle le vous a juré, tant qu'elle sera en ce monde, si premièrement vous ne la luy rompés:

Et, quand au faict du comte de Montgommery, qu'elle m'y avoit desjà amplement respondu, et vous y avoit faict satisfère par son ambassadeur, et qu'elle y avoit uzé, du commancement, et continuoit d'y uzer encores, en façon que sa conscience l'assuroit fort que vous sentiés beaucoup plus d'obligation que d'offance d'elle en cest endroict;

Qu'elle feroit commander aulx principaulx marchandz de Londres de continuer, par leurs facteurs, leur commerce en France, comme ilz avoient accoustumé, et de les advertir bien de ne fère, ny dire, chose qui ne soit sellon la bonne intelligence d'entre ces deux royaulmes;

Et, quand au passeport du Sr de Vérac, que j'avoys bien veu, en ma précédante audience, la volonté qu'elle avoit eu de le luy octroyer, mais que, le soyr mêmes, estoit arrivé ung pacquet du comte de Morthon, par lequel il la prioit de ne le laysser poinct passer, estimant que cella pourroit renouveller quelque altération en la bonne paix, où le païs estoit à présent, et par ainsy que je l'excusasse; car, tant s'en falloit qu'elle voulût retarder la dicte paix, que au contrayre elle la vouloit advancer et establir, parce que celle de son royaulme en dépandoit;

Et que, de tant qu'il n'y avoit rien plus que le chasteau de Lillebourg qui l'empeschât, elle me vouloit bien dire, et avoit mandé à son ambassadeur de le notiffier à Vostre Majesté, qu'elle permettoit à ses subjectz, qui sont vers la frontière d'Escosse, d'aller secourir le jeune Roy, son nepveu, à réduyre le dict chasteau à son obéyssance, ainsy que, jouxte les traictés, elle en avoit esté requise par luy et par les Estatz du pays.

J'ay réplicqué, Sire, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez prié le Sr de Walsingam de luy remonstrer qu'elle ne voulût plus estre vostre amye et bonne seur à demy, ains entièrement, comme vous luy vouliés estre vray frère et tout entier amy, à jamais; et que, déposantz toutz deux les jalousies et deffiances d'entre vous, il ne fût plus uzé d'aulcune sorte de simulation, ny de ces façons couvertes, et soubz mein, l'ung vers l'aultre, et que pourtant elle advisât si elle aymoit mieulx, à ceste heure, complayre au comte de Morthon, d'arrester icy le Sr de Vérac, que de satisfère à Vostre Majesté, de luy donner moyen de continuer son voyage; et que je pouvois jurer, suyvant ce que m'aviez escript, qu'il n'avoit commission de fère chose aulcune par dellà que sellon le traicté de la ligue, et de procéder en tout conjoinctement avec son ambassadeur;

Et, quand à mander de ses forces en Escoce, que cella vous osteroit le moyen de vous pouvoir excuser d'y envoyer des vostres, qui aviez jusques icy respondu à ceulx qui vous en avoient pressé, que vous aviez une mutuelle promesse avec elle de n'y envoyer des françoys non plus qu'elle des angloys; et, quoy que soit, je la prioys d'attandre qu'est ce que Vostre Majesté respondroit là dessus à son ambassadeur; car je sçavoys bien que le dernier traicté portoit que, dans quarante jours, l'ung et l'aultre debviez retirer les gens de guerre que pouviez avoyr au dict païs, tant s'en falloit qu'elle y en deût envoyer, et que je ne pouvois fère de moins cepandant que de protester de l'infraction du traicté; mais que je la supplyois de me laysser débattre ce faict avec les seigneurs de son conseil, affin que je luy peusse tenir ung plus agréable propos.

Et là dessus, Sire, je luy ay parlé amplement de l'audience que la Royne vostre mère avoit donné au Sr de Walsingam en vostre gallerie de Fontainebleau, à quoy elle s'est rendue fort attentive; et néantmoins m'a assez faict cognoistre que le dict de Walsingam luy en avoit mandé quelque particullarité qui ne l'avoit bien contantée. Et de tant, Sire, que j'ay mis le récit de cella en la lettre de la Royne, je adjouxteray seulement icy que, ayant depuis débatu les affères d'Escoce avec les dictz du conseil, il me semble les avoyr ramenés à quelque rayson; et m'a esté octroyé que le Sr de Vérac puisse envoyer son homme jusques au comte de Morthon, pour quérir son passeport, si, d'avanture, il le veult bailler.

CCCXIIe DÉPESCHE

—du XVIIe jour d'apvril 1573.—

(Envoyée jusques à Calais par le Sr Christofle Dumont.)

Nouvelles de la Rochelle.—Reprise du commerce entre l'Angleterre et l'Espagne.—Conférence de l'ambassadeur et de Burleigh sur les affaires d'Écosse.—Fausse nouvelle de la prise de Lislebourg.

Au Roy.

Sire, de tant que le comte de Montgommery faict son embarquement à plus de cent soixante dix mil d'icy, et que celluy, que j'ay envoyé pour le recognoistre, ne revient poinct, ains m'a l'on dict qu'il a esté découvert et qu'on l'a arresté; et que le dict de Montgommery a envoyé se pleindre que je descouvrois beaucoup de ses affères, et les luy traversoys, qui creignoit que ce fût par le moyen du jeune Sr de Pardaillan, l'on m'a observé, et toutz les miens, beaucoup de plus près qu'on ne souloit. Dont ne vous puis mander, pour ceste heure, Sire, sinon la confirmation de ce qu'en avez veu par mes précédantes, du XIIIe de ce moys, auxquelles je vous supplie très humblement adjouxter foy. Et vous diray davantage que j'ay sceu que quelques ungs de la Rochelle, lesquelz s'institulent mayre, juratz et payrs de la ville, ont escript une lettre, du XVIe de mars, au dict de Montgommery, par laquelle ilz luy mandent que le Sr de La Noue, avec quelques aultres, les ont layssés, de quoy ilz sont fort ayses, pour ce qu'ilz ne pouvoient vivre sans quelque souspeçon de luy, puisqu'il avoit passé par la court, non qu'il ne se fût porté en fort vaillant gentilhomme et en homme de bien, tant qu'il avoit esté avec eulx.

Au surplus, Sire, les articles de l'ouverture du commerce pour deux ans, entre les pays du Roy d'Espaigne et l'Angleterre, sont passés, et le duc d'Alve les a signés pour le Roy Catholique et milord trézorier pour la Royne sa Mestresse; à laquelle le dict Roy Catholique a mandé, de sa mein, qu'il vouloit de bon cueur que les choses passassent à l'honneur et advantage d'elle, comme de celle de qui, pour beaucoup de respectz, il desiroit conserver l'amityé; et elle luy a pareillement escript, de sa mein, qu'elle luy vouloit defférer le semblable, comme à celluy par qui elle recognoissoit que la vye et l'estat luy avoient esté conservés.

Le Sr de Vérac et moy avons obtenu qu'il puisse dépescher, par la poste, son homme devers le comte de Morthon, en Escoce, pour aller quérir son passeport, affin de continuer son voyage, s'il le luy envoye, ou bien s'en retourner, s'il le luy refuze. Milord trézorier, quand je luy ay débatu que sa Mestresse ne pouvoit, sans enfreindre les traictés, envoyer des forces en Escoce, m'a dict qu'il ne falloit que Vostre Majesté eût opinyon qu'elle voulût entreprendre, ny en Escoce, ny en nulle part du monde, chose aulcune que pour la seule nécessité de sa seureté et pour le repos de son estat; et que, si elle pouvoit avoyr ces deux poinctz, avec vostre amityé, ne falloit doubter qu'elle ne vous gardât invyolablement la sienne avec aultant d'affection comme pour sa propre vye; mais que les choses luy estoient, en cest endroict, fort suspectes; dont voudroit, à ceste heure que ceulx de la noblesse du pays se trouvoient aulcunement unis à l'obéyssance du jeune Roy, que, à l'occasion du chasteau de Lillebourg et de ceulx qui sont dedans, l'on ne retournât plus aulx armes, et que pourtant le cappitaine Granges, milord de Humes et le Sr de Ledington, qui seuls maintenant excitoient le trouble, se voulussent contanter des seuretés qu'on leur vouloit bailler, toutes semblables à celles que le duc, le comte de Honteley et les principaulx, qui avoient suivy le party de la Royne d'Escoce, avoient prins pour eulx mesmes; et qu'ilz voulussent libérallement rendre le chasteau pour estre miz ez meins du comte de Rothes, ainsy que les Estatz du pays l'avoient ordonné; et qu'il tardoit à la Royne, sa Mestresse, que milord de Humes se fût rengé à l'obéyssance du dict jeune Roy, affin de luy rendre incontinent son chasteau, lequel elle avoit tout à plat refusé à ceste occasion au susdict de Morthon, affin de n'en frustrer le propriétayre, bien qu'elle n'eût promis de le rendre sinon en général aulx Escouçoys; et que le dict de Morthon s'estoit monstré fort modéré en cest accord de l'Escoce, car avoit rendu toutz les biens et estats qu'il tenoit, et le duc et ses enfants avoient recouvert leurs terres et les abbayes d'Arbret et de Peselay, et pareillement l'estat de chancellier avoit esté baillé au comte d'Arguil, et celluy d'admiral à ung aultre; et le comte de Honteley et luy estoient, à présent, grandz amys; qu'il me vouloit bien advertyr néantmoins de deux choses: l'une, qu'il avoit esté faict ung acte de parlement entre les Escouçoys pour requérir la Royne, sa Mestresse, de les recevoir en ligue avec elle, pour la deffance de leur commune religion, contre toutz ceulx qui se voudroient monstrer ennemys d'icelle; l'aultre, que madame de Levisthon avoit esté faicte prisonnyère, à cause d'une lettre de créance qu'elle avoit escripte à la comtesse de Mar; dont celluy qui la portoit avoit esté prins, et déposoit que c'estoit pour pratiquer, avec elle et avec Me Alexandre Asquin, de transporter le jeune Roy en France; et que, si Vostre Majesté avoit prins quelque souspeçon de la Royne, sa Mestresse, par les appretz du comte de Montgommory par deçà, et pour voyr retirer les marchandz anglois hors de France, et pour vouloir envoyer quelque secours aulx Estatz d'Escoce, qui le demandent, qu'elle avoit plus d'occasion de se craindre des dellibérations de Vostre Majesté parce qu'elles tendoient à la ruyne d'elle, estant mesmement guydées par les ennemys de sa couronne, là où elle ne prétandoit, par toutes ses entreprinses, qu'à se conserver.

A quoy j'ay respondu fort court que nulle sorte de nouvelle ligue se pouvoit fère en Escoce, ny envoyer des forces dans le pays, sans contrevenir aulx traictés, et que c'estoit la Royne, sa Mestresse, qui tâchoit d'avoyr le Prince entre ses meins; mais que si, pour se mectre hors de toutes ces difficultés, elle vouloit s'esclarcyr avec Vostre Majesté du faict du chasteau de Lillebourg, et du dict Prince, et de l'entière paix du pays, et de toutes aultres choses qu'aviez à desmeller ensemble, que vous seriez prest de le fère. Ce qu'il a trouvé fort bon, mais je creins que, pour cella, le dict secours pour l'Escoce ne sera suspendu, tant ceulx cy ont à cueur la reddition du chasteau de Lillebourg, laquelle ilz font, à toute heure, presser davantage. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour d'apvril 1573.

Ainsy que je signois la présante, l'on m'est venu dire qu'ung courrier arrivoit d'Escoce, qui disoit que le chasteau de Lillebourg s'étoit rendu par composition à l'obéyssance du jeune Roy. J'entendray mieulx comme il en va: car, dès hier, on m'avoit bien dict que le comte de Rothes avoit esté dedans, mais non rien davantage.

CCCXIIIe DÉPESCHE

—du XXIe jour d'apvril 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Départ de l'expédition du comte de Montgommery.—Affaires d'Écosse.

Au Roy.

Sire, ung messager est venu, du quartier d'Ouest, qui assure que le comte de Montgommery s'est ambarqué, le XVIe du présent, à Plemmue. Il est allé par mer jusques à Falmue, qui est à la poincte de Cornoaille, pour, de là en hors, fère voyle à l'Isle Dieu, où il prétend de recueillir toutz ses vaysseaulx. Je n'ay aultres nouvelles d'Escoce, depuis mes précédantes, du XVIIe de ce moys, sinon que de la part de ceulx qui ont suivy le party de la Royne d'Escoce, qui mènent quelques praticques en faveur de ceulx du chasteau de Lillebourg pour les fère comprendre dans l'accord; que le comte de Rothes a esté devers eulx dans la place, et que le cappitaine Granges a offert de la luy remettre en ses meins, ou bien ez meins de celluy que ceulx de la noblesse nommeront, en luy baillant néantmoins, premier qu'il s'en descharge, une bonne somme de deniers contantz pour s'acquicter des grandz debtes qu'il a faictz pour la fournyr et conserver durant le temps qu'il en a esté cappitaine, en luy baillant aussy le chasteau de Blacnes pour sa seureté, et pour celle aussy de ceulx de son party. De quoy il n'y a encores rien de faict, et m'a l'on dict que les trèze centz harquebusiers, que la Royne d'Angleterre avoit faictz approcher vers ces quartiers là pour les envoyer au comte de Morthon, lesquelz, à la vérité, ont esté jusques sur la frontyère d'Escoce, s'en estoient retournés; ce que, si ainsy est, Sire, elle a voulu monstrer de n'aller poinct contre la protestation que je luy ay faicte, et à ceulx de son conseil, de n'y envoyer poinct de forces s'ilz ne vouloient enfraindre le traicté. Néantmoins l'on continue de m'advertyr qu'elle passera oultre à fère passer les dictz harquebousiers et l'artillerye pour forcer ou pour intimyder ceulx du dict chasteau, s'ilz ne viennent à composition. Et sur ce, etc. Ce XXIe jour d'apvril 1573.

CCCXIVe DÉPESCHE

—du XXVIe jour d'apvril 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Nouvelles du comte de Montgommery.—Affaires d'Écosse.—Mise en liberté de lord de Lumley et des sirs Thomas et Edouard de Stanley.—Le comte de Soutampton retenu à la Tour.—Nouvelles arrivées à Londres des succès remportés par les protestans de la Rochelle.

Au Roy.

Sire, jusques au XXIIe du présent, le partement du comte de Montgommery n'a esté bien sceu en ceste court, mais, ce matin là, il est arrivé ung courrier du Ouest qui assure de l'avoyr veu à la voylle, le XVIe auparavant, hors du port de Falammue, avec le nombre de vaysseaulx que je vous ay desjà mandé. Je sçay bien, Sire, que le Sr de Walsingam vous aura parlé de ceste expédition, sellon qu'on luy a escript d'icy ce qu'il auroit à vous en dire; dont je desire bien entendre la vertueuse et prudente responce que Voz Majestez luy auront faicte, affin que je la suive par deçà. Je voys bien que ceulx cy mettent à exécution les dellibérations qu'ilz avoient prinses en une leur assemblée de conseil, qui a esté tenue au commancement de ce moys; et, suivant icelles, ilz layssent aller ceste flotte du comte de Montgommery en France, et layssent couler en Flandres, nonobstant le dernier accord, le secours qu'ilz avoient promis au prince d'Orange: et ne fays aussy doubte qu'ilz n'envoyent en Escoce les trèze centz hommes et les douze pièces de batterie, que le comte de Morthon attand d'eulx; car j'entendz que le capitaine Granges demeure fermement opiniastre de ne quicter le chasteau de Lillebourg, que premièrement l'on ne luy ayt fourny contant vingt mille livres d'esterlin, qui sont soixante six mille sept centz soixante quinze escus, et qu'on l'ayt mis en possession du chasteau de Blacnes pour la seureté sienne et des siens.

Le conseil, ces jours passez, a vacqué à l'examen de ces seigneurs catholicques, qui estoient dans la Tour, dont milord Lommeley, les sires Thomas Standley, Edouard Standley, Gérard, et aultres, sont remis en liberté, bien que encores soubz quelque guarde; mais le comte de Surthampton, ayant esté mené en la présence du dict conseil, après avoyr esté ouy, je ne sçay pour quelle occasion, plus que les aultres, a esté ramené dans la Tour. Sur ce, etc.

Ce XXVIe jour d'apvril 1573.

Depuis ce dessus, l'on me vient d'advertyr que, de Roan, est arrivé ung advis en ceste court, comme la nuict, du VIIe de ce moys, ayant Monsieur voulu fère donner une camisade à ceulx de la Rochelle, les siens y ont esté repoulsés, avec la perte de troys centz gentilshommes, et que Mr de Guyse et le Sr Strossy y ont esté blessés à la mort, et pareillement y ont esté blessés Mr le marquis Du Mayne et Mr de Nevers, l'ung au bras, et l'aultre à la jambe; et que, à Bordeaux et en la Gascoigne, y a quelque révolte, que Vostre Majesté a esté contreincte d'y envoyer des forces. Qui sont nouvelles qui convyeroient les Angloys, si elles estoient vrayes, de favorizer encores davantage l'entreprinse du comte de Montgommery; dont je desire leur pouvoir fère bientost voyr tout le contrayre.

CCCXVe DÉPESCHE

—du premier jour de may 1573.—

(Envoyée jusques à la court par Jacques Laurent.)

Audience.—Détails sur l'expédition du comte de Montgommery.—Résolution des Anglais d'envoyer des troupes en Écosse pour réduire Lislebourg.—Mémoire. Détails de l'audience.—Perte essuyée par les troupes royales à l'assaut de la Rochelle.—Accord des Vénitiens avec les Turcs.—Vives plaintes du roi contre les secours donnés à la Rochelle, et la conduite tenue par Élisabeth, tant à l'égard de l'Écosse que de la négociation du mariage.—Explications données par la reine d'Angleterre.

Au Roy.

Sire, ainsy que Jacques, le courrier, est arrivé avec les lettres de Vostre Majesté, du XXIIIe du passé, j'estois tout prest d'aller trouver ceste princesse sur l'occasion de vostre précédante dépesche, du XXIe auparavant; et m'a semblé que je ne debvois, pour les segondes lettres, changer rien de ce que j'avoys à dire à la dicte Dame sur les premières, estant mesmement bien adverty qu'elle, et ceulx de son conseil, ne sçavoient comment prendre le contremandement de monsieur de Walsingam; et que, d'ailleurs, l'on leur faysoit accroyre que Monsieur, frère de Vostre Majesté, avoit perdu presque toute la noblesse, qu'il avoit avecques luy, en ung assault qu'il avoit faict donner à la Rochelle, le VIIe du dict moys: qui estoient deux choses, dont l'une pouvoit beaucoup irriter la dicte Dame, et l'aultre l'animer à quelque entreprinse. A l'occasion de quoy j'ay été trouver la dicte Dame, à laquelle j'ay tenu le propos que verrez dans un mémoire à part.

Il y a plus de trois moys, Sire, que, jour par jour, je vous ay adverty comme cette entreprise du comte de Montgommery s'apprétoit; et vous ay faict sa flotte, et son armement, ung peu plus grandz et plus fortz qu'ilz ne sont, et que, entre le XIIIIe et XXe d'avril, il se présenteroit devant la Rochelle, dont j'espère qu'il n'aura trouvé à y gaigner que force coups et beaucoup de honte. Il luy arryvera encores dix ou douze petitz vaysseaulx, car son nombre, ainsy qu'on m'a rapporté, estoit de soixante et deux, et que, en tout, il y avoit quelque équippage de guerre, mais n'en y avoit que XXII ou XXIII qui fussent de combat, ny d'iceulx sinon cinq ou six qui fussent pour fère grand effort. Et pour le présent, ceste princesse ne faict aulcun aultre préparatif, par mer ny par terre, sauf qu'elle persévère, ainsy que je suis bien adverty, et son parler ne le contredict poinct, de vouloir mander au comte de Morthon le secours qu'elle luy a promis. Et j'entendz que à Barvic s'espéroient, ces jours passés, quelques seigneurs d'Escoce pour ostages et respondantz des canons et monitions qu'on luy envoyera. Si le dict de Montgommery est repoulsé, il y a grande aparance que ceulx cy ne remueront rien plus vers la France, mais, s'il luy succède bien, je creins assez qu'ilz se layssent facillement tirer à y fère quelque entreprinse davantage. Et sur ce, etc. Ce 1er jour de may 1573.

MÉMOIRE.

Sire, j'ay dict à la Royne d'Angleterre que, par vostre dépesche du XXIe du passé, Vostre Majesté me commandoit de fère deux offices vers elle: l'ung, de luy donner compte d'aulcunes choses, et l'aultre, de luy fère pleincte de quelques aultres, et que, en l'une et en l'aultre, Vostre Majesté monstroit une si expresse signiffication d'amityé et de bienveillance vers elle, que je m'assurois qu'elle prendroit le tout de fort bonne part. Et là dessus je luy ay particullarisé le contantement que ses deux ambassadeurs, l'ung prenant son congé, et l'autre entrant en sa charge, vous avoient toutz deux donné des bons et honnorables propos qu'ilz vous avoient tenus, touchant l'observance des traictés et la continuation de la ligue; et que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, leur aviez bien faict cognoistre que, en tout tant de princes qu'il y avoit au monde, elle ne trouveroit jamays tant de bonne correspondance comme en vous et en ceulx de vostre couronne: car vostre naturel estoit, encor que nul proufit vous deût jamays revenir de son amityé, de l'aymer tousjours néantmoins parfaictement, et que vous ne cesseriez de luy vouloir toutjour beaucoup de bien jusques à ce que vous apercevriez, à bon esciant, qu'elle vous voulût beaucoup de mal;

Et me commandiez aussy de luy compter comme vous espériez de brief la réduction de la Rochelle, vous ayant Monsieur escript qu'il estoit dellibéré, après ce premier assault[18], lequel ne luy avoit du tout bien succédé, (et auquel, à la vérité, il avoit fait perte de quelques ungs, mais non en grand nombre, ny de gens de nom, sinon le jeune Sr de Clermont Tallard et le cappitaine Causeings,) d'y fère ung segond effort si bon et si grand, et presser si vifvement les assiégés qu'il en viendroit bientost à bout; et que Vostre Majesté luy avoit envoyé les Suysses qui pouvoient estre desjà arrivez au camp.

Et luy ay, après cella, touché quelque mot de l'accord des Vénitiens avecques le Turcq, pour luy fère voyr qu'elle avoit esté mal persuadée de croyre que fussiez intervenu en aulcun marché, au préjudice d'elle, dans la ligue qu'ilz avoient faicte avecques le Roy d'Espaigne et le Pape. Puis, luy ayant récité l'accidant du vaysseau angloys qui avoit esté combatu et mené à Fescamp, et l'ordre que Vostre Majesté avoit donné de le fère dellivrer et de satisfère à tout le dommage qu'il avait souffert, et que, jusques à ung poil, vous vouliez exactement observer le traicté de la ligue, j'ay finy en cest endroict mon premier propos.

Et suis venu au segond, de la pleincte: sur lequel je luy ay dict que je me trouvois en peyne comme bien uzer sur tout ce que me commandiés de luy en dire, car m'appelliés à tesmoing, et je vouloys bien rendre ce tesmoignage à Vostre Majesté et à la Royne vostre mère, que, en tout ce que j'avoys jamays cogneu de vostre intention vers la dicte Dame, toutz deux l'aviez eue très bonne et droicte, et fondée en une perdurable amityé vers elle; mais que je ne sçavois par quel accidant elle ne s'estoit jamays entretenue ung moys entier, sans entrer en quelque souspeçon ou meffiance de Voz Majestez: ce qui avoit engardé et engardoit encores que, de son costé, ne se peût former une si assurée intelligence, entre vous et voz deux royaulmes, comme Voz Majestez Très Chrestiennes, et, possible, elle mesmes, le desireroient, et qu'elle vous avoit mis à ne sçavoyr que espérer de son intention;

De tant que, en lieu de vous secourir sellon le traicté, et sellon son sèrement, et sellon la promesse qu'elle vous en avoit faicte de sa mein, vous voyez maintenant aller de son royaulme le secours à voz ennemys; et, en lieu de procurer conjoinctement, par voz communs ambassadeurs, la paix en Escoce, elle engardoit que celuy de Vostre Majesté n'y peût passer, et envoyoit des forces au dict pays, quand elle les debvoit dans quarante jours retirer, si elle en y avoit, ainsy qu'elle avoit juré de le fère; et, touchant le propos de Monseigneur le Duc, qu'elle avoit monstré de ne prendre de bonne part la bonne et vertueuse responce que la Royne, vostre mère, avoit faicte au Sr de Walsingam. Qui estoient trois inconvénientz que Voz Majestez Très Chrestiennes avoient imaginé que pouvoient procéder de ce que la dicte Dame n'estoit parfaitement bien informée de vostre intention, et comme véritablement vous l'aviez bonne et entière vers elle, ny pareillement de celle de Monseigneur le Duc, lequel vous avoit supplyé, par ses lettres, d'en esclarcir Mr de Walsingam, premier qu'il s'en retournât.

Sur quoy Vostre Majesté avoit bien voulu, pour ces troys occasions, mander au dict Sr de Walsingam, et pareillement au Sr docteur Dayl, de vous venir toutz deux retrouver, encor qu'il eût desjà prins congé. Et cepandant vous estoit arrivé la nouvelle comme le comte de Montgommery estoit venu, avec cinquante vaysseaulx, mouiller l'ancre à la portée du canon de vostre armée de mer devant la Rochelle, le XIXe du passé, à quatre heures du soyr, chose de quoy Monsieur ne s'estoit mis en peyne, car avoit pourveu que le dict de Montgommery n'en peût rapporter que honte et dommage; néantmoins que cella vous venoit à regret d'entendre que la Primeroze, et aultres vaysseaulx de la dicte Dame, et ceulx de Hacquens, et autres de ses subjectz, fussent en la flote, et eussent incontinent arboré les enseignes et les croix rouges, comme si elle vous eût dénoncé la guerre. De quoy, à mon advis, Vostre Majesté feroit une fort grande pleincte à ses ambassadeurs, et je la suppliois aussy de me dire qu'est ce que j'avoys à vous y respondre.

La dicte Dame, se trouvant pour une partie du propos en assez de satisfaction, et en beaucoup de perplexité pour l'autre, m'a dict qu'elle vouloit joindre son contantement à celluy que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez prins des propos qu'elle avoit commandé à ses ambassadeurs de vous tenir, et qu'elle vous confirmoit de rechef fort fermement tout ce qu'ilz vous avoient dict, de la persévérance de son amityé et de l'observance du traicté, et que vous ne verriez jamais rien sortir de son costé, d'où vous n'eussiez occasion de luy continuer à jamays vostre perpétuelle bienvueillance; qu'elle souhaytoit ung si bon succès à Monsieur, frère de Vostre Majesté, qu'il vous peût en brief recouvrer l'obéyssance de ceulx de la Rochelle, et leur fère voyr à eulx que vous leur vouliez estre prince débonnayre et clément, et qu'elle regrettoit bien fort que vous fussiez en ceste nécessité, de fère combatre ainsy voz subjectz les ungs contre les aultres, avec une si grande perte comme elle avoit entendu, en ce dernier assault, des meilleurs et plus vaillantz de vostre royaulme; dont desiroit que Vostre Majesté et la prudence de la Royne, vostre mère, y peussiez trouver quelque bon remède; qu'elle réputoit sages les Vénitiens, de s'estre mis en paix, bien creignoit que le Turc s'en prévalût davantage contre la Chrestienté, de quoy elle seroit marrye, mesmement s'il en advenoit quelque dommage à l'Empereur, et qu'à la vérité elle avoit eu occasion de tenir jusques icy assez suspecte la ligue qui avoit esté faicte pour ceste guerre, dont verroit, à ceste heure, ce qui en succèderoit; et qu'elle vous remercyoit grandement du soing, qu'aviez eu, de pourvoyr au faict de ce vaysseau anglois qui avoit esté mené à Fescamp; et qu'elle, de son costé, continueroit de pourvoir aussy à la conservation et indempnité de voz subjectz, aultant qu'il luy seroit possible:

Et, quand aulx troys chefz de pleincte que je luy avoys déduictz, elle s'assuroit fort, pour le regard des deux premiers, que ses ambassadeurs vous y avoient très amplement satisfaict, si ses lettres là dessus n'avoient esté perdues, et qu'elle prenoit, sur l'obligation de sa conscience et de la foy qu'elle avoit à Dieu, de ne préjudicier, ny du costé de France, ny du costé d'Escoce, de la largeur d'une ongle, à la teneur du traicté et de la ligue qu'elle avoit avec Vostre Majesté; et que, si la creincte de Dieu et l'escrupulle de son sèrement, et l'amityé qu'elle porte aux princes ses voysins, n'eussent esté trop plus grandes, que les moyens et occasions de s'agrandir et de s'accroistre ne luy ont deffally, et pourroit estre comptée aujourdhuy au reng des plus grandz conquéreurs;

Dont ne doubtoit que, pour vostre regard, Sire, vous ne l'eussiez bien cognu, et que ne la réputissiez pour vostre parfaictement bonne seur, dont ne desiroit sinon que, si ung semblable accidant, d'avanture, luy survenoit, qu'elle vous y peût expérimanter de mesmes son bon frère; que les jalousies ne deffailloient jamays à ceulx qui avoient à garder quelque estat, et qu'elle, qui n'avoit ny mary, ny lignée, ny aparant successeur, debvoit estre plus jalouse que nul autre du sien, mesmement qu'elle sçavoit que Vostre Majesté faysoit divers fondementz sur elle et sur la Royne d'Escoce, pour vous apuyer des deux costez, et garder, en tout évènement, l'intelligence de ce royaulme; mais c'estoit en vain, car ceulx de ce royaulme mettroient plustost en pièces la Royne d'Écosse que de la laisser régner sur eulx après elle:

Qu'elle avoit beaucoup d'obligation à Voz Majestez, et à Monseigneur le Duc, pour vostre persévérance au propos du mariage, lequel sembloit néantmoins que l'aviez voulu terminer et finir par vostre dernière responce, et que si, pour les troys occasions susdictes, vous aviez contremandé le dict Sr de Walsingam, elle desiroit qu'il vous y peût bien satisfère.

Au regard de l'arrivée du comte de Montgommery à la Rochelle, et de toutes ces choses que, par une partie de vostre lettre, laquelle je luy avoys leue, Vostre Majesté me commandoit de luy remonstrer, elle me promettoit et juroit, en foy et parolle de princesse chrestienne et véritable, que, en toute sa flote, il n'y avoit ung seul homme, ny ung seul vaysseau, ny pour ung escu d'aulcune sorte d'armement, qui fût provenu d'elle, ny de sa permission ou commandement; et que la Primeroze, plus d'ung an a, n'estoit du nombre de ses vaysseaulx, et qu'elle ne pensoit qu'ung seul gentilhomme angloys, si n'estoit, possible, son beau filz, fût avecques le dict de Montgommery; et qu'il avoit esté contreinct de ramasser ce qu'il avoit peu, de vaysseaulx et d'hommes, françoys et flammantz, pour exécuter son entreprinse; et qu'elle avoit veu des lettres que le dict de Montgommery avoit escriptes à quelques ungs de sa court, par où il se pleignoit amèrement d'avoyr esté mal traicté et fort trompé des Angloys; et, quand avoyr arboré les croix rouges, ce n'estoit chose que les navyres marchandz n'eussent accoustumé de fère en temps suspect; par ainsy qu'elle vous prioit de croyre que, en tout cella, il n'y avoit rien de sa coulpe, et que Vostre Majesté trouveroit estre véritable ce que son ambassadeur avoit eu charge de vous en dire.

Je n'ay manqué de réplicquer, par le menu, à chacun poinct de son dire, et à toutes ces souspeçons; et luy ay dict, sur ce dernier, que vous la priez bien fort qu'elle mesmes voulût juger en son cueur si ung prince pouvoit estre si peu sensible que, en l'offançant, et luy faysant beaucoup de mal, l'on peût retenir et conserver son amityé.

Elle est retournée, là dessus, à me parler en si expéciaulx termes de sa bonne intention, et de la certayne et indubitable bonne affection qu'elle avoit à Voz Majestez et à la conservation de vostre grandeur, et m'a tant conjuré de vous escripre de bonne sorte ce qu'elle m'avoit dict de sa justiffication en cest endroict, qu'elle a bien monstré de ne me vouloir renvoyer malcontant.

CCCXVIe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de may 1573.—

(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Retraite du comte de Montgommery de devant la Rochelle.—Déclaration du roi touchant les affaires d'Écosse.—Consentement donné par le roi à l'entrevue avec le duc d'Alençon, qui desire passer en Angleterre après la réduction de la Rochelle.—Explications données par la reine sur sa conduite à l'égard de l'Écosse.—Satisfaction qu'elle éprouve de la résolution prise par le duc d'Alençon.—Nouvelle de la prise de Belle-Isle par le comte de Montgommery.

Au Roy.

Sire, si je n'eusse bien assuré à la Royne d'Angleterre que Vostre Majesté n'avoit contremandé son ambassadeur que pour davantage l'esclarcyr, premier qu'il repassât la mer, de tout ce qu'aviez à desmeller avecques elle, affin que, quand il seroit par deçà, il la peût parfaictement assurer de l'indubitable volonté de Voz Majestez Très Chrestiennes vers l'observance du traicté, et du desir qu'avez, plus grand que jamays, que le bon propos d'entre elle et Monseigneur le Duc s'effectue, elle eût facillement creu que ce n'estoit pour une si gracieuse occasion comme celle là qu'il eût esté arresté; et n'en a peu perdre du tout le doubte jusques à ce que le Sr de Vassal est arrivé, le premier de ce moys, avec vostre dépesche, du XXVIe du passé, et l'homme du dict sieur ambassadeur, troys jours après, avec celle du XXIXe.

Sur lesquelles deux je suis allé dire à la dicte Dame que Vostre Majesté sçavoit ung bien fort bon gré à son dict ambassadeur de ce qu'il n'avoit refuzé la peyne de retourner tout incontinent et bien fort volontiers vers vous, et qu'il ne tarderoit guyères d'estre devers elle, et de luy apporter beaucoup de satisfaction des choses que luy aviez déduictes en ceste dernière conférance; de sorte qu'elle cognoistroit n'y avoyr princes en toute la Chrestienté, qui eussent mieulx mérité de l'amityé d'elle que Vostre Majesté, la Royne, vostre mère, et Messeigneurs voz deux frères, et qu'il ne se pourroit imaginer nul plus grand, ny plus énorme péché, que de la fère mal espérer de la vostre, et de l'induyre à permettre quelque effect qui vous peût offancer; et que cependant me commandiez de luy racompter ce qui avoit succédé de l'exploit du comte de Montgommery devant la Rochelle, et comme, par l'espace de deux jours, qu'il s'estoit tenu devant la ville, il avoit faict son effort de mettre du secours dedans, et d'atacher quelque combat de mer, mais, voyant que la prévoyance et pourvoyance de Monsieur avoient remédyé à son entreprinse, il s'estoit, l'aultre jour après, envyron la marée de minuit, getté au large, et avoit reprins la mesmes route qu'il estoit venu; et qu'aussytost que Vostre Majesté avoit sceu son départ, vous aviez mandé aulx gouverneurs de voz provinces que, nonobstant que des vaysseaulx et des enseignes d'Angleterre eussent été veues avecques luy, qu'on ne layssât pourtant de bien recepvoyr partout les Angloys, parce que vous demeuriez persuadé qu'elle n'avoit eu intelligence du faict du dict de Montgommery, ny n'avoit aulcune male volonté contre vous, ny contre voz subjectz; et la suplioys que, pour ce tant singullier tesmoignage de vostre bienvueillance vers elle, elle voulût, après cest acte d'hostillité du dict de Montgommery, juger ainsy de luy comme d'ung qui s'estoit efforcé de se déclarer ennemy et rebelle de Vostre Majesté; et que, de tant qu'il estoit allé contre le traicté de la ligue, et contre la seureté qu'elle avoit prins de luy qu'il n'y feroit poinct de préjudice, qu'elle voulût contremander ceulx de ses subjectz qu'il avoit avecques luy, et fère retirer les vaysseaulx angloys qu'il avoit à sa suyte, et deffandre que nulz aultres, dorsenavant, eussent à favorizer ses entreprinses;

Et que Vostre Majesté me commandoit qu'avec ceste instance, je luy continuasse aussy celle que je luy avoys desjà par plusieurs fois faicte des choses d'Escoce, de vouloir la dicte Dame procéder, conjoinctement avec Vostre Majesté, à procurer la paix du dict pays sellon le traicté; et que, de tant que j'estois seurement adverty que, contre la teneur d'icelluy, elle avoit faict marcher son artillerye et ses gens de guerre, par dellà, pour forcer le chasteau de Lislebourg, je luy voulois renouveller ma précédante protestation de l'infraction du dict traicté, et la supplier qu'elle voulût fère cesser son exploit de guerre; néantmoins que je luy offrois, si elle vouloit s'esclarcyr avec vous de tout ce qu'elle pouvoit estre en deffiance du dict costé d'Escoce, que vous seriez prest de le fère avec tant d'advantage pour elle, et repos de ses subjectz, qu'elle et eulx n'en pourroient rester sinon bien fort contantz; et pourtant qu'elle voulût fère donner passeport au Sr de Vérac pour continuer son voyage, ou bien pour s'en retourner, esconduict, devers Vostre Majesté.

La dicte Dame, considérant l'honnesteté du dict propos, conjoincte avec beaucoup de rayson, m'a respondu que Vostre Majesté, en ce que je luy avoys dict, luy faysoit toucher aulcuns poinctz qui estoient si honnorables pour elle, qu'elle ne vouloit fallir de bien fort grandement vous en remercyer, et se louer encores davantage de ce que, oultre les parolles, vous y adjouxtiez encore les effectz; qui vous prioit aussy de croyre, de sa part, que, touchant le comte de Montgommery, elle n'avoit esté aulcunement participante de ses dellibérations, et que son exploict, ainsy que Monsieur l'avoit bien esprouvé, ne procédoit d'une force royalle: et, touchant l'Escoce, qu'encores qu'elle eût presté de l'artillerye aulx seigneurs et Estats du pays, auxquelz, par rayson, elle ne l'avoit peu dénier, et eût faict marcher quelques gens pour la conduire; que néantmoins ce n'estoit pour y acquérir ung poulce de terre, ny pour y atempter rien contre le traicté, ny à la diminution de l'allience de France, et qu'elle me déclaroit que, à tout ce qui dépendoit de vostre mutuelle amityé, et qui concernoit la grandeur et réputation de Vostre Majesté, elle y vouloit moins préjudicier qu'à sa propre vye, et que, des instances que je luy avois sur ce faictes, elle en communicqueroit avec ceulx de son conseil pour, puis après, m'y satisfère.

Je luy ay, de rechef, agravé mes dictes instances, le plus que j'ay peu, et luy ay monstré combien elles estoient raysonnables et justes, et combien c'estoit chose elloignée de bonne foy que, pendant qu'elle vous faysoit entretenir de bonnes parolles, et qu'elle retardoit icy soubz quelque excuse le Sr de Vérac, elle permît que, en faveur du comte de Montgommery, du costé de France, et du comte de Morthon, du costé d'Escoce, ung si grand et si royal amy, comme vous luy estiez, fût offancé, qui espérois qu'elle y auroit du regrect davantage, après qu'elle auroit ouy ce qui me restoit à luy dire de vostre part:

C'estoit que Monseigneur le Duc, ayant envoyé remercyer Vostre Majesté de la communicquation que luy aviez voulu fère de la responce de la dicte Dame sur son faict, après l'avoyr bien considérée, et considéré le propos qui en avoit esté entre la Royne, vostre mère, et le Sr de Walsingam, et veu la lettre qu'elle luy avoit escripte à luy mesmes à la Rochelle par le Sr de Chasteauneuf, et entendu les honnorables rapportz que le dict Sr de Chasteauneuf luy avoit faictz de ce qu'il avoit veu et ouy en présence de la dicte Dame, il vous avoit fort honnorablement supplyé, et pareillement la Royne, vostre mère, par lettre de sa mein, du propre jour de la retraicte du comte de Montgommery, qu'il vous pleût ne luy tenir si restreinct le hault desir qui l'avoit faict aspirer aulx excellantes perfections de la dicte Dame, que luy en volussiez maintenant retrancher l'espérance; et que pourtant luy voulussiez permettre qu'il peût, incontinent après la réduction de la Rochelle, luy venyr bayser les meins, s'assurant qu'elle ne luy dénieroit ce qui seroit raysonnable de l'exercice de sa religion; et que, de sa part, il luy feroit cognoistre par luy mesmes, mieulx qu'il ne le pourroit fère par un tiers, ny par ses propres lettres, combien il avoit voué d'affection et de vray amour et de servitude à ses bonnes grâces: et que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, qui estiez très disposés vers elle et vers la perfection de ce propos, luy aviez entièrement accordé sa requeste; et me commandiez de luy dire qu'incontinent que la Rochelle seroit prinse, vous permettriez à ce jeune prince d'accomplir le vertueux et royal desir qu'il avoit de la venir voyr, et que Voz Majestez Très Chrestiennes la prioient de le recevoir pour ung éternel gage de vostre perdurable amityé vers elle, et de la perpétuelle confédération d'entre voz deux couronnes, ainsy qu'elle en trouveroit l'offre plus expresse par deux lettres que j'avoys à luy présenter de la Royne, vostre mère, et de luy; et que je la supliois de vouloir penser meintenant de sa seureté, affin qu'il fût aussy favorablement receu de ses subjectz, et en son royaulme, comme je m'assurois qu'il le seroit très honnorablement d'elle et des siens en sa court.

La dicte Dame, d'ung visage contant et d'une façon bien modeste, m'a respondu qu'elle remercyoit infinyement Vostre Majesté de la perdurable et constante bonne volonté qu'aviez vers elle, et pareillement Monseigneur le Duc, qui l'obligeoit beaucoup plus qu'elle n'auroit jamays moyen de luy satisfère; mais elle remercyoit davantage la Royne, vostre mère, comme luy ayant plus d'obligation qu'à toutz deux, parce que, nonobstant qu'elle eût estimé l'entrevue pleine de danger et peu advantageuse pour son filz, elle avoit néantmoins condescendu qu'il y vînt; et que le plus mortel regret qu'elle pourroit avoyr au monde seroit si, ne se faysant poinct le mariage, il advenoit que Vostre Majesté et elle, et vostre frère, en restissiez mal contantz; dont n'estoit de merveille si elle se trouvoit en peyne. Et, après avoyr fort curieusement leue la lettre de la Royne, vostre mère, sans en perdre ung seul mot, elle m'a demandé si, depuis ceste vostre résolution, son ambassadeur avoit poinct eu conférance avec Voz Majestez. Et luy ayant dict que ouy, elle m'a prié trouver bon qu'elle peût attandre quelque jour, affin que, sur ce qu'elle entendroit de luy, elle sceût mieulx prendre l'expédiant qui luy seroit nécessayre. Je n'ay rien pressé davantage; ains, après luy avoir encores tenu quelques gracieux propos sur la lettre de Monseigneur le Duc, je me suis licencié d'elle.

Il n'y avoit lors, Sire, en ceste court aulcunes nouvelles de la retrette du comte de Montgommery, sinon celles que j'avoys apportées, ny ne sçavoit on qu'il estoit devenu, mays, hier au soyr, arrivèrent deux des siens, l'ung qui dict luy avoyr esté envoyé de la Rochelle, pendant qu'il estoit à l'ancre devant la ville, et l'aultre se nomme le cappitaine Ber, lesquelz racomptent les choses non guyères aultrement que Vostre Majesté me les a escriptes; mais ilz adjouxtent que le dict de Montgommery est descendu depuis à Belle Isle, et que, le XXVIIIe du passé, il a prins par composition le chasteau, et qu'il dellibère de fortiffier toutz les portz et advenues du lieu, et que certeins navyres, qu'il avoit envoyé vers la coste d'Hespaigne, luy avoient desjà ramené deux ou trois prinses qui valoient plus de cinquante mille escus, et que bientost le Sr de Languillier viendroit icy affin solliciter de rechef ung plus notable et plus grand secours que le premier pour la Rochelle. Sur ce, etc.

Ce VIIIe jour de may 1573.

L'on a escript en ceste court qu'il a esté faict de rechef un grand massacre de ceulx de la nouvelle religion à Chasteaudun, de quoy les souspeçons renouvellent aulx Angloys que la conjuration, de les exterminer toutz, soit vraye, si, d'avanture, ilz n'entendent que Vostre majesté en face fère quelque punition.

Je viens d'avoyr relation comme, depuis cinq ou six jours, dix jeunes gentilshommes escouçoys ont esté mandés ostages en Angleterre pour douze pièces d'artillerye, et pour les monitions que ceste princesse a prestées au prétendu régent et aulx Estatz d'Escoce, et que troys compagnies d'angloys, de trois centz hommes chacune, les sont allez conduyre par dellà, et que desjà l'on besoigne à une platte forme pour assoyr la dicte artillerye contre le chasteau de Lillebourg.

CCCXVIIe DÉPESCHE

—du XIIe jour de may 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Combes.)

Retour de Walsingham en Angleterre.—Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh.—Offre de la médiation de l'Angleterre et des princes protestans d'Allemagne pour rétablir la paix en France.—Nouvelles d'Écosse.—Rupture de la négociation tendant à la capitulation de Lislebourg.

Au Roy.

Sire, le jour de la Panthecoste, le Sr de Walsingam est arrivé devers la Royne, sa Mestresse, à Grenvich, où elle et ses deux principaulx conseillers l'ont fort curieusement examiné, deux jours durant, à part, des choses de France, et puis ont mandé le reste du conseil pour l'ouyr aujourdhuy davantage; dont ne fault doubter que, du rapport qu'il fera, bon ou maulvais, n'ayt à dépendre ce qu'avez à espérer, de bien ou de mal, de ce costé. Et, de tant que milord trézorier m'a librement dict que, lors du premier congé du dict Sr de Walsingam, il s'en venoit persuadé que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, estiez plus animés que jamays contre voz subjectz de la nouvelle religion, et entièrement résolus à la ruyne des Protestantz, et que vous, ny elle, ne vouliez nullement le mariage de Monseigneur le Duc avec leur Mestresse, il ne fault doubter que, si ne l'avez, ceste segonde foys, renvoyé mieulx édiffié de voz bonnes intentions, qu'en lieu d'allience et confédération avec les Angloys, Vostre Majesté n'ayt à les compter pour ceulx qui ouvertement, ou soubz mein, seront ordinayrement en armes contre la France. Milord trézorier m'a fort conjuré de vouloir bien penser de la sincère volonté de la Royne, sa Mestresse, vers Vostre Majesté et vers la Royne, vostre mère, et pareillement de celle de luy vers l'entretènement de tout le traicté, mais qu'il n'estoit pas possible que la dicte Dame ni luy, avec toute l'ayde qu'il luy sçauroit fère, peussent surmonter l'universel consens, dont le conseil et toute la noblesse d'Angleterre convenoient à se bander contre les dellibérations de Voz Majestez Très Chrestiennes, en ce que vouliez poursuyvre à oultrance l'oppression de la religion protestante, et exterminer ceulx de voz subjectz qui en faysoient profession; et que, de tant qu'il me pouvoit fère clèrement voyr, s'il vouloit, mais vous l'expérimantiez assez, que l'entreprinse ne vous estoit nullement aysée, il vous vouloit, pour le debvoir de la ligue, très humblement supplier de ne vous y opiniastrer tant, que la Royne, sa Mestresse, et les princes protestantz fussent, à la fin, contreinctz de vous monstrer que vostre entreprinse ne leur seroit tollérable; et que s'il vous plésoit fère deviser avec elle, ou avec quelqu'ung des dictz princes, de remettre la paciffication en vostre royaulme, qu'il estoit très assuré qu'ilz seroient moyen qu'avec une bonne parolle, et avec quelque démonstration de clémence, Vostre Majesté regaigneroit plus d'authorité sur ses subjectz et recouvreroit mieulx l'obéyssance qu'ilz luy doibvent, et se soubsmettroient plus facillement à Monsieur que si vous y employez toutes les forces, et tout l'estat de vostre couronne; et qu'il desiroit grandement que la Royne, vostre mère, voulût prendre cest affère en sa mein.

Je l'ay bien fort remercyé de la bonne affection qu'il avoit à la paix de vostre royaulme; mais je luy ay dict, sans toutesfoys rejetter son conseil, qu'il ne deffailloit ny bonnes parolles ny clémence de la part de Vostre Majesté, ny le bon office de la Royne, vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et aultres grandz princes de vostre royaulme, pour la réduction de voz subjectz, mais c'estoit l'habitude que quelques ungs s'estoit faicte, depuis douze ans en çà, de reprendre trop facillement les armes, qui rendoit tout le reste opiniastre: et n'ay point suivy plus avant.

L'ung de ceulx que j'avoys secrettement envoyé en Escoce vient d'arriver, qui rapporte qu'encor qu'il n'ayt recouvert la responce de ceulx du chasteau de Lillebourg, que néantmoins il leur a fait tenir mon chiffre, et ilz luy ont fait signal de l'avoyr receu; et que cella est advenu sur le poinct que le comte de Rothes avoit esté desjà cinq foys parlemanter à eulx, et sur le poinct qu'ilz estoient prestz de livrer le dict chasteau au comte de Morthon, en, par luy, baillant celluy de Blacnes, garny de quatre pièces d'artillerye, en baillant aussy le revenu de Saint André pour le cappitaine Granges, mais que toute ceste praticque avoit esté lors rompue. Dont le dict de Morthon, à la persuasion du Sr de Quillegreu, avoit envoyé emprunter l'artillerye et les neuf centz harquebousiers de la Royne d'Angleterre; et que néantmoins l'on disoit que le dict chasteau n'estoit pour estre forcé, mais bien creignoit on qu'il y eût de l'intelligence dedans, ou bien que le cappitayne prétandoit de le rendre avec plus d'honneur quand il verroit le canon, et assuroit on qu'il y avoit vivres dedans jusques à la Saint Michel, et prou pouldre, mais peu de bouletz. Sur ce, etc.

Ce XIIe jour de may 1573.

CCCXVIIIe DÉPESCHE

—du XXIIIe jour de may 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Audience.—Négociation du mariage.—Affaires de la Rochelle et d'Écosse.—Envoi de la réponse d'Élisabeth sur la demande de l'entrevue avec le duc d'Alençon.

Au Roy.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre prins le loysir, durant toutes ces festes de Pantecoste, de dellibérer avec les seigneurs de son conseil de ce qu'elle avoit à me respondre sur l'offre de l'entrevue, et sur les aultres deux instances, que je luy avoys faictes, du comte de Montgommery et des choses d'Escoce; après qu'elle a eu bien examiné le Sr de Walsingam, de l'intention qu'il pouvoit avoyr cognue là dessus de Voz Majestez Très Chrestiennes, elle m'a faict, depuis troys jours en çà, et non plus tost, appeler devers elle pour me dire que, devant toutes choses, elle vous remercyoit infinyement de la favorable expédition que, par deux foys, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez donnée à son ambassadeur, qui le luy aviez renvoyé le plus satisfaict et le plus contant que nul aultre gentilhomme qu'elle eût jamays mandé en charge; et que, si, de ceste vostre faveur, la récompanse se pouvoit fère par une grande recognoissance d'elle, et par une très grande obligation de luy, vous ne vous plaindriés jamais du payement, mais qu'il luy deffailloit bien à elle le moyen, comme sur une aultre plus grande obligation qu'elle vous avoit pour la tant expresse déclaration, qu'il luy avoit apportée, de vostre parfaicte et perdurable amityé vers elle, elle vous y peût bien satisfère; néantmoins que là où les parolles propres, pour vous en rendre ung assez suffisant grand mercy, luy deffailloient, elle adjouxteroit davantage de la recognoissance dans son cueur pour vous produyre les bons effectz que pourriez desirer de sa correspondance: et a accompaigné cella d'une si bonne expression qu'elle a monstré de le dire de bon cueur: que, touchant l'octroy que luy aviez voulu defférer de l'entrevue, lequel elle recognoissoit procéder d'une singullière faveur et très grande grâce de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur le Duc, elle mettroit peyne de vous y fère la plus honnorable et cordialle responce, qu'elle pourroit, par ses lettres qu'elle vous feroit présenter, et avec quelques parolles de son intention par son ambassadeur: que, du comte de Montgommery, elle estoit bien assurée qu'il n'y avoit plus ny hommes ny vaysseaulx angloys en sa compagnie, s'estant toutz les navyres marchandz, qu'il cuydoit conduyre dans la Rochelle, retirés par deçà, et qu'il n'y en yroit poinct d'aultres, et que, si j'entendoys qu'il en allât aultrement, que je l'en advertisse; car me juroit qu'elle y mettroit bon remède, estant résolue de vous guarder, comment que ce fût, inviolablement l'amityé: que, des choses d'Escoce, l'entreprinse du chasteau de Lillebourg estoit bien advancée, en laquelle, ny en chose qui se traictât par dellà, vous ne trouveriez qu'il s'y fît rien à vostre préjudice; et puisque le comte de Morthon ne respondoit rien sur le voyage du Sr de Vérac, il monstroit bien qu'il ne vouloit pas qu'il y allât; néantmoins qu'elle remettoit en la liberté du dict Sr de Vérac de s'y acheminer ou de s'en retourner en France.

Je luy ay réplicqué, Sire, sur les deux derniers poinctz que, de tant que, pour l'amour d'elle, vous aviez faict fère une publication, incontinent après la retraicte du dict de Montgommery, qu'on eût à bien recepvoir les Angloys en vostre royaulme, que je la supplioys de fère aussy, pour l'amour de vous, publier maintenant une deffence au sien que nul eût à suyvre les entreprinses du dict de Montgommery, puisqu'il avoit monstré acte d'hostillité contre vous; et, touchant l'Escoce, qu'elle me déclarât ouvertement si elle vouloit demeurer aulx termes du traicté, à procurer, conjoinctement avec Vostre Majesté, la paix du pays, ou bien si je vous manderois qu'elle délibéroit d'y poursuyvre les choses par les armes; et que je la supplioys de trouver bon que je débatisse plus amplement ces deux faictz avec les seigneurs de son conseil, affin que j'eusse tant plus de commodité de traicter avec elle de l'aultre principal, et plus agréable propos, sur lequel, de tant que la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc m'avoient commandé de recouvrer, le plus tost que je pourrois, la responce qu'elle voudroit fère à leurs lettres, et de procurer qu'elle la leur fît si clère, sur la réalité de leur offre, qu'il n'y peût rester aulcune ambiguyté, je la supplioys bien humblement me donner moyen de leur bien satisfère.

Elle a respondu qu'elle trouvoit bon de me bailler ses lettres, et de me toucher encores quelque mot de ce qu'elle manderoit dedans; c'est qu'elle estoit en peyne de ce que la Royne, vostre mère, avoit estimé mal honnorable que Monseigneur le Duc vînt icy sans assurance de mariage, et que néantmoins, sans l'avoyr eu, elle offroit maintenant l'y laysser venir; dont desiroit estre satisfaicte de la diversité de l'occasion, et estre bien assurée que, au cas que le mariage ne peût succéder, que Mon dict Seigneur le Duc n'en sentiroit pourtant aulcune offance en son honneur, ny n'en viendroit aulcune diminution en vostre mutuelle amityé; et que, ce faict, s'il plaisoit à Mon dict Seigneur le Duc de passer en ce royaulme, il y seroit le très bien venu, et elle mettroit peyne de l'honnorer sellon sa grandeur et sellon celle de vostre couronne d'où il estoit, comme s'il fût ung empereur, et, aultant qu'il seroit en elle, et en toutz ses moyens, et de ceulx de son royaulme, de le pouvoir mieulx fère; et que, des seuretés, oultre que Voz Majestez n'en debvoient nullement doubter, elle les bailleroit si bonnes et si grandes comme je les voudroys demander; et qu'on luy avoit bien voulu fère remarquer, en ceste offre de l'entrevue, que ce n'estoit sinon après la prinse de la Rochelle, et que, si la Rochelle n'estoit prinse, l'on ne luy offroit rien, ou bien que, puis après, l'on se mocqueroit, possible, d'elle, mais qu'elle considéroit bien que cella estoit plus procédé de l'affection que Voz Majestez avoient à la réduction de ceste place, que non pour mettre, de vostre part, aulcung retardement au propos.

Je luy ay répliqué, Sire, qu'à la vérité il n'avoit esté faict mencion de la Rochelle, sinon parce que Monseigneur le Duc n'avoit peu, avec son honneur, parler aultrement, ny laysser ceste entreprinse de guerre, qui touchoit grandement à voz affères et à la réputation de Monsieur, et à la sienne mesmes, pour venir à une aultre entreprinse, qui estoit pleyne de tout plésir et contentement; et, quand au doubte, dont elle desiroit estre satisfaicte, premier que déclarer sa volonté sur l'entrevue, qu'il n'estoit besoing d'attendre plus grand esclarcissement que celluy qui apparoissoit assez de ce qu'après une tant expresse protestation, qu'elle vous avoit faicte en cella, Voz Majestez n'avoient layssé de luy offrir l'entrevue; et qu'elle debvoit excuser l'affection maternelle qui avoit faict desirer à la Royne, premier que d'envoyer son filz, de pouvoir mettre ung peu plus de seureté en son affère que les difficultez, que le Sr de Walsingam luy avoit proposé de la religion, ne luy permettoient d'en prendre, lesquelles difficultez sembloient estre ung refus; et que je luy voulois dire tout librement que, si Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, sçaviez certaynement ou pensiez qu'elle deût refuzer Mon dict Seigneur le Duc, qu'en nulle façon du monde vous luy permettriez d'y venir, mais que, sur ce qu'elle m'avoit dict qu'elle n'estoit si maulvayse ny si desloyalle qu'elle eût voulu mettre en avant la dicte entrevue, en intention de le refuzer, ains pour l'épouser de bon cueur, s'il plaisoit à Dieu qu'ilz se peussent complayre, et qu'elle vouloit résoluement se marier, vous luy aviez consenty qu'il la peût venir voyr; et pourtant je la supplioys de remettre maintenant, sans aulcune condicion, à Voz Majestez Très Chrestiennes et à luy, d'accomplir son voyage, quand vous verriez qu'il luy seroit commode et honnorable de le fère.

Sur cella elle m'a respondu qu'elle avoit bien cognu, par les propos de messire Walsingam, que la Royne, vostre mère, avoit prins pour chose arrestée ce qu'il luy avoit seulement dict par manyère de devis, du faict de la religion, de Monseigneur le Duc, qu'il se debvoit contenter de la liberté de conscience sans aulcung exercice privé ny externe de sa dicte religion, mais elle avoit tousjours prétandu que cella seroit réservé entre eulx deux; et que, de la déclaration que je vous avoys mandée, qu'elle se vouloit marier, et qu'elle n'avoit intention de refuzer Mon dict Seigneur le Duc, s'ilz se pouvoient complaire, qu'elle estoit très vraye, néantmoins qu'elle desiroit bien fort pouvoir estre esclarcye du doubte que la Royne, vostre mère, avoit eu de l'honneur de luy, bien que, sur les raysons que je venois de lui déduyre là dessus, lesquelles luy sembloient fort considérables, elle y penseroit encores, premier que d'escripre ses lettres, et que je pourrois, quand je traicterois avec ses conseillers des aultres deux poinctz, leur parler aussy de cestuy cy.

Et me licenciant ainsy de la dicte Dame avec plusieurs aultres bien honnestes parolles, elle commanda à milord trézorier, au comte de Sussex et mestre Smith, qui estoient là présentz, de conférer à loysir avecques moy. De laquelle conférance, Sire, après que les choses ont esté débatues, de chacun costé, aultant avant qu'il s'est peu fère, et dont le Sr de Vérac est intervenu en celles qui concernoient l'Escoce, iceulx du conseil ont volu encores rapporter le tout à leur Mestresse. Et, depuis, s'en est ensuivy que la dicte Dame a faict, quand à l'entrevue, la responce qui est contenue ez lettres qu'elle escript à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, et qu'elle a mandé au pays d'Ouest de n'aller pas ung à la Rochelle, ou que ce sera à leur damp, et qu'elle a fait expédier passeport au Sr de Vérac jusqu'à Barvic, où luy et le Sr de Sabran se sont desjà acheminés, affin que, si l'on faict difficulté à l'ung, l'aultre puisse passer en Escoce. Et sur ce, etc.

Ce XXIIIe jour de may 1573.

CCCXIXe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour de may 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Motifs qui ont déterminé la réponse d'Élisabeth au sujet de l'entrevue demandée.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, quand la Royne d'Angleterre vous a deu rendre la responce, que je vous ay mandée par le Sr de Vassal, ceux de son conseil, qui ont esté appellés pour en dellibérer avec elle, luy ont trop curieusement interprété les circonstances de l'offre de l'entrevue, car luy ont donné entendre qu'elles monstroient plus d'artiffice pour contenir l'Angleterre pendant les troubles de vostre royaulme, qu'il n'aparoissoit en Voz Majestez, de volonté par après, de l'effectuer. De quoy ne les ayant le Sr de Walsingam, à son retour, peu assez bien esclarcyr, ou ne l'ayant ozé fère, ilz ont, à ce que j'entendz, induict la dicte Dame de respondre assez artificieusement aulx petites lettres de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur le Duc; de quoy les siennes vous auront faict foy de ce qui en est, car je vous ay seulement représanté les propos qu'elle m'en a tenus. Tant y a, Sire, qu'il se voyt clèrement que la matière est si affectée en ceste court que, ny ceulx, qui la desirent, veulent qu'on la délaysse, ny ceulx, qui la creignent, permettent qu'elle soit conclue; et m'a l'on assuré qu'on l'entretiendra toujours en cest incertein, jusques à ce que, par ung langage cler et non condicionné de vostre part, Voz Majestez Très Chrestiennes auront contreinct la dicte Dame de vous y respondre de mesmes. Tant y a que puisque ceste princesse monstre quelque modération procédante d'elle mesmes, il semble, Sire, qu'il sera expédiant, en ce temps, que la supportiez ung peu sur l'impétuosité de ses subjectz; et que néantmoins renforciez si bien vostre armée de mer et pourvoyez en si bonne sorte à vostre frontière, ainsy comme avez faict jusques icy, que ceulx, qui y voudront entreprendre, n'en puissent rapporter que beaucoup de honte et beaucoup de dommage.

J'entendz que l'artillerye n'a encores faict grand effort contre le chasteau de Lillebourg, et que le comte de Morthon a commancé d'avoyr suspectz aulcuns des principaulx qui avoient suivy le party de la Royne d'Escoce, nonobstant l'accord qu'ilz ont faict avecques luy, dont demande davantage de forces de ce costé; et je creins assez qu'on luy en baillera. L'on m'a dict qu'il menoit un traicté de livrer le petit Prince d'Escoce aulx Angloys, et que ce qui est allé d'hommes, d'artillerye et de monitions, par dellà, et les ostages qu'on a prins de ce costé, a esté plus à ces fins qu'en intention d'espugner le chasteau; et que cella a esté aulcunement découvert, ou aulmoins l'on en a eu tant de souspeçon qu'il y a esté remédyé; et je sçay que la grand mère a dict icy que le petit Prince, son petit filz, estoit en très grand danger, dont prioit Dieu qu'elle le voulût préserver. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de may 1573.

CCCXXe DÉPESCHE

—du IIIe jour de juing 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques.)

Audience.—Négociation du mariage.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle ne livrera pas le comte de Montgommery au roi; protestation de sa part qu'elle ne lui donnera aucun secours.—Affaires d'Écosse.—Seconde audience.—Communication de la décision des états de Pologne, qui ont fait élection du duc d'Anjou pour leur roi.—Capitulation de Lislebourg.—Satisfaction de la reine sur l'élection du duc d'Anjou.

Au Roy.

Sire, avant que recepvoir vostre dépesche, du vingt quatriesme du passé, j'avoys esté parler du contenu en celle du dix huictiesme auparavant à ceste princesse pour, en premier lieu, la prier que si, sur le faict de l'entrevue, elle ne vous avoit par ses lettres et par son ambassadeur respondu si clèrement et sans condicion, comme le requéroit la réalité de l'offre que luy aviez faicte, elle me voulût dire maintenant quelque chose qui peût supléer à la satisfaction de ce que Voz Majestez Très Chrestiennes en desiroient; que s'estant le comte de Montgommery, ainsy qu'on vous l'avoit dict, retiré par deçà pour y recouvrer nouveaux secours, affin de tenter de rechef l'entreprinse, qu'il avoit une foys fallye, de mettre du refraychissement dans la Rochelle, que, non seulement elle ne voulût permettre qu'il en tirât pas ung de ce royaulme, mais qu'elle le feist saysir et ses complices, pour les remettre en voz meins, affin d'en fère justice, parce qu'ilz s'estoient desjà efforcés de vous fère la guerre, et de rompre la bonne confédération d'entre ces deux royaulmes; que Vostre Majesté avoit trouvé bien estrange qu'elle eût envoyé des forces et de l'artillerye en Escoce; et desiriez sçavoyr si elle vouloit demeurer aulx bons termes du traicté, de procurer conjoinctement une bonne paciffication dans le pays, ou bien y procéder par les armes, luy racomptant, au surplus, de l'estat du siège de la Rochelle, et des aultres exploictz qui se faysoient en vostre royaulme, sellon qu'il estoit contenu dans voz lettres.

A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'elle espéroit que Voz Majestez, touchant l'entrevue, resteroient assez bien satisfaictes de ce qu'elle vous en avoit mandé par ses lettres, et faict dire par son ambassadeur, et qu'elle desiroit bien fort estre esclarcye si c'estoit par la seule importunité de Monseigneur le Duc, lequel elle estoit bien advertye, de plusieurs endroictz, qu'il avoit beaucoup d'honneste affection vers elle, ou bien si la volonté de la Royne, vostre mère, avoit concoru libérallement à ce que ceste offre se feist, attandu que auparavant elle l'avoit contredicte, sinon qu'elle veist le mariage tout assuré: dont attandoit là dessus une dépesche de son ambassadeur, après laquelle il n'y auroit plus de remises que celles que Voz Majestez Très Chrestiennes y voudroient mettre; qu'elle me pouvoit jurer, avec vérité, qu'elle ne sçavoit, en façon du monde, que le comte de Montgommery fût en ce royaulme, et, quand il y viendroit, elle vous respondroit de mesmes que feist le feu Roy, vostre père, à la feu Royne Marie, sa sœur,—«Qu'il ne vouloit estre le bourreau de la Royne d'Angleterre;»—Et ainsy, que Vostre Majesté l'excusât, si elle ne vouloit être le bourreau de ceulx de sa religion, non plus qu'il ne l'avoit voulu estre de ceulx qui n'estoient pas de la sienne, mais qu'elle vous promettoit qu'elle le guarderoit bien qu'il ne fît rien contre Vostre Majesté, et qu'il ne retournast plus à ce que, sans qu'elle le sceût, ny le consentît, il avoit une foys entreprins; et qu'il estoit bien vray, comme je le disoys, que la comtesse de Montgommery, accompaignée des parantz et amys de son mary, avoient esté vers elle pour la prier de beaucoup de choses, mais qu'elle leur avoit respondu qu'elle n'avoit esté du premier conseil du dict comte, et ne vouloit estre du segond; et avoit esté bien esbahie comme il n'avoit voulu accepter les bonnes offres de Vostre Majesté, et que la dicte comtesse luy avoit respondu qu'il s'estoit trop légièrement obligé, par promesse et par sèrement, à ceulx de la Rochelle, de leur admener le secours, non en intention que ce fût contre l'honneur et le service de Vostre Majesté, mais pour donner quelque respict aulx assiégés, et aulx aultres de leur party, de pouvoir impétrer aulcunes tollérables condicions, pour la seureté de leur vye et de leur religion, et qu'il avoit à se pleindre infinyement de ce que les Angloys ne luy avoient quasy rien tenu de ce qu'ils luy avoient promis: et que la dicte comtesse avoit exprimé cella, avec tant de larmes et avec tant d'humbles requestes, assistées de celles de ses amys, qu'ilz l'avoient assez esmue, mais néantmoins qu'elle ne leur avoit octroyé, ny octroyeroit, rien qui peût estre contre Vostre Majesté;

Que, des choses d'Escoce, elle m'avoit naguyères respondu, ce qu'elle me confirmoit de rechef, qu'elle ne prétandoit qu'il y fût attempté par armes, ny par traicté, aulcune chose, au préjudice ou diminution de l'allience de France, et que seulement elle avoit satisfaict au desir des Estatz du pays, aulxquelz elle estimoit que Vostre Majesté avoit aussy intention de satisfère; et que le Sr de Vérac pourroit maintenant cognoistre comme elle y avoit procédé; que, quand au siège de la Rochelle, et les aultres exploictz de guerre de vostre royaulme, elle les déploroit en toutes sortes pour voyr que la clémence du prince vers les subjectz, et l'obéyssance des subjectz vers leur prince, et la socialle amityé d'entre les mesmes subjectz, estoient converties en aultres bien contrayres effectz de fureur, de désobéyssance, et d'une très violente inimityé, dont n'y avoit personne, soubz le ciel, qui desirât plus d'y voyr bientost quelque bon remède qu'elle faysoit. Et a terminé ceste audience en plusieurs semblables propos, pleins de grande bienvueillance vers Vostre Majesté.

Depuys, aussytost que le courrier a esté arrivé avec la dépesche, du vingt quatriesme du présent, j'ay renvoyé supplier la dicte Dame de me vouloir ouyr sur aulcunes choses, que me commandiez de luy fère incontinent sçavoir. De quoy elle s'est assez esbahye que ce pouvoit estre, et m'a pryé que je luy concédasse ung jour pour satisfère à ses mèdecins, qui luy avoient ordonné quelque chose pour le mal de teste que j'avois veu qu'elle avoit.

Cepandant, Sire, l'aultre courrier angloys, qui m'a apporté vostre aultre dépesche, du vingt cinquiesme du passé, est arrivé, sur laquelle, après avoyr, à meins joinctes, et les genoux en terre, loué et remercyé Dieu de l'élection de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, à la couronne de Pouloigne, j'en suis allé porter la nouvelle à la dicte Dame, et luy en ay faict l'expresse conjouyssance, que Voz Majestez me commandoient, avec le récit en quoy en sont les choses, sellon que voz ambassadeurs vous l'avoient escript; et que vous la priez de croyre que, tant plus vous viendroit d'augmentation de grandeur et de puissance, et plus d'accessions de biens et d'honneur à vostre couronne, plus Voz Majestez se confirmoient de vouloir honnorer et aymer la dicte Dame; et pourchassiez tousjours beaucoup plus instamment, en temps de voz prospéritez, que non en voz adversitez, l'accomplissement de son mariage avec Monseigneur le Duc, vostre frère, luy faysant là dessus une particullière mencion du grand desir que Mon dict Seigneur le Duc avoit de la venir bientost mettre en possession de l'entier et pur don qu'il luy avoit faict de luy mesmes.

A quoy la dicte Dame, surprinse de quelque admiration d'une si grande nouvelle, comme est celle de l'élection de Mon dict Seigneur, m'a respondu qu'elle vous remercyoit infinyement de la bonne et prompte part, qu'il vous plaisoit luy fère, de la joye, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, en aviez reçue; qui estoit si grande en elle, qu'elle avoit de quoy mutuellement s'en resjouyr à non moindre mesure avec Voz Majestez; et qu'il y avoit plusieurs considérations de la concurrence des compéditeurs, de la rarité de l'acte, et de l'occasion des temps, qui rendoient ceste élection très ample et très honnorable pour vostre couronne, et bien heureuse pour voz meilleurs alliez, desquelz elle vous prioit de croyre que nul en sentiroit le plaisir plus parfaict et accomply qu'elle.

Et s'estant eslargie en divers propos et en aulcunes assez curieuses demandes là dessus, sçavoyr: si l'Empereur se trouvoit offancé? si Mon dict Seigneur feroit maintenant la guerre aux Turcs? s'il l'auroit contre le Moscovite? s'il espouseroit la princesse de Pouloigne? quand il pourroit partir pour ce voyage? et s'il laysseroit le siège de la Rochelle pour y aller? Et luy ayant respondu à tout avec le plus de discrétion que j'ay peu, elle est venue, quand à Monseigneur le Duc, à me dire qu'elle luy restoit très obligée à jamais pour sa persévérance vers elle, laquelle toutesfoys elle pensoit bien que ne seroit semblable, ou aulmoins ne dureroit guyères, s'il l'avoit une foys veue ainsy passée d'aage comme elle est; et que les doubtes et difficultez, qu'elle voyoit en cest affère, et l'escrupulle que la Royne, vostre mère, avoit faict de l'honneur de Mon dict Seigneur le Duc, son filz, en cest endroict, joinct que deux ans s'estoient desjà écoulés depuis le propos encommancé, elle estoit quasy réduicte à ne debvoir plus penser de se maryer, ny donner la peyne à Monseigneur le Duc de venir.

Sur quoy luy ayant faict et redoublé toutes les réplicques, que j'ay estimé opportunes, pour rejetter bien loing ceste sienne dellibération, elle m'a dict qu'elle attandroit ce que, sur sa dernière responce, il vous plairoit luy fère entendre. Et puis, d'elle mesmes, a adjouxté que, depuis vingt quatre heures, elle avoit entendu que le comte de Montgommery estoit arrivé à l'isle de With, et que soubdein elle luy avoit dépesché sir Artus Chambernan pour l'advertyr qu'elle ne tenoit en si peu vostre amityé, qu'elle luy voulût permettre de venir en sa court, au retour de telz exploictz qu'il venoit de faire, et qu'elle vous assuroit, Sire, qu'il ne tireroit aulcun moyen de ce royaulme pour vous nuyre; et, quand aulx choses d'Escoce, si le Sr de Vérac trouvoit maintenant sur le lieu qu'elles n'allassent sellon le traicté, qu'elle seroit preste de les redresser fort volontiers de sa part. Qui est, en substance, tout ce que, pour ceste foys, j'ay peu recueillir des propos de la dicte Dame.

Et, au partir d'elle, j'ay conféré avec milord trézorier, avec milord de Lestre et Me Smith, les troys ensemble, et puis fort amplement avec chacun à part, pour voyr si, de leur propos, je pourrois tirer aulcune conjecture sur les choses de vostre segonde lettre que j'ay moy mesmes déchiffrée. Et, après qu'ilz ont eu, aussy bien que leur Mestresse, admiré l'élection de Monseigneur, ilz m'ont dict, touchant le propos de Monseigneur le Duc, que, quand Vostre Majesté voudroit remettre les choses au mesme trein qu'elles estoient auparavant l'évènement de Paris, ou aulmoins non tant hors de chemin comme elles vont maintenant, que vous retrouveriez leur Mestresse, et eulx, au mesme endroict que vous les aviez layssés. Et m'ont confirmé, au reste, ce que leur Mestresse m'avoit dict du comte de Montgommery et de l'Escoce, et qu'après qu'ilz auront plus amplement devisé avec la dicte Dame ilz traicteront, ung jour de ceste sepmayne, davantage avecques moy. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1573.

Je suis en quelque traicté avec la comtesse de Montgommery, par interposées personnes, de fère retourner son mary à l'obéyssance de Vostre Majesté; et, s'il vous plaist, Sire, que je luy permette de venir parler à moy, l'on me donne espérance que je le pourray réduyre. L'on me vient d'advertyr que le comte de Morthon et les Angloys, qui sont devant le chasteau de Lillebourg[19], ont capitulé avec ceulx de dedans, et que le chasteau recognoit maintenant le jeune Prince à Roy.

A la Royne

Madame, je n'allay jamais avec plus d'ayse, ny avec plus de parfaicte affection, porter aulcune nouvelle, en part du monde, que je feys, hier, à ceste princesse, celle de l'élection qu'ont faict les Estatz de Pouloigne de Monsieur, vostre filz, pour leur Roy, et vous prometz, Madame, que j'ay miz peyne de fère voyr à la dicte Dame combien il plaist à Dieu de bénire voz enfans; qui les ayantz faictz princes très royaulx d'extraction, les faict encores devenir Roys par élection, et qu'elle pouvoit cognoistre par là combien elle confirmeroit son vouloir avec celluy de Dieu, de fère aussy élection de Monseigneur le Duc, vostre troysiesme filz, pour la venir accompaigner à ceste couronne.

Elle a monstré de réputer ceste nouvelle pour la plus grande et la plus honnorable pour le Roy, et la plus comble de félicité pour Vostre Majesté, et la plus pleyne d'esplandeur et de gloyre pour Monsieur, et encores la plus heureuse pour la France, que nulle aultre qui fût advenue, depuis que le royaulme est estably; et m'a dict que, oultre la part que luy aviez faicte de vostre joye, elle en prenoit ugne aultre en elle mesmes de celle qu'elle imaginoit estre si accomplye en vous, qu'elle surabondoit beaucoup pour elle, et pour toutz ceulx qui, comme elle, aymoient et honnoroient parfaictement Vostre Majesté.

Et, bien qu'elle m'ayt faict, là dessus, quelques assez curieuses demandes, et m'ayt tenu des propos assez remis et froidz, touchant l'aultre faict de Monseigneur le Duc, si m'a elle dict que ceste nouvelle élection de Monsieur vous debvoit fère espérer l'accomplissement du reste de la prophétie, qu'on vous avoit donnée, que vous verriez toutz voz enfans Roys, et que mesmes ce ne seroit sellon la maulvayse interprétation que aulcuns en faysoient, que cella se debvoit entendre de la mesmes couronne de France, l'ung après l'aultre, car Dieu feroit que vous les verriez toutz troys, à la foys, roys de troys grandz royaumes, et a monstré la dicte Dame de fouyr d'un costé, et de se fère poursuyvre par ung aultre, sur le dict propos de Monseigneur le Duc. Dont est besoing, Madame, de la fère parler, ceste foys, si cler qu'il n'y puisse rester aulcune particulle d'ambiguyté. Et je trouve, Madame, que surtout il est expédiant que le comte de Lestre soit promptement gratiffié de quelque honneste présant, et pareillement milord trézorier, et toutz deux entretenuz de quelques gracieuses lettres de la mein de Vostre Majesté et de Monseigneur le Duc. Car l'on s'esforce, à grand pris, de les attirer à ung aultre party fort contrayre au vostre, et ne pourra ce qu'employerez en cest endroict estre perdu, car aulmoins retiendront ceulx cy ceste princesse, et ce royaulme, tousjours à vostre intelligence pour cepandant conduyre voz affères ailleurs. Sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1573.

CCCXXIe DÉPESCHE

—du VIe jour de juing 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrétère.)

Conseil tenu en Angleterre à l'occasion de l'élection du roi de Pologne.—Sollicitations de nouveaux secours pour le comte de Montgommery et la Rochelle.—Certitude de la reddition de Lislebourg.—Communication secrète faite au roi par le prince d'Orange.

Au Roy.

Sire, après avoyr, dimenche dernier, notiffié à la Royne d'Angleterre l'heureuse élection du Roy de Pouloigne, vostre frère, toutz ceulx de son conseil se sont, le lundy et mardy, assemblés à Grenvich pour prendre, sur ceste grande nouvelle, nouvelles résolutions ez choses de France; qui ne sçay encores quelles elles sont. Il est vray que s'estantz lors les amys du comte de Montgommery présentés, avec plus d'instance que jamays, pour luy impétrer ung nouveau renfort, ou quelques nouvelles provisions, ilz n'ont pas esté tant esconduictz des dictz du conseil comme ilz ont esté reboutés de la dicte Dame.

J'ay sceu aussy, Sire, qu'après le dict conseil à Grenvich, un party de cent mille escus a esté conclud et arresté en ceste ville, pour en estre faict le payement, par tout ce moys de juing, à Noremberg, Hambourg et Couloigne, mais la pluspart à Noremberg, au mandement du duc de Cazimir ou du duc Christofle son frère, (dont vous plaira, Sire, fère prendre garde en Allemaigne;) et que, d'aultre costé, l'on a ordonné que le comte d'Essex, avec troys ou quatre mille angloys, et bonne provision d'argent et de monitions, passera en Irlande pour réprimer les saulvages qui commancent de rechef à tumultuer.

L'on a aussi dépesché en Escoce pour advertyr le Sr de Quillegreu que, commant que ce soit, il y ayt à mettre l'accord; mais cepandant est arrivé l'advertissement comme le chasteau de Lillebourg est rendu au jeune Roy, bien qu'on ne publie encores à quelles condicions: dont je creins qu'il y ayt couru de l'argent, et que, pour la réputation, l'on a voulu que le canon ayt tiré, premier que parler de se rendre.

Le Sr de Lumbres, en venant de Hollande, a esté prins sur mer par des pirates angloys, qui ne le cognoissoient poinct, et l'ont descendu par deçà. Il doibt aller trouver demein ceste princesse à Grenvich; et aujourdhui, bon matin, il a mandé secrettement quérir ung de mes plus confidans gentilshommes pour me communiquer chose qui importoit à vostre service, dont luy ay envoyé le Sr de Vassal; et il m'a mandé qu'il estoit dépesché vers Vostre Majesté par le prince d'Orange son mestre, et qu'il me prioit de vouloir envoyer quérir en dilligence son passeport par ung des miens, à qui il commettroit son pacquet pour luy passer la mer avec ung de ses gens qui l'yroit attandre à Abbeville, parce qu'on avoit aulcunement icy suspecte sa venue. Sur ce, etc. Ce VIe jour de juing 1573.

CCCXXIIe DÉPESCHE

—du IXe jour de juing 1573.—

(Envoyée à la court par le Sr de Vérac.)

Départ de Mr de Vérac pour retourner en France.—Son audience de congé.—Ses plaintes de n'avoir pu se rendre en Écosse.—Excuses données par la reine.—Ses protestations qu'elle n'a voulu porter aucune atteinte au traité.—Favorable disposition d'Élisabeth sur la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, n'ayant esté possible au Sr de Vérac, en façon du monde, de passer en Escoce, par l'empeschement que le comte de Morthon, ou bien ceulx cy, et, par advanture, eulx et luy tout ensemble, luy ont faict, il va retrouver maintenant Vostre Majesté pour luy compter le succès de son voyage, et comme (sur la pleincte que j'ay faicte à la Royne d'Angleterre que, ayant le dict Sr de Vérac couru tout ce royaulme, et veu les bords de celluy d'Escoce, il s'en retournoit sans s'estre apperceu que, en l'ung ny en l'aultre, luy eut esté uzé ce qui se debvoit à l'allience ancienne, ny ce qui s'espéroit de la rescente confédération avec Vostre Majesté,) la dicte Dame s'en est non petitement troublée. Laquelle a incontinent appelé ceulx de son conseil, en présence du dict Sr Vérac, pour se plaindre bien fort aygrement à eulx de ceste faulte, et a monstré, avec parolles et visage plein de courroux, qu'elle vouloit bien fort en demeurer excusée vers Vostre Majesté; et, m'ayant tiré à part, m'a juré que son intention avoit esté que le dict Sr de Vérac passât, ou bien, si le comte de Morthon ne le vouloit aulcunement permettre de luy, que ce fût aulmoins le Sr de Sabran; et que, quand il playroit à Vostre Majesté d'y envoyer quelqu'ung, elle offroit, dez à présent, le passage sans aulcune difficulté; et que, quand à ce qui estoit advenu du chasteau de Lillebourg, elle vous envoyeroit ung gentilhomme exprès pour vous en donner si bon compte, que Vostre Majesté cognoistroit qu'elle n'y avoit procédé sinon jouxte le traicté, pour ayder à réduyre a l'obéyssance du jeune Prince, son nepveu, ceulx qui tenoient fort dans le dict chasteau, et garder qu'ilz ne nuysissent à elle, sans y avoyr rien retenu en sa puissance, ny rien altéré de l'ancienne allience que Vostre Majesté a avec les Escouçoys.

A quoy je luy ay respondu que le dict Sr de Vérac ne pouvoit fère qu'il ne vous racomptât au long ce qui luy estoit advenu, et ce qu'il avoit apprins en son voyage, et qu'à Vostre Majesté, puis après, seroit de juger si les articles du traicté avoient esté bien guardés, ou non, en ceste entreprinse d'Escoce; car, puisque j'étois l'un de ceulx, qui avoient été présentz, quand elle avoit levé la mein à Dieu pour les jurer, je ne voulois mal juger de sa conscience, ains voulois laysser ce propos pour luy fère entendre ce que Vostre Majesté me commandoit de luy dire de celluy de l'entrevue. Et ainsy ay passé à luy réciter, par le menu, tout le contenu de vostre lettre du XXXe du passé; et lui ay baillé celle que la Royne, vostre mère, luy escripvoit; qui me semble, Sire, qu'après qu'elle l'a eue leue fort distinctement, et qu'elle a eu fort bien prins les raysons que je luy ay déduictes, et celles que, sur les siennes, je luy ay réplicquées, elle est demeurée mieulx disposée vers l'entrevue et vers le mariage, que je ne l'y avoys vue de longtemps, et m'a promis de vous y mander bientost une si bonne responce, qu'elle espéroit qu'elle vous contanteroit.

Or, Sire, le Sr de Vérac vous comptera en quoy en restent les choses, et qu'est ce qu'avons entendu de la capitulation du dict chasteau de Lillebourg, et du malcontantement qu'en ont eu les principaulx seigneurs d'Escoce, qui se sont départis, à ceste occasion, la pluspart, d'avec le dict Morthon, et ce qui nous semble qui pourroit estre maintenant uzé par dellà pour vostre service, ensemble d'aulcuns propos que j'ay esté d'advis qui fussent suivys avec ceulx de la Rochelle, qui sont icy. Sur ce, etc. Ce IXe jour de juing 1573.

CCCXXIIIe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de juing 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Délibération des seigneurs du conseil sur la négociation du mariage.—Mission donnée au capitaine Orsey de passer en France.

A la Royne

Madame, ayant la Royne d'Angleterre trouvé en la lettre, que vostre Majesté luy a escripte, du XXe du passé, aultant de satisfaction comme elle en demandoit pour le faict de l'entrevue, et plus qu'elle n'en avoit espéré, je l'ay fort instamment priée que, puisque la volonté du Roy et celle de Vostre Majesté, et toutes celles qui sont dans le cueur de Monseigneur le Duc, avec sa mesmes personne, venoient estre si entièrement remises en sa mein qu'elle n'avoit rien plus que doubter de vostre costé, qu'elle voulût aussy du sien maintenant se résouldre si bien à la correspondance, laquelle vous aviez tousjours espéré d'elle, que n'eussiez aulcune occasion de vous en douloir; et que pourtant elle voulût accepter la dicte entrevue, et fère expédier les seuretés que je demandois. A quoy la dicte Dame a monstré, en plusieurs sortes, qu'elle y avoit si bonne disposition que j'ay espéré de pouvoir promptement tirer d'elle une responce du tout conforme à ma demande; mais milord de Burgley, qui n'a ozé procéder seul en cella, a trouvé moyen de fère assembler les seigneurs de ce conseil pour leur proposer le contenu de vostre dicte lettre, affin que, par l'honnesteté d'icelle, et de l'offre que Vostre Majesté y fesoit, ils fussent induictz d'approuver non seulement l'entrevue, mais tout ce qui se doibt espérer d'icelle.

Dont est advenu que la dicte Dame m'a faict communicquer les argumentz qu'ilz ont débatus entre eulx, qui, encores que milord de Burgley ayt monstré de fère grand cas qu'il eût gaigné ung poinct, qu'il dict estre fort nécessayre à l'advancement du propos, (c'est de l'avoir faict de rechef approuver par le dict conseil;) si, luy ay je faict cognoistre qu'il ne pouvoit revenir à vostre satisfaction qu'en lieu que la Royne, sa Mestresse, et eulx debvoient accepter vostre offre, et vous envoyer incontinent les seuretés, elle et eulx ayent mis en termes quelque aultre chose. Et, à dire vray, Madame, encores que je trouve, en ceste princesse et en toutz les siens, une trop plus ouverte et meilleure disposition vers cest affère que, dix moys a, je ne les y avoys veus, et que le comte de Lestre semble s'y affectionner grandement, et le dict milord de Burgley aussy, à l'envy l'ung de l'aultre, et que le comte de Sussex, Me Smith et aultres monstrent d'y convenir, et allèguent toutz des occasions grandes et nécessayres du dict mariage pour leur Mestresse et son estat, si ne me peut nullement playre ceste leur responce; et j'ay tant de preuves de l'inconstance et changementz de leurs dellibérations que je ne puis prendre grande espérance, ny ne veulx fère guyères espérer à Vostre Majesté d'eulx, sinon aultant que j'en toucheray avec la mein, et que j'en verray par effect. Dont vous supplye très humblement, Madame, que, pendant que l'affère est fervant et chauld, il vous playse incister qu'il soit du tout accomply ou bien du tout délayssé.

Et m'a quelqu'un adverty que toutes choses sont icy maintenant pour vous, et qu'il y a une occulte occasion dans ce royaulme qui vous dispose assez bien cest affère pour le rendre effectué avant le prochein septembre, s'il est bien vifvement mené, mais, s'il ne s'accomplit entre cy et là, il n'y a apparance qu'il se puisse jamays plus conduyre. Le cappitayne Orsey, lequel elle envoye maintenant par dellà, a esté pensionnayre du feu Roy, vostre mary, et monstre avoir bonne inclination à la France; il est tout entièrement du comte de Lestre; et la Royne faict cas de luy. Sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de juing 1573.

CCCXXIVe DÉPESCHE

—du XXe jour de juing 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Bouloigne par le Sr Cavalcanti.)

Déclaration faite par Burleigh à l'ambassadeur que, si la paix n'est pas promptement rétablie en France, la reine d'Angleterre est décidée à prendre parti pour les protestans.—Efforts de l'ambassadeur pour s'opposer à cette résolution.—Affaires d'Écosse.—Mission du capitaine Orsey.

Au Roy.

Sire, le cappitayne Orsey partira dans bien peu d'heures, d'icy, pour aller trouver Voz Majestez, avec la responce que faict, de sa mein, la Royne, sa Mestresse, aulx lettres que la Royne, vostre mère, luy avoit escriptes. Sa dicte Mestresse et ceulx de ce conseil ont entendu les effortz qui ont esté faictz, ainsy qu'ilz disent, le XXVIIIe du passé et le Ve d'estuy cy, à la Rochelle; et m'a milord de Burgley mandé qu'elle et eulx sont fort esmeus de voyr que les choses vont à l'extrémité, et que Vostre Majesté ne veult entendre à la modération qui se pourroit bien trouver en cecy, s'il vous playsoit conférer avec les princes, intéressez en la cause de la religion, des moyens d'assurer une bonne et perdurable paix en vostre royaulme; et que la dicte Dame et eulx seroient enfin contreinctz de vous remonstrer que voz subjectz ne combattent pour vous dénier rien de ce qu'ilz vous doibvent, ny pour usurper rien qui appartienne à vostre grandeur, car recognoissent estre très obéyssantz subjectz de vostre Majesté, qui ne tiennent fermées leurs portes que pour ne souffrir la violence qu'on leur veult fère, d'abjurer leur religion, sans tenir ny ordre, ny forme, pour les instruyre, et persuader à une aultre, que seulement avec l'espée et la mort: chose qu'ilz sçavent bien que Vostre Majesté ne soufriroit qu'il se fît de mesmes, en Angleterre, vers ceulx qui sont réputez catholicques romains; et que le dict de Burgley m'avoit souvent remonstré, et remonstroit encores, que ceste cause touchoit de si près à la conscience et à la seureté de la Royne, sa Mestresse, et à la tranquillité de son estat, qu'il me vouloit librement dire que l'amityé ne pourroit aulcunement durer entre ces deux royaulmes, si Vostre Majesté continuoit de poursuyre l'extermination de leur religion, ainsy qu'il a commancé.

Je ne luy ay encores rien respondu là dessus, réservant de le fère, en présence, quand j'iray parler à sa Mestresse. Je notte bien que c'est ung trêt qui m'advertit de prendre garde à leurs déportementz, et à ce qui pourra résulter de la conférance du comte de Montgommery avec ung gentilhomme de ceste court, qu'on a envoyé parler à luy, jusques en la mayson de madame Messen, à trente mille d'icy, et à ce aussy que je pourray descouvrir qui se résouldra avec ung agent du comte Palatin, duquel l'on attand, d'heure en heure, la venue en ceste court. Néantmoins j'espère que, sur la dépesche de Vostre Majesté, du Xe du présent, laquelle je viens de recepvoir, je pourray remectre les choses en quelques meilleurs termes, et plus conformes de vostre desir. Et desjà j'ay si bien imprimé à plusieurs de ceste court que Vostre Majesté mettroit, de bref, la paix en son royaulme, et ay trouvé moyen de le fère ainsy entendre au comte de Montgommery, que ny eulx ne parlent si fort de luy bailler nouveau renfort, ny luy inciste plus tant de l'avoyr comme il faysoit auparavant. Et desjà Lorges, son filz, et la plupart des françoys, qui sont revenus de devant la Rochelle, s'embarquent pour passer en Hollande et à Fleximgues, ensemble plusieurs angloys, de ceulx qui parlent françoys, et plusieurs walons avec eulx.

Et, au regard des choses d'Escoce, l'on m'a confirmé encores aujourdhuy, Sire, qu'elles vont ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes; et m'a l'on dict davantage que le Sr de Ledington est mort, et que le comte de Morthon est après à fère tenir quelque assemblée d'Estatz, où ceulx cy s'attandent bien qu'il y fera proclamer la Royne d'Angleterre protectrice du jeune Roy, et du royaulme d'Escoce, durant sa minorité.

J'ay mis peyne de disposer le cappitayne Orsey sur trois principalles particullaritez: sçavoir, celle de la ligue, du mariage et du faict du dict Escoce, le mieulx qu'il m'a esté possible; et je croy qu'il se portera, en l'acquit de sa légation, que sa Mestresse luy a donnée là dessus, comme homme qui desire de la voyr vivre en grande et bien estroicte amityé avec Vostre Majesté. Sur ce, etc.

Ce XXe jour de juing 1573.

Le cappitayne Orsey vous fera supplication pour le comte de Montgommery.

CCCXXVe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de juing 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne.)

Audience.—Négociation du mariage.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle a chargé le capitaine Orsey d'offrir sa médiation entre le roi et les protestans de la Rochelle.—Conditions sous lesquelles elle pense que se pourrait faire le traité.

Au Roy.

Sire, aussytost que j'ay faict sçavoir à la Royne d'Angleterre que je desiroys parler à elle, elle m'a incontinent mandé venir, et a faict différer d'aultant le partement du cappitayne Orsey, affin que, si de mes propos elle comprenoit qu'il y eût quelque changement ez dellibérations de Voz Majestez, elle peût aussy fère changer quelque chose en sa dépesche; mais les propos, que je luy ay tenus, sont ceulx de vostre lettre du Xe du présent, qui concernent le faict du mariage, l'entrevue de Monseigneur le Duc, la continuation du traicté, le présent estat des choses d'Escoce, la dilligence que le Roy de Pouloigne faict de réduyre, non moins par condicions honnestes, et pleines de vostre clémence, que par force d'armes, ceulx de la Rochelle à vostre obéyssance, l'approbation de l'élection du dict Roy de Pouloigne par le commun consens de toutz les Estatz bien unis du royaulme. Et après, je suis venu à luy débattre bien fort la responce de ceulx de son conseil, et que je la prenois comme une forme de deffecte, affin que la dicte Dame s'explicquât elle mesmes à quoy elle prétandoit de fère servir ce voyage du dict cappitayne Orsey, et en quelle sorte elle entendoit de s'employer à la paix de vostre royaulme. Et puis luy ayant dict, en passant, que j'estois adverty que les ennemys de son mariage, quand ilz avoient veu qu'on esclarcissoit bien fort les principalles difficultez, s'estoient desjà efforcés d'y susciter beaucoup d'escrupulles à Voz Majestez, je luy en ay faict prendre plusieurs à elle de ces négociations qui se font avec son ambassadeur, sans toutesfoys nommer ny luy, ny ceulx qui négocient avec luy; et n'ay rien obmis de ce que j'ay estimé qui pouvoit servir de tirer, sur ces particullaritez, quelque notice de l'intention de la dicte Dame.

Et elle a monstré qu'elle estoit déjà toute préparée de ce qu'elle me debvoit dire, et m'a respondu que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, ne debviez prendre, sinon de bonne part, qu'elle eût communiqué à ceulx de son conseil l'offre que luy aviez faicte de l'entrevue, affin qu'elle ne procédât seule en ung affère, où toutz ceulx de son royaulme estoient avec elle intéressés; et qu'après avoyr ouy leurs advis, lesquelz, à dire vray, elle avoit trouvé fondés en de bien grandes considérations, elle n'avoit peu du tout leur contredire, ains avoit prins avec eulx cest honnorable expédient de fère précéder le voyage du cappitayne Orsey, affin que si Monseigneur le Duc avoit, puis après, à passer deçà, sa venue fût et plus agréable à tout ce royaulme, et plus utille à l'effaict pour quoy elle se faysoit; qu'elle avoit esleu le cappitayne Orsey, comme affectionné à vostre couronne, pour fère ceste légation, laquelle n'estoit dissemblable à celle que plusieurs aultres princes, de non meilleure qualité qu'elle, avoient bien envoyé fère, d'aultres foys, aulx feus Roys, vostre ayeul et père, en temps moins pressé qu'estui cy, qui ne s'en estoient retournés esconduictz:

«C'est, dict elle, de vous prier que vueillez donner la paix à voz subjectz, et regaigner l'obéyssance, qu'ilz vous doibvent, par clémence, en préservant leurs vyes et leur religion; et qu'elle vous offre son office en cella pour servir, premièrement, comme Royne, à la réputation et grandeur de Vostre Majesté, et, puis, comme chrestienne, à la conservation de ceulx de sa religion; et que, s'il vous plaist que le gentilhomme, qu'elle envoye, passe jusques vers le Roy de Pouloigne, vostre frère, pour davantage manifester et rendre plus cognue ceste sienne bonne intention, et mesmes le fère entendre à ceulx de la Rochelle, qu'il sera prest de s'y acheminer; et qu'elle vous supplie de croyre qu'elle tient en tel compte l'offre et la déclaration de Voz Majestez vers elle, qu'elle sera infinyement bien ayse que vous recognoissiez et trouviez, par l'effect de ceste légation, qu'elle veut commander d'en avoyr recognoissance; car Dieu void dans son cueur qu'elle la vouhe et dédie toute à l'honneur et commodicté de Vostre Majesté et de vostre royaulme, sans qu'elle y cherche la valeur d'un festu pour elle; et, vous prie que vueillez recepvoir en ceste façon ce gentilhomme, et en ceste façon en uzer; et, si voyez que ne vous en puissiez ainsy accommoder, que vous le renvoyez ardiment comme il est allé;

«Que par ceste mesmes légation, elle mande vous donner compte des choses d'Escoce, et vous fère voyr qu'il n'a esté faict préjudice, par dellà, d'ung travers d'un poil, à rien qui concerne l'allience de vostre couronne, et l'observance des traictés; qu'elle mande la responce, de sa mein, à la lettre de la Royne, Vostre mère, et se conjouyt infinyement avec elle de la prospérité du Roy de Pouloigne, son filz, et l'advertit de ne se laysser trop aller aulx persuasions de son aultre filz Monseigneur le Duc; qu'elle ne faict doubte que plusieurs ne facent de bien maulvayses sollicitations contre le propos du mariage; et qu'elle me vouloit bien dire que l'ambassadeur d'Espaigne a trouvé moyen de se rencontrer, une foys seulement, avec le sien, à Melun, pour luy en parler; et qu'après avoyr discouru des choses de Flandres, il luy a miz en avant le filz de l'Empereur, duquel luy a dict qu'encor qu'il n'ayt esté esleu Roy de Pouloigne, il ne layrra pourtant d'avoir ung beau et grand royaume.»

Et s'est la dicte Dame arrestée assez longtemps à discourir de toutz les susdictz propos, sans que je l'aye interrompue; puis je luy ay réplicqué, en bref, que, puisqu'elle dressoit tout l'effect du voyage, du cappitayne Orsey, à l'honneur et commodicté de Vostre Majesté, je la supplioys de luy commander de suyvre entièrement ce qui luy viendroit, ordonné de vostre part, de celle de la Royne Mère, du Roy de Pouloigne et de vostre conseil, qui sçaviez mieux en quoy son office vous pourroit estre honnorable et utille que nulz aultres; et que, si elle me vouloit déclarer ung peu quelz moyens elle estimeroit bon que voz Majestez uzassent en cest endroict, je vous en advertiroys incontinent. Bien la voulois prier de considérer que les douze ans derniers monstroient estre très nécessayre que vous procédissiez avec grand caution vers ceulx de la nouvelle religion, et qu'ilz fussent, de leur costé, plus modérez, à l'advenir, qu'ilz ne l'avoient esté par le passé.

Elle m'a respondu fort librement qu'elle voudroit qu'octroyssiez à voz subjectz leur religion, avec quelque exercice modéré, qui ne fût ny injurieulx, ny insolant, contre voz aultres subjectz de la religion catholicque; et qu'il vous pleût, après une si longue guerre, et après tant de troubles et de ruynes de vostre royaulme, incliner maintenant à cest expédiant par l'intermission d'elle, comme d'une princesse qui est en ligue avec Vostre Majesté, et qui a intérest à la conservation de voz forces, de vostre estat et grandeur; et que, de tant que aulcuns accidantz passés mettent voz subjectz en deffience, de ne pouvoir assez trouver de seureté ez édictz de la paciffication, parce qu'ilz disent que leurs ennemys uzent de beaucoup de moyens, et de beaucoup de conseils et d'effortz, pour tousjours les rompre, que veuillés déclarer à elle ce qu'il vous plerra leur offrir, et que, sur vostre parolle, elle leur en respondra; et a espérance qu'ilz s'y confirmeront, et se soubmettront franchement à vostre obéyssance, ou bien, si voyez que, par aultre chemin, vous vous puissiez mieulx servir de son office, elle est preste de s'y employer. En quoy, si faictes acheminer le dict cappitayne Orsey vers le Roy de Pouloigne, et à ceulx de la Rochelle, elle entend que luy baillés ung ou deux gentilhommes pour le dresser en ce qu'il aura à fère et dire, et pour estre présentz à tout ce qu'il négociera avec eulx. Et s'est fort esforcée, la dicte Dame, de me fère voyr qu'elle procédoit de la plus pure, et nette bonne volonté en cest endroict qu'il est possible, mais n'a trop dissimulé que le voyage du cappitayne Orsey ne fût aussy pour voyr quel est devenu, à ceste heure, Monseigneur le Duc.

Et, après m'avoyr parlé du progrès qu'elle va fère ceste année vers Douvre, et du costé de France, elle m'a dict comme elle avoit eu advertissement que monsieur le comte de Retz avoit assemblé une armée de mer, pour se revencher de Belle Isle sur ses isles de Gersay et de Grènesay; mais elle ne pensoit pas qu'il se voulût prendre à elle des faultes du comte de Montgommery, ny que vous le luy voulussiez permettre, et qu'elle me prioit d'en fère ung article dans ma première dépesche.

Je luy ay respondu que, par celle que j'avois naguyères receu de Vostre Majesté, vous ne monstriez d'avoyr aulcune semblable volonté, ny que Mr le comte de Retz eût dressé cest armement pour cest effect; et ainsy je me suis licencié d'elle. Sur ce, etc.

Ce XXIIe jour de juing 1573.

CCCXXVIe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour de juing 1573.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Jehan Volet.)

Fausse nouvelle de la capitulation de la Rochelle.—Assaut donné à la ville par le roi de Pologne.—Nouvelles d'Écosse et des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, sur une assés légière nouvelle, que le docteur Dailh a escripte à la Royne, sa Mestresse, le bruict a couru, deux jours durant, en ceste ville, et est allé bien loing dans ce royaulme, que ceulx de la Rochelle s'estoient rendus à Vostre Majesté ez meins du Roy de Pouloigne, vostre frère, le XVIIe du passé. De quoy ceste princesse, et les siens, entendant que c'estoit à des condicions qui n'estoient sinon assez tollérables, ilz ont faict semblant d'en estre bien ayses, et ont monstré de se disposer à quelque chose de mieulx qu'ilz n'estoient auparavant vers la France; mais, le troisiesme jour, il est arrivé ung second courrier du dict docteur Dailh, qui a porté nouvelles bien contrayres: c'est que le traicté de la composition estoit du tout rompu, parce que ceulx de dedans demandoient plus que ne portoit le dernier édict de Vostre Majesté; et que, pendant encores qu'on parlementoit avec eulx, le Roy de Pouloigne avoit faict donner feu à une mine, et, quand et quand, assault, et une escalade, dont il avoit esté repoussé et sa personne mesmes blessée, et que les choses tendoient, sans aulcun remède, à l'extrémité. De quoy les Angloys, et pareillement ce nombre de voz subjectz qui sont icy, ont commancé à penser de toute aultre chose que la paix, et croy que, sans le voyage du cappitayne Orsey, ilz l'eussent desjà plus manifesté qu'ilz n'ont. Et m'a l'on dict que celluy qui vint, sur la fin du mois de may, de la Rochelle, a dict que les assiégés estoient fermement résolus d'attandre le dernier poinct de la dicte extrémité, et mettre lors le feu en leur ville, pour fère une irruption et salie sur vostre armée de mer, ou sur celle de terre, affin d'essayer par les armes tout ce que peut le désespoir.

L'on a retiré à Barvic les forces et l'artillerye, que la Royne d'Angleterre avoit prestées au comte de Morthon, et aulcuns gentilshommes, des pensionnayres de ceste princesse, qui estoient allez à l'entreprinse de Lillebourg, sont desjà de retour, en court. Guaras, agent du duc d'Alve, a tant faict vers ceulx de ce conseil que deux cappitaynes angloys, qui alloient en Ollande, ont esté arrestez, mais il en est allé d'aultres. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIe jour de juing 1573.

CCCXXVIIe DÉPESCHE

—du IIIe jour de juillet 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Blessure du roi de Pologne.—Nouvelles agitations en Irlande.—Desir du comte de Montgommery de travailler à la pacification.—Nouvelles d'Écosse.—Réclamation faite par Marie Stuart de ses diamans qui étaient à Lislebourg.—Mission de Mr Duverger, auprès de la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, j'ay faict voyr à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil, par la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, du XVIIIe du passé, la vérité de ce qui est advenu de la blessure du Roy de Pouloigne[20], vostre frère, lesquelz ont monstré d'avoir beaucoup de playsir que le mal ne fût si grand, comme l'on le leur avoit escript. Et m'a, la dicte Dame, mandé qu'elle se conjouyssoit grandement avec Vostre Majesté, et avec la Royne, vostre mère, de ce que Dieu avoit retiré cestuy vostre frère et filz, du grand et non préveu péril, où il s'estoit trouvé; et de ce qu'il luy faysoit, de jour en jour, venir sa réputation de tant plus clère et illustre, qu'il luy donnoit à l'augmanter par de bien grandes et hazardeuses entreprinses; et qu'elle desiroit de bon cueur que les instances, qu'elle vous avoit envoyé fère par le cappitayne Orsey, vous vînssent à gré, affin que cella servît de divertir ce qui pouvoit rester encores de mal à venir de la fin de ceste guerre.

Les choses d'Irlande semblent de s'altérer, de jour en jour, davantage, non toutesfoys que la dicte Dame les répute beaucoup dangereuses, parce qu'elle voyt que Vostre Majesté et le Roy d'Espaigne estes tirés à d'aultres plus pressantz affères.

Le sir Artus Chambernon m'est venu dire qu'il a esté voyr le comte de Montgommery, son beau frère, et l'a trouvé fort disposé au service de Vostre Majesté; et à desirer, plus que sa vye, la réunion de voz subjectz de sa religion à vostre obéyssance, soubz la protection et observance de vostre dernier édict de paciffication.

Je n'ay, à présent, rien de particullier, d'Escoce, sinon qu'on dict qu'ung chacun y vit en paix, et que le cappitayne Granges est détenu encores soubz quelque garde en la ville de Lillebourg, où l'on luy faict fort bonne chère, et, qu'encor que la pluspart des principaulx de la noblesse soient de maulvayse intelligence avec le comte de Morthon, il n'y a toutesfoys que le milord Claude et Adam Gordon qui monstrent, plus extérieurement que les aultres, de n'approuver son authorité, et dellibèrent d'aller servir le roy de Suède, avec trois mil escoucoys, contre le Moscovite. La Royne d'Escoce m'a faict fère instance, icy, pour les bagues qu'elle a dedans le chasteau de Lillebourg, mais ne m'y a esté encores rien respondu. Monsieur le président de Tours est arrivé pour aller devers elle, auquel j'ay mis peyne, ainsy qu'il vous a pleu me le commander, de luy assister, aultant qu'il m'a esté possible, pour luy fère avoyr son passeport, et lettres des seigneurs de ce conseil au comte de Cherosbery, dont il s'y achemine demein. Sur ce, etc.

Ce IIIe jour de juillet 1573.

CCCXXVIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de juillet 1573.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Instance d'Élisabeth pour la pacification.—Mémoire. Détails de l'audience.—Condoléances de la reine sur la blessure du roi de Pologne.—Etat de la négociation de la paix en France.—Négociation du mariage.—Nouvelles instructions qu'Élisabeth se propose de donner au capitaine Orsey.

A la Royne

Madame, oultre ce que je mande, dans le récit que j'ay mis à part, des propos que la Royne d'Angleterre m'a tenus sur la blesseure du Roy de Pouloigne, vostre filz, elle m'a dict qu'elle jugeoit bien que Vostre Majesté prenoit ung singullier contantement de voyr et ouyr les preuves de la valeur de voz enfans, mais qu'elle croyoit bien que nul plus mortel regret eut peu jamays saysir vostre cueur, ny advenir aulcun plus grand inconvénient au Roy, vostre filz, et à son royaulme, ny nul plus grand trouble aulx estatz de Pouloigne, ny rien de plus esmervueillable en la Chrestienté, que si ce jeune prince, plein de valeur et de grande espérance, et nouvellement Roy, se fût ainsy perdu en ceste misérable guerre, laquelle estoit lors assez tollérable, quand elle estoit menée par des cappitaynes du royaulme; mais, après que ceulx là ont esté mortz, et qu'il y fault maintenant employer si souvant les propres princes de la couronne, voz enfantz, elle vous prioit que la voulussiez, pour jamays, retrencher par une bonne et bien assurée paciffication.

Je luy ay respondu que cella ne tenoit à Vostre Majesté, et qu'il falloit, puisqu'elle avoit crédit avec la partie plus opinyastre, qu'elle luy persuadât de se renger à l'obéyssance qu'elle debvoit, et de se contanter de ce que le Roy leur pouvoit tollérer de leur religion, sans troubler ny l'estat de la sienne, ny la tranquillité de son royaulme; ce que la dicte Dame a trouvé raysonnable. Et depuis, ceulx de son conseil me l'ont approuvé, et m'ont assuré que vous trouverez, par la légation du cappitayne Orsey, que telle estoit l'opinion de leur Mestresse et de toutz eulx. Sur ce, etc.

Ce VIIe jour de juillet 1573.

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