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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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Par postille à la lettre précédente.

Depuis ce dessus, je me suis infinyement pleinct à ceste princesse, et aulx siens, de l'atemptat de ceulx du Petit Lith, et ilz ont monstré qu'ilz le trouvent très maulvais; dont m'ont promis qu'il y sera indubitablement remédyé.

CCLXXIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour d'aoust 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Mr de La Mole.)

Audiences.—Détails de la négociation de Mr de La Mole.—Délibération du conseil sur le mariage.—Explications sur la réponse donnée au roi, qui a été prise en France pour une rupture.—Déclarations d'Élisabeth qu'elle est décidée à se marier, qu'elle ne veut pas rompre la négociation; mais qu'avant de prendre un engagement elle croit l'entrevue nécessaire.—Avis donné par les Anglais sur le peu de confiance que doit inspirer le gouverneur de Flessingue.—Bonne disposition d'Élisabeth à l'égard de la négociation du mariage.—Départ de Mr de La Mole.

Au Roy.

Sire, au partir de Norampthon, d'où Mr de La Mole, présent pourteur, et moy, vous fismes une dépesche, le XIe de ce moys, nous arrivasmes, le tréziesme ensuyvant, à Quilingourt, et le lendemein Mr le comte de Lestre nous y traicta en festin avec les plus grandz de ce royaulme, où ayant esté plus d'une heure et demye en conversation avec la Royne d'Angleterre pour luy continuer, en attandant des nouvelles de France, le propos de Monseigneur le Duc, affin de luy en imprimer tousjours le desir, et à nous l'espérance, le dict sieur comte nous mena, l'après dînée, avec le reste de la noblesse de la court, courre le cerf dans ung de ses parcz jusques à la nuict; et, le deuxiesme jour après, le Sr de Vassal arriva avec la dépesche de Voz Majestez du VIIe et IXe du présent et avec ce que, oultre la dicte dépesche, il vous avoit pleu le charger de nous dire.

Sur quoy nous allasmes, le XVIIe, retrouver la dicte Dame à Warvic, à laquelle, après aulcuns propos qu'elle mesmes nous commença, nous luy dismes qu'il nous estoit venu des lettres de Voz Majestez Très Chrestiennes sur la responce que son ambassadeur avoit heu à vous faire, à la fin de juillet; et de tant que luy mesmes avoit ouy les parolles et veu les contenances, dont luy aviez uzé quand il la vous avoit déclarée, et qu'il avoit très bien recueilly le tout, nous nous assurions que desjà elle avoit mieulx entendu la façon comme Voz Majestez avoient prinse la dicte responce par le discours de ses lettres que nous ne luy sçaurions représanter sur celles de Voz Majestez. Et, sans rien toucher à la dicte Dame de la lettre qu'elle luy avoit escripte le XXIIe de juillet, parce que vous le nous deffandiez, nous ajouxtâmes seulement qu'il n'estoit pas à croyre combien il vous avoit touché au cueur que la dicte responce n'eust esté conforme à vostre honneste desir; et combien Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, vous estiez vergongniez de ce que, cuydantz avoir bien mesuré vostre offre pour la plus juste, la plus honnorable, et quasy la plus nécessayre que vous heussiez su faire à une telle princesse comme elle, laquelle vous aymiez et observiez plus que nulle aultre de la Chrestienté, elle néantmoins vous heût randus confus, et vous heût condampnés de n'avoir heu bon jugement en cella; et qu'après y avoir bien pensé et dellibéré avec ceulx de vostre conseil, et ne pouvantz juger, par les choses que Mr de Montmorency et Mr de Foix, vous avoient rapportées, et par celles que je vous avois escriptes, et encores par celles que Mr le comte de Lincoln et ses aultres ambassadeurs vous avoient dictes, qu'il fût possible que ceste responce heût à estre celle résolue qu'elle avoit dans son cueur, Voz Majestez la suplioient de vous en randre une meilleure et plus aprochante du vray contantement que vous aviez espéré d'elle.

La dicte Dame, comme préocupée d'une peur que nous voulussions rompre, et résolue néantmoins, pour la recordation de ce qui luy estoit advenu du premier propos, de ne changer point d'opinion, s'escria ung peu en elle mesmes disant:—«Ha! je voy bien, par la responce de mon ambassadeur et par ce que je oy maintenant, que la Royne Mère, comme prudente et vertueuse, a voulu estre sage pour son filz et pour moy, et ne veut que nous nous voyons de peur qu'il ne se puisse contanter d'une telle femme, ou que je ne puisse demeurer bien satisfaicte d'ung tel mary.» Et après, s'estant adressé à nous, continua nous dire que, puisque les lettres tant honnestes et pleines d'honneur et de mille satisfactions que je luy avois présentées en la mayson de milord trésorier, escriptes de vostre mein, et de la Royne, et de Monseigneur le Duc, avoient esté cause de luy faire méliorer sa première responce, du XXIIe de juillet, par laquelle elle mandoit que les difficultés de l'eage empeschoient qu'elle ne peût satisfaire ny à son desir ny à vostre espérance, et d'avoir, comme par ung bon et nouveau moyen, proposé l'entrevue, affin d'oster les dictes difficultés, elle pensoit que, non seulement vous l'aprouveriez, mais luy sçauriez un grand gré d'avoir, de son costé, faict l'ouverture qui debvoit procéder du vostre; qu'elle prioit Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Mr de Montmorency, desquelz troys le langage avoit esté semblable, qu'il vous pleût croyre qu'elle n'estoit si traistre, ny si meschante, de parler d'une entrevue à ung prince de si grande qualité, si elle n'estoit bien résolue de se marier, et qu'elle m'avoit, longtemps y a, assuré de la victoyre qu'elle avoit gaignée sur elle en cest endroict; dont ne voudroit maintenant vendre à si inique et desloyal pris, comme seroit cestuy cy, le précieulx trésor de vostre amityé et de la Royne et des princes de vostre couronne, ses enfans, et qu'à la vérité elle avoit plusieurs justes occasions du passé, et plusieurs grandes considérations du présent, pour desirer la dicte entrevue, tant pour la satisfaction de Monseigneur le Duc, affin qu'il n'espousât une femme qui ne luy pleût, que, à dire vray, pour le compte d'elle mesmes, affin de voyr si elle pourroit être aymée de luy, et si la disposition de l'eage, et ce qu'on luy avoit rapporté du visage seroient objetz si véhémentz qu'elle ne s'en peût jamais contanter; et, de tant qu'elle avoit mis cella en l'arbitre de Voz Majestez, il n'estoit raysonnable que luy renvoyssiez maintenant la pierre, sinon que vous voulussiez que ce qu'elle vous avoit mandé et ce que Vous et la Royne, vostre mère, aviez respondu à son ambassadeur, et ce que nous luy disions maintenant, fût la fin du propos; demeurant la dicte Dame là dessus bien fort pensive, sans y rien plus adjouxter.

Nous suyvismes à luy dire, Sire, que Voz Majestez la prioient de considérer qu'il n'est en la mein des mortelz de remédier au poinct qu'elle alléguoit de l'eage, et que vous aviez ung incroyable regret que ne l'en peussiez satisfaire, dont ne vous restoit que dire là dessus, sinon ce que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, luy avions desjà dict, que, tant s'en failloit que vous heussiez pensé que les jeunes ans de Monseigneur le Duc fussent quelque deffault que, au contrayre, vous estimiez que c'estoit la perfection de ce mariage, et que vous sçaviez très bien que la disposition de la dicte Dame estoit si bonne et si belle qu'elle se retrouvoit plus jeune de neuf ans qu'elle n'estoit, et aussy la vigueur et belle taille et bonne disposition de Monseigneur le Duc luy anticipoient à luy son eage d'aultres neuf ans, par ainsy, qu'ilz se rencontroient d'en avoir chacun vingt et sept; et, au regard de l'entrevue, que si Vous, Sire, et la Royne, vostre mère, cognoissiez qu'elle peût servir à vous donner le contantement que vous espériez et desiriez plus que chose du monde, que vous vouldriez que Monseigneur le Duc fût aujourdhuy plustost que demein devers elle; mais, si la dicte entrevue avoit à estre en vein, et que la dicte Dame n'eût volonté de se marier, comme ses responces vous en faysoient doubter, ny voulût avoyr Mon dict Seigneur le Duc agréable, duquel elle avoit desjà veu le pourtrêt, et avoit entendu, par beaucoup des siens, quel il estoit, ce ne seroit qu'adjouxter ung par trop grand malcontantement à celluy que vous aviez desjà bien grand de la responce qu'elle vous avoit mandée. Dont nous la voulions très humblement suplier, et la conjurer, par les mérites de la parfaicte bienveillance et loyalle amityé que Vous et la Royne, vostre mère, luy portiez, et par la dévotion et servitude de Monseigneur le Duc vers elle, qu'elle voulût, sellon sa prudence, et par l'advis des seigneurs de son conseil, avec lesquelz nous desirions qu'elle communicquât de ce faict, vous faire une meilleure responce, et telle qu'il n'en peût réuscyr qu'une bonne conclusion de propos, et non jamais fin en vostre commune amityé, sinon lorsque vous cesseriez de n'estre plus au monde.

La dicte Dame, réaulçant la teste, nous respondit, avec ung meilleur et plus joyeulx visage, qu'elle estoit contante de parler à ceulx de son conseil et faire voyr à Voz Majestez que vous ne sçauriez trouver princesse, en toute la terre, qui plus s'esforçât de correspondre à l'amityé, qu'avez tousjours monstré luy porter, qu'elle feroit. Et entrant là dessus en plusieurs devis avec Mr de La Mole, lequel je luy layssay seul pour parler à ses conseillers, elle fit toutz les semblantz du monde d'avoir fort agréable ce qu'il luy disoit de son Maistre, et luy fit reprandre à luy mesmes plus d'espérance que par ses premiers propos elle n'avoit monstré de nous en vouloir donner.

Et sur ce, se retirant pour ung peu de temps fort joyeuse en sa chambre, dict à Mr le comte de Lestre qu'il nous retînt pour souper avec elle; et elle mesmes nous convia. Puis, à bout de pièce, estantz retournés vers elle, la trouvasmes qu'elle jouoit de l'espinette, et continua, à nostre prière, d'en jouer encores davantage pour satisfaire au dict Sr de La Mole; et puis, au souper, qui fut ung festin assez magnificque, elle nous fit devant toute l'assemblée les meilleures démonstrations qui se peulvent desirer, mesmes après avoir beu à moy, et m'avoir envoyé sa couppe et son restant pour la pléger, elle voulut bien monstrer qu'elle avoit agréable le message et le messager de Mon dict Seigneur le Duc, et beut aussy au Sr de La Mole, avec plusieurs aultres honnestes démonstrations et courtoysies que, pour l'honneur de son Maistre, ung chacun s'efforça de luy faire. Et l'après soupée, sur les neuf heures de nuict, ung fort, qui estoit dressé dans une prairie, soubz les fenestres du chasteau, fut assaly par une partie de la jeunesse de la court, et soubstenu par l'aultre, où y heut tant d'artiffices à feu, si furieulx et bien conduictz, qu'il le fit fort bon voyr, et la dicte Dame nous retint jusques envyron minuict pour en attandre la fin.

Le lendemein, XVIIIe, après que le trésorier de la mayson de la dicte Dame nous heût donné à dîner, elle nous fit appeller pour nous dire que, sellon nostre réquisition du jour précédant, elle avoit mis l'affaire en dellibération de son conseil, où les lettres de son ambassadeur avoient de rechef esté leues et conférées avec nostre dire, et qu'ayant ouy l'opinion d'ung chacun là dessus, elle se trouvoit en plus de perplexité que jamais, pour s'estre tant advancée que d'avoir parlé de l'entrevue, et qu'elle desireroit avoir esté lors bien empeschée de la langue; mais ses conseillers, qui avoient plus regardé à leur affection de la voyr mariée que à sa dignité en cest endroict, luy avoient faict faire cest erreur, se persuadans que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, embrasseriez ce moyen, comme le meilleur et le plus court, pour effectuer ce que monstriez desirer; mais elle et eulx s'apercevoient, à ceste heure, encor que bien tard, que vostre intention estoit au contraire, et que ce qu'elle avoit veu par ung advis qui luy estoit venu de bien loing, que l'on avoit desjà mis ordre de faire qu'elle ne trouvât non plus de correspondance en ce segond propos qu'elle en avoit heu au premier, commançoit de s'effectuer; car, de révoquer en doubte si elle se vouloit marier, estoit ramener l'affaire à son commancement, et d'alléguer le malcontantement qui resteroit de l'entrevue, si elle réuscissoit vayne, estoit l'advertir de se garder bien de la consentir; mais ce, qui plus la mettoit en peyne, estoit qu'on avoit remonstré à son ambassadeur que de l'entrevue des princes n'estoit accoustumé de provenir guyères jamais que toute male satisfaction, et cella luy remétoit devant les yeulx que si, de l'entrevue de troys ou quatre jours, de Monseigneur le Duc et d'elle, debvoit advenir quelque mal, quel auroit à estre le reste de leur vye, s'ilz se marioyent sans quelques prémices d'amityé, qui ordinayrement s'acquièrent par la veue; et qu'elle juroit à Dieu que ces doubtes luy faysoient tant de peur qu'elle se repentoit bien fort d'avoir jamais touché ce poinct; duquel ny elle, ny ses conseillers ne se pouvoient, à ceste heure, bien résouldre.

Nous répliquâmes, Sire, qu'elle debvoit prendre de bonne part ce que Voz Majestez Très Chrestiennes aviez remonstré à son ambassadeur qui, à ce que nous pouvions cognoistre par voz lettres, vous avoit représenté les obstacles si grandz, et si esloignés de la facillité qu'aviez espéré trouver en cest affaire, qu'à vostre grand regret vous aviez interprété l'entrevue ne pouvoyr réuscyr que vayne, et pleyne de mocquerie pour Monseigneur le Duc; et que mesmes il sembloit que vous heussiez comprins qu'il heût uzé du mot d'impossibilité, dont elle ne debvoit que bien juger de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, si, persévérans en vostre singulière affection vers elle, vous la supliez de vous rendre une meilleure responce. Et Mr de La Mole adjouxta que cella mesmes, qu'elle pouvoit creindre de l'altération de vostre mutuelle amityé, si l'affaire, après l'entrevue, ne succédoit, se debvoit creindre de ceste heure sur sa responce, au cas qu'elle ne la vous melliorât. Et luy usasmes toutz deux, là dessus, des meilleures et plus vifves persuasions que nous peusmes, de façon que la dicte Dame, après avoir confessé que, si son ambassadeur avoit usé du mot d'impossibilité, ou bien vous avoit faict les difficultés non esloignées de cella, que vous aviez heu, et la Royne, vostre mère, très juste occasion de doubter beaucoup d'elle.

Elle nous pria de luy donner encores le loysir d'ung jour entier pour dellibérer dans cest affaire avec son dict conseil; et, sur l'heure mesmes, monstant à cheval, elle trouva bon que nous l'allissions accompaigner à Quilingourt, où elle s'en retournoit en chassant; et l'entretinsmes, l'ung et l'autre, à diverses foys, sur la poursuite de nostre propos, tout le long du chemin, avec son grand contantement.

Le lendemein matin, nous trouvasmes moyen de luy faire voyr une petite lettre de la Royne, vostre mère, du Xe du présent, avec celle que, de mesmes dathe, Mr Pinart m'avoit escripte, qui l'assuroient fort de la persévérance de vos bonnes intentions vers elle; et fismes voyr aussy à milord trésorier, par certains motz de la vostre, comme vous n'aviez peu comprendre que les difficultez, que Mr de Walsingam vous avoit alléguées, fussent sinon impossibles.

Et ainsy, ayant, par ce moyen et par toute la sollicitation que nous peusmes, envers les seigneurs de ce conseil, ung à ung, et envers les principalles dames de ceste court, bien disposé l'affaire, ce jour se passa en de bien grandes et bien débatues dellibérations, non du tout si vives et conformes entre ceulx du dict conseil comme nous l'avions pensé. Tant y a que, le vintgiesme de ce moys, estantz de rechef mandez à Quilingourt, la dicte Dame, après nous avoir entretenu quelque temps d'aulcunes petites advantures, qui luy estoient advenues le matin à la chasse, et après nous avoyr faict ouyr, plus d'une heure, sa musicque en la chambre de présence, elle nous mena en la privée.

Et là, en présence de milord trésorier et des comtes de Sussex, de Lestre, de Lincoln, de maistre Quenolles, de sire Jacques Serofz, de maistre Smith, toutz officiers principaulx, et du conseil privé de la dicte Dame, elle nous dict qu'ayant bien examiné et fait examiner de près par ceulx, qui estoient là présentz, tout l'estat de cet affaire, elle estoit bien ayse d'avoir trouvé que le principal escrupule ne provînt maintenant que de ce qu'il sembloit que son ambassadeur ne se fût bien explicqué en la responce qu'il avoit heu à vous faire, ou bien que Voz Majestez ne l'eussent bien comprinse; car n'avoit heu charge de dire sinon que de l'inégallité de l'eage procédoit beaucoup de grandes difficultés, qui empeschoient qu'elle ne vous peût respondre sellon que vous l'espériez et sellon qu'elle l'heût bien desiré, et qu'elle estimoit qu'une entrevue pourroit beaucoup esclarcyr l'ung et l'aultre de leurs plus grandz doubtes, mais non qu'elle luy heût mandé du mot d'impossibilité; car heût esté chose fort absurde de parler d'une entrevue sur un affaire qu'elle heût estimé impossible, et que si Voz Majestez avoient prins l'un pour l'aultre, et qu'il vous eust représenté les difficultés comme impossibles, elle confessoit que la Royne, vostre mère, avoit heu occasion de faire ses responces ainsy aygres, comme son ambassadeur les luy avoit escriptes, et comme nous mesmes ne les luy nions pas. De quoy, par la petite lettre que nous luy avions faicte voyr le jour précédent, et par ce que nous avions communicqué à milord trézorier, elle demeuroit maintenant satisfaicte; et vouloit, devant Dieu, assurer Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, que, depuis le temps qu'elle avoit accordé à ceulx de son conseil de vouloir, pour le béneffice de ses subjectz, résoluement se marier, et qu'elle m'en heût faicte la déclaration pour la vous mander, elle y avoit tousjours persévéré, et ne s'estimeroit digne du lieu, où Dieu l'avoit mise, si elle avoit varyé; car ne pouvoit juger que ce fût ung acte d'un prince d'honneur de ne tenir sa parolle à qui qu'il l'eût donné; et tant plus, quand elle l'avoit mandée à ung très grand roy, auquel elle avoit beaucoup d'obligation; et que ceulx qui, du commancement du propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, avoient voulu dire qu'elle n'en entretenoit la praticque, sinon pour servir à ses affères, et pour en augmanter sa réputation, avoient esté conveincus pour menteurs et pleins de grand calomnie, pour l'espreuve de ce qui s'estoit veu depuis, qu'elle avoit passé si avant qu'elle layssoit bien maintenant à nous mesmes de juger si c'estoit par l'esprit de Dieu, ou bien de Satan, son adversayre, que leur mariage avoit esté interrompu; et que, pour la considération, non d'elle en façon que ce fût, mais pour divertir le mal qui menassoit son estat et ses subjectz d'une inévitable ruyne, par faulte de certein successeur, incontinent qu'elle seroit morte, qu'elle persévéroit, plus que jamais, de se vouloir sacriffier elle mesmes pour leur en laysser ung.

Dont avoit, de rechef, résolu avec ceulx de son conseil, et ainsy le déclaroit à nous, en leur présence, qu'indubitablement elle vouloit prendre mary; et que, touchant ce poinct, nous en assurissions ardiment Vostre Majesté: et, si nous luy demandions d'où? elle nous respondoit de grand lieu, parce qu'elle n'estoit petite; et qu'en ce que Voz Majestez luy proposoient Monseigneur le Duc, de quoy elle ne vous sçauroit jamais assez remercyer de vous estre ainsy toutz troys, l'ung après l'aultre, offertz à elle, elle vouloit bien dire que le party estoit fort honnorable; car nul aultre prince, en toute la terre, se pouvoit vanter d'estre de meilleure, ny plus grande, ny plus royalle extraction que luy, et luy mesmes estoit si royal et tant accomply en excellantes qualitez d'un gentil et valeureux prince, qu'il méritoit une trop plus grande et meilleure fortune qu'il ne la pourroit rencontrer en elle, ny en une aultre princesse qui fût plus grande qu'elle; mais, quand à ce qui pouvoit concerner à elles mesmes, encores qu'elle desirât se sacriffier pour ses subjectz, ce n'estoit toutesfoys en sorte qu'elle voulût encourir l'extrême tourmant d'ung maulvais mariage, car ce luy seroit ung perpétuel enfer en ce monde. Dont, pour s'esclarcyr de cella, en l'endroict de Monseigneur le Duc, et voyr si les difficultez de l'eage et aultres qui se trouvoient entre elle et luy, se pourroient oster par une entrevue, elle, de rechef, nous accordoit de remettre ce poinct à Voz Majestez Très Chrestiennes affin qu'il vous pleût regarder si, avec l'honneur de vostre couronne et la dignité de vostre frère et filz, vous pourriez trouver bon que eulx deux se vissent, bien que, pour la creinte qu'elle avoit que, ne s'accomplissant le mariage, l'amityé que luy portiés se vînt à diminuer, qui seroit chose qu'elle vouldroit plus éviter que la propre mort, elle n'osoit dire ce qu'elle desiroit en cella; dont suplioit Voz Majestez d'y vouloir regarder, et pour elle, et pour vous, et prendre, de bonne part, ceste sienne déclaration, qui estoit la plus clère et ouverte qu'elle vous pouvoit faire.

Et exprima la dicte Dame toutes ces choses beaucoup plus amplement, et avec ung si bel ordre de parolles, prononcées d'affection, et avec tant de grâce, et encores avec tant d'ornement, que nous deux, et les siens mesmes en restâmes bien fort esmerveillés.

Et, après nous estre conjouys avec elle d'ung si vertueux, et si digne, et vrayement royal propos, qu'elle venoit de nous tenir, fort conforme à l'affection de Voz Majestez Très Chrestiennes vers elle, et bien fort à vostre louange, et de ceulx de vostre couronne, Mr de La Mole et moy luy dismes que nous ne nous pouvions tenir que ne luy en baysissions, mille et mille foys, bien humblement, les meins; et néantmoins nous la voulions prier d'avoir agréable que nous persévérissions encores en nostre première instance d'impétrer une meilleure responce d'elle; car, de nulle part du monde, Voz Majestez n'attandoient meilleures nouvelles que de son costé, et que nous sçavions certaynement que de pires n'en pourriés vous avoir, ny qui plus vous apportassent d'affliction, que si Mr de La Mole n'avoit trouvé icy la correspondance que vous attandiez sur le propos de Monseigneur le Duc, et réputeriez à grand malheur qu'il s'y sucitât des difficultés qui peussent empescher ou retarder vostre honneste pourchas, prévoyans bien que ce seroit ung commancement de sape pour ruyner le meilleur fondement de vostre commune et parfaicte amityé; et luy ozions dire tout librement que vous n'eussiez entreprins de faire passer Mr de Montmorency par deçà, ny luy heussiez donné charge, et à Mr de Foix et à moy, par pouvoir exprès, lequel nous avions monstré à milord trézorier, de faire à la dicte Dame l'offre de Monseigneur le Duc, si vous n'eussiez bien mesuré par plusieurs grandes considérations, bien digérées en vostre conseil, et par plusieurs conjoinctes nécessités que vous avez avec elle, qu'il ne se pouvoit faire qu'elle ne fût toute résolue d'iceulx deux poinctz qu'elle avoit desduictz: l'ung, de se marier; et l'aultre, de prendre party de grand lieu.

Car, pour le regard du premier, voyantz qu'elle avoit régné quatorze ans en grande paix, et que Dieu avoit monstré qu'au milieu des plus divers temps et plus dangereulx, il sçavoit régir et gouverner une monarquie soubz l'authorité d'une princesse, qui estoit ung fort rare exemple, mais qui rendoit la dite Dame la plus cellèbre princesse qui heust guière jamais régné au monde, vous jugiés très bien que ce n'avoit peu estre sans qu'elle fût pleine de grande prudence, et de grand vertu, et de sages conseilz, et d'un parfaictement bon heur; et que, se rencontrantz encores tout cella en la personne d'une, que toutz ses subjectz recognoissoient estre fille et petite fille de leurs roys, belle princesse et pleyne de majesté, laquelle ilz voyent remplir fort dignement le siège de ceste couronne, ilz luy avoient très volontiers obéy jusques icy, et avoient déchassé bien loing toutz les empeschementz et difficultez qui aultrement se fussent trouvés en son règne, en espérance toutesfoys qu'elle leur laysseroit ung successeur après elle, ce que difficilement ilz vouldroient plus comporter quand ilz verroient qu'elle se seroit layssée surprendre d'ung temps qu'ilz ne pourroient plus espérer cella d'elle, qui seroit une sayson que vous luy jugiez si périlleuse que vous vous doulriez, dès ceste heure, de ses calamitez d'allors, plus que vous ne vous pouviez resjouir de ses prospérités présentes; et qu'il y avoit plusieurs exemples, de non trop longtemps, que les grandz roys très puissantz, et qui manioyent eulx mesmes les armes, ne s'estoient jamais trouvez plus assurez de leurs personnes ny de leurs estatz, que quand ilz s'estoient veus mariez et avoir des enfans, et que Voz Majestez n'estoient ignorantes des desseins qui avoient esté faictz contre la personne, la vye, la qualité et l'estat de la dicte Dame, en diverses partz de la Chrestienté, dont vous assuriez qu'elle n'avoit peu faire une résolution si esloignée de sa prudence et de sa vertu et de tout bon conseil, ny si procheyne de son malheur, que de ne se vouloir marier; et pourtant vous croyez, avec la confirmation que vous aviez de sa parolle en cella, sur la quelle vous faysiez plus de fondement que en tout le reste, que, sans aulcun doubte, elle prendroit mary.

Et quand à dire d'où? qu'il estoit vray qu'avant qu'elle nasquît, et après qu'elle estoit venue au monde, la couronne de France avoit tousjours heu une grande inclination vers elle, car le feu grand Roy Françoys, seul de toutz les princes chrestiens, avoit favorisé les nopces d'où elle estoit yssue, et avoit, premier qu'il aparût nul astre de sa nativité au ciel, desjà faict ce bon office pour elle, guyde possible d'ung bon présage pour Françoys, son petit filz, lequel estoit aujourdhuy son vray image au monde; et le Roy Henry, son père, l'avoit aymée et avoit heu soing d'elle, pendant qu'elle estoit princesse, comme si ce heût esté la propre Elizabeth sa fille, qui fut depuis Royne d'Espaigne; et Vostre Majesté à présent, l'aviez tousjours plus respectée et observée que princesse du monde; et, encor qu'eussiez esté assez provoqué de son costé, vous aviez tousjours paré les coups le mieulx que vous aviez peu, sans la vouloir, à vostre esciant, jamais offancer, ains aviez diverty, de vostre pouvoir, tout ce que vous aviez apperceu au monde qui pouvoit torner à son offance; et enfin Dieu avoit si bien segondé vostre bonne intention que vous aviez contracté une plus estroicte confédération avec elle; et vous trouviez aujourdhuy, si vous n'estiez bien trompé, le premier d'entre toutz ses alliez, qu'elle aymoit le mieulx, et en qui elle avoit plus de fiance, comme aussy Voz Majestez luy portoient plus de bienveillance et de cordiale amityé qu'à princesse de la terre; et que, vous retrouvant en ce degré, vous estimiez n'apartenir à nul si bien qu'à Vous et à la Royne, vostre mère, de luy pourchasser party; dont luy aviez offert Monseigneur le Duc comme ung d'entre ses plus certains amys, et de si bon lieu que de meilleur n'en estoit au monde, et lequel vous cognoissiez si garny d'excellantes qualités, de vertu, de valeur et aultres dons du ciel et de nature, que vous oziez donner ce tesmoignage à vostre frère, qu'il ne luy restoit plus qu'estre receu en la bonne grâce d'elle, pour estre ung des plus accomplis princes de l'Europe: dont n'aviez peu doubter que très volontiers elle ne l'acceptât.

Mais, de tant que vous ne vouliez rien demander en cest endroict qui ne fût pour l'advantage d'elle, et de sa réputation et honneur, nous la voulions bien suplier d'avoir le pareil esgard à vous, de ne requérir rien de Monseigneur le Duc qui semblât extraordinayre ou non accoustumé aulx plus grandz princes, car ne pouvions estimer qu'il peût comparoistre devant elle en ceste entrevue, sinon ainsy que feroit le criminel devant ung juge, duquel il attandoit la sentence de sa mort et de sa vye, ce qui luy diminueroit beaucoup de ses bonnes grâces, là où, s'il venoit bien assuré de celles d'elle, elle ne trouveroit qu'il en deffaillît une seule en luy; et avions l'exemple du Roy d'Espaigne et de la feue Royne, sa seur, qui s'estoient bien mariés sans se voyr, qui n'estoient rien de plus que les deux, dont nous traictions à présent.

A quoy elle me respondit que je n'allégasse plus cest exemple, car il n'avoit heu ung seul rencontre de bonheur; dont continuay que, puisqu'ainsy estoit, qu'elle ne vouloit changer d'opinion, que Mr de La Mole et moy luy accordions très vollontiers que le dict point de l'entrevue fût remis à Voz Très Chrestiennes Majestez; mais, affin qu'il y restât moins de difficultés, nous la voulions très humblement suplier de nous accorder que toutz les articles, qui avoient esté déterminés sur le propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, demeurassent entiers, et desjà toutz accordez pour Mon dict Seigneur le Duc.

A quoy elle nous respondit qu'elle en estoit contante, sinon seulement des articles de la religion, ainsy qu'elle l'avoit auparavant escript à son ambassadeur, affin qu'à toutes advantures, si le mariage n'avoit à réuscyr, cella peût servir d'honnorable excuse à toutz deux.

Nous incistâmes que les dicts articles demeurassent, mais, puysqu'ainsy luy playsoit que l'interprétation, sur laquelle l'on en estoit demeuré pour Monsieur, fût réservée pour s'en accorder allors; et que, pour ne procéder en ung si grand faict par négociations incerteynes, elle trouvât bon que le tout fût rédigé par escript; ce que la dicte Dame ne nous refuza, ny l'ung ny l'aultre.

Et encores, après avoir examiné, à part, le dict Sr de La Mole de l'intention de Monseigneur le Duc, son Maistre, pendant que les dicts du conseil me vindrent parler d'aulcunes aultres choses, à quoy je m'assure qu'il la satisfit grandement, elle nous remeit à nous revoir encores le lendemein, où nous ne fallismes de nous rendre à l'heure accoustumée, et trouvasmes qu'elle avoit desjà escripte la lettre de la Royne, vostre mère, de laquelle elle nous fit communicquation; et nous dict qu'elle estoit après à mettre la mein à la vostre, et qu'elle vous vouloit prier toutz deux de respondre pour elle à celle de Monseigneur le Duc, se ressouvenant bien que, d'aultresfoys, je luy avois faict faire une semblable erreur en pareille occasion; mais nous la conjurasmes tant, et luy fismes de si humbles prières pour ceste faveur vers Mon dict Seigneur le Duc, qu'enfin elle nous promit d'escripre à toutz deux voz frères. Et nous ayant encores, puis après, menés à la chasse, et faict plusieurs aultres honnestes et favorables démonstrations, et qu'elle heût monstré en toutes sortes de demeurer très satisfaicte de toute la légation du dict Sr de La Mole, et bien fort grandement de luy mesmes, elle nous licencia très gracieusement toutz deux, et adjouxta ce mot, Sire,—«Que le dict de La Mole s'est si sagement et en si bonne façon conduict et comporté, en tout ce qu'il a heu à dire et faire en ceste court, qu'il y a layssé une très bonne opinion de luy, et y sera toujours fort bien venu.» Et sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour d'aoust 1572.

Les seigneurs de ce conseil estiment que le capitaine Serras, à présent gouverneur de Fleximgues, a intelligence avec le duc d'Alve, dont vous suplient que, si Vostre Majesté entend que les angloys, qui sont au dict lieu, se soient pourveus pour leur seurté contre le dict Serras, que ne le vueilliez interpréter qu'à bien, et faire que les françoys n'entreprennent de s'y oposer.

A la Royne.

Madame, de tant que, par aulcunes de voz responces à Mr de Walsingam, la Royne, sa Mestresse, avoit prins opinion que Vostre Majesté n'estoit si affectionnée au bon propos, qui est maintenant en termes, comme elle l'eût pensé, et luy en estant le souspeçon aulcunement confirmé par quelques lettres, qui naguières avoient été surprinses, nous avons esté en grande perplexité comme luy oster ceste impression; mais elle mesmes nous en a mis en chemin, nous racomptant par ordre tout le contenu de la lettre du XXIIe de juillet, de laquelle vous nous deffandiez de luy en parler, et nous faysant faire par ses conseillers tout le discours d'icelle et des subséquentes, jusques à la responce, ce qui nous a donné argument, en luy en épluchant bien toutz les poinctz, de luy faire cognoistre que Vostre Majesté avoit heu occasion de parler en la façon qu'elle avoit faict, et qu'elle pouvoit bien comprendre (par la petite lettre que m'aviez despuis escripte, du Xe du présent, et par celle de Mr Pinart, de mesmes dathe, lesquelles nous luy fismes voyr bien à propos), que vous ne persévériez en nulle plus fervente affection au monde qu'en celle de ce mariage.

Et me semble, Madame, que ce petit inconvénient n'est advenu que pour bien, pour la faire déclarer davantage et tirer plus de lumière de son intention; mesmes que, l'ayantz supliée de n'en imputer rien à son ambassadeur, ains plustost à Voz Majestez et au trouble que ce avoit esté en vostre cueur de n'avoir trouvé tant de correspondance en sa responce comme vous l'aviez espéré, elle nous a assurez qu'elle n'avoit, ny pouvoit avoir, aulcun malcontantement de luy, et que nul gentilhomme de ce monde pourroit jamais mieulx mériter de ceste cause, et pour vous et pour elle, qu'il faysoit; mais ce qu'elle vous en mandoit par sa lettre serviroit bien fort à son propos; et néantmoins vous prioit de croyre qu'il n'avoit escript que en très bonne sorte toutes les choses que luy aviez dictes.

Sur quoy, Madame, je vous suplie très humblement me donner charge, par voz premières, de dire quelque mot à la dicte Dame du contantement que vous avez de luy, et cepandant prendre de bonne part si, pour ne rompre ce propos, Mr de La Mole et moy avons consenty à la dicte Dame qu'elle remît encores à Voz Majestez le poinct de l'entrevue; qui n'a esté sans que nous y ayons oposé toutz les plus grandz argumentz que nous avons peu, qui ont esté cause de nous faire gaigner les aultres deux pointz que verrez en la lettre du Roy; en laquelle nous racomptons les principalles choses de toute la négociation qui a esté faicte depuis nos précédantes; et cella avec quelque peu de longueur qui, possible, vous sera ennuyeuse, mais c'est affin que, par la représantation des mutuelz propos qui ont esté entre la dicte Dame et nous, et par ses démonstrations, que nous y avons exprimées, Voz Majestez puissent mieulx juger en quoy reste l'affaire maintenant, et y puissent prendre une plus certayne résolution; bien qu'il reste encores au dict Sr de La Mole de vous réciter assez d'aultres particullaritez pour en faire une histoyre: et luy veulx bien rendre ce tesmoignage qu'il a si bien accomply et sa légation, et vostre commandement, par deçà, et s'est en toutes choses si bien comporté que je ne l'eusse sceu desirer mieulx pour vostre service, ny pour la satisfaction de ceste princesse et de toute ceste court. Et vous suplie très humblement, Madame, de croyre qu'il n'a tenu à nous, ny à chose quelconque, qui se soit peu faire de la part de nous deux, qu'il ne vous rapporte maintenant l'entière résolution de l'affère; mais il se fault contanter de ce qu'on peut. Et aulmoins veux je bien, Madame, qu'il vous assure que, sellon les démonstrations de ceste princesse, nous l'avons layssée, ceste foys, beaucoup mieulx disposée vers Voz Majestez Très Chrestiennes et vers ce propos que je ne l'y avois vue auparavant; et ceulx qui y ont bonne affection nous crient: que Monseigneur le Duc vienne.

Dont, Madame, si Voz Majestez estiment que, pour une si haulte entreprinse, il faille mettre au risque et à l'azard la dicte entrevue, chose à quoy je n'oze adjouxter mon advis, parce qu'estant le faict de Monseigneur vostre filz, il doibt estre entièrement réservé à la détermination de Voz Majestez, je vous suplie très humblement vous en résouldre si bien, et si tost, que cella se puisse accomplir dans le prochein moys d'octobre au plus tard; de tant que les volontés ne sont perpétuelles, ny souvant de guières de durée, par deçà. Et desjà je sçay que, de dellà la mer, l'on sollicite instamment la ropture; dont sera très nécessayre de tenir fort secrette la dellibération que vous y ferez.

La noblesse de ce royaulme est très bien affectionnée à ce propos, les principalles dames de ceste court le favorisent, et ceulx du conseil ont faict ung singullier debvoir de l'advancer; dont adviserez, Madame, comme leur en faire quelque recognoissance, et comme satisfaire principallement au particullier de Mr le comte de Lestre, vers lequel, si Mr de Montpensier se rend si difficile, du party de sa fille, comme il me deffend par une sienne lettre de n'en parler jamais, Vostre Majesté pourra considérer s'il seroit bon que je mysse en avant celuy de madamoyselle de Chasteauneuf, ou de quelque aultre, que Voz Majestez vueillent apparanter avec semblables advantages, qu'avez desjà offertz pour la susdicte de Montpensier. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour d'aoust 1572.

Par postille à la lettre précédente.

Le dict Sr de La Mole, pour l'honneur de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc, a esté fort favorablement reçu de ceste princesse, et a esté bien traicté en sa court et en divers lieux de ce royaume, et honnoré, puis après, d'un présent, qui, à la vérité, n'a pas correspondu au reste, ny à la libéralité, dont le dict Sr de La Mole a uzé fort honnestement partout, ny à ce qu'on a veu de luy en ceste court, qui est arrivé à dix sept chevaulx de poste; car n'a esté que d'une cheyne de troys centz trente escuz, mais, possible, est advenu, par ce qu'on n'estoit en lieu commode. Et ne fauldra pour cella, Madame, que layssiez de remercyer du reste l'ambassadeur d'Angleterre, et que Monseigneur le Duc l'en envoye aussy remercyer. Et ne puis obmettre de vous ramantevoir tousjours les remèdes pour le visage de Mon dict Seigneur; car c'est chose qui m'est singullièrement recommandé de ce costé.

CCLXXIIe DÉPESCHE

—du XXXe jour d'aoust 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Fogret.)

Effet produit à Londres par la première nouvelle de la Saint-Barthèlemy.—Saisie de la première dépêche adressée à l'ambassadeur.—Réception de la seconde.—Irritation des Anglais.—Résolution de l'ambassadeur de suspendre toutes les négociations.—Nouvelles d'Écosse.—Nécessité de donner à Walsingham en France les mêmes explications que doit donner l'ambassadeur en Angleterre.—Impossibilité où se trouve l'ambassadeur de répondre aux questions qui lui sont faites.

Au Roy.

Sire, ainsy que Mr de La Mole estoit prest à partir, jeudy matin, pour aller retrouver Vostre Majesté, le premier courrier que m'aviez dépesché, le dimanche, XXIIIIe de ce moys, arriva icy sans aulcun pacquet, parce qu'en passant à la Rye, où il estoit venu descendre, au partir de Roan, les officiers du lieu, ayant desjà veu arriver six ou sept bateaux des gens de la nouvelle religion de Dieppe, toutz épouvantez de la soubdaine sédition de Paris, prinrent la dépesche qu'il m'aportoit, et l'envoyèrent incontinent à la Royne, leur Mestresse, qui ne me l'a encores renvoyée, parce qu'elle est bien loing d'icy. Et le dict Sr de La Mole ne layssa, pour cella, de partir, l'après dînée, avec l'entier discours de toute la négociation qu'avions faicte jusques allors. Et, le soyr mesmes, vint le segond courrier, qui estoit party de Paris le mardy, XXVIe, par lequel, Sire, il vous a pleu me mander le regret, que Vostre Majesté avoit, que la sédition de ceulx de la ville n'estoit encores appaisée, et que je ne parlasse aulcunement des particullarités, ny de l'occasion d'icelle, jusques à l'aultre procheine dépesche, que Vostre Majesté me feroit, le jour ensuyvant[4]. En quoy j'estime, Sire, que vostre troysiesme pacquet m'arrivera plus tost que l'on ne m'aura rendu le premier; et, par ainsy, je parleray sellon icelluy, et non sellon l'aultre.

Et néantmoins je vous veulx bien dire, Sire, que tout ce royaulme est desjà plein de la nouvelle du faict, et que l'on l'interprète diversement sellon la passion d'ung chacun plus que sellon la vérité; dont je vous suplie très humblement de vouloir faire capable l'ambassadeur d'Angleterre des mesmes choses que me commandez d'en dire icy, affin qu'il y ayt confirmité de ses lettres à mon parler; car cella importe beaucoup. Et tout ainsy que je pense bien qu'ung tel accidant muera assez la forme des choses par dellà, je voy que l'on en est desjà icy en telle altération qu'il faudra, à mon advis, qu'on recommance une nouvelle forme d'y procéder, de vostre costé; et ne pouvant encores bien discerner comme elle aura à se faire, je laysseray toutes les choses du passé en quelque suspens, jusques à ce que, par celles qui sont freschement survenues, nous pourrons cognoistre comment nous gouverner vers celles d'après. Et adjouxteray seulement à ce pacquet l'extrêt d'ung chiffre, que j'ay receu de Mr Du Croc, et une lettre que la Royne d'Escoce m'a naguières escripte, avec ung sien mémoyre à part; et vous diray sur le tout, Sire, qu'il me semble tousjours plus expédiant que les différendz des Escouçoys soient remis à la détermination des Estatz du pays, que si Vostre Majesté les prenoit en sa mein; de peur de ne satisfaire à la Royne d'Escoce, et que ne divisiez l'estat, lequel vous voulez conserver entier à vostre allience.

Je suplie, de rechef, très humblement Vostre Majesté de faire bien informer l'ambassadeur d'Angleterre des choses qui ont passé à Paris, et garder que luy, ny nulz angloys soient oppressez de la sédition, car cella interromproit beaucoup la bonne intelligence qu'avez maintenant avecques ce royaulme. Et sur ce, etc.

Ce XXXe jour d'aoust 1572.

A la Royne

Madame, sur ung cas si nouveau et si inopiné, comme celluy qui est advenu, dimanche dernier, à Paris, l'on faict desjà icy tant de diverses interprétations, qu'on me met en grand peyne comme y respondre; et, ce matin, Me Wilson, maistre des requestes de ceste princesse, m'en est venu curieusement demander les particullarités, mais je me suis excusé de luy en rien respondre, à l'occasion que je n'avoys encores mon pacquet; et seulement luy ay dict que je creignois que ceulx de la nouvelle religion eussent donné occasion à ceulx de Paris de s'eslever contre eulx. Il n'est pas à croyre combien ceste nouvelle esmeut grandement tout ce royaulme. Je verray comment les choses s'y disposeront, et vous advertiray, le plus particullièrement qu'il me sera possible, de tout ce que, jour par jour, j'en pourray comprendre. Et sur ce, etc.

Ce XXXe jour d'aoust 1572.

CCLXXIIIe DÉPESCHE

—du IIe jour de septembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Remise à l'ambassadeur de la dépêche qui a été saisie.—Premiers détails de la Saint-Barthèlemy.—Mort de l'amiral Coligni.—Assurance que Walsingham n'a dû courir aucun danger.—Protestation de l'ambassadeur que l'exécution n'a point été préméditée.—Interruption de toutes les négociations avec la France.—Projet des Anglais de renouer leur alliance avec l'Espagne.—Demande de nouvelles instructions sur la négociation du mariage.—Exécution du comte de Northumberland à York.—Suspension du commerce avec la France.

Au Roy.

Sire, aussytost que les officiers de la Rye, qui avoient prins le pacquet que Vostre Majesté m'envoyoit par Nicollas le chevaulcheur, l'ont heu apporté en ceste court, ceulx de ce conseil, s'estant bien courroucés à eulx de la faulte qu'ilz avoient faicte de me l'avoir retardé, me l'ont incontinent remandé par le Sr de Quillegrey, avec plusieurs bien honnestes excuses, et m'ont faict prier que je leur fisse sçavoir si ce qu'ilz avoient ouy de tant de meurtres advenus à Paris, estoit chose véritable, et si Mr de Walsingam y avoit prins nul mal. A quoy pour leur satisfaire, j'ay communicqué au dict Sr de Quillegrey la première lettre de Vostre Majesté, du XXVIe du passé, et luy ay dict que je n'avois rien davantage de tout le dict faict de Paris, sinon que le chevaulcheur, qui estoit venu, assuroit que, depuis icelle escripte, et avant qu'il montât à cheval, il avoit veu la sédition bien allumée par la ville, et qu'il sçavoit certaynement que monsieur l'Amiral et plusieurs aultres de la nouvelle religion estoient mortz, mais n'avoit entendu d'où cella estoit procédé; et, quand à Mr de Walsingam, il croyoit qu'il n'avoit nul danger, parce que ceulx de Paris estoient assez bien instruicts qu'il failloit, en toutes choses, tousjours respecter les ambassadeurs.

Je croy, Sire, qu'il a esté fort à propos que le dict Sr Quillegrey et Me Wilson, maistre des requestes de ceste Royne, qui aussi m'est venu trouver de la part des seigneurs de ce conseil sur ceste occasion, ayent veu la dicte lettre, affin d'oster aux ungs et aux aultres l'impression qu'ilz avoient que ce fût ung acte projecté de longtemps, et que vous heussiez accordé avecques le Pape et le Roy d'Espaigne de faire servir les nopces de Madame, vostre seur, avec le Roy de Navarre, à une telle exécution pour y atraper, à la foys, toutz les principaulx de la dicte religion assemblés; ce que la dicte lettre monstre combien vostre intention a esté esloignée de cella, et combien le cas a esté fortuit et soubdein.

Je voy bien, Sire, que tout ce royaulme en est merveilleusement esmeu, et qu'on met en suspens le propos de Monseigneur le Duc, celluy du commerce, les entreprinses de Flandres et toutes aultres choses, jusques à ce que l'on ayt l'entier esclarcissement comme la chose a passé, et à quoy se résouldra meintenant Vostre Majesté de l'entretènement de l'édict de paciffication. Et cependant, Sire, il semble que ceulx cy veulent, en tout évènement, reprendre quelque nouvelle praticque avec Anthonio de Guaras, sur les lettres qu'il a apportées du Roy d'Espaigne et du duc de Medina Celi à ceste princesse, quand elle estoit à Quilingourt; desquelles la substance n'estoit que de la venue du dict duc aux Pays Bas; mais ilz veulent maintenant, sur l'occasion des choses de Paris, les fère servir à ung plus grand effect, s'ilz peulvent, et préparent aussy d'envoyer, du premier jour, quelqung en Allemaigne devers les princes protestans. Dont je retourne suplier très humblement Vostre Majesté, comme je l'ay desjà supliée par mes précédantes lettres, qu'il luy plaise me mander la façon comme j'auray à parler de cecy à ceste princesse, affin de la rendre capable de la vérité des choses; et que faciez, Sire, que Mr de Valsingam en soit aussy informé, affin qu'il le luy représente de mesmes par ses dépesches.

J'ay touché quelque mot au dict Sr de Quillegrey de ce que me mandiez en chiffre; à quoy il m'a respondu qu'il n'a pas quinze jours que la Royne, sa Mestresse, et les siens se fussent bien fort resjouys d'une telle déclaration, mais qu'à ceste heure il croyoit qu'ilz prendroient nouveaulx advis, et, possible, bien esloignés de ceulx qu'ilz avoient eus auparavant. Je l'ay fort assuré qu'aussytost que j'auroys de voz nouvelles, lesquelles ne pouvoient guières plus tarder, je les iroys apporter à la dicte Dame; et ainsy il l'est allé trouver. Je seray bien ayse, Sire, qu'incontinent après l'arrivée de Mr de La Mole, il vous playse me mander à quoy Voz majestez vouldront résouldre du propos de Monseigneur le Duc, affin que j'en reprenne les erres, le mieulx qu'il me sera possible.

Vendredy, XXIIe du passé, le comte de Northombelland a esté exécuté publicquement en la ville d'Yorc, non sans regret de plusieurs, mais sans tumulte de pas ung, parce qu'on révère bien fort par deçà la justice et l'authorité de leur Royne. Vray est qu'on n'a layssé de donner ung grand blasme aux Escouçoys sur l'indignité de cest acte, de ce que, contre l'ancienne observance d'entre ces ceulx royaulmes, ilz ont vendu la vie de ce seigneur, lequel estoit allé à refuge à eulx. Sur ce, etc.

Ce IIe jour de septembre 1572.

Depuis ce dessus, J'ay receu une lettre de Me Smith, à présent seul secrettaire d'estat d'Angleterre, touchant aulcunes choses d'Escoce, et le mémoyre qu'il m'a envoyé des dictes choses, en escouçoys. Il faict aussi quelque jugement de celles qui s'entendent de Paris, dont vous envoye l'original de sa lettre et le traduict du dict mémoyre. Ceste princesse est en quelque opinion d'envoyer bientost le Sr de Quillegreu en France. S'il y va, je creins qu'il passera en Allemaigne.

A la Royne

Madame, parce que ceulx cy délayssent presque toutes aultres choses en suspens, pour entendre à celles qu'on leur a rapportées de Paris, et sçavoir d'où est procédé l'occasion d'icelles, et quelles conséquences elles produiront, j'ay estimé qu'il n'estoit encores bien à propos d'aller trouver là dessus la Royne d'Angleterre, et qu'il estoit trop meilleur que j'attandisse vostre procheyne dépesche, affin de luy pouvoir mieulx apporter la certitude du tout, et avoir, premier que de luy en rien discourir, la forme comme il plerra à Voz Majestez que je en parle. Et cependant je satisfay, le mieulx que je puys, par la lettre du Roy, du XXVIe du passé, à toutz ceulx qui m'en viennent rechercher; et leur fay cognoistre que c'est ung cas fortuit qui oncques n'avoit esté projecté, et que le Pape, ny le Roy d'Espaigne, n'y sont, comme ilz l'estiment, en rien meslés; et qu'il y a grand apparance que ceulx de la nouvelle religion, après la blessure de monsieur l'Amiral, ayent eulx mesmes provoqué ceste entreprinse contre eulx.

Il y a plusieurs navyres dans ceste rivière, chargés de draps et aultres marchandises, pour France, qui debvoient faire voyle, à ce commancement de septembre; mais tout est arresté jusques à ce qu'on ayt plus grand esclarcissement de l'affaire, duquel je desire infinyement que l'ambassadeur d'Angleterre demeure bien édiffié, et que bonne édiffication en demeure pareillement vers toute la Chrestienté pour Voz Majestez Très Chrestiennes, et pour toutz les vostres, contre ceulx qui vouldront entreprendre d'en rien calompnier. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour de septembre 1572.

Je ne puis faire, Madame, touchant le propos de Monseigneur le Duc, que je ne vous ramantoyve tousjours de faire accélérer les remèdes du visage, et de faire advancer, avec l'art, ce que la nature s'esforce de rabiller peu à peu d'elle mesmes, vous supliant très humblement d'essayer l'expérience du personnage que je vous ay envoyé; car la démonstration, qu'il m'en a faicte, est chose si aysée et si seure, que nul ne le pourra contredire, et j'en suis, de plus en plus, très instamment sollicité de ce costé.

CCLXXIVe DÉPESCHE

—du XIIIIe jour de septembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Nycolas.)

Irritation des Anglais; insultes et provocations faites à l'ambassadeur.—Précautions prises en Angleterre.—Demande d'audience.—Retard de la reine à l'accorder.—Audience. Froide réception faite par la reine.—Déclaration de l'ambassadeur de la nécessité où s'est trouvé le roi d'ordonner l'exécution de Coligni et des protestans, pour prévenir l'exécution qu'ils voulaient faire eux mêmes contre lui, la reine-mère, les ducs d'Anjou et d'Alençon.—Curiosité d'Élisabeth pour connaître les détails de l'évènement; regret qu'elle éprouve, non de la mort de l'amiral et des protestans, mais de ce qu'ils ont été punis sans l'intervention de justice; son desir que le roi se justifie complètement aux yeux de toute l'Europe.—Protestation de l'ambassadeur que l'exécution n'a pas été préméditée.—Crainte de la reine que l'alliance d'Angleterre ne soit désormais abandonnée par le roi.—Assurance donnée par l'ambassadeur que le roi persiste dans le traité d'alliance et dans la proposition du mariage du duc d'Alençon; demande que Leicester soit autorisé à passer en France.—Refus d'Élisabeth d'envoyer en France Leicester ou Burleigh, de peur qu'ils ne soient eux mêmes mis à mort.—Même communication faite par l'ambassadeur au conseil d'Angleterre.—Horreur inspirée par l'exécution de la Saint-Barthèlemy.—Nouvelle justification de la nécessité où s'est trouvé le roi d'agir ainsi qu'il a fait.—Explications demandées par le conseil sur la réception que peuvent espérer les marchands anglais à Bordeaux, et sur les projets de Strozzy en Flandre.—Vives assurances d'amitié données par l'ambassadeur.—État de la négociation concernant l'Écosse.—Efforts de l'ambassadeur pour empêcher une rupture avec l'Angleterre.—Remontrances par lui faites du danger que courrait l'Angleterre si l'on forçait le roi à révoquer l'édit de pacification pour s'unir aux projets du pape et du roi d'Espagne.—Nécessité de maintenir cet édit en France, et d'en donner l'assurance à Walsingham.—Imminence du danger où se trouve Marie Stuart par suite de l'exécution faite en France.

Au Roy.

Sire, le temps a esté si contraire au Sr de L'Espinasse et au secrettère de Mr de Walsingam, venantz dernièrement ensemble par deçà, qu'ilz ont esté contrainctz de séjourner troys jours à Bouloigne, sans avoyr passage, et encores, quand ilz ont entreprins de passer le quatriesme, ilz ont cuydé périr dedans le port; dont n'a esté possible qu'ilz soient arrivez jusques au troysiesme de ce moys en ceste ville; où il n'est pas à croyre, Sire, combien la nouvelle confuse, qui avoit couru devant eulx, dès le XXVIIe du passé, des choses advenues à Paris, avoit desjà immué le cueur des habitans; lesquelz ayant monstré auparavant d'avoir une fort grande affection à la France, ilz l'ont soubdein convertye en une extrême indignation, et une merveilleuse hayne contre les Françoys, reprochans, tout hault, la foy rompue, avec grande exécration de l'excès et avec tant de sortes d'otrages, meslés de parolles de deffy, par ceulx qui portent les armes, contre quiconques vouldroit dire le contrayre, qu'il n'a esté possible que je l'aye peu suporter, mesmes que, quand la nouvelle a esté plus esclarcye, ilz ne se sont de rien modérez, ains sont entrés davantage en fureur avec exagération du faict, et avec opinion que ce ayt esté le Pape et le Roy d'Espaigne qui ont rallumé ce feu en vostre royaulme, pour ne laysser trop embraser celluy de Flandres; et qu'il y ayt encores quelque maulvais marché, entre vous troys, contre l'Angleterre.

Dont j'entendz, Sire, que, de ceste court, premier que je y aye peu arriver, a esté dépesché ung gentilhomme de bonne qualité devers le duc d'Alve, par l'entremise de Guaras; et expédié en Allemaigne aulcuns gentilshommes allemans, qui se sont trouvés icy; et envoyé le Sr de Quillegreu devers les Escouçoys pour prendre nouveaulx expédiantz par dellà; et mandé au comte de Cherosbery de reserrer, plus que jamais, la Royne d'Escoce; et faict dilligemment observer comme je parlerois de ce faict qui estoit advenu; et enfin a esté mis tout l'ordre qu'on a peu, tant par mer que par terre, que nul inconvénient puisse advenir en ce royaulme, où il ne soit desjà pourveu.

Sur quoy je n'ay layssé pour cella, incontinent que le Sr de L'Espinasse a esté arrivé, de m'achemyner vers ceste princesse à Oestoc; laquelle ne m'a pas si tost admis à parler à elle, ains m'a faict temporiser, troys jours, au lieu d'Oxfort, pour donner loysir à ceulx de son conseil de s'assembler ce pendant, comme ilz ont faict plusieurs foys, sur la dépesche de Mr de Walsingam. Et enfin elle m'a mandé venir; qui l'ay trouvée, accompaignée de pluseurs seigneurs de son conseil, et des principalles dames de sa court, toutz en grand silence, dedans sa chambre privée.

Et elle s'est advancée, dix ou douze pas, pour me recepvoir, avec une triste et sévère, mais toutjours fort humayne façon; et m'ayant mené à une fenestre, à part, après s'estre ung peu excusée du dellay de mon audience, elle m'a demandé s'il estoit possible qu'elle peût ouyr de si estranges nouvelles, comme on les publioit, d'ung prince qu'elle aymoit et honnoroit; et auquel elle avoit mis plus de fiance qu'en tout le reste du monde.

Je luy ay respondu, Sire, qu'à la vérité je me venois condouloir infinyement avec elle, de la part de Vostre Majesté, d'ung extrême et bien lamentable accidant, où vous aviez esté contrainct de passer, au plus grand regret que de chose qui vous fût advenue despuis que vous estiez né au monde. Et luy ay racompté, par ordre, tout le fait, sellon l'instruction que j'en avoys; adjouxtant aulcuns advertissementz que j'ay estimé bien nécessayres pour luy fère toucher que, par l'apréhension de deux extrêmes dangers, qui estoient si soubdeins qu'il ne vous avoit resté une heure entière de bon loysir pour les remédier, et dont l'ung estoit de vostre propre vye, et de celle de la Royne, vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et l'aultre d'un inévitable recommancement de troubles, pires que les passez, vous aviez esté contreinct, à vostre plus que mortel déplaysir, non seulement de n'empêcher, mais de laysser exécuter, en la vye de monsieur l'Amyral et des siens, ce qu'ilz préparoient en la vostre, et courre sur eulx la sédition qui leur estoit desjà dressée; après toutesfoys n'avoyr obmis ung seul office de bon roy envers le debvoir de la justice, nul de bon prince envers son subject, nul de cordial seigneur et maistre envers son bien aymé serviteur, que vous ne les heussiez toutz randus à monsieur l'Amiral en sa blesseure, comme s'il heût esté vostre propre frère; et aviez encores auparavant faict vers luy, et vers ceulx de la nouvelle religion, mille sortes de faveurs et de bon entretènement, de sorte que vous vous condoliés davantage, avec elle, de la perverse intention et horrible ingratitude qu'ilz avoient uzée vers vous; de quoy aulcuns d'eux, premier que de mourir, avoient confessé qu'ilz estoient justement punis, pour avoir conjuré contre leur prince naturel; finablement que vous vous condoliez d'avoir esté contreinct de vous laysser couper un bras, pour saulver le reste du corps; et que vous vous assuriez, Sire, qu'elle auroit douleur de cestuy vostre accidant, et ayderoit, en tout ce qu'elle pourroit, de vous en relever et de modérer vostre regrect.

La dicte Dame, voyant que je luy parlois en aultre façon que possible elle n'espéroit, après m'avoir curieusement interrogé d'aulcunes particullarités, m'a respondu qu'elle vouldroit, de bon cueur, que les crimes qu'on imposoit de nouveau à monsieur l'Amiral et aux siens fussent plus grandz que ceulx, dont ilz avoient esté nothés auparavant, et que leurs conspirations présentes surpassassent beaucoup celles du passé, et fussent plus énormes que l'escript qu'elle avoit veu de Mr de Walsingam, ny ce que je luy en disois, qui l'exprimois davantage, ne les dépeignoient, affin que leurs propres démérites les rendissent coupables de la cruelle mort qu'ilz avoient souferte; ou bien qu'ilz fussent toutz tombez ez mains de Monsieur, frère de Vostre Majesté, pendant qu'il les poursuyvoit, sans que la victoyre en heût esté ailleurs réservée; car leur perte, ny de plusieurs foys aultant de leurs semblables, ne la mouvoit de rien, n'ayant guyères jamais aprouvé leurs entreprinses, sinon ung peu en ce qu'ilz monstroient de deffendre vostre édict de la paix, et qu'encores, en cella, eût elle plus approuvé qu'ilz se fussent absentés, que d'avoir opposé leurs armes contre les vostres, et contre ceulx qui les portoient pour vous. Mais, ce qui luy pressoit le cueur estoit la creinte qu'elle avoit de vostre réputation; car vous ayant choysy pour celluy, d'entre toutz les princes chrestiens, puisqu'elle n'a point de mary, qu'elle vouloit aymer et révérer comme si elle fût vostre épouse, elle estoit infinyement jalouse de vostre honneur, et pouviez croire qu'elle avoit debbatu vostre justiffication et innocence, en cest endroict, plus qu'elle n'eût faict la sienne propre; et avoit assuré, sur sa vye, que, de vostre naturel, ny d'aulcune intention qui fût procédée de vostre cueur, toutz ces meurtres n'estoient point advenus; et que c'estoit quelque accidant estrange, duquel le temps esclarciroit les occasions. Mais quand, depuis, on luy avoit rapporté plusieurs particullaritez, qui avoient lors succédé en vostre présence, et que mesmes vous aviez faict aprouver le tout par vostre parlement, comme s'il n'y heût des loix en France contre ceulx qui conspireroient contre Voz Majestez Très Chrestiennes et contre les princes de vostre couronne, sinon en aprovant une sédition, elle ne sçavoit plus que dire, sinon creindre que beaucoup de grandz inconvénientz ne vous en adviennent, et prier Dieu, de bon cueur, pour vous, qu'il les vueille destourner; au reste vous offroit, de bon cueur, tout ce qui est en son moyen et puissance, pour l'effect, que je luy demandois, de vous ayder à vous relever de cest accidant, me priant de l'advertir en quoy ce pourroit estre; car juroit de n'y rien espairgner, et que mesmes elle avoit le cueur assés fort pour supporter de perdre ung doigt, et de ne refuzer qu'on le luy coupât à vostre occasion, pourveu qu'elle peût remédier que vostre foy et promesse ne fussent de rien intérésez en cest endroict.

Je l'ay infinyement remercyé de l'abondance de sa bonne volonté vers vous, et de ce que ses vertueux propos m'assuroient qu'elle n'aprouvoit aulcunement la male intention de ceulx cy, ny réprouvoit le chastiement qu'ilz en avoient receu, sinon seulement qu'elle heût bien voulu que ce heût esté par l'ordre de la justice; ce que je luy pouvois assurer que Vostre Majesté heût aussy infinyement desiré, mais je la supliois de considérer que c'estoit tenir le loup par les oreilles; et qu'à deux dangers qui estoient si pressantz, que l'irésolution d'une heure estoit la ruyne de vostre vye et des vostres, et l'entière désolation de vostre royaulme, les plus présens remèdes avoient esté trouvez les meilleurs. Et, quand à ce que vous pourriez desirer d'elle en ceste endroict, c'estoit qu'elle voulût ainsy juger de vous comme d'ung prince qui, jusques à l'extrémité de la vye, aviez tenu toutes vos promesses, sans manquer d'une seule à monsieur l'Amiral et aux siens; qu'elle voulût réputer le faict pour le plus fortuit et le moins prémédité que nul aultre, qui fût jamais advenu; qu'elle ne voulût penser qu'il y heût rien meslé de la religion, ny de la ropture de l'édict, car dellibériez de le fère droictement observer; qu'elle voulût demeurer très fermement persuadée que c'estoit leur propre conjuration, qui seule avoit provoqué la sédition contre eulx, et finallement qu'elle ne permît que, pour ce qui estoit advenu, il fût rien changé ny diminué en vostre mutuelle amytié, sellon que, de vostre part, vous dellibériez d'y persévèrer plus constemment que jamais.

Elle soubdain m'a réplicqué qu'elle creignoit bien fort que ceux, qui vous avoient faict habandonner voz naturelz subjectz, vous feroient bien délaysser une telle bonne amye, estrangère comme elle vous estoit, et que la promesse et sèrement que luy aviez faict de vostre amityé ne fussent assez suffizans rempart contre leurs persuasions; toutesfoys qu'elle me promectoit d'accomplir vers Vostre Majesté tout ce dont je l'avoys requise, et vous prioit que, pour l'amour d'elle, vous voulussiez aussi fère deux choses qui serviroient à vostre justiffication: l'une, d'esclaircir de mesmes les aultres princes et potentatz de la Chrestienté, de l'occasion que vous aviez heue contre ceulx cy, affin qu'ilz demeurent bien édiffiez que ce n'a esté nullement de vostre costé que la foy et promesse ont commancé de se rompre; la segonde, que vous mainteniez à ceulx de la nouvelle religion, qui n'ont esté de la conspiration, vostre édict; et que les rassuriez de l'espouvantement qu'ilz ont, pour cest accidant de Paris; et qu'elle trouvoit bon que je tinse à ceulx de son conseil les semblables propos que j'avoys faict à elle, parce qu'on parloit fort estrangement de ce qui estoit advenu; et que ses subjectz estimoient de ne pouvoir plus trouver de seurté ny en vous, ny en vostre royaulme: et qu'il y en avoit qui ozoient dire que les mariages, qu'on avoit mis en avant, avoient esté projectez pour dresser une semblable partie en Angleterre.

Je luy ay respondu que la considération de l'amityé et de la confédération, d'entre Voz Majestez, estoit chose de telle importance qu'il n'y avoit celluy qui vous ozât jamais conseiller de vous en départir. Et, quand aux choses qu'elle vous requéroit, j'estimois que vous les accompliriez entièrement, sellon que je pouvois cognoistre que vostre intention n'en estoit esloignée, et que vous inclineriez tousjours fort volontiers à ses honnestes conseilz qu'elle vous donneroit; et qu'au reste je sçavois qu'il n'y avoit rien qui ne fût très sincère au pourchas de son mariage, ayant receu de voz lettres, du jour auparavant la blessure de monsieur l'Amiral, par lesquelles Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, m'en fesiez la plus honnorable et expresse mencion du monde; desirans qu'à cest effect monsieur le comte de Lestre voulût accomplir le voyage qu'il avoit desiré fère par dellà, et que je la supliois de voyr, par la lettre de Monseigneur le Duc, en quelle bonne affection il persévéroit vers elle.

La dicte Dame a leu fort volontiers la dicte lettre, et en a receu contantement; puis, m'a dict qu'elle avoit proposé d'envoyer visiter la Royne Très Chrestienne, en ses premières couches, par la plus honnorable ambassade qui fût, de longtemps, passée en France, aulmoins la plus grande que la couronne d'Angleterre l'eût peu fère; mais qu'elle n'avoit garde meintenant d'y envoyer le comte de Lestre, ny son grand trézorier, car sçavoit combien leur mort estoit desirée; et, encores qu'elle se confiât entièrement de Vostre Majesté, si ne vouloit elle estre veue si imprudente que de l'entreprendre meintenant, et que, sellon qu'elle verroit procéder les choses, elle se conduiroit.

Au partir d'elle, je suis allé fère les mesmes discours aulx seigneurs de son conseil, et leur ay encores plus exprimé les extrémités qui vous avoient contreint de laysser exécuter ceste violence.

Dont ilz m'ont respondu qu'ilz estoient bien ayses que les dictes extrémités leur fussent encores représantées plus urgentes, par mon dire, qu'ilz ne les avoient trouvez par l'escript de Mr de Walsingam, et que, sans doubte, le plus énorme faict qui, depuis Jésus Christ, fût advenu au monde, avoit esté freschement exécuté par les Françoys; lequel les Italiens, ny les Espagnolz, encor que bien passionnés, n'avoient garde de le louer en leur cueur; et seroient les ennemis plus promptz à le condempner que les amys à le réprouver, pour estre ung acte trop plein de sang, la pluspart innocent, et trop suspect de fraulde, qui avoit violé la seureté d'ung grand roy, et troublé la sérénité des nopces royalles de sa seur, insuportable d'estre ouy des oreilles des princes, et abominable à toutes sortes de subjectz, faict contre tout droict divin et humein, et sans ordre ny exemple d'aulcun aultre acte qui ayt esté jamais entreprins en la présence de nul prince, et qui mesmes avoit plustost mis, que osté de danger Vostre Majesté et toutz les vostres, et qu'enfin la foy avoit esté manifestement violée; mais par qui? ilz estoient bien ayses que je monstrois que ce avoit esté par les subjectz, et desiroient que toute la Chrestienté en demeurât ainsy persuadée, comme, de leur part, ilz ne vouloient que bien juger des actions de Vostre Majesté; seulement voudroient qu'elles heussent esté sans sédition, et sans oultrepasser les ordres de la justice que les princes ont accoustumé d'uzer en la punition des subjectz.

Je leur ay respondu que, s'ilz vouloient mettre en considération les choses qui avoient passé depuis douze ans en France, et celles qui se offroient meintenant, si urgentes qu'on n'avoit heu une heure de loysir pour les pouvoir dellibérer, ilz jugeroient bien que l'extrémité du mal avoit requiz extrême remède; mesmes que, tout ce qui se peult ymaginer de salutayre pour la conservation du prince et de l'estat, s'il n'est du tout aprouvé, aulmoins est il excusable: et qu'en ce faict, Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ny Messeigneurs voz frères, n'aviez rien changé de vostre très clément et accoustumé naturel, facille à pardonner. Ains aviez les premiers soufert une extrême viollence en voz propres âmes, de sorte que leur Mestresse et eulx debvoient avoir plus de compassion que de hayne de ce qui estoit advenu; et debvoient demeurer fermes, de leur costé, comme vous seriez immuable, du vostre, en la plus estroicte amityé et confédération qu'avez naguyères conclue avec elle et son royaulme.

Ilz m'ont réplicqué qu'il n'estoit rien succédé de nouveau du costé de la Royne, leur Mestresse, pour fère creindre la ropture, et qu'il ne fault doubter d'elle, si elle trouvoit correspondance; dont communiqueroient avec elle, et puys me feroient avoyr sa responce, me priant cependant de vous vouloir suplier, Sire, qu'il vous plaise les esclarcyr de deux choses: l'une, de la seureté que leurz marchandz pourront trouver à Bordeaulx, où ilz sont prestz d'aller pour les vins, car ilz se creignent fort de n'y estre bien receus ny bien trectez; et l'aultre, de ce qu'ilz ont à penser de l'armée du Sr Strossy.

Je leur ay respondu, quand au premier, que Vostre Majesté me commandoit d'assurer la Royne, leur Mestresse, de vostre persévérance vers son amityé, et vers la paix de son royaulme; et pour le segond, je l'avoys assurée, de vostre part, que l'armée du Sr Strossy n'yroit en lieu qui peût tourner à son préjudice; ains seroit preste de la servir, si elle en avoit besoing.

Ilz m'ont réplicqué que ce nouveau accidant, qui estoit survenu, requéroit nouvelle provision et confirmation de ces deux choses, et qu'avec icelles ilz vous prioient d'avoir leur ambassadeur pour recommandé.

Et, le jour après, ilz m'ont mandé qu'ilz avoient conféré avec leur Mestresse, et qu'elle m'envoyeroit la responce, conforme à ce que j'avoys desiré.

J'ay obtenu d'eux qu'il se fera, de la part de la dicte Dame, au Sr de Quillegrey, lequel a succédé au Sr Drury, en Escoce, une dépesche conforme à ce que desirez, d'incister que la ville de Lillebourg soit layssée en liberté; que l'interprétation «de rentrer chacun en sa mayson» s'entende chacun en ses biens, tant eclésiasticques que temporelz; et que l'abstinence soit prorogée pour aultres deux moys, si la paix ne peult succéder. Et ainsy j'ay layssé le Sr de L'Espinasse devers eulx pour s'acheminer, avec vostre dépesche et la leur, par dellà.

Despuis, estant de retour en ce lieu, j'ay receu celle de Vostre Majesté, du premier, segond et troisiesme de ce moys; sur laquelle j'yray retrouver la dicte Dame le plus tost qu'il me sera possible; et sur ce, etc.

Ce XIVe jour de septembre 1572.

Pendant que j'achevoys ceste dépesche, le courrier de la Royne d'Angleterre a passé en ceste ville; par lequel j'entends qu'elle mande à son ambassadeur de vous fère sa response. Je ne sçay si l'arrivée de milord Quiper, et du comte de Bedfort, à la court, depuis mon audience, y aura faict changer quelque chose. Tout présentement, je viens de recepvoir vostre pacquet du VIIIe du présent.

A la Royne

Madame, jamais nul accidant ne se fit tant sentir, en nul pays, estrange, comme celluy qui est advenu à Paris, se ressent par deçà, et a esté bien besoing que je me soye comporté en quelque façon qui n'ayt point offancé ceulx cy, car j'ay esté le plus observé du monde; et encores n'aparoit il que violence et ung grand débordement de parolles et reproches, par ceste ville, contre toute la France; et cuydoit l'on que ceste princesse ne me deût aulcunement admettre en sa présence. Néantmoins elle m'a receu assez humaynement, et, après m'avoir ouy, m'a encores plus gracieusement licencié; et ceulx de son conseil aussy, après ung peu d'aigreur, se sont radoulcis, et sont venus à la modération que Vostre Majesté verra par la lettre du Roy, leur ayant franchement dict qu'il importoit beaucoup de quelle façon, elle et eulx, prendroient cest affaire, et de quelle responce ilz vous y satisferoient; car, s'ilz monstroient de n'en rester point offancés, et de ne vouloir, pour cella, changer rien des bons termes, auxquelz ilz estoient avecques Voz Majestez et vostre royaulme, que vous persévèreriez très constemment de mesmes vers eulx; mais, s'ilz en uzoient aultrement, ilz vous contreindroient de vous getter entièrement du costé de ceulx à qui, pour aulcuns leurs respectz, ce qui avoit esté faict ne pouvoit déplaire; qui, possible, vous induiroient de mener encores les choses à de pires conséquences que les passées.

Sur quoy me semble, Madame, que les ay mis à penser, et que si, d'avanture, ils voyent que les affères en France n'aillent à telle extrémité contre ceulx de la religion, qu'ilz ne puissent bien demeurer en vostre intelligence, qu'ilz ne s'en départiront point pour encores; bien qu'il ne fault doubter qu'ilz n'ayent conceu une très grande deffiance de nous, et que pourtant il ne nous faille estre ung peu deffians d'eux. Dont sera bon que faciez prendre garde en Allemaigne qu'est ce qu'ilz y négocieront, et, en Flandres, en quelles nouvelles praticques ilz rentreront avec le duc d'Alve; et qu'est ce qu'ilz traicteront, en vostre royaulme, avec voz subjectz qui sont de leur religion; et advertir les gouverneurs des places de dessus la mer, de deçà, qu'ilz se tiennent sur leurs gardes; et, en Escoce, à ceulx du bon party, d'estre bien advisés sur les menées que le Sr de Quillegreu y fera, mesmement touchant le chasteau de Lislebourg; et j'auray l'œil s'ilz hasteront rien icy des préparatifz qu'ilz ont ordonné pour mer et pour terre, affin de vous en advertyr incontinent.

Il semble néantmoins que si Vostre Majesté dispose bien le Sr de Walsingam, et le rende capable de la justiffication des choses qui sont advenues; et luy faciez voyr qu'il n'y a heu rien de meslé de la religion, et que mesmes les Angloys n'ont à espérer moins de seureté et de bon traictement en France, qu'ilz faysoient auparavant, qu'il sera possible que le propos de mariage se repreigne; et aulmoins que la confédération se continue; et qu'on n'yra pas rechercher le Roy d'Espaigne, et encores procèdera l'on, par advanture, plus modéréement vers la Royne d'Escoce, laquelle je vous puis assurer, Madame, qu'elle est en très grand danger. Il sera bon de satisfaire, le plus promptement qu'on pourra, à ceulx de ce conseil, sur les deux poinctz qu'ilz demandent, de la seureté de leurz marchandz à Bourdeaulx, et du faict de l'armée du Sr Strossy. Et sur ce, etc. Ce XIVe jour de septembre 1572.

Depuis avoyr layssé la Royne d'Angleterre, elle a assemblé toutz ceulx de son conseil, qui, possible, luy auront faict changer quelque chose du bon propos où je l'ay layssée; mais je la reverray bientost sur les deux dernières dépesches, que j'ay reçues de Vostre Majesté. Je vous suplie très humblement de parler ung mot de bonne affection à Mr de Walsingam pour la Royne d'Escoce, car je vous puis assurer, Madame, qu'elle est en grand danger; mais que ce soit sans augmenter le souspeçon qu'on a par deçà.

CCLXXVe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de septembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Nouvelles de France.—Efforts du roi pour arrêter les exécutions.—Preuves nouvelles de la conspiration qui avait été formée.—Assurance que le roi veut maintenir l'édit de pacification.—Le comte de Montgommery réfugié à Jersey.—Armemens en Angleterre.—Mort du comte de Mar.—Insultes continuelles faites à l'ambassadeur.—Difficultés que présente la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, je vays présentement retrouver la Royne d'Angleterre pour luy faire part du contenu ez deux dernières dépesches de Vostre Majesté, du premier et septiesme de ce moys, et croy bien qu'il me faudra temporiser quelques jours l'audience, parce que la dicte Dame part aujourdhuy, du lieu où je la layssay dernièrement, et s'achemine, ainsy qu'on dict, à Redin, où à peyne arrivera elle devant samedy au soyr, et je pourray parler à elle dimanche.

Je luy continueray le propos de la conjuration, naguières dressée contre Vostre Majesté et contre la Royne, vostre mère, et contre Messeigneurs voz frères, et que vous rendez infinyes grâces à Dieu de vous avoir toutz préservés de l'instant péril où avez esté de voz vyes, regrettant néantmoins, de tout vostre cueur, que la sédition, qui a esté suscitée à cause de cella, tant à Paris que ez aultres endroictz de vostre royaulme, où la nouvelle en est allée, ayt passé plus avant que contre les seuls conspirateurs; et toutesfoys que vous aviez mis bon ordre de la faire bientost cesser; et avez envoyé les gouverneurs, chacun en sa province, pour y rasseurer ceulx de la nouvelle religion, et les mettre en la plus grande saulvegarde que faire se pourra, sellon la continuation de l'édict; lequel vous dellibériez faire exactement entretenir, avec pareilh bon traictement à toutz ceulx de la dicte religion, qui n'auront esté de la conjuration, comme à voz aultres subjectz, en ce, toutesfoys, qu'ilz demeureront paysibles, et ne se pourront pour encores assembler; et que la dicte conjuration, oultre la première avération, qui en a esté faicte devant la sédition de Paris, se va, de jour en jour, descouvrant si à cler, et mesmes par l'audition de Briquemaut, qui a esté trouvé en l'escuyrie de Mr de Walsingam, et puis par Cavaignes, qui a esté prins ailleurs, lesquelz sont toutz deux ez meins de la justice, qu'il ne fault que l'on en demeure plus en doubte; et qu'après que l'information en sera parfaicte, Vostre Majesté en fera communicquation à toutz les princes voz alliez, et nomméement à la dicte Dame. Et n'obmettray rien vers elle, Sire, de ce qui pourra servir pour luy faire voyr que vous avez heu la plus juste occasion du monde de laysser passer les choses, ainsy qu'elles ont. En quoy il importe assez que la justiffication s'en sante par deçà par le moyen de Mr de Walsingam; et je m'assure que la Royne, sa Mestresse, aydera en ce qu'elle pourra de la faire bien recepvoir d'ung chacun; mais il y a une telle concurrence entre elle, son conseil et le commun du royaulme, qu'ilz ne veulent, ny ozent vouloir rien l'ung sans l'aultre; et creins bien fort qu'il faudra que la dicte Dame, premier qu'elle passe plus avant au propos de Monseigneur le Duc, fasse voyr quelque satisfaction à ses subjectz de cest accidant de Paris; lequel vous jugés bien, Sire, sellon les grandes difficultez qu'on a tousjours trouvé icy, sur le poinct de la religion, qu'il n'en a peu succéder ung qui y ayt apporté plus de traverse que celluy là. Néantmoins je proposeray à la dicte Dame l'entrevue, ainsy qu'il vous playst, et à la Royne, vostre mère, me le commander, sans luy obmettre, et aux siens, une seule de toutes les meilleures persuasions que je leur pourray alléguer en cella; mais je voy bien que le trop grand et le trop récent sentiment, qu'ilz ont de ce qui est advenu, ne leur permettra de m'y bien respondre. Dont semble qu'il ne les faudra trop presser, et qu'il sera meilleur, premier que de rien rompre, de renvoyer encores l'affaire à Voz Majestez.

Il estoit desjà quelque vent que le comte de Montgommery estoit passé à Gersé, mais j'attandoys de le sçavoir plus certeynement; et m'a le visadmiral d'Angleterre, son beau frère, prié et faict prier, par ceulx de ce conseil, de moyenner vers Vostre Majesté que le douayre de sa belle fille luy soit payé; à quoy je luy ay respondu que si le dict comte se justiffie bien de la conspiration de Paris, que luy mesmes le pourra payer, et sinon que je luy ayderay envers Vostre Majesté de tout ce qu'il me sera possible. Je n'oublieray, touchant le dict comte, de faire l'instance que me commandez.

Toutz les principaulx du conseil d'Angleterre sont allez trouver ceste Royne, et ont mis quelques nouveaulx ordres par le royaulme. Ilz avoient quelques gens prestz pour les passer encores à Fleximgues, mais ilz les ont arrestés et ont mis en dellibération si l'on révoquera ceulx qui sont desjà par dellà. L'on a mandé de tenir prestz dix grandz navyres, de ceulx qui mieulx peuvent suporter l'hyver en la mer, affin de les envoyer vers Porsemmue. Il passe toutz les jours beaucoup de Françoys icy, qui ne sont de grand nom. Je me suis layssé entendre que Vostre Majesté a volonté de rasseurer en leurz maysons ceulx qui n'auront esté de la conspiration; dont vous pléra me mander comme j'auray à me comporter vers eulx, et ce que j'auray à leur dire. Et sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de septembre 1572.

L'on me vient de donner advis qu'en Escoce a succédé quelque grand meurtre, et que le comte de Mar y a esté tué. J'en sçauray mieulx la certitude, et la vous manderay par mes premières.

A la Royne

Madame, je loue bien fort les propos que j'ay veus en la lettre du Roy, du premier de ce moys, que sa Majesté et la vostre avez tenus à Mr de Walsingam, lequel j'espère qu'il les aura escriptz à la Royne, sa Mestresse, et que je la trouveray maintenant mieulx édiffiée de Voz dictes Majestez sur les choses advenues à Paris, que je ne fis l'aultre foys; dont je la suplieray de faire cesser en ceste ville les maulvaises parolles, pleines de diffâme, qu'on y tient, et les aultres grandes indignités, dont l'on uze assez publicquement là dessus; qui, vous prometz, me sont par trop insuportables. Je uzeray le plus discrètement que je pourray vers elle des deux lettres qu'il vous a pleu m'escripre du VIIe de ce moys, et mectray peyne de faire si bien prendre celle qui parle du feu Amiral, que, possible, cella nous remettra en bon chemin pour le propos de l'aultre; bien que je vous puis assurer, Madame, que ce nouvel accident luy est, à elle et à toutz les siens, une playe si profonde et si rescente, qu'il y faudroit ung bien expert cirurgien, et du baulme fort excellant pour si soubdein la guérir et rescouder. Et me creins assez, sellon aulcunes choses que j'ay entendues, qu'on vouldra aulcunement se rétracter de ce qu'on nous avoit accordé par l'escript que Mr de La Mole vous a apporté. Aulmoins ne m'attans je pas que ceste princesse, laquelle n'a nul certein successeur, face, en ce temps, ung seul pas hors du royaulme; tant y a que je n'obmettray rien de ce que j'estimeray la pouvoir bien persuader à l'entrevue, en la façon que me le mandez; vous supliant très humblement, Madame, de disposer en telle sorte le Sr de Walsingam par dellà, que ses lettres puissent remettre icy sa Mestresse et les siens en leur première bonne disposition: car vous prometz qu'il y peut beaucoup, et je ne m'y espargneray aulcunement de mon costé. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de septembre 1572.

CCLXXVIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de septembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Tauriel.)

Exécutions faites à Orléans, à Lyon et à Rouen.—Entreprise dirigée contre le chancelier L'Hospital.—Excès de Strozzy contre les marchands anglais.—Irritation toujours croissante en Angleterre.—Éloignement montré à l'égard de l'ambassadeur.—Mauvais accueil qui lui est fait à la cour.—Audience.—Nouvelle insistance de l'ambassadeur sur la nécessité où s'est trouvé le roi d'ordonner l'exécution de Paris.—Pratiques imputées à l'amiral Coligni contre l'Angleterre.—Consentement du roi à une entrevue, sur mer, entre Élisabeth, le duc d'Alençon et la reine-mère.—Déclaration d'Élisabeth que les massacres ne peuvent être justifiés, et qu'elle ne doit compter désormais ni sur l'alliance de France ni sur la parole du roi.—Justification de l'amiral.—Refus d'accepter l'entrevue proposée sur mer.—Motifs qui ont dû forcer le roi à se défaire de chefs aussi entreprenans et aussi redoutables que l'étaient l'amiral et ses complices.—Demande de l'ambassadeur que le comte de Montgommery soit livré au roi.—Vive assurance que protection sera donnée aux protestans qui n'ont pas fait partie du complot.—Consentement de la reine-mère à ce que l'entrevue se fasse dans l'endroit que la reine d'Angleterre voudra désigner.—Délai demandé par Élisabeth pour donner sa réponse.—Elle accorde l'entrevue, pourvu qu'elle ait lieu à Douvres.—Armemens à Londres.—Demande d'un sauf-conduit pour les navires du commerce qui veulent se rendre à Bordeaux.—Violence des accusations portées en Angleterre contre le roi.

Au Roy.

Sire, les seigneurs du conseil d'Angleterre, lesquelz j'ay trouvés toutz assemblés auprès de la Royne, leur Mestresse, à Redin, avoient desjà, depuis ma dernière audience, heu assez de quoy faire mettre en suspens à la dicte Dame, par les choses advenues à Paris et à Orléans, toutes les bonnes dellibérations qu'elle avoit avec Vostre Majesté; mais, ayantz depuis ouy ce qui est advenu à Lion et à Roan, et ce qu'on leur a dict qui a esté faict du chancellier de l'Hospital[5], et ce que aulcuns de leurz marchandz d'Ouest, qui alloient à Bourdeaulx pour les vins, leur ont rapporté: que l'armée du Sr Strossy avoit pillé, tué, mis à fondz quelques ungs de leur flotte, ilz ont prins de là ung très ample argument, aulmoins les partisans de Bourgoigne, de dissuader tout ouvertement la confédération de France; de sorte que aulcuns de ceulx, qui l'avoient conseillée, m'ont faict advertir qu'ilz sont si honteux et confus, qu'ilz soufrent toutz les blasmes du monde, et qu'il n'y a que ceulx là qui soient maintenant loués jusques au bout, qui crioient tousjours qu'on ne se debvoit arrester à la foy des Françoys, ny quicter jamais l'intelligence du Roy d'Espaigne; lequel ne procédoit sans forme de justice en ce qu'il faysoit, et ne deffailloit de sa foy, ny de sa promesse, aux mesmes Mores et Mahométans qui habitoient en ses pays.

Dont estant arrivé, Sire, sur ung tel poinct en ceste court, sans avoyr rien sceu ny estre aulcunement préparé de ces nouveaulx accidans, qu'ilz disent de Lion, de Roan, du chancelier, ny de l'injure faicte aux Angloys, il fault que je confesse que je y ay esté assez mal veu, et quasy nul ne m'a ozé saluer, sinon la seule Royne, laquelle, à la vérité, m'a ainsy humaynement receu comme de coustume.

Et j'ay mis peyne de luy particulariser les choses qui estoient contenues ez troys dépesches, que j'ay reçues de Vostre Majesté depuis le commancement de ce moys, sans rien obmettre de ce qui pouvoit servir à luy faire voyr que vous aviez heu non seulement très juste, mais très urgente, occasion, (sinon que voulussiez perdre vous mesmes et toutz les vostres, avec vostre estat, pour saulver ceulx qui vous vouloient ruyner), de laysser passer ainsy les choses qu'elles avoient; et que, nonobstant icelles, vous persévériez plus constamment que jamais vers elle, avec la mesme affection de la secourir et luy assister, là où elle en auroit besoing, encor que ce fût pour la cause de la religion, comme vous luy aviez promis, et plus abondamment que ne luy aviez promis; et que vous aviez trouvé, parmy les papiers du feu Amiral, de quoy bien juger d'elle vers vous, et de quoi bien fort mal juger de luy vers elle, sellon que la Royne, vostre mère, l'avoit faict voyr à Mr de Walsingam son ambassadeur. Ce qui faysoit qu'en détestant l'intention de ce personnage, qui vous vouloit aussy bien provoquer contre les amys que contre les ennemys, Voz Majestez Très Chrestiennes, et toutz les vostres, preniés davantage à cueur la conservation d'elle, de sa personne, et de son estat, et de sa grandeur, comme de la vostre propre, connoissant qu'elle n'avoit pas tousjours esté de l'intelligence du dict Amiral en ses excessives violences contre vous;

Et que vous vous affectionnés, pour cella, plus que jamais à la poursuite du bon propos de Monseigneur le Duc avec elle. Et là dessus, Sire, je luy ay touché combien le retour du Sr de La Molle avoit apporté de singullier contantement à Voz Majestez Très Chrestiennes et à toutz les vostres, et combien vous me commandiez de la remercyer du bon traictement qu'il avoit receu par deçà, et de la faveur qu'elle avoit faicte aux lettres qu'il luy avoit apportées, escriptes de voz meins, et des honnestes responces qu'il vous avoit rapportées, escriptes de la sienne, ensemble des honnorables et vertueux propos qu'elle nous avoit tenus à toutz deux; et que vous aviez aussy prié Mr de Vualsingam de luy en faire entendre les mesmes merciementz, avec la recognoissance que vous en aviez dans le cueur; et qu'affin que ne deffaillissiez de correspondance à la dicte Dame, vous aviez incontinent faict mettre la matière en dellibération, sur l'escript que le dict Sr de La Mole vous avoit apporté; et que, sans vous arrester aux doubtes et difficultez, que ceulx de vostre conseil y avoient faict, sur l'entrevue, après avoyr ouy leurs argumentz, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez remonstré que, veu la grandeur de la dicte Dame et la digne façon de laquelle avoit régné quatorze ans, avec réputation de grande prudence, de grand honneur et d'ung très grand ornement de toutes sortes de vertus; et, veu les aultres rares qualités qui la rendoient excellante entre toutes les aultres princesses du monde, vous aviez trouvé raysonnable qu'elle se satisfît elle mesmes de la vue de celluy qu'elle vouldroit espouser; et que pourtant vous luy accordiez de bon cueur la dicte entrevue, et m'aviez commandé, par vostre lettre du VIIe du présent, de la luy offrir, et que mesmes la Royne, vostre mère, pour le desir qu'elle avoit, de longtemps, de la voyr, y viendroit, et y admèneroit Monseigneur le Duc son filz, et s'esforceroient de luy apporter toutz deux tant de contantement qu'elle n'en sçauroit desirer davantage.

La dicte Dame, réduysant les choses par ordre, que son ambassadeur luy avoit escriptes des troys audiences, que Vostre Majesté luy avoit données le IIe, VIIe et XIIe du présent, quasy aulx mesmes termes que je les ay heues, tant Mr de Vualsingam les avoit bien recueillies, m'a respondu que la multiplication des énormes excez de vostre royaulme, lesquelz elle ne pouvoit plus ouyr sans larmes, donnoient tant d'erreur à toutz les siens qu'ilz bouchoient maintenant les oreilles, et serroient le cueur à toutes les choses qui venoient de France, pour n'en vouloyr ouyr, ny recepvoir plus pas une; et disoient qu'encores que l'Amiral et les siens heussent faicte la conspiration, que je mettoys tant de peyne d'assurer, laquelle, sinon qu'elle me voulût mentir, elle ne me pouvoit encores dire qu'elle la creût vraye, et attandoit là dessus la vériffication qu'aviez promis à son ambassadeur de luy en envoyer, néantmoins que ceste extrême violence, qui excédoit toute humanité, contre ung si grand nombre d'aultres, qui ne pouvoient estre aulcunement conjurateurs, et jusques aux femmes et enfans, monstroit bien que Voz Majestez Très Chrestiennes, et toutz les vostres, aviez une extrême hayne contre ceulx de la mesmes religion, dont elle et les siens faysoient profession, et que ne leur vouliez garder ny foy, ny promesse; dont, de tant qu'elle ne s'estoit plus estroictement confédérée avec Vostre Majesté que pour considération de vostre amityé, et pour la foy qu'elle pensoit trouver plus certeyne en voz promesses que en nul de toutz les mortelz, sellon que vous aviez la réputation plus grande de bien garder vostre foy, que nul aultre prince qui vesquît au monde, elle ne voyoit plus, (puisque ces deux fondementz deffailloient: sçavoir est, que vous ne la puissiez aymer, ny luy garder voz promesses, à cause de sa religion,) comme pouvoir espérer que vous persévèreriez bien vers elle; néantmoins qu'elle me vouloit assurer qu'attandant de voyr comme vous vous comporteriez en son endroict, sellon que je luy en donnois nouvelle assurance, elle ne deffaudroit de sa part de rien qu'elle vous heût promis; et qu'au reste elle se commétoit de tout à Dieu et au bon ordre qu'elle mettroit en ses affères; qu'elle estoit bien ayse qu'eussiez trouvé le mémoyre de feu monsieur l'Amiral, lequel, sellon ce qu'il jugoit des guerres passées d'entre ces deux royaulmes, il vous pouvoit avoyr sagement adverty de ce qui estoit vray, et que debviez traverser les affères du Roy d'Espaigne et les siens d'elle; mais qu'à présent son advertissement n'avoit plus lieu contre elle, et que, si vous aviez trouvé des lettres siennes parmi les aultres papiers du dict Amiral, vous pouviez avoir cognu qu'elle avoit tousjours heu une singullière affection à la conservation de vostre grandeur et de vostre estat.

Et, au regard de l'entrevue que luy offriez sur le propos de Monseigneur le Duc et de l'honneur que la Royne, vostre mère, luy vouloit faire d'y venir, qu'elle vous en remercyoit toutz deux de tout son cueur, et se santoit vous avoir une si grande obligation pour cella qu'elle ne sçavoit comment le recognoistre, bien qu'elle estoit assez en peyne comme une telle chose se pourroit accomplyr meintenant, et mesmes sur la mer; car, oultre que ne luy seroit descent d'aller ainsy dehors chercher mary, ses subjectz aussy ne luy permettroient jamais qu'elle se mît sur mer, non pour passer en l'isle d'Ouyc, qui n'estoit qu'à quatre mille de la coste de deçà; et qu'il y avoit de ses conseillers qui estimoient qu'on se mocquoit d'elle, d'avoir mis telle chose en avant.

Je luy ay réplicqué, quand au doubte qu'elle faysoit de la conspiration, que nul ne devoit mettre en difficulté qu'elle n'eût esté clèrement advérée à Voz Majestez et aulx vostres, premier qu'eussiez lâché la mein contre les conspirateurs; et que, si ce heût esté de quelques aultres qu'on vous la heût rapportée, vous heussiez, par advanture, mesprisé l'advis, ou heussiez mis peyne de le remédier aultrement; mais, considérant que c'estoit de gens qui estoient merveilleusement promptz à la mein, hazardeux jusques au bout, qui ne layssoient rien de si difficile qu'ilz n'entreprinsent, et souvant ung petit nombre d'eulx avoit surprins de grandes villes, et s'estoient rendus mestres d'ung infiny nombre de peuple; qui, par leurs consistoires et monopoles, avoient dressé une si grande monarchie à part, pour eulx, dans vostre royaulme, que le feu Amiral se vantoit de pouvoir mettre en ung subit trente mille hommes de pied et quatre mille chevaulx en campaigne; et ne leur pouvoit si tost passer une bien petite mouche devant les yeulx qu'incontinent ilz ne retournassent, avec la plus grande impacience du monde, à leur habitude accoustumée de vouloir tout renverser par les armes, sans faire non plus de difficulté de s'attacquer à vous mesmes, qui estiez leur roy, que feroit ung queréleux de desgainer son espée contre son compagnon, vous ne pouviez, Sire, après leur avoir excusé les dix ans de troubles passés, et la ruyne de tant de voz villes et pays, qu'ilz avoient mis en désolation en vostre royaulme, et les armées estrangères qu'ilz y avoient introduictes, et l'épuisement de voz finances, et les infinys debtes où ilz vous avoient constitué, sinon louer et remercyer infinyement Nostre Seigneur de vous avoir meintenant dellivré de la malheureuse conspiration, par laquelle, pour revencher la blessure du feu Amiral, dont vous ne pouviez mais, et en estiez très marry, et leur en vouliez fère avoyr la plus prompte réparation que faire se pouvoit, ilz vous vouloient, et toutz les vostres, mettre misérablement à mort, de sorte que vous hayssiez encores ceulx qui estoient exécutés, et aviez en très grand hayne ceulx qui restoient encores en vye de la dicte conspiration; luy touchant, Sire, à ce propos, ce que me commandiés du comte de Montgommery, qu'elle voulût mander à ses officiers de Gersé de le consigner en voz meins, et que, comme princesse prudente et vertueuse, elle voulût mettre toutes les considérations dessus dictes devant ses yeulx, lesquelles feroient qu'elle mesmes justiffieroit ce que vous aviez faict en cella, ainsy que vous espériez que Dieu, à qui seul vous aviez à rendre compte de voz actions, l'avoit desjà justiffié:

Que, pour le regard de vostre plus estroicte confédération avec elle, vous ne pensiez qu'elle y deût mettre en aulcun compte ce qui touchoit le faict des subjectz, car, comme vous ne prétandiez d'avoir intelligence, sans elle, avec les siens, ainsy seriez vous marry qu'elle, ny nul aultre prince, en heût avec les vostres, sans vous; et que tant plus debvoit elle maintenant estimer vostre persévérance vers elle, qu'elle ne procédoit plus, ny par le moyen du feu Amiral, ny pour l'occasion de ceulx de la nouvelle religion, mais de la seule affection et bienvueillance que vous luy portiez, et qu'elle s'assurât de ne trouver jamais manquement en vostre amityé, ny en voz promesses, pour la cause de sa religion, non plus que les feus Roys, son père, son frère et elle mesmes, n'en avoient trouvé ez feus Roys, voz ayeul et père, encor que leur religion fût diverse; et que Voz Majestez ne portoient hayne à ceulx de la nouvelle religion que aux seulz conspirateurs, et aviez mis tout l'ordre, qu'il vous avoit esté possible, que la violence ne passât sinon contre ceulx là, et m'assurois que ce qui estoit advenu davantage à Paris et à Orléans, à Lyon et à Roan, avoit esté à vostre regret, et contre vostre volonté; et qu'au regard de ce qu'elle disoit que l'on faisoit aller le Roy de Navarre et la Princesse de Condé par force à la messe, que je la suplioys de croyre qu'on ne les contreignoit de rien, ny ne failloit interpréter ce que la Royne, vostre mère, avoit dict à son ambassadeur, «qu'il n'y auroit plus qu'une religion en France» qu'on voulût pour cella forcer personne en leur conscience, mais seulement empescher, pour quelque temps, l'exercice public et les assemblées que ceulx de la nouvelle religion avoient accoustumé de faire, affin qu'ilz ne preignent les armes, et qu'ilz ne provoquent les Catholicques à leur courre sus, jusqu'à ce qu'on ayt pourveu de quelque bon ordre pour tenir le royaulme en paix; et qu'elle ne fît doubte que Voz Majestez ne procédissiez vers elle de pareille sincérité qu'avec les plus fermes catholicques du monde. De quoy l'entrevue, que luy accordiez, où la Royne, vostre mère, se vouloit trouver, l'en pouvoit rendre très assurée; laquelle avoit mis en avant que ce fût sur mer, sachant que la dicte Royne d'Angleterre avoit le plus beau et magnifficque équippage de navyres, que prince ny princesse de l'Europe, et que ce ne luy seroit à elle que commodicté d'en mettre quelques ungs dehors; et néantmoins qu'ayant le Sr de Walsingam depuis suplié Voz Majestez luy vouloir advouer qu'il peût escripre à la dicte Dame que la dicte entrevue seroit là où elle trouveroit bon; à quoy la Royne, vostre mère, luy avoit respondu qu'elle en estoit contante, et ne seroit si escrupuleuse de sa grandeur qu'elle ne defférât tout ce qu'elle pourroit à celle de la dicte Dame, que je la suplioys maintenant de regarder quand, et comment, et où elle vouldroit que cella se fît? Et que, s'il luy playsoit que ce fût aux isles de Gerzé et de Grènezé, que ce seroit à la commodicté de toutes deux.

La dicte Dame m'a soubdein respondu que son ambassadeur ne luy en avoit pas tant mandé, car s'estoit remis à moy; et qu'elle ne voyoit nul lieu plus commode pour cest effect que Douvre; mais qu'elle ne pensoit que nul de ses conseillers, tant ilz avoient meintenant suspectes toutes choses, et mesmes, possible, l'entrevue d'elles deux, peût estre d'advis de la dicte entrevue, et que, si elle avoit à estre, il faudroit qu'elle seule l'ordonnât.

J'ay adjouxté que, si vous aviez de quoy honnorer davantage la dicte Dame, et luy donner plus de certitude de vostre droicte intention vers elle, et vers le bon propos d'entre elle et Monseigneur le Duc, par aultre moyen que cestuy cy, que vous le feriez; et que pourtant elle ne refusât l'honneur, l'advantage, la seureté et les aultres commodictez que la couronne de France luy offroit par ceste entrevue.

Sur quoy elle m'a prié de luy donner deux jours pour y penser, et qu'elle me feroit avoir responce.

Pendant lequel temps, j'ay faict, de mon costé, la meilleure dilligence que j'ay peu, et elle, du sien, à sonder l'intention de ceulx de son conseil, lesquelz se sont monstrés assez sourdz et muetz, de sorte qu'elle a esté elle mesmes contreincte de faire la déclaration de son intention là dessus; en quoy elle a esté, à ce que j'entendz, beaucoup aydée du comte de Lestre et de milord trésorier. Et le dict milord l'a rédigée depuis par escript en ung sommaire qu'il m'a mandé en angloys, et je l'ay faict traduyre, quasy de mot à mot en françoys, en la forme que je le vous envoye, qui explique si bien l'entier desir de la dicte Dame, et pareillement la conception de son conseil, que je ne veulx y rien adjouxter du mien, sinon vous assurer que nul n'a peu estimer que, en ce temps, je deusse rapporter une si bonne responce, comme j'ay faict, de la dicte Dame. Laquelle n'a laissé pour cella d'ordonner une monstre générale et une description des gens de guerre, et de grand nombre de mariniers, par tout son royaulme, et a faict préparer ses grandz navyres; desquelz l'on en met, dès demein, quatre des meilleurs dehors, avec six centz hommes, pour tenir le Pas de Callays. Et parce qu'en nulle manière les marchandz se veulent hazarder d'envoyer, de cest an, en leur nom, à Bourdeaulx, à cause de l'armée du Sr Strossy qui en a desjà pillé quelques ungs, et qui a arresté ung navyre du Sr Acerbo Velutelly, je suis recherché par l'ordre de ceulx mesmes de ce conseil, mais soubz mein, de suplier Vostre Majesté qu'elle me vueille promptement envoyer ung saufconduict en bonne forme, affin que les Angloys s'en puissent servir, et qu'ilz se mettent par là hors de la grande deffiance qu'ilz ont, laquelle leur Mestresse ne veult qu'ilz monstrent d'avoyr; et néantmoins, si le dict saufconduit ne vient bientost, elle leur croistra davantage; en quoy il importe assez, Sire, qu'en toutes les choses qui concernent icy vostre service, vous disposiez bien l'ambassadeur qui est de dellà. Et sur ce, etc.

Ce XXIXe jour de septembre 1572.

Commandez, s'il vous plaist, Sire, que le susdict navyre et marchandise du Sr Acerbo Velutelly, qui est un gentilhomme lucois très dévot serviteur de Vostre Majesté, et pareillement les vaysseaulx et marchandises des Angloys soient relaschées; et qu'il soit faict réparation aus dicts Angloys de ce qui leur a esté frèchement déprédé depuis le traicté de la ligue.

A la Royne

Madame, il m'a faict grand bien de trouver en voz dernières dépesches, tant au long et bien fort sagement desduictz, les propos que Mr de Walsingam vous avoit tenus, le deuxiesme, septiesme et treiziesme de ce moys, avec les vertueuses responces que Vostre Majesté luy avoit faictes; lesquelles m'ont servy de rempar et d'adresse, pour ozer comparoir en ceste court, contre les exécrables parolles qu'on y disoit assez ouvertement contre les François, à cause des meurtres naguières succédez en France contre ceulx de leur religion. Et me suis prévalu, Madame, le mieulx que j'ay peu, de voz raysons et remonstrances, avec ceste princesse et vers ceulx de son conseil, pour leur justiffier ce qui a esté faict.

En quoy elle, de sa part, a monstré qu'elle desiroit, de bon cueur, que la justiffication s'en peût faire si clère, que tout le tort de la foy rompue s'en imputât au feu Admiral et aux siens, et qu'elle, ny les aultres princes protestans n'eussent occasion de croyre que le Roy et Vous, Madame, ne les puissiez aymer, ny leur garder la foy et parolle des choses que leur promettez; car dict que, sans ces deux fondementz, il est impossible que rien se puisse bien establir entre vous, et que, de ne les observer à voz subjectz, nuls estrangers s'en pourront jamais puis après assurer. Mais ceulx de son conseil, encores qu'ilz ne m'ayent parlé que modestement de Voz Majestez, disantz ne vouloir condempner les actions des princes, ny se monstrer trop curieux en la républicque d'aultruy, néantmoins ilz ont déduict tant d'argumentz contre l'extrême violence dont a esté uzé, non contre l'Admiral et les siens, puisque vous les souspeçonniez de la conspiration, ny contre ceulx qui avoient porté les armes, encor que vous les heussiez assurés de vostre édict, ny encores contre ceulx qui estoient capables de les porter, puisqu'ilz les pouvoient prendre, mais contre les femmes, les enfans et pouvres viellardz, sans aulcune différance, que ce n'estoit plus la mort de ceulx là, ny la considération de la hayne qu'on portoit en France aux Protestantz, mais la condicion de la nation meuertrière, séditieuse et très inhumayne, qui leur faisoit creindre d'avoir jamais rien de commun avecques nous;

Et que je leur alléguois beaucoup de grandes raysons bien déduictes pour collorer ce faict, sellon que j'estois commandé de le faire, mais que l'éloquence du grand orateur d'Athènes, ny du Romain, n'y pourroient suffire; car ce n'estoient que parolles persuasives, là où les horribles effectz, qu'ilz voyoient devant les yeulx, les mouvoient au contraire; et que, veu l'exécution qui estoit auparavant advenue en Flandres, et meintenant plus grande en France, sur ceulx de leur religion, ilz jugeoient bien que c'estoit meintenant à eulx de regarder de près à leur faict, et que pourtant je ne trouvasse estrange s'ilz vouloient quelque preuve de l'intention de Voz Majestez vers ce royaulme, et de l'expédition du Sr Strossy, premier que de passer en rien plus avant vers nous, ny mesmes de laysser partir la flotte pour Bourdeaulx, (puisque ceulx de l'armée du dict Sr Strossy avoient commancé de maltrecter aulcuns de leurs marchandz, qui avoient faict voyle les premiers), jusques à ce qu'il leur viegne quelque nouvelle seureté de vostre part; et que ce que je leur alléguois, que nul plus grand ny plus certein gage leur pourroit estre baillé de Voz Majestez Très Chrestiennes que l'offre de l'entrevue et le mariage de Monseigneur le Duc, que, au contraire, ilz creignoient que vous prinsiez ung trop grand gage d'eux de leur bailler ung roy.

Je n'ay failly là dessus de leur réplicquer; et n'ay layssé ung seul poinct de voz lettres, ny pas une de toutes les considérations que j'ay peu ymaginer de moy mesmes, que je ne leur aye le tout déduict, avec le plus d'efficace que j'ay peu; mais il est trop difficile de gaigner une telle cause devant de telz juges.

Tant y a qu'en l'endroict de la Royne, leur Mestresse, j'ay interrompu, pour ce coup, la prompte responce, dont ilz l'avoient préparée pour me refuser l'entrevue, et ay tant faict qu'elle a prins deux jours pour en dellibérer, pendant lesquelz j'ay très instamment sollicité ceulx qui y pouvoient quelque chose, de s'y vouloir bien employer; et leur ay, avec les lettres de Mr de Montmorency, administré force raysons pour déduyre, et force promesses pour les faire persévérer. Et enfin j'ay rapporté la responce que Vostre Majesté verra, non si bonne que je la desirois, mais beaucoup meilleure que je ne l'espéroys, et telle qu'elle vous remect en chemin de pouvoir parachever les choses bien commancées, si, d'avanture, vous vous voulés ung peu accomoder à l'intention de ceste princesse et des siens. Et j'entendz que milord trésorier et le comte de Lestre y ont faict ung fort bon office; et disent aulcuns, Madame, qu'il est temps de faire des présentz par deçà; car, du costé de Bourgoigne, rien ne y est espargné. Mr de Walsingam a escript en bonne sorte du mariage, et bien fort honnorablement de Monseigneur le Duc, et s'est loué des bons rapportz que Mr de La Mole a faict à son retour par dellà. Sur ce, etc. Ce XXIXe jour de septembre 1572.

Madame, voyant que la Royne d'Angleterre et les siens me déclaroient que l'entrevue ne pourroit estre sur mer, ny hors d'Angleterre, et qu'ilz voyoient encores beaucoup de doubtes, sur la venue d'une si grande princesse comme Vostre Majesté par deçà, avec le grand trein qu'elle y pourroit mener en temps si suspect, qui malaysément se passeroit sans qu'il advînt des parolles et reproches sur les choses advenues en France, j'ay dict que Vostre Majesté pourroit accorder de venir à Douvre avec telle compagnie que seroit advisé. Et, à la vérité, Madame, c'est le lieu le plus commode qui se puisse choysyr en ce royaulme, car, de Gerzé ny de Grenezé, l'on n'en veult ouyr parler.

CCLXXVIIe DÉPESCHE

—du IIe jour d'octobre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Défiance des Anglais.—Crainte qu'ils éprouvent d'une attaque subite de la part de la France.—Continuation des armemens.—Nouvelles des Pays-Bas; succès du duc d'Albe.—Importance de maintenir la Rochelle sous l'obéissance du roi.—Grand nombre de Français qui cherchent refuge en Angleterre.—Refus d'Élisabeth de livrer le comte de Montgommery.—Nouvelles d'Écosse.—Délibération au sujet de Marie Stuart, à qui l'on reproche d'avoir connu et célébré d'avance les massacres de Paris.—Difficulté toujours croissante que présente la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, après ma dernière dépesche, du jour de St Michel, je n'ay guières voulu retarder ceste cy, affin de vous donner advis de la réception de la vostre, du XXIIe du passé, en laquelle j'ay trouvé, par ung très sage et vertueux discours, la déduction de beaucoup de choses, lesquelles debvront assez satisfère ceste princesse et les siens, sinon qu'elle et eulx ne se veuillent payer d'aulcune rayson. Il est vray que les parolles, pour ce commancement, ne peuvent assez suffire pour les bien remettre, parce que les faitz, qui leur viennent, d'heure en heure, rapportés de dellà, les meuvent au contrayre; tant y a que je les yray trouver demein à Windezore, et ne leur obmettray rien de tout le contenu de voz lettres, et m'esforceray, aultant qu'il me sera possible, de les rassurer du costé de Vostre Majesté, car n'est pas à croyre combien ilz ont encores très suspecte l'armée du Sr Strossy, pensant qu'elle ayt une entreprinse en Escoce, ou bien en quelque endroict de ce royaulme, mesmement sur Portsemmue ou l'isle d'Ouyc; qui sont les deux plus importans lieux de la coste de deçà; dont y ont envoyé armes et mounitions, et ung ingénieur, avec commissaires et argent, pour besoigner en dilligence à la fortification, et remettre le tout en bon estat. Et, de mesmes, ont mandé de pourvoir, aultant que faire se pourra, du costé d'Escoce, se continuant icy l'aprest des grandz navyres, mais avec ung peu moins de presse que devant que j'eusse esté à Redine, et pareillement la monstre, laquelle j'estime qu'ilz continueront davantage; et feront encores plus grande description des gens de guerre sur la nouvelle qui est arrivée de la reprinse de Montz, et de la retraicte du prince d'Orange, et de la réduction d'ung ou deux lieux en Olande, qui ont chassé les Gueux. Il semble qu'à Fleximgues les françoys, qui y estoient, ayent esté mis dehors, et que les angloys y ayent esté receus.

L'on a resserré icy les seigneurs catholiques qui estoient dans la Tour, et y a deux commissaires par la ville, et pareillement ez aultres lieux et villes de ce royaulme, pour s'enquérir des estrangers: dont estant, d'avanture, le jeune capitaine Monluc abordé par deçà, venant de Dannemarc et de Pouloigne, il a esté mené soubz quelque garde, par les officiers d'Arvich, jusques vers ceulx de ce conseil, et j'y ay envoyé ung gentilhomme pour le faire relascher, et luy faire bailler son passeport. L'on apprestoit beaucoup d'armes et de monitions et vivres pour envoyer en Flandres, mais le tout est maintenant réservé par deçà.

Troys françoys, qui se disent capitaines, sont arrivés depuis huict jours du dict Fleximgues, quasy dévalisez, et semble qu'ilz se sont desrobés pour cuyder rencontrer icy meilleure fortune, à cause des choses advenues en France, comme si incontinent les Angloys nous devoient déclarer la guerre; mais ce qui plus amortit les entreprinses, que ceulx de la nouvelle religion qui sont icy pourroient exciter, est d'entendre que la Rochelle demeure ferme en l'obéyssance de Vostre Majesté, et que vous y avez envoyé Mr de Biron. En quoy, Sire, je vous suplie très humblement de mettre principallement ordre que ceste ville persévère bien en vostre dévotion, car elle est de très grand moument pour y contenir aussy tout ce royaulme. Bien que la Royne d'Angleterre m'a assuré que son visadmiral, ny nul aultre angloys, n'y a esté envoyé de sa part, depuis les choses de Paris; et m'a assuré aussy qu'elle ne permettra que ceulx de voz subjectz, qui ont fouy deçà, arment nulz vaysseaulx pour piller la mer, néantmoins, je suis adverty que le capitaine Sores est arrivé à la Rye avec ung navire de cent cinquante tonneaulx et deux centz hommes dessus, et pareillement le capitaine Giron avec ung aultre vaysseau et hommes, et n'atendent que la permission d'elle pour continuer ce qu'ilz faysoient aux derniers troubles.

Villiers, Fuguerel, Pâris et quelques aultres ministres sont arrivés en ceste ville, et aulcuns d'eux ont passé jusques à la court, et y ont si fort exagéré les choses de France qu'ilz ont assuré que cent mille personnes ont esté tuées par dellà depuis l'émotion de Paris; acte qu'on trouve icy si cruel et tant contrayre à toute humanité qu'on excogite nouvelles sortes d'exécration pour détester ceulx qui l'ont faict, et ceulx qui l'ont faict fère. A quoy, Sire, je me suis efforcé de monstrer qu'il n'en est pas mort cinq mille, et qu'encor Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et toutz ceulx de vostre couronne, aviés très grand regret que cella ne s'est peu passer avec la perte de cent seulement, de ceulx qui, par leur malheureuse conspiration, sont cause de l'inconvénient des aultres. Les Srs Linguens, Vieurne, Bouchard, le contrerolleur le Noble, et leurs femmes, les Srs de Hèdreville, Bouville, Migean et son filz, Legras avocat, le lieutenant criminel, l'uyssyer Durant, le jeune Bourry et quelques aultres, de Roan et de Normandye, en assez grand nombre, mais ceulx là sont les principaulx, ont passé deçà, et les a l'on assez humaynement receus en ceste ville.

Le comte de Montgommery, à ce que j'entendz, est venu secrètement en la mayson du visadmiral du Ouest, son beau frère, et m'a la Royne d'Angleterre, quand je luy ay dernièrement parlé qu'elle voulût mander à ses officiers de Gerzé de le remettre entre voz meins, ou bien vous permettre de l'y envoyer prendre, soubz bonne seureté de ne meffayre de la valeur d'une paille à nul de ses subjectz, que, à la vérité, le capitaine de Gersé l'avoit advertye de sa fuyte, aussytost qu'il y estoit arrivé, et qu'elle avoit mandé au dict cappitayne qu'il sçavoit bien l'ordonnance de l'isle, de n'y debvoir recepvoir aulcun estranger; dont s'assuroit qu'il n'y estoit plus, et que, s'il estoit en nulle part d'Angleterre, que c'estoit si secrettement qu'elle ne l'y sçavoit pas; mais, s'il tomboit entre ses meins, et qu'il fût vériffié d'avoyr conjuré contre Vostre Majesté, que, de mille vyes, s'il en avoit aultant, il ne luy en resteroit pas une; vray est que, de le renvoyer en France, quand bien elle l'auroit en ses meins, où l'on ne faysoit aultre procès sinon sçavoyr qu'ung fût protestant pour incontinent le mettre à mort, que vous jugiés bien, Sire, que sa conscience, estant elle protestante, ne le pourroit permectre. Et depuis, Sire, j'ay faict parler, soubz mein, à ceulx qui ont notice de luy, de la permission qu'il pourra impétrer de Vostre Majesté de pouvoir vendre ses biens en la forme que me l'avez mandé, dont j'atandz d'avoyr bientost sa responce.

J'ay receu une lettre, d'assez vielle dathe, de Mr Du Croc, par laquelle j'ay comprins que luy et le Sr de Quillegreu debvoient partir ensemble, le XXIe du passé, et que l'assemblée de la noblesse du pays se faysoit le lendemein, XXIIe du passé, incerteins toutz deux de ce qui pourroit succéder. Et puis adjouxte en chiffre que l'abstinence a esté très profitable à ceulx de Lillebourg, car ilz se sont pourveus de vivres, dont ilz avoient grand faulte; et que le comte de Morthon ne s'est voulu trouver au mandement que le comte de Mar a faict de la noblesse, dont semble que ce soit luy qui vueille empescher la paix; et que le comte de Hontely et son frère sont pour faire parler d'eux, si la guerre recommance; et que les adversaires de la paix se repantiront, pour peu de moyen que ceulx du bon party ayent de dehors, ou pour le moins ilz feront qu'on se contantera de rayson.

Il n'y a rien de plus vray, Sire, qu'on a mis en dellibération icy comme l'on pourroit procéder contre la Royne d'Escoce pour la faire mourir, et qu'on a envoyé la reserrer davantage, parce qu'on a observé que le samedy, dont l'exécution se fit le dimanche après à Paris, elle se monstra beaucoup plus joyeuse, (et veilla quasy toute la nuict à se resjouyr), qu'elle n'avoit faict depuis sa prison. De quoy l'on a conjecturé qu'elle sçavoit l'entreprinse, et que quelqung des miens, que naguyères j'avoys envoyé vers elle, la luy avoit faicte sçavoir; dont, comme de moy mesmes, j'ay bien voulu dire à la Royne d'Angleterre qu'il sembloit qu'on se voulût prendre icy à la Royne d'Escoce de ce qui avoit esté faict à Paris, et que je la supliois de considérer que la pouvre princesse n'en pouvoit mais, et n'en avoit jamais rien sceu, dont n'en debvoit estre plus mal trectée, et que ce ne seroit qu'engendrer nouvelles querelles. A quoy elle m'a respondu que la dicte Royne d'Escoce avoit assez de ses propres péchés sans luy impétrer ceulx d'aultruy. Et depuis, j'ay intercédé pour elle vers aulcuns de ce conseil, qui ne luy sont mal affectionnés; lesquelz m'ont promis qu'ilz s'employeroient de tout ce qu'ilz pourroient en sa faveur, et qu'à la vérité toutes choses luy sont à présent plus contraires que jamais en ce royaulme, toutesfoys que, pour encor, il n'y a rien d'ordonné contre elle. Sur ce, etc.

Ce IIe jour d'octobre 1572.

A la Royne

Madame, je ne m'attandz pas que, jusques à ce que l'ambassadeur d'Angleterre ayt de rechef escript par deçà, sur ce qu'il aura négocié avec Voz Majestez, touchant la responce que sa Mestresse m'a faicte, le XXVe du passé, laquelle je vous ay envoyé le XXIXe, je puisse de rien faire advancer davantaige la dicte Dame au faict de l'entrevue, ny sur le propos du mariage, car elle a bien fort meurement dellibéré ce qu'elle m'a ceste fois respondu, et n'est pour y rien changer qu'elle ne voye plus avant. Néantmoins j'yray trecter avec elle sur les particullarités de la dépesche de Voz Majestez, du XXIIe du passé, lesquelles luy debvront apporter du contantement. Et ne fays doubte que je ne la trouve elle bien disposée, car me semble qu'elle ne reçoit, sinon fort bien, tout ce qui luy est dict de ce propos, et toutes ses parolles et démonstrations monstrent assez qu'elle demeure bien inclinée au mariage, et qu'elle a très bonne opinyon de Monseigneur le Duc vostre filz; mais elle a bien tant de respect à ce que ceulx de son conseil luy disent, et à conserver le repos de son royaulme, qu'il ne se fault pas attandre, Madame, qu'elle fasse jamais rien ny contre l'advis des ungs, ny contre ce qui pourra avoyr la moindre apparance du monde de préjudicier à l'aultre. Par ainsy, j'ay meintenant plus à faire, à contanter ceulx de son dict conseil et à les rasseurer de l'espouventement qu'ilz ont prins des choses qui sont freschement advenues en France, que non pas de la bien persuader à elle; et voy bien que de son ambassadeur dépend quasy la meilleure résolution du faict, sellon qu'il rendra ceulx cy bien édiffiez de Voz Majestez et des choses qui passeront de delà: dont, Madame, à Vostre Majesté sera de le tenir bien disposé. Je n'ay obmis de l'excuser vers sa Mestresse, touchant la responce qu'il vous avoit faicte à la fin de juillet, et comme Vostre Majesté la prioit d'en attribuer la faulte, qui y pourroit estre, à vous mesmes et non à luy; et luy ay touché aussy, en passant, comme le Roy ny Vous, Madame, n'aviez peu interpréter à mal ce qu'il avoit retiré Briquemau en son logis: desquelles deux choses la dicte Dame a esté bien fort ayse, et m'a prié de vous assurer qu'en tout ce qu'il escript, et en toutz les offices qu'il faict, il monstre de n'estre moins affectionné à Voz Majestez Très Chrestiennes que à elle mesmes.

Au surplus, j'ay bien noté, par le propos des privés conseillers de la dicte Dame, qu'auparavant que ces choses de Paris advinsent, elle s'attendoit d'estre une des commères aux premières couches de la Royne, vostre belle fille, affin de confirmer davantage la plus estroicte amityé et confédération, qui a esté nouvellement faicte entre Voz Majestez; mais elle ny eulx ne croyent, à ceste heure, que vous en ayez jamais heu la volonté, et j'ay bien opinyon, Madame, que, si c'estoit chose que Voz Majestez estimassent estre bonne de faire, qu'elle seroit bien fort à propos pour retenir ceste princesse et tout ce royaulme en vostre dévotion.

La dicte Dame a heu grand plésir que je luy aye faict voyr, par une de voz lettres, comme le visage de Monseigneur le Duc se va tous les jours rabillant, et qu'encores vous y voulez faire applicquer les remèdes du mèdecin, qui est allé par dellà; en quoy elle m'a dict qu'elle s'estoit fort esbahye, veu l'extrême bonne affection qu'avez tousjours monstrée vers toutz voz enfans, que ne luy heussiez faict pourvoir de bonne heure à ce grand inconvénient, qui tant luy gastoit le visage. Sur ce, etc.

Ce IIe jour d'octobre 1572.

CCLXXVIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour d'octobre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Maladie d'Élisabeth.—Retard apporté à l'audience demandée par l'ambassadeur.—Nouvelle irritation causée en Angleterre par les nouveaux massacres de Rouen.—Efforts des partisans de l'Espagne pour faire rompre l'alliance avec le roi.—Nécessité de rassurer les protestans en France.

Au Roy.

Sire, j'espérois, vendredy dernier, troysiesme de ce moys, aller trouver la Royne d'Angleterre à Windesore pour luy faire entendre les particullarités que, par vostre lettre du XXIIe du passé, il vous a pleu me commander de luy dire, qui sont toutes d'un si grand contantement et d'une si honneste satisfaction pour elle, qu'elle ne le sçauroit desirer davantage; mais elle me manda, le jeudy au soir, que je l'excusasse pour le dict vendredy, car avoit dellibéré de prendre mèdecine, et encores pour tout le jour d'après, car sçavoit que ne pourroit se trouver bien; mais que je pourrois venir le dimanche, ou bien que, si c'estoit chose pressée, qu'elle remettroit sa mèdecine à une aultre foys.

Je n'ay ozé, Sire, tant présumer que de retarder chose qui appartînt à sa santé, dont, ayant remis d'y aller au dict dimanche, le comte de Sussex m'a faict entendre, le samedy, à la nuict, qu'elle n'avoit peu prendre sa mèdecine, comme elle l'espéroit, le vendredy, s'estant trouvée ung peu mal, et s'estoit mise entre les meins de son mèdecin, dont ne sçavoit quand je la pourrois voyr; mais que, si j'avoys à luy communicquer quelque chose de la part de Vostre Majesté, je le pouvois escripre à milord trézorier qui le luy feroit très volontiers entendre. J'ay, le bon matin, dépesché ung des miens jusques là, affin d'entendre plus particullièrement de la santé de la dicte Dame, et pour dire au dict comte de Sussex que j'ay à présenter à elle des lettres de Vostre Majesté en créance sur moy, qui ne se peut faire sans que je soye présent, et que pourtant j'attandray paciemment sa commodicté et bonne disposition. Ce que j'ay faict, Sire, affin que je puisse remarquer, par ses propres parolles et contenance, en quoy elle persévère vers Vostre Majesté; car je sens bien que toutes choses ont commencé et continuent de nous devenir si contraires par deçà, depuis l'émotion de Paris, (et mesmes pour l'orrible tragédye qui s'est jouée à Rouen, à l'espectacle de laquelle plusieurs angloys ont esté présens, qui raportent qu'on y continue encore de contreindre ceulx de la nouvelle religion de se rebaptiser, ou bien l'on les tue sans rémission), que ceulx de ce conseil ne travaillent en rien tant, à ceste heure, que de cercher comment la dicte Dame se pourra retirer de vostre intelligence; et observent le temps, quand, et à quelle occasion, elle le pourra faire sans danger. Dont les partisans de Bourgogne ont le vent en poupe, et sont ceulx qui, plus que les aultres, bien que la ruyne des Protestans leur playse, agravent les meurtres et exécutions de France, et cellèbrent jusques au ciel le duc d'Alve de ce qu'il a seu, par sa valeur, et de vifve force, repoulser l'armée du prince d'Orange et reprendre Montz, et a gardé la capitulation à ceulx de dedans, et n'en a esté tué pas ung soubz la seurté de sa parolle. Et suis adverty, Sire, que le courrier Francisque, flammant, lequel Anthonio de Guaras avoit dépesché devers le dict duc, a esté redépéché de deçà, le jour après que le dict duc a esté dedans Montz; et luy et Guaras sont, depuis deux jours, à Windesor, dont je ne veulx perdre l'occasion, s'il m'est possible, de parler moi mesmes à ceste princesse, affin de tenir vostre party le plus relevé que je pourray vers elle, et, en l'assurant tousjours de vostre parfaicte amityé, la randre de plus en plus bien édiffiée de Voz Majestez Très Chrestiennes et des vostres sur tout ce qui est advenu par dellà.

J'entendz qu'il est arrivé ung navyre de la Rochelle et que quelqu'ung de ceulx, qui estoient dedans, est allé jusques à Windesore, mais ne sçay encores qu'il y négocie; seulement il a dict, en passant, que ceulx de sa ville, pour les choses advenues à Paris, n'avoient du commancement voulu prendre aultre dellibération que de faire tout ce que Vostre Majesté leur commanderoit, mais, entendant l'exécution, qui depuis a esté faicte ez aultres villes, ilz vouloient pourvoir à leur seureté. Quelqu'ung m'a dict que le vidame de Chartres, et Mr de Pontivy sont abordés deçà. Je mettray peyne de le mieulx sçavoir, et vous puys bien assurer, Sire, qu'il y arrive tous les jours beaucoup de voz subjectz de la dicte nouvelle religion.

La souspeçon et deffiance croît de plus en plus en ceulx cy, et ne peulvent, par mes parolles ny par les propres lettres de Vostre Majesté, lesquelles je ne fay quelquefoys difficulté de les leur fère voyr, aulcunement se rasseurer; car disent que les effectz, lesquelz conveinquent et les parolles et les lettres, leur monstrent ce qu'ilz doibvent creindre. Et ont esté milord de Lestre et le comte de Lincoln, avec les mestres des fortiffications, à Porsemmue et en l'isle d'Ouic, pour mettre ces deux lieux en deffance. Je ne fay doubte que leur deffiance ne croisse aussy du costé d'Espaigne, mais il leur est plus facille de s'en mettre hors, à cause de leur ancienne allience, que de nous qui leur sommes nouveaulx, et non encores bien esprouvés amys. Sur ce, etc. Ce VIIe jour d'octobre 1572.

A la Royne

Madame, si je retarde un peu plus que de coustume de rendre responce aulx lettres que Voz Majestez m'ont escriptes, du XXIIe du passé, elles verront, par celles que j'escriptz présentement au Roy, que l'occasion en est, pour ung peu, l'indisposition qui a prins à la Royne d'Angleterre, et pour ne vouloir en ce temps rien trecter avec elle sinon par moy mesmes, n'ayant encores bien recognu quelz persévèreront d'estre ses conseillers vers la France depuis ceste émotion de Paris; dont je veulx attandre que la dicte Dame se porte mieulx pour parler à elle, et que par ses propos et ses contenances, je puisse mieulx conjecturer, que ne pourrois faire par ung tiers, qui ne me rapporteroit sinon les simples parolles de sa responce, quelle est son intention.

Et semble bien, Madame, s'il se pouvoit faire que ceulx de la nouvelle religion se voulussent ung peu rassurer, et que Mr de Walsingam représentât par deçà une partie de ces tant importantes occasions, qui ont meu Voz Majestez de leur faire supercéder des presches et des assemblées publicques, sans leur oster la privée liberté de leurs maysons, que cella serviroit beaucoup à l'advancement du propos de Monseigneur le Duc, et m'ayderoit grandement de conveincre aulcuns de la dicte religion, qui afferment qu'encores après les grandes exécutions passées, eulx, estantz depuis à Roan, ilz ont esté ung soyr advertys par leurs hostes de s'en fouyr, parce qu'ung nouveau mandement estoit secrettement arrivé de la court, par où l'on mandoit de mettre à mort ceulx qui restoient de la dicte religion qui ne la vouldroient renoncer. De quoy les Anglois s'animent davantage contre nous, et crient que toutz les édictz et trectés que le Roy faict pour ou avec ceulx de leur religion, ne sont que pour les tromper. Je feray tout ce que je pourray pour entretenir ceste princesse et les siens en bonne disposition, mais il fault que le plus grand moyen m'en viegne du Roy et de Vostre Majesté; que toutz deux me faciez parler avec eulx, tant du présent que de ce que prétandez pour l'advenir, en ce que vous sçavez qu'ilz ont à cueur, comme pouvez bien juger, Madame, que leur ambassadeur ne leur en déguysera rien, ou aultrement vostre parole viendra à estre de nulle authorité, et moy ridiculle, en tout ce que je leur diray ou promectray de vostre part. Et sur ce, etc. Ce VIIe jour d'octobre 1572.

CCLXXIXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'octobre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Conférence de l'ambassadeur avec le comte de Sussex, Leicester et Burleigh pendant la maladie de la reine.—Efforts de l'ambassadeur afin de renouer les diverses négociations.—Motifs donnés par Burleigh du peu de confiance que les Anglais doivent avoir dans le roi.—Assurance de l'ambassadeur que les protestans recevront toute protection en France.—État de la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, ce que, par mes précédantes, je vous ay escript, de quelque petite indisposition qui avoit prins à la Royne d'Angleterre, au retour de son progrès, cella peu à peu s'est converty en ung ou deux accès de fiebvre, et après en la picote ou petite vérolle, qui luy faict tenir le lict; dont n'ay ozé incister de parler à elle, par ce mesmement qu'il luy en estoit sorty au visage, mais non pas beaucoup.

Elle a depputé milord trézorier et les deux comtes de Sussex et de Lestre pour entendre ce que j'avoys à luy dire de la part de Vostre Majesté; ausquelz j'ay récité le contenu de vostre lettre du XXIIe, ainsy qu'elle est bien ample et pleine de beaucoup d'honnestes particullarités, si bien déduictes pour la satisfaction de ceste princesse et de tout ce royaulme, qu'il ne m'a esté besoing d'y adjouxter quasy ung seul mot du mien; et seulement j'ay uzé de la plus grande expression qu'il m'a esté possible pour leur confirmer ce que je leur disoys, et les assurer que leur Mestresse trouvera toute vérité et certitude en ce que Vostre Majesté luy promect.

Ilz m'ont presté fort bénigne audience; et, après avoir conféré ensemble, milord trézorier, pour les troys, m'a dict qu'ilz avoient grand plésir de cognoistre par mon discours que Vostre Majesté continuoit en une semblable bonne et sincère disposition vers leur Mestresse, qu'il sçavoit bien qu'elle persévéroit vers vous; et que, de toutes les particularités que je venois de leur réciter, qui estoient beaucoup en nombre, ilz n'en avoient ouy pas une qui ne fût pour luy apporter du contantement, et plus celle que nulle aultre, par où apparoissoit qu'en toutes choses vous aviez desir de la contanter; dont ne feroient faulte de luy rapporter fort fidellement le tout, aulx mesmes termes que je le leur avois dict, ou le plus près d'iceulx qu'il leur seroit possible; et que, s'il me plaisoit leur donner ung extrêt de vostre lettre, ou bien l'original, qui estoit signé de vostre mein, puisqu'il ne contenoit sinon les bonnes choses que je leur avois rapportées, qu'ilz donroient ce plésir à leur Mestresse de la luy lire entièrement.

Je leur ay respondu que, possible, auroient ilz pensé que, comme ministre affectionné à la paix, et desirant toujours une bonne intelligence entre ces deux royaulmes, j'avoys entreprins, affin de rabiller les choses, de faire cest office de moy mesmes, sans en avoir charge; mais je les priois que, comme je n'avoys jamais rien faict de semblable, qu'ainsy voulussent ilz croyre qu'à ceste heure, moins que jamais, vouldrois je advancer une seule parolle à leur Mestresse ny à eulx, sans en avoir ung bien exprès commandement, et pourtant qu'ilz pouvoient voyr les propres lettres de Vostre Majesté, lesquelles j'avois en la mein, et les leur ay incontinent exhibées; car aussy avoys je proposé de les monstrer à la dicte Dame, ayant seulement immué une sillabe d'ung mot, et adjouxté par interligne ung aultre mot, et changé ung bien peu la substance du déchiffrement qui y estoit; duquel je ne leur ay faict que lecture en passant, sans leur en laysser rien par escript.

Et milord trézorier avec plésir a prins la dicte lettre, et, après en avoyr, à parcelles, quasy leu la pluspart, il m'a dict que sa Mestresse seroit bien ayse de la voyr; à quoy non seulement j'ay condescendu, mais je l'ay prié de la luy monstrer; et eulx trois, avec une protestation que ce ne seroit pour servir de responce, jusques à ce qu'ilz auroient parlé à leur Mestresse, m'ont prié que je prinse de bonne part ce que, par manière de conférance, ilz me vouloient dire: c'est que Dieu leur estoit tesmoing combien la Royne, leur Mestresse, et eulx avoient esté et estoient en grande peyne de dissuader au commun de ce royaume que Vostre Majesté ne leur heût desjà dénoncé la guerre, comme prince du tout déterminé à la ruyne des Protestans; car, par plusieurs coppies, qui leur avoient esté envoyées de divers endroictz de France, de certeines lettres, escriptes le XXIIIIe d'aoust, au nom de Vostre Majesté, pour advertyr les gouverneurs que l'exécution du feu Amiral estoit advenue par la querelle de la mayson de Guyse, voyantz qu'incontinent après il estoit sorty d'aultres lettres pour déclarer que cella estoit advenu pour une conspiration que luy et ceulx de la nouvelle religion avoient faicte contre Vostre Majesté, ilz vouloient inférer que vous vouliés par là prendre une apparante occasion, (laquelle nul, à la vérité, ne pourroit nier que ne fût juste, si elle estoit bien advérée), de vous porter pour capital ennemy de toutz les Protestans, et que les exécutions, qui depuis s'en estoient ensuivyes, le monstroient assez; mesmes que plusieurs angloys, qui avoient esté à Roan, lors de la sédition, rapportoient qu'elle estoit advenue par mandement de Vostre Majesté, jusques à affermer qu'ilz avoient veu de voz propres lettres à cest effect, et qu'ilz me vouloient bien dire aussy que la conjouyssance que Mr le cardinal de Lorrayne, personnage principal de vostre conseil, avoit faicte au Pape, au nom de Vostre Majesté, laquelle il avoit faicte publier en lettres d'or sur la porte de l'hostel St Louis à Romme[6], en portoient grand tesmoignage; et que tout cella estoit cause que, oultre l'indignation de la noblesse, et des meilleurs du royaulme, qui se voyoient comme toutz admonestés par là de debvoir prendre les armes pour leur deffance, leurs marchandz estoient venus semondre tout ce conseil de leur laysser transporter leur traffic, et mesmes de s'aller pourvoir de vin et d'aultres denrées, ailleurs que de la France, baillantz des démonstrations, par articles, que cella seroit à la seureté et utilité de l'Angleterre; mais qu'ilz avoient faict tout ce qu'ilz avoient peu pour modérer les ungs et radoulcir les aultres, par les mesmes bonnes remonstrances, qu'ilz avoient apprinses de moy, de l'intention de Vostre Majesté. Et néantmoins, si l'on ne leur monstroit quelque meilleur effect de vostre part, ilz n'estimoient pas qu'ilz se puissent assez rasseurer pour s'ozer encores commètre ny eulx, ny leurs biens, à la France; et que l'effect, à leur advis, seroit bon, et rendroit les leurz bien édiffiez de beaucoup de choses passées, si Vostre Majesté faisoit faire punition exemplaire d'aulcuns de ces plus principaulx séditieulx de Roan, ainsy que vostre lettre, laquelle les avoit bien fort resjouys, monstroit que vous estiez résolu de le faire; et quand à eulx troys, ilz croyoient que l'Angleterre les réputeroit pour traistres, si, premier que avoyr veu quelque chose de cella, ilz conseilloient l'entrevue de la Royne, vostre mère, avecques leur Mestresse.

Je leur ay respondu briefvement que leur dicte Mestresse et eulx voyoient, par voz lettres et par voz parolles, une si bonne et droicte intention de Voz Majestez Très Chrestiennes et de toutz les vostres vers ce royaulme, qu'ilz n'en debvoient nullement doubter, ny faire ces argumentz au contrayre, et l'expérimenteroient encores meilleure, quand il en faudroit venir à l'espreuve.

Ilz ont suivy à me dire qu'ilz estimoient que Vostre Majesté ne pourroit trouver maulvès que les pouvres françoys, de leur religion, qui fuyoient icy, pour saulver leurs vyes, y fussent receus.

Je leur ay respondu que je n'avoys nul commandement de parler de cella, et qu'il sembloit bien que, sellon le dernier traicté de plus estroicte confédération, les Françoys pouvoient venir icy, et les Angloys passer en France, sans aulcune difficulté; mais je les supliois que la recordation de leurs fuitifz, qui avoient trecté avec le duc d'Alve, les gardât de vous donner semblable souspeçon d'eulx; que, quand leur Mestresse voudroit intercéder vers Vostre Majesté pour aulcuns des dicts françoys, oultre que vos édictz les assuroient assez, encores, pour l'honneur d'elle, seroient ilz davantage assurés et bien trectés en vostre royaulme; néantmoins que d'avoyr estroicte praticque avec ceulx qui se monstreroient ou malcontantz, ou qui voudroient dresser des entreprinses, au préjudice de la paix de vostre royaulme, que cella ne se pourroit faire, sans que vous en heussiez beaucoup de jalouzie.

Ilz m'ont réplicqué qu'à la vérité, le vidame de Chartres estoit en ceste court, où il estoit venu pour eschaper le danger de sa vye; de quoy ilz ne luy pouvoient faire tort, non plus qu'aulx habitans de la Rochelle, d'avoir, à ce qu'on disoit, fermé leurs portes à ceulx qui ne faysoient conscience de tuer indifféremment, et sans forme de justice, toutz ceulx de leur religion; mais que je pouvois asseurer Vostre Majesté que leur Mestresse, ny nul de son conseil, ne presteroit l'oreille à pas ung qui voulût rien troubler en vostre royaulme. Et, pour le regard de ce que, par une particullarité de mon dire, laquelle, Sire, je n'ay pas insérée icy, je leur avoys remonstré qu'on souspeçonneroit une grande altération entre Voz Majestez, si les Angloys n'alloient ceste année à Bourdeaulx, qu'ilz trouvoient bon, pour obvier à cella, qu'ilz y allassent, soubz la seureté que je leur monstrois de voz lettres, et soubz celle que je leur promectois; que pourtant ilz les feroient partir du premier jour, et qu'ilz pensoient aussy, Sire, que, s'il vous playsoit de faire dépescher nouvelles lettres de vostre grand sceau, ez endroictz où le trafficq de leurs marchandz s'adonne en France, pour les y faire bien recepvoir, et deffendre de ne leur meffaire ny mesdire, sur grandz peynes, et qu'il leur en fût monstré, icy, ung extrect, que cella, possible, les encourageroit davantage, et aussy de mettre ordre, touchant les biens et marchandises qu'ils avoient commis en divers lieux à ceulx de la nouvelle religion, qui ont esté tués, ou s'en sont fouys, qu'il leur en soit faict droict et restitution.

En quoy je leur ay fort promis que Vostre Majesté ne feroit point de difficulté à tout cella. Et ainsy, après les avoyr fort soigneusement enquis du bon portement, et disposition de leur Mestresse, je me suis gracieusement licencié d'eux.

Et le jour d'après, milord trézorier m'a mandé que la dicte Dame avoit prins beaucoup de contantement de la lettre de Vostre Majesté, et avoit longuement devisé, avec eux troys, de la responce qu'elle y debvoit faire, et qu'il estoit après à la rédiger par escript, pour, puis après, me la faire entendre; dont je l'attandz dans deux ou troys jours. Je creins assez qu'une partie de la flotte pour les vins n'aille à la Rochelle, qui pourtant vous suplie très humblement, Sire, de pourvoir bientost à la réduction d'icelle ville; car de là dépend le repos de vostre royaulme, et la paix avec les estrangers. J'ay faict parler au Sr de Colombières, qui est en ceste ville, lequel monstre de n'avoir nulle plus grande affection que de demeurer vostre très obéissant et fidelle subject, pourveu qu'il le puisse faire avec la seureté de sa vye. Il vous pléra m'en mander vostre intention. Je n'ay aultres nouvelles d'Escoce, sinon qu'on y a prorogé l'abstinence pour huict jours, affin de moïenner l'accord, mais l'on doubte assez qu'il se puisse faire. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'octobre 1572.

Tout présentement, je viens de recepvoir vostre dépesche du IIIIe du présent avec le saufconduict.

A la Royne

Madame, en faysant la négociation, que verrez par la lettre du Roy, avec troys seigneurs de son conseil, j'ay mis peyne de tirer d'eux en quelle bonne intention leur Mestresse persévéroit d'estre vers le propos de Monseigneur le Duc, et si elle estoit point disposée à l'entrevue, en quoy les deux plus inthimes m'ont monstré que Mon dict Seigneur le Duc estoit tousjours en fort bon concept vers elle, et qu'elle avoit très bonne opinyon de luy; mais qu'elle et eulx deux estoient merveilleusement contredictz en la poursuite de ce propos, jusques à ce qu'il se puisse bien voyr que l'estat de ce royaulme n'est pour en recepvoir aulcune altération, ains pour en confirmer davantage son repos; et le troysiesme m'a dict que, de tant que les responces, qu'elle nous avoit faictes jusques icy, ne la constituoient en aulcune obligation, que la difficulté seroit grande comme pouvoir conduire les choses en façon qu'elle et ses subjectz s'y vueillent maintenant obliger, après une si expresse déclaration de Voz Majestez et de toute la France contre la cause de leur religion, toutesfoys que je ne pourrois de mon costé procéder par nulle meilleure voie que par celle que je suivoys, et qu'ilz verroient, toutz troys, avec leur Mestresse, comme elle se pourroit bien conduire en cest endroict, dont m'y seroit bientost faict responce. Et, au regard de l'entrevue, que se trouvant leur Mestresse en une indisposition que les dames ne vuellent guières qu'on les voye, et mesmes qu'elle n'est pour sortir d'ung moys de sa chambre, dont l'yver sera bien avant, qu'ilz ne voyent comme cela se puisse bien commodément faire de cest an; joinct l'aultre rayson qu'ilz m'avoient desjà desduicte, laquelle, Madame, j'ay mise en la lettre du Roy. Et, quant aller aux isles de Gerzé ou Grènezé, que ce seroit aultant à leur Mestresse comme si elle passoit du tout en France, (car aussy en sont elles vingt foys plus près que de l'Angleterre), comme pour aller chercher mary par dellà.

Je n'ay deffailly de réplicques, lesquelles ilz m'ont promis de les faire toutes entendre à la dicte Dame, dont attandz meintenant sa responce.

Milord trézorier a jecté bien loing de faire meintenant nul voyage en France, à cause de ses indispositions de la goutte et colicque, mais le comte de Lestre m'a respondu qu'il seroit tousjours prest d'aller là où sa Mestresse luy commanderoit, et mesmes vers Voz Majestez Très Chrestiennes, quand il pourroit servir au propos de l'amityé et du mariage, et à la réconciliation de ceulx de sa religion. Et toutz deux m'ont rendu très humbles merciementz pour l'honnorable tesmoignage, que je leur ay monstré en voz lettres, que Voz Majestez leur rendoient, et la bonne estime en quoy vous les teniez; qui pourtant se santent d'avoir de plus en plus très grande obligation à vostre service. Et sur ce, etc.

Ce XIIIe jour d'octobre 1572.

CCLXXXe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour d'octobre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Grognet.)

Réponses faites au nom d'Élisabeth aux demandes du roi.—Efforts de l'ambassadeur pour combattre les intrigues de l'Espagne.—Nouvelles de la Rochelle; crainte que les armemens faits à Londres n'aient pour but de rallumer la guerre civile en France.—Affaires d'Écosse.—Danger de Marie Stuart.—Le vidame de Chartres réfugié en Angleterre.—Demande d'instruction sur la conduite que doit tenir l'ambassadeur à l'égard des protestans français réfugiés en Angleterre.—Nécessité où s'est trouvé l'ambassadeur d'accorder que l'entrevue se pût faire à Douvres.—Danger que pourrait avoir cette entrevue.—Demande par l'ambassadeur de son rappel.

Au Roy.

Sire, après que les troys seigneurs, avec lesquelz j'ay heu ceste foys à négocier sur la dépesche de Vostre Majesté, du XXIIe du passé, ont heu rapporté à leur Mestresse les choses que je leur avoys dictes, et qu'elle a heu longuement conféré là dessus avecques eulx, ilz se sont, avec tout le reste du conseil, plusieurs foys assemblés pour dellibérer comme l'on auroit à m'y respondre. Et enfin ilz m'ont mandé par ung des miens ce que Vostre Majesté verra en cest aultre escript, séparé, lequel luy mesmes, en leur présence, a recueilly, ainsy mot à mot, comme ilz le luy ont dict, qui monstre bien, Sire, qu'ilz mettent grand peyne de faire devenir ceste princesse fort ombrageuse et deffiante de tout ce qui leur est maintenant proposé de vostre part. Et, de tant qu'ilz y explicquent ouvertement leurs conceptions, je n'ay que y adjouxter, sinon qu'il me semble, Sire, qu'encores qu'ilz se monstrent bien farouches, si ont ilz grand plésir, pendant que l'intention du Roy d'Espaigne ne leur est encores bien cognue, de voyr que la vostre tend à persévérer vers eulx; en quoy, encor que tout ce dont ilz uzent à ceste heure vers vous, ne soit, à mon advis, que pour vous entretenir affin de gaigner le temps, si se peut il fère que le dict temps et les bons déportemens, dont vous et voz subjectz uzerez cepandant vers eulx, leur apprendra de ne se debvoir point départir d'avecques vous, et de n'espérer jamais trouver si bonne addresse vers le Roy d'Espaigne comme vers Vostre Majesté; qui est ce en quoy je travaille le plus maintenant, par toutz les moyens et démonstrations et communicquation de voz lettres, qu'il m'est possible de le faire, affin mesmement que les agentz du dict Roy d'Espaigne ne se prévaillent trop icy des choses advenues en France; qui, à la vérité, s'esforcent de les interpréter fort mal pour advancer leurs affères et traverser d'aultant ceulx de Vostre Majesté; car, sans cella, je ne mettroys la peyne de radoulcir tant les Angloys comme je fay; qui se monstrent si extrêmes que souvant ilz me font honte des choses qu'ilz me disent. J'eusse espéré pouvoir tirer quelque chose de plus gracieulx de ceste princesse, si je luy eusse faict voyr la bonne lettre de Vostre Majesté, que je n'ay pas faict de ceulx de son conseil. Tant y a qu'ilz ont meurement dellibéré leur responce; et leur Mestresse l'a aprouvée.

Guaras et Sanvictores, qui sont espaignolz, et le cavalier Geraldy qui est icy pour le roy de Portugal, sont beaucoup mieulx ouys, et plus favorablement receus en ceste court qu'ilz ne souloient. Icelluy Guaras a grande espérance de faire retirer toutz les angloys qui sont à Fleximgues et en Flandres, et qu'il remettra en bon trein l'accord des différendz et de l'entrecours des Pays Bas, bien que freschement soient arrivés aulcuns bourgois du dict Fleximgues et de Holande, qui font tenir ceste dellibération en quelque suspens. Les princes protestans ont aussy envoyé secrettement ung personnage de qualité qui ne se montre point, duquel je n'ay encores aprins le nom. Il négocie souvant avec quatre de ce conseil, et semble qu'il obtiendra quelque provision de deniers.

Ung bourgoys de la Rochelle, nommé Duret, est icy, lequel, encor qu'il monstre d'y estre venu pour le faict de marchandise, si a il, et ung Bobineau qui est aussy de la Rochelle, esté quelques jours à Vindezor. J'entendz qu'on a dépesché incontinent ung vaysseau angloys au dict lieu de la Rochelle pour aller voyr comme les choses s'y passent; car il s'en parle icy diversement. Et c'est de ce costé là, Sire, que je ne puys cesser de vous suplier très humblement qu'il vous playse en quelque façon y pourvoir, le plus promptement qu'il vous sera possible: car, voyant que ceulx cy sont fort dégoustés de la France, et que, toutz les jours, ilz tiennent plusieurs heures, soyr et matin, très estroictement le conseil; et qu'ilz ont mandé force capitaynes et mariniers, et préparent de mettre dix grandz navyres dehors pour les tenir à Porsemue, je ne puis avoir sinon bien suspecte ceste leur grand deffiance, et creindre que, pour s'en rasseurer, ilz vueillent fomenter en ce qu'ilz pourront les troubles dans vostre royaulme; et ne fay doubte qu'ilz ne recherchent le comte de Montgommery par le moyen de son beau frère, qui est voysin du dict Portsemmue, et pareillement le cappitaine Sores, auquel a esté desjà ordonné ung logis pour luy et sa famille à Hamptonne.

Je sentz bien aussy qu'ilz font de grandes dellibérations sur l'Escoce pour y suprimer du tout l'authorité de la Royne d'Escoce, et y relever celle du prétandu régent, et pour parachever icy, s'ilz peuvent, la ruyne de la dicte Dame à ce prochein parlement; lequel, à ce que j'entendz, ilz veulent rouvrir le lendemain de la Toutz Sainctz pour ce seul effect, qui ne sera sans que la pouvre princesse ayt grand besoing de vostre faveur; et néantmoins je creins assez qu'elle ne luy sera de si seur refuge comme elle luy a esté jusques icy. Il a esté dépesché, coup sur coup, troys courriers à Barvic pour les choses du dict pays, sans qu'on m'ayt faict part de rien, et n'ay nulles lettres de dellà depuis le VIIIe de septembre; tant y a que quelqu'ung m'a dict que les seigneurs du pays ont prins ung expédiant d'accord d'entre eulx, et que l'ung party s'est uny avecques l'aultre, et toutz deux avecques les Anglois pour se munir et pourvoir contre l'aparance, que les choses de France leur font creindre, qu'il y ayt entreprinse faicte pour exterminer de toutz pointz leur religion; et que Mr Du Croc et son beau filz, et monsieur de Vérac, seront icy le XXe ou XXIIe de ce moys, estantz desjà arrivés à Barvic. Ce que je mettray peyne de sçavoir mieulx au vray.

Mr le vidame de Chartres, ayant trouvé ung des miens à Windesor, est venu parler à luy, et luy a dict que, nonobstant l'exécution de Paris, il avoit une foys résolu de se tenir en sa mayson soubz la sauvegarde que Vostre Majesté luy avoit envoyée, mais que depuis il fut adverty que le Sr de Saint Légier venoit avecques forces pour le surprendre, ce qui l'a contreinct de passer deçà, et qu'il me viendroit voyr; dont vous suplie très humblement, Sire, me commander comme j'auray à uzer vers luy et vers toutz ceulx de la nouvelle religion qui ont passé deçà, qui s'adressent à moy. Et sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour d'octobre 1572.

A la Royne

Madame, j'eusse espéré une meilleure responce de la Royne d'Angleterre si j'eusse parlé à elle, que non de l'avoir heue ainsy par l'entremise de ceulx de son conseil. Il est vray que tout ce qu'on m'a dict ceste foys n'est qu'en attandant ce que le Roy et Vostre Majesté aurez advisé sur ma dépesche, du XXIXe du passé, et sur ce que, conforme à icelle, Mr de Walsingam vous aura dict davantage; dont m'assurant que Voz Majestez y auront prins une bonne et vertueuse résolution, je ne m'advanceray de rien vers eulx jusques à voz premières lettres et voz procheins commandementz. Mais sur ce, Madame, que Vostre Majesté avoit trouvé ung peu estrange que j'eusse offert l'entrevue à Douvre, et qu'il ne vous souvenoit de me l'avoir ainsy expressément mandé, je vous suplie très humblement de considérer que, ayant la Royne d'Angleterre jetté bien loing de faire la dicte entrevue sur mer, jusques à me dire que ses conseillers estimoient qu'on se mocquât d'elle, de l'avoir mis en avant; et luy ayant respondu que vous n'aviez pensé qu'elle le deût trouver maulvès, à cause qu'elle a ung équippage de mer si beau et si bon, qu'il ne luy pouvoit revenir qu'à plésir et commodicté de s'en servir à cest honnorable effect; et néantmoins que, sur ce que Mr de Vualsingam vous en avoit depuis remonstré, vous luy aviez promis d'escripre à la dicte Dame que vous n'estiez trop escrupuleuse, et que vous seriez contante que ce fût là où seroit advisé, dont estimiez qu'il seroit bien à propos, pour l'une et pour l'aultre, de choisir à cest effect l'isle de Gerzé ou de Grènezé; et m'ayant la dicte Dame rejecté cella aussy loing que le premier, me disant qu'elle ne voyoit nul lieu plus à propos que Douvre, mais qu'elle ne pensoit pas que nul de ses conseillers en peût estre maintenant d'advis; et que mesmes il y avoit bien à regarder comme recepvoir et traicter une si grande Royne et ung si grand trein comme celluy que Vostre Majesté admèneroit, je ne peus faire de moins, voyant toutz aultres expédiantz rejectés, que de luy dire que, veu ce qu'aviez promis à Mr de Walsingam d'escripre, Vostre Majesté pourroit accorder de venir en quelque lieu en terre qui seroit advisé, sans expéciffier nullement Douvre, et avec compagnie modérée, et avec les seurtés telles, comme il convenoit à la personne d'une si grande princesse. En quoy je n'estime pas, Madame, m'estre advancé en cella de luy offrir davantage que ne pourtoient les lettres du Roy et vostre, du XIIe de septambre, et si, ay tousjours réservé, plus que n'est en icelles, les seuretés que vouldrés demander, n'ayant jamais accordé du dict lieu de Douvre, ny aussy je ne l'ay pas contredict; car je vous puis asseurer, Madame, qu'il n'y a nul aultre lieu si commode que celluy là, et ne voy point, si vous le débatez, qu'il en faille parler de nul aultre.

Tant y a que les choses n'en sont encores si près, et si, se représantent, de jour en jour, tant de nouveaulx escrupules devant mes yeulx, sur la dicte entrevue, pour le regard de Vostre Majesté, que je ne l'oze aulcunement solliciter, non que je y cognoisse aulcun apparant danger; mais il y pourroit intervenir ou parolle ou démonstration de quelque anglois, en l'endroit de quelqu'un des vostres, sur l'émotion de Paris, que je le voudrois, puis après, avoir rachepté avecques la vie, joinct que nous sommes si procheins de l'yver que la mer commancera de devenir bientost bien fâcheuse. Et je desirerois bien aussy, Madame, avant cella, que quelque principal personnage de ce costé fût envoyé visiter la Royne, vostre belle fille, en ses premières couches, affin qu'il se fût ung peu prins plus de confidence entre ces deux royaulmes qu'il semble n'en y avoir meintenant, vous supliant au surplus, Madame, le plus humblement qu'il m'est possible, que si à Mr de Walsingam est permis de venir par deçà, sellon que ceulx cy y incistent, qu'il vous plaise m'octroïer d'aller trouver Voz Majestez; car, oultre qu'ilz ne doibvent gaigner cest advantage sur le Roy, je serois, et toutz les papiers de ceste négociation, en danger: et m'y seroit à tout coup fait quelque trêt qui seroit contre la dignité de vostre couronne; bien que j'ay à me louer infinyement des honnestes faveurs que j'y reçoys de ceste princesse, et de la modeste façon dont ceulx de son conseil et toute la noblesse de ce royaulme m'y uze. Néantmoins je retourne vous suplier très humblement, Madame, qu'ayant esté quatre ans toutz completz au continuel service de ceste charge, non sans du travail beaucoup, qui m'a infinyement envielly, il vous playse meintenant prendre tant de pitié de moy que de me vouloir révoquer, sellon que Vostre Majesté sçait qu'il n'y a gentilhomme, au service de Voz Majestez, qui plus ayt besoing de s'aller reposer, et pourvoir à sa pouvreté et nécessité que moy. Sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour d'octobre 1572.

CCLXXXIe DÉPESCHE

—du XXIIe jour d'octobre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Nouvelle des massacres de Bretagne.—Craintes témoignées par les marchands anglais qui se disposent à se rendre à Bordeaux.—Défiances continuelles des Anglais sur toutes les négociations de l'ambassadeur.—Retour de MMrs Du Croc et de Vérac venant d'Écosse, où ils ont conclu une nouvelle suspension d'armes.—Bon accueil fait par les habitans de la Rochelle à Mr de Biron.—Assurance donnée par Mr de La Meilleraie qu'il promet toute protection, dans son gouvernement de Normandie, aux protestans fugitifs.—Effet produit en Écosse par la nouvelle des massacres de Paris.

Au Roy.

Sire, estant la flote des navyres preste à partir pour Bourdeaulx, les marchandz de Londres ont heu quelque advis que les gallères avoient de rechef prins des vaysseaulx angloys qui alloient celle routte, et que pareillement il en avoit esté déprédé quelques ungs sur la coste de Bretaigne, et que, au dict pays de Bretaigne, s'estoit ensuivye une semblable exécution sur ceulx de la nouvelle religion comme à Roan; dont sont tournés les dicts marchandz s'excuser aulx seigneurs de ce conseil du dict voyage, alléguans qu'encor que l'intention de Vostre Majesté soit qu'ilz soient bien traictez en vostre royaulme, que néantmoins il se voit si peu d'obéyssance en vos subjectz qu'il est très dangereulx de se commettre à leur discrétion. Sur quoy, iceulx seigneurs du conseil leur ont faict plusieurs honnestes remonstrances pour les rasseurer, et leur ont monstré vostre édict que je leur avoys baillé imprimé, et leur ont faict entendre ce que, d'abondant, il vous avoit pleu m'escripre à ce propos, et ont tant faict que la dicte flote part résoluement ceste sepmayne; mais ce n'est sans estre venu, quasy chacun vaysseau, prendre nouvelle seureté de moy, et mes lettres de saufconduict. Dont vous suplie très humblement, Sire, qu'il vous playse faire en sorte qu'ilz ne reçoivent poinct de mal, et que là dessus soit refreschy le commandement, à vostre armée de mer, de servir plustost de conserve que de dommage aux dictz Angloys, et que, à Bourdeaulx, ilz les veuillent bien recepvoir, et leur y fère le bon traictement qu'on avoit accoustumé.

Mr de La Melleraye et Mr de Sigoignes m'ont envoyé des pleinctes pour aulcunes déprédations qui ont naguières esté faictes, en ceste mer estroicte, sur voz subjectz, et sur l'empêchement qu'aulcuns vaysseaulx, équippés en guerre, donnoient à la pescherie de l'aranc. Sur quoy, je leur ay incontinent envoyé une commision de la Royne d'Angleterre pour deffandre à toutz ses vaysseaulx de ne troubler la dicte pescherie; et, quand aux prinses, elle a fait commander aux juges de son admiraulté d'y pourvoir: et ainsy je vays gaygnant, peu à peu, tout ce que je puis vers eulx, mais leur deffiance est si grande qu'ilz croyent que tout ce que je leur dis de vostre part est pour les surprendre et tromper.

Mr Du Croc et le Sr de Vérac sont arrivés, et sont allés prendre congé de la Royne d'Angleterre à Windesor. Il leur a semblé, après avoir procuré la prorogation de l'abstinence pour aultres deux moys, que leur demeure par dellà seroit plus dommageable que utille à vostre service, dont s'en sont venus, et le Sr de Quillegreu y est encores demeuré, qui inciste fermement à la paix; mais c'est en réduysant l'ung et l'aultre party à l'obéyssance du prétandu régent, et toutz deux à la mutuelle deffence avec les Anglois de leur commune religion. Le dict Sr Du Croc espère partir d'icy, dans ung jour ou deux, pour vous aller donner bon compte de toutes les choses de dellà.

Vendredy au soyr, arriva nouvelles au change royal de ceste ville comme Mr de Biron avoit esté receu à la Rochelle, et que la dicte ville persévéroit de tout poinct en vostre obéyssance; ce que je cognois estre de grand moment, et que cella amortira bien fort, s'il est ainsy, toutes les imaginations que les Angloys pourroient avoyr d'entreprendre quelque chose par dellà.

Le dict Sr de La Melleraye m'a mandé de faire entendre à ceulx de la nouvelle religion, qui sont de son gouvernement, qui ont fouy, de s'en retourner en leurs maysons, soubz le commandement que toutz les gouverneurs ont de les tenir en la plus grande saulvegarde que faire se pourra; dont ay donné passeport à quelqung d'entre eulx, pour aller jusques à Roan voyr quel il y faict pour eulx; mais ilz ne s'y ozent fier pour encores.

Les agentz du duc d'Alve sont, à ceste heure, si ordinayres en ceste court que quasy ilz n'en bougent. L'on m'a dict qu'ilz ont faict dépescher deux personnages à Fleximgues pour aller retirer les angloys qui y sont, et que tant plus facillement ilz ont obtenu cella, quand on a rapporté icy que Vostre Majesté avoit faict mettre en pièces ceulx qui estoient sortis par composition de Montz[7]. J'entendray plus au vray comme il va de toutes ces choses affin de m'y comporter sellon qu'elles seront vrayes. Et sur ce, etc.

Ce XXIIe jour d'octobre 1572.

A la Royne

Madame, attendant ce qu'il vous plerra me commander sur les deux responces de la Royne d'Angleterre et des seigneurs de son conseil, que je vous ay envoyés le XXIXe du passé, et le XVIIIe d'estuy cy, je n'entreray en nulle plus grande négociation avec elle ny avec eulx; et seulement j'yray les entretenant en la meilleure opinion que je pourray pour les faire tousjours bien espérer de votre amityé. Mr Du Croc n'a pas trouvé que le Sr de Quillegreu luy ayt esté meilleur adjoinct qu'estoit le Sr de Drury; car a dict, soubz mein, aulcunes choses assez peu convenables à l'amityé d'entre la France et l'Angleterre; et s'est soubdein veue une semblable mutation de volontés par dellà, à cause de l'exécution de l'Admiral et des siens, comme je l'ay expérimantée en ce royaulme. Il y a plusieurs jours que je n'ay rien sceu de la Royne d'Escoce, sinon qu'on dict qu'elle est fort resserrée et fort rudement traictée. Il me viendra, possible, bientost quelque moyen de sçavoir de ses nouvelles, et je ne fauldray de vous en advertir incontinent. Sur ce, etc. Ce XXIIe jour d'octobre 1572.

CCLXXXIIe DÉPESCHE

—du IIe jour de novembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Négociation du mariage.—Déclaration d'Élisabeth sur les massacres de France.—Désaveu fait au nom du roi de toutes les exécutions qui ont eu lieu ailleurs qu'à Paris.—Refus de la reine de s'expliquer sur la demande d'une entrevue autre part qu'à Douvres.—Son dessein de rappeler Walsingham.—Regret qu'elle éprouve de ce que le roi ne veut pas permettre au vidame de Chartres de rester en Angleterre.—Détails particuliers de l'audience.—Ferme opinion d'Élisabeth qu'une ligue est formée pour l'extermination des protestans.—Motifs qui ont dû empêcher la reine-mère d'accepter l'entrevue à Douvres.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, depuis quatre jours en çà, devers la Royne d'Angleterre, pour l'occasion de voz lettres du VIIe du passé, mais, premier qu'elle m'ayt layssé entrer en nul des propos d'icelles, elle m'a voulu rendre plusieurs grandz mercys du soing que j'avoys heu d'elle pendant sa dernière maladye de la petite vérolle; et que, si elle n'eût heu l'estomac fâché, l'aultre foys que j'estois à Windezor, à cause qu'elle avoit prins ung peu de mitridat, elle m'eût permis de la voyr affin de pouvoir donner à Voz Majestez meilleur compte de son mal; et qu'elle croyoit bien que, quand Monseigneur le Duc l'entendit, qu'il desira qu'elle en heût beaucoup au visage affin de ne s'entrereprocher rien plus l'ung à l'aultre.

Je luy ay respondu que Voz Majestez, et Monseigneur le Duc, et toutz ceulx de vostre couronne, desiriez parfaictement la conservation de ses excellantes qualités, et aussy bien de celles qui convenoient à sa beauté comme de celles qui ornoient sa grandeur, et que vous auriez grand plésir d'entendre, par mes premières, qu'elle en fût si parfaictement bien guérye qu'il n'en restât ung seul vestige au visage; et que, de ma part, je me resjouyssois non guyères moins de l'accidant que de la guérison, car c'estoit une espèce de maladie qui monstroit que la jeunesse n'estoit encore passée, ny preste à passer de longtemps, et qu'elle n'avoit jamais esté en meilleure disposition d'estre maryée, ny de devenir bientost grosse, si elle avoit ung mary, que maintenant; et que pourtant elle ne voulût plus retarder à elle mesmes le grand bien et contantement qui luy viendroit de la résolution du propos de Monseigneur le Duc.

Elle, en soubsriant, m'a dict qu'elle ne s'attendoit pas que je luy deusse parler à ceste heure d'ung tel faict, mais plustost des couches de la Royne Très Chrestienne, car desjà les nouvelles estoient à Londres qu'elle avoit heu ung beau filz, et elle prioit Dieu qu'il fût ainsy; mais, de tant qu'elle s'assuroit bien que la certitude n'en pouvoit estre encores arrivée après le dernier courrier qui en estoit venu, lequel n'en parloit poinct, elle me vouloit demander de vostre bon portement et santé, et qu'est ce que, par voz dernières dépesches, j'avois apprins de l'estat des choses de France.

Je luy ay racompté aulcunes petites particullaritez, et icelles faictes quadrer à ung fort apparant repos, qui de toutz costés semble s'establir bien et bientost en vostre royaulme; et puis, suis venu à luy dire qu'ayant Mr de Walsingam monstré, au commancement de ce moys, qu'il desiroit avoir audience, et que néantmoins, à cause d'une sienne indisposition, il n'y pouvoit venir, Vostre Majesté avoit depputé Mr Brullard, vostre secrettère des commandementz, et Mr de Mauvissière pour aller parler à luy; ausquelz il avoit faict entendre en mesmes motz la mesmes responce qu'elle m'avoit faicte à Redinc, touchant l'occasion de la mort de l'Amiral et des siens, et touchant la continuation de l'amytié, et touchant l'entrevue. Sur lesquelz troys poinctz Vostre Majesté me commandoit de luy dire de nouveau ce que fort expressément je luy ay récité, de toutz les poinctz de vostre dicte lettre, en la forme qu'ilz y sont contenus; qui n'est besoing de les répéter icy. Et ay curieusement observé comme elle les prendroit et qu'est ce qu'elle m'y respondroit.

Sur quoy, quand au premier, elle m'a uzé des termes qui s'ensuyvent:—«Que la mort de l'Amiral et des siens luy touchoit si peu qu'elle n'y considéroit que le seul intérest qui en pouvoit tomber sur voz affères et sur vostre réputation; bien est vray qu'elle creignoit que provoquissiez l'yre de Dieu, en luy faysant voyr dans le cueur, et par voz œuvres, et en vostre forme de régner, que vous voulez que l'ommicide en vostre royaulme ne soit point réputé péché, comme si vouliez corriger et vous oposer au décalogue de ses commandementz, et en oster les meurtres, ne recognoissant que aulx mesmes princes il n'est licite de tuer ny faire tuer, sinon en deux cas seulement: l'ung, de guerre légitime; et l'aultre, pour l'exécution de justice à punir les crimes, et que nulz aultres, sinon les seulz princes et magistratz souverains ont authorité de mort; et que tant plus vous différiez de faire publier le procès de l'Amiral, tant plus layssiez vous, pour ce regard, quelque chose de vostre estimation en suspens, et qu'elle retenoit bien ce qu'on luy en avoit escript de divers lieux; dont, si elle avoit aultant d'authorité sur vous, comme elle avoit de bonne affection vers vous, elle vous feroit une réprimande pour vous apprandre de ne vous porter, une aultre foys, tant de préjudice, comme vous aviez fait ceste cy.»

Je luy ay réplicqué plusieurs choses, et l'ay suplié de les vouloir bien examiner par la règle de ce qu'elle mesmes feroit contre ceulx de ses subjectz qui, au bout d'une si horrible guerre, comme ceulx cy ont mené en vostre royaulme, l'espace de douze ans, se prépareroient de rechef contre la mesmes personne et la vye d'elle, et la subversion de son estat.

Elle m'a respondu que, quand à ceulx de Paris, elle me vouloit le tout excuser; mais, quand à ce qui s'estoit depuis ensuivy à Roan et aultres lieux, elle n'y voyoit aulcun lieu d'excuse, mesmes qu'on luy avoit dict que vous aviez envoyé de voz gens de guerre pour faire l'exécution, mais que ceulx de la ville, en estantz advertis, avoient fermé les portes pour y mettre eulx mesmes la mein, affin que le butin ne leur eschapât; que, pour le regard d'observer bien l'amityé, elle n'avoit chose au monde en plus grande affection que de se porter droictement pour très constante amye et perpétuelle confédérée à Vostre Majesté, si, de vostre costé, Sire, vous vous vouliez monstrer vers elle prince non indigne d'avoir des perdurables amys, et très fermes confédérez; et qu'elle avoit des advertissementz, de beaucoup de grandz lieux, qui l'admonestoient de se réputer comme desjà toute habandonnée, et qu'il estoit temps qu'elle pourveût en dilligence à ses affères: ce qu'elle feroit, mais non en façon que pour cella elle voulût uzer d'aulcune séparation d'amityé d'avec Vostre Majesté; et que, s'il en advenoit quelqune, elle indubitablement proviendroit de vostre part, et non jamais de la sienne; que, pour le regard de l'entrevue, elle commançoit à doubter assez si Voz Majestez avoient jamais bien desiré le mariage, et qu'aulmoins voyoit elle que vous n'aviez pas suyvy le chemin de bientost l'effectuer, et qu'elle ne pouvoit comprendre par les lettres de son ambassadeur sur quoy Voz Majestez se rétractoient de l'offre de la dicte entrevue, qui en vouliez maintenant rejecter la faute sur vostre ambassadeur; car sçavoit que je ne m'estois pas plus advancé en cella que du contenu de mes lettres, ayant veu l'article qui en parloit, et elle n'en avoit point escript aultrement à son ambassadeur; mais qu'elle jugoit bien que c'estoit pour les accidans survenus, lesquelz rendroient toutes choses, de toutes partz, fort suspectes, comme elle, à la vérité, confessoit que le temps estoit très maulvais et très dangereulx.

Je luy ay réplicqué que, quand au premier poinct, elle debvoit demeurer très fermement persuadée que, si vous n'eussiez esté meu, non seulement de juste mais très nécessayre occasion de laysser faire l'exécution de Paris, que nul, soubz le ciel, s'y fût plus fermement oposé que vous, pour le regret que vous aviez de perdre l'Amiral et les siens, et pour la traverse que cella portoit à quelques aultres voz entreprinses; mais que ce qui avoit despuis succédé à Roan et ailleurs, en l'endroict d'autres que des seulz conspirateurs, il estoit trop cler que tout cella estoit advenu contre vostre intention, ny jamais vous n'aviez envoyé à Roan ung seul de voz gens de guerre, ainsy que la punition, que vous feriez fère, monstreroit à elle et à tout le monde combien cest excès vous avoit dépleu; au regard de vostre amityé, qu'elle ne debvoit nullement doubter que vous ne la luy rendissiez perdurable à jamais, et que ne luy accomplissiez les promesses que luy aviez faictes et jurées par le traicté, et beaucoup davantage, quand son besoing le requerroit, jusques y emploïer tout le moyen et meilleures forces de vostre couronne; et que, de ce poinct et de celluy de Monseigneur le Duc, Voz Majestez me commandiez de l'assurer que vous en desiriez l'effect plus que jamais; et Mon dict Seigneur le Duc mesme m'en faysoit une bien expresse lettre, et que la Royne demeuroit tousjours très résolue de venir à Bouloigne, toutes les foys que la dicte Dame se voudroit approcher à Douvre, pour de là convenir ensemble du jour et lieu de leur entrevue; et qu'à la vérité je pouvois avoir ung peu trop emplyé ce qui m'en avoit esté escript, d'avoir offert qu'elle pourroit accorder de venir en quelque lieu en terre là où seroit advisé; car, à la vérité, ce mot en terre, n'estoit dans l'article. Il est vray que, quand je le luy avois monstré, elle et moy avions estimé qu'il se pouvoit interpréter ainsy, et que néantmoins je la supliois que, sellon qu'elle avoit tousjours procédé clèrement et sincèrement en ce propos, ainsy qu'il convenoit entre princes bien unis, et qui cherchoient l'alliance plus estroicte l'ung de l'aultre, qu'elle me voulût dire en quoy elle persévéroit vers le dict propos, et vers l'article où nous en estions demeurés de l'entrevue, et je mettrois peine d'y incliner l'intention de Voz Majestez, aultant qu'il me seroit possible de le fère.

Elle m'a soudein respondu que, sans ce qu'elle avoit desiré d'entendre de voz nouvelles, et satisfère à l'affection que j'avois de la voyr, après sa petite vérolle, qu'elle ne m'eût donné ceste foys audience, se doubtant bien que je ne faudrois de luy parler de ces deux poinctz, et elle ne m'y vouloit ny pouvoit encores respondre jusques à ce qu'elle heût heu une responce qu'elle attandoit d'heure en heure, de son ambassadeur, et l'avoit tousjours attandue depuis Redinc; mais, à cause qu'il estoit malade, il ne la luy avoit encores peu mander; et que, touchant le dict ambassadeur, pour beaucoup de respectz, tant de sa maladie que de l'instance que sa femme faysoit icy, et aussy pour la particullière hayne que la Royne d'Escoce et ses parans luy portoient, elle estoit contraincte de le retirer; et heût bien desiré qu'ung secrettère heût peu satisfaire, pour ung moys ou six sepmaynes, à sa charge; mais, puisque Vostre Majesté ne le trouvoit bon, elle en feroit préparer ung aultre.

J'ay bien donné à cognoistre à la dicte Dame que ses responces, en ce qu'elle y mesloit ung peu de deffiance, et y uzoit de remises, ne pouvoient bien convenir à ce que je desirois pour vostre satisfaction. Néantmoins, voyant que je ne pouvois rapporter, pour ce coup, sinon celle déclaration de sa ferme persévérance en vostre amityé, et aulcunes parolles bien fort honnorables de Monseigneur le Duc, je me suis déporté de tout le reste; mais, pour la fin, je luy ay présenté la lettre que Vostre Majesté luy escripvoit touchant Mr le vidame de Chartres, laquelle elle a lue.

Et m'a respondu que le dict vidame, puisque ne trouviez bon qu'il fût icy, pourroit aller où bon lui sembleroit; mais qu'elle estimoit qu'il ne seroit point conseillé de s'en retourner en France, jusques à ce qu'il veît y pouvoir bien jouyr la seureté et sauvegarde que Vostre Majesté luy promectoit, et qu'elle heût bien pensé qu'en ce temps vous ne luy heussiez voulu refuser une si petite chose que la demeure d'ung de voz subjectz en Angleterre; car pouviez croire qu'il n'y seroit soufert, s'il y praticquoit quelque chose contre vostre intention, et que le dict vidame avoit esté et estoit tenu pour si suspect de ceulx de sa religion qu'elle mesmes estoit advertye de ne s'y fier.

Je me suis rencontré, mècredy dernier, avec les principaulx seigneurs du conseil d'Angleterre, au festin du maire, où ilz m'ont toutz, d'une voix, recommandé deux affères, l'ung du Sr Benedicto Spinola, touchant des laynes acheptées par authorité publicque en ce royaulme et envoyées débiter à Roan, sur lesquelles quelque espagnol luy meut débat, et qu'à ceste heure se recognoistra si Vostre Majesté veut prendre la cause du duc d'Alve contre la Royne, leur Mestresse, ou bien vous monstrer vray amy et confédéré d'elle; et l'autre faict est d'ung pouvre marchand angloys qui a esté fort maltraicté à Roan, à ce qu'il vous plaise luy faire administrer justice contre ceulx qui l'ont otragé et qui luy ont pillé ses biens. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour de novembre 1572.

A la Royne

Madame, suivant vostre lettre, du VIIe du passé, j'ay continué à la Royne d'Angleterre le propos du mariage et celluy de l'entrevue, en la façon que Vostre Majesté verra par le récit que j'en fays à la lettre du Roy, qui n'a esté sans qu'elle ayt montré d'estre encores bien disposée vers ces deux poinctz, et de vouloir fort cognoistre s'il y a, de vostre costé, semblable disposition; car, de toutz les endroitz qu'elle reçoit ou conseil ou advertissement, qui ne vient le plus communément que des Protestans, elle est fort admonestée de prendre bien garde de ne se laysser tromper, et qu'elle doibt croire, puisqu'elle est en mesmes cause que les Huguenotz de France, qu'il y a une mesmes dellibération contre elle, et que la bulle luy doibt estre ung signe pour l'advertir de ne se fier ny à traicté, ny à confédération, ny à promesses, ny à mariage, ny à bonnes chères, ny à propos d'amityé: car tout cella a précédé avec ceulx de la nouvelle religion, qui pourtant n'en ont esté garantis; de sorte qu'elle m'a dict qu'on luy avoit fait sortir en proverbe d'éviter les nopces gallicques comme chose bien dangereuse.

Je luy ay représanté tant de signes et tesmoignages de la vraye intention du Roy et vostre vers elle, et encores de l'affection que Monseigneur le Duc luy porte, (et luy en ay faict voyr quelques articles dans aulcunes de voz lettres), qu'enfin elle m'a faict cognoistre qu'il n'y a que celle grande extrémité qui se poursuit encores en divers lieux de France, et de laquelle se conjecture une déterminée résolution en voz cueurs de vous estre obligés au Pape et à l'Empereur, et au Roy d'Espagne, d'exterminer les Protestans, qui la mect en peyne et la faict tenir en suspens: et puis m'a curieusement demandé d'où procédoit la difficulté que Vostre Majesté faysoit maintenant à l'entrevue.

A quoy je luy ay respondu que je voyois bien que c'estoit à moy de me purger de péché d'autruy, et que je luy voulois dire tout librement qu'il me sembloit que la faute procédoit de deux grandes Roynes; et que, de tant que j'estoys subject et serviteur de l'une, et très affectionné à la grandeur de l'aultre, il falloit que je le portasse paciemment, et qu'à la vérité Vostre Majesté, ne pensant que ce qui estoit advenu à Paris deût estre sinon aprouvé de toutz ceulx à qui vous en fesiez entendre la nécessayre occasion, et l'ayant mandée à elle, vous aviez tousjours continué d'ung mesme trein, comme auparavant, la poursuiyte du dict mariage, et aviez libérallement accordé à son ambassadeur qu'il luy peût escripre bien avant de l'entrevue, et à moy de la luy offrir, et que vous viendriez jusques en l'isle de Gerzé, ce qui m'avoit faict advancer, voyant les incommodités qu'elle alléguoit du dict Gerzé, et pareillement de faire l'entrevue sur mer, de luy dire que Vostre Majesté pourroit, possible, accorder de venir en quelque lieu en terre, avec compagnie modérée, et avec les seuretez à ce requises; mais que elle, de son costé, avoit monstré d'estre si offancée de cest évènement de Paris, et mesmes d'en prendre quelque deffiance de Vostre Majesté, jusques à vous en faire toucher quelque mot bien exprès par son dict ambassadeur; et entendiez, au reste, tant de rapportz de ce qui s'en disoit en ce royaulme, que nul de voz meilleurs serviteurs, ny de ceulx qui aymoient la conservation de Vostre Majesté, vous ozoient conseiller d'azarder vostre personne à passer deçà, jusques à ce qu'eussiez plus grande certitude de l'intention de la dicte Dame.

Sur quoy elle m'a faict plusieurs honnestes excuses de n'avoir ny pensé ny parlé que bien honnorablement du Roy, vostre filz, et de Vous, sur tout ce qui estoit advenu, et qu'elle avoit bien dict ung peu librement quelques choses à moy et non à aultre, qui procédoient de la bonne intention et plus estroicte amityé qui est contractée entre vous; et que mesmes elle avoit faict cognoistre à toutz les siens combien luy déplaysoit qu'on en parlât licencieusement, dont je n'en oyois plus nul propos; et, quand à l'entrevue, qu'elle pensoit bien avoir aultant comprins par l'article qu'elle en avoit veu dans mes lettres, et en celles de son ambassadeur, de la volonté qu'aviez de venir à Douvre, encor que le lieu n'y fût nommé, comme elle en avoit depuis mandé à son ambassadeur; mais que de cella, ny du principal propos du mariage, elle ne m'y respondroit rien plus, pour ceste heure, jusques après la procheyne dépesche de son dict ambassadeur; seulement me prioit de remercyer infinyement Monseigneur le Duc vostre filz, de la bonne souvenance qu'il monstroit avoyr d'elle, par les honnestes propos qu'il m'en escripvoit, (lesquelz, à dire vray, Madame, elle les a fort curieusement leus), et qu'elle ne valoit pas tant qu'il la deût tenir en tel compte, dont ne seroit jamais qu'elle ne s'en sentît obligée à luy, et qu'elle ne luy en recognût, en tout ce qu'elle pourroit, l'obligation.

J'ay depuis parlé au comte de Lestre et à milord de Burgley, et encores au chancellier, desquelz, parce que le langage se rapporte à celluy que la dicte Dame m'a tenu, je ne l'exprime poinct davantage. Et vous diray seulement que toutes choses, à la vérité, monstrent d'estre assez changées, mais non encores tant du tout comme, il ne y a pas ung moys, que je les creignois. Sur ce, etc.

Ce IIe jour de novembre 1572.

CCLXXXIIIe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de novembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Dominique Vestin).

Accouchement de la reine de France.—Naissance d'une fille.—Proposition, faite à Élisabeth d'être sa marraine.—Acceptation d'Élisabeth.

Au Roy.

Sire, ce courrier a esté ung peu retardé en venant icy, à cause du passaige, et, aussytost que j'ay heu la lettre qu'il vous a pleu m'escripre, du XXVIIe du passé, après avoir loué et remercyé Dieu des heureuses couches de la Royne et du commancement de lignée, qu'il luy a pleu vous donner à toutz deux, de ceste belle petite princesse[8], qui vous est née, je me suis mis après à m'enquérir si la Royne d'Angleterre vouldroit bien accepter d'en estre la marraine. Et, pour cest effect, j'ay envoyé le Sr de Vassal devers milord de Burgley pour me conjouyr avecques luy de la bonne nouvelle, et luy dire que, si je pensois que la Royne, sa Mestresse, ayant commencé ceste année de se faire vostre confédérée, desirât aussy de devenir vostre commère, que je suplierois Vostre Majesté de le luy offrir, et que je le priois de m'en mander son advis, car ne me voudrois advancer en cella, et mesmes voudrois bien garder que Vostre Majesté ne s'en advançât, si elle n'avoit fort à gré de l'accepter.

Sur quoy il a soubdein respondu qu'il n'ozeroit s'ingérer de me respondre rien là dessus, sans en avoir communicqué avec elle. Dont est allé soubdein parler à sa dicte Mestresse, et puis m'a mandé dire, par le mesmes gentilhomme, que j'avois sagement advisé en ung tel faict de vouloir bien pourvoir, à cause du temps et pour les évènementz naguières passez, qu'il ne fût proposé sinon au commun gré de Vostre Majesté et de sa dicte Mestresse, affin de ne convertir entre vous un acte d'amityé en offance; et qu'il m'assuroit qu'elle acceptera de bon cueur d'estre la marraine, si luy faictes l'honneur de l'en prier, non toutesfoys pour envoyer par dellà ny le comte de Lestre, ny luy, parce qu'elle les réserve toutz deux pour sa perpétuelle conserve, contre les dangers et inconvénientz qui semblent se présenter de beaucoup d'endroictz, mais ce ne sera sans y députer quelque personnage d'honneur et des plus grandz de ce royaulme. De quoy, Sire, je vous ay bien incontinent voulu advertir affin que accomplissiez en cella vostre bonne intention. Et sur ce, etc.

Ce IVe jour de novembre 1572.

CCLXXXIVe DÉPESCHE

—du IXe jour de novembre 1572.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Intrigues des Espagnols pour détruire l'alliance de la France avec l'Angleterre.—Confiance que commencent à prendre les Anglais dans les assurances du roi.—Départ de la flotte pour Bordeaux.—Nouvelles de la Rochelle où l'on a repris les armes.—Retraite du prince d'Orange des Pays-Bas.—Nouvelles d'Écosse; certitude de la mort du comte de Mar.—Rappel de Walsingham.—Demande par l'ambassadeur de son rappel.

Au Roy.

Sire, les honnestes propoz et les bonnes démonstrations, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, avez uzé en l'endroict de l'ambassadeur d'Angleterre, sur la persévérance de vostre amityé vers la Royne, sa Mestresse, et la confirmation que m'en avez faict donner icy à elle, retiennent encores les choses en ce royaulme si balancées pour vous, que ce qui est advenu contre ceulx de la nouvelle religion, ny les praticques d'Espagne, ne les peulvent encores du tout emporter, non qu'il y ayt faulte d'offres ny de condicions de la part du duc d'Alve, fort advantageuses pour ceulx cy, jusques à offrir de faire tout ce qu'ilz voudront, et de remettre icy ung ambassadeur, encor que la dicte Dame n'en envoye poinct en Espaigne; et Guaras praticque cella avec de si bons présens qu'on m'a assuré qu'il en a faict ung de plus de dix mil escuz à ung personnage seul, qui a quelque authorité en ce royaulme; et il a bien tant faict que les seigneurs de ce conseil ont vacqué plusieurs jours à chercher les moïens comme se raconcillier avec le Roy d'Espaigne, dont le dict Guaras a esté souvant en court, mais, pour ceste foys, il n'a obtenu sinon une segonde provision pour le faict de Fleximgues et pour quelques ourques d'Espaigne, qui naguière ont esté combatues et prinses en mer par ung navyre de guerre angloys qui revenoit de cours. Bien est vray qu'il a rapporté de bonnes parolles et promesses sur toutes ses aultres propositions; et est certein que ceste princesse et les siens avoient desjà prins une si ferme résolution de délaysser toutes aultres intelligences pour fère estat de la vostre seule, et commettre à icelle le repos et la seureté de ce royaulme, qu'ilz ne s'en peulvent si tost départir, et vont discourant et argumentant sur ce qui est naguières advenu; et observent dilligemment ce qui s'y voyt de suyte, affin que, s'ilz peuvent juger par voz déportementz que vostre amityé ne leur soit, à cause de leur religion, du tout suspecte, ilz persévèrent en ce qui est desjà conclu entre Voz Majestez et entre voz deux royaulmes; dont j'entendz qu'ayantz aulcuns des françoys, qui sont icy, voulu taster leur intention, ilz ont trouvé que la dicte Dame et ceulx de son conseil ne sont, pour encores, guyères eschaufés sur les partys et ouvertures qui se pourroient faire de reprandre les armes en France.

Je ne sçay si cella leur durera, et croy bien qu'ilz voudront suyvre l'example de ce qu'ilz verront faire aulx princes protestans d'Allemaigne, et que, si la Rochelle se meintient opinyastre, qu'ilz la voudront favoriser soubz mein, ainsy qu'aux troubles passez. Et suys adverty, de bon lieu, que les dicts princes ont mandé à la dicte Dame qu'elle ne mecte plus en doubte qu'il n'y ayt dellibération faicte et jurée contre elle et contre eulx toutz pour abolir leur dicte religion; et que pourtant elle vueille retenir toute sa navigation dans ses portz affin de l'avoyr preste au besoing, ce qui a de rechef cuydé interrompre le voyage de Bourdeaux pour les vins; mais enfin toute la flotte y est allée.

J'ay heu, à la vérité, beaucoup de doubtes, ces jours passez, entendant qu'on avoit tiré quarante huict chariotz d'armes, de pouldres, et aultres mounitions de guerre, de la Tour de Londres, que ce fût pour en envoyer à la Rochelle, mais j'ay sceu que le tout est allé aux fortz de Portsemmue, et l'isle d'Ouyc, et de Douvre. Il est vray que quelques françoys acheptent bien des armes en ceste ville, mais non encores en si grande quantité qu'il en faille fère cas. Il semble que ceulx de la Rochelle ont mis de leurs habitans dehors, car, puis cinq ou six jours, il en est arrivé icy quelques mesnages qui raportent que le Sr Strossy est allé sommer la ville, et qu'elle ne luy a respondu sinon à coups de canon, dont huict des siens ont esté tués; ce qui semble que ceulx cy ne réprouvent guyères, et mesmes disent qu'ilz sçavent que aulcuns catholicques françoys ont dict qu'ilz seroient très mal advisez de se randre, car aussy bien les tueroit on.

J'entendz que ceste princesse et les siens avoient espéré, ceste année, ung grand effect de l'entreprinse du prince d'Orange ez Pays Bas, et qu'ilz y faysoient estat d'en emporter la Zélande; dont, sur ceste persuasion, laquelle estoit conduicte par ung allemant avec l'assistance d'ung seigneur de ce conseil, elle avoit mandé fournir soixante six mil escus au dict prince en Embourg; et avoit layssé couler envyron quatre mille angloys à Fleximgues, soubz la charge du Sr Homfray Gillebert; et promiz de mettre ses navyres en mer pour empêcher le secours d'Espaigne; mais, voyant que le dict prince se retire comme déconfit, et que les Angloys n'ont esté bien traictez au dict Fleximgues, elle se rétracte de sa libéralité, et retire ses gens, et faict cesser une partie de l'appareil de ses navyres. Il est vray qu'il y a encores icy un solliciteur du dict prince, et quelque ambassadeur du comte Palatin. Je ne sçay enfin qu'est ce qu'ilz obtiendront.

Il semble qu'on ne soit guyères marry en ceste court que la nouvelle qu'on y avoit publiée de la victoyre de Dom Jehan d'Austria en Levant soyt réuscye vayne; mais il y a aultres deux nouvelles qui les fâchent assez: l'une, du décès de l'Empereur, si elle est vraye; et l'aultre, de celluy du prétandu régent d'Escoce[9]. Et creins bien, si le dict prétandu régent est mort de poyson, ainsy qu'on l'a dict, ou bien de quelque aultre violence, qu'on n'en traicte plus mal la pauvre Royne d'Escoce. Je viens d'estre adverty que ceste princesse a accordé son congé au Sr de Walsingam, et que le sire Jehan Caro s'apreste pour luy aller succéder, dedans ung moys ou six sepmaynes. Je m'enquerray dilligemment du dict Sr Caro; et vous suplie très humblement, Sire, me vouloir de mesmes retirer; car, oultre que j'ay doublé icy le temps, encores ne doibt vouloir Vostre Majesté laysser l'advantage à la Royne d'Angleterre qu'elle ayt plus de soing de son ambassadeur que vous du vostre, ny que le Sr de Walsingam soit en meilleur concept vers elle, que moy vers Vostre Majesté. Sur ce, etc.

Ce IXe jour de novembre 1572.

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