Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
MÉMOIRE AU ROI.
Sire, j'ay remercyé en la meilleure façon que j'ay peu la Royne d'Angleterre de l'honneste propos, et de la vertueuse démonstration, dont elle avoit uzé sur la nouvelle de la blesseure du Roy de Pouloigne, vostre frère, quand j'envoyay luy communicquer, par le comte de Lestre, ce que m'en avez mandé, le XVIIIe du passé, et luy ay dict davantage que, par nouvelles lettres du XXIIIIe, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, me commandiés de me conjouyr infinyement avec elle, de vostre part, de ce qu'il avoit pleu à Dieu de le vous préserver. Qui vous assuriés fort qu'elle auroit playsir de voyr que vous, et luy, et vostre aultre frère, qui toutz troiz l'aviez bien aymée, et luy portiés tousjours une singullière affection, allissiez estandant la réputation de vostre valeur, avec le danger de voz personnes, et, qu'au milieu de ces dangers, Dieu vous voulût conserver.
Ce que la dicte Dame a monstré qu'elle avoit très agréable, et m'a confirmé, en parolles et démonstrations, cella mesmes que le comte de Lestre m'avoit desjà mandé: qu'elle avoit esté non moins troublée de l'accidant du Roy de Pouloigne, que si elle eut esté sa seur germayne. Et a adjouxté que, oultre les occasions expécialles qui l'obligeoient de se resjouyr du bien, et se douloir du mal, qui pourroit advenir à Vostre Majesté, et à toutz ceulx de vostre couronne, il y avoit des considérations, pour le général d'aucuns estatz de la Chrestienté, qui luy faysoient juger que ce eût esté par trop de malheur au monde, si ce prince fût ainsy péry en ceste entreprinse. Et m'a fort curieusement demandé comme cella luy estoit advenu, et s'il ne seroit pas, une aultre foys, aprins de fère mieulx recognoistre les lieux dangereulx, plustost que d'y aller? et si le troisiesme n'en deviendroit pas aussy plus advisé de son costé, lequel ne debvoit lors estre guyères loing de son frère? et s'il estoit vray que ung gentilhomme, ayant entreveu prendre feu à l'arquebouze, se fût mis devant pour couvrir son Mestre, et qu'il eût esté tué?
A quoy je luy ay satisfaict de ce que je sçavois, de la vérité de ces choses, et luy ay discouru celles qui servoient à cellébrer la magnanimité de Vostre Majesté, et les gestes vertueux du Roy de Pouloigne, et comme Monseigneur le Duc se formoit près de luy, pour se rendre bientost ung grand et brave chef de guerre, de sorte qu'elle a monstré d'avoyr à plésir ce propos.
Et puis a suyvy à dire qu'elle désireroit bien fort que la légation, qu'elle avoit maintenant envoyé vous fère, peût servir de destourner ce qui pouvoit rester à venir du malheur de ceste guerre, et qu'elle n'attandoit sinon que le cappitayne Orsey luy mandât que vous aviez eu agréable l'office qu'elle vous offroit, et que luy eussiez ordonné d'aller devers le Roy de Pouloigne et devers ceulx de la Rochelle, affin qu'elle luy enchargât de nouveau de fère toutes choses au contantement de voz Majestez Très Chrestiennes et du dict Roy de Pouloigne; et qu'on luy avoit bien dict que la paix ne tardoit plus que pour la deffiance, laquelle elle creignoit que fût ung peu rengrégée de ce qu'on avoit mis feu à une mine pour surprendre les dicts de la Rochelle, pendant qu'on parlementoit à eulx, ainsy que ung gentilhomme allemand, filz d'un angloys, qui estoit lors au camp, le luy avoit dict; ce qu'elle n'avoit peu aprouver, car n'estoit expédient que voulussiez, ny que monstrissiez de vouloir, la mort de voz subjectz de la nouvelle religion.
Je luy ay respondu que la légation du cappitayne Orsey, venant de la part d'elle pour deux si honnorables effectz, comme pour la paix de vostre royaulme et pour le faict de l'entrevue, ne pourroit estre que bien receue de Voz Très Chrestiennes Majestez, et, possible, viendroit elle, quand au premier poinct, assez oportunément pour ayder la négociation que le Sr de La Noue menoit avec les dicts de la Rochelle et de Monthaulban, et des aultres de la nouvelle religion, pour les réduyre à ung bon et honnorable expédiant d'accord; et qu'il n'y avoit lieu d'alléguer plus la deffience, car eulx mesmes cognoissoient très bien qu'il ne leur manqueroit aulcune sorte de bonne seureté.
Et touchant la mine, dont elle parloit, qui avoit esté essayée pendant le parlement, je n'en sçavois rien, mais aussy n'avoys je pas sceu qu'aulcune suspencion de guerre eût esté octroyée en ce siège, sinon pour ceulx seulement qui parlemantoient; et qu'au reste, Voz Majestez, et le Roy de Pouloigne, aviez clèrement monstré que vous desiriez la conservation générallement, et non la ruyne, de voz subjectz;
Au regard de l'aultre poinct, qui concernoit l'entrevue, que je creignois qu'il vous restât, et à la Royne, vostre mère, de quoy vous vergoigner assez d'avoyr defféré à la dicte Dame tout ce qui se pouvoit imaginer d'honneur et d'advantage entre princes, et qu'elle l'eût néantmoins tenu en peu de compte, et quasy l'eût eu à mespris, et que Monseigneur le Duc n'en conceût ung très grand regret en son cueur; qui, s'estant proposé par l'abondance de son amityé et de la dévotion, et servitude, qu'il luy avoit vouée, qu'il auroit facille accès à ses bonnes grâces, il porteroit à ceste heure fort impaciemment ceste remise, car ne pensoit, en façon du monde, qu'il s'en peût trouver une seule, ny aulcune sorte de réplicque à son offre; ainsy qu'en ses lettres, que j'avoys freschement reçues, il me parloit comme un prince qui, ayant embrassé de toute son affection ceste espérance, avoit desjà le pied à l'estrier, et estoit comme de chemin pour s'en venir, et qui me commandoit qu'en luy présentant cependant une sienne lettre, je luy impétrasse tant de faveur d'elle que de luy bayser en son nom et très humblement ses belles meins, qu'il avoit tant de desir de venir luy mesmes et bayser, et toucher.
La dicte Dame, qui ne s'attandoit d'avoyr à présent de ses lettres, s'estant composée de contenance, mais devenue vermeille au visage, les a prinses et leues incontinent d'affection, et les a trouvées fort pleynes d'honneur et d'honneste amityé; dont m'a respondu qu'elles l'arguoient d'une grande faulte, de n'avoir escript à Monseigneur le Duc, mais qu'elle rabilleroit cella, si elle pouvoit entendre que le dict cappitayne Orsey allât au camp, et qu'elle luy avoit par trop d'obligation pour ne manquer à ce debvoir, si elle ne vouloit estre trouvée ingrate.
J'ay poursuivy à luy dire que, si, en la commission du dict cappitayne, il y avoit chose aulcune qui peût mettre en quelque suspens Voz Majestez et Monseigneur le Duc de la bonne intention d'elle, que je la priois de le vouloir promptement réparer, affin de ne deffallir de correspondance, de sa part, à la plus parfaicte et constante amityé, dont elle seroit jamays aymée, ny bien volue, de nulz aultres princes qui fussent au monde.
Elle m'a soubdein mené en une fenestre assez loing, et m'a dict, que, s'il vous playsoit luy fère cest honneur de l'employer à la paciffication de vostre royaulme, qu'elle mettroit peyne de vous y complayre de tout son pouvoir, et de conserver ce qui seroit de l'honneur et authorité et grandeur de Vostre Majesté, pour vous rendre les subjectz très humbles et très obéyssantz, et les plus modérez qu'elle pourroit en ce qu'ilz demanderoient de l'exercice de leur religion, pour n'en avoyr que aultant, et en la forme que trouverez raysonnable de leur accorder, de vostre propre grâce, pour satisfaction de leurs consciences, sans troubler le repos de vostre estat:
Et, quand à l'entrevue, que ceulx de son conseil avoient bien digéré la responce qu'elle vous y avoit faicte, laquelle vous ne trouveriez, à son advis, que desvoyât aulcunement l'affère, ains, possible, le remettroit en meilleur chemin qu'il n'estoit auparavant; et qu'elle estoit bien ayse de demeurer satisfaicte et de pouvoir satisfère aultruy de vostre persévérance vers elle, car vouloit, puisqu'elle estoit femme, me réveller ung secret: c'est que, depuis trois jours, sur quelques responces de grande importance qu'on luy faysoit attandre de quelque part du monde, l'on luy estoit venu dire que véritablement elles luy estoient mandées très bonnes et pleines de tout contantement, mais qu'en France l'on luy avoit, coup sur coup, tué trois courriers qui apportoient les dépesches, et qu'elle me layssoit juger que vouloit dire cella.
Je n'ay uzé ny de réplicque, ny de curiosité, pour fère explicquer davantage la dicte Dame, ains, l'ayant seulement pryée de vouloir radresser la commission du cappitayne Orsey, si elle ne la luy avoit donnée parfaictement bonne, quand il partit; et de vouloir escripre à Monseigneur le Duc, elle m'a promis de fère l'ung et l'autre; et puis, m'ayant fort volontiers baillé la mein à bayser au nom de Monseigneur le Duc, je me suis licencié d'elle. Qui est, Sire, le sommayre de ce qui s'est passé en ceste audience.
CCCXXIXe DÉPESCHE
—du XIIe jour de juillet 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Audience.—Communication officielle de la paix conclue en France.—Félicitations de la reine.—Demande de l'ambassadeur qu'Élisabeth consente à l'entrevue sollicitée par le duc d'Alençon.—Demande d'un délai pour donner la réponse.—Nouvelles d'Écosse.—Le lord de Hume et le lair de Granges retenus prisonniers.
Au Roy.
Sire, après que j'ay eu loué et remercyé Dieu de la bonne nouvelle de la paix[21], qu'il vous a pleu me mander, du premier de ce moys, je la suis allé porter à la Royne d'Angleterre, laquelle, d'un semblant fort joyeux et contant, m'a demandé, premier quasi que j'aye eu loysir de luy en entamer le propos, s'il estoit bien vray qu'elle fût faicte. Et je luy ay dict que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez estimé très raysonnable, aussytost que Dieu vous y avoit faict voyr quelque certitude, et premier quasy qu'elle fût du tout bien conclue, ou aulmoins devant qu'elle fût publiée en vostre court, d'en fère la première part à elle, affin de luy advancer, devant les aultres princes, voz alliez et confédérés, l'ayse et le plésir que vous vous assuriez qu'elle en recevroit, comme celle qui, plus que nul d'entre eulx, avoit monstré tousjours la desirer, et qui s'estoit offerte, par le cappitayne Orsey, de bien honnorablement et en très bonne façon s'employer de la fère. De quoy me commandiés de l'en remercyer de tout vostre cueur, et l'assurer que vostre résolution avoit tousjours esté, au cas qu'il fût besoing d'y appeller aulcun de voz alliez, d'y uzer les moyens et expédientz qui viendroient d'elle, sans vous ayder d'aulcun aultre prince; et qu'aussytost que le cappitayne Orsey estoit arrivé, vous l'eussiez volontiers faict acheminer au camp et à la Rochelle, pour ayder à la conclusion des articles, mais ilz estoient desjà toutz concludz; et néantmoins vous ne layssiez de vous sentir aultant obligé à elle, comme s'il en eût prins la peyne, et comme si le nom de la dicte Dame y fût intervenu; qui la priés de prendre ceste vostre dilligence, de luy avoyr faict la première communicquation de la dicte paix, et de l'avoyr notiffiée à ses ambassadeurs, premier qu'à toutz les aultres, qui résident près de Vostre Majesté, ung tesmoignage certein que vous n'aviez rien mis en oubly de ce que vous sçaviez luy en debvoir, et que vous lui promettiés, Sire, de luy approprier le bien, que vous en recepvriés, à l'utillité sienne, et aultant à la tranquillité de son royaulme, comme elle avoit tousjours monstré de desirer le repos du vostre.
Elle a monstré d'estre fort contante et de la nouvelle, et des propos que luy en fesiez tenir, et m'a dict que l'ayse et le playsir, que Voz Majestez en avoient, ne surmontoit en cest endroict le sien; et qu'aulmoins vous prioit elle de ne mettre aulcun aultre prince, de toutz voz alliés, au pareil reng qu'elle en cella, car elle sçavoit bien que vous luy feriez tort; et vous remercyoit infinyement qu'eussiez prins de bonne sorte l'offre qu'elle vous avoit envoyé fère par le cappitayne Orsey, et qu'eussiez cognu qu'elle estoit pure, et pleine d'une singullière affection vers tout ce qui pouvoit concerner et l'honneur de Vostre Majesté et toutz les degrés de vostre souverayne authorité sur voz subjectz, comme si elle eût voulu procéder en cella pour sa cause propre, et pour celle de sa couronne. Et m'a curieusement demandé quelles estoient les conditions de la paix, et si vostre dernier édict estoit pas restably, et toutz voz subjectz rappellés, et si le comte de Montgommery pourroit pas aussy bien retourner, comme les aultres, en vostre bonne grâce?
Je luy ay dict que je recuillerois le sommayre de ce que je trouverois, des dictes conditions de la paix, ez lettres de Vostre Majesté pour le luy envoyer, et que je ne pensois que voulussiez excepter le comte de Montgommery, s'il ne vous apparoissoit bien qu'il eût machiné quelque chose de plus que les aultres contre vostre propre personne. Et luy ay touché cepandant aulcuns poinctz des susdictes conditions pour voyr comme elle les prendroit, qui ne m'a faict semblant de les trouver sinon assez raysonnables. Et, après, j'ay adjouxté que, de tant qu'à ceste heure les ostacles, que ceulx de son conseil avoient mis au faict de l'entrevue, estoient ostés, et que la guerre contre ceulx de leur religion, en laquelle ilz les avoient fondés, s'estoit terminée en la façon, que eulx mesmes desiroient, d'une bonne paix et d'ung amyable accord; et que Monseigneur le Duc ne se trouveroit plus ny sanglant ny meurtrier des dicts de la nouvelle religion de devant la Rochelle, ains possible aultant leur amy et bienvueillant que prince de la Chrestienté; que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, me commandiés de luy incister qu'elle vous voulût rendre une responce bien entière à vostre offre, et me déclarer qu'elle l'acceptoit; et que me feist dellivrer les seuretés.
La dicte Dame m'a respondu que ma demande estoit raysonnable, et qu'elle ne la vouloit différer, et manderoit venir milord trézorier, et les aultres de son conseil qui estoient absentz, pour en dellibérer avec eulx, affin que, devant le XVe du présent, auquel jour elle dellibéroit de commancer son progrès, elle me peût rendre sa responce; et que cepandant elle verroit ce que le cappitayne Orsey et son ambassadeur, résident, luy en escripvoient, desquelz le pacquet venoit tout présentement d'arriver, mais leurs lettres n'avoient esté encores lues. Et m'a demandé là dessus si je sçavois que le dict cappitayne Orsey s'en revînt.
Je luy ay dict que je n'en sçavois rien, et que j'estimois qu'il feroit sellon qu'elle luy avoit commandé.
A quoy, après avoyr esté ung peu pensive, elle m'a continué dire qu'il avoit charge de suivre ce qu'il verroit qui plus vous pourroit complère, et qu'il sçavoit bien la bonne et droicte intention qu'elle avoit à Voz Majestez.
Et, après, je luy ay sommayrement touché les particullaritez, dont il avoit traicté avecques vous, et la satisfaction qu'il vous avoyt donnée, et que seulement vous restiez esbahys comme il ne vous avoit faict aulcune mencion des choses d'Escoce, bien que la lettre d'elle en parlât.
A quoy soubdein elle m'a respondu qu'il avoit attendu qu'on luy en commançât le propos, mais qu'avant partir il vous en rendroit bon compte, et sommes passez à quelques aultres gracieux propos de son progrès, et des chasses qu'on dellibéroit de luy monstrer en chemin.
Et puis, ay communicqué aulx seigneurs de son conseil la mesmes desirée nouvelle de la paix, qui ont monstré toutz de s'en resjouyr; et ainsy me suis desparty d'elle et d'eulx.
Cepandant le Sr de Quillegreu est revenu d'Escoce, avec ung grand nombre de papiers et chiffres qui ont esté trouvés dedans le chasteau de Lillebourg. Le dict chasteau est gardé par James Douglas, frère bastard du comte de Morthon, et par le cappitaine Humes; milord de Humes a esté remis prisonnyer dans le mesmes chasteau, et le layr de Granges envoyé à Loclevin, et les aultres principaulx distribués en aultres lieux. Les soldatz, qui ont suivy le party du dict de Morthon, passent peu à peu en Ollande, et ceulx du party de la Royne s'en vont servir le roy de Suède, de sorte qu'il en sort envyron quatre mille du pays, ce qui fera davantage continuer la paix. Milord Claude ny Adam Gourdon ne bougent; le cappitayne Cauberon a suivy, icy, le dict de Quillegreu, et dict on qu'il a charge du comte de Morthon de requérir l'évesque de Roz comme rebelle. Sur ce, etc.
Ce XIIe jour de juillet 1573.
CCCXXXe DÉPESCHE
—du XXe jour de juillet 1573.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Groignet, mon secrettère.)
Retour du capitaine Orsey à Londres.—Négociation du mariage.—Sollicitations du comte de Morton pour obtenir d'Élisabeth l'autorisation de mettre à mort les seigneurs écossais pris dans le château d'Édimbourg.—Soumissions faites par les Français réfugiés en Angleterre.—Mémoire. Détails d'audience.—Négociation du mariage.—Consentement d'Élisabeth à accorder les sûretés nécessaires pour l'entrevue.—Plaintes du roi au sujet des affaires d'Écosse.—Sollicitations de l'ambassadeur en faveur de l'évêque de Ross, qui est réclamé par le comte de Morton.—Déclaration de la reine qu'il ne sera pas livré.—Avis à part à la Reine. Mécontentement de Leicester.
Au Roy.
Sire, trois jours de reng, le conseil a esté tenu à Grenvich pour dellibérer de la responce qu'on avoit à me fère, où j'entendz que les choses ont esté merveilleusement débatues, non par contention de parolles, mais avec des argumentz pourpousés de si loing, et si artifficieusement recherchés, qu'on a mis ceste princesse à ne sçavoir à quoy se résouldre; et le cappitayne Orsey a esté dilligemment examiné de ce qu'il raportoit de vostre intention, et de celle de la Royne, vostre mère, et de l'estat des choses de France: dont me suis présenté au dict lieu, le XVe de ce moys, comme je y estois assigné, pour ouyr ce qu'on me voudroit dire, dont je mets le récit à part. J'adjouxteray, icy, que le comte de Morthon inciste fort que la Royne d'Angleterre ayt agréable qu'il puisse fère exécuter à mort ceulx qu'il a prins dans le chasteau de Lillebourg, à quoy semble qu'elle fermera les yeulx, pour d'autant confirmer son party; et j'entendz qu'elle a ordonné quelque nombre de gentilshommes ses pencionayres, au dict pays d'Escoce, desquelz je mettray peyne de sçavoir les noms. Le Sr de Villy s'en est retourné vers Vostre Majesté et le Sr Voysin, son compaignon, reste encores icy, qui ont toutz deux, ainsy qu'ilz disent, trouvé ez francoys, qui sont par deçà, une bonne disposition vers vostre service. Le comte de Montgommery, à ce que j'entendz, n'a attendu que le retour du cappitayne Orsey pour envoyer devers moy. Je orray ce qu'il me mandera. Le Sr de Languillier est venu très libérallement offrir sa personne, et sa vye, pour vostre service, et de vouloir vivre et mourir vostre très humble subject. Mr le vidame ne peut trouver qu'il soit suffizamment pourveu, par les articles de la paix, à la nécessité de leur religion; néantmoins que ce ne sera luy qui yra rien recalculer là dessus, et percistera à vouloir jouyr, en pacience, la paix et bonne grâce de Vostre Majesté. Et sur ce, etc.
Ce XXe jour de juillet 1573.
MÉMOIRE.
Sire, après avoir grandement remercyé la Royne d'Angleterre de l'offre qu'elle vous avoit envoyé fère, de s'employer à la paix de vostre royaulme, et de persévérer en la ligue, je luy ay dict que, ayant Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ouy, par deux foys, le cappitayne Orsey, et vous estant, après l'assurance de la paix, bien fort explicqués à luy et à l'ambassadeur, résident, touchant le propos de Monseigneur le Duc et de l'entrevue, vous estiez restés fort esbahys qu'ilz vous avoient layssez aussy incertains et irrésolus de l'intention d'elle en cella, comme si le dict Orsey n'en eût eu nulle charge; et pourtant me commandiés d'incister à obtenir la responce qu'elle me voudroit donner sur la dicte entrevue, et d'impétrer les seuretés qui estoient pour cella nécessayres.
A quoy la dicte Dame m'a respondu que c'estoit à elle et non à Vous, Sire, que touchoit de recognoistre tout l'effaict du voyage du cappitayne Orsey, car, en récompense de quelque petite courtoysie qu'elle vous avoit envoyé offrir par luy, Voz Majestez en avoient par luy mesmes remandé à elle au double, et de si bonnes que de meilleures ne les eussiez sceu fère à vostre propre seur germayne; et, quand à la responce que demandiés maintenant de l'entrevue, qu'elle vous prioit de croyre qu'elle avoit cherché de la vous fère, sellon vostre desir, et quoyque ses conseillers luy déduysissent des empeschements si extrêmes, qu'il leur sembloit qu'elle voulût, avec Voz Majestez Très Chrestiennes, conjurer la ruyne de ceulx de sa propre religion, si ne voulait elle monstrer d'estre si mal nourrye que de ne recognoistre l'obligation qu'elle vous avoit et à Monseigneur le Duc, pour tant d'honneur que luy aviez faict; et pourtant qu'elle ne vouloit différer d'accepter l'entrevue, et d'offrir les seuretés, sinon jusques à tant qu'elle vous eût encores escript à toutz troys, de sa mayn, comme les raysons qu'on luy avoit alléguées contre le mariage contrepesoient et mesmes sembloient si fort surbalancer celles qui font pour icelluy, qu'elle estimoit ne pouvoir procéder sincèrement avec Voz Majestez, si elle ne vous advertissoit que, venant Monseigneur le duc, elle creignoit bien fort que son intention ne peût réuscyr à l'effect qu'il voudroit.
Dont, encor que, par ses propres lettres, et de la Royne, vostre mère, elle eut promesse qu'il en prendroit tout le hazard sur luy, si cognoissoit elle bien qu'il y courroit encores une bonne partie de hazard pour elle, d'altérer la bonne amityé, en quoy elle se trouvoit maintenant avec toutz troys, et que pourtant elle y vouloit obvier, aultant qu'il luy seroit possible, dont vous escriproit franchement tout ce qui en estoit, sans vous en rien dissimuler; et puis à Voz Majestez seroit d'en uzer comme bon vous sembleroit, car les seuretés se trouveroient incontinent toutes prestes, telles que je les voudrois demander.
Je luy ay, pour réplicque, récapitullé tout ce qui avoit esté dict et faict, et escript, depuis le commancement du propos jusques à ceste heure, et comme la mesmes difficulté, qu'elle alléguoit maintenant, estoit desjà vuydée par les propres lettres de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc, qu'elle avoit devers elle; et que vous vous estiez layssez mener à elle jusques au fin bout de ce que luy pouviez defférer d'honneur et d'avantage en cest endroict, de sorte que vous ne vous estiez réservez à y pouvoir fère ung pas davantage, et tout le parfayre et l'accomplyr estoit à ceste heure en la main d'elle; qui la priés de l'y mettre si bon et si honnorable, comme ses propos précédans, ses démonstrations, ses lettres et responces vous avoient tousjours faict croyre qu'elle y procédoit d'une pure et non feincte, ny simulée, sincérité.
La dicte Dame m'a soubdein demandé si je voulois empescher qu'elle ne vous donnât cet advertissement, qu'elle vous vouloit escripre.
Je luy ay respondu que non, ains la supliois de le vous exprimer le plus qu'elle pourroit, affin que n'envoyassiez, par mesgarde, ce vertueux prince à ung manifeste refus, comme je sçavois bien que vous en vouliés très bien garder, mais que, par ensemble, elle m'accordât l'entrevue et les seuretés; qui estoient deux choses que j'avois simplement charge de requérir; et puis Voz Majestez en uzeroient sellon leur bon plésir. Qui vous assuriez bien que si, ez perfections de prince qui fût en la Chrestienté, Dieu avoit laissé de quoy pouvoir agréer à celles de la dicte Dame, que Monseigneur le Duc luy complerroit entièrement.
Elle, ne se pouvant assez bien démesler de ce poinct, a appellé milord trézorier et les quatre comtes, d'Arondel, de Sussex, de Betfort et de Lestre, commandant de chasser tout le reste de la chambre. Et ayant longtemps devisé avec eulx, en angloys, et avec réplicques, d'ung chacun costé, enfin par leurs advis, et eulx présentz, elle m'a respondu qu'elle accordoit que les seuretés fussent expédiées, et que j'en baillerois le mémoyre, quand je voudrois, mais que ne seroient envoyées qu'elle ne vous eût premièrement escript le susdict advertissement, et qu'elle en eût eu vostre responce.
Je n'ay rien plus réplicqué là dessus, mais j'ay adjouxté que Voz Majestez demeuroient escandalisées de ce que le cappitayne Orsey ne vous avoit touché ung seul mot des choses d'Escoce, bien qu'elle vous eût escript qu'elle luy en avoit donné charge; dont je la priois de vous fère explicquer, par son ambassadeur résident, ce que c'estoit; et qu'elle me voulût octroyer ung passeport pour ung gentilhomme, que Vostre Majesté dellibéroit d'envoyer par dellà; et qu'au reste j'ozois bien employer le nom de Vostre Majesté pour incister qu'elle ne voulût bailler l'évesque de Roz au comte de Morthon, comme j'estois adverty qu'il pourchassoit de l'avoir en ses mains.
Elle, en la mesmes présence de ses conseillers, m'a respondu que, à dire vray, le cappitayne Orsey n'avoit satisfaict à ce poinct, comme il luy avoit esté commandé, et seulement, en parlant de la conscience d'elle à la Royne, vostre mère, il luy avoit dict qu'encor qu'elle s'estoit peu saysir du chasteau de Lillebourg, elle néantmoins l'avoit entièrement délayssé aulx Escouçoys; et parce que la Royne, vostre mère, n'avoit lors suivy le propos, il n'y avoit sceu retourner une aultre foys, mais elle avoit desjà faict escripre à son ambassadeur qu'il ne faillît de le vous parachever; et qu'elle m'accordoit le passeport que je demandois, et commandoit, dès à présent, qu'il me fût dellivré, quand je le vouldrois;
Quand à l'évesque de Roz, qu'elle me promectoit de le refuzer au comte de Morthon, et de procurer qu'il peût retourner en ses biens, ou, s'il ne pouvoit estre soufert d'en jouyr dans le païs, qu'il en peût aulmoins avoyr le revenu icy ou en France, s'il playsoit à sa Mestresse qu'il y passât, et, sur ce, estant la dicte Dame pressée de partir pour fère la première trette de son progrès, elle m'a licencié.
ADVIS, A PART, A LA ROYNE.
Madame, j'ay parlé, à part, au comte de Lestre, lequel m'a uzé de beaucoup de bonnes parolles, mais icelles conformes à la résolution du reste du conseil, et je me suis efforcé de fère que le malcontantement, que son secrettère, qui estoit avec le cappitayne Orsey, luy avoit imprimé, de ce que Voz Majestez n'avoient, sinon petitement et bien tard, faict mencion de luy au dict Orsey, fût rejecté sur ce que icelluy Orsey, lequel vous sçaviés bien qu'il estoit à luy, et par lequel aviez espéré d'avoir plusieurs advertissementz particulliers et expéciaulx, en l'affère de Monseigneur, vostre filz, ne vous y avoit jamays respondu une seule bonne parolle.
De quoy je luy voulois bien dire que j'avois fort exprès commandement, de Vostre Majesté, de m'en pleindre à luy: qui m'a respondu que le dict Orsey estoit vrayement son bon amy, mais qu'il avoit esté dépesché par commandement plus hault, lequel il luy avoit convenu suyvre.
Et, depuis, ayant par un tiers faict sonder bien avant le dict comte, il ne m'a raporté de luy que doubtes et difficultez touchant le mariage, et qu'il ne pouvoit, ny vouloit s'en mesler plus avant que les aultres du conseil.
Et au regard de son particullier, il lui avoit discouru fort au long, mais avec charge de n'en parler jamays à personne, comme il se trouvoit fort déceu en ce qu'il avoit espéré de Voz Majestez Très Chrestiennes, pour lesquelles il disoit s'estre déclaré si avant qu'il ne sçavoit qu'est ce qu'il n'avoit faict pour la France, jusques avoyr mis sa Mestresse et son royaulme en voz meins, si l'eussiez voulu avoyr, abbatu la ligue d'Espaigne et relevé la vostre, saulvé la vye de la Royne d'Escoce, diverty toutes occasions de guerre entre ces deux royaulmes, et faict beaucoup de grandes despences pour honnorer et traicter les Françoys, et se porter, en toutes choses, très parcial pour la France:
De quoy il n'avoit acquis que souspeçons et deffiences vers les siens, et non jamays ung seul bouton vaillant, ny une lettre, ny mesmes ung grand mercys de Voz Majestez, ny de nul aultre endroit de France, et qu'il ne se vouloit plus mettre à tel pris.
Et, comme l'aultre luy a respondu que le temps ne vous donnoit loysir de luy pouvoir tesmoigner, à ceste heure, voz bonnes volontés, et qu'il ne failloit pour cella qu'il layssât de demeurer bon parcial françoys, et de pourchasser ce party de Monseigneur le Duc à sa Mestresse, sellon qu'elle avoit nécessayrement besoing d'avoyr ung mary ou ung déclaré successeur;
Il a réplicqué soubdein que sa Mestresse avoit voyrement besoing de l'ung ou de l'aultre, et qu'il avoit peur qu'elle les laysseroit sans pas ung des deux, et tout son estat en grand confusion, néantmoins qu'il demeureroit, quand à luy, bien bon angloys, et n'est passé plus avant.
Je fay, Madame, le mieulx que je puis, pour maintenir vostre affère, et conserver voz amys en ceste court, et y employe beaucoup de bonnes paroles; mais le torrent de deniers et de présantz qui viennent d'ailleurs les emportent, et c'est de là d'où je me sents le plus traversé.
CCCXXXIe DÉPESCHE
—du XXVIe jour de juillet 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Négociation du mariage.—Conférence de l'ambassadeur et de Burleigh sur cette négociation.
Au Roy.
Sire, en débatant naguyère avec la Royne d'Angleterre des poinctz de la responce qu'elle m'a faicte touchant l'entrevue, elle m'a bien donné à cognoistre qu'on luy avoit représenté de grandz inconvénientz et beaucoup de dangers de vostre costé, lesquelz elle a aulcunement comprins, parce que je luy en ay remonstré, qu'on les luy avoit plus fondez en imagination que sur apparance de vérité; car, après plusieurs réplicques d'entre nous, elle m'a enfin dict que, quelle impression, qu'on luy eût peu donner, qu'il luy adviendroit beaucoup de mal de vostre costé, si ne layrroit elle de remémorer le bien qu'elle en avoit desjà senty, et ce que, depuis son advènement à ceste couronne, elle n'avoit receu de Vostre Majesté ny de la Royne, vostre mère, ny de Messeigneurs voz frères, ny encores du feu Roy, vostre père, quand il vivoit, que beaucoup de faveurs et beaucoup de courtoysies et gratieusetés; et qu'elle ne se vouloit encores ayséement persuader que luy voulussiez nuyre, ny la tromper. Il est vray qu'elle pouvoit considérer que ce qu'on luy en disoit pourroit bien advenir, et qu'elle s'en garderoit le mieulx qu'elle pourroit, néantmoins que, de son costé, elle ne commanceroit poinct de changer de volonté vers Voz Très Chrestiennes Majestez; ains vous observeroit justement les promesses qu'elle vous avoit faictes. A quoy, Sire, il seroit long de vous racompter, icy, ce que je luy ay commémoré là dessus, qui ne pense estre demeuré nullement court.
Mais j'ay bien depuis voulu aprofondir ce propos avec milord de Burgley, avec lequel, estant seul à seul, je luy ay dict que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, auriez eu juste occasion, quand vous auriez veu la responce que sa Mestresse vous avoit mandée, de vous en plaindre; car c'estoit elle qui avoit mis en avant l'entrevue, et qui avoit demandé de n'estre en rien obligée par la venue de Monseigneur le Duc, et qui néantmoins avoit déclaré qu'elle l'espouseroit, s'il playsoit à Dieu qu'en présence ilz se peussent complaire; et maintenant que Voz Majestez luy avoient concédé toutz les poinctz qui estoient à l'advantage d'elle, elle disoit que les raysons qui faysoient pour le propos estoient si contrepesées et surbalancées par celles qui faysoient au contrayre, qu'elle doubtoit fort que le mariage ne peût succéder. Ce que Voz Majestez prendroient pour ung fort nouvel accidant, de tant que les difficultés, qu'elle avoit jusques à ceste heure alléguées, n'avoient esté jamays que trois: sçavoir, celle du visage, pour laquelle l'entrevue se faysoit; celle de l'eage, laquelle estoit desjà vuydée; et celle de la religion, laquelle estoit remise entre eulx deux: et que, d'en proposer maintenant d'aultres, ou bien vous agraver celles là davantage, estoit vous monstrer que n'aviez esté correspondus de pareille sincérité, que vous aviez tousjours de vostre part procédé, et vous fère croyre qu'il n'y avoit jamays eu qu'une seule difficulté, c'estoit qu'elle n'avoit onques eu intention, ny volonté, au dict mariage.
Le dict milord s'est trouvé fort perplex, et a voulu eschaper sur ce que j'avoys desjà une responce de sa Mestresse, et qu'elle mesmes escripvoit son intention à la Royne, vostre mère, dont ne luy estoit loysible de parler plus avant; mais, voyant que je ne cessois d'incister, et que j'ay de bon cueur juré que je ne le faysois qu'à très bonne fin, il m'a dict que, devant Dieu et en sa conscience, il avoit cognu sa Mestresse en intention de se marier, et ne voyoit pas qu'elle eût encores changé, et que, de sa part, il le desiroit, plus que chose du monde; que des trois difficultés qui avoient esté alléguées, celle de l'eage avoit esté véritablement vuydée, et n'en falloit plus parler; mais, quand aulx aultres deux, celle de la religion estoit beaucoup rengrégée depuis les évènementz de France, et ne s'en voyoit encores bien la purgation; et, de celle du visage, il me vouloit bien advertyr qu'ayant sa mestresse tousjours estimé que ce fust ung reste de la petite vérolle, qui se guériroit avec le temps, l'on escripvoit de France que le temps l'augmentoit, et qu'il luy restoit des enflures et grosseurs qui luy faysoient tant de tort au vysage qu'on croyoit qu'à peyne s'en pourroit elle jamays contanter;
Que, quand à l'assurance que je demandois du dict milord, qu'il ne m'en pouvoit donner d'aultre sinon qu'il confirmeroit tousjours à sa Mestresse que le party de ce prince, quand à l'extraction et à la bonne réputation qui couroit de luy, et quand à l'appuy de la couronne de France, et aultres commodictés pour l'Angleterre, estoit très honnorable et fort à propos pour sa dicte Mestresse, et que, si elle ne luy disoit ou ne luy faysoit rien dire de l'empeschement du visage, après qu'elle l'auroit veu, si, d'avanture, il venoit par deçà, qu'indubitablement il la conseilleroit de l'épouser, mais si aussy il voyoit ou entendoit qu'elle ne s'en peût complayre, qu'ung chacun l'excusât, s'il mettoit peyne de segonder et d'affection, et de conseil, et par toutz les moyens qu'il pourroit, les justes et raysonnables desirs de sa Mestresse. Et nonobstant, Sire, que j'aye mis peyne de tirer plus grand esclarcissement de luy, je n'ay sceu rien obtenir de plus. Sur ce, etc. Ce XXVIe jour de juillet 1573.
CCCXXXIIe DÉPESCHE
—du dernier jour de juillet 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Expédition du comte d'Essex en Irlande.—Nouvelles d'Écosse.—Retard du comte de Montgommery à faire sa soumission.—Actes d'obéissance de la plupart des réfugiés.—Nouvelles d'Espagne.
Au Roy.
Sire, la Royne d'Angleterre a faict résouldre l'embarquement du comte d'Essex pour Irlande, au VIe du prochein, avec plus ample commission que nul aultre visroy qui ayt jamais passé dellà; et desjà plusieurs gentilhommes de bonne qualité s'y sont acheminés. Et discourent quelques ungs que ce qui l'incite davantage à ceste entreprinse est pour prendre plus de pied au pays d'Escoce, et réprimer par là ceulx du quartier du Nord, et les saulvages escouçoys qui recognoissent encores l'authorité de leur Royne, sans se vouloyr soubmestre à celle du comte de Morthon, et secourent souvant les Irlandoys, leur voysins, contre les garnisons d'Angleterre.
Le vieulx Cauberon a esté renvoyé, depuys deux jours, avec une bien ample dépesche vers le comte de Morthon, sans qu'il me soit venu voyr, ny qu'il m'ayt rien faict sçavoyr de sa part, ains s'est fort caché de moy. Je ne sçay particullièrement qu'est ce qu'il emporte, tant y a que j'ay advis que ceste princesse a esté conseillée de remettre à l'arbitre du dict de Morthon qu'il puisse procéder comme il vouldra, par la rigueur des loix du pays, contre ceulx qui estoient dans le chasteau de Lillebourg; dont se présume qu'il en fera mourir la pluspart. Le dernier messager, que j'ay envoyé par dellà, n'est encores de retour; il regarde, possible, à se conduyre plus sagement que n'a faict l'aultre, que j'y avoys envoyé devant luy, qui a esté descouvert, et icelluy Morthon l'a faict pendre, à quoy j'ay ung très grand regrect.
Le comte de Montgommery n'a encores envoyé devers moy à cause, à mon advis, que le cappitayne Orsey luy a escript la bonne responce, qu'il luy a rapportée de Vostre Majesté touchant son faict particullier; mais je sçay bien qu'il s'est fort resjouy de la paix, et pense qu'il fera bientost repasser sa femme et ses enfans en France. Les aultres gentilshommes françoys, qui sont icy, sont la pluspart venus, ung à ung, me offrir leurs vyes et personnes pour vostre service; et semble que toutz, en général, et chacun, en son particullier, veulent jouyr le bien de la paix et de la bonne grâce de Vostre Majesté, dont, depuis deux jours, le Sr de Boy de Bretaigne, le cappitayne Ber, le cappitayne La Fosse, le cappitayne Bernardyère, et aultres, m'en sont venus tesmoigner leur affection. Je ne sçay si le comte de Montgommery prétend d'aller trouver le prince d'Orange, tant y a qu'il faict faire des armes en ceste ville.
Il semble qu'on ayt quelque souspeçon que le Roy d'Espaigne ne vueille ratiffier l'accord, du premier jour de may, car le temps, dans lequel l'on avoit promis de fournir de sa lettre et de sa responce là dessus, est passé de plus d'ung moys, bien qu'il s'entend que le dict accord a esté publié en Espaigne, et que les biens et navyres des Angloys y ont esté relaschés. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de juillet 1573.
CCCXXXIIIe DÉPESCHE
—du Ve jour d'aoust 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Pierre Cahier.)
Inquiétude causée en Angleterre par le voyage du roi sur les côtes de Normandie.—Crainte d'une entreprise contre l'Écosse concertée entre le roi et le roi d'Espagne.
Au Roy.
Sire, nonobstant la satisfaction, que j'ay donné à ceste princesse et aulx siens, de la venue de Vostre Majesté en Normandye, et de celle de la Royne, vostre mère, à Dieppe, ilz ne layssent, pour cella, d'avoyr suspect l'armement et appareil de mer, que Voz Majestez y ont commandé de dresser, leur estant rapporté, par ceulx qui viennent de dellà la mer, qu'il se parle ouvertement qu'une partie de cella se faict pour passer des forces en Escoce: dont ont escript en dilligence au comte de Morthon qu'il se tiegne sur ses gardes, et qu'il ayt à garnyr les chasteaus et places fortes, et les portz du pays, de gens de guerre, pour empescher la descente des Françoys; et au comte de Houtincthon, lequel préside en leur quartier du Nort, vers le dict royaulme d'Escoce, qu'il ayt à visiter la frontière, et y fère, de rechef, les monstres, et remplir bien les garnisons. Et s'est augmentée ceste leur souspeçon de ce qu'ilz ont sceu, ainsy qu'ilz disent, que Vostre Majesté a donné passage à ung milion et demy d'or, que le Roy d'Espaigne envoyoit en Flandres; qui jugent bien que vous ne tiendriés la mein à l'accomodement des affères du dict Roy d'Espagne et à l'establissement de sa grandeur, laquelle s'opose tousjours à la vostre, si quelques aultres conventions secrètes ne vous unissoient à ceste intelligence, laquelle ils creignent bien fort que soit contre eulx et contre le faict de leur religion. Dont sont bien fort après à se racointer eulx mesmes, s'ilz peulvent, avec le dict Roy d'Espaigne, et à fère que, des deux costés, l'altération cesse, et qu'ilz retournent à ceste mutuelle bienvueillance qu'il y a eu, de tout temps, entre leurs pays et estatz: ce que je croy ne leur sera difficille. Et la prinse d'Arlem[22] y convye ceulx icy davantage.
J'ay receu la dépesche de Vostre Majesté, du XXIIIIe du passé, avec les pleinctes de voz subjectz contre les pirates, et n'obmettray ung seul poinct de l'instance, que me commandés d'en fère à ceste princesse, à la première audience qu'elle me donra. Et sur ce, etc.
Ce Ve jour d'aoust 1573.
CCCXXXIVe DÉPESCHE
—du IXe jour d'aoust 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)
Préparatifs de défense faits en Angleterre.—Audience.—Satisfaction donnée à l'ambassadeur.—Mémoire. Détails de l'audience.—Demande afin d'obtenir la sûreté du passage par mer pour le roi de Pologne.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle consent à donner toute protection en Angleterre au roi de Pologne, mais qu'elle n'y veut pas recevoir les gens de guerre qu'il emmène avec lui.—Négociation du mariage.—Plaintes du roi au sujet des affaires d'Écosse et des exécutions faites par le comte de Morton.
Au Roy.
Sire, je m'estois bien aperceu que ceulx de ce conseil se donnoient beaucoup de peur, et en imprimoient beaucoup à leur Mestresse, de l'armement de mer qui se prépare en Normandye pour le voyage de Pouloigne: car, dès le XXVIe du passé, ilz avoient chauldement dépesché ung courrier en Escoce, pour de rechef advertyr le comte de Morthon de se tenir sur ses gardes, et de mettre le plus de soldatz qu'il pourroit ez places fortes, portz et advenues du pays, affin de ne laisser aborder aulcuns navyres de guerre, ny permettre d'aller et venir aulcuns estrangiers par dellà, et d'establir si bien son authorité et avoyr l'œil si ouvert, sur ceulx qui luy vouldroient remuer quelque chose, qu'il les peût facillement et bientost réprimer; et que, s'il luy survenoit quelque besoing de forces, qu'il seroit promptement secouru de deux mille harquebusiers angloys et huict centz chevaulx, et qu'on tiendroit une si bonne provision d'artillerye et de pouldres, et monitions, à Varvic, qu'il en pourroit recouvrer, du jour au lendemain, aultant qu'il luy seroit besoing. Et, par mesme dépesche, mandoient au sire Jehan Fauster, à milord Scrup, et aultres gardiens de la frontière du Nort, vers l'Escoce, de fère, de rechef, bien soigneusement les monstres des gens de guerre et une description expécialle de mille cinq centz harquebuziers pour estre prestz, à toutes les heures qu'on les manderoit; laquelle démonstration, Sire, avec celle qu'ilz ont faicte, quand le comte d'Essex est party pour Irlande, m'avoient desjà assez faict remarquer leur grande meffiance et leur souspeçon; mais la Royne mesmes, me les a ouvertement et plus à cler déclarées, comme verrez par un mémoire que je joins à ce pacquet.
Après avoyr prins congé d'elle, je suis entré là où les dicts du conseil étoient assemblés, et leur ay faict voyr les pièces, qu'il vous avoit pleu m'envoyer, des déprédations, et plusieurs aultres que j'en avoys devers moy, qui m'en ont débatu quelques unes, et m'ont fort expressément remonstré, qu'encor qu'il apparût plus de pleinctes du costé des Françoys contre l'Angleterre, que du costé des Angloys contre la France, que néantmoins ilz avoient cest advantage de pouvoir fère foy d'ung fort grand nombre de restitutions qu'ilz avoient faictes aulx Françoys, là où, en France, n'en avoit esté faicte encores une seule aulx Angloys. Et après leur avoyr touché ung mot des escrupulles que la Royne, leur Mestresse, m'avoit faict sur la seureté du passage que je luy avoys demandé, je leur ay remonstré que si elle et eulx s'y arrestoient, ce seroit argument qu'ilz doubtoient par trop de vostre bonne intention, et qu'ilz ne l'avoient nullement bonne vers Vostre Majesté; et les ay priés de vous fère voyr, à bon escient, s'ilz vouloient demeurer en la bonne confédération du dernier traicté, ou bien s'ilz avoient intention de s'en départyr. Et les ayant ainsy layssez, ilz m'ont mandé, le jour après, que la dicte Dame m'avoit accordé le dict passage, et le saufconduict, sans aulcune difficulté. Et sur ce, etc.
Ce IXe jour d'aoust 1573.
MÉMOIRE.
Sire, quand, avec les lettres de Vostre Majesté et du Roy de Pouloigne, vostre frère, je suis allé prier la Royne d'Angleterre de luy vouloir octroyer le bon, et seur, et libre passage que requiert la bonne intelligence d'entre voz deux royaulmes, et la promise et jurée amityé d'entre Voz Majestez, avec toutes les aultres honnestes cautions que luy offriez en voz dictes lettres, et avec les meilleures persuasions, dont je me suis peu adviser;
Elle m'a respondu que, quand à la personne du Roy de Pouloigne, vostre frère, et des principaulx, d'auprès de luy, et de son trein ordinayre, sa suyte et meubles, elle l'octroyoit très volontiers, et que, sans saufconduict ou avec saufconduict, si le vent le jettoit par deçà, il y seroit aussy bien et honnorablement receu comme s'il abordoit en France, ou en son propre royaulme; mais, quand à ses gens de guerre, elle me vouloit dire librement qu'on luy avoit remis ce qui s'estoit passé, du propos d'entre elle et le Roy de Pouloigne, vostre frère, devant les yeux, et luy avoit on faict considérer que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et luy mesmes, aviez indubitablement eu une grande affection au mariage, mais que Mr le cardinal de Lorrayne, pour l'occasion de la Royne d'Escoce, sa niepce, avoit trouvé moyen de l'interrompre; dont, s'il avoit eu tant de crédit en cella, il le pourroit bien avoir encores plus grand, à ceste heure, en chose de moindre conséquence, pour, en faveur de sa mesmes niepce, entreprendre quelque nouveaulté dans ce royaulme, si tant de gens de guerre y abordoient.
En quoy je luy ay réplicqué soubdein qu'elle me pardonnât, si je luy disois que c'estoit elle, et ceulx qui pour elle avoient manyé le dict propos de son mariage avec le Roy de Pouloigne, qui l'avoient à la fin interrompu, et non Mr le cardinal de Lorrayne; pour lequel je ozois et voulois bien respondre que, oultre qu'il avoit tousjours suivy les intentions de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et conseillé les choses qui estoient pour la grandeur de leur couronne, comme estoit bien le dict mariage, qu'il avoit encores plus espéré par là de solagement ez affères et à la personne de la Royne d'Escoce, que par nul aultre moyen du monde; et que, si elle vouloit considérer que Vous, Sire, aviez maintenant à establir ung grand et nouveau royaulme, qui estoit advenu à vostre frère, et non luy venir troubler à elle le sien, et que vous ne mettiés, de gayeté de cueur, ce nombre de gens de guerre sur mer, après la perte et diminution de beaucoup de voz forces en ces guerres civilles de vostre royaulme; ains que vous le faysiez pour accomplir vostre promesse aulx Poulounois, elle jugeroit bien que sa difficulté estoit mal fondée.
Et me suis eslargy en plusieurs clères démonstrations là dessus, qui ont faict confesser à la dicte Dame qu'elle avoit regret de débattre rien sur vostre raysonnable demande; mais que, pour satisfère à ceulx de son conseil, elle me prioit de luy donner temps, qu'elle la peût mettre en dellibération; car aussy sçavoit elle que l'affère n'estoit pressé, et qu'on luy avoit escript qu'il ne se mettoit plus tant de dilligence à l'embarquement, et sembloit que le voyage du Roy de Pouloigne fût, pour quelque occasion, retardé; néantmoins elle espéroit de vous satisfère de si bonne sorte en cest endroict, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et le Roy de Pouloigne, en resteriez contantz.
J'ay poursuivy les aultres propos de voz lettres, du XVIIIe et XXIIIIe du passé, et mesmes de l'entrevue de Monseigneur le Duc, où elle s'est layssée fort facillement attirer; et a monstré que son ambassadeur luy en avoit escript, et que bientost j'auroys les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, pour luy en fère entendre vostre résolution, ne dissimulant poinct qu'elle ne voulût fort volontiers voyr Monseigneur le Duc par deçà; mais c'estoit tousjours avec la protestation de n'estre de rien obligée pour sa venue, et de n'encourir la diminution de vostre amityé, ny de celle de la Royne, vostre mère, ny de luy, s'il s'en retournoit sans la conclusion du dict mariage.
Je luy ay respondu, en peu de motz, que la sincérité seroit la règle de cella entre Voz Majestez, et que l'affère estoit en toutes sortes si éminent qu'il n'y pouvoit enfin rester rien de caché. Et l'ay layssée amplement discourir de ce faict, sans l'interrompre nullement; qui, après ses accoustumez doubtes, a terminé son propos en plusieurs parolles de contantement.
Et j'ay adjouxté que, par voz deux dernières dépesches, Vostre Majesté ne me faisoit poinct mention que son ambassadeur vous eût parlé des choses d'Escoce, ains me commandiez de vous mander des nouvelles de ce pays là, et que j'estimois que vous touveriez bien estrange si ce qu'on disoit à Londres estoit vray, que le comte de Morthon eut faict exécuter à mort ceulx qu'il avoit prins dans le chasteau de Lillebourg, qui s'estoient rendus à elle, et qu'il sembloit qu'ung régent ne debvoit entreprendre ung faict de telle conséquence, sans en advertyr les principaulx alliés de la couronne.
A quoy elle m'a respondu qu'elle n'avoit rien entendu de la dicte exécution, et qu'elle avoit remis tout l'affère à ceulx du pays, et n'avoit accepté les personnes de ceulx du dict chasteau pour prisonnyers; et qu'elle sçavoit bien que son ambassadeur vous avoit donné compte de tout ce faict; dont pensoit que, par le premier pacquet que je recepvrois de Vostre Majesté, j'en serois amplement informé.
Après, je luy ay touché, en termes bien exprès, tout ce que me commandiés luy dire à l'égard du faict des déprédations, et elle, après l'avoir ouy paciemment, et en avoyr longuement débatu avecques moy, m'a prié d'en communicquer avec ceulx de son conseil.
CCCXXXVe DÉPESCHE
—du XIIIIe jour d'aoust 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)
Disposition d'Élisabeth à accepter l'entrevue.—Nouvelles de Flandre.—Exécutions faites en Écosse par le comte de Morton.—Nouvelles de Marie Stuart.—Bruit répandu à Londres que les armes ont été reprises dans le Languedoc.
Au Roy.
Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne fût en peyne du retardement de vostre response, sur les lettres qu'elle a dernièrement escriptes à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur, frère de Vostre Majesté, je luy ay envoyé communicquer vostre dépesche du dernier du passé; laquelle contient ce qu'avez arresté, le dict jour, avec son ambassadeur: et semble bien, Sire, qu'elle s'attand à l'entrevue, car j'ay sceu qu'elle a faict advertyr toutz les officiers de sa mayson de ne s'esloigner, et de se tenir si prestz qu'ilz puissent estre devers elle, en la part qu'elle sera, dans vingt quatre heures, après qu'elle les aura mandés. Cependant elle m'a faict expédier le sauf conduict pour le voyage de Pouloigne, et m'a mandé qu'il est en la plus ample forme qu'il se peut fère.
Il se cognoit desjà que l'estonnement, qu'on avoit prins, du succès d'Arlem est passé, car les flammantz, qui sont icy, se sont si bien encouragés, depuis la nouvelle de Ramequin, et ont encouragé Maysonfleur et aulcuns françoys, qui auparavant estoient comme toutz disposés d'aller trouver le prince d'Orange, qu'ilz s'embarquent, toutz de compaignye, aujourdhuy ou demein, pour passer à la Brille.
Maistre Drury, mareschal de Barvic, est arryvé en ceste cour, qui apporte, comme l'on dict, la confirmation de la mort du cappitayne Granges, et de son frère milord de Humes, de Melvin, de Cadinguen, et aultres, qui estoient dans le chasteau de Lillebourg, lesquelz le comte de Morthon a faict exécuter; et qu'il a plusieurs réquisitions à fère pour le dict de Morthon, entre aultres, l'on creinct qu'il perciste à demander l'évesque de Roz, pour en fère aultant que des aultres. A quoy, Sire, j'ay desjà oposé, et oposeray encores davantage, le nom et l'authorité de Vostre Majesté.
Monsieur le présidant de Tours, lequel a esté, plus d'ung moys, avec la Royne d'Escoce, vient d'arriver, ayant très bien et vertueusement accomply la charge, qu'il avoit vers elle, dont il en rendra bon compte à Vostre Majesté. L'on a, premier qu'il soit party, remué la dicte Dame en ung plus beau et meilleur logis qu'elle n'estoit, et luy a l'on ung peu amplyé sa liberté; et j'ay tant faict que la Royne d'Angleterre a mandé au comte de Cherosbery de la mener aulx beins de Boeston pour sa santé, par tout ce moys d'aoust.
Il se parle icy diversement de l'estat des affères de vostre royaulme, et que, en Languedoc, ceulx de la religion, ne se contantantz des condicions de la paix, sellon les articles arrestés à la Rochelle, poursuyvent d'exécuter les armes avec plus de violence que jamays, et qu'ilz ont surprins Aygues Mortes et Bésiers, et sont les plus fortz en la campaigne. Ce qui esmeut assez les Angloys, et tient en grand suspens le reste des françoys, qui sont encores icy, qui avoient bien desir de se retirer. Néantmoins je ne sentz, pour ceste heure, qu'il se praticque rien par eulx contre vostre service. Le comte de Montgommery est vers le cap de Cornoaille avec son beau frère, et ne s'entend rien de luy par deçà. Je ne sçay s'il s'yra promener en Irlande avec le comte d'Essex; aulcuns ont présumé qu'il le feroit, dont je mettray peyne de le sçavoir, et de le fère observer. Sur ce, etc. Ce XIVe jour d'aoust 1573.
CCCXXXVIe DÉPESCHE
—du XXe jour d'aoust 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Maladie du duc d'Alençon.—Projet d'Élisabeth de se rendre à Douvres.—Sollicitations adressées au roi par Marie Stuart.—Négociation du mariage.—Plaintes d'Élisabeth à raison des prises récemment faites sur les Anglais par les Bretons.
Au Roy.
Sire, à ce que j'avoys mandé dire à la Royne d'Angleterre, que l'occasion, pourquoy je n'avoys encores receu vostre responce, sur les lettres qu'elle avoit dernièrement escriptes à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, estoit pour la maladye survenue à Monseigneur le Duc; et que je creignois bien fort qu'elle mesmes, pour n'avoyr poinct monstré assez de correspondance à l'honneste affection de ce vertueux prince, ait causé ce mal, elle m'a faict respondre, par ung mot de lettre de milord de Burgley, qu'elle estoit bien marrie de l'indisposition de Mon dict Seigneur, vostre frère, laquelle elle espéroit que ne seroit de longue durée, veu que, par conjecture, la fiebvre luy pouvoit estre occasionnée du long siège, et du travail d'estre, par ce temps chault d'esté, retourné de la Rochelle vers vous, et qu'avec ung peu de repos, qu'il en seroit bientost quicte, et restitué en sa première santé, et qu'elle continuoit tousjours son progrès en intention de se rendre à Douvre, le XXVe du présent: et n'y a rien plus de ce propos en la dicte lettre.
Cependant, Sire, je me suis approché, icy, à la suyte de la dicte Dame, pour satisfère à la Royne d'Escoce, laquelle, après avoyr licencié monsieur le présidant de Tours, au bout d'ung moys, ou cinq sepmaynes, qu'il a eu toute entière commodicté d'estre avec elle, elle m'a escript que, pour aulcuns affères qui concernent la personne d'elle et son traictement, nous voulussions toutz deux, de compagnie, en venir traicter avec la Royne d'Angleterre et avec les seigneurs de son conseil. A quoy je n'ay voulu deffallir de l'office que m'avez commandé fère tousjours icy pour elle; dont le dict sieur présidant rendra bon compte du tout à Vostre Majesté. Et seulement je adjouxteray, icy, quand à l'Escoce, que la dicte Dame desire fort qu'il vous playse prendre bientost la résolution que vous semblera plus expédiente pour conserver vostre ancienne allience avec le dict pays; car a esté advertye qu'il y a des secretz articles d'une aultre ligue avec l'Angleterre, desjà toutz dressés, qui préjudicient grandement à celle de Vostre Majesté, et qu'elle ne prendra sinon en très bonne part, et n'interprètera sinon à bien, tout ce que vouldrés adviser et résouldre en cella, encor qu'en apparance il y semble avoyr quelque chose qui puisse déroger au droict et authorité d'elle; car réputera que le ferez pour mieulx préserver elle, son filz et son royaulme, d'ung plus grand inconvénient.
Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'aoust 1573.
PAR POSTILLE.
Depuis ce dessus, j'ay veu, par occasion, cette princesse, laquelle, après aulcunes siennes responces assez indifférantes sur le faict de la Royne d'Escosse, m'ayant tiré à part, m'a curieusement demandé de la santé de Monseigneur vostre frère, et du faict de l'entrevue. A quoy, pour luy satisfère, je luy ay dict cella mesmes que naguyères je luy en avois escript, et que je n'en sçavois aultre chose, dont s'est esbahye du retardement de mon secrettère; et puis a adjouxté qu'elle me vouloit fère une grande pleincte de voz navyres de guerre, lesquelz, estantz partis de la Rochelle, estoient venus prendre, la sepmayne passée, sur la coste de Bretaigne, six navyres marchandz angloys, bien riches, et les en avoient admenez fort maltraictés, et qu'elle vous demandoit réparation de ce tort, tout ainsy qu'elle vous offroit non seulement la réparation des tortz de ses propres navyres, si, d'avanture, vos subjectz se pleignoient de quelqu'un d'eux; mais avoit envoyé, à ses despens, prendre et réprimer, en faveur de voz dicts subjectz, les pirates, tout le long de la coste de deçà, pour leur assurer la navigation, et leur fère rendre leurs biens, ainsy que je l'avoys requis. Je luy ay fait la responce que j'ay estimé convenir à ung tel faict, sellon l'ample argument que j'en avoys, rejettant la coulpe de ce mal sur le désordre qui procédoit de son royaulme, et que j'en escriprois fort expressément à Vostre Majesté. Elle et ceulx de son conseil ont bien fort à cueur cest affère.
CCCXXXVIIe DÉPESCHE
—du XXVe jour d'aoust 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr de Vassal.)
Invitation faite à l'ambassadeur de se rendre à Douvres.—Négociation du duc d'Albe pour obtenir un secours de vaisseaux anglais.—Affaires d'Écosse.—Nouvelle qu'une mission a été donnée au maréchal de Retz pour passer en Angleterre.
Au Roy.
Sire, il semble que l'ambassadeur d'Angleterre ayt escript en ceste court que, premier que prendre nulle certeyne résolution, sur les lettres que la Royne d'Angleterre a dernièrement escriptes à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc vostre frère, Vostre Majesté veult envoyer icy, vers elle, un personnage de qualité pour avoyr, sur l'intention sienne touchant le mariage et l'entrevue, ung plus grand esclarcissement que n'en avez peu prendre par ses propres lettres. Et je sçay bien qu'elle et ses conseillers sont en grand suspens à quoy il tient que je n'aye desjà nouvelles de celluy qui doibt venir, et que ne me mandez de fère entendre quelque chose de ce faict à la dicte Dame. Et ont faict dire à mes gens, après que j'ay heu satisfaict aux affères de la Royne d'Escoce, que, si je voulois suivre le progrès jusques à Douvre, l'on me feroit bien accomoder de logis. Mais j'ay advisé, Sire, pour bonne occasion, de retourner jusques en ceste ville, où j'ay apprins que, nonobstant qu'on ayt faict prendre bonne espérance au duc d'Alve, qu'il pourroit estre accomodé d'ung nombre des grandz navyres de ceste princesse pour sa guerre de Hollande, et dont il y en avoit desjà quelques ungs sortis de la rivyère, elle les a néantmoins toutz faict rammener dedans leur arcenal accoustumé de Gelingam; et que, quand Guaras a cuydé estreindre bien cest affère, il s'en est trouvé du tout descheu, et mesmes il a mal employé ung nombre d'escus, vers des particulliers qui luy avoient promis de l'accomoder de leurs propres vaysseaulx.
J'ay apprins que la dicte Dame faict préparer ce qui faict besoing pour renforcer l'entreprinse d'Irlande, et pour pourvoir fort soigneusement aulx choses d'Escoce, et que, pour mieulx fournyr aulx deux entreprinses, elle faict ung emprunct nouveau sur toutes les maysons de ceste ville, qui reviendra, ainsy qu'on dict, à quatre centz mil escus. J'ay sceu, du costé d'Escoce, qu'il s'est trouvé cent gentilshommes escouçoys, qui ont voulu pléger de soixante dix mille escus la vie du cappitayne Granges, et de servir de leurs personnes, tant qu'ilz vivroient, le party du comte de Morthon, s'il la luy vouloit saulver, mais le dict de Morthon n'y a voulu entendre et l'a faict mourir, ensemble son frère et trois aultres, et que Melvin est eschappé, parce qu'il a eu quelque bon amy en ceste court d'Angleterre, et que le comte de Honteley, milord de Ruven et Me Asquin ont tant pourchassé pour milord de Humes qu'ilz ont faict remettre son faict au prochain parlement, monstrant Me Asquin, qui a espousé sa seur, qu'il ne pourroit estre contant si l'on uzoit de rigueur vers son beau frère; dont, de tant qu'il a le Prince d'Escosse entre ses meins, et que ceulx, qui sont dedans Dombertrand, sont toutz à sa dévotion, l'on ne l'oze offancer. Tant y a que les meilleurs et les principaulx de la noblesse du pays creignent fort le dict prochein parlement; dont desirent qu'il s'y puisse trouver quelqu'ung, de la part de Vostre Majesté, pour y modérer les affères. Et sur ce, etc. Ce XXVe jour d'aoust 1573.
Par postille à la lettre précédente.
Ainsy que je mettois fin à ceste dépesche, mon secrettère est arrivé, avec les deux de Vostre Majesté, des XIIIIe et XVIIIe du présent; et incontinent j'ay faict venir des chevaulx pour m'acheminer là où est la Royne d'Angleterre, affin de l'advertyr de la venue de Mr le maréchal de Retz, et la disposer à luy fère une bonne et favorable réception.
CCCXXXVIIIe DÉPESCHE
—du dernier jour d'aoust 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Audience.—Communication officielle de l'envoi du maréchal de Retz en Angleterre pour la négociation du mariage.—Satisfaction d'Élisabeth.
Au Roy.
Sire, parce que j'avoys desjà déclaré à la Royne d'Angleterre que, de tant qu'elle ne s'estoit assez bien explicquée de son intention par les dernières lettres qu'elle avoit escriptes à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, frère de Vostre Majesté, qu'il ne vous avoit peu clèrement apparoir ce qu'elle y avoit voulu dire, sinon qu'elle n'y avoit pas dict ce que vous aviez desiré, ny ce qu'aviez justement espéré d'elle, vous aviez esté contreinct, avec l'accidant survenu de la maladye de Mon dict Seigneur, d'estre long et tardif de luy respondre, je n'ay eu maintenant, Sire, de quoy toucher guyères davantage de ce poinct à la dicte Dame; et, seulement, suis venu à luy dire que, de tant que, par les honnorables et vertueuses déclarations, qu'elle vous avoit souvant faictes, de son intention, elle vous avoit layssé prendre beaucoup de bonnes erres d'elle sur le propos de Mon dict Seigneur, vostre frère, vous ne pouviez, ny vouliez maintenant délaysser le dict propos sans le conduyre à l'extrême et dernier poinct de ce qui estoit requis, pour tesmoigner à elle et aulx siens, et rendre manifeste à toute la Chrestienté, que vous persévèreriez, jusques au bout, de pourchasser son allience par toutz les plus honnorables moyens qu'il vous seroit possible, jusques à ce qu'elle vous eût mis hors de tout chemin de la pouvoir plus espérer; et que pourtant Vostre Majesté luy dépeschoit maintenant Mr le mareschal de Retz, (personnage de telle élection, qu'elle sçavoit qui tenoit ung très grand lieu en vostre royaulme, et estoit singullièrement bien aymé et estimé de Voz Très Chrestiennes Majestez), pour deux effectz: l'ung, affin de defférer, par la qualité sienne, tousjours aultant d'honneur et d'avantage, que vous pourriez en cest endroict, à la dicte Dame; et l'aultre, pour nettier si bien par luy toutes difficultez et toutz escrupulles, qui pourroient rester en cest affère, qu'il ne s'y peût dorsenavant trouver autre chose que débatre, sinon à qui, de Voz Majestez et de toutz les meilleurs et plus dévotz serviteurs de voz couronnes, s'esforceroient, à l'envy les ungs des autres, d'advancer l'accomplissement de ceste heureuse allience, et de ce desiré parantage, lequel debvoit rendre voz amityez perpétuelles et indissolubles à jamays. Dont, de tant que la venue icy, de Mr le mareschal, luy estoit plus que mille et mille tesmoings de vostre parfaicte persévérance et de celle de la Royne, vostre mère, et encores plus expressément de celle de Monseigneur, vostre frère, vers elle, je la supplioys très humblement, et en vertu de ses mesmes promesses et des honnorables propos qu'elle vous avoit tant de foys faict tenir de ce faict, qu'elle voulût maintenant monstrer comme elle y avoit tousjours procédé d'une vraye et pure, et non feincte, ny simulée volonté; adjouxtant à cella, Sire, plusieurs aultres instances, que j'ay estimé convenir à bien disposer ceste princesse sur la favorable réception de mon dict sieur le mareschal, et sur les bons propos qu'il vient luy tenir.
A quoy elle, d'une démonstration pleyne de grand contantement, m'a respondu que, par son ambassadeur, elle avoit desjà eu quelque notice comme Vostre Majesté dellibéroit d'envoyer quelqu'ung vers elle, mais n'espéroit tant de faveur que ce fût Mr le comte de Retz, et réputoit davantage à honneur que je l'appellois mareschal de France; et, encor qu'elle pensât d'avoyr escript ses lettres bien clères à la Royne, vostre mère, si estoit elle très ayse que en cherchissiez davantage l'esclarcissement par ung personnage qu'elle sçavoit vous estre très inthyme et très confident à toutz deux, me priant de vous fère ung article bien exprès, par mes premières, du grand et très cordial mercyement, qu'elle vous en rendoit; et, que, en nulle aultre façon, Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne luy eussiez peu donner tesmoignage de vostre entière et souveraynement bonne intention vers elle, ny qu'elle y eût plus donné de foy que par le dict sieur comte, lequel elle m'assuroit qu'il seroit le très bien venu, et que, quelle impression que se donnassent les aultres de voz divers prétextes en cest endroict, elle ne les interprèteroit dorsenavant que très bons et très sincères pour elle.
Je luy ay merveilleusement agréé sa responce, et avons esté longtemps en ce propos, et à parler de la maladye de Mon dict Seigneur le Duc; lequel je luy ay assuré estre hors de tout danger, et que, dans dix ou douze jours, il pourroit sortir de la chambre. De quoy elle a monstré d'estre bien fort ayse.
Et après, Sire, j'ay assemblé ceulx du conseil de la dicte Dame pour leur proposer la venue de Mr le mareschal, et fère expédier son saufconduict, et impétrer des navyres de ceste princesse pour l'aller quérir et assurer son passage, et pour les bien disposer à sa réception. Dont ayant obtenu le tout, j'ay dépesché, avec toutes ces provisions, le Sr de Vassal et ung de mes secrettères, qui parle angloys, devers luy; par lesquelz j'espère qu'il se trouvera bien satisfaict, et bien informé, de tout ce qu'il peut desirer pour son arrivée vers ceste princesse; laquelle il pourra encores trouver icy, mardy prochein, mais, s'il ne passe si tost, nous la suyvrons à Conthurbery, où elle fera quelque séjour. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour d'aoust 1573.
CCCXXXIXe DÉPESCHE
—du IIIIe jour de septembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Ridou.)
Préparatifs pour recevoir le maréchal de Retz.—Soupçon contre le comte de Montgommery.—Nouvelles d'Écosse et de Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, ayant la Royne d'Angleterre estimé que Mr le mareschal de Retz, à son désembarquement, seroit bien ayse d'avoyr quelque espace de se pouvoir ung peu refaire du travail de la mer, premier que de se présenter à elle, ny luy aller explicquer sa légation, elle a advisé, pour cella, de le recevoyr à Canturbery, quatre lieues dans le pays, ville bien commode et assez espacieuse, où plusieurs seigneurs et dames de sa court se rendront; et est partie de Douvre, quelques jours plus tost qu'elle n'eût faict, et a hasté d'autant son progrès pour luy laysser cette, commodicté, mais ce n'a esté sans avoyr premièrement commandé qu'il me fût largement pourveu à tout ce que j'avoys demandé pour les vaysseaulx de son passage, pour les navyres de conserve, pour sa réception au sortir de la mer, et pour les chevaulx qui luy feroient besoing; de sorte que je vous puys assurer, Sire, qu'il est maintenant attendu, icy, avecques desir, et qu'il sera le fort bien venu et fort honnorablement receu en ce royaulme.
Le vidame de Chartres a envoyé prendre logis à Canturbery, qui ne sera sans que luy et les aultres gentilshommes françoys, qui sont par deçà, viennent saluer Mr le mareschal, et vueillent entendre curieusement de luy l'estat de la paix de vostre royaulme. Cependant j'ay, à toutes advantures, donné ordre que, pour les escrupulles qui me restent encores du comte de Montgommery, ung personnage que Vostre Majesté répute confident, soit, soubz aultre prétexte, allé à la Rochelle; lequel, après qu'il aura bien nothé toutes choses dans la ville, les vous yra dire, ou bien me les rapportera, icy, pour en advertyr Vostre Majesté.
Je n'ay apprins rien de nouveau d'Escoce, depuis mes précédantes, sinon que je viens de sçavoyr que le vieux Cauberon est arryvé, depuis deux jours, en ceste court, et que le Sr de Quillegreu le y a admené; et que l'on dict que le comte de Morthon, pour quelque nouvelle souspeçon, a faict mourir milord de Humes, sans attandre le parlement. La Royne d'Escoce est encores aulx beings, d'où elle m'a escript que l'uzage d'iceulx a commancé de luy provocquer des sueurs, qui luy font grand solagement à son mal de costé. Sur ce, etc.
Ce IVe jour de septembre 1573.
CCCXLe DÉPESCHE
—du XXe jour de septembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)
Bonne réception faite au maréchal de Retz.—Détails de sa négociation.—Entière justification de la conduite du roi dans les guerres civiles de France.—Heureux résultat de la mission du maréchal.—Honneurs qui lui sont rendus.—Résolution des seigneurs du conseil d'approuver le mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon.
Au Roy.
Sire, je sçay bien qu'estant, Mr le mareschal de Retz, de retour par dellà, Vostre Majesté aura eu le plésir d'entendre, de luy mesmes, le récit de son voyage; dont je n'entreprendray de vous en toucher, icy, les principalles particullaritez, parce qu'il n'aura pas obmis celles qui servent de vous donner bon compte de ce qu'il a peu traicter et résouldre avec ceste princesse. Et seulement je vous supplieray, Sire, de vouloir gratiffier, par quelque bonne parolle et par quelque démonstration, à l'ambassadeur de la dicte Dame, et me commander de gratifier de mesmes, icy, à elle, les honnestes faveurs et bon traictement qu'elle luy a faict recevoir en son royaulme; qui vous puis assurer, Sire, que, nonobstant les choses advenues, depuis ung an, en France, elle a voulu qu'on luy ayt uzé les mesmes sortes d'honneur et d'entretien qui furent faictz à Mr de Montmorency, quand luy et Mr de Foix vindrent jurer la ligue, sinon que, lors, les choses furent préparées de longtemps, et la court estoit à Londres, là où, à ceste heure, il est arrivé en temps de progrès, et sans qu'on ayt sceu, que de bien peu de jours, sa venue. En quoy l'opinion de plusieurs et ma propre expectation ont esté de beaucoup surmontées, et mesmes en ce qu'après qu'il a eu salué la dicte Dame, et qu'il luy a eu explicqué sa première charge, et faict les aultres honnestes et bien fort honnorables complimentz vers les principalles personnes de ceste court, il n'y a eu celluy qui n'ayt monstré de l'avoyr bien fort agréable; et surtout quand, le troysiesme jour, il a eu déduict, par ung bel ordre de peu de parolles, mais icelles de grande efficace et pleynes de tout ornament, en l'assemblée de ceulx de ce conseil, les choses advenues, depuis quatorze ans, en vostre royaulme, commançant dès l'entreprinse d'Amboyse jusques à la fin du siège de la Rochelle; et que, pour respondre aulx objections et difficultés que, pour tant de divers évènementz, l'on faysoit contre le propos du mariage, il leur a eu séparé la rébellion de la cause de la religion, et monstré fort clèrement que vous aviez bien, Sire, tousjours prétendu de réprimer l'une, mais non de vous porter jamays ennemy de l'aultre; avec tant de apparantes raysons de cella, qu'ilz n'ont peu contredire qu'il ne fût ainsy, et ont confessé, tout hault, que nul plus grand ny plus relevé service il eût peu fère à Vostre Majesté en ce royaulme, que de les avoyr renduz capables de ce faict; et qu'ilz desireroient que dix mille Angloys, des plus passionnez, eussent esté présentz à son discours.
Ung chacun s'est efforcé, de là en avant, de l'honnorer et respecter davantage, et la dicte Dame a faict augmanter l'ordre de son entretien, et a depputé des gentilhommes de bien bonne qualité pour le servir, et des plus grandz de sa court pour l'accompaigner, de façon que, depuis le sortir du navyre jusques au rembarquement, il luy a esté, d'heure en heure, toujours uzé quelque chose de plus et de mieux. Comme luy aussy, de son costé, Sire, a continué, jusques au dire adieu, d'accomoder tousjours tout l'effect de sa négociation à leur honneur; et s'est conduict, en toutes choses, si sagement, et avec tant d'honneur, vers eulx, qu'il les a non seulement renduz bien édiffiez de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne, mais semble qu'il leur ayt faict perdre toute la malle impression que, depuis ung an, ilz avoient conceue de la France. Et luy a ceste princesse voulu donner ce tesmoignage, en la présence de ceulx de son conseil et de moy, que, depuis qu'elle est royne, elle n'a poinct traicté avec aulcun gentilhomme, d'où qu'il luy eut esté envoyé, de qui elle ayt mieulx receu, ny eu plus agréables les propos que de luy, parce que, si l'éloquence n'y a point deffally, elle a opinyon que la sincérité y a grandement abondé, et qu'elle le tient pour ung des plus dignes et acortz gentilshommes, qu'elle ayt veu jamays, pour porter très confidemment les secretz qui se mandent entre princes.
Et, en ceste tant bonne opinyon, avec quelques honnestes présentz, qu'il a faictz à la dicte Dame et à ses plus expéciaulx conseillers, et avec la libéralité qu'il a largement uzée vers ceulx qui ont eu charge de le servir et traicter, et encores avec la modération dont il a sceu très bien contenir toute sa troupe, qui n'estoit petite, il a layssé, à son partement, ung fort grand contantement de luy et une très bonne satisfaction de toute sa légation, en ceste court.
Or, Sire, après l'avoir reconduict jusques à la mer, je suis retourné fère ung commencement de mercyement à la dicte Dame de tant de bons traictementz et honnestes faveurs, et du présent que mon dict sieur le mareschal avoit receu d'elle; laquelle a monstré, en son absence, plus que quand il estoit présent, de l'avoir en grande estime, et de donner très grand foy aux choses qu'il luy a dictes de la part de Voz Très Chrestiennes Majestez, et que, suyvant icelles, elle tiendra l'ordre qui a esté arresté entre eulx, lequel elle et ceulx de son conseil m'ont, d'eux mesmes, déclaré; dont j'ay veu le Sr de Quillegreu tout prest à prendre la poste pour aller, à cest effect, trouver mon dict sieur le mareschal; mais la dicte Dame s'est depuis advisée qu'elle diffèreroit encores huict ou dix jours, affin d'attendre que Monseigneur, frère de Vostre Majesté, fût mieulx remis de sa maladye. Et ses deux plus expéciaulx conseillers m'ont, sur leur foy et conscience, fort expressément assuré qu'elle estoit très bien disposée à cest honnorable party, et que la difficulté n'estoit plus que en ce qu'on avoit rapporté que l'accidant du visage de Mon dict Seigneur estoit beaucoup pire que ne monstroit le pourtraict qu'elle en avoit desjà veu; lequel, s'il se trouvoit qu'il ne feût poinct flaté, ilz s'assuroient que toutz aultres empeschementz seroient bientost ostés. Et ay comprins de leur discours, Sire, qu'ilz sont restés bien persuadés de la justiffication de Voz Majestez, et du Roy de Pouloigne, et de Monseigneur, sur les choses de France, par la déduction que Mr le mareschal leur en a faicte; et que, pourveu que Vostre Majesté observe bien le nouvel édict, qui a esté faict devant la Rochelle, ilz retourneront sans aulcun escrupulle à la mesmes confience qu'ilz avoient prinse de Vostre Majesté; mais aussy, s'ilz y voyoient la moindre infraction du monde, ilz jurent de jamais plus, en façon du monde, ne s'y fier.
Et j'ay apprins, de fort bon lieu, que milord de Burgley, quand il est venu à oppiner devant la dicte Dame sur la résolution de ce bon propos de Monseigneur le Duc, il a dict que, succédant ou ne succédant poinct le dict propos, tousjours l'estat de leur religion demeuroit en danger, mais qu'il y avoit quelque espérance d'y remédier, si, d'avanture, le dict mariage s'effectuoit, là où, s'il ne s'effectuoit poinct, il demeuroit du tout sans remède, car l'on pouvoit fère entrer Mon dict Seigneur, par le contract du dict mariage, aulx mesmes obligations qu'estoit la Royne, sur l'observance des décretz du parlement touchant l'ordre de la dicte religion, et que cella tiendroit tout le temps de leur règne, et durant encores qu'ilz auroient l'administration de leurs enfans, si Dieu leur en donnoit, là où, si la couronne venoit à ung aultre, qui ne se trouvât obligé aulx dicts décretz, il les pourroit changer, quand il voudroit; et qu'ayant là dessus esté réplicqué au dict milord que l'exemple des choses de France monstroit que ce ne seroit se mettre seulement en danger, mais se précipiter en ung très manifeste péril, s'ilz se commettoient à Mon dict Seigneur, il a respondu que si, lors de l'excès et au milieu des armes, et quand il estoit environné de ceulx qui s'exaspéroient contre ceulx de leur religion, il avoit esté trouvé modeste, et n'avoit uzé une seule parolle, ny une démonstration, ny un seul maulvais effect contre eulx, il estoit bien à croyre que, quand il seroit icy, près de la Royne, leur Mestresse, et au milieu d'eulx, en un royaulme desjà estably à ceste forme de religion, qu'il s'y conduyroit encores avec plus de modération. Dont toutz ceulx du conseil, après l'avoir ouy, ont opiné pour le mariage, pourveu que la personne de Mon dict Seigneur puisse complère à leur Mestresse.
J'ay bien ouy, Sire, par ci devant, plusieurs aultres choses aussy expresses que celles icy en ce mesme propos, lesquelles ne sont venues à pas une conclusion. Ce qui me tient tousjours en souspeçon qu'il y puisse encores avoyr de l'artiffice caché; mais Mr le mareschal vous apporte de quoy fère bientost venir en évidence ce qui en est. Et sur ce, etc. Ce XXe jour de septembre 1573.
CCCXLIe DÉPESCHE
—du XXVe jour de septembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Communication sur les affaires de Pologne.—Nouvelles méfiances des Anglais et des Français réfugiés sur les projets du roi contre les protestans.—Affaires d'Écosse.—Excès du comte de Morton.
Au Roy.
Sire, l'on avoit donné entendre, en ceste court, que les prélatz et palatins poulonnois, qui sont en la vostre, estoient si merveilleusement opiniastres que, pour ne vouloir rien rabattre de beaucoup de choses, qui mesmes apparoissent par trop extraordinayres et hors de moyen ez chapitres de leur demandes, leur légation s'alloit finir en ropture, au grand malcontantement d'eux, et peu de satisfaction de Vostre Majesté et du Roy, vostre frère, et desjà ceste princesse m'en avoit touché quelque mot, en passant. Dont j'ay esté infinyement bien ayse d'avoyr eu de quoy fère voyr à elle et aulx seigneurs de son conseil, par la lettre qu'il vous a pleu m'escripre, du XIe du présent, que le tout estoit bien et gracieusement accordé, au mutuel contantement de Voz Majestez et des dicts prélats et palatins, et que les articles avoient esté desjà fort solennellement jurez, en la grande églyse de Nostre Dame de Paris, avec l'aclamation et publicque réjouyssance de ce nombre de grandz personnages, et d'une infinyté de peuple, qui y avoient assisté, et que Dieu qui n'avoit moins monstré sa divine faveur, ez actes qui avoient suivy l'élection que en l'élection mesmes, laquelle luy seul avoit conduicte, manifestoit encores clèrement qu'il vouloit mener tout l'affère à son heureuse perfection.
A quoy la dicte Dame et iceulx de son dict conseil m'ont mandé de bien honnestes responces, du plésir qu'elle et eulx avoient que les choses, les unes après les aultres, succédassent toutes bien à establir ce grand estat en la personne du Roy de Pouloigne, vostre frère; et que l'Angleterre, aussy bien que la France, en desiroit le très ferme et perpétuel establissement; et qu'ilz ne mettoient en grand compte les démonstrations qu'aulcuns voysins faysoient, et mesmement le roy de Dannemarc, de ne vouloir laysser en paix les affères de dellà, tenant encores arrestés ung des ambassadeurs et le jeune Sr de Lansac: car ne faysoient aulcun doubte que l'arrivée du Roy, vostre frère, en son royaulme, ne réduyse incontinent tout le pays en ung aussy paysible et assuré estat qu'il le sçauroit desirer, et que, non seulement il ne seroit inquiété, ains ardemment recherché de bien estroicte amityé par toutz les princes chrestiens, qui seroient ses voysins.
Et s'est la dicte Dame faicte enquérir soigneusement si j'avoys receu aulcunes nouvelles de Mr le mareschal de Retz, depuis qu'il estoit party; qui semble, Sire, qu'elle attande en grande dévotion la responce de la lettre qu'elle luy a escripte. Et se faict une généralle démonstration, en ceste court et en ce royaulme, que le voyage, que luy avez faict fère par deçà, et les propos que luy avez faict tenir, ont hasté ceulx cy de retourner en leur bonne première disposition vers Vostre Majesté; qui n'y cheminoient qu'à regret, et comme s'ilz eussent marché sur des épineuses et fort malaysées difficultez. Et se continue la résolution d'envoyer, sur le commancement de ce moys prochein, le Sr de Quillegreu par dellà, sellon que mon dict sieur le mareschal mandera qu'il se debvra fère.
Il est vray qu'on a faict courir, icy, ung bruit qu'à Paris avoient esté tués quelques cappitaynes, qui avoient esté recognus estre de ceulx qui avoient soustenu le siège de la Rochelle, ce qui a cuydé renouveller les escrupules à ceulx cy, lesquelz sont naturellement deffiantz; qui m'ont faict fort curieusement examiner si j'en sçavois quelque chose, mais j'ay jetté cella bien loing, et ay fort réduict ung chacun à n'en croyre rien. Les Françoys, qui sont icy, en demeurent ung peu en suspens, lesquelz toutefoys je conforte fort de retourner toutz en leur mayson, et qu'ilz y vivront très assurez, soubz la protection de Vostre Majesté et observance de vostre dernier édict.
Il y a dix ou douze jours que quatre centz cinquante harquebousiers escoussoys, de ceulx du comte de Morthon, estantz abordés en ung port de ce royaulme, aussytost qu'ilz ont eu le vent bien à propos, ils sont passez en Holande au service du prince d'Orange, et assure l'on qu'il en est allé plus de quatre mille aultres escouçoys au service du roy de Suède, et que, quand Vostre Majesté, ou le Roy de Pouloigne, en voudrez tirer quelque nombre, qu'ilz y yront trop plus volontiers que au service de nulz aultres princes du monde. Ceulx, qui sont ainsy sortis, sont cause qu'on vit en quelque façon tollérable dans le pays, sans guerre, bien que soubz la dominion du dict de Morthon, qui est violent et fort avare, et qui ne s'est réservé aulcun amy, et a imposé des subcides et empruntz sur la ville de Lillebourg, laquelle estoit franche de tout temps; et a transporté la fabricque de la monoye en sa mayson de Datquier, et enfin a uzurpé toutz les droictz royaulx. Il a retiré des bagues de la Royne d'Escoce, qui estoient en gages, et a exigé par menaces, de ceulx qui les avoient, aultant de somme qu'ilz avoient desjà presté sur icelles, par prétexte qu'ilz avoient fourny de l'argent à ceulx qu'il a déclarés rebelles; et a faict mettre prisonnier dans le chasteau de Lillebourg le Sr Craffort, qui est de voz gardes, parce qu'il avoit parlé à la Royne d'Escoce, en passant. Le comte d'Arguil, ayant répudié la bastarde d'Escosse, a espousé la fille d'ung milord, qui n'est amy du dict de Morthon, de quoy il est bien marry. Je ne puis assez, Sire, ramentevoir à Vostre Majesté, l'estat du dict pays, affin qu'il vous playse pourvoyr à ce qui faict besoing, pour la conservation de vostre alliance; et semble qu'on tienne icy en suspens le vieulx Cauberon de ne luy bailler sa dépesche vers le dict de Morthon, sur la tenue du prochein parlement d'Escoce, et sur l'affère de milord de Humes, de Cadinguen, et aultres qu'il tient encores prisonniers, jusques à ce qu'on verra comme la négociation, que Mr le mareschal de Retz a remise en termes, s'yra continuant. Sur ce, etc.
Ce XXVe jour de septembre 1573.
CCCXLIIe DÉPESCHE
—du dernier jour de septembre 1573.—
(Envoyée jusques à Calais par le beau fils de Cahier.)
Secours donnés en Angleterre au prince d'Orange.—Convocation du parlement d'Écosse à Lislebourg.—Protestation de dévouement au roi faite par le député de la Rochelle.
Au Roy.
Sire, samedy dernier, ceste princesse est venue finir son progrès de ceste année au mesme lieu de Grenvich, d'où elle l'avoit commancé, et semble qu'elle y fera quelque séjour, attandant qu'il luy vienne des nouvelles de France, après le retour de Mr le mareschal de Retz, sur la disposition des propos qu'elle a eus avec luy; et que sellon cella, elle se puisse résouldre des moyens qu'elle y aura, puis après, à suyvre. Dont j'attandz aussy, Sire, quelque dépesche de Vostre Majesté, affin que j'aye occasion d'aller trouver la dicte Dame, et que je recognoisse si elle persévère en ce qu'elle et les siens principaulx nous ont faict espérer de sa bonne intention en cest endroict. L'on s'attandoit que les principaulx du royaulme deussent estre mandez, à la my octobre prochein, pour continuer le parlement, mais je pense comprendre que cella sera remis jusques après la chandelleur.
J'ay curieusement recherché le faict dont l'on m'avoit donné advis du cappitayne Boychamp, et enfin j'ay trouvé que c'est le cappitayne Boysseau, à qui ceulx de la Rochelle, durant le siège, avoient donné charge de leurs vaysseaulx de guerre, parce qu'il est natif de leur ville, et que le comte de Montgommery luy avoit aussy baillé une commission de sa part, mais il ne m'appert encores qu'on luy ayt renouvellé son pouvoir depuis la paix; et si, d'avanture, l'on l'a faict, j'ay opinyon, Sire, que c'est pour servir au prince d'Orenge: car l'on faict, tous les jours, nouvelles dilligences, icy, en sa faveur, à recouvrer armes, monitions, hommes et vaysseaulx, pour luy envoyer; et mesmes l'on m'a dict que le Sr de Quillegreu, pendant qu'il a esté en Escoce, luy a praticqué mille cinq centz chevaulx escouçoys qui sont prestz à partir, pourveu que, d'icy, leur soit envoyé quelque commancement de paye et moyen de s'embarquer; ce qui ne sera trop difficille d'estre moyenné par les évesques et plus affectionnés protestantz de ce royaulme. Et croy que c'est ung des articles sur lequel l'on a faict temporiser quelque temps le vieulx Cauberon, lequel, à mon advis, sera renvoyé ceste sepmayne. Et m'a l'on dict que le parlement, que le comte de Morthon avoit mandé au premier d'octobre à Lillebourg, est remis jusques au XXVIIIe du dict moys, ce qui vous donra loysir, Sire, d'y pouvoir envoyer quelqu'ung pour y assister de vostre part; et souspeçonne l'on assés que le dict de Morthon vueille dresser une entreprinse pour courre sus au comte de Honteley, à cause de quelques jalousies qu'il a prinses de luy, bien qu'il escript, icy, d'avoyr donné si bon ordre par toutz les portz et advenues d'Escoce, qu'on ne doibt creindre que nulz estrangiers y puissent faire descente.
L'agent, qui est encores icy, de la Rochelle, m'est venu confirmer, de la part de ceulx de sa ville, que, en nulle sorte, ilz n'attempteront, ny icy ny en nulle aultre part du monde, chose aulcune qui ne soit de très obéissantz et fort loyaulx et fidelles subjectz de Vostre Majesté, et qu'ilz ne desirent rien tant que de voyr qu'on leur continue la seureté qu'il vous a pleu leur donner, et que, sans aulcune aultre garde, ilz ayent à confier, du tout, leurs vyes, biens et personnes, à la seule protection de la parolle de Vostre Majesté, et qu'il estoit tout esbahy de ce qu'on disoit que les depputés de la Rochelle avoient nouvellement esté tués à Paris. A quoy je luy ay respondu, quand au premier, qu'il ne debvoit demeurer en aulcun doubte de vostre droicte intention vers les promesses qu'avez faictes à ceulx de sa ville, pourveu qu'ilz se continssent en celle loyalle obéyssance qu'il me disoit, et que je tenois le bruict de ce meurtre de Paris pour entièrement faulx, parce que j'avoys des lettres assez fresches de Vostre Majesté, qui n'en faysoient aulcune mencion. De quoy il a monstré de rester bien fort satisfaict. Sur ce, etc.
Ce XXXe jour de septembre 1573.
CCCXLIIIe DÉPESCHE
—du VIe jour d'octobre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Anthoine de la Rue.)
Audience.—Cérémonies faites à Paris à l'occasion de l'élection du roi de Pologne.—État de la négociation du mariage.—Mission du capitaine Cauberon en Écosse.
Au Roy.
Sire, j'ay faict part à la Royne d'Angleterre, ainsy qu'il vous a pleu me le commander par vostre lettre, du XVe et XVIIe du passé, de tout l'ordre qui a esté tenu, dimanche, tréziesme du dict moys, en la proposition et présentation, que les ambassadeurs de Pouloigne ont publicquement faicte à Vostre Majesté, des décretz des Estatz de leur pays, sur l'élection de vostre frère, et la déclaration que, par le bon consentement de Vostre Majesté, le Roy, vostre frère, leur a faicte d'accepter d'estre leur roy; et de l'entrée magnificque et honnorable qui, le jour après, luy a esté faicte, comme à Roy de Pouloigne, en vostre ville de Paris, avec le royal festin le soyr, en vostre grande salle du pallays, ensemble le somptueux festin, du lendemein, par la Royne, vostre mère, à son pallays des Tuilleryes; et comme le tout a esté conduict avec tant d'honneur et de bon ordre, et de dignité, qu'on peut compter cest acte, ainsy achevé, pour ung des plus excellantz qu'on ayt jamays veu en France, et l'ung des plus notables que Dieu ayt faict advenir, de beaucoup de siècles au monde; et que Voz Majestez me commandoient d'en fère une expresse conjouyssance avec elle, comme avec celle que vous sçaviez qui vouloit participer, de bon cueur, aulx choses qui vous estoient et à honneur et à contantement.
A quoy la dicte Dame m'a respondu que, voyrement, elle participoit grandement à ceste vostre félicité, et à l'heur et bonne fortune du Roy de Pouloigne, vostre frère, et que Dieu ne permît pas qu'elle peût tant oublier le debvoir, auquel l'amityé, que luy avés tousjours monstrée, obligeoit la sienne entièrement vers vous, qu'elle ne se resjouyst de toutz les advantages et grandeurs qui vous advenoient, et qu'elle ne se douleût pareillement de ce qui ne vous viendroit bien, plus que nul aultre de toutz les princes de vostre allience; et que, de ces actes tant honnorables, qui s'estoient passez avec les ambassadeurs de Pouloigne, aulxquelz elle ne pouvoit qu'elle ne louât infinyement la royalle esplendeur et générosité de vostre cueur, et la singullière prudence de la Royne, vostre mère, et les desirables qualités du Roy, vostre frère, elle s'en estoit desjà beaucoup réjouye en elle mesmes; mais que sa joye en estoit devenue de beaucoup plus grande pour celle portion de la vostre que Voz Majestez luy en faisoient maintenant adjouxter, et qu'elle espéroit que, d' ung commancement et progrès si heureulx, qu'on avoit veu jusques icy es dicts affères de Pouloigne, la fin n'en pouvoit réuscyr sinon ainsy heureuze et honnorable, comme le desiriez, et comme elle en prioit Dieu, de bon cueur. Et m'a curieusement examiné de plusieurs particullaritez des dicts actes passez, et de ceulx d'advenir, et du voyage du Roy, vostre frère.
A quoy je luy ay satisfaict le mieulx que j'ay peu, et luy ay promis de luy bailler le mémoyre qui m'en sera envoyé par escript, aussytost que je l'auray receu, ce qu'elle m'a pryé de n'oublier pas. Et j'ay adjouxté que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, me commandiez de luy dire que vous n'estiez meus de moins de desir, et n'aviez l'affection moindre au bon propos, que luy aviez faict refreschir par Mr le mareschal de Retz, que à ce mesmes affère de Pouloigne; et que c'estoit ce dont aujourdhuy vous desiriez l'accomplissement aultant de bon cueur, que de chose qui soit au monde, affin de la fère participante, comme vraye et germayne seur, non seulement de ceste nouvelle accession de Pouloigne, mais encores de toutes les aultres prospéritez et bonnes fortunes, que Dieu vous envoyera jamays.
A quoy elle m'a respondu que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, luy aviez faict voyr si avant, dedans vostre intention, et dedans les bons et vertueux desirs qu'avez vers elle, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, vous deffallir de correspondance, et que pourtant elle attandoit de sçavoyr ce qui auroit succédé, après le retour de Mr le mareschal de Retz par dellà, pour incontinent y envoyer ung gentilhomme, sellon l'ordre qu'elle en avoit pris avecques luy.
Et se sont passez plusieurs propos, qui seroient longs à mettre icy, entre elle et moy, là dessus; esquelz elle s'est efforcée d'excuser la longueur et les difficultez, que j'ay accusé procéder de son costé, et m'a assuré que Mr le mareschal avoit bien cognu qu'elles n'estoient ny légières ny vagues, et qu'il avoit assez comprins, sellon qu'il estoit bien expérimanté ez choses d'estat, que les dictes difficultez estoient fondées en grandes considérations; dont elle les vouloit réduyre à facillité, si elle pouvoit, affin de ne laysser venir aulcun dégoust ny une seulle apparance de malcontantement, cy après, à Voz Majestez et à Monseigneur, vostre frère, en ce faict, ou bien elle auroit une extrême regret de le laysser passer plus avant; et nous sommes remis, toutz deux, à ce qui nous en sera mandé par la procheyne dépesche de France.
Et, sur la fin, je luy ay faict une expécialle salutation, de la part de Monseigneur, vostre frère, laquelle elle a monstré d'avoyr fort agréable, et m'a soigneusement enquis de sa santé, et qu'elle n'avoit peu comprendre, par la lettre que Mr le mareschal luy avoit escripte, s'il estoit encores du tout parfaictement guéry; mais qu'elle avoit biens comprins d'aultres choses de ce qu'il luy avoit escript, qui l'obligeoient grandement vers mon dict sieur le mareschal, et la confirmoient en la bonne et grande oppinyon qu'elle avoit conceue de luy.
Les seigneurs de ce conseil, au partir d'elle, m'ont longuement entretenu de ce mesmes propos, et qu'ilz s'esbahyssoient comme il n'estoit venu aulcune dépesche, depuis l'arryvée de mon dict sieur le mareschal par dellà, et m'ont parlé aussy bien fort honnorablement des choses de Pouloigne; et mesmes a semblé que ce fût avec leur grand plésir d'entendre qu'elles succédoient ainsy, de bien en mieulx. Et ay trouvé que la dicte Dame et eulx estoient, en apparance, toutz bien contantz, sinon ung peu milord trézorier qui a prins plus à cueur, que ne font les aultres, certeins livres diffamatoires contre l'estat du gouvernement de ce royaulme, que ceulx de Rouen ont envoyé semer en ceste ville; de quoy a esté faict une proclamation fort rigoureuse contre ceulx qui apporteront, ny qui publieront, cy après, rien de semblable.
Le vieulx Cauberon a esté cependant renvoyé, avec une fort ample dépesche, devers le comte de Morthon, et croy que c'est sur ce nombre d'escossoys qui doibvent passer en Hollande, et sur des conséquences qu'on faict icy, de la blessure d'Adan Gordon, plus grandes, à mon advis, que le cas ne le requiert. Et sur ce, etc.
Ce VIe jour d'octobre 1573.
CCCXLIVe DÉPESCHE
—du XIIIIe jour d'octobre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques.)
Audience.—Réponse du roi sur la négociation du maréchal de Retz.—Satisfaction d'Élisabeth.—Sa résolution d'envoyer un ambassadeur en France pour cette négociation.
Au Roy.
Sire, parce que le courrier, qui m'a esté dépesché, le XXVIIe du passé, a esté contreinct de séjourner huict jours entiers à Callays, pour l'empeschement de la mer, (laquelle a bien esté la plus haulte, et pleyne de tourmante, qu'on l'ayt veue de fort longtemps, ayant apparu, tout au long de ces costes, force mastz et pièces de navyres rompus, et des corps mortz en grand nombre, signe de quelque grand naufrage advenu non guières loing d'icy), les lettres de Vostre Majesté, qu'il m'a apportées, ont esté retardées jusques au VIIIe du présent, non sans que j'aye bien senty qu'elles se faisoient aulcunement desirer en ceste court, et que les malintentionnés en commançoient desjà d'arguer quelque réfroydissement: ce qu'ilz eussent, possible, persuadé, si une lettre de Mr le mareschal de Retz ne fût auparavant arryvée à ceste princesse, laquelle l'a tousjours entretenue en bonne espérance. Et je vous puis assurer, Sire, que la dicte Dame a monstré de prendre maintenant à beaucoup de plésir les particullaritez, qu'il vous a pleu me commander de luy dire, de mercyement des faveurs et bon traictement, qu'elle avoit faictz à mon dict sieur le mareschal, et du desir que vous aviez de vous en revencher vers quelqu'ung des siens, qu'elle pourroit envoyer par dellà, de ceulx qu'elle ayme et estime beaucoup; et de la privée communicquation qu'elle vous avoit voulu fère par luy d'aulcunes de ses intentions, pareillement de vous avoyr, par luy mesmes, ouvert le fondz de son cueur; ensemble de l'assurance, qu'il vous avoit apportée, que non seulement elle persévèreroit constamment en vostre amityé, mais qu'elle estoit très bien disposée de l'estreindre et la rendre plus ferme par le mesmes moyen, dont vous la recherchiez, du propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté.
En quoy, Sire, seroit trop long de vous discourir tout ce que je luy ay déduict, par le menu, sinon vous assurer que je ne luy ay rien obmis du contenu de voz lettres; ny rien de ce que j'ay estimé qui pouvoit servir en cest endroict; mais il seroit encores beaucoup plus long de vous racompter, une à une, toutes les honnestes responces qu'elle m'y a faictes: car, en lieu de recevoir de voz mercyementz, elle s'est efforcée de vous en rendre infinys, de son costé, pour avoyr, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, voulu prendre de si bonne part, comme elles ont, ce peu qu'elle a uzé de bon traictement vers Mr le mareschal, et ce qu'elle vous a mandé par luy. Et s'est ellargie à me discourir du contantement, que luy avez donné, de la forme de négocier qu'il a tenu avec elle, laquelle luy avoit esté singullièrement agréable, et de la foy que pouvez indubitablement adjouxter aulx choses qu'il vous avoit rapportées de sa part; lesquelles elle vous prioit que les voulussiez très fermement croyre.
Mais, quand j'ay reprins le propos pour luy dire qu'elle trouveroit l'entière confirmation de tout ce que je venois de luy dire dans les lettres de la propre mein de Voz Majestez et de Monseigneur, lesquelles je luy ay soubdein présentées; et que je l'ay eue bien fort conjurée de ne vouloir plus laysser au hazard du temps, ny au danger de la longueur, ung si précieulx affère, comme estoit celluy de ce propos; et que vous la suplyiez de bon cueur qu'elle vous volût rendre maintenant certein de ce qu'elle avoit résolu d'en fère, il a apparu, Sire, en son visage et en ses contenances, une plus grande satisfaction que je ne la vous sçaurois exprimer, et a soubdein leu, à part elle, toutes les quatre lettres, et puis me les a releues fort distinctement, notant avec beaucoup de curiosité toutz les poinctz de chascune.
Et a remis à plus de loysir de lire la cinquiesme, qui estoit de Mr le mareschal; duquel elle a suivy à dire qu'elle cognoissoit bien qu'il n'avoit pas réfroydy la matière, ainsy que quelques ungs l'avoient desjà pensé, et qu'elle voyoit Voz Majestez Très Chrestiennes, et les vostres, continuer tousjours d'une si honnorable façon au pourchas de son allience, qu'elle s'estimeroit par trop indigne d'honneur, si elle ne mettoit peyne de vous y bien voyr correspondre; et que, sans doubte, elle y avoit tousjours correspondu de bon cueur, mais que le temps et les occasions ne luy avoient servy qu'elle l'eût peu ainsy manifester, comme elle eût bien desiré de le fère; et qu'elle n'avoit jamays prins de dellay en cecy, que pour garder qu'il ne s'y en peût mettre, quand les choses en seroient venues à meilleure conclusion; et que, depuis le partement de Mr le mareschal, elle n'avoit pas perdu temps à bien disposer aulcuns des siens à ce propos, qui estoient des principaulx de son royaulme; car n'avoit à se soulcier de toutz, mais bien se vouloit elle fort soulcier que, venant Monseigneur par deçà, il y fût communément bien receu d'ung chacun, et aultant honnoré et bien veu, et y eût aultant de contantement comme elle mesmes; et que, quand elle verroit qu'il ne se pourroit fère ainsy, que jamays elle ne consentiroit sa venue, nonobstant l'advantage qui luy en pourroit rester à elle; et que sa déterminée résolution avoit esté de fère partir, ce soyr mesmes qu'elle parloit à moy, le gentilhomme qu'elle avoit promis à Mr le mareschal qu'elle envoyeroit par dellà; mais qu'il estoit tombé malade, ainsy que je le pouvois bien avoyr sceu: comme, Sire, cella est véritable; mais qu'elle en feroit apprester ung aultre qui partiroit indubitablement dans trois jours; et qu'elle avoit à fère une querelle à Mr le mareschal de ce qu'il vous avoit révellé, et à la Royne, vostre mère, le secret de ce message, car luy avoit promis que Voz Majestez, pareillement Monseigneur, vostre frère, n'en scauriés rien, toutesfoys qu'elle remettoit bien en luy d'en uzer comme il jugeroit estre bon, car le tenoit pour si advisé et accord, et d'une si bonne inclination en cest endroict, qu'il conduiroit le tout à bon port.
Je luy ay réplicqué qu'elle trouveroit que la coulpe n'en estoit venue de luy, ny du costé de dellà, en façon du monde, ains de ce costé icy, et que ce seroit luy mesmes qui la rabilleroit.
J'ay, incontinent après, parlé à milord trézorier et au comte de Sussex, et mestre Smith, estant le comte de Lestre encores absent en sa maison, et leur ay faict l'honneste compliment du postscript de la lettre de Vostre Majesté, qu'ilz ont receu à beaucoup de faveur, et m'ont parlé en très bonne façon et en beaucoup d'espérance de cest affère. Et le dict grand trézorier m'a confirmé ce qu'elle m'avoit dict de la maladye et empeschement du Sr de Quillegreu, et m'a adverty qu'elle avoit mandé Me Randolf pour le fère apprester, et l'avoit choisy elle mesmes bien qu'il luy en eût nommé ung aultre, lequel elle n'avoit voulu accepter, par ce, disoit elle, qu'il n'estoit bien affectionné à son mariage; ce que le dict grand trézorier avoit prins pour ung bon signe, et m'a assuré qu'il trouvoit la dicte Dame très bien disposée en ce propos; mais, de tant, Sire, que le dict Randolf ne me revient non plus, ny possible si bien, que faysoit Quillegreu, je suis après à fère changer l'élection. Et sur ce, etc. Ce XIVe jour d'octobre 1573.
Par postille à la lettre précédente.
Si Vostre Majesté trouvoit bon de fère venir icy quelques lettres de crédit, pour fère respondre, condicionellement, par des banquiers, en ceste ville, à ceulx qui peuvent ayder cest affère, que, au cas que le dict affère viegne à bonne conclusion, et que le dict mariage ensuyve, qu'il leur sera payé comptant telle et telle somme, l'on a opinyon que cella feroit un grand effect, car les simples promesses ne sont tenues en compte; et qu'on auroit plus à gré une telle somme de deniers contantz, que non pas une pension, ny ung revenu, ny ung estat en France; et si, ne courra rien de hazard, si l'affère demeuroit imparfaict, mais faudroit que ce fust de sommes assez notables.
CCCXLVe DÉPESCHE
—du XVIIIe jour d'octobre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Désignation de Me Randolf pour passer en France.—Remise de l'ouverture du parlement.—Menées du duc d'Albe.—Secours donnés par les Anglais au prince d'Orange.—Desir des réfugiés de rentrer en France.
Au Roy.
Sire, je vous ay renvoyé Jacques, le courier, le XIIIIe de ce moys, avec le récit de toutes les responces que la Royne d'Angleterre m'a faictes, quand je luy ay présenté les lettres, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et le Roy de Pouloigne, et Monseigneur, luy avez, toutz quatre, escriptes de voz meins, ensemble ce que j'ay peu nother davantage des propos que les seigneurs de ce conseil m'ont tenu; qui n'en racompteray rien plus icy, et seulement vous diray, Sire, que Me Randolf, lequel la dicte Dame a mandé par la poste, parce qu'il estoit absent avec le comte de Lestre, est arryvé le deuxiesme jour après, et est allé descendre au logis de milord trézorier, où j'estime qu'il a esté fort soigneusement examiné; et ne se publie encores rien de son partement, ny ne s'en sçaura, à mon advis, le certein, jusques à demein au soyr, que le dict comte de Lestre doibt estre de retour. Et ne voy pas qu'il me puisse estre bien séant, Sire, de fère rien davantage, touchant l'élection du dict Randolf, plus que ce que j'ay desjà faict; car est besoing, en l'endroict de ceulx cy, sur une telle chose, après les avoyr bien advertys une foys seulement, les laysser, de là en avant, fère comme ilz l'entendent, aultrement ilz s'imagineroient des souspeçons qui seroient très difficilles de les leur oster. Je procèderay en cella, et en toute aultre chose, qui concernera icy l'advancement de cest affère, le plus accortement que je pourray.
Le chancellier et le grand trézorier, et le grand chambelland, et plusieurs aultres seigneurs de ce conseil et de la noblesse de ceste court, se sont trouvés à l'ouverture de ce terme de la justice, le segond vendredy de ce moys, pour remettre encores plus loing la tenue du parlement, duquel la continuation estoit assignée au XVe de ce mesmes moys; et ilz l'ont prononcée au IIIIe de febvrier prochein: et ont fort dilligemment examiné la cause de ceste élévation, qui avoit apparu, vers Cambrich, à quarante mille d'icy, où ilz ont trouvé qu'il y avoit de la malice d'aulcuns et de la simplicité des aultres; et sont après à y donner quelque forme de chastiement, si discrète, qu'elle ne puisse effacer le lustre du repos, qu'on veut persuader à ung chacun qu'est bien estably en ce royaulme.
Ces libelles, que les angloys, qui sont à Louvein, en avoient envoyé semer icy ung nombre, ont mis du trouble beaucoup en ceste court; car il y est remonstré aulcunes choses à ceste princesse, de ceulx à qui elle donne la principalle authorité, qu'il semble qu'elles soient très expresses et bien fort apparantes contre eulx, de sorte qu'ilz ne sçavent où ilz en sont, et creignent que leur crédit en demeure fort ravallé; et présuppose l'on que le duc d'Alve a tenu la mein à cella, et qu'il faict que les partisans de Bourgoigne, icy, monstrent eulx mesmes d'en estre offancés, affin que ces imputations soient esclayrées et espluchées davantage, et que, par une telle attacque, ceulx qu'il luy semble que tiennent icy les choses trop reddes contre le Roy, son Mestre, en soient d'aultant réprimés. J'entendz qu'il a esté proposé de fère bientost passer quelque personnage de bonne qualité, de la part du dict Roy d'Espaigne, vers ceste princesse, mais ne se parle plus que ce soit le duc de Medina Celly, soubz couleur de son retour, ains que ce sera ung aultre seigneur, tout exprès, et, possible, ung ambassadeur résident. Néantmoins le prince d'Orange ne laysse, pour cella, d'avoyr tousjours icy bien vifves ses praticques, et tire ordinayrement beaucoup de commodités de ce royaulme; et mesmes les Escossoys, qu'il a, qui sont bien douze centz cinquante en nombre, luy ont esté addressés d'icy; vray est qu'on assure que leur payement vient des deniers que le dict prince et le comte Ludovic, son frère, avoient faict dépositer, l'année passée, en France, pour une nouvelle levée de françoys, après la route de Genlis,[23] et m'a l'on confirmé, de rechef, qu'il se prépare encores mille escouçoys à cheval pour aller, à ce printemps, trouver le dict prince.
J'ay baillé des passeportz à douze ou quinze soldatz françoys, qui sont naguyères venus de Ollande, pour eulx retirer en leurs maysons, qui sont les ungs de Languedoc et Provence, les aultres de la Guienne, les aultres de Bretaigne, et les aultres de Normandye, et plusieurs d'entre eulx catholicques, qui s'estoient layssés mener par diverses persuasions au dict pays, avant la défaicte ou peu après icelle du dict Sr de Genlis. Et toutz m'ont protesté, avecques sèrement, de vivre, sans contradiction aulcune, en bons et très humbles subjectz, soubz l'obéyssance de voz édictz.
Je vous supplie très humblement, Sire, de m'envoyer les saufconduictz pour les Srs de Languillier, Du Refuge, Des Champs, La Meaulce, à chacun ung; et pareillement pour Moyssonnyère, car ceulx là feront si bien le chemin aulx aultres, qu'à peyne en restera il pas ung, après eulx, par deçà. Et desjà le cappitayne La Meaulce s'estoit confié sur ung passeport mien, mais, ainsy qu'il a voulu partir, il est tombé si extrêmement malade qu'on ne sçayt qu'espérer de luy. Les aultres françoys, qui sont de robbe longue, marchandz, artisantz, et leurs femmes, repassent toutz les jours de dellà, et en est repassé plus de cinq centz depuis ung moys. Sur ce, etc.
Ce XVIIIe jour d'octobre 1573.
CCCXLVIe DÉPESCHE
—du XXIIIe jour d'octobre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Ratheau.)
Mission de Me Randolf.—Nouvelles des Pays-Bas.—Sollicitations du comte de Montgommery pour être reçu par Élisabeth.—Protestation de dévouement du député de la Rochelle.—Nouvelles d'Écosse.
Au Roy.
Sire; aussytost que le comte de Lestre a esté de retour de Quilingourt, l'on a mis en dellibération du conseil le voyage de celluy qui doibt aller en France, et je n'ay oublyé d'envoyer, soubz mein, remonstrer, en la meilleure façon que j'ay peu, qu'il estoit fort expédient qu'ung gentilhomme, de bonne intention et bien choisy, y fût envoyé. En quoy, après que toutes choses ont esté bien débatues, la résolution a esté prinse de fère partir, dans la fin de ceste sepmayne, Me Randolf pour aller achever ceste commission. Et le dict comte ayant, avec une démonstration de très grand contantement, bien receu l'office, que m'avez commandé de luy fère par le postscript de vostre lettre, du XXIIIe du passé, m'a adverty que les ennemys de ce propos avoient uzé de beaucoup de malice, pendant qu'il estoit absent; et qu'ilz avoient supposé ung homme, comme venant de France, qui avoit parlé si peu à l'advantage de la personne de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, qu'il me vouloit dire, en général, que nul plus maulvais rapport l'on n'eût su fère de luy, et qu'il n'estoit pas besoing que j'en sceusse davantage les particullaritez, mais qu'il voudroit, de bon cueur, avoyr eu ce bien de voyr une foys Mon dict Seigneur, affin de conveincre les faulces inventions qu'on s'efforçoit de mettre ainsy en avant: et monstre le dict sieur comte de prendre bien à cueur cest affère. Le susdict Me Randolf dépend entièrement de luy; et est extrêmement passionné en sa religion. Il a esté ambassadeur devers le Moscovite, et souvant employé vers les Escossoys, et est reputé icy assez adversayre de la Royne d'Escoce. Il est mestre des postes de ce royaulme, qui est ung estat duquel l'on faict assez de compte. J'estime qu'il voudra conférer avecques moy, premier que de partir, dont je mettray peyne, s'il vient, de le disposer le mieulx qu'il me sera possible, et desjà il promect de se déporter fort droictement en sa dicte commission.
Ceulx cy tiennent pour assez certein l'advertissement, qu'on leur a donné, du passage du Roy d'Espaigne en Flandres, à ce prochein printemps, et en font plusieurs discours, non sans y mesler des souspeçons et des deffiences beaucoup; et mesmes que ung docteur, de ce pays, et ung milord, qui sont toutz deux personnaiges de beaucoup d'estime vers les catholicques de ce royaulme, se sont, depuis ung moys, acheminés de Louvein vers le dict Roy d'Espaigne; ce qui faict que, d'icy, l'on fomante davantage le party du prince d'Orange, et qu'on ne prend plésir d'entendre qu'il se traicte d'accord ez Pays Bas, ce que néantmoins l'on se persuade; et creinct on assez qu'il se fera, bien que d'ailleurs l'agent du Roy d'Espaigne, qui est icy, semble avoyr découvert que troys centz harquebuziers françoys doibvent bientost aller trouver, de nouveau, les cappitaynes Poyet et Maysonfleur, en Hollande, et que les flammantz, qui sont icy, lèvent des deniers entre eulx pour les payer.
L'on m'a rapporté que le comte de Montgommery a fort pourchassé de venir en ceste court, promettant de mettre en avant des choses à ceste princesse, qui seroient grandement pour son service; et que milord trézorier luy avoit escript qu'il eût ung peu de pacience, et que bientost il luy impètreroit cette permission; mais, voyant qu'elle tardoit trop, il a faict semblant de s'en vouloir retourner en France, de quoy son beau frère a donné incontinent, icy, advis, et luy mesmes a fort incisté qu'il peût venir, mais il luy a esté de rechef respondu que cella ne se pouvoit encores fère. Et, à la vérité, Sire, l'on a esté, l'espace de quinze jours, à attandre, en ung logis de ceste ville, que, d'heure en heure, le dict de Montgommery y arrivât, qui est signe qu'il a eu grande espérance d'y venir; mais enfin, les Srs de Lorges et Du Refuge, son filz et beau filz, sont partis, ceste sepmayne, pour l'aller trouver, non sans que le dict Du Refuge me soit venu dire adieu: et toutz deux monstrent d'estre fort desireux de repasser en France.
L'agent de la Rochelle est venu, depuis deux jours, me prier que je ne voulusse interpréter, sinon à bien, sa demeure, pour encores, en ceste ville, et de fère que Vostre Majesté ne le prînt à mal, ny pensât que ceulx de sa ville y praticquassent rien, qui ne fût sellon le debvoir de très obéyssantz et très loyaulx subjectz; et que ce qui le détenoit icy, à ceste heure, estoit pour achever de payer ce qu'il avoit emprunté au nom de ses concitoyens, pour lesquelz il estoit comme en arrest, et qu'ilz supplioient très humblement Vostre Majesté de demeurer très assuré de leur fidellité et perpétuelle subjection; et à moy, de m'informer, aultant curieusement que je voudrois, de leurs déportementz, affin de n'en demeurer en doubte. Je luy ay respondu que luy et ceulx de sa ville n'avoient chose qui plus leur importât aujourdhuy, en ce monde, que d'imprimer une bonne et indubitable opinyon de leur foy et obéyssance à Vostre Majesté, et d'éviter toutes occasions qui vous pourroient fayre prendre tant soit peu de souspeçon d'eux; qui pourtant l'exortois de se retirer d'icy, le plus tost qu'il pourroit, attandu les choses passées, et que, puisqu'il m'estoit venu advertyr de la nécessayre occasion, qu'il avoit, d'y demeurer quelque peu de temps, que je le tesmoignerois à Vostre Majesté.
Jacmes Levisthon, qui est de voz gardes, vient d'arriver, tout présentement, d'Escoce, il s'attand d'avoyr, demein ou après demein, son passeport, et de continuer, incontinent après, son chemin vers Vostre Majesté, à laquelle il donra bon compte de toutes nouvelles de son pays, et de la démonstration que faict la Royne d'Angleterre de vouloir remettre les deux chasteaulx, qu'elle tient par dellà, ez meins des Escouçoys, suyvant l'instance que, en vertu du dernier traicté, je luy en ay souvent faicte; mais je croy bien, si elle en vient à tant, que ce sera au comte de Morthon qu'elle s'en démettra. Et sur ce, etc.
Ce XXIIIe jour d'octobre 1573.
CCCXLVIIe DÉPESCHE
—du XXVIe jour d'octobre 1573.—
(Envoyée jusques à Calais par ung serviteur de Me Randolf.)
Conférence de l'ambassadeur avec Me Randolf.—Vives recommandations pour qu'il lui soit fait bon accueil en France.
Au Roy.
Sire, après que la Royne d'Angleterre a eu bien instruict Me Randolf sur les choses qu'elle luy vouloit commettre en France, elle luy a commandé de me venir trouver, pour me conférer le tout, et j'ay mis peyne de l'examiner bien curieusement de l'intention, avec laquelle il passoit de dellà; et il m'a monstré d'y apporter une très bonne affection vers le propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, et de desirer que son voyage soit si heureulx qu'il puisse servir à y fère venir quelque bonne conclusion; et qu'estant sa Mestresse fort judicieuse, qui a l'esprit fort rare, et à laquelle il a toute obligation de naturel subject de luy procurer son bien et contantement, qu'il mettroit peyne de s'acquicter droictement, et avec toute fidellité, et encores en conscience, de la charge qu'elle luy bailloit, et de luy en rapporter aultant de certitude et de vérité, comme il seroit en sa capacité de le pouvoir fère. Et m'ayant allégué là dessus plusieurs doubtes et creintes, ès quelles l'importance de ce faict le mettoient, pour estre de chose qu'il réputoit trop privée, et appartenir de trop près à la propre personne de très grandz princes, vers lesquelz il n'avoit jamais eu auparavant rien à traicter, je l'ay conforté de n'en estre en nulle peyne, et qu'il avoit son addresse à des princes qui estoient les plus courtois et humains, qui fussent en tout le reste du monde, et qu'il auroit, d'abondant, ung très bon directeur en Mr le mareschal de Retz, dont ne falloit qu'il doubtât de ne s'en retourner très contant de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne. Et luy ay, au reste, si particullièrement remonstré les très grandes utillités, qui procèderont de son voyage pour le bien public de son pays, et pour le sien particullier, qu'il me semble, Sire, qu'il s'en va bien disposé et en bonne volonté de bien fère. Dont, suyvant cella, je vous supplye très humblement de le fère bien et favorament recevoir, et de le fère honnorer et bien traicter, affin qu'il y ayt encores de l'inclination davantage. Il m'a dict qu'il emporte les mémoyres pour achever ce qui reste, de l'article du commerce, dans le traicté. Et sur ce, etc.
Ce XXVIe jour d'octobre 1573.
A la Royne
Madame, après que j'ay eu faict ma sollicitation en ceste court, sur la dépesche de mestre Randolphe, j'ay mis peyne, quand il m'est venu voyr, par deux foys, et fère bonne chère en mon logis, de luy fère les démonstrations du général intérest des deux royaulmes, et de celluy de son particullier, qui dépendoient de son voyage, en si expresse façon que je ne pense qu'il ayt esté rien obmis de ce qui luy pouvoit estre remonstré en cest endroict; et il monstre de partir aultant bien édiffyé qu'il se peult dire vers tout ce qui y peut appartenir, et d'avoyr une singullière affection de l'advancer. Il est vray qu'il monstre de creindre bien fort la difficulté du jugement qu'il a à rapporter à sa Mestresse, et me semble qu'il part avec une opinyon préjugée de la debvoir, à son retour, conseiller que, sans donner foy ny à peintres, ny à rapporteurs, elle ne doibve croyre sinon à la présence, et qu'en toutes sortes, elle le doibve voyr; qui n'est le pire expédient qu'il pourroit choisir, pour se desmeller d'une commission qu'il répute dangereuse. Néantmoins il importe beaucoup qu'il parle, à son retour, en très bonne sorte des choses qu'il aura vues, et ouyes, par dellà, comme je sçay bien qu'il ne le pourra fère sinon ainsy, s'il ne veult laysser la vérité. Mais encores vous supplyè je très humblement, Madame, ne trouver maulvais que je vous recorde que ceste nation se gaigne, plus que nulle aultre du monde, par faveur et bonne chère, et par libérallité, et qu'il est expédient de luy en uzer ung peu largement; et qu'avec celle que Voz Majestez luy feront, il luy en viegne encores quelque aultre de Monseigneur, vostre filz, et n'oublier quelque promesse pour l'advenir, et de luy confirmer bien fort expressément celles plus grandes qu'avez faictes espérer au comte de Lestre et à milord de Burgley; car il dépend entièrement des deux. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour d'octobre 1573.
CCCXLVIIIe DÉPESCHE
—du dernier jour d'octobre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Détails de la conférence de l'ambassadeur avec Me Randolf.—Objections faites contre le mariage.—Mesures prises en Angleterre à l'égard des puritains.—Délibération au sujet de la prochaine arrivée du roi d'Espagne dans les Pays Bas.
Au Roy.
Sire, premier que Me Randolphe se soit acheminé devers Vostre Majesté, le XXVIe de ce moys, ainsy que je le vous ay escript, du dict jour, il m'est venu entretenir de plusieurs propos qui concernoient son voyage; dont les deux plus considérables ont esté de me dire que, si la Royne, sa Mestresse, n'avoit poinct voulu croyre à Mr le comte de Lincoln, ny à plusieurs milords qui estoient avecques luy, ny à Mr de Walsingam, ny à Mr de Quillegreu, touchant la disposition de la personne de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, comment pourroit on penser qu'elle deût maintenant adjouxter plus de foy au rapport qu'il luy en feroit? et que pourtant son voyage avoit à estre, ou inutille, si elle ne s'arrestoit non plus à son opinyon qu'à celle de ceulx qui l'avoient veu devant luy, ou bien fort périlleux, si il en opinoit en aultre sorte qu'ilz n'avoient faict. A quoy je luy ay respondu que la seule vérité le mettroit hors de tout ce danger, car sa Mestresse ne vouloit sinon sçavoyr ce qui en estoit; et Voz Majestez desiroient infinyement qu'elle le sceût, sans qu'il luy en fût rien déguysé; et qu'estant davantage aydé par le portraict, il ne pouvoit nullement errer en sa commission. Il m'a réplicqué qu'il vous supplieroit donques, Sire, et la Royne, vostre mère, de ne trouver maulvais, au cas qu'il remarquât quelque chose au dict pourtraict, qui fût dissemblable de la vraye présence, qu'il vous requît de le fère rabiller. De quoy je l'ay assuré que, non seulement Voz Majestez ne seroient marryes d'estre advertyes de ce deffault, mais qu'elles auroient très grand plaisir de le fère réparer.
Son aultre propos a esté que, advenant le cas que Monseigneur fût bien agréable à sa Mestresse, comme il le vouloit ainsy espérer, si je tenois pour cella que le mariage fût desjà faict. Je luy ay respondu que, du costé de Monseigneur, il n'y avoit nulle difficulté, et, du costé d'elle, l'on nous faysoit accroyre qu'il n'y en restoit plus que celle là. Il a réplicqué que de certeyne impression, qu'elle s'estoit donnée, que, à cause de son aage qui commançoit ung peu à passer, elle seroit bientost mesprisée de ce jeune prince, lequel ne faysoit qu'entrer en la fleur du sien; et de ne luy pouvoir poinct porter d'enfantz, ou bien, si elle luy en apportoit, que ce seroit avec le grand danger de sa personne, naystroient assez d'aultres difficultez, qui seroient bien mal aysées de veincre; mais encores, quand toutes celles là ne viendroient à produyre aulcun empeschement, j'avoys à rechercher si le peuple de ce royaulme resteroit bien contant du dict mariage, car mal volontiers vouloient souffrir les Angloys qu'un prince estranger régnât sur eulx, tesmoing ce qu'on avoit veu du Roy d'Espaigne; et que je ferois bien de m'esclarcyr de ce poinct, premier que de passer oultre, car me vouloit bien advertyr que beaucoup de ceulx, qui avoient desiré le mariage de leur princesse, ne vouloient plus, à ceste heure, qu'elle se maryât, et que, parmy ceux là, il y en avoit des plus grandz. Je luy ay respondu que ces particullaritez n'estoient de la considération présente, et ne touchoient en rien sa commission, car elles avoient desjà esté toutes débatues, et que je m'assurois qu'il n'y auroit ny deffault d'amityé, ny, Dieu aydant, de lygnée, ny de toute aultre bénédiction et bonheur en ce mariage; et que je n'estimoys pas qu'il y peût avoyr ung seul sy desloyal subject, en ce royaulme, qui ne voulût que la Royne, sa princesse, se maryât; et qu'elle ne pourroit proposer rien de plus digne, ny de plus honnorable, à son peuple, pour son mariage que Monseigneur, frère de Vostre Majesté, lequel ne viendroit icy estrangier, ains pour s'y porter comme naturel angloys, et que l'exemple du Roy d'Espaigne ne me mouvoit de rien, parce que la rayson estoit bien diverse.
Et ainsy, Sire, je n'ay faict semblant au dict Me Randolphe que je m'arrestasse beaucoup à toutes ses considérations, lesquelles toutesfoys j'ay bien voulu mettre icy, affin que Vostre Majesté les ayt en tel compte comme elle jugera qu'elles le méritent; et cependant je mettray peyne d'aprofondir d'où elles peuvent derriver.
Ces jours passez, les seigneurs de ce conseil ont esté fort occupés sur les remonstrances, que les évesques de ce royaulme sont venus fère à ceste princesse, des grandz désordres qui proviennent en leurs églises et diocèses, pour la multiplicité des religions, et mesmes pour la presse que les Puretains font de vouloir avoir l'exercice de la leur. Sur quoy, après plusieurs assemblées des plus grandz et notables du royaulme, et longue conférence avec les dicts évesques, par meure dellibération de conseil, a esté faicte une proclamation, mais aulcuns estiment que cella ne sera suffisant remède, parce que le nombre des Puretains est trop grand; tant y a que les Catholicques demeurent paysibles.
Les dicts du conseil ont aussy longuement dellibéré sur la venue du Roy d'Espaigne en Flandres, laquelle ils tiennent pour fort certayne, et que ce sera, à ce prochein primptemps, avec huict mille Espaignolz de renfort et une fort grande provision de deniers, et qu'il fera son chemin par Gènes. Sur quoy j'entendz, Sire, qu'entre eulx celle opinyon a prévalu, laquelle a monstré de tendre à s'entretenir aulx bons termes, où l'on est avec le dict Roy d'Espaigne, et d'accomoder le faict des prinses, et les choses mal passées depuis cinq ans, et de retourner à l'ancienne confédération, dont luy mesmes recherche ceste princesse, et de conduyre dextrement, là dessus, et avec le plus qu'on pourra d'honneur pour ceste couronne, une bonne négociation, avec ceulx qu'il y vouldra commettre de sa part. Et sur ce, etc.
Ce XXXIe jour d'octobre 1573.
CCCXLIXe DÉPESCHE
—du VIe jour de novembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Vigier.)
Conférence particulière de l'ambassadeur avec le lord garde des sceaux sur la négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, il est advenu que milord Quipper et moy avons esté assis, l'ung auprès de l'aultre, en ce festin du mayre de Londres, où j'ay eu la commodicté de parler longuement à luy, et je l'ay principallement entretenu de l'honnorable légation qu'aviez dernièrement envoyé fère à la Royne, sa Mestresse, par Mr le mareschal de Retz, et comme Vostre Majesté avoit bien voulu tant defférer à la plus estroicte amityé et confédération qu'avez maintenant avec elle et avec sa couronne, que de luy mander cestuy tant expécial et confident ambassadeur pour luy donner compte des plus importantz évènementz de vostre royaulme, non seulement de ceulx du jour St Barthèlemy, et de ce qui avoit suivy après, mais encores de ceux qui avoient commancé, dès la première prinse des armes par voz subjectz, en l'an soixante ung, jusques à la fin du siège de la Rochelle, qui estoient douze ans d'ung continuel trouble, et d'ung merveilleux et bien fort dangereulx suspens de tout l'estat de vostre royaulme; et que j'avoys grand regret qu'il n'eust esté présent à ce récit, affin de ne demeurer moins bien édiffié des actions de Voz Majestez Très Chrestiennes et de toutz ceulx de vostre couronne, qu'avoient faict ceulx des aultres du conseil qui l'avoient ouy; et que je m'assuroys qu'il eût, avec eulx, facillement déposé ces escrupulles, qu'ilz en avoient auparavant conceu, et sur lesquelz ilz avoient, depuis quinze moys, tenu tousjours accroché le bon propos de Monseigneur le Duc, pour, dorsenavant, le laisser parvenir à quelque bonne conclusion, sellon que je sçavois bien qu'entre toutz les dicts du conseil il avoit tousjours, plus fermement que nul aultre, opiné pour cest honnorable party. Il m'a respondu, Sire, que, de très bon cueur, il eût veu Mr le mareschal, et eût fort volontiers ouy de luy la justiffication de Vostre Majesté sur les choses de Paris, et n'en eût resté moins bien persuadé, ny moins satisfaict, qu'avoient faict ceulx qui estoient présentz; et que, touchant le propos de Monseigneur, il confessoit de l'avoyr tousjours plus vifvement conseillé que nul aultre de ce royaulme; et qu'à la vérité les évènementz de France luy avoient bien faict suspendre, mais non jamays changer d'advis, ainsy que la Royne mesmes le sçavoit très bien; et qu'il avoit très grand plésir que ces nuées fussent ung peu haulcées, néantmoins aulcuns jugeoient que les plus grandes difficultez venoient maintenant de nostre costé. A quoy luy ayant soubdein réplicqué que je luy voulois respondre, sur le péril de ma vye, qu'il n'y en avoit nulle; il a suivy à dire que je ne sçavoys tout, ny ma vye ne pourroit respondre de tout, et que le temps mèneroit bientost cella à lumyère; dont, si les empeschementz cessoient, il conseilleroit aussy le mesmes, qu'il avoit tousjours faict, à sa Mestresse, d'accepter cest honnorable party du frère de Vostre Majesté: et c'est la substance de tout ce que j'ay peu tirer de luy.
Puis, au sortir de table, milord trézorier s'est retiré, à part, avecques moy, pour me demander des nouvelles de France et de ces divers bruictz qu'on en faysoit courir par deçà, et si le Roy de Pouloigne, vostre frère, entreprendroit son voyage avant le primptemps. A quoy luy ayant très bien satisfaict, jouxte la dépesche de Vostre Majesté, du XVIIIe du passé, je l'ay, de propos en propos, tiré à parler des choses d'Allemaigne, parce que j'avoys sceu que Me Estrange estoit arryvé le jour précédant. Et il m'a confessé que la Royne, sa Mestresse, avoit eu des nouvelles bien fresches de l'Empereur, lequel se monstroit tousjours fort bien incliné vers elle, et que une des choses, à quoy il avoit prins le plus de plaisir, de toutes celles que celluy, qui venoit de dellà, avoit récitées, estoit que, des mesmes domesticques de ce prince, dont il y en avoit de catholicques et de protestantz, les ungs et les aultres convenoient très bien à l'accompaigner à la messe, et ceulx qui estoient de sa religion demeuroient avecques luy, et les aultres alloient au presche et à l'exercice de la religion protestante; et néantmoins tous concouroient fort paysiblement ensemble à son service, qui estoit ung exemple par lequel ce premier prince des Chrestiens monstroit, en embrassant les Catholicques, de n'estre poinct persécuteur des Protestantz, et de tollérer l'exercisse des deux religions en son estat.
A quoy je luy ay respondu que l'Empereur servoit au temps; et qu'il avoit cy devant assez monstré de quel esprit il estoit meu en cest endroict, et que, quand à la France, je le priois de croyre fermement que ce que Mr le mareschal de Retz luy avoit dict, de vostre dellibération là dessus, se trouvoit très ferme et très véritable, sellon que je luy en pouvois fère voyr une fort expresse confirmation par la dernière dépesche de Vostre Majesté. Et soubdain, je luy ay monstré l'article qui parloit fort dignement et en termes fort propres de ce poinct, lequel il a eu fort à gré de le voyr; et n'ay, pour ce regard, passé à rien davantage, comprenant en moy mesmes assez bien à quoy vouloit tendre tout ce qu'il me disoit, mais, après l'avoyr remercyé de la dilligence, dont je m'assurois qu'il avoit uzé à former l'intention de Me Randolphe, premier que de le dépescher en France, et de ce qu'il l'avoit faict venir conférer avecques moy, je luy ay particullarizé, Sire, les mesmes propos que je vous ay desjà escript que le dict Me Randolphe m'avoit tenus; et, nomméement, ceulx de ces nouvelles difficultez qu'il m'avoit alléguées, oultre celle pour laquelle il estoit maintenant envoyé; et que, si cella venoit de plus haut que de luy, je pryois le dict milord de considérer, combien, entre grandz princes, et sur ung affère si royal et si privilégié comme estoit cestuy cy, toute ceste façon de deffettes convenoit mal à la grande sincérité, dont Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monseigneur, avoient uzé en leur honnorable pourchas; et que ce n'estoit propos que je vous peusse ny celler, ny dissimuler.
A quoy il m'a respondu qu'il ne sçavoit sur quelle occasion Me Randolphe estoit venu si avant avecques moy, et néantmoins que c'estoient les mesmes difficultez qui avoient esté desjà assez souvent déduictes, et qu'il n'y pouvoit avoyr rien de mal qu'il me les eût de rechef renouvellées, néantmoins qu'il me pouvoit dire en vérité que, à présent, il ne voyoit, quand à luy, qu'il y eût aulcune aultre difficulté que celle de la personne de Monseigneur pour le contantement de sa Mestresse; et qu'il estoit bien ayse de m'ouyr parler si confidemment, comme je faysois, de luy et de sa belle disposition, et de ce qu'il sembloit que j'eusse, soubz mein, faict toucher à la dicte Dame que la Royne, vostre mère, m'en avoit de nouveau escript aulcunes particullaritez qui l'avoient fort contantée; et qu'il estoit bien d'advis que je conférasse de ces propos de Me Randolphe avec le comte de Lestre, comme, Sire, je suis après à le fère, le plus tost que je pourray. Et cepandant le dict comte m'a mandé qu'il avoit conjuré le dict Me Randolphe de se déporter bien et sagement en ceste commission, et de se donner bien garde que, par luy, le propos ne vînt en pires termes qu'il n'estoit à présent; car, par cy après, l'on luy feroit plus parfaictement cognoistre, qu'on ne faisoit maintenant, combien ce mariage estoit nécessayre.
Et ainsy, Sire, comme je n'ay pas cogneu, pour ce coup, rien de contrayre à ce propos, par ces troys personnages, aussy n'ay je rien ouy d'eux, où je puisse mettre plus de fondement que devant; mais je mettray peyne de les approfondir tousjours davantage, affin que, d'heure en heure, je vous puisse donner plus de lumyère de leur intention.
Cependant, Sire, l'on me veult faire accroyre que les deux chasteaulx, de Humes et de Fastcastel, en Escosse, ont esté remis ez meins des Escossoys; dont, pour en sçavoyr mieulx la vérité, et pour entendre de l'estat du reste du pays, duquel l'on m'a dict que les choses sont fort près de retourner à quelque altération, à cause que le comte de Morthon n'a voulu rendre les sceaulx et estat de chancellier au comte de Honteley, ains l'a baillé à ung aultre jeune milord son parant, j'ay dépesché, par mer, ung homme exprès par dellà, et ay escript à quatre seigneurs du pays, desquelz j'espère que j'auray bientost leur responce. Et sur ce, etc. Ce VIe jour de novembre 1573.
CCCLe DÉPESCHE
—du XIe jour de novembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Charles de Bouloigne.)
Conférence particulière de l'ambassadeur avec Leicester sur la négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, pour le desir que j'ay eu de parler au comte de Lestre, sur l'occasion que j'ay desjà escripte à Vostre Majesté, je l'ay envoyé prier de me donner la commodicté que je le peusse aller entretenir ugne heure en son logis, et il m'a uzé ceste courtoysie de me venir trouver fort privéement au mien; où, après que je luy ay eu donné compte des nouvelles de France, et de la ferme dellibération que Vostre Majesté a de fère observer l'édict de la paix, et comme toutz ces faulx bruictz, qui avoient couru, icy, qu'on eût maltraicté ceulx de la nouvelle religion, depuis la réduction de la Rochelle et de Sanserre, estoient faulx; et que je le pryois de garder la mémoyre de ce que Mr le mareschal de Retz luy avoit dict de vostre bonne intention à la paix et au repos de la Chrestienté, et de celle de Monseigneur à l'observance des loix et ordres de ce royaulme; et qu'il ne se trouveroit, pour chose qui peût jamays advenir, qu'il y eût manquement ez parolles et promesses de Vostre Majesté; et luy ayant, au reste, satisfaict à des particullarités, qu'il m'a demandées, du voyage du Roy de Pouloigne, vostre frère, je l'ay infinyement remercyé de trois bons offices que je sçavois qu'il avoit faictz: l'ung, d'avoyr confirmé, plus que nul aultre de ce royaulme, les remonstrances de Mr le mareschal de Retz touchant la justiffication de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et des vostres, sur les évènementz de St Barthèlemy, et avoyr osté, aultant qu'il a peu, à ceulx de ceste court et aulx principaulx de ce royaulme, la malle impression qu'ilz en avoient; le segond, de ce qu'il avoit instruict et bien informé Me Randolphe au faict de sa commission en France; et le troysiesme estoit d'aulcunes siennes, bonnes et favorables, démonstrations, vers la Royne d'Escosse; et qu'il s'assurât que, prenant ainsy à cueur, comme il faisoit, les choses qui concernoient, icy, Vostre Majesté, il fortiffieroit ung party, duquel, avec le bien et seureté de la Royne, sa Mestresse, et de ceste couronne, il s'acquerroit ung perpétuel refuge pour luy; oultre que, présentement, et à l'advenir, Vostre Majesté en auroit une non petite recognoissance. Et me suis de tant plus efforcé, Sire, de luy rallumer l'affection que, de longtemps, luy et les siens ont eu à la France, que je sçavoys qu'il estoit bien fort praticqué et très instamment sollicité d'ailleurs, et que l'homme, retourné d'Allemaigne, et ung adjoinct, qu'il a prins en Flandres, estoient ordinayrement après luy. Et puis je luy ay touché ces difficultez que Me Randolphe m'avoit déduictes, et comme j'avoys trouvé bon d'en conférer avecques luy, premier que de les escripre, affin que je ne les fisse prendre en plus de considération qu'il ne jugeroit que Vostre Majesté les deût avoyr. Et pense, Sire, n'avoyr rien obmis de ce qui a peu servir à bien fort encourager le dict comte vers la conclusion du bon propos, et à n'y admettre plus une seule sorte de longueur ny de remise.
Et il m'a respondu, Sire, qu'il avoit ung très grand plésir d'entendre que ces nouvelles, qu'on avoit publiées, d'ung renouvellement de trouble et d'ung maulvais traictement en France, contre ceulx de la nouvelle religion, fussent faulces; et remercyoit Dieu qu'il se cognût, de plus en plus, que la dellibération de Vostre Majesté estoit très ferme à l'observance de son édict; et que, de sa part, il avoit receues pour très justes et légitimes les occasions que Mr le mareschal avoit déduictes de l'accidant de Paris, et pour telles les avoit imprimées à toutz ceulx qu'il avoit peu; et qu'il me pouvoit assurer, Sire, qu'il vous avoit regaigné ung grand nombre des plus notables de ce royaulme, qui estoient fort alliennés de Vostre Majesté; qu'il voudroit, de bon cueur, que ces aultres nouvelles qu'on avoit semées de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, comme il estoit sorty de sa dernière maladye aussy jaulne que cuyvre, tout bouffy, deffiguré, bien fort petit et mince, fussent pareillement faulces; et qu'il me vouloit bien dire que j'avoys faict ung service fort à propos, et qui avoit esté fort agréable à sa Mestresse, d'avoyr si confidemment assuré, comme j'avoys faict, tout le contrayre; et que j'eusse monstré des lettres de la Royne, vostre mère, à cest effect, lesquelles se rapportoient à ce que le docteur Dail en avoit aussy escript, qui en parloit bien en la plus advantageuse façon qui se pouvoit dire; et que c'estoit quelqu'ung, qui avoit naguères veu Mon dict Seigneur, qui avoit semé ce meschant bruict. Dont, en l'assurance de ce que Mr le mareschal avoit dict, sur son honneur, que la personne de Monseigneur se trouveroit d'une parfaicte et belle disposition, pour debvoir playre à quelque princesse que fût au monde, il avoit bien voulu soigneusement advertyr le dict Me Randolphe qu'il n'eût à rapporter que la vraye vérité de ce qu'il verroit; ce qu'il pensoit qu'il le feroit sans doubte, bien qu'à dire vray il eût desiré qu'ung mieulx incliné, que luy, eût faict le voyage; et que, pour le regard des difficultez qu'il m'avoit alléguées, que je creuse qu'elles procédoient de sa passion, et non qu'il les eût ouyes de Sa Majesté, icy, ny d'eulx de son conseil, ny d'aulcun des grandz, ny encores du commun de ce royaulme; car toutz universellement desiroient le mariage de leur princesse. Bien failloit que je me recordasse comme l'on avoit advisé de réserver toujours quelque difficulté, affin qu'on n'eût à toucher à celles de la personne, au cas que le mariage ne vînt à effect, mais il me promectoit, devant Dieu, qu'à présent il n'en sçavoit nulle aultre que celle là seule, et qu'il trouvoit que la dicte Dame estoit, plus qu'elle ne fut oncques, bien disposée à ce propos. Et me vouloit advertyr, en secret, que Me Randolphe, au prendre congé d'elle, luy avoit demandé s'il n'uzeroit pas de quelques termes froidz, en France, pour elloigner le dict propos, au cas qu'il trouvât que Mon dict Seigneur le Duc ne fût pour luy complayre; et qu'elle luy avoit respondu qu'elle l'avoit choysy comme son œil, en ceste commission, et qu'elle luy enchargoit, sur sa loyaulté, de luy rapporter le plus fidelle et certein pourtraict de Monseigneur qu'il luy seroit possible, et qu'il se gardât bien de dire ou fère chose, par où l'on peût arguer qu'elle voulût réfroidir ou elloigner le dict propos; et que le dict sieur comte, pour son regard, engagoit à Dieu et à Vostre Majesté sa foy et son honneur qu'il s'efforceroit, de tout son pouvoir, de conduyre cest affère au bon effect que desiriez, sellon qu'il cognoissoit que c'estoit le bien et conservation de sa Mestresse, et le repos de son royaulme; et que si, d'avanture, il ne le pouvoit fère, il supplyoit très humblement Vostre Majesté de croyre qu'il n'auroit tenu à luy, ny à nul office et bon debvoir, qu'il y auroit peu fère; et qu'en toutes sortes il avoit à rester le plus parcial françoys qui fût en ce royaulme. Et a confirmé cella, Sire, par le récit d'aulcuns aultres privés accidentz; desquelz, parce que je les sçay estre vrays, les ayant cy devant bien advérez, et que la façon du dict sieur comte a esté toujours de se monstrer froid, quand il a senty que l'affère alloit froydement, et chault quand il l'a veu aller bien, je prens opinyon qu'il m'a parlé ceste foys d'ung cueur fort ouvert, et bien fort déterminé à la conclusion du dict affère.
Dont j'ay employé les meilleurs et les plus exprès termes, que j'ay peu, pour luy gratiffier bien fort sa bonne volonté; et l'ay assuré que, sur la confience de ce qu'il me venoit de dire, et de promettre, et, nonobstant les rescentes difficultez de Me Randolphe, je persuaderoys, aultant qu'il me seroit possible, Voz Majestez Très Chrestiennes de continuer vostre poursuyte, sellon l'honnorable façon qu'aviez commancé. Or, Sire, j'ay apprins d'ailleurs, et de fort bon lieu, que certeynement l'Empereur a escript, par Me Estrange, à ceste princesse, pour le mariage d'elle avec le prince Ernest, son segond filz; et que le duc d'Alve y a adjouxté une sienne lettre à la dicte Dame, et d'aultres lettres à aulcuns seigneurs de ce conseil, par où il inciste bien fort qu'on ne se haste de conclurre le party de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, sans avoyr sceu qu'est ce qu'on veut proposer pour l'aultre; et que, du premier jour, s'il plaist à la dicte Dame, elle aura des ambassadeurs, de bien bonne qualité, vers elle, pour cest effect, qui luy feront cognoistre que le dict prince Ernest, sans comparaison, luy est, en toutes sortes, plus advantageus et sortable mary, que Mon dict Seigneur vostre frère. Sur ce, etc.
Ce XIe jour de novembre 1573.
CCCLIe DÉPESCHE
—du XVIIIe jour de novembre 1573.—
(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Audience.—Maladie du roi.—Voyage du roi de Pologne.—Détails sur la mission de Me Randolf.—Nouvelles d'Écosse.—Maladie grave du prince d'Écosse, bruit de sa mort.—Crainte que les Anglais ne veuillent faire périr, par le poison, Marie Stuart et son fils.
Au Roy.
Sire, au retour du Sr de Vassal, je suis allé trouver la Royne d'Angleterre, à Grenvich, pour luy compter des nouvelles de Vostre Majesté, luy dire l'accidant qui vous estoit survenue de la petite vérolle, bien que l'eussiés eu une aultre foys, et que, pour cella, vous n'aviez point senty d'accès de fiebvre, et mesmes estiés desjà, grâces à Dieu, si advancé de guérir que vous espériez de n'avoyr à discontinuer vostre chemin de Metz, pour tousjours convoyer le Roy de Pouloigne, vostre frère, jusques à la frontyère.
Et là dessus, Sire, et sur la résolution, que le Roy de Pouloigne a faicte, de partir en ce grand cueur d'hyver, et sur ce que l'Empereur et les Estatz et princes de l'Empire vous ont, par décret général, et encores ung chacun, à part, envoyé offrir aultant de seureté pour son passage comme vous en avez desiré, et plus encores et avec plus de faveur que ne le leur avez demandé, je l'ay longuement entretenue. Puis, suis venu à luy parler du faict de Monseigneur le Duc, vostre frère, et, après, des aultres poinctz, qui estoient amplement desduictz, et par ung bon ordre, en vostre lettre du premier de ce moys, de sorte qu'il ne luy en a esté rien obmis, ny mesmes de la satisfère de plusieurs aultres particullaritez de Voz trois Majestez Très Chrestiennes, et du Roy de Pouloigne, et de Monseigneur vostre frère, et encores des choses de vostre royaulme, sellon qu'elle m'en a interrogé, et sellon que je luy en ay peu donner compte par le rapport du dict Sr de Vassal.
Elle m'a respondu, en premier lieu, qu'elle ne prenoit pour petite grâce de Dieu qu'elle n'eût sceu vostre mal, sinon après qu'il estoit desjà passé, ny à peu de faveur, de Vostre Majesté, que luy eussiez ainsy particullièrement faict entendre quel il estoit, et comme il vous estoit venu, car l'ung luy avoit espargné ung grand ennuy, et l'aultre luy tesmoignoit une vostre fort singullière bienvueillance, dont en vouloit à Dieu rendre sa louenge, et ung fort exprès grand mercys à Vostre Majesté; et qu'elle vous prioit de croyre qu'elle ne se santiroit jamays moins esmue à plésir pour vostre prospérité, ny à moins de déplaysir pour vostre mal, que si elle vous estoit germayne et vrayement naturelle seur; que c'estoit une maladye qui trompoit souvent le monde, car pensantz d'en estre quictes, pour l'avoyr eue une foys, ilz ne se donnoient de garde qu'elle les reprenoit encores deux et troys foys, quand ilz s'eschauffoient trop, ou pour une trop soubdeinne mutation de froid et de chault, et qu'elle mesmes l'avoit eue deux foys, et desiroit, de bon cueur, que vous en sortissiés aussy quicte comme elle avoit faict, car ne luy avoit layssé ung seul vestige au visage; et que, de ceste espèce de mal, revenoit ordinayrement ce bien, qu'il apportoit une grande purgation et ung grand advancement de santé à ceulx qui l'avoient; qu'elle estimoit que les mèdecins ne vous permettroient, de beaucoup de jours, de sortir de la chambre, parce que l'air froid vous seroit fort dangereulx; dont, à son advis, laysseriés au Roy de Pouloigne, vostre frère, de continuer seul son voyage, sans l'accompaigner plus avant, ou bien luy mesmes, pour attendre vostre parfaicte guérison, et pour laysser passer ce grand yver, diffèreroit son partement jusques à l'entrée du primptemps, bien que, ny le froid ny la longueur du chemin luy pourroient sembler griefz, allant prendre possession d'ung si grand royaulme, et qui luy estoit si heureusement advenu; qu'elle se resjouissoit de l'honneste debvoir, dont l'Empereur et les princes d'Allemaigne uzoient pour la seureté de son passage, et qu'en cella ilz simbolisoient toutz avec elle; que, pour le regard du propos de Monseigneur le Duc, elle voyoit bien qu'elle entroit, de jour en jour, en plus d'obligation vers Voz Majestez Très Chrestiennes, et vers luy, pour vostre persévérance vers elle, et qu'elle avoit envoyé Me Randolphe en France pour satisfère à toutz les poinctz qui avoient esté arrestez entre elle et Mr le mareschal de Retz; dont falloit attendre son retour, pour ne rien changer de ce bon ordre, et que, ny en la commission qu'elle luy avoit donnée par dellà, ny en chose qui peût ensuyvre après, Vostre Majesté ne trouveroit qu'elle uzât d'ung seul trêt de longueur ny de simulation. Et s'est eslargie en plusieurs propos, là dessus, pour protester de sa sincérité en cest endroict, et de vouloir bien pourvoir que, venant Mon dict Seigneur vostre frère par deçà, il n'y puisse voyr, ny ouyr, chose qui ne luy soit de satisfaction.
Puis, s'estant enquise de l'occasion du retour de la Royne, vostre mère, et du Roy de Pouloigne, à Paris, et du renforcement des garnisons qu'avez faictes venir en Picardye, desquelles a monstré qu'on les luy faisoit avoyr suspectes; et m'ayant demandé des choses de Languedoc et Daulfiné, je luy ay respondu à tout, en la façon que je le pouvois sçavoir. Et, après cella, luy ayant faict voyr la lettre que Monseigneur, vostre frère, m'escripvoit, du dict premier de ce moys, avec quelques honnestes propos de sa dévotieuse affection vers elle, lesquelz elle a monstré d'avoyr bien fort agréables, je me suis licencié d'elle.
Et me suis arresté encores, envyron demye heure, vers les seigneurs de son conseil, pour leur parler des mesmes choses que j'avoys faict à leur Mestresse; qui m'ont monstré, et espéciallement le grand trézorier et le comte de Lestre, qu'ilz demeuroient très affectionnés au bon propos de Monseigneur le Duc.
Au surplus, Sire, entendant que, coup sur coup, estoient arrivés deux courriers d'Escoce, dont le premier apportoit nouvelles comme le petit Prince du pays estoit si extrêmement mallade qu'on espéroit peu de sa vye, et ne se publioit rien de la dépesche du segond, j'ay eu souspeçon qu'elle estoit faicte sur l'accidant de la mort; dont ay soubdein envoyé, de plusieurs costés, pour en apprendre la vérité, mais j'ay esté trois jours entiers sans qu'on m'en ayt rapporté que des conjectures semblables aulx miennes. Et, le quatriesme, envyron les dix heures de nuict, d'ung bon et notable lieu de ce royaulme, il m'a esté envoyé ung personnage de qualité pour me dire que, faulx ou vray que fût le bruict de la mort du dict Prince, je tînse pour chose certeyne qu'il se menoit, d'icy, une chaulde et très malheureuse praticque de le fère mourir, et qu'on s'en deschargoit à moy, comme ambassadeur de Vostre Majesté, pour y mettre le meilleur remède que je pourrois. Et, peu de jours auparavant, la Royne d'Escoce avoit trouvé moyen de m'advertyr, le plus secrettement qu'elle avoit peu, qu'on insidioit aussy à sa vye, et qu'elle me prioit de luy envoyer tout incontinent de bon mitridat et aultres préservatifz. Sur quoy, Sire, j'ay mis peyne de pourvoir, le plus promptement que j'ay peu, au besoing de la mère; et, quand au danger du filz, j'en ay mandé l'advertissement à Me Asquin par ung escousoys qui semble estre assez fidelle. Et depuis, j'ay seu, par advertissement de Lillebourg du VIe du présent, que le petit Prince se porte mieulx, et que le comte de Morthon s'efforce de persuader aulx seigneurs du pays qu'ils veuillent venir passer leur yver au dict Lillebourg, et qu'il dellibère d'aller, bientost après, vers le Nort, pour y réduyre le pays à son obéyssance; et que milord de Glames a esté faict chancellier du royaulme, et que milord de Humes traicte de rentrer dans ses deux chasteaulx, que les Angloys ont indubitablement rendus; ce qu'il espère d'obtenir, moyennant vingt quatre mille livres qu'il baillera au dict de Morthon; et que Melvin a été mis en liberté. Et j'entendz que le dict Morthon veult fère offrir à l'évesque de Roz de le remettre en toutz ses biens, pourveu qu'il quicte le party de sa Mestresse, ce que je ne puis croyre qu'il puisse jamays consentir. Icelluy de Roz a si bien sollicité, de son costé, et je luy ay tant assisté, de la faveur de Vostre Majesté, que sa liberté luy a esté enfin accordée, pour se retirer en France. Et sur ce, etc.
Ce XVIIIe jour de novembre 1573.
CCCLIIe DÉPESCHE
—du XXIIIe jour de novembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Suspension de la négociation du mariage jusqu'au retour de Me Randolf.—Affaires d'Écosse.—Délibérations sur le parti qu'il y aurait à prendre, en cas de mort du prince d'Écosse.—Nécessité d'envoyer de France un ambassadeur dans ce pays.—Sollicitations faites auprès de l'ambassadeur par l'agent de la Rochelle.
Au Roy.
Sire, par les deux dernières responces, que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de ce conseil m'ont faictes, desquelles j'ay faict ample mencion à Vostre Majesté, le XVIIIe de ce moys, ilz m'ont bien faict cognoistre que leur résolution estoit de ne passer nullement oultre, en chose qui fût du propos du mariage, que Me Randolphe ne fût de retour; dont j'ay toujours esté, depuis, et seray encores, jusques à ce qu'il viegne, sans leur en toucher rien davantage. Et vous diray, icy, Sire, que, sur la nouvelle qui courut, il y a quinze jours, que le Prince d'Escoce estoit mort, ceulx icy prévoyantz que, d'ung tel accidant, se renouvelleroient de plus grandz troubles que jamays au dict pays, à cause de la compétence que les Amelthons et les Stuardz se font, les ungs aulx autres, sur la succession de la couronne, ilz s'assemblèrent en conseil pour ouvrir à leur mestresse des moyens et expédientz comme elle se pourroit entremettre bien avant en ce faict, sellon que, par quelque example, qu'ilz allèguent du passé, ilz veulent bien inférer que les roys d'Angleterre sont, encores aujourdhuy, au droict et possession de le pouvoir fère. Et y a danger, Sire, si le cas advenoit, qu'ilz se voulussent efforcer de fère tomber cest estat au jeune comte de Lenoz, oncle du dict petit Prince, au préjudice de la mère, qui est la vraye et naturelle princesse du pays. En quoy, pour l'importance que ce seroit à l'honneur et réputation de vostre couronne, qu'ung tel acte se passât, sans l'intervention du nom et de l'authorité de Vostre Majesté, j'estime, Sire, qu'il sera bon que faciez, de bonne heure, regarder en vostre conseil comme, en tout évènement, il auroit à y estre procédé de vostre part. Et tousjours semble il, Sire, qu'il est expédient qu'envoyez résider ung agent, ou ung ambassadeur, sur le lieu, sellon que je viens d'estre adverty que le Sr de Quillegreu s'appreste pour y aller, avec sa femme et toute sa famille, résider ambassadeur de la Royne d'Angleterre. Et croy qu'entre les occasions, pour lesquelles l'on haste sa dépesche, ceste cy, dont je viens de parler, est bien la principalle; mais aussy estimè je que son partement est aulcunement pressé pour aller pourvoyr au secours que le prince d'Orenge attend encores du dict pays, et pour y apporter de l'argent pour lever des gens de guerre, sellon que ung cappitayne escouçoys, qui se nomme Montgommery, lequel est, depuis huict jours, repassé icy de Ollande, de la part du dict prince, faict beaucoup de sollicitation et de dilligences pour luy en ceste court.
L'agent de la Rochelle se trouve maintenant fort empesché de satisfère à ce qu'il avoit emprunté, icy, pour ceulx de sa ville, et pour les frays qu'à sa requeste aulcuns angloys disent avoyr faictz pour les secourir, durant le siège, de sorte qu'il en a esté plusieurs jours en arrest; et, enfin, ayant remis l'affère en arbitrage, le vidame de Chartres et le Sr de Languillier ont faict quelque difficulté d'en vouloir estre arbitres, si je ne le consentoys, creignant que je le fisse trouver maulvais à Vostre Majesté. Dont le dict agent m'est venu prier de le trouver bon, comme chose qui estoit conforme à vostre édict de paciffication, et qu'il ne pensoit estre tenu, envers les Angloys, pour toutes choses, que à quatorze ou quinze mille escus, mais que, s'ilz en demeuroient seulz les juges, il sçavoit bien qu'ilz feroient monter les frays à des sommes fort excessives et extraordinayres. Je luy ay respondu que je desiroys, de bon cueur, que ceulx de sa ville n'eussent jamays occasion d'emprunter ainsy de l'argent des Angloys, et que les Angloys ne leur en voulussent jamays plus prester, et que j'avoys faict tout ce que javoys peu pour empescher qu'il ne trouvât ceste somme, ny encores de beaucoup plus grandes que je sçavoys bien qu'il s'estoit efforcé d'emprunter; mais que, depuis l'édict de paciffication, Vostre Majesté ne m'avoit rien commandé de tout cella; dont je n'y adjouxteroys aussy ny mon consentement ny ma contradiction, si Vostre Majesté ne le me commandoit de nouveau. Et ainsy, je ne m'en suys pas plus avant entremis, et il pourvoit maintenant à son affère, comme il peut. Ceulx cy ont eu opinyon que Vostre Majesté n'avoit faict venir les compagnies de gens de pied, en Picardye, que pour quelque grand effect. Ils ont eu, depuis peu de jours, nouvelles d'Irlande comme le comte d'Essex y a receu une estrette, et que les naturelz du pays l'ont mis en beaucoup de nécessités. Sur ce, etc. Ce XXIIIe jour de novembre 1573.
CCCLIIIe DÉPESCHE
—du dernier jour de novembre 1573.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Desir d'Élisabeth d'envoyer chercher des vins à Bordeaux.—Sollicitations faites auprès d'elle par le prince d'Orange.—Victoire remportée sur mer par les Gueux.
Au Roy.
Sire, ainsy que la Royne d'Angleterre estoit, mardy dernier, devisant avecques ses dames, en sa chambre privée, la gouvernante des filles devint soubdein mallade, et, à l'instant, mourut; de quoy s'estant la dicte Dame donnée peur, elle deslogea, dans une heure après, de Grenwich, avec bien peu de compagnye, et s'en vint en ceste ville de Londres, où elle est encores; et semble qu'elle y séjournera jusques à tant que Me Randolphe reviegne; duquel elle commence de s'esbahyr comme il tarde tant en son voyage, ou aulmoins que l'ambassadeur, et luy, ne luy font cepandant quelque dépesche, mais désormays elle a bien opinyon que ce sera luy, le premier, qui luy apportera des nouvelles: et jusques allors, Sire, il ne peult estre rien touché au propos, pour lequel il est passé par dellà. La dicte Dame m'a faict escripre, par Me Smith, qu'affin que, dorsenavant, elle puisse estre mieulx servie de vin de sa bouche, et pour sa mayson, qu'elle ne l'a esté, ces années passées, et aussy, pour soulager ses marchandz, elle dellibéroit de reprendre l'ordre que le feu Roy, son père, et ses prédécesseurs avoient accoustumé de tenir, c'est d'envoyer elle mesmes, de ses propres deniers, fère sa provision de vin à Bourdeaulx; dont elle me prioit de vouloyr bailler mon passeport à deux gentilshommes, officiers et serviteurs de sa maison, lesquels, à cest effect, elle y dépeschoit présentement par terre; et pareillement mes lettres au gouverneur, et à ceulx qui sont officiers pour Vostre Majesté à Bourdeaulx, pour les y fère bien recepvoyr, et pour y fère bien recepvoir aussy les navyres qu'elle y envoyera, qui auront les merques et enseignes d'Angleterre; affin que, tant à l'arryver, séjour, cargayson, que retour; ilz y puissent jouyr les anciennes libertés et privilèges accoustumés. Ce que ne luy ayant refuzé, j'ay, d'abondant, mandé au dict Me Smith que, par mes premières, j'advertirois Vostre Majesté d'escripre promptement et favorablement au dict Bourdeaulx, en recommandation de cest affère pour la dicte Dame. De quoy, Sire, je vous en supplye très humblement.
Il semble qu'elle et ceulx de son conseil ayent quelque advertissement que le prince d'Orange commance d'estre abandonné de ses gens, de quoy ilz sont en bien fort grand peyne. Et ne sçay si le cappitayne Montgommery, escouçoys, qui est encores icy à solliciter les affères du dict prince, impètrera maintenant rien de troys poinctz, que principallement il y est venu réquérir: l'ung est que les Angloys vueillent cesser de tout traffic avec ceulx qui tiennent le party du dict duc d'Alve, et que le dict prince puisse déclarer de bonne prinse les navires, desquelz les chartes parties monstreront qu'ilz alloient ailleurs que là où l'on luy obéyt, sinon qu'ilz eussent congé et saufconduict de luy; l'aultre, que la dicte Dame et ceulx de son conseil vueillent fère haster les deniers, qu'ilz luy ont promis de fournir, pour fère une nouvelle levée de troys mille hommes de pied, et mille de cheval, en Escoce, affin qu'il les puisse avoyr toutz prestz du premier jour; et le troysiesme, qu'elle et iceulx de son conseil vueillent escripre au comte de Morthon de mettre en mer ung nombre de navyres, équippés en guerre, pour favorizer les affères du dict prince. Dont j'entendz que, pour ce dernyer, icelluy prince a desjà faict passer vingt mille florins en Escoce, mais, parce qu'on va temporisant, à ceste heure, icy, la dépesche de Me Quillegreu pour le dict pays d'Escoce, cella me faict accroyre que ceulx cy ne veulent se haster de rien qu'ilz ne voyent comme les choses succèderont en Flandres; joinct qu'il semble bien que, peu à peu, ilz sont venus à ne se trouver moins empeschés des Pureteins en ce royaulme, que en France des Huguenotz, et en Flandres des Gueulx; dont, vendredy dernier, s'est tenue une assemblée, en ceste ville, pour adviser des moyens expédientz comme les pouvoir contenir et réprimer. Et sur ce, etc.
Ce XXXe jour de novembre 1573.
Depuis ce dessus escript, est arrivé ung homme, qui dict venir de Fleximgues, lequel rapporte qu'il y avoit nouvelles comme les vaysseaulx du prince d'Orange avoient combatu la flotte, que le duc d'Alve envoyoit pour avitailler Middelbourg, et qu'ilz avoient eu du meilleur, et avoient prins vingt des meilleurs navyres de la dicte flote; ce que, si ainsy est, ne fault doubter que le dict prince n'impètre plus facillement les choses qu'il poursuivoit, icy, qu'il n'eût faict auparavant.
CCCLIVe DÉPESCHE
—du Ve jour de décembre 1573.—
(Envoyée jusques à Calais par Nicolas de Malehape.)
Audience.—Convalescence du roi.—Détails sur les adieux du roi et du roi de Pologne.—État de la négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, j'ay, avec très grand plaisir, donné assurance à la Royne d'Angleterre, par vostre lettre du XIe du passé, que Vostre Majesté se portoit mieulx, et que desjà, grâces à Dieu, vous estiez quasy hors de vostre maladye, de quoy elle a faict une non petite démonstration d'estre infinyement bien ayse de ceste bonne nouvelle. Et soubdein, sans me laysser continuer davantage mon propos, m'a pryé de vous escripre que le bruict de vostre mal avoit couru plus grand jusques icy, et en nom, et qualité de plus dangereulx pour vostre personne, que je ne le luy avois premièrement dict, et qu'elle y avoit participé avec très grande douleur comme à ung accidant qu'elle estimeroit des plus malheureux qui luy peût advenir au monde; et que Dieu, qui voyoit son cueur, sçavoit qu'elle avoit pryé pour vostre convalescence, et que véritablement elle avoit pryé, et ne cesseroit de prier, avec le plus de dévotion qu'elle pourroit, pour icelle, jusques à ce qu'elle en eût plus de confirmation: car, à cause que Me Randolphe avoit escript qu'il vous avoit veu encores bien fort foyble, elle ne pouvoit que n'en fût beaucoup en peyne.
De quoy je luy ay, de vostre part, Sire, gratiffié très grandement, et en la plus expresse façon que j'ay peu, ceste sienne bonne volonté. Et ay suivy à luy dire que je ne pouvois que bien espérer, et fère bien espérer à elle de vostre santé, parce que voz lettres m'en donnoient toute asseurance, bien que, à vray dire, elles me fesoient quelque mencion comme vous estiés encores ung peu foible, mais que c'estoit sans fiebvre, ny altération quelquonque; et néantmoins que, pour ne vous commettre si tost au vent et au froid, vous aviés esté contreinct vous despartir, plus tost que n'esperiés, du Roy de Pouloigne, vostre frère, et de laysser à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, vostre frère, et à la Royne de Navarre, d'accomplyr pour vous la dellibération qu'aviés faicte de l'aller convoyer jusques à la frontyère. Et me suis ung peu eslargy à luy racompter le congé qu'il a prins, et le poinct de l'adieu qu'avés dict à l'ung et à l'aultre, sellon la vifve expression que Mr Pinart m'en a faicte; qui, du profond regret et des larmes abondantes de Vostre Majesté, et de celles qu'il a veu jetter à ceulx qui estoient présentz, il a facillement provoqué non seulement les miennes, mais assez esmeu ceste princesse, en les oyant réciter.
Laquelle a dict que cella monstroit combien toutz deux aviez le naturel bon et humein, et combien vostre norriture se manifestoit d'avoyr esté tousjours très louable et vertueuse; et qu'en son advis il ne s'estoit veu, de longtemps, en la Chrestienté, ung dire adieu plus royal et plus dolent, tout ensemble, ny qui plus eût layssé de regret à ceulx qui se despartoient; et néantmoins l'occasion estoit très honnorable et desirable au Roy de Pouloigne de s'en aller, et non moins honnorable à Vostre Majesté et à la Royne, sa mère, de le luy permettre; dont elle prioit Dieu qu'il peût rencontrer tant de bonnes fortunes par dellà, et Voz Majestez en ouyr bientost de si bonnes nouvelles, que toutz les regretz qu'il emportoit, et ceulx qu'il layssoit, en peussent estre oubliés. Puis, a suivy à dire que Me Randolphe, par ses lettres, s'efforçoit bien fort de s'excuser de ce qu'il n'estoit arryvé assez à temps, à Vitry, pour vous y trouver toutz quatre ensemble; néantmoins que Vostre Majesté l'avoit fort favorablement receu, et luy avoit mis à option d'aller suivre la Royne et Monseigneur le Duc à Metz, ou bien d'attandre leur retour, et qu'elle ne sçavoit lequel des deux il auroit faict; et qu'il n'avoit encores escript ung seul mot touchant le faict de sa principalle charge, où il y eût rien de substance, seulement qu'il creignoit de perdre la meilleure adresse qu'il eût en vostre court, si Mr le mareschal de Retz faisoit le voyage de Pouloigne, comme il s'apprestoit d'y aller. Et m'a la dicte Dame fort volontiers entretenu, plus d'une heure, en divers aultres propos de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de voz deux frères, et de se vouloyr, de plus en plus, confirmer en vostre amityé; et que, quoy qu'il adviegne du propos, dont vous la recherchiez, que vous la trouveriez, et toutz les vostres, très persévérante en l'amityé qu'elle vous avoit promise, et qu'elle la continueroit vers le Roy, vostre frère, plus parfaictement que ne l'avoit oncques eue, ny ses prédécesseurs aussy, avec nul aultre roy de Pouloigne.
De quoy l'ayant bien fort remercyée, j'ay faict venir à propos de luy monstrer aulcuns poinctz des lettres, que toutz quatre m'aviez escriptes pour luy tesmoigner de mesmes vostre persévérance vers elle, et comme vous entendiés de procéder tousjours très sincèrement à vouloir qu'elle vît fort clèrement de vostre costé, et qu'elle fût entièrement satisfaicte de tout ce qu'elle desiroit de dellà; et que, s'il y restoit quelque chose à accomplyr, oultre le poinct qui estoit commis au dict Me Randolphe, que Vostre Majesté me commandoit de l'entendre d'elle et de ceulx de son conseil, affin qu'y peussiez pourvoyr avant son retour, comme aussy vous la pryez bien fort que, vous estant condescendu à toutz les poinctz qu'elle avoit desiré pour son advantage, elle ne voulût laysser plus aller vostre honneste pourchas en longueur, ny remises.
Ce que, avec une fort agréable démonstration, elle m'a expressément promis qu'elle ne le feroit; et semble, Sire, que la disposition de ceste princesse ne sçauroit, à présent, estre meilleure qu'elle est vers la France. Il est vray qu'elle ne laysse d'estre instamment sollicitée, de l'autre costé, et luy a l'on faict tant de diverses remonstrances, sur l'arryvée du grand commandeur de Castille en Flandres, et sur la révocation que l'on estime qui s'ensuyvra bientost du duc d'Alve, et sur ce qu'il se continue que le Roy d'Espagne, avant peu de moys, pourra luy mesmes passer aulx Pays Bas, qu'elle a faict dépescher en Envers, le XXVIIe du passé, ung personnage d'assez bonne qualité, qui est mestre des marchandz de Londres, pour aller voyr comme les choses s'y passent. Sur ce, etc.
Ce Ve jour de décembre 1573.
CCCLVe DÉPESCHE
—du XIIe jour de décembre 1573.—
(Envoyée jusques à Calais par Odoard Paquentin.)
Satisfaction montrée par Élisabeth de la convalescence du roi.—Nouvelles d'Écosse.—Exécutions faites en Suède et en Danemark des écossais auxiliaires.—Convocation d'une assemblée à Londres pour prendre une résolution à l'égard des puritains.—Nouvelles des progrès faits en Languedoc par les protestans qui ont repris les armes.
Au Roy.
Sire, j'ay mis la Royne d'Angleterre hors du doubte, où elle monstroit d'estre, de vostre convalescence, l'ayant assurée, par vostre lettre du XXIIIIe du passé, que vous estiés desjà remis en chemin, et venu à Chalon, pour vous rapprocher en çà, avec pleyne guérison, et avec une aultant bonne disposition, grâces à Dieu, de vostre santé que vous l'eussiez eue de longtemps; de quoy elle a monstré de se resjouyr bien fort, et de bon cueur, et en a loué et remercyé Dieu, comme dellivrée d'un pesant soulcy, où la peur de vostre mal l'avoit cy devant détenue. Elle a eu playsir de sçavoyr que son ambassadeur et Me Randolphe fussent arrivés à Nancy, et qu'ilz y eussent encores trouvé la Royne, vostre mère, de séjour, pour les ouyr, et pour se pouvoir, eulx, satisfère de ce qu'ilz desiroient voyr de sa compagnye. Dont la dicte Dame se promect maintenant qu'icelluy Me Randolphe sera bientost, icy, de retour.
Le voyage de Me Quillegreu en Escoce est encores différé, et quasy ne s'en parle plus, parce que le Prince d'Escosse se porte bien; et le comte de Honteley ne monstre de prendre trop à cueur que milord Glames soit faict chancellier, ny n'apparoit qu'il y doibve pour cella avoyr d'altération au pays, s'y monstrant les choses assés tranquilles pour le présent. Il est vray qu'il est arrivé une malle fortune aulx Escouçoys, car aulcuns d'eulx qui alloient au service du roy de Dannemarc, ayantz, par temps contrayre, esté gettés en Suède, le roi de Suède les a faictz exécuter; et le roy de Dannemarc a faict le semblable de quelques aultres qui sont abordés en son pays, qui alloient servir le roi de Suède.
L'on n'a peu encores prendre assez bon expédient sur le faict des Pureteins, et de ceulx qui troublent l'ordre de la religion receue en ce royaulme, seulement l'on en a mis quelques ungs des plus opinyastres en prison; mais, au quinziesme de ce moys, se doibt fère, de rechef, une grande assemblée, en ceste ville, pour y mettre une résolution. L'on a nouvelles, en ceste ville, du costé de la Rochelle, comme la paix y continue fort bien, mais que, en Languedoc, ceulx de la nouvelle religion sont si fortz qu'ilz ont assiégé Avignon. Le comte de Montgommery, depuis trois jours, s'est approché à quatre lieues d'icy, en ung lieu, où ses filles et petitz enfantz sont nourris avec la vefve du feu conseiller Fumer. Je ne sçay s'il s'approchera davantage. Je ne cesse d'assurer ceulx de voz subjectz de la dicte nouvelle religyon, qui sont encores par deçà, que vostre dellibération est d'establir fermement la paix en vostre royaulme, et d'y remettre les choses en ung estat tranquille et heureulx, pour le repos d'ung chacun, ainsy qu'elles l'ont esté du temps de voz prédécesseurs; de quoy ilz monstrent d'en estre bien fort ayses et d'en avoyr grande espérance. Et sur ce, etc.
Ce XIIe jour de décembre 1573.
CCCLVIe DÉPESCHE
—du XVIIe jour de décembre 1573.—
(Envoyée jusques à la court par Urbein Fougerel.)
Audience.—Détails sur le voyage du roi de Pologne.—Mission de Me Randolf en France.—Négociation du mariage.—Soumission du comte de Montgommery.
Au Roy.
Sire, partant le postillon de Callays, d'icy, avec ma dépesche, du XIIe du présent, le courrier, qui m'a apporté celle de Vostre Majesté, du Ve, est arrivé; et, le deuxiesme jour après, je suis allé assurer, de rechef, la Royne d'Angleterre de vostre parfaicte et bien confirmée santé, et que vous la vouliés remercyer bien fort affectueusement du grand sentiment qu'elle avoit monstré avoyr de vostre mal. Et luy ay compté en quoy le Roy de Pouloigne estoit de son partement et voyage, et comme vous attandiez, de brief, le retour de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur, vostre frère, vers vous; et que son ambassadeur et Me Randolphe avoient layssé une grande satisfaction de beaucoup de choses, de la part d'elle, à Voz Majestez, comme vous pensiés aussy qu'il n'en rapportoit pas de moindres à elle de la vostre; et que le séjour de Nancy avoit esté prolongé, de deux jours entiers, pour l'amour d'eux, et pour leur donner moyen qu'ilz veissent et ouyssent ce qu'ilz desiroient de la compagnye; et qu'à présent, ayant bien accomply leur commission, ilz estoient de retour à Paris, d'où bientost le dict Me Randolphe arriveroit vers elle, avec de si certeynes et vrayes enseignes de ce, pourquoy il estoit allé par dellà, qu'elle ne pourroit jamays plus doubter qu'il y deffaillît une seule de toutes les meilleures parties et perfections, qui se pouvoient souhayter en ung très accomply et bien fort desirable subject. Et ay estendu ces poinctz, ainsy restreinctz, en d'aultres propos beaucoup plus amples, sellon que j'en ay trouvé l'instruction très bonne et prudente ez lettres de Voz Majestez, et en celle, que Mr le mareschal de Retz m'a escripte, du XXVe du passé.
A quoy la dicte Dame m'a respondu que nulle aultre nouvelle luy estoit plus agréable, aujourdhuy, au monde, que celle de vostre bon portement; et que, pour celuy là, n'espargneroit elle non plus ses meilleures et plus dévotes prières à Dieu qu'elle faysoit pour elle mesmes, comme chose, d'où elle vous supplioyt de croyre qu'il n'en venoit pas plus de soulagement à vous qu'elle en sentoit de repos en elle, et qu'elle vous supplioyt, Sire, d'avoyr vostre santé en singullière recommandation; que, pour le regard du Roy de Pouloigne, elle avoit grand plaisir qu'il trouvât maintenant, en Allemaigne, la faveur que l'Empereur et les Estats de l'Empire vous y avoient promise, pour la seureté de son passage; et que, sellon que toutes aultres choses luy avoient bien succédé jusques icy, elle jugeoit que son voyage seroit heureux, et que heureusement il seroit receu et estably en son royaulme; quand à Me Randolphe, qu'en une chose doncques se pourroit elle louer de luy, s'il avoit donné du contantement à Voz Très Chrestiennes Majestez, car c'estoit ce qu'elle luy avoit fort expressément commandé de fère, mais qu'en effect il ne s'estoit pas mis en beaucoup de debvoir de la contanter à elle, ayant tant faict le long, en chemin, qu'il n'avoit sceu arryver à Vitry, avant que la Royne, vostre mère, se départît de Vostre Majesté, et puis avoit failleu qu'il l'allât suyvre à Nancy, affin de publier davantage ce qui debvoit estre tenu secret, ny n'avoit, en deux moys qu'il avoit esté par dellà, jamays escript ung seul mot à elle, bien qu'il eût assez escript, à d'aultres de son conseil, tout ce qu'il luy avoit pleu; que, puisqu'il estoit si près d'arryver, qu'elle verroit ce qu'il apporteroit, et puis, elle et moy, en pourrions communicquer ensemble, et ne doubtoit nullement, veu les passées démonstrations, dont aviés tousjours uzé vers elle, qu'il ne luy apportât beaucoup de bonnes satisfactions de la part de Voz Majestez; que, pour le regard de Monseigneur le Duc, elle me vouloit bien renouveller ce que, d'aultrefoys, elle m'avoit dict, qu'elle n'estoit si curieuse de rechercher quelles perfections estoient en luy, bien qu'elle en fît quelque dilligence, comme elle creignoit qu'il trouvât trop d'ans, et trop d'aultres imperfections en elle; et qu'elle mettoit en grand compte qu'il couroit une très bonne réputation de sa vertu, et qu'il estoit de sang royal et d'une des plus illustres extractions de tout l'universel monde, car, avec ung, de telle qualité, avoit elle proposé de se maryer, si elle le debvoit jamays estre; et que le plus galant gentilhomme et le plus accomply, qui vive aujourdhuy entre les mortels, quand bien elle le pourroit avoyr, ne luy seroit jamays rien, s'il n'estoit de sang et mayson royalle. Et s'est mise à discourir, fort privéement et longuement, de toutz ces propos avecques moy, monstrant qu'après le retour du dict Randolphe, et, sellon les choses qu'elle entendroit de luy, elle se résouldroit de ce qu'elle debvroit fère en cest endroict.
Néantmoins, Sire, pour obvier à toute longueur, et de tant qu'il fault tousjours que tout le pourchas viegne du costé des hommes, il vous plerra me commander si je incisteray maintenant à requérir le saufconduict de Monseigneur le Duc, et que la dicte Dame vous vueille fère une ouverte déclaration de son intention vers luy; ou bien au cas qu'y voyez plus intervenir aucune difficulté, ou bien quelque nouvelle remise, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, prendrés cella pour ung advertissement de ne debvoir plus donner, à elle, l'ennuy, ny à vous, la honte de jamays plus en parler. J'ay desjà communicqué avec milord trézorier de la bonne expédition qu'avez donnée à Me Randolphe, et ay disposé luy, et les aultres, que je cognoys bien affectionnés à ce propos, à l'observer et le fère si bien observer, à son arrivée, que j'espère qu'il n'ozera parler sinon ainsy qu'il doibt, et sellon la vérité des choses qu'il a vues et ouyes, et de celles qu'il rapporte de dellà.
Le comte de Montgommery s'estant enfin approché en ceste ville, et, premier qu'il soit allé saluer ceste princesse, ny voyr pas ung des siens, il m'est venu trouver en mon logis; et, après s'estre fort curieusement enquis qu'est ce qu'il pouvoit espérer de vostre bonne grâce, et qu'il protestoit bien à Dieu de n'avoyr jamays eu aultre affection ny volonté que d'ung très loyal et fidelle subject vers le service de Vostre Majesté, il m'a allégué, pour la plus urgente occasion qui l'eût meu de prendre les armes en ces derniers troubles, et de n'avoyr voulu entendre à pas ung party qui luy eût esté offert pour son particullier, qu'il jugeoit bien ne luy pouvoir estre à honneur, ains qu'il luy fût tourné à estime du plus meschant homme, lasche et fally de cueur, qui fût au monde, s'il eût abandonné ceulx du party de sa religion, lorsqu'ilz se trouvoient les plus affligés et persécutés, et qu'ilz estoient poursuyvis et assiégés avec plus d'effort et de danger, et avec moins de secours qu'ilz eussent oncques eu; et que ce qu'il en avoit faict avoit esté seulement pour garantir soy et eulx, aultant qu'il pouvoit, jusques à ce qu'il eût pleu à Vostre Majesté prendre ung plus modéré expédient vers eulx; ce qu'estant depuis advenu, il me déclaroit qu'il vous vouloit entièrement rendre le debvoir d'obéyssance d'ung vray et naturel subject, et offrir sa vye et celle de ses enfantz, lesquelz, à cest effect, il m'avoit admenés, pour vostre service; et de desirer jouyr le bien et le béneffice de la paix, en vostre royaulme, soubz la protection et bonne grâce de Vostre Majesté. Je luy ay dict que j'avoys grand plaisir de le voyr en ceste bonne volonté, et que, si les choses estoient ainsy comme il disoit, qu'il n'eût attempté rien de plus extraordinayre contre la personne et l'estat de Vostre Majesté qu'avoient faict les aultres de sa religion, que je ne doubtois nullement qu'il ne peût jouyr, aussy bien qu'eulx, de la grâce et clémence de Vostre Majesté et du béneffice de vostre édict. Il m'a réplicqué qu'il vous supplyeroit doncques très humblement de luy en vouloir octroyer une déclaration particullière, sellon qu'il faysoit plus de besoing à luy qu'à ung aultre de l'avoyr; et m'en a baillé sa requête, laquelle je luy ay prié de la signer et de n'y mettre rien qui ne fût sellon l'édict; et luy ay promis de la vous fère tenir, et de luy en fère avoyr bientost la responce, comme je vous supplie très humblement, Sire, me la mander, et m'envoyer, par le premier, la provision et déclaration[24] qu'il vous plerra luy octroyer. Et sur ce, etc.
Ce XVIIe jour de décembre 1573.