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Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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The Project Gutenberg eBook of Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième

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Title: Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: September 6, 2012 [eBook #40695]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Robert Connal, Hélène de Mink, and the Online
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file was produced from images generously made available
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http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, TOME QUATRIÈME ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

L'abréviation lt signifie livres tournois.

CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,

PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

TOME QUATRIÈME.
ANNÉES 1571 ET 1572.

PARIS ET LONDRES.


1840.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1840.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Imprimé par BÉTHONE et PLON, à Paris.

AU TRÈS-HONORABLE
SIR ROBERT PEEL
BARONNET.
CE VOLUME LUI EST OFFERT
COMME
UN TÉMOIGNAGE DE RESPECT.
PAR
SON TRÈS-DÉVOUÉ ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR
CHARLES PURTON COOPER

DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON.

CLXIIe DÉPESCHE

—du premier jour de mars 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Projets des Espagnols sur l'Écosse et l'Irlande.—Commissaires désignés pour traiter de l'accord sur la restitution de Marie Stuart.—Tentative de l'ambassadeur pour ramener le comte de Morton à l'obéissance de la reine d'Écosse.

Au Roy.

Sire, il est venu à la Royne d'Angleterre ung adviz, de dellà la mer, comme maistre Prestal, l'un des fuytifz de son royaulme, ayant résidé deux ans aulx Pays Bas, a esté, au mois de novembre dernier, dépesché par le duc d'Alve en Escoce. Je croy, Sire, que c'est celluy troisiesme que je vous ay mandé, qui y avoit esté envoyé, et que icelluy Prestal, ayant heu privée conférance avec le duc de Chastellerault, et avec les comtes d'Arguil, d'Atil et aultres seigneurs de leur party, et permission d'eulx de voir et visiter les descentes et advenues du pays, il a raporté charge et instruction, de leur part, escripte de la main du secrétaire Ledinthon au dict duc, par laquelle il l'a fort instantment sollicité de leur envoyer promptement du secours; et que, oultre qu'il s'en ensuyvroit le restablissement de l'authorité de la Royne d'Escoce, il luy a baillé pour chose fort facille, de restituer la religion catholique au dict pays, et d'y establyr, ensemble en Yrlande, les choses à la dévotion du Roy son Maistre, et encores de pouvoir passer à d'aultres si grandz exploictz en Angleterre, qu'il luy seroit aysé d'avoir la rayson des prinses et d'aultres bien advantaigeuses condicions des Anglois, s'il les vouloit poursuyvre; chose qu'on a mandé à la dicte Dame que le dict duc avoit fort vollontiers escoutée, mais qu'il ne faisoit semblant de la vouloir encores entreprendre. Néantmoins cella est cause, Sire, dont elle haste les provisions du dict pays d'Yrlande, et que, possible, elle inclinera davantaige à passer oultre au tretté de la Royne d'Escoce. Icelluy Prestal a d'aultres fois tenu quelque lieu en ceste court, et meintenant il est entretenu par le dict duc, lequel aussi, à ce que j'entendz, donne entretennement aulx aultres principaulx fuytifz qui sont en Flandres. Au moins sçay je que le comte de Vuesmerland et la comtesse de Northomberland ont receu chacun, despuys naguières, deux mil escuz de luy. Les depputez, qu'il devoit envoyer par deçà, s'attandent icy, d'heure en heure, et semble qu'il prétend plus de tirer par leur moyen ce qu'il pourra des prinses que d'en cuyder avoir la rayson du tout ny la réparation des injures, mais qu'il le diffère à ung aultre temps, ne voulant, possible, que cella retarde meintenant son retour; lequel l'ambassadeur d'Espaigne dit l'accellérer bien fort, et qu'avant la my avril il partyra de Flandres pour se trouver en Itallye, au temps qu'on dellibèrera de la guerre de ceste année contre le Turq. Tant y a que ceulx cy monstrent de se vouloir bien esclarcyr de son intention, premier que de rien lascher.

Le comte de Morthon a esté receu et ouy avecques faveur de la Royne d'Angleterre, laquelle luy a, d'abondant, faict avoir fort privée communication avec les seigneurs de son conseil sur les inconvéniantz qu'il a allégué, si la Royne d'Escoce estoit restituée. A quoy toutesfoys se monstrant la dicte Dame toute résolue, et voulant néantmoins que ledict de Morthon et ceulx de son party ne s'en puissent pleindre, elle a ordonné six commissaires pour moyenner, entre luy et les depputez de la Royne d'Escoce, les condicions de l'accord; et à l'ocasion de quelque sienne souspeçon, elle a changé aulcuns de ceulx, qu'elle avoit premièrement nommez, mettant au lieu du marquis de Norampthon et du comte de Lestre, le milord Chamberlan et Quenolles, avec le Quiper, le comte de Sussex, Cecille et Milmay; de quoy ne nous trouvans, l'évesque de Roz ny moy, guières contantz, nous avons procuré que le dict de Lestre y ait esté remiz, lequel faict à ceste heure le viie.

Icelluy de Sussex m'a mandé que, puysqu'à vostre pourchaz, Sire, ceste restitution se debvoit faire, qu'il estoit raysonnable que Vostre Majesté respondît de l'observance du tretté par la Royne d'Escoce, et de prandre, au cas qu'elle n'y obéyst, le party de la Royne d'Angleterre pour l'y contraindre et vous déclairer en cella son ennemy. Je luy ay respondu que Vostre Majesté avoit desjà offert de respondre pour elle sur l'observance de toutes les honnestes et honorables condicions qu'on la restitueroit, et n'ay passé plus avant.

J'ay fait secrectement exorter, par le cappitaine Coberon, le susdict comte de Morthon de se vouloir réunyr avec les aultres seigneurs du pays, et de ne consentyr la délivrance du petit Prince aulx Angloix, et de se remettre à l'obéyssance de sa Mestresse, l'asseurant qu'elle luy tiendra droictement tout ce qu'elle luy promettra; et que Vostre Majesté luy en sera garant. A quoy il m'a faict respondre que, de se réunyr avec les aultres seigneurs, il ne s'en monstrera jamais esloigné, pourveu qu'ilz veuillent estre raysonnables de leur costé; que, de livrer leur petit Prince aulx Angloix, il est fermement résolu entre ceulx de son party de ne le consentyr jamais; au regard de recognoistre la Royne d'Escoce, qu'il failloit bien qu'il regardast de près à ce poinct, pour la seureté de ceulx qui l'avoient envoyé, et pour la sienne, qui, à la vérité, ne leur pourroit venir plus grande ny meilleure, ny d'où ilz se peussent toutz mieulx fier, que de la parolle et promesse de Vostre Majesté, et que pourtant il regarderoit comme il s'y debvroit conduyre. Néantmoins, Sire, il crainct tant la restitution de la dicte Dame, parce qu'il l'a fort offancée, qu'il s'esforcera, en tout ce qu'il luy sera possible, d'interrompre le tretté, au moins le mettre le plus à la longue qu'il pourra. Sur ce, etc.Ce 1er jour de mars 1571.

CLXIIIe DÉPESCHE

—du vie jour de mars 1571.—

(Envoyée jusques à la court par Joz.)

Négociation du traité concernant l'Écosse.—Articles relatifs à la remise du prince d'Écosse aux Anglais et à l'alliance entre l'Angleterre et l'Écosse.—Tentatives faites par le comte Bodouel en Danemarck.—Affaires d'Irlande.—Lettre secrète à la reine-mère sur la négociation du mariage du duc d'Anjou.—Invitation faite au duc de passer en Angleterre; demande de son portrait—Autre lettre secrète sur la renonciation du duc d'Anjou au mariage, et la proposition du mariage du duc d'Alençon avec Élisabeth.—Mémoire. Détails de la négociation du traité concernant l'Écosse.—Discussions entre les députés.—Prorogation de la surséance d'armes.—Négociations avec l'ambassadeur d'Espagne au sujet des nouvelles prises faites en mer par les protestans.

Au Roy.

Sire, j'ay esté requiz par les seigneurs de ce conseil et par les depputez de la Royne d'Escoce, et encores par le comte de Morthon, d'envoyer en dilligence ce pourteur devers Vostre Majesté pour la supplier très humblement d'avoir agréable que l'abstinence de guerre, laquelle, en commenceant ce tretté, a esté de nouveau prorogée pour tout ce moys de mars, ayt lieu en vostre royaulme, affin que les merchans escoussoys, qui ont leurs navyres toutz prestz à y faire voyle, chargés de grains, de poyssons sallez et aultres marchandises, y puyssent estre bien receuz, sans qu'il leur y soit donné nul arrest ny empeschement; nous promettans iceulx du dict conseil que, dans le premier jour d'avril, les affaires de la Royne d'Escoce seront si advancez que nous pourrons clairement cognoistre ce qui en aura à succéder; laquelle surcéance, Sire, ayant esté ainsy envoyée par hommes exprès en Escoce, si, d'avanture, Vostre Majesté la trouve bonne, il luy plairra me le mander promptement, parce que le temps court aus dicts merchans, lesquelz aultrement adviseroient où ilz pourroient aller ailleurs transporter leurs merchandises.

La Royne d'Escoce a comprins par ung discours, qu'elle a trouvé ez lettres de Mr de Glasco, que Voz Majestez Très Chrestiennes n'estoient bien contantes de ce qu'elle avoit passé trop avant à accorder plusieurs choses à la Royne d'Angleterre, qui luy estoient si avantaigeuses qu'elle n'avoit garde de les reffuzer, et que pourtant il falloit à ceste heure attandre que deviendroit le tretté premier que de parler de nul secours, inférant par là que Voz Majestez n'avoient grande envye de luy en bailler. Sur quoy elle a dépesché en dilligence devers monsieur l'évesque de Roz pour me venir remonstrer qu'elle porte ung extrême ennuy de cestuy vostre malcontantement, et qu'elle me requiert de vous tesmoigner si elle n'a pas cerché de procéder toutjour, et en toutes choses, despuys que je suys en ce royaulme, sellon vostre intention, sans aller aulcunement au contraire, quoiqu'il luy en deust advenir; et qu'elle supplie bien humblement la Royne de se souvenir du conseil, qu'elle mesmes luy a escript de sa main, de ne reffuzer aulcunes condicions à la Royne d'Angleterre, pourveu qu'elle puysse avoir sa liberté et se tirer hors de ses mains; et que je vous face entendre à toutz deux l'extrême dangier où elle a esté, et où elle est encores, non seulement de perdre son estat et ses subjectz, mais sa propre personne et sa vie, s'il n'y est remédié ou par le tretté, ou par le secours de Vostre Majesté; que, touchant le tretté, il n'y a que deux poinctz, de toutz ceulx qu'on luy a proposez, qui vous puissent venir à desplaysir, l'un est de la ligue: et quant à celluy là, elle vous supplie de croyre, Sire, qu'elle souffrira plustost toutes extrémités que de consentyr qu'il en soit faicte pas une qui ne vous soit agréable, et d'où vous puyssiez estre en rien offancé, et que de ce mesmes desir sont pareillement toutz les seigneurs escouçoys qui sont de son party; l'aultre poinct est de bailler le Prince, son filz, à la Royne d'Angleterre, et, quant à cella, il est trop certain qu'il n'estoit possible d'entrer aulcunement en tretté, mais encores qu'elle l'ayt desjà consenty, ce n'est toutesfoys qu'avec condicion que les seigneurs d'Escoce l'aprouvent, dont se pourra encores trouver moyen de le reffuzer; et, à ceste cause, elle tourne suplier Vostre Majesté que, considéré l'extrémité où elle est, et d'où elle ne peult sortyr sinon par le secours de voz armes, ou par le tretté, qu'il vous playse ou luy conseiller d'accorder son filz, duquel aussi la disposition n'est en ses mains, si aultrement le tretté ne peult succéder, ou bien luy envoyer ung prompt secours, et elle s'esforcera de le rompre.

Sur quoy, Sire, après avoir, par beaucoup de vrays et bien clairs argumens, fait cognoistre au Sr de Roz que l'intention de Voz Majestez estoit fermement au secours et assistance de la Royne, sa Mestresse, et qu'elle et luy en avoient veu et en voyeroient encores de si certaines démonstrations que rien ne les en debvoit faire doubter, ny je ne serois si mal advisé de prendre la matière à cueur si je ne sentois que vous l'eussiez aultant en affection comme je sçavois qu'elle touchoit à l'honneur de vostre couronne, sans toutesfois luy dissimuler que le poinct de la ligue, si elle vous préjudicioit, vous seroit incomportable, et celluy du Prince ne vous pourroit guière playre, je luy ay promiz de vous escripre le tout, et luy mesmes en escript à la Royne. Dont vous plairra, Sire, me remander en dilligence vostre bon commandement là dessus, affin que j'essaye de faire toutjour incliner la résolution des affaires, le plus qu'il me sera possible, à vostre desir, et que ne monstrions, de nostre part, retarder le tretté.

Ceulx cy avoient heu adviz que le roy de Dannemarc estoit après à accommoder le comte Boudouel de quelque nombre d'hommes et de vaysseaulx, pour faire une descente en Escoce, et que le dict Boudouel luy promettoit de luy mettre entre mains les Orcades, mais cella n'a pas continué, dont ceulx cy n'en sont plus en payne; mais ilz envoyent présentement à milord Sideney trente cinq mil escuz et deux grandz navyres de guerres, pleins de monitions, pour pourvoir aulx choses d'Yrlande; lesquelles choses toutesfois leur semblent plus asseurées, despuys ceste dernière bonne et honneste déclaration, que Vostre Majesté leur en a faicte, et despuys avoir entendu que le Roy d'Espaigne n'est si adélivré de la guerre des Mores ny de celle du Turcq, qu'il puysse entreprendre ailleurs; mesmes qu'ilz ont nouvelles, que le Turc, oultre une très grande armée de mer, en prépare une bien grande par terré, avec quelque apparance qu'il se veuille saysir de la Transilvanye pour donner à toute la Chrestienté assés de quoy n'avoir à entreprendre aultre chose que de toutz ensemble fermement luy résister. Sur ce, etc.

Ce vie jour de mars 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, despuys que j'ay eu remonstré à Mr le comte de Lestre que le propos de la petite lettre me sembloit estre trop divulgué par decà, l'on l'a mené bien fort secrectement, et ne s'en parle plus, ny à la court, ny à la ville, sinon en termes fort réservez et retenuz, mesmes qu'ung bruict sourd, qui a couru, l'a assez restrainct, qu'on a dict que le peuple murmuroit de ne se vouloir laysser tromper de ce nouvel artiffice, ainsy comme l'on l'avoit desjà mené par ung aultre, l'espace de douze ans; et que, quant bien la résolution de leur Royne seroit, à ceste heure, de prendre party, qu'ilz vouloient qu'elle déclairast son successeur à ceste couronne premier que d'y introduyre ung prince si puyssant comme celluy dont on parloit, affin qu'il n'y peust prétandre ny droict ny possession, au cas qu'elle vînt à décéder, premier qu'ilz eussent des enfans. Néantmoins deux du conseil de la dicte Dame ont dict, despuys trois jours, qu'ilz sçavoient très bien que, si l'archiduc eust attandu jusques à ceste heure de se maryer, que indubitablement elle l'eust accepté, et que, si Monsieur la faisoit requérir, qu'il en auroit bonne responce. Et, à ce propos, Madame, le comte de Lestre m'a mandé qu'elle a fort curieusement examiné le Sr de Norrys, à son retour de France, touchant Mon dict Seigneur, et que luy, tant pour la vérité que par instruction du dict comte, et pour sa propre affection, l'a miz jusques au ciel, racomptant qu'avec les excitantes vertuz de son esprit, il habondoit d'aultres si belles qualitez de taille, de vigueur, maintien, bonne grâce et beaulté, qu'il se monstroit très accomply en toutes perfections d'ung prince de trente ans; chose que le dict comte m'asseuroit qui avoit miz la dicte Dame en ung très grand desir de le voir, dont me pryoit de luy mander s'il y auroit moyen, qu'allant elle, cest esté, en son progrès vers la coste de France, Mon dict Seigneur, soubz colleur de visiter la frontière, vollût s'aprocher de celle d'Angleterre, et par une marée du matin se laysser veoir de decà pour s'en retourner, puys après, si ainsy luy playsoit, à la marée du soir, sans que nulz autres que ceulx qu'il vouldroit le peussent sçavoir; et que j'entendois bien que les dames vouloient estre requises, et veoir qu'on fît des dilligences et des démonstrations de les aymer; et qu'il se trouvoit en ce royaulme beaucoup de contradisans à ce propos, mais qu'il sçavoit qu'ilz travailloient en vain, et que une seule présence de Mon dict Seigneur veincroit ayséement toutes leurs difficultez.

Je ne me suys advancé de rien respondre sinon touchant les dictes difficultez, que Mon dict Seigneur estoit tel qu'en tout et par tout il estoit très desirable, et n'y avoit rien en luy qui peult estre subject à contradiction; et que, touchant passer deçà devant la parfaicte conclusion des choses, que je n'estimois pas qu'il le vollût faire, ny que Voz Majestez le luy peussent conseiller, et que je le supplioys de considérer si, attandu les choses du passé et les difficultez présentes, que luy mesmes alléguoit, Mon dict Seigneur ne debvoit aller bien retenu en cest affaire. Le dict comte ne m'a encores répliqué sinon qu'il desire meintenant une peincture de Monseigneur fort naïfve, et qui soit de son grand. Sur ce, etc. Ce vie jour de mars 1571.

A la Royne.
(Aultre petite lettre à part pour luy estre mize en ses propres mains.)

Madame, en lisant la petite lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, de sa main, par le Sr de Sabran, il m'a prins ung grand regrect de voir que les choses ne succédoient, sellon que les aviez proposées, et sellon que vous les desiriez, pour la grandeur du Roy et de Monseigneur, voz enfans[1]; à quoy, de ma part, je commançoys de travailler aultant qu'il m'estoit possible, de nettoier les empeschemens, et pénétrer ez difficultez qui s'y pouvoient trouver de ce costé, pour faire que Vostre Majesté y vît bientost et bien à clair ce qu'elle en auroit à espérer. Mais, Madame, je vous suppplie très humblement qu'entre plusieurs exellantz actes de la vertu de Mon dict Seigneur, vous luy veuillez infinyement agréer cestuy cy, comme très exellant et comme péculier à sa magnanimité et à la générosité de son cueur, qu'il a plus grand que n'est la mesmes royalle grandeur, parce qu'il la mesprise si elle n'est accomplye de ses aultres perfections et ornemens, dont je l'en honnore et révère de tout mon cueur; et m'asseure que Dieu le comblera de quelque aultre honneur et grandeur, qui ne sera moins à propos et à vostre contantement que ceste cy. L'on a peu diversement escripre et parler de ceste princesse sur l'oyr dire des gens, qui quelquefoys ne pardonnent à ceulx mesmes qui sont les meilleurs, mais, de tant qu'en sa court l'on ne voyt que ung bon ordre, et elle y estre bien fort honnorée et ententive en ses affaires, et que les plus grandz de son royaulme et toutz ses subjectz la craignent et révèrent, et elle ordonne d'eulx et sur eulx avec pleyne authorité, j'ay estimé que cella ne pouvoit procéder de personne mal famée, et où il n'y eust de la vertu; et néantmoins ce que je sçavois que vous en aviez ouy dire, et l'opinion qu'on a qu'elle n'aura point d'enfans, les dures conditions qui se peuvent proposer en telz contractz, les artiffices dont l'on a usé ez aultres partys, et les contradictions qui se descouvrent desjà en cestuy cy, me faisoient toutjours vous suplier très humblement qu'il vous pleust y aller fort retenue.

Et ayant despuys faict observer le secrétaire Cecille sur ce qu'il diroit de cest affaire, il m'a esté rapporté, qu'encores qu'il n'en ayt que fort honorablement parlé, qu'il a néantmoins monstré qu'il ne le vouloit point, et que mesmes il ne l'espère: car a dict que Mr le cardinal de Chatillon et le vydame de Chartres en ont bien tenuz de grandz propos à sa Mestresse, et qu'elle les a escoutez, mais que c'est à elle meintenant d'y respondre, et qu'il ne voit pas que cella se puysse bientost accorder, ny estre encores de longtemps accomply; et que, oultre le poinct de la religion et celluy de la jalouzie des aultres princes, et encores d'aultres bien grandes difficultez, qui s'y monstroient, celle là luy semble très grande, que Monsieur est trop prochain successeur de la couronne de France, et que, le cas advenant, l'Angleterre cesseroit d'estre royaulme, et viendroit estre province des Françoys, comme est la Bretaigne, l'exemple de laquelle les doibt admonester d'y prendre bien garde, et qu'ilz ont besoing d'ung prince qui veuille renoncer à toutes aultres prétencions, fors à estre Roy d'Angleterre, ainsy que l'archiduc Charles s'y estoit bien condescendu; par ainsy, il leur en fauldroit ung qui fût plus esloigné d'une telle et si grande succession comme celle de France, laquelle enfin viendroit entièrement absorber la leur.

Qui est ung poinct, Madame, qui ne quadre que bien en Monseigneur d'Alançon, mais il n'est temps, en façon du monde, d'en parler, car ayant esté trouvé que mesmes l'eage de Monseigneur ne correspondoit assés bien, si sa taille et aulcunes aultres siennes qualitez n'eussent suply, lesquelles seront (si Dieu playt) bientost en Mon dict Seigneur d'Alençon, il y auroit dangier, si l'on le proposoit, premier qu'il ne soit ung peu plus grand, qu'elle estimât qu'on se mouquast d'elle; et s'esfoceroit, possible, de tourner la derrision sur nous, et de nous nuyre là où elle en auroit le moyen. Mais la nécessité de se maryer luy croyt, et luy croistra toutjours, de plus en plus, et, devant deux ans, Mon dict Seigneur d'Alençon sera venu en disposition de l'estre de son costé, et elle ne l'aura encores trop passée du sien. Par ainsy, s'il vous semble bon, Madame, de ne rompre trop court le propos de Mon dict Seigneur, et le laysser encores courre, ainsy qu'il est commancé, non toutesfoys qu'entre peu de personnes et fort secrectement, affin qu'il ne nous suscite des deffiances ny des jalouzies d'ailleurs, ny donne moyen à ceulx cy de trop s'en prévaloir, l'on le pourra, possible, conduyre peu à peu jusques au dict poinct de la trop prochaine succession de la couronne de France, qui est une difficulté, laquelle n'estant que bien honnorable pour Mon dict Seigneur et aussi pour la dicte Dame, l'on pourra lors transférer le propos sur Mon dict Seigneur d'Alençon, qui en est ung degré plus loing; car, sellon le présent estat de la Chrestienté, si elle demeure en sa résolution de n'espouser sinon ung prince de qualité royalle, comme elle est, il fault par force que ce soit ung de Noz Seigneurs, voz enfans, et non aultre, ou qu'elle s'en passe du tout.

Mais, quant à l'aultre poinct, que Vostre Majesté m'escript, que la dicte Dame veuille adoupter quelcune de ses parantes, elle n'en a nulle du costé paternel; et quant au maternel, il n'est en sa puyssance d'en advancer aulcune jusques là, joinct que ce propos seroit fort mal prins, pendant qu'elle mesmes monstre de se vouloir maryer. Tant y a que j'estime que le parlement qu'elle a convoqué ne se passera sans qu'on la presse ou de prendre party à bon esciant, ou de déclairer son successeur, car elle s'est desjà obligée, par l'aultre précédent parlement, de faire l'ung ou l'aultre, dont je mettray peyne d'en entendre ce qui s'en trettera. Sur ce, etc.

Ce vie jour de mars 1571.

INSTRUCTION DE CE QUE JOZ AURA A FÈRE ENTENDRE
à leurs Majestez, oultre ce dessus:

Qu'après que le comte de Morthon a heu parlé à la Royne d'Angleterre et aulx siens, elle a faict, en sa présence, dez le xxiiie du passé, mettre la matière en dellibération de son conseil, où l'ung d'entre eulx, voyant qu'elle inclinoit à la restitution de la Royne d'Escoce, luy a osé, avec grande véhémence, remonstrer qu'elle ne le debvoit faire en façon du monde, si elle ne se vouloit exposer à ung trop manifeste dangier de perdre toute la seurté, où elle vit meintenant, et la faire perdre à son royaulme, allégant que nul d'entre les princes chrestiens, ny toutz ensemble, ne seront jamais conseillez de luy mouvoir guerre en son pays pour leur particulier intérest, parce qu'ilz jugeront bien que la conquête leur en seroit très difficile, et encores plus impossible de la conserver; mais que ce seroit la Royne d'Escoce qui, par ses prétencions à cestuy cy, mettroit incontinent toutes choses en trouble, et attireroit les armes estrangières en l'isle, et qu'il supplioit très humblement la dicte Dame, et ceulx qui la conseilloient, de croyre que, s'ilz commettent à ceste heure une si grand erreur que de la restituer, qu'ilz luy verront, devant trois mois, allumer ung feu si chauld en Escoce, qu'il ne sera en leur puyssance de l'estaindre que l'Angleterre n'en soit embrasée, et leur présente religion, possible, fort oppressée, et les deux royaulmes réduictz soubz l'ancienne obéyssance, qu'il a appellée tirannye du Pape.

A quoy nul de la présence, pour ne tumber en souspeçon de la religion, ou pour n'estre veu partial à la Royne d'Escoce, n'a ozé rien contradire; et la Royne seule, bien qu'avec visaige troublé, luy a respondu que les inconvéniantz, qu'il alléguoit, estoient fort à craindre, mais qu'il y en avoit d'aultres non moins, ains beaulcoup plus à doubter que ceulx cy, qui l'avoient desjà faicte résouldre à la restitution de la Royne d'Escoce; et que pourtant, elle les prioyt toutz de cesser désormais à débattre si elle la debvoit restituer ou non, et seulement qu'ilz regardassent de bien prez à quelles bonnes seuretez et conditions elle la restitueroit.

Sur laquelle résolution ayant la dicte Dame depputé six commissaires, pour procéder au tretté, le comte de Morthon a desjà comparu deus foys par devant eulx, auquel ilz ont remonstré que la Royne, leur Mestresse, estoit bien fort pressée par la Royne d'Escoce et par les princes de son alliance, et encores par les seigneurs escouçoys, qui tiennent son party, de la restituer; et qu'y estant aussi elle mesmes par plusieurs considérations de son propre intérest, et du repos de son royaulme, disposée, elle avoit bien vollu, premier que de passer oultre, le faire appeller, affin qu'il regardât qu'est ce qu'il desiroit obtenir pour la seureté du petit Prince d'Escoce, pour la sienne, et de tous ceulx qui ont suivy son party, car elle mettroit peyne d'y pourvoir.

A quoy le dict de Morthon a respondu que la dicte Royne d'Escoce estoit à juste titre depposée de son estat, et le Prince, son filz, légitimement établi en icelluy, tant par la cession d'elle mesmes, que par aprobation des Estatz, et qu'il estoit desjà en actuelle possession d'estre Roy, par ainsy qu'il ne failloit toucher à ce poinct; mais que, s'il grevoit à la Royne, leur Mestresse, de tenir davantaige la dicte Dame en son royaulme, qu'ilz la renvoyassent en Escoce, en quelque lieu où elle peult s'entretenir, sans toutesfois oster l'authorité à son filz; et que desjà la Royne d'Angleterre avoit bien esprouvé combien il luy estoit utille à son royaulme que le gouvernement ne fût point changé, lequel se pouvoit ayséement meintenir avec son ayde, pourveu qu'elle leur continuast l'entretennement de trois mil hommes, comme elle avoit faict jusques icy.

Il luy a esté répliqué que la Royne, leur Mestresse, n'avoit forny à l'entretènement des gens de guerre en Escoce, ny n'avoit tenu si longtemps son armée en la frontière, que à cause de ses rebelles, qui s'étoient retirez par dellà, laquelle occasion cessant à ceste heure, il y auroit trop de dangier que de quel aultre mouvement d'armes qui s'y recommençât, les estrangiers n'y fussent attirez; considérant mesmement que les quatre principaulx seigneurs du pays, et toute la noblesse et le peuple, estoient du party de la dicte Royne d'Escoce, laquelle, d'abondant, offroit, de son costé, pour sa restitution, de bien honnorables condicions à leur Mestresse, et pourtant elle estoit toute résolue de passer oultre au dict tretté.

Icelluy de Morthon leur ayant remémoré là dessus plusieurs grandz inconvéniens, si elle la restituoit, leur a, de rechef, proposé le premier expédient, de la remettre en quelque lieu en Escoce, où elle se puysse entretenir, sans changer rien du présent estat du gouvernement, et si, d'avanture, elle ne se veult passer d'y vivre en privée, qu'on luy baille quelque petit lieu où elle soit mestresse; et a requiz, au reste, que, pour conduyre les choses à bonne fin, ilz veuillent faire proroger l'abstinence de guerre encores pour deux mois, affin de mettre leur pays en quelque repos, et que pareillement leurs merchandz, qui ont desjà leurs navyres chargés de bledz, d'aranc, de saulmon sallé, et aultres denrées, et toutz prestz à faire voille, ne soient poinct arrestez en France.

Sur laquelle dernière proposition ayant l'évesque de Roz esté appellé, et estant premièrement venu consulter de l'affaire avecques moy, il a, en leur présence et moy, par sollicitation fort vifvement incisté que nulle aultre prorogation debvoit estre faicte que de passer oultre, tout présentement, au dict tretté, attandu que, dans vingt quatre heures, toutes difficultez pouvoient estre vuydées, et les affaires demeurer entièrement bien accommodez. Mais parce qu'ilz luy ont remonstré qu'encor y courroit il toutjour quelque temps, il s'est enfin condescendu de leur accorder le dict renouvellement d'abstinence, encores pour tout ce mois, soubz promesse toutesfois qu'ilz luy ont faicte que, dans le premier jour d'apvril, les choses seront si advancées qu'on ne doubtera plus du succez qu'elles debvront avoir. Et semble, à la vérité, qu'aulcuns des commissaires procèdent droictement et en bonne sorte à l'expédition de cest affaire, mais les aultres s'esforcent bien fort de le traverser.

Le lundy de caresme prenant, estant l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, venu prandre son disner en mon logis, il m'a dict que, le jour précédent, le cappitaine Orsay, gouverneur de l'isle d'Ouyc, luy estoit venu dire, de la part de la Royne d'Angleterre, touchant plusieurs ourques fort riches, qu'on a nouvellement prinses sur les subjectz de son Maistre, qu'elle estoit contante de jetter aulcuns de ses grandz navyres dehors pour chastier les pirates, et mesmement ceulx qui s'advouhent au prince d'Orange, si les merchans luy vouloient accorder quelque petite contribution pour les frais de l'armement, parce qu'il n'estoit raysonnable qu'elle le fit à ses despens; et qu'avec la colleur de ce propos le dict Oursay luy avoit aussi demandé s'il vouloit point parler à la Royne, sa Mestresse, s'asseurant qu'elle l'oirroit fort vollontiers.

A quoy le dict sieur ambassadeur luy avoit respondu qu'il luy sembloit que les merchans ne vouldroient jamais consentyr à nul nouveau subcide, et luy aussi ne le leur vouldroit conseiller, pour la conséquence qui s'en pourroit ensuyvre, laquelle il pensoit bien que le Roy, son Maistre, ne vouldroit oncques aprouver, joinct qu'il avoit toutjour estimé estre du desir et intention, et encores du proffict de la Royne d'Angleterre, que la mer fût nette; et elle la pouvoit nettoyer par une seulle parolle, parce que les pirates n'armoient, ny s'équipoient, ny avoient leur retrette qu'en son royaulme; mais, si luy, qui avoit charge en l'isle d'Ouyc, et les aultres cappitaines de la dicte Dame se vouloient employer de bonne sorte contre les dicts pirates, il procureroit que les merchans leur en fissent une bien honneste recognoissance;

Et, au regard de parler à la dicte Dame, que, toutes les foys qu'elle luy feroit entendre d'avoir agréable qu'il exerceât son office vers elle, comme il faisoit auparavant les prinses, qu'il le feroit très vollontiers, et luy demanderoit audience, et luy yroit toutjour faire entendre les bonnes intentions et vollontez du Roy, son Maistre. Et a opinion, le dict sieur ambassadeur, que la dicte Dame l'avoit plus envoyé pour ce dernier poinct, affin d'atacher une nouvelle pratique de s'accommoder avec le dict Roy, son Maistre, sur les choses passées, que non pour ces nouvelles prinses des pirates.

Cependant le dict ambassadeur et moy avons esté advertys que, dans ceste rivière de Londres, et en la coste d'Ouest, aulcuns particulliers équippent huict ou dix fort bons navyres de guerre avec semblant qu'ilz veulent aller aulx Indes, mais le dict ambassadeur publie et faict publier tout haut que Pero Melendes les attand au passaige.

CLXIVe DÉPESCHE

—du xiie jour de mars 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Discussion du traité concernant l'Écosse.—Refus du comte de Morton d'adhérer aux articles proposés.—Menace faite contre lui par Élisabeth.—Avis donné par Walsingham que le mariage du duc d'Anjou avec Marie Stuart est résolu en France.—Changement produit par cette nouvelle sur les résolutions de la reine.—Insistance de l'ambassadeur pour empêcher l'évêque de Ross de consentir à aucune discussion qui puisse retarder le traité.—Lettre secrète à la reine-mère. Communications toute confidentielles faites par Leicester sur le projet de mariage du duc d'Anjou avec Élisabeth.

Au Roy.

Sire, après que l'abstinence de guerre a esté accordée, encores pour tout ce mois de mars, entre les depputez d'Escoce de l'ung et de l'aultre party, et que la déclaration a esté faicte au comte de Morthon comme la Royne d'Angleterre vouloit résoluement passer oultre au tretté, les commissaires de la dicte Dame luy ont proposé qu'il debvoit adviser à deux poinctz: l'un, de se rétracter de la procédure, que luy et ceulx de son dict party avoient faicte pour depposer la Royne d'Escoce, parce qu'ilz n'avoient nulles raysons, tant apparantes fussent elles, que les princes souverains les vollussent jamais approuver, ausquelz toutesfoys, comme à ceulx qui estoient constituez de Dieu pour suprêmes juges et exécuteurs des derniers jugemens en terre, ceste cause debvoit enfin parvenir; le segond, que ne voulant plus la Royne, leur Mestresse, meintenir la dicte cause de sa part, il regardât qu'est ce qu'il desiroit luy estre pourveu par le tretté pour la seureté sienne, et de ceulx qui l'avoient envoyé.

Ausquelles deux choses, comme il s'efforçoit d'y vouloir respondre assés promptement et sans ordre, aulcuns des dicts commissaires l'ont prié, et croy que artifficieusement, affin de luy dresser cependant sa responce, qu'il ne se vollust haster de la bailler jusques à ce qu'il en eust bien à loysir conféré avec ses collègues, parce que leur Mestresse s'attandoit d'estre ceste foys résolue de son intention, affin de se résouldre elle mesmes des moyens qu'elle auroit, puys après, à tenir sur tout le reste du tretté. Dont, à deux jours de là, le dict de Morthon est retourné devers les dicts commissaires, et leur a respondu que les occasions, pour lesquelles la Royne d'Escoce estoit deschassée de son estat, avoient piéçà esté nottiffiées à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil avec tant de preuve et de vérité qu'il ne vouloit à présent y dire, ny desduyre, sinon cella mesmes qui desjà avoit esté dict et miz par escript, et qu'il tournoit le produyre de rechef devers eulx; dont leur a exibé incontinent la procédure faicte à Yorc: et, quant au segond poinct, il les prioyt de considérer qu'aussitost que la juste privation et puis la dimission vollontaire de la dicte Dame avoient esté déclairées, le Prince son filz avoit légitimement esté subrogé en l'estat, et desjà couronné Roy d'Escoce; auquel luy et les bons subjectz du pays avoient presté la foy et sèrement, duquel ilz ne vouloient, ny pouvoient avec leur honneur, meintennant se despartyr; et pourtant, il suplyoit la Royne d'Angleterre de les vouloir toutjours favoriser et soubstenir en cestuy leur juste et honneste debvoir, attandu mesmement que les choses en Escoce s'estoient, jusques icy, conduictes, et se conduysoient encores fort bien et par bon ordre, soubz l'auctorité du jeune Roy; et que, quant bien elle le vouldroit habandonner, qu'ilz n'auroient pourtant ny faulte de moyens ny de forces pour le soubtenir, et pour contraindre le reste du royaulme de luy obéyr.

Laquelle responce estant par quatre des dicts commissaires raportée à la Royne d'Angleterre, elle a dict qu'elle sentoit l'arrogance et la dureté d'un cueur bien obstiné, et qu'elle sçavoit que le dict Morthon ne l'avoit apportée telle de son pays, ains l'avoit aprinse icy d'aulcuns de ceulx mesmes du conseil, lesquelz elle vouloit bien dire qu'ilz estoient dignes d'estre penduz à la porte du chasteau, avec un rollet de leur adviz au coul; et que sa vollonté estoit que le dict Morthon ne bougeât ou de Londres, ou de la suyte de sa court, jusques à ce que quelque bon expédiant eust esté miz en cest affaire.

Ceste démonstration de la dicte Dame nous a donné quelque argument de bien espérer de son intention; mais l'artifice des adversaires l'a bientost destournée, car, oultre leurs trames de court, et celles qu'ilz pratiquent encores en Escoce, voycy, Sire, ce que a escript le Sr de Valsingan à la dicte Dame du costé de France: qu'il a descouvert ung propos, qui se mène bien chauldement pour maryer Monsieur, frère de Vostre Majesté, avec la Royne d'Escoce, et que le Pape luy promect la dispence et beaucoup d'avantaiges au monde en faveur du dict mariage, et que les choses en sont si avant que Mon dict Seigneur promect d'y entendre, aussitost que, par ce tretté, la dicte Dame sera restituée en son estat; et que, ores que le tretté ne succède, qu'il y a entreprinse dressée pour la venir tirer par force hors d'Angleterre. A ceste cause, il suplye sa Mestresse de vouloir bien considérer lequel des deux inconvénians elle ayme mieulx évitter; et que, quant à luy, il ne luy peult dire sinon qu'elle sera très mal conseillée, si elle se dessaysyt jamais de la Royne d'Escoce.

Cest adviz a renouvellé une si extrême jalouzie dans le cueur de ceste princesse, que je tiens le tretté non seulement pour beaucoup traversé, mais toutz les affaires et la personne mesmes de la dicte Royne d'Escoce en assés grand dangier. Et desjà ayant commancé la dicte Royne d'Angleterre de procéder plus estroictement avec le dict de Morthon, elle a faict dire à l'évesque de Roz qu'il veuille bailler une responce par escript aulx choses que icelluy de Morthon a dictes, et produictes de rechef, contre sa Mestresse; et qu'encores qu'elle, de sa part, n'en demeure que bien satisfaicte, que néantmoins cella servyra beaucoup de donner aucthorité au tretté: qui est ung poinct, Sire, pour non seulement acrocher la matière, mais pour attribuer, peu à peu, de l'authorité et jurisdiction à ceste couronne sur celle d'Escoce. Dont m'a semblé de conseiller à l'évesque de Roz de n'en faire rien, et de n'entrer, en façon du monde, à contester icy les droictz et tiltres de sa Mestresse, comme n'estant, à présent, question de cella, ny d'aulcune aultre chose que de tretter amyablement, entre les deux Roynes, de la restitution de celle qui est hors de son estat; et que le dict Morthon n'avoit que faire au dict tretté, sinon pour y requérir, si bon luy sembloit, sa seurté et celle des siens; à quoy pouvoit estre pourveu par ung seul article, après que les aultres seroient accordez; et qu'à cette occasion il requist d'estre procédé promptement avecques luy, et avec les aultres depputez de la Royne, sa Mestresse, sur les articles desjà proposez, ou bien leur donner congé de s'en retourner. Et ay tant faict qu'il s'est fermement arresté d'en user ainsy; dont espère qu'en brief nous aurons ou la conclusion, ou la ropture du dict tretté, et que je vous pourray informer des particullaritez que m'avez escriptes par vos dernières du xixe du passé, touchant vostre vertueuse et prudente résolution en cest endroict[2], laquelle je mettray peyne qu'elle puysse réuscyr bien utille, et qu'elle soit aydée et favorisée d'icy, ou aulmoins non oprimée par les forces de ce royaulme; vous suppliant très humblement, Sire, de différer, jusques à mes prochaines, l'expédition du frère du cappitaine Granges, qui arrivera bientost devers Vostre Majesté, parce que c'est sur luy qu'il semble estre bon de faire fondement, estant homme solvable et de bonne intention. Sur ce, etc.

Ce xiie jour de mars 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, par ung commung amy, que Mr le comte de Lestre et moy avons accoustumé de nous communiquer l'ung et l'aultre, lequel il envoya hyer quéryr, il m'a mandé qu'il a toutjour esté du party de France, et qu'il luy importe, de toute sa fortune et mesmes de la vie, qu'il se meintiegne tel, et qu'il puysse relever toutjour le dict party en Angleterre, aultant que faire se pourra; dont s'estant opposé jusques icy à ceulx, qui y soubstiennent la part d'Espaigne, et au mariage de l'archiduc, il a attandu l'oportunité de voir qu'à bon esciant la Royne, sa Mestresse, se vollût maryer, et que la nécessité la contraignît de l'estre, et lors il luy a persuadé, puysqu'elle ne vouloit avoir sinon ung prince de sa qualité, qu'elle deust en toutes sortes prandre Monseigneur, vostre filz; et que, quant ung ange du ciel m'annonceroit, à ceste heure, aultrement, parce qu'il sçavoit que, en France et en ce royaulme, l'on en faict divers discours, je ne vollusse croyre que la dicte Dame ne fût toute résolue de prandre party, et très bien disposée à celluy de Mon dict Seigneur, et avec telle affection qu'il se trouvoit en terme d'estre ruyné et perdu, si le propos ne se continuoit, comme il l'a commencé; car ceulx mesmes, qui y estoient les plus contraires, qui sont ses ennemys, impryment à la dicte Dame que la froydeur, dont l'on y va en France, et celle du cardinal de Chastillon icy, et ce que je n'en parle point, procède du dict comte mesmes, qui veult meintenant faire tumber la résolution et la nécessité, où la dicte Dame en est, à l'espouser à luy; et soubz main ayantz fort estroictement conféré de l'affaire avec l'ambassadeur d'Espaigne, ilz mettent, à ceste heure, en avant à la dicte Dame d'espouser le filz ayné de l'Empereur, l'eage duquel ilz asseurent n'y avoir à dire d'icelluy de Monseigneur que de demy an, et qu'il est de plus belle taille que l'archiduc; lequel l'Empereur a finement maryé ailleurs pour réserver ce party à son filz; et qu'il est très certain que la dicte Dame, si elle ne trouve correspondance en France, qu'elle fera des résolutions ailleurs, qui, possible, nous seront dommageables; qu'il ne pense pas que Voz Majestez Très Chrestiennes ne cognoissent assés que ceste princesse et son royaulme sont à desirer, et que Mon dict Seigneur ne peult avoir que honneur de desirer l'ung et l'aultre, et de s'advancer de les demander toutz deux; mesmes qu'il n'est pas fille, pour debvoir craindre que ung reffuz luy puysse faire perdre un aultre party; et que, s'il veut qu'on y aille secrectement, qu'encores le veult on plus de ce costé, mais au moins que Voz Majestez fissent dire ou escripre quelque chose, en la plus convenable façon qu'elles adviseroient, pour faire voir qu'elles recognoissent la bonne intention de ceste princesse; qu'elles la veulent entretenir, et qu'il ayt moyen de luy parler librement de l'affaire, de respondre aux difficultez qu'on y vouldra opposer, et le conclurre premier qu'il soit publié; qu'il failloit qu'il fût bientost résolu de cecy, parce qu'il ne vouloit, ny n'estoit besoing pour nous, qu'il demeurast hors du nombre de ceulx qui tretteront party à la dicte Dame, ains, d'où qu'elle en preigne, qu'il soit toutjour ung des premiers qui s'en mesle; et par ainsy que, si le singulier desir, qu'il a vers la France, ne luy réuscit, qu'il advisera, le mieulx qu'il pourra, de s'accommoder vers l'Espaigne.

Je luy ay respondu que Mr le cardinal de Chastillon avoit ouvert ce propos, et que j'estimois qu'il avoit le soing de le conduyre, et que Voz Majestez ne m'en avoient encores rien mandé en particulier; seulement je cognoissois, par toutes voz lettres, qu'il y avoit, de vostre part, une très grande affection de confirmer davantaige l'amytié, bonne intelligence et alliance, avecques la Royne, sa Mestresse, et qu'il ne tiendroit qu'à elle que cella se perpétuât jamais; que je ne faisois doubte que le bruict du dict mariage n'eust faict descouvrir en France, et icy, qu'il y en a infinys qui seroient très marrys qu'il succédât, et qui s'esforceroient d'y mettre toutz les obstacles, qu'il leur est possible, jusques à s'ayder de faulces inventions, comme est celle qu'il m'avoit mandée qu'on trettoit de maryer Mon dict Seigneur avec la Royne d'Escoce, et que luy et Mr le cardinal de Lorrayne et Mr le Nunce en heussent tenu de bien estroictz conseilz ensemble, chose qui n'avoit nulle apparance de vérité; mais il estoit bien certain qu'on avoit dict et escript tant de difficultez de deçà, qu'il ne debvoit trouver estrange que Voz Majestez en demeurassent en quelque suspens; que je vous escriprois dilligentement le tout par le menu, et vous représanterois fort expressément sa bonne intention, et celle qu'il m'asseuroit telle de sa Mestresse, que les anges mesmes ne m'en debvoient faire rien croyre au contraire, affin de luy en randre response le plus tost que faire se pourroit. Et par ce, Madame, que j'ay devant les yeulx les trois considérations, que m'avez mandées par le Sr de Sabran, sur lesquelles je vous ay despuys faict entendre ce qui m'en semble, je vous supplie très humblement me commander, à ceste heure, quel ordre, quel langaige et quel moyen j'auray à y tenir; et sur ce, etc. Ce xiie jour de mars 1571.

CLXVe DÉPESCHE

—du xviie jour de mars 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Irrésolution des Anglais sur le parti qu'ils doivent prendre à l'égard de Marie Stuart.—Vive insistance de l'ambassadeur pour qu'il soit procédé au traité.—Discussion des articles proposés.—Négociation des Pays-Bas; plaintes et menaces d'Élisabeth contre le roi d'Espagne.

Au Roy.

Sire, la Royne d'Angleterre a esté si vifvement persuadée par une partie des siens, et non moins dissuadée par l'aultre, de restituer la Royne d'Escoce, qu'elle s'est enfin trouvée de ne sçavoir bonnement ausquelz incliner; et eulx mesmes, par les raysons les ungs des aultres, ont esté si irrésoluz et ont tant crainct que les inconvénientz qui pourroient advenir, si ceste princesse estoit restituée, et ceulx aussi qui certainement adviendroient, si elle ne l'estoit pas, leur fussent par après redemandées, qu'ilz avoient une foys délayssé, de toutz costez, de plus en parler; seulement ilz s'aydoient d'artiffices et de bruictz, et d'inventions, pour mouvoir la dicte Dame chacun à son opinion, comme si elle s'y résolvoit d'elle mesmes; et pressoient l'évesque de Ross de respondre aulx accusations, que le comte de Morthon avoit, de rechef, produictes contre sa Mestresse. Mais s'estant le sieur évesque fermement résolu à ce que nous avons arresté, qu'il n'entreroit en aulcune contestation de droict, ny de tiltre, ny de la personne de la Royne, sa Mestresse; et n'ayant, ny luy ny moy, pour cella cessé de presser noz amys sur l'advancement du tretté, ny, de ma part, obmiz de solliciter par offres, par prières, et encores par menaces, le comte de Morthon; l'on est, despuys trois jours, retourné à continuer le dict tretté, lequel semble que les commissaires, pour l'honneur et pour la seureté de la Royne, leur Mestresse, le veulent meintenant restreindre à quatre poinctz:

Le premier est d'asseurer si bien ceulx du contraire party, qu'ilz n'ayent à se doubter à jamais ny de leurs personnes, ny de leurs biens, ny de leurs estatz; et que, pour ceste occasion, il soit réservé lieu et auctorité en Escoce aulx comtes de Lenoz et de Morthon, par où ilz n'ayent occasion de craindre le contraire, et que la capitulation, qui s'en fera, soit en forme ung peu plus expresse qu'on n'a accoustumé d'user aulx aultres rébellions, parce qu'ilz ont estably et couronné ung Roy contre la Royne d'Escoce. Le segond poinct est d'avoir le Prince d'Escoce, d'où deppend toute la conclusion de l'affaire; et, de tant que le dict Prince est en la garde du comte de Mar, lequel n'obéyst à la Royne d'Escoce, qu'elle monstre par raysons probables comme elle le pourra faire venir ez mains de la Royne d'Angleterre. Le troisiesme est de bailler des ostaiges, et iceulx si principaulx qu'on ne puysse sans leur vollonté, ou contre icelle, dresser rien en Escoce au préjudice de ce royaulme. Et le quatriesme poinct est de consigner aulcunes des meilleures places du pays à la dicte Royne, leur Mestresse, ou accorder qu'elle en y puysse faire fortiffier quelques unes.

Auxquels quatre poinctz iceulx depputez de la Royne d'Escoce ont desjà baillé des responces, fort aprochantes de l'accord, sinon au dernier, lequel ilz ont du tout reffuzé, allégans que je leur avois desjà signiffié, s'ilz accordoient nulles places aulx Anglois, qu'il failloit qu'ilz en accordassent aultant à Vostre Majesté; et est l'évesque de Ross en ceste opinion qu'on n'incistera par trop à cest article. Néantmoins il me semble qu'on procède sur icelluy et sur les aultres par grandes difficultez, et que la matière n'est encores preste à conclure; dont attendons la responce de la Royne d'Escoce sur les particullaritez, que luy avons desjà escriptes, affin de la mander incontinent à Vostre Majesté.

Les depputez de Flandres sont arrivez, lesquelz seront ouys après demain, et cependant huict des principaulx seigneurs de ce conseil, qui estoient lundy dernier en ceste ville, ont faict venir vers eulx l'ambassadeur d'Espaigne, auquel ayant faict honneur et bonne réception, ilz luy ont assés sommairement parlé du faict des prinses, mais ilz se sont asprement pleintz à luy de ce qu'on avoit miz en pryson ung anglois en Espaigne, parce qu'il avoit adverty la Royne, sa Mestresse, des mauvaises pratiques que Stuqueley meine par dellà contre elle, et des aprestz, qui se font en Espaigne, pour faire une entreprinse en Yrlande; sur quoy ilz luy vouloient bien dire que le dict Anglois estoit injustement dettenu, par ainsy qu'il advisât de le faire mettre en liberté; et que la Royne, leur Mestresse, n'avoit donné aulcune occasion au Roy, son Maistre, d'attempter rien par armes contre elle, ny contre ses pays; et, quant il le vouldroit faire, qu'elle sçayt comme y résister, et comme encores prendre assés de revenche, pour luy donner occasion de s'en repentyr, ensemble à ceulx qui le luy auront conseillé. Sur quoy le dict sieur ambassadeur a respondu que rien de semblable n'estoit encores venu jusques à sa cognoissance, et qu'il en escriproit en dilligence au Roy, son Maistre; néantmoins qu'il ozoit prandre sur le périlh de sa vie que ce qu'ilz luy disoient, de l'entreprinse d'Yrlande, estoit une chose faulce et supposée, et qu'il n'entendoit, à présent, aultre chose de l'intention du Roy, son Maistre, sinon qu'il l'avoit fort bonne, de persévérer en bonne paix et en l'ancienne confédération qu'il a avec la Royne, leur Mestresse, et avec son royaulme. Dont, de là en avant, leurs propos se sont continuez avec plus de gracieuseté, de sorte qu'ilz se sont despartys bien contantz les ungs des aultres. Despuys j'ay sceu qu'on prépare d'envoyer pour cest effect le jeune Coban devers le Roy Catholique, et qu'on dresse ung armement de huict grandz navyres, soubz la conduicte de Milord Grey, pour cependant garder la coste d'Yrlande, et qu'on envoye nouvelles provisions et argent à milord Sideney, affin de pourvoir à la deffance du pays, et qu'on a faict cryer icy que ung chacun ayt armes, chevaulx et équipage, prestz pour marcher, quant la Royne le commandera. A la vérité ceulx cy monstrent de parolle qu'ilz veulent accorder des différans des prinses, mais ilz continuent encores par effect d'arrester toutjours les navyres et merchandises des subjectz du Roy d'Espaigne; et, despuys peu en çà, ilz ont faict descharger huict grandes ourques bien fort riches en divers portz de ce royaulme; et si, avoient desjà donné congé à aulcuns particulliers, qui avoient armé, d'aller aux Indes, mais, despuys six jours, on a mandé d'arrester toutz navyres, affin de servyr à la deffance d'Yrlande, si l'on voit qu'il en soit besoing. Sur ce, etc.

Ce xviie jour de mars 1571.

CLXVIe DÉPESCHE

—du xxiiie jour de mars 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais à la conduite du Sr Rydolfi.)

Audience.—Réception faite à lord Buchard à Paris.—Satisfaction de la reine sur la réponse du roi au sujet de l'Irlande.—Plainte contre les entreprises que le roi d'Espagne projette sur ce pays.—État de la négociation concernant l'Écosse.—Mort du cardinal de Chatillon.

Au Roy.

Sire, estant allé, jeudi dernier, affin de satisfaire aulx depputez de la Royne d'Escoce, trouver la Royne d'Angleterre à Grenvich, j'y suys arrivé sur le poinct que ceulx de son conseil venoient de débattre, devant elle, les poinctz du tretté avec tant de contention entre eulx, qu'elle avoit esté contraincte de dire à l'ung de la compaignie qu'il estoit un fol et ung téméraire, luy deffandant de plus se trouver en sa présence au dict conseil; dont n'est venu que bien à propos que j'aye heu à parler à la dicte Dame d'une aultre matière plus gracieuse, premier que de luy toucher de celle là. Et ainsy luy ay dict qu'il y avoit assez longtemps que je n'avois receu des nouvelles de France, et que je venois exprès ceste foys pour voir et sçavoir des siennes, affin d'en faire part à Voz Très Chrestiennes Majestez, qui ne pourriez recevoir plus grand playsir que d'entendre de la belle et bonne disposition, en quoy, grâces à Dieu, je la voyois; et que Vous, Sire, par voz dernières du xixe du passé, monstriez desirer qu'elle fût demeurée bien satisfaicte de la responce, que luy aviez faicte sur les choses d'Yrlande, et me commandiez la luy représanter de rechef, et que vostre dellibération estoit de conserver inviollablement la bonne amytié, que vous aviez avec elle.

La dicte Dame, avec grand playsir, m'a respondu que, puysque je ne luy comptois point des nouvelles de France, elle me vouloit dire que l'entrée de Vostre Majesté estoit desjà faicte, dez le premier mardy de mars, de laquelle milord de Boucart luy avoit mandé plusieurs choses honnorables et bien fort magniffiques, et luy avoit aussi escript du combat de la barrière, et de voz aultres exercisses, bien fort à la louange de Vostre Majesté, et de Monseigneur vostre frère, et de vostre court; et qu'ung sien escuyer, qu'elle avoit envoyé avec le dict de Boucard, lequel estoit desjà de retour, affermoit que, sans faire comparaison de roys, parce qu'il n'en avoit jamais veu nul aultre que Vostre Majesté, il n'estoit possible que prince, ny seigneur, ny gentilhomme, peult aller plus gaillardement, ny avec plus d'adresse, à toutes sortes de combat de pied et de cheval, qu'il vous y avoit veu aller; et luy en avoit racompté aulcunes particullaritez, qu'elle avoit prins si grand playsir de les ouyr, qu'elle les luy avoit faictes redire plusieurs foys, non sans bien fort souhayter qu'elle eust peu estre une tierce royne, présente à les voir; et qu'à la vérité, elle eust trop vollontiers réservé pour elle la commission de s'aller conjouyr avec Voz Très Chrestiennes Majestez de voz présentes prospéritez, que de l'avoir donnée à milord de Boucard, si ainsy se fût peu faire; ès quelles prospéritez elle comptoit celle là pour bien grande, que la Royne Très Chrestienne se trouvoit relevée de tout son mal, sinon de celluy de la groysse, duquel elle accoucheroit, avec l'ayde de Dieu, bien heureusement dans neuf mois prochains, me priant là dessus l'excuser, si, pour jouyr du portraict de la dicte Dame, parce que c'est ung seul contantement entre les princes, qui aultrement ne se voyent jamais, elle aprouvoit le larrecin qu'on en avoit faict en France, et l'a tiré incontinent de sa pochette pour me le monstrer, me demandant si elle estoit ainsy en bon poinct, et le teint si beau, comme la peinture le remonstroit; et qu'au reste elle ne vouloit faillir de vous randre le plus exprès grand mercys, qu'il luy estoit possible, pour la tant favorable réception, que vous aviez faicte non seulement à milord de Boucard, car celle là estoit convenable pour ung qui eust esté plus grand que luy, bien qu'il soit son parant, mais encores à toutz ses aultres gentishommes, qu'elle avoit envoyez en sa compaignie, qui s'en louoient infinyement: de quoy elle vous avoit une bien fort grande obligation, et réputoit trop plus que bien employé l'honneur qu'elle avoit desiré vous faire par ceste visite; qu'elle auroit grande occasion de se douloir de moy, si je ne vous avois desjà faict entendre le contantement et grande satisfaction qu'elle avoit receu de vostre bonne responce sur les choses d'Yrlande; et que si, du temps que voz affères n'alloient guières bien, elle avoit monstré par euvre sa ferme persévérance en vostre amytié, vous debviez bien croyre, Sire, que meintenant, en vostre prospérité, elle ne seroit pour s'en despartyr, et que vous ne doubtiez, quoy que puysse advenir, que, de son costé, il y ayt jamais faulte; que la pleinte d'Yrlande se transféroit meintenant sur le Roy d'Espaigne, lequel, s'il persévéroit en ce qu'elle en avoit desjà entendu, il monstreroit que non seulement il aymoit les trahysons, desquelles quelquefoys les princes se sçavent ayder, mais encores les traystres, que nulz vrays princes n'ont jamais vollu regarder de bon œil; et qu'elle s'esbahyssoit bien fort comme, estant si catholique, il ne mettoit fin à la guerre du Turc, premier que d'en commancer une aultre à une princesse chrestienne; et qu'elle espéroit, en tout évennement, que Vostre Majesté ne trouveroit mauvais qu'elle entreprînt de très bien se deffandre.

Je luy ay respondu, Sire, à ung chacun poinct de ses honnestes propos, le plus gracieusement qu'il m'a esté possible, conforme aulx motz bien exprès et fort propres, qu'il vous a pleu souvent m'en mander en voz lettres, et me semble qu'elle en est demeurée bien fort contante; et, quant à l'entreprinse d'Yrlande, que j'estimois, Sire, que vous auriez grand regrect de voir sourdre aulcune occasion de guerre entre deux si prochains vos alliez, comme sont le Roy d'Espaigne et elle, et s'il estoit en vostre puyssance d'y obvier que vous y employeriez très vollontiers; et de la deffance, dont elle m'avoit parlé, si, d'avanture, il en failloit venir là, je ne faisois doubte que Vostre Majesté ne la réputât de droict naturel et estre loysible à ung chacun de légitimement s'en ayder. Sur la fin, Sire, je luy ay dict que vous me commandiez de vous donner compte en quoy l'on estoit meintenant du tretté de la Royne d'Escoce, et que vous ayant, elle, faict dire par ses ambassadeurs, et escripre par moy, que la dicte Dame luy avoit faict des offres, lesquelles elle avoit trouvés bien honnorables, vous réputiez desjà l'accord comme conclud entre elles, et ainsy le respondiez à ceulx qui vous incistoient en ceste affaire, tant princes que aultres; par ainsy, qu'il luy pleust me dire ce que j'aurois meintenant à vous en mander.

La dicte Dame m'a respondu, en façon, à la vérité, peu contante, qu'elle se doubtoit bien que je ne passerois ceste audience sans luy parler de la Royne d'Escoce, laquelle elle desiroit estre moins en vostre souvenance, et encores moins en la mienne; néantmoins que je vous pouvois escripre qu'il n'estoit possible d'user de plus grande dilligence que celle qu'on mettoit à parfaire le tretté, et qu'elle laissoit à Mr de Roz de me dire particullièrement en quoy l'on en estoit meintenant. Et soubdain s'est mise à discourir aulcunes particullaritez, qu'on luy a rapportées, que Mr le cardinal de Lorrayne avoit dictes et faictes contre elle; lesquelles j'ay miz peyne de luy dissuader, et s'est l'audience terminée bien fort gracieusement.

Le jour d'après, le comte de Morthon a esté appellé et a esté bien fort pressé de consentyr au restablissement de la Royne d'Escoce, et à bailler le Prince d'Escoce ostage pour elle par deçà, ou qu'aultrement il seroit habandonné de la Royne d'Angleterre, laquelle mesmes s'yroit joindre à l'aultre party; et la comtesse de Lenoz a monstré qu'elle inclinoit à ce poinct. Le dict de Morthon s'est trouvé fort perplex, et a demandé temps d'y penser; il demeure encores bien ferme, et prétend d'obtenir quelque relasche, par prétexte d'aller rassembler les Estatz d'Escoce, premier que de pouvoir bailler ung assés vallable consentement en chose de si grande importance. Despuys, le Sr de Vassal est arrivé, avec les lettres de Vostre Majesté, du viie et xe du présent, sur lesquelles j'yray encores revoyr la Royne d'Angleterre, ung jour de ceste sepmaine. Sur ce, etc. Ce xxiiie jour de mars 1571.

Ainsy que je signois la présente, l'on m'est venu advertyr que, hyer au soir, monsieur le cardinal de Chastillon avoit perdu la parolle et estoit hors de toute espérance; et ung aultre me vient de dire qu'il est desjà trespassé.

CLXVIIe DÉPESCHE

—du xxviiie jour de mars 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Audience.—Retour de lord Buchard à Londres.—Remercîment de la reine pour l'accueil qu'il a reçu en France.—Nouveaux pouvoirs demandés par le comte de Morton aux états d'Écosse.—Nouvelles de Flandre et d'Irlande.—Mission de sir Henri Coban en Espagne.

Au Roy.

Sire, je suys allé, de rechef, trouver la Royne d'Angleterre à Grenvich, pour le mercyment que Vostre Majesté, par ses lettres du xe du présent, me commandoit de luy faire; laquelle a esté de tant plus curieuse d'entendre ce que je luy en ay vollu dire, que milord de Boucard n'estoit encores arrivé, et a monstré d'avoir ung extrême playsir que Voz Majestez ayent vollu prandre à honneur ceste sienne visite et son présent d'hacquenées; et que je l'aye asseurée que vous n'estimez que cella soit tant procédé de l'ordinaire observance d'entre les princes, comme d'une habondance d'affection et de bienveuillance qu'elle vous porte, et que vous l'avez receu pour ung très asseuré gaige, qu'elle veult fermement persévérer en vostre amytié; et que ceste sienne publique démonstration de vous honnorer vous a esté de grande satisfaction, non seulement pour Voz Majestez Très Chrétiennes et pour vostre court, mais encores pour les princes et estatz estrangiers qui avoient là leurs ambassadeurs; adjouxtant quelque mot de l'ellection, qu'elle avoit vollu faire de ce milord, son parant, pour le vous envoyer, qui s'estoit fort dignement acquitté de sa charge; dont me commandiez l'asseurer que l'obligation, que vous lui aviez de toutes ces choses, ne seroit colloquée en ung prince ingrat ny mescognoissant, ains en ung prince très disposé de l'honnorer, et de luy randre avec pareilles démonstrations les vrayes œuvres de sa bonne intention envers elle; et que, pour revanche des hacquenées, si elle avoit envye d'aulcune chose, qui se peult recouvrer entre toutes les commoditez de vostre royaulme, que vous auriez très grand playsir de l'en gratiffier.

La dicte Dame m'a respondu qu'en nulle chose de ce monde, il ne luy estoit advenu d'obtenir si bien tout l'effect de son desir, fors en ung poinct seulement, qu'en ceste cy; qui n'avoit prétandu par icelle que d'en satisfaire à son debvoir, vous donner contantement, et monstrer au monde qu'elle vous veult de tout son pouvoir honnorer, ce que vous aviez vollu luy agréer si grandement, et vous en contanter, et le recepvoir encores avec une si publique démonstration d'honneur, qu'elle remercyoit Dieu de luy avoir miz au cueur de le faire; et qu'en cella seul se trouvoit intéressée qu'ayant estimé vous obliger par ce moyen vers elle, elle s'en trouvoit en très grande obligation vers vous, me priant de luy ayder, par mes lettres, à vous en randre ung très grand mercys, et vous donner aultant d'asseurance de son affection et dévotion envers Voz Très Chrestiennes Majestez, en tout ce qui concerne vostre grandeur, et la félicité de vostre mariage, la paix de vostre royaulme, l'establissement de voz affaires, l'inviolable observance de son amytié et intelligence avec la France, comme il est en sa foy et parolle, devant Dieu et le monde, de le vous pouvoir jurer et promettre. Et ne s'est diverty pour lors le propos à nulz aultres termes qu'à continuer ceulx cy, et semblables, avec grande affection et avec beaucoup de contentement de la dicte Dame.

Despuys, mon secrétaire est arrivé avec la dépesche de Vostre Majesté du xiiie de ce mois, et bientôt après, milord de Boucard, lequel la dicte Dame a receu et toute sa compaignye avec grande démonstration de faveur; mais je ne sçay encores des particularitez de son raport, sinon qu'on m'a asseuré qu'il l'a faict fort bon. Et, au regard du tretté de la Royne d'Escoce, le comte de Morthon a esté si pressé d'accorder la restitution d'elle, et de bailler le Prince d'Escoce par deçà, qu'il n'a trouvé aultre remède que de jurer, avec sèrement solemnel, qu'il n'avoit nul pouvoir suffisant de le faire; mais qu'il yroit vollontiers assembler les Estatz pour le se faire donner. Dont a esté advisé de leur donner quelque temps pour y pourvoir, à la charge que, s'il ne revient au jour préfix, et qu'il n'apporte consentement d'accorder à toutes les choses, qui seront trouvées honnestes pour parachever le tretté, que la Royne d'Angleterre procèdera sans luy, et habandonnera entièrement son party; dont a esté dépesché ung corrier en dilligence devers la Royne d'Escoce pour avoir son consentement à ce que le dict de Morthon et ses collègues, et pareillement deux des depputez de la dicte Dame, s'en puyssent retourner; et que, par mesmes moyen, une aultre prorogation d'abstinance de guerre soit prinse; et que cependant l'on procèdera avec l'évesque de Roz à l'accord des aultres poincts d'entre les deux roynes.

Les depputez de Flandres ont esté amyablement receuz de la Royne d'Angleterre, laquelle leur a promiz, en général, une bonne expédition de leurs affaires; et despuys ilz ont esté ouys des seigneurs de son conseil, avec lesquelz, quant ilz sont venuz aulx particullaritez, il s'y est trouvé encores plusieurs difficultez, qu'on est après à les démesler. Les provisions pour Yrlande se continuent toutjours, parce qu'il semble que trois vaysseaulx espaignolz ayent compareu en la coste du dict pays, et qu'il a couru bruict que Estuqueley se venoit remettre en une sienne terre, que la Royne d'Angleterre a donnée à ser Peter Carho. Et est certain que la dicte Dame crainct assez d'avoir quelque guerre de ce costé, dont, pour s'en esclarcyr, elle prépare le voyage du jeune Coban en Espaigne; duquel j'entendz que la commission portera quatre chefz: l'ung, de faire entendre au Roy Catholique l'occasion pourquoy elle a faict, l'année passée, arrester les biens et navyres de ses subjectz; le segond, pourquoy son ambassadeur fut quelque temps resserré; le troisiesme, qu'elle se plainct qu'il ayt receu et qu'il meintienne ses rebelles, comme est Estuqueley, lequel elle demande luy estre renvoyé, ou, au moins, qu'il soit chassé hors de ses pays; et le quatriesme, qu'elle luy envoyera ung ambassadeur pour résider prez de luy, s'il le veult ainsy recepvoir comme il appartient. Sur ce, etc. Ce xxviiie jour de mars 1571.

CLXVIIIe DÉPESCHE

—du premier jour d'apvril 1571.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Sursis aux affaires d'Écosse et d'Irlande.—Soupçon répandu à Londres que le cardinal de Chatillon est mort par le poison.—Lettre secrète à la reine-mère. Détails sur la négociation du mariage du duc d'Anjou.—Conversation confidentielle entre Leicester et l'ambassadeur.—Nécessité de faire une proposition officielle du mariage.

Au Roy.

Sire, il ne m'est beaucoup resté, après celles que vous ay escriptes du xxviiie du passé, que adjouxter meintenant icy des nouvelles de deçà, si n'est de vous confirmer, Sire, que le rapport de milord de Boucard a esté si bon et si honnorable, et tant plein de louanges de Vostre Majesté, et de la Royne, et de la Royne vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et de toute vostre court, et encores, de l'esplendeur d'icelle, et des bonnes chères qu'il y a receues, et des présents que Vostre Majesté luy a faictz, et des magnifficences de vostre entrée, et des aultres choses qu'il a ouyes et cognues par dellà concerner l'amytié que voulez garder à la Royne, sa Mestresse, et à son royaulme, qu'il en a rendu la dicte Dame la plus contante et satisfaicte qu'il est possible, ce qui seroit trop long à vous réciter en particullier; mais il semble bien, Sire, tout à ung mot, que ce qui a esté faict en l'endroict du dict Boucard se monstre estre bien et utillement employé.

Il y a trois jours qu'on n'a rien touché au tretté de la Royne d'Escoce, attendant la responce que la dicte Dame fera sur le congé que le comte de Morthon demande, lequel je ne voys pas qu'il se puysse bonnement empescher, bien qu'il semble que la dicte Royne d'´Escoce le reffuzera du tout; mais l'on essayera au moins d'obliger le dict de Morthon à de si expresses conditions, de son brief retour, et d'aporter le pouvoir d'accorder à la restitution de la dicte Dame, que, s'il y fault, le tretté ne layssera pourtant de passer oultre sans luy. Et j'ay bien opinion, Sire, que nul des deux partys des ´Escouçoys, qui sont meintenant icy, ne se trouve guières contant de la procédure des Anglois: ce que j'espère qui les fera devenir plus saiges entre eulx. J'ay escript, ces jours passez, au Sr de Vérac, et luy ay envoyé par chiffre l'extret de l'article de voz dernières qui le concernoit, et luy ay donné toute l'instruction, que j'ay peu, des choses qui peuvent importer vostre service par dellà.

Les provisions d'Yrlande vont, despuys trois jours, ung peu plus froydes pour avoir milord Sideney escript qu'il a aprins, par aulcuns partisans d'Estuqueley, et des sauvaiges du pays, que le Roy d'Espaigne n'estoit encores bien prest d'y entreprendre; à quoy les bonnes lettres, que le duc d'Alve a naguières escriptes à la Royne d'Angleterre par le depputé de Flandres, et les bonnes parolles, que l'ambassadeur d'Espaigne luy a faictes dire, l'ont aulcunement confirmée, de sorte qu'elle espère que le voyage du jeune Coban sera de grand proffict; sur les desportemens duquel sera bon, pour beaucoup de respectz, Sire, qu'on y preigne ung peu garde par dellà. L'on attand une responce du duc d'Alve touchant aulcunes difficultez qui se sont offertes en l'entrée de cest accord, sur la forme d'y procéder; et, après qu'elle sera venue, l'on pourra mieulx juger de ce qui s'en debvra espérer; cependant ung chacun estime que le faict des prinses s'accommodera.

Mademoyselle de Lore m'a envoyé dire comme, ayant esté trouvé que feu Mr le cardinal de Chastillon estoit mort de poyson, et qu'en estant la Royne d'Angleterre et toute sa court merveilleusement escandalizez, qui en vouloient, comment que soit, advérer le faict, ils avoient envoyé mestre en arrest toute la famille, et resserrer en basse fosse les deux qui servoient en sa chambre, et faict saysir et sceller les coffres, meubles et papiers du deffunct; mais que, d'advanture, elle avoit retiré les trois derniers pacquetz, que Dupin luy avoit envoyez, lesquelz n'estoient encores ouvertz; et que, sellon l'adviz que je luy avois donné, elle les avoit brullez sans les ouvrir, me priant de vouloir faire entendre à Vostre Majesté le piteux estat de toute ceste famille, et qu'il luy playse avoir pitié d'eulx toutz, et qu'au reste je la veuille conseiller de ce qu'elle et eulx auront à faire. Je luy ay mandé les meilleures parolles de consollation, qu'il m'a esté possible, avec asseurance que j'en escriprois en bonne sorte à Vostre Majesté, et qu'au reste elle m'excusât, si je ne m'osois mesler plus avant de son affaire, jusques à ce que j'en eusse receu vostre commandement; attendant lequel, Sire, je supplie très humblement Vostre Majesté n'avoir mal agréable que, vous envoyant exprès le Sr de Sabran, pour l'ocasion que je luy ay donné charge vous dire de bouche, je vous face par luy une très humble requeste de ma part à ce que, en la distribution de tant de biens, qui vous est advenue par ceste vaccance, il vous plaise avoir recordation de la bénéficence que j'ay toutjours très justement espérée de Vostre Majesté, pour le service que, avec grande affection et fidellité, j'ay miz, toute ma vie, grand peyne de vous faire; et je suplieray le Créateur, etc. Ce ier jour d'apvril 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, par les deux dernières lettres, que j'ay receues, escriptes de vostre main, et par le fidelle récit, que le Sr de Vassal m'a faict, des choses que luy avez commandé me dire, j'ay veu l'advancement que Vostre Majesté a sceu très saigement donner à ce qui se debvoit faire par dellà, et ay comprins ce qu'elle desire qui se conduyse à présent icy. Dont, sans remémorer le propos du comte de Lestre, lequel je vous ay naguières mandé par une petite lettre, dans le pacquet du Roy, avant que m'eussiez deffandu de rien plus y commettre de ce faict, je vous diray à présent, Madame, que, despuys le dict propos, j'ay esté deux fois devers la Royne d'Angleterre avant le retour de milord Boucard; laquelle a monstré qu'elle estoit très marrye de ne pouvoir cognoistre, par aulcune chose que le dict Boucard ny le Sr de Valsingan luy escripvissent de dellà, ny par le récit d'aulcun qui en vînt, qu'il y eust que toute froydeur de vostre costé, jusques à me dire, avec regrect, que ce avoit esté ung bruict et puys rien, et qu'elle voyoit bien que vous adjouxtiez plus de foy aulx persuasions que à la vérité, et que, de son costé, elle prioyt Dieu de ne luy donner à vivre une heure après qu'elle auroit pensé d'user de moquerie.

Je n'ay esté marry de la veoir en ceste opinion, ains luy ay confirmé que plusieurs, à la vérité, s'efforçoient par leurs artiffices de traverser la bonne intention, que Voz Majestez pouvoient avoir en cest endroict, et que pourtant il la vous failloit ayder.—«Je ne sçaurois, m'a elle assés soubdain respondu, comme leur donner ayde, si eulx mêmes ne se veulent ayder.»—Je luy ay aussitost répliqué que «si, pourroit fort bien faire en ce qui ne seroit que bien honnorable pour elle.» Et sommes entrez en des propoz fort honnestes, ès quelz m'a semblé qu'elle n'y apportoit rien de simulation.

Despuys, milord de Boucard est arrivé, qui luy a faict ung rapport bien fort honnorable, et en façon pour luy faire trouver fort bon ce qu'il a veu en son voyage; et ay aprins par les deux plus inthimes personnes de la dicte Dame, desquelles j'en ay accointé nouvellement une, qu'elle s'est confirmée davantaige en son premier propos vers Monseigneur votre fils, et à desirer plus que jamais l'alliance de France; ayant néantmoins mesuré, par la prudence des propos, que Vostre Majesté a tenuz au dict Boucard, qu'il estoit besoing d'y aller fort secrectement, dont ne s'en parle plus qu'entre bien fort peu en ceste court.

Le lundy après le décez de Mr le cardinal de Chastillon, le comte de Lestre m'ayant assigné de nous trouver, comme par rencontre, aulx champs, m'a, de rechef, pressé de haster les affaires, affin de ne nous trouver prévenuz, par ce qu'on menoit, ainsy qu'il dict, pour l'aultre party bien chauldement la matière, et que néantmoins, encor que le pourtraict du prince Rodolphe fût desjà arrivé, il me prioyt que, si je l'estimois chevalier d'honneur et homme de bien, je vollusse donner foy à ce qu'il me juroit, devant Dieu, que la Royne, sa Mestresse, estoit résolue de se maryer, et qu'elle estoit mieulx disposée envers Mon dict Seigneur, vostre fils, que à nul aultre party du monde; et que desjà elle s'estoit tant déclairée en cella, et luy m'en avoit parlé si ouvertement qu'elle ny pourroit rien adjouxter davantaige, jusques à ce que Voz Majestez en eussent faict dire quelque chose de leur part.

Sur quoy, Madame, ayant sondé ce propos jusques au fondz en d'aultres lieux, d'où s'en pouvoit tirer notice, j'ay trouvé qu'il y a conformité; et croy qu'avec vingt mil escuz l'on n'en pourroit à présent descouvrir davantaige; tant y a que j'ay respondu au dict sieur comte que Vostre Majesté avoit desjà de longtemps manifesté sa bonne intention envers la Royne, sa Mestresse, à desirer, mesmes pour le Roy, son alliance, et je croyois que milord Boucard avoit bien cogneu que ceste mesmes vollonté vous continuoit encores vers elle pour Monseigneur; et, combien que la voix, qui en avoit sorty en France et icy, sans fondement, heust miz en commotion bonne partie de la Chrestienté, vous ne vous en estiez aucunement estonnée, car estimiez que, venant la grandeur de ces deux royaulmes à se fortiffier ainsy l'une par l'aultre, l'on n'auroit guières à craindre le reste du monde; cella seulement vous descourageoit qu'on vous avoit asseurée que l'intention de la dicte Dame estoit de ne se maryer jamais, mais que, pour la nécessité et accommodement de ses affaires, elle en feroit de très grandes démonstrations jusques à en donner de bonnes parolles, en passer articles, et mesmes d'en bailler sa promesse en ce que les conditions se peussent accorder; et que, puys après, quant elle se seroit bien servye du propos, les dictes condicions se demanderoient si dures et si difficiles, sur le faict de la religion, ou sur la restitution de quelques places, ou sur d'aultres contrainctes demandées par deçà, (et enfin, quant l'on ne pourroit mieulx, l'on y feroit opposer les seigneurs de ce conseil ou les Estatz du royaulme), que le tout se viendroit à rompre au mespriz et moquerie de celluy qui y auroit prétandu; et que Vostre Majesté estimoit trop meilleur de s'en tayre que d'en tumber en cest inconvénient; car en lieu de paix et d'amytié, il en sortyroit une hayne, et, possible, une bien cruelle guerre, et que luy, et nous toutz qui nous en serions meslez, en reporterions ung très grand blasme et un déshonneur à jamais; néantmoins que, sur sa parolle, je vous en escriprois promptement avec toute affection, et que bientost j'en aurois la responce.

Il m'a répliqué tant de bonnes parolles, et l'on m'en a dict tant d'aultres bonnes d'ailleurs, et mesmes l'on m'a tant asseuré que Cecille y est, à ceste heure, fort affectionné, que je ne vous sçaurois dire, Madame, sinon que je ne voy que la matière soit aultrement que très bien disposée; dont adviserez maintenant comme il fauldra procéder, sans attendre l'adviz d'icy, car fault que procède du seul conseil de Voz Majestez. Tant y a que, s'il vous playt que j'aye bientost une lettre, par laquelle je puysse prier la dicte Dame de trouver bon que Voz Majestez luy trettent Monseigneur vostre filz en mariage, et qu'elle ayt agréable que vous le luy offriez, je mettray peyne d'en tirer bientost sa déterminée responce; et, si elle me la faict telle comme je l'espère, je procureray incontinent de sçavoir les condicions, et de procéder aulx articles, si bien que l'affaire ne traynera nullement; et si, sera tenu fort secrect, ainsy que ceulx cy monstrent de le desirer; qui ont entendu que le vydame debvoit repasser par deçà, mais ilz ne trouvent bon que luy, ny pas ung aultre, y viegne jusques à ce que le tout soit conclud. Et sera bon, Madame, affin d'obvier à longueur, de considérer, de bonne heure, s'il sera expédiant que les dictes condicions se trettent et débattent en France, ce que j'estimerois meilleur, ou bien icy; et si, d'avanture, il fault que ce soit icy, il vous playra me particullariser comme Vostre Majesté desireroit qu'elles fussent.

J'estime que le Sr Cavalcanty, qui est fort secrect, et a de la suffizance, ne sera que bien propre ministre pour estre employé en cest affaire, puisque Cecille y est, à ceste heure, bien disposé; dont vous en pourrez servyr entre Vostre Majesté et le Sr de Valsingan, lequel s'y monstre aussi meintenant bien fort affectionné, ou bien, s'il vient par deçà, je m'en ayderay. Sur ce, etc.

Ce ier jour d'apvril 1571.

CLXIXe DÉPESCHE

—du vie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Ouverture du parlement.—Demande faite par la reine d'un subside.—Affaires d'Écosse.—État de la négociation des Pays-Bas.—Nouvelles de troubles en France.

Au Roy.

Sire, lundy dernier, deuxiesme de ce mois, la Royne d'Angleterre a assisté en personne à la première proposition de son parlement, où se sont trouvez unze comtes, dix sept évesques, vingt sept barons, et le nombre accoustumé des aultres depputez des provinces et villes de ce royaulme; elle n'a vollu que le duc de Norfolc, ny le comte de Herfort y soyent comparuz, lesquelz, soubz l'ordonnance de la dicte Dame, demeurent encores, l'ung en sa mayson de ceste ville, et l'aultre hors de court, assés mal contantz. La susdicte proposition à ce que j'entendz, a été de remonstrer la bénédiction de paix, dont ce royaulme a jouy, il y a desjà douze ans, soubz le règne de ceste princesse, pendant qu'on a veu les aultres estatz voysins se dissiper en guerres et divisions entre eulx; et que cella est advenu pour le grand bénéfice de Dieu envers elle, qui luy a mis au cueur de le recognoistre, et il l'a pourveue de vertu et de prudence pour sçavoir meintenir, sans sang ny opression, les bons ordres de son royaulme à la très grande utillité de ses subjectz plus qu'à la sienne, et à obvier à la division, où les ministres du Pape (tel a esté le parler du garde des sceaulx) les ont vollu assez souvant inciter, ainsy qu'on en avoit veu de très dangereux commancemens; lesquelz toutefoys, par la bonne pourvoyance de la dicte Dame, avoient esté bientost esteinctz; ce qu'ilz debvoient recognoistre de Dieu et en remercyer beaucoup leur princesse, laquelle desiroit meintenant que, par ceste assemblée, il fût miz ordre que rien de semblable ne peust jamais plus advenir; et que les évesques regardassent aulx loix qu'il fauldroit faire de nouveau, et à celles qu'il fauldroit abroger, des desjà faictes, pour l'entretennement de la vraye religion; et que les aultres estatz fissent de mesmes, en ce qui seroit pour l'entretennement de la pollice publique, avec de bien sévères peynes contre les biens et personnes de ceulx qui non seulement ozeroient, en résidant dans le royaulme, attempter rien au contraire, mais qui se vouldroient absenter pour l'aller pratiquer ailleurs; et qu'ilz considérassent que, comme il ne s'estoit peu jusques icy, aussi ne se pourroit à l'advenir remédier à telz affaires sans grandz frais; qui pourtant estoient maintenant priez de la dicte Dame, qu'affin de la rembourcer en quelque partie du passé, et luy pourvoir de quelque somme contante pour les accidans qui pourront cy après survenir, comme il s'en manifeste desjà quelcun du costé d'Yrlande, ilz la vollussent secourir d'une leur bien prompte et bien libéralle contribution. Et n'ay point sceu, Sire, qu'on ayt, pour ceste première foys, rien proposé davantaige, mais bientost se verra si l'on viendra toucher nulz aultres poinctz.

La Royne d'Escoce a envoyé une responce ferme et résolue, de ne vouloir aulcunement consentyr à la prorogation du tretté ny à nulle abstinance de guerre, si le comte Morthon s'en retourne, mais que, s'il veut renvoyer l'ung de ses deux collègues pour aller quérir leur pouvoir, demeurant luy icy, elle est contante de proroger l'un et l'autre. Je ne sçay ce que la Royne d'Angleterre en vouldra ordonner, mais ce que le cappitaine Granges a faict, d'avoir miz les principaulx habitans de Lislebourg dans le chasteau; de s'estre saysy de la ville; la tenir ouverte aulx partisans de la Royne, sa Mestresse, et fermée aulx aultres; d'avoir miz garnyson dans Sainct André; avoir mandé les principaulx du royaulme, au xve de ce mois, pour y proclamer publiquement l'authorité de la Royne, sa Mestresse; faict que le dict Morthon presse grandement son retour, et que la dicte Dame ne le luy veult empescher. Dont je me confirme, Sire, en ce que je vous ay naguières mandé par le Sr de Sabran touchant la dépesche, que pouviez faire maintenant en Escosse.

Il est naguières arrivé ung gentilhomme flamant, venant de la Rochelle, dépesché par le comte Ludovic de Nassau, lequel, ayant trouvé le cardinal de Chastillon décédé, il va temporisant sa négociation par ce, possible, que, sur ung tel accidant, il attand nouvelle commission.

La principalle difficulté, qui s'est monstrée sur le commancement de l'accord des Pays Bas, est que le duc d'Alve ayant promiz de bailler cautions, pour les merchandises des Anglois, de la somme de cent cinquante mil escuz, à estre payez contant, ung mois après que les merchandises des subjectz du Roy, son Maistre, seront randues, n'en trouvent maintenant nulles qui puissent assés contanter ceulx cy; car ne veulent accepter de Flamans ny Espaignolz, ny nulz subjectz du Roy Catholique, ny encores nulz Allemans, ny Italliens, qui soyent intéressez avecques luy; et semblent qu'ilz veuillent incister que la dicte somme soit mise en dépost ou fornye contante, ny ne veulent permettre qu'elle soit prinse en rabays des deniers qui sont arrestez par deçà; car estant les dicts deniers des Gènevoys, ilz en veulent convenir avec eulx; ny les dicts Gènevoys n'y contradisent guières, qui ont plus à gré de s'en accorder icy que d'adjouxter ceste partie aulx aultres, que le Roy d'Espaigne leur doibt, avec lequel ilz sont si enfoncez qu'ilz disent en estre advenu, despuys ung an, des deffaillimens et banqueroutes de très grandes sommes. Néantmoins l'on estime qu'il se trouvera quelque moyen d'accommoder le faict des prinses, et que le reste, puys après, se poursuyvra, sellon que le jeune Coban raportera d'Espaigne. Cependant ceulx cy chargent leur flotte de draps, ainsy qu'ilz ont faict les deux années précédantes pour aller en Hembourg.

L'on publie icy, Sire, pour bien fort grandz les deux excez naguières advenuz à Roan et à Oranges[3], et en tient on la paix de vostre royaulme pour fort esbranlée, non sans y fère desjà des desseings, mais j'espère que ces accidans ne seront tant cause de la ropture de vostre éedict, comme ilz vous donront moyen, en les remédiant, de l'establyr davantaige. Sur ce, etc. Ce vie jour d'apvril 1571.

CLXXe DÉPESCHE

—du xie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Demande de la chambre des communes que la religion protestante soit seule tolérée en Angleterre.—Autorisation donnée par Élisabeth au comte de Morton de se rendre en Écosse pour en rapporter de nouveaux pouvoirs.—Opinion de l'ambassadeur que le traité d'Écosse peut être considéré comme rompu, et que le roi doit pourvoir à la défense de Marie Stuart.—Retour de lord Sidney, venant d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas.—Surprise de Dunbarton par les partisans du comte de Lennox.

Au Roy.

Sire, après la proposition du garde des sceaux, qui a esté telle que je vous ay mandé par mes précédantes, du vie de ce mois, ceulx de la segonde chambre de ce parlement ont vollu commancer leurs affaires par tretter de la religion; et ont requiz d'estre establye loy aulx subjectz de ce royaulme, sans exeption ny excuse d'aulcun, qu'ilz ayent toutz à se ranger à la forme de religion protestante, et assister aulx presches et prières, et faire, une foys l'an pour le moins, la cœne à leur mode, sur peyne de pryson et de confiscation de leurs biens meubles et immeubles pour toute leur vie, sinon qu'ilz retournent vollontairement à la dicte religion avec aprobation des évesques; auquel cas ilz recouvreront leurs immeubles, mais les meubles demeureront perpétuellement confisquez. Laquelle loy les seigneurs de la première chambre n'ont ozée ouvertement contradire, mais, parce qu'ilz ont allégué qu'elle restraindroit la liberté, qui leur estoit réservée par les précédans parlemens, et que pourtant ilz ne s'y vouloient légièrement soubzmettre, elle n'a encores passé.

Le reffuz que la Royne d'Escoce a mandé, de ne vouloir consentyr le retour du comte de Morthon, a miz la Royne d'Angleterre à ne sçavoir bonnement commant en debvoir user; car n'a vollu malcontanter le dict de Morthon, ny le retenir oultre son gré, cependant que ceulx de l'aultre party vont establyssant leurs affaires par dellà, mesmes qu'elle espère pouvoir amyablement obtenir de luy le Prince d'Escoce; et d'aultre part, elle a fait conscience d'offancer ouvertement la Royne d'Escoce, qui tant libérallement luy offre son filz, et toutes les condicions qu'elle luy veult demander. Enfin elle a choisy cest expédiant, de faire par ceulx de son conseil déclairer séparéement aulx depputez des deux partiz que, de tant que le dict comte de Morthon asseure avec sèrement qu'il n'a pouvoir suffizant pour accorder à la restitution de la Royne d'Escoce, qu'elle trouve bon qu'il s'en puysse retourner présantement pour aller tenir là dessus une assemblée, au premier jour de may prochain, affin d'obtenir le dict pouvoir, à condicion que, s'il ne revient incontinent après, et ne l'apporte, qu'elle procèdera sans luy au tretté encommancé pour la restitution de la dicte Royne d'Escoce, et habandonnera icelluy de Morthon et les siens; déclairant qu'elle persévère toutjour en sa dellibération de la restituer, laquelle déclaration n'a contanté les dicts du party de la dicte Royne d'Escoce, qui ont allégué plusieurs inconvénians au contraire, mais ilz n'ont peu rien advancer. Le dict de Morthon n'en est aussi demeuré guières contant, voyant que ceulx cy s'aheurtent tant à vouloir avoir le Prince, et croy qu'il ne retournera plus; dont je tiens ce tretté pour non seulement fort différé mais pour du tout interrompu, et qu'il est temps, Sire, de pourvoir à ceulx qui soubstiennent la cause de la dicte Royne d'Escoce, qui veulent entièrement dépendre de Vostre Majesté et qui ont faict déclairer icy qu'ilz ne veulent, pour chose quelconque qui leur puysse advenir, se despartyr à jamais de l'alliance de France, et desirent qu'on sache que, sur ce poinct principallement, ilz reffuzent de tretter avecques les Anglois. J'espère que, à la fin, les aultres se unyront avec eulx.

Celluy qui avoist esté envoyé pour advertyr milord Sideney de ne bouger de sa charge, n'a trouvé le passaige à propos, de sorte que le dict Sideney a esté descendu en Angleterre, premier qu'il ayt veu la dépesche, et a vollu venir bayser la main à sa Mestresse, vers laquelle il pourchasse meintenant que ung aultre soit envoyé en Yrlande, et semble que milord Grey se prépare pour y aller. Le depputé, qui est icy de Flandres, n'espère guières mieulx de l'yssue de sa commission, qu'ont faict ceulx qui y ont esté devant luy. Il y a desjà ung mois qu'il est arrivé et n'a encores rien advancé, mesmes l'on ne cesse, pour sa présence, de vendre toutjour à vil prix les mesmes merchandises des subjectz du Roy, son Maistre, qui doibvent estre randues; et si, ne trouve qu'on luy donne aulcun bon compte de ce qui a esté prins ez dernières huict ourques arrestées par deçà. J'ay présentement receu la dépesche de Vostre Majesté du premier de ce mois, sur laquelle j'yray veoir demain ceste princesse; sur ce, etc.

Ce xie jour d'apvril 1571.

Despuys la présente escripte et signée, je viens d'estre adverty qu'un avis est arrivé ce matin au comte de Morthon, qui porte nouvelles comme ceulx du party du Prince d'Escoce ont surprins Dombertrand, ayans trouvez endormiz ceulx qui estoient dedans, se sont faicts maistres de la place, et ont admené prisonniers milord de Flemy, Mr de St André et le Sr de Vérac. Je ne larray pourtant de demeurer en bons termes, si je puys, avec le dict de Morthon et de vériffier mieulx ceste nouvelle, laquelle je tiens assés pour suspecte et pour supposée.

CLXXIe DÉPESCHE

—du xvie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Audience.—Compte rendu par l'ambassadeur du sacre de la reine de France, et de son entrée à Paris.—Explications données par Élisabeth sur le départ du comte de Morton.—Injonction faite à l'évêque de Ross de quitter Londres.—Accord d'une nouvelle suspension d'armes en Écosse.—Confirmation de la prise de Dunbarton.—Négociation des Pays-Bas.—Proposition faite dans le parlement de déclarer criminel de lèze-majesté quiconque se porterait ou se serait porté héritier de la couronne d'Angleterre, du vivant d'Élisabeth.

Au Roy.

Sire, mercredy dernier, avant la solemnité de ces festes, j'ay esté trouver la Royne d'Angleterre à Ouestmestre, à laquelle, après luy avoir parlé de la magnifficence, en quoy la sepmaine précédante je l'avoys veue aller à l'ouverture de son parlement; avec ung très honorable ordre des principaulx de la noblesse de son royaulme, je luy ay dict que, despuys le partement de milord de Boucard jusques alors, Vostre Majesté avoit demeuré de m'escripre affin que je n'entreprinse d'aller compter à la dicte Dame rien de ce que le dict milord luy pouvoit rendre bon compte, et que je desirois qu'il luy eust donné par son rapport toute satisfaction de Voz Très Chrestiennes Majestez, comme je la pouvois asseurer que voz intentions estoient très bonnes et parfaictes envers elle; et que bientost après estre party, s'estant la Royne trouvée plus sayne et en meilleure disposition, et toutes choses plus prestes qu'on n'avoit pensé, vous aviez advisé, Sire, de la faire sacrer et couronner à St Deniz le xxve du passé, et faire son entrée à Paris le vingt neufiesme, avec ung si grand concours et aclamation de peuple, que Vous, Sire, en estimiez vostre mariage de tant plus agréable à Dieu qu'il estoit publiquement aprouvé des hommes; et que, si la Royne, de son costé, avoit prins grand playsir de se veoir ainsy honnorée, Vous, et la Royne vostre mère, en aviez receu double contantement pour l'amour d'elle et pour la singulière dévotion et bienveuillance, dont ce grand peuple continuoit de vous révérer toutz trois; qui au reste me mandiez, Sire, que les choses y avoient passé prou d'ordre sellon la grande multitude qui y estoit, et que l'entrée avoit esté assés belle, dont m'en feriez cy après envoyer les particullaritez pour les luy faire veoir; et cependant me commandiez qu'au nom de Voz Trois Majestez, je me conjouysse de cest acte avec elle, comme avec celle que vous asseuriez estre toutjour bien fort contante de vostre contantement; et encor que, peu de jours auparavant, ceulx de Roan eussent excité quelque tragédie contre ceulx de la nouvelle religion, ilz n'avoient toutesfoys peu troubler la feste, et s'apercevoient bien desjà qu'ils avoient offancé Vostre Majesté, qui me commandiez d'asseurer la dicte Dame que le chastiement s'en ensuyvroit; et que, tant s'en failloit que vous pensissiez debvoir sortir de cest accidant aulcune occasion d'esbranler vostre éedict de paciffication, que, au contraire, vous espériez de l'en confirmer et establyr davantaige.

La dicte Dame, avec démonstration d'ung grand contantement, m'a respondu qu'elle eust à bon esciant prins à mal que Vostre Majesté ne luy eust faict part de tant de belles et rares choses, qui avoient passé au sacre, couronnement et entrée de la Royne lesquelles elle entendoit avoir esté très magniffiques, et playnes d'une fort grande et fort royalle esplandeur, et qu'elle réputoit à ceste heure ung grand payement de la parfaicte amytié qu'elle vous porte, et de la vraye affection qu'elle a aulx choses de vostre grandeur et contantement, qu'il vous ayt pleu luy en faire ainsy bonne part; dont elle vous en remercye de tout son cueur, et vous prie de croyre qu'il n'y a nul, en tout le rolle de voz alliez, qui tant perfaictement se resjouysse, comme elle faict, de ce que la division et guerre, où naguières vostre royaulme se trouvoit, soit meintenant convertye en une doulce aclamation et généralle obéyssance, que toutz voz subjectz d'ung bon accord vous randent, qui remercyoient Dieu d'avoir miz en vostre cueur la généreuse résolution, que monstriez, de vouloir garder vostre parolle et la fermeté de voz éedictz, et qu'elle espéroit, à la vérité, que les moyens qu'on s'estoit, possible, choysiz pour les rompre, seroient ceulx là qui plus les confirmeroient; se continuant le propos en plusieurs honnestes deviz des cérémonyes honnorables et magniffiques qu'on avoit de tout temps usé en France, lesquelles l'on avoit toutjour sceu bien imiter en Angleterre, et du bien qui reviendroit à Vostre Majesté non sans grande réputation de vostre vertu, si Dieu vous donnoit à faire observer bien exactement vostre éedict.

Après, j'ay suyvy à luy dire que, de tant qu'elle m'avoit déclairé qu'elle ne prenoit playsir, ains se sentoit comme offancée, quant Vostre Majesté lui faisoit parler de la Royne d'Escoce, que je me trouvois en grand perplexité comment en user, et mesmes que sa déclaration estoit venue sur le poinct que plus vous attendiez, Sire, qu'ilz fussent accommodez, sellon ses précédentes promesses; dont voyant maintenant que le comte de Morthon s'en estoit retourné, et que deux des depputez de la Royne d'Escoce s'estoient aussi retirez, comme toutz descheuz de leur espérance, je ne sçavois ny n'osois luy demander qu'est ce que je vous en debvois escripre; et que je la suplioys, en attandant que le comte de Morthon revînt pour accomplir ce qu'il avoit promiz, qu'elle vollust au moins procurer une aultre prorogation d'abstinance de guerre en Escoce, et ne commander à l'évesque de Roz de s'en aller, comme j'avois entendu qu'elle estoit après de le faire, ains luy permettre de résider icy comme ambassadeur de sa Mestresse; laquelle aultrement viendroit à ung grand désespoir, et que c'estoient deux choses qui ne pouvoient estre à elle que bien fort honnorables.

La dicte Dame s'est arrestée à me discourir longtemps de l'ocasion, pour laquelle le comte de Morthon s'en estoit retourné, et de l'estat du tretté, et comme elle avoit mandé à son ambassadeur en France de vous en donner compte, monstrant, à la vérité, qu'elle a quelque nouvelle offance contre la dicte Royne d'Escoce, et qu'elle regarde seullement à ne vous irriter; et m'a néantmoins fort vollontiers accordé la dicte surcéance, mais assez fermement incisté que le dict évesque de Roz ne demeure point icy, durant ce parlement, pour les pratiques qu'elle crainct qu'il y face, sans toutesfoys me le reffuser.

Sur lesquelz deux poinctz, Sire, je suplie très humblement Vostre Majesté d'en faire faire quelque instance au sieur de Valsingan, parce que l'ung et l'aultre semblent convenir beaucoup à vostre service.

Il est venu, despuys yer, la confirmation de la prinse de Dombertrand par ceulx du comte de Lenoz, le premier jour d'avril, s'estant milord de Flemy saulvé, luy septiesme, et toutz les aultres prins, qui est ung accidant, lequel traversera et retardera beaucoup les affaires de la dicte Royne d'Escoce. Le depputé de Flandres a esté, ces jours passez, en fort privée et estroicte conférance avec le comte de Lestre et milord de Burlay, mais il semble qu'il n'obtiendra aulcune résolution de ses affaires, jusques au retour du jeune Coban. Ceulx de ce parlement ont proposé qu'il ne soit loysible à nul en ce royaulme d'alléguer que leur Royne soit hérétique, sismatique, ny séparée de l'esglize, ni mettre en avant aulcune sorte de prétencion à la succession de ceste couronne, tant qu'elle vivra, sur peyne de lèze majesté contre ceulx qui le feront, et contre ceulx encores qui ont desjà présumé de le faire. A laquelle proposition ayant ung de l'assemblée monstré d'y cercher quelque modération, il l'a si vifvement contradicte qu'elle demeure encores en suspens. Sur ce, etc.

Ce xvie jour d'apvril 1571.

Si Vostre Majesté avoit proposé d'envoyer des rafréchissemens et provisions à Dombertran, il les fauldra adresser meintenant à Lislebourg.

CLXXIIe DÉPESCHE

—du xixe jour d'apvril 1571.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Cavalcanti.)

Audience.—Proposition officielle du mariage du duc d'Anjou avec Élisabeth.—Consentement donné par la reine.—Discussion des articles du contrat.—Mémoire Général. Détails de cette négociation.—Termes dans lesquels la proposition a été faite.—Réponse d'Élisabeth.—Discussion des articles entre lord Burleigh (Cécil), Leicester et l'ambassadeur.

A la Royne.

Madame, avant de recevoir vostre lettre du iiie du présent, par le Sr Cavalcanty, j'avois desjà respondu par le Sr de Sabran aulx deux précédantes, que Vostre Majesté m'avoit escriptes de sa main; et a le dict Cavalcanty trouvé, quant il a esté icy, que les choses estoient en la mesmes disposition que je vous avois mandé, dont il vous comptera meintenant, Madame, comme, en venant, il fut arresté à Douvre, et conduit, soubz la garde d'ung guyde, jusques en la mayson de mylord de Burlay; ce qui ne peult estre si secrectement que quelques ungs ne l'entendissent, et, le soir mesmes, la Royne d'Angleterre parla à luy; de laquelle les responses et démonstrations vous seront par luy mesmes racomptées; et après, il vint conférer avec moy sur la dépesche qu'il m'avoit apportée.

Dont j'allay, le lendemain, trouver la dicte Dame, laquelle se retira en une gallerye à part, où, après luy avoir parlé d'aulcunes aultres particullaritez, je lui tins le propos que Vostre Majesté trouvera icy adjouxté, duquel je vous puys asseurer, Madame, qu'elle monstra recepvoir ung très grand et très acomply contantement, et m'y respondit en si bonne et modeste façon, et avec parolles tant pleynes d'honneur et d'honneste desir, que je n'y peuz rien cognoistre qui ne me semblât fort esloigné de simulation, et de feyntize, si toutes choses despuys eussent suyvy de mesmes, et me pria d'en conférer avec Mr le comte de Lestre et milord de Burlay, qui estoient les deux seulz ausquelz elle disoit avoir confyé le propos. Je leur tins, incontinent après, le mesmes langaige, que j'avois faict à la dicte Dame, avec les offres en l'endroict de chacun à part, que me commandiez de leur faire; qui les receurent avec très grand respect; et despuys, ilz m'ont monstré d'aporter une très abondante affection à la conclusion de ce faict, sur lequel toutesfoys nous n'avons, en trois conférances, peu raporter aultre chose d'eulx que ce que Vostre Majesté verra par les responces qu'ilz ont données à noz articles. Lesquelz responces ilz se sont fort esforcez de les dresser en termes qui ne puyssent, quant à la religion, estre cy après interprétez contre la leur, et, quant au reste, qui portent réservation des mesmes choses pour la dicte Dame, que le Roy Catholique accorda à la feu Royne Marie; et ont allégué qu'ilz ne pouvoient, parce qu'ilz n'estoient que deux, faire rien davantaige, sinon qu'ilz assemblassent le reste du conseil, et qu'ilz croyoient fermement que Vostre Majesté s'en contanteroit.

Je ne suys, à la vérité, Madame, demeuré si satisfaict que je desiroys de leurs responces, quant à la substance d'icelles, bien que les parolles, les promesses et les interprétations, qu'ilz y ont adjouxtées, ayent esté assés pleynes de contantement, et que, plusieurs foys, ilz m'ayent déclairé que toutes les conditions, que la Royne leur Mestresse vouloit demander oultre la religion, estoient contenues au contract de la Royne Marie, une seule exceptée, qui estoit de la succession de la couronne de France; auquel cas ilz vouloient pourvoir que la couronne d'Angleterre eust toutjours son Roy à part, qui seroit le puyné; mais il m'a semblé, Madame, qu'ilz prenoient ung circuyt pour gaigner, avec le temps, des avantaiges, ou bien pour, avec le mesmes temps, réfroydir la disposition de cest affaire, auquel nul n'oze, à présent, sinon y segonder bien fort tout ce que la dicte Dame en monstre desirer. Et m'a semblé aussi que le Sr de Valsingan leur avoit faict ainsy espérer de vostre affection en cest endroict, comme si Vostre Majesté estoit pour leur accorder tout ce qu'ilz vouldroient; mais je leur ay monstré qu'ilz vous trouveroient très fermement résolue à toutes les choses qui seroient de l'honneur, dignité et réputation de Monsieur, vostre filz, sans en vouloir quicter une seule. Dont, Madame, il sera bon, pour abréger la matière, et pour voir bien clair dans icelle, que, la première foys qu'on en confèrera avec le Sr de Valsingan, il luy soit demandé, (premier que de luy débattre rien des responces qu'on nous a faictes icy, ny monstrer en façon du monde qu'on les trouve mauvaises), qu'il baille toutes les condicions entièrement que la Royne sa Mestresse veult proposer de sa part; et puys sur les deux, après qu'on en aura rabillé les durtez, l'estreindre à passer les articles, lesquelz me pourront puys après estre envoyez, signez de Voz Majestez, pour les délivrer icy, en m'en baillant aultant signez de la main de la dicte Dame et non aultrement; et puys, Vostre Majesté pourra envoyer ung du privé conseil, ainsy, qu'elle a sagement advisé de le faire, pour en passer le contract; car je craindrois, si avant cella vous y faysiez venir quelcun, qu'il ne fût, possible, contrainct de s'en retourner sans aucune conclusion, avec peu de réputation des affaires de Voz Majestez et de Monseigneur, ainsy que j'ay prié le Sr Cavalcanty de le vous dire plus en particullier.Sur ce, etc. Ce xixe jour d'apvril 1571.

Je vous envoye ung petit pourtraict que Mr le comte de Lestre m'a donné. Il faict icy beaucoup de bons offices pour mériter grandement de la bonne grâce de Voz Majestez. Je croy qu'il ne sera que bon que le Sr de Valsingan ayt souspeçon que Monseigneur soit recerché du costé d'Espaigne pour la Princesse de Portugal avec ung très grand douaire; car c'est ce qu'on crainct icy assés, et en hastera l'on davantaige la besoigne.

MÉMOIRE.

Suyvant la lettre de la Royne, mère du Roy, du iiie avril 1571, le Sr de La Mothe Fénélon a dict à la Royne d'Angleterre, le xiie du dict mois:

Que le bon desir de Leurs Majestez Très Chrestiennes s'estoit desjà manifesté de longtemps envers elle, en ce que la Royne Très Chrestienne luy avoit vollu pourchasser le Roy, son filz, en mariage, en quoy la mère, et le filz, et toute la France, luy avoient faict veoir en quel grand compte d'honneur et de respect ilz tenoient son amytié et le party de son mariage;

Et, bien qu'il leur eust fallu délaysser ce propos par des difficultez qui avoient esté faictes de son costé à cause de l'eage, l'affection pourtant n'avoit diminué du leur, ains aussitost qu'elle avoit monstré quelque résolution de se vouloir maryer, la Royne Mère estoit tournée à sa première dellibération de pourchasser pour Monseigneur, son filz, frère du Roy, le mesmes party qu'elle avoit desiré pour le Roy, avec, possible, plus de commodité et de correspondance de toutes choses, en ce segond propos, qu'il n'y en eust heu au premier, et en avoit desjà parlé au Roy en si bonne sorte qu'elle le luy avoit faict vouloir et bien fort desirer; mais elle n'avoit heu grand peyne de le persuader à Monsieur, parce que ses perfections et vollontez estoient desjà de longtemps dédyées et consacrées à l'honneur et service de la dicte Dame;

Et encor que, pour estre sorty voix de cella en France et en Angleterre, premier quasi qu'on eust commancé d'en parler, il se fût descouvert que les aultres princes seroient pour en prendre une très grande jalouzie, et qu'ilz s'esforceroient d'y mettre de grandz obtacles et empeschemens, jusques à s'esforcer d'y employer les deffances et interdictz de l'esglize, et aultant d'aultres escandalles qu'ilz y pourroient inventer;

Et que les subjectz des deux royaulmes seroient aussi pratiquez de ne le vouloir point, et mesmes d'entreprendre d'y former, comme d'eulx mesmes, des opositions, et que le Roy se fût desjà aperceu que, sur ce prétexte, l'on avoit vollu traverser ses affaires dedans et dehors son royaulme;

La Royne Mère pourtant ne s'en estoit descoragée, car avoit estimé que, venant par ce moyen la grandeur des deux royaulmes à se fortiffier l'une l'autre, les aultres dangiers seroient bien aysez à évitter, mais elle s'estoit quelque temps arrestée sur deux poinctz: l'ung estoit qu'il luy sembloit estre besoing d'avoir l'asseurée cognoissance si la dicte Royne d'Angleterre, estant si grande princesse et accomplye en tant de perfections comme elle est, auroit agréable qu'ung tel propos luy fût miz en avant, premier que d'entreprendre de luy en parler;

Le segond qu'elle vouloit bien obvier en ce pourchaz, d'amytié et d'alliance, de ne rencontrer tout le contraire parce qu'on luy persuadoit fermement que l'intention de la dicte Dame n'estoit, en façon du monde, de se maryer, et que le semblant, qu'elle en fezoit, n'estoit que pour servyr à ses affaires, et puys se moquer de celluy qui y auroit prétandu; et advertissoit on le Roy et elle de regarder à l'exemple des aultres, dont craignoient grandement Leurs Majestez qu'ilz n'en demeurassent bien fort offancez, et Monseigneur griefvement attristé et fort ulcéré en son cueur;

Mais leur ayant semblé, à ceste heure, qu'ilz estoient bien esclarcys de ces doubtes par la ferme persuasion, qu'ilz se sont donnez avec très grand fondement de rayson, qu'il n'y avoit que toute sincérité et candeur ez présentes démonstrations de la dicte Dame, et qu'ilz ont estimé que leur bonne affection en cest endroit, et celle de Monsieur ne pourroient estre que bien prinses d'elle, ny que bien agréables à Dieu et très honnorables devant la face de toutz les humains, ils s'estoient résoluz de la luy faire entendre avec l'honneste respect qui estoit deu à sa grandeur.

Et ainsy avoient dépesché le Sr C.....[4] avec lettres de créance à la dicte Dame pour la supplier de trouver bon qu'ilz luy peussent tretter Monsieur, leur filz et frère, en mariage; et qu'elle eust agréable qu'ilz le luy offrissent, comme, dès à présent, ilz le luy offroient, avec toute habondance d'amytié et de bonne affection, et avec toutz les moyens, forces et commoditez, qui pourront jamais estre en la couronne de France, pour en orner, honnorer et establyr la grandeur de la sienne, sellon les conditions qu'ilz luy avoient envoyées;

Qu'ilz ne vouloient user, en l'endroict d'une tant vertueuse et tant accomplye princesse, d'aultres raysons ny persuasions de ce party, sinon de la prier qu'elle le vollût mesurer pour tel, comme sa prudence sçavoit bien juger qu'il estoit, et que, comme au regard d'elle ilz l'estimoient très grand et très honnorable pour Monsieur, ainsy s'esforceoient ilz, du costé de Monsieur, le luy randre à elle le plus heureux et le plus accomply qu'il leur seroit possible.

Cella desiroient ilz, à ceste heure, qu'ayantz parlé clairement de leur part, elle leur vollût aussi randre sa responce bien claire, et si, d'avanture, elle la leur fezoit conforme à leur honneste desir, que tout ainsy qu'ilz se résolvoient de ne cercher en rien à jamais que l'advancement de la grandeur, de l'honneur et réputation de la dicte Dame, sa commodité et contantement, ainsy la prioyent ilz d'avoir pareil esgard à la conservation de leur honneur et réputation, de celle de Monsieur; et que pour obvier à la malice de ceulx, qui vouldroient apporter de l'empeschement, et, possible, de l'escandalle en ce propos, qu'il luy pleust le conduyre secrectement et sans longueur, de son costé, comme ilz le tiendroient secrect et le presseroient, aultant qu'il leur seroit possible, du leur, pour le randre plustost conclud que divulgué; et puys ilz y adjouxteroient toutz les honneurs, respectz et aultres dignes observances, qu'ilz cognoistroient bien estre deues à la grandeur de la dicte Dame.

LE PROPOS A ESTÉ OUY, AVEC GRAND DESIR ET ATTENTION,

De la dicte Dame auquel le dict Sr de La Mothe a estimé estre besoing de n'obmettre rien des susdictes particullaritez; et elle, d'une fort bonne et fort modeste façon, luy a respondu:

Qu'elle vouloit bien employer, en l'endroict du Roy et de la Royne Très Chrestienne, toutes les sortes de grandz mercys, que le bonheur et le grand honneur, qu'ilz luy pourchassoient, par l'offre d'une chose si excellente et pleyne de toutes perfections, et tant conjoincte à Leurs Majestez, comme estoit Monsieur, leur filz et frère, l'avoient desjà obligée de leur randre, et remercyoit Dieu qu'il eust miz de toutes partz une bonne correspondance de vollontez, et le prioyt d'y adjouxter aussi sa bénédiction et sa saincte faveur;

Que, quand feu monsieur le cardinal de Chatillon luy avoit ouvert ce propos avec de grandes raysons et de bien honnestes persuasions, lesquelles elle a récitées par le menu, mais seroient longues à mettre icy, où toutesfois elle n'avoit veu aultre fondement que de la bonne affection de ce seigneur et d'une lettre de Telligny, elle ne s'estoit guières advancée; et, encor que despuys il luy eust faict veoir aulcuns signes de la bonne intention de la Royne Mère, et que le Sr de La Mothe luy en eust aussi commancé de toucher quelque mot, non toutesfois que en simples termes de bon desir qu'il y avoit, elle, pour son honneur, n'avoit peust user de plus grande expression que de donner entendre qu'elle estoit conseillée de se maryer, et résolue que ce ne seroit jamais qu'avec un prince de sa qualité; et puys, sur le rapport, que milord de Boucard luy avoit fait des honnorables propos que la Royne Mère luy avoit tenuz, elle avoit respondu un peu plus ouvertement à Sa Majesté par le Sr de Valsingan.

A ceste heure, que le dict Sr de La Mothe luy avoit clairement exposé la vollonté de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et de Mon dict Seigneur, conforme à ce que le Sr Cavalcanty, sur les lettres de créance, luy en avoit dict, elle ne luy temporiseroit guières la sienne, en laquelle elle prioyt Leurs dictes Majestez de croyre que toute vérité et sincérité s'y trouveroit, comme elle l'espéroit aussi trouver en la leur;

Et qu'on ne pouvoit dire qu'en l'endroict de nul prince, qui l'eust faicte requérir, elle eust uzé de simulation; car au Roy d'Espaigne, qui premier luy en avoit faict parler, elle s'estoit incontinent excusée par l'escrupulle de sa consience, qui ne luy permettoit d'espouser celluy qui avoit esté mary de sa sœur, et aulx princes de Suède et de Dannemarc elle leur avoit, dans huict jours, si expressément faict respondre qu'elle ne se vouloit encores maryer, qu'ilz n'avoient heu, après cella, nulle occasion de plus s'y attandre. Le propos du Roy estoit venu lorsqu'il estoit encores bien jeune, et elle luy avoit tout aussitost faict entendre sa rayson et response. Au regard de l'archiduc Charles, elle confessoit qu'il luy avoit esté usé de longueur, à cause des troubles et empeschemens qui estoient survenus au monde, mais il s'apercevoit meintenant qu'il n'y avoit point heu de feintize; Et s'estoit bien aperceue la dicte Dame que l'excuse, dont elle avoit usé envers le Roy d'Espaigne, n'avoit esté prinse de bonne part, car jamais despuys il ne l'avoit aymée; dont, au propos, qui se offroit meintenant, elle se vouloit bien garder de n'altérer en rien la bonne amytié qu'elle avoit avec Leurs Majestez Très Chrestiennes,

Les priant de considérer, en ce qui concernoit les choses d'Escoce, que, si Monsieur, leur filz et frère, avoit à estre son seigneur et mary, le bien et l'utillité de l'Angleterre luy seroient commiz, et que les dangiers, qui y pourroient advenir par le moyen de la Royne d'Escoce, seroient plus facilles de remédier pendant qu'elle seroit entre ses mains que si elle en estoit dehors;

Qu'au reste elle n'avoit moindre soin qu'avoient Leurs Majestez Très Chrestiennes de tenir l'affaire secrect, et pouvoit jurer de ne l'avoir encores communiqué que au comte de Lestre et à milord de Burlay, ausquelz elle avoit monstré les articles, que le dict Cavalcanty luy avoit baillez; ès quelz la plus grande [difficulté] se monstroit aulx deux premiers, parce qu'il n'estoit expédiant qu'aulcune de toutes les cérémonies requises à une nopce d'un roy et d'une royne héréditayre de ce royaulme y fussent obmises;

Et, quant à ottroyer l'exercice de la religion catholique à Monsieur et à ses domestiques, c'estoit ce où l'on avoit toutjour le plus contradict à l'archiduc Charles, et qu'elle desiroit que cella s'accommodât en quelque bonne sorte, priant le dict Sr de La Mothe de ne s'y vouloir monstrer plus difficile que, possible, Monsieur mesmes ne le vouldroit estre.

A CES DEUX DERNIERS POINCTZ
le dict Sr de La Mothe a respondu:

Que le Roy et la Royne seroient très marrys qu'aulcune des cérémonies accoustumées deffaillys en la cellébration de ce mariage, lequel ilz desiroient veoir orné de toutes ses plus dignes solennitez, pourveu que la religion et la conscience de Monsieur n'y fussent offancées; mais, comme desjà plusieurs aultres mariages avoient esté faictz en la Chrestienté entre personnes de diverse religion, et le couronnement aussi de l'Empereur avoit esté cellébré avec l'assistance des princes ellecteurs, qui sont de l'une et de l'aultre, ainsy se pourroit solemniser cestuy cy sans contraindre la conscience des espousez; et qu'au reste le dict Sr de La Mothe croyoit qu'elle ne vouldroit si mal tretter ce prince que de le priver de l'exercice de sa religion, ny luy vivre un seul jour sans l'avoir, ains au contraire qu'elle l'auroit en mauvaise estime, si, pour chose du monde, il en vouloit rien quicter.

LA DICTE DAME A RÉPLIQUÉ:

Qu'elle avoit esté couronnée et sacrée sellon les cérémonies de l'esglize catholique, et par évesques catholiques, sans toutefois assister à la messe, et qu'elle seroit marrye de croyre que Monsieur vollût quicter sa religion: car, s'il avoit le cueur de délaysser Dieu, il l'auroit bien aussi de la laysser à elle, mais me prioyt de conférer de toutes ces choses avec les dicts comte de Lestre et milord de Burlay.

AU PARTIR DE LA DICTE DAME,

estant icelluy de La Mothe entré en conférance des dictes choses, aulx mesmes termes que dessus, avec les dicts de Lestre et Burlay, icelluy de Burlay, pour les deux, lui a respondu:

Que la grandeur de cest affaire se monstroit en ce qu'il estoit question de joindre deux royalles personnes ensemble, et faire par ce moyen la conjonction de deux grandz royaulmes, en quoy, puysque la Royne, leur Mestresse, parmy la fidellité de tous ses aultres conseillers, avoit choisy la leur, pour à eulx seulz commettre le propos, ilz se sentoient très obligez de cercher ce qui seroit pour son honneur, pour son proffict et encores pour sa conscience;

Qu'ilz confessoient qu'ilz luy avoient conseillé de se maryer, et, quant ilz avoient veu que sa vollonté y estoit disposée, ilz l'y avoient confortée davantaige comme à chose très honnorable pour elle, et très nécessaire pour son royaulme, et encores utille à eulx deux, et pleyne de louange à ses conseillers, et générallement desirée de toutz ses subjectz; et en ce que le party se offroit avec Monsieur le duc d'Anjou, prince fleurissant en beaulté, en jeunesse et en toutes sortes de vertu, yssu d'un très illustre sang, et d'une des plus royalles maysons de toute la terre, qui avoit ung très puyssant roy de frère, et une très saige et très vertueuse royne de Mère, et luy mesmes estoit très acomply en toutes sortes de perfection, ne failloit doubter qu'ilz ne l'aprouvassent, qu'ilz ne le desirassent, et qu'ilz ne remercyassent Dieu d'avoir réservé ung si grand heur à leur Mestresse, laquelle, en tout le circuyt du monde, n'eut peu rencontrer ung plus honnorable, ny plus convenable party que cestuy cy;

Et pourtant, sur la correspondance qui s'y voyoit desjà des deux costez, et que, de celluy de la dicte Dame, ne failloit plus doubter que la disposition n'y fût très bonne, comme fondée en honneur, en utillité et possible en nécessité, et Mon dict seigneur d'Anjou cogneu très desirable, (duquel ilz vouloient encores dire ce mot, qu'on n'avoit jamais ouy une seule nouvelle de luy en ce royaulme, qui ne fût à sa très grande louange), ilz jugeoient que le propos estoit pour venir bientost à ung bien heureux acomplissement, si d'avanture la durté d'aulcunes condicions, que le Sr Cavalcanty avoit apportées, n'y donnoit empeschement.

Sur lesquelles ilz considéroient que la Royne, leur Mestresse, quant à celles qui concernoient la religion, n'en pouvoit ny devoit ottroyer pas une, qui peult offancer sa conscience ou troubler l'ordre de son royaume, ny apporter escandalle à ses subjectz; et, quant aulx aultres, qu'il importoit bien fort à sa réputation qu'on ne luy en diminuât aulcune, de toutes celles qui avoient esté réservées à la feu Royne Marie, sa sœur, par son contract de mariage avec le Roy d'Espaigne.

A CELLA LE DICT DE LA MOTHE,

après leur avoir bien fort gratiffié leurs bonnes paroles, leur a respondu:

Qu'ilz sçavoient bien que Monseigneur estoit catholique, prince duquel l'honneur et la réputation de sa vertu ne pouvoit comporter qu'il obmist rien des choses qui apartenoient à sa religion, et que Dieu luy avoit formé la conscience dans un cueur si ferme, si généreux et tant plein de magnanimité, qu'il choysiroit plustost la mort que d'y avoir souffert nulle offance; mesmes que la Royne, leur Mestresse, luy venoit de signifier assés expressément qu'elle l'auroit en très mauvaise estime s'il habandonnoit son Dieu, car craindroit qu'il l'abandonnast bientost après à elle. Toutesfois Mon dict Seigneur ne requéroit qu'on luy ottroyast aultre chose en cella, sinon de ne priver luy et ses domestiques du libre exercice de leur religion, ce que si on luy mettoit en difficulté, il auroit occasion de doubter assés de tout le reste.

Et au surplus, encor que le Roy d'Espaigne, quant il espousa la Royne Marie, fût aparant héritier de plus de royaulmes et d'estatz que Monseigneur, il ne le passoit toutesfoys en nulle de toutes les autres excellentes qualitez d'ung très grand et d'ung très royal prince, et, possible, les avoit il, à ceste heure, plus convenables à ce royaulme que n'avoit heu lors le dict Roy d'Espaigne, qui n'estoit passé icy pour estre aulcunement anglois, ains pour faire l'Angleterre sienne; et ilz voyoient bien que Monseigneur se venoit tout donner à la Royne, leur Mestresse, et à eulx, pour n'estre jamais aultre que tout à elle et entièrement leur, par ainsy qu'il le failloit bien tretter, luy donner ung bon et grand entretennement, et luy faire les advantaiges que sa grande qualité et sa bonne intention méritoient.

APRÈS CELLA,

par l'ordre que les dicts de Lestre et Burlay ont donné de pouvoir secrectement, et quelquefoys de nuict, convenir ensemble, en la mayson du jardin de Ouestmestre, l'on a tiré d'eulx, non sans beaucoup de difficulté, les responces que le dict Cavalcanty a emporté.

Sur lesquelles, ayant despuys esté faict par le dict de La Mothe plusieurs vifves remonstrances à la dicte Dame, et pareillement à iceulx de Lestre et de Burlay, pour y avoir de la modération, elle et eulx se sont d'un costé si fermement persuadez que Leurs Majestez Très Chrestiennes et Monseigneur s'en contanteroient, (et de l'aultre ilz n'ont ozé, parce qu'ilz n'estoient que deux du conseil à tretter l'affaire, s'eslargir davantaige), qu'il n'a esté possible d'y rien plus obtenir pour ce coup; et a heu prou à faire à icelluy de La Mothe, de persuader à la dicte Dame qu'elle deust respondre à la lettre de Monseigneur, car disoit que la plume luy tumberoit de la main, et ne sçauroit avec quel estille luy parler, et que, par la lettre qu'elle escriproit à la Royne, elle la prieroit de satisfaire pour elle vers luy, n'ayant encores jamais escript à nul des aultres princes, qui avoient prétendu de l'espouser, sinon une seulle foys à l'archiduc Charles, en termes fort esloignez de mariage. Et néantmoins, ayant enfin donné lieu à sa bonne vollonté, et à l'instance du dict Sr de La Mothe, elle a faict responce à Mon dict Seigneur.

Et icelluy de La Mothe a adverty le dict Cavalcanty d'aulcunes considérations, par lesquelles luy semble que la durté des responces de ceulx cy se pourra modérer à l'honneur et satisfaction de Mon dict Seigneur; dont sera bon d'essayer si le Sr de Valsingan s'y vouldra condescendre, et se tenir ung peu ferme en cella; mais, quant l'on ne pourra obtenir mieux, il fauldra veoir de quoy l'on se pourra passer, et ne laysser pour cella de conclurre, car, estant estably par deçà, il obtiendra de ceste princesse et des siens encores plus que ce qu'il demande, mais fault estre adverty que la froideur de dellà réchauffe ceulx cy, et quant l'on y veoit de la challeur, ilz monstrent de se refroydir: et semble aussi qu'il sera bon de ne les laysser entrer en extraordinaires demandes, car ce ne seroit qu'une longueur de négociation, si l'on leur en escoutoit une seulle, et en admèneroient toujours d'aultres, qui enfin conduyroient l'affaire en ropture.

CLXXIIIe DÉPESCHE

—du xxiiie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée jusques à Calais soubz la couverte du Sr Acerbo.)

Mauvais état des affaires de Marie Stuart.—Exécution en Écosse de l'archevêque de Saint-André.—Nouvelles d'Irlande et des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, j'ay miz peyne de donner, par le contenu de vostre dépesche du xie du présent, le plus de consolation, qu'il m'a esté possible, à la Royne d'Escoce, laquelle ne fault doubter que n'en heust fort grand besoing pour l'ennuy qu'elle a prins de l'interruption de son tretté, et de la surprinse de Dombertran, qui sont deux accidans qui esloignent bien fort les affaires de sa restitution; et croy, Sire, que nulle aultre chose luy pouvoit venir meintenant à plus de sollagement que ceste persévérance qu'elle voit de la constante affection et bonne vollonté de Vostre Majesté envers elle, ce qui contante aussi grandement ceulx qui luy veulent bien par deçà. Encores présentement, Sire, l'on me vient d'advertyr que le comte de Lenoz a faict exécuter l'archevesque de St André[5], frère du duc de Chastellerault, qui sera une aultre griefve offance à la dicte Dame, et semble que d'icy l'on ayt aussi envoyé essayer le dict de Lenoz s'il vouldra mettre Dombertran ez mains des Anglois; à quoy je metz et mettray bien toutz les obstacles qu'il me sera possible: Le Sr de Vérac a esté conduict à Esterlin, auquel, à ce que j'entendz, l'on a heu du respect pour estre serviteur de Vostre Majesté.

La tenue de ce parlement a esté délayssée le lundy aoré[6], et l'a l'on recommancée le jeudy de Pasques. Il semble qu'elle ne s'achèvera sans quelque nouveaulté. Milord Sideney pourchasse instantment d'estre deschargé de sa commission d'Yrlande, et dict on qu'ayant assés heureusement conduict, jusques à ceste heure, les choses de dellà, il y crainct une mutation de fortune, car il y veoit le peuple fort alliéné de l'affection des Anglois et tout adonné à la religion catholique, et qui n'attand rien en plus grande dévotion que la venue d'Estuqueley, et de Fitz Maurice; mais je n'entendz point qu'on y envoye encores que milord Grey pour commander, en absence du dict Sideney, lequel cependant aspire à estre grand maistre d'Angleterre.

La troupe des vaysseaulx du prince d'Orange se grossit toutjour en ceste mer estroicte, et m'a l'on mandé, de la coste de dellà, qu'ilz pillent aussi bien les François que les Flamans, mais ne m'en estant encores venue nulle expécialle plainte, je n'en ay faict aussi encores pas une à ceulx cy. Le depputé de Flandres poursuyt toutjour la conclusion de l'accord des prinses, mais il cognoist bien que sa négociation est, de jour en jour, prolongée, pour attandre le retour du jeune Coban. Sur ce, etc.

Ce xxiiie jour d'apvril 1571.

CLXXIVe DÉPESCHE

—du xxviiie jour d'apvril 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Dièpe.)

Propositions agitées dans le parlement.—Affaires d'Écosse.—Sollicitation faite par Marie Stuart d'un prompt secours.—Armemens à Londres et dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, il n'a esté encore guières rien proposé d'importance en ce parlement, que les deux poinctz que je vous ay desjà mandez, contre ceulx qui ne vouldroient faire expresse profession de la religion protestante, et contre ceulx qui oseroient appeler ceste princesse sismatique ou séparée de l'esglize, ou qui présumeroient, tant qu'elle vivra, et qui mesmes auroient desjà présumé de s'atribuer tiltre à ceste couronne, pour punir les premiers de prison perpétuelle et de confiscation de leurs biens, et les segondz déclairez eulx et leurs descendans à jamais attainctz de lèze majesté, et ont adjouxté ung tiers article contre les fuytifz du North, pour confisquer leurs biens et personnes; mais de tant que ces choses ont esté proposées trop véhémentes, l'on a commiz certains depputez à les modérer, pour, puys après, les fayre sortyr en loy. Et m'a l'on dict, Sire, que la dicte Dame, en ce qu'elle a peu cognoistre qu'on vouloit toucher au droict de la Royne d'Escoce pour la priver de la succession de ce royaulme, n'y a vollu consentyr, et en a faict rompre les billetz. Meintenant se commence à parler du subcide, lequel pourra monter à six centz mil escuz, et affin d'avoir bientost la conclusion d'icelluy, la dicte Dame presse bien fort tout le reste, de sorte qu'on espère que le dict parlement sera tantost finy, ou qu'il sera prorogé à ung aultre temps.

Les choses d'Escoce, nonobstant la prinse de Dombertran et l'exécution de l'archevesque de St André, ne monstrent succéder tant au gré de ceulx cy comme ilz espéroient, car la part de la Royne d'Escoce, despuys que l'armée d'Angleterre a esté retirée, est toutjour demeurée plus forte et plus authorisée que l'aultre, et ne voyent les Anglois qu'il soit bien facille d'avoir Dombertrand entre leurs mains, parce que ceulx qui l'ont en garde sont toutz escouçoys; et j'ay desjà faict prandre ung escrupulle à la comtesse de Lenoz que cella tendroit à déshériter son petit filz, et que son mary perdroit toutz ses amys en Escoce, et seroit honteusement déchassé du pays, s'il se layssoit contraindre à bailler cette place. La Royne d'Escoce vous escript amplement, et m'apelle à tesmoing comme elle s'est toutjour sincèrement conformée à l'intention de Vostre Majesté, et que, sans cella, elle ne se fust attandue au tretté, duquel voyant à ceste heure l'interruption, et que la surprinse de Dombertrand est advenue pendant que l'on estoit en conférance, elle estime que l'injure touche en aussi grand part à Vostre Majesté comme à elle mesmes; et pourtant vous requiert, Sire, qu'il vous playse pourvoir meintenant à la seureté de Lislebourg, qui est place trop plus importante que n'estoit Dombertrand, ensemble à la conservation de ceulx de son party, lesquelz avec la dicte place sont pour se randre facilement maistres du pays, si une trop grande force d'Angleterre ne s'y oppose; et pourtant demande qu'il soit consigné à Chesolme, contrerolleur des monitions du chasteau de Lislebourg, douze miliers de pouldre, dix de grosse et deux de grenée, deux aultres miliers de salpètre rafiné, quarante harquebouzes à crocq de fonte, deux centz bouletz de collouvrine, aultant de bastarde et six cens de moyenne, cent corseletz completz, et deux foys aultant de morrions, deux cents piques avec leurs fers, deux centz harquebouzes à main avec leurs fornymens, et cent hallebardes, trente tonneaulx de vin, deux tonneaulx en vinaigre et douze poinçons de lard; mais surtout elle vouldroit qu'il y eust dedans quelques soldats françoys bien expérimentez à la garde et deffance d'une place. Et de tant, Sire, qu'il a esté desjà miz ordre à une partie de cella, le reste se pourra faire à peu de coust. Aussi mande la dicte Dame que vingt navyres de ses rebelles sont prestz à partyr pour France, lesquelz elle vous suplie, Sire, de faire arrester tant biens, vaysseaulx que personnes, car a opinion que cella servyra grandement à son affaire.

Et parce que j'ay entendu que le Sr de Vérac s'est desjà embarqué pour aller trouver Vostre Majesté, il vous pourra randre plus particullier compte de l'estat des choses de dellà pour y pouvoir plus seurement dellibérer; seulement j'adjouxteray icy, Sire, qu'il me semble ne pouvoir revenir qu'à l'honneur et réputation de voz affaires, et nullement au préjudice d'iceulx, que Vostre Majesté s'employe, sans offance des Anglois, à conserver l'Escoce, sellon que les alliances et confédérations anciennes vous y obligent; mêmes qu'en ceste court se parle d'y faire encores une expédition avec grande espérance qu'on pourra emporter le chasteau de Lislebourg, et s'impatronyr d'une partie du royaulme.

Il se faict icy une grande provision d'armes par les particulliers, et remonte l'on à neuf en la Tour de Londres soixante canons ou collouvrines, partie à rouage de navyres, partie pour batterie, et ne se descouvre encores pour quelle entreprinse c'est, qui me faict avoir toutjour craincte de l'Escoce. Il est vray qu'ilz disent que le duc d'Alve arme trente six navyres en Olande; et que le duc de Medina Celi, lequel, sellon les adviz qu'ilz ont, vient par terre, envoye une armée par mer avec trois mil Espaignolz; et, nonobstant qu'on leur ayt asseuré que Estuqueley estoit prest à partir, le xxviiie du passé, pour suyvre dom Joan d'Austria en Itallie, affin d'aller parler au Pape, ilz ne layssent pour cella de monstrer qu'ilz se craignent du costé d'Yrlande.

Cependant le Sr de Lumbres est party de Plemmue, le Ve de ce mois, avec cinq bons navyres fort bien armez et artillez, pour aller à la Rochelle, et m'a l'on asseuré qu'il a emporté soixante dix mil escuz en or et une aultre assés bonne somme en argent monoyé, ou billon. Le bastard de Briderode est demeuré en ceste mer estroicte avec douze ou quinze aultres vaysseaulx, dont y en a quelques ungs d'assés bons. Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne et le depputé de Flandres s'en pleignent assés, mais ilz font estat, à ce qu'ilz m'ont dict, de n'espérer aulcune bonne expédition en cella, ny en l'affaire des prinses, jusques à ce que le jeune Coban soit de retour. Sur ce, etc.

Ce xxviiie jour d'apvril 1571.

CLXXVe DÉPESCHE

—du iie jour de may 1571.—

(Envoyée jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Discussion des affaires d'Écosse.—Nécessité d'une nouvelle déclaration du roi que son intention est d'envoyer des troupes en Écosse.—Subside demandé au parlement.—Négociation des Pays-Bas.—Lettre secrète à la reine-mère. Détails confidentiels sur la négociation du mariage avec Leicester, lord Burleigh, le duc de Norfolk, et lord de Lumley.

Au Roy.

Sire, j'ay tenu à la Royne d'Angleterre les honnestes propos, que Vostre Majesté me commandoit par sa dépesche du xiie du passé, touchant le playsir que ce vous estoit qu'elle eust prins à bon gré les faveurs qu'aviez faictes à ceulx des siens, qu'elle vous avoit naguières envoyez, et luy ay touché ung mot de la bonne provision qu'aviez donnée à réprimer les désordres advenuz à Roan contre ceulx de la nouvelle religion, et comme vostre intention, et celle de la Royne et de Monseigneur, demeuroient très fermes en l'entretennement de vostre éedict, de sorte que vous la pouviez asseurer qu'il seroit inviolablement observé.

La dicte Dame, après m'avoir répété plusieurs choses honnorables, que les siens luy récitoient encores toutz les jours de leur voyage de France, m'a dict qu'elle vous cuydoit avoir beaucoup honnoré et obligé en vous envoyant son ambassadeur, mais qu'elle se trouvoit trop plus honnorée et obligée de Vostre Majesté pour l'avoir trop favorablement receu; et a suyvy qu'elle louoit infinyement vostre vertueuse dellibération de vouloir meintenir la paix en vostre royaulme, et que desjà vous avez faict concepvoir au monde que vostre parolle seroit vrayment royalle, et toute pleyne de certitude, et de vérité; dont ne failloit doubter qu'elle ne rendît aussi la réputation de Vostre Majesté et celle de voz affaires toute comble d'honneur et d'infinité de proffictz.

J'ay continué, (touchant ce que son ambassadeur avoit racompté à la Royne, vostre mère, des difficultez qui s'estoient trouvées au tretté de la Royne d'Escoce, et de l'opinion qu'il avoit que les instances, que me commandiez assés souvent de faire en cella à la dicte Dame, luy estoient ennuyeuses), que je layssois bien à son dict ambassadeur de luy avoir faict entendre combien il avoit cogneu estre à vous mesmes, Sire, et à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur, très ennuyeux que les choses n'eussent prins le bon chemin d'accord qu'elle vous avoit promiz, et faict plusieurs fois espérer; et que néantmoins elle vous feroit grand tort si ne croyoit fermement qu'en ce que vous aviez cy devant cerché, et que vous cercheriez cy après d'acquitter en cest endroict le deu de vostre honneur et de vostre obligation, que vous n'eussiez aussi regardé, et que vous ne regardissiez encores que l'honneur pareillement, et la réputation de la dicte Dame, sa seureté et celle de ses affaires, et tout son contantement y fussent dilligentment observez.

Elle m'a respondu bénignement qu'elle estoit bien marrye de ne vous avoir peu lors mander de meilleures nouvelles du tretté, mais il n'y avoit heu ordre, à cause des contradictions qui s'y estoient monstrées; mais il sembloit que despuys les choses se fussent ung peu modérées, et qu'elles pourroient encor réuscyr à la bonne fin que Vous, Sire, et elle desiriez.

Je n'ay rien répliqué à cella; mais de tant, Sire, que bientost se doibt faire une monstre généralle en ce royaulme, et que le comte de Sussex inciste toujours luy estre permiz qu'il puysse retourner encores une foys avecques une armée en Escoce, Vostre Majesté advisera s'il sera bon que je remonstre à la dicte Dame et à ceulx de son conseil comme les seigneurs escouçoys, qui tiennent le party de leur Royne, voyant que, par l'opiniastreté des aultres, le tretté n'a peu succéder, et que, pendant la conférance, le comte de Lenoz a surprins Dombertran, qu'ilz vous requièrent très instantment de leur assister jouxte vostre promesse, et sellon l'alliance qu'ilz ont avec vostre couronne; et que vous voulez bien prier la dicte Dame de ne prandre aulcune souspeçon ny deffiance si vous vous acquietez en quelque partie de ce à quoy vostre honneur et debvoir vous obligent vers eulx; car luy promettez et jurez que ce ne sera pour aporter aulcun dommaige ou incommodité à elle, ny à ses pays et estatz; par où, Sire, nous pourrons obtenir ou que la dicte Dame accordera ouvertement que puyssiez donner support à iceulx seigneurs qui le vous demandent, sans qu'elle en soit offancée, ou qu'il soit layssé aux Escouçoys mesmes de débattre entre eulx leurs diférandz, sans que vous, ni elle, vous en mesliez; en quoy semble que le party de la Royne d'Escoce prévauldra toutjour contre l'aultre.

J'ay faict mencion à la dicte Dame de la bonne et prompte expédition qu'avez faicte donner à trois requestes de ses subjectz, que son dict ambassadeur vous avoit présentées, ce qu'elle a heu très agréable, et m'a prié de vous en remercyer grandement, et que, quant son dict ambassadeur le luy aura mandé, elle vous en fera encores par luy mesmes remercyer davantaige. Le parlement se continue toutjours, et le subcide est desjà comme tout accordé, à quatre solz pour livre, sur les héritaiges, et deux solz et demy sur l'aultre sorte de revenu. Les seigneurs de ce conseil sont si vigilans, ez actions qui s'y font, qu'il semble enfin qu'ilz y feront passer toutes choses sellon l'intention de leur Mestresse. Il a esté faict une nouvelle et bien estroicte ordonnance sur les courriers de Flandres de sorte qu'il a plusieurs jours que nul, ny ordinaire, ny aultre, n'y est allé ny venu. Le depputé du duc d'Alve n'advance guière sur l'accord des prinses, car chacun jour l'on luy met nouvelles difficultez en avant, et luy demande l'on à ceste heure, que le dict duc ayt à payer les draps, qu'il a prins des Anglois, au pris qu'il les a baillez aulx soldats, qui monte un tiers davantaige qu'ilz ne valent; et incistent les dicts Anglois ou qu'il leur fornisse argent contant, ou bien qu'il donne cautions qui les contantent. Sur ce, etc. Ce iie jour de may 1571.

A la Royne.
(Lettre à part.)

Madame, parce que la dépesche, que milord de Burlay a baillée au Sr Cavalcanty, et la façon de le dépescher, ne m'ont assés bien satisfaict, et m'ont faict monter plusieurs doubtes en l'entendement, j'ay miz peyne, le plus que j'ay peu, de m'en esclarcyr; et voycy, Madame, ce que j'ay aprins depuys son parlement, vous supliant très humblement prendre la peyne de le lyre, encor qu'il soit un peu long:

C'est que le comte de Lestre m'a mandé que, du costé de deçà, l'on n'a que peur que nous nous réfroydissions, et que, tout à ung mot, il ne tiendra plus qu'à nous que les choses ne viennent à bon effect; qu'il estoit bien vray que je me suys tenu ung peu trop ferme sur la religion, et que Cavalcanty aussi, quant il avoit esté ouy à part, s'y estoit monstré ung peu bien froid, et que je pouvois avoir cogneu que la Royne, sa Mestresse, quant à elle, n'estoit que très bien disposée au propos.

Sur quoy il m'est ressouvenu, touchant les articles des responces, qui m'ont esté baillez, que la dicte Dame me dict avoir commandé de modérer celluy des cérémonyes des nopces, parce qu'elle estoit fort escrupuleuse aulx présages, qui y pouvoient advenir, et qu'elle réputeroit à grand malheur, si Monsieur, à cause de quelcune des dictes cérémonyes, la délayssoit au millieu de l'acte, ou bien si l'anneau nuptial tumboit en terre, et choses semblables; que, touchant le poinct de la religion, elle ne vouloit que Monsieur layssât la catholique, ny fût forcé en sa conscience, et qu'elle le prioyt aussi de se contanter de ce qu'elle pouvoit ordonner pour luy en cella, sans offancer la sienne, et sans troubler l'ordre de son pays; qu'elle desiroit bien estre quelquefoys accompaignée de luy, quant elle yroit à ses prières, affin que ny d'elle ny des siens il ne fût veu détester par trop leur religion, mais n'avoit trouvé bon qu'on heust miz en l'article qu'il y demeureroit, en l'attandant jusques à son retour; que Monsieur ne debvoit doubter qu'elle ne lui pourveust bien honnorablement, au cas qu'il la survesquit, et que, durant sa vie, tout ce qu'elle auroit luy seroit commun.

Puys avoit ajouxté qu'elle se trouvoit encores estonnée ez louanges de Monsieur, et qu'elle craignoit, y en ayant de si grandes, qu'il n'eust que faire d'elle; et s'estoit mise à racompter celles qu'elle avoit ouy dire de son bon sens, de sa prudence, de sa bonne grâce, de sa magnanimité et de sa valleur aulx armes, de la beaulté et disposition de sa personne, sans oublier de parler de sa main, comme d'une des plus rares beaultez qu'on eust veu en France; et avoit, puys après, suyvy, en ryant, qu'elle me feroit dire aussi ung jour par Mon dict Seigneur, si les choses venoient à bonne fin, que je debvois avoir plustost soubstenu son party comme plus honorable, que celluy de la Royne d'Escoce.

Par lesquelz propos, qui étoient assés conformes aux articles des responces qui avoient esté arrestez avecques moy, je conceuz une fort bonne espérance du tout; dont fuz fort esbahy et bien fort offancé, quant j'entendiz despuys qu'on avoit dépesché en aultre sorte le dict Cavalcanty, et n'ay peu descouvrir que cella soit procédé d'ailleurs que de ce que la dicte Dame, avant le dépescher, communiqua, comme j'entendz, le propos à trois autres de ses conseillers, au Quiper, au marquis de Norampton et au comte de Sussex; et néantmoins l'on m'a despuys asseuré, de trois et quatre bons endroictz, que la dicte Dame n'a rien tant en affection que de parachever ce mariage, et que jamais n'a si longuement persévéré en nul aultre propos, comme elle faict en cestuy cy, et ne peult comporter qu'on luy dye qu'il y puisse avoir des difficultez pour l'interrompre, ny veoir de bon œil homme en sa court qui tant soit peu monstre de ne l'aprouver.

J'ay commancé quelque intelligence avec la comtesse de Lenoz, par prétexte de luy promettre beaucoup de la part de Voz Majestez pour son petit filz, si elle et le comte, son mary, se vouloient accorder avec la Royne d'Escoce, et luy ay faict cognoistre que le propos de Monsieur ne luy pourroit estre que très oportun, s'il venoit à bonne fin, car si la Royne d'Angleterre debvoit jamais avoir enfans, la dicte dame de Lenoz debvroit desirer qu'ilz fussent Françoys pour la parfaicte unyon qui seroit toutjour entre eulx et son dict petit filz; si elle n'en avoit poinct, ce seroit Monsieur qui, se trouvant icy, advanceroit le droict de son dict filz à ceste couronne contre toutz les aultres qui y prétendent; et elle m'a mandé qu'elle supplioit Voz Majestez de prandre son dict petit filz en vostre protection, et croyre que son mary estoit très dévot et affectionné serviteur de la couronne de France, comme ont esté ses prédécesseurs; qu'elle, de sa part, vouloit et desiroit le mariage de Monsieur avec sa Mestresse plus que chose du monde, et que, tennant le lieu plus prez d'elle que nulle aultre de ce royaulme, elle le luy avoit desjà conseillé et le luy persuaderoit toutjour avec toute affection, et me donroit là dessus toutz les advis qu'elle pourroit; que, pour ceste heure, elle ne me pouvoit dire sinon que, par toutes les apparances et conjectures qui se voyoient en la dicte Dame, elle monstroit d'estre non seulement bien disposée, mais très affectionnée au party de Mon dict Seigneur, et ne parloit ordinairement que de ses vertuz et perfections, s'abilloit mieux, se resjouyssoit, et se monstroit plus belle et plus gaye, en mémoire de luy; qu'il estoit bien vray qu'elle ne communiquoit plus ce propos aulx femmes, et sembloit qu'elle l'eust entièrement réservé entre elle et le comte de Lestre et milord Burlay; dont m'estoit besoing, pour en avoir plus de lumyère, d'en accointer l'ung des deux.

Et, sur ce qu'il y a desjà quelques jours que j'avois prié les dicts de Lestre et Burlay de sonder la vollonté de la noblesse de ce royaulme en ce propos, icelluy Burlay me respondit, dez lors, que je ne doubtasse qu'elle n'y fût bien disposée; et icelluy de Lestre m'a despuys mandé qu'il avoit travaillé là dessus avec le duc de Norfolc pour le luy faire trouver bon, qui estoit celluy qui tiroit plus de la dicte noblesse, après luy, que tout le reste du royaulme; et qu'il me pouvoit asseurer qu'ayant le Roy honnoré l'ung et l'aultre de son ordre, il les trouveroit toutz deux très unys à sa dévotion et très fermes au service de Monsieur, son frère.

Le dict duc, de sa part, parce que je luy avois desjà faict quelque communication de ce propos, avec asseurance de la vollonté de Voz Majestez vers luy et la Royne d'Escoce, m'a envoyé dire qu'il m'en remercyoit, et qu'il se sentoit très obligé à Voz Majestez de la considération qu'il vous playsoit avoir d'eulx deux en cest affaire, auquel il m'avoit desjà faict déclaration, de son cueur, qu'il se dellibéroit avec toutz ses amys de s'y employer droictement, car se réputoit tout oultre vostre serviteur, et que Monsieur, vostre filz, ne doubtast plus qu'il ne fût obéy, révéré, et aymé en ce royaulme, s'il y venoit, dont me prioyt d'en conclurre bientost les choses, ès quelles il ne pouvoit cognoistre à présent qu'il y fît sinon bon; mais ce luy seroit ung argument, quant l'on y cercheroit de la longueur, de croyre qu'il y eust de la simulation, et qu'aussitost qu'il la cognoistroit, il me la feroit entendre: et a escript à l'évesque de Roz qu'il me vollût ayder de toutz ses moyens et intelligences en ceste cause, car il cognoissoit qu'il estoit besoing d'avancer icy la réputation de la France, pour bien faire les affaires de la Royne d'Escoce, lesquels affaires il croyoit fermement que Monsieur, estant venu, ne les vouldroit laysser sans quelque accommodement, puysqu'ilz touchent bien fort l'honneur du Roy, son frère, et le sien; et si, d'avanture, il luy estoit faict quelque obstacle de n'y venir point, il ne seroit que davantaige enflammé de les remédier; par ainsy qu'il voyoit bien que l'amour ou la hayne de Mon dict Seigneur envers la Royne d'Angleterre ne pouvoient estre que très utilles à la Royne d'Escoce et à luy; qu'il estimoit que de déclairer trop tost sa vollonté en ce faict ne serviroit de rien, car la perplexité où la Royne, sa Mestresse, se trouvoit encores quelque peu pour doubte de luy, le luy feroit tant plus tost conclurre, et que mesmes je prinse garde de ne m'ouvrir tant au comte de Lestre qu'il peût cognoistre qu'il y eust nulle intelligence entre icelluy duc et moy; néantmoins qu'il demeureroit ferme en ce propos jusques à la mort.

Milord de Lomeley, pour gaiges de la vollonté du comte d'Arondel, son beau père, du comte d'Ocestre et de luy en cest endroict, m'a envoyé une bague, et m'a mandé que, si je le trouvois bon, ilz s'employeroient de bon cueur et y procèderoient par effectz, en lieu qu'ilz craignent que les aultres n'y vont que de parolle; et qu'il ne se pouvoit persuader encores qu'il n'y eust de la tromperie.

Le capitaine Franchot, qui a quelque peu de pratique avec aulcuns de ce royaulme, m'est venu dire, sur le bruict qui court de ce propos, que la Royne d'Angleterre en effet ne pouvoit, ny vouloit, ny debvoit espouser Monsieur, et que l'intention d'elle estoit seulement d'endormir Voz Majestez sur les choses d'Escoce, affin de s'en impatronir, et pour faire aussi que le Roy d'Espaigne condescende à meilleures condicions vers elle, et pour contanter pareillement ses subjectz, et authoriser enfin ses affaires dedans et dehors son royaulme; mais, quand bien le contrat seroit faict et estipullé, que le mariage pourtant ne s'effectueroit jamais, et qu'en tout évènement il y avoit desjà des ligues faictes pour se fortiffier en ce royaulme contre les dangiers qui pourront advenir du dict mariage. Sur quoy, voulant aprofondir davantaige comme il sçavoit ces choses, il m'a respondu qu'il s'en alloit en France, et en parleroit plus librement de dellà, comme bon serviteur de Voz Majestez et de Monseigneur, s'il en estoit interrogé.

J'ay esté despuy trouver la dicte Dame pour voir en quoy elle continuoit; laquelle s'est layssée ayséement conduyre en ce propos, et m'a dict que, s'il luy estoit jamais imputé de s'y estre trop advancée pour avoir escript de sa main à Mon dict Seigneur, premier que les choses fussent bien conclues, qu'elle en rejetteroit toute la coulpe sur moy; qu'il falloit bien, touchant les responces qui avoient esté baillées à Cavalcanty, que vous l'excusissiez, si elle n'avoit peu mieulx faire, car estoit contraincte de contanter les siens, qui l'estimeroient peu affectionnée à leur religion, si elle condescendoit ouvertement à tout ce que Monsieur demandoit pour la sienne, lequel au reste elle n'entendoit qu'il fût en rien contrainct contre sa conscience; qu'elle se vouloit pleindre à moy de ce qu'ung homme, qui tenoit assés grand lieu, avoit dict que Monsieur feroit bien de venir espouser ceste vielle, laquelle avoit heu, l'année passée, tant de mal à une jambe qu'elle n'en estoit encores bien guérye, ny possible en guériroit jamais, et que, soubz le prétexte de cella, l'on luy pourroit bailler ung brevage de France pour s'en deffaire, de sorte qu'il se trouveroit veuf dans six ou sept mois, pour, puys après, espouser, à son ayse, la Royne d'Escoce, et demeurer roy paysible de ceste isle; et que ce propos ne l'avoit tant offancée pour le regard d'elle, comme pour le regard de Monsieur, et de l'honneur de la couronne d'où il estoit yssu.

A quoi j'ay respondu, avec détestation du propos, et de celluy qui l'avoit tenu, que je la suplyois me dire d'où il procédoit, affin que Voz Majestez et Mon dict Seigneur vous en rescentissiez.

Elle a suyvy, en grand collère, qu'il n'estoit encores temps de le nommer, mais que je m'asseurasse qu'il estoit vray, et que bientost elle m'en feroit bien entendre davantaige; et n'ay rien cogneu que continuation d'affection en tout le parler de la dicte Dame, lequel a esté beaucoup plus ample que je ne le puys mettre icy.

Au partir d'elle, le comte de Lestre m'est venu dire qu'il estoit besoing que non seulement je fusse modéré sur l'article de la religion, mais que je fisse en sorte que Voz Majestez le vollussent laysser, ainsy couché qu'il est, affin que Monseigneur, vennant par deçà, soit mieulx veu, et embrassé avec plus d'affection de ceulx en qui la Royne, sa Mestresse, a fiance, et qu'ilz n'ayent occasion d'inventer rien qui puysse traverser ce propos; et que je vous asseure, sur sa vie, qu'il aura pour luy et ses domestiques l'exercisse de sa religion en privé, et obtiendra du reste beaucoup plus qu'il ne voudra demander, quant il sera par deçà; et que desjà luy mesmes avoit déclairé à la dicte Dame que, puysqu'elle prenoit Monsieur pour son seigneur et mary, qu'il luy porteroit égalle fidellité, obéyssance et service, comme à elle; ce qu'elle avoit trouvé fort bon, et m'asseuroit que, de jour en jour, elle se confirmoit davantaige en ce bon propos, qui pourtant estoit besoing de le haster aultant qu'il seroit possible.

Je trouve, Madame, que le dict comte va toutjour droictement et d'une très bonne sorte en cest affaire; et milord de Burlay monstre le semblable; mais, de tant que je sçay l'extrême affection que icelluy Burlay porte à ceulx de Herfort, et à traverser tout ce qui les pourroit empescher de parvenir à ceste couronne, je crains que sa présente démonstration ne soit que pour ne s'ozer opposer à la vollonté de sa Mestresse, et qu'en effect il ne se faille fyer en luy que bien à poinct; car j'ay desjà cogneu que sa façon de négocier tend à mettre la matière en longueur. Par ainsy, je persévère en ce que j'ay desjà mandé à Vostre Majesté par le Sr Cavalcanty, qu'il fault presser de passer les articles, sans s'amuser à débattre les responces qu'on nous a baillées, affin de demeurer promptement résoluz ou de la conclusion ou de la ropture du propos; et me pardonne Vostre Majesté si je luy escriptz tant de choses différantes; car c'est ung affaire où il ne fault rien obmettre. Sur ce, etc. Ce ije jour de may 1571.

CLXXVIe DÉPESCHE

—du vie jour de may 1571.—

(Envoyée jusques à la court par l'homme de Walsingan.)

Refroidissement apporté dans la négociation du mariage par les rapports de Walsingham.

A la Royne.

Madame, ce peu de motz ne sont pour entièrement respondre à la lettre de Vostre Majesté, ny à celle bien ample que, par vostre commandement, Mr de Foix, m'a escripte; seulement, Madame, je vous signiffieray icy la réception des deux, et comme la Royne d'Angleterre, avant que je les aye veues, avoit desjà leu celles que le Sr de Valsingan et le Sr Cavalcanty luy avoient escriptes[7]; ès quelles elle a monstré n'y avoir trouvé de satisfaction, ains plustost de l'offance. Et, sans que je luy ay franchement communiqué voz honorables et vertueuses responces, et les sages remonstrances du dict Sr de Foix, qui sont les unes et les aultres contenues en sa lettre, tout estoit gasté. Et ne sçay encores, Madame, que juger de l'affaire, car la dicte Dame m'a semblé estre plus restraincte au poinct de la religion, que ce que Mr le comte de Lestre m'avoit prié dernièrement vous en escripre; mais je doibz conférer encores aujourd'huy avecques elle, et avec le dict sieur comte, et avec milord Burlay; desquelz je mettray peyne, sans trop débattre les choses, de sentyr leur dernière résolution. Cependant, parce que ce porteur est renvoyé présentement avec quelque response, je adjouxteray seulement icy que le dict sieur comte de Lestre m'a dict que le contenu des lettres des dicts Valsingan et Cavalcanty estoit fort différand de ce que Mr de Foix mandoit. Je mettray peine de le sçavoir et prieray à tant nostre Seigneur, etc.

Ce vie jour de may 1571.

CLXXVIIe DÉPESCHE

—du viiie jour de may 1571.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Tournoi à Londres.—Opposition de la chambre des lords aux projets de la chambre des communes.—Nouvelle crainte des Anglais d'une entreprise sur l'Irlande.—Leurs plaintes contre les armemens faits en Bretagne.—Offre de lord Burleigh de reprendre la négociation du traité d'Écosse.—Emportement d'Élisabeth contre Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse, de la Rochelle et de Flandre.

Au Roy.

Sire, je commanceray ceste cy par dire à Vostre Majesté qu'après le partement du Sr de Sabran, lequel luy aura peu compter ce qu'il a veu des jouxtes de la première journée du tournoy, entreprins en ceste court au commancement de may, j'ay esté prié d'assister encores aulx deux suyvantes, ès quelles a esté, à la segonde, combattu à l'espée, à cheval, et à la troisiesme à la pique et à l'espée, à la barrière; et a vollu la Royne d'Angleterre que je l'aye accompaignée à toutes trois, non sans faire plusieurs honnorables mencions de semblables exercisses de Vostre Majesté et des triomphes de vostre royaulme, ny sans qu'elle ayt monstré de prandre ung singulier playsir à cest essay des siens, lesquelz toutesfoys elle n'a que modestement louez: qu'ilz faisoient assés bien pour Angleterre, et qu'ilz aprenoient icy comme ilz pourroient comparoir ailleurs parmy les aultres. Je luy ay loué leur bien faire et que c'estoit de prou d'endroictz d'ailleurs qu'on pouvoit venir icy pour aprandre, comme, à la vérité, il y a heu en ces combats de la magnifficence et un fort bon ordre et assés d'adresse de ceulx qui s'esprouvoient. Le comte d'Oxford avoit dressé la partie, lequel, avec sire Charles Havart, sire Henry Lay, et Me Haton, ont esté les quatre tenans contre aultres vingt sept gentishommes, de bonne mayson, assaillans; et les juges du tournoy ont esté les comtes d'Ocester et de Suxès, l'admiral, et milord Sidney, et n'y est advenu nul inconvénient. Il a esté mandé à l'ambassadeur d'Espaigne, s'il avoit desir de veoir ces triomphes, qu'on luy prépareroit une fenêtre; mais il a respondu qu'à ung ambassadeur d'ung si grand roy apartenoit, devant qu'il allast en nulle part, de sçavoir quel lieu il y devoit tenir, et ne s'y est point trouvé.

Le parlement s'est toutjour continué, aulx heures déterminées; auquel, encores que ceulx de la basse Chambre ayent fermement incisté en leurs premières propositions, ceulx néantmoins de la première ne leur ont encores rien layssé passer, et disent que les loix de leur religion sont assés estroictes pour ne se vouloir lyer davantaige, ny se laysser ainsy soubmettre à plus de dangiers de lèze majesté qu'il n'y en a par les anciennes loix du royaulme; et ont esté commis aulcuns principaulx personnaiges de l'assemblée pour modérer les dictes propositions, et n'y a pour encore rien de résolu.

Il semble que ceulx cy sont rentrez en perplexité pour l'advertissement qu'ilz ont que Estuqueley est allé à Rome afin d'acorder de l'entreprinse d'Yrlande entre le Pape et le Roy d'Espaigne, et que les deux promettent de fornyr pour icelle cent mil escuz chacun, et le dict Roy d'Espaigne quelques gens et vaysseaulx davantaige, et qu'il est nouvelles que le comte de Bossu arme aussi des navyres en Flandres.

Milord de Burlay m'a dict que leurs mariniers leur ont raporté qu'on armoit aussi en Bretaigne, et qu'il vouloit bien croyre que ce n'estoit contre l'Angleterre, car l'on monstroit, des deux costez, de desirer et pourchasser chose fort dissemblable. A quoy j'ay respondu que je n'avois rien entendu du dict armement, et que je ne cognoissois qu'il y eust, de vostre costé, Sire, que toute continuation de paix avec la Royne sa Mestresse.

Il m'a, de luy mesmes, parlé là dessus du desir que la dicte Dame avoit de parachever le tretté de la Royne d'Escoce, mais qu'il sembloit qu'elle mesmes et les siens y donnassent de l'empeschement, m'alléguant que Mr de Roz avoit naguières faict venir des livres, qu'il avoit faict imprimer à Louvain, fort désagréables à la Royne d'Angleterre, et receu des lettres de ses rebelles qui sont en Flandres, et que les seigneurs du party de la dicte Royne d'Escoce s'opposoient que les comtes de Lenoz et de Morthon ne peussent aller tenir leur parlement à Lislebourg pour envoyer icy le pouvoir sur les choses du dict tretté, et par ainsy, que le retardement ne procédoit de sa Mestresse.

Je luy ay respondu que, en quelque sorte qu'il vollût juger de la procédure de ce faict, l'on voyoit clairement que la Royne d'Escoce s'estoit mise à tant de rayson et de debvoir, qu'on ne pouvoit plus nyer qu'il ne luy fût faict beaucoup d'injure et de viollance, et que le tretté luy avoit quasi plus apporté de mal que n'avoit fait la guerre.

Et despuys, Sire, j'ay faict veoir à la Royne d'Angleterre une lettre de la dicte Royne d'Escoce, et l'ay fort conjurée de vouloir pourvoir à ce que ceste pouvre princesse y requéroit. Et elle m'a respondu qu'on avoit trouvé des mémoires qui expéciffioient les moyens que la dicte Royne d'Escoce avoit de s'en aller, fort désadvantageux à elle et à son royaulme, par ainsy qu'on ne s'esbahyst si le comte de Cherosbery la fezoit ung peu plus observer que de coustume; mais que j'assurasse Vostre Majesté qu'elle avoit toutjour esté, et seroit aussi honnorablement trettée en Angleterre, tant qu'elle y seroit, comme si elle estoit en son propre royaulme. J'entendz, Sire, que ce sont des mémoires, qui ont esté trouvés à Dombertrand, qui véritablement font mencion de cella.

L'évesque de Roz est encore bien fort mallade. Le comte de Lenoz a mandé assembler toutes ses forces au ixe de ce mois à Litcho, pour aller en armes à Lillebourg, mais je croy qu'il y trouvera de la résistance; et desjà se dict qu'il y a heu une grosse escarmouche près du dict Lillebourg, où le comte de Huntelay et milord de Humes se sont trouvez du party de leur Royne, et qu'ilz ont battu et chassé les aultres. Il semble que celluy qu'on a miz pour cappitaine dans Dombertrand, voyant la cruaulté du comte de Lenoz, reffuze meintenant de luy obéyr, et dict qu'il réservera la place au jeune Prince jusques à la mort; de sorte que les Anglois deffient assés de la pouvoir avoir.

L'on parle icy du mariage de la petite princesse de Navarre avec le comte Ludovic de Nassau, et que, parmy le marché, il se projette une entreprinse en Hollande. Celluy dont, en aulcunes de mes précédentes, je vous avois mandé, Sire, qui estoit venu de la Rochelle devers feu Monsieur le cardinal de Chastillon, estoit principallement dépesché pour faire passer dellà le Sr de Lumbres avec les vaysseaulx et armes, et aultres provisions qu'il a recouvert icy; qui y a desjà faict voille, dez le vie du passé.

Le depputé de Flandres a faict proroger encores pour huict jours son affaire, attendant une responce du duc d'Alve, laquelle il pensoit avoir icy le iiie de ce moys, mais il y a heu quelque retardement. J'ay au reste bien dilligentment et à part considéré le chiffre de Vostre Majesté, du xxiiie du passé, lequel je mettray peyne d'ensuyvre; et vous supplie très humblement, Sire, de croyre que les choses n'eussent prins le tret qu'elles ont, si je n'en eusse desjà usé ainsy, et qu'il seroit bien malaysé d'outrepasser les termes que je y ay tenu, sans se descouvrir, possible, plus que Vostre Majesté ne le trouveroit, puys après, guières bon. Sur ce, etc.

Ce viiie jour de may 1571.

J'entendz que la comtesse de Northomberland et milord Dacres ont naguières dépesché ung nommé Hervé en Espaigne, pour moyenner le mariage de la Royne d'Escoce avec don Joan d'Austria, de quoy ne fault doubter que le duc de Norfolc ne soit pour en prandre jalouzie.

CLXXVIIIe DÉPESCHE

—du xe jour de may 1571.—

(Envoyée jusques à la court par ung corrier d'Angleterre.)

État de la négociation du mariage.—Conférences avec le lord garde des sceaux (the keeper), le comte Leicester et lord Burleigh.—Entrevues de l'ambassadeur avec Élisabeth pour renouer cette négociation.

A la Royne.

Madame, il n'est rien advenu en ce propos de mariage, que je ne le vous aye escript par ordre, jusques au deuxiesme de ce mois que je vous ay dépesché le Sr de Sabran; et despuys m'estant trouvé en conversation avec les seigneurs de ceste cour, j'ay essayé, en parlant à milord Quiper, de descouvrir ce qu'il en avoit en opinion, lequel s'est facillement conduict à discourir des vertuz et perfections de sa Mestresse, et, de luy mesmes, enfin, m'est venu dire que cella seul luy deffailloit qu'elle n'avoit point de mary, et qu'elle ne monstroit à ses subjectz nulle lignée pour pouvoir, après elle, succéder en ce royaulme. Je luy ay respondu que, à la vérité, elle remplissoit pour son temps aultant dignement le siège de ceste couronne que nul grand roy le sçauroit faire, et que, pour le regard de ce deffault qu'il y allégoit, je desirois à la dicte Dame le party d'ung prince que je cognoissois, lequel je m'asseurois qu'augmenteroit grandement la félicité de ce royaulme; et seroit pour y establyr une des plus belles et plus illustres lignées de la terre. Il m'a répliqué qu'il vouldroit que cella fût desjà bien accomply et qu'il n'y eust nulle difficulté aulx condicions; et, encor qu'il s'y en trouvât quelcune, bienqu'ung peu dure, encores la fauldroit il passer plustost que sa Mestresse demeurast sans mary.

Le comte de Lestre et milord de Burlay m'ayans, après cella, conduit en la chambre privée, m'ont entretenu des bons propos que leur ambassadeur escripvoit de Monsieur, et comme, encor qu'il le cognust affectionné à la religion catholique, il le voyoit néantmoins estre de soy si bon, si vertueulx et si bien condicionné, qu'il ne failloit doubter qu'il excitât par mallice, ny par fraulde, rien de mal ny de trouble en ce royaulme; qu'ilz regrettoient bien Mr de Carnevallet comme ung personnaige vertueulx qui estoit bien séant près de luy, et lequel ilz n'estimoient estre que bien affectionné à ce propos; et m'ont demandé quelz personnaiges estoient Mrs de Villecler, de Lignerolles, de Chiverny et les deux secrétères Sarced et Gérard. J'ay honnoré la mémoire du deffunct, et donné la plus honneste louange, que j'ay peu, aulx aultres. Puys ilz ont suyvy à me dire qu'il falloit que ceulx, que Voz Majestez vouldroient envoyer icy, pour m'estre adjoinctz en ce négoce, comme ilz s'asseuroient que ce seroient grandz personnaiges, qu'ilz fussent aussi non turbulans, ny mal affectionnez au propos. Je leur ay respondu qu'aussitost que Voz Majestez y verroient quelque bon fondement, elles ne fauldroient d'envoyer quelque prince du sang, ou aultre grand seigneur, et, possible, Mr de Foix, pour passer le contract, et pour honnorer, en tout ce qu'il vous seroit possible, la grandeur de la dicte Dame. Ilz m'ont répliqué qu'ilz sçavoient qu'il y avoit de fort grandz princes et seigneurs en France, mais que toutz n'estoient propres en ce propos; qu'ilz acceptoient de bon cueur Mr de Foix, duquel l'honnesteté leur estoit bien cogneue; et, s'il playsoit à Voz Majestez envoyer aussi Mr de Montmorency qu'ilz en seront bien joyeulx, car l'estimoient personnaige de grande vertu et intégrité, et fort desireux de la paix et unyon de ces deux royaulmes.

Sur cella estant la Royne arrivée, après qu'elle m'a heu dict plusieurs bien honnestes choses en aultre matière, elle m'a touché, quant à ceste cy, que, nonobstant le mauvais raport qu'on avoit faict de sa jambe, elle n'avoit layssé de baller le dimanche précédant aulx nopces du marquis de Norampton, et qu'elle espéroit que Monsieur ne se trouveroit si trompé que d'avoir espousé une boyteuse au lieu d'une droicte, avec d'aultres bien gracieux deviz, qui monstroient la persévérance de sa vollonté en cest endroict. Et, au partir, m'a randu ung fort exprès et fort grand mercys de ce que j'avois toutjour escript fort honnorablement d'elle, et que j'avois esté soigneux d'entretenir paix et bonne amytié entre Voz Majestez.

Le jour ensuyvant, m'ayant aussi faict convyer à voir la segonde journée du tournois, elle m'a dict, d'arrivée, qu'elle avoit receu des lettres de France, et que je sçavois bien qu'elle n'avoit jamais vollu priver Monsieur de sa religion, ny le forcer en sa conscience, et que, sur la difficulté que son ambassadeur vous avoit faicte touchant ce poinct, Vostre Majesté luy avoit respondu qu'il falloit que la dicte Dame regardât à conserver l'honneur et réputation de Monsieur comme la sienne propre; et que pourtant il vous en fît avoir responce dans dix jours, affin que, sellon icelle, vous peussiez reigler le voyage qu'avez à faire en Bretaigne; qu'elle ne sçavoit commant prendre cella, ny quelques aultres choses qu'elle avoit trouvées en la dépesche, et qu'elle vouloit bien que Vostre Majesté eust telle estime d'elle qu'elle n'estoit indigne de Monsieur, vostre filz.

Je luy ay respondu que, par les choses que j'avois escriptes en France, je n'avois point augmenté la difficulté, mais celles, possible, que son ambassadeur vous avoit dictes, ou que vous aviez trouvées ès responces de la dicte Dame, vous avoient semblé bien esloignées de vostre intention; que je ne sçavois pourtant qu'elles fussent en nulz mauvais termes du costé de Voz Majestez Très Chrestiennes, mais, si on luy en avoit faict mauvaise interprétation de quelcune, que je mettois peyne de l'en satisfaire, et qu'il ne falloit sinon qu'ainsy qu'elle procédoit avec grand esgard de son honneur et dignité en ce propos, qu'elle vollût que celle de Mon dict Seigneur ne fût foulée ny obscurcye.

Elle m'a répliqué qu'elle n'avoit encores achevé de voir toute la dépesche, mesmement ung discours que le Sr Cavalcanty luy avoit escript; mais qu'après cella, elle me feroit appeller pour m'en communiquer.

Le soir mesmes, je fuz adverty qu'après que la dicte dépesche fût achevée de lyre, la dicte Dame, en collère, avoit dict que, puisque le propos s'alloit rompre, au moins luy restoit ceste consolation que ce n'estoit par sa faulte, ny de son costé; et incontinent avoit miz en dellibération qu'il falloit envoyer milord de Sideney, oncle de la duchesse de Férie, devers le Roy d'Espaigne pour accommoder les différans qu'elle avoit avecques luy.

Le lendemain, bon matin, j'envoyay devers le comte de Lestre pour sçavoir d'où procédoit ceste altération, et que je ne voyois, en ce qu'on m'avoit escript de France, qu'il y eust rien de quoy la Royne sa Mestresse deubt recepvoir que contantement. Il me manda que Vostre Majesté avoit résoluement demandé l'exercice libre et public de la religion catholique pour Monsieur, et que leur ambassadeur et Cavalcanty avoient escript fort durement là dessus, et que vous leur aviez demandé responce dans dix jours, ou bien vous vous achemineriez en Bretaigne, comme si l'affaire ne méritoit bien qu'on attandît quelques jours davantaige, et que, si mes lettres parloient plus gracieusement, que je ferois bien d'en venir conférer avec la dicte Dame, et les luy communiquer.

L'aprèsdinée, je l'allay trouver, laquelle, avec un visage triste, commancea se plaindre qu'elle estoit maltrettée en ce propos, se ressouvenant que, lorsque le cardinal de Chastillon luy en avoit parlé plus chauldement, c'estoit lorsqu'on l'avoit plus pressée des choses d'Escoce, et que despuis, encor qu'elle eust envoyé milord de Boucart en France, l'on y avoit procédé si froydement qu'on ne luy en avoit touché ung seul mot jusques à ce qu'il avoit esté prest à partyr, que Vostre Majesté luy en avoit parlé à cachettes, comme si heussiez heu honte du propos; et meintenant elle se trouvoit trop plus rudoyée en la responce, qu'aviez faicte à son ambassadeur, qu'elle n'avoit espéré que sa bonne intention le deust jamais mériter.

Je luy ay respondu que je luy pouvois donner, à ceste heure, meilleur compte de cella que le jour précédant, parce que j'avois despuys receu le pacquet de Vostre Majesté, et par icelluy je ne pouvois comprendre qu'il y eust rien d'où l'on luy eust peu former une seule apparance de malcontantement, et qu'il falloit bien qu'il fût procédé d'ailleurs que des parolles ny démonstrations de Voz Majestez Très Chrestiennes, ny de Monseigneur; car de dire qu'il falloit que Vostre Majesté pensât qu'elle s'estimoit digne de Monsieur vostre filz, c'estoit Voz Majestez et Monsieur qui luy aviez monstré le desir que vous avez qu'elle l'estimât digne de le recepvoir en sa bonne grâce, et que de cella elle en avoit les lettres de toutz les trois, qui les luy aviez escriptes incontinent après avoir aucunement comprins son intention par milord de Boucart, car auparavant, encores que l'affection eust esté de longtemps en Monsieur, Voz Majestez n'avoient estimé, veu les choses passées, qu'il y eust lieu de la manifester; et qu'elle considérât que, du costé de France, l'on ne luy pourroit jamais donner nul plus grand tesmoignage de l'estime en quoy l'on avoit sa personne, sa vertu et sa grandeur, que de l'avoir premièrement desirée pour le Roy, et quant cella n'avoit succédé, de luy offrir meintenant Monsieur, et que, si quelcun vouloit inventer là dessus de la calompnie, que la vérité et sincérité vous en dellivreroit; et affin qu'elle en demeurast plus esclarcye, je ne craindrois de luy monstrer l'original de ce que Vostre Majesté avoit commandé à Mr de Foix de m'en escripre. Et ainsy luy leuz la lettre jusques envyron la fin, où est dict: j'ay aprins des parolles de la Royne; qui ne fut sans estre fort attentive à ouyr et à me faire répéter, une et deux fois, les principalles clauses.

Puys me dict qu'à la vérité elle ne trouvoit, en tout ce que je luy avois dict, ny au contenu de la sage lettre de Mr de Foix, rien qui ne fût honnorable, et dont elle n'eust occasion de remercyer Vostre Majesté, et que c'estoit véritablement ce seul poinct de la religion qui donnoit le plus d'empeschement à cest affaire, tant pour le respect de sa conscience que de ce qu'elle perdroit ceulx qui sont son principal appuy et sa fiance, si elle accordoit tout ce que Monsieur demandoit en cella; et que l'archiduc Charles s'estoit bien vollu contanter à moins, comme elle me le tesmoigneroit par ses lettres, si je les voulois voir; et que ce que je luy allégois de son feu frère, qu'il avoit bien accordé aultant à sa sœur aynée, et que les ambassadeurs en avoient encores davantaige, n'estoit semblable, car Monsieur devoit estre la moictié d'elle mesmes, et que en l'unyon d'eulx deux consisteroit la seurté du royaulme; et que, si elle avoit à aller en l'estat de Mon dict Seigneur, et que l'exercice de sa religion y deust aporter du trouble, qu'elle s'en passeroit, et qu'elle le prioyt de se contanter aussi de ce qu'avec sa conscience et sa seurté elle luy pouvoit ottroyer par deçà, me priant d'en conférer avec le comte de Lestre et milord de Burlay, et leur parler aussi des articles des responces, comme est ce qu'on les avoit envoyez en aultre forme que n'avoient esté arrestez avecques moy.

Je retournay le lendemain en conférer avec eulx, ausquelz ayant tenu le mesmes langaige que j'avois faict à la dicte Dame, ilz ne purent rien alléguer contre l'honneste et vertueuse responce de vostre Majesté, seulement me prièrent ne trouver estrange si, ayant la Royne, leur Mestresse, le plus bel estat de la Chrestienté après la France, et estant elle de très excellantes qualitez, s'ilz l'estimoient digne que Monsieur luy deust beaucoup defférer; et que, pour estre dame, je pouvois penser qu'elle vouloit estre requise et cognoistre d'estre aymée, et que néantmoins Monsieur n'en avoit encores monstré nul semblant, ny mesmes n'avoit demandé à leur ambassadeur, qui estoit ung gentilhomme bien affectionné à ce propos, commant elle se portoit, là où elle ne reffuzoit me parler ouvertement de luy, et mesmes me tesmoigner quelquefoys de son affection; et, quant au poinct de la religion, qu'il failloit, pour la seurté d'elle, que Monsieur vollust laysser l'article en termes qui ne l'obligeassent aulx loix de ce royaulme, et qu'il peult obtenir par tollérance ce qu'avec expression elle ne luy pouvoit accorder.

Je leur ay respondu, quant au premier, qu'on ne pouvoit defférer davantaige à leur Mestresse que de requérir son alliance; et, quant aulx démonstrations de Monsieur, qu'il estoit de tant plus louable et prudent qu'il ne s'advançoit de rien en ce propos qu'ainsy que le Roy, son frère, et Vostre Majesté le trouvoient bon, et qu'il se sentoit aussi observé de telz, ausquelz, possible, n'estoit expédiant qu'il en vînt nul cognoissance; et que la dicte Dame pouvoit estre très asseurée que, s'il n'y eust heu de l'affection et de l'amour, l'on ne se fût advancé de luy en escripre, ny de luy en parler; au regard de la religion, que je sçavois bien qu'ilz sçauroient dresser l'article en façon, que l'honneur et la seurté d'elle, pareillement la réputation et la conscience de luy, y seroient gardez.

Milord de Burlay, me tirant à part, m'a dict que la faulte, que je trouvois ez responces que Cavalcanty avoit apportées, estoit procédée de celluy qui les avoit transcriptes, et que cella seroit rabillé.

Après, je fuz trouver la dicte Dame, laquelle, après plusieurs fort bonnes parolles et fort bonnes démonstrations, me pria de croyre qu'elle n'avoit jamais souffert une si grande contraincte, non pas quant elle fut mise dans la Tour, comme elle la s'estoit donnée quant elle s'estoit forcée et veincue elle mesmes à se résouldre de se maryer; et que pourtant je ne doubtasse qu'elle ne fît tout ce qu'elle pourroit pour l'advantaige de ce party, et qu'elle tretteroit avec le comte de Lestre et milord de Burlay sur ce que nous avions devisé, et puys feroit coucher l'article par escript avec le plus de liberté pour Monsieur qu'il luy seroit possible, et me le feroit communiquer; et, si Voz Majestez et luy vous en pouviez contanter, son ambassadeur auroit les aultres condicions toutes prestes pour en pouvoir tretter incontinent, affin de n'entretenir les choses en aulcune longueur;—«Car possible, dict elle en ryant, aviez vous en main le party de quelcune aultre pour la faire vostre belle fille.» Et avec plusieurs aultres gracieuses parolles qu'elle me dict, et que je luy respondiz, je me licenciay d'elle.

Néantmoins l'on a dépesché deux foys en France sans me rien communiquer, et n'a layssé le bruict d'aller cependant en ceste court que tout estoit rompu, et que milord Sideney ou sire Jammes Scrof estoient desjà ordonnés pour passer en Espaigne, comme de faict la pluspart des secrectz adviz, que j'ay heu toutz ces jours, concourent à ce qu'il a esté résoluement dict et déclairé à la dicte Dame qu'elle ne peult entendre à ce party sans la ruyne d'elle ny de son royaulme. Et ayant attendu trois jours si l'on m'en communiqueroit quelque chose, j'ay enfin mandé que j'estois pressé de dépescher sur ce qu'on m'en avoit desjà dict; qui a esté cause que, hier au soir, milord de Burlay m'envoya prier de l'aller trouver en son logis, où la goutte l'avoit arresté, car aultrement il fût venu devers moy: lequel m'a dict que la Royne, sa Mestresse, supplioyt Voz Majestez Très Chrestiennes et Monsieur de prendre de bonne part la responce qu'elle mandoit à son ambassadeur de vous faire, en laquelle elle avoit considéré ce qui convenoit à la personne de Monsieur et à la sienne, à la seureté des deux et à leurs consciences, et qu'ayans à vivre conjoinctement roys en ce royaulme, où n'estoit besoing que les siens estimassent qu'elle eust peu d'affection à sa religion ny fût peu ferme à meintenir les loix establyes en icelle, ny que Mon dict Seigneur y fût trop adversayre, affin que nulle division ne se sussitât parmy les subjectz, qu'elle ne pouvoit directement, ny indirectement, luy promettre plus que l'article de sa responce portoit, comme son dict ambassadeur vous en dira plus au long ses raysons, et qu'elle vous prioyt de vous en contanter; car, au reste, elle mettroit peyne de vous satisfaire, et que ce que j'avois trouvé de deffault ez responces seroit amendé, et que, aussitost que ce premier poinct seroit accordé, son ambassadeur vous feroit entendre le reste des condicions, lesquelles elle espéroit que trouveriez raysonnables, et que présentement elle les luy envoyeroit ou les luy feroit tenir incontinent après.

J'ay respondu que je n'avois à proposer nul argument nouveau en cella, car la matière avoit desjà esté assés débatue, sinon que je le prioys me déclairer tout franchement si la dicte Dame entendoit de priver Monsieur de sa religion, et qu'il demeurast séparé, quand il seroit par deçà, de l'unyon de l'esglize catholique, en laquelle il avoit vescu jusques à présent. Il me dict que la dicte Dame n'avoit usé d'aulcun mot qui portast prohibition ou interdiction, et que, si je cognoissois bien la doulceur et débonaireté d'elle, je ne debvois penser qu'elle s'opposât à l'intention et contantement de Monsieur, quand il seroit icy, ny qu'il ne peult, se trouvant Roy et modérateur d'un si grand royaulme, user avec discrétion de ce qu'il luy plairroit; et que luy mesmes Burlay, en son particullier, vouldroit avoir donné la moictié de son bien, et que le mariage fût desjà bien conclud. S'il vous playsoit, Madame, monstrer d'estre contante de ceste responce, sans trop la débattre à l'ambassadeur, et passer oultre aulx aultres condicions, il se cognoistroit facillement s'ilz y cheminent de bon pied, car l'affaire va si restrainct icy entre les trois qu'on n'en peult avoir de nul aultre endroict nulle claire lumyère, vous supliant très humblement excuser si j'ay esté long, parce que je crains d'obmettre quelque chose; et sur ce, etc.

Ce xe jour de may 1571.

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