Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
CXCVIIIe DÉPESCHE
—du vie jour d'aoust 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Crespin Chaulmot.)
Négociation du mariage.—Avis divers donnés à l'ambassadeur sur la réponse faite aux articles par le roi, et sur les divisions qui auraient éclaté à la cour de France.
A la Royne.
Madame, ainsy que je fermoys ma lettre du jour de yer à Vostre Majesté, l'on vint me dire que l'ung des gens de Mr de Vualsingam passoit par ceste ville qui s'en alloit trouver la Royne d'Angleterre à Amptoncourt, et, avant qu'il fût nuict, il me fut mandé du dict lieu que la dépesche estoit tenue si secrecte qu'on n'en publioit ung seul mot, et seulement le comte de Lestre avoit dict à ung sien amy privé qu'il restoit fort peu de différant aulx articles, et qu'ilz s'accommoderoient, et qu'on avoit commancé ung honnorable propos pour luy avec une dame de France, lequel il espéroit qu'auroit bon effect. Peu d'heures après, me vint ung aultre adviz comme la dicte dépesche asseuroit que toutz les articles de la Royne d'Angleterre avoient esté acceptez par Voz Majestez Très Chrestiennes et mesmes celluy de la religion, et que plusieurs en ceste court s'en trouvoient estonnez; et la dicte Dame estoit après à consulter comme elle auroit meintenant à y procéder pour satisfaire à l'humeur d'ung chacun, chose que celluy, qui m'escripvoit, l'estimoit estre fort difficille, et qu'on souspeçonnoit que le messagier et pacquet, qui m'avoient esté dépeschez là dessus, estoient artifficieusement retardez en chemin, affin que la dicte Dame se peult préparer de la responce qu'elle m'auroit à faire, quand je viendrois à luy en parler; et que pourtant j'eusse bon pied et bon œil.
A ce matin, m'est venu ung tiers adviz trop pire que les deux premiers, c'est que par la mesme dépesche avoit esté mandé que Monsieur, vostre filz, avoit accepté une secrecte commission du Pape pour oster la religion nouvelle, et restituer la catholique par toute la France, sans que le Roy son frère en sceût rien, et qu'il en avoit donné la principalle conduicte à deux seigneurs de la court; de quoy estant enfin le Roy adverty, il en avoit esté fort offancé, et avoit chassé ces deux de la court, au regrect de Mon dict Seigneur, dont restoit beaucoup de malcontantement et beaucoup de mauvaise intelligence entre les deux frères, qui estoit ung accident qu'on me vouloit bien dire qui seroit pour aporter beaucoup de traverse à ce propos. Je suys demeuré merveilleusement estonné de ceste tant mauvaise, et comme je m'asseure, très faulce nouvelle, et en fusse en plus grand peyne sans qu'il m'est souvenu qu'il vous avoit pleu m'escripre, du xxve du passé, de n'adjouxter foy à rien qui me peult estre dict ou mandé, si je ne le voyois signé de la main de Voz Majestez. Et ainsy, Madame, je demeure en ceste résolution de ne le croyre, et de faire encores, aultant que je pourray, que les aultres ne le croyent; et néantmoins je ne veulx différer de le vous escripre, affin que Vostre Majesté pourvoye aulx inconvéniantz qui pourroient advenir d'une si meschante et mallicieuse invention, laquelle, de tant qu'on la tient fort secrecte icy, je vous supplie, Madame, que le susdict de Valsingam ne puysse sentyr que je vous en aye donné adviz. Sur ce, etc. Ce vie jour d'aoust 1571.
Voycy encores, Madame, tout à ceste heure ung quatrième adviz qui contient ces motz:—«Plusieurs lettres, de diverses dates, sont venues par ceste mesmes dépesche, et meintenant s'entend que pour la religion l'affaire est retardé, s'esmerveillantz Leurs Très Chrestiennes Majestez que de deçà ne consentent à une si raysonnable requeste, qui ne fut jamais dényée à nul prince, et sur ce différand viendra Mr de Foix, ou ung aultre gentilhomme de crédict, bientost.»—Et n'y a rien plus.
CXCIXe DÉPESCHE
—du ixe jour d'aoust 1571.—
(Envoyée jusques à Calais par l'homme du Sr Bon St Jehan.)
Négociation du mariage.—Résolution prise en France d'envoyer Mr de Foix en Angleterre.—État des partis d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.—Communication faite par Leicester.
Au Roy.
Sire, estantz quasi en une mesmes heure arrivez deux corriers de France et d'Escoce en ceste court, le iiie de ce moys, j'ay à dire meintenant à Vostre Majesté, quant à celluy de France, qu'on a trouvé que sa dépesche estoit composée de plusieurs pacquetz de diverses dattes, qui ont parlé diversement du propos d'entre Monseigneur et la Royne d'Angleterre, de sorte que, sellon le contenu des unes lettres, les choses sembloient n'aller guières bien, mais par celles du xxxe du passé, qui sont les plus fresches, Mr de Valsingam a si bien escript et si bien rabillé le tout que le comte de Lestre s'en est envoyé conjouyr avecques moy, et me remercyer des bons offices qu'il cognoist que, par Mr de Larchant et par les lettres que j'ay escriptes par luy à Voz Majestez, j'ay procuré d'estre faictz en cest endroict, et qu'il les répute offices vrayement honnestes, et qui se monstrent de tant plus louables et vertueulx qu'il n'a manqué qui se soyent esforcez au contraire d'en faire de très mauvais pour rompre le tout; de quoy il me vouloit bien asseurer que la Royne, sa Mestresse, et les siens en raportoient une très grande et bien fort espécialle obligation à Vostre Majesté, et une aultre très grande à la prudence de la Royne, vostre mère, et encores une aultre non moindre à la vertu et constance de Monsieur; et qu'encor que Mr de Montmorency ne vînt pour ceste foys, à quoy il avoit bien grand regrect, que Mr de Foix ne lairroit pourtant d'estre aultant bien veu et bien receu que nul gentilhomme qui peult, de quelle part qui soit au monde, arriver en ceste court, espérant que toutes choses yroient bien.
Et le corrier d'Escoce a raporté qu'on avoit opposé tant de difficultez à l'abstinance de guerre qu'il n'avoit esté possible de la conclurre, et que ceulx de Lillebourg, nonobstant les six mil escuz que Chesoin leur avoit perduz, publioient qu'ilz en avoient receu douze mille par des moyens que, maugré leurs adversayres, ilz en recepvroient chacun moys aultant qu'on leur en vouldroit adresser de France, et qu'ilz avoient souldoyé deux centz chevaulx davantaige, et tenoient mille hommes en garnyson dedans la ville; que ceulx de l'aultre party requéroient instamment la Royne d'Angleterre de leur envoyer ung entier secours, sans lequel ilz luy déclairoient qu'ilz ne pouvoient plus temporiser; que le comte de Lenoz se trouvoit las de la peyne et de la despence qu'il luy convenoit soubstenir au Petit Lith; que les comtes de Morthon, de Mar et aultres de leur faction, se plaignoient de luy, et ne vouloient plus recognoistre sa régence, ains prioyent la dicte Dame de leur vouloir assister à eulx, ainsy qu'elle avoit promiz de le faire, et ilz suyvroient son intelligence, aultrement qu'ilz sçavoient commant faire leur paix; que les comtes de Casselz et d'Eglinthon avoient esté miz en liberté soubz obligation de ne porter les armes contre le tiltre du jeune Prince; que aulcuns de la partie neutre monstroient de se vouloir joindre avec le dict de Morthon et avoient assigné jour et lieu pour en conférer ensemble. Toutes lesquelles choses, Sire, ceulx cy ont mises en dellibération, mais je ne sçay encores quelle résolution ilz y ont prinse, sinon qu'il semble qu'ilz proposent d'envoyer aulcuns de ce conseil sur les lieux pour monstrer d'accommoder les choses; mais ce n'est, à mon adviz, pour aulcun bien de la Royne d'Escosse, ni pour la paix de son royaume, et y a grand danger, s'ilz font tumber toute l'authorité du pays ez mains du dict de Morthon, qu'il ne s'en ensuyve ung grand préjudice à la personne de la dicte Royne d'Escoce, et une trop estroicte intelligence de luy avec la Royne d'Angleterre. Par ainsy sera bon, Sire, de fortiffier toutjour de plus en plus l'honneste party qui deppend de vous; j'estime, Sire, que le plus pressé est de faire mettre ez mains de Mr de Glasco les deniers que Vostre Majesté a ordonné d'estre employez par moys en cest affaire, et que cependant le Sr de Glasco, en vous faisant condoléance de la détention et mauvais trettement du dict Sr de Vérac et de la vollerie de voz pacquetz, il vous inciste aussi fort fermement qu'il ne soit dorsenavant rien tretté des affaires de la Royne, sa Mestresse, par les Anglois sans que l'exprès mandement d'elle, ou la présence de ses expéciaulx ambassadeurs et encores de vos propres depputez y interviennent, et qu'il le vous baille hardyement par escript affin que Vostre Majesté ayt tant plus d'argument d'en parler à l'ambassadeur d'Angleterre, et de me commander d'en parler vifvement par deçà. Les depputez de Flandres ont remiz entièrement le différand des merchandises à ce que le comte de Lestre et milord de Burgley en ordonneront; qui pouvez voyr, Sire, combien la chose va passer à l'advantaige des Angloys, et néantmoins il y reste encores quelque accrochement. Ce ixe jour d'aoust 1571.
A la Royne.
Madame, à peyne a esté party le corrier avec ma dépesche, du vie de ce moys, que Mr le comte de Lestre m'a envoyé dire ce que je mande en la lettre du Roy du contenu de celles de Mr de Valsingam, et davantaige qu'il donnoit une grande louange à Voz Majestez Très Chrestiennes et à Monseigneur de la tant vertueuse et royalle façon, dont toutz trois procédiez vers la Royne, sa Mestresse; qui rejettiez toutjour toutes les persuasions qu'on vous pouvoit donner contre le bon propos encommancé, et ne vouliez admettre les pratiques, lesquelles le dict de Valsingam mande que Mr le cardinal de Lorrayne, ou quelques aultres pour luy, menoient secrectement, de proposer le party de la Royne d'Escoce, sa niepce, ou encores plus expressément celluy de la Princesse de Portugal, à Mon dict Seigneur, et qu'il feroit qu'en faveur de l'ung ou de l'aultre mariage, ou au moins pour faire cesser celluy de la Royne, sa Mestresse, le clergé de France luy donroit quatre centz mil escuz par an. A quoy le Roy avoit respondu:—«Qu'il estoit bien ayse de cognoistre que son clergé fût assés riche pour pouvoir faire de telles offres, par où il espéroit qu'il en pourroit tirer de grandes subventions pour payer ses debtes, mais qu'il ne trouvoit bon qu'il se meslât de telz affaires; car tout ce qu'il avoit estoit bien à son frère.» Néantmoins que le dict sieur comte s'esbahyssoit comme il me tardoit tant à arriver quelque dépesche de cella, et si je pensoys qu'il y eust encores rien de changé. Je l'ay remercyé infinyement de la privée communication, dont il continuoit user vers moy, et que je ne fauldrois toujour de luy bien correspondre, mais qu'à présent je ne luy sçauroys dire sinon que j'estoys plus esbahy que luy que je n'avoys ny lettre, ny nouvelle quelconque de Voz Majestez. Et, bien peu après, est arrivé mon secrétaire avec la certitude du partement de Mr de Foix pour s'en venir; dont j'ay incontinent dépesché homme exprès pour en aller advertyr le dict sieur comte. Sur ce, etc. Ce ixe jour d'aoust 1571.
CCe DÉPESCHE
—du xiie jour d'aoust 1571.—
(Envoyée jusques à Calais soubz la couverte du Sr Acerbo.)
Mission de Mr Foix pour conclure la négociation du mariage, ou former un traité d'alliance.—Nouvelles d'Écosse.—Succès des révoltés en Irlande.—Confirmation de l'accord fait avec l'Espagne sur les prises.
Au Roy.
Sire, ceulx qui veulent bien et qui portent beaucoup d'affection au mariage de Monsieur sont bien marrys que Vostre Majesté n'ayt, tout d'un train, envoyé Mr de Monmorency pour en conclurre le propos, car leur semble que la matière y est à présent bien disposée, et craignent que tant de remises, à la fin, n'y aportent de l'empeschement, néantmoins se resjouyssent grandement de la venue de Mr de Foix, comme de celluy qu'ilz ont en la meilleure opinion du monde, et dont nul aultre n'eust sceu venir à qui ilz adjouxtent plus de foy, ny qui leur soit plus agréable que luy; et j'espère, Sire, que, trouvant les choses au bon estat que, grâces à Dieu, elles sont, il ne s'en retournera sans les vous raporter ou conclues, ou fort aprochées de leur conclusion. Car encores despuys ma dépesche du xxiie du passé, j'ay miz peyne de leur donner beaucoup de pied et de fondement en ce, mesmement, que vous ay lors mandé par mon secrétaire touchant satisfaire à l'honneur, à la conscience et à la seureté de Monseigneur au poinct de la religion; mais je sentz bien, Sire, que, si l'on change de propos, et mesmes, si Mr de Foix use de alternative, à sçavoir ou du mariage ou de confédération, comme il semble que Mr de Valsingam en a escript quelque mot, que ceulx cy tiendront l'ung et l'aultre pour rompuz.
L'on a envoyé le jeune Coban pour le recepvoir à Douvre et le conduyre jusques icy, et milord de Boucaust et sire Charles Havart sont ordonnez pour l'accompaigner en ceste ville, et puys pour nous mener là où sera la dicte Dame, laquelle est desjà en son progrez.
L'on a dépesché coup sur coup deux gentishommes en Escoce, avec mille marcz chacun, au comte de Lenoz, qui est en tout quatre mil escuz, affin qu'il ayt de quoy meintenir son authorité; laquelle ilz craignent que le comte Morthon la luy veuille du tout emporter, et mesmes souspeçonnent que le Sr de Vérac, qu'ilz disent estre meintenant en liberté, ayt quelque pratique avecques luy. Tant y a que la Royne d'Escoce, de ce peu qu'elle pouvoit avoir en ses coffres, a faict mettre deux mil trois centz quatre vingtz douze escuz en mes mains pour envoyer à ceulx de Lillebourg, ce que j'espère, Sire, les leur faire tenir le plus tost et le plus seurement qu'il me sera possible, mais les pouvres officiers et serviteurs de la dicte Dame demeurent cependant fort mal pourveuz. L'on a ordonné, despuys deux jours, que son ambassadeur sera transporté à Ely, qui est cinquante mille loing d'icy; à quoy je me suys opposé, et ne sçay encores si l'on y aura de l'esgard. L'on luy a dict que, le xxviiie du présent, doibt estre tenu un parlement en Escoce pour ordonner aulcuns depputez affin de les envoyer par deçà, et que lors sera procédé tout ensemble et à sa liberté et à la résolution des affaires de sa Mestresse; mais il semble que sa dicte Mestresse, avec rayson, ne veult plus confyer l'accommodement de ses affaires ny la conclusion du tretté à la Royne d'Angleterre ny à ses ministres, si elle mesmes ou ses expéciaulx depputez ne sont présens.
Fitz Maurice prospère en Yrlande, il a deffaict trois centz Anglois des garnysons de dellà, et surprins quelque lieu d'importance. Ceulx cy ont tiré, despuys huict jours, vingt cinq chariotz chargés d'armes de la Tour, pour y envoyer. Milord Sideney faict si grande difficulté d'y retourner qu'il semble que milord Grey enfin y passera. J'entendz que le faict de Flandres, quant aulx merchandises, est accordé, ainsy que l'ambassadeur d'Espaigne mesme me l'a confirmé, mais il semble que l'exécution de l'accord conciste en beaucoup de particullaritez qui pourront encores avoir quelque trêt. Après l'arrivée de Mr de Foix, nous vous escriprons toutz deux plus amplement. Sur ce, etc.
Ce xiie jour d'aoust 1571.
CCIe DÉPESCHE
—du xixe jour d'aoust 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Arrivée de Mr de Foix à Londres.—Audience.—Insistance de Mr de Foix pour que l'on s'accorde avant tout sur l'article de la religion.—Intrigues de l'Espagne afin d'empêcher le mariage.—Détails particuliers sur la négociation.
Au Roy.
Sire, la favorable réception que le jeune Coban a heu charge de faire à Mr de Foix à Douvre, et puys milord de Boucaust et sire Charles Havard à Londres, et celle que finalement la Royne d'Angleterre et les principaulx de sa court luy ont faicte, quant il est arrivé vers elle à Hatfeild, ont montré que sa venue estoit bien fort agréable par deçà, et que l'occasion, pour laquelle l'on a estimé qu'il y passoit, estoit très desirée de l'universel de ce royaulme; ce que luy mesmes a encore mieulx cogneu par les honnestes propos de ceste princesse, et le luy a esté davantaige confirmé par l'expression des parolles et de l'indubitable démonstration de ceulx de son conseil, de sorte qu'il a trouvé que l'affaire estoit en très bons termes.
Dont pour le conduyre au poinct que Voz Majestez et Monseigneur desiroient, et affin de l'y acheminer par la voye que luy avez baillé en son instruction, après qu'avec beaucoup de dignité et d'une fort bonne façon, il a heu satisfaict aulx premiers offices de salutation et présentation de voz lettres, lesquelles ont esté fort gracieusement receues de la dicte Dame, il luy a vifvement incisté qu'elle debvoit ottroyer à Monseigneur, venant par deçà, l'exercice de sa religion, et que, sans l'offance de sa conscience et grand intérest de son honneur, ny mesmes sans quelque note d'infamye, il ne s'en pouvoit aulcunement départyr, ny Voz Majestez; et les saiges seigneurs de vostre conseil, après avoir dilligemment examiné ce qu'elle avoit naguières respondu, (qu'elle craignoit de ne pouvoir meintenir à Mon dict Seigneur son exercice, s'il le s'attribuoyt), ne vous voyent y avoir rien de plus expédiant que de faire que la tollérance d'icelluy, pour plus de seurté, luy fût ottroyée par chapitre exprès, comme les aultres articles du contract: ce qu'il luy a comprouvé avec plusieurs graves et fort prudentes considérations, et avec toute la vive action qui a esté nécessaire pour luy faire clairement cognoistre qu'il n'estoit ny honneste, ny utille, ny aulcunement possible, qu'il se fît aultrement.
A quoy la dicte Dame, après avoir beaucoup aprouvé la saincte intention de Mon dict Seigneur, et avoir, par ung bel ordre de beaucoup de bonnes parolles, infinyement loué ce qu'il vouloit avoir considération de Dieu, de sa conscience et de la conservation de son honneur sur toutes choses, elle a allégué les raysons qui, de son costé, luy sembloient estre pareillement considérables pour sa conscience, pour son estimation et pour la paix de son royaulme; et qu'elle estoit très contante que nous deux, avec trois ou quatre des principaulx de son conseil, advisissions de quelques honnestes moyens pour mutuellement satisfaire et à elle et à Mon dict Seigneur, et s'est arrestée principallement sur deux poinctz: l'ung, à rejecter le doubte du dangier de Mon dict Seigneur, comme chose qu'on ne pouvoit avoir nullement comprinse, ny d'aulcuns propos qu'elle eust jamais tenuz (ains avoit esté tout au contraire), ny pareillement de l'estat présent de ce royaulme, car ne falloit doubter que Monsieur n'y fût crainct, aymé et aultant révéré de ses subjectz que nul souverain prince et absolu le pourroit estre en nul aultre estat de toute la terre habitable. Et l'aultre poinct a esté de craindre que, d'icy à six ou sept ans, elle fût mesprisée de Monsieur, qui ne sera lors qu'en fleur de jeunesse et elle ung peu plus advancée en l'eage, ce qui luy seroit ung trop certain racourcissement de ses jours, ou qu'au moins elle passeroit, de là en avant, ceulx qui luy resteroient comme dans un sépulchre de larmes.
A quoy luy ayantz toutz deux fort satisfaict par l'asseurance qu'elle debvoit prandre des excellantes vertuz et perfections qui sont en Mon dict Seigneur, et encores plus par l'estime de celles qu'il trouvera, de jour en jour, plus grandes et plus aymables en elle, le propos s'est adonné à la recordation d'aulcunes choses qui avoient passé, durant le temps de Mr de Foix par deçà[12]; et ainsy l'audience s'est gracieusement achevée.
Et, le lendemain, nous ayantz la dicte Dame envoyé quatre principaulx seigneurs de son conseil, il leur a esté par Mr de Foix encores plus vifvement et plus copieusement déduict, qu'il n'avoit faict à elle, ce qui mouvoit Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monsieur, et tout vostre conseil, à ceste ferme résolution de la religion, et comme il estoit impossible, s'il n'estoit pourveu à Mon dict Seigneur de l'exercice de la sienne, vennant par deçà, qu'on passât plus oultre, et que pourtant ilz advisassent de quelques si bons et si seurs expédiantz en cest endroict que les deux parties en peussent avoir contantement. Ilz ont faict des responces sur le champ qui ont, à la vérité, tesmoigné le singulier desir de tout ce royaulme envers Mon dict Seigneur, mais une très grand difficulté à l'accommodement de ce poinct pour le préjudice de leur religion et pour la trop grande confiance que les Catholiques en prandroient; et néantmoins qu'ilz en confèreroient avec leur Mestresse pour plus résoluement nous y respondre. Dont nous estantz, le jour d'après, rassemblez au logis de la dicte Dame, ilz nous ont respondu, qu'elle ne pouvoit, sa conscience, son estimation et son estat sauvés, nous accorder nostre demande en la façon et aulx termes qu'elle estoit, et qu'elle ne pouvoit ny vouloit penser qu'en eschange d'une si grande sincérité et candeur, qu'elle et toutz les siens avoient usé en cest endroict, trop plus que à nul aultre party qui se fût encores présenté, Voz Majestez et Mon dict Seigneur luy vollussiez proposer des condicions qui luy fussent ou dommageables, ou impossibles, et que pourtant elle avoit mandé le reste de son conseil, affin d'adviser de quelques honnestes moyens qui fussent pour satisfaire à elle et contanter Mon dict Seigneur.
Cependant n'est pas à croyre, Sire, combien les ministres du Roy d'Espaigne, qui sont icy, s'esforcent par inventions, en partie artifficieuses et en partie vrayes, de donner empeschement à ce propos; car, encores que la Royne d'Angleterre tienne au Roy, leur Maistre, et à ses subjectz, quatre centz mil escuz de clair dans sa Tour de Londres, et plusieurs navyres, et très grand nombre de merchandises par deçà, et qu'ils soyent les oultraigez et intéressez, néantmoins ilz accordent, pour se racointer à elle, de rembourcer encores de nouveau les Anglois d'aultres quatre centz mil escuz, et laysser à la dicte Dame de convenir de ceulx que desjà elle tient avec les Gènevoys, comme elle pourra, et que les subjectz du Roy d'Espaigne se contanteront de reprendre les merchandises en tel estat qu'elles sont; et que pour retacher davantaige son amytié et son alliance avec la mayson d'Austriche, si elle se résoult fermement de prendre party, que le Prince Rodolphe s'y offre, dez à présent, et, si elle veult demeurer en sa première liberté, comme elle a faict les trèze ans de son règne, qu'ilz s'esforceront de luy mettre le Prince d'Escoce en ses mains pour le pouvoir désigner à ses subjectz, quand elle vouldra, et non plus tost, son successeur après elle; et luy feront cependant fiancer une des filles d'Espaigne, et feront en oultre qu'elle ne sentyra de sa vie aulcun moleste du costé de la Royne d'Escoce, ce qu'ilz sont après à le persuader à la comtesse de Lenoz. Et vont aussi par dons, par promesses et par grandes offres, pratiquans ceulx de ce conseil et encores quelques dames, pour traverser le propos de Monsieur; et estiment que la conclusion en est plus prochaine qu'elle n'est; laquelle ilz ont de tant plus suspecte qu'ilz entendent que la noblesse de ce royaulme et les Flamans, qui sont icy, ne parlent de rien plus ouvertement que de se vouloir toutz employer à la conqueste des Pays Bas pour luy. Sur ce, etc.
Ce xixe jour d'aoust 1571.
A la Royne.
Madame, il semble que la Royne d'Angleterre ayt prins pour grand offance qu'on ayt vollu inférer de son dire, qu'il y avoit du péril et du dangier pour Monseigneur vostre filz s'il vouloit user de la religion catholique par deçà, chose qu'elle asseure n'avoir touchée ny prez, ny loing, ains plustost le contraire: c'est qu'elle voyoit les occasions de trouble, qui avoient aparu à la venue du Roy d'Espaigne, cesser toutes en l'endroict de Mon dict Seigneur parce qu'il ne passeroit icy sur ung changement de religion, comme avoit esté allors, ny sur ung nouveau règne comme celluy de sa sœur, qui estoit assés contredict de plusieurs, ains viendroit continuer avec elle, avec tout heur et playsir, un règne très paysible et bien estably, qui avoit desjà duré trèze ans en la personne d'elle seule. Mais ceulx de la noblesse de sa court se sont davantaige irritez du dict propos, ayantz plusieurs des principaulx dict tout librement que en France, en Espaigne et en quel estat qui soit aujourduy au monde, l'on ne sauroit plus honnorablement, ny loyaulment, ny avec plus de fidellité et d'obéyssance, accompaigner leur prince qu'ilz accompaigneront Monsieur, s'ilz ont cest heur que de l'avoir pour roy, ou quelque aultre prince qui sera mary de leur Royne, et qu'ilz sçauront aussi bien et vaillamment mouryr à ses pieds que nation qui soit soubz le ciel; par ainsy, que les ennemys de ce propos aillent trouver quelque aultre invention, car la preuve et la vertu de leurs prédécesseurs convaincront toutjour ceste cy de grand mensonge; et ne pouvoient penser que Voz Majestez et Mon dict Seigneur leur vollussiez faire tant de tont que d'avoir une si mauvaise opinion d'eulx, ny qu'il se trouvast ung si arrogant homme en Angleterre qui osât contradire ou s'opposer en rien à son prince.
A quoy Mr de Foix et moy, pour modérer ceste impression, avons premièrement respondu à la dicte Dame que Voz Majestez et Mon dict Seigneur auroient très agréable ceste sienne déclaration, et avons signifié à quelques ungs des siens que Voz dictes Majestez avoient aultant bonne estime d'eulx que de noblesse qui soit au monde, et que vous prandrez encores de fort bonne part ceste leur abondante affection vers Mon dict Seigneur. De quoy ilz sont demeurez assés satisfaictz; mais ilz ont opinion que une partie de ceste objection soit procédé artifficieusement d'aulcuns de deçà, qui sont souspeçonnez, à cause du Roy d'Espaigne, de ne vouloir l'advancement de ce propos, lesquelz on menace assés ouvertement, et avec démonstration en universel, qu'on ne desire rien tant que de recouvrer ung tel chef, de qui la vertu et la valleur sont infinyment prisées et louées par deçà. Sur ce, etc.
Ce xixe jour d'aoust 1571.
CCIIe DÉPESCHE
—du iiie jour de septembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Monsieur de Foix.)
Retour de Mr de Foix en France.—Négociation sur les articles touchant l'exercice de la religion, l'administration du royaume, et le couronnement.
Au Roy.
Sire, la ferme résolution que Mr de Foix a déclairé à la Royne d'Angleterre et aulx siens: que Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monseigneur, et les saiges seigneurs de vostre conseil, avoient prinse de ne se pouvoir faire, en façon du monde, que Mon dict Seigneur, venant par deçà, n'eust l'exercice de sa religion pour luy et ses domestiques; et ce que, d'abondant, il a proposé que l'administration du royaulme luy fût ottroyée conjoinctement avec la dicte Dame, ensemble le couronnement, ont esté trois poinctz, qu'encor qu'ilz ayent semblé dangereux et suspectz, il les leur a néantmoins si bien justiffiez, et monstré, par beaucoup de graves et bien fort aparantes raysons, qu'ilz estoient très justes et esloignez de toute simulté et d'offance, qu'enfin l'affaire a esté dextrement conduict aulx termes que luy mesmes vous dira[13]; qui m'asseure, Sire, que les trouverez très honnorables pour Vostre Majesté. Sur ce, etc. Ce iiie jour de septembre 1571.
CCIIIe DÉPESCHE
—du viie jour de septembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Explication sur l'avis donné au roi que l'on songeait à renouer la proposition du mariage entre Élisabeth et le prince de Navarre.—Efforts tentés en Angleterre pour rompre le mariage du duc d'Anjou.—Saisie de l'argent envoyé en Écosse par l'ambassadeur.—Accusation portée contre le duc de Norfolk à ce sujet.—Demande de l'ambassadeur, afin que l'argent lui soit rendu.—Arrivée de don Juan en Italie pour conclurre la guerre contre les Turcs.—Nouvelles des Pays-Bas.—Le duc de Norfolk conduit à la Tour; prière de l'ambassadeur afin que le roi intercède en sa faveur.—Accord du comte d'Arguil avec le comte de Morton.
Au Roy.
Sire, il me souvient que quant le jeune Coban, n'estant encores conclue la paix en vostre royaulme, fut envoyé devers l'Empereur pour renouveller le propos de l'archiduc Charles, l'on me donna adviz qu'en mesmes temps Mr le cardinal de Chatillon, pour le traverser, avoit faict mettre en avant, par le Sr de Trokmorthon, le party de Monsieur le Prince de Navarre avec la Royne d'Angleterre, remonstrant que les princes protestans d'Allemaigne en seroient plus contantz que de cest aultre, et qu'il n'y avoit nul plus grand subject ny de meilleure extraction que le dict Prince en toute la Chrestienté; et que, oultre les estatz de la Royne de Navarre, sa mère, qui estoient grandz, et, oultre les biens de Vendosme qui estoient honnorables, et dont de ceulx qui sont en Flandres les ungs estoient assis sur la mer en lieu non guières moins commode que Callais, le dict Sieur Prince avoit obtenu de nouveau ung jugement en la chambre impérialle contre le Roy d'Espaigne de plusieurs aultres biens et sommes, qu'il disoit monter à plus de deux millions d'or. Néantmoins le propos, à cause de l'eage et de la taille, n'avoit esté auculnement suyvy, et n'ay point sceu, Sire, que, despuys la paix conclue, et despuys le propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, il ayt esté faict aucune mencion du dict Sieur Prince ny pour la Royne d'Angleterre, ni pour aulcune de ses parantes. Et quand Mr de Foix a parlé icy que Vostre Majesté vouloit donner Madame en mariage au dict Sieur Prince, et que despuys j'ay asseuré que cella estoit comme conclud, je n'ay cogneu, en signe ny en parolle, qu'on ayt faict aultre démonstration que de l'aprouver bien fort, et de louer infinyement le moyen qu'aviez trouvé par là d'assurer si bien ceulx de la nouvelle religion qu'ilz n'auront jamais occasion de rien mouvoir dans vostre royaulme.
Tant y a, Sire, que je prendray garde si l'adviz qu'on vous a donné là dessus a aulcun fondement, bien me semble que le conseil de deçà n'est si peu judicieulx qu'il veuille faire délaysser à ceste Royne l'ung ou l'aultre de deux grandz apuys qui luy sont proposés, pour suivre ce troisième bien foible, qui ne luy pourroit guières ayder, et qui seroit pour faire unyr les aultres deux contre elle. Dont ne fault doubter qu'elle ne cerche de s'accommoder en quelque bonne sorte avec Vostre Majesté, et, si elle ne le peult faire, qu'elle vouldra retourner, commant que soit, à l'intelligence du Roy d'Espaigne; mais, pour le présent, sa principalle entente, et des siens, est de parachever le propos de Mon dict Seigneur. Et encor que, de l'autre part, l'on offre à la dicte Dame de luy faire de grandz advantaiges, et à plus tollérables condicions que les nostres, ou au moins de mettre les choses d'Escoce en sa main, et que beaucoup de dons et de présens ayent desjà couru en cella avec encores de plus grandes promesses pour l'advenyr, et que soubz main, l'on ayt admonesté les Protestans de penser ainsy de ceste grandeur de Monsieur comme d'une authorité qui se va dresser contre eulx et contre leur religion, ces mauvais offices néantmoins n'ont peu encore avoir lieu, et ceulx qui les ont faictz, bien que ne leur en ayons opposez de semblables, n'ont sceu dissimuler leur dolleur qu'ilz n'ayent monstré avec larmes qu'ilz ne sçavent où ilz en sont. Ce que je laysse, Sire, à Mr de Foix de le vous discourre plus au long par le récit de plusieurs particullaritez qui sont advenues pendant qu'il a esté par deçà. Lequel aussi vous racomptera l'accidant des deux mil escuz que j'envoyois en Escoce, pour l'occasion desquelz l'on a despuys resserré davantaige le duc de Norfolc, comme s'il en estoit coulpable, et miz en la Tour ses deux secrétaires. Et parce que j'ay esté allégué, il y a heu deux seigneurs de ce conseil qui m'en sont venuz parler; ausquelz j'ay dict tout librement que Vostre Majesté, ayant entendu la perte des dix huict mil escuz et des monitions que Chesoin admenoit en Escoce, et la vollerie qu'on avoit faicte au Sr de Vérac, vostre agent, arrivant par dellà, d'avoir prins ses pacquectz, ses coffres, son argent et l'avoir arresté luy prisonnier; et ne sachant que les deux tiers de l'argent fût entré dans Lillebourg, comme on l'avoit entendu despuys, vous m'aviez commandé, Sire, de faire tenir au dict Vérac, ou à quelcun pour luy, le plus dextrement que je pourrois, mil escuz, ensemble une aultre petite partie que Mr de Glasco envoyoit par dellà; et de tant que c'estoit une chose qui concernoit vostre service, laquelle ne debvoit estre désagréable à la Royne, vostre bonne sœur, non plus qu'elle ne luy pouvoit estre en façon du monde dommageable, je prioys iceulx du conseil de faire envers elle que les dicts deux mil escuz fussent, par l'ordre mesmes de la dicte Dame, apportez au dict de Vérac, ou qu'elle me vollust donner saufconduict pour les luy envoyer, ou au moins me les faire randre; et, quoy que soit, qu'elle me mandât ce que j'auroys à en escripre à Vostre Majesté; dont, Sire, j'en attandz, d'icy à deux jours, la responce. Et parce que Mr de Foix est bien instruict de tout ce faict, je vous suplieray seulement, Sire, d'en parler, ou d'en respondre, à l'ambassadeur d'Angleterre, quant il vous en parlera, conforme à ce dessus, et me commander comme il vous playrra que j'en use; se continuant, au reste, toutes aultres choses icy, comme Mr de Foix les a layssées: que le Sr de Quillegrey partira bientost pour aller sollaiger Mr de Valsingam, et que milord de Burgley suyvra, si quelque accidant ne survient.
L'ambassadeur d'Espaigne a publié l'arrivée de don Joan d'Austria en Itallye, avec grand expectation de toute la Chrestienté qu'il exploictera encores cest esté plusieurs notables faictz d'armes sur le Turc. Ung allemant qui se faict appeller le comte de Lumey est arrivé, despuys huict jours, lequel est eschappé, à ce qu'on dict, par grand fortune, des mains des Espaignolz qui cerchoient de le prandre, parce qu'il favorisoit les partz du prince d'Orange. Je verray ce qu'il négociera par deçà; et sur ce, etc.
Ce viie jour de septembre 1571.
PAR POSTILLE.
Despuys la présente escripte, l'on a mené le duc de Norfolc à la Tour; et de tant, Sire, qu'il semble qu'on le travaille, et qu'on le veult recercher de sa vie, à cause que son secrétaire m'a vollu moyenner la conduicte de ces deux mil escuz au Sr de Vérac, vostre agent en Escoce, de quoy je ne sache qu'il soit en rien consent ny sçavant, je supplie très humblement Vostre Majesté d'employer, en quelque bonne sorte, sa faveur envers la Royne d'Angleterre, à ce que le dict duc et ses hommes ne souffrent aucun mal pour cella. Et, au surplus, Sire, j'entendz que l'accord, que milord de Burgley nous disoit estre faict en Escoce, est entre le comte de Morthon et le comte d'Arguil, lequel il a tiré de sa part, au préjudice toutjour de la cause de la Royne d'Escoce.
CCIVe DÉPESCHE
—du xiie jour de septembre 1571.—
(Envoyée jusques à Calais par Clearc, archier de la garde escoçoyse.)
Procédure contre le duc de Norfolk.—Danger de Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse; avantages remportés par les partisans de la reine.—Conclusion de l'accord sur les prises entre les Anglais et les Espagnols.—Entreprise des partisans de la reine d'Écosse sur Stirling.
Au Roy.
Sire, quant Mr de Foix est party d'icy, la Royne d'Angleterre a monstré qu'elle estoit en dellibération d'envoyer devers Vostre Majesté ung des seigneurs de son conseil pour vous aller justiffier les responces qu'elle nous a faictes, et les conduyre, s'il estoit possible, à quelque bonne conclusion du propos du mariage, ou au moins confirmer par là l'amytié qu'elle cerche de faire avec vostre couronne; mais despuys il semble qu'elle ayt remiz ceste despêche jusques à ce que le Sr de Valsingam luy ayt mandé comme aura esté prins le rapport de Mr de Foix. Cependant elle et ceulx de son conseil font une extrême dilligence d'enquérir contre le duc de Norfolc s'il a point continué ses intelligences avec la Royne d'Escoce, despuys qu'il luy a esté deffandu, et s'il en a heu quelque une avecques moy, mais il semble que beaucoup plus l'on le recerche s'il a poinct mené nulle pratique avec le duc d'Alve, et néantmoins ung chacun estime que tant plus l'on l'esclayrera, plus il sera cogneu loyal subject de sa Mestresse; et s'est on esforcé de prouver que les deux mil escuz, qui alloient en Escoce, venoient de luy, mais la vérité se manifeste de plus en plus qu'ilz sont procédez de moy, comme je n'ay différé de les advouher, et d'asseurer que Vostre Majesté m'avoit commandé de les faire tenir au Sr de Vérac pour son entretennement par dellà; ce qui justiffie, quant à ce poinct, fort grandement le dict duc, bien que je ne fays doubte qu'on ne resserre davantaige la Royne d'Escoce, et qu'on ne preigne quelque colleur de cecy, ainsy qu'assez souvant l'on l'a bien prinse d'aultres bien légières choses, pour retarder ses affaires; mesmes que milord de Burgley m'a mandé que la Royne, sa Mestresse, estoit dellibérée de ne souffrir qu'aulcun demeurast icy pour la Royne d'Escoce, ny qu'il se trouvast homme en Angleterre qui ozât parler pour elle. Dont, sur la première occasion, que Vostre Majesté me commandera d'en porter quelque parolle, je mettray peyne de m'en résouldre en une ou aultre façon.
J'entendz que le jeudy, vingt huictiesme du passé, il y a heu une grosse escarmouche entre ceulx de Lillebourg et du Petit Lith, où la deffaicte a esté grande de chacun costé, mais l'advantaige est demeuré à ceulx de Lillebourg, qui ont prins le coronnel des gens de pied du comte de Lenoz; et le dict de Lenoz s'est retiré à Esterling, ayant layssé chef dans la place le milord Lendsey. L'on dict que milord de Humes avoit aussi esté prins de rechef, et blessé en la dicte escarmouche, mais qu'il est eschappé. J'entendz que ceulx du dict Lillebourg sont allez courre jusques à St André, où le Sr de Vérac estoit dettenu et qu'ilz l'ont admené avec eulx. Les comtes d'Arguil, de Casselz, d'Eglinthon et milord Boid ont faict leur convention avec le comte de Morthon, soubz colleur de laquelle l'on nous a vollu donner entendre que la paciffication estoit establye en tout le pays; mais je voys bien, Sire, qu'à ceste heure, plus que jamais, vostre assistance et vostre authorité sont requises au dict pays.
Si, d'avanture, le Sr de Valsingam prend espérance des propos que Vostre Majesté luy tiendra, il y a grand apparance qu'après ses premières lettres à ceulx cy, milord de Burgley passera incontinent en France, avec lequel j'estime, Sire, que, mieulx qu'avec nul aultre de ce royaulme, Vostre Majesté pourra conclurre les choses qu'elle a à démesler avec ceste princesse. Le différand des Pays Bas, en ce qui concerne les merchandises, est accordé tout ainsy que je l'ay dict à Mr de Foix; ne reste plus que ung peu de cérémonie, à qui sera couché par le contract qui debvra rendre le premier, car en effect les Anglois demeurent saysis et satisfaictz de tout ce qu'ilz ont vollu, et le Sr Fiesque s'en va en dilligence trouver le duc d'Alve pour le luy faire ratiffier, avec lequel l'on a heu une bien estroicte et bien privée communication en ceste court premier qu'il soit party. Sur ce, etc.
Ce xiie jour de septembre 1571.
Despuys la dicte escarmouche, est venu nouvelle que ceulx de Lillebourg, en nombre de quinze centz hommes, sont allez essayer une fort hazardeuse entreprinse sur ceulx qui estoient logez dans la ville d'Esterlin, qui leur a réuscy si bien qu'ilz ont faict une grande exécution, et entre autres choses on dict qu'ilz ont donné ung coup de pistollé au comte de Lenoz dans son lict, lequel à peyne en eschappera.
CCVe DÉPESCHE
—du xvie jour de septembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Gosselin.)
Confirmation de l'entreprise sur Stirling.—Communication faite par Burleigh.—Mort du comte de Lennox.—Le comte de Mar nommé régent.—Rigueurs exercées contre Marie Stuart.—Assurances d'amitié données par Burleigh au nom d'Élisabeth.—Explications de l'ambassadeur.—Effet produit à Londres par l'arrestation du duc de Norfolk.—Hésitation des Anglais à l'égard de l'Écosse.—Nécessité pour le roi d'envoyer dans ce pays d'importans secours.
Au Roy.
Sire, ce que je vous avois mandé de l'hazardeuse entreprinse, que ceulx de Lillebourg avoient faicte pour surprendre dedans Esterling plus de soixante seigneurs comtes, lordz, évesques, abbés ou aultres principaulx de la noblesse, qui estoient là assemblez pour tenir ung parlement contre leur Royne, est très véritable, et n'a l'on ouy de longtemps rien de plus mémorable que cella, si l'yssue eust correspondu à son commancement; mais la chose enfin est devenue aulx termes que Vostre Majesté verra par les deux adviz cy encloz[14].
Tant y a que milord de Burgley m'a envoyé dire par le Sr de Quillegrey, son beau frère, que asseuréement le comte de Lenoz y a esté tué, et qu'aussitost le comte de Mar a esté créé régent, mais qu'on ne sçayt encore s'il aura accepté la charge; m'a mandé davantaige que, à cause de quelques pratiques qu'on a découvertes du duc de Norfolc, la Royne d'Angleterre a dellibéré de faire observer de plus près que jamais la Royne d'Escoce, et ne permettre que, de quelques jours, elle ayt aulcune intelligence par messaiges, ny par lettres, avec personne du monde, et par ainsy qu'elle me faisoit renvoyer ung pacquet, que naguières j'avois escript à la dicte Royne d'Escoce, bien que je le luy heusse dépesché par saufconduict; et, quant aulx choses d'Escoce, qu'elle avoit mandé à son ambassadeur qu'après le retour de Mr de Foix il en allast tretter avec Vostre Majesté, à quoy pensoit qu'il ne feroit faulte; au regard de ce qui estoit advenu des deniers que j'envoyoys en Escoce, qu'elle en avoit prins ung peu de souspeçon, mais qu'elle s'asseuroit tant de la parfaicte amytié de Vostre Majesté qu'elle en demeuroit hors de toute deffiance, et s'asseuroit aussi que ne prendriez sinon de bonne part la dilligence que, pour la conservation de son estat, elle mettoit de vériffier les pratiques que Ridolphy avoit menées contre elle, où il avoit toutjour, dez le commancement, vollu pourvoir que ne fussent communiquées à moy, vostre ambassadeur, ès quelles la dicte Royne d'Escoce et le dict duc se trouvoient à ceste heure meslez. Et adjouxtoit de soy, le dict de Burgley, qu'il ne voyoit pas pour cella qu'il deubt venir rien de réfroydissement au bon propos, et que l'ung de quatre seigneurs: savoir, du comte de Betfort, de milord de Boucost, de mestre Smith ou de luy; avoient esté proposez pour aller devers Vostre Majesté sur la correspondance du voyage de Mr de Foix, après qu'on auroit receu responce du Sr de Valsingam, bien que la Royne, sa Mestresse, ne vouldroit estre veue aller recercher ce dont l'advantaige, réservée aulx dames, requiert qu'elle soit recerchée.
J'ay respondu, Sire, à chacun poinct sellon que j'ay estimé convenir à la grandeur de Vostre Majesté, et à l'entretennement de vostre commune amytié avec ceste princesse, et au desplaysir que vous aurez si la Royne d'Escoce est maltrettée, ensemble au regrect qui vous touche de ces désordres qui continuent entre les Escossoys, avec un desir infiny d'y remédier, ce que je n'estendz icy aultrement pour éviter longueur; et que je percistoys, quant aulx deux mil escuz, de les demander et d'estre prest d'aller satisfaire la dicte Dame comme je les ay baillez, et de n'avoir jamais heu pratique avec le duc de Norfolc ny avec nul des siens; que, touchant le propos du mariage, Mr de Foix avoit emporté les responces, ès quelles il n'avoit garde d'y rien empyrer, mais bien luy avoit semblé expédiant que quelcun des seigneurs de ce conseil deust aller remonstrer à Vostre Majesté combien toutz eulx les estiment raysonnables.
Or espérè je, Sire, de veoir bientost la dicte Dame et vous mander ce que là dessus elle m'aura vollu plus ayant discourir; cependant, pour vous mieulx tesmoigner des durs déportemens qu'on use envers la Royne d'Escoce et des profondz souspirs qu'elle en adresse à Vostre Majesté, et pour vous faire veoir aussi quel est l'estat présent de son royaulme et comme l'on continue de le vouloir toutjour broiller, qui néantmoins monstre d'attandre sa ressource de la faveur de Vostre Majesté, et que icelle luy viendra à ceste heure plus opportune et plus utille que jamais, je vous envoye l'extrêt de la dernière lettre, du viiie du présent[15], que j'ay receue de la dicte Royne d'Escoce; avec une aultre lettre qu'elle m'a secrectement escripte, le mesmes jour, de sa mein, et deux lettres du Sr de Vérac du vingtiesme et trentiesme du passé, avec celle que, du dict mesmes xxxe, le Sr de Ledinthon a escript à Mr de Roz. Sur toutes lesquelles, après les avoir bien considérées et consultées, et les avoir communiquées à Mr de Glasco, comme la Royne, sa Mestresse, le desire, je vous supplie très humblement, Sire, y vouloir prendre une bonne et bien honnorable résolution, et faire appeller l'ambassadeur d'Angleterre affin de luy en faire aultant entendre comme Vostre Majesté jugera qu'il en sera expédiant pour n'altérer l'amytié de sa Mestresse, et justiffier les honnestes debvoirs dont vous avez toutjours usé vers elle en cest endroict. Et sur ce, etc.
Ce xvie jour de septembre 1571.
A la Royne.
Madame, il semble que l'accidant du duc de Norfolc et celluy du comte de Lenoz facent desirer davantaige à ceste princesse, et aulx siens, la conclusion du propos encommancé, affin de mieulx asseurer l'estat de ce royaulme: car, ainsy qu'on a ramené le dict duc à la Tour, le peuple de Londres, lequel on a toutjour estimé luy estre le moins affectionné du royaulme, a néantmoins accouru de toutes partz pour le veoir et le saluer, et pour dire tout hault qu'il estoit plus homme de bien et plus loyal subject de leur Royne que ceulx qui l'accusoient, et qu'ilz prioient Dieu de conserver son ignocence et de confondre ceulx qui cerchoient sa mort. D'ailleurs, ilz voyent que les choses d'Escoce ne leur succèdent ainsy qu'ilz desireroient, et qu'il leur est besoing, s'ilz y veulent rien establyr à leur dévotion, d'y aller à plus grandes et ouvertes forces, et à plus de fraiz qu'ilz n'y employent; dont semble qu'ilz s'en trouvent assez perplex. Je croy bien qu'ilz feront, à ceste heure, des nouvelles dellibérations ès dictes choses d'Escoce, et qu'ilz envoyeront pratiquer le comte de Mar, et, possible, dépescheront quelques gens de guerre de dellà, par prétexte de venger la mort du dict de Lenoz; mais les lettres du Sr de Vérac monstrent que si, de la part de Voz Majestez Très Chrestiennes, arrivoit, sur ceste conjonction de temps, quelque personnaige d'authorité et de grande qualité vers les Escossoys, avec quelques moyens de vostre faveur, que les ungs et les aultres se réduyroient facillement à l'intelligence de France, et viendroient à paciffication entre eulx, au grand honneur de Voz Majestez et grande réputation des affaires du Roy, non seulement en ceste isle, mais par toute la Chrestienté. Je ne vous diz rien, Madame, de l'extrémité en laquelle la Royne d'Escoce, vostre belle fille, s'estime estre réduicte, car ses propres lettres vous en parleront assés; seulement vous supplie très humblement me commander l'office qu'il vous playt que je y face, conforme à ce que vous sçavez commant la Royne d'Angleterre le prendra. Et sur ce, etc.
Ce xvie jour de septembre 1571.
CCVIe DÉPESCHE
—du xxie jour de septembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Mauvais état des affaires de Marie Stuart en Écosse.—Nécessité pour Élisabeth de se maintenir en paix avec la France.—Demandes faites par l'ambassadeur.—Efforts de l'amiral Coligni pour rompre le mariage du duc d'Anjou et marier le prince de Navarre en Angleterre.—Conférence de l'ambassadeur avec l'ambassadeur d'Espagne.
Au Roy.
Sire, en l'absence de Mr de Foix, qui est desjà devers Vostre Majesté, j'ay receu seul la dépesche qu'il vous a pleu adresser à nous deux, du xe du présent, à laquelle, quant au poinct des choses d'Escoce, j'estime, Sire, que, par les miennes dernières, lesquelles sont du séziesme de ce dict mois, et par l'extraict de plusieurs aultres lettres et adviz, que avec icelles je vous ay envoyé, Vostre Majesté aura veu comme le Sr de Vérac a parlé au comte de Morthon, et que, quelques jours après, il a esté conduict sauvéement à Lislebourg; comme le duc de Chastellerault, le comte de Humteley, milord de Humes et les sieurs de Granges et Ledinthon, qui sont ceulx qui ouvertement maintiennent la cause de leur Royne, et ouvertement s'advouhent à vostre protection, se trouvent en plusieurs grandes nécessitez et difficultez de pouvoir plus soubstenir ceste guerre; comme les comtes d'Arguil, de Casselz, d'Eglinthon et milord Boid se sont disjoinctz d'avec eulx pour s'accorder avec le comte de Morthon; comme milord de Lindsey est demeuré avec forces dans le Petit Lith; comme, nonobstant tout cella, ceulx de Lillebourg ont faict l'entreprinse de Esterling, en laquelle le comte de Lenoz et celluy qui avoit mandé des cartelz de combat au Sr de Granges, avec plusieurs aultres, ont esté tuez; et finalement comme, incontinent après le décez du dict de Lenoz, la régence a esté offerte au comte de Mar. Vous avez veu aussi, Sire, comme l'on a donné icy ordre de resserrer la Royne d'Escoce, et de luy oster la pluspart de ses serviteurs, avec le prétexte de l'occasion qu'on a heu de ce faire, et de ne vouloir qu'on parle plus icy aulcunement pour elle. Sur toutz lesquelz accidentz, Sire, j'attandray, encores quelques jours, ce qu'il vous playrra me commander; car, parce qu'ilz sont nouveaulx, Vostre Majesté advisera, possible, d'y faire une nouvelle dellibération et de changer quelque chose en celle que, naguières, elle m'a mandé.
Quelques ungs estiment, Sire, qu'encores que vous vous acquictiez droictement vers l'obligation que vous avez à la paciffication des Escossoys, voz confédérez, et que vous y alliez avec moyens convenables à vostre grandeur, pourveu qu'aultrement ilz ne soient à l'injure de la Royne d'Angleterre, ni contre les trettez, qu'elle ne s'en pourra avec rayson altérer, ains se confirmera possible davantaige en vostre amytié, et se hastera de tant plus tost conclurre l'intelligence qu'elle cerche de faire avec Vostre Majesté. Laquelle je vous oze bien prédire, Sire, que, si elle est remise à quelque longueur de négociation, et que ceulx, qui nous y sont contraires, voyent qu'on se puysse aultrement prévaloir des choses d'Escoce, et que vous demeuriez en tant soit peu de suspens de la reddition de la Rochelle, qu'il leur sera facille de l'interrompre du tout; joinct que ceulx cy cerchent desjà bien fort de se racoincter avec le Roy d'Espaigne. Il est vray que, de tant que les offances qu'ilz luy ont faictes sont grandes et notoires, et que les fugitifz de ce royaume sont retirez devers luy, et qu'il a ouy Estuqueley sur les choses d'Yrlande, aussi qu'on sçayt bien que le Pape ne permétra jamais qu'il entende à rien contre la Royne d'Escoce, et qu'en nul de ses pays la forme de la religion de ceulx cy n'a tollérance, joinct que les propres subjectz de ce royaulme ne sont en bonne unyon, et les principaulx d'entre eulx sont assés mal contantz, ung chacun juge que, par nécessité, ceste princesse aura de persévérer aulx traictez de paix avec la France, et se unyr davantaige à l'intelligence de Vostre Majesté.
Or, Sire, j'yray bientost trouver la dicte Dame pour luy toucher aulcuns poinctz de vostre susdicte dépesche, et pour avoir responce de trois particullaritez que j'ay desjà proposées à ceulx de son conseil: sçavoir, de n'innover rien au traictement de la Royne d'Escoce; de vouloir entendre à quelque expédiant sur la paciffication des Escossoys; et d'avoir satisfaction des deux mil escuz qu'ilz m'ont arrestez. Dont vous manderay incontinent ce qu'elle m'y aura respondu; et n'adjouxteray rien plus, pour ceste heure, icy, de ce propos, sinon que la Royne d'Angleterre, despuys l'entreprinse d'Esterlin, a mandé aulx gardiens de sa frontière de faire les monstres, et que, dans le moys d'octobre, elle leur envoyera de l'argent.
Quant à l'aultre poinct, Sire, concernant le Prince de Navarre, j'estime aussi que, par la responce que je vous y ay faicte, du viie de ce mois, Vostre Majesté aura cogneu que c'est ung propos vieulx, qu'on n'a pas beaucoup suyvy, et que, despuys celluy de Monsieur il a esté délayssé, sans qu'il se puysse, à présent, cognoistre qu'il soit remiz en termes. Et monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, de luy mesmes, sans que j'aye faict semblant d'en rien sçavoir, m'a dict, despuys deux jours, que don Francès luy a escript bien chauldement de France comme s'estant Mr l'Admiral aperceu que les deux mariages de Monsieur avec la Royne d'Angleterre et de Madame avec le Prince de Navarre pourroient avec le temps réuscyr fort préjudiciables à sa religion, qu'il s'esforceoit meintenant de les interrompre, et d'en moyenner ung nouveau pour le dict Prince par deçà, dont il estoit après d'en aproffondir la vérité; néantmoins, quant à la Royne d'Angleterre, il demeuroit fort fermement persuadé que, si elle ne se maryoit avec Monsieur, qu'elle n'en espouseroit point d'aultre; et qu'encores ses adviz concouroient toutz, despuys le partement de Mr de Foix, qu'elle estoit retournée à sa première dellibération de ne se marier jamais, et que, de ce que le dict dom Francès luy a allégué une fille, ou sœur, ou niepce, de feu Madame Catherine, pour le dict Prince de Navarre, qu'il estoit après à s'en enquérir, et m'advertiroit de ce qu'il en pourroit aprendre. Ce que je luy ay gratiffié grandement, et l'ay beaucoup remercyé de sa bonne vollonté, luy disant, quant au Prince de Navarre, que j'entendois que le mariage de Madame avec luy estoit desjà tout conclud; et, quant à celluy de Monsieur, qu'on nous avoit fort avant satisfaictz sur toutes condicions, en aussi ample forme comme le contract de la feue Royne Marie avec le Roy, son Maistre, le portoit, et encores plus largement quant à la coronation et gouvernement du royaume, mais, quant à la religion, l'on ne nous y avoit aussi bien respondu comme nous demandions; bien nous y avoit l'on baillé une forme de responce, laquelle ceulx cy estimoient qui pourroit satisfaire à l'honneur et à la conscience de Monsieur, dont j'étois, à ceste heure, attendant comme Vostre Majesté l'auroit prinse, et que je le pouvois asseurer qu'en ce qui avoit esté traicté jusques icy du dict mariage; il y avoit toutjour esté, de chacun costé, faict une fort expresse mencion de meintenir droictement la paix avec le Roy, son Maistre, de quoy il a monstré d'estre bien fort contant. Or, Sire, ce qu'on parle d'une parante ou niepce de la Royne d'Angleterre, laquelle elle pourroit advantaiger en faveur du dict Prince de Navarre, il y a longtemps que je cerche, pour aultre respect, de sçavoir si elle en a pas une, mais l'on n'en sçait nommer une seule du costé paternel; et vous puys asseurer, Sire, que milord de Burgley, s'il ne peult esteindre le tiltre que la Royne d'Escoce et son filz prétendent à la succession de ceste couronne, qu'il ne tiendra pas la main que celluy d'un tiers soit advancé au préjudice des filz de Herfort; par ainsy, je suys toutjour après à sonder si cest advertissement, touchant le Prince de Navarre, a nul fondement. Sur ce, etc.
Ce xxie jour de septembre 1571.
CCVIIe DÉPESCHE
—du xxvie jour de septembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Claude.)
Refus d'audience.—Explications données par Burleigh à l'ambassadeur sur les affaires d'Écosse.—Acceptation de la régence par le comte de Mar.—Assemblée de Stirling.—Accusations portées contre le duc de Norfolk et contre Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, ayant envoyé demander audience à la Royne d'Angleterre sur l'ocasion des choses que, le xe de ce moys, Vostre Majesté m'a mandé de tretter avec elle concernans la Royne d'Escoce et son royaulme, et ayant, par mesmes moyen, escript à milord de Burgley, icelluy de Burgley, de soy, m'a respondu plusieurs choses assez gracieusement, et a curieusement leu l'extraict d'une aultre lettre que la Royne d'Escoce m'avoit escripte; lequel j'ay desiré qu'il le vît bien au long, parce que les raysons et justiffications de tout ce qu'on impute à ceste pouvre princesse y sont fort bien et fort sagement déduictes, et a communiqué, à mon instance, le dict extrêt à sa Mestresse, et luy a aussi monstré ma lettre avec les poinctz raysonnables que je y requiers.
Laquelle a esté longtemps à dellibérer sur le tout avecques luy, et puys m'a faict mander par luy mesmes qu'elle se trouvoit de longtemps si offancée de la Royne d'Escoce, et les récentes injures, qu'elle vériffioit à ceste heure contre elle, luy renouvelloient si fort la playe, qu'elle en avoit au cueur, qu'elle ne pouvoit plus comporter qu'on luy parlât, en façon que ce fût, ny d'elle ny de ses affaires, et s'esbahyssoit assez comme je les voulois mesler avec ceulx de Vostre Majesté; et de tant qu'elle jugeoit bien que le pacquet, que vous m'aviez dépesché du xe de ce mois, ne pouvoit estre d'aulcune chose, qui eust esté négociée pendant que Mr de Foix estoit icy, parce qu'il estoit encores en chemin, affin de n'en ouyr point parler d'aultre, elle me prioit de temporiser mon audience jusques à ce que j'eusse encores receu ung aultre pacquet, et qu'elle avoit mandé à son ambassadeur vous dire, Sire, qu'elle n'avoit rien faict en l'endroict de la Royne d'Escoce, ny des siens, qui ne fût avecques honneur, avec debvoir et avec rayson, et qu'après que vous l'auriez ouy là dessus, elle espéroit que vous demeureriez bien contant: me voulant bien dire icelluy de Burgley, comme de luy mesmes, que de rien, que je sceusse proposer à ceste heure pour la dicte Royne d'Escoce ny pour les Escouçoys, je n'en raporterois aulcune meilleure responce que celle là; et qu'au regard des dicts Escouçoys, toutz les principaulx d'entre eulx se trouvoient desjà si unys à recognoistre l'authorité de leur jeune Roy que ce seroit troubler leur estat, si l'on s'y opposoit, et que, si Vostre Majesté vouloit, à ceste heure, soubstenir le duc de Chastellerault et le comte d'Honteley, qui seuls meintennoient le party de la Royne d'Escoce, vous vous monstreriez ennemy du repoz public du pays.
Il ne me deffault, Sire, que leur pouvoir bien répliquer à toutes ces responces; mais, parce que je ne serois ouy bien à ceste heure, encor que je parlasse en vostre nom, je ne veulx tant préjudicier à la grandeur et dignité d'icelluy que de l'employer en vain, et pourtant je ne m'advanceray de plus en parler, jusques à ce que Vostre Majesté, après avoir ouy le Sr de Valsingam, m'ayt commandé sa plus ample vollonté là dessus.
Cependant, Sire, j'entendz que le comte de Mar, par le confort de ceste princesse, a accepté la régence du pays, et qu'il a esté confirmé à icelle par l'assemblée du parlement qui estoit lors à Esterlin, dont, incontinent après, il a faict exécuter à mort deux de ceulx qui se sont trouvez coulpables de l'entreprinse du dict Esterlin; lesquelz ayant confessé qu'ilz avoient esté à ce induictz par les Amilthons pour faire mourir le comte de Lenoz, en revenche de l'archevesque de St André, icelle assemblée, tout d'ung consentz, a renouvellé leur sèrement de vanger, contre les Amilthons et contre le comte d'Honteley, la mort du feu Roy d'Escoce et des deux derniers régentz. Et suys adverty, Sire, que la Royne d'Angleterre a envoyé faire de fort grandes offres au dict de Mar, jusques à luy promettre armée pour assiéger Lillebourg, et que cependant elle luy fornyra la soulde de cinq cens hommes, et que mesmes il semble qu'elle fera couler iceulx cinq centz hommes de Barvyc à Esterlin à la file, affin qu'elle employe son argent à la soulde des siens, et que ce luy soit aultant de pied en l'Escoce, ne faisant doubte que ceulx de Lillebourg, s'ilz ne sentent bientost quelque rafreschissement, qu'ilz ne se trouvent en une fort grande extrémité. Et de tant que, par la déposition du filz du comte Dherby et de ceulx qui sont prisonniers avecques luy, il semble qu'on tire quelque indice de certaine dellibération qui avoit esté faicte d'enlever la Royne d'Escoce hors des mains du comte de Cherosbery, et de la conduyre en Galles pour la proclamer Royne d'Angleterre, et qu'à cella le duc de Norfolc ayt esté consentant, il n'est pas à croyre combien la Royne d'Angleterre s'esforce de le faire meintennant bien sentyr à toutz deux; mais l'ung et l'aultre, à ce qu'on dict, s'en justiffient fort bien, et croy qu'à ceste heure ce qui nuict le plus au dict duc est la privaulté qu'on se souvient que Ridolfy a heue en sa mayson et en celle du comte d'Arondel, pendant qu'il a esté par deçà; duquel Ridolfy l'on a fort suspect son voyage de Rome à Madry, et le séjour qu'il faict, de présent, en la cour d'Espaigne. Sur ce, etc.
Ce xxvie jour de septembre 1571.
CCVIIIe DÉPESCHE
—du dernier jour de septembre 1571.—
(Envoyée jusques à Calais par ung gentilhomme escouçoys.)
Dépêche de Walsingham.—Réception faite par le roi à l'amiral Coligni.—Mission de Quillegrey en France et en Allemagne.—Négociation des Pays-Bas.—Combat devant Douvres entre la flotte du duc d'Albe et celle du Prince d'Orange.—Nouvelles d'Écosse.
Au Roy.
Sire, arrivant la Royne d'Angleterre, le xxvie de ce moys; à Richemont, elle y a achevé son progrez de ceste année, et y est encores, et dict on qu'elle y fera assés long séjour, non sans qu'elle ayt desjà assés souvant souhayté de sçavoir si Mr de Foix estoit arrivé devers Voz Majestez Très Chrestiennes, et si elles demeuroient bien satisfaictes des responces qu'elle a faictes à luy et à moy, mais son ambassadeur luy a escript, du xve du présent, qu'il n'estoit poinct nouvelles de son retour, et mesmes luy a l'on asseuré qu'il estoit encores le xviiie à Paris, de quoy elle a monstré n'estre trop contante. Icelluy sieur ambassadeur, à ce que j'entendz, luy a fort curieusement mandé, du dict quinziesme, la réception de monsieur l'Admyral jusques à luy expéciffier que vous lui avez dict, Sire, qu'il fût aultant bien venu que gentilhomme qui soit arrivé en vostre court despuys vingt ans; et que la Royne, vostre mère, luy avoit faict l'honneur de le bayser; et que vous l'aviez mené en la chambre de Monseigneur vostre frère, qui se trouvoit ung peu mal disposé, où le mariage de Madame avec Monsieur le Prince de Navarre avoit esté conclud, et la paciffication de vostre royaulme de plus en plus confirmée; et que, incontinent après, vous aviez dépesché Mr de Biron devers la Royne de Navarre, laquelle, avec le dict Prince, son filz, estoient allez aulx beins de son pays de Béarn. Choses que les aulcuns d'icy ont heu assés agréables, mais il y en a plusieurs qui n'en ont monstré aulcun semblant de plésir, et ont dict tout hault qu'il estoit à craindre que l'accommodement des affaires de la France et le trop bien asseuré repoz d'icelle ne fût le travail et le trouble d'Angleterre.
A mandé davantaige le dict sieur ambassadeur que le propos du mariage de la Royne, sa Mestresse, avecques Monsieur estoit aussi bien subject à mutation par dellà comme icy, non sans qu'il l'eust assés de longtemps préveu, et qu'il n'eust descouvert d'où procédoit l'altération; néantmoins que Voz Majestez Très Chrestiennes, et Mon dict Seigneur, demeurez en la meilleure disposition du monde pour establyr une bien estroicte amytié et intelligence avec la Royne, sa Mestresse; et que, mesmes le dernier escript, qui avoit esté envoyé d'icy, vous avoit assés contantez, et qu'à cest effect il desiroit que quelcun de ce costé, personnaige bien choysy, fût bientost envoyé devers Vostre Majesté.
Et semble, Sire, que la dépesche, que la dicte Dame a despuys faicte à son dict ambassadeur, du xxe de ce moys, tende à estre esclarcye qu'est ce qui aura résulté du dict escript et du rapport de Mr de Foix, et comme sera receu quelcun des siens, si elle l'envoye par dellà, et aussi pour vous toucher aulcunes choses du faict de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc; mais, quant à ces deux derniers poinctz, j'espère, Sire, que vous aurez esté assés préparé d'en respondre au dict ambassadeur, s'il vous en est venu parler, sellon le discours que je vous en ay faict en mes deux précédantes dépesches, sans qu'il soit besoing de vous en faire icy plus de mencion; seulement je adjouxteray à ce pacquet l'original d'une lettre et l'extrêt de deux chiffres, que j'ay receu de la Royne d'Escoce, despuys qu'elle est resserrée, par où Vostre Majesté verra ce qu'elle pense estre très nécessaire de faire promptement pour elle et pour les affaires de son royaulme.
J'entendz que le Sr de Quilegrey s'apreste pour aller sollager le Sr de Valsingam, qui a mandé se vouloir faire curer de certaine difficulté d'uryne qui le travaille fort, où il dict avoir besoing d'ung séjour de trois moys; et semble qu'avec l'ocasion de ce voyage l'on en dresse ung aultre, pour le dict Sr de Quillegrey, d'aller, au partir de France, devers les princes protestans en Allemaigne, dont ne sera que bon de l'observer ung peu sur ce qu'il négociera, pendant qu'il sera en vostre court. Il est venu responce de Bruxelles comme le Sr Thomas Fiesque estoit arrivé devers le duc d'Alve le xve de septembre, et qu'on espéroit qu'il seroit bientost remandé par deçà avec ample pouvoir et ratiffication sur tout ce qui a esté tretté de l'accord des merchandises; dont sera besoing, Sire, qu'à ceste heure vous soyez adverty du dict Bruxelles de ce que pourrez desirer entendre de plus en ceste affaire. L'admyral de Flandres, avec bon nombre de navyres de guerre, est venu combattre et chasser, par deux foys, les vaysseaulx du prince d'Orange jusques à la bouche du port de Douvre, et, sans l'artillerye du chasteau et du balouvart du dict Douvre, qui a tiré contre luy, il les eust poursuyviz jusques dans le mesmes port. L'on me vient de dire tout présentement que ceulx d'Esterlin en Escoce ont mandé, de toutes partz, à ceulx de leur party qu'ilz les viennent trouver, ce premier jour d'octobre, avec leurs armes et vivres pour quarante jours, affin d'aller assiéger Lillebourg. Sur ce, etc.
Ce xxxe jour de septembre 1571.
CCIXe DÉPESCHE
—du vie jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr Bernardo Gary.)
Procédure contre le duc de Norfolk.—Arrestation du comte d'Arondel.—Lord de Lumley mis à la Tour.—Nouvelles d'Écosse.—Nécessité d'envoyer des secours dans ce pays.
Au Roy.
Sire, il n'y a rien en quoy la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil facent, à ceste heure, plus grande dilligence que de s'esclarcyr des souspeçons qu'ilz ont conceues contre le duc de Norfolc et contre d'aultres seigneurs de ce royaulme, et, pour cest effect, ilz en ont faict appeller aulcuns des principaulx en ceste court, où ayantz desjà le comte d'Arondel et milord de Lomeley, son beau filz, compareu des premiers, l'arrest a esté commandé au dict comte avec gardes en sa mayson, et l'on a miz son beau filz dedans la Tour. Il se présume qu'il en prendra de mesmes à ceulx qui s'atandent icy bientost, car la dicte Dame est fort animée contre eulx, et milord de Burgley s'y monstre bien ardent; mais le comte de Lestre a trouvé moyen, sur ceste première fureur, de s'absanter en sa mayson de Quilingourt, où il est encores de présent, et n'y a chose qui se monstre plus aparantment à ceste heure en ce royaulme que la division pleyne de peur et de dangier. La dicte Dame faict haster la cuillette des deniers qui luy ont esté ottroyez par son parlement, et, oultre cella, elle faict, despuys huict jours, travailler secrectement à la monoye pour convertyr les réalles d'Espaigne, qui sont dans la Tour, en monoye d'Angleterre. Elle persévère toutjour en ung apparant desir de conclurre, par ung ou aultre moyen, une bien estroicte intelligence avec Vostre Majesté; et quant, sur la première vostre dépesche que je recepvray, je l'yray trouver, je vous manderay incontinent, Sire, ce que j'en auray plus expressément cogneu. Cependant le Sr de Quillegrey s'apreste pour aller sollager le Sr de Valsingam, et l'adviz, qu'on m'avoit desjà donné, qu'il passeroit puys après en Allemaigne m'a esté de rechef confirmé, et qu'il a charge de pratiquer en l'ung et l'aultre pays des intelligences, et qu'il porte procuration en forme pour conclurre la ligue avec le comte Pallatin, le marquis de Brandebourg, le Lansgrave et aultres princes protestans: en quoy sera bon, Sire, que Vostre Majesté face prendre garde comme les choses passeront.
Au surplus, Sire, les choses d'Escoce sont aulx termes que je vous ay escript du dernier du passé, que ceulx d'Esterlin ont mandé toutz ceulx de leur party pour aller assiéger, au premier du présent, ceulx de Lillebourg, lesquelz ilz ont desjà envoyé sommer. L'on est après icy à faire une dépesche aus dicts d'Esterling, et y a aparance qu'il leur sera promptement envoyé de l'argent, et encores ay je quelque adviz, de fort bon lieu, qu'on prépare d'y envoyer des forces par prétexte de revencher la mort du comte de Lenoz: à quoy semble, Sire, qu'il est temps d'y remédier. La Royne d'Angleterre, au commancement de septembre, avoit escript au comte de Lenoz de faire en sorte que ceulx de son party vollussent adresser une remonstrance à elle, signée de leurs mains, par laquelle ilz luy signifiassent que les grandz troubles et divisions, qui continuoient en leur pays, et ceulx qui aparoissoient en Angleterre, procédoient de l'opinion en quoy elle entretenoit le monde de vouloir restituer la Royne d'Escoce, et que, tant qu'elle la tiendroit en son royaulme, la dicte opinion ne cesseroit, et en demeureroient ceulx qui s'esforcent de relever son authorité toutjour en quelque espérance, chose qui estoit de très grand préjudice aulx deux royaulmes; et, de tant qu'il y avoit desjà ung Roy légitimement estably en la place d'elle, par la propre dimission qu'elle en avoit faict, qu'ilz la vollussent suplier de remettre la personne de la Royne d'Escoce en leurs mains pour ordonner d'elle, et de son entretennement, sellon que les Estatz du pays estimeroient se debvoir faire, soubz bonne seurté qu'ilz donroient ordre qu'elle ne peult mouvoir aulcune chose, en l'ung ny l'aultre royaulme, au préjudice du repos public. Lesquelles lettres estant arrivées à Esterling après la mort du comte de Lenoz, elles ont esté leues en l'assemblée des aultres seigneurs qui s'y sont trouvez, et leur responce est meintenant arrivée; mais je ne sçay encores ce qu'elle contient. Sur ce, etc. Ce vie jour d'octobre 1571.
CCXe DÉPESCHE
—du xe jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Audience.—Proposition faite dans le conseil de rompre la négociation avec la France pour rechercher l'alliance d'Espagne, ou former une ligue avec les protestans d'Allemagne.—Efforts de l'ambassadeur pour ramener la reine à l'alliance de France.—Secours qu'elle se propose d'envoyer en Écosse.
Au Roy.
Sire, parce que la Royne d'Angleterre n'avoit peu assés bien comprendre, par les dernières lettres de son ambassadeur, si le succez de la négociation de Mr de Foix avoit bien ou mal satisfaict Voz Majestez Très Chrestiennes, et craignant que plustost il vous en restât de l'offance que du contantement, et que d'ailleurs les choses du dedans de son royaulme la tenoient en suspens, et celles d'Escoce la pressoient d'y faire quelque résolution, elle a différé de me donner audience trois jours entiers; et, à chacun des dicts jours, elle a tenu conseil sur le party qu'entre ces difficultez luy seroit plus expédiant de prendre pour mettre elle, son estat et ses affaires, en seurté, inclinant la dellibération des siens tantost à se munyr d'une bonne ligue avec Vostre Majesté, tantost de retourner à celle desjà faicte de tout temps avec le Roy d'Espaigne, en ostant seulement ce peu d'espines et de différans qui y sont survenuz de peu de jours en çà, tantost à conclurre celle dont elle est recerchée des princes protestans. Et est certain, Sire, que, quoy que la segonde luy fût suspecte et la troisiesme pleyne de grandz frays, néantmoins, craignant que les difficultez de ces responces sur l'accord de l'exercice de la religion pour Monsieur et les choses d'Escoce, ne luy fissent empeschement de parvenir à la première avec Vostre Majesté, ou que desjà vous fussiez bien irrité contre elle, elle a esté sur le poinct de se résouldre à la conclusion de l'une des aultres deux, et, possible, à toutes les deux ensemble; mais elle a trouvé bon que premièrement je soys allé parler à elle.
Qui a esté cause, Sire, qu'ayant heu sentiment de cella, et cognoissant le desir de Voz Majestez en cest endroict, j'ay employé les mercyementz et les honnestes propos des lettres de Voz Majestez et de celle de Monseigneur, du xxviie du passé, à disposer ceste princesse, le mieulx que j'ay peu, pour la faire bien espérer de vous trois et de toute la France, vous suppliant très humblement, Sire, me pardonner, si je me suys dispencé d'accommoder ung peu les dicts propos à ce que j'ay estimé pouvoir plus contanter la dicte Dame et les siens, sans toutesfoys que je me soys advancé de rien promettre, et seulement par l'expression dont je luy ay usé, le plus vifvement qu'il m'a esté possible, de vostre droicte intention vers elle, et comme, pour la diverse interprétation que pouvoient recepvoir ses articles, vous n'aviez encores vollu asseoir aulcun certain jugement sur iceulx, ains vous entreteniez en vostre première bonne espérance, attandant celluy des siens, que Mr de Foix vous avoit asseuré qu'elle vous dépescheroit; lequel vous me mandiez qui seroit le bien venu et seroit receu avec aultant de faveur que de nulle aultre part qui vous en peult estre envoyé de la Chrestienté; et que, non seulement vous luy presteriez l'audience, mais le cueur et l'affection, en tout ce qu'il vous vouldroit proposer de la part d'elle pour vous esclarcyr de ce présent propos, et pour impétrer toutes aultres choses que honnorablement elle vouldroit desirer de vostre amytié.
Il est advenu, Sire, que la dicte Dame, goustant cella, a pour ce coup interrompu l'instante conclusion des aultres intelligences, et les a mises en suspens, attandant si elle se pourra accorder à la vostre, et, dans deux ou trois jours, que Mr le comte de Lestre et milord de Burgley viendront en ceste ville, elle me fera plus amplement entendre de son intention, et de la résolution qu'elle aura prinse si elle envoyera quelcun des seigneurs de son conseil, ou non, devers Vostre Majesté; en quoy je feray, Sire, tout ce qu'il me sera possible que ce soit milord de Burgley, et cependant j'entendz que le Sr de Quillegrey s'acheminera pour aller sollager Mr de Valsingam, ne voulant obmettre, Sire, de vous dire que j'ay trouvé la dicte Dame fort résolue d'oprimer, aultant qu'elle pourra, l'authorité de la Royne d'Escoce et de ceulx qui tiennent son party; et croy que, si mes propos ne l'ont ung peu destournée, qu'elle a desjà faict estat d'envoyer secours à ceulx d'Esterling et mesmes de faire entrer des forces en Escoce, par prétexte que les Escouçoys de la frontière, avec quelques fuytifz de ce royaulme, sont, à ce qu'elle m'a dict, despuys quinze jours venuz courir et piller sa frontière. Sur ce, etc. Ce xe jour d'octobre 1571.
CCXIe DÉPESCHE
—du xve jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne.)
Affaires d'Écosse.—Nouvelles instances en faveur de Marie Stuart.—Déclaration de l'ambassadeur que Lislebourg est placée sous la protection du roi.—Résolution prise par Élisabeth d'envoyer un message en France.—Justification de l'ambassadeur au sujet des plaintes faites contre lui par Walsingham.—Négociation du mariage du duc d'Anjou.—Danger qu'il y aurait à faire la proposition du mariage pour le duc d'Alençon.
Au Roy.
Sire, je n'ay jamais porté moins de respect à la Royne d'Angleterre ez propos que j'ay heu à luy tenir, despuys que je suys en ceste charge, que si ce eust esté à Vostre mesmes Majesté, laquelle, après celle de Dieu, je suys tenu et la veulx honnorer et révérer plus que nulle de ce monde; et pourtant ne craignez, Sire, que la façon et les termes, dont je luy useray sur le faict de la Royne d'Escoce et des Escouçoys, la puyssent offancer, mais c'est qu'elle veult bien fort que vous ayés ceste matière, laquelle luy est infinyement à cueur, pour tousjour délayssée, et faict semblant de trouver mauvais que vous luy en faciez parler, bien que, en effect, elle et les siens m'advouhent souvant que voz instances là dessus ne sont que très raysonnables, et qu'il n'est possible d'y aller plus modestement, ny avec plus d'observance de l'amytié de la Royne d'Angleterre, que vous faictes; et est à craindre, Sire, veu l'estat où est la Royne d'Escoce et celluy de son royaulme, qu'on y souspeçonne plustost du deffault que de l'excez. Vray est que je sçay bien que ceste vostre persévérance, qu'avez monstrée par moy vers vostre alliée et vers voz alliez, faict que la Royne d'Angleterre desire plus ardentment vostre alliance, et de contracter une bonne intelligence avec Vostre Majesté. Je vous ay desjà, Sire, assés au long exprimé par mes précédantes lettres comme, sur les trois poinctz que j'ay requiz à ceulx de ce conseil, (de n'estre rien innové au trettement de la Royne d'Escoce, de me donner satisfaction des deux mil escuz, et de vouloir entendre à quelque bon expédiant pour la paciffication des Escouçoys), ilz m'avoient respondu, tout à ung mot, que, pour ceste heure, la Royne, leur Mestresse, ne vouloit entendre à rien de tout cella, et qu'elle en feroit satisfaire Vostre Majesté par son ambassadeur.
Despuys, j'ay esté adverty qu'elle a despesché en dilligence le capitaine Caje au mareschal de Barvyc pour le faire aller devers ceulx de Lillebourg, affin de les exorter à se réunyr à l'obéissance de leur jeune Roy avec ceulx d'Esterlin, ou elle leur déclairoit que, sans respect de qui que ce fût au monde, elle envoyeroit ses forces par dellà pour les y renger; et, sur ce, avoit esté desjà faict icy une création de capitaines et ung despartement de charges sur les forces de terre, et préparé vivres pour avitailler deux grandz navyres, et douze centz hommes pour trois moys par mer, et, d'abondant, qu'on faisoit préparer le chasteau de Herfort pour y remuer la Royne d'Escoce et bailler la garde d'elle à ser Raf Sadeler, qui n'est du nombre des comtes, ny des barons du royaulme, avec très grand souspeçon de mauvais trettement à la personne, et, possible, à la vie de ceste princesse. Dont j'ay estimé, Sire, qu'il convenoit à vostre réputation et au bien de vostre service que je disse aulx seigneurs de ce conseil que la bonne foy ne comportoit que la Royne, leur Mestresse, d'un costé, monstrât de desirer vostre amytié, et que, de l'aultre, elle vous fît injure, car elle sçavoit que la Royne d'Escoce estoit vostre belle sœur; et que je leur déclaroys tout ouvertement que vous aviez receu Lillebourg et ceulx qui sont dedans à vostre protection, par ainsy, je les prioys que, en l'endroict d'elle et pareillement d'eulx, il fût uzé de quelque respect pour l'amour de vous.
A quoy, pour le regard de la dicte Royne d'Escoce, ilz ne m'ont donné meilleure satisfaction que de m'alléguer plusieurs occasions d'offance que la Royne d'Angleterre prétend contre elle, et qu'on vous fera une telle déclaration de ce qu'elle avoit projetté de faire, pour se soustraire de vostre alliance, que vous n'aurez plus ocasion d'avoir soing, ny souvenance d'elle; et, au regard des Escouçoys, ilz m'ont respondu qu'ilz feront en sorte que la Royne, leur Mestresse, y procèdera, le plus qu'il sera possible, sellon vostre desir et intention; et sur le reste de la négociation que j'ay continué avec eulx, despuys ma dernière audience, ilz m'ont résoluement asseuré que la dicte Dame envoyera bientost ung principal seigneur de ce conseil devers Vostre Majesté. Et je pense avoir desjà tant faict, Sire, que ce sera milord de Burgley, mais quant j'en seray encores plus certain, et que je sçauray le temps de son partement, j'en advertiray en dilligence Vostre Majesté, ayant opinion que de son voyage et de ceste sienne commission a de résulter tout l'effect de ce que pouvez espérer de ceste princesse et de ce royaulme. Sur ce, etc.
Ce xve jour d'octobre 1571.
A la lettre, que Vostre Majesté a escripte à la Royne d'Angleterre pour le passeport de Mr de Glasco, il m'a esté respondu qu'en façon du monde elle ne veult qu'il viegne en Angleterre.
A la Royne.
Madame, j'ay fort curieusement considéré les propos qui ont esté tenuz, entre Vostre Majesté et l'ambassadeur d'Angleterre, sellon qu'ilz sont fort bien et fort dilligentement recueilliz, en la lettre qu'il vous a pleu m'escripre du xxviiie du passé. Et, pour le regard de ce qu'il a commancé de vous faire quelque pleinte de moy, je sçay, Madame, que je vous ay ordinairement randu ung si véritable et si particullier compte, de tout ce que j'ay dict et négocié par deçà, qu'il ne vous a peu dire rien de nouveau, aussi ne veulx je faillyr de remercyer très humblement Vostre Majesté pour la favorable responce que luy avez faicte de la bonne opinion, en quoy il playt au Roy et à vous me tenir, laquelle me suffit pour l'entière justiffication de mes actions, qui ne sont vouez qu'au seul service de Voz Majestez; et j'espère, Madame, que, dans peu de jours, vous l'ouyrez parler en aultre façon de moy, sellon que la Royne, sa Mestresse, et ses deux principaulx conseillers m'ont dict, touchant l'inquisition qu'ilz avoient faicte de moy à cause de ces deux mil escuz, qu'il n'a esté trouvé que j'aye jamais faict ny dict chose, en ceste charge, qui ne soit bonne et honneste. Il est vray, Madame, que j'eusse bien vollu qu'il vous fût souvenu de luy parler du dict argent en la façon que auparavant j'en avois escript, mais cella se pourra rabiller la première foys que luy donrez audience, et suys très ayse que luy ayez ainsy sagement et vertueusement respondu, comme avez faict, touchant la Royne d'Escoce, affin qu'en la manière de procéder, dont l'on use icy contre elle et contre les Escouçoys, l'on y aille plus réservé. Et quant au propos du mariage, si j'eusse heu vostre lettre avant aller à l'audience, j'eusse suyvy exactement les termes d'icelle, tant y a que je n'ay point outrepassé ceulx de la précédante dépesche du xxviie: et est à considérer, Madame, qu'en telles matières, il se trouve toutjour d'honnestes excuses et interruptions jusques à la porte de l'esglize. Je crains seulement que ceste expression: «de vouloir avoir l'exercice public et libre de la religion,» si le Sr de Valsingam en escript par deçà, ne réfroydisse ou ceste Royne d'envoyer devers Voz Majestez, ou milord de Burgley de faire le voyage; tant y a que j'en mèneray la pratique ainsy soubdain et chauldement comme je l'ay commancée. Et, au regard d'introduyre le segond propos de mariage, il semble, Madame, qu'il sera beaucoup meilleur d'atandre à le toucher sur quelque occasion des choses que milord de Burgley pourra dire ou proposer par dellà, car je voys bien qu'il n'est encores temps d'en parler icy; tant y a que, en ceste et aultres particullaritez de vostre lettre, je métray peyne d'y observer le temps et l'ocasion pour m'y conduyre tout ainsy qu'il vous playt me le commander. Sur ce, etc. Ce xve jour d'octobre 1571.
CCXIIe DÉPESCHE
—du xxe jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)
Affaires d'Écosse.—Assurance donnée par Burleigh qu'Élisabeth a renoncé à user de rigueur contre Marie Stuart, et que tout envoi de secours en Écosse est suspendu.—Procédure contre le duc de Norfolk.—Arrestation de lord Coban.—Fuite du comte Derby.
Au Roy.
Sire, d'avoir ainsy remonstré aulx seigneurs de ce conseil ce que je vous ay mandé par mes précédantes, qu'il ne pourroit convenir à la bonne foy de la Royne d'Angleterre qu'elle monstrât, d'ung costé, de chercher vostre amytié, et que, de l'aultre, elle vous fît injure à maltretter la Royne d'Escoce, qui est vostre belle seur, ou à faire quelque entreprinse contre ceulx de Lillebourg, qui sont en vostre protection, il est advenu qu'on ne parle plus de remuer la dicte Royne d'Escoce au chasteau de Herfort, en la garde de ser Raf Sadeller, ny de haster les préparatifz de guerre, bien qu'on les tient en suspendz, contre ceulx de Lillebourg; lesquelz cependant, sellon les dernières lettres de Barvyc, se meintiennent et dans leur place, et en la campaigne, assés vigoreusement contre ceulx d'Esterlin, et font courir le bruict que leurs gens de guerre sont payez pour huict moys. Et parce que Vostre Majesté est très bien informée de l'estat de leurs affaires par plusieurs de mes précédantes, et par la coppie de celles que la Royne d'Escoce, et eulx mesmes et le Sr de Vérac m'ont escriptes, je ne vous en ennuyeray icy de plus long propos; et viendray à vous dire, Sire, sur la vostre du viie du présent, que je ne puys que grandement louer la bonne résolution qu'avez prinse ez choses que Mrs de Glasco et de Flemy vous ont remonstrées, lesquelles j'ay aussi miz peyne, ces trois ans passez, lorsque je les ay veues bien prez de leur ruyne, de les tenir toutjour les plus relevées que j'ay peu, par la seule réputation de Vostre Majesté, et honneur de vostre couronne, sans permettre qu'elles vous ayent mené à la nécessité d'envoyer des forces par deçà la mer.
Et à ceste heure, Sire, il semble que, quant aulx deux milordz de Flemy et de Leviston, et George de Douglas, que Vostre Majesté fera fort bien de les renvoyer toutz trois gracieusement expédiez par dellà, et encores quelque nombre de ces Escouçoys qui sont en France avecques eulx, qui soient cogneuz affectionnez à vostre service, avec des lettres aulx aultres seigneurs escouçoys, tant de l'ung que de l'aultre party, pour les exorter à ung bon accord entre eulx, et leur prescripre quelque forme sellon vostre intention, à la conservation non seulement de eulx toutz, mais nomméement du petit Prince et du repos public, et tuition de tout le pays soubz vostre protection, avec quelques deniers cependant, et quelques armes et monitions aus dicts de Lillebourg, lesquelz font ouverte profession de suyvre vostre party; et asseurer iceulx de Flemy et Leviston que la Royne d'Angleterre n'envoyera aulcunes forces en Escoce, sellon que vous y avez desjà pourveu, et que, au cas qu'elle entrepreigne de le faire, que vous vous y opposerez, et ne leur deffauldrez de vostre opportun et suffizant secours pour bien luy résister; vous suppliant très humblement, Sire, ne leur déclairer, ny à nulz aultres, rien plus avant de vostre intention en cest endroict, affin que, ne perdans espérance, ilz ne layssent aller les choses à la dévotion des Anglois, ou n'appellent une garnyson d'Espaignolz à Lillebourg; qui tourneroit, et l'ung et l'aultre, à la diminution de vostre réputation en toute ceste isle, et, possible, à ung grand regrect, quelque matin, à Vostre Majesté, veu l'estat des choses de deçà, de n'y avoir aultrement pourveu; joinct que ceulx cy m'ont desjà donné parolle, qu'en toutz ces affaires des Escouçoys, il y sera procédé sellon vostre desir et intention.
Aulcuns estiment, Sire, que si vous faictes meintenant passer ung personnaige de qualité en vostre nom par dellà, qu'il y pourra réduyre grandement les choses à vostre dévotion, et ne voyent pas que pour cella, la Royne d'Angleterre vous doibve moins recercher d'amytié, ains possible beaucoup davantaige; et, en tout évènement, vous avez tant d'obligation et de droict d'en user ainsy qu'elle ne pourra, sinon à tort, se pleindre de vous, si vous le faictes, et luy en respondrez toutjour avec satisfaction.
Le Sr de Quillegrey est, d'heure en heure, prest à prendre la poste; et la résolution aussi d'envoyer un seigneur de ce conseil, mais non encores lequel, continue: dont le retardement des deux dépesches vient de l'ordinaire ocupation où ceulx du dict conseil sont, despuys le matin jusques au soir, à vaquer contre le duc de Norfolc et contre ceulx qu'ils prétendent avoir esté de la conjuration d'introduyre le duc d'Alve et les Espaignolz en ce royaulme; et pourrez, Sire, juger par l'escript que j'ay adjouxté icy, (lequel a esté curieusement escript et dilligentment inprimé, et non seulement exposé en vante, mais ont esté ordonnez personnaiges de qualité pour l'aller lyre et notiffier ez lieux publiques de ceste ville, et par tout le pays), en quelle perplexité est cest estat; car encores qu'il ne s'y parle que du dict duc, affin de le jetter hors de la faveur du peuple qui l'ayme et regrette infinyement, les souspeçons ne layssent pourtant d'estre fort véhémentes au cueur de ceste princesse et de ceulx de son conseil contre plusieurs aultres grandz de ce royaulme; et desjà millord Coban est miz en arrest, comme ayant esté de l'intelligence, et ayant offert, à ce qu'on dict, quelcun des cinq portz dont il est gardien, pour servyr à la descente des dicts Espaignolz; et sa femme est hors de court, et ung de ses frères miz à la Tour. L'on dict que le comte Dherby a respondu que la Royne se debvoit contanter d'avoir deux de ses filz en ses prisons, sans y vouloir encores mettre le père, vieulx et caduc, et que pourtant elle l'excuse, si, en lieu de la venir trouver, il se retire en son isle de Man. Le comte de Cherosbery, ayant senty qu'on vouloit tirer la Royne d'Escoce hors de ses meins, est en son cueur fort malcontant. Les seigneurs catholiques sont observez en leurs maysons, et est l'on après à changer les officiers et gardes des portz. L'on renforce les guetz, de jour et de nuict, par ceste ville, et par les aultres principaulx lieux du royaulme, et sur les chemins, de sorte qu'il ne se voyt que frayeur et espouvantement de toutz costez, et ceulx qui font les procédures ne monstrent avoir moins de peur que ceulx contre lesquelz on les faict.
Il y a dangier que, soubz colleur des choses d'Escoce, ceste princesse ne face dresser une armée vers le North pour mieulx contenir son pays par les forces qu'elle aura ensemble, et affin aussi de pouvoir mieulx exécuter ses dellibérations contre ces seigneurs prisonniers, car l'on dict qu'encor qu'il n'y ayt aulcune vériffication contre le dict duc, et sinon quelques chiffres qui ne font probation, et qu'on luy ayt vollu persuader de se soubmettre à la mercy de la Royne, et qu'il ayt respondu qu'hormiz de trayson et d'avoir jamais rien attempté contre sa princesse, ny contre cest estat, ny contre les loix du royaulme, ausquelz cas il ne reffuze aulcun rigoureux jugement, qu'il est, quant au reste, très contant de se soumettre vollontiers à la mercy et bonne grâce de la dicte Dame, que, néantmoins, aulcuns de ses conseillers sont si anymez contre luy qu'il est en ung très manifeste dangier de sa personne, de sa vie et de ses biens. Sur ce, etc.
Ce xxe jour d'octobre 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Tout présentement, je viens d'estre adverty qu'on a faict prisonnier et mené à la Tour le frère du comte de Rothes, lequel j'avois faict demeurer en ceste ville pour meintenir ung peu la négociation de la Royne d'Escoce; et, de tant qu'il allègue qu'il est à vostre service, gentilhomme de vostre chambre, et qu'il attandoit icy responce de Vostre Majesté touchant une sienne pention pour son entretennement, il vous playrra me commander si j'auray à faire instance pour sa liberté. Encores plus freschement, l'on me vient d'advertyr qu'on a ramené l'évesque de Roz en ceste ville pour le mettre dans la Tour, et luy a l'on desjà osté ses serviteurs.
CCXIIIe DÉPESCHE
—du xxiiiie jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)
Départ de Quillegrey pour suppléer Walsingham en France.—Objet particulier de sa mission.
Au Roy.
Sire, enfin le Sr de Quillegrey a esté dépesché ce matin pour aller résider quelque temps prez de Vostre Majesté pour les affaires de la Royne d'Angleterre, pendant que le Sr de Valsingam, son ambassadeur, se fera guéryr de son indisposition d'uryne à Paris; et parce que de la première négociation, que le dict Sr de Quillegrey fera avec Voz Majestez, a de résulter le meilleur et le principal effect des choses qu'aviez à espérer de ce costé, tant de la dépesche du seigneur de ce conseil qui le doibt bientost suyvre, et des conjectures, que estuy cy pourra prendre de voz propos, si le voyage de l'aultre sera de quelque effect, que pour descouvrir vostre intention sur les choses d'Escoce, et veoir s'il vous en pourra tant dégouster qu'il les vous face avoir pour délayssées, et aussi pour mesurer s'il y aura plus de seureté et de proffict, pour sa dicte Mestresse, de s'appuyer sur vostre amytié et intelligence que de retourner à celle d'Espaigne, ou à commancer une nouvelle ligue avec les princes protestans, j'ay estimé, Sire, estre nécessaire de vous dépescher en dilligence ung des miens affin de vous faire entendre là dessus aulcunes choses qui semblent importer beaucoup que vous les sachiez, premier que de parler au dict Sr de Quillegrey. Duquel, au reste, Sire, pour l'asseurance qu'il me donne de ses bons offices en ceste sienne commission, j'ay à vous randre ce tesmoignage de luy, lequel Mr de Foix vous confirmera, qu'il faict ouverte profession, après son naturel debvoir envers sa princesse et son pays, de n'avoir nulle plus grande affection que de unyr elle et icelluy à l'intelligence de Vostre Majesté et de vostre royaulme: qui pourtant vous supplie très humblement, Sire, de le vouloir bien recevoir. Et sur ce, etc. Ce xxive jour d'octobre 1571.
CCXIVe DÉPESCHE
—du xxvie jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Lesley.)
L'évêque de Ross mis à la Tour.—Ordre donné à tous les Écossais de quitter l'Angleterre.—Recommandation de l'ambassadeur en faveur du sieur de Lesley, écossais, qui a été mis en liberté, et retourne en France.
Au Roy.
Sire, il n'a esté trouvé cause contre le Sr de Lesley, frère du comte de Rothes, pour quoy l'on le deubt détenir en pryson, et pourtant, après l'avoir interrogé d'aulcuns faictz de la Royne, sa Mestresse, et du duc de Norfolc, il a esté miz en liberté; mais, deux jours après, Mr l'évesque de Roz a esté examiné par les seigneurs de ce conseil, qui l'ont fort pressé de confesser aulcunes choses qu'ilz luy ont asseuré avoir esté desjà advouhées par le dict duc, lesquelles il leur a fermement dényées: dont, sans avoir esgard à son privillège d'ambassadeur, ny à son saufconduict, qui sont deux immunitez qu'il leur a expressément alléguées, ilz l'ont envoyé à la Tour, avec menaces de procéder contre luy comme contre ung particullier, et d'estre miz à la torture; et que desjà la Royne, leur Mestresse, avoit faict donner satisfaction à moy, vostre ambassadeur, sur les remonstrances que je luy avois faictes pour sa liberté, et qu'elle en envoyeroit satisfaire davantaige Vostre Majesté. Puys ont faict commandement que toutz Escouçoys, sur peyne de pryson, heussent à vuyder le royaulme dans quatre foys vingt quatre heures. A cause de quoy, Sire, le dict Sr de Lesley va présentement trouver Vostre Majesté pour vous remonstrer ces extrêmes rigueurs qu'on use à sa Mestresse, à son ambassadeur et aulx Escouçoys, et en quel dangier sont les affaires de son pays. Dont, de tant qu'il a esté toutjour très loyal et fidelle subject à sa princesse, et qu'en particullier il a l'affection fort bonne et droicte à vostre service, j'ay bien vollu, Sire, par ce peu de motz très humblement le vous recommander, et vous tesmoigner qu'il a, en plusieurs sortes, miz toute la peyne qu'il a peu, tant qu'il a esté icy, de bien mériter de vostre service, et que le bien et faveur que luy ferez y seront fort dignement employez. Il vous veult supplier, Sire, que d'une pencion de douze centz lt que Vostre Majesté luy a ordonné, il vous playse, tant pour les années du passé et pour toutes celles à l'avenir, luy en faire délivrer mil escuz, et il promect d'employer encores ceulx là à vous en faire quelque notable service en son pays. Je luy ay advancé, pour le pouvoir tirer hors d'icy, cinquante cinq escuz, comme encores je n'ay peu, pour la réputation de Vostre Majesté, veoir passer aulcuns aultres serviteurs de la dicte Dame, sans leur donner quelque moyen de se conduyre. Et sur ce, etc. Ce xxviie jour d'octobre 1571.
Le dict Sr de Lesley a meintenu la négociation de la Royne d'Escoce, tant qu'il a esté par deçà, et, s'il luy estoit permiz, à ceste heure qu'il n'y a point d'aultre ambassadeur, d'y pouvoir résider, j'estime qu'il y seroit utille; et je pourroys, par son moyen, éviter la jalouzie, que la Royne d'Angleterre prend, de me veoir parler pour la dicte Dame: dont, s'il vous playt, Sire, qu'il y retourne, il l'entreprendra vollontiers soubz le commandement de Vostre Majesté.
CCXVe DÉPESCHE
—du dernier jour d'octobre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr de Lunes.)
Procédure contre le duc de Norfolk, l'évêque de Ross, et les autres seigneurs détenus.—Siège de Lislebourg entrepris par les comtes de Morton et de Mar.—Affaires d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas.—Avis donné par l'ambassadeur d'Espagne qu'Élisabeth cherche à former une ligue avec les protestans d'Allemagne et de France.
Au Roy.
Sire, despuys que le Sr de Quillegrey est party d'icy, les seigneurs de ce conseil ont esté ordinairement à vacquer, plusieurs heures, toutz les jours, à la Tour, contre le duc de Norfolc, et contre l'évesque de Roz, et contre beaucoup d'aultres de la noblesse qui y sont prisonniers, de sorte qu'ilz n'ont entendu en nul aultre négoce, toutz ces jours passez, et n'est l'ellection de celluy d'entre eulx, qui doit estre envoyé devers Vostre Majesté, encores faicte; ains semble, Sire, qu'ilz la vont prolongeant pour attandre que succèdera du siège de Lillebourg, car, si une foys l'Escoce vient à estre rangée au poinct qu'ilz desirent, ilz espèrent pouvoir beaucoup plus à leur advantaige par après négocier toutes choses avec Vostre Majesté, ou bien s'en passer du tout, et se porter lors plus froydement à recercher vostre amytié. J'avoys desjà bien senty, mais je l'ay, à ceste heure, plus clèrement descouvert, que ce a esté en grand partie par le pourchaz et instance de la Royne d'Angleterre que les comtes de Morthon et de Mar ont mené leurs forces au Petit Lith pour assiéger Lillebourg, ainsy que cet aultre escript, que je vous envoye, Sire, avec la présente vous en fera foy. Sur lequel je veux seulement dire que ne layssant la Royne d'Angleterre de faire, commant que soit, toutjours ses affaires, avec quelque apparance d'observer et respecter vostre amytié, qu'ainsy pouvez vous justement advancer les vostres, en n'offanceant point la sienne.
Ceulx qui tiennent Lillebourg assiégé sont, à ce que j'entendz, en nombre de quatre mil hommes, dont les neuf centz sont harquebouziers, et ont sept pièces d'artillerie; sçavoir: deux collouvrines, deux moyennes et deux pièces de fer de fonte, et ung faulconneau, mal pourveuz, au reste, de oustilz et de gabions pour faire aproches. Les assiégez font courir le bruict qu'ilz ont assez de vivres pour ung an pour les hommes, et encores pour six mois pour leurs chevaulx, et que leurs gens de guerre sont bien payez. Ilz ont quatre centz chevaulx, qui font assés souvant des saillies, et les deux filz du duc de Chastellerault sont en campaigne, qui assemblent gens; et le lair de Fernyrsth en lève aussi quelques ungs en la frontière pour donner le plus d'ennuy qu'ilz pourront à ceulx de dehors. Mercredy dernier, milord de Housdon a esté envoyé en dilligence à Barvyc, et publie l'on qu'il y va pour pourvoir que nul dangier n'advienne à ceste place par la querelle de ceulx de la garnyson et des habitans, qui s'est naguières suscitée entre eulx; mais, en effect, j'entendz que sa plus expresse commission est d'avoir l'œil sur le siège de Lillebourg, et de pourvoir aulx choses que les assaillantz pourront avoir faulte, et mesmes leur faire couler secrectement quelques soldatz de Barvyc, s'ilz en ont besoing. Ce que je vous suplie très humblement, Sire, vouloir bien considérer.
Il se parle en ceste court de faire une brave entreprinse pour achever l'entière conqueste d'Yrlande, et plusieurs jeunes gentilzhommes et particulliers de ce royaulme s'y aprestent, leur ayant esté promiz que ce qu'ilz subjugueront de pays sera à eulx, réservé seulement la souveraineté et ung denier pour acre de terre à la Royne, leur Mestresse; et semble que milord Sideney qui auparavant se monstroit fort dégousté de la charge d'Yrlande, soit, à ceste heure, pour ceste occasion, assés desireux d'y retourner.
Le Sr de Lumey faict toute la dilligence qu'il peult de recouvrer icy équipaige pour se mettre en mer, et inciste fort que les vaysseaulx du prince d'Orange puyssent avoir leur retrette, et recouvrer vivres, et descharger leurs prinses par deçà, et qu'il sera baillé caution d'indempnité en Allemaigne de tout le dommaige qui en pourra advenir à ce royaulme. Le Sr Thomas Fiesque s'attend, d'heure en heure, en ceste court, avec le pouvoir du duc d'Alve pour ratiffier l'accord de la restitution des merchandises, et l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, lequel m'a convyé, despuys quatre jours en çà, en son logis, m'a dict qu'il n'y restoit plus aulcune difficulté du costé du Roy, son Maistre; et m'a dict davantaige estre bien adverty que la Royne d'Angleterre persévère de vouloir conclurre sa ligue avec les princes protestantz, tant d'Allemaigne que de France, et que ceulx cy asseurent tout ouvertement que Vostre Majesté en sera bien contant. A quoy je luy ay respondu que la dicte Dame la pourra bien conclurre avec les Allemans, mais que Vostre Majesté gardera bien comme voz subjectz n'en conclurront point avec elle, ny avec nul prince estrangier, et que vous n'avez garde de laysser rien aller en cest endroict, pourveu que vous le puyssiez empescher, qui puysse estre au préjudice de la religion catholique, ny au dommaige de voz alliez et confédérez; et que seulement vous desirez de bien conserver la paix de vostre royaulme, et de soigneusement pourvoir qu'on ne la vous puysse altérer. Sur ce, etc.
Ce xxxie jour d'octobre 1571.
CCXVIe DÉPESCHE
—du ve jour de novembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
État de la négociation des Pays-Bas.—Conférence de l'ambassadeur et de Leicester.—Levée du siége de Lislebourg.—Explication que l'on doit donner en France sur l'argent destiné pour l'Écosse qui a été saisi.
Au Roy.
Sire, j'ay esté convyé, comme de coustume, le xxixe du moys passé, au festin du maire de Londres de ceste année, et l'ambassadeur d'Espaigne n'y a poinct esté, mais ouy bien le Sr de Suavenguem, depputé des Pays Bas, auquel les seigneurs de ce conseil, qui s'y sont trouvez en bon nombre, luy ont donné lieu fort honnorable devant eulx, incontinent après moy, et luy ont faict fort grande caresse. J'ay aprins, tant de luy que d'eulx, qu'ilz espèrent bientost l'entier accord de leurs différans par l'arrivée du Sr Fiesque, lequel ilz attendent, d'heure en heure, et ne sçavent que penser à quoy il tient, despuys qu'ilz ont heu adviz que le duc d'Alve luy avoit délivré la ratiffication des articles, qu'il ne soit desjà icy; et pensent quelques ungs que le retardement vient de ce que le dict duc se sent offancé de la publication des placartz, qu'on a naguières imprimez en ceste ville, qui font expresse mention qu'il a aspiré à la rébellion de ce royaulme; mais je ne pense pas que pour cella le dict accord s'interrompe.
Le comte de Lestre m'a dict, en ryant, que la Royne, sa Mestresse, délibéroit de me faire trois querelles, aussitost qu'elle me verroit: la première, sur les deux mil escuz que je redemandois comme envoyez par vostre commandement au Sr de Vérac, vostre agent en Escoce, là où Voz Majestez Très Chrestiennes avoient respondu au Sr de Valsingam qu'ilz estoient provenuz de l'arsevesque de Glasco, et ne s'adressoient nullement à vostre agent; la segonde, que j'avoys retiré le secrétaire de l'évesque de Roz en mon logis; et la troisiesme, qui seroit la plus aspre, que j'avois trop plus instantment poursuyvy les affaires de la Royne d'Escoce que je n'avois heu commandement de le faire, et avoys toutjours trop plus parlé la part d'elle, que non paz la sienne envers Voz Majestez.
A quoy j'ay respondu que la Royne, sa Mestresse, quant elle auroit bien entendu comme le tout a passé, non seulement cesseroit me quereller, mais me jugeroit avoir toutjour bien mérité de sa bonne grâce, et que Voz Majestez la pouvoient encores satisfaire de la première et de la dernière de ses dictes querelles, sachant certainement que la responce, que vous aviez faicte à son ambassadeur, ne contravenoit en rien, pour le regard de l'argent, à ce que, du commancement, je leur en avois, à la vérité, racompté, et, s'il playsoit à la dicte Dame vous en faire encores parler et faire recercher de messieurs voz secrétaires des commandemens l'ordonnance que j'en avois heue par voz précédantes dépesches, elle trouveroit n'y avoir ny plus ny moins en cella que je luy en avois desjà dict; et, quant au soing des affaires de la Royne d'Escoce, je craignois que le Sr de Valsingam eust plus cogneu de courroux, en Voz Très Chrestiennes Majestez, de ce que j'y avois esté froid et remiz, que non pour y avoir excédé voz commandemens; que j'avoys toutjour procuré à la Royne, sa Mestresse, plus qu'à nul prince, ny princesse de la terre, l'amytié et bonne intelligence de Voz Majestez; bien estoit vray que j'avois toutjours desiré que ce fût sans intéresser vostre grandeur, ny diminuer rien de vostre réputation; et que, touchant le secrétaire de Mr de Roz, que, à la vérité, il avoit esté en mon logis, comme les aultres serviteurs de la Royne d'Escoce, mais toutz s'en estoient despuys allez; et je ne sçavois, à présent, ou il estoit, dont s'ilz le m'eussent demandé, quant il estoit icy, je n'eusse failly de le leur exiber, pourveu qu'ilz m'eussent promiz de ne luy faire point de mal; que je prenoys tant de confiance ez propres déportemens, dont j'avois usé en ce royaulme, que j'oserois toute ma vie me présanter fort franchement à la Royne sa Mestresse, et espérer toutjour sa faveur et bon visaige; ce que si je ne pouvois obtenir, au moins ne laysseroys je de l'avoyr par bons offices aultant bien mérité que gentilhomme qui ayt jamais esté ambassadeur auprès d'elle.
Il m'a prié là dessus d'aller trouver la dicte Dame aussitost que j'aurois nouvelles de Vostre Majesté, et que, ce pendant, elle auroit faict l'ellection de celluy qu'elle vous veult dépescher, dont desireroit que ce peult estre luy mesmes ou milord de Burlay, mais les présens affaires de ce royaulme les empeschoient toutz deux; néantmoins que, quel que se fût, j'en serois adverty incontinent, et qu'il viendroit, puys après, et aulcuns du conseil faire ung jour de bonne chère en mon logis.
Cependant, Sire, milord de Housdon a continué son voyage à Barvyc, et j'entendz qu'il a esté mandé aulx recepveurs des quatre comtez plus prochaines du dict lieu, d'y aporter les deniers du quartier d'octobre, où nous sommes, ce qui me faict souspeçonner quelque levée de gens et quelque entreprinse contre les Escouçoys; et desjà se parle icy de l'arrivée de milord Dacres avec milord de Sethon en Escoce, ce que je n'ay encores sceu de lieu assés bon pour le vous ozer asseurer. Tant y a que, s'il est ainsy, ce sera une grande colleur aulx Anglois d'envoyer forces de dellà contre ceulx qu'ilz tiennent pour rebelles; et se parle aussi, Sire, que ceulx d'Esterlin ont levé le siège de devant Lillebourg, et qu'ilz ont retiré leur artillerie de nuict, et ont faict leur retrette au Petit Lith, non sans y estre poursuyviz jusques dans leur rempartz; ce que je mettray peyne de vériffier davantaige. Et sur ce, etc.
Ce ve jour de novembre 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Comme je fermoys la présente, m'est arrivé, d'ung costé, la dépesche de Vostre Majesté, du xxe du passé, et, de l'aultre, la confirmation du susdict dernier article, de la retrette honteuse de ceulx d'Esterlin de devant Lillebourg, sans avoir ozé donner l'assault, combien qu'il y eust bresche raysonnable; et j'ay receu l'advis que maistre Pierre Caro est desjà désigné pour aller devers Vostre Majesté, et qu'il sera faict vischamberlan et du conseil. Il est personnaige de bonne mayson, riche et bien estimé par deçà, assés bien affectionné à la France et fort intime de milord de Burgley.
A la Royne.
Madame, sellon les propos que le comte de Lestre m'a naguières tenuz, lesquelz je récite en la lettre du Roy, le Sr de Valsingam semble n'avoir bien comprins la responce que Vostre Majesté luy a faicte, touchant les deux mil escuz qui alloient en Escoce, bien qu'il l'a au moins escripte en façon que la Royne d'Angleterre ne doubte plus que je ne les aye baillez, mais dict que Vostre Majesté n'advouhe pas qu'ilz soient provenuz du Roy ny qu'ilz fussent envoyez au Sr de Vérac, son agent en Escoce. A quoy, Madame, je vous suplie très humblement que, la première foys que le dict Sr de Valsingam viendra à l'audience, il vous playse luy dire qu'après vous estre mieulx informée du faict des dicts deniers, vous avez trouvé que la moictié d'iceulx provenoit du Roy, et l'aultre moictié d'une partie que Mr de Glasco m'avoit adressée; mais que le tout estoit envoyé par vostre commandement au Sr de Vérac, et que pourtant vostre vouloir est qu'ilz soient remiz en mes mains: car, Madame, cella emporte grandement à la réputation de voz affaires, et au bien de vostre service par deçà. Et encores semble que le dict Sr de Valsingam n'ayt bien remonstré à la Royne, sa Mestresse, que Voz Majestez ayent à cueur le faict de la Royne d'Escoce et de son royaulme. Néantmoins j'espère aller trouver bientost la dicte Royne, sa Mestresse, pour continuer toutjours la gracieuse négociation d'amytié et de bonne intelligence, qui est commancée entre Voz Majestez et elle, et réduyre le tout aulx meilleurs termes qu'il me sera possible. Et sur ce, etc.
Ce ve jour de novembre 1571.
CCXVIIe DÉPESCHE
—du xe jour de novembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)
Affaires d'Écosse.—Audience.—Assurances réciproques d'amitié.—Mise en jugement des seigneurs qui sont détenus à la Tour.—Déclaration de l'ambassadeur que le roi est sommé de secourir les Écossais.—Réponse d'Élisabeth qu'elle consent à charger le nouvel ambassadeur envoyé en France d'entrer en négociation à ce sujet.—Victoire de Lépante.—Inquiétude que cette nouvelle cause en Angleterre.
Au Roy.
Sire, le segond jour que Lillebourg a esté assiégé, ceulx de la ville ont miz ung soldat, serviteur de la Royne d'Escoce, dehors, qui a prins le hasard de me venir trouver, lequel m'a apporté, en douze petites pièces de papier, cachées sur luy, douze petitz chiffres du Sr de Vérac, desquelz je vous envoye l'extrêt: par où vous verrez, Sire, en premier lieu, la nécessité de ceulx qui suyvent le party de Vostre Majesté par dellà; secondement, ce que le Sr de Vérac juge estre besoing de faire, non seulement pour les fortiffier, mais pour les emparer de vostre protection par lettres expresses de Vostre Majesté; et tiercement, les dilligences que la Royne d'Angleterre faict pour supprimer du tout l'authorité de la Royne d'Escoce et relever celle du petit Prince son filz, espérant que, par la protection qu'elle se veult attribuer du dict Prince, et de l'establissement qu'elle veult donner à ceux qui deppendent d'elle, par dessus ceulx qui dépendent de Vostre Majesté, de tirer enfin toute l'Escoce à sa dévotion. Sur quoy, Sire, j'ay renvoyé en dilligence le mesmes soldat avec pareil nombre de petitz chiffres, au dict Sr de Vérac, affin de confirmer et conforter les seigneurs du bon party.
Et incontinent après, je suys allé trouver la Royne d'Angleterre pour continuer la gracieuse négociation d'amytié, qui est commancée entre Voz Majestez, et l'ay asseurée fermement de vostre bonne et droicte intention vers elle, et qu'elle ne doibt faire aulcun doubte que celluy des seigneurs de son conseil, qu'elle vous envoyera, ne luy raporte tout ce qu'elle vouldra honnorablement desirer de vostre amytié, et que tant plus vous entendrez qu'il sera inthime et confident d'elle, plus Voz Majestez Très Chrestiennes s'eslargiront à parler ouvertement et franchement avecques luy; que vous estes bien marry de l'ennuy et fâcherie qu'elle a de ces entreprinses, qu'elle a descouvert qu'on vouloit faire contre elle et contre son estat; et qu'il n'est rien en quoy elle vous veuille employer, pour les remédier et pour meintenir sa grandeur et le repoz de ses subjectz, que vous n'y soyez aussi disposé comme pour vostre propre bien; que Monseigneur vostre frère s'y offre, avec tout le moyen qu'il a, et d'y employer aultant vollontiers sa propre personne, qu'en entreprinse où Dieu l'ayt jamais conduict; que tout ainsy que vous desirez la prospérité de ses affaires, ainsy luy voulez vous faire part du bon progrez des vostres; et comme, par une conférance des seigneurs de vostre conseil avec monsieur l'Admyral et ceulx de la nouvelle religion, vous avez miz une résolution à toutes les difficultez qui pourroient survenir sur l'entretennement de vostre éedict de pacciffication, de sorte qu'il ne reste rien qui puysse jamais plus ralumer le feu en vostre royaulme; de quoy vous avez bien vollu vous conjouyr avec elle comme très asseuré qu'elle en est véritablement bien ayse.
Lesquelz propoz, Sire, je vous puys asseurer qu'elle a monstré de les recevoir toutz à ung très singulier playsir, et, après avoir usé de plusieurs sortes de très honnestes mercyemens, sur la continuation de la bonne vollonté et bienveuillance, dont Voz Majestez et Monseigneur voulez persévérer vers elle, et de voz honnorables offres au meintien de son estat, qui est chose qu'elle met en très grand compte, et ayant commémoré plusieurs choses à vostre grande louange, et de la Royne vostre mère, et de Monseigneur, et nomméement de l'intégrité, droicture, vérité et plusieurs sortes de grande valleur qu'elle sçayt qui resplendissent en Vostre Majesté, elle m'a dict qu'elle se veult perfectement confirmer en vostre amytié et bonne intelligence; et qu'à cest effect elle vous dépeschera sans doubte ung personnaige d'honneur, aussitost que ces affaires criminelz, qui tant la tourmentent, luy en auront layssé prendre le loysir, et que cependant elle vous fera par son ambassadeur entendre la juste occasion du retardement. Puys, en lieu de la querelle, que le comte de Lestre m'avoit adverty qu'elle me feroit, qui n'a esté que du secrétaire de Mr de Roz, lequel elle m'a dict que j'avois retiré en mon logis, à quoy je luy ay fort bien satisfaict, elle m'a remercyé au reste des bons déportemens qu'elle s'aperçoyt et descouvre, de jour en jour, que je use et que j'ay toutjour usé en ceste mienne charge par deçà; ce qui luy faict prendre plus grande confiance de Vostre Majesté, qui estes mon Mestre; et s'est prinse là dessus à me compter fort privéement d'aulcuns poinctz, qu'elle dict qui se vériffient contre ceulx qui sont dans la Tour, et que leur cause s'en va desjà toute instruicte pour la mettre du premier jour en jugement; et a faict son discours là dessus assés long.
Puys, j'ay reprins le propos pour luy dire qu'en la dernière partie de la lettre, que j'avois receue de Vostre Majesté, du xxe du passé, estoit contenu que Mr de Glasco, milord de Flemy et milord de Levinston vous estoient venuz remonstrer le misérable estat de la Royne, leur Mestresse, jusques à vous parler du dangier qu'ilz craignoient de sa vie, et qu'elle n'estoit plus tenue comme libre, ny comme princesse souveraine, et qu'on n'avoit esgard à sa qualité royalle, ny à celle de son ambassadeur, non plus qu'à personnes privées; et davantaige vous avoient remonstré la désolation de leur pays, dont vous avoient instantment requiz de leur déclairer trois choses: la première, si, après avoir longuement espéré en Vostre Majesté et avoir attandu, avec grand pacience et avec la grand ruyne de leur estat, que vous eussiez miz fin aulx guerres et troubles du vostre, vous vouliez poinct, à ceste heure, faire une ouverte démonstration, pleyne d'effect, d'entretenir l'alliance qu'ilz ont de tout temps avec vostre couronne, sellon que les trettez vous y obligeoient, et mettre quelque prompt remède en leurs affaires; la segonde, si vous vouliez pas meintenir en vostre protection la Royne d'Escoce et le Prince son filz, et son royaulme, et les bons subjectz du pays, ainsy que vos prédécesseurs l'avoient toutjours faict, ou s'il leur conviendroit d'avoir meintenant leurs recours ailleurs; et la tierce, si vous vouliez pas incister aulx promesses que la dicte Royne d'Angleterre vous avoit faictes pour le bon trettement, et la liberté, et restitution de la Royne d'Escoce. A quoy Vostre Majesté, meu d'une magnanimité et générosité naturelle de ne vouloir deffaillir à voz amys et alliez, leur aviez respondu qu'ilz eussent à bien espérer de vous en tout ce que les trettez de l'alliance vous pouvoient obliger vers eulx, et que vous vouliez prendre temps d'en dellibérer avec vostre conseil pour mieulx leur satisfaire, qui estoit ung dilay que vous aviez prins pour en conférer avec le Sr de Valsingam, lequel vous aviez prié de remonstrer à la dicte Dame qu'encor qu'à vous eust touché, plus qu'à nul prince du monde, de vous entremettre des affaires de la Royne d'Escoce et des Escouçoys, néantmoins, pour le respect que vous aviez heu à son amytié, vous n'y aviez, ces quatre ans passez, vollu faire aulcune démonstration qui excédât la forme d'une bien honneste prière, que vous luy aviez toutjour continuée, d'y vouloir procéder par voye de tretté et de quelque bon accord, non tant à condicions égalles que advantaigeuses pour elle, et que vous vous y estiez plus porté en amy commun, et encores partial pour la dicte Royne d'Angleterre, que non comme allié et confédéré des Escouçoys; et que meintenant, que vous estiez contrainct ou de faire une ouverte démonstration en leur secours, ou une honteuse déclaration de les habandonner, au perpétuel préjudice de vostre réputation, et intérestz de vostre grandeur, que vous desirez infinyement vous esclarcyr avec elle comme vous pourriez, tout ensemble, satisfaire à vostre debvoir vers eulx, et à l'amytié que vous voulez conserver inviolable avec elle.
Sur quoy elle m'a paysiblement respondu, qu'elle n'avoit garde de cercher condicions, en l'amytié qu'elle vouloit faire avec Vostre Majesté, qui peussent rien diminuer de vostre honneur ny de vostre grandeur, car elle l'estimeroit de nulle durée; tant y a que c'estoit sellon son droict qu'elle se mesloit des choses d'Escoce, car, oultre les occasions qu'elle en avoit de présent, qui estoient notoires, toutes les foys que, par le passé, estoit survenu différand de l'estat entre les Escouçoys, les Roys d'Angleterre en avoient décidé et en avoient esté les arbitres, et qu'à ceste heure il ne restoit plus que le duc de Chastellerault et le comte d'Honteley, et les Srs de Granges et de Ledinthon, que toutz ne fussent rengez à l'obéyssance du jeune Prince; et que ceulx là mesmes, pourveu qu'ilz peussent capituler de leurs biens et de la seurté de leurs personnes, estoient prestz de s'y soubzmettre, ainsy qu'ilz le luy avoient desjà escript, et mandé qu'à cest effect ilz envoyeroient Robert Melvyn devers elle; duquel, et de ce que milord de Housdon pourroit avoir commancé de négocier par dellà, elle en attandoit, d'heure en heure, des nouvelles, et croyoit que vous trouveriez ses déportemens en cella justes et raysonnables; mesmement qu'elle ne cerchoit de se faire plus grande du costé d'Escoce, ny empescher que les Escouçoys ne pussent suyvre leurs anciennes confédérations et alliances avec Vostre Majesté, et qu'ainsy le pourtoit l'instruction qu'elle en avoit envoyé par dellà.
Sur quoy, Sire, luy ayant seulement répliqué qu'il failloit que vous demeurissiez arbitre de ce qui pourroit toucher à vostre honneur et à vostre intérest en cella, elle m'a dict qu'elle estoit très contante de s'en esclarcyr avecques vous, et que celluy qu'elle vous envoyeroit en auroit bien ample commission. Puys sommes passez à parler de ceste tant grande victoire[16] que l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a publiée de l'armée de mer du Roy, son Maistre, sur celle du Turcq, de quoy la dicte Dame a mandé en ceste ville d'en rendre grâces à Dieu; auquel je prie, etc.
Ce xe jour de novembre 1571.
A la Royne.
Madame, j'escriptz en la lettre du Roy ung peu au long ce que les seigneurs d'Escoce, qui suyvent vostre party, m'ont mandé et ce que je leur ay respondu, affin que Voz Majestez puyssent plus clairement juger des choses de dellà, et me commander comme j'auray à me conduyre icy sur icelles. Je mande aussi ce qui s'est passé en ceste dernière audience avec la Royne d'Angleterre, et comme elle persévère de desirer l'amytié et bonne intelligence de Voz Majestez Très Chrestiennes, et néantmoins ne laysse de persévérer toutjours en ses dellibérations sur l'Escoce. Or ay je cogneu, Madame, qu'elle s'est donnée quelque souspeçon de ceste tant absolue victoire, que l'ambassadeur d'Espaigne luy a mandée par escript que le Roy, son Maistre, avoit gaignée sur le Turc, comme s'il heust desjà tant achevée ceste guerre, qu'il ne restât plus aulcun vaysseau au Turc pour s'oser plus monstrer en mer; et que le dict Roy Catholique fût pour torner, à ceste heure, ses entreprinses de mer, du costé de deçà, sur l'Yrlande, ou à venger ces injures des prinses. Et luy en est creu le doubte, parce que le Sr Thomas Fiesque met beaulcoup à apporter la conclusion de l'accord des dictes prinses; néantmoins il a escript qu'il espère partir dedans huict jours, et que le retardement n'est que la difficulté qu'aulcuns merchans ont faicte de soubsigner les articles, lesquelz ilz estiment estre trop à leur perte, néantmoins qu'il les a enfin persuadez de s'en contanter, et les leur a faict signer; mais la goutte cependant a prins si fort à la main du duc d'Alve, qu'il n'a peu ny signer iceulx articles, ny la dépesche du dict Fiesque; qui pourtant est encores arresté pour bien peu de jours, mais que le tout estoit en fort bons termes, et qu'il partyroit sans doubte aussitost que le dict duc se trouveroit ung peu mieulx. Et sur ce, etc.
Ce xe jour de novembre 1571.
Ceste nuict passée, par commandement de la Royne d'Angleterre, a esté faict ung grand nombre de feux par les rues, et sonné les clocles, et est l'on allé aux esglizes rendre grâces à Dieu, et se resjouyr par toute la ville de la victoire contre le Turcq. L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, en a faict les feux et festins de joye, où j'ay esté des premiers convyé.
CCXVIIIe DÉPESCHE
—du xve jour de novembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh.—Déclaration faite par Leicester qu'Élisabeth a pris la résolution de ne jamais rendre la liberté à Marie Stuart.—Lord Buchard désigné pour passer en France.—Affaires d'Écosse.—Confirmation de la victoire de Lépante.—Négociation touchant l'alliance de la France et de l'Angleterre.—Espoir qu'Élisabeth ne persistera pas dans sa résolution à l'égard de Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, le unziesme de ce moys, feste de St Matin, le comte de Lestre, et l'admyral d'Angleterre, et milord de Burgley, maistre Smith, milord de Boucaust, et aulcuns aultres seigneurs de ce conseil et de ceste court, ont vollu venir prendre leur diner en mon logis, lesquelz, pour l'heure, se sont monstrez bien disposez vers la France, et avoir toutz une bonne affection à la grandeur et prospérité de Vostre Majesté.
Et le comte, à part, m'a dict qu'il voyoit la Royne, sa Mestresse, si fermement résolue de persévérer en vostre amytié qu'elle estoit pour ne s'en despartyr de toute sa vie, si le deffault ne venoit de vostre costé; à quoy il la vouloit confirmer davantaige par toutz les moyens et plus instantes persuasions qu'il luy seroit possible, comme à chose où sa vie et son honneur estoient conjoinctz, et que je ne fisse aulcun doubte qu'elle ne passât oultre à contracter ou l'alliance encommancée, ou bien une fort estroicte confédération avec Vostre Majesté, et qu'elle n'accommodât, pour vostre respect, les choses d'Escoce, pourveu que ne la fissiez presser de se despartyr de la déterminée résolution, et nullement muable, qu'elle avoit naguières faicte, de ne se désemparer jamais de la personne de la Royne d'Escoce.—«Car avoit opinion, dict il, que, à cause des pratiques que la dicte Royne d'Escoce continueroit avec le Pape, ou avec le Roy d'Espaigne, et avec ses parantz et aultres estrangiers, ou bien avec les propres subjectz de ce royaulme, la dicte Royne, sa Mestresse, ne sçauroit vivre, une seule heure, bien asseurée en son estat, aussitost que celle d'Escoce seroit remise au sien.» Et pourtant me prioyt que dorsenavant je vollusse dresser les affaires, dont j'avois à tretter de cecy avec Vostre Majesté, et pareillement avec la dicte Dame, à ung tel cours qu'ilz peussent prendre le chemyn qu'il me disoit; et qu'il me vouloit asseurer que ceulx d'Esterling n'avoient entreprins d'assiéger Lillebourg que par l'espérance d'avoir secours de la Royne, sa Mestresse, mais qu'elle s'estoit excusée de le leur bailler pour n'offancer Vostre Majesté, dont ilz s'estoient incontinent levez; par ainsy, qu'il failloit que Vostre Majesté, et elle conjoinctement, missiez ce pays là en quelque meilleur ordre qu'il n'est, et establissiez une bonne unyon entre les trois royaulmes, et qu'il ne fût pour un temps parlé en nulle façon de la personne de la Royne d'Escoce.
Je luy ay infinyement gratiffié ces premiers bons propos d'amytié, et n'ay rien obmis de ce qui luy pouvoit confirmer et luy accroistre l'occasion de confirmer la Royne sa Mestresse; et quant à ceulx cy de la Royne d'Escosse, que je suplioys la Royne, sa Mestresse, de se laysser persuader qu'il estoit très nécessaire que Vous, Sire, demeurissiez vostre propre arbitre de ce qui pouvoit concerner vostre honneur et vostre intérest en cest endroict; mais qu'elle creust fermement que vous observeriez toutes les considérations et respectz, deubz à l'honneur, et à la seurté, et aulx advantaiges de la dicte Dame, pour les luy randre bien entiers, tout ainsy comme si c'estoit pour vostre propre grandeur.
Milord de Burgley, de soy mesmes, est retourné aulx premiers propos de l'alliance, et qu'il estoit besoing de la parachever ou bien de faire une si estroicte confédération qu'on ne l'estimât moings que ung mariage, et a monstré que la Royne, sa Mestresse, y estoit bien disposée et luy très affectionné, et qu'en jour de sa vie il n'avoit heu nul plus grand regrect que de ne pouvoir meintenant accomplyr ce voyage devers Vostre Majesté; néantmoins qu'aussitost que l'examen de l'évesque de Roz seroit paraschevé, la dicte Dame vous dépescheroit sans doubte ung personnaige d'honneur, et il pensoit que ce seroit milord de Boucaust.
Despuys, icelluy de Boucaust m'en est venu parler en une façon si bonne et si pleyne d'honneste desir, que je ne m'en puys que infinyement bien louer, et m'a dict que la Royne, sa Mestresse, luy en avoit fort privéement tenu propos; mais qu'il luy avoit respondu que, de tant qu'il avoit une foys engaigé son honneur, et encores plus expéciallement l'honneur de la parolle d'elle, à Voz Majestez, qu'il aymoit mieulx qu'elle le fist, à ceste heure, mettre dans la Tour que de le renvoyer en vostre présence, sans vous aporter l'expresse et bien asseurée conclusion des choses qui s'attendoient entre vous. Sur quoy elle luy avoit asseuré qu'il emporteroit un bien ample pouvoir avec luy, qui seroit expédié soubz son grand sceau, et encores plus expressément scellé du desir de son affection.
Je continueray, Sire, de réduyre ces propos, le plus qu'il me sera possible, au poinct que m'avez faict comprendre de vostre intention, et descouvriray cependant ce que je pourray de la leur; qui supplie Vostre Majesté de considérer combien ceste résolution qu'ilz ont faicte, de vouloir détenir toutjours la Royne d'Escoce en leurs mains, et oprimer son authorité, les fera précipiter d'envoyer vollontiers leur secours contre ceulx qui sont pour elle en Escoce, et cella me mect en peyne que j'ay desjà adviz, mais non encores assés certain, que la commission est expédiée à Milord de Housdon de capituler avec ceulx d'Esterlin, et de leur accorder jusques à quatre mil hommes, s'ilz les demandent, et aultant qu'il leur sera besoing d'artillerye, de munitions, d'armes et d'argent, pour parachever l'entreprinse de Lillebourg. Néantmoins, Sire, je me conduyray toutjours, entre ces deux divers propos d'amytié et de querelle, sellon l'instruction de voz précédantes dépesches, et sellon celles que je recepvray, d'heure à aultre, de Vostre Majesté.
L'ambassadeur d'Espaigne et le bailly de Flandres, qui sont icy, sont venuz, despuys deux jours, continuer la conjoyssance de la victoyre contre le Turcq, à disner en mon logis, lesquelz m'ont asseuré de la confirmation d'icelle, bien qu'en ceste court l'on feist grande difficulté de la croyre, au moins de la croyre si grande; et puis m'ont dict qu'ils estoient bien marrys du retardement du Sr Fiesque, parce que les Anglois pressoient de faire la vante des merchandises, et ne vouloient croyre que icelluy Fiesque demeurast à cause que le duc d'Alve ne peult signer sa dépesche, ny sa commission et articles; néantmoins qu'il estoit vray qu'il n'y avoit nul aultre empeschement que celluy là, et qu'il ne pouvoit guières plus tarder. Et le dict sieur ambassadeur a monstré d'estre en quelque espérance qu'après la conclusion de cest affaire, le Roy, son Maistre, l'envoyera résider prez de Vostre Majesté, ce qu'il desire grandement; et j'ay si bonne opinion de sa vertu et modération, et de sa bonne conscience, qu'il ne fera sinon bons offices de paix et d'entretennement d'amytié, si ceste légation luy est commise. Et sur ce, etc. Ce xve jour de novembre 1571.
A la Royne.
Madame, en ces propoz que les seigneurs de ce conseil m'ont tenuz, desquelz je fais mencion en la lettre du Roy, je considère que, comme ilz n'ont esté vuydes d'affection, aussi ne me semble il qu'ilz les ayent dictz sans quelque artiffice, pour les accommoder au temps et au besoing de leurs affaires: j'estime, Madame, qu'il sera bon que Voz Majestez se servent aussi et du temps, et des accidantz qui les pressent, pour les aproprier à l'utillité des vostres. Je n'ay rien changé, quant au propos de l'alliance, de ma première responce: c'est que Voz Majestez n'avoient vollu assoir nul certain jugement sur les articles que Mr de Foix vous avoit apportez; ains aviez réservé cella à la venue de celluy d'entre eulx que la Royne, leur Mestresse, vous dépescheroit: et, quant à faire une bien estroicte alliance avec elle, je leur ay bien donné non seulement espérance mais asseurance qu'ilz l'obtiendroient; et, quant aulx affaires d'Escoce, qui sont ceulx dont ilz débattent le plus, que indubitablement ilz les accommoderoient à leur advantaige avecques Voz Majestez, pourveu qu'ilz y gardassent le respect de vostre réputation et de l'honneur de vostre couronne.
Or, ay je, Madame, procuré l'ellection du milord de Boucaust comme le plus à propos, à deffault du comte de Lestre et de milord de Burgley, que de nul aultre seigneur de ceste court; mais je crois bien, qu'avant qu'il parte d'icy, qu'on vouldra sonder s'il pourra raporter nulz bons effectz de son voyage; dont ne fays doubte que par le Sr de Valsingam, ou par le Sr de Quillegrey à son arrivée, il n'en soit touché quelque mot à Voz Majestez, et encores à moy, icy. Dont vous suplie très humblement, Madame, me prescripre, par voz premières, si j'auray à continuer en cella le mesmes langaige que j'ay tenu jusques icy, ou bien y changer quelque chose; affin que je ne négocie rien qui soit pour aparoyr, peu ny prou, dissemblable, non d'une parolle seulement, de voz responces et moins d'une seule minute de voz intentions.
Je ne sçay si ceste princesse et son conseil se vouldront opiniastrer en la dure résolution, qu'ilz ont faicte, de la détention de la Royne d'Escoce, car ce seroit quasi vous couper broche, par ce préjudice, de ne tretter rien plus avecques eulx de tout le faict des Escouçoys, mais ilz muent si souvant d'adviz qu'il ne fault moins espérer de leur changement que de leur résolution; et je croy qu'il sera bon, Madame, que ceste icy soit seulement cogneue de Voz Majestez et de Monseigneur, sans encores monstrer que vous la sachiez, affin qu'on ne trouve estrange que vous veuillez, nonobstant icelle, entrer en intelligence et confédération avec la Royne d'Angleterre; et j'espère qu'il s'y trouvera des moyens honnorables et non trop mal aysez pour toutes Voz Majestez et pour le repos des trois royaulmes. Et sur ce, etc.
Ce xve jour de novembre 1571.
CCXIXe DÉPESCHE
—du xxe jour de novembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Laurent de Mar.)
Procédure contre les seigneurs détenus à la Tour.—Nouvelles d'Écosse et d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas.—Plaintes des Anglais contre les mesures prises à leur égard à Rouen.
Au Roy.
Sire, je vous ay escript, le xe de ce moys, les propos que, deux jours auparavant, la Royne d'Angleterre et moy avons heu ensemble, et, le xve, je vous ay mandé ce que, sur iceulx, les seigneurs de ce conseil ont heu despuys à me remonstrer, avec quelques aultres particullaritez de ceste court; et meintenant, Sire, j'ay à dire à Vostre Majesté que la dellibération de vous envoyer un seigneur de ceste court continue toutjour, ayant seulement esté changée de milord de Boucaust à maistre Smith et au docteur Vuilson; et que néantmoins ceste dernière dellibération se prolonge encores jusques après avoir sceu quel jugement pourra réuscyr contre ceulx qui sont dans la Tour; ce qui est aussi ung peu retardé par la malladie de milord de Burgley, lequel, à cause de la goutte, n'a peu, il y a plus de huict jours, bouger en façon du monde de son lict. Et cependant les amys de ces seigneurs détenus ne s'endorment sur les moyens de les justiffier, et de renverser, s'ilz peuvent, les conseilz de ceulx qui les veulent oprimer; en quoy se voyent beaucoup de simultez en ceste court, lesquelles ne sont du tout incogneues à ceste princesse, qui pourtant s'en donne beaucoup de peyne, et souvant en entre en grand collère, avec grosses parolles, contre ceulx d'auprès d'elle qui sont souspeçonnez de les favoriser ou de leur donner des adviz. L'on dict qu'après demain, au plus tard, leur cause sera mise devant les juges, dont se saura, incontinent après, ce qui en debvra résulter.
L'évesque de Roz est toujours renfermé avec eulx, et m'a la dicte Dame reffuzé que je puysse envoyer sçavoir comme il se porte au capitaine de la Tour, ny luy faire demander s'il a besoing de quelque chose de moy, m'ayant prié de vouloir surçoyer cest office, encores pour quelques jours, et que cependant rien ne luy manquera. Et m'a la dicte Dame mandé que la Royne d'Escoce se porte fort bien de sa santé.
Au surplus, Sire, millord de Housdon a escript à Barvyc qu'il a heu adviz comme ung vaysseau de Flandres est arrivé en Argil, en Escoce, au commancement de ce moys, avec des munitions et de l'argent pour ceulx de Lillebourg, mais qu'il ne peult encores bien mander toutes les aultres particullaritez; possible, Sire, que ce sera milord de Flemy qui sera arrivé par dellà. Il mande aussi que, le quinziesme du présent, il seroit prest avec le mareschal Drury et le capitaine Caje et le capitaine Bricquonel, et aulcuns aultres, pour aller accomplyr la commission que la Royne, sa Mestresse, luy avoit commandée en Escoce, qui est, Sire, comme j'entendz, pour presser infinyement ceulx de Lillebourg de délaysser le party de leur Royne; et, s'ilz y font reffuz, qu'il leur face de rigoureuses menasses et beaucoup d'offres aulx aultres tant de forces que d'aultres grandz moyens pour les y contraindre. Dont je vouldrois, de bon cueur, que Mr Du Croc fût desjà porté sur le lieu pour les confirmer, et pour faire incliner une partie des affaires à vostre dévotion; et me semble, Sire, que l'ellection, qu'avez faicte de luy, est fort bonne, car il a l'intelligence du pays, et croy qu'il sera esgallement accepté et aura authorité envers les deux partys.
Les choses d'Yrlande semblent donner encores ung peu de travailh en ceste court; car, oultre que Fitz Maurice poursuyt toutjour son entreprinse, et qu'il ne reffuze plus de venir aulx mains avec ceulx de la garnyson de la Royne, les ayant desjà battuz par deux foys en la campaigne, là où auparavant il ne les y osoit aulcunement attandre, l'on a, d'abondant, prins quelque deffiance du comte d'Ormont, parce que ses frères demeurent toujour de l'aultre costé, et que luy s'est de nouveau réconsilié avec le comte de Quilhdar, qui alloient eulx deux contre-poysant le crédit l'ung de l'aultre dans le pays, de quoy les Angloys se servoient, là où, à présent, leur amytié leur vient estre fort suspecte. Néantmoins icelluy d'Ormont monstre de vouloir venir icy remonstrer à la dicte Dame le dangier du pays, affin qu'elle advise d'y pourvoir.
Et, quant aulx différans des Pays Bas, il semble, Sire, que la victoyre contre le Turcq soit cause que ceulx cy attendent avec plus de pacience les longueurs du duc d'Alve; car, sans cella, il est sans doubte qu'ilz eussent desjà vandu les merchandises qui sont icy en arrest, mais ilz temporiseront encores jusques à lundy prochain, sur l'asseurance que les depputez de Flandres leur donnent que, le trésiesme de ce moys, le Sr Fiesque a esté dépesché pour apporter la ratiffication des articles.
Les merchantz de Londres se pleignent infinyement d'aulcunes visites, impositions, coustumes et contrainctes, qu'on a de nouveau exigées sur eulx à Roan, et de ce qu'on va icelles exécutant, à ce qu'ilz disent, avec grand rigueur, et avec beaucoup d'arrogance et de viollance, contre leurs facteurs et contre leurs merchandises; de quoy tout ce royaulme commance fort à se dégouster du traffic de la France, et avoir ung fort grand regrect à celluy d'Envers; et la pluspart des merchans, ayans délayssé la dicte ville de Roan, essayent pour ung temps de s'accommoder à Dieppe, et y envoyent descharger leurs navyres, attandant que l'accord des Pays Bas se puysse conclurre, qui sera de tant plus vollontiers accepté. Ceulx de Roan aussi se pleignent bien fort des gravesses qu'on leur faict par deçà, dont, s'il vous playsoit, Sire, qu'il y eust quelque modération entre les deux villes, je procureroys que ceste icy ordonnast des depputez pour en convenir avec ceulx que la ville de Roan y vouldroit ordonner. Qui est tout ce que, pour ceste heure, j'ay à adjouster à la présente, laquelle encores, s'il vous playt, Sire, servyra de responce à celle qu'il vous a pleu m'escripre du iie du présent. Et sur ce, etc.
Ce xxe jour de novembre 1571.
CCXXe DÉPESCHE
—du xxvie jour de novembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par le maréchal de Vitré.)
Procédure contre le duc de Norfolk.—Gravité que prend l'accusation.—Lettre écrite par le duc à Élisabeth pour accuser Leicester.—Irritation de Leicester.—Plaintes de la reine d'Écosse.
Au Roy.
Sire, sellon que la Royne d'Angleterre a desiré d'estre advertye de l'estat des choses d'Escoce et du faict des Pays Bas, premier que de résouldre le partement de celluy qu'elle dellibère d'envoyer devers Vostre Majesté, il est advenu que, d'un costé, milord de Housdon luy a escript que les seigneurs escouçoys des deux partys sont en très bons termes de s'accorder ensemble, et qu'il ne reste guières à présent chose entre eulx qui ne se puysse facillement accommoder, mais ne mande les particullaritez; et, de l'aultre costé, elle a sceu que le Sr Fiesque est desjà deçà la mer avec tout pouvoir et ample ratiffication des articles. Je ne sçay si, sur le poinct que la restitution se debvra faire, il aparoistra encore quelque chose de nouveau.
Le faict seulement de ceulx qui sont dans la Tour retient ung peu les choses en suspens, néantmoins il se poursuyt avec grand dilligence, despuys que milord de Burgley est relevé de sa goutte; et dict on que, de la confession de eulx, et mesmement de celle de l'évesque de Roz, résulte desjà assés qui suffit pour faire voir à Vostre Majesté, et à toute la Chrestienté, que ceste princesse a heu grande occasion de procéder ainsy rigoureusement qu'elle a faict contre eulx; dont je m'en raporte bien à ce qui en est. J'espère que, dans bien peu de jours, le voyage de mestre Smith se résouldra, et que je sçauray le jour que luy, ou bien quelque aultre, si, d'avanture, l'on change encores une foys d'ambassadeur, debvra partyr.
J'entendz que le duc de Norfolc a escript une lettre de son faict à la Royne d'Angleterre, en laquelle il allègue le comte de Lestre, qui en reste si offancé que, là où auparavant il monstroit de luy estre amy, il semble, à ceste heure, qu'il luy veuille estre bien fort adversayre; ce qui luy pourra beaucoup nuire.
La Royne d'Escoce m'a faict, à grand difficulté, entendre de ses nouvelles, et me mande qu'elle a beaucoup à faire à se meintenir en santé, pour les grandz ennuys qu'elle sent, et par faulte d'exercice, et aussi qu'on ne cesse, toutz les jours, d'excogiter nouvelles rudesses contre elle; ce qui lui faict, après Dieu, invoquer à toute heure la faveur et protection de Vostre Majesté, et vous adresser toutes ses larmes comme à son seul reffuge, affin qu'il vous playse avoir compassion de ses misères et de celles de ses bons subjectz; et qu'au reste elle trouvera moyen de m'escripre encores plus amplement par aultre voye. J'entendz qu'elle a envoyé une lettre à ceste Royne, et qu'on a dépesché, sur l'audition de l'évesque de Roz, un secrétaire devers elle, pour avoir la vériffication de quelque faict.
L'on dict que le comte de Montgomery est arrivé à Plemue, ou qu'il y doibt bientost descendre, et qu'on l'attand en la mayson de sir Arthus Chambernant, visadmyral du Ouest, de quoy se fait divers discours en ceste court; tant y a que j'entendz que c'est pour faire quelque mutuel parantaige entre ses enfans et ceulx du dict Chambernant. Sur ce, etc. Ce xxvie jour de novembre 1571.
CCXXIe DÉPESCHE
—du dernier jour de novembre 1571.—
(Envoyée jusques à Calais par Richard Jary de Beaumont.)
Déclaration qu'il y a lieu de poursuivre le duc de Norfolk comme criminel de lèze-majesté.—Appareil dressé pour son exécution, avant même qu'il ait pu être jugé.—Crainte que l'évêque de Ross ne coure également péril de la vie.—Nouvelles d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.—Arrivée à Londres du comte de Montgommery.—Nécessité de faire quelque démonstration en faveur de Marie Stuart et du duc de Norfolk.
Au Roy.
Sire, voyant que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil estoient merveilleusement occupez à faire parachever, sur la fin de ce terme, le procès contre les seigneurs qui sont dans la Tour, je me suys, pour sept ou huict jours, fort vollontiers déporté d'aller rien négocier avec elle ny avec eulx, mesmes que je n'ay heu guières grand argument pour le faire, et qu'il m'a semblé qu'ilz vouloient voyr le fondz de ce faict, premier que d'en entamer ung nouveau; et aussi que j'ay bien vollu, Sire, vous réserver l'advantaige de ne les aller requérir de ce dont j'estime qu'ilz doibvent venir recercher Vostre Majesté, qui est de vostre amytié et de vostre intelligence. Et cependant j'ay sceu que, voulantz par trop aproffondir le dict affaire d'iceulx seigneurs, ilz ont faict que les partz, qui aspirent à la succession de ceste couronne, se sont ressucitées plus vifves que jamais, et que les principaulx s'esforcent en ceste court, par toutz les moyens qu'ilz peuvent et sans y espargner aulcune sorte d'artiffice, d'y faire incliner les choses, chacun sellon qu'il estime pouvoir servyr à fortiffier et advancer sa prétention; en quoy ilz meslent encores et la France et l'Espaigne, et tiennent ceste princesse si irrésolue entre les deux, sans toutesfoys le luy donner à cognoistre, qu'elle ne sçayt auquel se debvoir bonnement résouldre, d'où vient qu'elle va ainsy, dilayant de jour en jour, et changeant souvant d'ellection de celluy qu'elle veult envoyer; et croy encores que quelquefoys ilz la rendent incertaine si elle vous en doibt envoyer pas ung: tant y a que le mieulx que je pourray, sans indignité, luy recorder sa promesse, j'essayeray de la conduyre à l'acomplir.
Mècredy dernier, l'examen des dicts seigneurs prisonniers a esté miz, suyvant l'ordre du pays, devers quatre chevalliers, quatre escuyers et quatre bourgeois, lesquelz, à ce que j'entendz, ont arbitré qu'en celluy du duc se trouvent aulcuns articles qui doibvent estre proposez comme cas de lèze majesté à ceulx qui les jugeront, et qu'il n'appert encores assés clairement qu'il soit ainsy en nul des aultres. Le lundy ensuyvant, l'on a commancé, avant jour, avec les flambeaux, de travailler à dresser ung eschaffault et une potance à la place devant la Tour, et court ung bruict sourd par la ville que c'est pour y exécuter le dict duc le premier; et y en a qui disent qu'on en fera aultant de l'évesque de Roz, comme estant le principal autheur de la rébellion. J'ay desjà, au nom de Vostre Majesté, incisté à la dellivrance de ce segond, et sçay que sur cella il a esté une foys arresté en ce conseil qu'encor qu'on eust de quoy procéder criminellement contre luy, que néantmoins l'on s'en déporteroit; mais ilz sont si muables et sont tant anymez en cest affaire, et ont si peu de respect aulx qualitez du Sr de Roz, qui est ambassadeur et évesque catholique, que je ne suys sans peyne et sans quelque doubte de luy.
Milord de Housdon a de rechef escript que les seigneurs des deux partys en Escoce continuent de faire plusieurs assemblées et conférances pour parvenir à ung bon accord, et qu'il y a grand espérance qu'ilz se paciffieront. J'entendz qu'il a esté mandé aulx capitaines de Barvyc, et de la frontière du North, de faire la reveue de leurs gens, et que, si quelques ungs avoient coulé en Escoce, qu'ilz les révoquent. Et aulx recepveurs des quatre provinces, plus voysines de la dicte frontière, qui debvoient porter les deniers de ce quartier à Barvyc, a esté contremandé qu'ilz en envoyent la moytié icy, et que, de l'aultre moictié, laquelle monte à vingt six mil escuz ou envyron, ilz advisent d'en contanter la garnyson de la dicte frontière.
Le Sr Fiesque est attandant le passaige à Callais, il y a plus de dix jours, ou au moins faict l'on semblant qu'il y soit, et que la tempeste et le vent contraire l'empeschent de passer. Cela est cause qu'on n'a touché à la vante des merchandises, et se monstre icy ung fort grand et général desir que ces différans avec les Pays Bas se puyssent accorder. Sur ce, etc.
Ce xxxe jour de novembre 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Despuys la présente escripte, j'ay adviz que milord de Housdon a escript comme les depputez de ceulx d'Esterlin sont arrivez à Barvyc, pour tretter de leurs affaires avecques luy, qui monstre qu'ilz ne tendent à s'accorder avec ceulx de Lillebourg, et qu'il est allé quelques monitions du dict Barvyc au Petit Lith, et que de Lillebourg on a dépesché quelque personnaige de qualité devers Vostre Majesté. Le comte de Montgomery est arrivé, despuys au soir bien tard, en ceste ville.
A la Royne.
Madame, encor qu'entre plusieurs propos, dont j'ay heu à tretter avec la Royne d'Angleterre du faict de l'Escoce et des Escoussoys, je luy aye nomméement, et en termes bien exprès, de la part de Voz Très Chrestiennes Majestez, vifvement incisté de vouloir ordonner ung bon et honneste trettement à la Royne d'Escoce, et mettre l'évesque de Roz, son ambassadeur, en liberté, je crains néantmoins, Madame, que, de tant qu'on voyt la pouvre princesse estre toutjour fort estroictement tenue, et l'évesque en dangier de sa vie, qu'aulcuns vouldront estimer que n'avez assez fermement employé vostre authorité et crédict envers ceste princesse pour y remédier, mesmement si l'on procède contre la personne du dict évesque. En quoy, Madame, si voz Majestez estiment qu'il s'y doibve faire par elles mesmes quelque plus vif office par dellà envers l'ambassadeur d'Angleterre, ne fault doubter qu'il ne serve grandement; ou bien, si me commandez de le faire icy, je mettray peyne d'y suyvre entièrement vostre intention, et me garder, le mieulx que je pourray, de n'altérer rien en celle de la Royne d'Angleterre; me trouvant aussi en peyne comme user pour le duc de Norfolc, au cas qu'il soit jugé à mourir, car il a l'ordre du Roy, et n'est en ce dangier, où il se trouve, que pour avoir vollu ayder les affaires de la Royne d'Escoce: dont vous playrra, Madame, me commander, tout à temps, ce que jugerez estre bon là dessus, car l'on luy faict la poursuyte si vifve et si secrecte que je crains qu'on verra plus tost son exécution qu'on n'entendra qu'il ayt esté condempné. Et sur ce, etc.
Ce xxxe jour de novembre 1571.
CCXXIIe DÉPESCHE
—du ve jour de décembre 1571.—
(Envoyée jusques à Calais par le sire Guillem Quincayt, escoussois.)
Accueil fait par Élisabeth à Mr de Montgommery.—Nouvelles d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.—Bruit répandu à Londres que l'on se prépare en France à envahir la Flandre.—Départ de Me Smith désigné pour passer en France.—Libelle publié à Londres contre la reine d'Écosse.
Au Roy.
Sire, il a faict ung si contraire temps, l'espace de dix jours, à passer par deçà, que, jusques au premier de ce moys, le Sr de Vassal n'a peu arriver icy, lequel m'a rendu les lettres du xve du passé, et avec icelles m'a informé d'aulcunes choses, que Voz Majestez luy avoient donné charge de me dire; sur lesquelles j'envoye présentement devers la Royne d'Angleterre pour luy demander audience, et, incontinent après que j'auray parlé à elle, je ne fauldray, Sire, de vous mander tout ce qu'elle m'aura respondu. Cependant je diray à Vostre Majesté qu'elle a faict une fort bonne et fort favorable réception à Mr le comte de Mongomery, et a heu de longs et privez propos avecques luy, et l'a faict fort caresser et bien tretter en sa court, et veult, à ce que j'entendz, avoir sa fille avec elle, et que le filz de sir Arthur Chambernant, qui l'a espousée, aille résider quelque temps en France pour aprendre la langue et les honnestes meurs du pays. Le dict sieur comte est venu conférer avecques moy, premier que d'aller trouver la dicte Dame, avec grande démonstration de bonne affection au service de Vostre Majesté, et m'a prié de luy monstrer en quoy il se pourroit employer icy pour vous en faire; qui ay esté bien ayse, Sire, qu'il en ayt usé ainsy, affin que ceulx cy cognoissent que toutz voz subjectz se vont de plus en plus réunissant, et se rangent à l'affection et obéyssance de Vostre Majesté; et n'ay poinct reffuzé de luy monstrer comme il pourroit mieulx dresser ses propos pour les faire servyr au bien de voz affaires. Lequel, au retour de Grenvich, m'est venu racompter aulcunes particullaritez que la dicte Dame et ceulx de son conseil luy ont dictes, qui tendent à faire une fort estroicte amytié avecques Vostre Majesté, nonobstant qu'ilz soient, à ce qu'ilz disent, meintenant recerchez, aultant qu'il est possible, du costé d'Espaigne; mais c'est o[17] condition que ne les pressiez de se dessaysir jamais de la personne de la Royne d'Escoce, car ne pourroient espérer qu'il y eût une seulle heure de repos en ce royaulme, aussitost qu'elle seroit restituée au sien, et qu'ilz craignent qu'en ce poinct je leur soys fort contraire. Le dict Sr de Mongomery s'en retourne aujourd'huy, et va repasser à Dièpe, dont je mettray peyne, cy après, d'entendre s'il aura rien plus négocié par deçà.
La dellibération continue bien toutjour d'envoyer maistre Smith en France, mais cella n'est encores ni bien conclud ny bien arresté. J'en tretteray avec la dicte Dame, pour vous en pouvoir, par mes premières, mander quelque certitude, avec ses aultres responces qu'elle me fera.
Il se dict icy plusieurs choses d'Escoce, néantmoins je n'adjouxteray rien à ce que Vostre Majesté en pourra veoir par l'extrêt d'une lettre que le Sr de Vérac m'a escripte, du xiie du passé, sur laquelle je diray seulement deux choses à Vostre Majesté: l'une est que je n'ay point forny les deux mil deux centz escuz à l'homme qu'il me mandoit, parce que je n'en ay ny le moyen ny vostre commandement de le faire, mais je l'ay renvoyé le mieulx satisfaict de parolle que j'ay peu vers Mr de Glasco et de Puiguillen; qui a monstré d'en estre contant, et est personnaige de considération, qui semble entendre assés bien l'estat du pays, et asseure que, si quelcun de grande qualité y passe, lequel veuille bien tretter en vostre nom la paciffication entre les seigneurs des deux partys, qu'ilz s'y rangeront; la segonde est que la principalle importance de tout le faict de vostre service par dellà semble estre à bien conserver le capitaine Granges, qui a le chasteau et la ville de Lillebourg entre mains; et pourtant je desire, Sire, que renvoyez son frère le mieulx expédié et le plus contant que Vostre Majesté le pourra faire.
Le Sr Fiesque est arrivé, lequel donne toute espérance de l'accord, et encores des aultres accommodemens qui doibvent suyvre le dict accord; l'on verra dans peu de jours ce qui en réuscyra. Il semble que le Sr de Valsingam ayt escript que Vostre Majesté envoye des gens de guerre en Picardie, et que l'ambassadeur d'Espaigne s'est retiré en Flandres sans avoir prins congé, ce que ceulx cy présument estre ung argument de guerre; tant y a qu'on ne m'en a point encores parlé. Et sur ce, etc.
Ce ve jour de décembre 1571.
Ainsy que je fermois la présente, la Royne d'Angleterre m'a mandé que celluy qui doibt aller en France, est desjà dépesché, mais que, pour quelques occasions, il n'en fault faire bruict.
A la Royne.
Madame, j'espère aller trouver la Royne d'Angleterre, demain après diner, et ne fauldray de luy incister vifvement, et néantmoins le plus gracieusement qu'il me sera possible, au nom de Voz Très Chrestiennes Majestez, qu'elle veuille faire suprimer le livre, qui a esté imprimé en ceste ville contre l'honneur de la Royne d'Escoce[18], lequel livre a esté réimprimé de nouveau en anglois, avec l'adjonction de quelques rithmes françoises, qu'on impute à la dicte Dame qu'elle les a composées, qui sont pires que tout le demeurant du livre. Dont requerray, Madame, que la censure des deux se face tout à la foys, et n'obmettray les aultres particullaritez qui concernent la Royne d'Escoce et les Escoçoys, ny de sonder, s'il m'est possible, à quoy réuscyroit l'office, que Mr de Glasco desire que Voz Majestez facent, d'envoyer icy ung gentilhomme tout exprès pour les affaires de la dicte Royne, sa Mestresse, ny s'il seroit honnorable pour Voz Majestez, et utille pour elle, de le faire; car, quant à estre agréable, j'ose desjà bien asseurer, Madame, qu'il ne le sera nullement à la Royne d'Angleterre. Tant y a que je réserve de m'en esclarcyr mieulx sur les propos que j'entendray d'elle mesmes, et d'en esclarcyr après Voz Majestez par les premières que je leur feray. Et sur ce, etc.
Ce ve jour de décembre 1571.
CCXXIIIe DÉPESCHE
—du xe jour de décembre 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)
Audience.—Vives assurances d'amitié données à Élisabeth qui l'ont déterminée à envoyer Me Smith en France.—Discussion des affaires d'Écosse entre la reine et l'ambassadeur.—Refus d'Élisabeth d'ordonner la suppression du libelle publié contre Marie Stuart.—Objet de la mission de Me Smith.—Mémoire général. Instructions données à Me Smith pour renouer la négociation du mariage, ou former un traité d'alliance.—Conduite que l'on doit tenir en France à son égard.—Conditions sous lesquelles on peut espérer de traiter pour la reine d'Écosse.
Au Roy.
Sire, quant le Sr de Fiesque et le mareschal Drury ont esté arrivez, l'ung, d'un costé, de Flandre, et l'aultre d'Escoce, ceulx, qui jusques icy avoient retardé le voyage de maistre Smith pour France, n'ont heu sur quoy davantaige le prolonger, mais j'ay esté de fort bonne part adverty qu'ilz se sont esforcez de me faire plusieurs traverses en ceste court pour divertyr la Royne d'Angleterre d'entrer en aulcune intelligence avec Vostre Majesté; et ont essayé avec deniers contantz, et par présens et grandes promesses, de gaigner, et, possible, avoient desjà gaigné aulcuns des principaulx d'auprès d'elle, qui sont non seulement cogneuz parciaulx de la mayson de Bourgogne, mais encores plus expressément ce peu qu'il y en a qui ont affection à la France, pour tenir la main qu'elle condescendît à l'accord des Pays Bas sellon les articles du duc d'Alve, et luy imprimer des scrupules de Vostre Majesté, de ce que j'avois envoyé des lestres et des messagiers jusques à Lillebourg durant le siège, pour faire que ceulx de dedans s'opiniastrassent à le bien soubstenir, et despuys pour les destorner de la pratique que milord de Housdon, milord Escrup et le dict mareschal menoient pour les ranger au party qu'elle prétend establyr par dellà; de quoy, à la vérité, elle a esté bien marrye.
Et ayant heu encores à parler meintenant à la dicte Dame de ces particullaritez de la Royne d'Escoce, et nomméement de la suppression de ces livres qui ont esté imprimez contre elle, jouxte vostre dépesche du xve du passé, j'ay estimé, Sire, qu'il m'estoit besoing de luy mesler quelques aultres gracieulx propos qui fussent pour la retenir et la faire bien persévérer vers vostre Majesté; et pourtant je me suys servy de ce qu'elle mesmes, en la dernière audience, m'avoit dict bien fort à la louange de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur; et l'ay asseurée que toutz trois aviés prins de fort bonne part les honnorables propos qu'elle avoit particullièrement tenuz d'ung chacun; et que la Royne, pour son regard, me commandoit de luy dire qu'il ne se pouvoit rien ymaginer d'office de bonne sœur, ny de bonne cousine, ny encores de vrayement bonne mère, que la dicte Dame ne les deubt toutz attandre et espérer d'elle, avec habondance d'amour et avec le respect, et honneur, qu'elle sçavoit bien qui estoient deubz à sa grandeur et aux excellentes qualitez que Dieu avoit mises en elle, et que Monseigneur mettoit au plus hault compte de sa félicité, l'estime qu'elle avoit de luy; qui pourtant desiroit de pouvoir employer ainsy sa personne pour son service qu'il peult mériter ceste grande faveur: et Vous, Sire, sur ce qu'elle m'avoit dict qu'il y avoit beaucoup de valleur et de vertu en vous, et que nomméement vous abondiez d'intégrité, de droicture et de vérité, aultant qu'il convenoit à un prince d'honneur d'en avoir, que vous me commandiez de la remercyer infinyement de ce tant favorable et advantaigeux jugement qu'elle faisoit de Vostre Majesté, qui vous augmentoit le desir d'estre et devenir tel comme elle vous estimoit, si d'avanture vous n'y estiez desjà parvenu, et que vous ne la pouviez plus grandement récompenser de ceste sienne bonne opinion que par l'avoir toute semblable d'elle et en telle perfection de vertu et d'honneur, comme il se pouvoit ymaginer d'une des plus accomplyes princesses du monde; et que c'estoit sur ce très solide fondement de la mutuelle bonne estime de la vertu l'ung de l'aultre, que vous desiriez voir principallement establye vostre mutuelle amytié et que pourtant vous acceptez de très bon cueur celle qu'elle vous offriroit de sa part, et lui promettez de mesmes la vostre très parfaicte, et de demeurer fermement résolu en icelle, tant que vous vivriez, et de la luy rendre encores perdurable à vostre couronne et entre voz deux royaulmes, en toutes les meilleures sortes qu'il seroit en vous de le pouvoir faire.
Duquel propos, Sire, la dicte Dame a monstré qu'elle restoit fort consolée et merveilleusement contante, et me l'a faict redire une seconde foys; puys m'a demandé si elle trouveroit celle correspondance en Vostre Majesté, dont je l'asseuroys. A quoy ayant adjouxté toute la confirmation qu'il m'a esté possible, elle m'a dict qu'elle ne vouloit, pour ceste heure, rendre qu'un simple grand mercys pour ce message, encor qu'il fût le plus grand, le meilleur et le plus desiré, qui luy eust sceu advenir, mais que sur icelluy, qui qu'en deust parler, elle dépescheroit le lendemain, sans plus de dilay ny remises, maistre Smith devers Vostre Majesté, lequel auroit charge de vous en remercyer davantaige, et de vous dire aulcunes aultres choses de sa part, desquelles s'asseuroit que Voz Majestez Très Chrestiennes en demeureroient très contantes.
Et après, nous sommes miz à débattre bien paysiblement les particullaritez qui concernoient la Royne d'Escoce, et nomméement la supression des livres qui ont esté imprimez au préjudice de son honneur; en quoy la dicte Dame m'a asseuré qu'iceulx livres venoient de l'impression d'Escoce et d'Allemaigne, et non de Londres, et m'a allégué des occasions pourquoy elle ne debvoit commander qu'ilz fussent suprimez, et que maistre Smith vous en satisferoit davantaige. Puis m'a reproché les lettres et messages que j'avois mandé à Lillebourg, et si je voulois entreprendre de luy estre ainsy contraire.
Je luy ay respondu que je n'avois de rien plus esloignée mon intention que de norrir division et contrariété entre Vostre Majesté et elle, mais que je luy voulois tout librement confesser que, si j'avois peu quelque chose en faveur de ceulx qui maintiennent vostre party en Escoce, que indubitablement je l'avois faict; et que je ne vouldrois en cella espargner ma vie, non que luy dényer que je n'y vollusse employer quelque office de mon debvoir; mais qu'elle se moquoit de moy: car elle donnoit bon ordre qu'il ne pouvoit aller, ny venir, aulcunes lettres ny messages, de vostre part, par dellà.
Et ainsy m'estant licencié gracieusement de la dicte Dame, maistre Smith est venu, le jour après, me trouver, desjà tout expédié d'elle et des seigneurs de ce conseil; qui m'a asseuré qu'il emportoit de quoy pouvoir conclure, ou par alliance, ou par ligue, une bonne et bien estroicte amytié avec Vostre Majesté et avecques la France, s'il vous playsoit, Sire, y procéder, ceste foys, à bon esciant. Je luy ay respondu qu'il trouveroit une parfaictement bonne disposition en Voz Majestez Très Chrestiennes, qui vous attandiez, à ce coup, de voir réuscyr quelque effect de tant de bonnes parolles du passé, et que son voyage, s'il ne tenoit à luy, seroit indubitablement très utille à ces deux royaulmes; et luy ay offert ung des miens pour l'accompaigner, et pour le faire bien recepvoir par dellà, qui a monstré qu'il le desiroit infinyement; dont luy ay baillé le Sr de Sabran, lequel, sellon le loysir que j'ay heu de le pouvoir instruyre, vous informera, Sire, d'aulcunes choses qui s'entendent, et qui estoient en termes en ceste court, sur la dépesche du dict Sr Smith, et aussi de ce qui résulte, jusques à ceste heure, de la négociation que milord de Housdon a faicte avec les Escouçoys, pareillement de l'estat de la Royne d'Escoce, et comme se retrouvent à présent ceulx de Lillebourg, avec aulcunes aultres particullaritez bien expécialles, qui me semblent importer assés que Vostre Majesté les sache, premier que de tretter avec le dict Sr Smith. Sur ce, etc.
Ce xe jour de décembre 1571.
INSTRUCTION AU Sr DE SABRAN.