Correspondance Diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Quatrième: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
CLXXIXe DÉPESCHE
—du xiiie jour de may 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Bordillon.)
Débats dans le parlement.—Nouvelles d'Écosse.—État de la négociation des Pays-Bas.—Munitions envoyées par les Anglais à la Rochelle.—Grand nombre de vaisseaux mis en mer par les protestans d'Allemagne et de Flandre.
Au Roy.
Sire, ce en quoy, despuys mes précédantes du viiie de ce mois, ceste cour m'a semblé la plus occupée a esté ez déllibérations du parlement, parce qu'elles n'ont peu passer en la première chambre, où sont les milordz, ainsy qu'elles avoient esté proposées en la segonde, ains ont esté fermement contradictes au poinct de la religion, et en celluy de ne parler du tiltre du royaulme sur peyne de lèze majesté; en quoy milord de Burlay, par une longue harangue, a remonstré à l'assemblée qu'on ne debvoit reffuzer aulcune ordonnance qui peult servyr à la paciffication du royaulme et à la seureté de leur Royne, argumentant de la connexité, qu'il y a aujourduy si grande, entre les affaires de la religion et ceulx de la pollice, qu'il n'est possible de bien establyr les ungs sans les aultres. Et semble que, tout à propoz, ayt esté supposé ung incogneu à venir en grand haste demander de parler à la Royne pour l'advertyr de chose importante à sa vie, mais tout le reste du propos demeure secrect devers le dict de Burlay; comme aussi luy a esté mené ung aultre incogneu qui, en mesmes temps, s'est trouvé avec des pistollés soubz son manteau au logis de la Royne, mais l'on ne le renvoye point à justice. Et néantmoins par ces apparances l'instance est plus vifve à pourchasser que les susdictes dellibérations passent, et que les oppositions y sont moins fortes, et qu'on estime que le dict de Burlay parle entièrement par la bouche de la dicte Royne; dont l'on commance à voir que peu ou rien, à la fin, y sera contradict. Toutesfoys l'on vaque encores toutz les jours à débattre des matières, et, après qu'elles seront résolues, je les pourray mander plus certaines à Vostre Majesté, qui sera en bref, sellon qu'on dict que le dict parlement se terminera bientost.
J'ay obtenu de la Royne d'Angleterre qu'elle escripra au comte de Cherosbery de modérer l'ordre qu'il avoit prins pour la Royne d'Escoce, à ce qu'elle ayt plus de liberté et qu'il luy laysse les femmes qu'elle luy demandoit par sa lettre. L'on m'a recerché de la continuation du tretté, mais je ne respondz rien, et l'évesque de Roz est encores si mallade qu'il ne peut négocier. Je croy aussi que d'Escosse l'on luy a mandé qu'il n'acorde plus nulle surcéance. Il se continue de dire qu'il y a heu rencontre près de Lislebourg, mais l'on n'en sçayt encores bien le succez, seulement l'on dict qu'il a esté trouvé des escuz et de la monoye d'Angleterre sur aulcuns, qui ont esté tuez du party de la Royne d'Escosse, ce qui a fait soupçonner à la Royne d'Angleterre qu'encores sont ilz aydés de son royaulme. Milord de Burlay m'a dict qu'on a mandé à Barvyc de bailler passeport au Sr de Vérac, s'il veult venir par terre, mais qu'il a entendu qu'il s'aprestoit de s'en retourner par mer; qu'est cause, Sire, que je garde encores la lettre que Vostre Majesté luy escript, attandant quelque seure commodité; et néantmoins je luy ay mandé de ne bouger de là jusques à ce qu'il ayt de voz nouvelles. Le comte de Sussex pourchasse toutjour de faire marcher quelques forces vers la frontière du dict pays d'Escoce, mais il ne l'a encores optenu, et néantmoins il ne seroit temps de secourir les Escouçoys quand ceulx cy s'achemineront, car ilz sont trop prez; dont fault, Sire, peu à peu les avoir pourveuz de bonne heure.
Il semble que le faict de ces différans de Flandres empire toutz les jours, et que, s'il ne vient bientost quelque meilleure responce du duc d'Alve ou d'Espaigne, l'on procèdera à vendre les merchandises; et cependant ceste princesse est sur le poinct d'envoyer le Sr de Quillegrey en Allemaigne pour confirmer les pencions qu'elle y donne, et y apporter quelque payement du passé, et y faire d'aultres pratiques qui sont encores bien secrectes. J'entendz aussi que, dans ceste sepmaine, ung allemant et ung anglois partent de ceste rivière avec deux vaysseaulx pour conduyre à la Rochelle quelque peu d'artillerie et ung nombre de pouldres et bouletz, et aultres provisions de guerre, qu'on a tiré de la Tour. Ceste mer est desjà fort occupée des Flamans, qui s'advouhent au prince d'Orange, et disent qu'ilz attandent encores de bref ung si bon renfort qu'on extime qu'ilz seront plus de quatre vingtz ou cent vaysseaulx de guerre ensemble; et par ce, Sire, qu'ilz sont fornys et entretenuz par les Anglois, et ont leur retrette et descharge par deçà, il vous plairra mander en vostre frontière qu'on les ayt pour suspectz et qu'on se tienne sur ses gardes. Ilz ont freschement prins neuf vaysseaulx d'une flotte de trente qui venoient d'Espaigne, en dangier que tout le reste tumbe entre leur mains. Sur ce, etc.
Ce xiiie jour de may 1571.
DÉPESCHE
—du xviiie jour de may 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Débats du parlement sur le fait de la religion et la succession du royaume.—Affaires d'Écosse.—Projets de l'Espagne de former une ligue, soit avec l'Écosse, soit avec l'Angleterre.—Arrestation de l'évêque de Ross; procédure criminelle dirigée contre lui.
Au Roy.
Sire, ceulx de la première chambre de ce parlement, lesquelz sont les comtes et barons du pays, et aulcuns d'eulx présumez catholiques, encores que les évesques soyent parmy eulx, ne layssent de résister à la contraincte où l'on les veult soubsmettre de faire, deux foys l'an, la cène à leur mode, et ont remonstré qu'il leur semble fort intollérable que les dicts évesques et ministres qui se sont introduictz au commancement en façon d'hommes non cerchans que d'aller en craincte et humilité annoncer tout à pied la parolle de Dieu, soyent devenuz, à ceste heure, si arrogans qu'ilz ne se contantent d'estre les plus hault montez du royaume et d'avoir asubjecty le peuple, s'ilz ne plient aussi la noblesse soubz leur authorité; et que au moins s'ilz monstroient clairement, et par ung asseuré consentz de toutz eulx, qu'est ce qu'ilz baillent en leur cène, ainsy que l'esglize catholique l'a toutjour faict, l'on s'y pourroit ranger; mais chacune paroisse annonce ce poinct, et encores d'aultres de leur dicte religion avec tant de diversité qu'ilz veulent bien regarder ce qu'ilz y auront à faire pour leur salut, et pour ne se laysser oster les privillièges qui ont esté réservez à la liberté de leurs consciences; dont sont encores à dellibérer là dessus.
Et touchant déclairer privez de la succession de ce royaulme, pour eulx et leurs descendans, ceulx qui auroient présumé de s'en attribuer le tiltre, ou qui le présumeroient de faire cy après, ny qui parleroient de leurs droictz à icelle, et d'avoir encoureu eulx et leurs adhérans crime de lèze majesté, qu'ilz trouvoient bon que, sans parler du passé, il fût faicte loy qui obligeât dorsenavant à privation de droict quiconques s'atribueroit le dict tiltre, durant la vie de leur Royne, et que celluy et ceulx qui luy adhèreroient fussent notez de lèze majesté, mais rien davantaige. Et ayant ainsy rabillé le billet, ilz l'ont renvoyé à ceulx de la basse chambre, auxquelz parce qu'il ne satisfaict, la chose demeure en suspens; et mesmes le subcide n'est du tout conclud, bien que l'on estime que toutz ces poinctz viendront enfin à telle résolution que ceulx, qui gouvernent, vouldront qu'ilz ayent.
Sire Jehan Fauster, gardien des frontières du Nord, est arrivé despuys trois jours avec ung adviz des choses d'Escoce, par lequel il asseure que ceulx, qui tiennent le party de leur Royne au dict pays, ne voyant venir aulcun secours de France, se sont résoluz, sans plus s'y attandre, de cercher l'alliance du Roy d'Espaigne et de conclure une bonne ligue avecques luy; dont l'on presse bien fort icy d'envoyer bientost cinq ou six mil hommes de pied et deux mil chevaulx au comte de Lenoz, affin de randre promptement toute l'Escoce à l'obéyssance du petit Prince soubz son gouvernement, et mettre quelques garnysons dans le pays; et en est la matière en dellibération avec grand espérance, de ceulx qui sont icy pour le dict de Lenoz, qu'elle pourra estre accordée. Néantmoins je n'entendz qu'il y ayt encores rien d'ordonné en cella, ny nulle aultre chose, sinon aulx officiers de la marine de se tenir prestz à mettre en tout appareil de guerre dix des grandz navyres, aussitost qu'il leur sera commandé, affin de se randre maistres de la mer pour garder que nul secours puysse venir aus dicts Escouçoys, et aussi pour se trouver préparés contre les aprestz du duc d'Alve, lesquelz ilz monstrent assés de craindre. Et semble aussi qu'on leur ayt faict prandre quelque nouvelle deffiance de Vostre Majesté, de sorte que milord de Burlay, entre ses doubtes, a faict recercher l'ambassadeur d'Espaigne de vouloir que eulx deux renouvellent l'intelligence d'entre leurs Maistre et Mestresse; et que, si son dict Maistre ne se vouloit pourter si adversayre qu'il faict contre leur religion, il pourroit tirer plus de commoditez de ce royaulme que n'ont jamais faict ses prédécesseurs. Dont j'entendz que les différantz des Pays Bas commancent de retourner à quelque modération, et que le Sr Fiesque s'attand icy du premier jour, avec meilleur responce du duc d'Alve, pour ayder à conclurre l'accord; et que cependant ceste Royne tient en suspens sa dépesche pour Allemaigne, craignant d'employer assés en vain ses deniers, et que les grandes pencions, que le Roy d'Espaigne donne aulx princes protestans, joinct l'auctorité de l'Empereur, empescheront que nulle levée se puysse faire contre les Pays Bas.
La dicte Dame m'a envoyé le cappitaine Leton et l'aysné Norrys pour me dire que si, d'advanture, j'entendois qu'elle fît procéder un peu plus rigoureusement contre l'évesque de Roz que ne requéroit la personne d'ung ambassadeur, que je n'estimasse que ce fût pour injurier ny offancer son office, ny pour chose qu'il eust négociée pour le service de sa Mestresse, car en cella elle l'avoit toutjour bénignement ouy, et seroit preste d'entendre toutjour à ce qu'il luy seroit proposé pour le bien et les affaires d'elle; mais qu'il s'estoit tant oublyé et tant esloigné de son debvoir qu'il avoit mené de très mauvaises pratiques contre la personne et l'estat de la dicte Dame avec ses rebelles; de quoy elle m'avoit bien vollu advertyr, comme celluy de qui elle avoit toute bonne opinion, affin que je ne prinse ny escrivisse les choses en aultre façon qu'elles sont.
J'ay respondu que je remercyois bien humblement la dicte Dame de son advertissement, et que je la cognoissois si vertueuse et si sage, et si bien conseillée, qu'elle ne procèderoit envers le dict évesque qu'avecques honneur et modération; et qu'il ne se pouvoit faire que je ne me dollusse du mauvais trettement qu'on feroit aulx ambassadeurs, desquelz l'office et les personnes avoient esté, de tout temps, réputées sacrées et inviollables, mais puysqu'elle parloit d'avoir attampté à sa personne et à son estat, je ne voulois dire sinon que sa Mestresse ne seroit pas contante de luy, et qu'elle mesmes, à qui touchoit de l'en chastier, en procureroit la punition; mais que j'estimois que, tant plus l'on examineroit de près son faict, plus l'on le trouveroit clair et exempt de telle faulte, et que je n'avois veu en luy nul plus grand desir que de unyr par grand amytié et intelligence sa Mestresse avec la dicte Dame, et mettre en paix et repoz leurs deux royaulmes; et que je la suplioys ne trouver mauvais si j'en escripvois à Vostre Majesté, et que mesmes il luy pleust me permettre de le mander à la dicte Dame, Royne d'Escoce, affin qu'elle peult envoyer icy ung aultre ambassadeur.
Le comte de Sussex, milord de Burlay, maistre Mildmay et Raf Sadeler, ont esté en son logis pour l'examiner, et puys luy ont baillé gardes, et, nonobstant qu'il soit bien mallade en son lict, ilz l'ont faict transporter en la mayson d'ung évesque; dont je mettray peyne d'entendre bientost son examen pour en advertyr Vostre Majesté. Mais cependant, parce qu'on le menace de procéder contre luy comme contre ung privé, sans le tenir plus pour ambassadeur, et qu'il crainct qu'on le mette dans la Tour, et qu'on luy baille la question, estant entre les mains de ceulx qui ne l'ordonneroient que plus vollontiers, parce qu'ilz le cognoissent évesque catholique, il supplie très humblement Vostre Majesté, Sire, de vouloir escripre une lettre expresse à ceste Royne pour sa liberté et bon trettement, ce qui ne vous sera que bien décent, à cause de l'alliance que sa Mestresse a avec vostre couronne, sur l'instance que son ambassadeur, qui est par dellà, vous en pourra faire; et il mérite, Sire, pour la bonne affection qu'il a à vostre service et à celluy de sa Mestresse, et qu'il a le moyen et la capacité de vous en faire à toutz deux, que ne luy reffusiez ceste grâce et faveur. Et sur ce, etc.
Ce xviiie jour de may 1571.
CLXXXIe DÉPESCHE
—du xxiiie jour de may 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais, par Jehan Volet.)
Débats du parlement; adoption du subside.—Nouvelles d'un combat livré en Écosse.—Réduction de Lislebourg à l'obéissance de Marie Stuart.—Procédure contre l'évêque de Ross.—Négociation des Pays-Bas.—Rapprochement entre l'Angleterre et l'Espagne.
Au Roy.
Sire, la contention d'entre les principaulx de la noblesse et des évesques sur l'article de la religion, en la première chambre de ce parlement, et celle de la dicte chambre contre ceulx de la segonde sur le poinct de lèze majesté, ne sont du tout vuydées, et en est l'affaire encores devers certains depputez, à qui a esté commiz de modérer les billetz; seulement l'article du subcide est passé, en ayant esté rabattu ung sixiesme, dont ne montera plus que envyron cinq centz mil escuz, payables, la moictié au mois d'octobre prochain, et l'aultre moictié d'icy à ung an. Cependant le souspeçon qu'on a prins de la dépesche, qui venoit de Flandres à l'évesque de Roz, dont les chiffres sont encores devers milord de Burlay, s'est fort augmenté par les contradictions ung peu plus hardyes, qu'on ne les espéroit voir au dict parlement, de sorte que le dict de Roz en est tenu plus resserré; et a esté miz gardes, en plusieurs lieux de ceste ville, pour obvier à sédicion, et mandé en la contrée de retenir toutz corriers et voyageurs qui n'auront passeport, et serré de toutz costez les passaiges.
Ceulx d'Escoce des deux partys se préparent à ung faict d'armes; dez le xe de ce moys, près de Lillebourg, (ayant le comte de Lenoz instantment demandé d'estre secouru de cinq centz chevaulx et quinze centz hommes de pied anglois, avec lesquelz il promect de couryr l'Escoce, et de ranger promptement tout le pays à son obéyssance), j'entendz que cependant l'on est venu aulx mains, et que du commancement le combat a esté doubteux, mais qu'enfin le dict de Lenoz s'est retiré, et les Amilthons sont entrez à Lillebourg, où, tout incontinent, le nom et l'authorité de la Royne d'Escoce ont été proclamez. J'espère que, si sur cella le frère du cappitaine Granges leur est arrivé, et qu'il playse à Vostre Majesté leur faire continuer le secours de quatre mil escuz par moys, et le leur envoyer pour deux ou trois moys à la foys, que leurs affaires se pourront establyr, au moins si les Angloys ne s'y opposent trop ouvertement et avec armée, comme l'on continue de m'advertyr que la dellibération en est desjà fort avant; auquel cas j'escripray ordinairement à Vostre Majesté ce qui en viendra à ma notice. Les particularitez du dict combat ne se sçavent encores, ny je n'ay adviz d'icelluy que par lettres de particuliers, dont j'en attandz d'heure en heure plus grande confirmation; cependant il plaira à Vostre Majesté entendre des nouvelles de la Royne d'Escoce par une lettre, qu'elle mesmes m'a escripte de sa main, du xiiie et xiiiie de ce moys, en laquelle le poinct qu'elle remect au Sr Douglas, qui me l'a apportée, est touchant la continuation du secours, ainsy que je le mande cy dessus; et verrez au reste, Sire, comme elle desire qu'il soit vostre bon playsir de remettre au dict Douglas la condempnation qu'il a encourue, par la coulpe de son homme, d'estre bany pour trois ans de vostre court, à ce qu'il puysse continuer, comme auparavant, son service près de Vostre Majesté, et qu'il vous playse le faire payer de ses gaiges de la chambre.
J'ay adjouxté, Sire, à ce pacquet ce que j'ay aprins de l'examen de l'évesque de Roz, qui monstre en quelque chefz que ceulx cy se deffient d'aulcuns d'entre eulx mesmes, et que néantmoins les accusations ne sont si grandes contre luy qu'on le deust tretter ainsy rudement comme l'on faict; dont il continue, Sire, d'avoir recours à la faveur de Vostre Majesté; et cependant je luy assiste, au nom d'icelle, de tout ce qu'il m'est possible. Le Sr Thomas Fiesque est arrivé en la compaignie du gentilhomme anglois qui l'estoit allé quérir, et semble que l'aultre depputé, qui de longtemps estoit icy, et luy ne s'en retourneront ceste foys sans avoir accommodé le faict des merchandises, ny sans avoir par mesmes moyen miz aussi en quelque bonne voye d'accommodement le reste de l'entrecours d'entre les deux pays; et espère l'on que le jeune Coban raportera fort bonne responce d'Espaigne, ayant esté si bien et favorablement receu par dellà qu'on en a desjà remercyé icy l'ambassadeur. Sur ce, etc.Ce xxiiie jour de may 1571.
CLXXXIIe DÉPESCHE
—du xxviiie jour de may 1571.—
(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)
Audience.—Déclaration de l'ambassadeur que si la négociation du traité concernant Marie Stuart n'est pas reprise, le roi est décidé à envoyer ses forces en Écosse.—Emportement d'Élisabeth contre Marie Stuart.—Délai demandé par la reine pour reprendre la discussion du traité.—Négociation des Pays-Bas.—Nouvelles d'Écosse.
Au Roy.
Sire, ayant heu à parler à la Royne d'Angleterre du faict de la Royne d'Escoce et des Escouçoys, jouxte le contenu de la dépesche de Vostre Majesté du viiie de ce mois, j'ay considéré que, de tant qu'elle et les siens ont toutjour heu fort à cueur ceste matière, et qu'ilz sont sur le poinct de tretter aussi de celle des Pays Bas, qu'il seroit bon de ne la presser si fort qu'elle se peult altérer vers vous, pour d'aultant se randre plus facille de l'aultre costé; et pourtant, Sire, sans rien obmettre de ce que vouliez luy estre notiffié, je luy ay gracieusement remonstré qu'estant naguières le Sr de Vérac repassé d'Escoce en France, et vous ayant randu compte de la surprinse de Dombertran, et des propos que le comte de Lenoz luy avoit tenuz, et du retour du comte de Morthon, et de tout l'estat du pays, il vous avoit aussi apporté plusieurs lettres et requestes des seigneurs qui tiennent le party de la Royne d'Escoce, pour avoir vostre secours et assistance; et que l'archevesque de Glasco vous en estoit venu sommer en vertu des trettez et des anciennes alliances, et encores plus en vertu des nouvelles promesses que Vostre Majesté leur en avoit faictes, au cas que le tretté ne réuscyst; et que néanmoins Vostre Majesté, premier que d'y rien dellibérer ny respondre, avoit bien vollu sçavoir l'intention de la dicte Dame sur ce que vous la suppliez, de la meilleure affection qu'il vous estoit possible, que ne retournant le dict de Morthon avec les pouvoirs qu'il avoit promiz d'apporter, qu'elle vollust passer oultre sans luy à la conclusion du tretté et à restituer la Royne d'Escoce, ou bien la remettre ez mains de ceulx qui tiennent son dict party, comme elle vous avoit promiz de le faire; et au regard de l'instance des seigneurs de son dict party, qui vous sommoient de vostre honneur et debvoir, et de vostre promesse, en l'observance des choses que les trettez vous obligeoient vers eulx, encor que vous y peussiez procéder de vous mesmes, vous estiez néantmoins contant que Vostre Majesté et la sienne conjoinctement, affin d'évitter souspeçon, pourveussiez à faire cesser toutes violances, port d'armes, guerres civilles et divisions dans le pays, et à remettre le royaume en ung plus tranquille estat qu'il n'est; et, quant à ce qu'ilz requéroient vostre protection contre les injures, que les Anglois leur avoient desjà faictes, et qu'ilz menaçoient encores de leur faire, qu'elle prînt de bonne part la responce que leur aviez faicte, que vous vous employeriez de toute vostre affection à la suplier que, directement ou indirectement, ilz ne fussent plus molestez du costé d'Angleterre; et qu'au cas qu'ilz le fussent, ilz avoient obtenu de Vostre Majesté que votre assistance et celle de vostre royaulme ne leur deffauldroit aucunement; et qu'elle voyoit bien qu'en ces choses, encor qu'il y courust assés de vostre propre réputation, vous vouliez néantmoins évitter, aultant qu'il vous étoit possible, d'avoir différand avec elle; et que pourtant elle vous y vollust faire une responce qui fût conforme à la bonne et sincère amytié que vous lui portiez.
Le propos n'a peu estre dict si doulcement qu'elle n'y ayt trouvé de l'amer; et sa responce a suyvy de mesmes, en party doulce, à vous remercyer des considérations que vouliez avoir de ne l'offancer, et en partie aigre, d'estre fort marrye que vous postposissiez toutjour son amytié à celle de la Royne d'Escoce; et est entrée à commémorer, en collère, ung grand nombre d'offances, qu'elle dict avoir receu de la dicte Dame, avant qu'elle soit entrée en ce royaulme, et encores de plus grandes, despuys qu'elle y est; et qu'elle a mené à son préjudice de fort mauvaises pratiques à Rome, en France, en Flandres, et freschement avec la duchesse de Férie, en Espaigne; et qu'elle a les vériffications et preuves de tout si claires en sa main qu'elle ne la peust plus compter que pour sa grande ennemye.
De sorte, Sire, que je n'ay peu tirer nulle meilleure parolle de la dicte Dame, pour la restitution de sa cousine, que de me dire qu'elle s'estoit trop hastée de vous en faire la promesse; et, quant aux seigneurs d'Escoce, que, puysqu'elle avoit miz en sa main d'accommoder leur affaire, et avoit donné ordre que ung parlement se tînt entre eulx pour envoyer les pouvoirs nécessaires, qu'elle ne pouvoit estre sinon malcontante de ceulx qui l'empeschoient, lesquelz elle entendoit estre ceulx du party de la Royne d'Escoce; mais qu'elle avoit envoyé ung gentilhomme, tout exprès sur le lieu, pour le sçavoir, et dellibéroit d'estre contraire à ceulx qui se trouveroient avoir le tort: dont vous supplioyt cependant, Sire, de vouloir, pour son regard, poyser cest affaire à la balance de frère entier et non demy frère, comme elle vous estoit et vouloit estre très parfaicte et accomplye bonne sœur.
Je luy ay répété les mesmes choses que dessus, et qu'il ne m'estoit loysible d'y rien adjouster, cognoissant mesmement que Vostre Majesté me les avoit fort considérément escriptes, et y aviez gardé le plus de respect que vous aviez peu vers elle, jusques au poinct que ne pouviez nullement obmettre de vostre honneur, non plus que celluy de la vie, mais que si, d'avanture, elle y voyoit nul aultre meilleur expédiant qui, sans l'offance de vostre réputation, la peult mieulx contanter, que vous seriez prest de le suyvre pour le desir qu'aviez de luy complayre; et de tant qu'elle ne pouvoit, sans entrer toutjour en collère, ouyr parler de ce faict, que je la supplioys de m'en laysser tretter avec les comtes de Lestre, de Sussex et avec milord de Burlay.
Elle enfin m'a respondu gracieusement qu'au retour de celluy qu'elle avoit envoyé en Escoce, elle m'en parleroit à moy mesmes plus amplement; et ne seroit besoing que j'en traittasse avec nul aultre.
Néantmoins, Sire, avant vous mander ceste sienne responce, j'ay cerché d'en pouvoir conférer avec le comte de Lestre et avec milord de Burlay, lesquelz, à cause de l'indisposition du dict de Lestre, m'ont prié d'attandre jusques après demain; et j'essayeray avec eulx de réduyre l'affaire au meilleur poinct que je cognoistray pouvoir convenir à l'honneur de vostre couronne et commodité de voz affaires.
Cependant, Sire, ceulx cy trettent fort estroictement avec les depputez de Flandres pour accorder de leurs différandz, et m'a l'on dict qu'ilz veulent en toutes sortes essayer d'en sortyr, affin de mieulx entendre aulx entreprinses d'Escoce et y avoir le Roy d'Espaigne favorable, se continuant le propos que milord Sideney sera envoyé ambassadeur devers luy. Il pourra possible intervenir encores quelque difficulté sur les merchandises à cause du grand deschet, diminution et perte qui s'y trouve; mais quant à l'argent, les Srs Thomas Fiesque et Espinola qui sont gènevoys, et Acerbo Velutelly lucoys, ont pouvoir d'en accorder comme d'affaire de particulliers, où le Roy d'Espaigne n'a plus nul intérest. Et si, ay quelque secrect adviz qu'il a esté mandé à l'ambassadeur d'Espaigne de prester l'oreille à tout ce qui luy sera proposé du reste de l'entrecours, et de remettre le traffic comme auparavant; car le duc d'Alve desire de ne laysser après luy aulcune sorte de différand entre ces deux pays. J'ay recuilly, des propos de la Royne d'Angleterre et d'aulcuns aultres adviz qu'on m'a donnez d'ailleurs, que le retour du frère de Granges, qui est arrivé à saulvetté à Lillebourg, a grandement conforté ceulx du party de la Royne d'Escoce, ausquelz si Vostre Majesté continue de leur assister, ainsy quelques mois, comme elle a commancé, l'on estime qu'ilz se randront facillement maistres du pays; ce que craignant la Royne d'Angleterre, elle dépesche présentement milord de Housdon à Barvich, avec commission d'assister au comte de Lenoz de tout le plus grand nombre de soldatz qu'il pourra souldainement amasser en la dicte frontière; et toutz les capitaines de Barvich et de ce quartier du North vont avec luy: dont semble, Sire, estre fort requiz d'ayder promptement, et en la meilleure sorte que pourrez, les affaires de la dicte Royne d'Escoce. Sur ce, etc. Ce xxviiie jour de may 1571.
CLXXXIIIe DÉPESCHE
—du segond jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Nicolas Lescot.)
Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh et Leicester sur la nouvelle déclaration du roi.—Affaires d'Écosse.—Lettre secrète à la reine-mère. Audience; négociation du mariage du duc d'Anjou.
Au Roy.
Sire, ma précédante dépesche est du xxviiie du passé, et j'ay esté, le jour d'après, conférer avec le comte de Lestre et milord de Burlay des mesmes propos que j'avois tenuz à la Royne, leur Mestresse, qui m'y ont respondu que la dicte Dame s'esbahyssoit grandement comme Voz Majestez Très Chrestiennes, pendant les pourchaz de faire une bien estroicte intelligence avec elle, la faisiez presser de chose qui touchoit infinyement à son honneur et à sa seureté, et que, si vouliez tant soit peu avoir esgard à son amytié, vous cognoistriez que la Royne d'Escoce estoit celle qui se procuroit à elle mesmes son mal, et qui donnoit retardement à ses propres affaires, car oultre les vielles querelles de s'estre attribuée le tiltre de ce royaulme, et d'avoir inpugné la condition de leur dicte Mestresse, et avoir excité la rébellion du North; et faict retirer et bien tretter les rebelles de ce royaulme en Escoce, choses très urgentes, mais qui estoient desjà oblyées, elle avoit freschement, par Ridolply, escript au Pape et au Roy d'Espaigne de se vouloir entremettre de ses affaires, combien qu'elle eust promiz de n'y employer jamais que leur Mestresse; et par le mesmes Ridolply avoit mené de très mauvaises pratiques avec le duc d'Alve et avec les rebelles Anglois, qui sont en Flandres, pour exciter une nouvelle rébellion dans ce royaulme: de quoy leur dicte Mestresse avoit les preuves et vériffications devers elle, et avoit, pour ceste occasion, faict resserrer l'évesque de Roz comme celluy qui principallement en avoit ordy la besoigne; que la Royne d'Escoce avoit tretté, par la duchesse de Férie, d'induyre le Roy d'Espaigne à faire beaucoup de dommaige à leur dicte Mestresse et beaucoup de mal en ces pays; qu'encor qu'elle et l'évesque de Roz et ses aultres depputez, qui estoient naguières icy, eussent accordé qu'au comte de Lenoz et à ceulx de son party seroit loysible d'aller en toute seureté à Lislebourg pour y tenir ung parlement, affin d'envoyer les pouvoirs nécessaires pour parfaire le tretté, elle néantmoins avoit incontinent mandé qu'on l'en empeschât, de sorte qu'elle monstroit ne procéder d'aulcune sincérité, ny d'avoir recognoissance de la bonne intention de la Royne sa cousine, qui luy avoit saulvé la vie, qui tâchoit de la restituer, et l'avoit retirée, et la faisoit bien tretter en son royaulme; en somme, qu'encores qu'en général les vollontez, les parolles et les promesses tendissent à monstrer beaucoup d'avantaige, beaucoup de seureté, et beaucoup de contantement pour leur dicte Mestresse en la restitution de sa dicte cousine, quant l'on en venoit aulx particullaritez, il ne s'y voyoit que toutz dangiers et difficultez et rien de bien clair ny de bien asseuré; néantmoins me prioyent de leur bailler par escript les chefz de ce que je leur avois proposé, affin d'en pouvoir mieulx conférer avec leur dicte Mestresse et m'y faire avoir meilleure responce.
Je leur ay répliqué, en brief, que c'estoit Vostre Majesté qui trouvoit bien estrange, qu'en tant de bonnes parolles et démonstrations d'amytié, dont leur dicte Mestresse vous usoit, elle ne vouloit toutesfois évitter d'avoir différant avec vous en ung affaire, qu'elle sçavoit bien que l'honneur, le debvoir et les trettez vous obligent de ne le laysser sans remède; que le roolle des deux Roynes se jouoyt sur ung si éminent théâtre que, de toutes les parts de la Chrestienté, l'on voyoit bien laquelle faisoit le tort, et laquelle le souffroit, et n'y avoit si habille négociation qui en peult rien couvrir, ny qui peult arguer Vostre Majesté de n'avoir dilligentment gardé toutz les respectz deuz à l'amytié de leur dicte Mestresse: qui pourtant les prioys de me faire avoir quelque bonne responce d'elle qui vous peult contanter. Et leur ay baillé par escript les chefz qu'ilz demandoient, sur lesquelz j'entendz, Sire, qu'il y a heu de l'altération dans le conseil; et néantmoins ilz ne m'y ont mandé aultre chose, pour le présent, sinon que la Royne, leur Mestresse, me prioyt d'attendre que son mareschal de Barvyc, lequel elle avoit envoyé devers les deux partys en Escoce, fût de retour affin de pouvoir, puys après, mieulx satisfaire à Vostre Majesté.
Or, Sire, j'ay adviz que le dict mareschal est passé de vray en Escoce avec commission de parler au comte de Lenoz; et sçavoir qui l'a meu d'habandonner le faulxbourg de Lillebourg pour se retirer à Esterlin, sans qu'il se soit saisy du Petit Lith, et en quelle sorte et pour combien de temps il se pourra meintenir; et, au cas qu'il ayt besoing de secours, luy résouldre du nombre d'hommes, et du moyen qu'on tiendra pour les luy envoyer; et faire en toutes sortes que la part du dict de Lenoz demeure supérieure; et marchander cependant avec luy qu'il veuille remettre Dombertran ez mains de la dicte Dame, chose qu'ilz ne peuvent aulcunement obtenir du comte de Morthon. Mais cependant est arrivée une soubdaine nouvelle de dellà, de laquelle ceulx cy monstrent estre fort troublez, et présume l'on que c'est que le comte de Morthon est prins, ayant esté assiégé en ung sien chasteau, nommé Dathquier, à quatre mil de Lillebourg, et que le susdict de Lenoz est pareillement prins ou bien déchassé. Lequel bon commancement, Sire, seroit pour vous facilliter davantaige les moyens de remédier les affaires du dict pays, si continuez de les assister. Dont suys très expressément prié par les amys de la Royne d'Escoce de faire trois offices en cella: l'ung, de remercyer très humblement Vostre Majesté de leur part pour ce bon succez, lequel ilz attribuent tout à vostre grandeur et bonne fortune; l'aultre, de vous supplier que veuillez à bon esciant relever le faict de la dicte Dame, s'asseurans que l'entreprinse vous en réuscyra heureuse et honnorable; et le troisiesme, que je veuille, pendant la détention de Mr de Roz, prendre en moy la charge des affaires d'elle, en quoy, Sire, je feray tout ce qu'il me sera possible, sellon que je voys que telle est vostre intention, et que vostre service ainsy le requiert. Sur ce, etc.
Ce iie jour de juing 1571.
(Par postille à la lettre précédente.)
Ce qu'on ymaginoit de mauvaises nouvelles icy, que le comte de Morthon fût prins, est que luy et le comte de Lenoz sont entrez en quelque différand et maulvaise intelligence entre eulx.
A la Royne.
Madame, je n'avois jamais trouvé la Royne d'Angleterre si irritée contre la Royne d'Escoce comme j'ay faict ceste foys pour l'impression, qu'on luy a donné, que, naguières, par Ridolphy en Flandres et par la duchesse de Férie en Espaigne, la dicte Dame luy ayt pratiqué une nouvelle rébellion de ses subjectz, et une très dangereuse guerre contre son estat; dont n'a peu bien prandre les propos que j'ay heu à luy tenir pour la dicte Dame, encores que je les luy aye dict en la plus gracieuse façon qu'il m'a esté possible, et telle que les siens mesmes ont confessé que Voz Majestez ne se pouvoient ranger à plus honneste party entre elles deux qu'à celluy que luy offriez. Tant y a qu'il est advenu que, (encor que sur une lettre du comte de Lenoz du xxe du passé, par laquelle il mandoit ne pouvoir sans argent tenir plus longuement ensemble les forces qu'il n'avoit joinctes qu'à certains jours, et demandoit pour ceste occasion renfort de deniers ou d'hommes, il eust esté ordonné que milord de Housdon yroit tout sur l'heure à Barvyc, pour mettre aulx champs aultant de gens qu'il en pourroit soubdainement tirer des garnysons du North, et, si cella ne suffizoit, d'en lever davantaige au dedans du pays, pour incontinent les envoyer au dict de Lenoz), que la dicte Dame, après m'avoir ouy, a retardé sa dellibération, retenant encores icy le dict de Housdon; et ayant cependant envoyé le mareschal de Barvyc en Escoce soubz umbre de paix, mais en effect pour les pratiques que je mande en la lettre du Roy. Dont, Madame, l'ocasion, qui semble se présenter bonne au dict pays, requiert d'estre promptement aydée, ainsy qu'avez commancé de le faire, affin de ne la laysser perdre ny passer, car ceulx cy ne veillent à rien tant qu'à priver, s'ilz peuvent, le Roy, vostre filz, de l'alliance et auctorité qu'il a en Escoce; et ne fays doubte qu'au retour du dict mareschal de Barvyc, ilz ne poursuivent leur dellibération d'entreprendre quelque chose par dellà.
L'évesque de Roz demeure toutjour resserré, mais j'entendz que la Royne d'Angleterre commance de se modérer vers luy, et qu'elle confesse qu'il n'a rien faict que comme bon serviteur de sa Mestresse. Au regard de Ridolphy, l'on m'a mandé que, à la vérité, sa négligence et la seurté, où il s'est trouvé dellà la mer, ont ruyné une très honneste cause qu'il avoit en main, et qu'il fera bien de prandre garde à luy, et ne molester plus ceulx qui sont de deçà, et que tout ce qu'il a en Angleterre sera confisqué; et il y a d'assez bonnes sommes de deniers, qui luy debvoient estre payées à temps. Sur ce, etc. Ce iie jour de juing 1571.
A la Royne.
(Lettre à part.)
Madame, sur les bonnes responces que Voz Majestez ont données au Sr de Valsingan à Galion, et sur les honnorables propos que Monseigneur vostre filz luy a tenuz, il a faict une dépesche par deçà, laquelle, avec les lettres que le Sr Cavalcanty y a adjoustées, ont fort grandement contanté la Royne d'Angleterre, de sorte que, quant je luy suys allé présenter vostre lettre, elle ne m'a peu assés monstrer combien elle demeuroit bien satisfaicte de la sincérité de Voz Majestez et de la bonne et honneste affection de Mon dict Seigneur vers elle, sellon qu'elle m'a asseuré que son ambassadeur le luy avoit fort expressément signiffié par ung très ample discours; et luy en avoit escript, ensemble le comte de Rotheland, comme s'ilz fussent proprement françoys, avec tant grande recommendation de Mon dict Seigneur, et avec si grand desir de l'accomplissement de ce mariage, qu'elle confessoit y veoir meintenant beaucoup d'avantaiges qu'elle n'y avoit jamais considérez, et trop plus grandz qu'en nul aultre party dont l'on luy eust jamais parlé.
Je luy ay respondu que, à la vérité, s'il y avoit de la sincérité en son ambassadeur, comme sans icelle il ne pourroit bien juger de celle qui estoit en aultruy, il avoit cogneu que Mon dict Seigneur avoit le desir, l'affection et la vollonté perfaictement pleynes et combles d'ung vray et sincère amour vers elle; et faisoit encores que Voz Majestez l'y avoient de mesmes, de sorte qu'elle auroit à en espouser trois à la foys, et qu'avec la personne, de l'ung elle possèderoit les aultres deulx, et tout ce qui estoit en leur grandeur; mais le poinct estoit que, ainsy que Monseigneur luy avoit faict ung pur don de soy, si je le pourroys asseurer qu'elle l'eust accepté, et luy fît quelque part en elle et en ses bonnes grâces, me voulant bien persuader que si, entre les perfections que Dieu avoit largement mises en elle, elle dellibéroit d'y recepvoir jamais et donner lieu à nul d'entre les mortelz, qu'elle en feroit digne Monsieur, car, comme je confessoys qu'elle estoit, à la vérité, la première princesse de la Chrestienté en grandeur d'estat et en plusieurs rares qualitez, qu'ainsy se pourroit elle asseurer d'avoir ung mary qui ne seroit second en honneur, en dignité, en extraction ny en valleur, à nul de toutz les princes chrestiens; avec plusieurs aultres parolles qui servoient à mon propoz; ès quelz j'ay heu soing de notter bien curieusement comme elle les prandroit. Et parce que l'intérieur des personnes ne peult que de Dieu seul estre parfaictement cogneu, je n'en veulx faire nul certain jugement.
Tant y a que la dicte Dame, en récitant elle mesmes les commoditez de ce party, et la seureté où elle mettroit son estat et ses affaires par une si ferme et si forte alliance, et commémorant les honnorables qualitez de Monsieur, et les dignes propos qu'il avoit tenuz d'elle, et de la bonne amytié esloignée d'ambition et d'avarice qu'il luy pourtoit, elle m'a dict et juré, non sans changement de colleur, qui luy est montée bien vermeille au visage, qu'elle n'avoit, à ceste heure, nul plus grand doubte que de ne se trouver, avec tout son royaulme et toute sa couronne, assés digne pour ung si excellent prince; et que néantmoins, sur ce que son ambassadeur luy mandoit d'envoyer les aultres articles, premier que d'avoir accordé de celluy de la religion, qu'elle ne sçavoit comme, avec son honneur, elle le pourroit faire; et, si c'estoit Monsieur qui seul les heust de mandez, qu'elle s'efforceroit de s'en excuser, mais puysque le Roy les vouloit avoir, elle regarderoit comment l'en pouvoir contanter, et m'y feroit responce avant le troisiesme jour de Pentecoste.
J'ay suyvy à luy dire que je la suplyois que, comme Voz Majestez et Mon dict Seigneur lui faisiez veoir une claire et nette procédure de vostre cueur en cest endroict, avec ung ferme propos d'acomplyr tout ce que lui prométriez, que de mesmes elle y vollust procéder franchement de son costé, sans longueur ny remises, et sans ambiguité, et vous envoyer à cest effect, suyvant la promesse de son ambassadeur, le reste des condicions qu'elle vouloit estre apposées au contract, et que icelles fussent raysonnables, comme elle et ses deux conseilliers m'avoient toutjour promiz qu'elles le seroient, et qu'elle ne desiroit sinon les semblables, qui avoient esté réservées à la feue Royne sa sœur.
Elle m'a répliqué que, à la vérité, ce seroient celles mesmes, sinon qu'elle ne demandoit que Monsieur fît son douaire si grand comme le Roy d'Espaigne avoit faict celluy de sa sœur, parce qu'il n'estoit si riche; et que les difficultés seroient fort petites en toute aultre chose, fors en l'article de la religion, mais qu'en icelluy tout ce que Voz Majestez mettroient en considération, pour l'honneur et conscience de Monsieur, l'admonestoit à elle de son honneur et conscience; et qu'elle voyoit bien que, de toute la Chrestienté, l'on auroit l'œil merveilleusement ouvert sur cest acte, duquel elle avoit desjà surprins des lettres, qu'on en escripvoit à Rome, à Naples et en Espaigne, où l'on affermoit qu'il cousteroit ung million d'or au Roy d'Espaigne ou il l'interromproit, ce qu'elle ne pensoit pas qu'il le peult faire, au moins du costé de deçà, car toutz les subjectz d'elle y avoient grande affection, et mesmes une fort grande espérance, sans laquelle, avant clorre leur parlement, ilz luy en eussent faict la mesme instance qu'ilz avoient faicte d'aultrefoys, et elle en avoit eu bien grand peur.
Et, sur cella, après avoir dilligentement escouté ce que je luy en ay respondu à chacun poinct, qui seroit long à mettre icy, et voyant que je me pleignoys qu'elle n'avoit envoyé à son ambassadeur les responces des premiers articles, ainsy qu'elles avoient esté arrestées en ma présence, elle a appelé milord de Burlay et luy en a demandé quelque rayson assés asprement, mais il s'est excusé qu'il avoit atandu que je luy envoyasse les poinctz qu'il failloit réformer; et, au reste, il a confirmé à la dicte Dame qu'elle deust envoyer au Roy le reste de ses demandes.
Mr le comte de Lestre et luy m'ont pryé de randre très humbles mercys à Voz Majestez et à Mon dict Seigneur, de ce qu'il vous playt avoir agréable leur dilligence et bonne affection en cest endroict, qui promettent qu'elle ne manquera point, et m'ont infinyement mercyé du bon tesmoignage que je vous en ay randu; qui vous veulx de rechef confirmer, Madame, que le dict de Lestre me semble y marcher de bon pied, mais il a heu quelque souspeçon de milord de Burlay, de ce mesmes que je vous ay desjà mandé, et en ont heu parolles ensemble. Je doibz conférer demain secrectement avec le dict de Lestre en sa mayson, et puis avec le dict de Burlay, et de tant que icelluy de Lestre monstre desirer aussi, lui, de se pouvoir maryer en France, et qu'il a ouy parler de madame de Nevers de Montpensier, et sçay qu'il desire infinyement d'avoir son pourtraict, et qu'on luy a aussi, à ce que j'entendz, parlé de madame la princesse de Condé ou de mademoyselle la marquise d'Île de Nevers, Vostre Majesté me mandera comme j'en debvray user; car ne fault doubter que la Royne, sa Mestresse, ne le face duc, et bien fort riche en faveur de quelque honneste party, et il s'attand bien et mérite aussi d'estre gratiffié de Voz Majestez, vous suppliant très humblement de commander que le pourtrait de ma dicte dame de Nevers me soit envoyé pour l'en contanter.
Quant aulx secretz adviz que j'ay de cest affaire, il m'en est venu deux ou trois du costé des dames, qui concourent à ce que le propos est bien réchauffé et qu'on y veult procéder sans aulcune simulation; mais ung aultre bien principal personnaige m'a mandé qu'il crainct fort que toute la démonstration qui s'en faict ne tende qu'à réfroydir Voz Majestez sur les choses d'Escoce et gaigner temps, et que je m'en apercevray d'icy à bien peu de jours. Ung aultre m'a faict dire que la Royne et ses deux conseilliers se sont merveilleusement resjouys de ceste dernière dépesche de Valsingan, et qu'ilz disent que l'affaire s'en va comme conclud, avec démonstration d'en estre fort contantz; néantmoins qu'il me veult bien dire, tout librement, qu'il ne peult changer encores d'opinion que ce ne soit artiffice, parce qu'il cognoist les deux conseilliers estre eulx mesmes artifficieulx. Après que j'auray parlé à eulx et heu la responce du reste des condicions, j'escripray de rechef à Vostre Majesté et luy manderay, s'il m'est possible, une résolution, la supliant très humblement de m'excuser si je ne luy puys, pour ceste heure, donner plus de lumière et de satisfaction de ce faict, car estant ainsy restrainct qu'il est entre trois personnes, il est très difficile, et voyre impossible, que j'en puysse descouvrir plus avant. Sur ce, etc.
Ce iie jour de juing 1571.
Il sera bon cependant de gratiffier au Sr de Valsingan, et encores au Sr Cavalcanty, la bonne façon dont ilz ont dernièrement escript par deçà, et parler à toutz deux toutjour fort honnorablement de la Royne d'Angleterre et aussi de ses deux conseilliers, nomméement de milord de Burlay, avec promesse de le récompenser largement.
CLXXXIVe DÉPESCHE
—du viie jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)
Négociation du mariage du duc d'Anjou.—Débat de l'article relatif à l'exercice de la religion.—Envoi des autres articles.
A la Royne.
Madame, despuys celle que je vous ay escripte du iie de ce mois, j'ay tretté avec le comte de Lestre et avec milord de Burlay, séparéement avec chacun, et puys conjoinctement avec toutz deux, de celluy tant de foys débattu article de la religion, et de la difficulté qu'on faisoit de nouveau de ne vouloir envoyer le reste des condicions, premier que celle là fût accordée; en quoy je me suys esforcé de leur admener aultant de raysons, que j'en ay sceu alléguer, lesquelles, avec la confiance, que j'ay monstré que Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monsieur, aviez en eulx deux, avec ferme propos de leur recognoistre à très grande mesure leurs bons offices, et que je leur ay franchement dict que de ce coup avoit à résulter ou la conclusion de l'affaire à quelque vostre honneste contantement, ou bien la ropture d'icelluy à vostre très grand regrect, et avec opinion de rester moquez et quasi affrontez; et leur ayant remémoré les parolles, que leur Mestresse, et eulx, m'avoit dictes et faictes escripre, lesquelles ilz ne m'ont point dényées, ilz se sont exortez l'ung l'aultre d'entreprendre à bon esciant d'effectuer meintenant ce propos; et m'ont prié de vous en donner toute bonne espérance, me tesmoignantz, l'ung à l'envy de l'aultre, une leur tant bonne et droicte intention en cest endroict, que je ne la vous sçaurois représenter meilleure de moy mesmes qui suys asseuré, Madame, que vous la sçavez estre très parfaictement bonne. Et sur ce, ayant, chacun à part, faict office avec leur Mestresse, j'ay enfin obtenu que les dictes condicions seroient présentement dressées, et m'en seroit faicte communication pour en envoyer, eulx de leur part une coppie à leur ambassadeur, et moy une aultre à Vostre Majesté, en ce toutesfoys qu'il aparoistroit que c'estoit pour satisfaire au desir du Roy qu'elles avoient esté baillées.
Je confesse, Madame, que je n'ay rien débattu sur icelles, parce que je le laysse faire à voz Majestez par dellà, si n'est d'avoir incisté bien fort qu'on les fît raysonnables, et qu'on ne parlât aulcunement de Calais, ainsy que vous pourrez voir que j'ay gaigné ce poinct; et tout le reste est prins du mesmes contract du Roy Philippe avec la Royne Marie, sinon en l'endroict où est faicte mencion des filles, et de la succession à la couronne de France, au cas que Monsieur ou les siens y parvinssent, et aussi que, là où est laysse en blanc la somme du douayre, ilz me l'ont expéciffiée à quarante ou cinquante mil escuz: qui me semble, Madame, avec les premières responces, lesquelles je fays envoyer aussi refformées, qu'on pourra facillement parvenir en ung bon accord.
Les dicts Srs Comte et Burlay m'ont conseillé de parler despuys en la mesmes sorte à leur dicte Mestresse comme j'avois parlé à eulx, du poinct de la religion; ce que j'ay faict, sans y rien obmettre, et en façon que je l'ay veue fort esbranlée, mesmes que, oultre les aultres raysons et les occasions que je luy ay alléguées d'estre impossible que Monsieur demeurast sans exercisse de sa religion, j'ay fermement soubstenu que le feu Roy Edouart, son frère, l'avoit bien accordée pour la feue Royne d'Espaigne, vostre fille, quant on trettoit de les maryer, ce que je croy estre ainsy; et je vous supplie très humblement, Madame, de meintenir à l'ambassadeur Valsingan que, quoy qu'il ne se trouve par escript, que néantmoins il est vray.
Tant y a que la dicte Dame, après m'avoir allégué les raysons qu'elle avoit de craindre beaucoup de choses en cella, et qu'elle vouldroit bien ou que Monsieur heust aultant de l'exercice de la religion catholique, sinon seulement la messe comme il vouldroit, ou bien qu'il attandît d'avoir encores celluy là par l'ottroy d'elle, après qu'ilz seroient ensemble, elle m'a enfin respondu qu'après que le Roy aura veu ses aultres demandes, et qu'il luy aura faict une ou aultre responce sur celle de la religion, elle le résouldra incontinent après de tout ce qu'elle pourra faire, sans aulcun dilay; et bien que je l'aye conjurée de me permettre que je vous en peusse donner cependant quelque bonne espérance, ou bien qu'elle mesmes vous la donnast par la lettre qu'elle vous escriproit, elle n'a vollu passer oultre; et m'a dict que j'excédois ma commission, car n'avois charge que de demander le reste des articles.
Je ne vous sçaurois assés bien exprimer, Madame, les bonnes parolles et les démonstrations qu'au surplus elle a usé pour tesmoigner sa bonne intention et encores son affection en cest endroict, et à monstrer combien elle porte de vray amour et observance à Vostre Majesté, et combien elle prise le Roy, vostre filz, et combien elle a en grande extime les qualitez et grâces de Monsieur, m'ayant juré que, oultre le tesmoignage universel que le monde vous rend à toutz trois, que son ambassadeur et le comte de Rotheland luy en avoient dernièrement escript en une si digne façon que jamais en sa vie elle n'avoit leu ny ouy parler plus honnorablement de nulz princes de la terre; et a vollu aussi randre ung très grand mercys à moy mesmes, disant m'estre aultant obligée, comme elle le pouvoit estre à nul gentilhomme du monde, pour avoir ainsy honnorablement escript d'elle à Voz Majestez; de quoy elle feroit que Monsieur m'en remercyeroit quelque jour, et que toutz deux en auroient recognoissance, et que, sur ce que je luy offrois de l'esclarcyr de toutz les doubtes et escrupules qu'on luy pouvoit avoir imprimé du costé de luy, qu'elle n'en avoit nul sinon celluy qu'elle m'avoit dict de ne s'estimer assés digne d'un si excellant prince, et que, possible, d'icy à sept ans, quant il sera encores plus parfaict, qu'il la trouvera lors vielle, car pour ceste heure espéroit elle bien de ne luy estre trop désagréable. Et a adjouxté, en riant, que, possible, auroit il ouy parler de son pied, mais qu'on luy avoit bien aussi vollu parler de son braz, de quoy elle s'estoit mouquée, et d'aulcunes aultres choses qu'elle n'avoit point creu, et qu'elle l'estimoit en tout et partout très desirable.—«Très desirables, luy ay je respondu, qu'ilz estoient véritablement toutz deux, et qu'il ne s'y voyoit nulle aultre deffault, sinon qu'ilz ne se randoient assez tost possesseurs des perfections l'ung de l'aultre.»
Et, au partir de la dicte Dame, m'ayantz les dicts de Lestre et de Burlay reconvoyé jusques hors du logis, je me suys pleinct à eulx de n'avoir peu rapporter rien de certain sur le point de la religion; en quoy ilz m'ont prié de vous escripre que les choses en estoient en bons termes, et, qu'après vostre responce sur le dict article et sur ceulx de présent, elle vous en résouldroit incontinent. Je les ay priez de faire eslargir un peu à Mr de Valsingan la commission de pouvoir amplement tretter de toutes ces difficultez par dellà, auquel je vous suplie, de rechef, Madame, luy vouloir beaucoup gratiffier sa dernière dépesche qu'il a faicte icy, et la luy fère gratiffier par le Roy, et par Monsieur; car, à la vérité, elle a fort relevé le propos avec la comprobation que le comte de Rotheland et le Sr Cavalcanty y ont donné par leurs lettres, mais encor plus luy fault grandement gratiffier les honnorables propos que la Royne, sa Mestresse, m'a tenuz de Voz Majestez et de Monseigneur, et pareillement la bonne affection de ses deux conseillers avec large promesse de la bien récompancer; qui ne puys obmettre, Madame, de vous tesmoigner de rechef l'extrême affection que le dict de Lestre monstre avoir en cest affaire, et les dilligens offices qu'il faict veoir à chacun qu'il y faict, qui commancent aussi ne paroistre à ceste heure moindres du costé du dict de Burlay. Mais, pour ne consommer temps en négociation, il semble, Madame, qu'aussitost qu'aurez conféré avec le dict Sr de Valsingam, et que l'aurez faict aulcunement condescendre aulx honnestes advantaiges qui seront cogneuz raysonnables pour Monsieur, qu'il sera bon que Voz Majestez luy dyent que les condicions vous semblent si prochaines d'accord de l'ung costé et de l'aultre, que vous serez prestz du vostre d'en faire former et signer les articles, aussitost que la Royne, sa Mestresse, aura déclairé qu'est ce qu'elle veult faire pour Monsieur pour ne le priver de l'exercice de sa religion, et qu'il ne peult faire, ny Voz Majestez ne peuvent vouloir, qu'il soit du tout sans en avoir, et que, sur ce, il face une soubdaine dépesche par deçà; et que pareillement cestuy des miens me soit renvoyé, vous voulant bien dire, Madame, qu'ayant la matière esté cy devant proposée à neuf de ce conseil, j'ay descouvert que toutz unanimement ont respondu à leur Royne qu'elle debvoit entendre au party de Mon dict Seigneur, et luy permettre l'exercice privé de sa religion, et luy ottroyer toutes raysonnables condicions; qui me faict esbahyr d'où vient à ceste heure ceste difficulté, car je voys bien qu'elle mesmes et toute la Chrestienté n'auroient bonne estime de Mon dict Seigneur, s'il quictoit ce point. Or, après que les présentes condicions ont esté dressées, mais avant que j'aye heu l'aultre responce de la dicte Dame, le Sr Dupin est arrivé avec les lettres de Voz Majestez et de Monseigneur, et de monsieur de Montmorency, lesquelles ont grandement confirmé l'opinion et l'affection des deux conseillers, qui les ont aussitost communiquées à leur Mestresse; et par le dict mesmes Dupin Vostre Majesté entendra l'advancement qu'elles et sa venue ont apporté à la négociation. Le Sr de Vassal, présent pourteur, vous racomptera d'aultres privez propos que les dicts de Lestre et Burlay m'ont tenuz par lesquelz, sinon qu'ilz soient du tout sans Dieu et sans foy, ilz monstrent que l'affaire est pour réuscyr à bonne fin. Et néantmoins, pendant qu'ilz ont ainsy ardentment négocié avecques moy, il m'est venu ung adviz, de fort bon lieu, qui m'admoneste de ne leur donner foy ny créance, et qu'ilz ne vont en tout que par simulation; et d'ailleurs, l'on m'a mandé qu'ilz n'entretiennent ainsy ce propos que pour attandre le retour de Coban, mais l'on n'en demeurera longtemps en erreur. Sur ce, etc.
Ce viie jour de juing 1571.
PAR POSTILLE.
Despuys la présente escripte, Mr le comte de Lestre, sur une négociation, que par ung nostre commun amy nous menons ensemble, m'a mandé avoir infinyement exorté la Royne, sa Mestresse, de ne se vouloir retarder à elle mesmes le bien, l'honneur, la seureté et le contantement qui luy vient de ce mariage, et qu'il luy avoit admené quatre de ses principaux conseillers pour l'en suplyer, et pour la persuader de ne contradire plus à ce point de la religion. En quoy, encor qu'elle ne leur eust rien vollu accorder en présence, néantmoins à luy, à part, elle avoit dict qu'ilz ne la debvoient juger telle qu'elle vollût son mary estre sans l'exercice de sa religion, ny le presser d'assister, à regrect, à une aultre forme de religion contre sa conscience, néantmoins qu'elle estoit contraincte de tenir le plus ferme qu'elle pourroit en cella pour le respect de eulx mesmes; et pourtant que le dict sieur comte me prioyt de conseiller à Monsieur qu'il vollût tant defférer à la dicte Dame de dire à son ambassadeur, ou bien luy escripre à elle, ou à moy pour le luy dire à elle, que, pour la singulière amytié et bonne affection qu'il luy porte, il ne crainct de luy remettre entièrement ce point pour, en honneur et conscience, luy en ottroyer aultant comme elle cognoistra que, sans son honneur et sans sa conscience, il ne se pourroit passer d'en avoir, et qu'il espère tant de sa bonté et vertu que eulx deux en demeureront bien d'accord; et cependant que le dict sieur comte estoit d'adviz que, sur ce qui en est couché aux premières responces, l'on passe oultre à conclurre le reste des articles et des condicions, et qu'il a obtenu desjà qu'il aura la charge d'aller quérir Mon dict Seigneur: dont, si cella pouvoit estre pendant le progrez de la dicte Dame, laquelle va vers Coventry, et que les nopces se peussent cellébrer en une sienne mayson, qu'il a en ce quartier là, laquelle s'appelle Quilingourt, il s'estimeroit très heureux.
CLXXXVe DÉPESCHE
—du ixe jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Lucas Fach.)
Clôture du parlement.—Exécution de Storey.—Nouvelles d'Écosse.—Résolution prise par Élisabeth d'envoyer des troupes au comte de Lennox.—Accusation portée contre le duc de Norfolk d'avoir adressé de l'argent en Écosse.
Au Roy.
Sire, le iie de ce moys, vigille de la Pentecoste, la Royne d'Angleterre est allé elle mesmes clorre son parlement, et ceux qui estoient présens m'ont asseuré que ce a esté par ung parler si digne et honnorable, et encores si grave et elloquent, que la pluspart de l'assemblée en a esté esmerveillée; et toutz en sont restez fort contantz. Elle a rejetté par bonnes raysons les nouvelles loix et les contrainctes qu'on requéroit estre imposées sur l'observance de leur religion, ayant layssé les choses comme elles estoient, et a confirmé en quelque partie la loy de lèze majesté pour la seurté d'elle et de son estat o[8] protestation que le tiltre d'aulcun qui prétande droict à la succession de ce royaulme, n'en puysse estre intéressé; elle a remercyé l'assemblée de l'ottroy du subcide, et a confirmé, au reste, la pluspart de leurs aultres demandes. Il semble que le parlement n'a esté du tout finy, ains qu'on y a miz poinct, ainsy qu'ilz disent, pour le pouvoir continuer, quant les affaires de la Royne et du royaulme le requerront.
Le docteur Estory[9] a esté enfin exécuté à mort, en l'eage de 80 ans, nonobstant la remonstrance de l'ambassadeur d'Espaigne, et nonobstant qu'il se soit toutjour opiniastrément meintenu estre subject du Roy Catholique; mais ceste Royne a respondu:—«Que le dict Roy auroit bien la teste, s'il la vouloit, mais que le corps demeureroit en Angleterre.» Plusieurs des seigneurs de court et du conseil ont assisté à l'exécution, espérant tirer de luy, à sa fin, ce qu'il pouvoit avoir entendu de l'entreprinse du duc d'Alve et des fuytifz Anglois, qui sont en Flandres, contre ce royaulme, et pareillement quelque déclaration s'il ne recognoissoit pas la Royne d'Angleterre pour sa vraye et légitime princesse, avec toute authorité temporelle et ecclésiastique en ce pays; mais ilz n'en ont rien raporté qui les ayt contentez.
Le comte de Lenoz, se trouvant à l'estroit, a envoyé en dilligence solliciter icy du secours, et ont les lettres du mareschal de Barvyc, qui a desjà conféré avecques luy, joinct la bonne estime du Sr Briquonel, le plus renommé cappitaine d'Angleterre, qui les a apportées, esté de grand moment pour faire mettre la cause en dellibération; en laquelle, après avoir cogneu, par le jugement mesmes du dict Bricquonel, que l'entreprinse d'assiéger le chasteau de Lislebourg seroit très difficile et de grand despence, il a esté advisé de n'envoyer point pour encores d'armée par dellà. Mais voycy, Sire, ce qui a esté ordonné, et à quoy il a esté, quant et quant, pourveu: que le dict Bricquonel yra promptement trouver le dict de Lenoz à Esterlin, avec deux centz harquebuziers, pour demeurer là à la garde du petit Prince, et que icelluy de Lenoz, avec cinq centz soldatz escouçoys, entretenuz aulx dépens de la Royne d'Angleterre, pourra aller courre sur ceulx de l'aultre party, et se saysir du Petit Lict, s'il luy est possible; que le mareschal de Barvyc s'entremettra cependant de mettre en quelque accord les ungs et les aultres à la confirmation de l'authorité du petit Prince, aultant qu'il le pourra faire, menaçant ceulx du party de la Royne à toute extrémité. Qui est tout ce que, pour le présent, je puys descouvrir au vray avoir esté résolu en ce faict, bien qu'on ayt renvoyé le Sr de Cuniguem avec beaucoup d'aultres grandes promesses devers le dict de Lenoz. Cella crains je, Sire, que, de tant que icelluy cappitaine Briquonel, lequel part tout à ceste heure, doibt, à ce que j'entendz, embarquer les dict deux centz hommes, que ce ne soit pour aller enlever le Prince d'Escoce et le transporter de deçà, ou bien pour mettre ceste garnyson dans Dombertran au lieu de la conduyre à Esterlin; vray est qu'on m'a asseuré que le comte de Morthon s'est vivement opposé qu'on n'y mette point d'Anglois, et en est pour cella en assés mauvais prédicament en ceste court, encor qu'il se soit rabillé avec le dict de Lenoz, lequel luy a cédé les terres, d'où le différant estoit nay entre eulx. La comtesse de Lenoz s'est fort escryée que les adversayres de son mary et de son filz estoient secouruz d'argent de France, de Flandres et encores de quelque endroict d'Angleterre, dont l'on en a chargé le duc de Norfolc, et en est la Royne d'Angleterre entrée en telle indignation contre luy qu'elle a curieusement cerché, avec des gens de loix et de justice, s'il y auroit nulle juste prinse sur luy pour le pouvoir bien chastier, mais il se trouve de plus en plus net et deschargé de tout crime. J'attandz responce de Vostre Majesté sur la continuation de l'instance que j'auray à faire à la Royne d'Angleterre pour les choses d'Escoce, sellon que j'ay commancé de les luy proposer, et aussi ce que j'auray à luy dire de vostre part sur la détention de l'évesque de Roz son ambassadeur, qui attand tout son remède de l'assistance qu'il vous plairra luy faire. Sur ce, etc. Ce ixe jour de juing 1571.
J'entends que le deuxiesme de ce mois ceulx de Lillebourg se devoient mettre en campaigne pour aller exécuter quelque brave entreprinse. Je ne sçay encores ce qui en aura succédé.
CLXXXVIe DÉPESCHE
—du xiiiie jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Dièpe par Petit Bron.)
Avantages remportés en Écosse par les partisans de Marie Stuart.—Nouveaux secours envoyés d'Angleterre au comte de Lennox.—Négociations des Anglais avec l'Espagne.—Nouvelle de la blessure reçue par le roi.
Au Roy.
Sire, l'entreprinse, que ceulx de Lillebourg ont faicte, de sortyr en campaigne le iie de ce mois, ainsy que je le vous ay mandé par postille en mes précédantes, a esté pour surprendre le comte de Morthon en sa mayson de Datquier; lequel, en estant adverty, s'est miz aulx champs pour les combattre, estant luy mesmes avecques ses gens de pied, et ung sien parant conduysoit ses gens de cheval, ce qu'entendans les aultres ont faict arrester deux pièces d'artillerye qu'ilz menoient, et ont renvoyé une partie de leurs chevaulx pour attaquer le combat à pied, qui a esté assés aspre en ung lieu estroict, d'où le dict de Morthon, ayant faict aprocher ses gens de cheval, a miz peyne de se retirer à saulvetté: et y a heu de morts ou prins, de chacun costé, envyron trente hommes. (Il est survenu ung mauvais accidant à ceulx de Lislebourg, que le cappitaine Melain voulant distribuer de la pouldre aulx soldatz, le feu s'y est miz qui l'a tout brullé, et envyron douze à quinze des siens.) De cest exploict d'iceulx de Lillebourg ont les dicts de Morthon et le comte de Lenoz prins ocasion de presser davantaige la Royne d'Angleterre de leur envoyer secours, mais elle n'en a ordonné d'aultre que je sache, pour encores, que de ces deux centz harquebuziers (que je vous ay desjà escript, qui sont envoyez, ainsy que ceulx cy disent, à Esterlin pour la garde du petit Prince, de peur que ceulx de l'aultre party, lesquelz sont à présent les supérieurs, le veuillent enlever par force), et dix mil escuz, que j'entendz qu'on prépare d'envoyer au mareschal de Barvyc pour les employer à relever et fortiffier la part du dict de Lenoz.
L'on m'a dict aussi qu'on lève des gens vers le North et que les principaulx cappitaines et gens de guerre d'icy s'y acheminent, s'aprochans de la frontière d'Escoce par prétexte que icelluy Morthon a mandé que le layr de Fernihnost et les deux frères de Clarmes ont entreprins de reprandre le chasteau de Humes, et que le mareschal de Barvyc a escript que milord de Humes luy a juré qu'il se revanchera des Anglois qui luy ont prins sa mayson et brullé ses villages, et qui, avec quelque couleur de religion, vont faisant la guerre à ceulx qui sont meilleurs protestants que eulx. De quoy la Royne d'Angleterre est entrée en grande indignation; et néantmoins je n'ay nul certain adviz qu'elle ayt rien ordonné davantaige que les dicts deux centz hommes et les deniers, lesquelz ne sont encores envoyez. Sur quoy, Sire, je n'ay vollu faillir de faire une opposition, au nom de Vostre Majesté, et protester de l'infraction des trettez; et, encores qu'on me veuille donner entendre que la dicte Dame a envoyé de bonne foy le susdict mareschal de Barvyc devers les deux partys, pour les exorter à ung bon accord ou néantmoins à vouloir faire quelque abstinance d'armes, pendant qu'ilz renvoyeront leurs depputez par deçà pour parachever le tretté, et qu'elle ne se veult entremettre de leur guerre sinon avec le consens de Vostre Majesté, néantmoins je voys que l'intention de ceulx de son conseil va toutjour à entretenir la division dans le royaulme, et faire que la part du comte de Lenoz reste la plus forte, et que la Royne d'Escoce demeure sans authorité, et qu'ils puyssent gaigner temps, pour y exécuter puys après d'aultres plus grandes choses, quand ilz verront leur point. Et cependant, Sire, ilz vont en beaucoup de sortes pourchassant de racointer le Roy d'Espaigne, ayant de nouveau faict plusieurs fort estroictes et rigoureuses ordonnances contre ceulx qui s'entretiennent en ceste mer au nom du prince d'Orange, qui font la guerre aux Espaignols et Flamans, pour les chasser, eulx et leurs vaysseaulx, de touz les portz et de la retrette de deçà; et hyer milord Sideney envoya prier l'ambassadeur d'Espaigne, de luy faire venyr ung passeport du duc d'Alve pour pouvoir aller aulx bains de Liège, et que ce ne sera sans qu'il aille bayser la main à Bruxelles et luy faire entendre des choses qui le contanteroient: à quoy le dict ambassadeur a fort vollontiers presté l'oreille; et s'attendent, d'ung costé et d'aultre, que le jeune Coban raportera de fort bonnes responces du Roy Catholique. J'estime, Sire, que ceulx de ce dict conseil ne veulent sinon entretenir de bien habilles négociations sans en conduyre pas une à fin, parce que cella leur sert grandement à pouvoir manyer à leur proffict toute l'authorité et les revenuz de ce royaulme. Sur ce, etc.
Ce xive jour de juing 1571.
Tout présentement milord de Burlay me vient d'envoyer ung de ses gens pour me communiquer une lettre qu'il a receue de France, en laquelle l'on luy faict mencion de la blessure de Vostre Majesté; de quoy j'ay esté merveilleusement marry. Néantmoins j'ay loué et remercyé Dieu que, par la mesmes lettre, j'ay veu que c'estoit sans péril et hors de tout dangier de vostre personne. Il vous plairra, Sire, commander que, par la première dépesche, il me soit faicte mencion du dict accidant affin d'en satisfaire la Royne d'Angleterre.
CLXXXVIIe DÉPESCHE
—du xxe jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Audience.—Détails sur la blessure du roi.—Assurance donnée par Élisabeth qu'elle ne veut envoyer aucun secours en Écosse.—Sollicitation faite, au nom du roi, pour obtenir la liberté de l'évêque de Ross.—Gravité des accusations portées par la reine contre l'évêque.—Craintes inspirées en France par les projets des Espagnols en Italie.—Efforts du comte de Lennox pour rappeler Bothwel en Écosse.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage du duc d'Anjou.—Proposition du mariage d'Élisabeth avec le fils ainé de l'empereur.
Au Roy.
Sire, la blessure de Vostre Majesté a esté publiée si grande et si dangereuse en ceste court, que j'en ay esté en une merveilleuse peyne, et l'eusse esté en beaucoup plus grande sans ce que monsieur Pinart, en la dépesche du propre jour de l'accidant, me manda de luy mesmes qu'il n'y avoit nul dangier, dont j'en rendz grâces à Nostre Seigneur; et, parce que la Royne d'Angleterre a monstré qu'elle en estoit extrêmement marrye, j'ay bien vollu sur telle asseurance luy aller dire que Vostre Majesté m'avoit commandé de luy compter ceste vostre advanture, comme à celle qui estiez très asseuré que ne vous en desiroit pas une que bonne, et qui seroit marrye qu'il vous en advînt de mauvaise, luy particularisant comme cella estoit advenu, le mardy matin cinquiesme du présent, en courant le cerf, et qu'encores qu'il n'avoit peu estre que le coup ne fût rude, hurtant à une branche d'arbre de toute la force du cheval, néantmoins ce avoit esté en tel endroict de la teste qu'il n'y avoit nul périlh, et que Dieu, lequel vous n'aviez failli d'invoquer le matin avant partir, sellon vostre chrestienne coustume, et qui avoit aussi ouy la prière de tant de miliers de personnes, à qui la vie de Vostre Majesté est très précieuse, avoit miz la main au devant; dont espérois de pouvoir asseurer, par les premières nouvelles de France, la dicte Dame que vous ne vous en sentyriez plus nullement.
Elle, joignant les mains, et remercyant Dieu avec grande démonstration d'ayse, m'a respondu que mal ayséement vouldra l'on croyre, et elle mesmes ne l'eust pensé, que ung tel accident luy eust touché tant au cueur comme il avoit faict, mais qu'elle vous pryoit, Sire, ne doubter qu'après les deux Roynes Très Chrestiennes, et Nosseigneurs voz frères, et Mesdames voz sœurs, nul entre les mortels n'eust esté plus marrye qu'elle de la perte de Vostre Majesté; laquelle elle prise et ayme singulièrement pour les excellantes valleurs et vertuz que Dieu y a mises, et aussi pour cognoistre qu'aujourduy, Sire, vous estes le plus nécessaire prince de la Chrestienté; dont me remercyoit de la tant bonne nouvelle que je luy en avois apportée, et que, pour en estre plus asseurée, de tant que ce que je luy en disois estoit devant le segond et troisiesme apareil, elle ne layrroit de dépescher le jeune Housdon devers Vostre Majesté, comme elle avoit desjà proposé de le faire, pour luy en raporter toute certitude; et qu'elle vous suplioyt, Sire, de penser que par ce peu de mal Dieu vous avoit vollu préserver d'ung plus grand inconvéniant à l'advenir, et vous advertyr que veuillez doresenavant tenir vostre personne plus chère, comme estant d'ung inestimable prix au monde. Et puys a passé à me dire qu'elle avoit prins de bonne part ce que j'avois escript au comte de Lestre des choses d'Escoce, et que, dez le jour précédant, elle avoit donné charge à milord de Burlay de m'y faire responce, mais parce qu'il avoit esté occupé, elle mesmes m'y respondroit à ceste heure, c'est qu'elle n'avoit envoyé ny envoyeroit nulles forces, non pas d'ung seul homme, en Escoce, et qu'elle avoit mandé à son mareschal de Barvyc d'exorter les deux partys à ung bon accord, ou au moins à prendre encores une bonne abstinance de guerre entre eulx, jusques à ce qu'on auroit trouvé moyen de les paciffier du tout; qu'il les pressât de renvoyer, de toutz les deux costez, leurs depputez pour parachever le tretté, et qu'au reste il advertyst bien ceulx de Lillebourg que, s'ilz s'esforçoient de vouloir saysir par force le petit Prince, qu'elle envoyeroit des gens à Esterlin pour les en garder.
Je l'ay remercyé de sa bonne responce, et que, pour ne la fâcher plus de ces affaires, je ne luy dirois sinon que je l'escriprois ainsy à Vostre Majesté, et qu'encores me grevoit il assés que j'eusse à luy parler de monsieur l'évesque de Roz, pour lequel vous ayant Mr de Glasco fort expressément prié, et, possible, à l'instance des aultres ambassadeurs qui sont prez de Vostre Majesté, de vouloir escripre en sa recommandation à la dicte Dame, que vous luy en aviez faict une lettre, laquelle je la prioys vouloir prandre de bonne part, et luy ottroyer, pour l'amour de vous, sa liberté.
La dicte Dame a leu la lettre, et puys m'a respondu assés soubdain qu'elle ne pouvoit prandre de bonne part que Vostre Majesté luy en escripvît en ceste façon; car, veu ce que le dict évesque avoit entreprins contre elle, elle ne le trettoit que trop gracieusement, l'ayant faict mettre en ung lieu honneste et sain, bien qu'avec quelque garde, et que nul n'avoit à s'esbahyr si elle vouloit aprofondir le faict de ceste grande entreprinse, qu'il avoit dressée, de faire descendre des estrangiers en certains portz de ce royaulme, et faire ellever aulcuns des naturels de ce pays pour s'y joindre, et faire édiffier ung fort non guières loing de Londres pour y faire la première masse, et commancer d'y relever l'authorité de sa Mestresse comme légitime Royne, contre elle qu'il disoit estre illégitime; et qu'elle vouloit sçavoir à qui il avoit baillé les deux lettres merquées de 40 et de 30, puysque la Royne d'Escoce et l'ambassadeur d'Espaigne affermoient que ce n'avoit pas esté à eulx; et qu'au reste le dict évesque n'estoit plus lors réputé ambassadeur, quant il fut resserré, car avoit excédé son office, et sa Mestresse l'a despuys désadvouhé, ainsy que desjà elle le luy avoit escript de sa main, et désadvouhe pareillement toutes les pratiques que luy et Ridolphy ont eu ensemble. Lesquelles la dicte Royne d'Angleterre asseuroit ne luy estre plus incogneues, ny celles que icelluy Ridolphy avoit menées en Flandres avec le duc d'Alve, ny celles qu'il avoit despuys faictes à Rome et par les chemins; et qu'elle s'esbahyssoit par trop comme, parmy le propos qui se trettoit d'une plus estroicte alliance, Vostre Majesté y mesloit ceste matière qui luy estoit tant à contre cueur; et qu'il sembloit que, de vostre costé, Sire, vous vollussiez faire vray le dire du Machiavel, «que l'amytié des princes ne va qu'avec leur commodité», et que si le susdict propos ne venoit à bonne fin, qu'il ne fauldroit pas qu'elle fît grand estat de la vostre.
Je luy ay coupé assés court ce propos, la pryant seulement de prendre argument tout contraire de ce qu'elle vous voyoit tant constamment persévérer vers la Royne d'Escoce et ses affaires, car cella vous randoit tesmoignage que vous sçaviez estandre vostre amytié oultre vostre commodité, et que vous n'estiez pour deffaillyr en nul temps à ceulx de vostre alliance, ce qui luy debvoit à elle mesmes faire venir plus d'envye de la desirer; et suys passé à luy dire qu'aprez l'estat de vostre personne, vous me commandiez de luy faire entendre de celluy de voz affaires, comme les gouverneurs de voz places, qu'avez en Piedmond et Salusses, avoient prins souspeçon d'aulcunes forces que le Roy d'Espaigne y avoit faictes aprocher pour se saysir du marquisat de Final, mais qu'après avoir exécuté leur entreprinse, ils s'en estoient retournez sans toucher à rien où vous eussiez intérest, et que le Roy d'Espaigne vous en avoit donné si bonne satisfaction que vous demeuriez en plus ferme et estroicte intelligence ensemble que jamais.
Elle m'a respondu qu'elle estoit bien fort ayse de veoir persévérer deux telz grandz princes, ses allyez, en mutuelle amytié, car de là dépendoit le repoz de la Chrestienté, et qu'elle ne s'esbahyssoit pas si les gouverneurs de voz places avoient heu deffiance des Espaignolz, car elle avoit adviz de Rome qu'au sortyr de conclurre la ligue, ung cardinal avoit dict qu'à ceste heure ne failloit plus que nul s'advouhât François en toute l'Ytallie, et qu'on les renvoyeroit bientost trestoutz par deçà les montz, ce qu'elle avoit desiré me dire il y avoit plus de huict jours.
Je luy ay respondu, qu'ayant la ligue esté dressée dans Rome, il estoit à croyre qu'on y avoit parlé des choses que ceulx du concistoire avoient à cueur, comme de la forme de la religion d'Angleterre et de la paciffication de France, et que Vostre Majesté et la dicte Dame feriez bien de prandre garde à ce qui se pourroit dresser, quelle part que ce fût, contre le repoz de voz estatz, pour mutuellement vous en advertyr.
A quoy elle m'a soubdain respondu, et avec affection, que s'il playsoit à Vostre Majesté d'en user ainsy, qu'elle y satisferoit fort fidellement de son costé.
Je laysse plusieurs aultres propos d'entre la dicte Dame et moy, qui seroient, possible, trop longs icy, pour, au reste, vous dire, Sire, que, par ordonnance de ceulx de ce conseil, le comte de Lenoz a envoyé en Dannemarc pour consentyr à la restitution du comte de Boudouel, comme très oportune pour luy et pour ses affaires, et promettre au roy de Dannemarc que cella ne tournera jamais à rien de son dommaige, et que la mesmes courtoysie de sa royalle protection, dont il a usé envers le dict Boudouel, ne luy sera dényée à luy mesmes et aulx siens par la Royne d'Angleterre et par le jeune Roy d'Escoce, en leurs royaulmes, quant l'ocasion s'y offrira: ce que le dict de Lenoz mande que le dict roy de Dannemarc a accordé, en luy baillant la susdicte promesse par escript, signée et scellée en bonne forme, et donne entendre que le Sr d'Anze, vostre ambassadeur par dellà, le consent ainsy, et que les parties de toutz costez ont promiz de l'accomplyr dans le jour de Sr Berthèlemy, qui est le xxiiiie d'aoust prochain. Dont les amys de la Royne d'Escoce supplient très humblement Vostre Majesté de ne vouloir permettre telle chose, ains de la remédier, le plus promptement que faire se pourra, de tant que le retour du dict Boudouel viendroit traverser tout le bon ordre qu'avez commancé de donner aulx choses du dict royaulme, et luy mesmes seroit conduict icy pour achever de ruyner les affaires et la réputation de ceste pouvre princesse. Sur ce, etc. Ce xxe jour de juing 1571.
A la Royne.
(Lettre à part.)
Madame, ce que j'escriptz au Roy, par le pacquet ordinaire, vous fera veoir qu'il n'est possible que je use de nul si grand respect vers la Royne d'Angleterre ez choses d'Escoce, qu'elle n'y trouve toutjour de l'offance, mais je la vays rabillant le mieulx que je puys, et cognois que la réputation du Roy et celle de ses affaires vont chacun jour gaignant quelque chose de plus en ceste isle par le maintien de ceste cause, ce qui faict que je ne vous puys conseiller de l'abandonner; et le propos du mariage ne laysse pour cella de se bien porter, ayant trouvé, par le parler et par toutes les contennances et démonstrations de la Royne d'Angleterre, qu'elle persévère en sa bonne vollonté et qu'elle a de tant plus dévottement prié Dieu pour la convalescence du Roy qu'elle a crainct, s'il mésadvenoit de luy, qu'elle ne peult avoir Monsieur, son frère, et ne me l'a point dissimulé. Le comte de Lestre m'a adverty qu'aussitost que le Sr Thomas Fiesque a esté par deçà, il luy est venu dire que plusieurs considérations avoient meu le duc d'Alve de ne se pouvoir persuader que le mariage de la Royne, sa Mestresse, avec Monsieur deubt jamais sortyr effect, tant pour l'ancienne inimitié des nations, et pour les injures et dommaiges receuz des Françoys, et pour les désadvantaiges qu'elle et son royaulme y auroient, que pour le peu de seure amytié qu'elle pourroit jamais establyr avecques le Roy, ny recouvrer de luy Calais; mais, si elle, à bon esciant, se vouloit maryer, il luy sçavoit ung party qui estoit le plus honnorable et advantaigeux de toute la Chrestienté. A quoy le comte avoit respondu que indubitablement la dicte Dame se vouloit maryer avec ung prince de sa qualité; et que lors icelluy Fiesque avoit suyvy à luy dire qu'il avoit donques charge de luy nommer le party que le duc d'Alve vouloit dire, lequel estoit du filz ayné de l'Empereur, prince de grand honneur et de grand vertu, fort beau, de belle taille et disposition, d'eaige aprochant de celluy de Monsieur, et qui plus que luy pouvoit faire toutes conditions grandes, advantaigeuses et honnorables à la dicte Dame, et l'alliance s'en continueroit plus agréable à tout ce royaulme que ne pouvoit estre celle de France; et que, tout sur l'heure, il dépescheroit ung poste pour en advertyr le duc, lequel ne fauldroit, avant quinze jours, d'en mander une si bonne et si certaine promesse de l'Empereur que la dicte Dame en demeureroit très contante, et icelluy sieur comte fort grandement gratiffié des bons offices qu'il y feroit; et qu'à bout de quinze jours n'estant encore la dicte responce venue, mais seulement une petite lettre du dict duc, icelluy Fiesque estoit retourné supplier fort instantment le dict sieur comte qu'il vollût faire supercéder, encores pour six jours, la conclusion du propos de Monsieur, et que, dans le septiesme, la responce de l'Empereur, telle que la Royne la pourroit desirer, seroit sans aulcun doubte arrivée. A quoy le dict comte luy avoit respondu qu'il estoit venu tard, et qu'il ne le vouloit entretenir en espérance, l'advertissant que les choses estoient desjà conclues avecques Monsieur; de quoy le dict Fiesque estoit demeuré triste et estonné à merveilles, lequel n'avoit, despuys son arrivée, cessé de solliciter par promesses et par présens plusieurs de ceste court à l'affection du dict party.
J'ay remercyé le dict sieur comte de son bon office et de l'advertissement qu'il m'en donnoit, et l'ay asseuré que j'avois escript à bon esciant en fort bonne sorte à Vostre Majesté pour faire venir bientost le propos à bonne conclusion, et que je n'avois obmiz rien de ce qui le concernoit à luy en son particullier, ayant envoyé son pourtraict et procuré de luy faire avoir celluy d'une très belle et vertueuse princesse, en quoy, Madame, je vous suplie très humblement qu'il luy soit donné le plus de satisfaction que faire se pourra; car l'on s'esforce fort de le destorner du bon chemin qu'il a tenu jusques icy au propos de Mon dict Seigneur. Et m'a l'on révellé, de bon lieu et grand, que, quant je demanday naguières le reste des condicions, et qu'il fut miz en dellibération si la restitution de Callais y seroit apposée, que le dict sieur comte avoit, ne sçay à quelle occasion, oppiné qu'on l'y debvoit mettre, mais que la dicte Dame, en demeurant en quelque doubte à cause de ce que je luy en avois auparavant dict, fut par le comte de Sussex et millord de Burlay résolue de ne le debvoir faire. Et ung de ceulx, que je réputte des plus certains et plus importantz amys qui sont par deçà de ceste cause, craignant le changement des vollontez, m'a mandé, de sa main, ces propres motz:—«Nous desirons que Monsieur ne soit difficile aulx conditions, car, s'il vient, il aura ce qu'il vouldra, et, par sa venue, il se fera icy une grande mutation pour les bons, et ne manqueront amys qui pour ceste heure ne se monstrent; par ainsi, faictes bonne euvre en cest endroict comme faictes ez aultres.» Lequel conseil, Madame, je vous ay bien vollu mander avec les aultres choses de cy dessus; et qu'on m'a asseuré, encores d'ailleurs, qu'on tient icy toutes dellibérations et affaires en suspens, attandant la responce que Voz Majestez feront sur la conclusion du dict mariage. Sur ce, etc.
Ce xxe jour de juing 1571.
CLXXXVIIIe DÉPESCHE
—du xxiiie jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne le postillon.)
Meilleur traitement fait à l'évêque de Ross.—Nouvelles d'Écosse.—Insistance de l'ambassadeur, au nom de Marie Stuart, pour que le roi s'oppose à la mise en liberté de Bothwel.—Accord d'Élisabeth avec les princes protestans pour faire des levées d'hommes en Allemagne.—Mise en liberté du comte de Hertford.—Négociation des Pays-Bas.—Prise de Leith par le comte de Morton.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage.—Discussion des articles.
Au Roy.
Sire, il vous aura esté aysé de cognoistre, par mes précédantes lettres du xxe du présent, comme, à la contradiction que la Royne d'Angleterre m'a faicte sur l'instance de la liberté de Mr de Roz et des aultres choses d'Escoce, je n'ay vollu contentieusement emporter le dernier mot sur elle, ains, pour ne l'aigrir davantaige, je me suys contanté d'aulcunes gracieuses répliques; lesquelles enfin, après qu'elle les a heues bien considérées, ont produict meilleur effect que je n'espérois, car, le jour d'après, elle a faict procéder à l'examen du dict évesque sur les mesmes choses, ou peu dissemblables, que la première foys, et en beaucoup plus gracieuse façon, de sorte qu'il rend les très humbles grâces à Vostre Majesté du sollaigement qu'il a desjà commancé de sentyr par la protection en quoy il vous a pleu le prendre; qui pourtant vous demeure très obligé et dévot serviteur, et plus encoragé que jamais à souffrir toutes extrémitez pour la Royne, sa Mestresse. Et la Royne d'Angleterre, aussi de son costé, a commancé de penser plus modéréement ès dictes choses d'Escoce, délayssant celle tant précipitée dellibération qu'elle avoit faicte d'y envoyer des gens, pour retourner à la poursuitte du tretté; et entendz, Sire, qu'elle procure de faire venir, entre aultres depputez de dellà, le Sr de Ledinthon, de quoy je serois bien ayse pour la confiance que la Royne d'Escoce a meintenant en luy, et qu'il est homme pour bien se démesler des difficultez qu'on luy pourroit faire; mais cella m'est suspect que sa venue est pourchassée de ceulx cy, dont la fauldra de tant plus observer: je ne sçay s'il se vouldra hazarder de faire le voyage.
J'entendz que le cappitaine Melvin est mort de ceste bruslure de poudre, et que ceulx de Lillebourg ont abattu tout le faulxbourg de Queneguet, où le comte de Lenoz avoit tenu son parlement, et qu'ilz ont retiré grand nombre de vivres dedans le chasteau de Lillebourg. Je suys de rechef fort instantment sollicité de suplier Vostre Majesté d'empescher en toutes sortes le retour du comte de Boudouel, car l'on estime que nul plus grand escandalle à la réputation de ceste pauvre princesse, ny nul plus grand destorbier à ses affaires et à ceulx de vostre service par deçà, ne sçauroit venir de nulle aultre chose qu'on peult pratiquer au monde. Et, au reste, Sire, affin que Vostre Majesté voye de quelle grandeur de cueur et patience la Royne d'Escoce dellibère d'attandre l'yssue de ses affaires, je vous envoye l'extraict d'une lettre qu'elle m'a escripte, du xiie de ce mois[10], sur laquelle je vous diray seulement que je ne puys vériffier en façon du monde que les trois centz Anglois, dont elle faict mencion, soyent coulez en Escoce; ains m'asseure l'on par divers aduiz qu'il n'en y est encores entré pas ung en armes, dont je travailleray de le sçavoir encores plus au vray, affin de vous en advertyr.
Et quant aulx choses que le docteur Dumont a négociées icy, elles ont esté pour la pluspart en confirmation de celles que, l'année précédente, le Sr de Quillegray avoit trettées pour la Royne d'Angleterre avec les princes protestantz, affin d'estraindre davantaige l'intelligence qu'ilz ont ensemble, et a proposé qu'il se fît fondz de cinq centz mil escuz à Estrabourg pour un soubdain besoing à la deffance de leur religion, et que la dicte dame en fornyst cent mil, et les trèze princes et dix huit villes de la confédération les aultres quatre centz mil, pour pouvoir avec cella toutjour arrer les principaulz capitaines et les meilleures levées d'Allemaigne, avec obligation toutesfoys de la dicte somme et des intérestz, par les dicts princes vers la dicte Dame, qu'il n'y sera touché que pour la dicte cause, ny sinon après que l'on en aura toutjour heu son congé et commandement; et desiroit le dict Dumont en emporter présentement la lettre de crédit pour avoir le payement en Hembourg à la my aoust prochain, ce que je ne puys encores bien descouvrir qu'il l'ayt obtenu, et croy qu'il est seulement encores en promesse; mais je sçay bien qu'il a esté fort gracieusement expédié, et qu'il s'en est retourné joyeux et contant.
Le comte de Herfort, qui avoit fort longtemps esté en arrest et demeuré interdict pour le mariage de Madame Catherine[11], a esté, le xve de ce moys, restitué à son entière liberté et à la court; et espéroit l'on que le mesmes se feroit du duc de Norfolc, mais les offances qui procèdent de la Royne d'Escoce sont plus rescentes et vifves que celles de la dicte Madame Catherine, qui est desjà morte; par ainsy ne se peuvent si tost résoulder.
Les affaires des Pays Bas, encor qu'ilz aillent lentement et froydement, ilz se poursuyvent néantmoins toutjour avec fort grande espérance qu'ilz s'accommoderont: l'on y attand, d'heure en heure, une responce du duc d'Alve, et le retour du jeune Coban, pour y mettre à bon esciant la main. L'ambassadeur d'Espaigne a heu fort à playsir le bon ordre, que je l'ay asseuré que Vostre Majesté avoit donné de faire bien recepvoir les vaysseaulx d'Espagne et de Flandres en toutz les portz de vostre royaulme. Et de tant que ce dessus satisfaict à la pluspart du contenu en la dépesche de Vostre Majesté du xie du présent, laquelle je viens, tout à ceste heure, de recepvoir, je n'adjouxteray rien plus icy. Sur ce, etc.
Ce xxiiie jour de juing 1571.
Tout à ceste heure, le capitaine Briquonel est arrivé en poste, qui asseuré que le comte de Morthon s'est saysy du Petit Lict, et qu'estant milord de Humes le xvie du présent sorty de Lillebourg, pour l'empescher, il luy est allé au devant avec toutes ses forces, et y a heu ung aspre rencontre, où le dict de Humes et son fils bastard, et le capitaine Coulain sont demeurez prisonniers, Quelouin tué, et envyron douze soldatz et deux pièces de campaigne perdues. Il fauldra, Sire, donner aultre adresse à ceulx que Vostre Majesté envoyera dorsenavant en Escoce que non pas du Petit Lith.
A la Royne.
(Lettre à part.)
Madame, à ces deux poinctz que Vostre Majesté a briefvement adjouxté de sa main en la lettre du xie du présent, dont l'ung est que je m'esclarcysse s'il y a de la tromperie, et l'aultre que les condicions ne vous semblent assés correspondre au contenu de ma lettre, je vous diray, Madame, quant au premier, que je n'ay cessé auparavant et despuys que le propos a esté descouvert, d'y cercher, par toutz moyens et de toutz endroictz, le plus de clarté et de vériffication qu'il m'a esté possible; et en ay parlé moy mesmes le plus dextrement et en la meilleure sorte que j'ay peu, bien souvent à la Royne d'Angleterre et à ses deux conseillers, et leur en ay faict parler par d'aultres; et encores ay fort curieusement faict enquérir les amys, et pareillement les ennemys, qu'est ce qu'ilz en entendroient. Mais le tout, à présent, se raporte à ce que ceste princesse procède sans feyntize à desirer le party de Monsieur, et qu'elle y est plus encline et bien affectionnée que jamais; et ceulx qui plus souspeçonnoient la tromperie, du commancement, m'en parlent, à ceste heure, de ceste façon, et que l'artiffice d'elle et des siens va seulement à gaigner les advantaiges et respectz qu'ilz pourront. Encores despuys une heure, le comte de Lestre me vient de mander que la dicte Dame se rend, de jour en jour, mieulx disposée en cest endroict, et que, au soir, estant allée en son parc de Vuesmestre veoir une salve et une reveue d'aulcuns harquebuziers que le comte de Oxfort et les capitaines Orsey et Leyton y avoient menez, elle luy dict qu'il failloit pourveoir de bonne heure à donner des semblables playsirs à Monsieur, mais qu'elle s'esbahyssoit comme son ambassadeur tardoit tant à luy mander quelque responce. Et les dames m'ont faict entendre d'aultres petites particularitez conformes à cella, et surtout le sieur comte m'asseure que milord de Burlay est, à ceste heure, très affectionné à la matière: qui est ce que, à présent, j'ay pour vous dire sur l'esclarcissement de la tromperie.
Et quant aulx condicions, Vostre Majesté me pardonra si je luy diz librement que celles qu'on m'a dernièrement baillées pour vous envoyer, si elles sont bien prinses, ne sont sinon raysonnables, en ayant aultant esté accordé par le Roy Phelipe à la feu Royne Marie, et puys c'est la demande qu'ils font de leur costé, dont c'est à nous de faire, à ceste heure, la nostre, et que l'une soit modérée par l'aultre; et encores que j'eusse proposé de n'en rien débattre jusques après avoir entendu de voz nouvelles, si, en ay je touché ung mot au comte de Lestre, et ay tiré de luy qu'ung honneste entretennement durant la vie, et une fort honnorable provision, en cas de survivance, seront sans doubte assignez à Mon dict Seigneur, et que le pénultiesme article, qui semble limiter par trop l'authorité de Mon dict Seigneur, n'est que pour ne restraindre celle de la Royne, et non qu'il ne l'ayt conjoincte avecques elle, ny qu'elle ne le puysse advantaiger, et que les durtez et ambiguytez, qu'en tout évènement se trouveront ès dicts articles, pourront estre amandées; ayant en oultre considéré la dicte Dame qu'il ne seroit pas raysonnable qu'après elle Mon dict Seigneur demeure sans tiltre de Roy, et pourtant, si elle n'estoit si heureuse de le luy faire porter de Roy Père, qu'il l'auroit au moins de Roy Douarier d'Angleterre.
J'ay vollu passer oultre au poinct de la religion, et luy dire ce que j'avoys dict aussi à elle, que je ne voulois tant mal présumer du parfaict jugement de la dicte Dame qu'elle vollust randre privé et interdict Monsieur, en demeurant sien, de ce que nul aultre prince souverain de toute la terre habitable ny entre les chrestiens, ny entre les infidelles, n'estoit qu'il ne l'eust, qui est l'exercisse de sa religion; ce qu'elle a confessé estre vray, et m'a dict qu'elle espéroit que Dieu y pourvoirroit; et le dict comte, en riant, m'en a dict aultant. Mais ny l'ung ny l'aultre n'ont passé oultre, et veulent attandre la responce de leur ambassadeur, avec lequel je vous supplie, Madame, de faire dresser une forme de contract, où les unes et les aultres condicions soyent mises avec réservation que les articles qu'il n'osera, ou ne pourra accorder, soyent renvoyez, pour estre changez, augmentez ou diminuez par deçà, affin qu'il ne pense qu'on le veuille surprendre, et puys me les envoyer; et je mettray peyne de vous en faire avoir tout incontinent la résolution, et arresteray, au cas que les choses doibvent aller en avant, du temps, du lieu et des personnes qui se debvront assembler pour les estipuler et conclurre, et qu'il vous playse, Madame, m'envoyer vostre bonne instruction sur l'affaire, auquel je apporteray du mien aultant et plus de soing, de dilligence et de fidelle affection, que si c'estoit pour saulver ma vie. Sur ce, etc.
Ce xxiiie jour de juing 1571.
CLXXXIXe DÉPESCHE
—du xxviiie jour de juing 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Bouloigne par ung homme du Sr Acerbo.)
Détails du combat livré en Écosse près de Lislebourg.—Charge donnée à l'ambassadeur par Marie Stuart d'être son représentant pendant la détention de l'évêque de Ross.—Communication faite par lord Burleigh de tous les détails qui établissent la conspiration de l'évêque de Ross et de Ridolfi.—Assurance qu'Élisabeth veut procéder au traité avec Marie Stuart.—Nouveaux mouvemens en Irlande.—Concessions faites par le duc d'Albe aux Anglais sur la restitution des prises.—Lettre secrète à la reine-mère. Négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, après que j'ay heu escript à Vostre Majesté, au pied de ma dépesche du xxiiie du présent, ce que, à la haste, j'avois peu aprandre du rencontre que le capitaine Briquonel disoit estre advenu le xvie auparavant en Escoce, milord de Burlay, le jour d'après feste de St Jehan, m'a envoyé mestre Vuynbenc, l'ung des clercs de ce conseil, pour m'en faire l'entier récit, jouxte ce qu'il m'a asseuré que le mareschal de Barvyc en escripvoit. Lequel a mandé qu'estant arrivé par dellà il avoit trouvé les seigneurs du pays fort anymez les ungs contre les aultres, et que néantmoins, par la dilligence qu'il avoit uzé d'aller devers ceulx du party de la Royne d'Escoce à Lillebourg, et puys devers les aultres du Petit Lith, il avoit tant faict qu'il les avoit ramenez à vouloir entendre ung bon accord, auquel la Royne, sa Mestresse, les exortoit, et les avoit, deux jours durant, engardez de combattre; et nonobstant que le troisiesme ilz fussent sortys en campaigne par l'opiniastreté de milord de Humes, encor les avoit il retardez, aultant qu'il avoit peu, qu'ilz ne vinsent aulx mains, et le différant n'avoit resté qu'au poinct de la réputation à qui premier se retireroit; dont il s'estoit miz entre les deux troupes pour, au signal de son chappeau, quant il le lanceroit, l'on commanceât égallement de chacun costé de s'en aller; mais, quant l'on en est venu là, le dict de Humes, se sentant piqué de quelque chose, avoit attaqué le combat où il estoit demeuré prins, l'abbé de Quelouin avec sèze aultres tuez, et deux petites pièces de campaigne perdues, et que, nonobstant cella, le dict Drury mandoit qu'ilz estoient encores de toutz costez en bonne disposition d'apointer: ce que la Royne, sa Mestresse, me vouloit bien faire entendre au vray, et qu'au reste il m'envoyoit une lettre que la Royne d'Escoce m'avoit escripte.
J'ay leu incontinent la dicte lettre, et parce que par icelle elle me prioit de prendre le soing de ses affaires, et de solliciter la liberté de son ambassadeur, et d'incister au parachèvement du tretté, j'ay envoyé la dicte lettre à icelluy de Burlay pour la veoir, et pour le prier que, sur l'ocasion d'icelle et des nouvelles que le mareschal de Barvyc avoit mandées, il luy pleût me faire meintenant avoir la responce de la Royne, sa Mestresse, touchant les bons expédiantz que naguières Vostre Majesté m'avoit faict luy offrir. Sur quoy il m'est despuys venu trouver en mon logis pour me confirmer les mesmes choses, qu'il m'avoit mandées d'Escoce, et m'a dict, au reste, qu'il n'y avoit rien que la Royne, sa Mestresse, heust en plus grand desir que de prendre expédiant ez affaires de la Royne d'Escoce et de son royaulme; et puysque Drury espéroit de pouvoir conduyre les seigneurs du pays en accord, ainsy qu'ilz l'avoient, des deux costez, priez de demeurer encores pour le moyenner, la dicte Dame me prioit aussi d'attandre jusques à ce qu'elle eust heu de ses nouvelles, et puys j'en yrois conférer avec elle; et que cependant elle me vouloit bien faire veoir que la matière n'avoit esté acrochée à des difficultez qui ne fussent fort grandes et fort considérables, lesquelles il s'est mises à racompter par ordre. Mais parce que je les ay la pluspart desjà récitées en mes précédantes dépesches, je ne toucheray icy sinon celle qu'il a dict avoir plus irrité la dicte Dame; c'est qu'elle avoit vériffié que la Royne d'Escoce et l'évesque de Roz avoient pratiqué de nouveau à luy susciter une grande rébellion de ses subjectz, laquelle avoit esté si preste à exécuter que Ridolfy, à la fin de mars, l'estoit allée proposer au duc d'Alve, luy demandant ung bien petit nombre de harquebuziers pour les faire descendre en ung port de ce royaulme, à ce mois de juillet; et que incontinent ceulx de la conjuration, lesquelz debvoient avoir toutes choses bien prestes, et qui estoient en grand nombre et des principaulx de la noblesse, s'y joindroient et marcheroient droict à Londres, où, avec la faveur des deux causes qu'il disoit y estre fort desirées, sçavoir, la religion catholique et l'advancement du tiltre de la Royne d'Escoce, ils se randroient facillement maistres de la ville, et de la Tour, et de tout le royaulme: ce que le dict duc avoit receu avec grand affection, et avoit promiz en la main du dict Ridolfy le secours qu'on luy demandoit, seulement l'avoit chargé d'escripre par deçà, qu'on tînt toutes choses prestes et en estat, sans rien mouvoir, jusques à ce que icelluy mesmes Ridolfy heust faict ung voyage en grand dilligence à Rome et en Espaigne, pour avoir l'ordre et le consentement du Pape et du Roy Catholique là dessus; dont, avant prendre la poste, il avoit escript les choses dessus dictes en chiffre à l'évesque de Roz, et luy avoit envoyé deux aultres lettres, marquées de 30 et de 40, que celluy qui les a chiffrées afferme que s'adressoient à deux seigneurs de ce royaume, et qu'elles contenoient la promesse du duc d'Alve, avec advertissement de n'en rien communiquer à l'ambassadeur de France, parce qu'il en advertiroit Leurs Majestez Très Chrestiennes, lesquelles, pour l'ocasion de l'alliance qui se pourchassoit, pourroient descouvrir toute l'entreprinse à la Royne d'Angleterre; et que le dict évesque de Roz confessoit avoir receu les dictes lettres ainsy merquées, mais que l'une s'adressoit à sa Mestresse, et l'aultre à l'ambassadeur d'Espaigne qu'il luy avoit desjà délivrée, ce que le dict ambassadeur dényoit; dont se cognoissoit assés qu'on avoit heu grand occasion de resserrer le dict évesque; et que la Royne, sa Mestresse, me prioit de peser bien ces choses, qui estoient pour la justiffication de tout ce qu'elle avoit usé vers la Royne d'Escoce et son ministre.
J'ay remercyé très humblement la Royne de ceste communication qu'elle me faisoit faire; et ay loué sa prudence, et celle de ses sages conseillers, d'avoir sceu si sagement pourvoir à ung dangier si imminant; et que néantmoins, considéré les mesmes choses qu'elle me venoit de mander, et d'aultres qui, possible, n'estoient encores descouvertes, et que le bien et la seurté d'elle et l'honneur et l'obligation de Vostre Majesté concouroient à l'accommodement des affaires de la Royne d'Escoce et de ses subjectz, je ne pouvois cesser de la supplier qu'elle y vollust entendre par ce mesmement que, à ceste heure plus que jamais, vous seriez pressé d'assister à ceulx de Lillebourg; et qu'au reste, de tant que les ambassadeurs n'avoient à randre compte de leurs actions qu'à leurs Maistres, que je la supplioys de ne faire préjudice à cestuy leur inviolable droict, lequel elle mesmes avoit intérest de bien conserver. A quoy il m'a respondu que la dicte Dame m'asseuroit que, nonobstant ses offances, elle ne lairroit de prandre ung si honnorable expédiant avec la Royne d'Escoce que Vostre Majesté s'en contanteroit, et encores avecques son ministre; et qu'il espéroit que bientost elle feroit procéder à sa liberté.
J'attandray, Sire, ces segondes nouvelles d'Escoce, et cependant je tiendray toutjour fort ferme qu'on n'y doibve envoyer d'icy nulles forces, et verray ce que je pourray gaigner par négociation avecques ceulx cy, qui toutesfoys sont trop artifficieulx, et, quant l'artiffice leur deffault, ilz se desdisent tout ouvertement.
Les choses d'Yrlande, à ce que j'entendz, se broillent, et desjà il y a de la rébellion en deux endroictz du pays; dont se parle que milord de Sidenay y sera renvoyé en dilligence, et qu'il layssera son voyage des beings de Liège, pour lequel voyage toutesfoys l'ambassadeur d'Espaigne luy a desjà faict tenir le passeport du duc d'Alve en la plus favorable forme qu'il est possible de le faire, avec deux lettres du dict duc, l'une à la Royne, et l'aultre à luy. Et cependant ung sire Jehan Hubande, personnage assés principal, et fort inthime du comte de Lestre, est passé dellà pour aller aus dicts beings, et a prins lettres de banque en Envers pour assés bonne somme de deniers, dont je souspeçonne que ce n'est sans qu'il ayt quelque commission vers le dict duc. L'accord des prinses se poursuyt toutjour, et encor que ce que le duc d'Alve a faict publier (que nulz, sinon les seulz commissaires, puyssent faire aulcun party là dessus avec les Anglois), ayt offancé plusieurs, si en demeurent iceulx commissaires plus authorisez; et desjà le Sr Thomas Fiesque a trouvé moyen de faire consigner ez mains de Spinola une partie des merchandises qui apartennoient aulx Gènevoys, avec grand espérance qu'à l'arrivée du jeune Coban, tout le différand s'accommodera. Et pour parler librement de ce que j'en sentz, le duc d'Alve condescend et s'abaysse tant à tout ce que ceulx cy veulent qu'ilz ne sçauroient reffuzer l'accord: dont, de ma part, je le tiens pour tout faict. Sur ce, etc.
Ce xxviiie jour de juing 1571.
A la Royne.
(Lettre à part.)
Madame, j'ay prins pour bon signe ceste communication dont je faiz mencion en la lettre du Roy, que la Royne d'Angleterre m'a envoyé faire par milord de Burlay, lequel, avec le discours des choses d'Escoce, n'a oblyé de me parler de la bonne intention, en quoy la Royne, sa Mestresse, persévère toutjour au propos de Monsieur, et qu'elle estoit attandant, à ceste heure, ce que son ambassadeur luy manderoit que Voz Majestez auroient advisé sur les conditions qu'elle leur avoit envoyées. Sur quoy nous nous sommes prins à débattre d'aulcuns poinctz qui y estoient contenuz, desquelz il m'a donné assés de satisfaction; et puys, sommes passez à ce particullier que la dicte Dame et moy avions tretté en ma dernière audience, que Voz Majestez et elle prinsiez garde de toutz costez aulx pratiques qui se mèneroient pour troubler le repoz de voz estatz, affin de mutuellement vous en advertyr, et que, si de vostre part vous le luy vouliez promettre, elle y satisferoit fort droictement de son costé. Je luy en ay donné fort bonne espérance. Et estant venu cependant le Sr de Sabran avec les lettres de Voz Majestez, du xviiie du présent, je metz peyne, à ceste heure, en tout ce qu'il m'est possible, que Mr de Larchant et le Sr Cavalcanty, qui suyvent après, trouvent les choses, à leur arrivée, bien préparées. Lesquelles je ne puys encores cognoistre, Madame, qui n'aillent bien, et je loue infinyment le soing que Vostre Majesté a de la conscience, et de l'honneur, et de la vie de Monseigneur, vostre filz, qui sont trois choses ès quelles je souffriray plustost la mort que de ne réveller franchement à Voz Majestez, et à luy, tout ce que je cognoistray y pouvoir faire préjudice; et espérez, s'il vous playt, tant de ma fidellité et de mon service que je ne m'endorz, ny ne suys pour m'endormyr nullement en cest endroict; et que desjà vous voyez les choses conduictes si avant que, s'il s'y trouve cy après de la tromperie, il pourroit bien estre qu'ung fort fin, mais non qu'ung homme de bien, l'eust peu plus avant descouvrir, et que je vous ay clairement mandé tout ce qui s'en cognoissoit, et qui s'en entendoit par deçà; dont je prie Dieu de bien conduyre le demeurant. Et sur ce, etc.
Ce xxviiie jour de juing 1571.
Comme je fermoys la présente, l'on m'a aporté une petite police de telle substance:—«Valsingan a escript en fort bonne sorte à la Royne et à ses conseillers, remonstrant importer grandement à elle de ne varier à ceste heure nullement en ceste cause. Elle demeure pensive, et est à craindre qu'on luy commance d'administrer excuses, mais vous sçaurez tout.»—Et ne contient la dicte police rien plus. Je ne lairray pour cella, quant Mr de Larchant et le Sr Cavalcanty seront arrivez, de continuer le propos comme portera leur instruction.
CXCe DÉPESCHE
—du ixe jour de juillet 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Groignet.)
Négociation du mariage.—Mission de Mr de Larchant en Angleterre.—Confidences faites par Élisabeth; son irrésolution.—Avis que l'ambassade de MMrs de Montmorenci, de Foix et de Chiverny recevra un bon accueil de la reine.
Au Roy.
Sire, plusieurs occasions ont faict que, jusques à ceste heure, nous n'avons peu rien escripre à Vostre Majesté du faict des petites lettres, y voyant intervenir à toute heure, et quasi à tout moment, tant de dellibérations différantes et tant de contrariétez par la menée, de ceulx qui n'espargnent ny dons, ny promesses, ny escuz contantz pour l'interrompre, que nous ne sçavions que vous en mander; et enfin, s'estant l'affaire acheminée en sorte que, si la Royne d'Angleterre n'est plus recherchée du poinct de la religion, duquel ne luy semble que, pour ceste heure, elle puysse rien capituller, ny promettre, contre les loix de son royaulme, il se peult, quant à tout le reste, espérer ung bon succez. Nous avons advisé de faire courir ce mot devant, par ce porteur exprès, affin de vous advertyr, Sire, que, s'il vous playt, à telle condicion, faire acheminer deçà monsieur de Montmorency et messieurs de Foix et de Chiverny, que Vostre Majesté les peult faire tenir prestz, sellon que, par le récit de moy, Larchant, et du Sr Cavalcanty, qui partirons demain, et par les lettres, que moy, La Mothe, vous escripray par eulx, il vous sera plus amplement desduict. Sur ce, etc.
Ce ixe jour de juillet 1571. Signé La Mothe et Larchant.
Comme ce porteur a esté prest de partyr, le Sr de Vassal est arrivé avec la dépesche de Voz Majestez, du iie du présent, par l'ocasion de laquelle et des pourtraictz, qu'il a fort bien conduictz, moy, La Mothe, mettray peine de tenir toutjours les choses en la meilleure disposition qu'il me sera possible.
A la Royne.
Madame, l'adviz adjouxté de ma main en ma précédante lettre, du xxviiie du passé, qui me fut donné sur l'heure, a esté cause que despuys j'ay envoyé à diverses foys solliciter les dames et les seigneurs, qui sont icy de mon intelligence, de confirmer la Royne, leur Mestresse, en sa bonne dellibération; et est advenu que l'une des dames, ayant cerché de se trouver seule avecques elle, l'a sceu si bien mener d'une parolle en aultre qu'elle l'a faicte commancer d'elle mesmes de luy parler de Monsieur; et luy a dict:—«Que c'estoit à ceste heure qu'elle avoit à se résouldre de son party, et qu'elle espéroit tant de la vertu et valleur, et louables condicions, et bonnes grâces, qui estoient en luy, et de ce qu'il estoit réputé sage, hardy et libéral, et bien fort humain, sellon la coustume de ceulx de la mayson de France, et au demeurant beau et modeste, et nullement arrogant, qu'il se comporteroit si bien avec ses subjectz que toutz l'auroient bien agréable, et que eulx deux vivroient bien heureusement ensemble, bien que aulcuns de la noblesse de ce royaulme, qui estoient intéressés ailleurs, y donnoient toutes les traverses qu'ilz pouvoient; et qu'elle confessoit qu'elle avoit esté, et estoit encores, combatue de beaucoup de doubtes, car se voyoit ung peu d'eage pour luy, et craignoit qu'il la mesprisât bientost, et mesmement, si elle ne pouvoit point avoir d'enfans, mais qu'elle espéroit que Dieu luy en feroit la grâce, et qu'au moins mettroit elle toute son affection à le bien aymer et à l'honnorer comme son Seigneur et mary.» A quoy celle, qui estoit avecques elle, a miz peyne de la confirmer bien fort par les meilleures parolles et plus accommodées de la félicité de ces nopces qu'elle a peu user.
Et le jour d'après, allant ce propos plus au large, quelques aultres se sont esforcés de getter de telz escrupulles au cueur de ceste princesse par des dangiers qu'ilz luy ont allegué, et par des repentailles qu'ilz ont pronostiqué à la dicte Dame qu'elle auroit de ces nopces, qu'elle a commancé de dire:—«Que, à la vérité, elle craignoit fort que ce jeune prince la mesprisât, et qu'elle ne se trouvoit assés sayne ny disposée pour ung mary, et qu'elle vouloit remettre le propos jusques à ce qu'elle se trouvât en meilleure disposition.» Ce qui m'estant raporté le soir mesmes, j'ay envoyé incontinent exorter par parolles et par promesses, au nom de Voz Majestez, les deux conseillers de ne laysser gaster cest affaire. Lesquelz s'y sont fort bien employez, et l'ung d'eulx, par ses gracieuses remonstrances, a persuadée la dicte Dame de ne debvoir espérer que tout bien et ung très parfaict contantement de ce très acomply prince, et l'aultre, prenant les choses plus hault, luy a admené de très urgentz argumentz:—«Qu'il n'estoit aulcunement loysible à elle d'user meintenant d'excuse ny tergiverser en cest endroict, ainsy qu'il avoit esté faict au roy de Suède, au duc d'Olstein et à l'archiduc, car c'estoient princes loingtains qui d'eulx mesmes ne pouvoient guières nuyre, mais Monsieur estoit le frère bien aymé d'ung très puyssant roy, duc et capitaine d'une très belliqueuse nation, si voysin d'icy que, en dix heures, il pouvoit aborder, et faire sentyr ses armes en ce royaulme; qui n'estoit pour souffrir, en façon du monde, d'estre repoussé, ainsy qu'avoient esté les susdicts princes, et que pourtant elle jugeât ainsy de ce party comme de chose qui luy estoit et honnorable et utille, et quasi nécessaire de l'accepter, et que de la rejetter, elle luy pourroit réussyr très dommageable.»
De quoy, encore que les dicts deux conseillers ne m'ayent rien mandé de cecy, ny sinon force parolles généralles et de bonne espérance là dessus, j'ay néantmoins aprins, de lieu fort certain, que leurs remonstrances ont esté telles; et que la dicte Dame dez lors a incliné de vouloir promettre beaucoup de choses par Mr de Larchant, de qui la dépesche s'entendoit desjà par deçà. Lequel estant peu après arrivé, il s'est descouvert incontinent que les empeschemens, les simultez, les artiffices et les malices estoient encores plus vifves que ne les avions pensées, de ceulx qui aspirent tout oultre à ruyner ce propos, en façon qu'il a esté très asprement débattu en ce conseil; et j'ay esté en grand incertitude du passaige de monsieur de Montmorency et de messieurs de Foix et de Chiverny par deçà. Mais enfin l'affaire a esté ramené à ce que les depputez de Voz Majestez seront les bien venuz, et que nous avons promesse que, pourveu qu'il ne soit plus touché au point de la religion, ilz ne s'en retourneront, quant à tout le reste, sans une honneste conclusion. Sur ce, etc.
Ce ixe jour de juillet 1571.
CXCIe DÉPESCHE
—du xie jour de juillet 1571.—
(Envoyée exprès jusques à la court par Mr de Larchant.)
Réponse faite par Élisabeth à Mr de Larchant.—État de la négociation.—Explications données sur l'article concernant la religion.—Nouvelles d'Écosse; succès remporté par les partisans de Marie Stuart.—Lettre secrète à la reine-mère. Détails sur le véritable état de la négociation du mariage.—Avis sur la conduite que l'on doit tenir en France.
Au Roy.
Sire, n'ayant Mr de Larchant trouvé le passaige de la mer bien à propos, il n'a peu arriver icy jusques au dernier du mois passé, sur le point que la Royne d'Angleterre, la nuict auparavant, en se déshabillant pour aller au lict, s'estoit donnée une entorse, au costé droict, avec tant de dolleur qu'elle en avoit pasmé plus de deux heures, non sans beaucoup d'estonnement de ceulx de sa court; et se sentoit encores si mal que, jusques au lundy ensuyvant, elle n'a peu donner lieu au dict Sr de Larchant, ny à moy, de la veoir, mais elle s'est esforcée, ce jour là, de se lever, et l'a honnorablement et fort favorablement receu, luy donnant bénigne audience sur tout ce que fort dignement et de bonne façon il luy a faict entendre de la part de Voz Majestez et de Monseigneur. En quoy, de tant que la dicte Dame, d'elle mesmes et hors de nostre propos, et contre nostre desir, a remiz sur la difficulté de la religion pour en vouloir estre satisfaicte, premier que nulz depputez peussent estre envoyez, la responce a esté différée jusques au vendredy ensuyvant que ceulx de son conseil, après l'avoir longuement digérée, ont advisé qu'elle la nous feroit en substance comme s'en suyt:
«Qu'elle remercye Voz Majestez Très Chrestiennes et Monseigneur de la visite, qu'il vous a pleu envoyer luy faire par ung si notable gentilhomme des vostres, comme est monsieur de Larchant, et des bonnes parolles que toutz luy avez mandées par luy; qu'elle a bien fort agréable l'ellection qu'avez faicte de monsieur de Montmorency, de monsieur de Foix et de monsieur de Chiverny pour venir par deçà conclurre ce propos, rendant plusieurs grandz et dignes tesmoignages des deux premiers, comme les cognoissantz très bien, et du troisiesme comme ayant ouy bien parler de luy, et qu'ilz seront très bien venuz; qu'elle vous supplie, Sire, premier qu'ilz passent, et affin qu'il ne vous viegne puys après aulcun malcontantement, s'ilz s'en retournoient sans rien faire, sellon qu'elle desire de persévérer en bonne paix et amytié avecques vous jusques à la mort, de leur donner ample pouvoir d'accorder de ce point de la religion, parce qu'elle n'est encore bien résolue comme en user, et qu'elle pense ne pouvoir en façon du monde consentyr que Mon dict Seigneur ayt l'exercice de la sienne par deçà; que, au reste, elle ne voyt qu'il y puysse, en toutes les aultres condicions et demandes, rien intervenir qui donne empeschement à la conclusion de leur mariage.»
Et a adjouxté, Sire, plusieurs aultres parolles et démonstrations de sa bonne et droicte intention, voyre affection vers Mon dict Seigneur, lesquelles je laysse à Mr de Larchant et au Sr Cavalcanty de les vous représanter, ensemble les répliques que nous luy avons faictes, desquelles, et des dilligences que nous y avons usé, ilz vous auront à dire que la dicte Dame et les siens, ayantz comprins que nous ne demeurions bien contantz de sa dicte responce, en ce mesmement qu'elle requéroit estre donné charge à voz depputez de la satisfaire du point de la religion, comme pour tirer d'eulx une déclaration et promesse, par où aparust que Monsieur heust à quicter l'exercice de sa religion, et estre obligé de demeurer sans icelluy, et que malayséement, sur une si dure condicion, nous auserions vous conseiller d'envoyer voz depputez, ilz ont advisé, Sire, de la modérer. Et, le jour après, nous ayant le comte de Lestre conviez avec toutz les principaulx du conseil en son logis, luy et milord Burlay nous ont dict qu'elle n'entendoit les choses ainsy comme nous les prenions, (qu'il fallût que voz depputez eussent à luy faire la déclaration que nous disions), mais bien que, pour ceste heure, elle ne pensoit, si eulx, estant icy, continuoient luy demander pour Monsieur l'exercice de sa religion, qu'elle le leur peust accorder; et que eulx deux, ses conseillers, jugeoient estre bon qu'on en layssât l'article aux termes qu'il estoit ez premières responces, sans capituler d'un costé ni d'aultre rien plus en cela, parce que la dicte Dame n'en sçauroit si peu accorder davantaige que les Protestans ne criassent que c'estoit trop, ny nous en obtenir si largement que les Catholiques peussent jamais estimer que ce fût assés.
Sur quoy estant le Sr Cavalcanty retourné despuys en court pour prandre congé de la dicte Dame, elle luy a confirmé que, pourveu qu'elle ne soit recerchée de ce poinct de la religion, sur lequel estime ne luy estre aulcunement loysible de faire, à présent, nulle déclaration ny ottroy contre les loix de son royaulme, elle ne voyt, quant à tout le reste, qu'il y puisse avoir nulle aultre difficulté. Voylà, Sire, en quoy reste l'affaire auquel Vostre Majesté donra à ceste heure l'acheminement qu'il jugera estre honnorable, ayantz, à toutes advantures, demandé le passeport pour les dicts sieurs voz depputez, qui est desjà envoyé au Sr de Valsingam, affin que ce ne soit ung aultre dilay de l'attandre, si, d'avanture, Vostre Majesté se résoult de les envoyer.
Au surplus, Sire, le capitaine Caje, lieutenant de Barvic, est freschement arrivé d'Escoce, qui raporte que, le jour de Saint Jehan, il y a heu ung aultre rencontre prez de Lillebourg, auquel ceulx du party de la Royne ont heu du meilleur, et ont prins le lair de Dronlanric et plusieurs aultres, qui compensent bien la perte de milord de Humes et la route qu'ilz avoient receue auparavant. Il a apporté aussi le cartel de deffy que ung sire Alexandre Stuart, en soubstien du comte de Lenoz, a mandé au capitaine Granges, et la responce du dict Granges, et pareillement les articles de l'abstinance d'armes, que la Royne d'Angleterre monstre de procurer entre eulx, desquels ceulx que le duc de Chastellerault et comte d'Honteley ont offert semblent fort raysonnables, et ceulx des dicts de Lenoz et Morthon hors de toute rayson; lesquelz sont toujours conseillez et estimulez d'icy de continuer le trouble et de haster la fortiffication du Petit Lith, pour enfin emporter, s'ilz peuvent, la ville et chasteau de Lillebourg: tennans cependant la Royne d'Escoce aussi estroictement, et son ambassadeur aussi resserré que jamais. Dont Vostre Majesté me commandera, par les premières, ce qui luy plairra que je y face, et ce que j'auray à remonstrer touchant la fortiffication du Petit Lith, car j'entendz que c'est contre les trettez. Sur ce, etc.
Ce xie jour de juillet 1571.
A la Royne.
(Lettre à part.)
Madame, estant le propos des petites lettres parvenu au poinct que Vostre Majesté verra par celle, que j'escriptz présentement au Roy, non sans avoir miz tout le plus loyal et dilligent service, qu'il m'a esté possible, pour faire qu'il allât mieulx sellon vostre intention, j'ose bien à ceste heure, Madame, vous descouvrir librement aulcunes choses que je puys desirer en cella, et vous suplier très humblement d'avoir agréable que j'obtienne celles que je laysse bien à Vostre Majesté de les juger si elles seront raysonnables:
C'est que Voz Majestez et Monseigneur veuillez ainsy estimer de cest affaire comme de celluy qui a esté bien fort et est encores assés plein de grandes difficultez, lesquelles on s'esforce de les tenir toutjour en vigueur, et qu'il y a plusieurs ennemys, les ungs aparantz et les aultres couvertz, personnaiges principaulx de ce royaulme, qui l'ont contradict, et plusieurs de dehors qui l'ont traversé et le traversent encores par pratiques, par promesses et par deniers contantz; que pourtant il vous playse excuser si je n'ay peu et si ne puys faire quadrer justement le tout au poinct que desireriez, mesmes que je n'ay osé, ny ose encores; y faire courir de l'argent, affin que ceste princesse n'en entre en souspeçon, et ay gaigné les intelligences des dames et seigneurs sans aultre coust que de quelques escuz à d'aultres moindres, que je leur ay donné comme de moy mesmes; que vous jugiez néantmoins, Madame, qu'encores n'a esté peu de conduyre les choses à ce que les condicions ne sont extraordinaires, que Monsieur n'est recerché d'estre aultre que catholique, que Calais n'est demandé, que la conférance est accordée avec voz depputez, non sans parolle donnée qu'ilz ne s'en retourneront, pourveu qu'on ne touche à la dicte religion, sinon avec une honneste conclusion de tout le reste; que j'estime avoir pratiqué tant d'amys et serviteurs à Monseigneur vostre filz, qu'il pourra venir en toute seurté par decà; que desjà la valleur, la vertu, les grâces et les belles qualitez, qui sont véritablement en luy, y sont si bien représantées qu'il y est avec amour et affection desiré de l'univers du royaulme; que pourtant il se veuille résouldre, avec le bon playsir de Voz Majestez, et avec dispence, si besoing est du Pape, mais si secrecte qu'il ne s'en puysse rien entendre de deçà, s'il dellibère donner meintenant perfection à ce propos, lequel se monstre de tant plus honnorable et grand pour luy et profitable pour la France, que ses ennemys et envyeulx s'esforcent de l'empescher;
Que si, d'avanture, il s'y résoult, il playse à Vos Majestez envoyer promptement voz depputez, pendant que le fer est chauld, et quelque présent, si ainsy vous semble bon, par monsieur de Montmorency à ceste princesse, et pareillement l'aultre pourtrect, car l'on commençoyt de prandre à mal que, en ayant esté envoyé deux d'icy, l'on n'en avoit peu encores recouvrer nul de dellà, (et celluy du créon a esté merveilleusement bien veu et trouvé fort beau); qu'il vous playse faire tout ce qu'il vous sera possible pour contanter le comte de Lestre du mariage qu'il desire, ou de quelque aultre qui soit honnorable, et avec huict ou dix mille escuz de rante pour le moins; qu'il luy soit envoyé et à milord de Burlay une lettre à chacun d'eulx, de la main de Mon dict Seigneur, et une aultre de sa mesme main, s'il luy playt, à ung aultre seigneur, dont le nom soit layssé en blanc, affin de les bien confirmer, et une aultre lettre à moy pour en confirmer d'aultres, sans expéciffication de pas ung, sinon, en général, de ceulx dont il présupposera que je luy auray escript; qu'il vous playse pareillement m'envoyer des bagues ou monstres exquises, pour faire présent à aulcunes dames et seigneurs de ceste court; que donniez charge à monsieur de Montmorency de gratiffier de parolle, et avec promesses, ceulx qu'il entendra par deçà estre bien affectionnez à ce propos; qu'il ayt charge de recommander en bonne sorte la Royne d'Escoce et ses affaires, et la liberté de son ambassadeur; et, pour la fin, en ce qui me peult concerner, si d'avanture je m'ose ramentevoir, que, suyvant ce que Vostre Majesté m'a mandé que je seroys nommé en la procuration avec voz depputez, qu'il vous playse, Madame, si d'avanture ilz viennent, m'y faire comprandre, ainsy qu'il convient à ung ambassadeur de Voz Majestez, et que, sur ceste très honnorable occasion, laquelle sera aussi pleyne de despence, Vostre Majesté n'ayt mal agréable de me faire sentyr la faveur, l'honneur et bienfaict que j'ay toutjour espéré de sa grâce; et je suplieray le Créateur, etc.
Ce xie jour de juillet 1571.
PAR POSTILLE.
Ce que j'ay dict cy dessus, d'avoir le consens du Pape, seroit pour dispenser Monsieur sur le mariage de ceste princesse et sur la forme des nopces, et pour la pouvoir accompaigner quelquefoys à son oratoyre, et pouvoir aussi estre quelques jours sans ouyr la messe, si la nécessité ainsy le requéroit, entrant en son royaulme, se chargeant Mon dict Seigneur, le jour qu'il l'ouyroit, d'un plus grand service de prières catholiques; car, au reste, nul ne faict difficulté qu'estant icy il n'obtienne assés en cella, sellon que la Royne d'Angleterre mesmes et toutz ceulx de son conseil sçavent et permettent que plusieurs seigneurs de ce royaulme puyssent avoir la messe en leurs maisons, et elle mesmes les en dispence, et, au pis aller, l'ambassadeur du Roy, qui sera icy, accommodera toutjours Mon dict Seigneur et les siens du dict exercice de sa religion, et ne sera inconvéniant, s'il le trouve bon, qu'aulx grandes festes, il passe à Bolloigne pour y faire la solempnité; qui n'est pas plus loing que là où le Roy d'Espaigne se retire souvant en telz jours pour sa dévotion, car, pourveu qu'il se conserve et se monstre catholique, et qu'en quelque sorte il ayt l'exercice de sa religion, et qu'il ne soit obligé à la protestante, il ne luy peult, quant au reste, estre rien imputé en cest endroict ny envers Dieu, ny envers les hommes: et pourtant, Madame, il ne fauldra toucher ung seul mot au sieur de Valsingan du dict faict de la religion, ny l'admettre luy qu'il vous en parle.
CXCIIe DÉPESCHE
—du xiiiie jour de juillet 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Deslandes.)
Affaires d'Écosse: nouvelle suspension d'armes.—Retour de sir Henri Coban; réponse qu'il rapporte du roi d'Espagne.—Négociation des Pays-Bas.—Destruction de la flotte des protestans par la flotte du duc d'Albe.—Avis secret sur la négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, je m'en vays aujourduy trouver la Royne d'Angleterre à Hamptoncourt pour luy faire l'honneste mercyement que me mandez, par la vostre du iie du présent, et verray en quoy elle persévère sur la négociation que Mr de Larchant et moy avons heu avecques elle, qui n'ay, pour ceste heure, rien que vous mander de plus, ny de moins, en cella despuys qu'il est party. Mais je vous diray d'ailleurs, Sire, que le xe de ce moys, la Royne d'Angleterre a escript, par le capitaine Caje, au mareschal de Barvyc en Escoce, qu'elle desire estre bien informée de l'estat du pays, comme les partz s'y meintiennent, et quelle opinion il en a, et à quoy il juge que pourront devenir les choses, et pourtant qu'il pénètre bien ez affaires de dellà affin qu'elle ne s'y trouve trompée; et qu'il dye aulx comtes de Lenoz et de Morthon que, pour ceste heure, elle ne les peult contanter de ce qu'ilz desirent, parce que toutz ceulx de son conseil luy remonstrent que cella enfraindroit les bons trettez qu'elle a avec ses alliez, lesquelz ont l'œil si ouvert en cest endroict qu'il n'est possible d'y aller si couvertement qu'ilz ne le descouvrent; et qu'il leur dye aussi qu'elle ne trouve bon qu'ilz reffuzent la suspencion de guerre pour demeurer ainsy obstinez qu'ilz sont, les armes à la main; ce qui ne peult estre qu'avec grandz fraiz, et qu'il seroit trop meilleur qu'ilz se missent, pour ung temps, en quelque neultralité, mais, s'ilz demeurent résoluz de non, qu'ilz advisent d'employer en leurs affaires les deniers qu'ilz ont tiré en grande somme des confisquations et forfaictures du pays, ausquelz n'a esté encores rien touché, premier que de presser par trop leurs amys, lesquelz ilz trouveront toutjour prestz de leur ayder, quant il en sera besoing; qui est tout le subject de la lettre, laquelle elle luy mande de la communiquer aus dicts de Lenoz et Morthon, et qu'après il se retire à Barvyc. Despuys laquelle dépesche, j'entendz, Sire, que la dicte Dame a receu des nouvelles du dict mareschal, du iiiie du présent, qui luy mande que, oultre le navyre, chargé d'armes et de monitions qui venoit de Flandres, où y avoit douze mil escuz en réalles et jocondales, lequel Morthon a naguières arresté, il estoit tout freschement arrivé ung aultre petit vaysseau de France, chargé d'armes et pouldres, envoyé à ceulx du party de la Royne d'Escoce, qui, ne sachant le Petit Lith estre ez mains du susdict de Lenoz, y estoit allé aborder tout droict; et que le comte de Morthon l'avoit incontinent saysy, et faict mettre les monitions au magasin du jeune Prince, et l'escouçoys qui les conduysoit en estroicte pryson, et qu'après beaucoup de grandes difficultez, icelluy mareschal enfin avoit heu parolle et promesse des deux partiz pour la suspencion d'armes; mais je n'ay encores entendu, Sire, pour combien de temps. C'est dont mettray peine de vériffier encores mieulx, s'il m'est possible, toutes ces choses, et adviseray d'en toucher ung mot à ceste princesse, ensemble de la continuation du tretté, et de la liberté de l'évesque de Roz, pour, puys après, vous en mander plus grand certitude.
Le jeune Coban a remercyé l'ambassadeur d'Espaigne du bon recueil qu'on luy a faict, et de la seurté qu'il a trouvé en Espaigne, soubz la faveur de ses lettres, et ne luy a rien plus touché de la négociation qu'il a faicte par dellà, mais j'ay sceu d'ailleurs que la lettre qu'il a apportée du Roy d'Espaigne à la Royne, sa Mestresse, laquelle est en latin, contient en substance:—«Qu'il ne desire rien tant que de demeurer en bonne amytié et intelligence avecques elle, et que les différans des prinses et de la suspencion du commerce d'entre leurs pays, soyent accommodez avec une bonne réconcilliation entre leurs communs subjectz, et qu'il sera prest d'aprouver et ratiffier tout ce que ses depputez en accorderont, ne s'estant jamais persuadé qu'elle n'ayt toutjour desiré d'entretenir la bonne amytié et alliance, qui a duré plusieurs siècles entre la mayson d'Autriche et la couronne d'Angleterre si inséparablement, qu'à toutes occasions et à toutz momentz elles ont esté toutjour prestes de prendre les armes pour la deffance l'une de l'aultre, et qu'estant son desir de persévérer en cella bien fort fermement de son costé, il espère qu'elle et toute la noblesse de son royaulme n'y seront moins disposez du leur, pour estre chose utille et très nécessaire à toutz deux.»
Je ne sçay encores ce qu'il a raporté davantaige en secrect; tant y a que le dict accord des prinses ne monstre, pour son arrivée, de prandre plus grand advancement, bien qu'il semble que le Sr Thomas Fiesque s'esforce de le conduyre, sans le sceu ny de l'ambassadeur ny du Sr de Sueveguem, qui est l'aultre depputé des Pays Bas; et néantmoins le Sr Quillegrey a esté encores freschement envoyé pour ouvrir et visiter aulcunes balles des dictes prinses affin de veoir s'il y a de l'argent dedans, ce qui n'est prins pour bon signe. Je metz peyne de m'y comporter ainsy que m'ayez cy devant mandé en chiffre. Icelluy Coban se loue d'avoir esté fort bien tretté et caressé par dellà, et que le Roy d'Espaigne l'a paysiblement ouy et bénignement respondu, et que le prince d'Evoly luy a donné plusieurs bonnes parolles, mais qu'il s'en est retourné sans qu'on luy ayt faict de présent. Les vaysseaulx flamans, qui se souloient tenir en ceste estroicte mer, ont esté escartez par l'admyral de Flandres qui en a prins ou miz à fondz quatorze, et jetté en la mer ou bien exécuté six centz hommes qui estoient dessus, et le reste s'est retiré à la Rochelle. Fitz Maurice a combattu en Yrlande, et dict on qu'il a tué cent cinquante hommes de la garnison de la Royne d'Angleterre, qui est beaucoup, veu le petit nombre de gens de guerre qu'elle y entretient. Il s'entend icy que le cardinal Alexandrin vient trouver Vostre Majesté; sur quoy l'on faict de bien diverses interprétations. Sur ce, etc. Ce xive jour de juillet 1571.
J'adjouxteray à ce pacquet un adviz qui me vient d'arriver tout à ceste heure, lequel j'ay extraict, mot à mot, de son original, et vous supplie très humblement me le renvoyer, ou commander qu'il soit miz au feu, et que Mr de Valsingam n'en entende en façon du monde rien.
ADVIZ DONNÉ AU Sr DE LA MOTHE.
«Toutes choses aujourd'huy se mènent avec art et finesse et la vostre mesmement; car, pendant que vous et l'aultre gentilhomme la trettiez icy, eulx ont dépesché, à cachettes, ung messagier avec instruction privée à Valsingam de faire tout ce qu'il luy sera possible pour pénétrer secrectement et dextrement ez intentions d'icelle court, et que, soubdain à l'arrivée du dict gentilhomme, et sans attandre ce qu'on pourroit colliger de son rapport, il signiffiât par le mesmes messagier la disposition en quoi il auroit cogneu qu'on y continuoit vers cest affaire, voulans, puys après, requérir plus ou moins sellon qu'il leur semblera de besoing. Les amis de la cause desirent qu'on leur admette, pro formâ tantùm, ce qu'ilz ymaginent estre expédiant de faire au poinct de la religion, affin de les veincre, car les ennemys n'ont aultre excuse quelconque que celle de la dicte religion, et commancent fort à doubter, et les amys à mieulx espérer. La responce d'Espaigne après avoir esté bien considérée n'est sinon neutre et incertaine. Dieu vous conserve.»—15.—
CXCIIIe DÉPESCHE
—du xxe jour de juillet 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Audience.—Nouvelles instances en faveur de Marie Stuart.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle veut procéder au traité, et que la liberté sera bientôt rendue à l'évêque de Ross.—Secours sollicité en Angleterre par le comte de Lennox, qui a remporté quelques avantages en Écosse.—État de la négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, j'ay vollu monstrer à la Royne d'Angleterre que la meilleure occasion, qui me menoit ceste foys devers elle, estoit pour luy bayser les mains, et pour veoir et entendre de sa bonne disposition, affin de vous en pouvoir escripre plus souvant, sellon que je l'ay asseurée que Vostre Majesté me commandoit de le faire, et pour la remercyer aussi de la faveur, qu'elle avoit usé au Sr de Larchant, de l'avoir humainement receu et bénignement ouy, et de luy avoir signiffié en plusieurs sortes la bonne amytié qu'elle porte à Voz Majestez Très Chrestiennes, et encores une honneste et vertueuse affection à Monsieur; et de l'avoir faict honnorablement entretenir et accompaigner par ses gentishommes à la chasse, et partout où il avoit vollu aller, et encores de ce que luy et moy avions esté très somptueusement bien trettez en la mayson de Mr le comte de Lestre, et qu'au partyr elle l'avoit envoyé honnorer d'ung honneste présent: qui estoient choses que je la pouvois asseurer de les avoir toutes mandées en France, affin qu'elles y fussent recogneues, et que le semblable fût usé aux siens, quant elle les y envoyeroit; que luy s'en estoit party avec une si parfaictement bonne estime de tout ce qu'il avoit veu et ouy d'elle et de sa court, qu'il s'asseuroit d'en pouvoir donner une très grande satisfaction à ceulx qui l'avoient envoyé; seulement la responce, qu'elle nous avoit faicte, luy avoit semblé ung peu dure, et toutz deux l'avions encores prinse plus durement, de sorte que je desiroys qu'elle me vollust, à ceste heure, dire quelque mot, par où je vous y peusse mander une plus gracieuse interprétation.
La dicte Dame a heu très agréable le propos, et a remercyé infinyement Voz Majestez Très Chrestiennes du soing qu'aviez de sa santé, me priant que, en vous escripvant comme elle en estoit à ceste heure, grâces à Dieu, fort bien, je vous supplyasse de luy faire toutjour part des bonnes nouvelles de la vostre, et que je debvois, au reste, bien excuser si Mr de Larchant n'avoit esté ainsy bien caressé comme, pour l'honneur de ceulx qui l'envoyent, elle l'eust bien desiré, et comme luy mesmes le méritoit, mais il estoit icy pour une matière où il failloit qu'elle monstrât d'y faire plus par acquit que par affection; et quant à sa responce que, tant plus elle la considéroit, plus elle la trouvoit raysonnable et mesmes bien fort doulce, de sorte qu'elle avoit miz l'affaire ez mains de Voz Majestez Très Chrestiennes, auxquelles estoit meintenant d'y donner la bonne conclusion qu'il vous playrroit. Et s'est continué le propos en plusieurs bien fort gracieuses et honnestes particullaritez, qui ont monstré qu'elle persévéroit toutjour en son bon propos vers Mon dict Seigneur.
Et puys j'ay adjouxté, Sire, que le reste, que j'avois à luy dire, estoit du contenu en une lettre que Vostre Majesté m'avoit escripte, du iie du présent, de laquelle je m'asseuroys que une partie luy playrroit bien, et encores me sembloit que le tout luy debvoit playre; car vous n'y cerchiez sinon son parfaict contantement, et que je luy en avois apporté le propre extrait, affin qu'elle y comprînt mieulx vostre bonne intention. Dont la luy ay leue, en la forme que je l'envoye à Vostre Majesté, qui a esté tout exprès, Sire, pour luy faire couler, parmy les gracieulx propos qui y sont, les aultres choses que j'avois à luy toucher du faict de la Royne d'Escoce.
Et est advenu que la dicte Dame m'a asseuré, avec beaucoup d'expression, qu'elle n'avoit jamais veu une plus cordialle, ny plus courtoyse, ny plus fraternelle lettre que celle là, et me l'a faicte relyre par une segonde foys, non sans me remercyer bien fort de ce que je vous avois représanté son regrect ainsy grand, touchant vostre blesseure, comme j'avois bien cogneu qu'elle l'avoit; et quant au mercys qu'il vous playsoit luy en randre, elle vous en debvoit de retour ung beaucoup plus grand pour icelluy, que n'estoit celluy qu'elle en avoit mérité, me priant de luy ayder à excuser la faulte, qui estoit advenue, de ne vous avoir sur ceste occasion envoyé le jeune Housdon, comme elle m'avoit dict qu'elle feroit, car il estoit devenu mallade, et, oultre cella, il s'estoit tant adonné à servyr une jeune veufve, laquelle il vouloit espouser, qu'on n'avoit peu finer de luy, bien qu'il se fût faict attandre, d'heure en heure, jusques à ce qu'on avoit heu nouvelles bien certaynes que vous estiez parfaictement guéry, de façon qu'il eust plus paru, à ceste heure là, une simulation que non pas ung vray office, de l'envoyer; et quant aulx aultres poinctz de la lettre qu'elle vouloit, premier que d'y respondre, me commémorer ce que, une aultre foys, elle m'avoit dict de la rébellion qu'on avoit naguières pratiquée en ce royaulme, et encores une entreprinse d'auparavant qui s'estoit freschement descouverte, où le filz du comte Dherby se trouvoit meslé, et confessoit qu'on, avoit projetté de la commancer en la ville de Conventry par donner entendre que leur Royne estoit morte, affin de proclamer incontinent Royne la Royne d'Escoce, laquelle, à ce prétexte, devoit estre tirée des mains du comte de Cherosbery par force, ce qui estoit punissable de mort contre les autheurs et complices; et qu'au reste elle ne sçavoit comment prendre ce que Vostre Majesté avoit, despuys vingt jours, envoyé de l'argent, qui estoit les nerfz de la guerre, et des monitions en Escoce pour ceulx de Lillebourg, et qu'il luy debvoit estre aussi bien loysible à elle d'y envoyer des forces contre eulx, car c'estoient ses ennemys.
A quoy ayant respondu quant à ce dernier, que je n'en sçavois rien, mais que je sçavois bien, Sire, que vous estiez tenu et aviez droict et estiez en très longue possession d'y en pouvoir envoyer comme à voz alliez et confédérez, là où elle n'avoit confédération ny alliance aulx aultres, et n'y en pouvoit raysonnablement avoir, sinon avec vostre bonne intelligence, parce que eulx mesmes estoient ou debvoient estre de celle de vostre couronne; et qu'elle ne debvoit compter pour ses ennemys ceulx de Lillebourg, parce qu'ilz s'estoient monstrez plus prestz de satisfaire à ses honnorables intentions que non pas les aultres; et encores, quant elle les avoit envoyé chastier à cause de ses fuytifz, que vous ne vous en estiez aulcunement esmeu jusques à ce qu'on vous avoit raporté qu'elle passoit oultre en pays, et se saysissoit des places, comme elle en tenoit encores quelques unes, et encores allors avoit elle bien veu comme vous vous y estiez gracieusement comporté.
Enfin la dicte Dame m'a faict une bien honneste et bien fort royalle responce; c'est qu'elle vouloit trop plus de bien à son propre honneur, qu'elle ne pourtoit d'ayne à la Royne d'Escoce, et qu'elle ne se vouloit préjudicier à soy mesmes pour se vanger d'elle, ainsy qu'elle en avoit desjà monstré de vrays signes; qui, au lieu de luy nuyre, luy avoit saulvé l'honneur et la vie, et pourtant que je vous advertisse, Sire, qu'elle procèderoit très honnorablement aulx affaires de ceste princesse, et n'attandoit plus, pour y mettre bien la main, que la responce du comte de Lenoz; car desjà ceulx de Lillebourg luy avoient mandé qu'ilz luy envoyeroient ses depputez, dont Ledingthon en seroit l'ung, et que tout par un moyen il seroit lors pourveu à elle et à ses subjectz, et à la démolition du Petit Lith; et quant à l'évesque de Roz que, dans ung jour ou deux, elle le feroit ouyr et examiner une aultre foys, et puys le renvoyeroit à sa Mestresse, et de là hors du royaulme, car ne vouloit qu'il habitât plus en Angleterre.
Je ne luy ay rien répliqué là dessus, ains suys retourné au premier propos; mais, le jour d'après, j'ay envoyé sa responce par escript aulx seigneurs de son conseil, affin de la conférer encores avec la dicte Dame et me confirmer ce que j'aurois à vous en escripre, les priant que ce fût avec bon effect, correspondant aulx bonnes parolles de leur Mestresse, et que je n'y advanceroys, ny diminueroys ung seul mot: dont suys attandant ce qu'ilz me manderont.
Mais cependant, Sire, j'ay à dire à Vostre Majesté que, despuys cella, est arrivé ung corrier d'Escoce par lequel les susdicts de Lenoz et Morthon, estantz encouraigez de leurs bons succez, et des prinses des deux navyres que je vous ay mandez l'ung de France et l'aultre de Flandres, et encores comme j'entendz de la personne du Sr de Vérac, ont mandé à la dicte Dame qu'à ceste heure estoit il temps qu'elle envoyât des forces pour assiéger la ville et chasteau de Lillebourg, et, si elle ne vouloit envoyer gens, qu'elle leur envoyât tant d'argent qu'ilz peussent faire l'entreprinse de eulx mêmes, ce qui n'est encores résolu; mais je crains fort qu'enfin elle leur envoyera de l'argent. Et affin, Sire, que Vostre Majesté compreigne mieulx le desir et intention de la Royne d'Escoce là dessus et les adviz qu'elle a sur ses affaires, je vous envoye l'extraict des deux derniers chiffres qu'elle m'a envoyés, desquels cognoistrez que je luy ay aultant communiqué du contenu en voz précédantes dépesches, comme j'ai estimé qu'il estoit besoing de le faire pour la consoler, et pour la tenyr advertye des choses que mettez peyne de faire pour elle. Sur ce, etc. Ce xxe jour de juillet 1571.
A la Royne.
Madame, en discourant avec la Royne d'Angleterre des choses que je mande en la lettre du Roy, nous sommes, de propos en propos, venuz à parler du pourtraict de Monseigneur vostre filz, et elle m'a dict qu'encor que ce ne soit que le créon, et que son teint n'y soit que quasi tout chafouré de charbon, si ne layssoit ce visaige de monstrer beaucoup de beaulté et beaucoup de merques de dignité et de prudence; et qu'elle avoit esté bien ayse de le veoyr ainsy meur comme d'ung homme parfaict, car me vouloit dire tout librement que mal vollontiers, estant de l'eage qu'elle est, eust elle vollu estre conduicte à l'esglise pour estre maryée avec ung qui se fût monstré aussi jeune comme le comte d'Oxfort, et que cella n'eust peu estre sans en avoir quelque honte, et encores du regrect; mais ung chacun, qui verroit la présence et les modestes façons de Monsieur, ne pourroit dire sinon qu'il y alloit d'ung sage et fort bon jugement, car il monstroit bien avoir sept ans plus qu'il n'a, ce qu'elle desireroit en bon esciant qu'il eust, ou qu'elle les eust moins, et plustost desireroit ce plus à luy qu'à elle, non pour le préférer à la couronne de son frère, car vouoyt à Dieu qu'elle ne le desiroit nullement, et que je sçavois bien qu'elle avoit esté davantaige en peyne de la blesseure du Roy, de peur que Monsieur ne devînt si grand qu'il n'eust plus à faire de la grandeur qu'elle luy pouvoit donner, mais c'estoit affin qu'il ne se trouvât de grande inéqualité entre eulx, car confessoit avoir trente cinq ans, encor que son visaige ny sa disposition ne monstrassent qu'elle en eust tant.
Je luy ai respondu que Dieu avoit si bien pourveu à ce que son eage à elle ne luy emportât rien de ses beaultez et perfections, et que les ans de Monsieur luy anticipassent à luy les siennes, qu'il a monstré estre son infalible vouloir qu'ilz soyent maryez ensemble; et par ainsy qu'elle ne doubte de ne trouver aussi en Mon dict Seigneur la correspondance de toutes les aultres choses que, pour son honneur, sa grandeur, sa seureté et le repoz de son estat, et pour tout ce qui concerne son entier et parfaict contantement, elle pourroit desirer. Ce que la dicte Dame a monstré de recepvoir avec affection. Et le comte de Lestre m'a continué déclairer une semblable vollonté là dessus comme toutjour, et mylord de Burgley, encor qu'il n'ait esté lors présent, m'a faict néantmoins signifier qu'il y persévéroit toutjours.
Par ainsy, Madame, je n'ay rien, à présent, qui ne soit pour la confirmation du propos et pour vous asseurer que je ne voys point qu'on n'y procède icy de fort bon pied, sellon que Vostre Majesté me mande, par la sienne du viiie de ce moys, que le Sr de Valsingam luy en est aussi venu faire une fort expresse déclaration; et je suys bien ayse, Madame, qu'il vous ayt pleu me la faire sçavoir, car je m'en serviray icy bien à propos, mais, quant à vous mander une plus grande résolution des condicions et demandes, qui ont esté desjà proposées en cella, vous sçavez, Madame, que par l'instruction du Sr de Larchant vous m'avez commandé de n'en entrer en nulle dispute ny contestation affin de réserver cella à la venue de voz depputez, ce que j'estime aussi estre le meilleur. Par ainsy, tout ce que je vous en diray pour ceste heure de plus est que j'auray, à leur venue, aultant préparé les choses comme cependant j'en pourray esclarcyr les difficultez. Sur ce, etc. Ce xxe jour de juillet 1571.
CXCIVe DÉPESCHE
—du xxiie jour de juillet 1571.—
(Envoyée jusques à la court par Joz, mon secréthaire.)
Affaires d'Écosse.—Nécessité d'envoyer sans retard le secours d'argent qui a été promis.—Négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, ce qui me faict vous dépescher, à ceste heure, mon secrétaire est principallement pour l'ocasion que trouverez en la lettre que j'escriptz à la Royne, et j'en adjouxteray icy une seconde qui est, Sire, pour vous dire que les adviz que nous avons d'Escoce se raportent à ce que les choses y commançoyent desjà d'aller si relevées à vostre dévotion et au proffict de la Royne d'Escoce que, si le malheur ne fût arrivé au capitaine Melvin de se bruller ainsy qu'il a faict, en voulant distribuer sur l'heure du combat de la poudre aulx soldatz, la guerre estoit finye ce jour là, et le comte de Morthon demeuroit prins, et le comte de Lenoz chassé du pays; et encores despuys, si Chesoin eust peu conduyre jusques à ceulx de Lillebourg ce que Vostre Majesté leur envoyoit, les aultres habandonnoient leur entreprinse pour ne trouver que la Royne d'Angleterre fût fort preste de leur bailler hommes, ny de leur fournyr argent; et encores aujourduy, ilz sont réduictz à ce, qu'ilz pressent infinyement la dicte Dame de les secourir, ou bien qu'ilz ne pourront en façon du monde, après ce moys, entretenir leurs gens de guerre. A quoy elle ne veult entendre, car je l'ay fort adjurée, au nom de Voz Majestez, de ne se laysser tant aller à la malice et opiniastreté des Escouçoys qu'elle en viegne altérer la bonne amytié qui est entre vous; ains qu'elle advise de se prévaloir plustost des commoditez et advantaiges qu'on luy offre; en façon, Sire, qu'il semble qu'elle se résoult d'y vouloir prendre ung aultre expédiant que celluy que les dicts de Morthon et Lenoz desirent. Dont les amys de la Royne d'Escoce vous suplient très humblement, Sire, d'assister à ceste heure plus que jamais sa cause, et qu'il vous playse faire mettre en mes mains le secours par moys qu'avez ordonné pour la dicte Dame, et que, d'icy en hors, avec l'acquit d'elle, l'on trouvera moyen de faire seurement conduyre les deniers à ceulx de Lillebourg, puysque la voye de la mer est interdicte, mais que ce soit si secrectement, par les moyens que ce mien secrétaire vous dira, qu'on n'en puysse avoir nul sentyment icy; et que le premier moys soit fourny le plus promptement que la commodité de voz affaires le pourra permettre, car le besoing le requiert. Sur ce, etc.
Ce xxiie jour de juillet 1571.
A la Royne.
Madame, il n'y a nul soubz le ciel qui desire plus de grandeur à Monseigneur vostre filz, ny qui plus ayt d'affection de luy veoir advenir celle, dont se trette meintenant, que moy, qui cognois de plus en plus qu'elle est très honnorable pour luy et de grand moment pour Voz Majestez et pour vostre couronne; mais ce n'est sans que je desire aussi d'y voyr conjoincte la provision qui est requise pour sa conscience, pour sa réputation et pour la seurté de sa personne; qui sont trois choses que, dez le commancement, j'ay toutjour incisté qu'il y fût très soigneusement pourveu, et y ay encores plus escrupuleusement regardé despuys que Vostre Majesté m'a signiffié la peyne où elle en estoit, de façon que, auparavant et despuys, je n'ay cessé de pénétrer, le plus qu'il m'a esté possible, ez choses que j'ay estimé vous pouvoir mettre hors de ce doubte, et qui estoient pour vous y aporter du repoz. Dont, oultre ce qu'en avez veu par mes précédantes dépesches, voycy, Madame, ce que, despuys le partement de Mr de Larchant et du Sr Cavalcanty, j'y ay peu advancer:
C'est qu'après avoir, en la meilleure sorte et le plus modestement qu'il m'a esté possible, par bonnes promesses, par parolles, par adjuremens et par diverses offres et plusieurs bien estroictes négociations, sollicité les principalles personnes d'auprès de ceste princesse sur ce propos, mesmement le comte de Lestre et milord de Burgley, icelluy de Burgley qui, mieulx que tout le reste, sçayt et veoyt où l'affaire en doibt tumber, et à l'opinion duquel toutz les aultres se raportent, après tout et pour finalle résolution, m'a envoyé déclarer par milord Boucart qui me l'est venu dire en mon logis, que la Royne, sa Mestresse, et eulx toutz procèdent très droictement en cest affaire et ne desirent rien tant que de le veoyr bientost et bien heureusement accomply; par ainsy qu'il ne tiendra plus à elle ny à eulx, et ne voyant qu'il y puysse intervenir nulle difficulté d'où ne se donne mutuelle satisfaction les ungs aulx aultres, et que Monsieur n'en demeure bien contant, et mesmes, quant au poinct tant dificile, et qui a esté tant débattu de la religion, sinon que Mon dict Seigneur y veuille estre trop disraysonnable, et qu'il y veuille cercher, au grand dangier de cest estat, quelque aultre chose que ce qui peult satisfaire à son honneur, à sa conscience et à sa seureté; car, quant à son honneur, là où ce seroit à eulx de capituler qu'il ne se fît pour sa venue aulcune innovation en la religion, et que luy mesmes n'en eust à user d'aultre que de la leur, il n'en sera nullement parlé, d'un costé ny d'aultre, sinon pour le déclarer luy, ainsy qu'on a desjà faict, non subject à celle d'Angleterre: par ainsy, toute la Chrestienté verra qu'il aura gaigné l'advantaige de ce poinct. Quant à sa conscience, s'il est ainsy qu'il ne se veuille passer de messe, qu'il la face dire de luy mesmes privéement, et sans recercher de l'avoir par capitulation de la dicte Dame ny des siens, car ilz ne la luy pourroient faire, sinon à l'advantaige de leur religion, et nullement au préjudice d'icelle, sans assembler le parlement, ce qui mettroit en combustion tout le royaulme, premier qu'on s'en peult accorder. Et quant à la seurté, que icelluy de Burgley, et aultant que je vouldray de seigneurs et gentishommes de ce royaulme, sommettront leurs vyes que si Monsieur vient en Angleterre, il ne luy sera dict ni contradict en rien, que honnestement il veuille desirer, ains qu'il y sera obéy et révéré comme roy très puissant et absolu. Ce qu'il me faisoit entendre, non par ordonnance de la Royne, ny du conseil, mais comme particullier, qui cognoissoit bien l'estat du pays, et qui desiroit que Vostre Majesté en demeurast ainsy persuadée, et que, si vous vouliez que la perfection du mariage s'ensuyvît, que vous ne retardissiez plus la conclusion d'icelluy; car, à ceste heure, se justiffieroit qui avoit procédé plus sincèrement, ou eulx ou nous.
Je ne voys pas, Madame, quant j'auray bien faict plusieurs aultres dilligentes et bien curieuses recerches, que je vous puysse mander rien de plus clair ny de plus exprès que cecy, si, d'avanture, ilz ne changent; par ainsy, encor que je vous aye escript, de vendredy dernier, par l'ordinaire, je ne vous ay vollu dyférer d'une seule heure cest advertisement, affin que le temps ne réfroydisse et n'emporte l'ocasion qui se présente; sur laquelle ce sera à vostre prudence meintenant d'y faire une résolue et honnorable détermination. Je vous envoye le pourtraict de la dicte Dame, lequel elle mesmes m'a accordé fort vollontiers; et Mr le comte de Lestre me l'a faict recouvrer, qui demande fort celluy de Monsieur, en grand volume avec les colleurs, et pareillement celluy de la dame que sçavez; de quoy je vous suplie le faire contanter. Et sur ce, etc.
Ce xxiie jour de juillet 1571.
CXCVe DÉPESCHE
—du xxvie jour de juillet 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Anthoine de la Poterne.)
Affaires d'Écosse.—Déclaration faite par l'ambassadeur à Burleigh qu'il exige satisfaction du comte de Lennox, à raison de l'arrestation récemment faite de Mr de Vérac.—Négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, ayant escript aulx seigneurs de ce conseil ce qui s'estoit passé entre la Royne, leur Mestresse, et moy touchant les choses d'Escoce, affin qu'ilz me vollussent davantaige confirmer comme résoluement j'auroys à vous en escripre, ilz m'ont mandé qu'ilz avoient communiqué ma lettre à la dicte Dame, laquelle y avoit recogneu ses responces mot à mot, et quasi aulx mesmes termes et par le mesmes ordre qu'elle me les avoit dictes; et par ainsy que je ne sçaurois mieulx faire que d'en escripre aultant, sans plus ny moins, à Vostre Majesté: dont je m'en raporte, Sire, à ce qu'en avez desjà veu en ma dépesche du xxe du présent. Et, despuys cella, iceulx du conseil m'ont envoyé dire que les deux partys en Escoce se monstroient fort difficiles de prandre aulcune abstinence de guerre, qui estoit cause que la dicte Dame avoit renvoyé en dilligence devers eulx pour les y persuader et les y exorter de sa part, et qu'elle avoit dellibéré, s'ilz s'y randent opiniastres, de dépescher aulcuns de son conseil sur les lieux, ou jusques à Barvyc, pour essayer de les accommoder ensemble; et que le comte de Lenoz s'étoit fort escandalizé du retour de Vérac, qui estoit tumbé de rechef en ses mains, lequel ilz ne sçavoient encores s'il le renvoyeroit par terre, ou s'il le feroit réembarquer pour le renvoyer par mer.
Sur quoy je leur ay respondu, Sire, que la Royne, leur Mestresse, et eulx doibvent admonester le comte de Lenoz de se déporter plus modéréement qu'il ne faict vers Vostre Majesté, et de vous avoir tant de respect qu'il ne veuille prandre ny arrester voz messagiers, que vous envoyez en Escoce; et qu'il laysse au Sr de Vérac accomplyr la charge que luy avez commise par dellà, laquelle je leur ose bien asseurer n'estre aultre que de procurer, conjoinctement avec l'agent de la Royne, leur Mestresse, la paciffication du pays, si, d'avanture, il y veult entendre; et que, s'il y va quelques ungs du conseil d'Angleterre, qu'il luy veuille permettre de s'entremettre avec eulx de l'accommodement des affaires pour le bien de la Royne d'Escoce, vostre belle sœur, pour la seureté du Prince, son filz, vostre parant, et pour la tranquilité des subjectz du royaulme, qui sont, elle et luy, et eulx toutz, de l'alliance de vostre couronne; et que, si le dict de Lenoz, après avoir faict murtryr plusieurs bons subjectz du dict royaulme, et avoir expolié la pluspart de la noblesse d'icelluy de leur biens, et estably une authorité viollante au pays, et relevé contre les trettez le fort du Petit Lith, se veult encores attaquer de plus prez à Vostre Majesté de vous prandre voz propres messagiers et violler voz pacquetz, qu'on ne s'esbahysse si la jalouzie de vostre honneur et debvoir en cella, et la juste dolleur du sang et opression de voz alliez vous pressent enfin de vous en rescentyr et d'en cercher le chastiement; et de tant que l'occasion leur en pourroit estre suspecte, que je les prie d'ayder au très affectueulx desir qu'ilz voient que vous avez de l'éviter, sellon qu'ilz sçavent que vous demeurez très justiffié envers Dieu et la Royne, leur Mestresse, et envers eulx mesmes et toute la Chrestienté, que vous avez faict tout ce qu'il vous a esté possible pour réduyre les choses à de bien équitables condicions, voyre les faire advantaigeuses pour la Royne, leur Mestresse, et pour leur royaulme, et que pourtant rien de mal, qui en pourra cy après survenir, ne vous en debvra estre imputé. Dont vous feray incontinent après, Sire, entendre tout ce qu'ilz m'y auront respondu.
Il semble qu'ilz ne se fyent guières au comte de Morthon, lequel, hormiz le seul nom de régent, qu'il laysse au dict de Lenoz, il s'atribue, quant au reste, toute l'authorité, tout le proffict et toute la conduicte de l'entreprinse, et presse infinyement ceulx cy de luy envoyer gens et argent dans la fin de ce mois, ou qu'il s'accordera avec l'aultre partie; et c'est l'ocasion pourquoy ilz veulent envoyer quelques ungs de ce conseil par dellà pour le contenir, et pour gaigner, s'ilz peuvent, Granges et Ledingthon, car ilz n'y vont jamais que pour faire dommaige à la Royne d'Escoce et pour entretenir la division dans son pays, et croy qu'ilz ne vouldroient que le dict de Morthon vînt absoluement à boult de ses affaires. Vostre Majesté me commandera toutjour ce que j'y auray à faire, et me donra s'il luy playt de quoy pouvoir fortiffier et ayder, d'icy en hors, ceulx de Lillebourg, puysque la voye de la mer leur est empeschée.
Je n'ay rien que changer, quant au propos de mariage, de ce que vous en ay mandé, le xxiie de ce moys, par mon secrétaire, et les adviz ne me signiffient aultre chose de nouveau en cella que ce que verrez en la lettre de la Royne. Et sur ce, etc. Ce xxvie jour de juillet 1571.
A la Royne.
Madame, despuys ce que je vous ay escript, du xxiie de ce moys, par mon secrétaire, touchant le propos du mariage, j'ay esté adverty que le Sr Vualsingam a faict une dépesche par deçà sur les propos, qu'auparavant le retour du Sr de Larchant il avoit heu avec Voz Majestez, de la sincérité dont la Royne, sa Mestresse, et les siens procédoient en cest affaire, ce qu'il mande vous avoir si bien persuadé que, nonobstant les lettres que Mr le cardinal de Lorrayne, à ce qu'il dict, vous a escriptes au contraire, vous demeuriez néantmoins résolue d'ambrasser avec toute affection la conclusion du dict mariage, et le Roy a déclaré qu'il tiendra pour ennemys ceulx qui le vouldront traverser. Et mande davantaige qu'ayant quelque vertueuse dame admonesté Monsieur, s'il passe en Angleterre, de n'y user comme les princes françoys, qui vont toutjour faisant l'amour aulx autres dames, ains qu'il se contante d'aymer bien fort et uniquement la Royne, affin d'éviter les maulx et dangiers qui ont accoustumé de venir aulx mauvais marys; qu'il a bénignement receu ce conseil, et avoit fort remercyé celle qui le luy avoit donné, et promiz qu'il le suyvroit: qui sont deux trêtz qui ont aporté beaucoup de contantement à ceste princesse, car elle a jugé qu'elle estoit aymée et desirée. L'on attend en dévotion l'aultre dépesche du dict de Valsingam, d'après le rapport du dict Sr de Larchant et du Sr Cavalcanty, dont je mettray peyne d'entendre ce qu'il en mandera, affin d'incontinent vous en advertyr. Sur ce, etc. Ce xxvie jour de juillet 1571.
CXCVIe DÉPESCHE
—du dernier jour de juillet 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)
Réponse de Burleigh sur la satisfaction demandée pour Mr de Vérac.—Affaires d'Écosse.—Danger de Marie Stuart tant qu'elle sera en Angleterre.—Nouveau complot dont elle est accusée.—Arrestation de sir Thomas Stanley, l'un des fils du comte Derby.—Nécessité de traiter avec le comte de Morton, en reconnaissant Jacques Ier roi d'Écosse conjointement avec Marie Stuart.—Nouvelles d'Irlande.—Négociation des Pays-Bas; conclusion de l'accord sur la restitution des prises.—Négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, sur la responce que par mes précédantes, du vingt sixiesme du présent, je vous ay mandé avoir faicte aulx seigneurs de ce conseil touchant les choses d'Escoce, qui a esté par une lettre que j'ay escripte à milord de Burgley, il m'a respondu que les comtes de Lestre, de Sussex et luy, ont, par ensemble, leu ma dicte lettre, et que l'ayantz despuys monstrée à la Royne, leur Mestresse, elle n'y a trouvé rien qui ne luy ayt semblé raysonnable; et pourtant qu'elle a ordonné d'estre incontinent faicte une dépesche au comte de Lenoz pour l'admonester de se desporter modéréement, et avec respect, vers les subjectz et messagiers de Vostre Majesté, et de ne contraindre en rien le Sr de Vérac qu'il ne puysse user la charge que luy avez commise par dellà; et que la dicte Dame et eulx toutz sont attandans quelque responce des deux partys, qui sont en Escoce, pour sçavoir s'ilz veulent condescendre à une abstinance de guerre, et, s'ilz le font, qu'on procèdera incontinent au tretté, ou sinon qu'elle envoyera aulcuns de son conseil sur les lieux pour essayer de les accorder; avec lesquelz le dict Sr de Vérac pourra intervenir, pour y faire, au nom de Vostre Majesté, les bons offices qu'il verra convenir au bien et repos de ce pouvre royaulme; et quant à une plus grande dellibération que celle là sur le faict de la Royne d'Escoce, et sur la liberté de son ambassadeur, que la dicte Dame n'avoit pensé, pour ceste heure, d'y rien toucher jusques aux dictes nouvelles d'Escoce: ce néantmoins, puysque je desiroys que ce fût plus tost, ilz luy en parleroient, affin qu'elle y prînt expédiant, et ne m'a rien plus mandé.
Or, Sire, j'entendz que le dict de Lenoz a mandé icy le contenu des lettres et de l'instruction et mémoires que le dict Sr de Vérac pourtoit, et que, quant il en a esté faict le récit à ceste princesse, elle n'y a rien trouvé qui luy ayt semblé estre directement contre elle, ce qui l'a assés satisfaicte; et les amys de la Royne d'Escoce ne cognoissent qu'il y ayt heu plus grand dangier que si elle n'y a veu une aussi ferme résolution de Vostre Majesté au restablissement de la dicte Royne d'Escoce, comme ilz le desireroient. Tant y a qu'encores hyer, sur la négociation que j'ay envoyé faire à iceulx de ce dict conseil, j'entendz que quelques ungs d'eulx ont fermement soubstenu que la Royne d'Angleterre ny son royaulme ne peuvent estre aulcunement bien asseurez, si la Royne d'Escoce ou si l'évesque de Roz sont remiz, l'ung ny l'aultre, ny deçà ny delà la mer, en pleyne liberté, fortiffians ceste leur opinion par nouveaulx argumens de la pratique, qui a esté nouvellement descouverte du Sr Thomas Stanley, second filz du comte Dherby, lequel ilz ont miz despuys huict jours avec plusieurs aultres dans la Tour, et de ce qu'ilz ont entendu que le Sr Roberto Ridolphy est passé de Rome en Espaigne, lesquelz deux ilz estiment estre de l'intelligence de la dicte Dame et de son dict ambassadeur, ce qui me faict juger que malayséement pourrons nous de longtemps, par parolles ny par négociations, tirer de ceulx cy rien de bien en cest endroict; et pourtant qu'il sera bon, Sire, sans laysser les instances accoustumées, si d'advanture il s'y peult toutjour gaigner quelque chose, que Vostre Majesté se résolve d'elle mesmes d'y faire ce que l'honneur de sa couronne et le bien de son service monstreront de le requérir, sans nulle manifeste offance de ceste princesse. Et croy, Sire, que vous obtiendriez ès dictes choses d'Escoce le meilleur effect de vostre intention, si le pays pouvoit estre remiz en paix, et il le pourroit estre si le comte de Morthon le vouloit, et le dict de Morthon ne seroit trop difficile à gaigner, si la Royne d'Escoce pouvoit estre persuadée de se contanter que le petit Prince, son filz, demeurast conjoinctement Roy avec elle; car, parce que le dict de Morthon est celluy qui principallement l'a proclamé et érigé pour roy, il n'estime qu'il y puysse avoir nulle sorte de bonne seurté pour luy, s'il est déposé; mais je ne sçay si ce préjudice seroit aultant dommageable à ceste pouvre princesse, comme celluy où elle se trouve meintenant. Vostre Majesté le considèrera, et je prendray garde si cependant ceulx cy préparent nulle entreprinse de ce costé.
Fitz Maurice prospère en Hirlande, et dict on qu'il a nouvellement prins ung fort sur les Anglois, ce qui les ennuye beaucoup. L'on essaye icy de gaigner sire Jehan, frère du comte d'Esmont, pour l'envoyer par dellà au lieu du dict comte, de qui ilz ne se fyent guières, tant pour contenir le pays que pour y diminuer l'affection qu'on a mise vers le dict Fitz Maurice, qui n'est si prochain seigneur de la comté d'Esmont comme cestuy cy; et desjà milord debitis d'Yrlande le se rand familier et domestique pour le passer de dellà avecques luy.
Les affaires des Pays Bas, encor qu'ilz ayent monstré d'aller lentement, ilz se sont néantmoins poursuyviz sans intermission par les depputez des deux costez, de sorte qu'ilz sont desjà tout accordez quant aulx merchandises; reste à accorder le poinct de l'argent et de l'entrecours, et me vient on de dire que le duc d'Alve a dépesché secrectement ung gentilhomme qui doibt arriver bientost icy; par lequel il mande à ceste princesse que le Roy, son Maistre, sera prest, pourveu que ses subjectz se treuvent aulcunement satisfaictz des prinses, de renouveller l'entrecours et l'alliance avec elle en la meilleure forme qu'elle ayt jamais esté entre ceste couronne et la mayson de Bourgoigne.
Le propos du mariage demeure en ung merveilleux silence en ceste cour, attandant des nouvelles de Voz Majestez et quelque dépesche de leur ambassadeur; bien m'asseure l'on toutjour que les choses y sont fort bien disposées. Sur ce, etc. Ce xxxie jour de juillet 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Despuys la présente escripte, j'ay receu ung chiffre de la Royne d'Escoce, du xviiie de ce mois, duquel je vous envoye l'extraict, affin que Vostre Majesté compreigne mieulx l'urgente nécessité de ses affaires pour y remédier: et cependant nous y donrons d'icy tout le sollagement qu'il nous sera possible.
A la Royne.
Madame, mardy dernier, le Sr Barnabé, que bien vous cognoissez, m'est venu présenter les recommendations de Mr le comte de Lestre, de qui il est secrétaire, et me dire que le dict sieur comte avoit aussi charge de me mander les recommendations de la Royne, sa Mestresse, et ung des paniers de son cabinet, où elle tient les petites besoignes de ses ouvrages, qu'il m'a incontinent baillé, lequel elle m'envoyoit plein de fort beaulx abricotz, pour me faire veoir que l'Angleterre est ung assés bon pays pour produyre de bons fruictz; et qu'au reste, si j'avois nulles nouvelles de France, que je luy en fisse part affin d'en satisfaire la dicte Dame, laquelle il m'asseuroit que jamais ne s'estoit trouvée plus sayne ny en meilleure disposition que meintenant, et qu'elle n'alloit plus en coche, ains sur ung beau grand cheval, à la chasse.
Je luy ay respondu que je remercyoys infinyment Mr le comte de la continuation de sa bonne vollonté vers moy, et que je le supplyois de bayser en mon nom très humblement les mains de Sa Majesté, et m'ayder d'ainsy dignement la remercyer de son salut et de son beau présent, comme une si excellante faveur le méritoit; laquelle je recepvoys avec l'honneur et respect qui estoient deuz à sa grandeur, et que ses beaux abricotz monstroient bien qu'il y avoit de belles et bonnes plantes en son royaulme, où je souhaytois des greffes de France pour encores y produyre le fruict plus parfaict; et, quant à sa bonne disposition, que c'estoit la plus agréable nouvelle dont je pouvois resjouyr ny contanter Voz Majestez Très Chrestiennes, et que je supplyois Nostre Seigneur l'y meintenir; au reste que je n'avois, pour ceste heure, que luy mander de France sinon la déclaration que le Sr de Valsingam estoit allé faire à Voz Majestez Très Chrestiennes comme l'on procédoit très sincèrement de ce costé au propos du mariage, de quoy vous aviez receu une fort grande satisfaction, et l'aviez asseuré qu'il y estoit de mesmes parfaictement bien correspondu de vostre part; et que j'attandoys, d'heure en heure, quelque dépesche sur la responce que Mr de Larchant vous auroit apportée, dont ne fauldrois, incontinent après, d'aller trouver la dicte Dame.
Et, le jour ensuyvant, j'ay envoyé ung gentilhomme exprès devers le dict sieur comte affin de le remercyer davantaige, et aussi pour entendre du bon portement de la dicte Dame et de la disposition du propos; lequel m'a confirmé que l'ung et l'aultre se portent fort bien et que ainsy j'en asseure Voz Majestez. Je sentz bien qu'ilz sont en peyne du retardement des nouvelles de France; et cependant ilz ont passé oultre à l'accord d'un des trois différans des Pays Bas, tant à leur advantaige qu'ilz ne l'ont peu reffuzer, et avec opinion d'acommoder bientost les aultres deux, si le duc d'Alve continue de plyer ainsy à tout ce qu'ilz veulent. Sur ce, etc.
Ce xxxie jour de juillet 1571.
Par postille à la lettre précédente.
Tout présentement me vient d'arriver celle qu'il vous a pleu m'escripre du xxve du présent, laquelle me servyra de bonne instruction en moy mesmes, et je la feray encores servyr envers d'aultres qui, possible, seroient mal informez, oultre que je suys admonesté, à toute heure, de croyre qu'on va de dissimulation sur cest affaire et sur celluy d'Escoce.
CXCVIIe DÉPESCHE
—du ve jour d'aoust 1571.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Giles le Thor.)
Inquiétude causée en Angleterre par le silence gardé en France sur les articles communiqués.—Crainte d'une rupture avec le roi.—Démarche de l'ambassadeur pour rassurer la reine sur le retard apporté aux réponses que l'on attend de France.—Vives instances en faveur de la reine d'Écosse.—Nouvelle irritation d'Élisabeth contre Marie Stuart.—Négociation du mariage.
Au Roy.
Sire, ceulx cy sont entrez en une non légière souspeçon du retardement des nouvelles de France, estimans que Vostre Majesté, pour n'avoir receu la satisfaction que, possible, elle espéroit par le retour du Sr de Larchant, pourroit avoir miz en son cueur de s'en rescentyr et de prandre pour cest effect le prétexte des choses d'Escoce; dont se sont ymaginez, Sire, que desjà vous aviez faict serrer les passaiges parce qu'ilz ne voyoient venir nul pacquet ny messagier du Sr de Valsingam. Et à cella s'est adjouxté que aulcuns de leurs merchans, revenants de Bretaigne, leur ont asseuré que voz gallères estoient arrivées à Brest, comme pour passer des soldatz en Escoce. Sur quoy ayant miz la matière en dellibération, les opinions ont esté diverses, mais j'entendz que celle là a esté la plus suyvye qui a tandu à remonstrer que la Royne d'Angleterre n'avoit à se fyer ny de la France ny de l'Espaigne, et pourtant qu'elle se debvoit fortiffier en elle mesmes dedans ceste grande isle, et pourvoir à trois poinctz qui l'y pourroient randre très asseurée contre tout le monde:—Le premier, qu'elle fît une ferme résolution de ne laysser jamais aller la Royne d'Escoce, laquelle Dieu luy avoit mise en sa puyssance, et chacun jour se descouvroyt davantaige combien il y auroit de très grand dangier pour elle et pour ce royaulme, si elle s'en dessaysissoit;—Le segond, qu'elle ne dissimulât de s'emparer de son royaulme qui estoit prest à tumber en ses mains, et desjà toutes choses commançoient à n'y dépendre plus que de son authorité;—Et le troisiesme, qu'elle taillât par dellà la mer à Vostre Majesté et au Roy d'Espaigne le plus de besoigne qu'elle pourroit, et vous fît attaquer l'un à l'aultre, s'il luy estoit possible;—Et cependant, si Vostre Majesté, ne s'attandant plus au mariage, monstroit néantmoins, pour dissimuler les choses, qu'il en vollût encores entretenir par bonnes parolles le propos, qu'elle vous en debvoit donner encores de meilleures pour passer cest esté, dedans lequel ceulx du party de la Royne d'Escoce, qui ne pouvoient plus estre aydez des deniers de France, sellon la preuve qu'ilz en avoient par la perte de Chesoin, seroient indubitablement ruynez, et lors l'entreprinse du pays luy seroit très facille; et pourroit disposer de la personne de la Royne d'Escoce, et pareillement de celle de son filz et de tout leur estat à son playsir. Sur laquelle opinion, encor qu'on ayt différé d'y rien résouldre jusques à ce qu'on ayt plus grande notice à quoy tend l'intention de Vostre Majesté, l'on l'a toutesfoys plus aprouvée que rejectée.
Et cependant la Royne d'Angleterre, en m'envoyant visiter avec ung présent d'un grand cerf, qu'elle mesmes a tué à l'arbaleste, m'a faict enquérir si j'avois nulles nouvelles de Vostre Majesté, et pareillement le comte de Lestre et milord de Burgley ont envoyé sçavoir le mesmes, et si je viendrois bientost à la court. J'ay remercyé, en la meilleure façon que j'ay peu, la dicte Dame de son présent, et que j'attandoys, d'heure en heure, de voz nouvelles par le retour d'ung de mes secrétaires, qui ne pouvoit guières plus tarder; dont ne fauldroys de luy aller incontinent randre bon compte de toutes celles qu'il m'auroit apportées. Et, le lendemain, encor que j'aye estimé que la dicte Dame et ceulx de son conseil se trouveroient occupez avec les depputez de Flandres et avec les principaulx merchans de Londres, qui estoient appellez pour le faict de leur accord, je n'ay layssé d'y envoyer et d'y escripre, affin de remercyer davantaige la dicte Dame de ses présans, et donner à elle et à ceulx de son conseil toute bonne espérance de nostre costé, et négocier au reste les choses pour la Royne d'Escoce.
A quoy les dicts de Lestre et Burgley m'ont respondu qu'ilz avoient jugé ma lettre fort digne d'estre monstrée à la Royne, leur Mestresse, laquelle l'avoit heu très agréable et vouloit de bon cueur, quant au premier poinct, croyre le mesmes que moy, que Voz Majestez Très Chrestiennes ne retardoient leur responce, sinon pour la faire meilleure; et, quant au segond, que mon mercyement surpassoit de beaucoup son bienfaict; au regard du troisiesme, qu'ilz me vouloient dire tout librement qu'elle reffuzoit toutes les demandes de la Royne d'Escoce, sinon la liberté de l'évesque de Roz, à laquelle elle estoit delliberée d'y procéder, et ont dict cella en façon qu'ilz ont monstré qu'ilz le veulent chasser d'icy; adjouxtant le dict de Lestre que ceste menée, qui s'estoit descouverte du segond filz du comte Dherby, apportoit une très grande traverse aulx affaires de la Royne d'Escoce, car l'entreprinse ne tendoit seulement à la vouloir mettre en liberté, mais à l'ériger pour Royne d'Angleterre en tout le quartier du North par une rébellion, formée soubz le prétexte de la bulle, et qu'il estoit bien marry que milord Dudeley, son parant, se trouvoit meslé en cella, et craignoit assés que la dicte Dame en fût dorsenavant plus observée et tenue plus estroict: dont fauldroit que je le tinse pour excusé, s'il n'entreprenoit plus de solliciter la Royne, sa Mestresse, d'escripre au comte de Cherosbery pour la plus ample liberté et bon trettement d'elle, car, lorsqu'il l'avoit faict, il se vériffioit que la susdicte menée en avoit esté plus librement conduicte, et il en estoit tumbé en quelque souspeçon à cause de l'ancienne et privée amytié qu'il avoit toutjour heue avec le duc de Norfolc; toutesfoys qu'il ne seroit jamais que amy et bienveuillant de la cause de la dicte Dame.
Je n'ay encores rien répliqué à cella, mais Vostre Majesté peut conjecturer de ce dessus combien l'inimitié et jalouzie s'ayguysent de plus en plus entre ces deux princesses, et combien sont à présent vifves et aspres les dellibérations de ceulx cy sur celle d'Escoce et sur son royaulme. Ilz sont attandans des nouvelles des seigneurs du dict pays, desquelles je vous manderay incontinent ce que j'en auray aprins; et ne vous répèteray rien, Sire, de la provision que la dicte Dame vous requiert pour ceulx de son party, sinon pour sçavoir s'il vous playrra que je inciste, en vostre nom, à ce que les comtes de Lenoz et de Morthon ayent à randre les monitions et argent, que Vostre Majesté envoyoit par Chesoin au chasteau de Lillebourg. Sur ce, etc. Ce ve jour d'aoust 1571.
A la Royne.
Madame, par le gentilhomme qui m'est venu présenter le cerf, dont je fais mencion en la lettre du Roy, le comte de Lestre m'a mandé que la Royne, sa Mestresse, estant à la chasse à Othelant, ayant veu ce grand cerf, souhaita aussitost de le pouvoir tuer pour me l'envoyer, affin qu'avec les fruictz de ses jardrins j'eusse aussi de la venayson de ses forestz, pour mieulx juger de la bonté de la terre; dont avoit incontinent demandé l'arbaleste, et, d'ung coup de trêt, elle mesmes luy avoit si bien rompu la jambe qu'il n'y avoit falleu que le vieulx milord Chamberland pour l'achever de tuer; et qu'il m'asseuroit que la dicte Dame persévéroit de plus en plus en son bon propos vers Monsieur, et parloit souvant des honnestes playsirs et exercisses qu'ilz prandroient ensemble à la chasse et à visiter les beaulx endroictz de ce royaulme; bien souspeçonnoit elle que le retardement de la responce de Voz Majestez, et ce qu'elle n'avoit encores peu avoir le pourtraict de Monsieur en grand, avec les couleurs, procédoit de quelque mauvais office qu'on eust faict par dellà, et que, si je sçavois rien du monde qui concernât cest affaire, fût bien ou mal, que je luy en vollusse faire part; ce qui a esté cause, Madame, que je luy ay escript une lettre, laquelle il m'a mandé qu'estoit venue le plus à propos du monde, et que cella, avec ung adviz qui estoit, quasi en mesmes temps, arrivé comme les gallères ne s'arrestoient en Bretaigne, ains venoient en Normandie, comme pour passer les depputez de deçà, leur faisoit prandre toute bonne espérance, et qu'à quelle heure qu'il surviendroit nulle aultre nouvelle de ce propos, que je la luy mandasse; car vouloit estre le premier qui la porteroit à la dicte Dame.
Et despuys, le dict sieur comte a parlé assés ouvertement de son particullier à ung nostre commung amy touchant madame de Nevers, monstrant y avoir grand affection, mais doubtoit assés de n'estre accepté, et a desiré bien fort son pourtrêt; et icelluy amy, sellon que je l'avois instruict, l'a interrogé, comme de soy mesmes, de l'estat de l'affaire principal, et si despuys il avoit rien gaigné envers la Royne sur le poinct de la religion. A quoy il a respondu que l'affaire procédoit toutjour de bien en mieulx de leur costé, bien qu'il ne vouloit dire qu'il eust rien gaigné quant au dict poinct de la religion. Tant y a que la dicte Dame faisoit préparer un logis pour les depputez; et le dict comte prioit icelluy nostre amy de faire venir les draps et toilles d'or et d'argent, parce qu'il en a le moyen; et que si, d'avanture, l'on se tenoit en quelque suspens doubteux en France, qu'il le prioyt luy mesmes d'y faire ung voyage pour sçavoir où la matière seroit acrochée, affin de la pouvoir remédier. Plusieurs choses se disent et escripvent de plusieurs endroictz là dessus, qui seroient longues à mettre icy, mais ceulx cy suffiront s'il vous playt, Madame, pour toutjour vous représanter commant les choses en vont.
Je vous supplie très humblement d'agréer, par quelque bonne parolle de mercyement, au Sr de Valsingam les honnestes présens, que sa Mestresse a faictz à vostre ambassadeur, et commander qu'il soit quelquefoys gratiffié de mesmes. Sur ce, etc. Ce ve jour d'aoust 1571.