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Cours de philosophie positive. (1/6)

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SEIZIÈME LEÇON.




Sommaire. Vue générale de la statique.

L'ensemble de la mécanique rationnelle peut être traité d'après deux méthodes générales essentiellement distinctes et inégalement parfaites, suivant que la statique est conçue d'une manière directe, ou qu'elle est considérée comme un cas particulier de la dynamique. Par la première méthode, on s'occupe immédiatement de découvrir un principe d'équilibre suffisamment général, qu'on applique ensuite à la détermination des conditions d'équilibre de tous les systèmes de forces possibles. Par la seconde, au contraire, on cherche d'abord quel serait le mouvement résultant de l'action simultanée des diverses forces quelconques proposées, et on en déduit les relations qui doivent exister entre ces forces pour que ce mouvement soit nul.

La statique étant nécessairement d'une nature plus simple que la dynamique, la première méthode a pu seule être employée à l'origine de la mécanique rationnelle. C'est, en effet, la seule qui fût connue des anciens, entièrement étrangers à toute idée de dynamique, même la plus élémentaire. Archimède, vrai fondateur de la statique, et auquel sont dues toutes les notions essentielles que l'antiquité possédait à cet égard, commence à établir la condition d'équilibre de deux poids suspendus aux deux extrémités d'un levier droit, c'est-à-dire la nécessité que ces poids soient en raison inverse de leurs distances au point d'appui du levier; et il s'efforce ensuite de ramener autant que possible à ce principe unique la recherche des relations d'équilibre propres à d'autres systèmes de forces. Pareillement, quant à la statique des fluides, il pose d'abord son célèbre principe, consistant en ce que tout corps plongé dans un fluide perd une partie de son poids égale au poids du fluide déplacé; et ensuite il en déduit, dans un grand nombre de cas, la théorie de la stabilité des corps flottans. Mais le principe du levier n'avait point par lui-même une assez grande généralité pour qu'il fût possible de l'appliquer réellement à la détermination des conditions d'équilibre de tous les systèmes de forces. Par quelques ingénieux artifices qu'on ait successivement essayé d'en étendre l'usage, on n'a pu effectivement y ramener que les systèmes composés de forces parallèles. Quant aux forces dont les directions concourent, on a d'abord essayé de suivre une marche analogue, en imaginant de nouveaux principes directs d'équilibre spécialement propres à ce cas plus général, et parmi lesquels il faut surtout remarquer l'heureuse idée de Stévin, relative à l'équilibre du système de deux poids posés sur deux plans inclinés adossés. Cette nouvelle idée-mère eût peut-être suffi strictement pour combler la lacune que laissait dans la statique le principe d'Archimède, puisque Stévin était parvenu à en déduire les rapports d'équilibre entre trois forces appliquées en un même point, dans le cas du moins où deux de ces forces sont à angles droits; et il avait même remarqué que les trois forces sont alors entre elles comme les trois côtés d'un triangle dont les angles seraient égaux à ceux formés par ces trois forces. Mais, la dynamique ayant été fondée dans le même temps par Galilée, les géomètres cessèrent de suivre l'ancienne marche statique directe, préférant procéder à la recherche des conditions d'équilibre d'après les lois dès lors connues de la composition des forces. C'est par cette dernière méthode que Varignon découvrit la véritable théorie générale de l'équilibre d'un système de forces appliquées en un même point, et que plus tard d'Alembert établit enfin, pour la première fois, les équations d'équilibre d'un système quelconque de forces appliquées aux différens points d'un corps solide de forme invariable. Cette méthode est encore aujourd'hui la plus universellement employée.

Au premier abord, elle semble peu rationnelle, puisque, la dynamique étant plus compliquée que la statique, il ne paraît nullement convenable de faire dépendre celle-ci de l'autre. Il serait, en effet, plus philosophique de ramener au contraire, s'il est possible, la dynamique à la statique, comme on y est parvenu depuis. Mais on doit néanmoins reconnaître que, pour traiter complétement la statique comme un cas particulier de la dynamique, il suffit d'avoir formé seulement la partie la plus élémentaire de celle-ci, la théorie des mouvemens uniformes, sans avoir aucun besoin de la théorie des mouvemens variés. Il importe d'expliquer avec précision cette distinction fondamentale.

A cet effet, observons d'abord qu'il existe, en général, deux sortes de forces: 1º les forces que j'appelle instantanées, comme les impulsions, qui n'agissent sur un corps qu'à l'origine du mouvement, en l'abandonnant à lui-même aussitôt qu'il est en marche; 2º les forces qu'on appelle assez improprement accélératrices, et que je préfère nommer continues, comme les attractions, qui agissent sans cesse sur le mobile pendant toute la durée du mouvement. Cette distinction équivaut évidemment à celle des mouvemens uniformes et des mouvemens variés; car il est clair, en vertu de la première des trois lois fondamentales du mouvement exposées dans la leçon précédente, que toute force instantanée doit nécessairement produire un mouvement uniforme, tandis que toute force continue doit, au contraire, par sa nature, imprimer au mobile un mouvement indéfiniment varié. Cela posé, on conçoit fort aisément, à priori, comme je l'ai déjà indiqué plusieurs fois, que la partie de la dynamique relative aux forces instantanées ou aux mouvemens uniformes doit être, sans aucune comparaison, infiniment plus simple que celle qui concerne les forces continues ou les mouvemens variés, et dans laquelle consiste essentiellement toute la difficulté de la dynamique. La première partie présente une telle facilité, qu'elle peut être traitée dans son ensemble comme une conséquence immédiate des trois lois fondamentales du mouvement, ainsi que je l'ai expressément remarqué à la fin de la leçon précédente. Or il est maintenant aisé de concevoir, en thèse générale, que c'est seulement de cette première partie de la dynamique qu'on a besoin pour constituer la statique comme un cas particulier de la dynamique.

En effet, le phénomène d'équilibre, dont il s'agit alors de découvrir les lois, est évidemment, par sa nature, un phénomène instantané, qui doit être étudié sans aucun égard au temps. La considération du temps ne s'introduit que dans les recherches relatives à ce qu'on appelle la stabilité de l'équilibre; mais ces recherches ne font plus, à proprement parler, partie de la statique, et rentrent essentiellement dans la dynamique. En un mot, suivant l'aphorisme ordinaire déjà cité, on fait toujours, en statique, abstraction du temps. Il en résulte qu'on y peut regarder comme instantanées toutes les forces que l'on considère, sans que les théories cessent pour cela d'avoir toute la généralité nécessaire. Car, à chaque époque de son action, une force continue peut toujours évidemment être remplacée par une force instantanée mécaniquement équivalente, c'est-à-dire susceptible d'imprimer au mobile une vitesse égale à celle que lui donne effectivement en cet instant la force proposée. A la vérité, il faudra, dans le moment infiniment petit suivant, substituer à cette force instantanée une nouvelle force de même nature, pour représenter le changement effectif de la vitesse, de telle sorte que, en dynamique, où l'on doit considérer l'état du mobile dans les divers instans successifs, on retrouvera nécessairement par la variation de ces forces instantanées la difficulté fondamentale inhérente à la nature des forces continues, et qui n'aura fait que changer de forme. Mais, en statique, où il ne s'agit d'envisager les forces que dans un instant unique, on n'aura point à tenir compte de ces variations, et les lois générales de l'équilibre, ainsi établies en considérant toutes les forces comme instantanées, n'en seront pas moins applicables à des forces continues, pourvu qu'on ait soin, dans cette application, de substituer à chaque force continue la force instantanée qui lui correspond en ce moment.

On conçoit donc nettement par là comment la statique abstraite peut être traitée avec facilité comme une simple application de la partie la plus élémentaire de la dynamique, celle qui se rapporte aux mouvemens uniformes. La manière la plus convenable d'effectuer cette application consiste à remarquer que, lorsque des forces quelconques sont en équilibre, chacune d'entre elles, considérée isolément, peut être regardée comme détruisant l'effet de l'ensemble de toutes les autres. Ainsi la recherche des conditions de l'équilibre se réduit, en général, à exprimer que l'une quelconque des forces du système, est égale et directement opposée à la résultante de toutes les autres. La difficulté ne consiste donc, dans cette méthode, qu'à déterminer cette résultante, c'est-à-dire à composer entre elles les forces proposées. Cette composition s'effectue immédiatement pour le cas de deux forces d'après la troisième loi fondamentale du mouvement, et l'on en déduit ensuite la composition d'un nombre quelconque de forces. La question élémentaire présente, comme on sait, deux cas essentiellement distincts, suivant que les deux forces à composer agissent dans des directions convergentes ou dans des directions parallèles. Chacun de ces deux cas peut être traité comme dérivant de l'autre, d'où résulte parmi les géomètres une certaine divergence dans la manière d'établir les lois élémentaires de la composition des forces, suivant le cas que l'on choisit pour point de départ. Mais, sans contester la possibilité rigoureuse de procéder autrement, il me semble plus rationnel, plus philosophique et plus strictement conforme à l'esprit de cette manière de traiter la statique, de commencer par la composition des forces qui concourent, d'où l'on déduit naturellement celle des forces parallèles comme cas particulier, tandis que la déduction inverse ne peut se faire qu'à l'aide de considérations indirectes, qui, quelque ingénieuses qu'elles puissent être, présentent nécessairement quelque chose de forcé.

Après avoir établi les lois élémentaires de la composition des forces, les géomètres, avant de les appliquer à la recherche des conditions de l'équilibre, leur font éprouver ordinairement une importante transformation, qui, sans être complétement indispensable, présente néanmoins, sous le rapport analytique, la plus haute utilité, par l'extrême simplification qu'elle introduit dans l'expression algébrique des conditions d'équilibre. Cette transformation consiste dans ce qu'on appelle la théorie des momens, dont la propriété essentielle est de réduire analytiquement toutes les lois de la composition des forces à de simples additions et soustractions. La dénomination de momens, entièrement détournée aujourd'hui de sa signification première, ne désigne plus maintenant que la considération abstraite du produit d'une force par une distance. Il faut distinguer, comme on sait, deux sortes de momens, les momens par rapport à un point, qui indiquent le produit d'une force par la perpendiculaire abaissée de ce point sur sa direction, et les momens par rapport à un plan, qui désignent le produit de la force par la distance de son point d'application à ce plan. Les premiers ne dépendent évidemment que de la direction de la force, et nullement de son point d'application; ils sont spécialement appropriés par leur nature à la théorie des forces non parallèles: les seconds au contraire, ne dépendent que du point d'application de la force, et nullement de sa direction; ils sont donc essentiellement destinés à la théorie des forces parallèles. Nous aurons occasion d'indiquer plus bas par quelle heureuse idée fondamentale M. Poinsot est parvenu à attribuer généralement, et de la manière la plus naturelle, une signification concrète directe à l'un et à l'autre genre de momens, qui n'avaient réellement avant lui qu'une valeur abstraite.

La notion des momens une fois établie, leur théorie élémentaire consiste essentiellement dans ces deux propriétés générales très-remarquables, qu'on déduit aisément de la composition des forces: 1º si l'on considère un système de forces toutes situées dans un même plan, et disposées d'ailleurs d'une manière quelconque, le moment de leur résultante, par rapport à un point quelconque de ce plan, est égal à la somme algébrique des momens de toutes les composantes par rapport à ce même point, en attribuant à ces divers momens le signe convenable, d'après le sens suivant lequel chaque force tendrait à faire tourner son bras de levier autour de l'origine des momens supposée fixe; 2º en considérant un système de forces parallèles disposées d'une manière quelconque dans l'espace, le moment de leur résultante par rapport à un plan quelconque est égal à la somme algébrique des momens de toutes les composantes par rapport à ce même plan, le signe de chaque moment étant alors naturellement déterminé, conformément aux règles ordinaires, d'après le signe propre à chacun des facteurs dont il se compose. Le premier de ces deux théorèmes fondamentaux a été découvert par un géomètre auquel la mécanique rationnelle doit beaucoup, et dont la mémoire a été dignement relevée par Lagrange d'un injuste oubli, Varignon. La manière dont Varignon établit ce théorème dans le cas de deux composantes, d'où résulte immédiatement le cas général, est même spécialement remarquable. En effet, regardant le moment de chaque force par rapport à un point comme évidemment proportionnel à l'aire du triangle qui aurait ce point pour sommet et pour base la droite qui représente la force, Varignon, d'après la loi du parallélogramme des forces, présente d'abord le théorème des momens sous une forme géométrique très-simple, en démontrant que si, dans le plan d'un parallélogramme, on prend un point quelconque, et que l'on considère les trois triangles ayant ce point pour sommet commun, et pour bases les deux côtés contigus du parallélogramme et la diagonale correspondante, le triangle construit sur la diagonale sera constamment équivalent à la somme où à la différence des triangles construits sur les deux côtés; ce qui est en soi, comme l'observe avec raison Lagrange, un beau théorème de géométrie, indépendamment de son utilité en mécanique.

A l'aide de cette théorie des momens, on parvient à exprimer aisément les relations analytiques qui doivent exister entre les forces dans l'état d'équilibre, en considérant d'abord, pour plus de facilité, les deux cas particuliers d'un système de forces toutes situées d'une manière quelconque dans un même plan, et d'un système quelconque de forces parallèles. Chacun de ces deux systèmes exige, en général, trois équations d'équilibre, qui consistent: 1º pour le premier, en ce que la somme algébrique des produits de chaque force, soit par le cosinus, soit par le sinus de l'angle qu'elle fait avec une droite fixe prise arbitrairement dans le plan soit séparément nulle, ainsi que la somme algébrique des momens de toutes les forces par rapport à un point quelconque de ce plan; 2º pour le second, en ce que la somme algébrique de toutes les forces proposées soit nulle, ainsi que la somme algébrique de leurs momens pris séparément par rapport à deux plans différens parallèles à la direction commune de ces forces. Après avoir traité ces deux cas préliminaires, il est facile d'en déduire celui d'un système de forces tout-à-fait quelconque. Il suffit, pour cela, de concevoir chaque force du système décomposée en deux, l'une située dans un plan fixe quelconque, l'autre perpendiculaire à ce plan. Le système proposé se trouvera dès lors remplacé par l'ensemble de deux systèmes secondaires plus simples, l'un composé de forces dirigées toutes dans un même plan, l'autre de forces toutes perpendiculaires à ce plan et conséquemment parallèles entre elles. Comme ces deux systèmes partiels ne sauraient évidemment se faire équilibre l'un à l'autre, il faudra donc, pour que l'équilibre puisse avoir lieu dans le système général primitif, qu'il existe dans chacun d'eux en particulier, ce qui ramène la question aux deux questions préliminaires déjà traitées. Telle est du moins la manière la plus simple de concevoir, en traitant la statique par la méthode dynamique, la recherche générale des conditions analytiques de l'équilibre pour un système quelconque de forces; quoiqu'il fût d'ailleurs possible évidemment, en compliquant la solution, de résoudre directement le problème dans son entière généralité, de façon à y faire rentrer au contraire, comme une simple application, les deux cas préliminaires. Quelque marche qu'on juge à propos d'adopter, on trouve pour l'équilibre d'un système quelconque de forces, les six équations suivantes:

S P cos α = 0, S P cos β = 0, S P cos γ = 0,
S P(y cos α - x cos β) = 0, S P(z cos α - xcos γ) = 0,
S P(y cos γ - z cos β) = 0;

en désignant par P l'intensité de l'une quelconque des forces du système, par α, β, γ, les angles que forme sa direction avec trois axes fixes rectangulaires choisis arbitrairement, et par x, y, z, les coordonnées de son point d'application relativement à ces trois axes. J'emploie ici la caractéristique S pour désigner la somme des produits semblables, propres à toutes les forces du système P, P', P'', etc.

Telle est, en substance, la manière de procéder à la détermination des conditions générales de l'équilibre, en concevant la statique comme un cas particulier de la dynamique élémentaire. Mais, quelque simple que soit en effet cette méthode, il serait évidemment plus rationnel et plus satisfaisant de revenir, s'il est possible, à la méthode des anciens, en dégageant la statique de toute considération dynamique, pour procéder directement à la recherche des lois de l'équilibre envisagé en lui-même, à l'aide d'un principe d'équilibre suffisamment général, établi immédiatement. C'est effectivement ce que les géomètres ont tenté, quand une fois les équations générales de l'équilibre ont été découvertes par la méthode dynamique. Mais ils ont surtout été déterminés à établir une méthode statique directe, par un motif philosophique d'un ordre plus élevé et en même temps plus pressant que le besoin de présenter la statique sous un point de vue logique plus parfait. C'est maintenant ce qu'il nous importe éminemment d'expliquer, puisque telle est la marche qui a conduit Lagrange à imprimer à l'ensemble de la mécanique rationnelle cette haute perfection philosophique qui la caractérise désormais.

Ce motif fondamental résulte de la nécessité où l'ont se trouve pour traiter, en général, les questions les plus difficiles et les plus importantes de la dynamique, de les faire rentrer dans de simples questions de statique. Nous examinerons spécialement, dans la leçon suivante, le célèbre principe général de dynamique découvert par d'Alembert, et à l'aide duquel toute recherche relative au mouvement d'un corps ou d'un système quelconque, peut être convertie immédiatement en un problème d'équilibre. Ce principe, qui, sous le point de vue philosophique, n'est vraiment, comme je l'ai déjà indiqué dans la leçon précédente, que la plus grande généralisation possible de la seconde loi fondamentale du mouvement, sont depuis près d'un siècle de base permanente à la solution de tous les grands problèmes de dynamique, et doit évidemment désormais recevoir de plus en plus une telle destination, vu l'admirable simplification qu'il apporte dans les recherches les plus difficiles. Or il est clair qu'une semblable manière de procéder oblige nécessairement à traiter à son tour la statique par une méthode directe, sans la déduire de la dynamique, qui ainsi est, au contraire, entièrement fondée sur elle. Ce n'est pas qu'il y ait, à proprement parler, aucun véritable cercle vicieux à persister encore dans la marche ordinaire exposée ci-dessus, puisque la partie élémentaire de la dynamique, sur laquelle seule on a fait reposer la statique, se trouve, en réalité, être complétement distincte de celle qu'on ne peut traiter qu'en la réduisant à la statique. Mais il n'en est pas moins évident que l'ensemble de la mécanique rationnelle ne présente alors, en procédant ainsi, qu'un caractère philosophique peu satisfaisant, à cause de l'alternative fréquente entre le point de vue statique et le point de vue dynamique. En un mot, la science, mal coordonnée, se trouve, par là, manquer essentiellement d'unité.

L'adoption définitive et l'usage universel du principe de d'Alembert rendaient donc indispensable aux progrès futurs de l'esprit humain une refonte radicale du système entier de la mécanique rationnelle, où, la statique étant traitée directement d'après une loi primitive d'équilibre suffisamment générale, et la dynamique rappelée à la statique, l'ensemble de la science pût acquérir un caractère d'unité désormais irrévocable. Telle est la révolution éminemment philosophique exécutée par Lagrange dans son admirable traité de mécanique analytique, dont la conception fondamentale servira toujours de base à tous les travaux ultérieurs des géomètres sur les lois de l'équilibre et du mouvement, comme nous avons vu la grande idée mère de Descartes devoir diriger indéfiniment toutes les spéculations géométriques.

En examinant les recherches des géomètres antérieurs sur les propriétés de l'équilibre, pour y puiser un principe direct de statique qui pût offrir toute la généralité nécessaire, Lagrange s'est arrêté à choisir le principe des vitesses virtuelles, devenu désormais si célèbre par l'usage immense et capital qu'il en a fait. Ce principe, découvert primitivement par Galilée dans le cas de deux forces, comme une propriété générale que manifestait l'équilibre de toutes les machines, avait été, plus tard, étendu par Jean Bernouilli à un nombre quelconque de forces, constituant un système quelconque; et Varignon avait ensuite remarqué expressément l'emploi universel qu'il était possible d'en faire en statique. La combinaison de ce principe avec celui de d'Alembert a conduit Lagrange à concevoir et à traiter la mécanique rationnelle tout entière comme déduite d'un seul théorème fondamental, et à lui donner ainsi le plus haut degré du perfection qu'une science puisse acquérir sous le rapport philosophique, une rigoureuse unité.

Pour concevoir nettement avec plus de facilité le principe général des vitesses virtuelles, il est encore utile de le considérer d'abord dans le simple cas de deux forces, comme l'avait fait Galilée. Il consiste alors en ce que, deux forces se faisant équilibre à l'aide d'une machine quelconque, elles sont entre elles en raison inverse des espaces que parcouraient dans le sens de leurs directions leurs points d'application, si on supposait que le système vînt à prendre un mouvement infiniment petit: ces espaces portent le nom de vitesses virtuelles, afin de les distinguer des vitesses réelles qui auraient effectivement lieu si l'équilibre n'existait pas. Dans cet état primitif, ce principe, qu'on peut très-aisément vérifier relativement à toutes les machines connues, présente déjà une grande utilité pratique, vu l'extrême facilité avec laquelle il permet d'obtenir effectivement la condition mathématique d'équilibre d'une machine quelconque, dont la constitution serait même entièrement inconnue. En appelant moment virtuel ou simplement moment, suivant l'acception primitive de ce terme parmi les géomètres, le produit de chaque force par sa vitesse virtuelle, produit qui, en effet, mesure alors l'effort de la force pour mouvoir la machine, on peut simplifier beaucoup l'énonce du principe en se bornant à dire que, dans ce cas, les momens des deux forces doivent être égaux et de signe contraire pour qu'il y ait équilibre; le signe positif ou négatif de chaque moment est déterminé d'après celui de la vitesse virtuelle, qu'on estimera, conformément à l'esprit ordinaire de la théorie mathématique des signes, positive ou négative selon que, par le mouvement fictif que l'on imagine, la projection du point d'application se trouverait tomber sur la direction même de la force ou sur son prolongement. Cette expression abrégée du principe des vitesses virtuelles est surtout utile pour énoncer ce principe d'une manière générale, relativement à un système de forces tout-à-fait quelconque. Il consiste alors en ce que la somme algébrique des momens virtuels de toutes les forces, estimés suivant la règle précédente, doit être nulle pour qu'il y ait équilibre; et cette condition doit avoir lieu distinctement par rapport à tous les mouvemens élémentaires que le système pourrait prendre en vertu des forces dont il est animé. En appelant P, P', P'', etc., les forces proposées, et, suivant la notation ordinaire de Lagrange, δρ, δρ', δρ'', etc., les vitesses virtuelles correspondantes, ce principe se trouve immédiatement exprimé par l'équation

P δρ + P' δρ' + P'' δρ'' + etc. = 0,

ou, plus brièvement,

∫ P δρ = 0,

dans laquelle, par les travaux de Lagrange, la mécanique rationnelle tout entière peut être regardée comme implicitement renfermée. Quant à la statique, la difficulté fondamentale de développer convenablement cette équation générale se réduira essentiellement, lorsque toutes les forces dont il faut tenir compte seront bien connues, à une difficulté purement analytique, qui consistera à rapporter, dans chaque cas, d'après les conditions de liaison caractéristiques du système considéré, toutes les variations infiniment petites δρ, δρ', etc., au plus petit nombre possible de variations réellement indépendantes, afin d'annuler séparément les divers groupes de termes relatifs à chacune de ces dernières variations, ce qui fournit, pour l'équilibre, autant d'équations distinctes qu'il pourrait exister de mouvemens élémentaires vraiment différens par la nature du système proposé. En supposant que les forces soient entièrement quelconques, et qu'elles soient appliquées aux divers points d'un corps solide, qui ne soit d'ailleurs assujetti à aucune condition particulière, on parvient aussi immédiatement et de la manière la plus simple aux six équations générales de l'équilibre rapportées ci-dessus d'après la méthode dynamique. Si le solide, au lieu d'être complétement libre, doit être plus ou moins gêné, il suffit d'introduire au nombre des forces du système les résistances qui en résultent après les avoir convenablement définies, ce qui ne fera qu'ajouter quelques nouveaux termes à l'équation fondamentale. Il en est de même quand la forme du solide n'est point supposée rigoureusement invariable, et qu'on vient, par exemple, à considérer son élasticité. De semblables modifications n'ont d'autre effet, sous le point de vue logique, que de compliquer plus ou moins l'équation des vitesses virtuelles, qui ne cesse point pour cela de conserver nécessairement son entière généralité, quoique ces conditions secondaires puissent quelquefois rendre presqu'inextricables les difficultés purement analytiques que présente la solution effective de la question proposée.

Tant que le théorème des vitesses virtuelles n'avait été conçu que comme une propriété générale de l'équilibre, on avait pu se borner à le vérifier par sa conformité constante avec les lois ordinaires de l'équilibre déjà obtenues autrement, et dont il présentait ainsi un résumé très-utile par sa simplicité et son uniformité. Mais, pour faire de ce théorème fondamental la base effective de toute la mécanique rationnelle, en un mot, pour la convertir en un véritable principe, il était indispensable de l'établir directement sans le déduire d'aucun autre, ou du moins en ne supposant que des propositions préliminaires susceptibles par leur extrême simplicité d'être présentées comme immédiates. C'est ce qu'a si heureusement exécuté Lagrange par son ingénieuse démonstration fondée sur le principe des mouffles et dans laquelle il parvient à prouver généralement le théorème des vitesses virtuelles avec une extrême facilité, en imaginant un poids unique, qui, à l'aide de mouffles convenablement construites, se trouve remplacer simultanément toutes les forces du système. On a successivement proposé depuis quelques autres démonstrations directes et générales du principe des vitesses virtuelles, mais qui, beaucoup plus compliquées que celle de Lagrange, ne lui sont, en réalité, nullement supérieures quant à la rigueur logique. Pour nous, sous le point de vue philosophique, nous devons regarder ce théorème général comme une conséquence nécessaire des lois fondamentales du mouvement, d'où elle peut être déduite de diverses manières, et qui devient ensuite le point de départ effectif de la mécanique rationnelle tout entière.

L'emploi d'un tel principe ramenant l'ensemble de la science à une parfaite unité, il devient évidemment fort peu intéressant désormais de connaître d'autres principes plus généraux encore, en supposant qu'on puisse en obtenir. On peut donc regarder comme essentiellement oiseuses par leur nature les tentatives qui pourraient être projetées pour substituer quelque nouveau principe à celui des vitesses virtuelles. Un tel travail ne saurait plus perfectionner nullement le caractère philosophique fondamental de la mécanique rationnelle, qui, dans le traité de Lagrange, est aussi fortement coordonnée qu'elle puisse jamais l'être. On n'y pourrait réellement avoir en vue d'autre utilité effective que de simplifier considérablement les recherches analytiques auxquelles la science est maintenant réduite, ce qui doit paraître presque impossible quand on envisage avec quelle admirable facilité le principe des vitesses virtuelles a été adapté par Lagrange à l'application uniforme de l'analyse mathématique.

Telle est donc la manière incomparablement la plus parfaite de concevoir et de traiter la statique, et par suite l'ensemble de la mécanique rationnelle. Dans un ouvrage tel que celui-ci surtout, nous ne pouvions hésiter un seul moment à accorder à cette méthode une préférence éclatante sur tout autre, puisque son principal avantage caractéristique est de perfectionner au plus haut degré la philosophie de cette science. Cette considération doit avoir à nos yeux bien plus d'importance que nous ne pouvons en attribuer en sens inverse aux difficultés propres qu'elle présente encore fréquemment dans les applications, et qui consistent essentiellement dans l'extrême contention intellectuelle qu'elle exige souvent, ce qui peut être regardé comme étant jusqu'à un certain point inhérent à toute méthode très-générale où les questions quelconques sont constamment ramenées à un principe unique. Néanmoins ces difficultés sont assez grandes jusqu'ici pour qu'on ne puisse point encore regarder la méthode de Lagrange comme vraiment élémentaire, de manière à pouvoir dispenser entièrement d'en considérer aucune autre dans un enseignement dogmatique. C'est ce qui m'a déterminé à caractériser d'abord avec quelques développemens la méthode dynamique proprement dite, la seule encore généralement usitée. Mais ces considérations ne peuvent être évidemment que provisoires; les principaux embarras qu'occasione l'emploi de la conception de Lagrange n'ayant réellement d'autre cause essentielle que sa nouveauté. Une telle méthode n'est point indéfiniment destinée sans doute à l'usage exclusif d'un très-petit nombre de géomètres, qui en ont seuls encore une connaissance assez familière pour utiliser convenablement les admirables propriétés qui la caractérisent: elle doit certainement devenir plus tard aussi populaire dans le monde mathématique que la grande conception géométrique de Descartes, et ce progrès général serait vraisemblablement déjà presqu'effectué si les notions fondamentales de l'analyse transcendante étaient plus universellement répandues.

Je ne croirais pas avoir convenablement caractérisé toutes les notions philosophiques essentielles relatives à la statique rationnelle, si je ne faisais maintenant une mention distincte d'une nouvelle conception fort importante, introduite dans la science par M. Poinsot, et que je regarde comme le plus grand perfectionnement qu'ait éprouvé, sous le point de vue philosophique, le système général de la mécanique, depuis la régénération opérée par Lagrange, quoiqu'elle ne soit pas exactement dans la même direction. Il s'agit, comme on voit, de l'ingénieuse et lumineuse théorie des couples, que M. Poinsot a si heureusement créée pour perfectionner directement dans ses conceptions fondamentales la mécanique rationnelle, et dont la portée ne me paraît point avoir été encore suffisamment appréciée par la plupart des géomètres. On sait que ces couples, ou systèmes de forces parallèles égales et contraires, avaient à peine été remarqués avant M. Poinsot comme une sorte de paradoxe en statique, et qu'il s'est emparé de cette notion isolée pour en faire immédiatement le sujet d'une théorie fort étendue et entièrement originale relative à la transformation, à la composition et à l'usage de ces groupes singuliers, qu'il a montrés doués de propriétés si remarquables par leur généralité et leur simplicité. Ces propriétés fondamentales consistent essentiellement: 1º sous le rapport de la direction, en ce que l'effet d'un couple dépend seulement de la direction de son plan ou de son axe, et nullement de la position de ce plan, ni de celle du couple dans le plan; 2º quant à l'intensité, en ce que l'effet d'un couple ne dépend proprement ni de la valeur de chacune des forces égales qui le composent, ni du bras de levier sur lequel elles agissent, mais uniquement du produit de cette force par cette distance, auquel M. Poinsot a donné avec raison le nom de moment du couple.

En adoptant la méthode dynamique proprement dite pour procéder à la recherche des conditions générales de l'équilibre, M. Poinsot l'a présentée sous un point de vue complétement neuf à l'aide de sa conception des couples, qui l'a considérablement simplifiée et éclaircie. Pour caractériser ici sommairement cette variété de la méthode dynamique, il suffira de concevoir que, en ajoutant en un point quelconque du système deux forces égales à chacune de celles que l'on considère et qui agissent, en sens contraire l'une de l'autre, suivant une droite parallèle à sa direction, on pourra ainsi, sans jamais altérer évidemment l'état du système proposé, le regarder comme remplacé: 1º par un système de forces égales aux forces primitives transportées toutes parallèlement à leurs directions au point unique que l'on aura choisi, et qui, en conséquence, seront généralement réductibles en une seule; 2º par un système de couples ayant pour mesure de leur intensité les momens des forces proposées relativement à ce même point, et dont les plans, passant tous en ce même point, les rendront aussi réductibles généralement à un couple unique. On voit, d'après cela, avec quelle facilité on pourra procéder ainsi à la détermination des relations d'équilibre, puisqu'il suffira de trouver, par les lois connues de la composition des forces convergentes, cette résultante unique, afin d'exprimer qu'elle est nulle; et ensuite, par les lois que M. Poinsot a établies pour la composition des couples, obtenir également ce couple résultant, et l'annuler aussi séparément; car il est clair que, la force et le couple ne pouvant se détruire mutuellement, l'équilibre ne saurait exister qu'en les supposant individuellement nuls.

Il faut, sans doute, reconnaître que cette nouvelle manière de procéder n'est point indispensable pour appliquer la méthode dynamique à la détermination des conditions générales de l'équilibre. Mais, outre l'extrême simplification qu'elle introduit dans une telle recherche, nous devons surtout apprécier, quant aux progrès généraux de la science, la clarté inattendue qu'elle y apporte, c'est-à-dire l'aspect éminemment lucide sous lequel elle présente une partie essentielle de ces conditions d'équilibre, toutes celles qui sont relatives aux momens des forces proposées, et qui constituent la plus importante moitié des équations statiques. Ces momens, qui n'indiquaient jusqu'alors qu'une considération purement abstraite, artificiellement introduite dans la statique pour faciliter l'expression algébrique des lois de l'équilibre, ont pris désormais une signification concrète parfaitement distincte, et sont entrés aussi naturellement que les forces elles-mêmes dans les spéculations statiques, comme étant la mesure directe des couples auxquels ces forces donnent immédiatement naissance. On conçoit aisément à priori quelle facilité cette interprétation générale et élémentaire doit nécessairement procurer pour la combinaison de toutes les idées relatives à la théorie des momens, comme on en voit déjà d'ailleurs la preuve effective dans l'extension et le perfectionnement de cette importante théorie, par les travaux de M. Poinsot lui-même.

Quelles que soient, en réalité, les qualités fondamentales de la conception de M. Poinsot par rapport à la statique, on doit néanmoins reconnaître, ce me semble, que c'est surtout au perfectionnement de la dynamique qu'elle se trouve, par sa nature, essentiellement destinée; et je crois pouvoir assurer, à cet égard, que cette conception n'a point encore exercé jusqu'ici son influence la plus capitale. Il faut la regarder, en effet, comme directement propre à perfectionner sous un rapport très-important les élémens mêmes de la dynamique générale, en rendant la notion des mouvemens de rotation aussi naturelle, aussi familière, et presqu'aussi simple que celle des mouvemens de translation. Car le couple peut être envisagé comme l'élément naturel du mouvement de rotation, aussi bien que la force l'est du mouvement de translation. Ce n'est pas ici le lieu d'indiquer plus distinctement cette considération, qui sera convenablement reproduite dans les leçons suivantes. Nous devons seulement concevoir, en thèse générale, qu'un usage bien entendu de la théorie des couples établit la possibilité de rendre l'étude des mouvemens de rotation, qui constitue jusqu'ici la partie la plus compliquée et la plus obscure de la dynamique, aussi élémentaire et aussi nette que l'étude des mouvemens de translation. Nous aurons occasion de constater effectivement plus tard à quel degré de simplicité et de clarté M. Poinsot est parvenu à réduire ainsi diverses propositions essentielles, relatives aux mouvemens de rotation, et qui n'étaient établies avant lui que de la manière la plus pénible et la plus indirecte, principalement en ce qui concerne les propriétés des aires, dont il a même sensiblement augmenté l'étendue et régularisé l'application sous divers rapports importans, surtout, en dernier lieu, quant à la détermination de ce qu'on appelle le plan invariable.

Pour compléter ces considérations philosophiques sur l'ensemble de la statique, je crois devoir ajouter ici l'indication sommaire d'une dernière notion générale, qu'il me paraît utile d'introduire dans la théorie de l'équilibre, de quelque manière qu'on ait d'ailleurs jugé convenable de l'établir.

Quand on veut se faire une juste idée de la nature des diverses équations qui expriment les conditions de l'équilibre d'un système quelconque de forces, il est, ce me semble, insuffisant de se borner à constater que l'ensemble de ces équations est indispensable pour l'équilibre, et l'établit inévitablement. Il faut, de plus, pouvoir assigner nettement la signification statique distinctement propre à chacune de ces équations envisagée isolément, c'est-à-dire déterminer avec précision en quoi chacune contribue séparément à la production de l'équilibre, analyse à laquelle on ne s'attache point ordinairement, quoiqu'elle soit, sans doute, importante. Par quelque méthode qu'on procède à l'établissement des équations statiques, il est clair à priori que l'équilibre ne peut résulter que de la destruction de tous les mouvemens élémentaires que le corps pourrait prendre en vertu des forces dont il est animé, si ces forces n'avaient point entr'elles les relations nécessaires pour se contrebalancer exactement. Ainsi chaque équation prise à part doit nécessairement anéantir un de ces mouvemens, en sorte que l'ensemble de ces équations produise l'équilibre, par l'impossibilité où se trouve dès-lors, le corps de se mouvoir d'aucune manière. Examinons maintenant sommairement le principe général d'après lequel une telle analyse me semble pouvoir s'opérer dans un cas quelconque.

En considérant le mouvement sous le point de vue le plus positif, comme le simple transport d'un corps d'un lieu dans un autre, indépendamment du mode quelconque suivant lequel il peut être produit, il est évident que tout mouvement doit être envisagé, dans le cas le plus général, comme nécessairement composé à la fois de translation et de rotation. Ce n'est pas, sans doute, qu'il ne puisse réellement exister de translation sans rotation, ou de rotation sans translation; mais on doit regarder l'un et l'autre cas comme étant d'exception, le cas normal consistant en effet dans la coexistence de ces deux sortes de mouvemens, qui s'accompagnent constamment à moins de conditions particulières très-précises, et par suite fort rares, relativement aux circonstances du phénomène. Cela est tellement vrai, que la seule vérification de l'un de ces mouvemens est habituellement regardée avec raison par les géomètres, qui connaissent toute la portée de cette observation élémentaire, comme un puissant motif, non d'affirmer, mais de présumer très-vraisemblablement l'existence de l'autre. Ainsi, par exemple, la seule connaissance du mouvement de rotation du soleil sur son axe, parfaitement constaté depuis Galilée, serait à priori pour un géomètre une preuve presque certaine d'un mouvement de translation de cet astre accompagné de toutes ses planètes, quand même les astronomes n'auraient point commencé déjà à reconnaître effectivement, par des observations directes, la réalité de ce transport, dans un sens encore peu déterminé. Pareillement, c'est d'après une semblable considération qu'on admet communément, avec raison, outre le motif d'analogie, l'existence d'un mouvement de rotation dans les planètes même à l'égard desquelles on n'a point encore pu le constater directement, par cela seul qu'elles ont un mouvement de translation bien connu autour du soleil.

Il résulte de cette première analyse que les équations qui expriment les conditions d'équilibre d'un corps, sollicité par des forces quelconques, doivent avoir pour objet, les unes de détruire tout mouvement de translation, les autres d'anéantir tout mouvement de rotation. Voyons maintenant, d'après le même point de vue, afin de compléter cet aperçu général, quel doit être a priori le nombre des équations de chaque espèce.

Quant à la translation, il suffit de considérer que, pour empêcher un corps de marcher dans un sens quelconque, il faut évidemment l'en empêcher selon trois axes principaux situés dans des plans différens, et qu'on suppose d'ordinaire perpendiculaires entr'eux. En effet, quelle progression serait possible, par exemple, dans un corps qui ne pourrait avancer ni de l'est à l'ouest ou de l'ouest à l'est, ni du nord au sud ou du sud au nord, ni enfin du haut en bas ou du bas en haut? Toute progression dans un autre sens quelconque, pouvant évidemment se concevoir comme composée de progressions partielles correspondantes dans ces trois sens principaux, serait dès lors devenue nécessairement impossible. D'un autre côté, il est clair qu'on ne doit pas considérer moins de trois mouvemens élémentaires indépendans, car le corps pourrait se mouvoir dans le sens d'un des axes, sans avoir aucune translation dans le sens d'aucun des deux autres. On conçoit ainsi que, en général, trois équations de condition seront nécessaires et suffisantes pour établir, dans un système quelconque, l'équilibre de translation; et chacune d'elles sera spécialement destinée à détruire un des trois mouvemens de translation élémentaires que le corps pourrait prendre.

On peut présenter une considération exactement analogue relativement à la rotation: il n'y a de nouvelle difficulté que celle d'apercevoir distinctement une image mécanique plus compliquée. La rotation d'un corps dans un plan ou autour d'un axe quelconque, pouvant toujours se concevoir décomposée en trois rotations élémentaires dans les trois plans coordonnés ou autour des trois axes, il est clair que, pour empêcher toute rotation dans un corps, il faut aussi l'empêcher de tourner séparément par rapport à chacun de ces trois plans ou de ces trois axes. Trois équations sont donc, pareillement, nécessaires et suffisantes pour établir l'équilibre de rotation; et l'on aperçoit, avec la même facilité que dans le cas précédent, la destination mécanique propre à chacune d'elles.

En appliquant l'analyse précédente à l'ensemble des six équations générales rapportées au commencement de cette leçon, pour l'équilibre d'un corps solide animé de forces quelconques, il est aisé de reconnaître que les trois premières sont relatives à l'équilibre de translation, et les trois autres à l'équilibre de rotation. Dans le premier groupe, la première équation empêche la translation suivant l'axe des x, la seconde suivant l'axe des y, et la troisième suivant l'axe des z. Dans le second groupe, la première équation empêche le corps de tourner suivant le plan des x, y, la seconde suivant le plan des x, z, et la troisième suivant le plan des y, z. On conçoit nettement par là comment la coexistence de toutes ces équations établit nécessairement l'équilibre.

Cette décomposition serait encore utile pour réduire, dans chaque cas, les équations d'équilibre au nombre strictement nécessaire, quand on vient à particulariser plus ou moins le système de forces considéré, au lieu de le supposer entièrement quelconque. Sans entrer ici dans aucun détail spécial à ce sujet, il suffira de dire, conformément au point de vue précédent, que, la particularisation du système proposé restreignant plus ou moins les mouvemens possibles, soit quant à la translation, soit quant à la rotation, après avoir d'abord exactement déterminé dans chaque cas, ce qui sera toujours facile, en quoi consiste cette restriction, il faudra supprimer, comme superflues, les équations d'équilibre relatives aux translations ou aux rotations qui ne peuvent avoir lieu, et conserver seulement celles qui se rapportent aux mouvemens restés possibles. C'est ainsi que, suivant la limitation plus ou moins grande du système de forces particulier que l'on considère, il peut, au lieu de six équations nécessaires en général pour l'équilibre, n'en plus subsister que trois, ou deux, ou même une seule, qu'il sera par là facile d'obtenir dans chaque cas.

On doit faire des remarques parfaitement analogues quant aux restrictions de mouvemens qui résulteraient, non de la constitution spéciale du système des forces, mais des gênes plus ou moins étroites auxquelles le corps pourrait être assujetti dans certains cas, et qui produiraient des effets semblables. Il suffirait également alors de voir nettement quels mouvemens sont rendus impossibles par la nature des conditions imposées, et de supprimer les équations d'équilibre qui s'y rapportent, en conservant celles relatives aux mouvemens restés libres. C'est ainsi, par exemple, que, dans le cas d'un système quelconque de forces, on trouverait que les trois dernières équations suffisent pour l'équilibre, si le corps est retenu par un point fixe autour duquel il peut tourner librement en tout sens, tout mouvement de translation étant alors devenu impossible; de même on verrait les équations d'équilibre être au nombre de deux, ou même se réduire à une seule, s'il y avait à la fois deux points fixes, suivant que le corps pourrait ou non glisser le long de l'axe qui les joint; et enfin on arriverait à reconnaître que l'équilibre existe nécessairement sans aucune condition, quelles que soient les forces du système, si le corps solide présente trois points fixes non en ligne droite. Enfin on pourrait encore employer le même ordre de considérations lorsque les points, au lieu d'être rigoureusement fixes, seraient seulement astreints à demeurer sur des courbes ou des surfaces données.

L'esprit de l'analyse que je viens d'esquisser est, comme on le voit, entièrement indépendant de la méthode quelconque d'après laquelle auront été obtenues les équations de l'équilibre. Mais les diverses méthodes générales sont loin cependant de se prêter avec la même facilité à l'application de cette règle. Celle qui s'y adapte le mieux, c'est incontestablement la méthode statique proprement dite, fondée, comme nous l'avons vu, sur le principe des vitesses virtuelles. On doit mettre, en effet, au nombre des propriétés caractéristiques de ce principe, la netteté parfaite avec laquelle il analyse naturellement le phénomène de l'équilibre, en considérant distinctement chacun des mouvemens élémentaires que permettent les forces du système, et fournissant aussitôt une équation d'équilibre spécialement relative à ce mouvement. La méthode dynamique ne présente point cet avantage important. Il faut reconnaître toutefois que, dans la manière dont M. Poinsot l'a conçue, elle se trouve à cet égard considérablement améliorée, puisque la seule distinction des conditions d'équilibre relatives aux forces et de celles qui concernent les couples, distinction qui s'établit alors nécessairement, réalise par elle-même la détermination séparée entre l'équilibre de translation et l'équilibre de rotation. Mais la méthode dynamique ordinaire, exclusivement usitée en statique avant la réforme de M. Poinsot, et que j'ai caractérisée dans son ensemble au commencement de cette leçon, ne remplit nullement cette condition essentielle, sans laquelle néanmoins il me paraît impossible de concevoir nettement l'expression analytique des lois générales de l'équilibre.

Après avoir considéré les diverses manières principales de parvenir aux lois exactes de l'équilibre abstrait pour un système quelconque des forces, en supposant les corps dans cet état complétement passif que nous avions d'abord reconnu, quoique purement hypothétique, être strictement indispensable à l'établissement des principes fondamentaux de la mécanique rationnelle; nous devons maintenant examiner comment les géomètres ont pu tenir compte des propriétés générales naturelles aux corps réels, et auxquelles il faut nécessairement avoir égard dans toute application effective de la mécanique abstraite. La seule que l'on sache jusqu'ici prendre en considération d'une manière vraiment complète, c'est la pesanteur terrestre. Voyons comment on a pu l'introduire, en effet, dans les équations statiques. Cet important examen constitue, sans doute, dans l'ordre strictement logique de nos études philosophiques, une anticipation vicieuse sur la partie de ce cours relative à la physique proprement dite, où nous envisagerons spécialement la science de la pesanteur. Mais la théorie des centres de gravité, à laquelle se réduit essentiellement cette étude statique de la pesanteur terrestre, joue un rôle trop étendu et trop important dans toutes les parties de la mécanique rationnelle, pour que nous puissions nous dispenser de l'indiquer ici, à l'exemple de tous les géomètres, quoique ce ne soit pas strictement régulier. Du reste, je dois faire observer à ce sujet qu'on éviterait presqu'entièrement tout ce qu'il y a vraiment d'irrationnel dans cette disposition scientifique, sans se priver néanmoins des avantages capitaux que présente la résolution préalable d'une telle question, si on contractait l'habitude de classer la théorie des centres de gravité parmi les recherches de pure géométrie, comme je l'ai proposé à la fin de la treizième leçon.

Pour tenir compte de la pesanteur terrestre, dans les questions statiques, il suffit, comme on sait, de se représenter, sous ce rapport, chaque corps homogène comme un système de forces parallèles et égales, appliquées à toutes les molécules du corps, et dont il faut déterminer complétement la résultante, qu'on introduira dès lors sans aucune difficulté parmi les forces extérieures primitives. En réalité, ce parallélisme et cette égalité des pesanteurs moléculaires ne sont effectivement que des approximations, puisque, de fait, toutes ces forces concourraient au centre de la terre si cette planète était rigoureusement sphérique, et que leur intensité absolue, indépendamment des inégalités qui tiennent à la force centrifuge produite par le mouvement de rotation de la terre, varie en raison inverse des carrés des distances des molécules correspondantes au centre de notre globe. Mais, quand il ne s'agit que des masses terrestres à notre disposition, auxquelles sont ordinairement destinées ces applications de la statique, les dimensions n'en sont jamais assez grandes pour que le défaut de parallélisme et d'égalité entre les pesanteurs des diverses molécules de chaque masse, doive être réellement pris en considération. On suppose donc alors, avec raison, toutes ces forces rigoureusement parallèles et égales, ce qui simplifie extrêmement la question de leur composition. En effet, leur résultante est, dès ce moment, égale à leur somme, et agit suivant une droite parallèle à leur direction commune, en sorte que son intensité et sa direction sont immédiatement connues. Toute la difficulté se réduit donc à trouver son point d'application, c'est-à-dire ce qu'on appelle le centre de gravité du corps. D'après les propriétés générales du point d'application de la résultante dans un système quelconque de forces parallèles, la distance de ce point à un plan quelconque est égale à la somme des momens de toutes les forces du système par rapport à ce même plan, divisée par la somme de ces forces elles-mêmes. En appliquant cette formule au centre de gravité, et ayant égard à la simplification que produit alors l'égalité de toutes les forces proposées, on trouve que la distance du centre de gravité à un plan quelconque est égale à la somme des distances de tous les points du corps considéré, divisée par le nombre de ces points; c'est-à-dire, que cette distance est, ce qu'on appelle proprement la moyenne arithmétique entre les distances de tous les points proposés. Cette considération fondamentale réduit évidemment la notion du centre de gravité à être purement géométrique, puisqu'en le cherchant ainsi comme centre des moyennes distances, suivant la dénomination très-rationnelle des anciens géomètres, la question ne conserve plus aucune trace de son origine mécanique, et consiste seulement dans ce problème de géométrie générale: Étant donné un système quelconque de points disposés entr'eux d'une manière déterminée, trouver un point dont la distance à un plan quelconque soit moyenne entre les distances de tous les points donnés à ce même plan. Il y aurait, comme je l'ai déjà indiqué, des avantages importans à concevoir habituellement ainsi la notion générale du centre de gravité, en faisant complétement abstraction de toute considération de pesanteur, car cette idée simple et purement géométrique est précisément celle qu'on doit s'en former dans la plupart des théories principales de la mécanique rationnelle, surtout quand on envisage les grandes propriétés dynamiques du centre des moyennes distances, où l'idée hétérogène et surabondante de la gravité introduit ordinairement une complication et une obscurité vicieuses. Cette manière de concevoir la question conduit naturellement, il est vrai, à l'exclure de la mécanique pour la faire rentrer dans la géométrie, comme je l'ai proposé. Si je ne l'ai pas ainsi classée effectivement, c'est uniquement afin de ne m'écarter que le moins possible des habitudes universellement reçues, quoique je fusse très-convaincu qu'une telle transposition serait la seule disposition vraiment rationnelle. Quoi qu'il en soit de cette discussion d'ordre, ce qui importe essentiellement c'est de ne point se méprendre sur la véritable nature de la question, à quelqu'époque et sous quelque dénomination qu'on juge convenable de la traiter.

La seule définition géométrique du centre de gravité donnerait immédiatement le moyen de le déterminer, si le système des points que l'on considère n'était composé que d'un nombre fini de points isolés, car il en résulterait directement alors des formules très-simples et qui n'auraient nullement besoin d'être transformées pour exprimer les coordonnées du point cherché, relativement à trois axes rectangulaires fixes arbitrairement. Mais ces formules fondamentales ne peuvent plus être employées sans transformation, aussitôt qu'il s'agit d'un système composé d'une infinité de points formant un véritable corps continu, ce qui est le cas ordinaire. Car le numérateur et le dénominateur de chaque formule devenant dès lors simultanément infinis, ces formules n'offrent plus aucune signification distincte, et ne sauraient être appliquées qu'après avoir été convenablement transformées. C'est dans cette transformation générale que consiste, sous le rapport analytique, toute la difficulté fondamentale de la question du centre de gravité envisagée sous le point de vue le plus étendu. Or il est clair que le calcul intégral donne immédiatement les moyens de la surmonter, puisque ces deux sommes infinies qui constituent les deux termes de chaque formule, sont évidemment par elles-mêmes de véritables intégrales, dont celle qui exprime le dénominateur commun des trois formules se rapporte aux élémens géométriques infiniment petits de la masse considérée, et celle qui représente le numérateur propre à chaque formule se rapporte aux produits de ces élémens par leurs coordonnées correspondantes. Il suit de là, pour ne considérer ici que le cas le plus général, qu'en décomposant le corps seulement en élémens infiniment petits dans deux sens par deux séries de plans infiniment rapprochés parallèles les uns au plan des x, z, les autres au plan des y, z, on trouvera aussitôt les formules fondamentales,

qui feront connaître les trois coordonnées du centre de gravité du volume d'un corps homogène de forme quelconque, limité par une surface dont l'équation en x, y, et z, est supposée donnée. On obtiendra de la même manière, pour le centre de gravité de la surface seule de ce corps, les formules

La détermination des centres de gravité sera donc réduite ainsi, dans chaque cas particulier, à des recherches purement analytiques, tout-à-fait analogues à celles qu'exigent, comme nous l'avons vu, les quadratures et les cubatures. Seulement, ces intégrations étant, en général, plus compliquées, l'état d'extrême imperfection dans lequel se trouve jusqu'ici le calcul intégral permettra bien plus rarement encore de parvenir à une solution définitive. Mais ces formules générales n'en ont pas moins, par elles-mêmes, une importance capitale, pour introduire la considération du centre de gravité dans les théories générales de la mécanique analytique, ainsi que nous aurons spécialement occasion de le reconnaître bientôt. Il faut d'ailleurs considérer, quant à la question même, que ces formules éprouvent de très-grandes simplifications, quand on vient à supposer que la surface qui termine le corps proposé est une surface de révolution, ce qui heureusement a lieu dans la plupart des applications vraiment importantes.

Telle est donc essentiellement la manière de tenir compte de la pesanteur terrestre dans les applications de la statique abstraite. Quant à la pesanteur universelle, on peut dire que jusqu'ici elle n'a été prise en considération d'une manière vraiment complète, que relativement aux corps sphériques. Ce n'est pas que, lorsque la loi de la gravitation est supposée connue, et surtout en la concevant inversement proportionnelle au carré de la distance, comme dans la véritable pesanteur universelle, on ne puisse aisément construire, à l'aide d'intégrales convenables, des formules qui expriment l'attraction d'un corps de figure et de constitution quelconques sur un point donné, et même sur un autre corps. Mais ces expressions symboliques générales sont demeurées jusqu'ici le plus souvent inapplicables, faute de pouvoir effectuer les intégrations qu'elles indiquent, même quand on suppose, pour simplifier la question, que chaque corps est homogène. Ce n'est encore que par une approximation fort imparfaite qu'on a pu parvenir à la détermination définitive dans le cas très-simple de l'attraction de deux ellipsoïdes, et les approximations n'ont pu être conduites jusqu'au degré de précision convenable, qu'en supposant ces elipsoïdes très-peu différens de la sphère, ce qui a lieu heureusement pour toutes nos planètes. Il faut d'ailleurs considérer que, dans la réalité, ces formules supposent la connaissance préalable de la loi de la densité à l'intérieur de chaque corps proposé, ce que nous ignorons jusqu'ici complétement.

Dans l'état présent de cette importante et difficile théorie, on peut dire que les théorèmes primitifs de Newton sur l'attraction des corps sphériques constituent effectivement encore la partie la plus utile de cet ordre de notions. Ces propriétés si remarquables, et que Newton a si simplement établies, consistent, comme on sait, en ce que 1º l'attraction d'une sphère dont toutes les molécules attirent en raison inverse du carré de la distance, est la même, sur un point extérieur quelconque, que si la masse entière de cette sphère était toute condensée à son centre; 2º quand un point est placé dans l'intérieur d'une sphère dont les molécules agissent sur lui suivant cette même loi, il n'éprouve absolument aucune attraction de la part de toute la portion du globe qui se trouve à une plus grande distance que lui du centre, du moins, en supposant, si le globe n'est pas homogène, que chacune de ses couches sphériques concentriques présente en tous ses points la même densité.

La pesanteur est la seule force naturelle dont nous sachions réellement tenir compte en statique rationnelle: encore voit-on combien cette étude est encore peu avancée par rapport à la gravité universelle. Quant aux circonstances extérieures générales, dont on a dû également faire d'abord complétement abstraction pour établir les lois rationnelles de la mécanique, comme le frottement, la résistance des milieux, etc., on peut dire que nous ne connaissons encore nullement la manière de les introduire dans les relations fondamentales données par la mécanique analytique, car on n'y est parvenu jusqu'ici qu'à l'aide d'hypothèses fort précaires, et même évidemment inexactes, qui ne peuvent être réellement considérées, dans le plus grand nombre des cas, que comme propres à fournir des exercices de calcul. Du reste, nous devrons naturellement revenir sur ce sujet dans la partie de ce cours relative à la physique proprement dite.

Pour compléter l'examen philosophique de l'ensemble de la statique, il nous reste enfin à considérer sommairement la manière générale d'établir la théorie de l'équilibre, lorsque le corps auquel les forces sont appliquées est supposé se trouver à l'état fluide, soit liquide, soit gazeux.

L'hydrostatique peut être complétement traitée d'après deux méthodes générales parfaitement distinctes, suivant qu'on cherche directement les lois de l'équilibre des fluides d'après des considérations statiques exclusivement propres à cette classe de corps, ou qu'on se borne à les déduire simplement des principes fondamentaux qui ont déjà fourni les équations statiques des corps solides, en ayant seulement égard, comme il convient, aux nouvelles conditions caractéristiques qui résultent de la fluidité.

La première méthode a dû naturellement commencer par être la seule employée, comme étant primitivement la plus facile, sinon la plus rationnelle. Tel a été effectivement le caractère des travaux des géomètres du dix-septième et du dix-huitième siècle sur cette importante section de la mécanique générale. Divers principes statiques particuliers aux fluides, et plus ou moins satisfaisans, ont été successivement proposés, principalement à l'occasion de la célèbre question dans laquelle les géomètres se proposaient de déterminer à priori la véritable figure de la terre, supposée originairement toute fluide, question capitale qui, envisagée dans son ensemble, se rattache en effet, directement ou indirectement, à toutes les théories essentielles de l'hydrostatique. On sait que Huyghens avait d'abord essayé de la résoudre, en prenant pour principe d'équilibre la perpendicularité évidemment nécessaire de la pesanteur à la surface libre du fluide. Newton de son côté avait, à la même époque, choisi pour considération fondamentale la nécessité non moins évidente de l'égalité de poids entre les deux colonnes fluides allant du centre, l'une au pôle, l'autre à un point quelconque de l'équateur. Bouguer, en discutant plus tard cette importante question, montra clairement que ces deux manières de procéder étaient également vicieuses, en ce que le principe d'Huyghens et celui de Newton, bien que tous deux incontestables, ne s'accordaient point, dans un grand nombre de cas, à donner la même forme à la masse fluide en équilibre, ce qui mettait pleinement en évidence leur insuffisance commune. Mais Bouguer se trompa gravement à son tour, en croyant que la réunion de ces deux principes, lorsqu'ils s'accordaient à indiquer une même figure, était entièrement suffisante pour l'équilibre. Clairaut, dans son immortel traité de la figure de la terre, découvrit, le premier, les véritables lois générales de l'équilibre d'une masse fluide, en parlant de la considération évidente de l'équilibre isolé d'un canal quelconque infiniment petit; et, d'après ce criterium infaillible, il montra qu'il pouvait exister une infinité de cas dans lesquels la combinaison exigée par Bouguer se trouvait observée sans que cependant l'équilibre eût lieu. Depuis que l'ouvrage de Clairaut eut fondé dans son ensemble l'hydrostatique rationnelle, plusieurs grands géomètres, continuant à adopter la même manière générale de procéder, s'occupèrent d'établir la théorie mathématique de l'équilibre des fluides sur des considérations plus naturelles et plus distinctes que celle employée par son illustre inventeur. On doit principalement distinguer, à cet égard, les travaux de Maclaurin et surtout ceux d'Euler, qui ont donné à cette théorie fondamentale la forme simple et régulière qu'elle a maintenant dans tous les traités ordinaires, en la fondant sur le principe de l'égalité de pression en tout sens, qu'on peut regarder comme une loi générale indiquée par l'observation relativement à la constitution statique des fluides. Ce principe est incontestablement, en effet, le plus convenable qu'on puisse employer dans une telle recherche, lorsqu'on veut traiter directement par quelque considération propre aux fluides la théorie de leur équilibre, dont il fournit immédiatement les équations générales avec une extrême facilité. Il suffit alors, pour les obtenir le plus simplement possible, après avoir conçu la masse fluide partagée en molécules cubiques par trois séries de plans infiniment rapprochés, parallèles aux trois plans coordonnés, d'exprimer que chaque molécule est également pressée suivant les trois axes perpendiculaires à ses faces par l'ensemble des forces du système, la pression de la molécule en chaque sens étant égale à la différence des pressions exercées sur les deux faces opposées correspondantes. On trouve ainsi que la loi mathématique de l'équilibre d'un fluide quelconque, par quelques forces qu'il soit sollicité, est exprimée par les trois équations:

dP/dx = pX, dP/dy = pY, dP/dz = pZ,

où P exprime la pression supportée par la molécule dont les coordonnées sont x, y, z, et la densité ou pesanteur spécifique p, et X, Y, Z, désignent les composantes totales des forces dont le fluide est animé suivant les trois axes coordonnés. Comme on peut évidemment déduire, de l'ensemble de ces trois équations, la formule

P = ∫ p(Xdx + Ydy + Zdz)

pour la détermination de la pression en chaque point, quand les forces seront connues ainsi que la loi de la densité, il est possible de donner une autre forme analytique à la loi générale de l'équilibre des fluides, en se bornant à dire que la fonction différentielle, placée ici sous le signe S, doit satisfaire aux conditions connues d'intégrabilité relativement aux trois variables indépendantes x, y, z, ce qui est précisément l'expression très-simple trouvée primitivement par Clairaut quant à la théorie mathématique de l'hydrostatique.

L'étude de l'équilibre des fluides donne constamment lieu à une nouvelle question générale fort importante qui leur est propre, celle qui consiste à déterminer, dans le cas d'équilibre, la figure de la surface qui limite la masse fluide. La solution abstraite de cette question est implicitement comprise dans la formule fondamentale précédente, puisqu'il suffit évidemment de supposer que la pression est nulle ou du moins constante, pour caractériser les points de la surface, ce qui donne indistinctement

Xdx + Ydy + Zdz = 0

quant à l'équation différentielle générale de cette surface. Toute la difficulté concrète se réduit donc essentiellement, en chaque cas, à connaître la loi réelle relative à la variation de la densité dans l'intérieur de la masse fluide proposée, à moins qu'elle ne soit homogène, détermination qui présente des obstacles tout-à-fait insurmontables dans les applications les plus importantes. Si l'on en fait abstraction, la question ne présente dès lors qu'une recherche analytique plus ou moins compliquée, consistant dans l'intégration, le plus souvent encore inconnue, de l'équation précédente. On doit remarquer d'ailleurs que cette équation est, par sa nature, assez générale pour qu'on puisse l'appliquer même à l'équilibre d'une masse fluide qui serait animée d'un mouvement de rotation déterminé, comme l'exige surtout la grande question de la figure des planètes. Il suffit alors en effet de comprendre, parmi les forces du système proposé, les forces centrifuges qui résultent de ce mouvement de rotation.

Telle est, par aperçu, la manière générale d'établir la théorie mathématique de l'équilibre des fluides, en la fondant directement sur des principes statiques particuliers à ce genre de corps. On conçoit, comme je l'ai déjà indiqué, que cette méthode ait dû d'abord être seule employée; car, à l'époque des premières recherches, les différences caractéristiques entre les solides et les fluides devaient nécessairement paraître trop considérables pour qu'aucun géomètre pût alors se proposer d'appliquer à ceux-ci les principes généraux uniquement destinés aux autres, en ayant seulement égard, dans cette déduction, à quelques nouvelles conditions spéciales. Mais, quand les lois fondamentales de l'hydrostatique ont enfin été obtenues, et que l'esprit humain, cessant d'être préoccupé de la difficulté de leur établissement, a pu mesurer avec justesse la diversité réelle qui existe entre la théorie des fluides et celle des solides, il était impossible qu'il ne cherchât point à les ramener toutes deux aux mêmes principes essentiels, et qu'il ne reconnût pas, en thèse générale, l'applicabilité nécessaire des règles fondamentales de la statique à l'équilibre des fluides, pourvu qu'on tînt compte convenablement de la variabilité de forme qui les caractérise. En un mot, la science ne pouvait rester sous ce rapport dans son état primitif, où l'on accordait une importance évidemment exagérée aux conditions propres aux fluides. Mais, pour subordonner l'hydrostatique à la statique proprement dite, et augmenter ainsi par une plus grande unité la perfection rationnelle de la science, il était indispensable que la théorie abstraite de l'équilibre fût préalablement traitée d'après un principe statique suffisamment général, qui seul pouvait être directement appliqué aux fluides aussi bien qu'aux solides, car on ne pouvait point recourir, à cet effet, aux équations d'équilibre proprement dites, dans la formation desquelles on avait toujours eu, nécessairement, plus ou moins égard à l'invariabilité du système. Cette condition inévitable a été remplie, lorsque Lagrange a conçu la manière de fonder la statique, et par suite toute la mécanique rationnelle, sur le seul principe des vitesses virtuelles. Ce principe est évidemment, en effet, par sa nature, tout aussi directement applicable aux fluides qu'aux solides, et c'est là une de ses propriétés les plus précieuses. Dès lors l'hydrostatique, philosophiquement classée à son rang naturel, n'a plus été, dans le traité de Lagrange, qu'une division secondaire de la statique. Quoique cette manière de la concevoir n'ait pas encore pu devenir suffisamment familière, et que la méthode hydrostatique directe soit restée jusqu'ici la seule usuelle, il n'est pas douteux que la méthode de Lagrange finira par être habituellement et exclusivement adoptée, comme étant celle qui imprime à la science son véritable caractère définitif, en la faisant dériver tout entière d'un principe unique.

Pour se représenter nettement, en général, comment le principe des vitesses virtuelles peut conduire aux équations fondamentales de l'équilibre des fluides, il suffit de considérer que tout ce qu'une telle application exige de particulier consiste seulement à comprendre parmi les forces quelconques du système une force nouvelle, la pression exercée sur chaque molécule, qui introduira un terme de plus dans l'équation générale, ou, plus exactement, qui donnera lieu à trois nouveaux momens virtuels, si l'on distingue, comme il convient, les variations séparément relatives à chacun des trois axes coordonnés. En procédant ainsi, on parviendra immédiatement aux trois équations générales de l'équilibre des fluides, qui ont été rapportées ci-dessus d'après la méthode hydrostatique proprement dite. Si le fluide considéré est liquide, il faudra concevoir le système assujéti à cette condition caractéristique de pouvoir changer de forme, sans cependant jamais changer de volume. Cette condition d'incompressibilité s'introduira d'autant plus naturellement dans l'équation générale des vitesses virtuelles, qu'elle peut s'exprimer immédiatement, comme l'a fait Lagrange, par une formule analytique analogue à celle des termes de cette équation, en exprimant que la variation du volume est nulle, ce qui même a permis à Lagrange de se représenter abstraitement cette incompressibilité comme l'effet d'une certaine force nouvelle, dont il suffit d'ajouter le moment virtuel à ceux des forces du système. Si l'on veut établir, au contraire, la théorie de l'équilibre pour les fluides gazeux, il faudra remplacer la condition de l'incompressibilité par celle qui assujétit le volume du fluide à varier suivant une fonction déterminée de la pression, par exemple en raison inverse de cette pression, conformément à la loi physique sur laquelle Mariotte a fondé toute la mécanique des gaz. Cette nouvelle circonstance donnera lieu à une équation analogue à celle des liquides, quoique plus compliquée. Seulement cette dernière section de la théorie générale de l'équilibre, outre les grandes difficultés analytiques qui lui sont propres, se ressentira nécessairement, dans les applications, de l'incertitude où l'on est encore sur la véritable loi des gaz relativement à la fonction de la pression qui exprime réellement la densité, car la loi de Mariotte, si précieuse par son extrême simplicité, ne peut malheureusement être regardée que comme une approximation, qui, suffisamment exacte pour des circonstances moyennes, ne saurait être étendue rigoureusement à un cas quelconque.

Tel est le caractère fondamental de la méthode incontestablement la plus rationnelle qu'on puisse employer pour former la théorie abstraite de l'équilibre des fluides, et que nous devons regarder, surtout dans cet ouvrage, comme constituant désormais la conception définitive de l'hydrostatique. Cette conception paraîtra d'autant plus philosophique que, dans la statique ainsi traitée, on trouve une suite de cas en quelque sorte intermédiaires entre les solides et les fluides, lorsqu'on considère les questions relatives aux corps solides susceptibles de changer de forme jusqu'à un certain degré d'après des lois déterminées, c'est-à-dire quand on tient compte de la flexibilité et de l'élasticité, ce qui établit, sous le rapport analytique, une filiation naturelle qui fait passer, par une succession de recherches presqu'insensible, des systèmes dont la forme est rigoureusement invariable à ceux où elle est au contraire éminemment variable.

Après avoir examiné sommairement comment la statique rationnelle, envisagée dans son ensemble, a pu être élevée enfin à ce haut degré de perfection spéculative où toutes les questions qu'elle est susceptible de présenter, constamment traitées d'après un principe unique directement établi, sont uniformément réduites à de simples problèmes d'analyse mathématique, nous devons maintenant entreprendre la même étude relativement à la dernière branche de la mécanique générale, nécessairement plus étendue, plus compliquée, et par suite plus difficile, celle qui a pour objet la théorie du mouvement. Ce sera le sujet de la leçon suivante.




DIX-SEPTIÈME LEÇON.




Sommaire. Vue générale de la dynamique.

L'objet essentiel de la dynamique consiste, comme nous l'avons vu, dans l'étude des mouvemens variés produits par les forces continues, la théorie des mouvemens uniformes dus aux forces instantanées n'étant entièrement qu'une simple conséquence immédiate des trois lois fondamentales du mouvement. Dans cette dynamique des mouvemens variés ou des forces continues on distingue ordinairement et avec raison deux cas généraux, suivant qu'on considère le mouvement d'un point ou celui d'un corps. Sous le point de vue le plus positif, cette distinction revient à concevoir que, dans certains cas, toutes les parties du corps prennent exactement le même mouvement, en sorte qu'il suffit alors en effet de déterminer le mouvement d'une seule molécule, chacune se mouvant comme si elle était isolée, sans aucun égard aux conditions de liaison du système; tandis que, dans le cas le plus général, chaque portion du corps ou chaque corps du système prenant un mouvement distinct, il faut examiner ces divers effets et connaître l'influence qu'exercent sur eux les relations qui caractérisent le système considéré. La seconde théorie étant évidemment plus compliquée que la première, c'est par celle-ci qu'il convient nécessairement de commencer l'étude spéciale de la dynamique, même quand on les déduit toutes deux de principes uniformes. Tel est aussi l'ordre que nous adopterons ici dans l'indication de nos considérations philosophiques.

Relativement au mouvement d'un point, nous savons déjà que la question générale consiste à déterminer exactement toutes les circonstances du mouvement curviligne composé, résultant de l'action simultanée de diverses forces continues quelconques, en supposant entièrement connu le mouvement rectiligne que prendrait le mobile sous l'influence exclusive de chaque force envisagée isolément. Nous avons également constaté que ce problème était susceptible, comme tout autre, d'être considéré en sens inverse, lorsqu'on se proposait, au contraire, de découvrir par quelles forces le corps est sollicité, d'après les circonstances caractéristiques directement connues du mouvement composé.

Mais, avant d'entrer dans l'examen philosophique de ces deux questions générales, nous devons d'abord arrêter notre attention sur une théorie préliminaire fort importante, celle du mouvement varié envisagé en lui-même, c'est-à-dire conformément à l'expression ordinaire, la théorie du mouvement rectiligne produit par une seule force continue, agissant indéfiniment selon la même direction. Cette théorie élémentaire est indispensable pour établir les notions fondamentales qui se reproduisent sans cesse dans toutes les parties de la dynamique. Voici en quoi elle consiste essentiellement, d'après notre manière de concevoir la mécanique rationnelle.

Nous avons précédemment remarqué que, dans la question dynamique directe, il fallait nécessairement supposer connu l'effet de chaque force unique, la véritable inconnue du problème général étant l'effet déterminé par le concours de toutes les forces. Cette observation est incontestable. Mais, d'après cela, quel peut être l'objet de cette partie préliminaire de la dynamique qu'on destine à l'étude du mouvement résultant de l'action d'une seule force continue? La contradiction apparente ne tient qu'aux expressions peu exactes qu'on emploie ordinairement, et d'après lesquelles une telle question semblerait aussi distincte et aussi directe que les véritables questions dynamiques, tandis qu'elle n'est réellement qu'un préliminaire. Pour en concevoir nettement le vrai caractère, il faut observer que le mouvement varié produit par une seule force continue peut être défini de plusieurs manières, qui dépendent les unes des autres, et qui, par conséquent, ne sauraient jamais être données simultanément, quoique chacune puisse être séparément la plus convenable, d'où résulte la nécessité de savoir passer, en général, de l'une quelconque d'entre elles à toutes les autres: c'est dans ces transformations que consiste proprement la théorie générale préliminaire du mouvement varié, désignée fort inexactement sous le nom d'étude de l'action d'une force unique. Ces diverses définitions équivalentes d'un même mouvement varié résultent de la considération simultanée des trois fonctions fondamentales distinctes, quoique co-relatives, qu'on y peut envisager, l'espace, la vitesse et la force, conçus comme dépendant du temps écoulé. La loi du mouvement peut être immédiatement donnée par la relation entre l'espace parcouru et le temps écoulé, et alors il importe d'en déduire la vitesse acquise par le mobile à chaque instant, c'est-à-dire celle du mouvement uniforme qui aurait lieu si, la force continue cessant tout à coup d'agir, le corps ne se mouvait plus qu'en vertu de l'impulsion naturelle résultant, d'après la loi d'inertie, du mouvement déjà effectué: il est également intéressant de déterminer aussi quelle est, à chaque instant, l'intensité de la force continue, comparée à celle d'une force accélératrice constante bien connue, telle, par exemple, que la gravité terrestre, la seule force de ce genre qui nous soit assez familière pour servir habituellement de type convenable. Dans d'autres occasions, au contraire, le mouvement pourra être naturellement défini par la loi qui règle la variation de la vitesse en raison du temps, et d'où il faudra conclure celle relative à l'espace, ainsi que celle qui concerne la force. Il en serait de même si la définition primitive du mouvement consistait dans la loi de la force continue, qui pourrait n'être pas toujours immédiatement donnée en fonction du temps, mais quelquefois par rapport à l'espace, comme par exemple lorsqu'il s'agit de la gravitation universelle, ou d'autres fois relativement à la vitesse, ainsi qu'on le voit pour la résistance des milieux. Enfin, si l'on considère cet ordre de questions sous le point de vue le plus étendu, il faut concevoir, en général, que la définition d'un mouvement varié peut être donnée par une équation quelconque, pouvant contenir à la fois ces quatre variables dont une seule est indépendante, le temps, l'espace, la vitesse, et la force; le problème consistera à déduire de cette équation la détermination distincte des trois lois caractéristiques relatives à l'espace, à la vitesse et à la force, en fonction du temps, et, par suite, en corélation mutuelle. Ce problème général se réduit constamment à une recherche purement analytique, à l'aide des deux formules dynamiques fondamentales qui expriment, en fonction du temps, la vitesse et la force, quand on suppose connue la loi relative à l'espace.

La méthode infinitésimale conduit à ces deux formules avec la plus grande facilité. Il suffit en effet, pour les obtenir, de considérer, suivant l'esprit de cette méthode, le mouvement comme uniforme pendant la durée d'un même intervalle de temps infiniment petit, et comme uniformément accéléré pendant deux intervalles consécutifs. Dès lors, la vitesse, supposée momentanément constante, d'après la première considération, sera naturellement exprimée par la différentielle de l'espace divisée par celle du temps; et, de même, la force continue, d'après la seconde considération, sera évidemment mesurée par le rapport entre l'accroissement infiniment petit de la vitesse, et le temps employé à produire cet accroissement. Ainsi, en appelant t le temps écoulé, e l'espace parcouru, v la vitesse acquise et φ l'intensité de la force continue à chaque instant, la corrélation générale et nécessaire de ces quatre variables simultanées sera exprimée analytiquement par les deux formules fondamentales,

v = de/dt       φ = dv/dt = d2e/dt2

D'après ces formules, toutes les questions relatives à cette théorie préliminaire du mouvement varié se réduiront immédiatement à de simples recherches analytiques, qui consisteront ou dans des différentiations, ou, le plus souvent, dans des intégrations. En considérant le cas le plus général, où la définition primitive du mouvement proposé serait donnée seulement par une équation entre les quatre variables, le problème analytique consistera dans l'intégration d'une équation différentielle du second ordre, relative à la fonction e, et qui pourra être fréquemment inexécutable, vu l'extrême imperfection actuelle du calcul intégral.

La conception fondamentale de Lagrange, relativement à l'analyse transcendante, l'ayant nécessairement obligé à se priver des facilités qu'offre l'emploi de la méthode infinitésimale pour l'établissement des deux formules dynamiques précédentes, il a été conduit à présenter cette théorie sous un nouveau point de vue, dont on n'a pas communément, ce me semble, assez apprécié l'importance, et qui me paraît singulièrement propre à éclaircir la véritable nature de ces notions élémentaires. Lagrange a montré dans sa théorie des fonctions analytiques que cette considération dynamique consistait réellement à concevoir un mouvement varié quelconque comme composé à chaque instant d'un certain mouvement uniforme et d'un autre mouvement uniformément varié, en l'assimilant au mouvement vertical d'un corps pesant lancé avec une impulsion initiale. Mais, pour donner à cette lumineuse conception toute sa valeur philosophique, je crois devoir la présenter sous un point de vue plus étendu que ne l'a fait Lagrange, comme donnant lieu à une théorie complète de l'assimilation des mouvemens, exactement semblable à la théorie générale des contacts des courbes et des surfaces, exposée dans les treizième et quatorzième leçons.

À cet effet, supposons deux mouvemens rectilignes quelconques, définis par les équations e=f(t), E=F(t); que les deux mobiles soient parvenus au bout du temps t à une même situation; et considérons leur distance mutuelle après un certain temps t+h. Cette distance, qui sera égale à la différence des valeurs correspondantes des deux fonctions f et F aura évidemment pour expression, d'après la formule de Taylor, la série

À l'aide de cette série, on pourra, par des considérations entièrement analogues à celles employées dans la théorie des courbes, se faire une idée nette de l'assimilation plus ou moins parfaite des deux mouvemens, suivant les relations analytiques plus ou moins étendues des deux fonctions primitives f et F. Si leurs dérivées du premier ordre ont une même valeur, il existera entre les deux mouvemens ce qu'on pourrait appeler une assimilation du premier ordre, semblable au contact du premier ordre dans les courbes, et qu'on pourra caractériser, sous le rapport concret, en disant alors que le mouvement des deux corps sera le même pendant un instant infiniment petit. Si, en outre, les deux dérivées du second ordre prennent encore la même valeur, l'assimilation des mouvemens deviendra plus intime, et s'élèvera au second ordre; elle consistera physiquement alors en ce que les deux mobiles auront le même mouvement pendant deux instans infiniment petits consécutifs. Pareillement, en ajoutant à ces deux premières relations l'égalité des troisièmes dérivées, on établira, entre les mouvemens considérés, une assimilation du troisième ordre, qui les fera coïncider pendant trois instans consécutifs, et ainsi de suite indéfiniment. Le degré de similitude des deux mouvemens, déterminé analytiquement par le nombre de fonctions dérivées successives qui auront respectivement la même valeur, aura toujours pour interprétation concrète la coïncidence des deux mobiles pendant un nombre égal d'instans consécutifs; comme nous avons vu l'ordre du contact des courbes mesuré géométriquement par la communauté d'un nombre correspondant d'élémens successifs. Si la loi caractéristique de l'un des mouvemens proposés contient, dans son expression analytique, quelques constantes arbitraires, on pourra l'assimiler à un autre mouvement quelconque jusqu'à un ordre marqué par le nombre de ces constantes, qui seront alors déterminées d'après les équations destinées à établir, suivant la théorie précédente, ce degré d'intimité entre les deux mouvemens.

Cette conception fondamentale conduit à apercevoir la possibilité, du moins sous le point de vue abstrait, d'acquérir une connaissance de plus en plus approfondie d'un mouvement varié quelconque, en le comparant successivement à une suite de mouvemens connus, dont la loi analytique dépende d'un nombre de plus en plus grand de constantes arbitraires, et qui pourront, par conséquent, avoir avec lui une coïncidence de plus en plus prolongée. Mais, de même que nous avons vu la théorie générale des contacts des lignes, appliquée à la mesure de la courbure les unes par les autres, devoir se réduire effectivement à la comparaison d'une courbe quelconque d'abord avec une ligne droite et ensuite avec un cercle, ces deux lignes étant les seules qu'on puisse regarder comme assez connues pour servir utilement de type à l'égard des autres, pareillement la théorie dynamique relative à la mesure des mouvemens les uns par les autres doit être réellement limitée à la comparaison effective de tout mouvement varié, d'abord avec un mouvement uniforme où l'espace est proportionnel au temps, et ensuite avec un mouvement uniformément varié où l'espace croît en raison du carré du temps; ou bien, afin de tout embrasser en une seule considération, avec un mouvement composé d'un mouvement uniforme, et d'un autre uniformément varié, tel que celui d'un corps pesant animé d'une impulsion initiale. Ces deux mouvemens élémentaires sont, en effet, comme le remarque Lagrange, les seuls dont nous ayons réellement une notion assez familière pour que nous puissions les appliquer avec succès à la mesure de tous les autres. En établissant cette assimilation, on trouve, d'après la théorie précédente, que tout mouvement varié peut être à chaque instant comparé à celui d'un corps pesant qui aurait reçu une vitesse initiale égale à la première dérivée de l'espace parcouru envisagé comme une fonction du temps écoulé, et qui serait animé d'une gravité mesurée par la seconde dérivée de cette même fonction, ce qui nous fait rentrer dans les deux formules fondamentales obtenues ci-dessus par la méthode infinitésimale. Le mouvement proposé coïncidera pendant un instant infiniment petit avec le mouvement uniforme exprimé dans la première partie de cette comparaison, et pendant deux instans consécutifs avec le mouvement uniformément accéléré qui correspond à la seconde partie. On se formera donc ainsi une idée nette du mouvement du mobile à chaque moment, et de la manière dont il varie d'un moment à l'autre, ce qui est strictement suffisant.

Quoique la conception de Lagrange, telle que je l'ai généralisée, conduise finalement aux mêmes résultats que la théorie ordinaire, il est aisé de sentir cependant sa supériorité rationnelle, puisque ces deux théorèmes fondamentaux, dans lesquels on avait vu jusqu'alors le terme absolu des efforts de l'esprit humain, relativement à l'étude des mouvemens variés, peuvent être envisagés maintenant comme une simple application particulière d'une méthode très-générale, qui nous permet abstraitement d'entrevoir une mesure beaucoup plus parfaite de tout mouvement varié, quoique de puissans motifs de convenance nous obligent à considérer seulement la mesure primitivement adoptée. On conçoit, d'après ce qui précède, que si la nature nous offrait un exemple simple et familier d'un mouvement rectiligne dans lequel l'espace croîtrait proportionnellement au cube du temps, en ajoutant à nos notions dynamiques ordinaires la considération habituelle de ce mouvement, nous obtiendrions une connaissance plus approfondie de la nature d'un mouvement varié quelconque, qui pourrait alors avoir avec le triple mouvement ainsi composé une assimilation du troisième ordre, ce qui nous permettrait d'envisager directement, par une seule vue de l'esprit, l'état du mobile pendant trois instans consécutifs, tandis que nous sommes maintenant forcés de nous arrêter à deux instans. Sous le rapport analytique, au lieu de nous borner aux deux premières fonctions dérivées de l'espace relativement au temps, cette méthode reviendrait à considérer simultanément la troisième dérivée, qui aurait dès lors aussi une signification dynamique, dont elle est actuellement dépourvue. Dans cette supposition, de même que nous concevons habituellement la force accélératrice pour nous représenter les changemens de la vitesse, nous aurions pareillement une considération dynamique propre à nous figurer les variations de la force continue. Notre étude générale des mouvemens variés deviendrait encore plus parfaite si, étendant cette hypothèse, il existait en outre un mouvement connu dans lequel l'espace fût proportionnel à la quatrième puissance du temps, et ainsi de suite. Mais en réalité, parmi les mouvemens simples où l'espace parcouru se trouve croître proportionnellement à une puissance entière et positive du temps écoulé, l'observation ne nous faisant connaître que le mouvement uniforme produit par une impulsion unique et le mouvement uniformément accéléré qui résulte de la pesanteur terrestre suivant la découverte de Galilée, nous sommes contraints de nous arrêter aux deux premiers degrés de la théorie précédente pour la mesure générale des mouvemens variés quelconques. Telle est la véritable explication philosophique de la méthode universellement adoptée, estimée à sa valeur réelle.

J'ai cru devoir insister sur cette explication, parce que cette conception fondamentale me semble n'être pas encore appréciée d'une manière convenable, quoiqu'elle soit la base de la dynamique tout entière.

Après l'examen général de cette importante théorie préliminaire, je passe maintenant à considérer sommairement le caractère philosophique de la véritable dynamique rationnelle directe, c'est-à-dire de l'étude du mouvement curviligne produit par l'action simultanée de diverses forces continues quelconques, en continuant à supposer d'abord que le mobile soit regardé comme un point, ou, ce qui revient au même, que toutes les molécules du corps prenant exactement le même mouvement, chacune se meuve isolément sans être affectée par sa liaison avec les autres.

On doit distinguer, en général, dans le mouvement curviligne d'une molécule soumise à l'action de forces quelconques, deux cas très-différens, suivant qu'elle est d'ailleurs entièrement libre, de manière à devoir décrire la trajectoire qui résultera naturellement de la combinaison des forces proposées, ou que, au contraire, elle est astreinte à se mouvoir sur une seule courbe ou sur une surface donnée. La théorie fondamentale du mouvement curviligne peut être établie dans son ensemble suivant deux modes fort distincts, en prenant pour base l'un ou l'autre de ces deux cas, car chacun d'eux peut être traité directement et se trouve en même temps susceptible de se rattacher à l'autre, les deux considérations étant presqu'également naturelles selon le point de vue où l'esprit se place. En parlant du premier cas, il suffira, pour en déduire le second, de regarder la résistance, tant active que passive, de la courbe ou de la surface sur laquelle le corps est assujetti à rester, comme une nouvelle force à joindre à celles du système proposé, ainsi que nous avons vu qu'on a coutume de le faire en statique. Si, au contraire, on préfère d'établir d'abord la théorie du second cas, on y ramènera ensuite le premier, en considérant le mobile comme forcé à décrire la courbe qu'il doit effectivement parcourir, ce qui suffira entièrement pour former les équations fondamentales, malgré que cette courbe soit alors primitivement inconnue. Quoique cette dernière méthode ne soit point ordinairement employée, il convient, je crois, de les caractériser ici toutes deux, pour donner le plus complétement possible une juste idée de la théorie générale du mouvement curviligne, car chacune d'elles a, ce me semble, des avantages importans qui lui sont propres. Considérons d'abord la première.

Examinant, en premier lieu, le mouvement curviligne d'une molécule entièrement libre soumise à l'action de forces continues quelconques, on peut former de deux manières distinctes les équations fondamentales de ce mouvement, en les déduisant par deux modes différens de la théorie du mouvement rectiligne. Le premier mode, qui a d'abord été le plus employé par les géomètres, quoique, sous le rapport analytique, il ne soit pas le plus simple, consiste à décomposer à chaque instant la résultante totale des forces continues qui agissent sur le mobile en deux forces, l'une dirigée selon la tangente à la trajectoire qu'il décrit, l'autre suivant la normale. Considérons alors pendant un instant infiniment petit, le mouvement comme rectiligne et ayant lieu dans la direction de la tangente, d'après la première loi fondamentale du mouvement. La progression du corps en ce sens ne sera évidemment due qu'à la première de ces deux composantes, à laquelle, par conséquent, on pourra appliquer la formule élémentaire rapportée ci-dessus par le mouvement rectiligne. Cette composante, qui est d'ailleurs égale à la force accélératrice totale multipliée par le cosinus de son inclinaison sur la tangente, sera donc exprimée par la seconde fonction dérivée de l'arc de la courbe relativement au temps. En développant cette équation par les formules géométriques connues, et introduisant dans le calcul les composantes de la force accélératrice totale parallèlement aux trois axes coordonnés rectangulaires, on parvient finalement aux trois équations fondamentales ordinaires du mouvement curviligne Le second mode, plus simple et plus régulier, dû à Euler, et depuis généralement adopté, consiste à obtenir immédiatement ces équations en décomposant directement le mouvement du corps à chaque instant, ainsi que la force continue totale dont il est animé, en trois autres dans le sens des trois axes coordonnés. D'après la troisième loi fondamentale du mouvement, le mouvement selon chaque axe étant indépendant des mouvemens suivant les deux autres n'est dû qu'à la composante totale des forces accélératrices parallèlement à cet axe, en sorte que le mouvement curviligne se trouve ainsi continuellement remplacé par le système de trois mouvemens rectilignes, à chacun desquels on peut aussitôt appliquer la théorie dynamique préliminaire indiquée ci-dessus. En nommant X, Y, Z, les composantes totales, parallèlement aux trois axes des x, des y, et des z, des forces continues qui agissent à chaque instant dt sur la molécule dont les coordonnées sont x, y, z, on obtient ainsi immédiatement les équations

d2x/dt2 = X,    d2y/dt2 = Y,    d2z/dt2 = Z,

auxquelles on ne parvient que par un assez long calcul en suivant le premier mode.

Telles sont les équations différentielles fondamentales du mouvement curviligne, d'après lesquelles les questions quelconques de dynamique relatives à un corps dont toutes les molécules prennent exactement le même mouvement se réduisent immédiatement à des problèmes purement analytiques, lorsque les données ont été convenablement exprimées. En considérant d'abord la question générale directe, qui est la plus importante, on se propose, connaissant la loi des forces continues dont le corps est animé, de déterminer toutes les circonstances de son mouvement effectif. Pour cela, de quelque manière que cette loi soit donnée, ou en fonction du temps, ou en fonction des coordonnées, ou en fonction de la vitesse, il suffira en général d'intégrer ces trois équations du second ordre, ce qui donnera lieu à des difficultés analytiques plus ou moins élevées, que l'imperfection du calcul intégral pourra rendre fréquemment insurmontables. Les six constantes arbitraires successivement introduites par cette intégration se détermineront d'ailleurs en ayant égard aux circonstances de l'état initial du mobile, dont les équations différentielles n'ont pu conserver aucune trace. On obtiendra ainsi les trois coordonnées du corps en fonction du temps, de manière à pouvoir assigner exactement sa position à chaque instant; et on trouvera ensuite les deux équations caractéristiques de la courbe qu'il décrit, en éliminant le temps entre ces trois expressions. Quant à la vitesse acquise par le mobile à une époque quelconque, on pourra dès lors la déterminer aussi d'après les valeurs de ses trois composantes, dans le sens des axes, dx/dt, dy/dt, dz/dt. Il est d'ailleurs utile de remarquer, à cet égard, que cette vitesse v sera souvent susceptible d'être immédiatement calculée par une combinaison fort simple des trois équations différentielles fondamentales, qui donne évidemment la formule générale

v2 = 2∫ (Xdx + Ydy + Zdz),

à l'aide de laquelle une seule intégration suffira pour la détermination directe de la vitesse, lorsque l'expression placée sous le signe ∫ satisfera aux conditions connues d'intégrabilité relativement aux trois variables x, y, z, envisagées comme indépendantes. Cette propriété n'a pas lieu, sans doute, relativement à toutes les forces continues possibles, ni même par rapport à toutes celles que nous présentent en effet les phénomènes naturels, puisque, par exemple, elle ne saurait se vérifier pour les forces qui représentent la résistance des milieux, ou les frottemens, ou, en général, quant à toutes celles dont la loi primitive dépend du temps ou de la vitesse elle-même. La remarque précédente n'en est pas moins regardée avec raison par les géomètres comme ayant une extrême importance pour simplifier les recherches analytiques auxquelles se réduisent les problèmes de dynamique, car la condition énoncée se vérifie constamment, ainsi qu'il est aisé de le prouver, dans un cas particulier fort étendu, qui comprend toutes les grandes applications de la dynamique rationnelle à la mécanique céleste, c'est-à-dire celui où toutes les forces continues dont le corps est animé sont des tendances vers des centres fixes, agissant suivant une fonction quelconque de la distance du corps à chaque centre, mais indépendamment de la direction.

Si, prenant maintenant en sens inverse la théorie générale du mouvement curviligne d'une molécule libre, on se propose de déterminer, au contraire, d'après les circonstances caractéristiques du mouvement effectif, la loi des forces accélératrices qui ont pu le produire, la question sera nécessairement beaucoup plus simple sous le rapport analytique, puisqu'elle ne consistera essentiellement qu'en des différentiations. Car il sera toujours possible alors, par des recherches préliminaires plus ou moins compliquées, qui ne pourront porter que sur des considérations purement géométriques, de déduire, de la définition primitive du mouvement proposé, les valeurs des trois coordonnées du mobile à chaque instant en fonction du temps écoulé; et dès lors, en différentiant deux fois ces trois expressions, on obtiendra les composantes des forces continues suivant les trois axes, d'où l'on pourra conclure immédiatement la loi de la force accélératrice totale, de quelque nature qu'elle soit. C'est ainsi que nous verrons, dans la seconde section de ce cours, les trois lois géométriques fondamentales trouvées par Képler pour les mouvemens des corps célestes qui composent notre système solaire, nous conduire nécessairement à la loi de gravitation universelle, qui devient ensuite la base de toute la mécanique générale de l'univers.

Après avoir établi la théorie du mouvement curviligne d'une molécule libre, il est aisé d'y faire rentrer le cas où cette molécule est assujétie, au contraire, à rester sur une courbe donnée. Il suffit, comme je l'ai indiqué, de comprendre alors, parmi les forces continues auxquelles la molécule est primitivement soumise, la résistance totale exercée par la courbe proposée, ce qui permettra évidemment de considérer le mobile comme entièrement libre. Toute la difficulté propre à ce second cas se réduit donc essentiellement à analyser avec exactitude cette résistance. Or il faut, à cet effet, distinguer d'abord, dans la résistance de la courbe, deux parties très-différentes qu'on pourrait appeler, pour les caractériser nettement, l'une statique, l'autre dynamique. La résistance statique est celle qui aurait lieu lors même que le corps serait immobile; elle provient de la pression exercée sur la courbe proposée par les forces accélératrices dont il est animé; ainsi on l'obtiendra en déterminant la composante de la force continue totale suivant la normale à la courbe donnée au point que l'on considère. La résistance dynamique a une origine toute différente; elle n'est engendrée que par le mouvement, et résulte de la tendance perpétuelle du corps à abandonner la courbe qu'il est forcé de décrire, pour continuer à suivre, en vertu de la première loi fondamentale du mouvement, la direction de la tangente. Cette seconde résistance, qui se manifeste dans le passage du corps d'un élément de la courbe à l'élément suivant, est évidemment dirigée à chaque instant selon la normale à la courbe située dans le plan osculateur, et pourra, par conséquent, n'avoir pas la même direction que la résistance statique, si le plan osculateur ne contient pas la droite suivant laquelle agit la force accélératrice totale. C'est à cette résistance dynamique qu'on donne, en général, le nom de force centrifuge, tenant à ce que les seules forces accélératrices considérées d'abord par les géomètres étaient des forces centripètes, ou des tendances vers des centres fixes. Quant à son intensité, en concevant cette force centrifuge comme une nouvelle force accélératrice, elle sera mesurée par la composante normale que produit, dans chaque instant infiniment petit, la vitesse du mobile, lorsqu'il passe d'un élément de la courbe à un autre. On trouve aisément ainsi, après avoir éliminé les infinitésimales auxiliaires introduites d'abord naturellement par cette considération, que la force centrifuge est continuellement égale au carré de la vitesse effective du mobile divisé par le rayon de courbure correspondant de la courbe proposée. Du reste, cette expression fondamentale, aussi bien que la direction même de la force centrifuge, pourraient être entièrement obtenues par le calcul, en introduisant préalablement cette force, d'une manière complétement indéterminée, dans les trois équations différentielles générales du mouvement curviligne rapportées ci-dessus. Quoi qu'il en soit, après avoir déterminé la résistance dynamique, on la composera convenablement avec la résistance statique, et, en faisant entrer la résistance totale parmi les forces proposées, le problème sera immédiatement ramené au cas précédent. La question la plus remarquable de ce genre consiste dans l'étude du mouvement oscillatoire d'un corps pesant sur une courbe quelconque (et particulièrement sur un cercle ou sur une cycloïde), dont l'examen philosophique doit naturellement être renvoyé à la partie de ce cours qui concerne la physique proprement dite.

Il serait superflu de considérer distinctement ici le cas où le mobile, au lieu de devoir décrire une courbe donnée, serait seulement assujéti à rester sur une certaine surface. C'est essentiellement par les mêmes considérations qu'on ramène ce nouveau cas, d'ailleurs peu important dans les applications, à celui d'un corps libre. Il n'y a d'autre différence réelle qu'en ce qu'alors la trajectoire du mobile n'est pas d'abord entièrement déterminée, et qu'on est obligé, pour la connaître, de joindre à l'équation de la surface proposée une autre équation fournie par l'étude dynamique du problème.

Considérons maintenant, par aperçu, le second mode général distingué précédemment pour construire la théorie fondamentale du mouvement curviligne d'une molécule isolée, en partant, au contraire, du cas où la molécule est préalablement assujétie à décrire une courbe donnée.

Toute la difficulté réelle consiste alors à établir directement le théorème fondamental relatif à la mesure de la forme centrifuge. Or c'est ce qu'on peut faire aisément, en considérant d'abord le mouvement uniforme du corps dans un cercle, en vertu d'une impulsion initiale, et sans aucune force accélératrice, ainsi que l'a supposé Huyghens, auquel est due la base de cette théorie. La force centrifuge est dès lors évidemment proportionnelle au sinus-verse de l'arc de cercle décrit dans un instant infiniment petit, convenablement comparé au temps correspondant, d'où il est facile de conclure, comme l'a fait Huyghens, qu'elle a pour expression le carré de la vitesse constante avec laquelle le mobile décrit le cercle divisé par le rayon de ce cercle. Ce résultat une fois obtenu, en le combinant avec une autre notion fondamentale due à Huyghens, on en déduit immédiatement la valeur de la force centrifuge dans une courbe quelconque. Il suffit, pour cela, de concevoir que la détermination de cette force exigeant seulement la considération simultanée de deux élémens consécutifs de la courbe proposée, le mouvement peut être continuellement envisagé comme ayant lieu dans le cercle osculateur correspondant, puisque ce cercle présente relativement à la courbe deux élémens successifs communs. On peut donc directement transporter à une courbe quelconque l'expression de la force centrifuge trouvée primitivement pour le cas du cercle, et établir, comme dans la première méthode, mais bien plus simplement, qu'elle est généralement égale au carré de la vitesse divisé par le rayon du cercle osculateur. Cette manière de procéder présente l'avantage de donner une idée plus nette de la force centrifuge.

Le cas du mouvement dans une courbe déterminée étant ainsi traité préalablement avec toute la généralité convenable, il est aisé d'y ramener celui d'un corps entièrement libre, décrivant la trajectoire qui doit naturellement résulter de l'action simultanée de certaines forces accélératrices quelconques. Il suffit, en effet, suivant l'indication précédemment exprimée, de concevoir le corps comme assujéti à rester sur la courbe qu'il décrira réellement, ce qui revient évidemment au même, puisqu'il importe peu, en dynamique, le corps ne pouvant point véritablement parcourir toute autre courbe, qu'il y soit contraint par la nature des forces dont il est animé, ou par des conditions de liaison spéciales. Dès lors ce mouvement donnera naissance à une véritable force centrifuge, exprimée par la formule générale trouvée ci-dessus. Maintenant il est clair que, si la force continue totale dont le mobile est animé a été d'abord conçue comme décomposée à chaque instant en deux autres, l'une dirigée suivant la tangente à la trajectoire, et l'autre selon la normale située dans le plan osculateur, cette dernière doit nécessairement être égale et directement opposée à la force centrifuge. Or, cette composante normale ayant pour expression la force continue totale multipliée par le cosinus de l'angle que sa direction forme avec la normale, en égalant cette valeur à celle de la force centrifuge, on formera une équation fondamentale d'où l'on pourra déduire les équations générales du mouvement curviligne précédemment obtenues par une autre méthode. On n'aura, pour cela, d'autre transformation à faire que d'introduire dans cette équation, au lieu de la force continue totale et de sa direction, ses composantes selon les trois axes coordonnés, et de remplacer, dans la formule qui exprime la force centrifuge, la vitesse et le rayon de courbure par leurs valeurs générales en fonction des coordonnées. L'équation ainsi obtenue se décomposera naturellement en trois, si l'on considère que, devant avoir lieu pour quelque système que ce soit de forces accélératrices et pour une trajectoire quelconque, elle doit se vérifier séparément par rapport à chacune des trois coordonnées, envisagées momentanément comme trois variables entièrement indépendantes. Ces trois équations se trouveront être exactement identiques à celles rapportées ci-dessus. Quoique cette manière de les obtenir soit bien moins directe, et qu'elle exige un plus grand appareil analytique, j'ai cependant cru nécessaire de l'indiquer distinctement, parce qu'elle me semble propre à éclairer, sous un rapport fort important, la théorie ordinaire du mouvement curviligne, en rendant sensible l'existence de la force centrifuge, même dans le cas d'un corps libre, notion sur laquelle la méthode habituellement adoptée aujourd'hui laisse communément beaucoup d'incertitude et d'obscurité.

Ayant suffisamment étudié, dans ce qui précède, le caractère général de la partie de la dynamique relative au mouvement d'un point, ou, ce qui revient au même, d'un corps dont toutes les molécules se meuvent identiquement, nous devons maintenant examiner, sous un semblable point de vue, la partie de la dynamique la plus difficile et la plus étendue, celle qui se rapporte au cas plus réel du mouvement d'un système de corps liés entre eux d'une manière quelconque, et dont les mouvemens propres sont altérés par les conditions dépendantes de leur liaison. Je considérerai soigneusement, dans la leçon suivante, les résultats généraux obtenus jusqu'ici par les géomètres, relativement à cet ordre de recherches. Je dois donc me borner strictement ici à caractériser la méthode générale d'après laquelle on est parvenu à convertir tous les problèmes de cette nature en de pures questions d'analyse.

Dans cette dernière partie de la dynamique, il faut préalablement établir une nouvelle notion élémentaire, relativement à la mesure des forces. En effet, les forces considérées jusqu'ici étant toujours appliquées à une molécule unique, ou du moins agissant toutes sur un même corps, leur intensité se trouvait être suffisamment mesurée, en ayant seulement égard à la vitesse plus ou moins grande qu'elles pouvaient imprimer au mobile à chaque instant. Mais, quand on vient à envisager simultanément les mouvemens de plusieurs corps différens, cette manière de mesurer les forces devient évidemment insuffisante, puisqu'on ne saurait se dispenser de tenir compte de la masse de chaque mobile, aussi bien que de sa vitesse. Pour la prendre convenablement en considération, les géomètres ont établi cette notion fondamentale, que les forces susceptibles d'imprimer à diverses masses une même vitesse sont exactement entre elles comme ces masses; ou, en d'autres termes, que les forces sont proportionnelles aux masses, aussi bien que nous les avons reconnues, dans la quinzième leçon, d'après la troisième loi physique du mouvement, être proportionnelles aux vitesses. Tous les phénomènes relatifs à la communication du mouvement par le choc, ou de toute autre manière, ont constamment confirmé la supposition de cette nouvelle proportionnalité. Il en résulte évidemment que lorsqu'il faut comparer, dans le cas le plus général, des forces qui impriment à des masses inégales des vitesses différentes, chacune d'elles doit être mesurée d'après le produit de la masse sur laquelle elle agit par la vitesse correspondante. Ce produit, auquel les géomètres ont donné communément le nom de quantité de mouvement, détermine exactement, en effet, la force d'impulsion d'un corps dans le choc, la percussion proprement dite, ainsi que la pression qu'un corps peut exercer contre tout obstacle fixe à son mouvement. Telle est la nouvelle notion élémentaire relative à la mesure générale des forces, dont il serait peut-être convenable de faire une quatrième et dernière loi fondamentale du mouvement, en tant du moins que cette notion n'est point réellement susceptible, comme quelques géomètres l'ont pensé, d'être logiquement déduite des notions précédentes, et ne saurait être solidement établie que sur des considérations physiques qui lui soient propres.

Cette notion préliminaire étant établie, examinons maintenant la conception générale d'après laquelle peut être traitée la dynamique d'un système quelconque de corps soumis à l'action de forces quelconques. La difficulté caractéristique de cet ordre de questions consiste essentiellement dans la manière de tenir compte de la liaison des différens corps du système, en vertu de laquelle leurs réactions mutuelles altéreront nécessairement les mouvemens propres que chaque corps prendrait, s'il était seul, par l'influence des forces qui le sollicitent, sans qu'on sache nullement à priori en quoi peut consister cette altération. Ainsi, pour choisir un exemple très-simple, et néanmoins important, dans le célèbre problème du mouvement d'un pendule composé, qui a été primitivement le principal sujet des recherches des géomètres sur cette partie supérieure de la dynamique, il est évident que, par suite de la liaison établie entre les corps ou les molécules les plus rapprochés du point de suspension, et les corps ou les molécules qui en sont les plus éloignés, il s'exercera une réaction telle que ni les uns ni les autres n'oscilleront comme s'ils étaient libres, le mouvement des premiers étant retardé, et celui des derniers étant accéléré en vertu de la nécessité où ils se trouvent d'osciller simultanément, sans qu'aucun principe dynamique déjà établi puisse faire connaître la loi qui détermine ces réactions. Il en est de même dans tous les autres cas relatifs au mouvement d'un système de corps. On éprouve donc évidemment ici le besoin de nouvelles conceptions dynamiques. Les géomètres, obéissant à ce sujet, à l'habitude imposée presque constamment par la faiblesse de l'esprit humain, ont d'abord traité cette nouvelle série de recherches, en créant pour ainsi dire un nouveau principe particulier relativement à chaque question essentielle. Telles ont été l'origine et la destination des diverses propriétés générales du mouvement que nous examinerons dans la leçon suivante, et qui, primitivement envisagées comme autant de principes indépendans les uns des autres, ne sont plus aujourd'hui, aux yeux des géomètres, que des théorèmes remarquables fournis simultanément par les équations dynamiques fondamentales. On peut suivre, dans la Mécanique analytique, l'histoire générale de cette série de travaux, que Lagrange a présentée d'une manière si profondément intéressante pour l'étude de la marche progressive de l'esprit humain. Cette manière de procéder a été continuellement adoptée jusqu'à d'Alembert, qui a mis fin à toutes ces recherches isolées, en s'élevant à une conception générale sur la manière de tenir compte de la réaction dynamique des corps d'un système en vertu de leurs liaisons, et en établissant par suite les équations fondamentales du mouvement d'un système quelconque. Cette conception, qui a toujours servi depuis, et qui servira indéfiniment de base à toutes les recherches relatives à la dynamique des corps, consiste essentiellement à faire rentrer les questions de mouvement dans de simples questions d'équilibre, à l'aide de ce célèbre principe général auquel l'accord unanime des géomètres a donné, avec tant de raison, le nom de principe de d'Alembert. Considérons donc maintenant ce principe d'une manière directe.

Lorsque, par les réactions que divers corps exercent les uns sur les autres en vertu de leur liaison, chacun d'eux prend un mouvement différent de celui que les forces dont il est animé lui eussent imprimé s'il eût été libre, on peut évidemment regarder le mouvement naturel comme décomposé en deux, dont l'un est celui qui aura effectivement lieu, et dont l'autre, par conséquent, a été détruit. Le principe de d'Alembert consiste proprement en ce que tous les mouvemens de ce dernier genre, ou, en d'autres termes, les quantités de mouvemens perdues ou gagnées par les différens corps du système dans leur réaction, se font nécessairement équilibre, en ayant égard aux conditions de liaison qui caractérisent le système proposé. Cette lumineuse conception générale a été d'abord entrevue par Jacques Bernouilli dans un cas particulier; car telle est évidemment la considération qu'il emploie pour résoudre le problème du pendule composé, lorsqu'il regarde la quantité de mouvement perdue par le corps le plus rapproché du point de suspension, et la quantité de mouvement gagnée par celui qui en est le plus éloigné, comme devant nécessairement satisfaire à la loi d'équilibre du levier, relativement au point de suspension, ce qui le conduit à former immédiatement une équation susceptible de déterminer le centre d'oscillation du système de poids le plus simple. Mais cette idée n'était, pour Jacques Bernouilli, qu'un artifice isolé qui n'ôte rien au mérite de la grande conception de d'Alembert, dont la propriété essentielle consiste dans son entière généralité nécessaire.

En considérant le principe de d'Alembert sous le point de vue le plus philosophique, on peut, ce me semble, en reconnaître le véritable germe primitif dans la seconde loi fondamentale du mouvement (voyez la quinzième leçon), établie par Newton sous le nom d'égalité de la réaction à l'action. Le principe de d'Alembert coïncide exactement, en effet, avec cette loi de Newton, quand on envisage seulement un système de deux corps, agissant l'un sur l'autre suivant la ligne qui les joint. Ce principe peut donc être envisagé comme la plus grande généralisation possible de la loi de la réaction égale et contraire à l'action; et cette manière nouvelle de le concevoir me paraît propre à faire ressortir sa véritable nature, en lui donnant ainsi un caractère physique, au lieu du caractère purement logique qui lui avait été imprimé par d'Alembert. En conséquence nous ne verrons désormais dans ce grand principe que notre seconde loi du mouvement étendue à un nombre quelconque de corps, disposés entr'eux d'une manière quelconque.

D'après ce principe général, on conçoit que toute question de dynamique pourra être immédiatement convertie en une simple question de statique, puisqu'il suffira de former, dans chaque cas, les équations d'équilibre entre les mouvemens détruits; ce qui donne la certitude nécessaire de pouvoir mettre en équation un problème quelconque de dynamique, et de le faire ainsi dépendre uniquement de recherches analytiques. Mais la forme sous laquelle le principe de d'Alembert a été primitivement conçu n'est point la plus convenable pour effectuer avec facilité cette transformation fondamentale, vu la grande difficulté qu'on éprouve souvent à discerner quels doivent être les mouvemens détruits, comme on peut pleinement s'en convaincre par l'examen attentif du Traité de dynamique de d'Alembert, dont les solutions sont ordinairement si compliquées. Hermann, et surtout Euler ont cherché à faire disparaître la considération embarrassante des quantités de mouvement perdues ou gagnées, en remplaçant les mouvemens détruits par les mouvemens primitifs composés avec les mouvemens effectifs pris en sens contraire, ce qui revient évidemment au même, puisque, quand une force a été décomposée en deux, on peut réciproquement substituer à l'une des composantes la combinaison de la résultante avec l'autre composante prise en sens contraire. Dès lors le principe de d'Alembert, envisagé sous ce nouveau point de vue, consiste simplement, en ce que les mouvemens effectifs conformes à la liaison des corps du système devront nécessairement, étant pris en sens inverse, faire toujours équilibre aux mouvemens primitifs qui résulteraient de la seule action des forces proposées sur chaque corps supposé libre; ce qui peut d'ailleurs être établi directement, car il est évident que le système serait en équilibre si on imprimait à chaque corps une quantité de mouvement égale et contraire à celle qu'il prendra effectivement. Cette nouvelle forme donnée par Euler au principe de d'Alembert est la plus convenable pour en faire usage, comme ne prenant en considération que les mouvemens primitifs et les mouvemens effectifs, qui sont les véritables élémens du problème dynamique, dont les uns constituent les données et les autres les inconnues. Tel est, en effet, le point de vue définitif sous lequel le principe de d'Alembert a été habituellement conçu depuis.

Les questions relatives au mouvement étant ainsi généralement réduites, de la manière la plus simple possible, à de pures questions d'équilibre, la méthode la plus philosophique pour traiter la dynamique rationnelle consiste à combiner le principe de d'Alembert avec le principe des vitesses virtuelles, qui fournit directement, comme nous l'avons vu dans la leçon précédente, toutes les équations nécessaires à l'équilibre d'un système quelconque. Telle est la combinaison conçue par Lagrange, et si admirablement développée dans sa Mécanique analytique, qui a élevé la science générale de la mécanique abstraite au plus haut degré de perfection que l'esprit humain puisse ambitionner sous le rapport logique, c'est-à-dire à une rigoureuse unité, toutes les questions qui peuvent s'y rapporter étant désormais uniformément rattachées à un principe unique, d'après lequel la solution définitive d'un problème quelconque ne présente plus nécessairement que des difficultés analytiques. Pour établir le plus simplement possible la formule générale de la dynamique, concevons que toutes les forces accélératrices du système quelconque proposé aient été décomposées parallèlement aux trois axes des coordonnées, et soient X, Y, Z, les groupes de forces correspondant aux axes des x, y, z; en désignant par m la masse du système, il devra y avoir équilibre, d'après le principe de d'Alembert, entre les quantités primitives de mouvement mX, mY, mZ, et les quantités de mouvement effectives prises en sens contraire, qui seront évidemment exprimées par

-m(d2x/dt2),   -m(d2y/dt2),    -m(d2z/dt2),

suivant les trois axes. Ainsi, appliquant à cet ensemble de forces le principe général des vitesses virtuelles, en ayant soin de distinguer les variations relatives aux différens axes, on obtiendra l'équation

qui peut être regardée comme comprenant implicitement toutes les équations nécessaires pour l'entière détermination des diverses circonstances relatives au mouvement d'un système quelconque de corps sollicités par des forces quelconques. Les équations explicites se déduiront convenablement, dans chaque cas, de celle formule générale, en réduisant toutes les variations au plus petit nombre possible, d'après les conditions de liaison qui caractériseront le système proposé, ce qui fournira autant d'équations distinctes qu'il restera de variations réellement indépendantes.

Afin de faire ressortir, sous le point de vue philosophique, toute la fécondité de cette formule, et de montrer qu'elle comprend rigoureusement l'ensemble total de la dynamique, il convient de remarquer qu'on en pourrait même tirer, comme un simple cas particulier, la théorie du mouvement curviligne d'une molécule unique; que nous avons spécialement considérée dans la première partie de cette leçon. En effet il est évident que, si toutes les forces continues proposées agissent sur une seule molécule, la masse m disparaît de l'équation générale précédente, qui, en distinguant séparément le mouvement virtuel relatif à chaque axe, fournit immédiatement les trois équations fondamentales établies ci-dessus pour le mouvement d'un point. Mais, bien qu'on doive considérer cette filiation, sans laquelle on ne concevrait pas toute l'étendue réelle de la formule générale de la dynamique, la théorie du mouvement d'une seule molécule n'exige point véritablement l'emploi du principe de d'Alembert, qui est essentiellement destiné à l'étude dynamique des systèmes de corps. Cette première théorie est trop simple par elle-même, et résulte trop immédiatement des lois fondamentales du mouvement, pour que je n'aie pas cru devoir, conformément à l'usage ordinaire, la présenter d'abord isolément, afin de rendre plus nettes les importantes notions générales auxquelles elle donne naissance, quoique nous devions finir par la faire rentrer, en vue d'une coordination plus parfaite, dans la formule invariable qui renferme nécessairement toutes les théories dynamiques possibles.

Ce serait sortir des limites naturelles de ce cours que d'indiquer ici aucune application spéciale de cette formule générale à la solution effective d'un problème dynamique quelconque, la méthode devant être le seul objet essentiel de nos considérations philosophiques, sauf l'indication des résultats principaux qu'elle a produits, et dont nous nous occuperons dans la leçon suivante. Je crois cependant devoir rappeler à ce sujet, comme une conception vraiment relative à la méthode bien plus qu'à la science, la distinction nécessaire, signalée dans la leçon précédente, entre les mouvemens de translation et les mouvemens de rotation. Pour étudier convenablement le mouvement d'un système quelconque, il faut, en effet, l'envisager comme composé d'une translation commune à toutes ses parties, et d'une rotation propre à chacun de ses points autour d'un certain axe constant ou variable. Par des motifs de simplification analytique dont nous aurons occasion, dans la leçon suivante, d'indiquer l'origine, les géomètres considèrent toujours de préférence le mouvement de rotation d'un système quelconque relativement à son centre de gravité, ou, pour mieux dire, à son centre des moyennes distances, qui présente, sous ce rapport, des propriétés générales très-remarquables, dont la découverte est due à Euler. Dès lors l'analyse complète du mouvement d'un système animé de forces quelconques consiste essentiellement: 1º à déterminer à chaque instant la vitesse du centre de gravité et la direction dans laquelle il se meut, ce qui suffit pour faire connaître, comme nous le constaterons, tout ce qui concerne la translation du système; 2º à déterminer également à chaque instant la direction de l'axe instantané de rotation passant par le centre de gravité, et la vitesse de rotation de chaque partie du système autour de cet axe. Il est clair, en effet, que toutes les circonstances secondaires du mouvement pourront nécessairement être déduites, dans chaque cas, de ces deux déterminations principales.

La formule générale de la dynamique, établie ci-dessus, est évidemment, par sa nature, tout aussi directement applicable au mouvement des fluides qu'à celui des solides, pourvu qu'on prenne convenablement en considération les conditions qui caractérisent l'état fluide, soit liquide, soit gazeux, ce que nous avons eu occasion d'indiquer dans la leçon précédente au sujet de l'équilibre. Aussi d'Alembert, après avoir découvert le principe fondamental qui lui a permis, vu les progrès de la statique, de traiter dans son ensemble la dynamique d'un système quelconque, en a-t-il fait immédiatement application à l'établissement des équations générales du mouvement des fluides, entièrement inconnues jusqu'alors. Ces équations s'obtiennent surtout avec une grande facilité d'après le principe des vitesses virtuelles, tel qu'il est exprimé par la formule générale précédente. Cette partie de la dynamique ne laisse donc réellement rien à désirer sous le rapport concret, et ne présente plus que des difficultés purement analytiques, relatives à l'intégration des équations aux différences partielles auxquelles on parvient. Mais il faut reconnaître que cette intégration générale offrant jusqu'ici des obstacles insurmontables, les connaissances effectives qu'on peut déduire de cette théorie sont encore extrêmement imparfaites, même dans les cas les plus simples; ce qui nous semblera sans doute inévitable, en considérant la grande complication que nous avons déjà reconnue à cet égard dans les questions de pure statique, dont la nature est cependant bien moins complexe. Le seul problème de l'écoulement d'un liquide pesant par un orifice donné, quelque facile qu'il doive paraître, n'a pu encore être résolu d'une manière vraiment satisfaisante. Afin de simplifier suffisamment les recherches analytiques dont il dépend, les géomètres ont été obligés d'adopter la célèbre hypothèse proposée par Daniel Bernouilli sous le nom de parallélisme des tranches, qui permet de ne considérer le mouvement que par tranches, au lieu de devoir l'envisager molécule à molécule. Mais cette hypothèse, qui consiste à regarder chaque section horizontale du liquide comme se mouvant en totalité et prenant la place de la suivante, est évidemment en contradiction formelle avec la réalité dans presque tous les cas, excepté dans un petit nombre de circonstances choisies pour ainsi dire expressément, à cause des mouvemens latéraux dont une telle hypothèse fait complétement abstraction, et dont l'existence sensible impose nécessairement la loi d'étudier isolément le mouvement de chaque molécule. La science générale de l'hydrodynamique ne peut donc réellement être encore envisagée que comme étant à sa naissance, même relativement aux liquides, et à plus forte raison à l'égard des gaz. Mais il importe éminemment de reconnaître, d'un autre côté, que tous les grands travaux qui restent à faire sous ce rapport consistent essentiellement dans les progrès de la seule analyse mathématique, les équations fondamentales du mouvement des fluides étant irrévocablement établies.

Après avoir considéré sous ses divers aspects principaux le caractère général de la méthode en mécanique rationnelle, et indiqué comment toutes les questions qu'elle petit offrir se réduisent à des recherches purement analytiques, il nous reste maintenant, pour compléter l'examen philosophique de cette science fondamentale, à envisager, dans la leçon suivante, les résultats principaux obtenus par l'esprit humain en procédant ainsi, c'est-à-dire les propriétés générales les plus remarquables de l'équilibre et du mouvement.




DIX-HUITIÈME LEÇON.




Sommaire. Considérations sur les théorèmes généraux de mécanique rationnelle.

Le but et l'esprit de cet ouvrage, aussi bien que son étendue naturelle, nous interdisent nécessairement ici tout développement spécial relatif à l'application des équations fondamentales de l'équilibre et du mouvement, à la solution effective d'aucun problème mécanique particulier. Néanmoins, on ne se formerait qu'une idée incomplète du caractère philosophique de la mécanique rationnelle envisagée dans son ensemble, si, après avoir convenablement étudié la méthode, on ne considérait enfin les grands résultats théoriques de la science, c'est-à-dire les principales propriétés générales de l'équilibre et du mouvement découvertes jusqu'ici par les géomètres, et qui nous restent maintenant à examiner. Ces diverses propriétés ont été conçues dans l'origine comme autant de véritables principes, dont chacun était destiné primitivement à procurer la solution d'un certain ordre de nouveaux problèmes mécaniques, supérieurs aux méthodes connues jusqu'alors. Mais, depuis que l'ensemble de la mécanique rationnelle a pris son caractère systématique définitif, chacun de ces anciens principes a été ramené à n'être plus qu'un simple théorème plus ou moins général, résultat nécessaire des théories fondamentales de la statique et de la dynamique abstraites: c'est seulement sous ce point de vue philosophique que nous devons les envisager ici. Commençons par ceux qui se rapportent à la statique.

Le théorème le plus remarquable qui ait été déduit jusqu'à présent des équations générales de l'équilibre est la célèbre propriété, primitivement découverte par Torricelli, relativement à l'équilibre des corps pesans. Elle consiste proprement en ce que, quand un système quelconque de corps pesans est dans sa situation d'équilibre, son centre de gravité est nécessairement placé au point le plus bas ou le plus haut possible, comparativement à toutes les positions qu'il pourrait prendre d'après toute autre situation du système. Torricelli à d'abord présenté cette propriété comme immédiatement vérifiée par les conditions d'équilibre connues de tous les systèmes de poids considérés jusqu'alors. Mais les considérations générales d'après lesquelles il a tenté ensuite de la démontrer directement sont réellement peu satisfaisantes, et offrent un exemple sensible de la nécessité de se défier, dans les sciences mathématiques, de toute idée dont le caractère n'est point parfaitement précis, quelque plausible qu'elle puisse d'ailleurs paraître. En effet le raisonnement de Torricelli consiste essentiellement à remarquer que la tendance naturelle du poids étant de descendre, il y aura nécessairement équilibre si le centre de gravité se trouve placé le plus bas possible. L'insuffisance de cette considération est évidente, puisqu'elle n'explique point pourquoi il y a également équilibre quand le centre de gravité est placé le plus haut possible, et qu'elle tendrait même à démontrer que ce second cas d'équilibre ne peut exister, tandis que, sous le point de vue théorique, il est aussi réel que le premier, quoique, par le défaut de stabilité, on ait rarement occasion de l'observer dans la pratique. Ainsi, pour choisir un exemple très-simple, la loi d'équilibre d'un pendule exige que le centre de gravité du poids soit placé sur la verticale menée par le point de suspension, ce qui offre une vérification palpable du théorème de Torricelli; mais, quand on fait abstraction de la stabilité, il est évident que ce centre de gravité peut d'ailleurs être indifféremment au-dessus ou au-dessous du point de suspension, l'équilibre ayant également lieu dans les deux cas.

La véritable démonstration générale du théorème de Torricelli consiste à le déduire du principe fondamental des vitesses virtuelles, qui le fournit immédiatement avec la plus grande facilité. Il suffit, en effet, pour cela, d'appliquer directement ce principe à l'équilibre d'un système quelconque de corps pesans, à l'égard duquel il donne aussitôt l'équation

∫ Pdz = 0,

où P désigne un quelconque des poids, et z la hauteur verticale de son centre de gravité. Or, d'après la définition générale du centre de gravité de tout système de poids, on a évidemment en nommant P. le poids total du système, et z, l'ordonnée verticale de son centre de gravité, la relation

∫ Pdz = P1dz1.

Ainsi l'équation des vitesses virtuelles devient, dans ce cas, dz1 = 0; ce qui, conformément à la théorie analytique générale des maxima et minima, démontre immédiatement que la hauteur verticale du centre de gravité du système est alors un maximum ou un minimum, comme l'indique le théorème de Torricelli.

Cette importante propriété, indépendamment du grand intérêt qu'elle présente sous le point de vue physique, peut même être avantageusement employée pour faciliter la solution générale de plusieurs problèmes essentiels de statique rationnelle, relativement aux corps pesans. Ainsi, par exemple, elle suffit à l'entière résolution de la célèbre question de la chaînette, c'est-à-dire de la figure que prend une chaîne pesante suspendue à deux points fixes, et ensuite librement abandonnée à la seule influence de la gravité, en la supposant parfaitement flexible, et de plus inextensible. En effet, le théorème de Torricelli indiquant alors que le centre de gravité doit être placé le plus bas possible, le problème appartient immédiatement à la théorie générale des isopérimètres, indiquée dans la huitième leçon, puisqu'il se réduit à déterminer, parmi toutes les courbes de même contour tracées entre les deux points fixes donnés, quelle est celle qui jouit de cette propriété caractéristique, que la hauteur verticale de son centre de gravité totale soit un minimum, condition qui suffit pour déterminer complétement, à l'aide du calcul des variations, l'équation différentielle, et ensuite l'équation finie de la courbe cherchée. Il en est de même dans quelques autres questions intéressantes relatives à l'équilibre des poids.

Le théorème de Torricelli a éprouvé plus tard une importante généralisation par les travaux de Maupertuis, qui, sous le nom de loi du repos, a découvert une propriété très-étendue de l'équilibre, dont celle ci-dessus considérée n'est plus qu'un simple cas particulier. C'est seulement à la pesanteur terrestre, ou à la gravité proprement dite, que s'applique la loi trouvée par Torricelli. Celle de Maupertuis s'étend, au contraire, à toutes les forces attractives qui peuvent faire tendre les corps d'un système quelconque vers des centres fixes, ou les uns vers les autres, suivant une fonction quelconque de la distance, indépendante de la direction, ce qui comprend toutes les grandes forces naturelles. On sait que, dans ce cas, l'expression P δ p + P' δ p'+ etc., qui forme le premier membre de l'équation générale des vitesses virtuelles, se trouve nécessairement être toujours une différentielle exacte. Par conséquent, le principe des vitesses virtuelles consiste alors proprement en ce que la variation de son intégrale est nulle, ce qui indique évidemment, d'après la théorie fondamentale des maxima et minima, que cette intégrale ∫ P δ p est constamment, dans le cas d'équilibre, un maximum ou un minimum. C'est en cela que consiste la loi de Maupertuis, considérée sous le point de vue le plus général, et déduite ainsi directement avec une extrême simplicité du principe fondamental des vitesses virtuelles, qui doit nécessairement renfermer implicitement toutes les propriétés auxquelles peut donner lieu la théorie de l'équilibre. Le théorème de Maupertuis a été présenté par Lagrange sous un aspect plus concret et plus remarquable, en le rattachant à la notion des forces vives, dont nous nous occuperons plus bas. Lagrange, considérant que l'intégrale ∫ P δ p envisagée par Maupertuis est nécessairement toujours, d'après la théorie analytique générale du mouvement, le complément de la somme des forces vives du système à une certaine constante, en a conclu que cette somme de forces vives est un minimum lorsque l'intégrale précédente est un maximum, et réciproquement. D'après cela, le théorème de Maupertuis peut être envisagé plus simplement comme consistant en ce que la situation d'équilibre d'un système quelconque est constamment celle dans laquelle la somme des forces vives se trouve être un maximum ou un minimum. Il est évident que, dans le cas particulier de la pesanteur terrestre, cette loi coïncide exactement avec celle de Torricelli, la force vive étant alors égale, comme on sait, au produit du poids par la hauteur verticale du centre de gravité, laquelle doit donc devenir nécessairement un maximum ou un minimum, s'il y a équilibre.

Une autre propriété générale très-remarquable de l'équilibre, qui peut être regardée comme le complément indispensable du théorème de Torricelli et de Maupertuis, consiste dans la distinction fondamentale des cas de stabilité ou d'instabilité de l'équilibre. On sait que l'équilibre peut être stable ou instable, c'est-à-dire que le corps, infiniment peu écarté de sa situation d'équilibre, peut tendre à y revenir, et y retourne en effet après un certain nombre d'oscillations bientôt anéanties par la résistance du milieu, les frottemens, etc., ou bien qu'il tend, au contraire, à s'en éloigner de plus en plus, pour ne s'arrêter que dans une nouvelle position d'équilibre stable. Ce que nous appelons physiquement l'état de repos d'un corps n'est réellement autre chose que l'équilibre stable, car le repos abstrait, tel que les géomètres le conçoivent, lorsqu'ils supposent un corps qui ne serait sollicité par aucune force, ne saurait évidemment exister dans la nature, où il ne peut y avoir que des équilibres plus ou moins durables. L'équilibre instable, au contraire, constitue effectivement ce que le vulgaire appelle proprement équilibre, qui désigne toujours un état plus ou moins passager et artificiel. La propriété générale que nous considérons maintenant, et dont la démonstration complète est due à Lagrange, consiste en ce que, dans un système quelconque, l'équilibre est stable ou instable, suivant que l'intégrale envisagée par Maupertuis, et qui a été indiquée, ci-dessus, se trouve être un minimum ou un maximum; ou, ce qui revient au même, comme nous l'avons dit, suivant que la somme des forces vives est un maximum ou un minimum. Ce beau théorème de mécanique, appliqué au cas le plus simple et le plus remarquable, à celui de l'équilibre des corps pesans considéré par Torricelli, apprend alors que le système est dans un état d'équilibre stable, quand le centre de gravité est placé le plus bas possible, et dans un état d'équilibre instable quand, au contraire, le centre de gravité est placé le plus haut possible, ce qu'il est aisé de vérifier directement pour les systèmes les moins compliqués. Ainsi, par exemple, l'équilibre d'un pendule est évidemment stable, quand le centre de gravité du poids se trouve être situé au dessus du point de suspension, et instable quand il est au dessous. De même, un ellipsoïde de révolution, posé sur un plan horizontal, est en équilibre stable quand il repose sur le sommet de son petit axe, et en équilibre instable quand c'est sur le sommet de son grand axe. La seule observation aurait suffi sans doute pour distinguer les deux états dans des cas aussi simples. Mais la théorie la plus profonde a été nécessaire pour dévoiler aux géomètres que cette distinction fondamentale était également applicable aux systèmes les plus composés, en montrant que lorsque l'intégrale relative à la somme des momens virtuels est un minimum, le système ne peut faire autour de sa situation d'équilibre que des oscillations très-petites et dont l'étendue est déterminée, tandis que, si cette intégrale est, au contraire, un maximum, ces oscillations peuvent acquérir et acquièrent en effet une étendue finie et quelconque. Il est d'ailleurs inutile d'avertir que, par leur nature, ces propriétés, ainsi que les précédentes, ont lieu dans les fluides tout aussi bien que dans les solides, ce qui est également le caractère de toutes les propriétés mécaniques générales à l'examen desquelles nous avons destiné cette leçon.

Considérons maintenant les théorèmes généraux de mécanique relatifs au mouvement.

Depuis que ces propriétés ont cessé d'être envisagées comme autant de principes, et qu'on n'y a vu que des simples résultats nécessaires des théories dynamiques fondamentales, la manière la plus directe et la plus convenable de les établir consiste à les présenter, ainsi que l'a fait Lagrange, comme des conséquences immédiates de l'équation générale de la dynamique, déduite de la combinaison du principe d'Alembert avec le principe des vitesses virtuelles, telle que nous l'avons exposée dans la leçon précédente. On doit mettre au nombre des avantages les plus sensibles de cette méthode, comme Lagrange l'a justement remarqué, cette facilité qu'elle offre pour la démonstration de ces grands théorèmes de dynamique dans leur plus grande généralité, démonstration à laquelle on ne pouvait autrement parvenir que par des considérations indirectes et fort compliquées. Néanmoins la nature de ce cours nous interdit d'indiquer spécialement ici chacune de ces démonstrations, et nous devons nous borner à considérer seulement les divers résultats.

Le premier théorème général de dynamique est celui que Newton a découvert relativement au mouvement du centre de gravité d'un système quelconque, et qui est habituellement connu sous le nom de principe de la conservation du mouvement du centre de gravité. Newton a reconnu le premier et démontré par des considérations extrêmement simples, au commencement de son grand traité des principes mathématiques de la philosophie naturelle, que l'action mutuelle des corps d'un système les uns sur les autres, soit par attraction, soit par impulsion, en un mot d'une manière quelconque, en ayant convenablement égard à l'égalité constante et nécessaire entre la réaction et l'action, ne peut nullement altérer l'état du centre de gravité, en sorte que, s'il n'y a pas d'autres forces accélératrices que ces actions réciproques, et si les forces extérieures du système se réduisent seulement à des forces instantanées, le centre de gravité restera toujours immobile ou se mouvera uniformément en ligne droite. D'Alembert a, depuis, généralisé cette propriété, et prouvé que, quelqu'altération que puisse introduire l'action mutuelle des corps du système dans le mouvement de chacun d'eux, le centre de gravité n'en est jamais affecté, et que son mouvement a constamment lieu comme si toutes les forces du système y étaient directement appliquées parallèlement à leur direction, quelles que soient les forces extérieures de ce système, et en supposant seulement qu'il ne présente aucun point fixe. C'est ce qu'il est aisé de démontrer, en développant, dans la formule générale de la dynamique, les équations relatives au mouvement de translation, qui, par la propriété analytique fondamentale du centre de gravité, se trouvent coïncider avec celles qu'aurait fourni le mouvement isolé de ce centre si la masse totale du système y eût été supposée condensée, et qu'on l'eût conçue animée de toutes les forces extérieures du système. Le principal avantage de ce beau théorème est de pouvoir ainsi, en ce qui concerne le mouvement du centre de gravité, faire rentrer le cas d'un corps ou d'un système quelconque dans celui d'une molécule unique. Comme le mouvement de translation d'un système doit être estimé par le mouvement de son centre de gravité, on parvient donc de cette manière à réduire la seconde partie de la dynamique à la première pour tout ce qui se rapporte aux mouvemens de translation, d'où résulte, ainsi qu'il est aisé de le sentir, une importante simplification dans la solution de tout problème dynamique particulier, puisqu'on peut alors négliger, dans cette partie de la recherche, les effets de l'action mutuelle de tous les corps proposés, dont la détermination constitue ordinairement la principale difficulté de chaque question.

On ne se fait pas communément une assez juste idée de l'entière généralité théorique des grands résultats de la mécanique rationnelle, qui sont nécessairement applicables, par eux-mêmes, à tous les ordres de phénomènes naturels, puisque nous avons reconnu que les lois fondamentales sur lesquelles repose tout l'édifice systématique de la science ne souffrent d'exception dans aucune classe quelconque de phénomènes, et constituent les faits les plus généraux de l'univers réel, quoiqu'on paraisse ordinairement, dans ce genre de conceptions, avoir seulement en vue le monde inorganique. Aussi est-il à propos, ce me semble, de faire remarquer formellement ici, au sujet de cette première propriété générale du mouvement, que le théorème a également lieu dans les corps vivans comme dans les corps inanimés. Quelle que puisse être, en effet, la nature des phénomènes qui caractérisent les corps vivans, ils ne sauraient consister tout au plus qu'en certaines actions particulières des molécules les unes sur les autres, qui ne s'observeraient point dans les corps bruts, sans qu'on doive douter d'ailleurs que la réaction y soit toujours, aussi bien qu'en tout autre cas, égale au contraire à l'action. Ainsi, par la nature même du théorème que nous venons de considérer, il doit nécessairement se vérifier aussi bien pour les corps vivans que pour les corps bruts, puisque le mouvement du centre de gravité est indépendant de ces actions intérieures mutuelles. Il en résulte, par exemple, qu'un corps vivant, quel que soit le jeu interne de ses organes, ne saurait de lui-même déplacer son centre de gravité, quoiqu'il puisse faire exécuter à quelques-uns de ses points certains mouvemens partiels autour de ce centre. Ne vérifie-t-on pas clairement, en effet, que la locomotion totale d'un corps vivant serait entièrement impossible sans le secours extérieur que lui fournit la résistance et le frottement du sol sur lequel il se meut, ou du fluide qui le contient? On peut faire des remarques exactement analogues, relativement à toutes les autres propriétés dynamiques générales qui nous restent à considérer, et pour chacune desquelles je me dispenserai, par conséquent, d'indiquer spécialement son applicabilité nécessaire aux corps vivans aussi bien qu'aux corps inertes.

Le second théorème général de dynamique consiste dans le célèbre et important principe des aires, dont la première idée est due à Képler, qui découvrit et démontra fort simplement cette propriété pour le cas du mouvement d'une molécule unique, ou en d'autres termes, d'un corps dont tous les points se meuvent identiquement. Képler établit, par les considérations les plus élémentaires, que si la force accélératrice totale dont une molécule est animée tend constamment vers un point fixe, le rayon vecteur du mobile décrit autour de ce point des aires égales en temps égaux, de telle sorte que l'aire décrite au bout d'un temps quelconque croît proportionnellement à ce temps. Il fit voir en outre que, réciproquement, si une semblable relation a été vérifiée dans le mouvement d'un corps par rapport à un certain point, c'est une preuve suffisante de l'action sur ce corps d'une force dirigée sans cesse vers ce point. Cette belle propriété se déduit d'ailleurs très-aisément des équations générales du mouvement curviligne d'une molécule, exposées dans la leçon précédente, en plaçant l'origine des coordonnées au centre des forces, et considérant l'expression de l'aire décrite sur l'un quelconque des plans coordonnés par la projection correspondante du rayon vecteur du mobile. Cette découverte de Képler est d'autant plus remarquable qu'elle a eu lieu avant que la dynamique eût été réellement créée par Galilée. Nous aurons occasion de remarquer, dans la partie astronomique de ce cours, que Képler ayant reconnu que les rayons vecteurs des planètes décrivent autour du soleil des aires proportionnelles aux temps, ce qui constitue la première de ses trois grandes lois astronomiques, en conclut ainsi que les planètes sont continuellement animées d'une tendance vers le soleil, dont il était réservé à Newton de découvrir la loi.

Mais, quelle que soit l'importance de ce premier théorème des aires, qui est ainsi une des bases essentielles de la mécanique céleste, on ne doit plus y voir aujourd'hui que le cas particulier le plus simple du grand théorème général des aires, découvert presque simultanément et sous des formes différentes par d'Arcy, par Daniel Bernouilli et par Euler, vers le milieu du siècle dernier. La découverte de Képler n'était relative qu'au mouvement d'un point: celle de d'Arcy se rapporte au mouvement de tout système quelconque de corps agissant les uns sur les autres d'une manière quelconque, ce qui constitue un cas, non-seulement plus compliqué, mais même essentiellement différent, à cause de ces actions mutuelles. Le théorème consiste alors en ce que, par suite de ces influences réciproques, l'aire que décrira séparément le rayon vecteur de chaque molécule du système à chaque instant autour d'un point quelconque pourra bien être altérée, mais que la somme algébrique des aires ainsi décrites par les projections sur un plan quelconque des rayons vecteurs de toutes les molécules, en donnant à chacune de ces aires le signe convenable d'après la règle ordinaire, ne souffrira aucun changement, en sorte que, s'il n'y à pas d'autres forces accélératrices dans le système que ces actions mutuelles, cette somme des aires décrites demeurera invariable en un temps donné, et croîtra par conséquent proportionnellement au temps. Quand le système ne présente aucun point fixe, cette propriété remarquable a lieu relativement à un point quelconque de l'espace; tandis qu'elle se vérifie seulement en prenant le point fixe pour centre des aires, si le système en offre un. Enfin, lorsque les corps du système sont animés de forces accélératrices extérieures, si ces forces tendent constamment vers un même point, le théorème des aires subsiste encore, mais uniquement à l'égard de ce point. Cette dernière partie de la proposition générale fournit évidemment comme cas particulier, le théorème de Képler, en supposant que le système se réduise à une seule molécule.

Dans l'application de ce théorème, on remplace ordinairement la somme des aires correspondantes à toutes les molécules du système par la somme équivalente des produits de la masse de chaque corps par l'aire qui s'y rapporte, ce qui dispense de partager le système en molécules de même masse.

Telle est la forme sous laquelle le théorème général des aires a été découvert par d'Arcy; c'est celle qu'on emploie habituellement. Comme l'aire décrite par le rayon vecteur de chaque corps dans un instant infiniment petit, est évidemment proportionnelle au produit de la vitesse de ce corps par sa distance au point fixe que l'on considère, on peut substituer à la somme des aires la somme des momens par rapport à ce point de toutes les forces du système projetées sur un même plan quelconque. Sous ce point de vue, le théorème des aires présente, suivant la remarque de Laplace, une propriété générale du mouvement analogue à une de celles de l'équilibre, puisqu'il consiste alors en ce que cette somme des momens, nulle dans le cas de l'équilibre, est constante dans le cas du mouvement. C'est ainsi que ce théorème a été trouvé par Euler et par Daniel Bernouilli.

Quelle que soit l'interprétation concrète qu'on juge convenable de lui donner, il est une simple conséquence analytique directe de la formule générale de la dynamique. Il suffit, pour l'en déduire, de développer cette formule en formant les équations qui se rapportent au mouvement de rotation, et dans lesquelles on apercevra immédiatement l'expression analytique du théorème des aires ou des momens, en ayant égard aux conditions ci-dessus indiquées. Sous le rapport analytique, on peut dire que l'utilité de ce théorème consiste essentiellement à fournir dans tous les cas trois intégrales premières des équations générales du mouvement qui sont par elles-mêmes du second ordre, ce qui tend à faciliter singulièrement la solution définitive de chaque problème dynamique particulier.

Le théorème des aires suffit pour déterminer, dans le mouvement général d'un système quelconque, tout ce qui se rapporte aux mouvemens de rotation, comme le théorème du centre de gravité détermine tout ce qui est relatif aux mouvemens de translation. Ainsi, par la seule combinaison de ces deux propriétés générales, on pourrait procéder à l'étude complète du mouvement d'un système quelconque de corps, soit quant à la translation, soit quant à la rotation.

Je ne dois pas négliger de signaler sommairement ici, au sujet du théorème des aires, la clarté inespérée et la simplicité admirable que M. Poinsot y a introduites en y appliquant sa conception fondamentale relative aux mouvemens de rotation, que nous avons considérée sous le point de vue statique dans la seizième leçon. En substituant aux aires, ou aux momens considérés jusqu'alors par les géomètres, les couples qu'engendrent les forces proposées, M. Poinsot a fait éprouver à cette théorie un perfectionnement philosophique très-important, qui ne me paraît pas encore avoir été suffisamment senti. Il a donné ainsi une valeur concrète, un sens dynamique propre et direct, à ce qui n'était auparavant qu'un simple énoncé géométrique d'une partie des équations fondamentales du mouvement. Une aussi heureuse transformation générale est destinée, sans doute, à accroître nécessairement les ressources de l'esprit humain pour l'élaboration des idées dynamiques, en tout ce qui concerne la théorie des mouvemens de rotation. On peut voir dans le beau mémoire de M. Poinsot sur les propriétés des momens et des aires, qui se trouve annexé à sa Statique, avec quelle facilité il est parvenu, d'après cette lumineuse conception, non-seulement à rendre élémentaire une théorie jusqu'alors fondée sur la plus haute analyse, mais à découvrir à cet égard de nouvelles propriétés générales très-remarquables, que nous ne devons point considérer ici, et qu'il eût été difficile d'obtenir par les méthodes antérieures.

Le théorème des aires a été, pour l'illustre Laplace, l'origine de la découverte d'une autre propriété dynamique très-remarquable, celle de ce qu'il a nommé le plan invariable, dont la considération est surtout si importante dans la mécanique céleste. La somme des aires projetées par tous les corps du système sur un plan quelconque étant constante en un temps donné, Laplace a cherché la direction du plan à l'égard duquel cette somme se trouvait être la plus grande possible. Or, d'après la manière dont ce plan de la plus grande aire ou du plus grand moment est déterminé, Laplace a démontré que sa direction est nécessairement indépendante de la réaction mutuelle des différentes parties du système, en sorte que, par sa nature, ce plan doit rester continuellement invariable, quelles que puissent jamais être les altérations introduites dans la situation de ces corps par leurs influences réciproques, pourvu qu'il ne survienne aucune nouvelle force extérieure. On conçoit aisément de quelle importance doit être, comme nous l'expliquerons spécialement dans la seconde partie de ce cours, la détermination d'un tel plan relativement à notre système solaire, puisque, en y rapportant tous nos mouvemens célestes, il nous procure l'inappréciable avantage d'avoir un terme de comparaison nécessairement fixe, à travers tous les dérangemens que l'action mutuelle de nos planètes pourra faire subir dans la suite des temps à leurs distances, à leurs révolutions et même aux plans de leurs orbites, ce qui est une première condition évidemment indispensable pour que nous puissions exactement connaître en quoi consistent ces altérations. Malheureusement nous aurons occasion de remarquer que l'incertitude où nous sommes jusqu'ici relativement à la valeur exacte de plusieurs données essentielles, ne nous permet pas encore de déterminer avec toute la précision suffisante la situation de ce plan. Mais cette difficulté d'application n'affecte en aucune manière le caractère de ce beau théorème, considéré sous le point de vue de la mécanique rationnelle, le seul que nous devions adopter ici.

La théorie du plan invariable a été notablement perfectionnée dans ces derniers temps par M. Poinsot, qui a dû naturellement y transporter sa conception propre relativement à la théorie générale des aires ou des momens. Il a d'abord considérablement simplifié la notion fondamentale de ce plan, de façon à la rendre aussi élémentaire qu'il est possible, en montrant qu'un tel plan n'est réellement autre chose que le plan du couple général résultant de tous les couples engendrés par les différentes forces du système, ce qui le définit immédiatement par une propriété dynamique très-sensible, au lieu de la seule propriété géométrique du maximum des aires. Quand une conception quelconque a été vraiment simplifiée dans sa nature, l'élaboration en étant par cela même facilitée, elle ne saurait manquer de prendre plus d'extension et de conduire à des résultats nouveaux: telle est, en effet, la marche ordinaire de l'esprit humain dans les sciences, que les théories les plus fécondes en découvertes n'ont été le plus souvent, à leur origine, qu'un moyen de rendre plus simple la solution de questions déjà traitées. Le travail que nous considérons ici en a offert une nouvelle preuve. Car la théorie de M. Poinsot a permis d'introduire un plus haut degré de précision dans la détermination du plan invariable propre à notre système solaire, en signalant et rectifiant une importante lacune que Laplace y avait laissée. Ce grand géomètre, en calculant la situation du plan du maximum des aires, avait cru ne devoir prendre en considération que les aires principales, produites par la circulation des planètes autour du soleil, sans tenir aucun compte de celles dues aux mouvemens des satellites autour des planètes, ou à la rotation de tous ces astres et du soleil lui-même. M. Poinsot vient de prouver la nécessité d'avoir égard à ces divers élémens, sans quoi le plan ainsi déterminé ne pourrait point être regardé comme rigoureusement invariable; et en cherchant la direction du véritable plan invariable aussi exactement que le comporte l'imperfection actuelle de la plupart des données, il a fait voir que ce plan diffère sensiblement de celui trouvé par Laplace; ce qu'il est facile de concevoir par la seule considération de l'aire immense que doit introduire dans le calcul la masse énorme du soleil, quoique sa rotation soit très-lente.

Pour compléter l'indication des propriétés dynamiques les plus importantes relatives au mouvement de rotation, il convient maintenant de signaler ici les beaux théorèmes découverts par Euler sur ce qu'il a nommé les momens d'inertie et les axes principaux, qu'on doit mettre au nombre des résultats généraux les plus importans de la mécanique rationnelle. Euler a donné le nom de moment d'inertie d'un corps à l'intégrale qui exprime la somme des produits de la masse de chaque molécule par le carré de sa distance à l'axe autour duquel le corps tourne, intégrale dont la considération doit évidemment être très-essentielle, puisqu'elle peut être naturellement regardée comme la mesure exacte de l'énergie de rotation du corps. Quand la masse proposée est homogène, ce moment d'inertie se détermine comme les autres intégrales analogues relatives à la forme d'un corps; lorsque, au contraire, cette masse est hétérogène, il faut de plus connaître la loi de la densité dans les diverses couches qui la composent, et, à cela près, l'intégration n'est alors seulement que plus compliquée. Cette notion étant établie, Euler, comparant, en général, les momens d'inertie d'un même corps quelconque par rapport à tous les axes de rotation imaginables passant en un point donné, détermina les axes relativement auxquels le moment d'inertie doit être un maximum ou un minimum, en considérant surtout ceux qui se coupent au centre de gravité, et qui se distinguent en ce qu'ils produisent nécessairement des momens moindres que si, avec la même direction, ils étaient placés partout ailleurs. Il découvrit ainsi qu'il existe constamment, en un point quelconque d'un corps, et particulièrement au centre de gravité, trois axes rectangulaires, tels que le moment d'inertie du corps est un maximum à l'égard de l'un d'entre eux, et un minimum à l'égard d'un autre. Ces axes sont d'ailleurs caractérisés par une autre propriété commune qui leur sert habituellement aujourd'hui de définition analytique, et qui constitue, en effet, pour l'analyse, le principal avantage que l'on trouve à rapporter le mouvement du corps à ces trois axes. Cette propriété consiste en ce que, lorsque ces trois axes sont pris pour ceux des coordonnées x, y, z, les intégrales ∫ xzdm, ∫ xydm, ∫ yzdm (m exprimant la masse du corps), sont nulles relativement au corps tout entier, ce qui simplifie notablement les équations générales du mouvement de rotation. Mais le principal théorème dynamique découvert par Euler à l'égard de ces axes, et d'après lequel il les a justement appelés axes principaux de rotation, consiste dans la stabilité des rotations qui leur correspondent; c'est-à-dire, que si le corps a commencé à tourner autour d'un de ces axes, cette rotation persistera indéfiniment de la même manière, ce qui n'aurait pas lieu pour tout autre axe quelconque, la rotation instantanée s'exécutant en général autour d'un axe continuellement variable. Ce système des axes principaux est généralement unique dans chaque corps: cependant, si tous les momens d'inertie étaient constamment égaux entre eux, la direction de ces axes deviendrait totalement indéterminée, pourvu qu'on les choisît toujours perpendiculaires entre eux, ce qui a lieu, par exemple, dans une sphère homogène, où l'on peut regarder comme des axes permanens de rotation tous les systèmes d'axes rectangulaires passant par le centre. Il y aurait encore un certain degré d'indétermination si le corps était un solide de révolution, l'axe géométrique étant alors un des axes dynamiques principaux; mais les deux autres pouvant évidemment être pris à volonté dans un plan perpendiculaire au premier. La détermination des axes principaux présente souvent de grandes difficultés en considérant des corps de figure et de constitution quelconques; mais elle s'effectue avec une extrême facilité dans les cas peu compliqués, que la mécanique céleste nous présente heureusement comme les plus communs. Par exemple dans un ellipsoïde homogène, ou même seulement composé de couches semblables et concentriques d'inégale densité, mais dont chacune est homogène, les trois diamètres conjugués rectangulaires sont eux-mêmes les axes dynamiques principaux: le moment d'inertie du corps est un maximum relativement du plus petit de ces diamètres, et un minimum à l'égard du plus grand. Quand les axes principaux d'un corps ou d'un système sont déterminés ainsi que les momens d'inertie correspondans, si le système ne tourne pas autour de l'un de ces axes, Euler a établi des formules générales très-simples, qui font connaître constamment les angles que doit faire avec eux la droite autour de laquelle s'exécute spontanément la rotation instantanée, et la valeur du moment d'inertie qui s'y rapporte, ce qui suffit pour l'analyse complète du mouvement de rotation.

Tels sont les théorèmes généraux de dynamique qui se rapportent directement à l'entière détermination du mouvement d'un corps ou d'un système quelconque, soit quant à la translation, soit quant à la rotation. Mais outre ces propriétés fondamentales, les géomètres en ont encore découvert plusieurs autres très-générales, qui, sans être aussi strictement indispensables, méritent singulièrement d'être signalés dans un examen philosophique de la mécanique rationnelle, à cause de leur extrême importance pour la simplification des recherches spéciales.

La première et la plus remarquable d'entre elles, celle qui présente les plus précieux avantages pour les applications, consiste dans le célèbre théorème de la conservation des forces vives. La découverte primitive en est due à Huyghens, qui fonda sur cette considération sa solution du problème du centre d'oscillation. La notion en fut ensuite généralisée par Jean Bernouilli, car Huyghens ne l'avait établi que relativement au mouvement des corps pesans. Mais Jean Bernouilli, accordant une importance exagérée et vicieuse à la fameuse distinction introduite par Leïbnitz, entre les forces mortes et les forces vives, tenta vainement d'ériger ce théorème en une loi primitive de la nature, tandis qu'il ne saurait être qu'une conséquence plus ou moins générale des théories dynamiques fondamentales. Les travaux les plus importans dont cette propriété du mouvement ait été le sujet sont certainement ceux de l'illustre Daniel Bernouilli, qui donna au théorème des forces vives sa plus grande extension, ainsi que la forme systématique sous laquelle nous le concevons aujourd'hui, et qui en fit surtout un si heureux usage pour l'étude du mouvement des fluides.

On sait que, depuis Leïbnitz, les géomètres appellent force vive d'un corps le produit de sa masse par le carré de sa vitesse, en faisant d'ailleurs complétement abstraction des considérations trop vagues qui avaient conduit Leïbnitz à former une telle expression. Le théorème général que nous envisageons ici consiste en ce que quelques altérations qui puissent survenir dans le mouvement de chacun des corps d'un système quelconque en vertu de leur action réciproque, la somme des forces vives de tous ces corps reste constamment la même en un temps donné. C'est ce qu'on démontre aujourd'hui avec la plus grande facilité d'après les équations fondamentales du mouvement d'un système quelconque, et surtout, comme l'a fait Lagrange, en partant de la formule générale de la dynamique exposée dans la leçon précédente. Sous le point de vue analytique, l'extrême utilité de ce beau théorème consiste essentiellement en ce qu'il fournit toujours d'avance une première équation finie entre les masses et les vitesses des différens corps du système. Cette relation, qui peut être envisagée comme une des intégrales définitives des équations différentielles du mouvement, suffit à l'entière solution du problème, toutes les fois qu'il est réductible à la détermination du mouvement d'un seul des corps que l'on considère, détermination qui s'effectue alors avec une grande facilité.

Mais pour se faire une juste idée de cette importante propriété, il est indispensable de remarquer qu'elle est assujétie à une limitation considérable, qui ne permet point, sous le rapport de la généralité, de la placer sur la même ligne que les théorèmes précédemment examinés. Cette limitation, découverte à la fin du dernier siècle par Carnot, consiste en ce que la somme des forces vives subit constamment une diminution dans le choc des corps qui ne sont pas parfaitement élastiques, et généralement toutes les fois que le système éprouve un changement brusque quelconque. Carnot a démontré qu'alors il y a une perte de forces vives égale à la somme des forces vives dues aux vitesses perdues par ce changement. Ainsi le théorème de la conservation des forces vives n'a lieu qu'autant que le mouvement du système varie seulement par degrés insensibles, ou qu'il ne survient de choc qu'entre des corps doués d'une élasticité parfaite. Cette importante considération complète la notion générale qu'on doit se former d'une propriété aussi remarquable.

De tous les grands théorèmes de mécanique rationnelle, celui que nous venons d'envisager est sans contredit le plus important pour les applications à la mécanique industrielle; c'est-à-dire en ce qui concerne la théorie du mouvement des machines, en tant qu'elle est susceptible d'être établie d'une manière exacte et précise. Le théorème des forces vives a commencé à fournir jusqu'ici, sous ce point de vue, des indications générales très-précieuses, qui ont été surtout présentées avec une netteté et une concision parfaites dans le travail de Carnot, auquel on n'a ajouté depuis rien de vraiment essentiel. Ce théorème présente directement, en effet, la considération dynamique d'une machine quelconque sous son véritable aspect, en montrant que, dans toute transmission et modification du mouvement effectuée par une machine, il y a simplement échange de force vive entre la masse du moteur et celle du corps à mouvoir. Cet échange serait complet, c'est-à-dire toute la force vive du moteur serait utilisée en évitant les changemens brusques, si les frottemens, la résistance des milieux, etc., n'en absorbaient nécessairement une portion plus ou moins considérable suivant que la machine est plus ou moins compliquée. Cette notion met dans tout son jour l'absurdité de ce qu'on a appelé le mouvement perpétuel, en indiquant même d'une manière générale à quel instant la machine abandonnée à sa seule impulsion primitive doit s'arrêter spontanément; mais cette absurdité est d'ailleurs de sa nature tellement sensible, qu'Huyghens avait, au contraire, fondé en partie sa démonstration du théorème des forces vives sur l'évidence manifeste d'une telle impossibilité. Quoi qu'il en soit, ce théorème donne une idée nette de la véritable perfection dynamique d'une machine, en la réduisant à utiliser la plus grande fraction possible de la force vive du moteur, ce qui ne peut avoir lieu généralement qu'en s'efforçant de simplifier le mécanisme autant que le comporte la nature du moteur. On conçoit en effet que si l'on mesure, comme il semble naturel de le faire, l'effet dynamique utile d'un moteur en un temps donné par le produit du poids qu'il peut élever et de la hauteur à laquelle il le transporte, cet effet équivaut immédiatement, d'après les lois du mouvement vertical des corps pesans, à une force vive, et non à une quantité de mouvement. Sous ce point de vue, la fameuse discussion soulevée par Leïbnitz au sujet des forces vives, et à laquelle prirent part tous les grands géomètres de cette époque, ne doit point être regardée comme aussi dépourvue de réalité que d'Alembert a paru le croire. On s'était sans doute mépris en pensant que la mécanique rationnelle était intéressée dans cette contestation, qui ne saurait en effet, selon la remarque de d'Alembert, exercer sur elle la moindre influence réelle. Le point de vue théorique et le point de vue pratique n'avaient pas été assez soigneusement séparés par les géomètres qui suivirent cette discussion. Mais, sous le seul point de vue de la mécanique industrielle, elle n'en avait pas moins une véritable importance. Elle pourrait même être utilement reprise aujourd'hui, car les objections qui ont été faites contre la mesure vulgaire de la valeur dynamique des moteurs méritent d'être prises en sérieuse considération, vu qu'il semble en effet peu rationnel de prendre pour unité un mouvement qui n'est point uniforme.

Mais, quelque décision qu'on finisse par adopter sur cette contestation non-terminée, l'application du théorème des forces vives n'en conservera pas moins toute son importance pour montrer sous son vrai jour la destination réelle des machines, en prouvant que nécessairement elles font perdre en vitesse ou en temps ce qu'elles font gagner en force ou réciproquement, de telle sorte que leur utilité consiste essentiellement à échanger les uns dans les autres les divers facteurs de l'effet à produire, sans pouvoir jamais l'augmenter par elles-mêmes dans sa totalité, et en lui faisant constamment subir au contraire une inévitable diminution, ordinairement très-notable. Il est douteux, du reste, que l'application de ce théorème puisse à aucune époque être poussée beaucoup plus loin que les indications générales de ce genre, car le véritable calcul à priori de l'effet précis d'une machine quelconque donnée présente, comme problème de dynamique, une trop grande complication, et exige la connaissance exacte d'un trop grand nombre de relations encore complétement inconnues, pour pouvoir être efficacement tenté dans la plupart des cas 29.

Note 29: (retour) La véritable théorie propre de la mécanique industrielle, qui n'est nullement, ainsi qu'on le croit souvent, une simple dérivation de la phoronomie ou mécanique rationnelle, et qui se rapporte à un ordre d'idées complétement distinct, n'a point encore été conçue. Il en est, à cet égard, comme de toute autre science d'application dont l'esprit humain ne possède jusqu'ici que quelques élémens insuffisans, selon la remarque indiquée dans notre seconde leçon. La mécanique industrielle, abstraction faite de la formation des moteurs, qui dépend de l'ensemble de nos connaissances sur la nature, se compose de deux classes de recherches très-différentes, les unes dynamiques, les autres géométriques. Les premières ont pour objet la détermination des appareils les plus convenables, afin d'utiliser autant que possible les forces motrices données; c'est-à-dire d'obtenir entre la force vive du corps à mouvoir et celle du moteur le rapport le plus rapproché de l'unité, en ayant égard aux modifications exigées dans la vitesse par la destination connue de la machine. Quant aux autres, on s'y propose de changer à volonté, à l'aide d'un mécanisme convenable, les lignes décrites par les points d'application des forces. En un mot, le mouvement est modifié, dans les unes, quant à son intensité; dans les autres, quant à sa direction. Les premières se rapportent à une doctrine entièrement neuve, au sujet de laquelle il n'a encore été produit aucune conception directe et vraiment rationnelle. Il en est à peu près de même pour les autres, qui dépendent de cette géométrie de situation entrevue par Leïbnitz, mais qui n'a fait jusqu'ici presqu'aucun progrès. Je ne connais, à cet égard, d'autre travail réel qu'une ingénieuse considération élémentaire présentée par Monge, et qui, quoique simplement empirique, mérite d'être notée ici, ne fut-ce que pour indiquer la véritable nature de cet ordre d'idées.

Monge est parti de cette observation, très-plausible en effet, que, dans la réalité, les mouvemens exécutés par les machines sont ou rectilignes ou circulaires, chacun pouvant être d'ailleurs ou continu ou alternatif. Il a, dès lors, envisagé toute machine comme destinée, sous le rapport géométrique, à transformer ces divers mouvemens élémentaires les uns dans les autres. Cela posé, en épuisant toutes les combinaisons diverses qu'une telle transformation peut offrir, il en a vu résulter nécessairement dix séries d'appareils dans lesquelles peuvent être rangées toutes les machines connues, ainsi que celles qu'on imaginera plus tard. Les tableaux résultant de cette classification peuvent donc être envisagés comme présentant au mécanicien les moyens empiriques de résoudre, dans chaque cas, le problème de la transformation du mouvement, en choisissant, parmi tous les appareils propres à remplir la condition proposée, celui qui présente d'ailleurs le plus d'avantages.

Le mouvement d'un système quelconque présente une autre propriété générale très-remarquable, quoique moins importante, soit sous le rapport analytique, soit surtout sous le rapport physique, que celle qui vient d'être examinée: c'est la propriété exprimée par le célèbre théorème général de dynamique auquel Maupertuis a donné la dénomination si vicieuse de principe de la moindre action.

La filiation des idées au sujet de cette découverte remonte à une époque très éloignée, car les géomètres de l'antiquité avaient déjà fait quelques remarques qu'on peut concevoir aujourd'hui comme équivalentes à la vérification de ce théorème dans le cas particulier le plus simple. Ptolémée, en effet, observe expressément, quant à la loi de la réflexion de la lumière, que par la nature de cette loi, la lumière en se réfléchissant se trouve suivre le plus court chemin possible pour parvenir d'un point à un autre. Lorsque Descartes et Snellius eurent découvert la loi réelle de la réfraction, Fermat rechercha si on ne pourrait point y arriver à priori d'après quelque considération analogue à la remarque de Ptolémée. Le minimum ne pouvant alors avoir lieu relativement à la longueur du chemin parcouru, puisque la route rectiligne eût été possible dans ce cas, Fermat présuma qu'il existerait à l'égard du temps. Il se proposa donc, en regardant la route de la lumière comme composée de deux droites différentes, séparées, sous un angle inconnu, à la surface du corps réfringent, quelle devait être cette direction relative pour que le temps employé par la lumière dans son trajet fût le moindre possible, et il eut le bonheur de trouver d'après cette seule considération une loi de la réfraction exactement conforme à celle directement déduite des observations par Snellius et par Descartes. Cette belle solution est d'ailleurs éminemment remarquable dans l'histoire générale des progrès de l'analyse mathématique, comme ayant offert à Fermat la première application importante de sa célèbre méthode de maximis et minimis, qui contient le véritable germe primitif du calcul différentiel.

La comparaison de la remarque de Ptolémée avec le travail de Fermat envisagé sous le point de vue dynamique, devint pour Maupertuis la base de la découverte du théorème que nous considérons. Quoiqu'égaré, bien plus que conduit, par de vagues considérations métaphysiques sur la prétendue économie des forces dans la nature, il finit par arriver à ce résultat important, que la trajectoire d'un corps soumis à l'action de forces quelconques devait nécessairement être telle, que l'intégrale du produit de la vitesse du mobile par l'élément de la courbe décrite fût toujours un minimum, relativement à sa valeur dans toute autre courbe. Mais Lagrange est avec justice généralement regardé par les géomètres actuels comme le véritable fondateur de ce théorème, non-seulement pour l'avoir généralisé autant que possible, mais surtout pour en avoir découvert la véritable démonstration en le rattachant aux théories dynamiques fondamentales, et en le dégageant des notions confuses et arbitraires que Maupertuis avait employées. Il ne subsiste maintenant d'autre trace du travail de Maupertuis que le nom qu'il a imposé à ce théorème, et dont l'impropriété est universellement reconnue, quoique, pour plus de brièveté, on ait continué à s'en servir. Le théorème, tel qu'il a été établi par Lagrange relativement à un système quelconque de corps, consiste en ce que, quelles que soient leurs attractions réciproques, ou leurs tendances vers des centres fixes, les trajectoires décrites par ces corps sont toujours telles que la somme des produits de la masse de chacun d'eux, et de l'intégrale relative à sa vitesse multipliée par l'élément de la courbe correspondante, est nécessairement un maximum ou un minimum, cette somme étant étendue à la totalité du système. Il importe d'ailleurs de remarquer que la démonstration de ce théorème général étant fondée sur le théorème des forces vives, il est inévitablement assujéti aux mêmes limitations que celui-ci.

Outre la belle propriété du mouvement contenue dans cette proposition remarquable, on conçoit que, sous le rapport analytique, elle peut être envisagée comme un nouveau moyen de former les équations différentielles qui doivent conduire à la détermination de chaque mouvement spécial. Il suffit, en effet, conformément à la méthode générale des maxima et minima fournie par le calcul des variations, d'exprimer que la somme précédemment indiquée est un maximum ou un minimum (soit absolu, soit relatif suivant les cas), en rendant sa variation nulle. Lagrange a expressément montré comment, d'après cette seule considération, on peut, en général, retrouver la formule fondamentale de la dynamique. Mais, quelqu'utile que puisse être en certains cas une telle manière de procéder, il ne faut point s'exagérer son importance; car on ne doit pas perdre de vue qu'elle ne fournit par elle-même aucune intégrale finie des équations du mouvement; elle se borne seulement à établir ces équations d'une autre manière, qui peut quelquefois être plus convenable. Sous ce rapport, le théorème de la moindre action est certainement moins précieux que celui des forces vives. Quoi qu'il en soit, il convient de remarquer ici avec Lagrange que l'ensemble de ces deux théorèmes peut être regardé, en thèse générale, comme suffisant pour l'entière détermination du mouvement d'un corps.

Le théorème de la moindre action a aussi été présenté par Lagrange sous une autre forme générale, spécialement destinée à rendre plus sensible son interprétation concrète. En effet, l'élément de la trajectoire pouvant évidemment être remplacé dans l'énoncé de ce théorème par le produit équivalent de la vitesse et de l'élément du temps, le théorème consiste alors en ce que chaque corps du système décrit constamment une courbe telle que la somme des forces vives consommées en un temps donné pour parvenir d'une position à une autre est nécessairement un maximum ou un minimum.

L'histoire philosophique des travaux relatifs au théorème de la moindre action est particulièrement propre à mettre dans tout son jour l'insuffisance complète et le vice radical des considérations métaphysiques employées comme moyens de découvertes scientifiques. On ne peut nier sans doute que le principe théologique et métaphysique des causes finales n'ait eu ici quelque utilité, en contribuant dans l'origine à éveiller l'attention des géomètres sur cette importante propriété dynamique, et même en leur fournissant à cet égard quelques indications vagues. L'esprit de ce cours, tel que nous l'avons déjà expressément signalé, et tel qu'il se développera de plus en plus par la suite, nous prescrit, en effet, de regarder, en thèse générale, les hypothèses théologiques et métaphysiques comme ayant été utiles et même nécessaires aux progrès réels de l'intelligence humaine, en soutenant son activité aussi long-temps qu'a duré l'absence de conceptions positives d'une généralité suffisante. Mais, alors même, les nombreux inconvéniens fondamentaux inhérens à une telle manière de procéder vérifient clairement qu'elle ne peut être envisagée que comme provisoire. L'exemple actuel en offre une preuve sensible. Car, sans l'introduction des considérations exactes et réelles fondées sur les lois générales de la mécanique, on disputerait encore, ainsi que le remarque Lagrange avec tant de raison, sur ce qu'il faut entendre par la moindre action de la nature, la prétendue économie des forces consistant tantôt dans l'espace, tantôt dans le temps, et le plus souvent n'étant en effet ni l'une ni l'autre. Il est d'ailleurs évident que cette propriété n'a point ce caractère absolu qu'on avait d'abord voulu lui imposer, puisqu'elle éprouve dans un grand nombre de cas des restrictions déterminées. Mais ce qui rend surtout manifeste le vice radical des considérations primitives, c'est que, d'après l'analyse exacte de la question traitée par Lagrange, on voit que l'intégrale ci-dessus définie n'est nullement assujettie à être nécessairement un minimum, et qu'elle peut, au contraire, être tout aussi bien un maximum, comme il arrive effectivement en certains cas, le véritable théorème général consistant seulement en ce que la variation de cette intégrale est nulle: que devient alors l'économie des forces, de quelque manière qu'on prétende caractériser l'action? L'insuffisance et même l'erreur de l'argumentation de Maupertuis sont dès lors pleinement évidentes. Dans cette occasion, comme dans toutes celles où il a pu jusqu'ici y avoir concours, la comparaison a expressément constaté la supériorité immense et nécessaire de la philosophie positive sur la philosophie théologique et métaphysique, non-seulement quant à la justesse et à la précision des résultats effectifs, mais même quant à l'étendue des conceptions et à l'élévation réelle du point de vue intellectuel.

Pour compléter cette énumération raisonnée des propriétés générales du mouvement, je crois devoir enfin signaler ici une dernière proposition fort remarquable, qu'on ne place point ordinairement dans la même catégorie que les précédentes, et qui mérite cependant, à un aussi haut degré, de fixer notre attention, soit par sa beauté intrinsèque, soit surtout par l'importance et l'étendue de ses applications aux problèmes dynamiques les plus difficiles. Il s'agit du célèbre théorème général découvert par Daniel Bernouilli, sur la coexistence des petites oscillations. Voici en quoi il consiste.

Nous avons vu, en commençant cette leçon, qu'il existe, pour tout système de forces, une situation d'équilibre stable, celle dans laquelle la somme des forces vives est un des maximum, suivant la loi de Maupertuis généralisée par Lagrange. Quand le système est infiniment peu écarté de cette situation par une cause quelconque, il tend à y revenir, en faisant autour d'elle une suite d'oscillations infiniment petites, graduellement diminuées et bientôt détruites par la résistance du milieu et les frottemens, et qu'on peut assimiler à celles d'un pendule d'une longueur convenable soumis à l'influence d'une gravité déterminée. Mais plusieurs causes différentes peuvent faire simultanément osciller le système de diverses manières autour de la position de stabilité. Cela posé, le théorème de Daniel Bernouilli consiste en ce que toutes les espèces d'oscillations infiniment petites produites par ces divers dérangemens simultanés, quelle que soit leur nature, ne font simplement que se superposer, en coexistant sans se nuire, chacune d'elles ayant lieu comme si elle était seule. On conçoit aisément l'extrême importance de cette belle proposition pour faciliter l'étude d'un tel genre de mouvemens, puisqu'il suffit d'après cela d'analyser isolément chaque sorte d'oscillations produite par chaque perturbation séparée. Cette décomposition est surtout de la plus grande utilité dans les recherches relatives au mouvement des fluides, où un tel ordre de considérations se présente presque constamment. Mais la propriété découverte par Daniel Bernouilli n'est pas moins intéressante sous le rapport physique que sous le point de vue logique. En effet, envisagée comme une loi de la nature, elle explique directement, de la manière la plus satisfaisante, une foule de faits divers, que l'observation avait depuis long-temps constatés, et qu'on cherchait vainement à concevoir jusqu'alors. Telle est, par exemple, la coexistence des ondes produites à la surface d'un liquide, lorsqu'elle se trouve agitée à la fois en plusieurs points différens par diverses causes quelconques. Telle est, surtout, dans l'acoustique, la simultanéité des sons distincts produits par divers ébranlemens de l'air. Cette coexistence qui a lieu sans confusion entre les différentes ondes sonores, avait évidemment été souvent observée, puisqu'elle est une des bases essentielles du mécanisme de notre audition; mais elle paraissait inexplicable; on n'y voit plus maintenant qu'une conséquence immédiate du beau théorème de Daniel Bernouilli.

En considérant ce théorème sous le point de vue le plus philosophique, on ne le trouve peut-être pas moins remarquable par la manière dont il résulte des équations générales du mouvement, que par son importance analytique ou physique. En effet cette coexistence des divers ordres d'oscillations infiniment petites d'un système quelconque, autour de sa situation de stabilité, a lieu parce que l'équation différentielle qui exprime la loi de l'un quelconque de ces mouvemens se trouve être linéaire, et conséquemment de la classe de celles dont l'intégrale générale est nécessairement la simple somme d'un certain nombre d'intégrales particulières. Ainsi, sous le rapport analytique, la superposition des divers mouvemens oscillatoires a pour cause l'espèce de superposition qui s'établit alors entre les différentes intégrales correspondantes. Cette importante corrélation est certainement, comme l'observe avec raison Laplace, un des plus beaux exemples de cette harmonie nécessaire entre l'abstrait et le concret, dont la philosophie mathématique nous a offert tant de vérifications admirables.

Telles sont les principales considérations philosophiques relatives aux différens théorèmes généraux découverts jusqu'ici dans la mécanique rationnelle, et qui tous dérivent, comme de simples déductions analytiques plus ou moins éloignées, des lois fondamentales du mouvement sur lesquelles repose le système entier de la science phoronomique. L'examen sommaire de ces théorèmes, dont l'ensemble constitue un des monumens les plus imposans de l'activité de l'intelligence humaine convenablement dirigée, était indispensable pour achever de déterminer le caractère philosophique de la science de l'équilibre et du mouvement, déjà suffisamment tracé dans les leçons précédentes, à l'égard de la méthode. Nous pouvons donc maintenant nous former nettement une idée générale de la nature propre de cette seconde branche de la mathématique concrète, ce qui devait être le seul objet essentiel de notre travail à ce sujet.

Je me suis efforcé, dans ce volume, de faire sentir, autant qu'il a été en mon pouvoir, en quoi consiste réellement la philosophie mathématique, soit quant à ses conceptions abstraites, soit quant à ses divers ordres de considérations concrètes, soit enfin quant à la corrélation intime et permanente qui existe nécessairement entre les unes et les autres. Je regrette vivement que les limites dans lesquelles j'ai dû me renfermer, vu la destination de cet ouvrage, ne m'aient point permis de faire passer, autant que je l'aurais désiré, dans l'esprit du lecteur mon sentiment profond de la nature de cette immense et admirable science, qui, base nécessaire de la philosophie positive tout entière, constitue d'ailleurs évidemment, en elle-même, le témoignage le plus irrécusable de la portée du génie humain. Mais j'espère que les penseurs qui n'ont pas le malheur d'être entièrement étrangers à cette science fondamentale pourront, d'après les réflexions que j'ai indiquées, parvenir à en concevoir nettement le véritable caractère philosophique.

Pour présenter un aperçu vraiment complet de la philosophie mathématique dans son état actuel, j'ai indiqué d'avance (voyez la 3e Leçon) qu'il me reste encore à considérer une troisième branche de la mathématique concrète, celle qui consiste dans l'application de l'analyse à l'étude des phénomènes thermologiques, dernière grande conquête de l'esprit humain, due à l'illustre ami dont je déplore la perte récente, l'immortel Fourier, qui vient de laisser dans le monde savant une si profonde lacune, long-temps destinée à être de jour en jour plus fortement sentie. Mais, afin de ne m'écarter que le moins possible des habitudes encore universellement adoptées, j'ai annoncé que je croyais devoir ajourner cet important examen jusqu'à ce que l'ordre naturel des considérations exposées dans cet ouvrage nous ait conduits à la partie de la physique qui traite de la thermologie. Quoiqu'une telle transposition ne soit point véritablement rationnelle, il n'en saurait résulter cependant qu'un inconvénient secondaire, l'appréciation philosophique que je présenterai ayant d'ailleurs exactement le même caractère que si elle eût été placée à son véritable rang logique.

Considérant donc maintenant la philosophie mathématique comme complétement caractérisée, nous devons procéder à l'examen de son application plus ou moins parfaite à l'étude des divers ordres de phénomènes naturels suivant leur degré de simplicité, application qui, par elle-même, est d'ailleurs évidemment propre à jeter un nouveau jour sur les vrais principes de cette philosophie, et sans laquelle, en effet, ils ne sauraient être convenablement appréciés. Tel sera l'objet du volume suivant, en nous conformant à l'ordre encyclopédique rigoureusement déterminé dans la seconde leçon, d'après la nature spéciale de chacune des classes principales de phénomènes que nous avons établies, et, par conséquent, en commençant par les phénomènes astronomiques à l'étude approfondie desquels la science mathématique est éminemment destinée.

FIN DU TOME PREMIER.

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