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Cours de philosophie positive. (2/6)

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VINGT-CINQUIÈME LEÇON.




Considérations générales sur la statique céleste.

Avant l'admirable découverte de Newton, les phénomènes célestes étaient liés entre eux, à un certain degré, par les trois grandes lois de Képler. Mais cette liaison, quoique infiniment précieuse, était nécessairement fort imparfaite; car elle laissait entièrement indépendans les uns des autres les phénomènes qui se rattachaient à deux lois différentes. La réduction de ces trois divers faits généraux à un fait unique et encore plus général, a établi, au contraire, parmi tous les phénomènes intérieurs de notre monde, une harmonie rigoureusement universelle, qui permet toujours d'apercevoir exactement, d'une manière plus ou moins indirecte, la relation intime et nécessaire de deux quelconques d'entre eux, constamment rattachés désormais à une théorie commune, qui les lie en outre à nos principaux phénomènes terrestres. C'est ainsi que la science astronomique a enfin acquis la plus haute perfection spéculative dont nos études soient jamais susceptibles, l'entière systématisation mathématique de toutes ses diverses parties; en sorte qu'il n'y aurait rien à gagner, sous ce rapport, à découvrir un principe encore plus étendu, quand même un tel espoir ne devrait pas être regardé comme éminemment chimérique.

On ne connaîtrait donc pas convenablement la conception fondamentale de la mécanique céleste en se bornant à l'envisager en elle-même, ainsi que nous avons dû le faire dans la leçon précédente. Afin d'en sentir dignement toute la valeur philosophique, il est indispensable de caractériser maintenant, sous ses divers aspects principaux, l'application de la théorie de la gravitation à l'explication mathématique des phénomènes célestes et au perfectionnement de leur étude. Tel est l'objet spécial de cette leçon et de la suivante.

Pour faciliter cet aperçu général, je crois utile de transporter ici la distinction élémentaire que j'ai établie dans l'examen de la géométrie céleste, entre les phénomènes propres à chaque astre envisagé comme immobile, et ceux qui concernent ses divers mouvemens. Cette division est sans doute, en mécanique céleste, plus astronomique que mathématique; car les deux genres de questions ne présentent point d'ailleurs des différences bien tranchées quant à leur degré de difficulté, ni quant à la nature des considérations employées, toujours nécessairement relatives à une même pensée fondamentale. Mais elle me paraît propre à éclaircir cette importante exposition, en la rendant plus méthodique que ne le permet l'ordre essentiellement arbitraire qu'on y suit ordinairement. La leçon actuelle sera consacrée aux phénomènes statiques, et la suivante aux phénomènes dynamiques.

La détermination des masses de nos différens astres est aussi fondamentale, en mécanique céleste, que celle de leurs distances en géométrie céleste, puisque, sans elle, on ne pourrait évidemment se former aucune idée exacte de leur gravitation mutuelle. Une telle connaissance présente en même temps la manifestation la plus saillante des ressources générales que la théorie de la gravitation nous a procurées pour obtenir à l'égard des astres des notions entièrement nouvelles, qui devaient jusque alors nous paraître, quoique à tort, radicalement inaccessibles. Essayons de caractériser successivement les trois procédés principaux qu'on applique à cette importante recherche, et qui diffèrent beaucoup, soit en généralité, soit en simplicité.

Le moyen le plus général, le seul même qui soit réellement applicable à tous les cas, mais aussi celui dont l'emploi est le plus difficile, consiste à analyser, aussi exactement que possible, la part spéciale de chaque astre dans les perturbations qu'éprouve le mouvement principal d'un autre, en translation ou en rotation. Cette influence ne dépend évidemment que de deux élémens, la distance et la masse de l'astre considéré. Le premier est bien connu; et le second, qui est constant, étant introduit dans le calcul comme un coefficient indéterminé, sa valeur pourra être appréciée par la comparaison du résultat avec les observations directes. Malheureusement, dans l'état présent de la mathématique abstraite, l'analyse des perturbations ne saurait être, par sa nature, que simplement approximative, comme l'indiquera la leçon suivante. Il est surtout extrêmement difficile d'isoler, dans chaque perturbation totale, ce qui tient spécialement à l'action de tel astre proposé; quelque soin qu'on apporte dans le choix des divers dérangemens, on ne parvient guère à établir cette séparation d'une manière aussi précise que l'exigerait une semblable détermination. Aussi les astronomes et les géomètres sont-ils loin de compter autant jusqu'ici sur les masses qui n'ont pu être obtenues que par cette méthode, que sur celles qui ont permis l'application des autres procédés.

Tel était à cet égard l'état de la mécanique céleste, lorsque, dans ces dernières années, M. Poinsot a imaginé pour ces évaluations fondamentales un moyen parfaitement rationnel, le plus direct et le plus sûr de tous, quoique, par sa nature, son emploi exige malheureusement beaucoup de temps 12. Au lieu de se borner à démêler péniblement dans les diverses perturbations naturelles l'influence détournée et peu distincte de chaque masse envisagée séparément, M. Poinsot propose de déterminer désormais toutes les masses à la fois, par l'examen d'un nouveau genre de perturbations, en quelque sorte artificielles, spécialement adaptées à un tel usage, et les seules qui observent nécessairement entre elles une relation invariable, aussi simple que rigoureuse. Il s'agit des changemens que l'action mutuelle des astres de notre monde fait subir aux aires décrites en un temps donné par leurs rayons vecteurs autour du centre de gravité général. On sait, d'après la mécanique rationnelle, que parmi ces diverses variations il s'opère nécessairement une telle compensation, que la somme algébrique de toutes ces aires, projetées en un instant quelconque sur un même plan d'ailleurs arbitraire, et multipliées chacune par la masse correspondante, demeure rigoureusement invariable. Ainsi, en comparant entre eux les divers états du ciel à des époques suffisamment distinctes, l'égalité mutuelle de toutes ces sommes peut fournir, dans la suite des temps, autant d'équations qu'on voudra, propres à faire connaître, si l'on a eu soin d'en former le nombre convenable, les valeurs des différentes masses, seules inconnues qu'elles contiennent, puisque les aires sont d'ailleurs exactement mesurables, d'après les positions et les vitesses effectives des astres considérés.

Note 12: (retour) Voyez le beau Mémoire de ce grand géomètre sur la vraie théorie du plan invariable, maintenant annexé à la dernière édition de sa Statique.

Indépendamment de sa rationnalité parfaite et de son entière généralité, cette méthode présente un caractère philosophique bien remarquable, en ce que, comme l'indique avec raison M. Poinsot, elle rend l'évaluation des masses relatives de tous les astres de notre monde entièrement indépendante de la loi de gravitation, suivant l'esprit de la théorie des aires, ce que jusque alors aucun géomètre n'eût jamais jugé possible. Il en résulte d'ailleurs que les résultats ne sont plus affectés des approximations relatives à cette loi dans les calculs ordinaires de la mécanique céleste.

On doit vivement regretter que la nature de cette méthode ne permette point son application immédiate, ne fût-ce que pour obtenir, par la confrontation de ses résultats avec ceux déjà connus, une des confirmations les plus décisives de la théorie de la gravitation. Mais la nécessité évidente d'attendre que toutes les aires individuelles aient assez varié pour rendre significative la comparaison de leurs sommes, exige un intervalle considérable entre les époques successives, dont le nombre dépend d'ailleurs de celui des masses cherchées. Le temps total doit même être d'autant plus grand que, d'après la rectification importante apportée par M. Poinsot à la théorie générale des aires, il est mathématiquement indispensable de prendre en considération celles qui résultent des rotations, comme je l'indiquerai plus tard au sujet du plan invariable. Cette obligation, en introduisant dans les équations les divers momens d'inertie, tendrait à doubler le nombre des époques nécessaires pour obtenir des résultats parfaitement rigoureux; mais en procurant, à la vérité, une nouvelle détermination essentielle, qui devait sembler d'abord encore plus inaccessible que celle des masses. Les observations suffisamment précises sont encore si peu anciennes que le passé nous offrirait à cet égard un bien petit nombre d'équations, en sorte qu'un tel procédé ne deviendrait entièrement applicable, sans aucun auxiliaire, que dans un avenir assez lointain. Je n'ai pas cru néanmoins pouvoir me dispenser d'indiquer cette méthode générale et directe, dont le caractère spéculatif est si parfait. On doit reconnaître d'ailleurs qu'en la réservant pour les masses qui ne sont pas encore bien connues d'une autre manière, et en négligeant d'abord les termes peu influens, le temps nécessaire à son application effective se trouverait notablement abrégé 13.

Note 13: (retour) Cette méthode de M. Poinsot me fait naître l'idée d'un nouveau moyen rationnel, analogue au précédent, pour déterminer simultanément les masses de tous les astres de notre monde, d'après un autre théorème fondamental de mécanique rationnelle, la conservation nécessaire du mouvement du centre de gravité de l'ensemble de ces astres, quelles que puissent être les perturbations provenant de leur action mutuelle. Il en résulte la constance, à une époque quelconque, de la somme des produits de toutes les diverses masses par les vitesses correspondantes, décomposées suivant une même droite arbitraire; ce qui peut fournir autant d'équations qu'on voudra comparer d'époques. Dans l'estimation de ces produits pour les différentes molécules de chaque astre, il est clair, quant à la translation, qu'on pourrait traiter l'astre comme condensé à son centre de gravité, d'après la propriété fondamentale de ce point; et, quant à la rotation, cette même propriété indique qu'il n'y aurait pas lieu à la considérer, puisque l'ensemble des produits qui en résulteraient serait nécessairement nul pour l'astre entier. Ce procédé me semblerait donc plus simple que celui fondé sur le théorème des aires: il exigerait moins d'équations, et par suite beaucoup moins de temps pour son application complète, en ne procurant point, il est vrai, l'évaluation des momens d'inertie, indispensable à la détermination du plan invariable. La durée totale de l'opération serait d'autant moindre, que les vitesses varient avec plus de rapidité que les aires, ce qui permettrait de rapprocher davantage les époques comparatives d'observation.

Après le procédé général fondé sur l'analyse des perturbations, soit sous sa forme ordinaire, soit avec la modification si heureusement imaginée par M. Poinsot, le moyen le moins restreint pour évaluer les masses des astres de notre monde, est celui que Newton créa, dès l'origine, à l'égard des planètes pourvues d'un satellite. La méthode, aussi simple qu'immédiate, consiste à comparer le mouvement du satellite autour de la planète, au mouvement de celle-ci autour du soleil. On sait que, dans chacun d'eux, la gravitation exercée par l'astre central, et qui doit être en raison de sa masse, est proportionnelle au rapport entre le cube du demi-grand axe de l'orbite et le quarré du temps périodique, en ramenant l'action, suivant la loi ordinaire, à l'unité de distance. Ainsi, il suffit de comparer entre elles les deux valeurs bien connues que prend cette fraction dans les deux cas, pour obtenir aussitôt le rapport des masses du soleil et de la planète. À la vérité, on néglige alors nécessairement la masse de la planète vis-à-vis de celle du soleil, ou au moins du satellite envers la planète. Mais l'erreur qui en résulte est trop peu importante, dans presque tous les cas de notre monde, pour que le degré de précision auquel nous pouvons réellement prétendre à l'égard des masses planétaires en soit sensiblement affecté. La masse de Jupiter, déterminée ainsi par Newton, n'a reçu qu'un très léger changement des divers moyens qu'on a pu y appliquer depuis; et encore la différence tient-elle, presqu'en totalité, à ce que les données du procédé newtonien sont aujourd'hui mieux connues.

Enfin, la méthode la plus simple et la plus directe de toutes, mais aussi la plus particulière, puisqu'elle est nécessairement bornée à la planète qu'habité l'observateur, consiste à évaluer les masses relatives par la comparaison des pesanteurs qu'elles produisent. Si la masse d'un astre bien connu était exactement déterminée, elle permettrait évidemment d'apprécier l'énergie de la pesanteur à sa surface, ou à une distance quelconque donnée: donc, réciproquement, la mesure directe de cette intensité suffira pour estimer la masse. Ainsi, les expériences du pendule ayant mesuré, avec la dernière précision, la pesanteur terrestre; en la diminuant, inversement au quarré de la distance, on saura quelle serait sa valeur à la distance dit soleil; et l'on n'aura dès lors qu'à la comparer avec la quantité, préalablement bien connue, qui exprime l'action du soleil sur la terre, pour trouver immédiatement le rapport de la masse de la terre à celle du soleil. Envers toute autre planète, ce serait, au contraire, l'évaluation de sa masse qui permettrait seule l'estimation de la gravité correspondante. Ce procédé n'est, en réalité, qu'une modification du précédent, où la chute du satellite se trouvait être au fond indirectement évaluée, au lieu de résulter d'une expérience immédiate, qui permet sans doute un peu plus de précision, surtout à cause de la masse du satellite, relativement à celles qui nous servent à mesurer la pesanteur.

L'ensemble de tous ces divers moyens étant applicable à la terre, sa masse comparée à la masse solaire, unité naturelle à cet égard, doit être regardée comme la mieux connue de notre monde. La masse de la lune, et surtout celle de Jupiter, sont aujourd'hui estimées presque aussi parfaitement; viennent ensuite les masses de Saturne et d'Uranus; on compte moins sur les trois autres déjà évaluées, celles de Mercure, de Vénus et de Mars, quoique l'incertitude ne puisse pas y être très grande. On ignore presque entièrement les masses des quatre planètes télescopiques, et surtout celles des comètes, ce qui tient à leur extrême petitesse, qui ne leur permet aucune influence appréciable sur les perturbations. Ce caractère est particulièrement remarquable à l'égard des comètes, qui, dans leur course allongée, passent fréquemment dans le voisinage de forts petits astres, comme les satellites de Jupiter et de Saturne, sans y produire aucun dérangement perceptible. Quant aux satellites, en exceptant la lune, on ne connaît encore que les valeurs approchées des masses de ceux de Jupiter.

Aucune exacte comparaison générale des résultats obtenus n'a pu jusqu'ici faire apercevoir entre eux une harmonie quelconque. La seule circonstance essentielle qu'ils présentent est l'immense supériorité de la masse du soleil à l'égard de tout le reste de notre monde, dont la masse, même réunie, en fait à peine la millième partie. On devait évidemment s'y attendre, du moins à un certain degré, quoique rien n'indiquât directement une aussi grande disproportion, si ce n'est la petitesse des perturbations planétaires, qui en dépend essentiellement. Du reste, à partir du soleil, on voit alterner, sans aucun ordre sensible, des masses tantôt décroissantes, tantôt croissantes. On avait pensé d'abord, conformément à une supposition à priori de Képler, que les masses étaient régulièrement liées aux volumes (d'ailleurs irréguliers eux-mêmes, comme nous l'avons remarqué); en sorte que les densités moyennes fussent continuellement moindres en s'éloignant du soleil, en raison inverse des racines quarrées des distances. Mais, indépendamment de cette loi numérique, qui ne s'observe jamais exactement, le simple fait du décroissement des densités présente quelques exceptions, entre autres pour Uranus. On ne saurait d'ailleurs lui assigner aucun motif rationnel.

Tels sont, en aperçu, les divers moyens que possède aujourd'hui l'astronomie, quant à l'évaluation relative des différentes masses qui composent notre système solaire. Mais, pour compléter cette connaissance fondamentale, il reste à indiquer comment on a pu rapporter enfin toutes ces masses à nos unités de poids habituelles, par l'importante détermination directe du véritable poids total de la terre, qui constitue une des applications les plus simples et les plus intéressantes de la théorie générale de la gravitation.

Bouguer est le premier qui ait aperçu distinctement la possibilité d'une telle évaluation, en reconnaissant, dans sa célèbre expédition scientifique au Pérou, l'influence du voisinage des grosses montagnes pour altérer légèrement la direction de la pesanteur. On conçoit en effet, d'après la loi fondamentale de la gravitation, qu'une masse considérable, envisagée comme condensée en son centre de gravité, peut, quand le fil-à-plomb s'en trouve très rapproché, déterminer en lui, à raison de cette proximité, une gravitation secondaire, extrêmement petite sans doute vis-à-vis de celle de l'ensemble de la terre, mais néanmoins perceptible, qui le fasse dévier vers elle d'une quantité presque insensible, susceptible cependant d'être mesurée par des observations très délicates sur la comparaison de sa direction effective avec la verticale naturelle du lieu, préalablement bien connue. Cette déviation étant exactement appréciée, l'équation d'équilibre facile à établir entre l'action de la montagne et celle de la terre doit permettre d'en déduire le rapport des deux masses, et par suite la valeur de la masse terrestre, d'après le poids de la montagne, puisque toutes les autres quantités que renferme cette équation sont déjà évidemment données. Les observations astronomiques ne pouvaient pas être assez précises à l'époque de Bouguer pour que ce procédé fut dès lors réellement applicable, tant est minime la déviation sur laquelle il repose. Mais un demi-siècle après, Maskelyne parvint à constater, en Écosse, une altération de cinq à six secondes dans la direction naturelle de la pesanteur, et Hutton en déduisit le poids de la terre égal à 4-1/8 fois celui d'un pareil volume d'eau distillée à son maximum de densité. Toutefois, un tel procédé présente évidemment, outre la petitesse de la déviation, une source notable d'incertitude, dans l'impossibilité de connaître avec assez d'exactitude le poids de la montagne, qui ne peut être que grossièrement obtenu d'après son volume.

Quand Coulomb eut créé sa célèbre balance de torsion, destinée à la mesure précise des plus petites forces quelconques, Cavendish conçut la possibilité de déterminer beaucoup plus exactement la masse de la terre en la comparant, à l'aide de cet appareil, à des masses artificielles, susceptibles d'être parfaitement connues. C'est ainsi que, dans l'immortelle expérience qu'il imagina, il parvint à rendre sensible l'action de deux sphères de plomb sur un petit pendule horizontal, dont les oscillations, comparées à celles que produit la pesanteur, permettaient de déterminer mathématiquement, avec une précision remarquable, le rapport de la masse de ces sphères à celle de la terre. Par ce procédé bien plus parfait, Cavendish trouva la densité moyenne de notre globe égale à 5-1/2 fois celle de l'eau; d'où l'on peut déduire, si on le juge à propos, le vrai poids de la terre en kilogrammes ou en tonneaux.

Indépendamment de l'importance d'une telle détermination, pour faire connaître les masses et les densités effectives de tous les astres de notre monde, ce qui est peu utile en astronomie, où l'on n'a besoin que de leurs rapports, ce résultat présente la propriété essentielle de nous fournir, sur la constitution intérieure de notre globe, une première donnée générale, qui, fort incomplète sans doute, n'en est pas moins infiniment précieuse, en vertu de son incontestable positivité, qui peut déjà suffire à exclure plusieurs conjectures hasardées. En effet, la densité moyenne de la terre étant, d'après cette mesure, très supérieure à la densité des couches qui composent sa surface, formée d'eau en si grande partie, il est indispensable que les couches deviennent, en général, de plus en plus denses, en se rapprochant du centre, sauf les irrégularités accidentelles, ce qui est d'ailleurs parfaitement en harmonie avec l'indication mathématique de la mécanique céleste à l'égard de toutes les planètes, comme nous le mentionnerons ci-après. Une conjecture quelconque sur la structure interne de la terre est donc désormais assujettie à cette indispensable condition, en sorte que celles qui n'y satisferaient pas, en supposant vide par exemple l'intérieur du globe, seraient, par cela même, radicalement fausses. Mais, ce renseignement, le seul réel qui existe encore à cet égard, est malheureusement très imparfait; car il ne donne évidemment aucun indice, même sur l'état physique des couches internes, qu'on pourrait supposer liquides et peut-être gazeuses, aussi bien que solides, sans que cette condition fût effectivement violée.

La seconde grande détermination statique que nous devions caractériser dans la mécanique céleste, concerne l'importante et difficile étude mathématique de la figure des astres, envisagée comme déduite de la théorie générale de leur équilibre, indépendamment d'aucune mesure géométrique.

Si la terre, ou toute autre planète, avait toujours été dans l'état de consistance que nous observons, la mécanique céleste n'aurait évidemment aucune base pour déterminer à priori sa figure, puisque l'équilibre d'un système solide est certainement compatible avec une forme extérieure quelconque. C'est pourquoi les géomètres, afin d'étudier la figure des astres d'après les règles générales de la statique, ont dû les supposer antérieurement fluides, du moins à la surface, ce qui ne permet plus l'équilibre qu'avec certaines formes spéciales. L'accord remarquable des principaux résultats de cette hypothèse indispensable avec l'ensemble des observations directes, a démontré ensuite la justesse d'une conjecture indiquée d'ailleurs, surtout envers la terre, par beaucoup d'autres phénomènes.

En considérant ainsi la question d'une manière générale, il est d'abord évident que, si les astres n'avaient aucun mouvement de rotation, la figure parfaitement sphérique conviendrait à l'équilibre de leurs molécules, puisque la pesanteur, dès lors constamment dirigée au centre, serait toujours perpendiculaire aux couches de niveau, pourvu qu'on les supposât homogènes, et que la densité variât seulement de l'une à l'autre, suivant une loi d'ailleurs arbitraire. Mais on conçoit aisément que la force centrifuge engendrée par la rotation doit nécessairement modifier cette forme primitive, en altérant plus ou moins soit la direction, soit l'intensité de la pesanteur proprement dite.

Sous le premier point de vue, qui est celui d'Huyghens, il est facile de constater que si la terre, par exemple, était exactement sphérique, la force centrifuge écarterait sensiblement le fil-à-plomb de la direction perpendiculaire à la surface. Cette déviation, nécessairement nulle au pôle, où la force centrifuge n'existe pas, et à l'équateur, où elle agit suivant la même droite que la pesanteur, atteindrait son maximum vers quarante-cinq degrés de latitude, où elle devrait être d'environ six minutes, et, par conséquent, très appréciable. Ainsi, la droite décrite par les corps dans leur chute naturelle, c'est-à-dire celle suivant laquelle se dirige, en chaque lieu, la résultante de la gravité et de la force centrifuge, ne saurait être, conformément à toutes les observations et à la théorie générale de l'équilibre des fluides, exactement perpendiculaire à la surface, qu'autant que la planète cesse d'être une sphère parfaite, pour devenir un sphéroïde aplati aux pôles et renflé à l'équateur.

Il en est de même sous le point de vue de l'intensité, que Newton adopta. Deux colonnes fluides menées du centre de l'astre à son pôle et à son équateur, doivent nécessairement, pour l'égalité de leurs poids, avoir des longueurs inégales, puisque la gravité naturelle n'est nullement affaiblie dans la première par la force centrifuge, qui, au contraire, diminue diversement la pesanteur propre à chacun des points de la seconde. La comparaison des colonnes correspondantes à deux latitudes quelconques donnerait lieu évidemment à une remarque analogue, la différence y étant seulement moins prononcée. Les divers rayons de l'astre doivent donc augmenter graduellement depuis le pôle jusqu'à l'équateur, et rester seulement égaux entre eux à la même latitude, comme dans une surface de révolution.

Cette première vue du sujet explique donc, d'une manière aussi élémentaire que satisfaisante, et la forme presque sphérique de tous nos astres, et le léger aplatissement que chacun d'eux nous présente à ses pôles. Mais quand on veut aller au-delà de cet aperçu général, et déterminer mathématiquement la véritable figure, ainsi que la valeur exacte de l'aplatissement, la question devient tout-à-coup transcendante, et présente des obstacles qui ne sauraient jamais être entièrement surmontés.

La cause essentielle de ces hautes difficultés tient à ce que, par sa nature, le fond d'une telle recherche présente une sorte de cercle vicieux, qui ne comporte point d'issue parfaitement rationnelle. En effet, la théorie mathématique de l'équilibre des fluides exige évidemment que, pour former l'équation de la surface, on connaisse d'abord la vraie loi de la pesanteur dont ses diverses molécules sont animées. Or, d'un autre côté, cette loi ne saurait être exactement déterminée, d'après la théorie fondamentale de la gravitation, qu'autant que la forme de l'astre, et même le mode de variation de la densité dans son intérieur, seraient préalablement donnés. Il est donc impossible, même en supposant l'astre homogène, d'obtenir une solution directe et complète qui indique avec une pleine certitude les formes propres à l'équilibre, en donnant une exclusion nécessaire à toutes les autres. On ne peut réellement qu'essayer si telle figure proposée remplit ou non les conditions fondamentales. Aussi les géomètres attachent-ils avec raison un très grand prix au beau théorème découvert par Maclaurin, qui est devenu le fondement nécessaire de toutes leurs recherches à ce sujet 14, en démontrant que l'ellipsoïde de révolution satisfait exactement aux conditions de l'équilibre. Ce point de départ, que Maclaurin avait établi seulement dans l'hypothèse de l'homogénéité, fut ensuite étendu par Clairaut au cas d'un astre composé de couches dont la densité varie arbitrairement, et qui ne serait même que partiellement fluide 15. La question a dès lors été réduite à la détermination du rapport des deux axes. Or, cette évaluation ne présente aucune difficulté en regardant l'astre comme homogène. Mais les mesures directes ayant toujours montré, à l'égard des diverses planètes, un aplatissement moindre que celui obtenu ainsi, cette hypothèse, directement reconnue fausse d'ailleurs envers la terre, comme nous l'avons vu plus haut, et évidemment invraisemblable en général, a dû être définitivement exclue. Dès ce moment, l'aplatissement a cessé de comporter une détermination directe et rigoureuse, puisque nous ignorons nécessairement la vraie loi suivant laquelle la densité croît de la surface au centre dans un astre quelconque, et qu'il serait strictement indispensable d'y avoir égard. Néanmoins, les travaux des géomètres, et surtout de Laplace, sur l'influence de diverses lois de la densité, ont fait connaître des limites très précieuses, souvent fort resserrées, entre lesquelles l'aplatissement doit inévitablement tomber. La plus générale et la plus usuelle consiste en ce que cet aplatissement est compris, de toute nécessité, pour un astre quelconque, entre les cinq quarts et la moitié du rapport de la force centrifuge à l'équateur à la gravité correspondante, puisque la première valeur aurait lieu si l'astre était homogène, et la seconde si la densité croissait avec une telle rapidité qu'elle devînt infinie au centre. C'est ainsi que l'aplatissement terrestre ne peut excéder un deux cent trentième, ni être moindre qu'un cinq cent soixante-dix-huitième; ce qui est parfaitement conforme aux mesures directes, que cette règle mathématique a plus d'une fois servi à contrôler.

Note 14: (retour) Le travail de Newton ne fit réellement que poser la question, puisqu'il y avait supposé, sans aucune démonstration, la figure elliptique des méridiens, ce qui réduisait dès lors la recherche à la mesure de l'aplatissement, extrêmement facile dans l'hypothèse d'homogénéité qu'il avait adoptée.
Note 15: (retour) M. Jacobi a fait tout récemment, pour le seul cas de l'homogénéité, la découverte remarquable de la possibilité de l'équilibre avec un ellipsoïde à trois axes inégaux, dont le moindre est toujours nécessairement celui du pôle.

Au reste, dans presque toutes les planètes, l'aplatissement exerce, comme nous l'indiquerons prochainement, une influence nécessaire et appréciable sur certains phénomènes de perturbation, ce qui fournit de nouveaux moyens indirects de le déterminer, en éludant la difficulté insurmontable que présente à cet égard la théorie de l'équilibre des astres.

L'ensemble de ces évaluations coïncide avec les mesures immédiates plus parfaitement qu'on n'avait lieu de l'espérer d'après les causes fondamentales d'incertitude inhérentes à une telle recherche. Le seul cas qui semble présenter une exception réelle, est celui de Mars, qui, suivant sa grandeur, sa masse, et la durée de sa rotation, ne devrait être guère plus aplati que la terre, et qui cependant le serait presque autant que Jupiter, si les observations d'Herschell sont parfaitement exactes.

Quoique l'équilibre soit compatible avec la figure ellipsoïdique, d'après le théorème de Maclaurin, la nature de cette question ne permet nullement d'assurer que cette forme doive être regardée comme exclusive. Aussi notre monde nous offre-t-il, dans les anneaux de Saturne, un exemple très prononcé d'une figure différente. Laplace a démontré qu'ils pouvaient être en équilibre, même à l'état fluide, en les supposant engendrés par la révolution d'une ellipse autour d'une droite extérieure, menée, parallèlement à son petit axe et dans son plan, par le centre de Saturne. L'équilibre subsisterait même encore avec l'inégalité de ces méridiens elliptiques, qui semble indiquée par les observations.

La plus utile conséquence finale de la théorie mathématique des formes planétaires, consiste dans l'importante relation qu'elle a naturellement établie entre la valeur des différens degrés terrestres et l'intensité de la pesanteur correspondante mesurée par la longueur du pendule à secondes aux diverses latitudes. Il en est résulté l'heureuse faculté de multiplier ainsi presqu'à volonté, de la manière la plus commode, nos renseignemens indirects sur la figure de notre globe, tandis que l'estimation géométrique des degrés est une opération longue et pénible, qui ne saurait être fréquemment répétée avec tout le soin qu'elle exige. Mais, en général, plus une mesure est indirecte, tout étant d'ailleurs égal, moins elle est certaine. Aussi, quelque précise que soit réellement cette ressource, il faut reconnaître, ce me semble, que les procédés géodésiques convenablement appliqués n'en continuent pas moins à mériter la préférence, à cause de la loi intérieure des densités terrestres, élément inconnu qui affecte nécessairement les indications fournies par les expériences du pendule pour la figure de la terre.

Un appendice naturel et intéressant de la théorie hydrostatique de la figure des planètes, consiste dans les conditions de la stabilité de l'équilibre des fluides qui recouvrent, en totalité ou en partie, la surface des astres. Laplace a établi à ce sujet un théorème général, aussi simple qu'important, qu'un premier aperçu semble d'ailleurs devoir indiquer d'avance. Il fait dépendre cette stabilité, quels que puissent être et le mode de répartition du fluide et la loi interne des densités, de la seule supériorité de la densité moyenne de l'astre sur celle du fluide; caractère si évidemment constaté, pour la terre, par la belle expérience de Cavendish. On pourrait aisément en faire le texte d'une cause finale, puisque la perpétuité des espèces terrestres exige clairement que l'équilibre des mers tende à se rétablir spontanément, après avoir été momentanément troublé d'une manière quelconque. Mais l'examen attentif du sujet fait aussitôt disparaître la finalité, en rendant sensible la nécessité d'un tel arrangement dans la formation primitive des planètes, la densité des couches ayant dû naturellement croître de la surface au centre, comme l'indique si nettement toute la théorie de la figure des astres.

La grande question des marées constitue la dernière recherche essentielle que je crois devoir classer parmi les études principales de la statique céleste. Sous le point de vue astronomique, le caractère statique de cette théorie se montre évidemment, puisque l'astre y est essentiellement envisagé comme immobile. Mais ce caractère n'est pas, au fond, moins réel sous le point de vue mathématique, en considérant le véritable esprit de la solution, où l'on ne s'occupe surtout que de la figure vers laquelle tend l'Océan par l'équilibre périodique des diverses forces qui le sollicitent, sans penser aux mouvemens que produisent les variations de cet équilibre. Enfin, cette étude fait naturellement suite à celle de la figure des astres.

Ce beau problème, indépendamment de son importance propre, présente un intérêt philosophique tout particulier, en établissant une transition naturelle et évidente de la physique du ciel à celle de la terre, par l'explication céleste d'un grand phénomène terrestre.

Descartes est réellement le premier philosophe qui ait tenté de fonder une théorie positive des marées, exclusivement rattachées jusque alors à des conceptions métaphysiques, dont Képler lui-même n'avait pas cru pouvoir se passer. Quoique l'explication proposée par Descartes soit, sans doute, entièrement inadmissible, c'est néanmoins à lui que nous devons l'observation fondamentale de l'harmonie constante entre la marche générale de ce phénomène et le mouvement de la lune, qui a certainement contribué à mettre Newton sur la voie de la vraie théorie. Il suffisait, en quelque sorte, d'être averti que la cause réelle de ce grand phénomène devait nécessairement se trouver dans le ciel, pour que la théorie de la gravitation dévoilât aussitôt son explication générale, tant elle en résulte naturellement.

L'inégale gravitation des diverses parties de l'Océan vers un quelconque des astres de notre monde, et particulièrement vers le soleil et la lune: tel est le principe, éminemment simple et lucide, d'après lequel Newton a ébauché la véritable théorie des marées, approfondie ensuite par Daniel Bernouilli, dont le beau travail n'a réellement subi depuis aucun perfectionnement essentiel. Essayons de caractériser nettement l'esprit général de cette grande recherche. La théorie convient en elle-même aussi bien à l'atmosphère qu'à l'Océan. Mais je considérerai seulement ce dernier cas, puisque les marées atmosphériques, d'ailleurs infiniment moindres, à cause de la masse si minime de notre enveloppe gazeuse, échappent essentiellement, par leur nature, à toute observation réelle, malgré les efforts tentés quelquefois pour en manifester l'influence, surtout dans les variations diurnes du baromètre, dont l'examen attentif pendant plusieurs années a cependant indiqué à M. Flaugergues une relation certaine avec le mois lunaire.

En joignant le centre de la terre à un astre quelconque, les deux points correspondans de la surface terrestre doivent graviter évidemment l'un un peu plus, l'autre un peu moins que le centre lui-même, inversement aux quarrés de leurs distances respectives. Le premier tend donc à s'éloigner du centre, ce qui doit produire une certaine élévation de la surface fluide, et le centre tend, au contraire, à s'éloigner du second point, où doit survenir ainsi une élévation analogue et à très peu près égale. Cet effet diminue nécessairement à mesure qu'on s'écarte davantage de ces deux points dans un sens quelconque, et devient nul à quatre-vingt-dix degrés de là, où, les parties de l'Océan gravitant comme le centre, le niveau doit baisser pour fournir à l'exhaussement du reste, indépendamment d'une dépression directe presque insensible. En même temps, ces divers changemens de niveau font varier la pesanteur terrestre des eaux correspondantes; et cette seconde cause, la plus difficile et la plus incertaine à calculer, agit évidemment dans le même sens que la première, quoique avec moins d'énergie, pour l'établissement définitif du niveau général.

On voit ainsi comment l'action d'un astre quelconque sur l'Océan, qui ne pourrait nullement altérer sa surface naturelle, si elle avait partout la même intensité, tend nécessairement, à raison de son inégale énergie sur les divers lieux, à la modifier un peu, en lui faisant prendre la forme d'un sphéroïde allongé vers l'astre. Sous ce rapport fondamental, la question est parfaitement semblable à celle considérée ci-dessus de la figure mathématique de la terre, la force centrifuge étant ici remplacée par la différence entre la gravitation du centre de notre globe et celle de sa surface vers l'astre proposé. La recherche est seulement encore plus compliquée, puisqu'il faut évidemment y tenir compte aussi de l'ellipticité naturelle du globe. Mais l'esprit et la marche générale de la solution mathématique doivent être essentiellement identiques dans les deux cas. C'est ainsi que Newton a pu d'abord calculer aisément la partie principale du phénomène, en supposant, sans la démontrer, une figure ellipsoïdique, comme il l'avait déjà fait pour l'autre question, et se bornant à comparer immédiatement, dans l'hypothèse de l'homogénéité, les deux axes de l'ellipse. De même encore, le théorème de Maclaurin est aussi devenu plus tard, pour Daniel Bernouilli, la base naturelle d'une exacte théorie des marées.

Jusque là, toutefois, il n'y a point de marées proprement dites, c'est-à-dire ces élévations et dépressions alternatives et périodiques, qui en font le caractère le plus saillant. Le phénomène semble consister en un simple renflement fixe de la partie de l'Océan située sous l'astre considéré. Mais, quoiqu'un tel effet paraisse différer beaucoup d'une véritable marée, il n'en constitue pas moins la principale base mathématique de cette grande question. Il est maintenant très facile de concevoir la périodicité fondamentale du phénomène en introduisant la considération du mouvement diurne, jusque alors écartée. Si ce mouvement n'avait pas lieu, ou si seulement il s'exécutait autour de la droite qui joint l'astre au centre de la terre, toutes les parties de l'Océan conservant sans cesse la même situation envers cet astre, la surface de la mer resterait invariable, après avoir pris, dès l'origine, la forme convenable à son équilibre. Mais, en réalité, la rotation quotidienne de notre globe transporte successivement les eaux qui le recouvrent dans toutes les positions où l'astre tend à les élever et dans celles où il doit les abaisser. C'est ainsi que la marche journalière du phénomène se compose nécessairement de quatre alternatives périodiques à peu près également réparties: les deux plus grandes élévations correspondent aux deux passages de l'astre par le méridien du lieu, et les moindres niveaux à son lever et à son coucher; la période totale étant d'ailleurs exactement fixée par la combinaison de la rotation terrestre avec le mouvement propre de l'astre en un jour.

Un dernier élément indispensable nous reste à indiquer, pour avoir établi toutes les bases de la notion abstraite des marées; c'est la règle générale d'après laquelle on peut apprécier à cet égard l'énergie des différens astres, dont aucun ne semble mathématiquement devoir être négligé. Cette énergie est évidemment mesurée par la différence entre la gravitation du centre de notre globe et celle des points extrêmes de sa surface vers l'astre proposé. En exécutant, d'après la loi fondamentale de la gravitation, cette différentiation très facile, on trouve aussitôt que la puissance de chaque astre pour produire nos marées est en raison directe de sa masse et en raison inverse du cube de sa distance à la terre. Il résulte de cette règle essentielle la précieuse faculté de déterminer rationnellement, parmi tous les astres de notre monde, quels sont ceux qui peuvent concourir sensiblement au phénomène, et de mesurer à chacun d'eux sa part d'influence. On reconnaît ainsi que le soleil, en vertu de sa masse immense, et la lune, par son extrême proximité, doivent seuls produire des marées appréciables; tous les autres corps célestes sont ou trop éloignés ou de trop peu de poids pour qu'il en résulte aucun effet perceptible. Enfin, l'action de la lune est de deux fois et demi à trois fois plus grande que celle du soleil. Ainsi, lors même que les deux astres agissent en sens opposé, c'est sur la lune que doit se régler constamment la marche générale du phénomène; ce qui explique parfaitement l'observation fondamentale de Descartes, quant à la continuelle coïncidence de la période des marées avec le jour lunaire.

Toutes les considérations mathématiques précédemment indiquées ne s'appliquent directement qu'à la marée simple et abstraite, produite par un astre unique. Mais la nécessité d'envisager simultanément les actions de deux astres différens rendrait la solution analytiquement inextricable, si Daniel Bernouilli ne l'eût radicalement simplifiée, en y appliquant son célèbre principe dynamique sur la coexistence des petites oscillations, que j'ai exposé à la fin du premier volume de ce cours. Suivant ce principe, les marées lunaire et solaire se superposent sans altération, ce qui réduit aussitôt le problème à l'analyse partielle de chacune d'elles. Toutes les grandes variations régulières du phénomène s'expliquent dès lors avec une admirable facilité. Considérons seulement les plus importantes et les plus simples, celles qui correspondent aux diverses phases mensuelles de la lune. Aux deux syzygies, l'action solaire et l'action lunaire coïncident exactement; donc la marée effective doit alors atteindre son maximum, égal à la somme des deux marées élémentaires. Dans les deux quadratures, au contraire, le moindre niveau produit par l'un des astres accompagne nécessairement le plus haut niveau correspondant à l'autre; en sorte que l'on doit alors observer le minimum d'effet, égal à la différence des marées simples. Aux diverses époques intermédiaires, la marée solaire modifie toujours inégalement la marée lunaire, et ces variations se reproduisent par périodes d'un mois lunaire synodique, dont elles doivent suivre les irrégularités séculaires. La comparaison des deux cas extrêmes, si les observations permettaient de l'établir avec assez d'exactitude, conduirait même évidemment à estimer à posteriori le vrai rapport entre l'action de la lune et celle du soleil. Or, ce rapport dépendant des distances et des masses relatives des deux astres, suivant la règle exposée ci-dessus, on en pourrait déduire la raison de leurs masses, celle de leurs distances étant déjà bien connue. Cette considération, quoique ne devant pas être exclusivement employée, peut utilement concourir avec d'autres moyens pour déterminer la masse de la lune.

Suivant la mesure fondamentale de chaque marée simple, cette classe de phénomènes doit éprouver un nouvel ordre de modifications régulières et périodiques, en vertu des changemens naturels qu'éprouve, pendant le cours de l'année ou du mois, la distance de la terre au soleil ou à la lune. Cette influence est ici proportionnellement plus sensible que dans beaucoup d'autres phénomènes, puisqu'elle y dépend du cube de la distance. Elle doit affecter particulièrement l'action lunaire, non-seulement comme étant la plus forte, mais encore en vertu de l'excentricité bien supérieure de l'orbite lunaire. Enfin, les deux variations peuvent se combiner de diverses manières, tantôt convergentes, tantôt divergentes; et elles doivent aussi modifier très diversement les inégalités principales, dues aux phases de la lune.

Dans tout ce qui précède, le mouvement diurne de l'astre proposé est censé avoir exactement lieu suivant le plan de l'équateur. Mais, à une époque quelconque, son action doit évidemment être décomposée en deux; l'une, selon l'axe de rotation de la terre, et qui est nulle pour produire une marée; l'autre, parallèlement à l'équateur, et qui, seule, détermine le phénomène. Voilà donc, à cet égard, un dernier genre de modifications générales, indépendantes de la distance, et uniquement dues à la direction: en sorte que, toutes choses d'ailleurs égales, chaque marée élémentaire doit varier proportionnellement au cosinus de la déclinaison de l'astre correspondant. Telle est la raison simple de la différence notable, si généralement remarquée, quant à l'ensemble des marées, entre le mois lunaire équinoxial et le mois lunaire solsticial, surtout en considérant, pour notre hémisphère, le solstice d'été, où l'affaiblissement déterminé par la distance du soleil concourt avec celui qui résulte de sa direction.

Quant aux variations du phénomène dans nos divers climats, la théorie ne peut apprécier jusqu'ici d'autre influence régulière que celle de la latitude. Aux deux pôles, il ne saurait exister évidemment que de faibles marées indirectes dues à la nécessité d'y prendre ou d'y envoyer les eaux qui s'élèvent ou s'abaissent ailleurs; car, là, il n'y a plus, à proprement parler, de mouvement diurne. À l'équateur, au contraire, le phénomène doit se manifester au plus haut degré possible, non-seulement à cause de la diminution de la pesanteur, mais surtout en vertu de la diversité plus complète des positions successives occupées par les eaux pendant la rotation journalière. En tout autre lieu, l'intensité de la marée doit varier proportionnellement à l'énergie de cette rotation, et, par conséquent, en raison du cosinus de la latitude.

Tel est, en aperçu, l'esprit général de la grande théorie mathématique des marées, envisagée sous ses divers aspects réguliers. Toutes ses différentes parties, abstraction faite des évaluations numériques, sont dans une admirable harmonie avec l'ensemble des observations directes. On a même lieu d'être surpris, quant aux nombres, de ne pas les trouver plus différens de la réalité, convenablement explorée, lorsqu'on pense aux hypothèses que les géomètres ont dû faire pour rendre les calculs exécutables, et aux données nécessairement inaccessibles qu'exigerait une estimation parfaitement rationnelle. Il ne suffirait point, en effet, de connaître exactement l'étendue et la forme du lit de l'Océan. La question dépend encore évidemment d'une notion bien plus inabordable, la vraie loi de la densité dans l'intérieur de la terre, comme à l'égard de la figure des astres. Il y a même ici une circonstance nouvelle, suivant la judicieuse remarque de Daniel Bernouilli; car il faudrait connaître aussi quel est l'état, fluide ou solide, des couches internes, pour savoir si elles participent ou non au phénomène, et si, par conséquent, elles modifient l'effet produit à la surface. L'ensemble de ces considérations peut faire apprécier la profondeur du conseil général donné par Daniel Bernouilli, qui possédait à un degré si éminent le véritable esprit mathématique, consistant surtout dans la relation du concret à l'abstrait, comme je me suis efforcé de le faire sentir en traitant de la philosophie mathématique. Il recommande prudemment aux géomètres, à cet égard, ainsi que Clairaut, «de ne point trop presser les conséquences des formules, de peur d'en tirer des conclusions contraires à la vérité.» Laplace, en détaillant davantage la théorie de son illustre prédécesseur, n'a peut-être pas toujours fait assez d'attention à cette sage maxime philosophique.

Quant à la comparaison générale et exacte de la théorie mathématique des marées avec leur observation effective, on doit reconnaître, ce me semble, qu'elle n'a point encore été convenablement faite, puisque toutes les mesures ont été prises dans des ports, ou du moins très près des côtes. Or, dans de telles localités, on ne peut apercevoir essentiellement que des marées indirectes, qui ne doivent représenter que fort imparfaitement les marées régulières dont elles émanent, leur intensité étant principalement déterminée le plus souvent par l'étendue et la configuration du sol, tant au fond qu'à la surface, et pouvant même être influencée par sa structure. C'est à de telles circonstances, qu'aucune théorie mathématique ne saurait évidemment considérer, qu'il faut sans doute attribuer ces énormes différences que présente en quelques lieux la hauteur des marées, aux mêmes époques, et dans des positions presque identiques; comme, par exemple, les marées comparatives de Granville et Dieppe, ou de Bristol et Liverpool. Afin d'apprécier empiriquement l'exactitude numérique de la théorie des marées, il serait indispensable d'entreprendre, pendant un nombre d'années assez grand pour que les diverses variations régulièrement prévues fussent plusieurs fois reproduites, une suite continue d'observations précises, dans une île très petite, située à l'équateur, et à trente degrés au moins de tout continent. Tel est le seul contrôle réellement susceptible de contribuer essentiellement à vérifier et surtout à perfectionner la théorie générale des marées mathématiques.

Quelque incertitude inévitable que présentent plusieurs données de cette grande théorie, surtout dans son application à nos ports, elle n'en reçoit pas moins, de notre expérience journalière, la sanction la plus décisive et la plus utile, puisqu'elle atteint le but définitif de toute science réelle, une exacte prévision des événemens, propre à régler notre conduite. Les principales circonstances locales devant avoir, à l'exception des vents, une influence essentiellement constante, il a été possible de modifier heureusement, d'après l'observation, pour chaque port, les deux coefficiens fondamentaux, relatifs à la hauteur moyenne des marées, et à l'heure de leur entier établissement; ce qui a permis de rendre toutes les déterminations mathématiques suffisamment conformes à la réalité. C'est ainsi que, depuis un siècle, une classe importante de phénomènes naturels, généralement regardés jusque alors comme inexplicables, a été ramenée avec précision à des lois invariables, qui en excluent irrévocablement toute intervention providentielle et toute conception arbitraire.

Tels sont les caractères philosophiques des trois hautes questions dont se compose la mécanique céleste, envisagée sous le point de vue statique. Il nous reste maintenant à entreprendre, dans la leçon suivante, le même examen général à l'égard des phénomènes vraiment dynamiques que présente notre monde, et dont l'étude a été précédemment ébauchée par la géométrie céleste, résumée dans les trois grandes lois de Képler, qui éprouvent en réalité des modifications indispensables à connaître pour l'exacte prévision de l'état du ciel à une époque quelconque.




VINGT-SIXIÈME LEÇON.




Considérations générales sur la dynamique céleste.

La gravitation mutuelle des différens astres de notre monde doit nécessairement altérer la parfaite régularité de leur mouvement principal, déterminé, conformément aux lois de Képler, par la seule pesanteur de chacun d'eux vers le foyer de son orbite. Parmi ces divers dérangemens, les plus considérables furent directement observés dès l'origine de l'astronomie mathématique dans l'école d'Alexandrie; d'autres ont été aperçus plus tard de la même manière, à mesure que l'exploration du ciel est devenue plus précise; enfin, les moindres n'ont pu être découverts que par l'emploi des moyens d'observation les plus perfectionnés de l'astronomie moderne. Tous sont maintenant expliqués, avec une admirable exactitude, par la théorie générale de la gravitation, qui a même devancé quelquefois l'inspection immédiate à l'égard des moins prononcés. Cet important résultat de l'ensemble des grands travaux mathématiques exécutés, dans le siècle dernier, par les successeurs de Newton, constitue une des vérifications les plus décisives de la théorie newtonienne, surtout en ce qu'il met hors de doute l'universelle réciprocité de la gravitation entre tous les corps qui composent notre système solaire.

Le caractère fondamental de cet ouvrage et ses limites nécessaires interdisent évidemment de considérer ici séparément chacun de ces nombreux problèmes, dont les difficultés sont d'ailleurs essentiellement analytiques, leurs équations différentielles étant presque toujours très faciles à former, d'après les règles de la dynamique rationnelle. L'esprit général des recherches de mécanique céleste se trouve être suffisamment caractérisé par les questions examinées dans la leçon précédente, les seules, en réalité, qui exigent des conceptions propres, indépendantes du calcul. Nous devons donc ici nous borner essentiellement à examiner le plan rationnel et la nature générale des principales études relatives aux modifications des mouvemens célestes.

À l'égard de ces mouvemens, comme envers tous les autres, il importe beaucoup de distinguer d'abord, avec Lagrange, deux genres principaux d'altérations, qui diffèrent profondément, aussi bien quant à leur théorie mathématique que par les circonstances qui les constituent: les changemens brusques, provenant de chocs ou d'explosions internes, dont l'action peut, sans aucun inconvénient, être conçue instantanée; les changemens graduels, ou les perturbations proprement dites, dues à l'influence continue des gravitations secondaires, dont l'effet dépend du temps écoulé. Quoique le premier ordre de dérangemens soit, sans doute, dans notre monde, presque entièrement idéal, il n'en est pas moins essentiel à considérer, ne fût-ce que comme un préliminaire indispensable à l'étude du second, dont l'esprit consiste, en effet, à traiter chaque gravitation perturbatrice comme une suite de petites impulsions, selon la méthode ordinaire de la mécanique rationnelle.

L'influence des changemens brusques, bien qu'elle puisse être beaucoup plus grande que celles des simples perturbations, comporte une étude infiniment plus facile. Il est clair, en effet, que les lois de Képler ne doivent point cesser, pour cela, d'être exactement maintenues: tout au plus, l'ellipse pourrait-elle dégénérer en parabole ou en hyperbole, comme je l'ai indiqué dans l'avant-dernière leçon. Tout l'effet doit évidemment consister à donner subitement de nouvelles valeurs aux six élémens fondamentaux du mouvement elliptique, puisque rien n'est changé dans les forces accélératrices. Après une telle variation, ces nouveaux élémens resteront d'ailleurs aussi fixes qu'auparavant, jusqu'à ce qu'il survienne quelque autre événement semblable. D'ailleurs l'altération peut porter indifféremment sur chacun des six élémens, dont plusieurs sont, au contraire, fort peu affectés par les perturbations.

On éprouverait de vraies difficultés mathématiques à déterminer rationnellement, d'après les règles de la mécanique abstraite, quel doit être l'effet d'un choc ou d'une explosion sur le changement instantané de la vitesse actuelle d'un astre, quant à son intensité et à sa direction. Mais, cette variation une fois donnée, il est au contraire facile d'en déduire, comme Lagrange l'a montré, les nouvelles valeurs des élémens fondamentaux, et par suite toutes les modifications que pourra présenter le mouvement de translation. La question pourrait être beaucoup plus compliquée à l'égard de la rotation, si l'événement ne se bornait point à en altérer la durée, et qu'il changeât la direction de l'axe autour duquel elle s'exécute. Car, la nouvelle droite cessant d'être un des axes dynamiques principaux de l'astre, cet événement, quoique instantané, deviendrait nécessairement, d'après la théorie générale de la rotation, la source d'une suite perpétuelle, ou du moins très prolongée, d'altérations difficiles à analyser; ce qui ne saurait jamais avoir lieu, quant à la translation.

Quoique le choc mutuel de deux astres et la rupture d'un astre unique en plusieurs fragmens séparés par suite d'une explosion interne, puissent déterminer des variations quelconques dans tous les élémens astronomiques de leur mouvement elliptique, il existe deux relations fondamentales, qui, d'après les lois générales du mouvement, doivent rester, même alors, nécessairement inaltérables, et qui pourraient, ce me semble, en les employant convenablement, nous conduire souvent à constater la réalité de tels événemens à une époque quelconque. Ce sont les deux propriétés essentielles de la conservation du mouvement du centre de gravité et de l'invariabilité de la somme des aires, qui reposent seulement, comme on sait, sur l'égalité entre la réaction et l'action, à laquelle sans doute de tels changemens ne cesseraient point de se conformer. Il en résulte deux équations très importantes entre les masses, les vitesses et les positions des deux astres ou des deux fragmens du même astre, considérées avant et après l'événement.

Aucun indice ne paraît jusqu'ici nous autoriser à penser que le cas du choc se soit jamais réellement présenté dans notre monde, et l'on conçoit en effet combien la rencontre de deux astres doit y être difficile, sans qu'elle y soit, néanmoins, mathématiquement impossible. Mais, il n'en est nullement ainsi à l'égard des explosions. L'identité presque parfaite des moyennes distances et des temps périodiques propres aux quatre petites planètes situées entre Mars et Jupiter, a conduit, comme on sait, M. Olbers à conjecturer ingénieusement qu'elles formaient autrefois une planète unique, dont une forte explosion interne aurait déterminé la division en plusieurs fragmens séparés. Presque toutes les autres circonstances caractéristiques de ces petits astres sont en harmonie avec cette opinion, à laquelle Lagrange a ajouté, d'après l'irrégularité de leur figure, que l'événement a dû être postérieur à la consolidation de la planète primitive. Quand leurs masses seront connues, je pense que cette hypothèse pourra être soumise à une vérification mathématique, qu'il me suffit d'indiquer ici, suivant les deux théorèmes précédemment mentionnés. En calculant ainsi les positions et les vitesses successives du centre de gravité du système de ces quatre planètes, on devrait, en effet, d'après une telle origine, retrouver le mouvement principal de l'astre primitif. Si donc les résultats de ces calculs représentaient ce centre de gravité décrivant une ellipse autour du soleil pour foyer, et son rayon vecteur traçant des aires proportionnelles aux temps, cet événement serait aussi constaté, ce me semble, que peut l'être un fait dont on n'a pas été témoin. Mais notre ignorance actuelle au sujet des momens d'inertie et surtout des masses de ces petits corps ne permet point encore d'assujettir la conjecture de M. Olbers à une semblable épreuve. Il n'en est pas moins intéressant, sous le point de vue philosophique, de voir comment la mécanique céleste peut parvenir à constater, d'une manière entièrement positive, de tels événemens, qui paraissent ne devoir laisser aucun témoignage appréciable. Il est, d'ailleurs, évident que la nature instantanée de ces changemens nous interdirait nécessairement d'en reconnaître l'époque, puisque les phénomènes seraient exactement les mêmes, que l'explosion fût récente ou ancienne; tandis qu'il n'en est point ainsi à l'égard des perturbations.

Lagrange a pensé, avec beaucoup de vraisemblance, que le cas des explosions avait été très fréquent dans notre monde, et qu'on pouvait expliquer ainsi l'existence des comètes, d'après la grandeur des excentricités et des inclinaisons et la petitesse des masses, qui les caractérisent principalement. Il suffit, en effet, de concevoir qu'une planète ait éclaté en deux fragmens extrêmement inégaux, pour que le mouvement du plus considérable soit resté presque tel qu'auparavant, tandis que le plus petit aura pu décrire une ellipse très allongée et fort inclinée à l'écliptique. L'intensité de l'impulsion nécessaire à ce dernier changement est, en général, assez médiocre, comme Lagrange l'a établi, et d'ailleurs d'autant moindre que la planète primitive est plus éloignée du soleil. Cette opinion me paraît beaucoup plus satisfaisante que toutes celles qui ont été proposées au sujet des comètes, quoiqu'elle soit loin, sans doute, d'être jusqu'ici démontrée.

Passons maintenant à la considération bien plus importante et bien autrement difficile des perturbations proprement dites, principal objet de la mécanique céleste pour le perfectionnement des tables astronomiques.

Elles doivent être distinguées en deux classes générales, suivant qu'elles portent sur les mouvemens de translation, ou de rotation. La théorie abstraite des rotations constituant, par sa nature, comme nous l'avons reconnu en philosophie mathématique, la partie la plus difficile de la dynamique des solides, il en doit être nécessairement de même pour l'application au ciel.

Heureusement, les mouvemens de rotation sont, en général, moins altérés, dans notre monde, que ceux de translation; et surtout, leurs perturbations sont bien moins importantes à connaître, si ce n'est dans le seul cas de la terre. Envisageons d'abord l'étude des translations, où les astres doivent être traités comme condensés en leurs centres de gravité.

Quoiqu'il fût aisé de former, d'après les règles de la dynamique rationnelle, les équations différentielles du mouvement d'un quelconque des astres de notre monde, sollicité par ses diverses gravitations variables vers tous les autres, l'ensemble de ces équations ne constituerait, en réalité, dans l'état présent de nos connaissances mathématiques, et probablement toujours, qu'une énigme analytique absolument inextricable, dont il serait impossible de tirer aucun parti effectif pour l'étude des phénomènes célestes. Obligés de renoncer à cette marche directe, la seule pleinement rationnelle, les géomètres ont dû se réduire à analyser séparément le mouvement de chaque astre autour de celui qui en est le foyer, en ne considérant à la fois qu'un seul astre modificateur. C'est ce qui constitue, en général, le célèbre problème des trois corps, quoique cette dénomination n'ait d'abord été employée que pour la théorie de la lune. On conçoit aisément à quelles circonvolutions doit entraîner une telle manière de procéder, puisque l'astre qui modifie, étant à son tour modifié par d'autres, ses perturbations exigent un retour indispensable à l'étude du corps primitif. À quelques expédiens que notre impuissance mathématique nous contraigne de recourir, nous ne saurions empêcher que la détermination de l'ensemble des mouvemens de notre monde ne constitue nécessairement par sa nature, un problème vraiment unique, et non une suite de problèmes détachés les uns des autres. Cette séparation irrationnelle, et néanmoins impérieusement prescrite par l'imperfection de notre analyse, est la première source des modifications si multipliées dont les géomètres sont forcés de surcharger successivement leurs formules célestes.

Si le problème des trois corps comportait une solution rigoureuse, ces corrections pourraient être bien moindres et surtout beaucoup moins nombreuses, puisque, en prenant pour type le mouvement qui lui correspond dans chaque cas, les mouvemens effectifs ne s'en écarteraient qu'à très peu d'égards et de quantités presque insensibles. Mais le problème fondamental et élémentaire de deux corps, dont l'un est même regardé comme fixe, c'est-à-dire le problème du mouvement elliptique, représenté par les lois de Képler, est le seul dont notre analyse actuelle permette une solution vraiment rationnelle, et encore avons-nous reconnu combien sont pénibles les calculs qu'elle exige. C'est donc à ce type, plus éloigné de la réalité, que les géomètres sont obligés de rapporter, par des approximations successives extrêmement compliquées, les vrais mouvemens des astres, en accumulant les perturbations produites séparément par chaque corps susceptible d'une influence appréciable; l'intégration des équations relatives au cas des trois corps ne pouvant s'opérer que par des séries ordonnées de diverses manières suivant les perturbations qu'on veut mettre en évidence.

La petitesse ordinaire des perturbations a d'abord naturellement introduit cette manière de procéder, puisque le mouvement elliptique représente suffisamment, pendant un temps plus ou moins long, le véritable état du ciel. Elle a été ensuite érigée en principe, quand les géomètres ont bien connu la nature mathématique du problème général, et l'impossibilité de le traiter autrement que par approximation. C'est Lagrange qui a essentiellement donné à cette marche nécessaire son caractère méthodique définitif, en créant sa célèbre théorie générale de la variation des constantes arbitraires, si fondamentale dans toute la mécanique céleste, dont elle tend à régulariser les recherches et à rendre les procédés uniformes aussi rationnels que le comportent les difficultés insurmontables radicalement inhérentes à la question réelle. L'esprit de cette théorie consiste à concevoir le mouvement effectif d'un astre quelconque comme s'il était véritablement elliptique, mais avec des élémens variables, au lieu d'élémens fixes. Dès lors, Lagrange a établi des formules analytiques entièrement générales, pour déterminer les variations qu'éprouve chacun des six élémens, lorsque la force perturbatrice est donnée. L'étude de la mécanique céleste sera beaucoup simplifiée, quand l'usage direct de cette belle méthode y deviendra prépondérant.

Pour se diriger dans le choix des perturbations dont il convient d'apprécier l'influence, la loi fondamentale de la gravitation permet immédiatement de comparer avec exactitude les diverses influences secondaires propres à chaque cas, du moins en regardant toutes les masses comme bien connues. Il suffit, en effet, de diviser le rapport des masses de deux astres modificateurs par le quarré du rapport de leurs distances à l'astre modifié, et ce quotient fait aussitôt distinguer quelle est la force perturbatrice qu'il faut principalement considérer, et quelle peut être, en général, la part d'influence de chacune des autres. Sous ce rapport fondamental, il faut reconnaître que la constitution effective de notre monde favorise éminemment la simplification de nos recherches mathématiques. Car, les astres qui le composent ont tous, comparativement au soleil, des masses extrêmement faibles, ce qui est la condition première de la petitesse habituelle des perturbations; mais, de plus, ils sont peu nombreux, très écartés les uns des autres, et fort inégaux en masse, d'où il résulte que, dans presque tous les cas, et surtout dans les plus importans, le mouvement principal n'est sensiblement modifié que par l'action d'un seul corps. Si, comme il arrive peut-être dans quelque autre monde, les astres du système eussent été, au contraire, plus multipliés, presque égaux en masse, très rapprochés, et beaucoup moins différens de l'astre central, quand même les inclinaisons et les excentricités de leurs orbites eussent continué à être fort petites, il est évident que les perturbations seraient devenues beaucoup plus considérables, et surtout bien plus variées, puisqu'un grand nombre de corps auraient presque également concouru à chacune d'elles. Ainsi, dans un tel arrangement, la mécanique céleste aurait probablement présenté une complication inextricable, n'étant plus essentiellement réductible au seul problème des trois corps.

L'étude dynamique des modifications du mouvement elliptique des différens astres de notre monde, reproduit naturellement, et par les mêmes motifs, la distinction fondamentale que j'ai établie dans la vingt-troisième leçon, sous le point de vue géométrique, entre les trois cas généraux, inégalement difficiles, des planètes, des satellites et des comètes. En procédant avec toute la rigueur mathématique, il faudrait ici considérer sans doute un nouveau cas, celui du soleil, qui ne peut plus être regardé comme parfaitement immobile, en vertu de la réaction nécessaire que les planètes exercent sur lui. Les phénomènes intérieurs de notre monde ne comportent en effet d'autre point absolument fixe que le centre de gravité général de ce système, dont la position, d'après les lois abstraites du mouvement, demeure entièrement indépendante de toutes les actions mutuelles, quand même elles seraient beaucoup plus grandes. C'est, à vrai dire, ce centre de gravité qui constitue le foyer réel des mouvemens planétaires, et le soleil lui-même doit osciller continuellement autour de lui, dans des directions toujours variables suivant la situation des planètes. Mais, d'après la grandeur et la masse du soleil comparées aux distances et aux masses de tous les autres corps du système, il est évident que ce point tombe toujours entre le centre du soleil et sa surface. Ce serait donc affecter vainement d'introduire dans la dynamique céleste une précision qu'elle ne saurait comporter par tant d'autres motifs bien plus puissans, que d'y vouloir tenir compte de ces oscillations solaires, dont aucune observation ne parviendra probablement jamais à constater l'existence. On doit donc continuer à traiter le soleil comme rigoureusement fixe, sauf sa rotation. La même considération ne semble pas d'abord devoir être aussi négligée dans les systèmes partiels formés par une planète et ses satellites, où la disproportion des masses est quelquefois beaucoup moindre. Mais les distances étant pareillement réduites, le résultat se trouve être essentiellement identique, même à l'égard du système de la terre et de la lune, qui offre la disposition la plus défavorable, et dont néanmoins le centre de gravité est toujours situé dans l'intérieur de la terre. Cette circonstance peut donc être entièrement écartée de l'étude des mouvemens de translation, qui n'en sauraient éprouver que des modifications imperceptibles. Ainsi, la mécanique céleste ne présente réellement, dans cette étude, d'autres problèmes essentiels que ceux déjà traités, sous un autre point de vue, par la géométrie céleste.

Le problème des planètes est ici, comme là, le plus simple de tous, et par suite des mêmes caractères, la petitesse des excentricités et des inclinaisons de leurs orbites, qui doit évidemment simplifier autant les approximations dynamiques que les séries géométriques. Outre cette influence algébrique, il en résulte surtout une bien plus grande fixité des perturbations, puisque chaque astre, demeurant toujours ainsi dans les mêmes régions célestes, se trouve sans cesse dans les mêmes rapports mécaniques, quoique leur intensité varie nécessairement entre certaines limites. Le cas le moins avantageux de cette première classe est malheureusement celui de notre planète, à cause du lourd satellite qui l'escorte de si près, et auquel sont dues ses principales perturbations, ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs d'être sensiblement troublée, en outre, à l'époque des oppositions, surtout par une masse aussi supérieure que celle de Jupiter. Aucune autre planète à satellites ne se trouve dans un ensemble de conditions aussi défavorables; car, le mouvement de Jupiter, par exemple, ne saurait être notablement dérangé par l'action de ses satellites, quoique proportionnellement plus voisins, puisque la masse du plus considérable n'est pas tout-à-fait la dix-millième partie de la sienne, tandis que la masse lunaire est seulement soixante-huit fois moindre que celle de notre globe. Aussi la circulation de Jupiter n'est-elle sensiblement altérée que par l'influence de Saturne. Le cas le plus simple paraît toutefois devoir être celui d'Uranus, comme étant la dernière planète, en même temps qu'elle se trouve toujours extrêmement loin de celle qui la précède immédiatement: ses six satellites ne paraissent pas troubler beaucoup son mouvement.

Le problème des satellites est nécessairement plus compliqué que celui des planètes, à cause de la mobilité du foyer du mouvement principal, comme en géométrie céleste. Il en résulte que, même abstraction faite des perturbations qui lui sont propres, toutes celles qu'éprouve la planète correspondante viennent inévitablement se réfléchir sur lui. C'est ainsi, par exemple, que la petite accélération perpétuelle du moyen mouvement de la lune avait si long-temps vainement occupé les fondateurs de la mécanique céleste, qui la regardaient comme inexplicable, jusqu'à ce que Laplace eût démêlé sa véritable cause dans la légère variation à laquelle est assujettie l'excentricité de l'orbite terrestre. Quant aux perturbations directes du mouvement des satellites, le problème général exige une distinction essentielle, suivant que la planète a un seul satellite, ou plusieurs. Dans le premier cas, qui n'existe que pour la lune, l'astre perturbateur est essentiellement le soleil, à cause de son inégale action sur la planète et sur son satellite. Il est clair, en effet, que si la terre et la lune gravitaient vers le soleil avec la même énergie et dans la même direction, cette action commune ne pourrait aucunement altérer le mouvement relatif de la lune en vertu de sa pesanteur terrestre. La différence de direction peut être presque négligée, mais non celle d'intensité. Il en résulte une force perturbatrice, dont la loi doit être naturellement analogue à celle considérée dans la leçon précédente au sujet des marées, en raison directe de la masse du soleil et inverse du cube de sa distance à la terre. Elle est ainsi seulement cent quatre-vingts fois plus petite que l'action de la terre sur la lune, et, par conséquent, elle doit fortement altérer le mouvement principal. C'est par là, entre autres, que les géomètres ont exactement expliqué ces grands dérangemens connus dès l'origine de l'astronomie, la révolution rétrograde des noeuds de l'orbite lunaire en dix-neuf ans environ, et celle, encore plus rapide, de son périgée en un peu moins de neuf ans. Il en est de même des inégalités moins prononcées, qui ne sauraient être énumérées ici. Il faut considérer, en outre, que la force perturbatrice variant alors, d'après la distance, bien plus rapidement que pour les planètes, le déplacement de la terre, même en s'y bornant au mouvement elliptique, change sensiblement l'intensité de cette force, ce qui introduit une complication nouvelle dans la théorie lunaire. Cependant, si cette théorie est justement réputée plus difficile que celle d'aucun autre satellite, cela tient surtout à ce que sa précision nous importe bien davantage, en même temps que les observations manifesteraient beaucoup mieux son imperfection. Car, d'ailleurs, sous le point de vue mathématique, il y a réellement une complication bien supérieure dans le cas de la pluralité des satellites, qui nous reste maintenant à signaler. Alors, en effet, toutes les considérations propres au cas précédent se reproduisent nécessairement, à l'égard du mouvement de chaque satellite, quoique leur influence puisse être réellement moindre. De plus, il faut tenir compte de l'action encore plus embarrassante, et pourtant aussi essentielle au moins, des divers satellites les uns sur les autres. Les complications hypothétiques indiquées ci-dessus envers les planètes d'un autre monde, se trouvent ici pleinement réalisées par l'extrême rapprochement et l'inégalité peu prononcée de ces différentes masses, qui peuvent être au nombre de six ou sept à traiter simultanément. Cette difficulté fondamentale se trouve, il est vrai, un peu compensée par la prépondérance de l'action de la planète, beaucoup plus prononcée que dans le cas précédent, et qui doit rendre les perturbations mutuelles des satellites bien moins considérables. Mais les obstacles inhérens à cette recherche n'en sont pas moins tels que jusqu'ici la mécanique céleste n'a réellement établi à cet égard que la théorie des satellites de Jupiter, au sujet desquels Laplace a découvert deux propriétés remarquables que présentent constamment, malgré toutes leurs perturbations, les positions et les vitesses de trois d'entre eux. Les tables des satellites de Saturne et d'Uranus ne sont encore construites que sous le point de vue géométrique, sans qu'on ait même aucune valeur approchée de leurs masses. Il faut reconnaître, toutefois, que nous n'avons heureusement aucun besoin de rendre leur étude aussi parfaite que celle de la lune, leur office pratique à l'égard de la détermination des longitudes pouvant être aisément suppléé. On conçoit d'ailleurs que notre grand éloignement de ces mondes secondaires nous permet de représenter suffisamment leur observation par une théorie bien plus grossière que ne doit l'être celle relative à un astre aussi rapproché que la lune, dont les moindres irrégularités nous deviennent nécessairement très appréciables. Quoique la mécanique céleste ait quelquefois réellement devancé l'exploration directe envers certains petits phénomènes peu importans, il ne faut point, ce me semble, que de tels exemples nous conduisent à exagérer notre ambition spéculative, qui doit sans doute se réduire, en général, à porter dans nos explications un degré de précision correspondant à celui des observations effectives. Un tel rôle est certainement assez élevé et assez difficile, pour provoquer le plus complet développement de nos forces intellectuelles: le reste serait, même en astronomie, essentiellement illusoire.

Quelles que soient les difficultés fondamentales de la théorie dynamique des satellites, les circonstances caractéristiques propres au problème des comètes doivent le rendre encore plus compliqué. Il est clair, en effet, que, par suite de l'extrême allongement et de l'inclinaison en tous sens de leurs orbites, ces astres se trouvent, pendant leur révolution autour du soleil, dans des rapports mécaniques continuellement variables, à cause des différens corps près desquels ils viennent successivement à passer; tandis que les planètes, et même les satellites, ont toujours au contraire les mêmes relations, dont l'intensité seule varie. Les comètes s'éloignent ainsi à tel point du soleil, et se rapprochent tellement des diverses planètes, que la force perturbatrice peut devenir presque égale à la gravitation principale, dont elle n'est jamais, en tout autre cas, qu'une fraction très médiocre: il ne serait nullement impossible que cet effet devînt assez prononcé pour dénaturer entièrement le mouvement de la comète, et la convertir en un satellite, lorsqu'elle arrive dans le voisinage d'une planète considérable, comme Jupiter, Saturne, ou même Uranus. En restant dans les cas ordinaires, il faut noter, en outre, que la masse extrêmement petite de toutes les comètes rend nécessairement leurs diverses perturbations beaucoup plus prononcées qu'elles ne le seraient pour des masses supérieures qui circuleraient de la même manière: sans compter que leur poids éprouve probablement quelques variations, impossibles à apprécier, par l'absorption que peuvent exercer d'autres corps très voisins sur une partie de leur atmosphère, quand celle-ci est très étendue; absorption qui, très petite sans doute en elle-même, devient peut-être fort sensible à la longue, puisqu'elle doit naturellement se reproduire à chaque révolution. Telles sont les conditions principales qui produisent nécessairement l'extrême imperfection de la théorie des perturbations cométaires, indépendamment des inconvéniens algébriques qui résultent directement de la grandeur des excentricités et des inclinaisons pour compliquer les séries qui s'y rapportent, de même qu'en géométrie céleste. Voilà surtout ce qui rend si difficile et souvent si incertaine la prévision exacte du retour de ces petits astres, qui, lorsque nous croyons, après de longs et pénibles travaux, avoir suffisamment calculé toutes leurs modifications possibles, éprouvent quelquefois, par suite d'une circonstance oubliée, une forte perturbation susceptible de changer complètement leurs périodes: comme la comète de 1770, calculée par Lexell, en a offert un mémorable exemple, cet astre, dont la révolution était alors de moins de six ans, n'ayant pas reparu une seule fois depuis, à cause du grand dérangement qu'il a subi en passant très près de Jupiter. Il faut reconnaître, toutefois, que les mêmes caractères en vertu desquels l'étude des comètes est si imparfaite, font aussi qu'elle ne saurait avoir pour nous une grande importance réelle. Car, l'extrême variation de leurs distances ne leur permettrait d'exercer sur les autres astres de notre monde qu'une action presque instantanée, que leur peu de poids doit d'ailleurs rendre entièrement insensible, même sur d'aussi petits corps que les satellites. Le passage de la comète de 1770 entre les satellites de Jupiter, vérifia d'une manière frappante cette loi nécessaire, puisque leurs tables, calculées d'avance sans penser à cet événement inattendu, n'en continuèrent pas moins à se trouver encore parfaitement conformes aux observations directes, ce qui prouve clairement que leurs mouvemens n'avaient pas été sensiblement dérangés. Les craintes puériles qui ont remplacé les terreurs religieuses inspirées par les comètes avant que nous les eussions ramenées à des théories positives, ne sauraient donc avoir aucun fondement réel. Quant à leur choc contre la terre, il est évidemment presque impossible, et, néanmoins, c'est seulement ainsi que leur influence deviendrait sensible. Leur voisinage, même extrême, ne pourrait avoir d'autre effet que d'augmenter un peu la hauteur de la marée correspondante. Or, même sous ce rapport, on voit clairement que, si une comète venait à passer deux ou trois fois plus près de nous que la lune, ce qui est fort loin d'être possible à l'égard d'aucune comète connue, une masse aussi minime ne produirait, dans nos marées, qu'un accroissement imperceptible. L'inévitable imperfection d'une telle théorie est donc, en réalité, peu regrettable, si ce n'est sous un point de vue indirect qui sera indiqué plus bas.

Considérons maintenant la seconde classe principale des perturbations, celles relatives aux rotations, dont l'étude présenterait, par sa nature, des difficultés d'un ordre encore plus élevé, si sa précision avait en général autant d'importance, et si quelques circonstances favorables ne la simplifiaient beaucoup, dans le seul cas vraiment essentiel à bien analyser.

Les ellipsoïdes célestes ont dû nécessairement sinon commencer, ce qui serait fort invraisemblable, du moins finir, au bout d'un temps plus ou moins long, par tourner autour d'un de leurs trois axes dynamiques principaux, et même de celui à l'égard duquel la rotation a le plus de stabilité, c'est-à-dire de leur moindre diamètre. Car, d'après la théorie de la figure des astres, c'est leur rotation même qui a produit, comme nous l'avons vu, leur écartement de la forme parfaitement sphérique, et qui l'a naturellement déterminé dans ce sens le plus favorable à la stabilité. Ainsi, sous ce rapport fondamental, comme sous tant d'autres, l'ordre s'est établi spontanément dans notre monde. Du reste, la stabilité de la rotation d'un astre, quant à ses pôles et quant à sa durée, est évidemment si indispensable à l'existence des corps vivans à sa surface, que l'on pourrait, à priori, garantir cette stabilité, du moins pour la terre et pour tous les astres habités, à partir de l'époque où la vie y est devenue possible. Mais, si la rotation de chaque corps céleste, envisagé comme isolé, est naturellement stable, la gravitation de ses diverses parties vers le reste de notre monde lui fait éprouver, non moins nécessairement, certaines modifications secondaires, qui ne peuvent porter que sur la direction absolue de son axe dans l'espace. Ces modifications n'importent réellement à connaître qu'envers la terre; car, fussent-elles extrêmement prononcées à l'égard des autres astres, il n'en saurait évidemment résulter pour nous aucune action appréciable, ni même, suivant la remarque ci-dessus indiquée, aucun intérêt sympathique.

D'après les lois fondamentales du mouvement, la rotation d'un corps quelconque autour de son centre de gravité s'exécute nécessairement de la même manière que si ce centre était fixe dans l'espace. Ainsi, non-seulement l'action mutuelle des molécules d'un astre ne saurait nullement influer sur sa rotation, due à une impulsion primitive; mais aucune force accélératrice extérieure, quelque grande qu'on la suppose, ne peut davantage la troubler, quand sa direction passe exactement par le centre de gravité de l'astre. Or, si les corps célestes étaient parfaitement sphériques, en les supposant d'ailleurs, comme il est très naturel, composés de couches concentriques homogènes dont la densité varierait arbitrairement de l'une à l'autre, on sait que la résultante totale de la gravitation mutuelle de toutes leurs molécules devrait passer rigoureusement par leurs centres de gravité. Les astres de notre monde ne peuvent donc altérer mutuellement leurs rotations propres, qu'en vertu du léger défaut de sphéricité produit par ces rotations elles-mêmes. On voit par là que cette même nécessité qui assure la stabilité essentielle des rotations célestes, relativement à leur durées et à leurs pôles, détermine aussi, envisagée sous un autre point de vue, l'altération inévitable du parallélisme de leurs axes.

À l'égard de la terre, cette altération consiste, comme nous l'avons déjà constaté sous le rapport géométrique, dans la précession des équinoxes, modifiée par la nutation. Elles résultent de l'action des différens astres de notre monde, et surtout du soleil et de la lune, sur notre renflement équatorial, suivant la belle théorie mathématique créée par D'Alembert. La méthode des couples 16 de M. Poinsot facilite beaucoup la conception générale de leur mécanisme. Il suffit, en effet, de transporter au centre de la terre, d'après cette méthode, les gravitations de toutes les parties de cette protubérance vers un astre quelconque, pour que de tous ces couples élémentaires il résulte immédiatement un couple général, susceptible de modifier la direction absolue de la rotation principale, en se composant avec le couple primitif qui lui correspond. Le pouvoir de chaque astre à cet égard est naturellement, comme pour les marées, en raison directe de sa masse et inverse du cube de sa distance; en sorte que le soleil et la lune sont encore les seuls dont l'influence y doive être considérée, en la répartissant d'ailleurs entre eux de la même manière: en outre, l'étendue effective de la déviation dépend de la masse et de la grandeur de la terre, de la durée de sa rotation, de son degré d'aplatissement, et enfin de l'obliquité de l'écliptique. Si la lune circulait dans le plan de l'écliptique, ou si les noeuds de son orbite étaient fixes, le phénomène se réduirait à la précession proprement dite, l'axe du couple perturbateur étant alors exactement perpendiculaire à ce plan. Mais, la légère inclinaison de l'orbite lunaire détermine, à raison du mouvement rétrograde de ses noeuds, une modification secondaire de même vitesse, qui produit la nutation. La quantité du phénomène est réglée en chaque cas par le rapport entre le moment du couple principal et celui du couple modificateur. Or, comme celui-ci dépend, entre autres élémens, de la masse de l'astre qui le produit, on conçoit comment l'observation du phénomène peut offrir un moyen de la déterminer. C'est ainsi que la mesure précise de la nutation a spécialement perfectionné l'évaluation de la masse lunaire. La théorie de ces phénomènes montre d'ailleurs que, comme dans les marées, leur intensité doit changer d'après les distances variables du soleil et surtout de la lune à la terre. Mais les effets sont eux-mêmes trop peu prononcés pour que ce défaut d'uniformité puisse jamais devenir bien sensible dans les observations directes. Telles sont, en aperçu, les causes générales qui déterminent les petites altérations qu'éprouve la rotation de notre sphéroïde, quant à la direction de son axe dans l'espace. On voit combien ce serait étrangement abuser de l'analyse mathématique que de s'exercer puérilement, comme on n'a pas craint de le faire tout récemment, à chercher quelle devrait être la précession en supposant que la terre ne tournât pas, puisque la question cesserait même, dans cette absurde hypothèse, d'avoir aucun sens réel et intelligible.

Note 16: (retour) Dans le premier volume de cet ouvrage, j'avais indiqué, il y a quatre ans, cette lumineuse conception comme essentiellement destinée, par sa nature, à simplifier extrêmement la théorie fondamentale des rotations, au lieu d'être bornée à son usage statique immédiat. Cette espérance vient d'être heureusement réalisée, de la manière la plus complète, par le beau travail tout récent de M. Poinsot sur ce grand sujet, qui rend désormais presque élémentaire la partie la plus transcendante de la dynamique, en même temps qu'il dévoile entièrement une solution jusque alors vainement enveloppée dans des équations inextricables, où la marche générale du phénomène était profondément cachée. Si ma Philosophie mathématique n'était depuis long-temps publiée, j'y aurais soigneusement caractérisé l'esprit de cet important mémoire, fondé sur la notion nouvelle des couples de rotation, entièrement analogues, par l'ensemble de leurs propriétés fondamentales, aux couples de translation, quoique étant de nature inverse, et dont l'emploi réduit l'analyse exacte de toutes les circonstances que peut présenter la rotation d'un corps quelconque à la simple considération uniforme de son ellipsoïde central.

S'il convenait de poursuivre, envers tous les autres astres de notre monde, la théorie des perturbations relatives à leurs rotations, il faudrait distinguer, comme au sujet des translations, entre les planètes, les satellites et les comètes; puisque, par suite des mêmes motifs, cette analyse offrirait encore les mêmes gradations de difficulté. Le cas des comètes ne saurait être mentionné que pour mémoire, par l'impossibilité où nous serons toujours d'observer leur rotation. Quant aux planètes, elles doivent naturellement présenter des phénomènes semblables à ceux de notre précession, et qui peuvent être plus ou moins prononcés, suivant l'inclinaison de leurs axes à leurs orbites, leur position, leur masse, leur grandeur, la durée de leur rotation, et enfin leur degré d'aplatissement. Par l'ensemble de ces motifs, les perturbations de Mars, sous ce rapport, tiendraient le premier rang.

À l'égard des satellites, leur rotation nous présente, sous un autre point de vue, un phénomène du plus haut intérêt, l'égalité remarquable entre la durée de cette rotation et celle de leur circulation autour de la planète correspondante, à laquelle, par suite, ils présentent continuellement le même hémisphère, sauf les oscillations très petites connues sous le nom de libration, dont la règle est d'ailleurs bien déterminée. Cette égalité fondamentale n'est encore sans doute réellement constatée que pour la lune; mais son explication mécanique, indépendamment de la simple analogie, tend à l'ériger en loi générale de tous les satellites. Car, elle résulte, suivant le beau mémoire de Lagrange, de la simple prépondérance qu'a dû nécessairement acquérir, par l'action de la planète, l'hémisphère tourné vers elle dans l'origine, ce qui a produit une tendance naturelle du satellite à retomber sans cesse sur cette face. Un tel effet ayant certainement lieu pour la lune, on ne saurait comprendre comment il pourrait ne pas exister aussi envers les autres satellites, appartenant tous à des planètes plus pesantes, dont ils sont même en général proportionnellement bien plus voisins.

Telle est l'indication générale extrêmement imparfaite à laquelle je suis forcé de me réduire, par la nature de cet ouvrage, relativement à l'étude des diverses sortes de perturbations que l'action mutuelle de tous les astres de notre monde produit nécessairement dans leurs mouvemens. Pour compléter cet aperçu, il me reste encore à signaler une considération essentielle, susceptible, dans la suite, de simplifier cette étude et de la rendre plus précise, en permettant de rapporter tous ces mouvemens à un plan dont la position soit nécessairement indépendante de leurs dérangemens quelconques.

En imaginant, pour plus de facilité, l'ensemble de nos astres décomposé en particules de même poids, l'action mutuelle de ces différens corps peut bien changer la grandeur de l'aire décrite séparément, autour du centre de gravité général, par la projection de chaque rayon vecteur correspondant, sur un plan commun arbitrairement choisi; mais, il résulte des lois fondamentales de la dynamique, comme nous l'avons déjà remarqué dans cette leçon, que, quelque énergie qu'on suppose à cette action, les altérations individuelles qu'elle produit à cet égard se compensent nécessairement, en sorte que la somme totale de ces aires demeure toujours invariable en un temps donné. Il en doit donc être ainsi de tout plan dont la position dépendrait uniquement de semblables sommes relatives à divers plans quelconques. Or, parmi l'infinité de plans qui pourraient présenter ce caractère, il en est un qu'on a dû naturellement choisir de préférence, comme se distinguant de tout autre par la propriété remarquable que la somme des aires y est la plus grande possible, et que d'ailleurs elle est nulle sur ceux qui lui sont perpendiculaires. La situation de ce plan se détermine aisément, en général, par des formules très simples, d'après les valeurs de la somme des aires pour trois plans rectangulaires quelconques, valeurs qu'on déduit d'ailleurs sans peine des positions et des vitesses de toutes les particules du système rapportées à ces trois plans. On doit la première notion de ce plan à Daniel Bernouilli et à Euler, qui l'avaient remarqué sous le seul point de vue analytique, comme servant à simplifier, par l'annulation de deux constantes, les équations relatives à la rotation d'un corps solide. Cette idée fut immédiatement étendue, sans aucune difficulté, à la considération d'un système variable par Laplace, qui ajouta la propriété géométrique, et qui eut surtout l'heureuse pensée de l'appliquer à la mécanique céleste. Enfin, la vraie conception dynamique du plan invariable a été présentée, depuis quelques années, par M. Poinsot, qui l'a montré directement, abstraction faite de tout caractère analytique ou géométrique, comme étant simplement le plan du couple général qui résulte du transport de toutes les vitesses individuelles au centre de gravité du système.

Quant à la détermination effective de ce plan, elle exige, pour qu'il soit réellement invariable, que l'on prenne en considération toutes les aires que peuvent décrire, en vertu de leurs divers mouvemens, les différens points du système. Or, dans l'impossibilité évidente de décomposer le système en particules égales, ainsi que l'exige le strict énoncé de la propriété fondamentale, Laplace avait cru devoir traiter chaque corps céleste comme condensé à son centre, en réunissant aussi les satellites à leurs planètes, afin de ne plus avoir à considérer que de simples points. La lumineuse théorie de M. Poinsot lui a fait immédiatement apercevoir le vice radical d'un tel procédé, où l'on fait nécessairement abstraction, non-seulement des aires relatives décrites simultanément par les satellites, mais aussi de celles que les diverses molécules de chaque corps tracent autour de son centre de gravité, en vertu des rotations correspondantes; et il a ensuite rendu sensible d'ailleurs, d'après les formules analytiques habituellement employées, la nécessité d'ajouter ces diverses aires à celles considérées jusque alors. Une simple décomposition d'intégrale montre, en effet, que la somme des aires décrites par toutes les molécules d'un même corps équivaut au produit de sa masse par l'aire que trace son centre de gravité, plus l'ensemble des aires qu'engendrent les molécules autour de ce centre. Ces aires dues aux rotations ne seraient réellement négligeables vis-à-vis des autres que si le corps était fort petit, ou s'il tournait avec une lenteur extrême. Celle qui résulte de la rotation du soleil est, d'après les hypothèses même les plus défavorables, beaucoup plus grande que celle tracée par la terre dans son mouvement annuel. Aussi, le plan déterminé par les calculs de Laplace serait-il loin, en réalité, d'une invariabilité rigoureuse. C'est néanmoins la parfaite constance qui ferait le seul mérite véritable d'un tel terme de comparaison, pour manifester immédiatement les variations survenues dans l'intérieur de notre monde, et même les déplacemens de son ensemble. Si l'on voulait se borner à un plan peu mobile, il n'y aurait aucun besoin de pénibles calculs fondés sur une théorie spéciale, et l'on pourrait prendre, presqu'au hasard, parmi les divers plans astronomiques, tels que celui de l'équateur terrestre ou surtout solaire, ou le plan de l'écliptique, dont les changemens seraient, en réalité, beaucoup moins considérables que ceux du plan proposé par Laplace. Malheureusement, le vrai plan invariable, découvert par M. Poinsot, est d'une détermination bien plus difficile, puisqu'il exige inévitablement, non-seulement, comme l'autre, l'évaluation des masses célestes, mais aussi celles des momens d'inertie correspondans. Cette dernière estimation ne saurait être faite, à priori, qu'en adoptant des hypothèses nécessairement très hasardées sur la loi mathématique relative à la densité dans l'intérieur des astres. J'ai déjà indiqué dans la leçon précédente, au sujet des masses, l'ingénieuse manière dont M. Poinsot a heureusement éludé cette difficulté fondamentale, en imaginant un moyen rationnel, aussi général que direct, pour obtenir exactement, à posteriori, cette mesure indispensable. Cette importante théorie est donc aujourd'hui évidemment complète. Mais son application immédiate ne saurait avoir lieu, comme je l'ai expliqué, avec toute la précision qu'exige, par sa nature, une semblable détermination, pour correspondre convenablement à sa destination essentielle. Quoi qu'il en soit, on n'en doit pas moins, sous le rapport philosophique, voir avec un profond intérêt comment la mécanique céleste a pu enfin assigner un plan nécessairement immobile au milieu de toutes les perturbations intérieures de notre système, comme Newton avait d'abord reconnu une vitesse nécessairement inaltérable, celle du centre de gravité général. Ce sont les deux seuls élémens rigoureusement indépendans de tous les événemens qui peuvent survenir dans l'intérieur de notre monde, même des bouleversemens les plus complets que notre imagination puisse y supposer; leurs variations se rapporteraient seulement aux phénomènes les plus généraux de l'univers, produits par l'action mutuelle des divers soleils, dont elles nous fourniraient naturellement la plus claire manifestation, si une telle connaissance nous était réellement permise.

Le résultat général de l'étude des perturbations a été d'établir, de la manière la plus irrécusable, la stabilité fondamentale de notre monde, relativement à tous les astres de quelque importance, considérés sous tous les rapports essentiels. En faisant abstraction des comètes, toutes les variations de diverses sortes, à l'exception de quelques-unes presque imperceptibles, sont nécessairement périodiques, et leur période est le plus souvent extrêmement longue, tandis que leur étendue est au contraire fort courte: en sorte que l'ensemble de nos astres ne peut qu'osciller lentement autour d'un état moyen, dont il s'écarte toujours très peu. Quoique tous les élémens astronomiques de chacun d'eux participent réellement à ces oscillations, il faut cependant faire entre eux une distinction importante, en séparant ceux qui se rapportent à la situation des orbites et à la direction des rotations, de ceux qui concernent les positions et les vitesses moyennes relatives au double mouvement d'un astre quelconque. Toutes les grandes perturbations portent uniquement sur les premiers; les seconds ne peuvent éprouver que des oscillations presque insensibles, dont la précision extrême de nos tables astronomiques actuelles n'exige pas même encore la considération effective. Au milieu de toutes les variations célestes, la translation de nos astres nous présente l'invariabilité presque rigoureuse des grands axes de leurs orbites elliptiques, et de la durée de leurs révolutions sidérales: leur rotation nous montre une constance encore plus parfaite dans sa durée, dans ses pôles, et même, quoiqu'à un degré un peu moindre, dans l'inclinaison de son axe à l'orbite correspondante. On est certain, par exemple, que, depuis Hipparque, la durée du jour n'a pas varié d'un centième de seconde. Ainsi, dans la stabilité générale de notre monde, nous découvrons encore une stabilité spéciale et plus prononcée à l'égard des élémens dont la fixité importe le plus à la perpétuité des espèces vivantes. Tels sont les sublimes théorèmes fondamentaux de philosophie naturelle, dont l'humanité est redevable à l'ensemble des grands travaux exécutés dans le siècle dernier par les illustres successeurs de Newton.

La cause générale de ces importans résultats réside essentiellement dans la faible excentricité de toutes les orbites principales et dans le peu de divergence de leurs plans. Si les astres de quelque importance avaient décrit, comme les comètes, des ellipses très allongées, contenues dans des plans dirigés en tous sens, leurs relations dynamiques auraient été toujours extrêmement variables, et leurs perturbations auraient dès lors cessé d'être périodiques, pour devenir presque indéfinies, ainsi que celles des comètes. Au contraire, en vertu de l'extrême rondeur des véritables orbites et de l'identité presque entière de leurs plans, l'intensité des diverses actions mutuelles, ne pouvant qu'osciller entre des limites très rapprochées, doit tendre sans cesse à rétablir l'état moyen du monde. Or, comme les astres à orbites peu excentriques sont évidemment les seuls habitables, cette harmonie fondamentale ne présente réellement aucun texte de cause finale, ainsi que je l'ai indiqué au commencement de ce volume, puisqu'il ne pourrait en être autrement qu'à l'égard de mondes tellement constitués, que la vie, et par suite la pensée, la philosophie théologique ou positive, ne sauraient y exister.

Toute la théorie mathématique des mouvemens célestes a été constamment traitée jusqu'ici, sans avoir aucun égard à la résistance du milieu général dans lequel ces mouvemens s'accomplissent. La parfaite conformité des tables ainsi dressées avec l'ensemble des observations les plus précises, montre clairement que cette résistance ne peut exercer qu'une influence imperceptible. Cependant, comme il est évidemment impossible qu'elle soit rigoureusement nulle, les géomètres ont dû s'occuper d'en préparer d'avance l'analyse générale. Abstraction faite de son intensité, cette action est nécessairement d'une tout autre nature que celle des perturbations proprement dites, quoique pareillement graduelle; car, elle ne saurait être périodique, et doit toujours s'exercer dans le même sens, de manière à diminuer continuellement toutes les vitesses, avec d'autant plus d'énergie qu'elles sont plus grandes. Euler et Lagrange ont établi qu'il n'en peut résulter aucune altération dans les positions des orbites, comme il est aisé de le sentir à priori: toute l'influence porte inévitablement sur leurs dimensions et sur les temps périodiques, ainsi que sur la durée des rotations; c'est-à-dire, qu'elle affecte précisément les élémens essentiellement épargnés par les perturbations. En même temps que les rotations des planètes doivent ainsi se ralentir sans cesse, leurs orbites doivent se rétrécir toujours en s'arrondissant, et leurs temps périodiques diminuer par suite; puisque, la vitesse devenant moindre, l'action solaire acquiert naturellement une plus grande efficacité: ces divers effets sont d'ailleurs non-seulement continus, mais encore de plus en plus rapides. Ainsi, dans un avenir jusqu'ici complètement inassignable, quoique nous puissions assurer qu'il est infiniment lointain, tous les astres de notre monde doivent nécessairement finir par se réunir à la masse solaire, d'où ils sont probablement émanés, comme l'indiquera la leçon suivante: en sorte que la stabilité du système est simplement relative aux perturbations proprement dites. Telles sont, à cet égard, les indications générales incontestables de la mécanique céleste. Quant à l'évaluation numérique de ces effets nécessaires, leur extrême petitesse nous empêchera sans doute de la connaître avant qu'il se soit écoulé un très long temps, à partir de l'époque où les observations astronomiques ont acquis une grande précision. Vainement Euler avait-il cru apercevoir une petite diminution séculaire de l'année sidérale en vertu de cette cause: les comparaisons exactes établies depuis par tous les astronomes ont clairement montré que cette remarque était illusoire. Il est d'ailleurs certain que nous connaissons encore trop peu la vraie loi mathématique de la résistance des milieux, pour que ces phénomènes soient jusqu'ici exactement calculables, même quand ils seraient plus prononcés. Lorsqu'ils pourront être réellement étudiés, c'est sur les comètes que devra surtout porter une telle exploration. Car, la faible masse de ces petits astres, et la grande surface qu'ils présentent à l'action du milieu lorsque leurs atmosphères sont très étendues, doivent nécessairement rendre sa résistance beaucoup plus appréciable à leur égard qu'envers les planètes, leur vitesse étant d'ailleurs naturellement à son maximum au moment même de cette expansion. Aussi quelques astronomes contemporains croient-ils déjà avoir constaté, pour une ou deux comètes, l'effet de cette résistance. L'étude de ces astres ne semblait jusqu'ici avoir pour nous qu'une utilité négative, afin de prévenir le retour des terreurs chimériques ou des craintes ridicules qu'ils ont si long-temps fait naître. On voit maintenant qu'il n'existe pas un seul astre dans notre monde, même parmi les plus insignifians, dont la théorie ne puisse nous offrir un intérêt direct et positif; puisque l'étude des comètes se trouve ainsi essentiellement propre à nous dévoiler plus tard une des lois générales les plus importantes du système dont nous faisons partie, celle qui, dans un avenir indéfini, doit le plus influer sur ses destinées. Il faut même remarquer que, pour remplir convenablement un tel office, cette étude ne saurait être trop perfectionnée; car, c'est seulement sur une théorie très précise que le contrôle de l'observation peut manifester, avec une véritable certitude, d'aussi petits effets.

Je me suis efforcé, dans la vingt-troisième leçon, d'établir nettement, sous le simple point de vue géométrique, l'indépendance des phénomènes les plus généraux de l'univers, en faisant soigneusement ressortir la conformité décisive de toutes les observations directes avec les tables dressées par les astronomes, sans penser aucunement aux autres mondes. En supposant la loi de la gravitation étendue à l'action mutuelle des divers soleils, la mécanique céleste explique et fortifie immédiatement cette incontestable vérité, qui me semble devoir constituer, en philosophie naturelle, un dogme vraiment fondamental. Il est d'abord évident que les différentes gravitations de notre monde vers les innombrables soleils dispersés dans l'espace, doivent se détruire en partie par leur opposition, quoiqu'il fût absurde de penser que leur résultante générale est nulle. En second lieu, quelle que soit cette résultante, il importe surtout de remarquer que c'est seulement par l'inégalité de son action sur les divers astres de notre monde qu'elle en pourrait troubler les mouvemens internes, nécessairement indépendans de toute action qui serait exactement commune. Chaque force perturbatrice de ce genre est donc évidemment, comme dans les marées, dans la précession des équinoxes, etc., en raison directe de la masse productrice, et en raison inverse du cube de sa distance au soleil. Suivant cette loi, la perturbation doit donc être entièrement imperceptible, à cause de l'immensité bien constatée de l'intervalle qui nous sépare du plus prochain soleil. En supposant le plus grand rapprochement compatible avec nos observations les plus certaines, une masse qui égalerait un million de fois celle de notre monde, n'y ferait naître ainsi qu'une force perturbatrice plusieurs milliards de fois moindre que celle d'où résultent nos marées. L'indépendance de notre monde est donc parfaitement certaine.

Il m'importe d'autant plus de la faire remarquer, sous le rapport philosophique, qu'elle constitue la seule exception générale que je connaisse à la grande loi encyclopédique que j'ai établie en commençant cet ouvrage, et d'après laquelle les phénomènes les plus généraux dominent les plus particuliers, sans être au contraire nullement influencés par eux. Ainsi, les phénomènes vraiment astronomiques, c'est-à-dire, ceux de l'intérieur de notre monde, régissent évidemment tous nos phénomènes sublunaires, soit physiques, soit chimiques, soit physiologiques, soit même sociaux, comme je l'ai indiqué spécialement dans la dix-neuvième leçon. Mais ici nous trouvons, en sens inverse, que les phénomènes les plus généraux de l'univers ne peuvent au contraire exercer aucune influence réelle sur les phénomènes plus particuliers qui s'accomplissent dans l'intérieur de notre système solaire. Cette anomalie philosophique disparaîtra immédiatement pour tous les esprits qui admettront avec moi que ces derniers phénomènes sont les plus étendus auxquels nos recherches positives puissent véritablement atteindre, et que l'étude de l'univers doit être désormais radicalement détachée de la vraie philosophie naturelle; maxime, à mon avis, fondamentale, et dont j'espère que la justesse et l'utilité seront d'autant plus senties qu'on l'examinera plus profondément.

Tel est l'ensemble des considérations philosophiques que je devais présenter ici sur la dynamique céleste, envisagée sous ses divers aspects principaux. Quelque admirable extension qu'ait pris depuis Newton cette sublime étude, nous avons reconnu combien, à beaucoup d'égards, l'extrême insuffisance de notre analyse mathématique actuelle la rend nécessairement imparfaite. On s'en formerait une idée trop avantageuse si l'on pensait que, dans l'exécution finale des tables astronomiques, elle peut aujourd'hui se suffire entièrement à elle-même, sans emprunter à la géométrie céleste aucun autre secours direct que l'évaluation des données indispensables, déduites de l'observation immédiate. Non-seulement cela n'est pas à l'égard des astres dont la théorie mécanique n'est encore qu'ébauchée, et qui sont, sans contredit, les plus nombreux, quoique les moins importans; mais encore, sous plusieurs rapports, envers les mieux étudiés. Bien que la dynamique de chaque astre doive naturellement remplir, dans la construction de ses tables, un office de plus en plus prépondérant, la difficulté de démêler avec certitude toutes les perturbations indiquées par les formules analytiques, assignera probablement toujours à cet égard un rôle indispensable, quoique de plus en plus subsidiaire, à l'ingénieuse méthode empirique des équations de condition, imaginée par les astronomes pour dévoiler immédiatement, d'après les observations, la marche effective des moindres irrégularités, sans aucune recherche de leur loi mécanique; méthode qui me semble aujourd'hui trop dédaignée peut-être par les géomètres, auxquels les glorieux succès de la mécanique céleste ont inspiré un sentiment un peu exagéré de la portée réelle de ses théories. Cette méthode complémentaire consiste en général, comme on sait, à comparer les observations directes avec les tables où l'on a déjà tenu compte de toutes les inégalités bien connues, afin de combler les différences par l'introduction de quelques termes additionnels, relatifs à des fonctions périodiques de la quantité dont ces anomalies paraissent dépendre, en les affectant de coefficiens convenables, déterminés d'après un nombre suffisant de mesures immédiates. C'est à un tel procédé qu'on doit effectivement la découverte de presque toutes les petites perturbations, expliquées ensuite par la mécanique céleste, qui en a perfectionné la connaissance. Il constitue d'ailleurs le vrai modèle d'après lequel les physiciens établissent journellement leurs lois empiriques des phénomènes, ce qui me semble lui donner ici un véritable intérêt philosophique.

Le résultat général des considérations exposées dans cette leçon montre nettement combien le développement de la dynamique céleste, indépendamment de la haute importance des sublimes connaissances directes qu'il nous a procurées, a puissamment contribué à perfectionner l'ensemble des théories astronomiques, envisagées quant à leur but définitif, la juste prévision de l'état du ciel, à une époque quelconque, soit passée, soit future. Si l'on devait se borner à déterminer, pour peu de temps, le véritable état de notre monde, la géométrie céleste, résumée par les trois grandes lois de Képler, pourrait être regardée comme strictement suffisante, en choisissant des élémens convenablement déduits d'observations actuelles faites avec toute la précision possible. Mais il ne peut plus en être ainsi, et la plus parfaite théorie des perturbations devient absolument indispensable, quand on se propose d'étendre cette exacte prévoyance astronomique à des époques très éloignés, postérieures ou antérieures. C'est à la dynamique céleste que notre astronomie actuelle doit incontestablement cette admirable perfection pratique qui lui permet à volonté de descendre ou de remonter les siècles pour y fixer, avec une pleine certitude, l'instant et le degré précis des divers événemens célestes, tels que les éclipses entre autres, ces déterminations ne pouvant pas d'ailleurs évidemment être aussi minutieusement exactes que celles relatives à l'époque présente.

Quoique l'ensemble des huit leçons déjà contenues dans ce volume constitue réellement, à mes yeux, la vraie philosophie astronomique tout entière, elle semblerait néanmoins présenter, à presque tous les esprits éclairés, une lacune essentielle, si je ne consacrais point une dernière leçon à l'examen général de ce qu'on appelle aujourd'hui l'astronomie sidérale, et à l'appréciation rationnelle de ce que nous pouvons maintenant concevoir de positif sur la cosmogonie.




VINGT-SEPTIÈME LEÇON.




Considérations générales sur l'astronomie sidérale, et sur la cosmogonie positive.

La seule branche de l'astronomie sidérale qui paraisse comporter jusqu'à présent une certaine suite d'études exactes, concerne les mouvemens relatifs des étoiles multiples, dont la première découverte est due au grand observateur Herschell. Les astronomes entendent par là des étoiles extrêmement rapprochées, dont la distance angulaire n'excède jamais une demi-minute, et qui semblent pour cette raison n'en faire qu'une, non-seulement à la vue simple, mais avec les lunettes ordinaires de nos observatoires, les plus puissans télescopes pouvant seuls les séparer. Il faut considérer, en outre, que les mouvemens relatifs de ces astres tendent souvent à faire méconnaître leur multiplicité effective, comme on l'a vu plus d'une fois, en produisant pendant un temps plus ou moins long des occultations mutuelles, qui ne permettent point alors la séparation. Parmi plus de trois mille étoiles multiples actuellement enregistrées dans les catalogues, quoique le ciel austral soit encore à cet égard très peu exploré, presque toutes sont seulement doubles, la triplicité même étant extrêmement rare, et aucun degré supérieur de multiplicité n'ayant jamais été observé, ce qui ne tient peut-être qu'à l'imperfection de nos meilleurs télescopes, comme, avant Herschell, la simple dualité était ignorée. Ces groupes remarquables ne constituent évidemment, par leur nature, qu'un cas très particulier dans l'univers, puisque l'intervalle des astres qui les composent est probablement d'un ordre beaucoup moindre que les distances mutuelles des principaux soleils; en sorte que, dans ces mouvemens relatifs, quand même ils pourraient être un jour parfaitement connus, ce qui est en soi fort douteux, d'après les considérations indiquées à la fin de la vingt-quatrième leçon, il ne s'agirait encore nullement des phénomènes célestes les plus généraux, quelque intérêt que doive inspirer une telle étude. La spécialité du cas deviendrait même bien autrement prononcée, si, comme la rigueur scientifique me semble l'exiger, les astronomes ne formaient leur catégorie des étoiles doubles que de celles dont ils ont pleinement constaté les mouvemens, et qui sont jusqu'ici en très petit nombre. Car, la dualité de presque toutes les autres n'indique peut-être aucune relation réelle, puisque, malgré le rapprochement des directions, les intervalles mutuels peuvent être tels, que les deux astres ne forment pas plus un vrai système que deux étoiles quelconques combinées au hasard dans le ciel, si ces astres sont très inégalement éloignés de nous, circonstance à l'égard de laquelle nous n'avons encore aucune sorte de renseignement direct ou indirect. S'autoriser de quelques exemples incontestables pour envisager cette multitude d'étoiles doubles comme autant de systèmes binaires, où la moindre masse circule autour de la plus grande, ce serait, à mon avis, s'écarter étrangement de l'indispensable sévérité de méthode qui seule constitue l'admirable positivité de la véritable astronomie, en confondant, peut-être le plus souvent, avec un vrai phénomène céleste, un simple accident de position, tenant uniquement au point de l'univers occupé par notre monde. La seule analogie est ici évidemment insuffisante, car elle pourrait bien n'être due qu'à l'impuissance de nos explorations. Quel astronome oserait maintenant garantir que, si les télescopes étaient susceptibles d'être un jour suffisamment perfectionnés, nous ne parviendrions pas à distinguer, entre les étoiles que leur distance nous porte le plus à classer aujourd'hui comme indépendantes, une multitude d'intermédiaires très resserrés, qui rendraient le cas de la dualité presque général? Le voisinage apparent serait-il alors un motif suffisant de présumer toujours une circulation mutuelle, dont la pensée ne nous est suggérée actuellement par analogie, qu'en vertu de l'extrême singularité d'une telle circonstance, qui cesserait ainsi d'être exceptionnelle? On ne doit donc reconnaître jusqu'ici, en astronomie sidérale, d'autre étude réellement positive que celle des mouvemens relatifs bien connus de certaines étoiles doubles, dont le nombre ne s'élève encore qu'à sept ou huit. On ne saurait d'ailleurs espérer d'introduire jamais, dans la détermination géométrique de la vraie figure des orbites correspondantes, une certitude à beaucoup près comparable à celle qu'admet la connaissance précise de nos orbites planétaires; puisque les rayons vecteurs apparens sont tellement petits que l'erreur de ces mesures délicates s'élève peut-être ordinairement au quart ou au tiers de leur valeur totale. Il en est de même à l'égard des temps périodiques, quand ils n'ont pas pu être directement observés, ce qui est jusqu'à présent le cas habituel. On concevrait surtout bien difficilement, comme je l'ai indiqué ailleurs, que ces études pussent jamais acquérir assez d'exactitude pour fournir une base suffisamment solide à des conclusions dynamiques vraiment irrécusables; de manière à démontrer, par exemple, l'extension effective de la théorie de la gravitation à l'action mutuelle des deux élémens d'une étoile double, ce qui serait d'ailleurs très loin de constater la rigoureuse universalité de cette théorie. L'importance générale de ces recherches est en outre beaucoup diminuée par cette réflexion que jusqu'ici notre monde, dès lors envisagé comme essentiellement réduit au soleil, n'appartient à aucun de ces groupes, non-seulement étudiés, mais simplement signalés. Cette circonstance remarquable ne me semble nullement fortuite; car si notre monde fait effectivement partie de quelque étoile double, comme rien n'empêche de l'imaginer, il nous sera probablement toujours impossible d'apercevoir réellement, à côté du soleil, l'étoile qui constituerait le second élément de ce petit système, et dont la direction devrait être si rapprochée que sa lumière se perdrait nécessairement dans la lumière solaire. Un tel cas, néanmoins, pourrait seul avoir pour nous un puissant intérêt scientifique, non-seulement comme utile à la connaissance des déplacemens de notre monde, mais encore comme comportant naturellement une étude beaucoup plus précise, par cela même que l'observateur serait alors situé sur l'un des astres du couple stellaire.

Les sept orbites d'étoiles doubles établies jusqu'ici, et dont la première est due aux travaux de M. Savary, présentent en général des excentricités très considérables, dont la moindre est presque double, et la plus grande quadruple de la plus forte qui existe dans nos ellipses planétaires. Quant à leurs temps périodiques, le plus court excède un peu quarante ans, et le plus long six cents. Du reste, l'excentricité et la durée de la révolution ne paraissent avoir entre elles aucune relation fixe; et ni l'une ni l'autre ne semblent d'ailleurs dépendre de la distance angulaire plus ou moins grande des deux élémens des couples correspondans. Tel est en général le résumé exact, quoique succinct, des seules connaissances réelles que nous possédions encore à cet égard.

Tant que les distances linéaires de ces astres à la terre, et par suite entre eux, resteront ignorées, ces notions ne sauraient avoir une grande importance, ni peut-être même une solidité suffisante. Si ces distances pouvaient être un jour bien connues, on évaluerait aisément les masses des couples correspondans, en supposant que la loi de la gravitation leur fût légitimement applicable. Il suffirait, pour cela, d'employer une méthode essentiellement analogue aux deux dernières de celles indiquées dans la vingt-cinquième leçon à l'égard des masses planétaires. La quantité, dès lors déterminée, dont l'étoile secondaire tend à tomber, en un temps donné, vers l'étoile principale, étant comparée à la chute des corps à la surface de la terre, préalablement ramenée à la même distance, suivant la loi ordinaire, fournirait immédiatement en effet la valeur du rapport entre la masse du couple et celle de la terre. Mais, la répartition de cette masse totale entre ses deux élémens resterait évidemment encore incertaine, puisqu'il est très possible qu'elle doive s'opérer d'une manière beaucoup moins inégale qu'entre nos planètes et leurs satellites. Cette dernière considération fait d'ailleurs rejaillir sur l'ensemble d'une telle étude un nouveau motif fondamental d'incertitude. Car, si les masses des deux élémens de chaque couple stellaire différaient réellement assez peu, comparativement à leur distance et à leur grandeur, pour que le centre de gravité du système s'écartât sensiblement de l'astre principal (ce que nous ignorons encore entièrement), c'est à ce centre inconnu qu'il faudrait nécessairement rapporter les mouvemens observés; et, dès lors, quelle exacte conclusion dynamique pourrait-on tirer des orbites elliptiques autour de l'astre majeur comme foyer, en les supposant même irrécusablement constatées?

Il me reste à caractériser à ce sujet l'ingénieuse méthode si heureusement imaginée par M. Savary, d'après laquelle on parviendra peut-être un jour à déterminer effectivement, du moins entre certaines limites, les distances de quelques étoiles doubles à la terre ou au soleil. Cette méthode constitue réellement jusqu'ici la seule conception scientifique qui soit propre à l'astronomie sidérale. Elle a le mérite capital d'être essentiellement indépendante de toute hypothèse hasardée sur la forme rigoureuse des orbites stellaires et sur l'extension de la théorie de la gravitation. Il lui suffit, en réalité, que ces courbes soient symétriques, relativement à leur plus long diamètre, et que l'astre mineur y circule avec la même vitesse aux deux points également distans de l'astre majeur, ce qui est certainement très admissible.

Ce procédé est fondé, comme la théorie générale de l'aberration, sur la durée de la propagation de la lumière, dont nous savons, d'après la vingt-deuxième leçon, que la vitesse est exactement connue. Seulement, tandis que, dans l'aberration ordinaire, il s'agit d'une erreur de lieu, on considère ici une erreur de temps.

Concevons une orbite stellaire dont le petit axe soit situé perpendiculairement au rayon visuel mené du soleil ou de la terre, qui peuvent ici être confondus. S'il en était de même du grand axe, et, par suite, du plan de l'orbite, les deux moitiés de la révolution, que l'astre mineur accomplit réellement toujours en des temps exactement égaux, devraient encore nous paraître évidemment d'égale durée, quelque lente que pût être, à chaque position, la transmission de la lumière. Mais, il ne peut plus en être ainsi, quand le plan de l'orbite est fortement incliné vers le rayon visuel, sans que toutefois il doive le contenir, ce qui rendrait impossible l'observation fondamentale. Dans ce cas, la durée de la demi-révolution, correspondante à la moitié de la courbe où l'astre se dirige vers nous, devra nous sembler moindre qu'elle n'est en réalité, et celle relative à la moitié où il s'en éloigne de plus en plus, paraîtra au contraire augmentée, en vertu de la différence des temps que la lumière doit employer à nous parvenir des deux points de l'orbite les plus inégalement distans de la terre. Ainsi, quoique le temps périodique total ne doive être nullement altéré, les deux moitiés de la révolution n'auront donc pas exactement la même durée apparente, et, si leur inégalité peut être bien observée, elle fera immédiatement connaître, d'après la vitesse effective de la lumière, la vraie différence entre les distances de la terre aux deux points extrêmes de l'orbite. Dès lors, cette différence deviendra évidemment une base géométrique suffisante pour estimer, avec une approximation correspondante, les dimensions linéaires de l'orbite, et sa véritable distance à la terre, son inclinaison et son étendue angulaire étant d'ailleurs préalablement données 17. Tout se réduit donc à constater une inégalité appréciable entre les durées des deux demi-révolutions. Mais il est indispensable que cette appréciation s'opère d'après l'observation effective d'une révolution entière, afin que son exactitude ne dépende d'aucune hypothèse sur la nature géométrique de l'orbite stellaire, et sur la loi relative à la vitesse avec laquelle l'astre la parcourt.

Note 17: (retour) M. Arago a très nettement expliqué cette ingénieuse méthode dans sa notice sur les étoiles doubles, annexée à l'Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1834.

Tel est ce procédé, dont l'esprit est éminemment approprié à l'immensité des distances qu'on s'y propose d'estimer, et qui serait au contraire évidemment illusoire envers nos petites orbites planétaires. Jusqu'à ce que l'expérience ait prononcé, nous ignorerons nécessairement si les rayons des orbites stellaires sont en réalité assez considérables par rapport à leur éloignement, pour que nous puissions apercevoir quelque différence très sensible entre les deux parties du temps périodique. En le supposant, à l'égard d'orbites convenablement situées, il est d'ailleurs évident que l'incertitude inséparable d'observations aussi délicates, et l'extrême lenteur des révolutions, ne permettront un jour de connaître cette différence qu'entre certaines limites plus ou moins écartées. Or, indépendamment du peu de précision que comporte la mesure effective des autres élémens du calcul, chaque seconde d'erreur sur ce temps, qui n'est probablement susceptible d'être jamais apprécié qu'à plusieurs jours près, tend à introduire une erreur d'au moins 32000 myriamètres dans l'évaluation de la distance cherchée. Aussi l'inventeur de cette méthode l'a-t-il toujours présentée comme seulement propre à déterminer un maximum et un minimum, peut-être fort écartés, relativement à notre éloignement effectif des couples stellaires auxquels elle pourra devenir applicable. Quelle que soit son imperfection nécessaire, elle n'en doit pas moins inspirer un profond intérêt, par l'espoir qu'elle nous donne d'obtenir plus tard, à l'aide d'un détour très ingénieux, quelque approximation certaine à l'égard de plusieurs de ces distances qui ne comportent encore qu'une grossière limite inférieure, commune à l'ensemble des astres innombrables que le ciel nous présente.

Cette discussion philosophique de la seule portion de l'astronomie sidérale qui semble présenter aujourd'hui quelque consistance scientifique, est sans doute très propre à confirmer directement le principe général que je me suis efforcé d'établir sous divers rapports dans plusieurs leçons précédentes, sur la restriction essentielle et nécessaire de nos véritables recherches célestes à l'étude approfondie des phénomènes intérieurs de notre monde. On voit combien deviennent bornées et incertaines nos connaissances réelles, même dans les plus simples questions, aussitôt que nous tentons de franchir ces limites naturelles, quoique nous restions encore très loin de la vraie considération de l'univers. L'étude indiquée ci-dessus, et qui est toute récente, devra sans doute faire dans la suite des siècles quelques progrès notables; mais les causes évidentes de son imperfection sont trop fondamentales, pour qu'on puisse espérer qu'elle présente jamais un caractère scientifique aucunement comparable à celui de notre astronomie solaire.

Je dois maintenant procéder à l'examen général de ce qui comporte un certain caractère de positivité dans les hypothèses cosmogoniques. Il serait sans doute superflu d'établir spécialement à cet égard ce préliminaire indispensable, que toute idée de création proprement dite doit être ici radicalement écartée, comme étant par sa nature entièrement insaisissable, et que la seule recherche raisonnable, si elle est réellement accessible, doit concerner uniquement les transformations successives du ciel, en se bornant même, au moins d'abord, à celle qui a pu produire immédiatement son état actuel. Ces considérations préalables sont trop évidentes pour qu'il convienne de les expliquer davantage aux lecteurs de cet ouvrage.

La question réelle consiste donc à décider si l'état présent du ciel offre quelques indices appréciables d'un état antérieur plus simple, dont le caractère général soit susceptible d'être déterminé. À cet égard, la séparation fondamentale que je me suis tant occupé de constituer solidement entre l'étude essentiellement inaccessible de l'univers et l'étude nécessairement très positive de notre monde, introduit naturellement une distinction profonde, qui restreint beaucoup le champ des recherches effectives. On conçoit, en effet, que nous puissions conjecturer, avec quelque espoir de succès, sur la formation du système solaire dont nous faisons partie, car il nous présente de nombreux phénomènes, parfaitement connus, susceptibles peut-être de porter un témoignage décisif de sa véritable origine immédiate. Mais, quelle pourrait-être, au contraire, la base rationnelle de nos conjectures sur la formation des soleils eux-mêmes? Comment confirmer ou infirmer à ce sujet, d'après les phénomènes, aucune hypothèse cosmogonique, lorsqu'il n'existe vraiment en ce genre aucun phénomène exploré, ni même sans doute explorable? Quelque intérêt philosophique que doive inspirer la curieuse suite d'observations d'Herschell sur la condensation progressive des nébuleuses, d'où il a induit leur transformation nécessaire en étoiles, ces faits ne sauraient évidemment autoriser une semblable conclusion. Pour qu'elle comportât une vraie solidité, il faudrait qu'on pût déduire d'un tel principe quelques conséquences relatives aux formes ou aux mouvemens, qui se trouvassent en harmonie avec des phénomènes bien constatés. Or, cela serait-il possible, quand ces phénomènes cosmiques eux-mêmes nous manquent entièrement! En un mot, notre monde étant, dans l'ensemble du ciel, le seul connu, sa formation est tout au plus la seule que nous puissions raisonnablement chercher. Les autres origines célestes rentrent nécessairement, du moins jusqu'ici, dans le vague domaine de l'imagination pure, affranchie de toute condition scientifique. Si, pour la plupart des intelligences actuelles, cette extrême restriction doit naturellement diminuer beaucoup l'intérêt d'une telle recherche, elle tend directement, au contraire, à recommander auprès de tous les bons esprits une étude dont ils peuvent maintenant entrevoir la positivité, tandis que la confusion habituelle des idées à cet égard ne leur laisse apercevoir d'autre perspective que la vraie succession d'une suite indéfinie de conceptions essentiellement arbitraires, propres à leur inspirer une juste et profonde répugnance. Nous savons d'ailleurs, avec une pleine certitude, par l'ensemble des études astronomiques, que les phénomènes intérieurs de notre monde s'accomplissent constamment sans dépendre en aucune manière des phénomènes vraiment cosmiques; en sorte qu'il est rationnel de conjecturer sur la formation de notre système planétaire, abstraction faite de toute enquête sur celle des soleils eux-mêmes. Enfin, la marche que je caractérise ici n'est, à vrai dire, qu'un prolongement naturel de la direction spontanée déjà suivie, sous un rapport analogue, par le développement régulier de la véritable astronomie. Car on doit reconnaître, ce me semble, que la cosmogonie positive a réellement commencé quand les géomètres, d'après la théorie mathématique de la figure des planètes, ont démontré leur fluidité primitive. Après avoir ainsi constaté l'état antérieur de chacune d'elles envisagée séparément, il est naturel de remonter maintenant à l'origine du système planétaire, en vertu de sa constitution actuelle, avec un soleil tout formé; et, plus tard, si l'on pouvait jamais parvenir à connaître réellement quelques lois cosmiques, on s'élèverait jusqu'aux formations solaires, de toutes les plus éloignées des données immédiates. Tel est, sans doute, le seul plan rationnel qui pût nous conduire à la construction graduelle d'une genèse positive, si elle était vraiment possible.

Nous devons donc réduire la cosmogonie réelle à l'étude de la formation de notre monde, en regardant le soleil comme donné, et même comme animé d'un mouvement uniforme de rotation autour de son axe actuel, avec une vitesse indéterminée. Il s'agit uniquement de rattacher à cette donnée fondamentale la constitution effective de notre système planétaire, telle que nous la connaissons exactement aujourd'hui. Le problème est assez large pour que sa solution certaine et précise surpasse vraisemblablement beaucoup la portée réelle de notre intelligence. Nos conjectures sur une telle origine doivent d'ailleurs être évidemment assujetties à cette indispensable condition de n'y faire intervenir d'autres agens naturels que ceux dont nous apercevons clairement l'influence dans nos phénomènes habituels, et qui seulement auraient alors opéré sur une plus grande échelle. Sans cette règle, ce travail ne saurait avoir aucun caractère vraiment scientifique, et l'on tomberait dans l'inconvénient, si justement reproché à la plupart des hypothèses géologiques, d'avoir introduit, pour expliquer les anciennes révolutions du globe, des agens qui ne subsistent plus aujourd'hui, et dont, par cela même, il nous est impossible de vérifier ou seulement de comprendre l'influence.

Quoique ainsi restreintes à un sujet bien circonscrit, dont toutes les circonstances caractéristiques sont parfaitement connues, les théories cosmogoniques n'en restent pas moins, par leur nature, essentiellement conjecturales, quelque plausibles qu'elles puissent devenir. Car, il ne peut en être ici comme dans l'établissement de la mécanique céleste, où, de l'étude géométrique des mouvemens planétaires, on a pu remonter, avec une entière certitude, à leur conception dynamique, d'après les lois générales du mouvement, qui indiquaient exactement tel mécanisme, en donnant à tout autre une exclusion nécessaire. Nous ne saurions avoir aucune théorie abstraite des formations, analogue à celle des mouvemens, qui puisse nous conduire mathématiquement à assigner telle formation déterminée comme effectivement correspondante à telle disposition effective. Toutes nos tentatives à cet égard ne peuvent consister qu'à construire, d'après les renseignemens généraux, des hypothèses cosmogoniques plus ou moins vraisemblables, pour les comparer ensuite, le plus exactement possible, à l'ensemble des phénomènes bien explorés. Quelque consistance que ces hypothèses soient susceptibles d'acquérir par un tel contrôle, elles ne sauraient jamais, faute de ce critérium indispensable, être élevées, comme l'a été si justement la loi de la gravitation, au rang des faits généraux. Car, on serait toujours autorisé à penser qu'une hypothèse nouvelle conviendrait peut-être aussi bien aux mêmes phénomènes, en permettant de plus d'en expliquer d'autres, à moins qu'on ne parvînt un jour à représenter exactement toutes les circonstances caractéristiques, même numériquement envisagées, ce qui, en ce genre, est évidemment chimérique.

J'ai cru devoir insister ici sur la vraie nature des seules recherches cosmogoniques qui puissent avoir quelque efficacité, parce que la plupart des esprits éclairés me semblent encore bien éloignés de sentir suffisamment, à cet égard, toutes les exigences spéciales de la saine philosophie. Passons maintenant, sans autre préambule, à l'examen général de la théorie cosmogonique de Laplace, incomparablement la plus plausible de toutes celles qui ont été proposées jusqu'ici, et susceptible, à mon avis, d'une vérification mathématique, dont son illustre auteur n'avait pas conçu l'espérance. Elle a le mérite capital, conformément à la règle posée ci-dessus, de faire opérer la formation de notre monde par les agens les plus simples que nous présente sans cesse l'ensemble de nos études naturelles, la pesanteur et la chaleur, les deux seuls principes d'action qui soient rigoureusement généraux.

L'hypothèse cosmogonique de Laplace a pour but d'expliquer les circonstances générales qui caractérisent la constitution de notre système solaire, savoir: l'identité de la direction de toutes les circulations planétaires d'occident en orient; celle non moins remarquable que présentent aussi les rotations; les mêmes phénomènes envers les satellites; la faible excentricité de toutes les orbites; et, enfin, le peu d'écartement de leurs plans, comparés surtout à celui de l'équateur solaire. Je ne considère point ici les comètes, parce que je préfère adopter à leur égard l'opinion de Lagrange, indiquée au commencement de la leçon précédente. L'idée de Laplace, qui les envisage comme des astres essentiellement étrangers à notre monde, me semble peu rationnelle et radicalement contraire au principe si bien établi de l'entière indépendance des phénomènes intérieurs de notre système envers les phénomènes vraiment sidéraux.

Avant d'examiner la conception fondamentale de Laplace au sujet de l'interprétation cosmogonique des divers caractères généraux que je viens de rappeler, je ne puis m'empêcher de témoigner ici combien tous les bons esprits, étrangers aux préjugés mathématiques, ont dû trouver puérile et déplacée la singulière application du calcul des chances, indiquée d'abord par Daniel Bernouilli, et péniblement complétée ensuite par Laplace lui-même, pour évaluer la probabilité que ces phénomènes ont réellement une cause, comme si notre intelligence avait besoin d'attendre une telle autorisation arithmétique, avant d'entreprendre légitimement d'expliquer un phénomène quelconque bien constaté, lorsqu'elle en aperçoit la possibilité 18.

Note 18: (retour) Depuis la publication du premier volume de cet ouvrage, plusieurs bons esprits m'ayant demandé pourquoi, en y traitant de la philosophie mathématique, je n'avais nullement considéré l'analyse des probabilités, je crois devoir indiquer ici sommairement, mais avec franchise, mon principal motif à ce sujet.

Le caractère général de cet ouvrage est essentiellement dogmatique: la critique ne peut y être admise que d'une manière accessoire. Il m'eût paru dès lors peu convenable d'y envisager la théorie générale des probabilités, au sujet de laquelle je n'avais à porter qu'un jugement négatif, qui, par son développement nécessaire, aurait formé sans doute une disparate choquante.

Le calcul des probabilités ne me semble avoir été réellement, pour ses illustres inventeurs, qu'un texte commode à d'ingénieux et difficiles problèmes numériques, qui n'en conservent pas moins toute leur valeur abstraite, comme les théories analytiques dont il a été ensuite l'occasion, ou, si l'on veut, l'origine. Quant à la conception philosophique sur laquelle repose une telle doctrine, je la crois radicalement fausse et susceptible de conduire aux plus absurdes conséquences. Je ne parle pas seulement de l'application évidemment illusoire qu'on a souvent tenté d'en faire un prétendu perfectionnement des sciences sociales: ces essais, nécessairement chimériques, seront caractérisés dans la dernière partie de cet ouvrage. C'est la notion fondamentale de la probabilité évaluée, qui me semble directement irrationnelle et même sophistique: je la regarde comme essentiellement impropre à régler notre conduite en aucun cas, si ce n'est tout au plus dans les jeux de hasard. Elle nous amènerait habituellement, dans la pratique, à rejeter, comme numériquement invraisemblables, des événemens qui vont pourtant s'accomplir. On s'y propose le problème insoluble de suppléer à la suspension de jugement, si nécessaire en tant d'occasions. Les applications utiles qui semblent lui être dues, le simple bon sens, dont cette doctrine a souvent faussé les aperçus, les avait toujours clairement indiquées d'avance.

Quoique ces assertions soient purement négatives, je reconnais aujourd'hui qu'elles ont trop d'utilité pratique pour que je ne doive pas consacrer à cette discussion une leçon spéciale dans ma Philosophie mathématique, si jamais cet ouvrage comporte une seconde édition.

La cosmogonie de Laplace consiste, comme on sait, à former les planètes par la condensation graduelle de l'atmosphère solaire, supposée primitivement étendue, en vertu d'une extrême chaleur, jusqu'aux limites de notre monde, et successivement contractée par le refroidissement. Elle repose sur deux considérations mathématiques incontestables. La première concerne la relation nécessaire qui existe, d'après la théorie fondamentale des rotations, et spécialement d'après le théorème général des aires, entre les dilatations ou contractions successives d'un corps quelconque (y compris son atmosphère, qui en est inséparable), et la durée de sa rotation, qui doit s'accélérer quand les dimensions diminuent, ou devenir plus lente lorsqu'elles augmentent, afin que les variations angulaires et linéaires, que la somme des aires tend à éprouver, soient exactement compensées. La seconde considération est relative à la liaison, non moins évidente, de la vitesse angulaire de rotation du soleil à l'extension possible de son atmosphère, dont la limite mathématique est inévitablement à la distance où la force centrifuge, due à cette rotation, devient égale à la gravité correspondante: en sorte que si, par une cause quelconque, une partie de cette atmosphère venait à se trouver placée au-delà d'une telle limite, elle cesserait aussitôt d'appartenir réellement au soleil, quoiqu'elle dût continuer à circuler autour de lui avec la vitesse convenable au moment de la séparation, mais sans pouvoir dès lors participer davantage aux modifications ultérieures qui surviendraient dans la rotation solaire par le progrès du refroidissement.

On conçoit aisément, d'après cela, comment la limite mathématique de l'atmosphère du soleil a dû diminuer sans cesse, pour les parties situées à l'équateur solaire, à mesure que le refroidissement a rendu la rotation plus rapide. Dès lors, cette atmosphère a dû successivement abandonner, dans le plan de cet équateur, diverses zones gazeuses, situées un peu au-delà des limites correspondantes; ce qui constituerait le premier état de nos planètes. Le même mode de formation s'appliquerait évidemment aux différens satellites, par les atmosphères de leurs planètes respectives.

Nos astres, étant ainsi une fois détachés de la masse solaire, ont pu ensuite devenir liquides et finalement solides, par le progrès continu de leur propre refroidissement, sans être affectés des nouvelles variations que l'atmosphère et la rotation du soleil ont pu éprouver. Mais l'irrégularité de ce refroidissement et l'inégale densité des diverses parties de chaque astre ont dû naturellement, pendant ces transformations, changer presque toujours la forme annulaire primitive, qui n'aurait subsisté sans altération que dans le seul cas des singuliers satellites dont Saturne est immédiatement entouré. Le plus souvent, la prépondérance d'une portion de la zone gazeuse a dû réunir graduellement, par voie d'absorption, autour de ce noyau, la masse entière de l'anneau; et l'astre a pris ainsi une figure sphéroïdique, avec un mouvement de rotation dirigé dans le même sens que la translation, à cause de l'excès de vitesse nécessaire des molécules supérieures à l'égard des inférieures.

Les caractères généraux de notre monde, tels que je les ai mentionnés ci-dessus, sont évidemment en parfaite harmonie avec cette théorie cosmogonique. La direction identique de tous les mouvemens, tant de rotation que de translation, en dérive immédiatement. Quant à la forme et à la position des orbites, elles seraient, d'après une telle cosmogonie, parfaitement circulaires et dans le plan de l'équateur solaire, si le refroidissement et la condensation avaient pu s'accomplir avec une entière régularité. Mais les variations, nécessairement irrégulières, qu'ont dû éprouver les différentes parties de chaque masse, dans leur température et dans leur densité, ont pu produire, comme le remarque justement Laplace, les faibles excentricités et les légères déviations que nous observons. On voit, en outre, que cette hypothèse explique immédiatement cette impulsion primitive propre à chaque astre de notre monde, qui embarrassait jusqu'ici la conception fondamentale des mouvemens célestes, et dont désormais la seule rotation du soleil peut rendre uniformément raison de la manière la plus naturelle. Enfin, il en résulte évidemment, quoique personne ne l'ait encore remarqué, que la formation des diverses parties de notre système a été, de toute nécessité, successive; les planètes étant d'autant plus anciennes qu'elles sont plus éloignées du soleil, et la même loi s'observant, dans chacune d'elles, à l'égard de ses différens satellites, qui, tous, sont d'ailleurs plus modernes que les planètes correspondantes. Peut-être même, comme je l'indiquerai bientôt, pourra-t-on parvenir, dans la suite, à perfectionner cet ordre chronologique au point d'assigner, entre certaines limites, le nombre de siècles écoulés depuis chaque formation.

Pour donner à cette cosmogonie une véritable consistance mathématique, j'ai tenté d'y découvrir un aspect d'après lequel elle comportât quelque vérification numérique, critérium indispensable de toute hypothèse relative à des phénomènes astronomiques 19. Il s'agissait donc de trouver, dans les valeurs actuelles et bien connues de nos élémens astronomiques, une classe de nombres qui fût suffisamment en harmonie avec les conséquences nécessaires d'un tel mode de formation. J'ai d'abord senti que je devais les chercher seulement parmi les élémens qui ne sont point sensiblement altérés par les perturbations proprement dites, les autres étant nécessairement impropres à témoigner, sans équivoque, de l'état primitif. Enfin, il était indispensable de se borner, du moins en premier lieu, à la considération des mouvemens de translation, comme beaucoup plus susceptibles d'être exactement analysés, d'après la nature de l'hypothèse, que les rotations, qui sont d'ailleurs encore si mal connues en plusieurs cas.

Note 19: (retour) Les résultats que je vais indiquer ont été annoncés, pour la première fois, en août 1831, dans le cours public d'astronomie que je fais gratuitement, depuis quatre ans, pour les ouvriers de Paris, à la municipalité du 3e arrondissement. J'ai lu récemment, sur ce sujet, à l'Académie des sciences, en janvier 1835, un premier mémoire spécial.

Le principe fondamental de cette importante vérification, consiste en ce que, suivant la cosmogonie proposée, le temps périodique de chaque astre produit a dû être nécessairement égal à la durée de la rotation de l'astre producteur à l'époque où son atmosphère pouvait s'étendre jusque-là. On fait ainsi porter naturellement la discussion sur les deux élémens astronomiques les mieux connus, et les moins affectés par les perturbations, les moyennes distances et les durées des révolutions sidérales. La question consistait donc à déterminer directement quelle pouvait être la durée de la rotation du soleil quand la limite mathématique de son atmosphère s'étendait jusqu'à telle ou telle planète, pour examiner si, en effet, on la trouverait sensiblement égale au temps périodique correspondant: et, pareillement, à l'égard de chaque planète comparée à ses satellites.

Au premier abord, cette détermination semble exiger l'évaluation relative des variations successives du moment d'inertie du soleil, auquel la vitesse angulaire de sa rotation a dû être toujours inversement proportionnelle; ce qui jetterait dans des calculs peut-être inextricables, et d'ailleurs nécessairement illusoires, en vertu de notre profonde ignorance sur la loi mathématique de la densité des couches intérieures de ce corps et de son atmosphère, qu'on ne pourrait alors se dispenser de prendre en considération. C'est probablement par ce motif que Laplace aura renoncé à une telle vérification de sa cosmogonie, s'il en a réellement conçu la pensée. Mais un autre point de vue du sujet m'a permis, d'après les théorèmes élémentaires d'Huyghens sur la mesure des forces centrifuges, combinés avec la loi de la gravitation, de former, sans aucune difficulté, une équation fondamentale très simple entre la durée de la rotation de l'astre producteur et la distance de l'astre produit, jusque auquel s'étendait la limite mathématique correspondante de son atmosphère. Les constantes de cette équation sont d'ailleurs bien connues, puisqu'elles consistent uniquement dans le rayon de l'astre central, et l'intensité de la pesanteur à sa surface, qui est une conséquence directe de sa masse.

Cette équation conduit d'abord immédiatement à la troisième grande loi de Képler sur l'harmonie des diverses révolutions, qui devient ainsi susceptible d'être conçue à priori sous le point de vue cosmogonique, outre son interprétation dynamique. En même temps, cette harmonie fondamentale me semble par là être complétée: car, la loi de Képler expliquait bien pourquoi, étant donnés séparément le temps périodique et la moyenne distance d'un seul astre, tel autre quelconque circulait inévitablement, d'après sa position, en tel temps; mais elle n'établissait aucune relation nécessaire entre la situation et la vitesse de chaque corps envisagé isolément, ce qui était surtout manifeste dans le cas d'une seule circulation, réalisé pour le système secondaire formé par la terre et la lune. Notre principe tend, en un mot, à constater une loi générale entre les diverses vitesses initiales, traitées jusqu'ici, en mécanique céleste, comme essentiellement arbitraires. Il est d'ailleurs évident que ce rapprochement abrège beaucoup les calculs numériques qu'exige, par sa nature, la vérification proposée, puisqu'il suffit dès lors, dans chaque système de circulation, de l'avoir effectuée à l'égard d'un seul astre, pour qu'on doive aussitôt, en vertu de la loi de Képler, l'étendre à tous les autres.

La première comparaison de ce genre, qui m'ait vivement frappé, se rapporte à la lune; car on trouve alors que son temps périodique actuel s'accorde, à moins d'un dixième de jour près, avec la durée que devait avoir la rotation terrestre à l'époque où la distance lunaire formait la limite mathématique de notre atmosphère. La coïncidence est moins exacte, mais cependant très frappante, dans tous les autres cas. À l'égard des planètes, on obtient ainsi, pour la durée des rotations solaires correspondantes, une valeur toujours un peu moindre que celle de leurs temps périodiques effectifs. Il est remarquable que cet écart, quoique croissant à mesure que l'on considère une planète plus lointaine, conserve néanmoins, à très peu près, le même rapport avec le temps périodique correspondant, dont il forme ordinairement 1/45. Le défaut se change en excès dans les divers systèmes de satellites, où il est proportionnellement plus grand qu'envers les planètes, et d'ailleurs inégal d'un système à l'autre.

Par l'ensemble de ces comparaisons, je suis donc conduit à ce résultat général: en supposant la limite mathématique de l'atmosphère solaire successivement étendue jusqu'aux régions où se trouvent maintenant les diverses planètes, la durée de la rotation du soleil était, à chacune de ces époques, sensiblement égale à celle de la révolution sidérale actuelle de la planète correspondante; et de même, pour chaque atmosphère planétaire à l'égard de tous les divers satellites respectifs. Sans doute, s'il s'agissait de l'astronomie ordinaire, relative à un monde déjà bien formé, et parvenu même à cet état de consistance qui ne comporte plus que de lentes et très petites oscillations produites par les perturbations proprement dites, la coïncidence numérique indiquée ci-dessus serait loin de devoir être regardée comme assez complète. Mais, au contraire, pour remonter à un état céleste aussi antique, et surtout aussi profondément distinct de celui que nous observons, il serait évidemment déraisonnable d'exiger le même degré de précision. Dans une recherche de cette nature, on doit être, ce me semble, bien plus frappé de cet accord approximatif que du défaut d'accord parfait. Néanmoins, d'après les considérations philosophiques précédemment établies, je suis loin de regarder une telle vérification comme une vraie démonstration mathématique de la cosmogonie proposée: car, ce sujet n'en comporte pas. Ce qui pourrait maintenant donner le plus de force à cette théorie, ce serait d'en déduire quelque loi réelle encore inconnue, comme, par exemple, ainsi que j'en ai l'espérance, d'en tirer une analogie relative aux diverses rotations planétaires, qui semblent jusqu'ici tout-à-fait incohérentes, et parmi lesquelles doit, pourtant, régner, sans doute, un certain ordre caché. Mais, cette première vérification suffit pour donner immédiatement à l'hypothèse cosmogonique de Laplace une consistance scientifique qui lui manquait encore, et qui peut attirer désormais sur une telle étude l'attention des esprits philosophiques.

En considérant, sous un autre point de vue, ces légères différences entre les temps périodiques indiqués par notre principe et ceux qui ont effectivement lieu, on peut même y entrevoir une base d'après laquelle on pourrait tenter un jour de remonter, avec une certaine approximation, aux époques des diverses formations successives. Si les temps périodiques n'avaient souffert aucune altération, une telle chronologie n'aurait, au contraire, aucun fondement. L'augmentation d'environ huit jours, par exemple, qu'a dû éprouver, d'après cette cosmogonie, notre année sidérale, depuis la séparation de la terre, permettrait de fixer, entre des limites plus ou moins écartées, la date de cet événement, si l'influence des diverses causes perturbatrices qui ont pu produire cette modification pouvait être jamais suffisamment connue. Cette considération semble d'autant plus rationnelle que l'écart s'accroît à mesure qu'il se rapporte à une planète plus ancienne. Mais les difficultés mathématiques transcendantes propres à une telle question, nous interdiront peut-être toujours d'effectuer, même grossièrement, une semblable détermination, quand même cette cosmogonie viendrait à être suffisamment constatée.

Une dernière conséquence générale de l'hypothèse cosmogonique proposée, consiste à établir, d'après la formule fondamentale indiquée ci-dessus, que la formation de notre monde est maintenant aussi complète qu'elle puisse l'être pendant la durée totale qu'il comporte. Il suffit, pour cela, de reconnaître, comme on le peut aisément dans tous les cas, que l'étendue effective de chaque atmosphère est actuellement inférieure à la limite mathématique qui résulte de la rotation correspondante, ce qui montre aussitôt l'impossibilité d'aucune formation nouvelle.

Ainsi, l'état de notre monde serait, depuis un temps plus ou moins long, qui sera peut-être un jour grossièrement assignable, aussi stable sous le rapport cosmogonique que sous le rapport mécanique. Ni l'une ni l'autre stabilité ne doivent d'ailleurs, d'après la leçon précédente, être envisagées comme absolues, quoique leur incontestable durée puisse amplement suffire aux exigences les plus exagérées de la prévoyance humaine, relativement aux destinées réelles de notre espèce. Nous savons, en effet, que par la seule résistance continue du milieu général, notre monde doit, à la longue, se réunir inévitablement à la masse solaire d'où il est émané, jusqu'à ce qu'une nouvelle dilatation de cette masse vienne, dans l'immensité des temps futurs, organiser, de la même manière, un monde nouveau, destiné à fournir une carrière analogue. Toutes ces immenses alternatives de destruction et de renouvellement doivent s'accomplir d'ailleurs sans influer en rien sur les phénomènes les plus généraux, dus à l'action mutuelle des soleils: en sorte que ces grandes révolutions de notre monde, à la pensée desquelles il semble à peine que nous puissions nous élever, ne seraient cependant que des événemens secondaires, et pour ainsi dire locaux, par rapport aux transformations vraiment universelles. Il n'est pas moins remarquable que l'histoire naturelle de notre monde soit, à son tour, aussi certainement indépendante des changemens les plus profonds que puisse éprouver tout le reste de l'univers; à tel point que, fréquemment peut-être, des systèmes entiers se développent ou se condensent dans d'autres régions de l'espace, sans que notre attention soit aucunement attirée vers ces immenses événemens.

L'ensemble des neuf leçons contenues jusqu'ici dans ce volume, me paraît constituer une exposition complète de la philosophie astronomique, envisagée sous tous ses divers aspects essentiels. Mon but principal sera atteint, si j'ai fait nettement ressortir, quant à la méthode et quant à la doctrine, le vrai caractère général de cette admirable science, fondement immédiat de la philosophie naturelle tout entière. Je me suis efforcé de caractériser exactement la marche d'après laquelle l'esprit humain, en s'y restreignant, avec une persévérante sagesse, aux recherches géométriques et mécaniques, les seules conformes à la nature du sujet, a pu graduellement, à l'aide de l'instrument mathématique incessamment perfectionné, parvenir à y introduire une précision et une rationnalité si supérieures à celles que puisse jamais comporter aucune autre branche de nos connaissances réelles, de manière à représenter enfin tous les nombreux phénomènes de notre monde, numériquement appréciés, comme les différentes faces d'un même fait général, rigoureusement défini, et continuellement reproduit sous nos yeux, dans les phénomènes terrestres les plus communs: en sorte que le but final de toutes nos études positives, la juste prévision des événemens, ait pu y être atteint aussi complètement qu'on doive le désirer, tant pour l'étendue que pour la certitude de cette prévoyance. J'ai dû aussi m'attacher soigneusement à indiquer, sous les divers rapports principaux, l'influence fondamentale propre à la science céleste, pour contribuer à affranchir irrévocablement la raison humaine de toute tutelle théologique ou métaphysique, en montrant les phénomènes les plus généraux comme exactement assujettis à des relations invariables et ne dépendant d'aucune volonté, en représentant l'ordre du ciel comme nécessaire et spontané. Quoique la considération spéciale et directe de cette action philosophique appartienne, d'ailleurs, naturellement à la dernière partie de cet ouvrage, il importait de manifester ici, en général, cet enchaînement inévitable d'après lequel l'ensemble du développement de l'astronomie nous a graduellement conduits à substituer désormais, à l'idée chimérique d'un univers destiné à notre satisfaction passive, la notion rationnelle de l'homme, intelligence suprême parmi toutes celles qu'il peut connaître, modifiant à son avantage, entre certaines limites déterminées, le système de phénomènes dont il fait partie, en résultat d'un sage exercice de son activité, dégagée de toute terreur oppressive, et dirigée uniquement par une exacte connaissance des lois naturelles. Enfin, je devais juger indispensable de constituer solidement, d'après tous les motifs importans, la restriction fondamentale du point de vue le plus général de la philosophie positive, à la seule considération bien circonscrite de notre monde, en représentant comme essentiellement inaccessible l'étude vague et indéfinie de l'univers.

Il faut maintenant passer à l'examen philosophique de la seconde science naturelle fondamentale, celle qui concerne les phénomènes physiques proprement dits, dont l'étude, nécessairement beaucoup plus compliquée, emprunte à la méthode et à la doctrine astronomique un modèle général et une base indispensable, indépendamment de l'application si précieuse de l'instrument mathématique, qui doit s'y adapter toutefois d'une manière bien moins complète et moins satisfaisante qu'à l'analyse des phénomènes célestes, les plus éminemment mathématiques de tous.

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