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Cours de philosophie positive. (2/6)

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TRENTIÈME LEÇON.




Considérations générales sur la thermologie physique.

Après les phénomènes de la gravité, ceux de la chaleur sont, incontestablement, les plus universels de tous les phénomènes physiques. Dans l'économie générale de la nature terrestre, morte ou vivante, leur fonction est aussi importante que celle des premiers, dont ils sont habituellement les principaux antagonistes. Si l'étude géométrique ou mécanique des corps réels est surtout dominée par la considération de la gravité, l'influence de la chaleur devient, à son tour, prépondérante, lorsqu'on envisage les modifications plus profondes, relatives ou à l'état d'agrégation, ou à l'intime composition des molécules; la vitalité, enfin, lui est essentiellement subordonnée. Quant à l'action de l'homme sur la nature, c'est une sage application de la chaleur qui la constitue principalement. Ainsi, après la barologie, aucune partie de la physique ne saurait mériter autant que la thermologie l'attention des esprits qui conçoivent l'ensemble de la philosophie naturelle.

Les premières observations thermologiques, entreprises dans une intention scientifique, sont presque aussi anciennes que les découvertes de Stévin et de Galilée sur la pesanteur; puisque l'invention primitive du thermomètre remonte, comme on sait, au commencement du dix-septième siècle, et que l'illustre académie del Cimento n'a cessé de se livrer, avec un zèle persévérant, à l'étude de la chaleur, pendant toute la durée de sa trop courte existence. Il est néanmoins incontestable que, vu la complication supérieure de ses phénomènes, la thermologie a toujours été fort en arrière de la barologie. À la fin du dix-septième siècle, elle était encore si peu avancée, que les indications thermométriques ne pouvaient même être comparées, faute des deux points fixes, dont la nécessité fut alors signalée par Newton. Mais cette imperfection relative devient bien plus sensible en considérant surtout la nature si opposée des recherches dont ces deux branches de la physique étaient alors le sujet. Tandis que les physiciens avaient essentiellement renoncé, depuis long-temps, envers la pesanteur, à deviner la nature intime et le mode de production des phénomènes, pour se borner à en découvrir, par une observation rationnelle, les lois effectives, ils ne regardaient comme dignes de leur attention, dans l'étude plus difficile de la chaleur, que les tentatives chimériques sur la nature du feu, où les faits ne jouaient qu'un rôle pour ainsi dire épisodique. On voit encore, presque au milieu du siècle dernier, l'Académie des Sciences de Paris couronner, à ce sujet, des dissertations essentiellement métaphysiques, dont une entre autres, composée d'ailleurs avec un talent remarquable, était due à l'association de Voltaire avec Mme du Châtelet. C'est seulement pendant la dernière moitié de ce siècle, lorsque toutes les parties importantes de la barologie étaient déjà à peu près aussi développées qu'aujourd'hui, que la thermologie commença à prendre un caractère vraiment scientifique, en vertu de l'heureuse impulsion déterminée surtout par la découverte capitale de Black. Dès lors, l'analyse des phénomènes et la recherche de leurs relations ont attiré de plus en plus l'attention des physiciens, qui en ont fait enfin le principal objet de leurs travaux. Toutefois, ils n'ont pas encore entièrement renoncé aux hypothèses primitives sur la cause et l'essence du feu: seulement ils en ont subordonné l'usage à l'étude des phénomènes, que ces conceptions imaginaires sont destinées, dit-on, à faciliter. Mais, pour quiconque a suivi convenablement cette marche historique, une telle inversion des rôles, à l'égard d'hypothèses jadis souveraines, est un symptôme irrécusable de leur décadence définitive et prochaine. La haute influence des travaux de l'illustre Fourier doit nécessairement hâter beaucoup ici le développement naturel de la saine philosophie, comme je l'ai indiqué déjà dans l'avant-dernière leçon. Il est certain, en effet, que de toutes les branches de la physique encore envahies par cet esprit anti-scientifique, la thermologie est aujourd'hui la plus près d'échapper complétement à son influence. Cette importante réforme sera même accélérée par l'ébranlement que produit, depuis le commencement de ce siècle, le choc des deux principales hypothèses sur la nature de la chaleur, et qui tend à les discréditer également auprès des physiciens les plus rationnels.

Entre toutes les branches de la physique auxquelles on applique l'analyse mathématique, l'étude des lois générales de la chaleur se distingue éminemment par le caractère spécial qu'y présente aujourd'hui cette application. En barologie, cette analyse remplit, il est vrai, une fonction parfaitement rationnelle, comme je l'ai montré dans la leçon précédente; mais son introduction n'y offrait aucune difficulté propre, puisque, après les découvertes physiques fondamentales, la théorie de la pesanteur rentrait d'elle-même dans le ressort de la mécanique rationnelle. Il en est essentiellement ainsi, quoiqu'à un degré moindre, pour l'acoustique. En électrologie, et même, à certains égards, en optique, on a bien tenté de procéder d'une manière analogue, c'est-à-dire d'y appliquer l'analyse mathématique en ramenant les questions à de simples recherches de mécanique générale; mais ce n'a pu être qu'en se fondant sur les hypothèses arbitraires des fluides et des éthers imaginaires, ce qui rend une telle application radicalement illusoire. Au contraire, la théorie analytique de la chaleur présente un caractère scientifique aussi satisfaisant que celles de la pesanteur et du son; et, néanmoins, elle ne pouvait être traitée comme une dépendance de la mécanique abstraite, à moins de faire reposer une telle relation sur de semblables chimères, ce qu'a si parfaitement évité son illustre fondateur. Cette théorie a donc exigé une conception spéciale et directe, ainsi qu'une analyse non moins nouvelle. Afin de faire mieux ressortir ces propriétés fondamentales, je consacrerai exclusivement la leçon suivante à l'examen philosophique de la thermologie mathématique, et je me bornerai dans la leçon actuelle à considérer seulement l'étude purement physique de la chaleur, qui doit d'ailleurs servir, évidemment, de base nécessaire et d'introduction naturelle à son étude mathématique.

La thermologie physique se décompose rationnellement, suivant les phénomènes qu'elle envisage, en deux parties bien distinctes, quoique étroitement liées l'une à l'autre. Dans la première, on étudie les lois de l'action thermologique proprement dite; c'est-à-dire de l'influence mutuelle des corps pour faire varier leurs températures respectives, sans s'occuper des altérations qui en résulteront à d'autres égards. La seconde partie consiste, au contraire, dans l'étude de ces altérations, c'est-à-dire, des modifications ou même des changemens que la constitution physique des corps peut éprouver par suite de leurs variations de température, en s'arrêtant au degré où ces effets commenceraient à porter sur la composition moléculaire, et appartiendraient dès lors au domaine de la chimie 25. Considérons d'abord le premier ordre de phénomènes, dont l'analyse se réduit à la théorie de l'échauffement et du refroidissement.

Note 25: (retour) On admet souvent une troisième partie, toutefois bien moins tranchée, relative aux sources de la chaleur et du froid. Mais, en excluant les sources chimiques, qui sont les principales, cette section rentre essentiellement dans les deux autres, sauf le cas de la production de la chaleur par le frottement, dont l'étude est jusqu'ici fort imparfaite.

Entre deux corps, dont les températures, d'ailleurs quelconques, sont exactement égales, il ne se produit jamais aucun effet thermologique. L'action commence aussitôt que, par une cause quelconque, les températures deviennent inégales. Envisagée d'une manière générale, elle consiste en ce que le corps le plus chaud élève la température de l'autre, tandis que celui-ci abaisse celle du premier; en sorte que leur influence mutuelle tend à les ramener plus ou moins promptement à une température commune, intermédiaire entre les deux primitives. Quoique, le plus souvent, cet état final soit inégalement éloigné des deux extrêmes, l'action, convenablement estimée, n'en est pas moins, dans un tel ordre de phénomènes, parfaitement équivalente à la réaction en sens contraire. Examinons sommairement leurs principales lois, en les dégageant de toute intervention des hypothèses arbitraires par lesquelles on prétend encore les expliquer, et qui n'ont d'autre effet réel que d'en obscurcir la notion et d'en compliquer l'étude 26.

Note 26: (retour) Cette tendance aux entités, quoique aujourd'hui fort affaiblie, est encore si prononcée chez la plupart des physiciens actuels, qu'on a été sur le point, au commencement de ce siècle, d'admettre définitivement, en thermologie, comme on le fait en électrologie, deux fluides imaginaires, l'un pour la chaleur, l'autre pour le froid, à cause des phénomènes connus sous le nom de réflexion du froid, qui, ayant été d'abord mal analysés, ne paraissaient point suffisamment expliqués avec un fluide unique, dont on a fini néanmoins par se contenter.

Il convient, pour cela, de distinguer, d'après tous les physiciens, deux cas essentiels, suivant que les corps agissent thermologiquement les uns sur les autres à des distances plus ou moins considérables, ou bien au contact immédiat. Le premier cas constitue ce qu'on nomme le rayonnement de la chaleur.

La communication directe de la chaleur entre deux corps parfaitement isolés l'un de l'autre a été long-temps niée par des physiciens qui regardaient l'air, ou tout autre milieu, comme un intermédiaire indispensable. Mais elle est maintenant incontestable, puisque l'action thermologique s'accomplit même dans le vide; outre que le peu de densité et la faible conductibilité de l'air ne sauraient évidemment permettre d'expliquer, par sa seule intervention, les effets observés dans la plupart des cas ordinaires. Cette action, ainsi que celle de la gravité, s'étend sans doute à toutes les distances, conformément au rapprochement fondamental indiqué par Fourier entre ces deux grands phénomènes: car nous pouvons concevoir aujourd'hui les divers astres de notre monde, comme exerçant à cet égard une influence mutuelle appréciable; et même, la température propre à l'ensemble de notre système solaire paraît devoir être essentiellement attribuée à l'équilibre thermométrique vers lequel tendent toutes les parties de l'univers.

La première loi générale relative à une telle action, consiste dans sa propagation constamment rectiligne. C'est ce fait capital qu'on a tenté de formuler, d'après l'hypothèse du fluide calorifique, par l'expression de rayonnement, qui indique le trajet des molécules du calorique, et qu'on a transportée ensuite à l'hypothèse de l'éther, où elle désigne les séries linéaires de vibrations. Mais la loi, en elle-même, est parfaitement indépendante de l'une ou l'autre supposition, et il importe beaucoup de l'en dégager, afin d'ôter à une vérité physique aussi essentielle l'apparence métaphysique d'une conception arbitraire. Cela n'empêche nullement de conserver l'expression utile de rayon de chaleur, pourvu qu'on la restreigne avec scrupule à désigner la droite suivant laquelle deux points agissent thermologiquement l'un sur l'autre; elle devient alors l'énoncé abstrait et concis de ce simple fait général, si fécond en applications importantes: c'est selon une telle droite que doivent être placés les corps susceptibles d'absorber la chaleur pour empêcher cette action mutuelle.

Cette chaleur rayonnante peut être réfléchie comme la lumière, et conformément à la même règle, sous un angle de réflexion égal à celui d'incidence, comme le prouve la belle expérience des réflecteurs paraboliques. Quand elle est unie à la lumière, elle paraît éprouver les mêmes réfractions, sauf quelques différences notables qui seront indiquées ci-après: mais nous ignorons réellement s'il en est encore ainsi à l'égard de la chaleur obscure, vu la difficulté de distinguer suffisamment la chaleur simplement transmise par un corps intermédiaire de celle qui résulte de son propre échauffement.

L'action thermologique que deux corps exercent directement l'un sur l'autre dépend certainement de leur distance mutuelle, de manière à s'affaiblir lorsque cette distance augmente. Ce décroissement paraît même varier plus rapidement que la distance: mais on ignore encore quelle est sa loi véritable. On le suppose habituellement en raison inverse du carré de la distance. Il y a lieu de penser, néanmoins, que ce mode de variation a été bien plus imaginé qu'aperçu, soit afin d'obtenir une loi analogue à celle de la pesanteur, soit surtout par suite de la considération métaphysique sur la loi absolue des émanations quelconques. Aucun système d'expériences n'a jamais été jusqu'ici convenablement institué et exécuté pour résoudre directement une telle question, que ne sauraient trancher, sans doute, des conjectures aussi hasardées, et sur laquelle Fourier s'est sagement abstenu de prononcer.

Une autre condition générale relative à cette action thermologique, consiste dans la direction du rayonnement, envisagée, soit quant à la surface du corps échauffant, soit quant à celle du corps échauffé. Les expériences de M. Leslie, parfaitement confirmées d'ailleurs, comme l'indiquera la leçon suivante, par la théorie mathématique de la chaleur rayonnante, ont établi que, sous l'un ou l'autre rapport, l'intensité de l'action est d'autant plus grande que les rayons sont plus rapprochés de l'une ou de l'autre normale, et qu'elle varie proportionnellement au sinus de l'angle qu'ils forment avec chaque surface.

Enfin, la différence des températures entre les deux corps considérés constitue le dernier élément fondamental, et le plus important de tous, en continuant à analyser le phénomène d'une manière entièrement générale. Quand cette différence n'est pas très grande, l'intensité du phénomène lui est exactement proportionnelle, d'après les expériences les plus précises; mais cette relation paraît cesser lorsque les températures deviennent extrêmement inégales, et l'on ignore jusqu'à présent quelle est alors la véritable loi, quoiqu'il ne soit pas douteux que l'action continue toujours à dépendre exclusivement de la température relative.

Telles sont les lois élémentaires de l'influence thermologique mutuelle de deux corps quelconques, isolés l'un de l'autre, en supposant que la chaleur soit directement transmise. La chaleur lumineuse exigerait d'ailleurs une nouvelle distinction, relative à la couleur de la lumière; car les diverses parties du spectre solaire sont loin, comme on sait, de posséder au même degré la propriété d'échauffer. Mais, d'après les considérations très judicieuses présentées tout récemment à ce sujet, par M. Melloni, cette question réclame un examen plus approfondi, où l'on ait égard à l'action thermologique du prisme que la lumière a dû traverser avant de fournir le spectre solaire. Car suivant les expériences de ce physicien, le maximum de chaleur, que jusque alors on croyait invariablement fixé un peu au-delà des rayons rouges, passe successivement dans presque toutes les portions du spectre, en faisant convenablement varier la nature et même seulement les dimensions du prisme.

Quand le rayonnement calorifique, au lieu d'être direct, s'effectue à travers un intermédiaire susceptible de le transmettre, les conditions fondamentales signalées ci-dessus se compliquent de nouvelles circonstances, jusqu'ici peu étudiées, relatives à l'action du corps interposé. On doit à Saussure une belle série d'expériences, toutefois trop peu variées, sur l'influence d'une suite d'enveloppes transparentes pour altérer notablement le mode naturel d'accumulation ou de déperdition de la chaleur, soit lumineuse, soit surtout obscure. Plus tard, M. Melloni a signalé une distinction essentielle, jusque alors méconnue, entre la transmission de la chaleur et celle de la lumière, en prouvant irrécusablement que les corps les plus diaphanes ne sont pas toujours ceux que la chaleur traverse le mieux, comme on le croyait habituellement avant lui.

Quelque avantage que doivent trouver les physiciens, afin de mieux analyser les phénomènes thermologiques, à étudier le rayonnement de la chaleur à part de sa propagation au contact, il est néanmoins évident que, dans la nature, ces deux modes sont toujours et nécessairement liés, quoique à des degrés souvent fort inégaux. Car indépendamment de ce que l'air constitue presque toujours un intermédiaire inévitable, qui concourt à la production de l'équilibre thermométrique entre deux corps éloignés, on voit que c'est seulement l'état de la surface qui peut être déterminé par le simple rayonnement, soit que la température s'élève ou s'abaisse. Pour chacun des deux corps, les parties intérieures, qui contribuent aussi bien que les surfaces à l'état final, ne peuvent s'échauffer ou se refroidir que par voie de propagation contiguë et graduelle. Ainsi, l'étude de la chaleur rayonnante serait, par elle-même, insuffisante à analyser complétement aucun cas réel. De même, en sens inverse, outre que des circonstances artificiellement combinées peuvent seules mettre les deux corps à l'abri de tout rayonnement extérieur, leur action thermologique réciproque ne saurait avoir lieu au simple contact que dans les parties nécessairement limitées où cette contiguité existe, et le phénomène s'accomplit toujours inévitablement sous l'influence plus ou moins importante du rayonnement mutuel de tous les autres points des deux surfaces. Cette combinaison intime et permanente rend très difficile l'analyse exacte des deux modes fondamentaux de l'action thermologique, quoique leur distinction n'en soit pas moins réelle.

Parmi les trois conditions générales indiquées ci-dessus, relativement à l'intensité de cette action quand elle s'exerce à distance, la différence des températures, qui constitue, il est vrai, la principale, est la seule qui se reproduise certainement et d'une manière identique à l'égard de la propagation de la chaleur par contiguïté. Puisque dans ce cas, les températures des parties simultanément considérées sont nécessairement beaucoup moins inégales, la loi qui fait croître l'influence thermologique proportionnellement à leur différence, peut même y être presque toujours regardée comme l'expression exacte de la réalité. Quant à la loi relative à la direction, elle paraît s'y maintenir aussi, sans qu'on ait pu toutefois s'en assurer formellement jusqu'ici. Mais celle qui concerne la distance doit s'y trouver totalement changée: car, d'une part, l'action des molécules presque contiguës ne saurait être à beaucoup près aussi grande que l'indiqueraient les variations qu'on éprouve tant que les distances restent appréciables; et, d'un autre côté, en comparant entre eux les divers petits intervalles, le décroissement est sans doute bien plus rapide qu'à l'égard des corps éloignés.

Quel que soit le mode général suivant lequel s'accomplisse l'échauffement de l'un des corps et le refroidissement de l'autre, l'état final qui s'établit, conformément à ces lois fondamentales, est déterminé numériquement par trois coefficiens essentiels, particulièrement affectés à chaque corps naturel, comme l'est, en barologie, sa pesanteur spécifique, et qu'il faut maintenant caractériser.

Avant Fourier, les physiciens avaient toujours confondu sous le nom commun de conductibilité, deux propriétés thermologiques très différentes, dont les divers degrés d'intensité sont bien loin de se correspondre exactement dans un grand nombre de cas: 1º la faculté pour chaque corps d'admettre, par sa surface, la chaleur extérieure, ou, en sens inverse, de laisser dissiper au dehors sa chaleur superficielle; 2º la facilité plus ou moins grande qu'il présente à propager graduellement dans l'intérieur de sa masse les changemens quelconques survenus à sa surface. Fourier a proposé de désigner ces deux qualités par les dénominations très expressives de pénétrabilité et de perméabilité, dont l'usage deviendra sans doute universel, quand on aura convenablement senti l'importance d'une telle distinction élémentaire.

La conductibilité intérieure, ou perméabilité, ne dépend essentiellement que de la nature du corps et de son état d'agrégation. Elle peut présenter, d'un corps à un autre, d'immenses différences, dont les plus prononcées ont été reconnues de tout temps par tous les hommes, en opposant, par exemple, à la propagation si facile et si prompte de la chaleur dans l'intérieur de beaucoup de métaux, son mouvement si lent et si pénible dans le charbon, qui, incandescent en certains points, est à peine sensiblement échauffé à quelques centimètres de là. Elle varie d'une manière non moins évidente, avec la constitution physique des corps. La fluidité la diminue tellement, que des physiciens aussi éminens que Rumford ont pu aller jusqu'à en nier complétement l'existence dans les liquides, où la propagation de la chaleur serait ainsi uniquement attribuée à l'agitation intérieure qu'elle y produit nécessairement. Quoique des expériences décisives aient montré ensuite la fausseté de cette opinion, il est demeuré incontestable que la perméabilité proprement dite est extrêmement faible dans les liquides, et moindre encore dans les gaz.

Quant à la conductibilité extérieure, ou pénétrabilité, elle varie sans doute suivant la nature des corps et leur état d'agrégation. Mais elle dépend, en outre, et principalement, des circonstances purement relatives à leur surface extérieure. On sait, par exemple, que la couleur seule de cette surface exerce, à cet égard, une très grande influence. Il en est encore ainsi de son degré de poli, de la manière plus ou moins régulière dont elle peut être rayée en divers sens, et de plusieurs autres modifications, insignifiantes en apparence, dont les effets généraux ont été soigneusement étudiés par les physiciens. Toutes ces variations se manifestent d'ailleurs identiquement, soit que le corps s'échauffe, soit qu'il se refroidisse. Enfin, la pénétrabilité est assujettie, par sa nature, à changer, pour une même surface, successivement exposée à l'action de divers milieux.

En principe, les degrés si différens que peuvent nous offrir ces deux sortes de conductibilité ne sauraient influer, sans doute, sur l'état thermologique final qui tend à s'établir entre deux corps quelconques par suite de leur action mutuelle, mais seulement sur l'époque de son entier établissement dans chacun d'eux. Toutefois, comme les questions réelles deviennent souvent, à tous égards, de pures questions de temps, il est clair que, si ces inégalités sont très prononcées, elles doivent influer effectivement sur l'intensité même des phénomènes que nous observons. Si, par exemple, la perméabilité est assez faible pour qu'on ne puisse produire, en temps opportun, une température déterminée dans l'intérieur du corps sans appliquer à quelques parties de sa surface une chaleur capable de les fondre ou de les brûler, le phénomène ne pourra évidemment avoir lieu, à moins d'y employer un temps démesuré. En général, plus l'une et l'autre conductibilité seront parfaites, mieux les corps se conformeront réellement aux lois fondamentales de l'action thermologique, à distance, ou au contact. Il serait donc très important de mesurer exactement les valeurs effectives de ces deux coefficiens pour tous les corps étudiés. Malheureusement, ces évaluations sont jusqu'ici extrêmement imparfaites. On conçoit aisément que les expériences de conductibilité, d'ailleurs peu étendues, tentées avant la distinction élémentaire établie par Fourier, ne sauraient fournir, à cet égard, que des renseignemens fort équivoques, avec quelque soin qu'elles eussent été exécutées, puisque la pénétrabilité et la perméabilité y étaient toujours confondues. Il est difficile de les instituer de manière à apprécier sûrement l'influence précise propre à chacune de ces qualités. Toutefois, Fourier a indiqué, d'après sa thermologie mathématique, les moyens généraux d'évaluer directement la perméabilité, et, par suite, de mesurer indirectement la pénétrabilité, en défalquant, dans la conductibilité totale, jusque alors seule évaluée, la part de la première propriété. Mais l'application de ces procédés est encore à peine ébauchée.

Une dernière considération spécifique, qui concourt, avec les deux précédentes, à régler, dans les différens corps, les résultats définitifs de leur action thermologique, résulte de ce que, soit sous le même poids, soit à volume égal, les diverses substances consomment des quantités distinctes de chaleur pour élever également leur température. Cette importante propriété, dont on n'a commencé à se faire une juste idée que dans la dernière moitié du siècle précédent, dépend essentiellement, comme la perméabilité, de la nature des corps et de leur constitution physique, quoique celle-ci y influe beaucoup moins: elle paraît, au contraire, tout-à-fait indépendante des circonstances superficielles qui font tant varier la pénétrabilité. On la désigne habituellement sous la dénomination assez heureuse de chaleur spécifique. Elle doit évidemment exercer une influence directe et inévitable sur la valeur de la température commune due à l'équilibre thermologique de deux corps quelconques, et qui ne saurait être également éloignée de leurs températures primitives, si, tout étant d'ailleurs parfaitement semblable, ils diffèrent sous ce seul rapport. L'évaluation exacte des chaleurs spécifiques a donc une très grande importance en thermologie. Les physiciens s'en sont convenablement occupés, et avec beaucoup de succès. La méthode primitive, imaginée par Crawford, et qu'on a nommée la méthode des mélanges, consiste précisément à comparer entre elles les différences de la température commune, une fois bien établie, aux deux températures initiales, pour des poids ou des volumes égaux des deux substances. Mais il est difficile d'obtenir ainsi des résultats bien précis, puisqu'il faudrait pour cela que le mélange et l'action fussent très rapides, et même que le vase et le milieu dans lesquels le phénomène s'accomplit fussent placés d'avance à cette température commune, condition évidemment impossible à remplir avec exactitude. Ce procédé n'est réellement applicable, d'une manière suffisamment approchée, que lorsque l'un des corps, au moins, est à l'état liquide; il a aussi été heureusement modifié à l'égard des gaz. La précieuse invention du calorimètre, par Lavoisier et Laplace, a fourni plus tard un moyen bien autrement exact, et surtout entièrement général, pour l'évaluation des chaleurs spécifiques. Il consiste à évaluer directement la quantité de chaleur consommée par un corps dans une élévation déterminée de sa température, d'après la quantité de glace que peut fondre la chaleur qu'il dégage, en revenant de la plus haute température à la plus basse. En prenant les diverses précautions nécessaires pour éviter toute action thermologique du vase et du milieu, ce que l'appareil permet aisément d'obtenir, l'exactitude d'un tel procédé ne laisse rien d'essentiel à désirer, si ce n'est envers les gaz, dont les chaleurs spécifiques sont jusqu'ici moins parfaitement connues.

Tels sont les trois coefficiens fondamentaux servant à fixer les températures finales qui résultent de l'équilibre thermologique entre les différens corps. Il est naturel de les supposer d'abord essentiellement uniformes et constans, jusqu'à ce qu'une exploration plus approfondie ait dévoilé clairement aux physiciens les lois de leurs variations effectives. Néanmoins, il serait peu rationnel de concevoir la conductibilité comme nécessairement identique en tous sens, au moins dans un grand nombre de corps, dont la structure varie certainement suivant plusieurs directions distinctes. De même, pour la chaleur spécifique, il est évidemment très vraisemblable qu'elle éprouve des changemens notables à des températures fort écartées, et surtout dans le voisinage de celles qui déterminent un nouvel état d'agrégation, comme quelques expériences paraissent l'avoir déjà nettement indiqué. Toutefois, ces différentes modifications sont encore tellement incertaines et surtout si peu connues, que les physiciens ne sauraient être blâmés aujourd'hui de ne pas les prendre en considération habituelle.

Caractérisons maintenant la seconde partie essentielle de la thermologie, celle qui concerne les altérations plus ou moins profondes déterminées par la chaleur dans la constitution physique des corps.

Il n'y a peut-être aucun corps dont la structure ne soit, à quelques égards, modifiée pour toujours par une variation de température un peu considérable. Mais il ne saurait être ici question de ces changemens permanens, dont l'étude est d'ailleurs jusqu'à présent à peine effleurée, et ne se rattache encore à aucune notion générale. Ils appartiennent, par leur nature, à ce que j'ai nommé, au commencement de cet ouvrage, la physique concrète, c'est-à-dire à l'histoire naturelle du corps correspondant, et nullement à la physique abstraite, seul objet de notre examen philosophique. En tout cas, ils ne se rapporteraient point à la théorie de la chaleur, et rentreraient essentiellement dans l'étude mécanique des diverses situations d'équilibre stable propres à chaque système de molécules. Telles sont, par exemple, les influences si remarquables de la chaleur et du froid, pour changer notablement les divers degrés d'élasticité de plusieurs corps. Mais on ne doit considérer, en thermologie que les modifications, à la fois générales et passagères, que produit, dans un corps quelconque, une certaine variation de température, et qui sont détruites par la variation inverse. Or, en se restreignant, comme il convient, aux altérations purement physiques, il faut les distinguer en deux classes, suivant qu'elles se bornent à un simple changement de volume, ou qu'elles vont jusqu'à produire un nouvel état d'agrégation. Sous l'un ou l'autre point de vue, cette partie de la thermologie est certainement aujourd'hui celle qui laisse le moins à désirer.

Quoique de tels phénomènes coexistent toujours, par leur nature, avec ceux de l'échauffement ou du refroidissement, ces deux ordres d'effets n'en sont pas moins parfaitement distincts, non-seulement, comme il est évident, quant aux circonstances qui les constituent, mais aussi quant à l'action thermologique qui les produit. Soit qu'il s'agisse d'une variation de volume ou d'un changement d'état, on doit les rapporter à une action thermologique tout-à-fait indépendante, dans sa loi et dans son degré, de celle d'où résulte la nouvelle température correspondante. Quand on échauffe un corps quelconque, l'élévation de la température n'est jamais déterminée que par une portion, souvent peu considérable, de la chaleur effectivement consommée, dont le reste, insensible au thermomètre, est absorbé pour modifier la constitution physique. C'est ce qu'on exprime ordinairement aujourd'hui en disant que cette partie de la chaleur est devenue latente, expression qui peut être conservée comme l'énoncé concis d'un fait capital, malgré qu'elle rappelle une hypothèse sur la nature de la chaleur. Telle est la loi fondamentale découverte par l'illustre Black, d'après l'observation des cas où elle était nécessairement irrécusable, c'est-à-dire, lorsqu'une modification physique très prononcée n'est accompagnée d'aucun changement de température dans le corps modifié, comme je l'indiquerai ci-dessous. Quand les deux effets coexistent, leur décomposition est beaucoup plus difficile à constater nettement, et surtout à mesurer, quoique toujours indiquée, au moins par l'analogie. On ignore d'ailleurs encore si elle suit constamment la même marche générale dans les différens corps, sauf la variété des coefficiens.

Après cette importante notion préliminaire, commune aux deux ordres de modifications physiques produites par la chaleur, considérons les lois générales de chacun d'eux, et en premier lieu, des changemens de volume.

En principe, tout corps homogène se dilate par la chaleur et se condense par le froid; il en est encore ainsi pour les corps hétérogènes, tels surtout que les tissus organisés, lorsqu'on envisage séparément leurs diverses parties constituantes. Cette règle élémentaire ne souffre d'exception qu'à l'égard d'un très petit nombre de substances, et seulement même dans une portion fort limitée de l'échelle thermométrique. Toutefois, comme la principale anomalie est relative à l'eau, elle acquiert, en histoire naturelle, une très grande importance. Mais elle ne saurait en avoir beaucoup dans la physique abstraite, si ce n'est par l'ingénieux parti que les physiciens ont su en tirer pour se procurer une unité de densité parfaitement invariable, et facile à reproduire avec exactitude, du moins quand l'eau est chimiquement pure. Néanmoins, ces diverses anomalies, quoique évidemment trop rares et trop circonscrites pour infirmer aucunement la loi générale, sont très propres, sous le point de vue philosophique, à vérifier, d'une manière fort sensible, l'insuffisance radicale des conceptions chimériques par lesquelles on prétend expliquer à priori ces dilatations et ces contractions, puisque, d'après de telles hypothèses, toute augmentation de température devrait toujours produire un accroissement de volume, et toute diminution un décroissement, sans que l'inverse pût jamais avoir lieu.

Les solides se dilatent, en général, beaucoup moins que les liquides pour une même élévation de température, et ceux-ci, à leur tour, moins que les gaz, non-seulement lorsqu'un même corps passe successivement par ces trois états, mais aussi en comparant des substances différentes.

La dilatation des solides, quoique peu prononcée, s'effectue avec une parfaite uniformité, du moins entre les limites où elle a été examinée, et qui sont, il est vrai, fort éloignées, ordinairement, du point de leur fusion. Elles n'ont encore été exactement appréciées qu'envers un très petit nombre de corps.

On a plus complétement étudié la dilatation des liquides, dont les lois avaient naturellement une importance si fondamentale, à cause de la vraie théorie du thermomètre, sans laquelle toutes les explorations thermologiques seraient radicalement équivoques 27. La belle série d'expériences de MM. Dulong et Petit a pleinement démontré que, dans une étendue de plus de trois cents degrés centigrades, la dilatation du mercure suit une marche exactement uniforme, c'est-à-dire que des accroissemens égaux de volume sont toujours produits par des quantités de chaleur susceptibles de fondre des poids égaux de glace à zéro. On a tout lieu de penser qu'il en est ainsi d'un liquide quelconque, entre des limites sensiblement différentes de sa congélation et de son ébullition, quoique aucun autre cas n'ait été exploré jusqu'ici avec cette admirable circonspection et cette précision presque astronomique qui caractérisent si éminemment le mode général d'expérimentation de ces deux illustres physiciens.

Note 27: (retour) Pour compléter une pensée que j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer dans la leçon précédente, on doit remarquer, en général, que chaque branche principale de la physique peut être envisagée comme consistant essentiellement tout entière dans la théorie exacte et approfondie de quelque instrument capital. Cela est évident ici au sujet de la théorie du thermomètre, à laquelle aboutissent directement toutes les parties importantes de la thermologie physique, et qui comporte même, à plusieurs égards, une utile application de la thermologie mathématique. Pareillement, la théorie du pendule et celle du baromètre se rapportent naturellement à l'ensemble de la barologie. Il en est évidemment ainsi en optique, pour la théorie des divers télescopes ou microscopes; et, en électrogie, pour celles de la machine électrique, de la pile voltaïque et de la boussole. La naissance de chaque branche se manifeste toujours par la création de quelque instrument fondamental; et elle aurait atteint essentiellement son entière perfection, si elle était parvenue à en établir une théorie complète et précise.

C'est dans les gaz que la dilatation s'opère avec la plus parfaite régularité, en même temps qu'elle y est beaucoup plus prononcée. Non-seulement elle s'y fait toujours par degrés égaux, comme on le voit le plus souvent dans les liquides et les solides: mais en outre, tandis que, pour ceux-ci, son coefficient varie extrêmement d'un corps à un autre, sans relation fixe à aucun caractère, même thermologique, il a, au contraire, une valeur identique envers tous les gaz. Quoique ceux-ci diffèrent entre eux presque autant que les divers solides ou liquides, soit quant à la densité, ou à la chaleur spécifique, ou à la perméabilité, tous se dilatent néanmoins uniformément et également, leur volume augmentant toujours des trois huitièmes depuis la température de la glace fondante jusqu'à celle de l'eau bouillante. À cet égard, comme sous beaucoup d'autres points de vue physiques, les vapeurs se comportent exactement comme les gaz proprement dits. Telles sont les lois générales éminemment simples de la dilatation des fluides électriques, découvertes à la fois, au commencement de ce siècle, par M. Gay-Lussac à Paris, et par M. Dalton à Manchester.

Considérons enfin les changemens généraux produits par la chaleur dans l'état d'agrégation des corps.

La solidité et la fluidité, si long-temps envisagées comme des qualités absolues, sont, au contraire, reconnues désormais, depuis les premiers progrès de la philosophie naturelle, comme des états purement relatifs, qui dépendent nécessairement de plusieurs conditions variables, parmi lesquelles l'influence de la chaleur ou du froid constitue la plus générale et la plus puissante. Quoique plusieurs solides n'aient pu être encore liquéfiés, il n'est pas douteux maintenant que tous deviendraient fusibles si l'on pouvait produire en eux une température assez élevée, sans les exposer néanmoins à aucune altération chimique. De même, en sens inverse, on avait regardé, jusqu'à ces derniers temps, tous les gaz proprement dits comme devant conserver toujours leur élasticité, à quelque degré de refroidissement ou de pression qu'ils fussent soumis: on sait aujourd'hui que la plupart d'entre eux deviennent aisément liquides, quand on les saisit à l'état naissant, d'après les intéressantes expériences de M. Bussy et de M. Faraday; il y a tout lieu de penser dès lors que, par une combinaison convenable de froid et de pression, on pourrait encore les liquéfier constamment, même quand ils sont pleinement développés. Les diverses substances ne se distinguent donc réellement à cet égard que par les différentes parties de l'échelle thermométrique indéfinie auxquelles correspondent leurs états successifs, solide, liquide et gazeux. Mais cette simple inégalité n'en constitue pas moins un caractère fort important, qui n'est encore exactement rattaché d'une manière fixe à aucune autre propriété fondamentale de chaque substance. La relation la plus évidente et la moins sujette à des anomalies, est avec la densité: tous les gaz sont, en général, moins denses que les liquides, et ceux-ci que les solides. Le second cas offre néanmoins plusieurs exceptions très notables; et, quoiqu'on n'en connaisse aucune pour le premier cas, cela tient peut-être uniquement à ce que les gaz n'ont pu être observés jusqu'ici dans des circonstances suffisamment variées, surtout relativement à la pression. Quant aux trois états d'une même substance, il y a toujours raréfaction dans la fusion des solides et dans la vaporisation des liquides; sauf quelques anomalies très rares, quoique fort importantes pour la physique concrète, constamment relatives au premier phénomène.

Tous ces divers changemens d'état ont été assujettis par l'illustre Black, à une grande loi fondamentale, qui constitue l'une des plus admirables découvertes de la philosophie naturelle, tant par son extrême importance que par sa rigoureuse universalité, que toutes les expériences des physiciens ont, depuis un demi-siècle, irrévocablement constatée. Elle consiste en ce que, dans le passage de l'état solide à l'état liquide, et de celui-ci à l'état gazeux, un corps quelconque absorbe toujours une quantité de chaleur plus ou moins notable, sans élever sa température; tandis que le passage inverse détermine constamment, au contraire, un dégagement de chaleur exactement correspondant à cette absorption. Ainsi, par exemple, la liquéfaction d'une masse de glace à zéro, sans aucun accroissement de température, exige l'absorption de toute la quantité de chaleur que renferme une masse égale d'eau à 75 degrés centigrades; et une masse d'eau à 100 degrés ne peut se vaporiser, quoiqu'elle ne s'échauffe pas, qu'en absorbant 660 fois plus de chaleur qu'il n'en faudrait pour élever d'un degré la température d'un poids égal d'eau liquide. Cette chaleur latente, qui redevient sensible au thermomètre dans le phénomène inverse, a été soigneusement mesurée par les physiciens à l'égard des principales substances naturelles, surtout à l'aide du calorimètre. On ignore encore si elle est rigoureusement fixe, c'est-à-dire si elle est toujours exactement indépendante des circonstances quelconques qui peuvent éloigner ou avancer artificiellement le degré ordinaire de l'échelle thermométrique où s'effectue le changement d'état. Le cas le mieux étudié, à cet égard, est celui de la vaporisation de l'eau, dont la température normale peut être si aisément augmentée ou diminuée en faisant varier la pression: l'opinion la plus accréditée aujourd'hui, quoiqu'elle soit loin, ce me semble, d'avoir obtenu encore l'assentiment unanime des physiciens, consiste à regarder la chaleur latente nécessaire à cette vaporisation comme parfaitement constante, à quelque température que le phénomène s'accomplisse.

Ces dégagemens et ces absorptions de chaleur constituent évidemment, après les phénomènes chimiques, les plus grandes sources de la chaleur et du froid. Sous ce dernier rapport surtout, c'est par une vaporisation, rendue artificiellement très rapide, dans la belle expérience de M. Leslie, qu'ont été produites les plus basses températures que nous connaissions. D'illustres philosophes naturels ont même pensé que la chaleur, si abondamment dégagée dans la plupart des fortes combinaisons chimiques, ne saurait jamais provenir que des divers changemens d'état qui en résultent ordinairement. Mais cette opinion, quoique vraie pour un très grand nombre de cas, ne peut plus être érigée aujourd'hui en un principe général, comme nous le reconnaîtrons dans le volume suivant, à cause des exceptions capitales et incontestables qui la contredisent trop fréquemment.

Tel est, en aperçu, l'ensemble de la thermologie physique, envisagée successivement sous tous ses divers aspects fondamentaux. Je crois devoir en outre classer à sa suite, comme un appendice naturel et indispensable, l'étude des lois relatives à la formation et à la tension des vapeurs, et par suite l'hygrométrie. Cette importante théorie constitue en effet, envers les liquides, le complément nécessaire de la doctrine des changemens d'état. Elle ne saurait, évidemment, être rattachée à aucune autre branche principale de la physique; or, d'un autre côté, son étendue n'est pas assez grande, et surtout, son caractère propre est trop peu tranché, pour qu'elle puisse constituer, par elle-même, une branche essentiellement distincte: c'est donc ici son lieu rationnel.

Saussure a fait rentrer irrévocablement dans le domaine de la physique le phénomène général de l'évaporation, regardé avant lui comme une sorte d'effet chimique, puisqu'on l'attribuait à l'action dissolvante de l'air sur les liqueurs. Il a montré que l'influence de l'air était alors purement mécanique; et que, loin de favoriser l'évaporation, la pression atmosphérique faisait, au contraire, toujours obstacle à sa rapidité; sauf, bien entendu, ce qui tient au renouvellement du milieu ambiant. Toutefois, cette étude n'est aujourd'hui vraiment complète que lorsque les vapeurs se forment dans un espace circonscrit. Saussure a trouvé alors que la quantité de vapeur formée, en un temps donné, à une température déterminée, dans un espace défini, est toujours la même soit que cet espace ait été entièrement vidé d'air ou rempli d'un gaz quelconque; il en est ainsi encore de l'élasticité de la vapeur dégagée. La masse et la tension de cette vapeur croissent d'ailleurs sans cesse avec la température; sans qu'il paraisse exister toutefois aucun degré de froid susceptible d'annuller complétement cet important phénomène, puisque la glace elle-même produit une vapeur appréciable à l'exploration délicate de la physique actuelle, quoique sa force élastique soit extrêmement petite. On ignore suivant quelle loi exacte l'accroissement de la température accélère l'évaporation, du moins tant que le liquide reste au-dessous de son terme d'ébullition. Mais les physiciens se sont occupés soigneusement et avec succès des variations qu'éprouve l'élasticité de la vapeur produite.

À cet égard, les différens liquides offrent d'abord un point de départ commun, nettement caractérisé: c'est la température propre à l'ébullition de chacun d'eux, si bien marquée par l'immobilité du thermomètre, en vertu de l'absorption de chaleur qu'exige le changement d'état. Au moment de l'ébullition, la tension de la vapeur formée, jusque alors graduellement accrue, à mesure que la température s'élevait, est nécessairement devenue toujours égale, pour un liquide quelconque, à la pression atmosphérique; ce que l'expérience directe peut d'ailleurs confirmer exactement. Or, à partir d'une telle origine, l'illustre M. Dalton, dont tous les divers travaux scientifiques ont constamment présenté à un si haut degré l'indice du véritable esprit philosophique, a découvert cette loi importante, vérifiée jusqu'ici par l'ensemble des observations: les vapeurs émanées de tous les divers liquides ont des tensions continuellement égales entre elles, à des températures équidistantes des termes d'ébullition correspondans, quel que soit d'ailleurs le sens de la différence. Ainsi, par exemple, l'ébullition de l'eau ayant lieu à 100 degrés, et celle de l'alcool à 80 degrés, les deux vapeurs, qui ont alors la même tension, équivalente à la pression de l'atmosphère, auront encore des élasticités égales, d'ailleurs supérieures ou inférieures à la précédente, quand on fera varier ces deux températures caractéristiques d'un même nombre quelconque de degrés. Le nombre des liquides connus a déjà beaucoup augmenté par les travaux des chimistes, depuis l'époque de cette belle découverte; et ces épreuves inopinées n'ont fait jusqu'ici qu'en constater l'exactitude générale. Il est à regretter, pour la perfection rationnelle d'une telle étude, que le génie systématique de M. Dalton ne se soit pas appliqué avec persévérance à saisir une harmonie quelconque entre les températures d'ébullition propres aux différens liquides, sous la pression ordinaire de l'atmosphère, et toute autre de leurs qualités physiques essentielles: mais jusqu'ici aucune relation analogue n'a été généralement aperçue, et ces températures semblent encore tout-à-fait incohérentes, quoique leur fixité doive d'ailleurs les faire envisager comme d'importans caractères.

Quoi qu'il en soit, la loi de M. Dalton permet, évidemment, de simplifier à un très haut degré la recherche générale du mode suivant lequel la tension des vapeurs varie d'après leur température, puisqu'il suffit dès lors d'analyser ces variations dans une seule vapeur pour qu'elles soient aussitôt connues dans toutes. La suite d'expériences entreprises à cet effet sur la vapeur d'eau par M. Dalton lui-même, avait indiqué une règle fort simple, qui consistait à faire croître la tension en progression géométrique, pour des augmentations égales dans la température. Mais les mesures postérieures, soigneusement exécutées par plusieurs physiciens, ont montré que cette formule ne pouvait être regardée comme une approximation suffisante qu'en s'écartant de la température d'ébullition. M. Dulong a établi depuis, d'après une suite beaucoup plus étendue d'expériences fort exactes, une nouvelle loi empirique, qui correspond jusqu'ici, de l'aveu unanime des physiciens, à l'ensemble des observations: on y fait croître la force élastique de la vapeur proportionnellement à la sixième puissance d'une fonction du premier degré de la température. Quelques géomètres avaient essayé de déterminer à priori la loi rationnelle; mais ces tentatives, beaucoup trop hypothétiques, n'ont conduit qu'à des formules infirmées presque à chaque instant par les observations directes.

L'étude de l'équilibre hygrométrique entre les différens corps humides, constitue un prolongement naturel de la théorie générale de l'évaporation. Cette importante recherche, dont Saussure et Deluc se sont tant occupés, a conduit, par leurs travaux, à un instrument fort précieux. Mais, quoique l'établissement nécessaire d'un tel équilibre soit maintenant facile à concevoir d'une manière générale, nous n'avons encore que des notions vagues et imparfaites sur les lois qui le régissent, même dans le cas d'un corps plongé dans un milieu indéfini, qu'on a presque exclusivement considéré, et dont l'importance est, à la vérité, prépondérante. La prévision, qui, en tout genre, est la mesure exacte de la science, devient ici à peu près nulle jusqu'à présent.

La faible influence des actions hygrométriques dans l'ensemble des phénomènes de la nature inorganique, contribue beaucoup sans doute au peu d'intérêt qu'une telle étude inspire habituellement aux physiciens. Mais, en considérant sous un point de vue général le système entier de la philosophie naturelle, on reconnaîtrait, au contraire, la haute importance de cette théorie à l'égard des phénomènes vitaux, comme j'aurai soin de le faire ressortir dans le volume suivant. D'après le bel aperçu de M. de Blainville, l'action hygrométrique constitue réellement, dans les corps vivans, le premier degré général et le mode le plus élémentaire de leur nutrition, comme la capillarité y est le germe des plus simples mouvemens organiques. L'imperfection actuelle de ces deux subdivisions de la physique est donc, sous ce rapport capital, extrêmement regrettable. On a ici l'occasion de vérifier expressément, comme je l'ai indiqué dès le début de cet ouvrage, combien l'instruction trop étroite de presque tous ceux qui cultivent aujourd'hui la philosophie naturelle, et les habitudes trop subalternes qui en résultent pour leur intelligence, sont directement nuisibles aux progrès effectifs des diverses sciences. Deux études fort importantes, que les physiciens peuvent seuls perfectionner convenablement, se trouvent néanmoins très négligées, uniquement parce que leur principale destination concerne une autre partie fondamentale du système scientifique général.

Je me suis efforcé, par les diverses considérations sommairement indiquées dans cette leçon, de caractériser le véritable esprit de la thermologie, envisagée sous tous ses aspects principaux. La nature de cet ouvrage interdisait évidemment de mentionner ici, soit la théorie des différens instrumens essentiels créés par le génie des physiciens et inspirés par le besoin de perfectionner les explorations, soit les nombreux moyens de vérification qui garantissent aujourd'hui la précision des résultats obtenus. Je ne pouvais pas même signaler ces résultats, en ce qu'ils offrent de spécial, et je devais me borner strictement à l'appréciation philosophique de leurs conséquences générales. Quelque imparfait que soit nécessairement ce rapide examen, il fera concevoir, j'espère, les vrais caractères essentiels propres à l'ensemble de cette belle partie de la physique; il indiquera la liaison rationnelle des divers ordres de recherches qui la composent, ainsi que le degré de perfection où chacun d'eux est aujourd'hui parvenu, et les principales lacunes qu'il laisse encore à remplir.

Afin de compléter réellement cette analyse philosophique de la thermologie, il est maintenant indispensable d'examiner avec soin, quoique d'une manière générale, dans la leçon suivante, comment la partie la plus simple et la plus fondamentale des phénomènes de la chaleur, a pu être ramenée, par le génie de Fourier, à une admirable théorie mathématique.




TRENTE-UNIÈME LEÇON




Considérations générales sur la thermologie mathématique.

D'après la leçon précédente, on considère, en thermologie, deux ordres principaux de phénomènes: les premiers, directement relatifs à l'action thermologique proprement dite, consistent dans le mode suivant lequel certains corps quelconques s'échauffent tandis que d'autres se refroidissent, en vertu de leurs diverses influences mutuelles, à distance ou au contact, fondées sur l'inégalité de leurs températures; les seconds se rapportent, au contraire, aux modifications plus ou moins profondes et plus ou moins éloignées que le nouvel état thermométrique de chaque corps fait nécessairement éprouver à sa constitution physique primitive. Ces derniers phénomènes ne sauraient être jusqu'ici l'objet d'aucune théorie mathématique, si ce n'est par l'intervention illusoire des fluides ou des éthers imaginaires, et l'on ne conçoit pas même, d'une manière nette, comment ils pourraient jamais y être réellement assujettis, quoique rien, sans doute, n'en doive indiquer l'impossibilité radicale. Ainsi, la thermologie mathématique embrasse exclusivement aujourd'hui les phénomènes du premier genre, dont elle est destinée à compléter et à perfectionner l'étude fondamentale.

On conçoit, en effet, que la thermologie physique, ci-dessus examinée, puisse nous conduire jusqu'à connaître selon quelles lois la température s'élève successivement sur la surface extérieure de l'un des deux corps, et s'abaisse sur celle de l'autre, par suite de leur action réciproque. Mais là s'arrête évidemment, en général, par la nature même de cette question physique, le domaine de l'exploration directe; et, néanmoins, une semblable étude ne saurait être envisagée comme vraiment complète que dans le cas purement idéal d'un point géométrique. Comment la chaleur, une fois introduite dans un corps par son enveloppe extérieure, se propage-t-elle peu à peu en tous les points de sa masse, de manière à assigner à chacun d'eux, pour un instant désigné, une température déterminée; ou, en sens inverses, comment cette chaleur intérieure se dissipe-t-elle au dehors, à travers la surface, par une déperdition graduelle et continue? C'est ce qu'il faudrait évidemment renoncer à connaître avec exactitude, si l'analyse mathématique, prolongement naturel de l'observation immédiate devenue impossible, ne venait ici permettre à notre intelligence de contempler, par une exploration indirecte, les lois suivant lesquelles s'accomplissent ces phénomènes internes, dont l'étude semblait devoir nous être nécessairement impénétrable. Telle est la destination essentielle de la doctrine admirable que nous devons au beau génie du grand Fourier, et qu'il s'agit maintenant de caractériser nettement dans son ensemble.

Cette doctrine comprend deux parties générales bien distinctes: l'une, relative aux lois de la propagation proprement dite de la chaleur, d'une manière graduelle et continue, par voie de contiguïté immédiate; l'autre, qui concerne la théorie de l'action thermologique exercée à des distances quelconques, ou l'analyse du rayonnement. Je considérerai surtout, et d'abord, la première partie, principal objet des travaux de Fourier, et qui constitue, en effet, par sa nature, l'étude la plus fondamentale.

Afin de mieux circonscrire le sujet propre et essentiel de notre examen philosophique, il faut, enfin, décomposer cette étude en deux branches fort différentes, suivant qu'on envisage les lois de la propagation graduelle de la chaleur dans les solides ou dans les fluides. Outre que le premier cas est jusqu'ici le seul réellement exploré, c'est nécessairement celui où ces lois peuvent être contemplées dans toute leur pureté élémentaire. Quant aux masses fluides, la température effective de chacun de leurs points, à une époque donnée, ne tient pas seulement à l'action thermologique que les diverses molécules exercent, de proche en proche, les unes sur les autres; elle est surtout, en réalité, comme l'expérience le montre clairement, le résultat des mouvemens plus ou moins rapides que l'inégalité des températures fait naître inévitablement dans l'intérieur du système: en sorte que les recherches purement thermologiques se compliquent de questions hydrodynamiques, dont elles sont nécessairement inséparables. À la vérité, Fourier a su étendre à ce cas difficile sa théorie fondamentale, du moins en ce qui concerne les équations différentielles du problème. Mais, on conçoit que, la simple étude analytique des mouvemens réels produits dans les fluides par la seule pesanteur étant jusqu'ici, d'après la vingt-neuvième leçon, presque inextricable, la question, bien plus difficile, de la propagation mathématique de la chaleur y sera long-temps encore essentiellement inaccessible. Du reste, il convient d'observer que c'est principalement envers les gaz que les hautes difficultés propres à une telle recherche se trouvent profondément combinées, dans le cas, par exemple, des températures atmosphériques. Car les liquides pouvant être échauffés, dans les expériences des physiciens, de manière à prévenir la formation des courans intérieurs, ils constituent par leur nature, à cet égard comme à tant d'autres, une sorte d'intermédiaire entre le cas des solides et celui des gaz. Quoiqu'un tel mode d'échauffement soit, sans doute, essentiellement artificiel, son observation exacte et approfondie n'en serait pas moins très précieuse, par la facilité que procure l'état fluide de mesurer directement les températures internes, et de vérifier ainsi, d'une manière fort sensible, les lois fondamentales de la propagation de la chaleur, qui doit alors s'accomplir presque aussi régulièrement que si la masse était solide. Néanmoins, c'est, évidemment, au seul cas des solides que nous devons ici restreindre nos considérations générales.

Le phénomène fondamental de la diffusion de la chaleur dans l'intérieur d'une masse solide par la seule action graduelle et continue de ses molécules consécutives, est toujours modifié nécessairement par deux sortes de conditions générales, qu'il faut d'abord caractériser, afin que l'ensemble du problème soit nettement défini. Les unes se rapportent à l'état initial arbitraire, qui, dans chaque cas particulier, détermine la température primitive propre à un point quelconque du corps. Les autres concernent l'état thermométrique de la surface extérieure, en vertu de l'action, variable ou constante, inégale ou commune, du système ambiant. Ces deux ordres de données sont indispensables pour fixer exactement, à l'égard de chaque question spéciale, l'interprétation analytique de l'équation fondamentale de la propagation de la chaleur, qui, par son extrême généralité nécessaire, ne saurait renfermer aucune trace immédiate, ni de l'état initial propre aux diverses molécules, ni des circonstances permanentes particulières à l'enveloppe. Mais, par cela même que ces conditions sont essentiellement modificatrices, il importe de considérer, avant tout, la loi principale; quoique, en elle-même, elle ne puisse avoir de relation directe qu'avec un phénomène purement abstrait, dont l'entière réalisation immédiate ne saurait avoir lieu que dans le seul cas d'une masse solide indéfinie en tous sens.

Quant à l'objet analytique d'une telle recherche, il consiste toujours à découvrir la fonction qui exprime, à tout instant, la température d'un point quelconque de la masse solide. Cette fonction se rapporte donc, en général, à quatre variables indépendantes, puisque, outre le temps, elle doit contenir les trois coordonnées géométriques de chaque molécule: cependant, le nombre des variables est souvent réductible à trois, ou même à deux, quand la forme du corps et son mode d'échauffement permettent de supposer que la température change uniquement d'après une seule coordonnée.

Il paraîtrait d'abord nécessaire de distinguer deux cas essentiels dans la question fondamentale, suivant qu'on examine l'état variable des températures successives, ce qui constitue l'étude la plus complète, ou qu'on se borne à considérer l'état permanent vers lequel tend finalement l'ensemble de ces températures, sous l'influence d'une cause quelconque constante. Le système approche toujours très rapidement de ce dernier état, et d'autant plus que la perméabilité est plus parfaite, quoiqu'il ne pût jamais y atteindre rigoureusement que dans un temps indéfini. Quand on l'envisage isolément, la fonction cherchée, qui devient alors indépendante du temps, peut se réduire, dans les cas les plus simples, à ne contenir qu'une seule variable. Ce problème est susceptible, sans doute, d'être étudié, jusqu'à un certain point, indépendamment du premier, comme l'avait fait l'illustre Lambert à l'égard des températures permanentes d'une barre prismatique dont une extrémité est soumise à l'action d'un foyer constant. Mais une telle étude serait évidemment très imparfaite, et surtout peu rationnelle, puisque l'état final ne saurait être bien conçu qu'à la suite des modifications successives qui l'ont graduellement produit. On ne doit donc pas traiter cette question séparément de l'ensemble du problème; elle constitue seulement une des conséquences générales les plus importantes de la solution totale.

Relativement à la loi physique élémentaire, base nécessaire de cette théorie mathématique, elle consiste à supposer toujours l'intensité de l'action thermologique proportionnelle à la différence des températures, sans qu'on ait d'ailleurs besoin de rien préjuger habituellement quant au mode suivant lequel elle dépend de la distance. Si cette proportionnalité n'était point admise, il importe de remarquer, avant tout, que le véritable esprit fondamental de la doctrine générale créée par Fourier n'en saurait être aucunement altéré, ce que les physiciens ont quelquefois trop méconnu; mais l'obligation d'introduire, dans les élémens de cette doctrine, une fonction nouvelle et moins simple, compliquerait nécessairement beaucoup les équations différentielles, et pourrait ainsi rendre inextricables les difficultés purement analytiques. Or, les expériences de divers physiciens, et surtout celles de MM. Dulong et Petit, ont clairement constaté, comme je l'ai indiqué dans la leçon précédente, que cette loi, primitivement imaginée par Newton, ne pouvait plus être adoptée quand la différence des températures devenait très considérable. Toutefois, un tel résultat ne peut nullement affecter la formation des équations différentielles fondamentales relatives à la propagation intérieure de la chaleur. Car, en parvenant à ces équations, on n'a jamais à considérer que l'action thermologique instantanée de molécules infiniment voisines, dont les températures diffèrent infiniment peu. Dès lors il suffit que cette action dépende seulement de la différence des températures, ce qui demeurera toujours incontestable, pour qu'on doive la supposer ici simplement proportionnelle à cette différence, quelle que puisse être d'ailleurs la vraie fonction naturelle, conformément à l'esprit général de la méthode infinitésimale, si clairement prononcé dans toutes les recherches géométriques et mécaniques. Lorsque, en complétant chaque application effective, on arrivera à considérer l'état thermologique de la surface extérieure, modifié par voie de rayonnement, c'est seulement alors qu'une telle hypothèse deviendra purement approximative, et qu'on ne devra plus l'employer qu'avec la réserve convenable et en soumettant ses conséquences définitives aux diverses restrictions indiquées par l'expérience. Mais la théorie fondamentale ne peut jamais en être radicalement affectée.

Après ces considérations préliminaires indispensables sur la nature propre d'un tel problème, et sur l'esprit général de la solution, examinons directement la formation des équations fondamentales qui expriment les lois mathématiques de la propagation de la chaleur. Il faut, pour cela, envisager préalablement deux cas élémentaires, essentiellement abstraits sans doute, et constituant néanmoins une préparation nécessaire, puisque toutes les notions essentielles de cette théorie y trouvent leur véritable origines, et peuvent y être étudiées dans leur plus grande simplicité. Ils consistent, suivant la judicieuse expression de Fourier, dans le mouvement uniforme de la chaleur, d'abord en une seule direction, et ensuite en tous sens; ils remplissent, en effet, envers l'ensemble de la thermologie mathématique, le même office essentiel que la théorie du mouvement uniforme à l'égard de la mécanique rationnelle.

Le premier et le plus simple de ces deux cas concerne l'état final et permanent des températures dans un solide indéfini compris entre deux plans parallèles, dont chacun est supposé constamment entretenu à une température invariable, commune à tous ses points, et différente seulement de l'une à l'autre base. Quelles que soient les températures initiales des divers points intérieurs d'une masse ainsi définie, leur ensemble tendra vers un certain système définitif, qui ne serait exactement réalisé qu'au bout d'un temps infini, mais qui aurait la propriété caractéristique de subsister éternellement par lui-même s'il était une fois établi. Ce système est, par sa nature, entièrement indépendant des circonstances primitives, susceptibles seulement d'influer sur l'époque de sa réalisation, et sur les modifications qui l'auraient graduellement amenée. La définition de la masse proposée montre clairement que cet état final et fixe doit être identique en tous les points d'une même section quelconque parallèle aux deux bases, et varier uniquement d'une tranche à la suivante, d'après la distance à ces bases données. Toute la difficulté est donc réduite ici à connaître la loi précise de cette variation. Or, une telle loi doit être déduite de cette condition, caractéristique de la fixité: une tranche quelconque transmet à la suivante autant de chaleur qu'elle en reçoit de la précédente. Ce principe évident conduit aussitôt à reconnaître aisément que la température de chaque point est exprimée par une fonction du premier degré de sa distance à l'une des bases: puisque, en vertu d'une semblable distribution des températures, l'échauffement que tendrait à produire sur la molécule considérée une quelconque de celles qui l'avoisinent, serait toujours exactement compensé par le refroidissement dû à la molécule symétrique; en sorte que toutes les actions thermologiques du système, ainsi comparées, se détruiraient mutuellement. Dans cette formule, le terme indépendant de l'ordonnée est égal à la température de la base à partir de laquelle cette ordonnée est comptée; le coefficient du terme variable, a pour valeur le rapport de la différence des deux températures extrêmes données à la distance connue des deux bases.

Ce dernier coefficient est extrêmement remarquable, comme fournissant la première source élémentaire d'une notion fondamentale commune à toute la thermologie mathématique, celle de ce que Fourier a nommé le flux de chaleur, c'est-à-dire la quantité de chaleur plus ou moins grande, qui, en un temps donné, traverse perpendiculairement une aire plane de grandeur déterminée 28. La différence des températures de deux tranches quelconques étant ici toujours proportionnelle à leur distance, le flux relatif à l'unité de temps et à l'unité de surface, a pour mesure naturelle, le rapport constant de ces deux nombres, qu'exprime le coefficient proposé multiplié par la perméabilité propre à la substance considérée. Ce cas est le seul où le flux puisse être immédiatement évalué, et c'est d'après lui qu'on l'estime en toute autre circonstance, quand l'état du système varie, et que les températures ne sont pas uniformément réparties.

Note 28: (retour) Contraints de penser à l'aide de langues jusqu'ici toujours formées sous l'influence exclusive ou prépondérante d'une philosophie théologique ou métaphysique, nous ne saurions encore entièrement éviter, dans le style scientifique, l'emploi exagéré des métaphores. On ne doit donc pas reprocher à Fourier ce que les expressions précédentes contiennent, sans doute, de trop figuré. Mais il est aisé de sentir, malgré cette imperfection, qu'elles désignent seulement un simple fait thermologique général, entièrement indépendant de toute vaine hypothèse sur la nature de la chaleur, comme le savent très bien tous ceux qui ont quelque connaissance de cette théorie.

La même démonstration convient à l'analyse du second cas préparatoire, où l'on envisage l'égale distribution de la chaleur, non plus dans une seule direction, mais en tous sens. Il s'agit alors de l'état final et permanent d'une masse solide comprise entre trois couples de plans parallèles, respectivement rectangulaires, où les températures changent d'un point à un autre à raison de chacune de ses trois coordonnées. On prouve encore, dans un tel parallélépipède, que la température d'une molécule quelconque est exprimée par une fonction complète du premier degré relative aux trois coordonnées simultanément, pourvu qu'on suppose les six faces extérieures constamment entretenues aux diverses températures qu'une telle formule assignerait à chacun de leurs points. Il est aisé de reconnaître en effet, comme précédemment, que toutes les actions thermologiques élémentaires se détruisent deux à deux, en vertu de cette répartition des températures.

Ce cas donne lieu à une nouvelle remarque fondamentale sur l'interprétation thermologique des trois coefficiens propres aux diverses coordonnées contenues dans cette équation. Les échanges de chaleur s'effectuant ici en tous sens, chaque coefficient sert à mesurer le flux parallèle à l'ordonnée correspondante. Chacun de ces trois flux principaux se trouve avoir nécessairement la même valeur que si les deux autres n'existaient pas; comme en mécanique, les divers mouvemens élémentaires s'accomplissent simultanément, sans aucune altération mutuelle. En estimant ce flux suivant une nouvelle direction quelconque, on voit aussi qu'il se déduit des premiers d'après les mêmes lois mathématiques qui président, en mécanique, à la composition des forces, et, en géométrie, à la théorie des projections.

On aperçoit ici un nouvel et mémorable exemple de cette admirable propriété radicalement inhérente à l'analyse mathématique de dévoiler, quand elle est judicieusement appliquée, des analogies réelles entre les phénomènes les plus divers, en permettant de saisir dans chacun ce qu'il présente d'abstrait, et par suite, de commun. Le premier et le plus fondamental des deux cas thermologiques élémentaires que nous venons de considérer, correspond exactement, en géométrie, à la marche des ordonnées d'une ligne droite, et, en mécanique, à la loi du mouvement uniforme. Les mêmes coefficiens dont la destination thermologique est de mesurer les flux de chaleur, servent, géométriquement, à estimer les directions, et, mécaniquement, à évaluer les vitesses. Quoique je me sois efforcé, dans le premier volume, de faire convenablement ressortir, par une étude directe et générale, ce caractère fondamental de l'analyse mathématique, je ne devais pas négliger d'en signaler ici une vérification aussi capitale.

D'après les théorèmes préliminaires indiqués ci-dessus, la méthode infinitésimale permet de former aisément l'équation fondamentale relative à la propagation de la chaleur dans un cas quelconque. En effet, de quelque manière que doivent varier les températures successives d'une même molécule, ou les températures simultanées des différens points, on peut toujours concevoir la masse décomposée en élémens prismatiques, infiniment petits relativement à chacun des trois axes coordonnés, suivant les faces desquels les flux de chaleur soient uniformes et constans pendant toute la durée d'un même instant. Chaque flux sera donc nécessairement exprimé par la fonction dérivée de la température relativement à l'ordonnée correspondante. Cela posé, si le flux avait, dans les trois sens, la même valeur pour les deux faces égales et opposées perpendiculaires à la même ordonnée, la température de l'élément ne pourrait, évidemment, éprouver aucun changement, puisqu'il s'échaufferait autant par l'une de ces faces qu'il se refroidirait par l'autre. Ainsi, les variations de cette température ne sont dues qu'à l'inégalité de ces deux flux antagonistes. En évaluant cette différence, qui dépendra naturellement de la seconde dérivée de la température rapportée à l'ordonnée considérée, et ajoutant entre elles les différences propres aux trois axes, on évaluera donc exactement la quantité totale de chaleur alors introduite, et par suite, l'accroissement instantané que devra présenter effectivement la température de la molécule, pourvu qu'on ait convenablement égard à la chaleur spécifique et à la densité de cet élément. De là résulte immédiatement l'équation différentielle fondamentale, qui consiste en ce que la somme des trois dérivées partielles du second ordre de la température, envisagée tour à tour comme une fonction de chaque ordonnée isolément, est nécessairement toujours égale à la première dérivée de cette température relativement au temps, multipliée toutefois par un coefficient constant: ce coefficient a pour valeur le produit de la densité par le rapport de la chaleur spécifique à la perméabilité de la molécule. S'il était convenable de considérer directement l'état final et permanent du système, on le caractériserait aussitôt en se bornant à annuller le second membre de cette équation générale, qui ne contiendrait plus alors que trois variables indépendantes.

On voit que, conformément aux propriétés universelles des relations différentielles, une telle équation ne renferme immédiatement aucune trace, non-seulement de l'état thermologique initial, mais encore des circonstances perpétuelles propres à la surface extérieure. L'équation exprime simplement ce que le phénomène offre de plus général et de plus profond, l'échange continuel de la chaleur entre toutes les molécules du système, en vertu de leurs températures actuelles. C'est ainsi que le premier volume de cet ouvrage nous a fait voir les équations différentielles fondamentales de la géométrie et de la mécanique, représentant d'une manière uniforme, un même phénomène général, abstraction faite du cas particulier quelconque où il se réalisera. Telle est l'origine philosophique de cette parfaite coordination qu'introduit constamment l'emploi convenable de l'analyse mathématique, quand la nature de nos études les en rend susceptibles. Désormais, en thermologie, les recherches illimitées que pourront suggérer les innombrables variétés de la forme des corps et de leur mode d'échauffement seront toujours, aux yeux des géomètres, les diverses modifications analytiques d'un problème unique, invariablement assujetti à une même équation fondamentale. Les différens cas particuliers ne pourront, en effet, s'y distinguer que par la composition analytique des fonctions arbitraires propres à l'intégrale générale de cette équation.

Toutefois, comme le sens d'une telle relation abstraite ne saurait devenir entièrement déterminé qu'en ayant égard aux conditions caractéristiques de chaque question spéciale, il importe de signaler maintenant, pour compléter cette indication sommaire, le mode uniforme suivant lequel Fourier a conçu l'introduction analytique de ces conditions complémentaires. Il faut distinguer, à cet effet, entre l'état initial des différens points du système et l'état permanent de la surface extérieure, titres généraux sous lesquels pourront toujours être classées toutes ces diverses particularités.

Quant à la considération des températures primitives, elle ne présente immédiatement aucune difficulté analytique qui lui soit propre, si ce n'est lorsqu'on en vient à exécuter les intégrations. Alors, les fonctions arbitraires doivent être choisies de telle manière que, en annullant le temps dans la formule générale qui représente la température de chaque point à un instant quelconque, afin de remonter à l'état initial, cette formule devienne exactement identique avec la fonction des coordonnées, préalablement définie, par laquelle a été caractérisé le système thermologique originel. Cette condition ne donne donc lieu à aucune relation différentielle générale.

Il n'en est pas de même relativement à l'état de la surface. On doit alors exprimer que la formule générale des températures, quand on y suppose, entre les coordonnées qui s'y trouvent, la relation convenable à la surface proposée, coïncide, en tout temps, avec celle qui convient à cette surface. Or, cette condition étant, de sa nature, permanente, elle est susceptible d'être prise en considération d'une manière générale par une équation différentielle subsidiaire, puisqu'elle altère continuellement le mode fondamental de propagation, tandis que l'influence de l'état initial devait se borner uniquement à affecter les valeurs absolues des températures propres à un instant donné. Cette équation différentielle, qui est nécessairement du premier ordre, s'obtient en égalant, pour un élément quelconque de la surface, la quantité de chaleur qu'il reçoit, selon sa normale, de la part des molécules intérieures correspondantes, avec celle qui tend à sortir par l'influence donnée du système ambiant. L'ordre moins élevé d'une telle équation, comparativement à l'équation fondamentale de la propagation intérieure, résulte de ce que, dans celle-ci, il fallait inévitablement considérer la différentiation du flux entre les deux faces opposées de chaque élément, tandis que, pour la surface, on doit, au contraire, envisager le flux lui-même, immédiatement compensé par l'action du milieu. Si, par une cause quelconque, une certaine couche intérieure était assujettie d'avance à un système de températures déterminé, il en résulterait aussitôt, comme le remarque judicieusement Fourier, la même solution de continuité qu'à la surface dans le mode général de propagation de la chaleur.

Cette équation auxiliaire propre à tous les points de l'enveloppe, contient nécessairement, outre les fonctions dérivées de la température relativement aux coordonnées qui expriment le flux suivant chacune d'elles, les coefficiens différentiels purement géométriques par lesquels est définie analytiquement la direction de la normale en chaque point de la surface. Tel est le mode général suivant lequel la forme des corps se trouve convenablement introduite dans la thermologie mathématique, de manière à exercer toujours sur l'ensemble de la solution une influence inévitable et spéciale. L'observation avait, sans doute, signalé depuis long-temps une telle influence, par des indications incontestables; mais on conçoit qu'il était impossible de s'en faire une juste idée, avant que la doctrine de Fourier eût rationnellement assigné son véritable rang général parmi les diverses causes qui concourent à l'effet total, dont l'exploration directe ne saurait fournir à cet égard que des notions essentiellement vagues et confuses.

Tels sont les moyens généraux de mettre en équation tous les problèmes relatifs à la propagation de la chaleur dans les solides, ainsi que les deux sortes de conditions complémentaires destinées à déterminer, pour chaque cas particulier, les fonctions arbitraires correspondantes à cette équation différentielle du second ordre. La nature de cet ouvrage et ses limites nécessaires ne me permettent point de donner ici aucune idée, même sommaire, du système entièrement neuf de procédés analytiques créé par le génie de Fourier pour l'intégration de ces équations, qui se trouvaient dépendre inévitablement de la partie la plus difficile et la plus imparfaite du calcul intégral. Cette belle analyse est surtout caractérisée par le soin qu'on y prend constamment de chercher directement l'intégrale convenable à la question thermologique, sans la déduire de celle qui présente la plus grande généralité abstraite, et dont la formation serait presque toujours impossible. Les conditions subsidiaires relatives, soit à l'état primitif du système, soit à l'état permanent de la surface, y ont introduit la considération indispensable des fonctions discontinues, dont la théorie, maintenant si satisfaisante, était jusque alors à peine ébauchée dans ses premiers rudimens. Les théorèmes généraux sur la transformation de ces fonctions en séries trigonométriques, procédant selon les sinus ou les cosinus des multiples indéfinis de la variable, ou en intégrales définies équivalentes, ont notablement agrandi le domaine fondamental de l'analyse mathématique, indépendamment de leur destination directe pour la thermologie. J'ai déjà noté, dans le premier volume, comment la géométrie pouvait les employer à compléter la représentation analytique de toutes les figures, en l'étendant à des portions limitées des lieux géométriques ou à des assemblages quelconques des diverses formes, ce qui était d'ailleurs nécessaire à la thermologie mathématique, afin d'y pouvoir étudier la propagation de la chaleur dans les polyèdres. Mais la manière dont Fourier a dirigé l'usage de ses procédés analytiques n'est peut-être pas moins remarquable, sous le point de vue philosophique, que l'invention même de tels moyens. Non-seulement il s'est toujours scrupuleusement attaché, dans tous les cas importans, à obtenir finalement des formules claires, simples et facilement évaluables en nombres, comme on devrait le faire à l'égard de questions quelconques; mais il les a, en général, tellement composées qu'elles dévoilent, au premier aspect, la marche essentielle du phénomène proposé, leurs différens termes exprimant sans cesse des états thermologiques élémentaires et distincts, qui se superposent continuellement, ainsi que l'exploration directe le ferait apercevoir, si elle était praticable avec un tel degré de précision.

Sous le point de vue purement analytique, les problèmes thermologiques offrent, par leur nature, une analogie fondamentale avec ceux que fait naître l'étude du mouvement des fluides. Il s'agit, de part et d'autre, de fonctions de quatre variables indépendantes, assujetties à des équations aux différences partielles du second ordre, dont la composition est habituellement semblable. La parité s'étend même, à beaucoup d'égards, aux conditions auxiliaires. Celles relatives aux températures primitives des diverses molécules, sont remplacées, dans les problèmes hydrodynamiques, par les vitesses initiales des différens points. De même, le maintien constant de la surface du fluide à un degré donné de pression extérieure, représente l'état permanent de l'enveloppe du solide échauffé à une température déterminée, indépendante de la propagation interne. Il y a toutefois, sous ce dernier rapport, une différence essentielle entre les deux cas, puisque, dans le problème thermologique, la forme de la surface demeure invariable pendant toute la durée du phénomène, tandis qu'elle change, dans la question hydrodynamique, à mesure que le phénomène s'accomplit, ce qui doit augmenter nécessairement les difficultés analytiques. Mais, quoique les deux analyses ne puissent pas, sans doute, être envisagées comme exactement identiques, leurs analogies naturelles n'en sont pas moins évidemment assez profondes pour que les progrès généraux de l'une, deviennent immédiatement applicables au perfectionnement de l'autre, ainsi que Fourier l'a annoncé. On doit donc compter que, lorsque l'ensemble de la doctrine de Fourier sera plus connu et mieux apprécié, les géomètres en feront un usage très étendu et fort important dans l'exploration analytique des mouvemens des fluides, comme Corancez l'a déjà tenté.

En considérant sous un aspect philosophique l'esprit général de cette analyse thermologique, elle m'a semblé comporter un perfectionnement fondamental, que je dois ici indiquer sommairement aux géomètres susceptibles de le comprendre et de l'utiliser. Il consisterait essentiellement dans l'application du calcul des variations à la thermologie, jusqu'ici tout-à-fait privée de cette précieuse méthode. Partout où une grandeur quelconque reçoit deux sortes d'accroissemens, non-seulement divers et indépendans, mais aussi radicalement hétérogènes, la conception des variations peut être introduite, et présente constamment la propriété essentielle d'améliorer, dans ses élémens, l'expression analytique des phénomènes, en distinguant mieux, par le calcul même, les causes naturellement différentes. C'est ainsi que Lagrange a si heureusement transporté cette conception dans l'analyse mécanique, où elle empêche de confondre désormais les différentiations purement géométriques avec celles dont le caractère est vraiment dynamique. Or, la thermologie me paraît comporter une telle application, tout aussi naturellement que la mécanique. Car on y considère toujours évidemment, à l'égard des températures, deux ordres bien tranchés de changemens généraux: ceux qu'éprouve, aux diverses époques du phénomène, la température d'une même molécule, et ceux qui se manifestent en un même instant, en passant d'un point à un autre. Deux points de vue différentiels aussi distincts, jusqu'ici sans cesse confondus dans les équations thermologiques, pourraient y être habituellement séparés avec facilité en appliquant à l'un d'eux l'algorithme spécial des variations, qui conviendrait surtout au second. Un tel perfectionnement ne se bornerait pas à l'amélioration des notations fondamentales, ce qui d'ailleurs aurait déjà, pour tout analyste, une extrême importance. Mais je ne doute pas, en outre, que l'emploi judicieux des transformations générales enseignées par le calcul des variations pour isoler les deux caractéristiques, ne contribuât beaucoup à simplifier l'ensemble de la solution analytique, en même temps qu'à l'éclaircir, et à la mettre mieux en harmonie avec la marche du phénomène thermologique. La nature et l'étendue de mes travaux propres ne me laissant guère l'espoir de suivre jamais cette pensée d'une manière convenablement spéciale, j'ai dû la livrer immédiatement aux géomètres qui seraient disposés à profiter d'une telle ouverture.

Après avoir suffisamment caractérisé sous ses principaux aspects la théorie mathématique de la propagation graduelle et continue de la chaleur ou du froid dans les corps solides, il resterait à analyser philosophiquement la doctrine générale de Fourier en ce qui concerne l'étude de la chaleur rayonnante. Mais cette opération ne pourrait s'effectuer clairement qu'à l'aide de développemens très étendus qui seraient ici déplacés. D'ailleurs, les considérations précédentes, relatives à la question la plus importante et la plus difficile, font assez concevoir comment les phénomènes thermologiques ont pu être irrévocablement ramenés à des lois mathématiques, ce qui devait être, dans cet ouvrage, mon seul but essentiel. Je me bornerai donc, quant à l'analyse du rayonnement, à signaler ici son résultat général le plus remarquable, qui consiste dans l'explication rationnelle du mode suivant lequel varie l'intensité du rayonnement d'après sa direction.

J'ai déjà noté à ce sujet, dans la leçon précédente, comment M. Leslie avait découvert, par une expérimentation ingénieuse, la variation continuelle de cette intensité proportionnellement aux sinus des angles que forment les rayons, soit émergens, soit incidens, avec la surface correspondante. Or, Fourier a pleinement démontré que cette loi est indispensable à l'établissement ou au maintien de l'équilibre thermométrique entre deux corps quelconques. Une molécule placée arbitrairement dans l'intérieur d'une enceinte très étendue, dont toutes les parties sont exactement à une même température constante, prend toujours, au bout d'un certain temps, cette température commune, et la conserve indéfiniment quand elle l'a une fois acquise: c'est ce qu'indiquent clairement les observations les plus vulgaires. Il est d'abord aisé de prouver qu'un tel résultat ne saurait avoir lieu si toutes les parties de l'enceinte rayonnaient sur la molécule avec la même énergie, abstraction faite de l'inégalité des distances: la chaleur émise perpendiculairement à la surface de l'enceinte ne peut donc avoir la même intensité que celle qui en émane suivant des directions plus ou moins obliques. Les considérations employées par Fourier montrent ensuite, d'après une analyse plus approfondie, que cette température commune n'existerait pas davantage si l'on faisait varier l'intensité du rayonnement suivant toute autre loi que celle du sinus de l'obliquité: l'état thermométrique de la molécule dépendrait alors de sa situation, et pourrait présenter les différences les plus absurdes d'une position à l'autre, au point d'être, en certains cas, très supérieur ou très inférieur à l'état général et permanent de l'enceinte. La démonstration est simple, quand on a seulement égard à la chaleur directement envoyée à la molécule par chaque élément de l'enceinte; mais elle se complique beaucoup lorsqu'on vient à considérer, comme l'exige une analyse complète, celle qui peut en provenir aussi après un nombre quelconque de réflexions successives. Enfin, il suffit de remplacer la molécule proposée par un corps de dimensions sensibles, pour étendre le même raisonnement mathématique à la partie de la loi empirique de M. Leslie, qui concerne la chaleur reçue au lieu de la chaleur émise. Ainsi, ce beau travail de Fourier rattache directement au simple fait général et vulgaire de l'équilibre thermométrique cette loi remarquable, base principale de la théorie du rayonnement, et que les expériences des physiciens ne pouvaient sans doute établir que d'une manière seulement approximative. Cette démonstration difficile constitue certainement une des plus heureuses applications de l'analyse mathématique aux études physiques, envisagées sous un point de vue spécial.

D'après le plan général établi dans les prolégomènes de cet ouvrage, la philosophie naturelle, conçue abstraitement, doit être le seul sujet de notre examen habituel, et nous avons dû nous interdire d'y comprendre, d'ordinaire, les considérations concrètes relatives à l'ensemble de l'histoire naturelle proprement dite, le système des sciences secondaires ne pouvant être qu'une dérivation de celui des sciences fondamentales (voyez la deuxième leçon). Je ne saurais donc envisager ici, avec toutes les indications spéciales qu'exigerait son exacte appréciation philosophique, l'importante théorie des températures terrestres, qui constitue cependant l'application la plus essentielle et en même temps la plus difficile de la thermologie mathématique. Toutefois, je ne puis m'empêcher de signaler sommairement une partie aussi neuve et aussi intéressante de la doctrine générale créée par Fourier.

La température propre à chaque point de notre globe est essentiellement due, abstraction faite des influences purement locales ou accidentelles, à l'action diversement combinée de trois causes générales et permanentes: 1º la chaleur solaire, affectant inégalement les différens lieux, et partout assujettie à des variations périodiques; 2º la chaleur intérieure propre à la terre dès l'origine de sa formation à l'état de planète distincte; 3º enfin, l'état thermométrique général de l'espace occupé par le monde dont nous faisons partie. La seconde cause agit seule directement sur tous les points de la masse terrestre; l'influence des deux autres est immédiatement limitée à la seule surface extérieure. Elles sont, d'ailleurs, énumérées ici dans l'ordre effectif suivant lequel elles ont pu nous être successivement dévoilées, c'est-à-dire d'après leur participation plus ou moins étendue et plus ou moins évidente à la production des phénomènes thermologiques de la surface, les seuls complètement observables.

Avant Fourier, ces phénomènes étaient regardés, par l'ensemble des physiciens et des naturalistes, comme devant être uniquement attribués à l'action solaire, tant leur analyse avait été jusque alors vague et superficielle. L'opinion d'une chaleur centrale était à la vérité très ancienne; mais cette hypothèse, arbitrairement rejetée par les uns, tandis que les autres l'admettaient d'une manière non moins hasardée, n'avait réellement aucune consistance scientifique, la discussion n'ayant jamais porté sur la part que cette chaleur originaire pouvait avoir aux variations thermologiques de la surface. La théorie mathématique de Fourier lui a montré clairement que, à cette surface, les températures différeraient extrêmement de ce que nous observons, soit quant à leur valeur, soit surtout quant à leur comparaison générale, si la masse terrestre n'était point partout pénétrée d'une chaleur propre et primitive, indépendante de l'action du soleil, et qui tend à se perdre, à travers l'enveloppe, par son rayonnement vers les autres astres, quoique l'atmosphère doive ralentir beaucoup cette déperdition naturelle. Cette chaleur originaire contribue directement très peu aux températures superficielles effectives; mais elle empêche que leurs variations périodiques suivent d'autres lois que celles qui doivent résulter de l'influence solaire, laquelle, sans cela, se perdrait, en majeure partie, dans la masse totale du globe. En considérant les points intérieurs, même très près de l'enveloppe, et à une distance d'ailleurs d'autant moindre qu'ils sont plus rapprochés de l'équateur, la chaleur centrale devient prépondérante, et bientôt c'est elle qui règle exclusivement les températures correspondantes, dont la fixité rigoureuse, et l'accroissement graduel à mesure que la profondeur augmente, ont tant attiré dans ces derniers temps l'attention des observateurs.

Quant à la troisième cause générale des températures terrestres, personne, jusqu'à Fourier, n'en avait seulement conçu la pensée. Et néanmoins, comme cet illustre philosophe avait coutume de l'indiquer à ceux qu'il honorait de ses entretiens familiers, si, quand la terre a quitté une partie quelconque de son orbite, elle y laissait un thermomètre, cet instrument, supposé soustrait à l'action solaire, ne pourrait sans doute baisser indéfiniment; la liqueur s'arrêterait nécessairement à un certain point, qui indiquerait la température de l'espace où nous circulons. Cette ingénieuse supposition n'est que l'énoncé le plus simple et le plus frappant du résultat général des travaux de Fourier à ce sujet, qui ont clairement établi que la marche effective des températures à la surface de notre globe serait totalement inexplicable, même en ayant égard à la chaleur intérieure, si l'espace ambiant n'avait point une température propre et déterminée, qui doit très peu différer de celle qu'on observerait réellement aux deux pôles de la terre, quoique son évaluation véritable présente jusqu'ici quelque incertitude. Il est remarquable que, des deux causes thermologiques nouvelles découvertes par Fourier, la première soit susceptible d'être directement mesurée à l'équateur, à quelques centimètres de la surface, et la seconde aux pôles; tandis que, sur tous les points intermédiaires, l'observation a besoin d'être dirigée et interprétée par une analyse mathématique approfondie pour qu'on puisse démêler, dans ses indications totales, l'influence propre à chacune des trois actions fondamentales.

Le grand problème des températures terrestres étant ainsi défini quant à ses élémens généraux, sa solution mathématique constitue l'application la plus difficile de la thermologie analytique. Il s'agit alors d'analyser exactement la marche des températures dans une sphère donnée, dont l'état initial est exprimé par une fonction déterminée, mais inconnue, des coordonnées d'une molécule quelconque, et dont la surface, en même temps qu'elle rayonne vers un milieu qu'on doit supposer à une température constante, d'ailleurs ignorée, reçoit continuellement l'influence d'une cause thermologique variable, exprimée par une fonction périodique très complexe, quoique donnée, du temps écoulé: il faut encore avoir égard à l'enveloppe gazeuse dont cette sphère est entourée, et qui doit sensiblement modifier le mouvement naturel de la chaleur à sa surface. L'extrême complication d'un tel problème, et notre ignorance nécessaire à l'égard de l'une des conditions essentielles, ne sauraient permettre d'en obtenir une solution rationnelle vraiment complète, quoiqu'on puisse le simplifier en regardant la température initiale de chaque molécule intérieure comme dépendant seulement de sa distance au centre. Toutefois, l'état thermologique de la surface ou des couches qui l'avoisinent devant constituer ici la plus intéressante partie de la recherche, il a été possible, en dirigeant judicieusement tous les efforts vers ce seul but, de parvenir, sous ce rapport, à des résultats très satisfaisans, essentiellement dégagés de toute hypothèse précaire sur la loi relative à la chaleur intérieure, envers laquelle Fourier s'est toujours si sagement abstenu de prononcer. La marche générale des températures superficielles est désormais nettement caractérisée dans ses variations principales, soit diurnes, soit annuelles; nous connaissons le mode suivant lequel y participe chacune des trois causes thermologiques; enfin, nous apprécions convenablement l'influence essentielle de l'atmosphère, qui, par une alternative périodique, échauffe et refroidit tour à tour la surface, et contribue ainsi à la régularité des phénomènes. Quoique cette étude difficile soit encore si près de sa naissance, ses progrès principaux, relativement à ce que nous pouvons espérer d'en connaître d'une manière positive, ne dépendent essentiellement désormais que du perfectionnement des observations, dont la belle théorie de Fourier a d'ailleurs nettement tracé le plan le plus rationnel. Quand les données indispensables du problème seront ainsi mieux connues, celle théorie permettra de remonter avec certitude à quelques indications précises sur l'ancien état thermologique de notre globe, aussi bien que sur ses modifications futures. Mais, dès aujourd'hui, nous avons obtenu par là un résultat définitif d'une haute importance philosophique, en reconnaissant que l'état périodique de la surface est maintenant devenu essentiellement fixe, et ne peut éprouver que d'imperceptibles variations par le refroidissement continu de la masse intérieure dans la suite des siècles postérieurs. Ce résumé rapide, quelque imparfait qu'il soit, montre clairement quelle admirable consistance scientifique a pris tout à coup, par les seuls travaux d'un homme de génie, cette branche fondamentale de l'histoire naturelle du globe terrestre, qui, jusqu'à Fourier, ne se composait que d'opinions vagues et arbitraires, entremêlées de quelques observations incomplètes et incohérentes, d'où ne pouvait résulter aucune exacte notion générale.

Tels sont, en aperçu, les principaux caractères scientifiques de la thermologie mathématique créée par le génie du grand Fourier. Beaucoup de géomètres contemporains se sont déjà empressés de parcourir cette nouvelle carrière ouverte à l'esprit mathématique, mais sans ajouter réellement jusqu'ici rien de vraiment capital aux résultats des travaux de Fourier. On doit même dire que la plupart d'entre eux n'ont vu essentiellement encore, en de telles recherches, qu'un nouveau champ d'exercices analytiques, où l'on pouvait aisément obtenir une célébrité momentanée, en modifiant, d'une manière plus ou moins intéressante, les cas traités par l'illustre fondateur. Ces travaux secondaires n'indiquent pas, le plus souvent, ce sentiment profond de la vraie philosophie mathématique, dont Fourier fut peut-être plus éminemment pénétré qu'aucun autre grand géomètre, et qui consiste surtout dans la relation intime et continue de l'abstrait au concret, comme je me suis tant efforcé de l'établir nettement. On a vu, par exemple, un géomètre, aujourd'hui très renommé, attacher une puérile importance à reprendre l'équation fondamentale de la propagation de la chaleur, en y concevant variable, d'un point à un autre, la perméabilité, que Fourier avait supposée constante, mais en continuant d'ailleurs à l'y regarder comme identique en tous sens. Néanmoins, dans cet ensemble, déjà très étendu, de recherches analytiques sur la thermologie, il faut distinguer les travaux de M. Duhamel, les seuls dignes jusqu'ici d'être remarqués comme ajoutant réellement quelque chose à la théorie fondamentale de Fourier, en cherchant à perfectionner la représentation analytique des phénomènes effectifs. J'indiquerai surtout l'heureuse conception de ce géomètre sur la perméabilité.

M. Duhamel a senti qu'il serait illusoire de faire varier cette propriété dans les différens points d'un corps, si, pour chaque molécule, on la laissait égale en tous sens, ses modifications réelles devant être, évidemment, bien plus prononcées selon les directions que suivant les lieux. Il a donc reformé l'équation générale de la thermologie, en y regardant la perméabilité comme assujettie à ces deux ordres simultanés de variations. Son analyse l'a conduit à découvrir un théorème général très remarquable sur les relations fixes des diverses perméabilités d'une même molécule quelconque dans toutes les directions différentes. Ce théorème est relatif au cas où la perméabilité serait la même en tous les points du corps, et varierait seulement, pour chacun d'eux, suivant les directions. Il consiste en ce que, dans une telle hypothèse, il existe toujours, pour une masse quelconque, trois directions rectangulaires déterminées, que M. Duhamel a judicieusement nommées axes principaux de conductibilité, et selon lesquelles le flux de chaleur a la même valeur que si la conductibilité était constante: le flux est un maximum relativement à l'un de ces axes, et varie, en tout autre sens, proportionnellement au cosinus de l'angle correspondant. Ces axes thermologiques offrent, en général, par l'ensemble de leurs propriétés, une analogie intéressante et soutenue avec les axes dynamiques découverts par Euler dans la théorie des rotations: il est digne de remarque que les uns et les autres soient caractérisés par les mêmes conditions analytiques, comme l'a montré M. Duhamel. Leur considération présente surtout la même importance pour faciliter l'étude analytique du phénomène, puisque, en y rapportant les coordonnées, M. Duhamel est parvenu à rendre l'équation fondamentale aussi simple, dans le cas de la perméabilité variable, que Fourier l'avait établie pour la conductibilité constante, avec cette seule différence que les trois termes du second ordre n'y ont plus des coefficiens égaux. Cette intéressante découverte, envisagée sous le point de vue philosophique, complète, d'une manière remarquable, l'harmonie fondamentale, déjà signalée à tant d'autres égards par Fourier, entre l'analyse thermologique et l'analyse dynamique. Son utilité effective est, toutefois, notablement diminuée par la nature essentiellement hypothétique de la constitution thermologique correspondante: car, le théorème cesse nécessairement d'avoir lieu lorsqu'on vient à envisager la perméabilité comme variable, non-seulement selon les directions, mais aussi suivant les points, ce qui est, néanmoins, sans doute, le cas réel, à l'égard duquel M. Duhamel a d'ailleurs établi ensuite l'équation différentielle complète du phénomène.

On n'a point encore tenté d'examiner les modifications que devrait éprouver la thermologie mathématique, en tenant compte des changemens que l'accomplissement du phénomène peut introduire, à ses diverses époques, dans la perméabilité propre à chaque molécule et à chaque direction: il en est ainsi des altérations analogues de la chaleur spécifique. Aucune de ces propriétés, et surtout la dernière, ne saurait cependant être envisagée comme rigoureusement invariable à toutes les températures, conformément à ce que j'ai indiqué dans la leçon précédente. Leurs inégalités doivent, sans doute, exercer une influence réelle sur tous les cas qui comportent des changemens de température très étendus. Il serait difficile d'y avoir égard sans compliquer beaucoup les équations thermologiques fondamentales, dont l'intégration deviendrait alors peut-être entièrement inextricable, comme on le voit ordinairement dans l'étude analytique des phénomènes physiques quelconques, même les plus simples, quand on veut trop rapprocher l'état abstrait de l'état concret. Ces modifications sont même celles qui, par leur nature, compliqueraient le plus les difficultés fondamentales du problème thermologique, envisagé sous le point de vue analytique; car, en y ayant égard, l'équation différentielle de la propagation de la chaleur, cesserait nécessairement d'être linéaire, et par conséquent échapperait dès lors à toutes les méthodes d'intégration employées jusqu'ici, toujours essentiellement relatives à un tel genre d'équations. Toutefois, l'ignorance complète où nous sommes encore des lois effectives de ces altérations, dont l'existence est à peine constatée jusqu'ici par les observations, obligera long-temps les géomètres et les physiciens à supposer ces deux propriétés spécifiques parfaitement constantes, quoique cette hypothèse primitive doive être rectifiée plus tard. La philosophie astronomique nous a fréquemment montré combien il importe que le véritable esprit scientifique n'introduise pas, dans ses conceptions rationnelles, une complication prématurée, quand l'exploration plus attentive des phénomènes n'en a point encore manifesté la nécessité positive.

Il y a tout lieu de penser que cette maxime philosophique, dont la sagesse est évidente, a seule empêché Fourier de prendre en considération toutes les diverses modifications indiquées ci-dessus. Il a dû même s'abstenir essentiellement d'attirer l'attention sur elles, dans la crainte de compliquer l'exposition fondamentale d'une théorie aussi neuve par l'introduction de difficultés accessoires, qui en auraient obscurci le caractère principal. Ses méditations lui avaient sans doute montré comment ses successeurs, en poursuivant la carrière ouverte par son génie, pourraient avoir aisément égard à toutes les considérations secondaires qu'il avait judicieusement élaguées, lorsqu'elles auraient été convenablement définies, sauf les embarras analytiques qui en résulteraient.

Je me suis efforcé, dans cette leçon, de donner, aussi nettement que possible, sans sortir des limites conformes à la nature de cet ouvrage, une faible idée générale de l'admirable théorie mathématique créée par Fourier pour perfectionner l'étude des phénomènes thermologiques fondamentaux. Indépendamment du génie, non seulement analytique, mais surtout mathématique, qui caractérise si éminemment ce bel ensemble de découvertes, on a dû remarquer, dans mon imparfaite indication, avec quelle persévérante sagesse philosophique Fourier s'était scrupuleusement attaché, dès l'origine de ses recherches, à la thermologie positive, dont il ne s'écarta jamais un seul instant tout en prenant l'essor le plus sublime, à une époque où néanmoins, partout autour de lui, on s'accordait à ne regarder comme dignes de l'attention des penseurs que les travaux propres à appuyer telle ou telle conception arbitraire sur la nature de la chaleur. En considérant d'une manière impartiale et approfondie l'harmonie de ces hautes qualités, dont la perte est peut-être encore trop récente pour être convenablement appréciée par le vulgaire des savans, je ne crains pas de prononcer, comme si j'étais à dix siècles d'aujourd'hui, que, depuis la théorie de la gravitation, aucune création mathématique n'a eu plus de valeur et de portée que celle-ci, quant aux progrès généraux de la philosophie naturelle: peut-être même, en scrutant de près l'histoire de ces deux grandes pensées, trouverait-on que la fondation de la thermologie mathématique par Fourier était moins préparée que celle de la mécanique céleste par Newton.

Et cependant un tel génie a été long-temps méconnu; ses créations ont été contestées par d'indignes rivaux; et, lorsqu'il n'a plus été possible de nier ses droits irrécusables, on s'est efforcé d'atténuer l'importance de ses immortels travaux. Enfin, quand il nous fut ravi, à peine commençait-il à jouir librement, depuis quelques années, de la plénitude d'une gloire si hautement méritée: il a disparu sans avoir exercé, dans le monde savant, cette prépondérance paisible et continue du maître sur les disciples, dernière fonction sociale naturellement assignée aux hommes de génie, dont elle constitue la principale récompense après le libre développement de leur activité essentielle, que Newton, Euler et Lagrange obtinrent si complétement, et que Fourier était, comme eux, si propre à rendre éminemment profitable aux progrès généraux de l'esprit humain. Une telle destinée a dû être sans doute bien imparfaitement compensée par la conviction profonde et habituelle que la postérité le classerait indéfiniment dans le très petit nombre des géomètres vraiment créateurs, dès l'époque prochaine où l'on aurait oublié presque jusqu'au nom de ceux que la médiocrité de ses contemporains avait osé placer à son niveau et même au-dessus de lu 29.

Note 29: (retour) On excusera, j'espère, ce faible témoignage spécial, consacré à la mémoire vénérée d'un illustre ami, dont le génie vraiment supérieur n'a généralement obtenu qu'une tardive et incomplète justice.



TRENTE-DEUXIÈME LEÇON.




Considérations générales sur l'acoustique.

Quoique cette branche fondamentale de la physique ait évidemment passé, comme toutes les autres, par l'état théologique et ensuite par l'état métaphysique, elle a pris, aussi complétement que la barologie, et presque depuis la même époque, son caractère scientifique définitif. Par une suite nécessaire de la nature beaucoup plus compliquée des phénomènes si délicats dont elle s'occupe, la théorie du son est certainement bien moins avancée que celle de la pesanteur, qui doit sans doute rester toujours supérieure à toute autre partie de la physique, quels que puissent être nos progrès futurs. Mais, malgré cette inévitable gradation, la positivité de l'acoustique est néanmoins tout aussi parfaite que celle de la barologie elle-même, depuis que la connaissance exacte des propriétés mécaniques élémentaires de l'atmosphère a permis de concevoir nettement, vers le milieu de l'avant-dernier siècle, la production et la transmission des vibrations sonores. Aujourd'hui, en effet, l'acoustique n'est pas moins radicalement affranchie que la barologie de ces hypothèses anti-scientifiques, derniers vestiges de l'esprit métaphysique, qui vicient encore, plus ou moins profondément, tout le reste de la physique. On a tenté, il est vrai, au commencement de notre siècle, ainsi que je l'ai indiqué dans la vingt-huitième leçon, de personnifier le son comme la chaleur, la lumière, et l'électricité. Mais cette aberration isolée et intempestive ne pouvait acquérir aucune consistance, et n'a pas, en effet, exercé la moindre influence sur la marche des physiciens, pour la plupart desquels elle a passé inaperçue, malgré l'incontestable supériorité de l'illustre naturaliste qui s'y était laissé entraîner. La même doctrine générale des vibrations qui, abusivement transportée à l'étude des phénomènes lumineux, par exemple, ne peut y conduire qu'à des conceptions chimériques, convient parfaitement, au contraire, à l'analyse des phénomènes sonores, où elle nous offre l'expression exacte d'une évidente réalité.

Indépendamment du haut intérêt philosophique que doit naturellement inspirer aujourd'hui une telle étude par cette entière pureté de son caractère scientifique, et abstraction faite de l'extrême importance directe évidemment propre aux phénomènes qu'elle considère, cette belle partie de la physique mérite, sous deux rapports principaux, l'attention spéciale des esprits qui envisagent l'ensemble des connaissances positives, vu l'application générale très précieuse dont l'acoustique est susceptible pour perfectionner les notions fondamentales relatives, soit aux corps inorganiques, soit à l'homme lui-même.

D'une part, en effet, l'examen des vibrations sonores constitue notre moyen le plus rationnel et le plus efficace, si ce n'est le seul, d'explorer, jusqu'à un certain point, la constitution mécanique intérieure des corps naturels, dont l'influence doit surtout se manifester dans les modifications qu'éprouvent les mouvemens vibratoires de leurs molécules. Les faibles renseignemens obtenus jusqu'ici à cet égard par une telle voie, à cause de l'imperfection actuelle de l'acoustique, ne sauraient indiquer, ce me semble, l'impossibilité d'employer ultérieurement, avec un vrai succès, ce mode général d'exploration, quand l'étude du son sera plus avancée. Les belles suites d'observations de M. Chladni et de M. Savart, quoique trop peu variées, n'ont-elles pas déjà fourni à ce sujet quelques indications précieuses sur les propriétés essentielles d'un tel système d'expérimentation. L'étude approfondie des phénomènes sonores ne nous révèle-t-elle pas certaines propriétés délicates des corps naturels, qui ne pourraient s'y apercevoir d'aucune autre manière? Par exemple, la faculté de contracter de véritables habitudes, c'est-à-dire des dispositions fixes, d'après une suite suffisamment prolongée d'impressions uniformes, faculté qui semblait exclusivement appartenir aux êtres animés, n'est-elle pas ainsi clairement indiquée, à un degré plus ou moins grand, pour les appareils inorganiques eux-mêmes? N'est-ce point aussi aux mouvemens vibratoires qu'il faut attribuer l'influence remarquable que peuvent exercer l'un sur l'autre, en certains cas, deux appareils mécaniques entièrement séparés, comme, entre autres, dans la singulière action mutuelle de deux horloges placées sur un support commun?

D'une autre part, l'acoustique présente évidemment à la physiologie un point d'appui indispensable pour l'analyse exacte des deux fonctions élémentaires les plus importantes à l'établissement des relations sociales, l'audition et la phonation. En séparant avec soin tout ce qui concerne la perception des sons, et même leur simple transmission au cerveau, phénomènes essentiellement nerveux, de ce qui est purement relatif à leur impression sur l'organe de l'ouïe, on voit clairement que l'étude de ces derniers phénomènes, sans lesquels les autres resteraient nécessairement inexplicables, doit avoir pour base rationnelle une connaissance approfondie des lois générales de l'acoustique, qui règlent inévitablement le mode de vibration de tout appareil auditif. Il en est ainsi, à plus forte raison, quant à la production de la voix, phénomène essentiellement assimilable, par sa nature, à l'action de tout autre instrument sonore, sauf la complication supérieure due aux modifications presque continuelles de l'appareil vocal, en vertu des innombrables variations organiques, et dont les plus délicates seront toujours, sans doute, à peu près inappréciables.

Mais, malgré cette incontestable relation, ou, plutôt, en y ayant convenablement égard, ce n'est pas aux physiciens proprement dits qu'appartient rationnellement l'étude de ces deux grands phénomènes, dont les anatomistes et les physiologistes ne doivent pas se dessaisir, pourvu qu'ils empruntent désormais à la physique toutes les notions nécessaires. Car, les physiciens sont, en eux-mêmes, essentiellement impropres, soit à l'usage judicieux des données anatomiques du problème, soit surtout à la saine interprétation physiologique des résultats obtenus. On aperçoit ainsi combien sont déplacées, dans nos systèmes actuels de physique, les théories, d'ailleurs si superficielles, de l'audition et de la phonation: on en peut dire autant, par les mêmes motifs fondamentaux, quant à la théorie si imparfaite de la vision. Il semble que les physiciens aient voulu tenter, à ces divers égards, la combinaison inverse de celle qui devrait être réellement entreprise par les physiologistes, seuls compétens pour l'établir: aussi aurons-nous lieu de constater, dans le volume suivant, les graves préjudices qu'a nécessairement produits cette marche irrationnelle, relativement à nos vraies connaissances sur ces sujets difficiles.

Parmi toutes les branches principales de la physique, l'acoustique est, sans doute, après la barologie, celle qui, par sa nature, comporte le plus directement, et de la manière la plus satisfaisante, une large application des doctrines et des méthodes mathématiques. Considérés, en effet, sous le point de vue le plus général, les phénomènes sonores se rattachent évidemment à la théorie fondamentale des oscillations très petites d'un système quelconque de molécules autour d'une situation d'équilibre stable. Car, pour que le son se produise, il faut d'abord qu'il y ait perturbation brusque dans l'équilibre moléculaire, en vertu d'un ébranlement instantané; et il est tout aussi indispensable que ce dérangement passager soit suivi d'un retour suffisamment prompt à l'état primitif. Les oscillations plus ou moins perceptibles et continuellement décroissantes qu'effectue ainsi le système en-deçà et au-delà de sa figure de repos, sont, par leur nature, sensiblement isochrones, puisque la réaction élastique en vertu de laquelle chaque molécule tend à reprendre sa position initiale est d'autant plus énergique que l'écartement a été plus grand, comme dans le cas du pendule. Pourvu que ces vibrations ne soient pas trop lentes, il en résulte toujours un son appréciable. Une fois produites dans le corps directement ébranlé, elles peuvent être transmises à de grands intervalles, à l'aide d'un milieu quelconque suffisamment élastique, et principalement de l'atmosphère, en y excitant une succession graduelle de dilatations et contractions alternatives, que leur analogie évidente avec les ondes formées à la surface d'un liquide a fait justement qualifier d'ondulations sonores. Dans l'air, en particulier, vu sa parfaite élasticité, l'agitation doit se propager, non-seulement suivant la direction de l'ébranlement primitif, mais encore en tous sens au même degré. Enfin, les vibrations transmises sont toujours nécessairement isochrones aux vibrations primitives, quoique leur amplitude puisse être d'ailleurs fort différente.

L'analyse la plus élémentaire du phénomène général des vibrations sonores, a donc suffi pour faire concevoir cette étude, presque dès son origine, comme immédiatement subordonnée aux lois fondamentales de la mécanique rationnelle. Aussi, d'après Newton, auquel est due la première tentative pour déterminer rationnellement la vitesse de propagation du son dans l'air, l'acoustique a-t-elle toujours été plus ou moins mêlée à tous les travaux des géomètres sur le développement de la mécanique abstraite. Ce sont même de simples considérations d'acoustique qui ont primitivement suggéré le beau principe général découvert par Daniel Bernouilli, relativement à la coexistence nécessaire et sans confusion des petites oscillations de diverses sortes que produisent à la fois, dans un système quelconque, plusieurs ébranlemens distincts. Un tel théorème n'est plus maintenant, sans doute, aux yeux des géomètres, comme je l'ai indiqué dans la dix-huitième leçon, que l'interprétation naturelle et générale du caractère analytique propre aux équations différentielles qui expriment les perturbations quelconques de tout l'équilibre stable. Mais, c'est dans les phénomènes sonores que se trouve directement sa réalisation la plus évidente et la plus étendue; puisque, sans cette loi, il serait impossible d'expliquer le phénomène le plus vulgaire de l'acoustique, la simultanéité des sons nombreux et néanmoins parfaitement distincts que nous entendons à chaque instant.

Quoique la relation de l'acoustique avec la mécanique rationnelle soit ainsi presque aussi directe et aussi complète que celle de la barologie elle-même, les moyens de perfectionnement qui doivent naturellement résulter de ce caractère mathématique n'ont point, à beaucoup près, autant d'efficacité réelle dans la théorie du son que dans l'étude de la pesanteur. Les recherches barologiques, du moins quand on s'y borne aux questions les plus simples, qui sont aussi les plus importantes, se rattachent directement aux théories mécaniques les plus fondamentales et les plus nettes: leurs équations ne présentent point ordinairement de grandes difficultés analytiques. Au contraire, l'étude mathématique des vibrations sonores dépend uniquement d'une théorie dynamique très difficile et fort délicate, celle des perturbations d'équilibre: les équations différentielles qu'elle fournit se rapportent toujours nécessairement à la partie la plus élevée et la plus imparfaite du calcul intégral. La nature de cet ouvrage ne saurait permettre de considérer ici, même sommairement, le mode de formation de ces équations: mais il est évident qu'elles doivent être aux différences partielles, et au moins du second ordre; leur composition, nécessairement linéaire, est la seule circonstance favorable qui ait pu fournir un point d'appui aux efforts des géomètres pour parvenir, dans les cas les plus simples, à leur intégration. Le mouvement vibratoire suivant une seule dimension, est encore, même à l'égard des solides, le seul dont la théorie mathématique soit jusqu'ici vraiment complète par les travaux successifs de D'Alembert, de Daniel Bernouilli, et de Lagrange. La mémorable impulsion donnée à la science, sous ce rapport, par le génie d'une illustre contemporaine, dont la perte récente est si regrettable 30, a conduit, il est vrai, les géomètres à considérer, dans ces derniers temps, un cas plus difficile et plus rapproché de la réalité, les vibrations des surfaces. Mais jusqu'à présent cette nouvelle étude mathématique n'est point assez avancée pour concourir utilement au perfectionnement effectif de l'acoustique, encore essentiellement réduite à cet égard aux seules ressources de la pure expérimentation, comme à l'époque des premières observations de M. Chladni. Quant au mouvement vibratoire, envisagé suivant les trois dimensions, sa théorie analytique est aujourd'hui entièrement ignorée, même en ce qui concerne le simple établissement de l'équation: et, cependant, c'est peut-être le cas dont l'examen mathématique aurait le plus d'importance, soit comme étant, au fond, le seul pleinement réel, soit à cause des obstacles presque insurmontables qu'il oppose, par sa nature, à l'exploration directe.

Note 30: (retour) On apprécierait imparfaitement la haute portée de mademoiselle Sophie Germain, si l'on se bornait à l'envisager comme géomètre, quel que soit l'éminent mérite mathématique dont elle a fait preuve. Son excellent discours posthume, publié en 1833, sur l'état des sciences et des lettres aux différentes époques de leur culture, indique en elle une philosophie très élevée, à la fois sage et énergique, dont bien peu d'esprits supérieurs ont aujourd'hui un sentiment aussi net et aussi profond. J'attacherai toujours le plus grand prix à la conformité générale que j'ai aperçue dans cet écrit avec ma propre manière de concevoir l'ensemble du développement intellectuel de l'humanité.

Afin de se former une juste idée générale des hautes difficultés que présente nécessairement l'étude mathématique des mouvemens vibratoires, il faut considérer, en outre, que ces vibrations doivent déterminer habituellement, dans la constitution moléculaire des corps, certaines modifications physiques d'une autre nature, dont la réaction peut affecter ensuite le phénomène sonore primitif. Quoique ces modifications soient trop faibles, et surtout trop passagères, pour être jusqu'ici, et peut-être jamais, directement appréciables, on conçoit que leur influence sur un phénomène aussi délicat que celui des vibrations sonores puisse n'être pas réellement insensible: seulement, la difficulté fondamentale du problème en sera beaucoup augmentée, par la nécessité de le compliquer d'élémens essentiellement inconnus. La seule action de ce genre qu'on ait encore tenté de prendre en considération, consiste dans les effets thermologiques qui résultent nécessairement du mouvement vibratoire. Laplace en a très heureusement profité pour expliquer, d'une manière satisfaisante, la notable différence entre la vitesse du son dans l'air, déterminée expérimentalement, et celle qu'indiquait la formule dynamique, dont le résultat était en défaut d'environ un sixième, ce qui ne pouvait évidemment être attribué aux erreurs d'observation. Cette différence a été comblée en ayant convenablement égard à la chaleur dégagée par la compression des couches atmosphériques, qui doit faire varier leur élasticité dans un plus grand rapport que leur densité, et, par conséquent, accélérer la propagation du mouvement vibratoire. À la vérité, une telle explication présente encore une lacune essentielle; puisque, dans l'impossibilité de mesurer directement ce dégagement de chaleur, il a fallu lui supposer expressément la valeur propre à faire cesser la discordance des deux vitesses. Quoique cette valeur n'offre aucune invraisemblance, il reste à désirer qu'une estimation réelle de cet effet thermologique vienne confirmer définitivement cette ingénieuse conjecture, comme une expérience intéressante de M. Clément permet de l'espérer. Mais, quelle que puisse être l'issue d'une telle comparaison, cette idée de Laplace aura toujours mis en évidence désormais la nécessité permanente de combiner les considérations thermologiques avec la théorie purement dynamique des mouvemens vibratoires, malgré la nouvelle complication que le problème doit ainsi inévitablement éprouver. La modification qui en résulte est, sans doute, par sa nature, beaucoup moins prononcée, quant à la propagation du son dans les liquides, et surtout dans les solides: toutefois, le défaut d'expériences comparatives suffisamment exactes ne permet point encore de juger si elle est alors tout-à-fait négligeable.

Nonobstant les difficultés capitales qui caractérisent nécessairement la théorie mathématique des vibrations sonores, elle n'en a pas moins exercé jusqu'ici, quelque imparfaite qu'elle soit encore, l'influence la plus heureuse sur les progrès effectifs de l'acoustique, qui lui sont, en réalité, essentiellement dus. Sous le point de vue le plus philosophique, la simple formation des équations différentielles propres aux phénomènes sonores constitue déjà, par elle-même, et indépendamment de leur intégration, une connaissance fort importante, à cause des lumineux rapprochemens que comporte si naturellement l'emploi judicieux de l'analyse mathématique entre les questions, d'ailleurs hétérogènes à tous autres égards, qui peuvent conduire à des équations semblables. Cette admirable propriété fondamentale, si fréquemment signalée jusqu'ici dans cet ouvrage, s'applique d'une manière très remarquable à la théorie du son, surtout depuis la création de la thermologie mathématique, dont les principales équations offrent tant d'analogie avec celles des mouvemens vibratoires, qui n'en diffèrent quelquefois que par le signe d'un coefficient.

Outre la haute importance directe évidemment propre aux lois précises des vibrations sonores, dans les cas, malheureusement trop rares, où l'analyse mathématique a pu jusqu'ici nous les dévoiler complétement, ce précieux moyen d'investigation acquiert un surcroît spécial de valeur, vu les difficultés particulières que présente, par sa nature, l'exploration directe des phénomènes du son, considérés d'une manière un peu approfondie. Il est aisé, sans doute, de rendre sensible, par une expérience décisive, la nécessité du milieu atmosphérique pour la transmission habituelle des vibrations sonores, comme on l'a fait dès l'origine de l'acoustique. On conçoit de même que, par des expériences convenablement instituées, il nous soit possible de déterminer avec exactitude la durée effective de cette propagation, d'abord dans l'air, et ensuite dans tout autre milieu. Mais les lois générales des vibrations des corps sonores échappent presque toujours à l'observation immédiate. Quoique l'existence de ces vibrations soit constamment évidente, leur faible intensité habituelle, et leur durée trop fugitive sans aucun vestige appréciable, ne permettent guère à nos sens de les explorer d'une manière suffisamment précise. Le degré de rapidité qu'elles doivent avoir pour qu'il en résulte un son perceptible, doit même s'opposer le plus souvent à leur simple énumération directe. Ainsi, nos connaissances réelles à cet égard étant encore bien peu étendues, elles seraient, évidemment, presque nulles si la théorie mathématique, liant entre eux les divers phénomènes sonores, ne nous donnait point la faculté de remplacer les observations immédiates, ordinairement impossibles ou trop imparfaites, par l'examen équivalent des cas plus favorables assujettis à la même loi. On conçoit, par exemple, que les plus rapides vibrations d'une corde très courte aient pu néanmoins être exactement comptées, quand l'analyse du problème des cordes vibrantes a fait connaître que, tout étant d'ailleurs rigoureusement égal, le nombre des oscillations est inversement proportionnel à la longueur de la corde, puisque cette loi permet dès lors de se borner à l'observation effective de vibrations très lentes. Il en est de même en beaucoup d'autres occasions où la substitution est plus indirecte.

Toutefois, les physiciens ont, ce me semble, trop compté jusqu'ici sur le secours de l'analyse mathématique, si fréquemment inefficace; et l'on doit regretter, pour les progrès réels de l'acoustique, qu'ils ne se soient pas occupés davantage de perfectionner directement leur système général d'expérimentation, encore essentiellement dans l'enfance. Quelles que soient les difficultés caractéristiques d'un tel ordre d'observations, tout esprit impartial reconnaîtra, sans doute, aujourd'hui que les modes actuels d'exploration sont presque toujours fort inférieurs à ce que permettrait effectivement la nature des phénomènes. L'acoustique ne paraît point au niveau des autres parties de la physique, quand on l'envisage relativement à l'invention et à l'emploi des moyens artificiels d'observation: on y remarque peu de ces ingénieuses créations de l'esprit expérimental, si multipliées et si importantes en thermologie, en optique, et en électrologie: les légers chevalets de Sauveur, et le sable fin de M. Chladni, soutiendraient mal une telle concurrence, quelque précieux que soit d'ailleurs leur emploi pour distinguer commodément les points qui participent le moins au mouvement vibratoire. Je ne doute pas que cette stérilité relative de l'art des expériences ne doive être attribuée, en partie, à l'opinion exagérée que se sont formée les physiciens du rôle de l'analyse mathématique dans le développement de l'acoustique, et qui leur a fait négliger à cet égard les ressources de l'expérimentation directe. Depuis les expériences vraiment fondamentales de Sauveur, on ne retrouve, en acoustique, après plus d'un siècle, d'autre suite importante d'observations que celles de notre illustre contemporain M. Chladni, complétées et perfectionnées par les judicieux travaux de M. Savart: tout l'intervalle est rempli par des recherches essentiellement mathématiques. Et, néanmoins, quelle que soit ici l'indispensable nécessité de ce puissant auxiliaire, comme j'ai essayé de le faire sentir ci-dessus, nous avons reconnu combien il serait, par lui-même, radicalement insuffisant, à cause des difficultés capitales inséparables d'une telle analyse, d'après laquelle on n'a pas même pu jusqu'à présent expliquer, d'une manière pleinement satisfaisante, les expériences de Sauveur, et, à plus forte raison, celles de M. Chladni. Sans renoncer au perfectionnement si désirable de la théorie mathématique des mouvemens vibratoires, il importe donc extrêmement que les physiciens proprement dits suivent désormais, en acoustique, une marche moins passive, en s'attachant avec plus de force et de persévérance à y développer convenablement le génie expérimental. L'indifférence qui pourrait en résulter quant à ces brillans exercices analytiques, où l'on ne trouve, sous le point de vue physique, que d'insignifiantes modifications des recherches antérieures, serait loin, sans doute, d'être aujourd'hui un inconvénient pour la science réelle. J'ai déjà indiqué, dans la vingt-neuvième leçon, des remarques analogues au sujet des parties les plus difficiles de la barologie: mais elles ont ici une importance très supérieure.

Après cet examen sommaire de la nature générale des études acoustiques et des principaux moyens d'investigation qui leur sont propres, il nous reste à considérer directement, par un aperçu non moins rapide, l'ensemble des parties dont se compose aujourd'hui cette branche fondamentale de la physique.

Nos connaissances à l'égard des lois des vibrations sonores se rapportent à ces trois points de vue élémentaires: le mode de propagation des sons; leur intensité plus ou moins grande, et, enfin, leur ton musical. L'acoustique actuelle, peu avancée sous le second rapport, présente sous les deux autres un aspect beaucoup plus satisfaisant. Il existe naturellement, à la vérité, une quatrième considération fondamentale, dont l'analyse scientifique serait d'un haut intérêt, celle du timbre, c'est-à-dire, du mode particulier de vibration propre à chaque corps et à chaque appareil sonore. Sans que nous sachions encore en quoi consiste réellement cette propriété, nous lui reconnaissons évidemment une telle fixité et une si grande importance que nous l'employons habituellement, soit dans la vie commune, soit même en histoire naturelle, comme tout-à-fait caractéristique. Toutefois, la physique générale n'a point à s'enquérir de ce qui peut constituer le timbre particulier à chacune des diverses substances, comme les pierres, les bois, les métaux, les tissus organisés, etc.; ces distinctions appartiennent proprement à la physique concrète, en traitant de l'histoire des différens corps: il est même évident que, sous ce rapport, comme en tout ce qui concerne les qualités primordiales des êtres naturels, certains phénomènes ne peuvent qu'être observés, et ne comportent aucune explication. Mais la manière dont le timbre propre à chaque substance peut être modifié, soit par la disposition de l'appareil sonore, soit par les pressions qu'il éprouve, ou par plusieurs autres circonstances générales, rentre pleinement dans le domaine rationnel de l'acoustique, qui doit donc être regardée aujourd'hui comme présentant, sous ce rapport essentiel, une véritable et grave lacune.

Dans l'étude de la propagation du son, la question la plus intéressante, et aussi la plus simple et la mieux explorée, consiste à mesurer la durée de cette propagation uniforme, surtout à travers l'atmosphère. En négligeant d'abord les variations de température qui résultent de la compression des couches atmosphériques, la théorie mathématique, quand on se borne au mouvement linéaire, conduit aisément à une telle détermination, énoncée par Newton sous cette forme très simple: la vitesse du son est celle qu'acquiert un corps pesant tombant d'une hauteur égale à la moitié de la hauteur totale de l'atmosphère supposée homogène. On a pu calculer d'une manière analogue la vitesse du son dans les différens gaz, d'après leur densité et leur élasticité plus ou moins grandes. Suivant cette loi, la vitesse du son dans l'air doit être regardée comme essentiellement indépendante des vicissitudes atmosphériques, puisque, d'après la règle de Mariotte, la densité et l'élasticité de l'air varient toujours proportionnellement, et que leur rapport seul influe ainsi sur cette vitesse. J'ai déjà eu ci-dessus l'occasion d'indiquer comment Laplace avait heureusement rectifié la formule de Newton d'une manière conforme au prescriptions expérimentales, en ayant égard aux effets thermologiques: la correction consiste à multiplier la quantité primitive par la racine carrée du rapport des deux chaleurs spécifiques de l'air, à pression constante et à volume égal.

Une importante notion générale, qui résulte immédiatement de cette loi mathématique, et que l'observation confirme entièrement avec une pleine évidence, c'est l'identité nécessaire de la vitesse des différens sons, malgré leurs degrés si divers, soit d'intensité, soit d'acuité. On sent que s'il existait, à cet égard, une inégalité réelle, nous la constaterions sans peine, d'après l'altération qui en résulterait inévitablement, à une certaine distance, dans la régularité des intervalles musicaux.

L'évaluation mathématique de la vitesse du son dans l'air ne pouvant se rapporter, par la nature même de cette théorie, qu'à une masse atmosphérique essentiellement immobile, animée seulement du mouvement vibratoire, il était intéressant d'observer jusqu'à quel point l'agitation effective de l'air modifiait réellement cette valeur moyenne. Les expériences fondamentales d'après lesquelles la durée de la propagation avait été primitivement mesurée, pouvaient indiquer déjà que cette cause perturbatrice n'exerçait point, à cet égard, une influence bien sensible, puisque l'observation étant toujours faite comparativement dans les deux sens opposés, ne présente, sous ce rapport, aucune différence notable. Une telle comparaison n'est point à la vérité décisive, vu l'état de calme atmosphérique qu'on avait toujours dû choisir pour exécuter convenablement une semblable opération; mais les expériences directes tentées à ce sujet par divers physiciens contemporains ont conduit à un résultat presque exactement identique. On a reconnu, du moins entre les limites des vents ordinaires, que l'agitation de l'air n'exerce aucune influence appréciable sur la vitesse du son quand la direction du courant atmosphérique est perpendiculaire à celle suivant laquelle le son se propage, et qu'elle l'altère faiblement, soit en plus, soit en moins, lorsque ces deux directions coïncident, selon que leurs sens sont conformes ou contraires: la valeur exacte, et, à plus forte raison, la loi précise de cette légère perturbation sont d'ailleurs encore essentiellement inconnues.

C'est seulement dans l'air que la durée de la propagation du son a été jusqu'ici convenablement étudiée, soit par l'observation, soit d'après la théorie mathématique. À l'égard des milieux liquides ou solides, nous ne possédons aujourd'hui que certaines indications mathématiques affectées d'hypothèses précaires, et quelques expériences directes très imparfaites. On a simplement constaté que le son se propage beaucoup plus rapidement dans presque toutes les substances soumises à cette comparaison, et surtout dans les métaux très sonores, que dans l'atmosphère, sans que cette supériorité de vitesse ait été exactement mesurée, du moins pour la plupart des cas, vu les difficultés qu'on doit éprouver à réunir les conditions nécessaires au succès de ce genre d'évaluations immédiates.

Lorsque, dans la propagation ordinaire du son, les ondulations aériennes viennent à rencontrer un obstacle immobile, de manière à produire un écho, elles éprouvent des modifications dont l'analyse exacte et complète présente de grandes difficultés mathématiques, et sur lesquelles aussi les expériences des physiciens ont peu ajouté encore aux notions vulgaires. Il ne s'opère point alors évidemment, comme le terme habituel tendrait à l'indiquer, une véritable réflexion mécanique analogue à celle des corps élastiques par les corps durs: le phénomène consiste en une simple répercussion en sens contraire qu'éprouvent les vibrations du milieu, d'ailleurs immobile. La loi de cette répercussion n'a été découverte, d'une manière entièrement satisfaisante, que dans le cas où l'obstacle est terminé par une surface plane. Il est clair d'abord que, si ce plan est perpendiculaire à la direction de la série linéaire d'ondulations, la dilatation des particules aériennes adjacentes ne pouvant plus avoir lieu dans le sens de l'obstacle, leur réaction nécessaire fera naître en sens contraire, et suivant la même droite, un ébranlement secondaire, sans que la vitesse des vibrations ni la durée de leur propagation doivent être d'ailleurs aucunement altérées. On démontre ensuite que, pour une inclinaison arbitraire du plan sur la direction du son, la modification s'opère toujours comme si le centre d'ébranlement primitif avait été transporté symétriquement, de l'autre côté de l'obstacle, à la même distance, ce qui reproduit alors la loi commune de toutes les réflexions. Quand la forme de l'obstacle est quelconque, on ignore si, en général, le phénomène serait encore exactement représenté d'après la même loi, en substituant à la surface courbe le plan tangent correspondant. Cette extension n'a été jusqu'ici bien constatée que dans le cas d'un ellipsoïde de révolution, et en supposant même que l'ébranlement sonore primitif soit produit à l'un des foyers; on reconnaît alors que l'ébranlement secondaire émane en effet de l'autre foyer, ce que l'expérience a pleinement confirmé. Quant à l'influence évidente que peut exercer sur la répercussion du son la constitution physique de l'obstacle, elle n'a été le sujet d'aucune étude scientifique, et nous n'avons à cet égard d'autres notions réelles que celles qui résultent des observations communes.

Il en est essentiellement de même pour toute la partie de l'acoustique qui concerne l'intensité des sons. Non-seulement les notables variétés spécifiques que présentent sous ce rapport les sons transmis par différens corps solides, et quelquefois par le même corps, suivant les diverses directions, n'ont jamais été ni analysées, ni mesurées: mais les travaux des physiciens n'ont encore ajouté rien de vraiment essentiel à ce qu'enseigne spontanément l'expérience vulgaire relativement aux influences générales qui règlent l'intensité du son, comme l'étendue des surfaces vibrantes, l'amplitude des excursions, l'éloignement du corps sonore, etc. À ces divers égards, les physiciens ne pourraient avoir d'autre mérite propre que de préciser des notions naturellement vagues, en les assujettissant à d'exactes lois numériques, ce que, jusqu'à présent, on n'a pas même entrepris.

C'est donc improprement que ces différens sujets figurent dans nos systèmes actuels de physique: l'application d'une telle remarque est malheureusement trop fréquente dans l'ensemble de nos études. Ne semblerait-il pas aujourd'hui, d'après nos habitudes scolastiques, que, avant de se livrer régulièrement à la culture méthodique et spéciale de la philosophie naturelle, les auditeurs ou les lecteurs n'avaient jamais exercé ni leurs sens, ni leur intelligence, puisqu'on se croit obligé de leur enseigner, d'un ton doctoral, même les choses que souvent ils savent déjà tout aussi bien que leurs maîtres? Ce dogmatisme puéril tient sans doute à ce qu'on méconnaît le vrai caractère de la science réelle, qui, en tout genre, ne peut jamais être qu'un simple prolongement spécial de la raison et de l'expérience universelles; et dont, par conséquent, le vrai point de départ est toujours dans l'ensemble des notions acquises spontanément par la généralité des hommes relativement aux sujets considérés. L'observance scrupuleuse de ce précepte évident tendrait à simplifier beaucoup nos expositions scientifiques actuelles, en les dégageant d'une foule de détails superflus, susceptibles seulement d'obscurcir le plus souvent la manifestation directe de ce que la science proprement dite ajoute réellement à la masse fondamentale des connaissances communes.

Quant aux lois relatives à l'intensité des sons, le seul point qui ait été jusqu'ici le sujet d'un véritable éclaircissement scientifique, et dont l'examen était à la vérité extrêmement facile, consiste dans l'influence qu'exerce la densité plus ou moins grande du milieu atmosphérique sur l'énergie des sons transmis. À cet égard, l'acoustique confirme et surtout explique immédiatement, d'une manière très satisfaisante, l'observation vulgaire sur la dégradation nécessaire qu'éprouve l'intensité du son à mesure que l'air devient plus rare, sans qu'on sache toutefois si cette diminution est exactement proportionnelle, comme il est naturel de le penser, au décroissement de la densité, de quelque source qu'il provienne.

Dans la manière habituelle de concevoir l'acoustique, on présente, comme effectivement résolue, une question intéressante, qui me semble au contraire jusqu'ici essentiellement intacte, celle relative au mode d'affaiblissement des sons suivant la distance du corps sonore, sur laquelle la science n'a point encore réellement dépassé les résultats de l'expérience commune. On a coutume de supposer ce décroissement en raison inverse du carré de la distance, ce qui constituerait sans doute une loi fort importante, si nous pouvions compter sur sa réalité. Mais, outre qu'aucune suite d'expériences précises n'a jamais été instituée pour la vérifier, les considérations mathématiques sur lesquelles on l'appuie uniquement sont, il faut l'avouer, extrêmement précaires, si ce n'est frivoles, puisqu'elles exigent d'abord une assimilation fort gratuite entre l'intensité du son et l'énergie du choc d'un fluide contre un obstacle, et que l'on y fait ensuite varier ce choc proportionnellement au carré de la vitesse, conformément à l'ancienne hypothèse sur la résistance des fluides, si souvent démentie par l'observation. Si l'on accordait ces deux prémisses très hasardées, la loi ordinaire en résulterait en effet nécessairement; car il est certain, d'après la théorie mathématique du mouvement vibratoire, que la vitesse de vibration des molécules situées sur un même rayon sonore varie, à très peu près, en raison inverse de leur distance au centre d'ébranlement. Mais ne serait-il pas bien préférable d'avouer nettement notre ignorance actuelle à cet égard, au lieu de tendre à dissimuler une vraie lacune scientifique, en s'efforçant vainement de la remplir par des considérations aussi peu péremptoires? Cette marche est, à mon gré, tellement arbitraire que je ne serais pas éloigné de l'attribuer, en grande partie, à l'influence inaperçue de la prédisposition trop commune à retrouver dans tous les phénomènes la formule mathématique de la gravitation, en vertu du préjugé métaphysique sur la loi absolue des irradiations quelconques.

Du reste, ne serait-il pas étrange, en général, qu'on pût avoir aujourd'hui aucune notion exacte sur les lois de l'intensité du son, lorsque l'acoustique est encore à cet égard dans une telle enfance, que les idées ne sont pas même fixées jusqu'ici sur la manière dont cette qualité comporterait une estimation précise, ni peut-être seulement sur le sens rigoureux du mot? Nous ne possédons jusqu'ici aucun instrument susceptible de remplir, envers la théorie du son, l'office capital si bien exercé, pour l'étude de la pesanteur, par le pendule et le baromètre, et par les divers thermomètres ou électromètres, quant à la mesure des phénomènes correspondans. On n'a pas même aperçu nettement le principe d'après lequel de tels sonomètres pourraient être conçus. Tant que la science restera à cet égard dans un état aussi imparfait, convient-il de hasarder aucune loi numérique sur les variations que peut éprouver l'intensité des sons?

Considérons enfin la dernière partie essentielle de l'acoustique actuelle, celle relative à la théorie des tons, qui, malgré ses imperfections, est, à tous égards, la plus satisfaisante par les nombreux et intéressans phénomènes dont elle a dévoilé l'explication exacte et complète.

Les lois qui déterminent la nature musicale des différens sons, c'est-à-dire, leur degré précis d'acuité ou de gravité, marqué par le nombre de vibrations exécutées en un temps donné, ne sont jusqu'ici bien connues, d'après une heureuse combinaison de l'expérience avec la théorie mathématique, que pour le cas élémentaire d'une série de vibrations, linéaire, et même rectiligne, produite, soit dans une verge métallique, fixée par un bout et libre par l'autre, soit, enfin, dans une colonne d'air remplissant un tuyau cylindrique très étroit. Ce cas fondamental est, à la vérité, le plus important pour l'analyse des instrumens inorganiques les plus usités, mais non quant à l'étude du mécanisme de l'audition et de la phonation.

À l'égard des cordes tendues, la théorie mathématique, dont les principales conséquences ont été pleinement vérifiées par des expériences nombreuses et précises, fixe le ton propre à chaque ligne sonore, d'après sa masse, sa longueur et sa tension. Toutes les lois qui s'y rapportent peuvent être résumées en cette seule règle générale: le nombre des vibrations exécutées dans un temps donné est en raison directe de la racine carrée de la tension de la corde, et en raison inverse du produit de sa longueur par son épaisseur.

Dans les tiges métalliques droites et homogènes, ce nombre est proportionnel au rapport de leur épaisseur au carré de leur longueur. Cette différence profonde entre les lois de ces deux sortes de vibrations est la suite nécessaire de la flexibilité du corps sonore dans le premier cas, et de sa rigidité dans le second. Elle était déjà nettement indiquée par l'observation, surtout quant à l'influence si opposée de l'épaisseur.

Ces lois sont relatives aux vibrations ordinaires, qui s'opèrent transversalement. Mais M. Chladni a considéré en outre, soit pour les cordes, soit pour les verges, un nouveau genre de vibrations dans le sens longitudinal. Elles sont en général beaucoup plus aiguës que les précédentes, et la marche en est d'ailleurs essentiellement distincte, car l'épaisseur ne paraît exercer sur elles aucune influence, et la différence indiquée ci-dessus entre les cordes et les tiges disparaît entièrement, le nombre des vibrations variant alors toujours réciproquement à la longueur; identité à laquelle on devait naturellement s'attendre, puisque, dans cette manière de vibrer, l'inextensibilité de la corde équivaut à la rigidité de la tige. Enfin, les verges métalliques comportent encore un troisième genre de vibrations, découvert et étudié expérimentalement par M. Chladni, celles qui résultent de la torsion, et qui s'effectuent dans un sens plus ou moins oblique. Toutefois, il importe de noter que, d'après les travaux postérieurs de M. Savart, ces trois ordres de vibrations ne sont pas, au fond, essentiellement distincts, puisqu'ils peuvent être transformés les uns dans les autres, en faisant seulement varier par degrés la direction suivant laquelle les sons se propagent, et qui est toujours parallèle à celle de l'ébranlement primitif successivement produit de la même manière en divers sens.

Quant aux sons rendus par une mince colonne d'air, le nombre des vibrations est encore, d'après la théorie et l'observation, inversement proportionnel à la longueur de chaque colonne, si l'état mécanique de l'air reste inaltérable; mais il varie en outre, comme la racine carrée du rapport entre l'élasticité de l'air et sa densité. De là résulte, entre autres conséquences remarquables, que les changemens de température, qui font nécessairement varier ce rapport dans le même sens, doivent avoir ici une action absolument inverse de celle qu'ils produisent sur les cordes ou sur les tiges. C'est ainsi que l'acoustique a nettement expliqué l'impossibilité, remarquée de tout temps par les musiciens, de maintenir, sous l'influence des notables variations thermométriques, l'harmonie d'abord établie entre les instrumens à corde et les instrumens à vent.

Dans tout ce qui précède, la ligne sonore est envisagée comme vibrant en totalité. Mais si, ce qui arrive le plus souvent, elle présente, à l'un de ses points, un léger obstacle, naturel ou artificiel, aux vibrations, le son éprouve alors une modification fondamentale extrêmement remarquable dont la loi générale, qui n'aurait, sans doute, pu être indiquée par la théorie mathématique, a été découverte depuis long-temps par le créateur de l'acoustique expérimentale, l'illustre physicien Sauveur. Elle consiste en ce que le son rendu par la corde coïncide toujours avec celui que produirait une corde analogue, mais plus courte, et d'une longueur égale à celle de la plus grande commune mesure entre les deux parties de la ligne totale. L'explication donnée par Sauveur de ce phénomène capital se réduit, comme on sait, à concevoir que l'obstacle détermine alors la division nécessaire de la corde en parties égales à cette commune mesure, qui vibrent à la fois mais indépendamment, et que séparent des noeuds de vibration immobiles. Quoiqu'on n'ait pu réellement se rendre compte jusqu'ici de la manière dont cette division est ainsi établie d'après la seule influence de l'obstacle primitif, une telle conception n'en est pas moins l'exacte représentation du phénomène, puisque Sauveur a constaté, par une ingénieuse expérience, devenue maintenant vulgaire, l'immobilité effective de ces points remarquables, comparativement à tous les autres points de la ligne sonore.

Cette découverte de Sauveur est d'autant plus importante, qu'elle indique immédiatement l'explication la plus satisfaisante d'une autre loi fondamentale dévoilée par le même physicien, celle de la série des sons harmoniques plus ou moins distincts qui accompagnent constamment le son principal de chaque ligne sonore, et dont l'acuité croît comme la suite naturelle des nombres entiers, ainsi qu'on le constate aisément, soit par l'audition directe, quand une oreille délicate est suffisamment exercée, soit surtout en disposant, à côté de la corde primitive, d'autres cordes semblables et plus courtes, qui en soient les diverses parties aliquotes, et que le seul ébranlement de la première suffit alors pour faire vibrer. Un tel phénomène général peut être, sinon réellement expliqué, du moins exactement représente, en le rapprochant de celui qui précède. Car il suffit d'imaginer que la corde se divise alors spontanément, de diverses manières, en ses parties aliquotes, qui vibreraient isolément, ainsi que la ligne totale, à des intervalles très rapprochés, quoiqu'il soit, sans doute, difficile de concevoir, non-seulement le mode de production de ces divisions, mais encore même la simple conciliation effective de tous ces divers mouvemens vibratoires, qui sont presque simultanés.

Telles sont les principales lois des tons simples. Nous ne possédons encore que des notions très imparfaites relativement à la théorie de la composition des sons, qui aurait cependant une grande importance. On la regarde habituellement comme ébauchée par la belle expérience du célèbre musicien Tartini, relative aux sons résultans, et dans laquelle la production exactement simultanée de deux sons quelconques, suffisamment intenses, et surtout bien caractérisés, fait entendre un son unique plus grave que chacun des deux autres, suivant une règle invariable et très simple. Toutefois, quelque intérêt que doive évidemment inspirer un phénomène général aussi remarquable, il ne me semble point appartenir strictement à la véritable acoustique, mais à la théorie physiologique de l'audition, qui doit désormais en être soigneusement séparée, comme je l'ai établi au commencement de cette leçon. Car, un tel phénomène me paraît être, par sa nature, essentiellement nerveux; c'est, à mon avis, une sorte d'hallucination normale du sens de l'ouïe, analogue aux illusions d'optique: l'explication ordinaire, fondée sur la coïncidence de certaines parties régulières des deux séries d'ondulations, ne fait que reculer la difficulté, sans la résoudre effectivement. Du reste, ce phénomène a pris, ce me semble, un nouvel intérêt scientifique depuis que l'attention a été fixée, comme je l'indiquerai dans la leçon suivante, sur l'important phénomène des interférences lumineuses, qui offre réellement avec lui une analogie profonde, quoique jusqu'à présent inaperçue.

Quant aux vibrations, non plus d'une simple fibre sonore, mais d'une surface également étendue en tous sens, et dont nous avons déjà remarqué que la théorie mathématique est encore dans l'enfance, la belle suite d'observations de M. Chladni a fait connaître, à cet égard, de très curieux phénomènes, surtout relativement aux formes régulières des lignes nodales. Ces recherches ont reçu, dans ces derniers temps, un important complément par les expériences de M. Savart, d'où ce judicieux physicien a déduit, d'abord, la remarque générale relative à la dissemblance constante des figures nodales qui correspondent aux deux surfaces d'une même lame, et ensuite la connaissance plus exacte de l'influence qu'exerce la direction de l'ébranlement sur la forme de ces lignes, qui cesse d'être ainsi nettement caractéristique du mode de vibration propre à chaque corps. En même temps, les travaux de M. Savart ont donné à cette étude une extension fort essentielle, par ses intéressantes observations sur le mouvement vibratoire des membranes tendues, qui doivent fournir des renseignemens indispensables pour l'intelligence du mécanisme fondamental de l'audition, en ce qui concerne l'influence sonore du degré de tension, de l'état hygrométrique, etc.

L'étude du cas le plus général et le plus compliqué des mouvemens vibratoires, celui d'une masse qui vibre suivant les trois dimensions, a été encore à peine ébauchée par les physiciens, sauf pour quelques solides creux et réguliers. C'est cependant celui dont l'analyse exacte aurait le plus d'importance, puisque, sans lui, il est évidemment impossible de compléter l'explication d'aucun instrument réel, même de ceux où le son principal est produit par de simples lignes, dont les vibrations effectives doivent toujours être plus ou moins modifiées par les masses qui leur sont constamment liées. On peut dire, en général (et cette remarque me semble propre à résumer utilement l'esprit de l'ensemble des considérations indiquées dans cette leçon), que l'état de l'acoustique ne permet pas d'atteindre encore à l'entière explication des propriétés fondamentales d'aucun instrument musical, malgré les ingénieux travaux de Daniel Bernouilli sur la théorie des instrumens à vent. Cette condition, qui d'abord paraît si simple, se rapporte réellement, au contraire, à la plus grande perfection de la science, même en excluant ces effets extraordinaires, radicalement inaccessibles à toute analyse scientifique, que le jeu d'un habile artiste peut obtenir d'un instrument quelconque, et en se bornant uniquement, comme on doit le faire, aux influences susceptibles d'être nettement définies et fixement caractérisées.

Telles sont les considérations principales, que la nature de cet ouvrage m'interdisait de développer davantage, relativement à l'examen philosophique de l'acoustique, envisagée dans son ensemble et dans ses parties. Quelque imparfait que soit, sans doute, ce rapide aperçu, il permettra, j'espère, d'apprécier exactement le vrai caractère général propre à cette belle partie de la physique, la haute importance des lois qu'elle nous a dévoilées jusqu'ici, les connexions fondamentales de ses diverses parties essentielles, ainsi que le degré de développement auquel chacune d'elles est maintenant parvenue, et les lacunes plus ou moins profondes qu'elle laisse encore à remplir pour correspondre convenablement à sa destination essentielle.

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