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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P)

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Droits de traduction et de reproduction réservés.

PARIS.--IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2.




DICTIONNAIRE RAISONNÉ

DE

L'ARCHITECTURE

FRANÇAISE

DU XIe AU XVIe SIÈCLE

PAR

M. VIOLLET-LE-DUC

ARCHITECTE DU GOUVERNEMENT
INSPECTEUR-GÉNÉRAL DES ÉDIFICES DIOCÉSAINS


TOME SEPTIÈME

PARIS
A. MOREL, ÉDITEUR
RUE BONAPARTE, 13.

MDCCCLXIV



PALAIS, s. m. C'est la maison royale ou suzeraine, le lieu où le suzerain rend la justice. Aussi ce qui distingue particulièrement le palais c'est la basilique, la grand'salle qui toujours en fait la partie principale. Le Palais, au moyen âge, est, à dater des Carlovingiens, placé dans la capitale du suzerain, c'est sa résidence jusque vers le XIVe siècle. Cependant les rois mérovingiens ont possédé des palais dans les campagnes ou à proximité des villes. Ces premiers palais étaient à peu près élevés sur le modèle des villæ gallo-romaines, quelquefois même dans les restes de ces établissements. Les palais de Verberie, de Compiègne, de Chelles, de Noisy, de Braisne, d'Attigny, n'étaient que de véritables villæ.

«L'habitation royale n'avait rien de l'aspect militaire des châteaux du moyen âge: c'était un vaste bâtiment entouré de portiques d'architecture romaine, quelquefois construit en bois poli avec soin et orné de sculptures qui ne manquaient pas d'élégance. Autour du principal corps de logis se trouvaient disposés, par ordre, les logements des officiers du palais, soit barbares, soit romains d'origine, et ceux des chefs de bande qui, selon la coutume germanique, s'étaient mis avec leurs guerriers dans la truste du roi, c'est-à-dire sous un engagement spécial de vasselage et de fidélité. D'autres maisons de moindre apparence étaient occupées par un grand nombre de familles qui exerçaient, hommes et femmes, toutes sortes de métiers... La plupart de ces familles étaient gauloises, nées sur la portion du sol que le roi s'était adjugé comme part de conquête, ou transportées violemment de quelques villes voisines pour coloniser le domaine royal; mais si l'on en juge par la physionomie des noms propres, il y avait aussi parmi elles des Germains et d'autres barbares dont les pères étaient venus en Gaule, comme ouvriers ou gens de service, à la suite des bandes conquérantes. D'ailleurs, quelle que fût leur origine, ou leur genre d'industrie, ces familles étaient placées au même rang et désignées par le même nom, par celui de lites en langue tudesque, et en langue latine par celui de fiscalins, c'est-à-dire attachées au fisc. Des bâtiments d'exploitation agricole, des haras, des étables, des bergeries et des granges, les masures des cultivateurs et les cabanes des serfs du domaine complétaient le village royal, qui ressemblait parfaitement, quoique sur une plus grande échelle, aux villages de l'ancienne Germanie... 1.» Des baies vives, des murs de pierres sèches, des fossés, entouraient cet ensemble de bâtiments, et formaient quelquefois plusieurs enceintes, suivant l'usage des peuples du Nord. L'architecture des bâtiments participait des diverses influences sous lesquelles on les avait élevés; c'était un mélange de traditions gallo-romaines et de constructions de bois élevées avec un certain art, peintes de couleurs brillantes. Des granges, des hangars, des celliers énormes, contenaient des provisions amassées pendant plusieurs mois, et que les princes barbares venaient consommer avec leurs leudes. Lorsque tout était vide, ils se transportaient dans un autre domaine. Ces palais, bâtis sur la lisière des grandes forêts, retentissaient des cris des chasseurs et du fracas d'orgies qui se prolongeaient souvent, pendant plusieurs jours. Les Carlovingiens conservèrent encore cet usage de vivre dans les palais de campagne, et Charlemagne en possédait un grand nombre 2. Mais alors la vie en commun était remplacée par une sorte d'étiquette; les palais ressemblaient davantage à une cour; de beaux jardins les entouraient, cultivés avec soin; les enceintes étaient mieux marquées. Toutefois la grande salle, la basilique, formait toujours la partie principale du domaine.

Voici (fig. 1.) un aperçu de l'ensemble de ces palais carlovingiens. Charlemagne avait fait entièrement rebâtir le palais de Verberie, près de Compiègne. Il en restait encore de nombreux fragments dans le dernier siècle, si l'on en croit le P. Carlier 3. D'après cet auteur, Charlemagne aurait bâti la tour du Prædium, c'est-à-dire le donjon dominant le domaine, tour dont les soubassements étaient encore visibles de son temps. Il aurait fait construire le principal corps de logis, «édifice immense», ainsi que la chapelle du palais, qui «conservait encore le nom de chapelle Charlemagne au XIVe siècle.»

«Ce palais, dit le P. Carlier, tenait à plusieurs dépendances, qui formaient comme autant de châteaux particuliers, dont chacun avait sa destination... Le palais de Verberie avait son aspect au midi; les édifices qui le composaient s'étendaient de l'occident à l'orient, sur une ligne de 240 toises. Un corps de logis très vaste, où se tenaient les assemblées générales, les parlements, les conseils, etc., Mallobergium 4, terminait à l'occident cette étendue de bâtiments, de même que la chapelle à l'orient. La chapelle et la salle d'assemblée formaient comme deux ailes, qui accompagnaient une longue suite d'édifices de différentes formes et de différentes grandeurs. Au centre de toute cette étendue paraissait un magnifique corps de logis, d'une hauteur excessive, composé de deux grands étages... J'ai tiré ces notices, ajoute Carlier, de quelques restes de l'ancien palais et d'un titre du règne de François Ier, qui permet la démolition des différentes parties de ce palais. Ces parties de bâtiment avaient été incendiées sous le règne infortuné de Charles VI, un siècle auparavant.»

Ce ne fut qu'après les invasions des Normands que ces résidences se convertirent en forteresses, et constituèrent les premiers châteaux féodaux. (Voy. CHÂTEAU.)

La résidence des rois de France, dans l'île de la Cité, à Paris, était désignée sous le nom du Palais par excellence, tandis qu'on disait le château du Louvre, le château de Vincennes. Tous les seigneurs suzerains possédaient un palais dans la capitale de leur seigneurie. À Troyes était le palais des comtes de Champagne, à Poitiers celui des comtes de Poitiers, à Dijon celui des ducs de Bourgogne. Cependant, à dater du XIe siècle, conformément aux habitudes des seigneurs du moyen âge, le palais était ou fortifié ou entouré d'une enceinte fortifiée; mais généralement il occupait une surface plus étendue que les châteaux de campagne, se composait de services plus variés, et laissait quelques-unes de ses dépendances accessibles au public. Il en était de même pour les résidences urbaines des évêques, qui prenaient aussi le nom de palais, et qui n'étaient pas absolument fermées au public comme le château féodal. Plusieurs de nos anciens palais épiscopaux de France conservent ainsi des servitudes qui datent de plusieurs siècles. Les cours, plaids, parlements, les tribunaux de l'officialité, se tenaient dans les palais du suzerain ou de l'évêque; il était donc nécessaire de permettre au public de s'y rendre en maintes occasions. La partie essentielle du palais est toujours la grand'salle, vaste espace couvert qui servait à tenir les cours plénières, dans laquelle on convoquait les vassaux, on donnait des banquets et des fêtes. De longues galeries accompagnaient toujours la grand'salle; elles servaient de promenoirs. Puis venait la chapelle, assez vaste pour contenir une nombreuse assistance; puis les appartements du seigneur, les logements des familiers, le trésor, le dépôt des chartes; puis enfin les bâtiments pour les hommes d'armes, des cuisines, des celliers, des magasins, des prisons, des écuries, des préaux, et presque toujours un jardin. Une tour principale ou donjon couronnait cette réunion de bâtiments, disposés d'ailleurs irrégulièrement et suivant les besoins.

La plupart de ces palais n'avaient pas été bâtis d'un seul jet, mais s'étaient accrus peu à peu, en raison de la richesse ou de l'importance des seigneurs auxquels ils servaient de résidence.

Le palais des rois, à Paris, dans lequel ces souverains tinrent leur cour depuis les Capétiens jusqu'à Charles V, présentait ainsi, au commencement du XIVe siècle, une réunion de bâtiments dont les plus anciens remontaient à l'époque de saint Louis, et les derniers dataient du règne de Philippe le Bel. Des fouilles récemment faites dans l'enceinte du palais de Paris ont mis au jour quelques restes de constructions gallo-romaines, notamment du côte de la rue de la Barillerie; mais dans l'ensemble des bâtiments il ne reste rien d'apparent qui soit antérieur au règne de Louis IX. Depuis Charles V, le palais fut exclusivement affecté au service de la justice, et les rois ne l'habitèrent plus. Ce souverain y fit faire quelques travaux intérieurs, ainsi que Louis XI; mais Louis XII l'augmenta en construisant le bâtiment destiné à la chambre des comptes, et qui se trouvait occuper, place de la Sainte-Chapelle, l'emplacement affecté aujourd'hui à l'hôtel du préfet de police. Nous donnons (fig. 2) le plan du palais de Paris à rez-de-chaussée, tel qu'il existait au commencement du XVIe siècle.

Des constructions de saint Louis, il ne restait plus alors, comme aujourd'hui encore, que la sainte Chapelle A, le corps de bâtiment B compris entre les deux tours du quai de l'Horloge, et la tour carrée du coin C, dont les substructions paraissent même appartenir à une époque plus ancienne: Le bâtiment D, affecté aux cuisines, est un peu postérieur au règne de saint Louis. Peut-être l'enceinte E, avec les portes F, qui existaient sur la rue de la Barillerie, et qui, au XIVe siècle, donnaient encore sur un fossé, avaient-elles été élevées par Louis IX, ainsi que le donjon G, dit tour de Montgomery 5 et qui subsista jusque vers le milieu du dernier siècle 6.

Philippe le Bel fit construire les galeries H, la grand'salle l, les portiques K et le logis L, «très-somptueux et magnifiques ouvrages», dit Corrozet 7, qui les a encore vus tout entiers, bâtis sous la direction de «messire Enguerrand de Marigny, comte de Longueville et général des finances, et voyez (ajoute le même auteur) quels hommes on employoit jadis à tels états plustost que des affamez, et des hommes qui ne demandent que piller l'argent du prince.» Enguerrand de Marigny n'en fut pas moins pendu, comme chacun sait, ce qui enlève quelque chose au sens moral de la remarque du bon Parisien Corrozet.

Les bâtiments de la chambre des comptes, commencés par Louis XI et achevés par Louis XII, étaient en M. En N était une poterne avec tournelles, dont nous avons encore vu des restes intéressants il y a quatre ans. Cette poterne et l'enceinte O, avec quais, dataient du XIVe siècle. Quant à l'enceinte E', ses traces étaient visibles dans des maisons particulières avant la construction du bâtiment actuel de la police correctionnelle, ainsi que le constate un plan relevé avec le plus grand soin par M. Berty, et accompagné de renseignements bien précieux 8. En P était une chapelle placée sous le vocable de saint Michel, en R le pont aux Changeurs, et en S le pont aux Meuniers, ou le Grand-Pont. En T le jardin, les treilles du roi, séparé d'une petite île (île aux Vaches) par un bras de la Seine. Là était le bâtiment des étuves. De ce vaste ensemble de logis et monuments, il reste encore aujourd'hui: la sainte Chapelle, privée seulement de son annexe V à trois étages, servant de sacristie et de trésor des chartes; le rez-de-chaussée de la grand'salle, tel que le donne notre plan; une partie notable des portiques K; la partie intérieure du bâtiment des cuisines et de la salle B, ainsi que les quatre tours sur le quai de l'Horloge; le logis L dans toute sa hauteur. C'était dans la cour X qu'était planté le May. Cette réunion de monuments, tous d'une bonne architecture, présentait au centre de la Cité l'aspect le plus saisissant.

Nous avons essayé d'en donner une idée dans la vue cavalière (fig. 3) prise de la pointe de l'île en aval 9. Les étrangers qui visitaient la capitale s'émerveillaient fort de la beauté des bâtiments du Palais, principalement de l'effet de la cour du May, qui, en entrant par la porte donnant sur la rue de la Barillerie, présentait une réunion d'édifices plantés de la manière la plus pittoresque. Le grand perron, qui donnait au premier étage de la galerie d'Enguerrand; celui de droite, qui montait sur la terrasse, communiquant à la grand'salle; les parois de celle-ci avec ses fenêtres à meneaux; le gros donjon de Montgomery, dont la toiture paraissait au-dessus des combles de la grande galerie; la sainte Chapelle, avec son trésor, formaient réellement un bel ensemble, quoique peu symétrique. Si l'on tournait à gauche vers la chapelle Saint-Michel, on découvrait la façade élégante de la chambre des comptes avec son gracieux escalier couvert, puis l'escalier de la sainte Chapelle bâti par Louis XII, puis le gros donjon relégué au fond de la cour. En longeant la chambre des comptes, on passait dans les jardins du Palais, et l'on voyait se développer la façade mouvementée du logis, dont il reste encore aujourd'hui toute une portion. À chaque pas, c'était un aspect nouveau, une surprise, et la variété de toutes ces constructions contribuait à augmenter leur étendue. Il y a bien loin de ce palais aux bâtisses glaciales et ennuyeuses par leur monotonie, auxquelles nous sommes habitués depuis le grand siècle.

C'est dans ce palais que Charles V reçut et logea l'empereur Charles IV, probablement dans des bâtiments qui occupaient l'emplacement affecté plus tard à la chambre des comptes... «Lors, fist le roy lever l'empereur, à tout sa chayere, et, contremont les degrez porter en sa chambre (l'empereur était goutteux), et aloit le roy, d'un costé, et menoit le roy des Rommains à sa sénestre main, et ainssy le convoya en sa chambre de bois d'Irlande, qui regarde sus les jardins et vers la saincte Chappelle, qu'il avoit fait richement appareiller, et toutes les autres chambres derrière, laissa pour l'empereur et son filz; et il fu logiés ès chambres et galatois que son père le roy Jehan fist faire 10

Il est certain que ces palais, ces grandes résidences seigneuriales, au moyen âge, s'élevaient successivement. Suivant une habitude que nous voyons encore observée en Orient, chaque prince ajoutait aux bâtiments qu'il trouvait debout, un logis, une salle, suivant les goûts ou les besoins du moment. Il n'y avait pas de projet d'ensemble suivi méthodiquement, exécuté par fractions, et loin de se conformer à une disposition unique, les seigneurs qui faisaient ajouter quelque logis à la demeure de leurs prédécesseurs, prétendaient donner à l'oeuvre nouvelle un caractère particulier; ils marquaient ainsi leur passage, laissaient l'empreinte de leur époque en bâtissant un logis tout neuf, suivant le goût du jour, plutôt que d'approprier d'anciens bâtiments. Ces résidences présentent donc de la variété non-seulement dans les parties qui les composent, mais aussi entre elles, et si leur programme est le même, la manière dont il a été interprété diffère dans chaque province. Ici la chapelle prend une importance considérable, là elle se réduit aux proportions d'un oratoire. Dans tel palais, le donjon est un ouvrage de défense important; dans tel autre, il ne consiste qu'en une bâtisse un peu plus épaisse et un peu plus élevée que le reste du logis. Seule la grand'salle occupe toujours une vaste surface, car c'est là une partie essentielle, c'est le signe de la juridiction seigneuriale, le lieu des grandes assemblées; comme dans les châteaux, elle possède un large perron et s'élève sur des celliers voûtés. À Troyes, par exemple, le palais des comtes de Champagne, accolé à l'église Saint-Étienne, qui lui servait de chapelle, n'avait, relativement à l'édifice religieux, qu'une étendue assez médiocre; ses logements étaient peu nombreux, mais la grand'salle avait 52 mètres de longueur sur 20 mètres environ de largeur. Une tour carrée, accolée au flanc nord de l'église et dépendant de celle-ci, servait de trésor et de donjon. Les pièces destinées à l'habitation, renfermées dans un premier étage sur rez-de-chaussée voûté, étaient placées en enfilade sur l'un des flancs de la grand'salle et devant l'église du côté ouest; elles donnaient sur un bras de la Seine. Un jardin du côté du midi et une place du côté septentrional bornaient le palais; c'était sur cette place que s'étendait le large perron servant d'entrée principale à la grand'salle 11. Du reste, le palais de Troyes cessa d'être la demeure des comtes de Champagne dès 1220; ceux-ci préférèrent établir leur résidence à Provins.

Le palais des comtes de Poitiers est un de ceux qui, en France, ont conservé peut-être les plus beaux restes. Bâti sur des ruines romaines par les Carlovingiens, puis détruit à plusieurs reprises, il fut réédifié par Guillaume le Grand au commencement du XIe siècle; de cette reconstruction il ne reste rien. On attribue à Guy-Geoffroy, fils de Guillaume, la construction de la grand'salle que nous voyons aujourd'hui; mais cette salle présentant tous les caractères de l'architecture civile de la fin du XIIe siècle, et Guy Geoffroy étant mort en 1086, il faut lui trouver un autre fondateur. Le palais de Poitiers fut brûlé en 1346 par les Anglais, puis réparé en 1395 par Jean, duc de Berry et comte du Poitou. Ce prince, frère du roi Charles V, fit rebâtir le pignon de la grand'salle, décoré d'une immense cheminée (voy. CHEMINÉE, fig. 9 et 10), et le donjon qui existe encore, quoique très mutilé et qui sert aujourd'hui de cour d'assises 12. Cette magnifique construction se compose d'un gros corps de logis barlong, à trois étages voûtés, flanqué de quatre tours rondes aux angles et couronné de mâchicoulis, créneaux et combles.

Nous donnons (fig. 4) le plan des parties encore existantes du palais de Poitiers. En A est la grand salle, en B le donjon. D'autres logis existaient en C, mais il n'en reste plus que quelques traces. La muraille de la ville gallo-romaine passait en R et servait de soubassement à la grand'salle, dont l'entrée était en D. Une déviation de voie publique, ou peut-être l'orientation, avait dû faire planter le donjon de biais, ainsi que l'indique le plan. Ce donjon de palais affecte une disposition particulière qui n'est point celle que nous observons dans les donjons de châteaux, lesquels ne présentent qu'une tour ou un amas de logis fortement défendus par des ouvrages importants, comme l'est, par exemple, celui du château de Pierrefonds. Le donjon du palais de Poitiers est à lui seul un petit château, possédant une grand'salle à chaque étage et des chambres dans les tours. Il affecte une apparence de forteresse, mais il n'est réellement qu'un gros logis éclairé par de larges baies et n'était nullement propre à la défense; il se rapproche de l'architecture civile, et les tours, les mâchicoulis ne sont là qu'un appareil féodal 13.

Nous donnons (fig. 5) une élévation du donjon du palais de Poitiers, faite sur l'un des petits côtés. Aujourd'hui les constructions des tours sont dérasées au niveau N; cependant les seize statues ont été conservées sur leurs culs-de-lampe, quoique fort mutilées. Ces statues sont revêtues de l'habit civil du commencement du XVe siècle. L'artiste a-t-il voulu représenter les comtes du Poitou? C'est ce qu'il est difficile de savoir. Quoi qu'il en soit, elles sont d'un beau travail.

La coupe transversale du donjon, faite sur la ligne BG du plan (fig. 6), montre les deux salles inférieures, avec leurs voûtes reposant sur une épine de trois piliers, puis le second étage ne formant plus qu'une grand'salle sans piliers. Au-dessus se trouvent le galetas et les chemins de ronde desservant les mâchicoulis. Un escalier à vis compris dans une tour carrée, autrefois englobée dans les logis bâtis entre ce donjon et la grand'salle, permet d'arriver aux trois étages par un couloir détourné, ainsi que l'indique le plan.

Les palais des seigneurs suzerains laïques forment au milieu des villes où ils sont situés une sorte d'oppidum, de lieu à la fois fortifié et sacré, comme était l'acropole des villes grecques. C'est dans le palais suzerain que sont conservées les reliques les plus précieuses et les plus vénérées par le peuple; c'est là que sont déposés les chartes, les trésors; c'est là que se tiennent les cours plénières, que siégent les parlements, que se passent les fêtes à l'occasion du mariage des princes, des traités. Quant aux palais des évêques, ils ont un autre caractère qui mérite de fixer l'attention des archéologues. Situés dans le voisinage des cathédrales (ce qui est naturel), ils sont presque toujours bâtis le long des murailles ou sur les murailles mêmes de la cité, et peuvent contribuer à leur défense au besoin. Ce fait est trop général pour qu'il n'ait pas une origine commune. En premier lieu, il prouverait ceci: c'est que les évêchés se sont établis, primitivement, sur quelque castellum tenant aux murs des villes gallo-romaines; en second lieu, que la construction de ces palais a dû précéder la construction des cathédrales et déterminer leur emplacement. En effet, on ne s'expliquerait pas comment la plupart de nos plus anciennes cathédrales, rebâties plusieurs fois, toujours sur le même emplacement, depuis les VIIe et VIIIe siècles, celles de Paris, de Meaux, de Bourges, d'Amiens, de Soissons, de Beauvais, de Laon, de Senlis, de Noyon, de Langres, d'Auxerre, du Mans, d'Évreux, de Narbonne, d'Alby, d'Angoulème, de Poitiers, de Carcassonne, de Limoges, et tant d'autres, s'élèvent plutôt près des anciens remparts qu'au milieu même de l'enceinte des cités. Les villes gallo-romaines possédaient, ou un capitole, ou au moins un castellum, le long d'un des fronts des remparts, comme sont encore nos citadelles modernes; c'est au milieu de ce capitole gallo-romain, ou dans un de ces réduits voisins des remparts, que s'implantent les premiers évêchés. N'oublions pas qu'à la fin du VIe siècle, «les évêques étaient les chefs naturels des villes; qu'ils administraient le peuple dans l'intérieur de chaque cité; qu'ils le représentaient auprès des barbares; qu'ils étaient ses magistrats en dedans, ses protecteurs au dehors 14

Le palais épiscopal bâti, la cathédrale s'élève à côté, et chaque fois que la cathédrale se rebâtit à neuf, il est rare que le palais épiscopal ne soit point reconstruit en même temps. Or il nous reste quelques plans d'évêchés du XIIe siècle et même du XIe. Ces plans présentent une disposition à peu près uniforme: une grande salle, une chapelle, une tour ou donjon, des dépendances mixtes entre le palais et la cathédrale, et des logis qui, probablement, avaient peu d'importance, puisqu'on n'en trouve pas de traces. Le signe représentatif du pouvoir épiscopal, à la fois religieux et civil dans les premiers siècles du moyen âge, c'est la grande salle, curie canonique et civile, au besoin forteresse, qui devient plus tard l'officialité et la salle synodale. L'évêché de Paris, reconstruit par l'évêque Maurice de Sully, vers 1160, conservait encore ce caractère; il ne faisait d'ailleurs que remplacer un palais plus ancien dont les fondations, découvertes par nous en 1845 et 1846, peuvent passer pour une structure gallo-romaine. C'était la résidence dont parle Grégoire de Tours, et qui existait de son temps. Dans la chapelle palatine épiscopale, dont nous avons vu encore les restes en 1830, on lisait cette inscription rapportée par le P. du Breuil 15: «Hæc basilica (la chapelle) consecrata est a Domino Mauritio Parisiensi episcopo, in honore beatæ Mariæ, beatorum martyrum Dionysii, Vincentii, Mauritii, et omnium sanctorum.» Or ce palais, reconstruit par Maurice de Sully, se composait d'une grande salle, avec bâtiments tenant au choeur de la cathédrale, qu'il réédifiait en même temps, et d'une chapelle. Des logements privés du prélat, nulle trace. Voici (fig. 7) le plan du rez-de-chaussée de ce palais épiscopal du XIIe siècle.

En A était la chapelle, en B le donjon, en C la grande salle, qui alors, ne s'étendait pas au delà du mur pignon D. Le choeur de la cathédrale, rebâti par Maurice de Sully, est en E; la salle F servait de trésor au premier étage, avec escalier de communication entre le palais et le choeur, et de sacristie au rez-de-chaussée. La grande salle au premier étage formait un seul vaisseau voûté. Ici la muraille gallo-romaine de la cité passe en M, sous la cathédrale et au delà de son abside, et en creusant les fondations de la nouvelle sacristie, nous avons retrouvé une substruction de la même époque en G et en P. Il semblerait donc que les évêques de Paris avaient profité d'un saillant formé par les défenses de la cité, d'une sorte de castellum, pour y enfermer le palais épiscopal. Le mur méridional de la grande salle était même bâti sur les fondements de l'enceinte gallo-romaine, et fut encore crénelé par Maurice de Sully.

Alors, dit le P. du Breuil, «l'evesque et les siens alloient de la grande salle à la grande église (la cathédrale) par une gallerie (l'aile F), laquelle messieurs les Ponchers successeurs evesques (au XVIe siècle) ont depuis quittée aux chanoines qui y mettent les reliques et les plus beaux ornemens. Depuis messire Pierre d'Orgemont (commencement du XVe siècle) fit bastir le second corps d'hostel, qui a veuë tant sur le jardin que sur le lieu dict (c'est le bâtiment H). Longtems après messire Estienne de Poncher (commencement du XVIe siècle), cent deuxième evesque de Paris, fit édifier le bastiment joignant le vieil, lequel est vis à vis de l'église, où est à présent la geolle et autres demeures (c'est le corps de logis doublé en K). Messire François de Poncher, son neveu et successeur, fit bastir le troisième corps d'hostel, qui est derrière la chappelle (c'est le logis L). En ce lieu auparavant estoient les écuries et quelques maisonnettes où demeuroient les quatre chanoines de la basse chappelle.....» La chapelle avait en effet deux étages, comme celle de Meaux, et plus tard celle de Reims. Les constructions O dataient seulement du XVIIe siècle, et en R étaient des logis qui furent cédés à l'Hôtel-Dieu. Le pont aux Doubles S fut élevé plus tard, après tous ces bâtiments. Les évêques de Paris n'avaient pas que ce palais ne renfermant pendant plusieurs siècles qu'une grande salle. Hugues de Besançon, en 1326, avait son hôtel rue des Amandiers. Guillaume de Chanac, son successeur, logeait dans la rue de Bièvre, et donna son logis pour la fondation du collège de Chanac ou de Saint-Michel. Pierre d'Orgemont, qui bâtit l'annexe K à la grande salle du palais épiscopal, hérita de l'hôtel des Tournelles qui appartenait au chancelier d'Orgemont, son père, et le vendit au duc de Berry, dont il était le chancelier. Girard de Montagne avait une maison rue des Marmousets et une autre rue Saint-André-des-Arts 16. Le long de la rivière et derrière l'abside de la cathédrale s'étendaient des jardins qui touchaient au cloître du chapitre bâti vers le nord-est. La grande salle crénelée du XIIe siècle, avec son annexe élevée par Pierre d'Orgemont au commencement du XVe siècle, son donjon et sa chapelle à deux étages, avait fort grand air du côté de la rivière, ainsi que le fait voir la perspective (fig. 8) prise du point V 17, avant les adjonctions O et la construction du pont aux Doubles.

Un des palais épiscopaux les plus anciens, celui d'Angers, construit vers la fin du XIe siècle, conserve encore sa grande salle romane d'un beau style (voy. SALLE), et des dépendances assez considérables qui datent de la même époque. Des travaux récents, dirigés par l'architecte diocésain, M. Joly Leterme, ont fait reparaître une partie des logements entourant cette grande salle 18, qui est mise en communication directe avec le bras de croix nord de la cathédrale. On remarque même certaines portions de murs de ce palais qui ont tout à fait le caractère de la structure gallo-romaine des bas temps, et qui pourraient bien avoir appartenu, ainsi que l'observe M. le docteur Cattois, à la demeure que l'ancien maire du palais de Neustrie, Rainfroy, aurait fait construire, à Angers, sur l'emplacement du capitole. À l'évêché de Meaux, il existe une chapelle à deux étages, de la seconde moitié du XIIe siècle, ayant les plus grands rapports avec celle de l'ancien évêché de Paris, et l'étage inférieur de la grand'salle. Ce rez-de-chaussée, comme celui de la grand'salle du palais épiscopal de Paris, se compose de deux nefs voûtées. Le palais de Meaux est également bâti à proximité des remparts gallo-romains. À Soissons, l'évêché repose sur une partie de la muraille antique, mais des constructions de l'ancien palais il ne reste qu'une tourelle du commencement du XIIIe siècle et quelques substructions de la même époque. À Beauvais, le palais épiscopal joignait l'ancienne fortification romaine, et une tourelle datant du XIIe siècle flanquait même le vieux mur romain 19. À Reims, l'étage inférieur de la grand'salle date du commencement du XIIIe siècle, et la chapelle à deux étages, du milieu du XIIIe siècle (voy. CHAPELLE). À Auxerre, l'un des pignons de la grand'salle existe encore, et date du milieu du XIIIe siècle, comme le choeur de la cathédrale; une galerie du XIIe siècle repose sur l'ancien mur de la ville gallo-romaine. À Rouen, on trouve également des restes assez considérables du XIIIe siècle, et notamment l'un des pignons de la grand'salle. À Laon, l'assemblage des bâtiments de l'évêché (aujourd'hui palais de justice) est des plus intéressants à étudier. Ce palais fut reconstruit après l'incendie de 1112, qui détruisit l'ancienne cathédrale et les bâtiments environnants. En effet, on retrouve dans l'évêché de Laon des parties de bâtiments qui appartiennent au style de la première moitié du XIIe siècle, notamment la chapelle A (figure 9) et les corps de logis B. Quant à la grand'salle C élevée sur un rez-de-chaussée doublé d'un portique du côte de la cathédrale, sa construction est due à l'évêque Garnier (1245). La grand'salle s'éclaire sur la cour O et sur la campagne. Le portique intérieur fut remanié à une époque ancienne déjà. Les arcs furent reconstruits, les appuis des fenêtres baissés; on a la preuve de ce remaniement en observant l'arcade unique de retour E dont la courbure et l'ornementation primitives sont conservées. L'aspect de ce grand corps de logis, sur l'extérieur, devait être fort beau avant les mutilations qui en ont altéré le caractère. Cette façade qui domine la muraille de la ville passant parallèlement à quelques mètres de sa base, est flanquée de trois tourelles portées sur des contre-forts, et entre lesquelles s'ouvrent les fenêtres de la grand'salle au premier étage. Le couronnement, autrefois crénelé, pouvait au besoin servir de seconde défense par-dessus les remparts de la cité, dominant un escarpement abrupt. Voici (fig. 10) une vue de cette façade extérieure prise du point P. Au XVe siècle, les évêques de Laon (voy. le plan, fig. 9) élevèrent les deux corps de logis F et G. Une porte fortifiée était ouverte en K.

Le portique occupant une moitié de la longueur de la grand'salle du côté de la cour donne à ce palais épiscopal une physionomie particulière. Cette galerie, exposée au midi sur un plateau où la température est habituellement froide, servait de promenoir, et contribuait à l'agrément de l'habitation. Le palais épiscopal de Laon, comme ceux que nous venons de décrire précédemment, n'en était pas moins un lieu fortifié très bien situé, facile à garder et à défendre. Nous voyons que le palais archiépiscopal de Narbonne, dans le Languedoc, bien que rebâti à la fin du XIIIe siècle et pendant le XIVe, est encore une véritable place forte élevée probablement sur l'emplacement du capitole de la ville romaine. C'est après le palais des papes, en France, la construction la plus importante qui nous reste des nombreuses résidences occupées par les princes de l'Église.

Le palais archiépiscopal de Narbonne est réuni à la cathédrale actuelle, fondée en 1272, par un cloître bâti par l'archevêque Pierre de la Jugée, dans la seconde moitié du XIVe siècle. Déjà, en 1308, la grosse tour carrée du palais, servant de donjon, avait été construite par l'archevêque Gilles. Pierre de la Jugée éleva entre le cloître et cette tour des bâtiments considérables qui subsistent encore en grande partie, et qui comprennent plusieurs tours rondes, des logis, une grand'salle et une autre tour carrée formant pendant avec le donjon. Cependant, au milieu de ces constructions du XIVe siècle, on retrouve encore une tour romane fort ancienne, et une belle porte du commencement du XIIe siècle.

Les archevêques de Narbonne furent, il est vrai, pendant une partie du moyen âge, des seigneurs puissants, et leur palais acquit, dès le XIe siècle, une importance en rapport avec leur fortune. En 1096, l'archevêque Dalmatius prit le titre de primat des Gaules. La ville de Narbonne avait d'ailleurs conservé en partie, comme beaucoup de villes du Midi, son administration municipale romaine.

La commune possédait jusqu'au XIIe siècle des conseillers qui prenaient le titre de nobiles viri ou probi homines. Alors on les appela consuls, ou plutôt cossouls. Cette commune fit en 1166 un traité de commerce avec la république de Gênes, et plus tard avec Pise, Marseille, Rhodes, etc. En 1212, Armand Amalaric, légat du pape et archevêque de Narbonne, se déclara duc, et le vicomte lui rendit hommage. Alors la ville était sous la juridiction de trois seigneurs, l'archevêque, le vicomte et l'abbé de Saint-Paul; en 1232, ces trois personnages confirmèrent les franchises et coutumes de la commune. Cependant, en 1234, les consuls de Narbonne invoquent le secours des consuls de Nîmes contre l'archevêque, et en 1255 les magistrats municipaux ordonnent que les coutumes de la ville seront traduites du latin en roman, afin de les mettre à la portée de tous. Les vicomtes, moins puissants que les archevêques, inclinent à protéger les prérogatives des Narbonnais, et c'est en présence de cette lutte croissante contre le pouvoir des seigneurs archevêques, que Gilles Ascelin construit, en 1318, l'énorme tour encore intacte aujourd'hui, et que ses successeurs font, de leur résidence, un véritable château fort, se reliant à la cathédrale fortifiée elle-même 20.

Ce mélange d'architecture militaire, religieuse et civile, fait donc du palais archiépiscopal de Narbonne un édifice des plus intéressants à connaître. Disons d'abord qu'il ne faut pas chercher là des influences de l'art italien du XIVe siècle; cet édifice est bien français, et plutôt français septentrional que languedocien. Ses combles étaient aigus, ainsi que le prouvent plusieurs des pignons existants; la construction des voûtes, les sections des piles, le cloître et ses détails, la forme des fenêtres, les dispositions défensives, et jusqu'à l'appareil, appartiennent à l'architecture du domaine royal; et le palais archiépiscopal de Narbonne est d'autant plus curieux à étudier, qu'il dut servir de point de départ pour construire le palais des papes à Avignon, dont nous nous occuperons tout à l'heure.

Voici (fig. 11) le plan du palais des archevêques de Narbonne, à rez-de-chaussée. En A, est la cathédrale, commencée, comme nous l'avons dit, en 1272, sur un plan français (voy. CATHÉDRALE, fig. 48). Une place fort ancienne 21, et qui, très vraisemblablement, occupe l'emplacement du forum de la ville romaine, est en B. Les fondations du capitole antique commandèrent la disposition des bâtiments, qui se contournent en partant de l'angle C jusqu'à la cathédrale. En D, est une tour romane, et en E, des bâtiments dont quelques parties appartiennent au XIIe siècle. La grosse tour carrée bâtie par Gilles Ascelin en 1318, est en F. Elle est plantée sur la place, en face de la tour du vicomte, beaucoup plus basse; elle dominait par conséquent la tour du seigneur laïque et le canal se reliant au port, lequel passe à 10 mètres environ du point C. De la place B au cloître G, le terrain s'élève de 5 mètres environ. On entrait dans la cour H du palais, en passant sous un arc I, en prenant une rue K bordée de bâtiments fortifiés, et en franchissant le grand porche voûté L. En O, était la salle des gardes, communiquant au rez-de-chaussée de la tour dite Saint-Martial, U, par un emmarchement intérieur. Toutes ces dispositions sont à peu près intactes. En passant de la rue K, sous une arcade P fortifiée, on arrive à un degré Q qui monte au cloître, lequel communique à la cathédrale par une porte R.

De la cour H, en descendant le degré S, terminé par un ciel ouvert S', et prenant à gauche un souterrain passant sous le grand logis V, on arrivait à une poterne T, donnant dans un fossé qui séparait tout le front ab d'un jardin, formant ouvrage avancé. Le grand logis V est, à rez-de-chaussée, occupé par des celliers disposés sous la grand'salle. De la cour H, on montait aux appartements par un escalier X, détruit aujourd'hui 22. En d, d', étaient des portiques, et en Z un bâtiment en retraite qui réunissait la grosse tour à la tour Saint-Martial.

Cette dernière partie, dont on ne voyait que des fragments avant 1847, enclavée dans des constructions beaucoup plus récentes, a été rasée pour faire place au nouveau bâtiment de l'hôtel de ville. Mais ayant été chargé de diriger cette dernière construction, nous avons pu constater la disposition des grands contre-forts avec mâchicoulis M, et du petit corps de garde N avec sa poterne n. Les bâtiments p, dits de la Madeleine, sont les plus anciens. Ils se composent d'un rez-de-chaussée voûté et d'une grande salle t, également voûtée, sous une belle chapelle disposée au premier étage; cette salle t communiquait avec le passage dit de l'Ancre par deux portes VV'. Ces portes VV' devaient permettre au public d'entrer dans la salle t, qui servait de chapelle basse. Une cour de communs était disposée en m avec un petit logis e fortifié. L'enceinte de l'archevêché allait rejoindre celle de la cathédrale par un mur f, également fortifié. En g, est une grande salle capitulaire. L'abside de la cathédrale continuait les défenses de ce côté f par une suite de tourelles crénelées réunies par des arcs surmontés de créneaux, ainsi que les couronnements des chapelles. Ce palais présentait donc un ensemble de défenses formidables dominées par l'énorme tour carrée F, formant saillie.

Examinons maintenant le plan du premier étage de ce palais (fig. 12). L'escalier X permettait d'arriver directement de la cour à la grande salle V, possédant une vaste cheminée dont on voit encore les traces à l'extérieur. Cette grande salle était éclairée par de hautes fenêtres terminées de tiers-point, et couverte au moyen d'arcs plein cintre, portant un solivage au-dessus duquel était un étage lambrissé donnant sur le crénelage extérieur. De la grande salle, on pouvait arriver à tous les appartements. Des escaliers à vis permettaient de descendre au rez-de-chaussée sur plusieurs points, ou de monter aux étages supérieurs. On voit qu'on ne pouvait entrer dans la salle octogonale de la tour carrée que par un passage détourné, et de cette salle octogonale on descendait par une trappe dans la salle circulaire du rez-de-chaussée, laquelle servait de chartre ou de cachot. De larges mâchicoulis s'ouvrant au second étage, à la hauteur du crénelage, défendaient le front ab. Ici on reconnaît l'utilité des passages pratiqués en I et en P, sur les deux arcades franchissant la rue K; ils établissaient une communication entre le logis L et celui T de la Madeleine, et entre la tour Saint-Martial U et la chapelle M. Le cloître 23, couvert en terrasse, donnait une promenade d'où l'on pouvait jouir de la vue étrangement pittoresque de tous ces grands bâtiments se découpant les uns sur les autres, surmontés d'un côté par la grosse tour carrée, de l'autre par l'abside colossale de la cathédrale.

Ces constructions sont élevées en belles pierres de Sijean et de Béziers; elles couvrent une surface de 4000 mètres environ, déduction faite des cours, et malgré les nombreuses mutilations qu'elles ont subies, bien que des couvertures plates modernes et sans caractère aient remplacé les anciennes toitures à pentes rapides, bien que des adjonctions misérables, ou l'abandon, aient détruit plusieurs de leurs parties les plus intéressantes, elles ne laissent pas d'en imposer par leur grandeur et leur puissance.

Nous donnons (fig. 13) une vue cavalière de ce palais, prise du côté de la grosse tour carrée (voy. CLOÎTRE, SALLE, TOUR). Mais ce palais des archevêques de Narbonne est un pauvre logis, si on le compare au palais des papes à Avignon. Il est nécessaire, pour faire comprendre l'importance de cette résidence des souverains pontifes, de donner un historique sommaire de leur séjour dans le comtat Venaissin.

Au XIIIe siècle, le rocher d'Avignon, sur lequel devait s'élever le palais des papes, était partie en pâturages, partie couvert d'habitations dominées par l'ancien château ou palais du podestat, non loin duquel s'élevait celui de l'évêque 24. De ces constructions antérieures au séjour des pontifes, l'église Notre-Dame des Doms, servant de cathédrale, existe seule aujourd'hui.

Le pape Clément V vint à Avignon en 1308, et habita le couvent des Frères prêcheurs (dominicains). Clément V était Bertrand de Grotte, archevêque de Bordeaux; ce prélat passait pour être l'ennemi du roi de France, Philippe le Bel. Ce prince eut avec lui une entrevue: «Archevêque, lui dit-il, je puis te faire pape si je veux, pourvu que tu promettes de m'octroyer six grâces que je te demanderai.» Bertrand tomba à ses genoux, et lui répondit: «Monseigneur, c'est à présent que je vois que vous m'aimez plus qu'homme qui vive, et que vous voulez me rendre le bien pour le mal. Commandez et j'obéirai.» Bertrand de Grotte fut élu, et vint s'établir en France, à Avignon.

Jean XXII habita le palais, alors situé sur l'emplacement du palais actuel des papes (1316).

C'est Armand de Via, son neveu, évêque d'Avignon, qui, n'ayant point de palais, acheta le terrain où fut bâti l'archevêché, aujourd'hui occupé par le petit séminaire. Jean XXII, voulant agrandir le palais qu'il habitait, fit démolir la paroisse de Saint-Étienne, qu'il transféra à la chapelle Sainte-Madeleine.

Benoît XII, en 1336, fit démolir du palais tout ce que son prédécesseur avait fait construire, et d'après les plans de l'architecte Pierre Obreri 25, fit bâtir la partie septentrionale du palais apostolique, qu'il termina par la tour de Trouillas. Sous ce pontife, la chambre apostolique acheta le palais qu'avait fait bâtir Armand de Via pour servir d'habitation aux évêques d'Avignon. Clément VI fit construire la façade méridionale du palais des papes et les enceintes du midi qui, dans la suite, servirent à contenir l'arsenal.

C'est en 1347 seulement que la ville d'Avignon et le comtat Venaissin devinrent la propriété des papes. Avignon appartenait à Jeanne de Naples, qui était comtesse de Provence en même temps que reine des Deux-Siciles. Chassée de Naples comme soupçonnée de complicité avec les assassins de son mari, André de Hongrie, Jeanne se réfugia en Provence, et vint se jeter aux pieds de Clément VI. Lorsqu'elle quitta Avignon pour retourner dans ses États d'Italie, elle était déclarée innocente du crime dont la voix publique l'accusait; elle était munie d'une dispense pour épouser son cousin Louis de Tarente, le principal instigateur de l'assassinat d'André. Avignon et le comtat Venaissin appartenaient au pape. Cette cession avait été stipulée au prix de 80000 florins.

Innocent VI acheva la partie méridionale et la grande chapelle supérieure. Urbain V fit tailler dans le roc l'emplacement de la cour principale du palais, et y fit creuser un puits; il fit construire l'aile orientale donnant sur des jardins, et ajouta une septième tour, dite des Anges, aux six déjà bâties.

Grégoire XI part pour Rome en 1376, et meurt en 1378. Ainsi le palais d'Avignon a été le siége de la papauté de 1316 à 1376, pendant soixante ans, sous six papes. La papauté était alors française, élue principalement parmi les prélats gascons et limousins. Les papes français installèrent des candidats de leur choix au sein du sacré collége, et maintinrent leur prédominance pendant la durée du séjour des papes à Avignon. Il ne faut pas oublier ce fait, qui eut, comme nous le verrons tout à l'heure, une influence sur la construction du palais des papes d'Avignon.

Les antipapes, Clément VII et Benoît XIII, occupèrent le palais d'Avignon de 1379 à 1403 (mars).

Benoît XIII fut assiégé dans le palais par le maréchal Boucicaut, le 8 septembre 1398; le siége fut converti en blocus jusqu'après le départ de ce pontife, en 1403. Roderic de Luna, neveu de Benoît XIII, fut de nouveau assiégé, ou plutôt bloqué, par les légats du pape de Rome et par Charles de Poitiers, envoyé par le roi de France en 1409. Il évacua le palais, ainsi que le château d'Oppède, par capitulation en date du 22 novembre 1411.

Le cardinal légat (cardinal de Clermont) fit bâtir, en 1513, l'appartement appelé la Mirande, regardant le midi, et la galerie couverte qui mettait en communication ces appartements avec les tours donnant sur le jardin: c'était là que les vice-légats recevaient leurs visites.

On a tenu dans le palais d'Avignon six conclaves:

Celui pour l'élection de Benoît XII, en 1335; de Clément VI, en 1342; d'Innocent VI, en 1352; d'Urbain V, en 1362; de Grégoire XI, en 1370, et de Benoît XIII, en 1394.

À la suite d'un conflit qui eut lieu entre les gens du pape et ceux du duc de Créquy, ambassadeur de Louis XIV près le saint-siége, les satisfactions demandées à la cour de Rome paraissant insuffisantes, le roi de France fit occuper Avignon par ses troupes, et menaça le souverain pontife d'envoyer un régiment à Rome (1662). Le général Bonaparte, par le traité de Tolentino, obtint la cession des Romagnes et du comtat d'Avignon.

Ainsi, en soixante années, les papes firent bâtir non-seulement cette résidence, dont la masse formidable couvre une surface de 6400 mètres environ, mais encore toute l'enceinte de la ville, dont le développement est de 4,800 mètres.

En 1378, un incendie détruisit presque tous les combles du palais des papes 26. En 1413, la grande salle du Consistoire, le quartier des cuisines et celui de la sommellerie furent consumés, malgré la diligence de Marc, neveu du pape Jean XXIII, et qui commandait alors dans cette ville 27.

Les documents étendus que M. Achard, archiviste de la préfecture de Vaucluse, a bien voulu réunir pour nous, avec un empressement dont nous ne saurions trop le remercier, ne donnent que le nom d'un architecte dans la construction de cette oeuvre colossale: c'est un certain Pierre Obreri ou Pierre Obrier. Obreri n'est guère un nom italien, mais ce qui l'est encore moins, c'est le monument lui-même. L'architecture italienne du XIVe siècle, soit que nous la prenions dans le sud ou dans le nord de la péninsule, ne rappelle en rien celle du palais des papes. Depuis la tour de Trouillas jusqu'à celle des Anges, dans toute l'étendue de ces bâtiments, du nord au sud, de l'est à l'ouest, la construction, les profils, les sections de piles, les voûtes, les baies, les défenses, appartiennent à l'architecture française du Midi, à cette architecture gothique qui se débarrasse difficilement de certaines traditions romanes. L'ornementation, très sobre d'ailleurs, rappelle celle de la cathédrale de Narbonne dans ses parties hautes, qui datent du commencement du XIVe siècle. Or, la cathédrale de Narbonne est l'oeuvre d'un architecte français, le même peut-être qui bâtit celle de Clermont en Auvergne, et celle de Limoges, ainsi que peut le faire supposer la parfaite conformité de ces trois plans. Les seuls détails du palais d'Avignon, qui sont évidemment de provenance italienne, ce sont les peintures attribuées à Giotto et à Simon Memmi ou à ses élèves 28. N'oublions pas d'ailleurs que Clément V, qui, le premier, établit le siége apostolique à Avignon, était Bertrand de Grotte, né à Villandrau, près de Bordeaux; que Jean XXII, son successeur, était Jacques d'Euse, né à Cahors; que Benoît XII était Jacques Fournier, né à Saverdun, au comté de Foix; que Clément VI était Pierre Roger, né au château de Maumont, dans le diocèse de Limoges; qu'Innocent VI était Étienne d'Albert, né près de Pompadour, au diocèse de Limoges; qu'Urbain V était Guillaume Grimoald, né à Grisac, dans le Gévaudan, diocèse de Mende, et que Grégoire XI, neveu du pape Clément VI, était, comme son oncle, né à Maumont, au diocèse de Limoges. Que ces papes, qui firent entrer dans le sacré collége un grand nombre de prélats français, et particulièrement des Gascons et des Limousins, eussent fait venir des architectes italiens pour bâtir leur palais, ceci n'est guère vraisemblable; mais les eussent-ils fait venir, qu'il serait impossible toutefois de ne point considérer les constructions du palais des papes d'Avignon comme appartenant à l'architecture des provinces méridionales de la France. Nous insistons sur ce point, parce que c'est un préjugé communément établi que le palais des papes est une de ces constructions grandioses appartenant aux arts de l'Italie. À cette époque, au XIVe siècle, le goût de l'architecture italienne flotte indécis entre les traditions antiques et les influences de France et d'Allemagne, et ce n'est pas par la grandeur et la franchise qu'il se distingue. Les papes établis en France, possesseurs d'un riche comtat, réunissant des ressources considérables, vivant relativement dans un état de paix profonde, sortis tous de ces diocèses du Midi, alors si riches en monuments, ont fait à Avignon une oeuvre absolument française, bien supérieure comme conception d'ensemble, comme grandeur et comme goût, à ce qu'alors on élevait en Italie. Examinons maintenant ce vaste édifice dans toutes ses parties. Nous devons prendre le palais des papes à Avignon tel qu'il existait à la fin du XIVe siècle, c'est-à-dire après les constructions successives faites depuis Clément V jusqu'à Grégoire XI, car il serait difficile de donner les transformations des divers services qui le composent, et de montrer, par exemple, le palais bâti par Jean XXII. Ces immenses bâtiments s'élèvent sur la déclivité méridionale du rocher des Doms, à l'opposite du Rhône; de telle sorte que le rez-de-chaussée de la partie voisine de l'église Notre-Dame, qui est la plus ancienne, se trouve au niveau du premier étage de la partie des bâtiments élevés en dernier lieu, du côté sud, par Urbain V. Si donc nous traçons le plan du rez-de-chaussée du palais des papes, vers sa partie inférieure, nous tombons en pleine roche, en nous avançant vers le nord (fig. 14).

L'entrée d'honneur A s'ouvre sur une esplanade dominant tous les alentours, et autrefois divisée en plusieurs bailles, avec courtines, tour et portes. Cette entrée A est défendue par deux herses, des vantaux et un double mâchicoulis. En avant, donnant sur l'esplanade, l'ouvrage avancé fut remplacé au XVIIe siècle par un mur de contre-garde crénelé. Sous le vestibule d'entrée, à droite, est la porte s'ouvrant dans un vaste corps de garde B, voûté. De la cour d'honneur C on peut se diriger sur tous les points du palais. Du vestibule D on monte aux étages supérieurs par un large et bel escalier à deux rampes, ou bien on entre dans la grande salle basse E et son annexe F, ou, encore dans la salle G. Par le passage H, on descend à l'esplanade orientale I, où l'on pénètre dans les salles K, sous la grosse tour L et son annexe l. Par le petit passage O détourné, on s'introduit dans la grande salle M, laquelle servait de poste et communiquait aux défenses supérieures par un escalier P. En R, est une poterne défendue par un mâchicoulis intérieur, une herse et des vantaux. En S, est une seconde poterne défendue par des mâchicoulis et une herse; en T, un degré qui monte au rez-de-chaussée de la partie du palais bâtie sur le rocher à un niveau plus élevé que le sol de la cour d'honneur. La partie la plus ancienne du palais, la tour de Trouillas est en V, flanquant le rocher et s'élevant au-dessus de toutes les autres tours du palais: c'est le donjon, dont nous ne voyons ici que les soubassements. Un escalier X, desservant cette partie des bâtiments, descend jusqu'au sol de l'esplanade I, et donne entrée sur le mur de défense Z garni de mâchicoulis et d'un chemin de ronde. En N, adossé à ce mur, est un fournil.

Tout ce rez-de-chaussée est voûté et construit de manière à défier le temps et la main des hommes. Du corps de garde B on monte par un escalier à vis aux défenses supérieures de la porte principale A. Un autre escalier Q monte aux appartements donnant sur l'esplanade.

Ainsi qu'on peut le reconnaître, la disposition de rez-de-chaussée est bonne, en ce que, de la cour d'honneur, on arrive directement à tous les points du palais. Observons aussi que les deux poternes R, S, sont percées dans des rentrants, bien masquées et défendues; que les fronts sont flanqués, et que les architectes ont profité de la disposition naturelle du rocher pour établir leurs bâtiments. Des jardins s'étendaient du côté du sud, sur une sorte de promontoire que forme la colline. D'un côté (vers le nord), le rocher des Doms est à pic sur le Rhône, et était de plus défendu par un fort (le fort Saint-Martin). De l'autre (vers le sud), il s'implantait au centre de la ville, et la coupait pour ainsi dire en deux parts. Vers l'ouest, les bailles s'étendaient jusqu'au palais épiscopal, étaient arrêtées par le rempart de la ville, qui descendait jusqu'aux bords du Rhône et se reliait au fort Saint-Martin 29. Des rampes ménagées le long de ce fort descendaient jusqu'à la porte ou châtelet donnant entrée sur le pont Saint-Bénézet, qui traversait le Rhône (voy. PONT). Vers l'est, l'escarpement est abrupt et domine les rues de la cité. L'assiette de ce palais était donc merveilleusement choisie pour tenir la ville sous sa dépendance ou protection, pour surveiller les rives du fleuve précisément au point où il forme un coude assez brusque, pour être en communication avec le mur d'enceinte, et pour sortir au besoin de la cité sans être vu.

Afin de ne pas multiplier les figures, nous présentons le plan du palais des papes à rez-de-chaussée pour la partie la plus élevée, et au premier étage pour la partie située au-dessus des bâtiments entourant la cour d'honneur. Par le fait, le niveau du rez-de-chaussée des bâtiments supérieurs correspond au niveau d'un étage entresolé, disposé en partie sur le plan donné dans la figure 14.

En A (fig. 15), est l'église Notre-Dame des Doms, rétablie dans sa forme première et avant l'adjonction des chapelles qui ont altéré le plan de ce bel édifice. Élevée pendant le XIIe siècle, l'église Notre-Dame des Doms, aujourd'hui encore cathédrale d'Avignon, fut conservée par les papes, et c'est dans son voisinage que les pontifes élevèrent les premières constructions de leur palais, entre autres les tours B et les corps de logis b. S'avançant peu à peu vers le sud et suivant la déclivité du rocher, les papes fermèrent d'abord la cour C, entourée d'un large portique avec étage au-dessus, puis la cour d'honneur D. Il est à remarquer qu'en élevant chaque tour et chaque corps de logis, on les fortifiait, pour mettre toujours les portions terminées du palais à l'abri d'une attaque. Ainsi, le bâtiment E, par exemple, était défendu par des mâchicoulis en e, parce qu'au moment de sa construction, il avait vue directe sur les dehors, la cour d'honneur D et la grande salle G ayant été construites en dernier lieu, ainsi que la tour H.

Sous Urbain V, les appartements du pape se trouvaient au premier étage, autour de la cour d'honneur. Une grande salle (la salle G) entièrement voûtée, servait de chapelle. Ses voûtes étaient couvertes de belles peintures dont il ne reste plus que des fragments. L'escalier d'honneur I donnait entrée dans cette chapelle et dans les appartements des corps de logis à l'occident et au levant. Un couloir de service longe les pièces de l'aile occidentale, est desservi par l'escalier K, communique à la porterie et avec défenses supérieures par les vis L, aboutit au-dessus de la poterne P, et met l'aile occidentale en communication avec le logis E. Un crénelage avec larges mâchicoulis bordait les chambres de l'aile occidentale, au niveau du premier étage, sur le dehors. En F, étaient placées, au premier étage, les grandes cuisines 30. La salle des festins était au-dessus de la salle b, et se trouvait séparée des galeries du cloître par une cour très étroite et très longue; on observera que des mâchicoulis défendent le pied des quatre bâtiments qui entourent ce cloître. Des cloisons, dont nous n'avons pas tenu compte dans ce plan, parce qu'elles ont été changées plusieurs fois de place, divisaient les logis qui entourent le cloître et laissaient des couloirs de service. Ce vaste palais était donc très habitable, toutes les pièces étant éclairées au moins d'un côté. On remarquera aussi que dans l'épaisseur des murs des tours notamment, sont pratiqués des couloirs de service et des escaliers qui mettaient en communication les divers étages entre eux, et pouvaient au besoin faciliter la défense.

Une élévation prise sur toute l'étendue de la face occidentale fait saisir l'ensemble de ce majestueux palais (fig. 16) qui domine la ville d'Avignon, le cours du Rhône et les campagnes environnantes. Il était autrefois richement décoré de peintures à l'intérieur 31. Mais deux incendies, l'abandon et le vandalisme, ont détruit la plus grande partie des décorations. Quelques plafonds assez richement peints datent du XVIe siècle. L'emmarchement du grand escalier, aujourd'hui délabré et sordide, était fait de marbre ou de pierre polie, ses voûtes étaient peintes. La chapelle était des plus splendides et contenait des monuments précieux: c'est dans ce vaisseau que furent déposés les trophées envoyés au pape en 1340, par le roi de Castille, à la suite de la victoire de Tarifa.

Les deux tourelles qui surmontent la porte d'entrée en forme d'échauguettes ne furent démolies qu'en 1749, parce que (dit un rapport du sieur Thibaut, ingénieur, en date du 29 mars de la même année) elles menaçaient ruine; un tableau déposé dans la bibliothèque d'Avignon et plusieurs gravures nous en ont conservé la forme. Quant aux couronnements des tours, notamment ceux de la tour de Trouillas, ils ne furent complétement détruits qu'au commencement de ce siècle, et sont également représentés dans les tableaux et gravures du XVIIe siècle. Le palais des papes possède sept tours qui sont: 1º la tour de Trouillas, 2º de la Gache 32, 3º de Saint-Jean, 4º de Saint-Laurent, 5º de la Cloche, 6º des Anges 33, 7º de l'Estrapade.

Les légats habitèrent le palais d'Avignon, après le départ de l'antipape Benoît XIII, et y firent quelques travaux, entre autres le cardinal d'Armagnac, en 1569; mais cette vaste habitation était fort délabrée et «fort mal logeable», comme le dit Ch. de Brosses, pendant le dernier siècle. Aujourd'hui, c'est à grand'peine que l'on peut reconnaître les dispositions intérieures à travers les planchers et les cloisons qui coupent les étages, pour loger de la troupe 34.

Ce dernier exemple indique, comme les précédents, que la question de symétrie n'était point soulevée lorsqu'il s'agissait de bâtir des palais pendant le moyen âge. On cherchait à placer les services suivant le terrain ou l'orientation la plus favorable, suivant les besoins, et l'on donnait à chaque corps de logis la forme, l'apparence qui convenaient à sa destination.

Tous les palais épiscopaux n'avaient pas en France cet aspect de forteresse. Le palais archiépiscopal de Rouen, le palais épiscopal d'Évreux, celui de Beauvais, rebâtis presque entièrement au XVe siècle, ressemblaient fort à des hôtels princiers s'ouvrant sur les dehors par de larges fenêtres, et ne possédant plus de tours de défense. Quant aux rois de France, à dater de la fin du XIVe siècle, lorsqu'ils résidaient dans les villes, ils habitaient des hôtels. À Paris, le roi possédait plusieurs hôtels, et dans la plupart des bonnes villes on avait le logis du roi, qui souvent n'était qu'une résidence très modeste. Les châteaux furent préférés, on y jouissait d'une plus grande liberté. Les troubles qui remplirent la capitale pendant une grande partie du XVe siècle engagèrent les souverains à ne plus se fier qu'à de bonnes murailles à distance de la ville.

Les châteaux du Louvre, de la Bastille, de Vincennes, ceux des bords de la Loire, devinrent la résidence habituelle des rois de France, depuis les guerres de l'indépendance jusqu'au règne de François Ier. Les grands vassaux suivirent en cela l'exemple du souverain, et préféraient leurs châteaux à leurs résidences urbaines, et le nom de palais resta aux bâtiments occupés par les parlements.

Note 1: (retour) Récit des temps mérovingiens, par Augustin Thierry, récit 1er.
Note 2: (retour) Charlemagne avait aussi des palais dans des villes, celui d'Aix entre autres, qui passait pour très beau.

«Karles ne torna pas à Saint-Polle martir

N'an son palais plenier, qi fu de marbre bis.»

(La Chanson des Saxons, ch. L.)

Note 3: (retour) Hist. du duché de Valois, par le P. Carlier, prieur d'Andrezy, 1764, t. 1, liv. II, p. 169.
Note 4: (retour) Mallobergium, Malbergium, maison des plaids, lieu où l'on rendait la justice. (Voir Du Cange, Glossaire.)
Note 5: (retour) Ce fut dans cette tour que Montgomery fut enfermé après le tournoi qui fut si fatal à Henri II.
Note 6: (retour) Ainsi que le constatent deux dessins fort curieux, représentant les démolitions du palais avant la construction de la façade actuelle sur la cour du May. Ces dessins, qui appartenaient à M. Lassus, ont été lithographiés pour faire partie d'une monographie du Palais, qui n'a pas été publiée.
Note 7: (retour) Antiquités de Paris.
Note 8: (retour) Voy. l'Hist. topogr. et archéol. de l'anc. Paris, par MM. A. Lenoir et A. Berty (feuille X).
Note 9: (retour) Voyez le grand Plan de Paris à vol d'oiseau, par Mérian, et la Tapisserie de l'hôtel de ville; la Topographie de la Gaule, par Mérian; Livre troisième de la Cosmogr. universelle, Sébastien Munster et Belle-Forest, 1665; le Plan de Gomboust; l'oeuvre d'Israël Sylvestre; la Topographie de la France bibliog. imp.; l'oeuvre de Pérelle (vue du pont au Change); l'Hist. pittor. du Palais de justice, par Sauvan et Schmit, 1825; l'Itinéraire arch. de Paris, par M. le baron de Guilhermy.
Note 10: (retour) Le Livre des faits et bonnes meurs du sage roy Charles, chap. XXXVIII. Christine de Pisan.
Note 11: (retour) Voyez le plan de ce palais dans le Voyage archéol. dans le département de l'Aube par A. F. Arnaud (1837). Ce palais est entièrement rasé.
Note 12: (retour) C'est là, dit M. Ch. de Chergé, dans son Guide du voyageur à Poitiers, que se «trouve la tour historique de Maubergeon (Malhbery, audiences en lieux couverts, Mallobergium), lieu où, dès l'origine, et sous Charlemagne, furent tenues les audiences publiques et rendue la justice, et dont relevèrent depuis tous les fiefs capitaux de la province..... Ce fut dans le palais de Poitiers que le dauphin, fils de France, fut proclamé roi sous le nom de Charles VII (oct. 1422); ce fut là encore que fut interrogée, par les docteurs les plus habiles, Jeanne d'Arc, la Pucelle (mars 1429); ce fut là que s'assemblèrent les parlements de Paris et de Bordeaux, au moment où la France presque entière était anglaise....» Si un monument est historique, c'est bien celui-là.
Note 13: (retour) En effet, les saillies des ornements entourant les fenêtres, les statues décorant les cylindres des tours, auraient gêné beaucoup le service des mâchicoulis, si l'on eût voulu en faire usage en cas d'attaque. M. de Mérindol a bien voulu nous communiquer l'excellent travail qu'il a fait sur le palais de Poitiers, et c'est d'après ses relevés très exacts que nos dessins ont été réduits.
Note 14: (retour) Guizot, Hist. de la civilis. en France, VIIIe leçon.
Note 15: (retour) Le Théâtre des antiquités de Paris, 1612, p. 43.
Note 16: (retour) Sauval, liv. VII.
Note 17: (retour) Voyez la tapisserie de l'hôtel de ville; le Plan Gomboust; le grand Plan de Paris à vol d'oiseau, de Mérian; les vues d'Israël Sylvestre; celles de Pérelle; le Plan de la cité de l'abbé Delagrive; les plans et coupes déposés aux archives de l'Empire et dont M. A. Berty a eu l'obligeance de nous communiquer des calques; une gravure du parvis Notre-Dame, par L. van Merlen, qui montre le couronnement du bâtiment H.
Note 18: (retour) Voyez dans le tome II de l'Architecture civile et domestique de MM. Verdier et Gattois, p. 201, le plan du palais épiscopal.
Note 19: (retour) Cette tourelle existe encore. (Voy. l'Archit. civ. et dom. de MM. Verdier et Cattois, t. I.)
Note 20: (retour) Nous devons ces renseignements historiques à M. Tournal, conservateur du Musée de Narbonne.
Note 21: (retour) Dite aujourd'hui la place aux Herbes.
Note 22: (retour) Cet escalier fut détruit vers 1620, et remplacé par un bel escalier placé dans la tour Y. C'est de 1620 à 1634 que furent élevées de nouvelles façades dans la cour, et que furent arrangés les grands appartements actuellement occupés en partie par le musée de la ville. Nous avons retrouvé les traces des fondations de l'escalier X.
Note 23: (retour) On désignait ainsi ce passage, parce que sous l'arcade I était suspendue une ancre, comme signe des droits que les archevêques possédaient sur le port de Narbonne.
Note 24: (retour) «Item civitas (Avenionis) habet patuum quod est juxta cimeterium Sancti Benedicti usque ad rupem castricum pertinentiis suis usque ad Rhodanum et usque ad domos que possidentur pro Hugone Bertrando et sicut protenditur usque adstare Bertrandi Hugonis et usque ad cimeterium ecclesie Beate Marie et usque ad ecclesiam beate Marie de Castro.» (Bibl. d'Avignon, fonds Requien, cartul. des statuts. Invent. des biens de la républ. d'Avignon, fait en 1234 par le podestat Parceval de Doria.)--Communiqué par M. Achard, archiviste de la préfecture de Vaucluse.
Note 25: (retour) Ou Pierre Obrier, selon les Annales d'Avignon, t. III.--Manuscrit donné au musée d'Avignon par M. Requien; comm. par M. Achard, archiviste de la préfecture.
Note 26: (retour) On voit encore aujourd'hui les traces de ce sinistre dans les parties supérieures de l'édifice. «L'an 1378, à l'heure du trépas du pape Grégoire XI à Rome, selon les vieux documents de Provence, le palais d'Avignon s'embrasa par telle fureur, qu'il ne fut jamais au pouvoir des hommes, quel secours qui de toute part y arrivât, de l'éteindre ni arrêter, que la plus grande partie de ce grand et superbe édifice ne fût arse dévorée et mise en consommation par les flammes, ainsi que j'en ai moi-même encore vû les marques et vestiges dans cette fière et hautaine masse de pierres.» (Nostradamus, Hist. de Provence, p. 437.)
Note 27: (retour) Journal d'un habitant d'Avignon, cité par Gaufridi (Hist. de Provence).
Note 28: (retour) Il est bon d'observer ici que Giotto était mort à l'époque où s'élevait le palais des papes. Les seules peintures que l'on pourrait lui attribuer sont celles que l'on voyait, il y a quelques années, sous le porche de Notre-Dame des Doms. Mais quand elles furent faites, les papes n'étaient pas à Avignon.
Note 29: (retour) Ce fort fut détruit, en 1650, par l'explosion de la poudrière qu'il contenait.
Note 30: (retour) Ce sont ces cuisines que l'on montre comme étant une salle d'exécution à huis clos et une chambre de torture.
Note 31: (retour) Il ne reste de ces peintures que des traces dans la grande chapelle, et dans deux des salles de la tour dite aujourd'hui de la Justice, M.
Note 32: (retour) Ce nom lui venait de ce qu'elle servait de guette. Du haut de la tour de la Gache la plus voisine de la façade de Notre-Dame des Doms et la plus élevée, (voyez sur la façade) on donnait, à son de trompe, le signal du couvre-feu, on avertissait les habitants en cas d'incendie ou d'alarme.
Note 33: (retour) C'est la tour située entre la porte et la grande chapelle (voyez la façade).
Note 34: (retour) L'empereur Napoléon III a donné l'ordre, lors de son passage à Avignon, en 1860, de bâtir une caserne dans la ville, afin de pouvoir débarrasser et réparer ce magnifique palais.


PALIER, s. m. Repos ménagé entre les volées d'un escalier (voy. ESCALIER).



PALISSADE, s. f. Palis, Plaseis, Pel, Peus, Picois. Enceinte formée de pieux fichés en terre et aiguisés à leur partie supérieure.

Beaucoup de bourgades, de villages et d'habitations rurales, manoirs, granges, etc., n'étaient, pendant le moyen âge, fermés que de palissades. Les dépendances des châteaux, basses-cours, jardins, garennes, n'avaient souvent d'autre défense qu'une palissade avec haie vive.

«Là ù li Griu recuevrent de plascis

Fu mult fors li estors et durs li fereis 35;

...

Ne l'puet garir castiaus, tant soit clos de palis,

Fossés, ne murs entor, dognons, ne plascis 36

Il était d'usage aussi de planter des palissades au pied des remparts des villes, de manière à laisser entre la muraille et l'enceinte de pieux un espace servant de chemin de ronde, de lice, ainsi qu'alors on appelait ces espaces. C'était un moyen d'empêcher les assaillants de saper le pied des remparts, lorsqu'il n'y avait pas de fossés, de prolonger la défense, et de permettre aux assiégés de faire des sorties. Lorsqu'une troupe investissait un château ou une ville fortifiée, il y avait d'abord de furieux combats livrés pour s'emparer des palissades et des lices, afin de pouvoir attacher les mineurs aux murs, ou faire approcher les galeries et tours roulantes.

«Aportez mei cet pel dont cel chastel est clos:

Com ainz l'arez tolli, ainz sarez à repos 37.

. . .

Li Dus a Herloin mult bien asseuré,

Monsteroil a bien clos, enforchié è fermé.

De pel à hérichon, de mur è de fossé 38.

...

N'i poent pel ne mur remeindre 39

Ces ouvrages de bois autour des places avaient souvent une grande importance; ils formaient de véritables barbacanes, ou défendaient de longues caponnières. Les assiégés faisaient du mieux qu'ils pouvaient pour les conserver, car ces palissades forçaient les assaillants à étendre leur contrevallation, permettaient l'entrée des secours et des provisions, et rendaient la défense du haut des remparts plus efficace en ce qu'elle découvrait un champ plus étendu. (Voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, SIÉGE.)

Note 35: (retour) Li Romans d'Alixandre: Combat de Perdicas et d'Akin. Édit. de Stuttgard, 1846, p. 140.
Note 36: (retour) Ibid.: Message à Darius, p. 251.
Note 37: (retour) Le Roman de Rou, vers 2600.
Note 38: (retour) Ibid., vers 2628.
Note 39: (retour) Ibid., vers 7352.


PAN DE BOIS, s. m. Ouvrage de charpenterie, composé de sablières hautes et basses, de poteaux, de décharges et de tournisses, formant de véritables murs de bois, soit sur la face des habitations, soit dans les intérieurs, et servant alors de murs de refend. Aujourd'hui, en France, il est interdit de placer des pans de bois sur la voie publique, dans les grandes villes, afin d'éviter la communication du feu d'un côté d'une rue à l'autre. Par la même raison, il n'est pas permis d'élever des murs mitoyens en pans de bois. Mais jusqu'au dernier siècle, l'usage des pans de bois, dans les villes du Nord particulièrement, était très fréquent. L'article MAISON signale un certain nombre d'habitations dont les murs de face sont en tout ou partie des pans de bois très heureusement combinés. Ce moyen avait l'avantage de permettre des superpositions d'étages en encorbellement, afin de laisser un passage assez large sur la voie publique et de gagner de la place dans les étages supérieurs. Il était économique et sain, car, à épaisseur égale, un pan de bois garantit mieux les habitants d'une maison des variations de la température extérieure qu'un mur de brique ou de pierre. Il n'est pas de construction à la fois plus solide, plus durable et plus légère. Aussi emploie-t-on encore habituellement les pans de bois dans les intérieurs des cours, seulement, au lieu de les laisser apparents, comme cela se pratiquait toujours pendant le moyen âge, on les couvre d'un enduit, qui ne tarde, guère à échauffer les bois et à les pourrir; mais on simule ainsi une construction de pierre ou tout au moins de moellon enduit.

On ne saurait donner le nom de pan de bois aux empilages horizontaux de troncs d'arbres équarris; cette sorte de structure n'appartient pas à l'art du charpentier; on ne la voit employée que chez certains peuples, et jamais elle ne fut admise sur le territoire de la France, à dater de l'époque gallo-romaine. Les Gaulois, au dire de César, élevaient quelques constructions, notamment des murs de défense, au moyen de longrines de bois alternées avec des pierres et des traverses; mais il ne paraît pas que cette méthode ait été employée pendant le moyen âge, et elle n'a aucun rapport avec ce que nous appelons un pan de bois.

Le pan de bois, par la combinaison de ses assemblages, exige en effet des connaissances étendues déjà de l'art du charpentier, et ne se rencontre que chez les populations qui ont longtemps pratiqué cet art difficile. Les Romains étaient d'habiles charpentiers, et savaient en peu de temps élever des ouvrages de bois d'une grande importance. Employant des bois courts comme plus maniables, ils les assemblaient solidement, et pouvaient au besoin s'élever à de grandes hauteurs 40. Les peuples du Nord, et particulièrement des Normands, excellents charpentiers, mêlèrent à ces traditions antiques de nouveaux éléments, comme par exemple l'emploi des bois de grandes longueurs et des bois courbes, si fréquemment usités dans la charpenterie navale; ils adoptèrent certains assemblages dont les coupes ont une puissance extraordinaire, comme pour résister aux chocs et aux ébranlements auxquels sont soumis les navires, et jamais ils n'eurent recours au fer pour relier leurs ouvrages de bois.

Prodigues d'une matière qui n'était pas rare sur le sol des Gaules, les architectes romans, lorsqu'ils élevaient des pans de bois, laissaient peu de place aux remplissages, et se servaient volontiers de pièces, sinon très épaisses, au moins très larges, débitées dans des troncs énormes, et formant par leur assemblage une lourde membrure, n'ayant guère d'espaces vides entre elles que les baies nécessaires pour éclairer les intérieurs.

L'assemblage à mi-bois fortement chevillé était un de ceux qu'on employait le plus souvent à ces époques reculées. On composait ainsi de véritables panneaux rigides qui entraient en rainure dans les sablières hautes et basses. Rarement, à cette époque, plaçait-on des poteaux corniers aux angles, et les pans de bois étaient pris entre les deux jambes-étrières de murs de maçonnerie qui formaient pignons latéralement; en un mot, le pan de bois de face d'une maison n'était qu'une devanture rehaussée de couleurs brillantes cernées de larges traits noirs. Bien entendu, ces constructions, antérieures au XIIIe siècle, ont depuis longtemps disparu, et c'est à peine si, dans quelques anciennes villes françaises, on en trouvait des débris il y a une trentaine d'années; encore fallait-il les chercher sous des lattis récents, ou les recueillir pendant des démolitions. C'est ainsi que nous avons pu, en 1834, dessiner à Dreux, pendant qu'on la jetait bas, les fragments d'une maison de bois, qui paraissait dater du milieu du XIIe siècle. Cette maison, exhaussée au XVe siècle, ne se composait primitivement que d'un rez-de-chaussée, d'un premier étage en encorbellement et d'un galetas. L'ancien comble, disposé avec égoût sur la rue, n'existait plus, et l'étage du galetas avait été surmonté d'un haut pignon de bois recouvert de bardeaux. Des fenêtres anciennes, il ne restait que les linteaux avec entailles intérieures, indiquant le passage, à mi-bois, des pieds-droits.

Voici (fig. 1) une vue de ce curieux pan de bois, compris entre deux murs formant tête avec encorbellements. Les sablières basses et hautes, les poteaux, étaient des bois de 7 pouces environ (19 centimètres); les jambages des fenêtres, des bois de 15 + 18 centimètres. Le cintre de la porte se composait de deux gros morceaux de charpente assemblés à mi-bois entre eux et avec les deux jambes. Les solives des planchers reposaient, comme les sablières basses des pans de bois, sur les murs latéraux et sur une poutre posée, parallèlement à ces murs, environ au milieu de la façade. Toute cette charpente était coupée avec soin, ornée de quelques moulures très simples et de gravures d'un faible creux. On voyait, sous les appuis des fenêtres des galetas, des restes de panneaux épais également décorés par des gravures. La figure 2 présente la coupe de ce pan de bois, elle indique le poteau intermédiaire A, renforçant la face du rez-de-chaussée et portant, au moyen d'un lien B, la poutre transversale C, laquelle soulage d'autant la portée de la sablière basse D du pan de bois supérieur. Au-dessus de ce lien B se dresse le poteau E jusque dessous la sablière haute F, portant une autre poutre G transversale sous comble. L'about de cette poutre est soulagé par un lien I. Une semelle H reçoit l'extrémité des chevrons et les blochets K. La poutre L s'assemble par un tenon dans le poteau E, lequel, sous cet assemblage, possède un repos M (voy. le détail O). Cette poutre est de plus portée par une décharge P, dont le pied est assemblé à tenon dans la première solive R du plancher du premier étage. La vue (fig. 1) fait voir comment les faces du pan de bois reportent les pesanteurs sur le poteau intermédiaire et sur les murs latéraux, au moyen de décharges courbes, lesquelles s'assemblent sous les sablières et dans les extrémités des linteaux évidés des fenêtres.

La figure 3 fera saisir les assemblages des potelets formant jambages des fenêtres, et des décharges courbes. Nous montrons le linteau A d'une de ces fenêtres à l'intérieur. Les potelets intermédiaires B, formant meneaux, s'assemblent à mi-bois dans ces linteaux, et portent, à leur extrémité supérieure b, un tenon qui entre dans une mortaise c, ménagée sous la sablière. Une petite languette e s'embrève en outre dans le linteau, et empêche celui-ci de désaffleurer le poteau. Les linteaux A possèdent eux-mêmes des languettes f qui s'embrèvent sous les sablières en g. La coupe C donne le géométral de ces assemblages, l'intérieur du pan de bois étant en h. Le potelet G, formant jambage, s'assemble de même à mi-bois dans l'extrémité du linteau, et porte son tenon i tombant dans une mortaise j; mais la décharge E porte une coupe biaise l, qui bute le linteau, et un tenon m qui s'engage dans la mortaise n. Ce tenon forme aussi languette s'embrevant dans l'extrémité du linteau en p.

Les assemblages de cette charpente rappellent ceux employés dans la menuiserie, et ceux aussi adoptés pour les constructions navales. La main-d'oeuvre est considérable, comme dans toute structure primitive; mais on observera que les ferrements ne sont admis nulle part. D'ailleurs le cube de bois employé est énorme, eu égard à la petite dimension de ce pan de bois de face; les remplissages en maçonnerie ou en torchis, à peu près nuls. Au XIIIe siècle déjà, on élevait des pans de bois beaucoup plus légers, mieux combinés, dans lesquels la main-d'oeuvre était économisée, et qui présentaient une parfaite solidité. Souvent, à cette époque, les solives des planchers portent sur les pans de bois de face, et servent à les relier avec les pans de bois intérieurs de refend.

Nous traçons (fig. 4) un de ces pans de bois, qui appartient, autant qu'on en peut juger par les profils, à la fin du XIIIe siècle 41. Ici pas de murs pignons en maçonnerie, comme dans l'exemple précédent; la construction est entièrement de charpente, et les mitoyennetés sont des pans de bois composés de sablières, de poteaux, de décharges et de tournisses. Les deux étages de pans de bois de face sont posés en encorbellement l'un sur l'autre, ainsi que l'indique le profil A. Les poteaux d'angle et d'axe de la façade B ont 22 et 24 centimètres d'équarrissage; tous les autres, ainsi que les sablières et solives, n'ont que 17 à 19 centimètres. Les solives C des planchers posant sur les sablières hautes assemblées sur la tête des poteaux, sont soulagées par des goussets et liens D à l'intérieur et à l'extérieur, et peuvent ainsi recevoir à leur extrémité la sablière basse de l'étage au-dessus. Ces solives étant espacées de près d'un mètre, elles reçoivent de plus faibles solives, ou plutôt des lambourdes, sur lesquelles sont posés les bardeaux avec entrevous, aire et carrelage. Le roulement du pan de bois est maintenu par des décharges E assez fortes, et des croix de Saint-André sous les appuis des fenêtres.

Un détail (fig. 5) explique l'assemblage des sablières a sur les poteaux b, des goussets et liens c, soit dans ces poteaux; soit dans les solives e. On voit en g comment s'embrèvent les sablières basses h aux abouts des solives, et comment, entre chacune de ces solives, on a posé des entretoises mouluréesi. Le tracé perspectif f montre l'une des solives désassemblée avec ses mortaises; le tracé perspectif l figure le linteau m de la porte et son assemblage avec le poteau p, formant jambage. Quant au tracé géométral B, il explique l'assemblage marqué d'un b dans la figure 4.

Ce pan de bois est bien tracé; les bois sont parfaitement équarris, les moulures nettement coupées, les assemblages faits avec soin. Il était, bien entendu, apparent; les remplissages étaient hourdés en mortier et petit moellon enduits.

Nous avons signalé ailleurs 42 l'habileté des charpentiers du moyen âge, principalement pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles. Il ne faudrait pas croire que les constructions se bornaient alors à employer les pans de bois pour les maisons de bourgeois: le pan de bois était, au contraire, un genre de construction fréquemment adopté, même dans les édifices publics, les palais et châteaux. Dans beaucoup de résidences seigneuriales, des logis avaient à l'intérieur, ou en guise de murs de refend, des pans de bois. Nous avons souvent constaté la présence de ces ouvrages de charpenterie, détruits par des incendies, dans des châteaux d'une certaine importance. On employait aussi les pans de bois comme moyen provisoire de clore des édifices que l'on n'avait pas le temps d'achever, ou dont la construction demeurait suspendue. C'est ainsi qu'on voit, au sommet du mur septentrional de la cathédrale d'Amiens, un pignon en pan de bois qui date du XIVe siècle.

Dans certaines contrées où le bois était abondant et la pierre rare, on bâtissait même des églises tout entières en bois. On voit encore dans un des faubourgs de la ville de Troyes 43 une chapelle, placée sous le vocable de saint-Gilles, qui est bâtie en pans de bois et date de la seconde moitié du XIVe siècle. Cet édifice, auquel des adjonctions plus récentes ont enlevé une partie de son caractère, se composait d'une seule nef, encore entière aujourd'hui, terminée par une abside à quatre pans.

Nous donnons (fig. 6) en A le plan, et en B la coupe transversale de la chapelle de Saint-Gilles 44. Tout le système consiste en une suite de poteaux (un par travée et à chaque angle) reposant sur une sablière basse et portant des fermes; une sablière haute relie le sommet, et deux cours d'entretoises, avec des écharpes et potelets, maintiennent le dévers. Les entraits et poinçons de la charpente sont apparents; celle-ci est lambrissée. Une flèche, dont l'amorce est tracée en D, couronne le comble sur la troisième travée, plus étroite que les autres. La figure 7 donne en A le détail géométral de l'assemblage des poteaux dans les entraits avec les liens doubles qui les soulagent, et en B le tracé perspectif d'une des travées à l'intérieur, avec la fenêtre, la sablière haute et l'entretoise haute moulurées. On voit, comme dans cet humble édifice, la charpente est traitée avec soin, comment la décoration n'est, à tout prendre, que l'apparence de la structure. Sur ces bois, point d'enduit sur lattis simulant une construction de pierre; aussi ces charpentes laissées à l'air libre sur deux faces se sont conservées plus de quatre siècles. On observera que les liens C (fig. 7) sont bien moins destinés à soulager les entraits des fermes qu'à arrêter le dévers des pans de bois. Ils tiennent lieu d'équerres, de goussets qui empêchent tout le système de se coucher, soit d'un côté, soit de l'autre.

Les bois employés dans les pans de bois, à dater du XIIIe siècle, ne sont jamais d'un fort équarrissage; ils sont sains et choisis parmi des arbres qui n'étaient pas trop vieux. Ce sont presque toujours des bois de brin, c'est-à-dire équarris sur un seul tronc, d'un assez faible diamètre par conséquent. Ces bonnes traditions s'étaient conservées jusqu'au commencement du XVIIe siècle, puisque le traité de Mathurin Jousse en fait mention 45; et en effet il existe encore quelques pans de bois de cette époque qui sont bien taillés et façonnés de bois choisis.

C'est principalement dans les provinces de l'Est, en se rapprochant du Rhin, que l'on trouve des restes de constructions en pans de bois d'une grande dimension. Strasbourg a conservé jusque dans ces derniers temps des maisons de bois plus grandes d'échelle que la plupart de celles que l'on voyait dans nos villes du domaine royal. À Constance, il existe des édifices publics considérables en pans de bois. Beaucoup de ces maisons de Strasbourg, qui dataient de la fin du XIVe siècle et du XVe, étaient munies de bretèches aux angles; elles étaient vastes et hautes. Voici comment sont généralement combinés les pans de bois de face avec bretèches aux angles (fig. 8).

La face de la bretèche forme avec la face de la maison un angle de 45º (voy. la première enrayure A, prise au niveau a). En B, est un poteau cornier qui monte de fond, depuis la sablière basse S jusqu'à la sablière supérieure S'. À ce poteau cornier est accolé le poteau C, milieu de la face de la bretèche. Les poteaux d'angle E de la bretèche sont corniers, et reposent sur les solives bb' dont le porte-à-faux est soulagé par les liens e. Au niveau de chaque plancher, la bretèche est reliée à la construction principale par le solivage (voy. la seconde enrayure D, prise au niveau d). Les têtes des poteaux corniers de bretèche E reçoivent les deux chapeaux horizontaux h dans lesquels s'assemblent les sablières g (voy. le plan F de la dernière enrayure, pris au niveau f). Un petit appentis de madriers recouverts d'ardoise ou d'essente, et posés sur les coyaux i, garantit la partie inférieure de la bretèche et sert d'abri. Cette sorte de construction donnait beaucoup d'agrément aux maisons, en ce qu'elle permettait de voir à couvert dans la longueur de la rue. Les pans de bois latéraux portaient les poutres transversales sur lesquelles reposaient les solives des planchers. Celles-ci retenaient ainsi le dévers du pan de bois de face, leurs abouts étant engagés entre deux sablières ou colombelles, comme on appelait alors ces pièces horizontales.

L'assemblage des poteaux C, milieux des faces des bretèches contre les grands poteaux corniers B, mérite d'être détaillé. Le poteau cornier B montant de fond (fig. 9) est largement chanfreiné sur son arête formant l'angle externe, comme il est indiqué en O. Un repos P sur cette arête est ménagé dans la masse, sous le chanfrein, qui a comme largeur, la largeur de l'une des faces du poteau de milieu C de la bretèche. Sur ce repos P est posée à cul la chandelle M dont les deux languettes R viennent s'assembler dans les deux mortaises du poteau cornier. Sur cette chandelle un blochet N s'assemble à tenon et mortaise, et est maintenu en outre par un tenon n tombant dans la mortaise n'. Ce blochet N reçoit, dans une mortaise e, le tenon e' du poteau C, et dans deux mortaises latérales les tenons des entretoises S. Le blochet N porte en outre la petite contre-fiche formant appentis. Des prisonniers G, de bois dur, chevillés dans le poteau B cornier et dans le poteau C, de distance en distance, rendent ces deux poteaux solidaires. Tous les autres assemblages du pan de bois sont faciles à comprendre et n'ont pas besoin d'être expliqués.

Vers le milieu du XVe siècle, on adopta un système de pans de bois qui présentait une grande puissance, mais qui exigeait une main-d'oeuvre compliquée. Il consiste en un treillis de pièces assemblées à mi-bois, de façon à former une série de losanges. C'est ainsi que sont disposés les quatre pans de bois qui, après l'incendie des charpentes de la cathédrale de Reims, en 1481, furent destinés à porter une flèche en charpente qu'on n'éleva jamais. Vers le milieu du XVIe siècle on façonna des pans de bois de face d'habitations privées, d'après ce système qui fut suivi jusque sous Louis XIII. On construisait alors aussi des pans de bois dits en brins de fougère, ainsi que l'indique Mathurin Jousse dans son oeuvre publiée pour la première fois en 1627. Plusieurs maisons de Rouen et d'Orléans nous montrent encore des façades en pans de bois ainsi combinées, et qui présentent une grande solidité en ce qu'ils acquièrent une rigidité parfaite. Si on les compare à ces ouvrages, nos pans de bois modernes enduits sont très-grossiers et n'ont qu'une durée très-limitée.

Note 40: (retour) Les charpentiers italiens, notamment à Rome, ont conservé les traditions antiques, et élèvent aujourd'hui, en quelques heures, des échafauds au moyen de chevrons courts et d'un faible équarrissage. Il est impossible de ne pas reconnaître entre ces échafauds et les charpentes figurées sur les bas-reliefs de la colonne Trajane une parfaite identité de moyens.
Note 41: (retour) D'une maison de Châteaudun.
Note 42: (retour) Voyez l'article CHARPENTE.
Note 43: (retour) Faubourg Cronceus.
Note 44: (retour) M. Millet, architecte diocésain de Troyes, a bien voulu nous fournir les dessins de ce petit édifice.
Note 45: (retour) Le Théâtre de l'art du charpentier, enrichi de diverses figures avec l'interprétation d'icelles, faict et dressé par Mathurin Jousse de la Flèche, 1627.


PANNE, s. f. Pièce de charpente posée horizontalement sur les arbalétriers des combles, et destinée à porter les chevrons. La plupart des combles taillés pendant le moyen âge se composent d'une suite de chevrons portant-ferme, dépourvus de pannes par conséquent (voy. CHARPENTE). Cependant les charpentiers de cette époque faisaient, dans certains cas, usage des pannes. L'emploi des pannes devint fréquent dès que l'on dut économiser les bois de grande longueur.



PARPAING, s. m. Se dit d'une pierre faisant l'épaisseur d'un mur. Pendant le moyen âge on employait rarement les parpaings. Presque tous les murs en pierre de taille se composaient de carreaux et de boutisses. Les pierres A (voy. la fig.) sont des carreaux; les pierres B, des boutisses; les pierres C, des Parpaings. (Voy. CONSTRUCTION.)



PARVIS, s. m. Nous ne discuterons pas les étymologies plus ou moins ingénieuses qui ont pu donner naissance à ce mot. On appelle parvis, un espace enclos, souvent relevé au-dessus du sol environnant, une sorte de plate-forme qui précède la façade de quelques églises françaises.

Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Reims, possédaient leur parvis. Quelques églises conventuelles ont parfois devant leur façade des parvis, mais ces derniers avaient un caractère particulier.

Le parvis est évidemment une tradition de l'antiquité: les temples des Grecs étaient habituellement précédés d'une enceinte sacrée dont la clôture n'était qu'une barrière à hauteur d'appui.

Les Romains suivirent cet exemple, et nous voyons sur une médaille frappée à l'occasion de l'érection du temple d'Antonin et Faustine, à Rome 46, la façade du monument, devant laquelle est figurée une barrière avec porte. Ces enceintes ajoutaient au respect qui doit entourer tout édifice religieux, en isolant leur entrée, en la séparant du mouvement de la voie publique. Un des plus remarquables parvis de l'époque romaine est celui qu'Adrien éleva en avant du temple du Soleil, à Baalbek. Ce parvis était entouré de portiques avec exèdres couverts, et était précédé d'une avant-cour à six côtés, avec péristyle et large emmarchement.

Les premières basiliques chrétiennes possédaient également une cour entourée de portiques, en avant de leur façade, et, au milieu de cette cour, étaient placés quelques monuments consacrés, tombeaux, puits, fontaines, statues.

Le parvis de nos cathédrales n'est qu'un vestige de ces traditions; mais la cathédrale française, à dater de la fin du XIIe siècle, se manifeste comme un monument accessible, fait pour la cité, ouvert à toute réunion: aussi le parvis n'est plus qu'une simple délimitation, il ne se ferme pas; il n'est, à proprement parler, qu'une plate-forme bornée par des ouvrages à claire-voie peu élevés, ne pouvant opposer un obstacle à la foule; c'est un espace réservé à la juridiction épiscopale, devant l'église mère.

C'était dans l'enceinte du parvis que les évêques faisaient dresser ces échelles sur lesquelles on exposait les clercs qui, par leur conduite, avaient scandalisé la cité; c'était aussi sur les dalles du parvis que certains coupables devaient faire amende honorable. C'était encore sur le parvis que l'on apportait les reliques à certaines occasions, et que se tenaient les clercs d'un ordre inférieur pendant que le chapitre entonnait le Gloria du haut des galeries extérieures de la façade de l'église cathédrale.

Nous n'avons sur la forme de l'ancien parvis de Notre-Dame de Paris que des données assez vagues. Au XVIe siècle, il ne consistait qu'en un petit mur d'appui avec trois entrées, l'une en face du portail, donnant à côté de la chapelle de Saint-Christophe; celle de gauche s'ouvrant près de la façade de Saint-Jean le Rond, et la troisième en regard, descendant à la Seine 47. Ce mur d'appui n'avait pas plus de 4 pieds de haut. Le sol du parvis de la cathédrale de Paris était au niveau du sol intérieur de l'église, si ce n'est du côté gauche, au droit de la porte de la Vierge, où il s'abaissait de 30 à 40 centimètres 48. Du parvis on descendait sur la berge de la rivière, avant la construction du pont, par un degré de treize marches. C'est ce qui a fait supposer que devant la façade de l'église s'étendait un perron de treize marches. Il est à croire que du côté du Marché-Neuf, on descendait également plusieurs marches pour arriver à la voie publique qui passait entre l'Hôtel-Dieu et la chapelle Saint-Christophe; mais ce degré dut être supprimé dès le XIVe siècle, puisque alors les gens à cheval pouvaient arriver sur le sol même du parvis. L'enceinte avait environ 35 mètres de large sur autant de longueur 49.

Le parvis de la cathédrale de Reims, beaucoup moins étendu que celui de Notre-Dame de Paris, demeura entier jusqu'au sacre de Louis XVI. C'était une charmante clôture dont il reste une amorce le long du contre-fort extérieur à la gauche de la façade. Des dessins et des gravures de cette clôture existent encore, et nous permettent de la restituer. Le plan du parvis de Notre-Dame de Reims ne présentait pas un parallélogramme, mais un trapèze, ainsi que le fait voir le plan, figure 1.

Il n'était point relevé-au-dessus du sol de la voie publique, comme l'était le parvis de la cathédrale de Paris, et le grand degré montant au portail était posé à l'intérieur de l'enceinte, devant les contre-forts. Le pan coupé A (voy. le plan) avait été ménagé afin de faciliter l'accès vers l'entrée des cloîtres, situés sur le flanc nord de la nef.

L'enceinte se composait de pilettes portant un appui avec pinacles aux entrées et aux angles, c'est-à-dire en B. Nous donnons en C le détail de cette clôture à l'extérieur, et en D sa coupe. Les deux pinacles B' de chaque côté de l'entrée principale étaient surmontés de supports avec écussons; des fleurons G amortissaient les autres pinacles.

Le parvis de la cathédrale d'Amiens est relevé; mais sa clôture, si jamais elle a été faite, n'existe plus depuis longtemps 50.

Les parvis des églises conventuelles dont les façades donnaient sur une place publique, étaient souvent établis en contre-bas du sol extérieur: tel était le parvis de l'église abbatiale de Saint-Denis 51. L'église abbatiale de Sainte-Radegonde, à Poitiers, a conservé encore cette disposition fort ancienne, mais rétablie vers la fin du XVe siècle.

La figure 2 présente une vue à vol d'oiseau de la moitié de ce parvis, l'axe étant en A. Deux descentes sont ouvertes sur la face. Le terrain s'inclinait vers le portail de l'église; deux autres entrées sont pratiquées latéralement de plain-pied. Des figures d'anges agenouillés, tenant des écussons armoyés, surmontent les bahuts des deux entrées de face vers l'extérieur. Des animaux, chiens et lions, amortissent les angles des entrées latérales et le revers des bahuts des entrées de face. Un ressaut avec écusson se présente dans l'axe.

Une coupe (fig. 3) faite sur l'un des degrés de face donne le détail de la disposition de cette clôture. Des bancs garnissent tout le bahut du côté intérieur. Le terre-plein du parvis est dallé, les eaux s'écoulant par les issues latérales.

Il n'est pas besoin de faire ressortir l'effet monumental de ces aires clôturées en avant des églises. Quelquefois, comme devant le portail de l'église abbatiale de Cluny, une croix de pierre était plantée au milieu du parvis; des tombes étaient élevées dans l'enceinte. Ces dispositions, comme la plupart de celles qui tenaient à la dignité des églises cathédrales ou abbatiales, furent bouleversées par les abbés et les chapitres pendant le dernier siècle. Ces emplacements furent livrés, moyennant une redevance, à des marchands, les jours de foire, puis bientôt se couvrirent d'échoppes permanentes. Pour quelques rentes, le clergé des cathédrales et des abbayes aliénait ainsi les dépendances de l'église; le premier il portait le marteau sur tout ce qui devait inspirer le respect pour les monuments sacrés.

Note 46: (retour) DIVA FAUSTINA. Sur le revers, AETERNITAS. Autour de l'image du temple, S. C.
Note 47: (retour) Voyez le plan de Paris gravé sur bois, joint aux Recherches de Belle-Forets; le plan de Mérian; la tapisserie de l'Hôtel de ville, et la gravure de la façade de Notre-Dame de Van Merlen.
Note 48: (retour) Cet ancien sol a été découvert en 1847.
Note 49: (retour) Nous avons pu, sur plusieurs points, retrouver les fondations de cette enceinte. Des restes romains existent sous toute la surface de la place actuelle, immédiatement sous le pavé: ce qui prouve que le sol du parvis était au niveau du dallage de l'église.
Note 50: (retour) Ce parvis, devenu inabordable, doit être prochainement restauré.
Note 51: (retour) Nous avons trouvé des traces du dallage de ce parvis, auquel on descendait évidemment dès une époque ancienne, c'est-à-dire du temps de Suger.


PATIENCE, s. f. (miséricorde). Petit siége en forme de cul-de-lampe, placé sous la tablette mobile des stalles, et servant de point d'appui lorsque celle-ci est relevée (voy. STALLE).



PAVAGE, s. m. Le pavage des voies publiques, des places, des cours des palais, est un travail que l'on ne voit entreprendre que dans un État civilisé. Les Romains apportaient, comme chacun sait, une grande attention aux pavages des rues des villes, et partout où ils ont séjourné, on retrouve de ces grandes pierres dures, granit, grès, lave, basalte, posées irrégulièrement au moyen d'une sauterelle, et formant, sur une couche de béton, une surface assez unie et d'un aspect monumental. Ces pavages, établis de manière à durer plusieurs siècles, servirent en effet jusque pendant les premiers temps du moyen âge. Peu à peu, n'étant pas renouvelés ni même entretenus, ils se dégradèrent, furent remblayés, afin de boucher les ornières les plus profondes, et disparurent sous une épaisse couche de boue ou de poussière. Les grandes voies des villes gallo-romaines, pendant la période carlovingienne, conservèrent tant bien que malles pavages antiques, mais les égouts s'obstruaient, les pavés s'écrasaient, et ces voies ne formaient plus que des cloaques immondes. Cependant, déjà au XIIe siècle, on pavait certaines places ou des voies fréquentées.

Nous avons retrouvé parfois des restes de ces pavages, faits habituellement de petits cubes de grès ou de pierre résistante 52 (fig. 1).

Philippe-Auguste passe pour avoir fait paver les rues de Paris au moyen de grandes pierres de grès 53. Guillaume le Breton prétend que ce pavage était fait de pierres carrées et assez grosses, Il n'existe pas trace de ce pavé. Lorsque, il y a quelques années, on découvrit les fondations du petit Châtelet pour rebâtir le Petit-Pont, on enleva une assez grande quantité de pavés de grès posés à 1 mètre en contre-bas du sol actuel. Ces pavés avaient environ 0m,40 carrés et 0m,20 d'épaisseur. Très-usés sur leur face externe, ils avaient dû servir pendant un assez long temps, et dataient probablement de l'époque de la construction du Châtelet (fin du XIIIe siècle). Pendant les XVe et XVIe siècles on employait fréquemment les cailloux pour paver les voies publiques, les cours et les places. Ces cailloux étaient damés sur un fond de sable, ainsi que cela se pratique encore dans quelques villes du midi de la France, notamment à Toulouse. À Paris, la rue de la Juiverie avait été repavée d'après ce système et comme essai, pendant la Ligue.

Quand les pentes étaient roides, on pavait les voies au moyen de pierres dures posées de champ. Nous avons découvert des pavés de ce genre en bon état de conservation, aux alentours du château de Pierrefonds.

Les étages inférieurs des habitations étaient souvent pavés, et l'on voyait encore des maisons du moyen âge, il y a peu d'années, dont le sol à rez-de-chaussée était couvert de petits cubes de pierre de 0m,10 de côté environ, posés pointifs sur une aire de mortier ou de ciment.

Note 52: (retour) Dans la cité, à Paris; à Vézelay, à Senlis, à Provins, à Coucy-le-Château.
Note 53: (retour) Guillaume de Nangis, Chronicon, 1184, édit. de la Société de l'histoire de France, t. I, p. 78.


PEINTURE, s. f. Plus on remonte vers les temps antiques, plus on reconnaît qu'il existait une alliance intime entre l'architecture et la peinture. Tous les édifices de l'Inde, ceux de l'Asie Mineure, ceux d'Égypte, ceux de la Grèce, étaient couverts de peintures en dedans et au dehors. L'architecture des Doriens, celles de l'Attique, de la grande Grèce et de l'Étrurie étaient peintes. Les Romains paraissent avoir été les premiers qui aient élevé, sous l'empire, des monuments de marbre blanc ou de pierre sans aucune coloration; quant à leurs enduits de stuc, ils étaient colorés à l'extérieur comme à l'intérieur. Les populations barbares de l'Europe septentrionale et occidentale peignaient leurs maisons et leurs temples de bois, et les Scandinaves prodiguaient les couleurs brillantes et les dorures dans leurs habitations.

Nous devons seulement ici constater ces faits bien connus aujourd'hui des archéologues, et ne nous occuper que de la peinture appliquée à l'architecture française du moyen âge. Alors, comme pendant la bonne antiquité, la peinture ne paraît pas avoir été jamais séparée de l'architecture. Ces deux arts se prêtaient mutuellement secours, et ce que nous appelons le tableau n'existait pas, ou du moins n'avait qu'une importance très-secondaire. Grégoire de Tours signale, à plusieurs reprises, les peintures qui décoraient les édifices religieux et les palais de son temps. «Es-tu (disent, à Gondovald, les soldats qui assiégent la ville de Comminges), es-tu ce peintre qui, au temps du roi Clotaire, barbouillait en treillis les murailles et les voûtes des oratoires 54?» Quand ce prélat répara les basiliques de Saint-Perpétue, à Tours, il les fit «peindre et décorer par les ouvriers du pays avec tout l'éclat qu'elles avaient anciennement 55.» Cet usage de peindre les édifices fut continué pendant toute la période carlovingienne, et Frodoard nous apprend que l'évêque Hincmar, reconstruisant la cathédrale de Reims, «orna la voûte de peintures, éclaira le temple par des fenêtres vitrées, et le fit paver de marbre 56.» Les recherches faites sur l'architecture dite romane, constatent que la peinture était considérée comme l'achèvement nécessaire de tout édifice civil et religieux, et alors s'appliquait-elle de préférence à la sculpture d'ornement ou à la statuaire, aux moulures et profils, comme pour en faire ressortir l'importance et la valeur. Toutefois, dès que cette architecture prend un caractère original, qu'elle se dégage des traditions gallo-romaines, c'est-à-dire vers la fin du XIe siècle, la peinture s'y applique suivant une méthode particulière, comme pour en faire mieux saisir les proportions et les formes. Nous ne savons pas trop comment, suivant quel principe, la peinture couvrait les monuments carlovingiens en Occident, et nous n'avons guère, pour nous guider dans ces recherches, que certaines églises d'Italie, comme Saint-Vital de Ravenne, par exemple, quelques mosaïques existant encore dans des basiliques de Rome ou de Venise; et dans ces restes l'effet des colorations obtenues au moyen de ces millions de petits cubes de verre ou de pierre dure juxtaposés, n'est pas toujours d'accord avec les formes de l'architecture. D'ailleurs ce mode de coloration donne aux parois, aux voûtes, un aspect métallique qui ne s'harmonise ni avec le marbre, ni, à plus forte raison, avec la pierre ou le stuc des colonnes, des piliers, des bandeaux, soubassements, etc. La mosaïque dite byzantine a toujours quelque chose de barbare; on est surpris, préoccupé; ces tons d'une intensité extraordinaire, ces reflets étranges qui modifient les formes, qui détruisent les lignes, ne peuvent convenir à des populations pour lesquelles l'architecture, avant tout, est un art de proportions et de combinaisons de lignes. Il est certain que les Grecs de l'antiquité, qui cependant regardaient la coloration comme nécessaire à l'architecture, étaient trop amants de la forme pour avoir admis la mosaïque dite byzantine dans leurs monuments. Ils ne connaissaient la peinture que comme une couverte unie, mate, fine, laissant aux lignes leur pureté, les accentuant même, exprimant les détails les plus délicats.

La peinture appliquée à l'architecture ne peut procéder que de deux manières: ou elle est soumise aux lignes, aux formes, au dessin de la structure; ou elle n'en tient compte, et s'étend indépendante sur les parois, les voûtes, les piles et les profils.

Dans le premier cas, elle fait essentiellement partie de l'architecture; dans le second, elle devient une décoration mobilière, si l'on peut ainsi s'exprimer, qui a ses lois particulières et détruit souvent l'effet architectonique pour lui substituer un effet appartenant seulement à l'art du peintre. Que les peintres considèrent ce dernier genre de décoration picturale comme le seul bon, cela n'a rien qui doive surprendre; mais que l'art y gagne, c'est une question qui mérite discussion. La peinture ne s'est séparée de l'architecture qu'à une époque très-récente, c'est-à-dire au moment de la renaissance. Du jour que le tableau, la peinture isolée, faite dans l'atelier du peintre, s'est substituée à la peinture appliquée sur le mur qui doit la conserver, la décoration architectonique peinte a été perdue. L'architecte et le peintre ont travaillé chacun de leur côté, creusant chaque jour davantage l'abîme qui les séparait, et quand par hasard ils ont essayé de se réunir sur un terrain commun, il s'est trouvé qu'ils ne se comprenaient plus, et que voulant agir de concert, il n'existait plus de lien qui les pût réunir. Le peintre accusait l'architecte de ne lui avoir pas ménagé des places convenables, et l'architecte se croyait en droit de déclarer que le peintre ne tenait aucun compte de ses dispositions architectoniques. Cette séparation de deux arts autrefois frères est sensible, quand on jette les yeux sur les essais qui ont été faits de nos jours pour les accorder. Il est clair que dans ces essais l'architecte n'a pas conçu, n'a pas vu l'effet que devait produire la peinture appliquée sur les surfaces qu'il préparait, et que le peintre ne considérait ces surfaces que comme une toile tendue dans un atelier moins commode que le sien, ne s'inquiétant guère d'ailleurs de ce qu'il y aurait autour de son tableau. Ce n'est pas ainsi que l'on comprenait la peinture décorative pendant le moyen âge, ni même pendant la renaissance, et Michel-Ange, en peignant la voûte de la chapelle Sixtine, ne s'isolait pas, il avait bien la conscience du lieu, de la place où il travaillait, de l'effet d'ensemble qu'il voulait produire. De ce que l'on peint sur un mur au lieu de peindre sur une toile, il ne s'ensuit pas que l'oeuvre soit une peinture monumentale, et presque toutes les peintures murales produites de notre temps ne sont toujours, malgré la différence du procédé, que des tableaux; aussi voyons-nous que ces peintures cherchent un encadrement, qu'elles se groupent en scènes ayant chacune un point de vue, une perspective particulière, ou qu'elles se développent en processions entre deux lignes horizontales. Ce n'est pas ainsi non plus qu'ont procédé les anciens maîtres mosaïstes, ni les peintres occidentaux du moyen âge. Quant à la peinture d'ornement, le hasard, l'instinct, l'imitation, servent seuls aujourd'hui de guides, et neuf fois sur dix il serait bien difficile de dire pourquoi tel ornement prend cette forme plutôt que telle autre, pourquoi il est rouge et non pas bleu. On a ce qu'on appelle du goût, et cela suffit, croit-on, pour décorer d'enluminures l'intérieur d'un vaisseau; ou bien on recueille partout des fragments de peintures, et on les applique indifféremment, celui-ci qui était sur une colonne, à une surface plane, cet autre que l'on voyait sur un tympan, à un soubassement. Le public, effarouché par ces bariolages, ne trouve pas cela d'un bon effet, mais on lui démontre que les décorateurs du moyen âge ont été scrupuleusement consultés, et ce même public en conclut que les décorateurs du moyen âge étaient des barbares, ce que d'ailleurs on lui accorde bien volontiers.

Dans la décoration de l'architecture, il faut convenir, il est vrai, que la peinture est la partie la plus difficile peut-être et celle qui demande le plus de calculs et d'expérience. Alors que l'on peignait tous les intérieurs des édifices, les plus riches comme les plus pauvres, on avait nécessairement des données, des règles que l'on suivait par tradition; les artistes les plus ordinaires ne pouvaient ainsi s'égarer. Mais aujourd'hui ces traditions sont absolument perdues, chacun cherche une loi inconnue; il ne faut donc pas s'étonner si la plupart des essais tentés n'ont produit que des résultats peu satisfaisants.

Le XIIe siècle atteint l'apogée de l'art de la peinture architectonique pendant le moyen âge en France; les vitraux, les vignettes des manuscrits et les fragments de peintures murales de cette époque accusent un art savant, très-avancé, une singulière entente de l'harmonie des tons, la coïncidence de cette harmonie avec les formes de l'architecture. Il n'est pas douteux que cet art s'était développé dans les cloîtres et procédait de l'art grec byzantin. Alors les étoffes les plus belles, les meubles, les ustensiles colorés, un grand nombre de manuscrits même, rapportés d'Orient, étaient renfermés dans les trésors et les bibliothèques des couvents, et servaient de modèles aux moines adonnés aux travaux d'art. Plus tard, vers la fin du XIIe siècle, lorsque l'architecture sortit des monastères et fut pratiquée par l'école laïque, il se fit une révolution dans l'art de la peinture, qui, sans être aussi radicale que celle opérée dans l'architecture, modifia profondément cependant les principes posés par l'école monacale.

Sans parler longuement de quelques fragments de peinture à peine visibles, de linéaments informes qui apparaissent sur certains monuments avant le XIe siècle, nous constaterons seulement que dès l'époque gallo-romaine, c'est-à-dire vers le IVe siècle, tous les monuments paraissent avoir été peints en dedans et en dehors. Cette peinture était appliquée soit sur la pierre même, soit sur un enduit couvrant des murs de maçonnerie, et elle ne consistait, pour les parties élevées au-dessus du sol, qu'en une sorte de badigeon blanc, ou blanc jaunâtre, sur lequel étaient tracés des dessins très-déliés en noir ou en ocre rouge. Près du sol apparaissaient des tons soutenus, brun rouge, ou même noirs, relevés de quelques filets jaunes, verdâtres ou blancs. Les sculptures elles-mêmes étaient couvertes de ce badigeon d'une faible épaisseur, les ornements se détachant sur des fonds rouges et souvent rehaussés de traits noirs et de touches jaunes 57. Ce genre de décoration peinte paraît avoir été longtemps pratiqué dans les Gaules et jusqu'au moment où Charlemagne fit venir des artistes d'Italie et d'Orient. Cette dernière influence étrangère ne fut pas la seule cependant qui dut conduire à l'art de la peinture monumentale, tel que nous le voyons se développer au XIIe siècle. Les Saxons, les Normands, couvraient d'ornements peints leurs maisons, leurs ustensiles, leurs armes et leurs barques; et il existe dans la bibliothèque du Musée Britannique des vignettes de manuscrits saxons du XIe siècle qui sont, comme dessin, comme finesse d'exécution et comme entente de l'harmonie des tons, d'une beauté surprenante 58. Cet art venait évidemment de l'Inde septentrionale, de ce berceau commun à tous les peuples qui ont su harmoniser les couleurs. La facilité avec laquelle les Normands, à peine établis sur le sol de la Gaule, exercèrent et développèrent même l'art de l'architecture, la façon de vivre déjà raffinée à laquelle les Saxons étaient arrivés en Angleterre au moment de l'invasion de Guillaume le Bâtard, indiquent assez que ces peuples avaient en eux autre chose que des instincts de pillards, et qu'ils provenaient de familles possédant depuis longtemps certaines notions d'art. Mais d'abord il est nécessaire de bien s'entendre sur ce qu'est l'art de la peinture appliqué à l'architecture. De notre temps on a mis une si grande confusion en toutes ces questions d'art, qu'il est bon de poser d'abord les principes. Ce qu'on entend par un peuple de coloristes (pour me servir d'une expression consacrée, si mauvaise qu'elle soit), c'est-à-dire les Vénitiens, les Flamands par exemple, ne sont pas du tout coloristes à la façon des populations du Tibet, des Hindous, des Chinois, des Japonais, des Persans et même des Égyptiens de l'antiquité. Obtenir un effet saisissant dans un tableau, par le moyen de sacrifices habilement faits, d'une exagération de certains tons donnés par la nature, d'une entente très-délicate des demi-teintes, comme peuvent le faire, ou Titien, ou Rembrandt, ou Metzu, et faire un châle du Tibet, ce sont deux opérations très-distinctes de l'esprit. Il n'y a qu'un Titien, il n'y a qu'un Rembrandt et qu'un Metzu, et tous les tisserands de l'Inde arrivent à faire des écharpes de laine qui, sans exception aucune, donnent des assemblages harmoniques de couleur. Pour qu'un Titien ou qu'un Rembrandt se développe, il faut un milieu social extrêmement civilisé de tous points; mais le Tibétain le plus ignorant, vivant dans une cabane de bois, au milieu d'une famille misérable comme lui, tissera un châle dont le riche assemblage de couleurs charmera nos yeux et ne pourra être qu'imparfaitement imité par nos fabriques les mieux dirigées. L'état plus ou moins barbare d'un peuple, à notre point de vue, n'est donc pas un obstacle au développement d'une certaine partie de l'art de la peinture applicable à la décoration monumentale; mais il ne faut pas conclure cependant de ce qu'un peuple est très-civilisé, qu'il ne puisse arriver ou revenir à cet art monumental: témoin les Maures d'Espagne, gens très-civilisés, qui ont produit en fait de peinture appliquée à l'architecture d'excellents modèles; et de ce que l'art du peintre, comme on l'entend depuis le XVIe siècle, arrive à un degré très-élevé de perfection, on ne puisse en même temps posséder une peinture architectonique: témoin les Vénitiens des XVe et XVIe siècles. Une seule conclusion est à tirer des observations précédentes: c'est que l'art du peintre de tableaux et l'art du peintre appliqué à l'architecture procèdent très-différemment; que vouloir mêler ces deux arts, c'est tenter l'impossible. Quelques lignes suffiront pour faire ressortir cette impossibilité. Qu'est-ce qu'un tableau? C'est une scène que l'on fait voir au spectateur à travers un cadre, une fenêtre ouverte. Unité de point de vue, unité de direction de la lumière, unité d'effet. Pour bien voir un tableau, il n'est qu'un point, un seul, placé sur la perpendiculaire élevée du point de l'horizon qu'on nomme point visuel. Pour tout oeil délicat, regarder un tableau en dehors de cette condition unique est une souffrance, comme c'est une torture de se trouver devant une décoration de théâtre au-dessus ou au-dessous de la ligne de l'horizon. Beaucoup de gens subissent cette torture sans s'en douter, nous l'admettons; mais ce n'est pas sur la grossièreté des sens du plus grand nombre que nous pouvons établir les règles de l'art.

Partant donc de cette condition rigoureuse imposée au tableau, nous ne comprenons pas un tableau, c'est-à-dire une scène représentée suivant les règles de la perspective, de la lumière et de l'effet, placé de telle façon que le spectateur se trouve à 4 ou 5 mètres au-dessous de son horizon, et bien loin du point de vue à droite ou à gauche. Les époques brillantes de l'art n'ont pas admis ces énormités: ou bien les peintres (comme pendant le moyen âge) n'ont tenu compte, dans les sujets peints à toutes hauteurs sur les murs, ni d'un horizon, ni d'un lieu réel, ni de l'effet perspectif, ni d'une lumière unique; ou bien ces peintres (comme ceux du XVIe et du XVIIe siècle) ont résolument abordé la difficulté en traçant les scènes qu'ils voulaient représenter sur les parois ou sous le plafond d'une salle, d'après une perspective unique, supposant que tous les personnages ou objets que l'on montrait au spectateur se trouvaient disposés réellement où on les figurait, et se présentaient par conséquent sous un aspect déterminé par cette place même. Ainsi voit-on, dans des plafonds de cette époque, des personnages par la plante des pieds, certaines figures dont les genoux cachent la poitrine. Naturellement cette façon de tromper l'oeil eut un grand succès. Il est clair cependant que si, dans cette manière de décoration monumentale, l'horizon est supposé placé à 2 mètres du sol, à la hauteur réelle de l'oeil du spectateur, il ne peut y avoir sur toute cette surface horizontale supposée à 2 mètres du pavé, qu'un seul point de vue. Or, du moment qu'on sort de ce point unique, le tracé perspectif de toute la décoration devient faux, toutes les lignes paraissent danser et donnent le mal de mer aux gens qui ont pris l'habitude de vouloir se rendre compte de ce que leurs yeux leur font percevoir. Quand l'art en vient à tomber dans ces erreurs, à vouloir sortir du domaine qui lui est assigné, il cesse bientôt d'exister: c'est le saut périlleux qui remplace l'éloquence, le jongleur qui prend la place de l'orateur. Mais encore les artistes qui ont adopté ce genre de peinture décorative ont pu admettre un point, un seul, disons-nous, d'où le spectateur pouvait, pensaient-ils, éprouver une satisfaction complète; c'était peu, sur toute la surface d'une salle, de donner un seul point d'où l'on pût en saisir parfaitement la décoration, mais enfin c'était quelque chose. Les scènes représentées se trouvaient d'ailleurs encadrées au milieu d'une ornementation qui elle-même affectait la réalité de reliefs, d'ombres et de lumières se jouant sur des corps saillants. C'était un système décoratif possédant son unité et sa raison, tandis qu'on ne saurait trouver la raison de ce parti de peinture, par exemple, qui, à côté de scènes affectant la réalité des effets, des ombres et des lumières, de la perspective, place des ornements plats composés de tons juxtaposés. Alors les scènes qui admettent l'effet réel produit par le relief et les différences de plans sont en dissonance complète avec cette ornementation plate. Ce n'était donc pas sans raison que les peintres du moyen âge voyaient dans la peinture, soit qu'elle figurât des scènes, soit qu'elle ne se composât que d'ornements, une surface qui devait toujours paraître plane, solide, qui était destinée non à produire une illusion, mais une harmonie. Nous admettons qu'on préfère la peinture en trompe-l'oeil de la voûte des Grands Jésuites à Rome à celle de la voûte de Saint-Savin, près de Poitiers; mais ce que nous ne saurions admettre, c'est qu'on prétende concilier ces deux principes opposés. Il faut opter pour l'un des deux.

Si la peinture et l'architecture sont unies dans une entente intime de l'art pendant le moyen âge, à plus forte raison la peinture de figures et celle d'ornements ne font-elles qu'une seule et même couverte décorative. Le même esprit concevait la composition de la scène et celle de l'ornementation, la même main dessinait et coloriait l'une et l'autre, et les peintures monumentales ne pouvaient avoir l'apparence de tableaux encadrés de papier peint, comme cela n'arrive que trop souvent aujourd'hui, lorsqu'on fait ce qu'on veut appeler des peintures murales, lesquelles ne sont, à vrai dire, que des tableaux collés sur un mur, entourés d'un cadre qui, au lieu de les isoler comme le fait le cadre banal de bois doré, leur nuit, les éteint, les réduit à l'état de tache obscure ou claire, dérange l'effet, occupe trop le regard et gêne le spectateur. Quand la peinture des scènes, sur les murs d'un édifice, n'est pas traitée comme l'ornementation elle-même, elle est forcément tuée par celle-ci; il faut, ou que l'ornementation soit traitée en trompe-l'oeil, si le sujet entre dans le domaine de la réalité, ou que le sujet soit traité comme un dessin enluminé, si l'ornementation est plate.

Ces principes posés, nous nous occuperons d'abord de la peinture monumentale des sujets. Nous avons dit que l'art grec avait été la première école de nos peintres occidentaux au point de vue de l'iconographie et au point de vue de l'exécution. Cependant, dès le XIe siècle en France (et il ne nous reste pas de peintures monumentales de sujets antérieurs à cette époque), on reconnaît dans la manière dont est traité le dessin une indépendance, une vérité d'expression dans le geste que l'on n'aperçoit point dans les peintures dites byzantines de la même époque. Pour retrouver cette indépendance dans la peinture grecque, il faut feuilleter les manuscrits byzantins des VIIIe et IXe siècles 59; plus tard cet art grec s'immobilise, et tombe dans une routine étroite dont il ne sort plus. Non-seulement nos artistes du XIe siècle prennent leurs modèles dans les peintures de style grec, mais ils s'emparent même des procédés matériels adoptés par les Byzantins; nous en trouvons la preuve évidente dans le traité du moine Théophile qui vivait au XIIe siècle. L'ébauche des peintures de l'église de Saint-Savin 60 a été faite au pinceau; elle consiste en des traits brun-rouge. «Les couleurs ont été appliquées par larges teintes plates, sans marquer les ombres, au point qu'il est impossible de déterminer de quel côté vient la lumière. Cependant, en général, les saillies sont indiquées en clair et les contours accusés par des teintes foncées; mais il semble que l'artiste n'ait eu en vue que d'obtenir ainsi une espèce de modelé de convention, à peu près tel que celui qu'on voit dans notre peinture d'arabesques. Dans les draperies, tous les plis sont marqués par des traits sombres (brun-rouge), quelle que soit la couleur de l'étoffe. Les saillies sont accusées par d'autres traits blancs assez mal fondus avec la teinte générale.» (Ces traits ne sont pas fondus, mais indiqués en hachures plus ou moins larges peintes sur le ton de l'étoffe.) «Il n'y a nulle part d'ombres projetées, et, quant à la perspective aérienne, ou même à la perspective linéaire, il est évident que les artistes de Saint-Savin ne s'en sont nullement préoccupés 61

Par le fait, dans ces peintures de sujets, chaque figure présente une silhouette se détachant en vigueur sur un fond clair, ou en clair sur un fond sombre, et rehaussée seulement de traits qui indiquent les formes, les plis des draperies, les linéaments intérieurs. Le modelé n'est obtenu que par ces traits plus ou moins accentués, tous du même ton brun, et la couleur n'est autre chose qu'une enluminure. Les peintures des vases dits étrusques, celles que l'on a découvertes dans les tombeaux de Corneto, procèdent absolument de la même manière. Alors les accessoires sont traités comme des hiéroglyphes, la figure humaine seule se développe d'après sa forme réelle. Un palais est rendu par deux colonnes et un fronton, un arbre par une tige surmontée de quelques feuilles, un fleuve par un trait serpentant, etc. Peut-on, lorsqu'il s'agit de peinture monumentale, produire sur le spectateur autant d'effet par ces moyens primitifs que par l'emploi des trompe-l'oeil? ou, pour parler plus vrai, des hommes nés au milieu d'une civilisation chez laquelle on s'est habitué à estimer la peinture en raison du plus ou moins de réalité matérielle obtenue, peuvent-ils s'émouvoir devant des sujets traités comme le sont ceux des tombeaux de Corneto, ceux des catacombes, ou ceux de l'église de Saint-Savin? C'est là toute la question, qui n'est autre qu'une question d'éducation.

Un enfant est tout autant charmé, sinon plus, devant un trait enluminé que devant un tableau de Rubens. Il n'est pas dit que ce trait soit barbare, sans valeur comme art. Faites au contraire que ce trait ne reproduise que de belles formes, qu'il soit pur de style et que l'enluminure soit harmonieuse: si le spectateur est ému devant cette interprétation de la nature, n'est-ce pas un hommage qu'il rend à l'art? et l'art ne prouve-t-il pas ainsi qu'il est une puissance? Que pour la peinture de chevalet on en soit arrivé peu à peu à une imitation fine et complète de la nature choisie, à produire des effets de lumière d'une extrême délicatesse, à concentrer pour ainsi dire l'attention du spectateur sur une scène rendue à l'aide d'une observation scrupuleuse, avec une parfaite distinction, certes nous ne nous en plaindrons pas, puisque c'est à ce progrès que nous devons les chefs-d'oeuvre qui garnissent nos galeries, et qui sont une des gloires de la civilisation occidentale depuis le XVIe siècle. Mais l'art qui convient à la toile encadrée, au tableau, quelle que soit sa dimension, n'a point de rapports avec celui qui est destiné à couvrir les murs et les voûtes d'une salle. Dans le tableau nous ne voyons qu'une expression isolée d'un seul art, nous nous isolons pour le regarder; c'est encore une fois une fenêtre qu'on nous ouvre sur une scène propre à nous charmer ou nous émouvoir. En est-il de même dans une salle que l'on couvre de peintures? N'y a-t-il pas là le mélange de plusieurs arts? Doivent-ils alors procéder isolément, ou produire un effet d'ensemble? La réponse ne saurait être douteuse.

Si nous examinons les essais qui ont été tentés pour concilier les deux principes opposés de la peinture prise isolément et de la peinture purement monumentale, n'apercevons-nous pas tout de suite l'écueil contre lequel les plus grands talents ont échoué? Et la voûte de la chapelle Sixtine elle-même, malgré le génie prodigieux de l'artiste qui l'a conçue et exécutée, n'est-elle pas un hors-d'oeuvre qui épouvante plutôt qu'il ne charme? Cependant Michel-Ange, architecte et peintre, a su, autant que le programme qu'il s'était imposé le lui promettait, si bien souder ses sujets et ses figures à l'ornementation, à la place occupée, que l'unité de la voûte est complète. Mais que devient la salle? Que devient même, au point de vue décoratif, sous cette écrasante conception, la peinture du Jugement dernier?

Dans la chapelle Sixtine, il faut s'isoler pour regarder la voûte, s'isoler pour regarder le Jugement dernier, oublier la salle. On se souvient de la voûte, on se souviendrait très-imparfaitement de la page du jugement, si on ne la connaissait par des gravures; quant à la salle, on ne sait pas si elle existe. Or les arts ne sont pas faits pour s'entre-détruire, mais pour s'aider, se faire valoir; c'est du moins ainsi qu'ils ont été compris pendant les belles époques. On pardonne bien à un génie comme Michel-Ange d'étouffer ce qui l'entoure et de se nuire au besoin à lui-même, d'effacer quelques-unes de ses propres pages pour en faire resplendir une seule: cette fantaisie d'un géant n'est que ridicule chez des hommes de taille ordinaire; elle a cependant tourné la tête de tous les peintres depuis le XVIe siècle, tant il est vrai que l'exemple des hommes de génie même est funeste quand ils abandonnent les principes vrais, et qu'il ne faut jamais se laisser guider que par les principes. De Michel-Ange aux Carraches il n'y a qu'un pas; et que sont les successeurs des Carraches?

Les peuples artistes n'ont vu dans la peinture monumentale qu'un dessin enluminé et très-légèrement modelé. Que le dessin soit beau, l'enluminure harmonieuse, la peinture monumentale dit tout ce qu'elle peut dire; la difficulté est certes assez grande, le résultat obtenu considérable, car c'est seulement à l'aide de ces moyens si simples en apparence que l'on peut produire de ces grands effets de décoration coloriée dont l'impression reste profondément gravée dans l'esprit.

Nous avons dit que les peintres grecs avaient été les premiers maîtres de nos artistes occidentaux; mais en Grèce (nous parlons de la Grèce byzantine) la peinture a conservé une forme hiératique dont chez nous on s'est affranchi rapidement. Au XIIIe siècle déjà, Guillaume Durand, évêque de Mende, écrivait dans son Rationale divinorum officiorum 62, en citant un passage d'Horace: «Diversæ historiæ tam Novi quam Veteris Testamenti pro voluntate pictorum depinguntur; nam

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