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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P)

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«Trop est Rune parfonde por mener tel bustin:

N'i porroient passer palefroi ne roncin;

Mès . i . chose esgart an mon cuer et destin,

Par coi de nostre guerre trarrons ançois à fin:

. i . pont ferons sor Rune par force et par angin,

Les estaches de chasnes, les planches de sapin;

. xxx . toises aura an travers de chemin.

Puis passerons outre tuit ansamble à . i . brin,

Et ferons la bataille c'on le verra dou Rin,

Et conquerrons Soissoigne sor la gent Guiteclin 188

C'est un poëte qui parle, et nous ne citons ses vers que comme l'expression d'un fait général, admis dans les armées du moyen âge.

Les ponts de bois n'ayant jamais qu'une durée assez limitée, il ne nous reste aucun ouvrage de ce genre qui soit antérieur au XVIe siècle, et nous ne pouvons en prendre une idée que par des vignettes de manuscrits ou des gravures des XVIe et XVIIe siècles. Si l'on veut établir des ponts de bois, ou il faut rapprocher beaucoup les piles, afin de ne donner aux portées des travées du tablier qu'une longueur très-réduite, et éviter ainsi leur fléchissement; ou il faut armer ces tabliers de contre-fiches assez inclinées pour résister à la flexion, et alors élever beaucoup les têtes des piles au-dessus du niveau de l'eau; ou il faut suspendre les tabliers à un système de fermes. Ce dernier parti semble avoir été adopté fréquemment pendant le moyen âge.

Soient (fig. 14) des piles de trois rangs de pieux espacés de 12m,00 d'axe en axe; la tête de ces pieux, ne s'élevant pas à plus de 2m,00 au-dessus du niveau de l'eau, on posait sur ces têtes de pieux des longrines, soulagées en A par les fermes B. Ces fermes, légèrement inclinées l'une vers l'autre, étaient rendues solidaires au moyen des traverses supérieures C et des croix de Saint-André D. Sur ces longines E on posait de fortes solives F, puis les madriers formant le tablier. Ces ouvrages présentaient une grande rigidité, mais ne pouvaient subsister fort longtemps sans se détériorer, et n'étaient guère jetés que sur des cours d'eau dont les crues n'étaient pas considérables.

Du Breul 189, parlant du pont Saint-Michel à Paris, dit qu'il était de bois et avait été construit en 1384 par Hugues Aubriot, alors prévost de Paris. Ce pont était garni de plusieurs maisons. Le pont Notre-Dame, bâti en 1414, suivant le même auteur 190, d'après le rapport de Robert Gaguin «n'étoit que de bois, ayant en longueur 70 pas 4 pieds, et en largeur 18 pas: de deux costez et sur lequel estoient basties 60 maisons esgales en structure et haulteur, lequel après avoir subsisté 92 ans seulement, tumba en la rivière l'an 1499, le vendredi 25 octobre...»

Ainsi que nous l'avons vu précédemment, certains ponts de pierre possédaient des travées de bois mobiles, soit pour intercepter la communication d'une rive à l'autre, soit pour laisser passer les bateaux. Ces portions de tabliers en charpente étaient relevées au moyen de châssis à contre-poids, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui, ou bien roulaient sur des longrines: on appelait les premiers des ponts torneïs, et les seconds des postis 191. Les premiers étaient de véritables ponts-levis. Il est à remarquer que le pont-levis, tel qu'on l'entend aujourd'hui, adapté à une porte de ville ou de château, n'a été mis en pratique que vers le commencement du XIVe siècle, jusqu'alors les ponts torneïs étaient disposés en manière de bascule 192.

Si, vers la fin du XIIIe siècle, on établissait déjà des ponts-levis, ceux-ci étaient isolés et ne tenaient pas aux portes mêmes, ainsi que cela s'est pratiqué depuis. Ils faisaient partie des ouvrages avancés en bois, tenaient à la barrière, mais n'étaient point disposés dans la maçonnerie des portes. Cependant, dès une époque reculée, on employait souvent les ponts ou passerelles roulant sur des longrines, particulièrement dans les provinces méridionales.

Ces sortes de ponts, dont nous donnons un géométral latéral en A (fig. 15), se composaient de deux pièces de bois parallèles B, au-dessous desquelles étaient adaptés des rouleaux. Un tablier de madriers était cloué sur ces pièces de charpente. Quatre poulies C, dont les essieux étaient fortement scellés à deux murs latéraux, recevaient deux chaînes fixées à des anneaux D tenant aux poutres. Ces chaînes s'enroulaient sur un treuil E dont le pivot tournait dans des douilles fixées de même à ces murs latéraux. Sous les pièces de bois B mobiles étaient scellées deux poutres G fixes, sur lesquelles roulaient les petits rouleaux. En tournant le treuil de a en c, on faisait avancer le tablier mobile qui franchissait le fossé F, et venait s'appuyer sur la pile en H; en le tournant de a en b, on faisait rentrer ce tablier sous le passage de la porte. La queue I du tablier servait de contre-poids, et permettait toujours de passer sur la chambre du treuil lorsque la passerelle était avancée. Un tracé perspectif P fera mieux saisir ce mécanisme très-simple. Pour le rendre plus intelligible, nous avons supposé que le mur latéral M, dans lequel sont scellées les poulies et les douilles du treuil, est démoli; nous avons enlevé de même la maçonnerie supérieure de l'une des tours flanquantes N, entre lesquelles s'avance la passerelle. Dans la figure perspective, le tablier est supposé rentré. On établissait beaucoup de ces sortes de ponts dans les ouvrages italiens du XVe siècle, ainsi que le constate l'ouvrage si curieux de Francesco di Giorgio Martini 193, et dans nos fortifications faites au moment de l'application de l'artillerie à feu.

On reconnaît l'emploi de divers systèmes de ponts à bascule devant les portes du moyen âge. Quelquefois ces ponts sont disposés de manière à s'abaisser, d'autres fois ils se relèvent. Dans les provinces de l'Est, et sur les bords du Rhin, on adoptait fréquemment les ponts à bascule présentant la disposition indiquée dans la figure 16.

Ces ponts se composaient de deux poutres principales A, reliées par des traverses et des croix de Saint-André. La partie antérieure B du tablier était garnie de madriers.

Deux rainures R ménagées dans la maçonnerie; ainsi que l'indique la figure 16 bis, permettaient à la partie postérieure des poutres A de s'abaisser au niveau du tablier de maçonnerie C pratiqué sous le passage de la porte. Alors le tablier B était horizontal, et pour le maintenir dans cette position sous chacune des poutres étaient disposées deux solives D, glissant sur deux rouleaux E. Lorsqu'on voulait arrêter le tablier et l'empêcher de basculer, il suffisait de pousser le levier de fer F, pivotant sur un bouton en G, et dont la fourchette était engagée entre deux chevilles. Le levier amené à la ligne verticale, ainsi que notre figure l'indique, les solives D allaient s'engager dans deux entailles I pratiquées à la tête de la dernière pile. Le tracé K indique la disposition de la fourchette du levier en coupe. Si l'on voulait faire basculer le pont, en tirant sur la vingtaine L, on amenait le levier F en f. Alors la solive D quittait son entaille I, et en lâchant sur le treuil M, la pesanteur de la partie antérieure du tablier mobile faisait incliner celui-ci suivant la ligne NO; l'extrémité P des poutres s'élevait en p, et le passage était coupé. Pour ramener le pont à la ligne horizontale, on appuyait sur le treuil M, et avec la main, en montant sur le gradin H, et en repoussant les leviers, on calait le pont. Les rainures R (voy. la figure 16 bis) étaient assez larges pour permettre aux poutres de pivoter, et pour faciliter la manoeuvre des leviers. On voit encore à Bâle une porte disposée pour recevoir un pont combiné suivant ce système. Une herse S (voy. fig. 16) descendait jusqu'au tablier, soit placé horizontalement, soit incliné.

D'autres ponts basculaient en se relevant, ainsi que le fait voir la figure 17. L'extrémité A du tablier antérieur, si l'on voulait donner passage, tombait sur la dernière pile, et pour caler le pont dans cette position, une solive B, roulant sur une poutrelle scellée C, se manoeuvrait au moyen du levier D. En attirant à soi le levier en d, on décalait le tablier, et en lâchant sur le treuil T, les contre-poids G faisaient basculer le pont, amenant l'extrémité B en b. Un tablier incliné fixe E conduisait au tablier mobile, lorsque celui-ci était abaissé au moyen du treuil T.

Ces ponts avaient été adoptés au moment de l'emploi de l'artillerie à feu, afin d'éviter les bras et chaînes des ponts-levis que l'assiégeant pouvait détruire avec le canon. Ils remplissaient le même office, et ne laissaient rien voir de leur mécanisme à l'extérieur. Le pont à bascule (fig. 17) se composait de deux poutres avec traverses et madriers, chacune des extrémités postérieures des deux poutres étant munies d'une chaîne s'enroulant sur un treuil. Nous avons l'occasion, dans l'article PORTE, de revenir sur ces ponts mobiles, et particulièrement sur les ponts-levis adaptés à la maçonnerie.

L'usage des ponts de bateaux remonte aux premiers temps du moyen âge; c'était là une tradition antique qui ne s'était jamais effacée. Éginhard, dans la Vie de Charles et de Karloman, raconte que le premier de ces princes avait fait établir un pont de bateaux sur le Danube pour s'en servir pendant la guerre contre les Huns 194.

Au siége du Château-Gaillard, Philippe-Auguste fit faire un pont sur la Seine, composé de pieux inclinés contre le courant, et sur lesquels on posa un tablier de charpente. Trois grands bateaux, surmontés de hautes tours, défendaient ce pont 195. Dans sa chronique, Guillaume Guiart parle d'un pont de bateaux jeté sur la Lis et retenu par des cordages:

«A main, ne sai, droite ou esclenche,

Au plus vistement qu'il puet trenche

Les cordes à quoi l'on le hale;

Li ponz comme foudre dévale;

Bas descent ce qui iert deseure 196

Au siége de Tarascon, le duc d'Anjou et du Guesclin firent faire un pont de bateaux sur le Rhône.

Froissart raconte comment les Flamands avaient établi un pont de nefs et de clayes sur l'Escaut, devant Audenarde 197.

Philippe de Commines dit comment le comte de Charolais et ses alliés jetèrent un pont de bateaux et de tonneaux sur la Seine, près de Moret.

«Il faisoit (le comte de Charolais) mener sept ou huit petits bateaux sur charrois, et plusieurs pippes, par pièces, en intention de faire un pont sur la rivière de Seine, pour ce que ces seigneurs n'y avoient point de passage 198.» Plus loin le même auteur décrit ainsi la façon d'un large pont jeté par le comte de Charolais sur la Seine, près de Charenton. «Il fut conclu en un conseil, que l'on feroit un fort grand pont sus grands bateaux: et couperoit-on l'estroit du bateau, et ne s'asserroit le bois que sur le large: et au dernier couplet y auroit de grandes ancres pour jeter en terre..., et fut le pont achevé, amené et dressé, sauf le dernier couplet, qui tournoit de costé, prest à dresser, et tous les bateaux arrivés 199...» C'était là un pont de bateaux avec partie mobile, que le courant faisait dévaler au besoin, sur la rive occupée par l'ennemi.

Quand le duc de Bourgogne attaqua les Gaulois, en 1452, il fit établir un pont flottant sur l'Escaut, devant Termonde; il fit mander «ouvriers de toutes pars pour faire un pont sur tonneaux, à cordes et à planches; et, pour deffendre ledict pont, fit, outre l'eaue, faire un gros bolovart de bois et de terre 200...»

Dans son Histoire du roy Charles VII, Alain Chartier rapporte qu'un parti de Français et d'Écossais, près de la Flèche, fit sur la Loire un pont de charrettes attachées les unes aux autres, et garnies de madriers par-dessus 201.

Ces exemples suffisent pour démontrer que les ponts de bateaux ont été usités pendant le moyen âge 202, soit pour servir à poste fixe, soit pour faciliter le passage des armées. Ces sortes de ponts préoccupèrent fort les ingénieurs militaires pendant le XVIe siècle; les ouvrages qu'ils nous ont laissés présentent quantité de moyens plus ou moins pratiques employés pour rendre l'établissement de ces ponts facile, et pour les jeter rapidement sur une rive ennemie. On cherchait alors à rendre les pontons transportables, et, à cet effet, on les composait de plusieurs caisses étanches qui s'accrochaient les unes aux autres.

Note 155: (retour) Lib. V, cap. XVIII. Pont-pierre, aujourd'hui Pompierre, est un village sur le Mouzon, près de la Meuse (Vosges).
Note 156: (retour) Dans son ouvrage sur les Droits et usages, M. A. Champollion Figeac cite un pont gothique du XIe siècle, dépendant du château des comtes de Champagne, à Troyes; mais ce pont, comme le château dont il dépendait, est démoli depuis bien des années, et la reproduction qui en est donnée dans le Voyage archéologique de M. Arnaud est due à l'imagination de cet auteur.
Note 157: (retour) La confrérie religieuse des Frères hospitaliers pontifes prit naissance et s'établit d'abord à Maupas, au diocèse de Cavaillon, dès l'année 1164, d'après les Recherches historiques de l'abbé Grégoire. Petit Benoît, ou saint Bénezet, fut le chef de cette institution, et aurait commencé ses travaux à Maupas; ce serait après cette première oeuvre qu'il aurait entrepris la construction du pont d'Avignon.
Note 158: (retour) Dans le recueil des Plans et profils des principales villes et lieux considérables de France, par le sieur Tassin, 1652, est donnée une vue d'Avignon avec le pont Saint-Bénezet. Deux arches manquent dans l'île et trois sur le grand bras.
Note 159: (retour) Archives municipales d'Avignon; procès du Rhône, t. I, p. 65. Nous devons ces renseignements au savant archiviste de la préfecture de Vaucluse, M. Achard, qui possède sur Avignon et le comtat Venaissin des notes précieuses dont il a bien voulu nous permettre de faire usage.
Note 160: (retour) «Une charte», dit M. A. Champollion-Figeac, dans son recueil intitulé Droits et usages (Paris, 1860), «une charte de l'empereur Frédéric, de l'année 1158, et un acte relatif à l'abbaye de Saint-Florent (coll. de Camps), de l'année 1162, pour un pont bâti sur la Loire, constatent encore ces deux faits» (la défense d'élever des forteresses sur les ponts ou d'y percevoir un péage quelconque sans autorisation des fondateurs)...
Note 162: (retour) Droits et usages. M. A. Champollion-Figeac, p. 131.
Note 163: (retour) Ce plan est fait à la fois, et sur le tablier, et sur la chapelle en contre-bas.
Note 164: (retour) Il n'est fait mention que d'une chapelle sur le pont d'Avignon dans tous les documents que nous avons pu consulter.
Note 165: (retour) Notamment en 1856.
Note 166: (retour) Édit. de Francfort, gravures de Mérian.--Deux arches du pont Saint-Esprit ont été détruites depuis peu pour être remplacées par une arche en fonte de fer, afin de faciliter le passage des bateaux. Il a fallu arracher à grand'peine la pile supprimée, dont la maçonnerie était excellente.
Note 167: (retour) Voyez l'article substantiel sur les ponts, publié par ce savant archéologue, dans les Annales archéologiques, t. VII, p. 17 et suiv.
Note 168: (retour) Cet arc de triomphe, déposé pièce à pièce, lorsque la démolition du pont fut définitivement résolue, a été remonté sur les bords mêmes du fleuve, par les soins de la commission des monuments historiques et sons la direction de M. Clerget, architecte.
Note 169: (retour) Cette tour, à la fin du XVIe siècle, servait de prison municipale.
Note 170: (retour) La grosse tour et la porte de la ville furent démolies après les guerres de religion, elles sont parfaitement indiquées dans une vue cavalière du Recueil de 1574: Civitates orbis terr.
Note 171: (retour) De ce châtelet il ne reste que les parties basses.
Note 172: (retour) Tome XX, p. 100.
Note 173: (retour) Topogr. Galliæ.
Note 174: (retour) Histoire du siége d'Orléans, par M. Jollois, ingénieur en chef des ponts et chaussées, 1833, petit in-folio, avec la Lettre à MM. les membres de la Société des antiquaires de France, 1834.
Note 175: (retour) Comptes de la ville.
Note 176: (retour) Art. 24 de la charte de fondation de Montauban, Archives de Montauban, livre Rouge, fol. verso 105.
Note 177: (retour) Voyez l'excellente notice sur le pont de Montauban, donnée par M. Devals aîné, dans les Annales archéologiques, t. XVI, p. 39.
Note 178: (retour) Archives de Montauban, liasse D, nº 16, liv. des Serments, folio 102.
Note 179: (retour) Nous devons ces détails à M. Olivier, architecte du département.
Note 180: (retour) Le Théâtre des antiquités de Paris, 1612, p. 235 et suiv.
Note 181: (retour) Gaguin, De gestis Francorum. Paris, 1522, in-8, folio 303, verso. C. Malingre, p. 219 des Annales générales de la ville de Paris, 1640, in-folio.
Note 182: (retour) Registres de l'hôtel de ville, II 1778, fol. 28, rº. (Voyez les Recherches historiques sur la chute et la reconstruction du pont Notre-Dame à Paris, par M. Le Roux de Lincy, Biblioth. de l'école des chartes, 2e série, t. II, p. 32.)
Note 183: (retour) S'il faut s'en rapporter à une note écrite sur la couverture du livre Rouge du Châtelet de Paris, la dépense du pont Notre-Dame à Paris se serait élevée à 205 380 livres 4 sous 4 deniers tournois. Sauval, contestant ce chiffre, sans d'ailleurs donner ses preuves, prétend que la dépense s'éleva à 1 160 684 livres.
Note 184: (retour) On remarquera que la plupart des vieux ponts présentent des altérations très-profondes dans les claveaux intermédiaires, tandis que ceux de tête sont intacts, parce qu'ils sont plus facilement séchés par l'air.
Note 185: (retour) Ce pont existait encore dans cet état vers le milieu du XVIIe siècle; nous ne savons précisément à quelle époque il avait été élevé. (Voyez la Topographie de la Gaule, grav. de Mérian.)
Note 186: (retour) Album de Villard de Honnecourt, manuscrit publié en fac-simile. J. B. Lassus et A. Darcel, 1858, pl. XXXVIII.
Note 187: (retour) «Par ce moyen fait-on un pont par dessus une eau avec des bois de vingt pieds de long.»
Note 188: (retour) La chanson des Saxons, chap. CXVIII.
Note 189: (retour) Le Théâtre des antiquités de Paris, p. 241.
Note 191: (retour) Du mot latin positus.
Note 192: (retour)

Moult s'esforce li forsenez

De faire fossez et tranchiées,

Tot entor lui à sis archiées

Fait un fossé d'eve parfont,

Riens n'i puet entrer qui n'afont.

Desor fu li ponz tornéiz

Moult bien tornez toz coléiz.

(Roman du Renart, vers 18474 et suiv.)


Clos fu de murs et de fossez

Dont l'eve coroit tot entor,

Un pont tornéiz par desor

(Ibid., vers 21994 et suiv.)


Chevauchant lez une rivière

S'an vindrent jusqu'au herberjage,

Et an lor ot par le passage

Un pont tornéiz avalé.

...

(Li romans de la charrette.)


En la chaucie fu grans li féréis,

Li quens Guillaumes moult durement le fist,

Il s'aresta sor le pont tornéis

Et vit Begon, moult fièrement li dist:

(Li romans de Garin le Loherain, t. II, p. 175, édit. Techener, 1833.)

Note 193: (retour) Trattato di archit. civ. e milit. di Francisco di Giorgio Martini, archit. senese del secolo XV, publié pour la première fois par le chevalier Cesare Saluzzo. Turin, 1841.
Note 194: (retour) «Rex autem, propter bellum cum Hunis susceptum in Bajoaria sedens, pontem navalem quo in Danubio ad id bellum uteretur, ædificavit...» (Karolus, DCCXCII).
Note 195: (retour) Guillaume le Breton, la Philippide, chant VIIe.
Note 196: (retour) Branche des royaux lignages, vers 4883 et suiv.
Note 197: (retour) Chronique de Froissart, livre II, chap. LVIII et chap. CLXX.
Note 198: (retour) Mém. de Ph. de Commines, liv. I, chap. VI.
Note 199: (retour) Ibid., liv. I, chap. x.
Note 200: (retour) Mém. d'Olivier de la Marche, liv. I, chap. XXV.
Note 201: (retour) Alain Chartier, Hist. de Charles VII, 1421.
Note 202: (retour) Voyez quelques-uns de ces ponts de bateaux et de barriques reproduits dans le traité De re militari, de Robertus Valturius (Paris, 1534).


PORCHE, s. m. Les plus anciennes églises chrétiennes possédaient, devant la nef réservée aux fidèles, un porche ouvert ou fermé, destiné à contenir les catéchumènes et les pénitents. Cette disposition avait été empruntée aux basiliques antiques, qui étaient généralement précédées d'un portique ouvert. Lorsqu'il n'y eut plus de catéchumènes en Occident, c'est-à-dire lorsque le baptême étant donné aux enfants, il ne fut plus nécessaire de préparer les nouveaux convertis avant de les introduire dans l'église, l'usage des porches n'en resta pas moins établi, et ceux-ci devinrent même, dans certains cas, des annexes très-importantes, de vastes vestibules souvent fermés, pouvant contenir un grand nombre de personnes et destinés à divers usages. Il faut reconnaître même que l'habitude de construire des porches devant les églises alla s'affaiblissant à dater du XIIIe siècle; beaucoup de monuments religieux en sont dépourvus depuis cette époque, notamment la plupart de nos grandes cathédrales, tandis que jusque vers le milieu du XIIe siècle, on ne concevait pas une église cathédrale, conventuelle ou paroissiale, sans un porche au moins, devant l'entrée majeure.

Les porches paraissent avoir été adoptés dans nos plus anciennes églises du moyen âge. C'était, dans l'Église primitive, sous les porches ou vestibules des basiliques que l'on enterrait les personnages marquants, les empereurs 203, les évêques. Aussi l'usage d'encenser ces lieux et d'y chanter des litanies s'était-il conservé dans quelques diocèses, car il faut observer qu'avant le XIIe siècle, les lois ecclésiastiques interdisaient d'enterrer les morts dans l'intérieur même des églises. Sous les porches étaient alors placés les fonts baptismaux, des fontaines dans lesquelles les fidèles faisaient leurs ablutions avant d'entrer dans la nef; les exorcismes se pratiquaient aussi sous les porches. Il était défendu d'y tenir des plaids et de s'y rassembler pour affaires temporelles. On y exposait, à certaines occasions, des reliques et de saintes images. «Les porches des églises, dit Thiers, sont des lieux saints: 1º à cause des reliques ou des images qui y sont; 2º à cause qu'ils sont le lieu de la sépulture des fidèles; 3º à cause qu'ils sont destinés à de saints usages; 4º à cause qu'ils font partie des églises; 5º à cause qu'ils sont ainsi appelés par les conciles et par les auteurs ecclésiastiques 204

Guillaume Durand observe «que le porche de l'église signifie le Christ par qui s'ouvre pour nous l'entrée de la Jérusalem céleste; il est appelé aussi portique (porticus), de la porte (a porta), ou de ce qu'il est ouvert à tous comme un port (a portu) 205

Toutefois les porches des églises ne conservèrent pas toujours, pendant le moyen âge, ce caractère sacré; nous en avons la preuve dans les réclamations des chapitres ou des religieux au sujet des usages profanes auxquels on les faisait servir. Dans le recueil des arrêts du parlement de 1292, nous trouvons une plainte du doyen et du chapitre de Roye contre le châtelain, lequel tenait depuis longtemps ses plaids sous le porche de l'église. Il est enjoint au bailly de Vermandois de défendre audit châtelain de tenir à l'avenir ses assemblées dans ce lieu, nonobstant qu'il les y eût tenues depuis longtemps, s'il est bien constaté que ce porche fait partie de l'église et sert de cimetière 206.

C'est probablement pour prévenir ces abus que les grands établissements de Cluny et de Cîteaux élevèrent devant leurs églises des porches absolument fermés dès le commencement du XIIe siècle; d'ailleurs ces porches devaient servir à des cérémonies ou à des usages qui nécessitaient une clôture, comme nous le verrons bientôt. Quantité de porches d'églises cathédrales et paroissiales servaient même de marchés, et les auteurs ecclésiastiques élèvent trop souvent contre cet abus pour qu'il n'ait pas été fréquent. Encore aujourd'hui voyons-nous qu'on y établit des boutiques volantes, en certains lieux, les jours de foire, et que des chapitres y tolèrent la vente d'objets de piété.

Les porches primitifs du moyen âge, en Occident, c'est-à-dire ceux bâtis du VIIIe au XIe siècle, se présentent généralement sous la forme d'un portique tenant toute la largeur de l'église et ayant peu de profondeur. Cependant certains porches d'églises dépendant de monastères ou même de collégiales sont disposés sous une tour plantée devant la nef. Tel était le porche de l'église abbatiale de Saint-Germain des Prés à Paris, dont il ne reste que bien peu de traces, et qui datait de l'époque carlovingienne; tels sont encore ceux de l'église abbatiale de Saint-Savin près Poitiers, de la cathédrale de Limoges et de la collégiale de Poissy, qui tous trois appartiennent aux IXe et Xe siècles. Alors ces porches formaient une entrée défendue, et étaient quelquefois précédés d'un fossé, comme celui de Saint-Savin, par exemple. Les porches des églises de Notre-Dame du Port à Clermont, de Chamaillières (Puy-de-Dôme), de Saint-Étienne de Nevers, de la cathédrale de Clermont, sont bâtis sur plan barlong et sont fermés; ils devaient être couronnés par deux tours. Quelques églises carlovingiennes, comme la basse oeuvre de Beauvais, étaient précédées de porches non voûtés, de portiques couverts de charpentes apparentes, et sur lesquels la nef et ses bas côtés s'ouvraient largement. Vers la fin du XIIe siècle, la plupart de ces dispositions primitives furent profondément modifiées, et la tendance générale était de supprimer les porches plantés devant la façade principale pour les réunir aux nefs, ce qui ferait croire qu'alors les cérémonies auxquelles les porches étaient réservés tombèrent en désuétude. Un peu plus tard, vers le milieu du XIIIe siècle, on bâtit au contraire beaucoup de porches devant les entrées latérales des églises, et notamment des cathédrales, comme à Chartres, à Bourges, à Châlons-sur-Marne, puis on se mit, vers la fin de ce siècle et pendant le XIVe, à en élever devant les entrées majeures; mais tous ces porches sont alors ouverts et ne sont que des abris destinés aux fidèles à l'entrée ou à la sortie de l'église. Ils n'ont plus le caractère sacré que l'on observe dans les porches primitifs et ne servent que rarement de lieux de sépulture.

Pour suivre un ordre méthodique, nous diviserons cet article en porches d'églises fermés, ant-églises ou narthex, porches ouverts sous des clochers, porches annexes ouverts, porches de constructions civiles.

Note 203: (retour) Voy. Eusèbe, lib. IV, cap. LX, De vita Constantini.
Note 204: (retour) Dissert. sur les porches des églises..., chap. VII, p. 67, sommaire.
Note 205: (retour) Rational, lib. I, cap. I, § XX.
Note 206: (retour) Les Olim, ann. MCCXCII, ann. 2.


PORCHES FERMÉS. Nous ne pensons pas qu'il y ait en France de porches antérieurs à celui de l'église latine de Saint-Front de Périgueux, dont on reconnaît encore les traces. Ce porche, de forme carrée, avait 10m,30 de longueur sur 0m,65 de largeur. Il était couvert par une charpente à deux égouts, avec pignon en maçonnerie sur la face antérieure. Une large arcade plein cintre en formait l'entrée. De sa décoration extérieure, très-simple d'ailleurs, il ne reste que des fragments. Ce porche, antérieur au Xe siècle, est décrit et gravé dans l'ouvrage de M. Félix de Verneilh sur l'architecture byzantine en France 207. Cette disposition de salle précédée d'un pignon sur la face, contraire à la forme adoptée pour les portiques des premières basiliques latines, indique une modification déjà fort ancienne dans le plan des porches sur le sol de la France, modification dont malheureusement nous ne pouvons connaître le point de départ, faute de monuments existants; elle n'en est pas moins très-importante à constater, puisque nous voyons qu'à partir du Xe siècle, la plupart des églises abbatiales sont précédées de vastes porches fermés, présentant une véritable ant-église souvent à deux étages et devant répondre à des besoins nouveaux.

L'ordre de Cluny s'empara de cette disposition et en fit le motif de monuments remarquables à tous égards. L'un des porches fermés les plus anciens appartenant à cet ordre, est celui de l'église de Tournus; il se compose (fig. 1) à rez-de-chaussée d'une nef centrale à trois travées avec bas côtés. Cette nef centrale est fermée par des voûtes d'arête avec arcs-doubleaux; les nefs latérales sont couvertes par des berceaux perpendiculaires aux murs latéraux, reposant sur les arcs-doubleaux A. On entrait dans ce narthex par une porte B, donnant sur une cour précédée d'une enceinte fortifiée. La façade elle-même du porche était défendue. Deux tours s'élèvent sur les deux premières travées C. Du narthex, on pénètre dans l'église par la porte D et les deux arcades E. De gros piliers cylindriques isolés et engagés reçoivent les sommiers des voûtes. Au premier étage, ce vaste narthex forme une église avec nef élevée, voûtée en berceau et collatéraux voûtés en demi-berceaux (fig. 2).

Des meurtrières s'ouvrent à la partie inférieure de cette salle éclairée, par des fenêtres percées dans les murs de la haute nef et dans le pignon antérieur. La coupe transversale que nous donnons ici est prise en regardant vers l'entrée. En A sont les souches des deux tours 208. Toute la construction est élevée en moellon smillé ou enduit. Du côté de l'église, une arcade est percée dans le mur pignon, au niveau du sol du premier étage, et permet de voir ce qui se passe dans la nef. La même disposition se retrouve à Vézelay. Dans les églises abbatiales de l'ordre de Cluny, ces narthex supérieurs, ces chapelles placées au-dessus du grand porche fermé, étaient habituellement placés sous le vocable de l'archange saint Michel. Mais quelle était la destination de cette salle ou chapelle placée au-dessus des narthex? Dans l'ancien pontifical de Châlon-sur-Saône, on lisait: «In quibusdam ecclesiis sacerdos in aliquo altari foribus proximiori celebrat missam, jussu episcopi, poenitentibus ante fores ecclesiæ constitutis.» Cette chapelle supérieure était-elle destinée aux pénitents? À Vézelay, le premier étage du porche ne règne qu'au fond et sur les collatéraux; il était possible alors aux pénitents ou aux pèlerins placés sur l'aire du rez-de-chaussée d'entendre, sinon de voir l'office divin qui se disait sur la tribune; à Tournus, il eût fallu que les pénitents montassent dans le narthex haut pour ouïr la messe. À Cluny, le porche ou l'ant-église, qui n'avait pas moins de 35 mètres de longueur sur 27 mètres de largeur, mais dont la construction ne remontait pas au delà du commencement du XIIIe siècle, ne possédait pas de premier étage ni de tribune, mais un autel et une chaire à prêcher se trouvaient placés près de la porte d'entrée de la basilique; de cette chaire, comme de la tribune du narthex de Vézelay, ne préparait-on point les nombreux pèlerins qui remplissaient le porche, ou même les pénitents, à se pénétrer de la sainteté du lieu, avant de leur permettre d'entrer dans l'église? L'affluence était telle au XIIe siècle dans les églises de l'ordre de Cluny, à certaines occasions, que l'on comprend assez comment les religieux n'ouvraient pas tout d'abord les portes du temple à la foule qui s'y rendait, afin d'éviter le désordre qui n'eut pas manqué de s'élever au milieu de pareilles cohues. Ces grands narthex nous paraissent être un lieu de préparation; peut-être aussi servaient-ils à abriter les pèlerins qui, venus de loin, arrivaient avant l'ouverture des portes, et n'avaient ni les moyens ni la possibilité de se procurer un asile dans la ville. Ne voit-on pas, la nuit qui précède certaines grandes fêtes à Rome, les gens venus de la campagne passer la nuit sous les portiques de Saint-Pierre?

Le porche de l'église abbatiale de Tournus date du XIe siècle; c'est le plus ancien parmi ceux appartenant à l'ordre de Cluny.

La nef de l'église clunisienne de Vézelay actuelle, bâtie vraisemblablement par l'abbé Artaud et consacrée en 1104, ne possédait primitivement qu'un porche bas, peu profond, dont on voit encore des traces du côté du nord. Cette nef fut restaurée et reconstruite même en grande partie par l'abbé Renaud de Semur, vers 1120 209. Le porche dut être construit peu après la mort de cet abbé, soit par l'abbé Albéric, soit par l'abbé Ponce, de 1130 à 1140 210, car, à dater de cette époque, le monastère de Vézelay eut, jusqu'en 1160 environ, des luttes si cruelles à soutenir, soit contre les comtes de Nevers, soit contre ses propres vassaux, qu'il n'est pas possible d'admettre que, pendant ces temps calamiteux, les religieux aient eu le loisir d'entreprendre une aussi vaste construction. D'ailleurs les caractères archéologiques de l'architecture de ce porche lui assignent la date de 1130 à 1140.

La construction du porche de Vézelay est certainement une des oeuvres les plus remarquables du moyen âge. Ce porche est fermé, et présente, comme celui de Tournus, une ant-église de 25 mètres de largeur sur 21 mètres de longueur dans oeuvre.

Nous en donnons le plan (fig. 3) en A au niveau du rez-de-chaussée, en B au niveau des tribunes, car l'espace CD monte de fond; seuls, les collatéraux E E E forment galeries et l'espace F, large tribune au-dessus de l'ancienne porte de la nef. On ne pouvait monter aux galeries et à la tribune que par deux escaliers G, partie de bois, partie pratiqués dans l'épaisseur du mur de face. Deux tours s'élèvent sur les deux premières travées des collatéraux H. À partir du niveau des galeries, vers 1240, on refit la grande claire-voie K (voy. PIGNON, fig. 9), pour mieux éclairer probablement cette grande salle. Au niveau de la tribune, trois baies L s'ouvrent sur la nef de l'église (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 21). Un autel était autrefois placé en O sur cette tribune. Les instructions aux pèlerins ou pénitents rassemblés à rez-de-chaussée pouvaient se faire du haut de la balustrade qui clôt la tribune en M 211. Avant la construction du porche, les trois baies ouvertes sur la tribune étaient des fenêtres sans vitraux comme toutes les autres fenêtres de l'église; celle du milieu se terminait en cul de four, et peut-être recevait-elle une statue. La porte principale C de ce porche est surmontée d'un grand bas-relief représentant: le Christ entouré des vingt-quatre vieillards et des élus dans le tympan, la Madeleine parfumant les pieds de Jésus, et la résurrection de Lazare dans le linteau. Les chapiteaux intérieurs sont très-richement sculptés et d'une finesse d'exécution remarquable.

Autrefois les grandes voûtes ainsi que celles des tribunes étaient entièrement peintes. Nous présentons (fig. 4) une vue perspective de l'intérieur de ce porche, prise de la galerie qui traverse la façade. On observera que la voûte sur la tribune possède des arcs ogives. C'est peut-être le premier exemple qu'il y ait en France de ce genre de structure, les autres voûtes du narthex étant d'arêtes très-surhaussées (voy. OGIVE, fig. 3, 4 et 5). L'ensemble de cet intérieur est d'une proportion admirable et les travées étudiées par un maître consommé (voy. TRAVÉE). Il ne paraît pas qu'on ait jamais enseveli personne sous ce porche, et les fouilles que nous avons été à même d'y pratiquer n'ont laissé voir nulle trace de sépulture.

Le vestibule, narthex ou porche fermé de l'église abbatiale mère de Cluny était plus vaste encore que celui de Vézelay, mais ne possédait ni tribune ni galeries voûtées supérieures. C'était une grande salle avec bas côtés à laquelle on arrivait par deux degrés de 13 mètres de largeur. Deux tours s'élevaient en avant des cinq travées que contenait le narthex, et laissaient entre elles un porche ouvert. Le porche fermé de Cluny avait 35 mètres de longueur sur 27 mètres de largeur dans oeuvre; des piliers cannelés, suivant la méthode de la haute Bourgogne, du Lyonnais et de la haute Marne, portaient les voûtes des collatéraux. Au-dessus s'élevait un triforium également à pilastres, puis les hautes voûtes en arcs ogives, avec fenêtres plein cintre dans les tympans. Les clefs de la haute voûte étaient à 33 mètres au-dessus du pavé. Ce fut le vingtième abbé de Cluny, Roland Ier, qui éleva en 1220 212 ce magnifique narthex dont notre vue perspective (fig. 5) ne peut donner qu'une faible idée.

Tous les arcs de cette construction sont en tiers-point, seules les fenêtres sont fermées par des plein cintres. Au fond, on voyait apparaître l'ancienne façade de l'église, avec sa porte principale et sa petite galerie aveugle supérieure, au milieu de laquelle étaient percées les baies qui éclairaient la chapelle de Saint-Michel, prise aux dépens de l'épaisseur du mur et portée sur un cul-de-lampe du côté de la nef. Quatre figures d'apôtres en bas-relief décoraient le tympan sous le formeret de la grande voûte du porche.

Pourquoi ce vaste porche ne fut-il élevé qu'en 1220? Doit-on voir ici l'exécution d'un nouveau programme, ou bien un ajournement d'un programme primitif? Près d'un siècle auparavant, l'église abbatiale de Vézelay élève un narthex fermé dans des dimensions à peu près semblables à la place d'un porche bas et étroit. Ces grands porches fermés n'étaient donc pas prévus dans les dispositions premières des églises clunisiennes, et cependant, à Tournus, le narthex est de construction primitive ou peu s'en faut. Ce n'est que pendant la seconde moitié du XIIe siècle que les clunisiens de la Charité-sur-Loire élèvent de même un porche fermé sur des dimensions aussi vastes au moins que celui de l'église mère de Cluny. Il y a donc lieu de croire que ce programme ne fut adopté chez ces religieux que pendant le XIIe siècle, et qu'il était destiné à pourvoir à l'affluence extraordinaire des fidèles dans les églises de cet ordre; ce qui n'a pas lieu de surprendre, lorsque l'on songe qu'à cette époque, les églises clunisiennes étaient les lieux les plus vénérés de toute la chrétienté, et, comme le dit le roi Louis VII, dans une charte donnée au monastère de Cluny, les membres les plus nobles de son royaume. L'étendue, la richesse des porches fermés des grandes églises clunisiennes ne furent dépassées ni même atteintes dans les autres églises cathédrales ou monastiques.

Les cisterciens établirent aussi des porches fermés devant leurs églises, mais ceux-ci sont peu étendus, bas, et affectent autant la simplicité que ceux de l'ordre de Cluny manifestent les goûts luxueux de leurs fondateurs. D'ailleurs les porches des églises cisterciennes ne sont pas absolument clos comme ceux des églises clunisiennes; ils présentent généralement des ouvertures à l'air libre comme des arcades d'une galerie de cloître, et ressemblent plutôt à un portique profond qu'à une salle. Il paraîtrait ainsi que saint Bernard voulait revenir aux dispositions des églises primitives et retrouver le narthex des basiliques de l'antiquité chrétienne. Ces porches cisterciens sont écrasés, couverts en appentis et ne sont jamais flanqués de tours comme les porches des églises bénédictines (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE). Percés d'une seule porte en face de celle de la nef, ils sont ajourés sur la face antérieure par des arcades non vitrées et non fermées, s'ouvrant au-dessus d'un bahut assez élevé. Tel est encore le porche parfaitement conservé de l'église cistercienne de Pontigny (Yonne), dont nous donnons le plan fig. 6.

Ce porche, bâti pendant la seconde moitié du XIIe siècle 213, se compose de trois travées en largeur et de deux en profondeur; il n'occupe que la largeur de la grande nef. Des deux côtés, en A, sont deux salles fermées qui étaient destinées aux besoins de l'abbaye. Des voûtes d'arête sans nervures couvrent ce porche et viennent reposer sur deux colonnes. Une porte extérieure B correspond à la porte principale C de la nef, et des deux côtés, en D, s'ouvrent, sur un large et haut bahut, deux arcades divisées par des colonnettes accouplées. Tout cet ensemble, y compris les deux salles, est couvert par un comble en appentis avec demi-croupes aux deux extrémités. Au-dessus du comble du porche est percée une énorme fenêtre dans le grand pignon; elle éclaire la nef. À l'extérieur, la construction de ce porche est d'un aspect froid et triste. À l'intérieur, les chapiteaux des colonnes sont ornés de sculptures d'une simplicité toute puritaine, et le tympan de la porte de l'église n'est décoré que d'une croix en relief.

La figure 7 présente la coupe longitudinale du porche de l'église de Pontigny, et fait assez voir combien les moines de l'ordre de Cîteaux s'étaient, en plein XIIe siècle, éloignés des programmes splendides adoptés par les clunisiens. Dans le département de l'Aube, l'église du village de Moussey possède un porche complet établi sur les données cisterciennes. Il forme un appentis bas, non voûté, au milieu duquel s'ouvre la porte; deux arcades à droite et à gauche, posées sur un bahut, éclairent cet appentis. Ces arcades sont plein cintre, jumelles, reposant sur une pilette ou une colonne. Une cinquième baie pareille s'ouvre du côté sud. La construction est d'une extrême simplicité, et paraît remonter à l'origine de l'ordre de Cîteaux 214. Cependant la sécheresse et la froideur de ces exemples ne furent pas longtemps imitées, et dès le commencement du XIIIe siècle, les porches des églises élevées sous l'inspiration des moines de Cîteaux étaient déjà empreints d'un goût plus élégant. Il existe encore à Moutier (Yonne) un de ces porches fermés en manière de portique, élevé sur les données de porches cisterciens. Comme à Pontigny, le porche de l'église de Moutier, qui date du commencement du XIIIe siècle, s'ouvre extérieurement par une porte centrale accompagnée de quatre arcades, deux à droite, deux à gauche, posées sur un bahut. Ces arcades ont été fermées au XVe siècle par des claires-voies de pierre. Un joli porche offrant une disposition analogue précède encore aujourd'hui la façade de l'église de Toury (Loiret).

Il date de 1230 environ. Ce porche (fig. 8) n'est qu'un portique étroit, rappelant assez une galerie de cloître; il est percé de trois portes entre lesquelles s'ouvre une arcature posée sur un bahut. En A, nous donnons le plan de détail de cette arcature. Trois archivoltes en tiers-point reposent sur les piles B et les colonnettes jumelles C. De petits arcs plein cintre avec tympans forment la claire-voie et sont portés sur les colonnettes D simples.

La figure 9 donne la moitié le l'élévation de ce porche, ainsi que sa coupe E faite sur la claire-voie 215. Beaucoup de ces porches, en forme de portiques et en appentis, ont été établis pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, devant des façades de petites églises paroissiales plus anciennes; mais habituellement ils sont d'une extrême simplicité, ne se composent que de pilettes de pierre ou de poteaux posés sur un bahut et portant un comble à une seule pente. Ces églises étaient toujours entourées de cimetières, et les porches servaient alors à donner l'absoute et à mettre à l'abri les personnes qui assistaient aux enterrements. Ils ne formaient d'ailleurs, comme le montre le dernier exemple, qu'une clôture facile à franchir, d'autant que les portes ne paraissent pas, dans beaucoup de cas, avoir été jamais munies de vantaux. Un des plus vastes parmi ces sortes de porches clos, est certainement celui qui précède la façade de la petite église conventuelle de Saint-Père-sous-Vézelay, et qui fut élevé vers la fin du XIIIe siècle, remanié pendant les XIVe et XVe. Ce porche s'ouvre sur la face antérieure par trois baies qui ne paraissent pas disposées pour recevoir des grilles ou des vantaux de bois; latéralement il était ajouré par des baies vitrées posées sur un bahut, de manière à garantir les fidèles contre le vent et la pluie.

Cette construction est couverte par six voûtes en arcs ogives reposant sur des piles engagées et sur deux piliers isolés. Un tombeau, qui date de l'époque la plus ancienne de sa construction, est placé à la gauche de la porte centrale de l'église. D'autres sépultures étaient disposées sous son dallage. Les figures en bas-relief des donateurs sont sculptées en dedans de l'entrée: c'est un noble personnage de la localité et sa femme. Malheureusement cette construction, qui, dans l'origine, devait être très-riche et très-gracieuse, a été fort mutilée et ne présente que des débris remaniés. Le porche de Saint-Père est comme une transition entre les porches absolument clos des clunisiens et les porches ouverts. Il participe plutôt de l'église que de l'extérieur: c'est évidemment encore un lieu sacré. Il nous amène à parler des porches franchement ouverts, bien qu'ayant encore une importance considérable par rapport aux édifices religieux qu'ils précèdent. Mais, avant de nous occuper des porches ouverts, nous ne devons pas omettre ici un monument d'un grand intérêt, quoique d'une date assez récente. Il s'agit du porche de l'église de Ry 216. Cette église est totalement dépourvue de style, c'est un vaisseau barlong du XVe siècle, sans caractère. Latéralement à la nef, est bâti du côté sud un porche en bois, clos, richement sculpté et d'une conservation parfaite.

Nous en donnons le plan (fig. 10) et une vue perspective (fig. 11) 217

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Ce joli porche date de la première moitié du XVIe siècle; il est entièrement construit en bois de chêne et repose sur un bahut de pierre. La charpente du comble est lambrissée en tiers-point avec entraits apparents seulement au droit de la croupe, ainsi que le fait voir le plan. La baie d'entrée ne paraît pas avoir jamais été munie de vantaux, ni les claires-voies de grilles. C'est donc un abri donnant sur le cimetière, et qui semble avoir été élevé par un seigneur du lieu, peut-être pour servir de sépulture. La sculpture en est très-délicate et des meilleures de l'époque de la renaissance normande. Ce petit monument, qui compte aujourd'hui plus de trois cents ans d'existence, et qui, bien entretenu, pourrait encore durer plus d'un siècle, fait assez voir combien les ouvrages de charpenterie établis avec soin et dans de bonnes conditions se conservent à l'air libre.

En examinant les vignettes des manuscrits du XVe siècle, il est facile de constater qu'il existait beaucoup de ces porches en charpente, principalement dans les villes du Nord. Ces porches en bois étaient toujours peints et rehaussés de dorures. Habituellement ils ne se composent que de deux bahuts latéraux portant des poteaux et une couverture lambrissée. Quelquefois aussi paraissent-ils suspendus au-dessus des portes comme des dais et soutenus seulement par des consoles.

Note 208: (retour) Voyez, pour de plus amples détails, les gravures faites d'après les relevés de M. Questel, dans les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices de S. Exc. le Ministre d'État.
Note 209: (retour) Cet abbé était neveu de saint Hugues, abbé de Cluny; il fut fait archevêque de Lyon vers 1126, et fut inhumé à Cluny. Sa tombe, placée près de la colonne la plus proche du maître autel, portait cctte inscription: «Hic: requiescit: Renald: II: quondam: abbas: et: reparator Vezeliacencis: et: postea: archiepisc...»
Note 210: (retour) Voyez la notice de M. Chérest, Congrès scientif. d'Auxerre, 1859, t., II, p. 193. D'après cette notice, le porche de Vézelay aurait été consacré en 1132.
Note 211: (retour) Voyez les coupes transversale et longitudinale de ce porche dans les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices de S. Exc. le Ministre d'État. Voyez aussi la coupe transversale réduite du porche de Vézelay, dans l'article ARCHITECTURE RELIGIEUSE, fig. 22.
Note 212: (retour) Voyez Mabillou, Annales ordin. S. Benedicti, t. V, p. 252.
Note 213: (retour) L'église de Pontigny fut en grande partie élevée aux dépens de Thibault le Grand, comte de Champagne, de 1150 à 1190.
Note 214: (retour) Le plan de cette église est donné dans l'ouvrage de M. Arnaud, voyage archéologique dans le département de l'Aube, 1837.
Note 215: (retour) Ces dessins nous ont été fournis par M. Sauvageot, l'un de nos plus habiles graveurs d'architecture. Ils ont été relevés avec une exactitude minutieuse.
Note 216: (retour) Ry est un village situé à 20 kilomètres de Rouen.
Note 217: (retour) C'est encore à l'obligeance de M. Sauvageot que nous devons les dessins de ce porche.


PORCHES OUVERTS.--On sait les querelles qui, pendant le XIIe siècle, s'élevèrent entre les abbés de Vézelay, et les évêques d'Autun. Ces derniers construisaient alors la belle cathédrale que nous admirons encore aujourd'hui, et qui, par son caractère, son style particuliers, résume cette architecture religieuse de la haute Bourgogne, de la Haute-Marne et d'une partie du Lyonnais.

La cathédrale d'Autun était à peine achevée, vers 1140, que l'on élevait un porche vaste devant sa façade principale. Ce porche couvre un emmarchement comprenant la largeur de la nef et des collatéraux. Il est surmonté de deux tours et d'une salle au premier étage, couverte jadis par une charpente apparente. Clos latéralement, le porche de Saint-Lazare d'Autun s'ouvre devant l'entrée centrale de l'église par un énorme berceau qui enveloppe l'archivolte de la porte. Cette disposition est d'un effet grandiose, d'autant que les linteaux et le tympan de cette porte sont couverts de figures sculptées d'un style étrange, énergique et d'une exécution remarquable.

La figure 12 donne le plan de ce porche à rez-de-chaussée, en A, tel qu'il avait été conçu et très-probablement exécuté primitivement, et en B, tel qu'il fut reconstruit vers 1160. Actuellement le mur de clôture latéral faisant pendant au mur C est percé d'arcs en tiers-point avec arcature portée sur des colonnettes, surmontés de fenêtres non vitrées. Deux tours s'élèvent sur les deux premières travées des collatéraux. Dans l'origine (voy. le plan A), le porche ne devait pas s'étendre devant les portes latérales D, et le berceau qui le couvrait portait sur deux murs épais, ouverts latéralement par deux baies E. Aujourd'hui les travées des collatéraux sont couvertes par des voûtes d'arête.

Deux escaliers à vis, s'ouvrant sur la nef des deux côtés de la porte centrale, montent à la salle supérieure. La coupe transversale faite sur ab, cd (fig. 13), indique, en A, la disposition primitive du porche, et en B, la disposition actuelle. On remarquera la grande niche voûtée en cul-de-four réservée dans le pignon, au premier étage, et flanquée de deux portes.

Cette salle du premier étage mérite un examen attentif, car elle indique un programme particulier aux églises de cette partie de la France. Nous avons vu qu'à Vézelay il existe de même, au-dessus de la grande porte, une niche assez profonde pour recevoir une statue colossale assise, ou même un petit autel. À Cluny, il y avait au-dessus de la porte centrale une niche s'ouvrant à l'intérieur, avec cul-de-lampe en façon de balcon saillant, dans laquelle était un petit autel placé sous le vocable de saint Michel archange. À l'intérieur de la façade de l'église Saint-Andoche de Saulieu, on voit encore une disposition analogue, et cette église est contemporaine de la cathédrale d'Autun. Le soubassement de la grande niche de la façade de la cathédrale d'Autun est engagé aujourd'hui dans l'épaisseur de la voûte du porche, et les deux portes qui l'accompagnent à droite et à gauche, donnant la sortie des deux petits escaliers à vis, ont leurs seuils en contre-bas du sol de la salle. Évidemment ces deux portes ne pouvaient s'ouvrir dans le vide, elles devaient donner sur un sol; donc, lors de la construction de la nef, on avait déjà projeté un porche plus ou moins profond avec premier étage. Cette hypothèse est d'autant plus admissible, qu'il existe encore au-dessus de la niche les rampants d'un comble bas qui devait couvrir la salle de ce porche projeté, non achevé, ou bientôt remplacé par le porche actuel. Le porche primitif, d'après la disposition du rampant du comble ancien, ne devait couvrir que la grande porte et ne s'étendait pas devant les collatéraux. Lorsqu'on se décida à construire le grand porche actuel, qui comprend la largeur totale de la façade, il fallut élever les rampants du comble et boucher la partie inférieure des trois fenêtres qui éclairent la voûte de la nef et qui sont percées dans le grand pignon. Notre coupe transversale (fig. 13) indique donc, en A, la disposition présumée du porche primitif, et en B, celle du porche actuel. Après cette modification, la grande niche, en partie engagée dans la voûte, perdant une partie de sa hauteur, ne paraît plus avoir été utilisée, car la partie supérieure du porche ne fut jamais achevée; mais cette niche, décorée de jolis pilastres cannelés, percée d'une seule ouverture très-petite donnant sur la nef, accompagnée de ces deux portes communiquant aux deux escaliers à vis, avait certainement une destination. Devait-elle contenir un autel, comme la niche intérieure de la façade de Cluny, ou comme celle extérieure du porche de Vézelay? Cela paraît probable. Mais à quelles cérémonies étaient réservés ces autels placés au premier étage au-dessus des porches, ou sur une tribune intérieure? Voilà ce qu'aucun texte ne nous apprend jusqu'à ce jour.

Dans notre coupe, la ligne ponctuée C indique le niveau du sol extérieur en avant du porche; on se rendra compte de l'effet grandiose que produit ce vaste emmarchement couvert, terminé par ce portail si largement composé. Le porche actuel est évidemment une oeuvre d'imitation, inspirée peut-être du porche de Vézelay, mais qui altère le caractère primitif du monument, rappelant ces charmantes constructions romano-grecques du Ve siècle, découvertes par M. le comte Melchior de Vogué entre Antioche et Alep. Il n'est pas douteux que les maîtres du XIIe siècle, de certaines provinces de France, avaient vu ces monuments et qu'ils les imitaient non-seulement dans les profils et l'ornementation, mais aussi dans certaines dispositions générales. Quelques-unes de ces églises romano-grecques possèdent d'ailleurs des porches avec tribune au-dessus et clochers latéraux.

Nous croyons devoir donner (fig. 14) le plan de la salle supérieure du porche d'Autun, avec ses deux escaliers et portes. L'arcature aveugle portée sur des pilastres à l'intérieur, derrière la niche, et qui règne avec le triforium de la nef, est percée de deux baies A au droit des escaliers. Pourquoi ces baies? Quant aux portes B, elles s'ouvrent sous les combles des bas côtés de la nef. Ces singularités nous prouvent que nous ignorons sous quelles données religieuses ont été érigés les porches de nos églises du XIIe siècle, qui subissaient plus ou moins l'influence de l'ordre de Cluny; il y a là un sujet d'études que nous recommandons à nos archéologues et qui nous paraît digne de fixer leur attention. Évidemment, à cette époque, les porches ont eu une importance considérable, et l'on n'aurait pas construit devant un grand nombre d'églises conventuelles, cathédrales ou paroissiales, des appendices aussi importants, s'ils n'avaient pas dû répondre à un besoin sérieux. Observons d'ailleurs que ces porches s'élèvent, sauf de rares exceptions, dans un espace de temps assez limité, de 1130 à 1200.

En F, est tracé le plan de la salle supérieure du porche primitif d'Autun, et en G, le plan de cette salle après la reconstruction du porche actuel; construction qui, comme nous l'avons dit, ne fut point terminée. La cathédrale d'Autun n'est pas la seule qui ait été précédée de porches importants avec premier étage. Ce n'est qu'au XIIIe siècle, lors de la reconstruction de ces grands monuments de nos cités, que l'on a renoncé complétement à ces dépendances. La cathédrale du Puy en Velay possède un porche ouvert, du XIIe siècle, avec grand emmarchement, ou plutôt l'église elle-même n'était qu'un immense porche, dont le degré arrivait au pied de l'autel. La partie antérieure de la cathédrale de Chartres laisse voir encore le plan et la disposition d'un porche profond, avec salle supérieure, qui ne fut supprimé qu'au XIIIe siècle.

L'église abbatiale de Saint-Denis possédait un vaste narthex très-ouvert du côté de la nef, et fermé du côté extérieur, mais surmonté d'une salle voûtée. La petite église de Saint-Leu d'Esserent, conserve encore son porche fermé du XIIe siècle, avec salle supérieure; or, ces constructions datent de 1140.

Mais voici (fig. 15) un porche plus ancien que le porche actuel de la cathédrale d'Autun, et qui présente une disposition plus franche encore et non moins monumentale. C'est le porche de l'église de Châtel-Montagne (Allier). La construction de ce porche est très-peu postérieure à celle de l'église; elle date de 1130 environ 218, et conserve une apparence entièrement romane. Planté sur le sommet d'un escarpement, le porche de l'église de Châtel-Montagne est précédé d'un degré de 5 mètres de largeur, avec parvis; il présente, au droit de la nef, une grande arcade, et au droit des collatéraux, deux arcades étroites ouvertes de côté pour donner plus de force, en a, à la maçonnerie qui reçoit la charge du pignon. Latéralement sont ouvertes deux autres arcades larges laissant entiers les contre-forts qui butent les constructions de la nef. Un escalier b, pris aux dépens du collatéral méridional de la nef, permet de monter à une salle élevée sur le porche, et qui s'ouvre sur l'intérieur en manière de tribune.

La figure 16 présente l'élévation extérieure de ce porche, qui, avec ses constructions supérieures, forme la façade de l'édifice. Le caractère de cette architecture est tout empreint d'un bon style dont nous retrouvons les éléments dans l'architecture romano-grecque des environs d'Antioche. Mais ici les matériaux (granit) sont petits, tandis que ceux qui ont servi à élever les monuments byzantins de Syrie sont grands et largement appareillés. Les fenêtres ouvertes dans les arcs supérieurs de cette façade éclairent la tribune; l'arc milieu forme le tracé du berceau intérieur.

Nous donnons (fig. 17) la coupe longitudinale de ce porche, avec l'amorce de la nef, et (fig. 18) sa face latérale 219. Si la construction est simple et bien ordonnée, on remarquera que les proportions sont des plus heureusement trouvées. On reconnaît, dans ce joli édifice, la trace d'un art très-avancé, délicat, étudié; et cependant l'église de Châtel-Montagne est située au milieu d'une des contrées les plus sauvages de la France. Aujourd'hui, dans ces montagnes, on a peine à réunir quelques ouvriers capables d'exécuter la bâtisse la plus vulgaire. Mais les provinces du Centre, au XIIe siècle, étaient un foyer d'art, actif, développé, possédaient une école d'architectes qui nous ont laissé de charmantes compositions, des constructions bien entendues, solides et d'un excellent style.

Ces architectes étaient certainement alors des religieux, et leur école suivit la décadence à laquelle ne purent se soustraire les anciens ordres monastiques vers la fin du XIIe siècle.

La salle du premier étage du porche de Châtel-Montagne forme une tribune de laquelle on peut voir ce qui se passe dans la nef, tandis que dans les exemples précédemment donnés, ces salles supérieures sont presque entièrement closes du côté de la nef. À quel usage était destinée cette tribune? Nous pensons qu'elle donnait, comme les salles fermées, une chapelle spéciale, et qu'un autel était disposé contre la balustrade, car nous voyons encore, sur la tribune de l'église de Montréale, en Bourgogne, un autel de la fin du XIIe siècle ainsi disposé (voy. TRIBUNE). Mais (au XIIe siècle) les orgues n'étaient pas des instruments d'une assez grande dimension pour occuper ces espaces; les chantres se tenaient dans le choeur ou sur les jubés, mais non sur des tribunes élevées près de l'entrée. Quelques auteurs ont prétendu que ces tribunes étaient réservées aux femmes; mais les femmes, en nombre relativement considérable à l'église, n'auraient pas trouvé là une place suffisante; d'ailleurs tous les textes sont d'accord pour dire qu'elles occupaient un des côtés de la nef depuis les premiers temps du moyen âge. La tradition, dans quelques localités, affecte ces tribunes aux pénitents, et nous croyons que la tradition s'approche de la vérité. Nous admettons qu'un autel était habituellement placé dans ces salles ouvertes sur la nef ou sur le dehors, ou complétement fermées; que ces autels étaient orientés comme l'est celui de la tribune de Montréale, et qu'il était réservé à des cérémonies spéciales auxquelles assistaient des pénitents ou des fidèles recevant une instruction préparatoire. Mais nous devons avouer que ce sont là des hypothèses, et que nous n'avons point de preuves positives à fournir pour les appuyer.

Non loin d'Autun est une église conventuelle du XIIe siècle, Paray-le-Monial, possédant un porche qui parait être antérieur à la construction de l'église actuelle.

Le plan de ce porche (fig. 19) est régulier; il présente sur sa face, à rez-de-chaussée, trois arcades ouvertes, et sur ses côtés, deux arcades. Deux piliers composés chacun de quatre colonnes portent les six voûtes d'arête qui ferment ce rez-de-chaussée. Deux tours, comme à Autun, surmontent les deux premières travées B, et portent assez imprudemment sur ces deux faisceaux de colonnes 220. On voit que ce porche n'est pas placé dans l'axe de la nef A, rebâtie sur un autre plan. Il est surmonté, au premier étage, d'une salle voûtée en berceaux reposant sur des archivoltes, ainsi que le fait voir la coupe (fig. 20).

Cette salle ne fait pas tribune sur la nef, elle est fermée et ne s'ouvre de ce côté que par une fenêtre G dont l'appui est posé à 2 mètres au-dessus du sol.

Les porches établis sur ce plan ont donc été adoptés assez fréquemment dans cette partie de la France, c'est-à-dire dans le voisinage de l'abbaye de Cluny; nous voyons que ces plans persistent pendant le XIIIe siècle. Le beau porche de l'église de Notre-Dame de Dijon fut élevé vers 1230, sur ces données, c'est-à-dire avec trois arcades ouvertes sur la façade, deux piles isolées intérieures portant six voûtes d'arête, une salle supérieure et deux tours qui n'ont point été achevées.

La disposition de ce porche est remarquable. Bâti en bons matériaux, bien qu'avec économie, il est peut-être l'expression la plus franche de l'architecture bourguignonne de la première moitié du XIIIe siècle, si originale, si audacieusement combinée. Il n'a manqué aux architectes de cette école que de pouvoir mettre en oeuvre des matériaux d'une rigidité absolue, comme le granit ou même la fonte de fer. Telle était la hardiesse de ces artistes, qu'ils osaient, avec des pierres calcaires, d'une grande résistance il est vrai, mais cependant susceptibles d'écrasement, parce qu'elles étaient basses entre lits, élever des maçonneries d'un poids considérable sur des piles très-grêles; suppléant à l'insuffisance de ces matériaux par la combinaison savante des pressions et des résistances.

L'architecte du porche de Notre-Dame de Dijon s'était posé un problème nouveau. Ayant été à même, par les exemples précédents, d'observer le mauvais effet que produisaient les deux contre-forts séparant les trois arcades des façades de porches, il supprima ces contre-forts et les remplaça par un système de chevalement en pierre. L'idée était ingénieuse, hardie et sans précédents. De cette manière aucun obstacle ne séparait les trois arcades, la poussée des arcs-doubleaux intermédiaires était butée par le chevalement, et le poids des angles internes des deux tours reposait sur deux piles jumelles comme sur un chevalet. Quelques défauts dans l'exécution firent rondir ces piles vers les deux arcs latéraux; et soit que ce mouvement se fût produit pendant la construction, soit que les ressources aient fait défaut, on n'acheva point les deux tours. Elles ne s'élèvent aujourd'hui que jusqu'à la hauteur de la nef. Quoi qu'il en soit, et laissant de côté les imperfections de détail qui produisirent ces mouvements, en théorie l'idée était neuve et féconde en résultats. Aussi ce porche est-il un des plus beaux qu'on ait élevés à cette époque et bien supérieur comme conception aux porches romans que nous avons donnés dans les exemples précédents. Telle se montre souvent cette architecture du XIIIe siècle à son origine, pleine de ressources, abondante en idées, mais parfois incomplète dans l'exécution. Aussi n'est-ce pas par une imitation irréfléchie que l'on doit en faire l'application de nos jours, mais par une recherche attentive des idées qui ont produit son développement si rapide et de ses théories fertiles en déduction. Du porche de Notre-Dame de Dijon il serait aisé, avec quelques modifications de détail et en employant des matériaux plus rigides que ceux mis en oeuvre, de faire un édifice aussi gracieux d'aspect, aussi léger, mais irréprochable sous le rapport de la structure. Pour cela, il suffirait de baisser la naissance des archivoltes latérales et d'élever les piliers en hauts blocs de pierre très-résistante. Atteindre un résultat avec des moyens imparfaits, mais laisser deviner l'idée nouvelle, l'invention, c'est déjà beaucoup pour ceux qui observent et veulent mettre leurs observations à profit: car il est plus facile de perfectionner des moyens d'exécution en architecture que de trouver un principe neuf et fournissant des conséquences étendues.

La salle supérieure du porche de Notre-Dame de Dijon forme tribune sur la nef.

Le plan de ce porche, dont la figure 21 donne la moitié, montre comment l'architecte a su éviter, en A, les contre-forts extérieurs. Les deux piles D forment le chevalement qui reçoit le mur de face de la tour plantée sur la travée B au droit du contre-fort C, et qui contrebute les voûtes du porche. En G, sont ouvertes de grandes fenêtres dont l'appui est très-relevé au-dessus du sol. Dans la hauteur du premier étage, une galerie (voy. GALERIE, fig. 6) se dresse au devant du mur de la tour, de E en F, et vient aboutir à des tourelles H disposées en encorbellement sur les contre-forts C et contenant les escaliers qui permettent de monter aux étages supérieurs de ces tours. La disposition des voûtes de ce porche est très-savamment combinée. Nous en avons indiqué le système à l'article CONSTRUCTION (voy. fig. 52 et 53). Sur les extrados des archivoltes L et J portées par les piles isolées formant chevalement, sont bandés des berceaux M et N qui viennent retomber sur un linteau-sommier K. On remarquera que l'architecte a posé le mur de la tour, non pas à l'aplomb de ces berceaux, mais un peu en retraite, ainsi que l'indique la plantation du contre-fort C, afin de faire des piles A et P de véritables éperons. En effet, ces piles ne sont pas sorties de leur aplomb sur le nu de la façade; les piles A et P se sont légèrement inclinées vers les travées latérales par suite de la poussée des grands arcs L, D, et parce que les naissances des arcs J n'étaient pas placées assez bas. Quant aux piles R, bien que chargées par les angles des tours, elles ont conservé leur aplomb, grâce à la disposition ingénieuse des arcs des voûtes.

L'effet extérieur et intérieur de ce porche est des plus heureux; les profils, la sculpture sont du meilleur style.

Il faut citer aussi parmi les grands porches ouverts, bâtis en Bourgogne pendant le XIIIe siècle, celui de l'église Notre-Dame de Beaune. Ce porche est ouvert sur la face par trois arcades, et latéralement, de chaque côté, par deux autres. Deux colonnes isolées portent, comme à Notre-Dame de Dijon, les six voûtes. Le porche de Notre-Dame de Beaune n'a pas été achevé dans sa partie supérieure et ne devait pas être surmonté de tours. Sur la façade occidentale de l'église Notre-Dame de Semur en Auxois est planté un porche ouvert par trois arcades, mais ne possédant que trois voûtes en arcs ogives, et étant par conséquent dépourvu de colonnes isolées. Ce porche, fermé latéralement, date du commencement du XIVe siècle et n'a été achevé qu'au XVe siècle.

Le porche de la sainte Chapelle du Palais à Paris doit être classé parmi les grands porches ouverts. Comme le bâtiment auquel il est accolé, ce porche est à deux étages, et forme une sorte de vaste loge ouverte sur l'une des cours du Palais 221.

Note 218: (retour) Le style roman s'est conservé dans cette partie de la France beaucoup plus tard que dans les provinces du Nord et de l'Est. Arrivé rapidement, dès la fin du XIe siècle, à une très-grande perfection, il n'est pas mélangé d'influences gothiques vers le milieu du XIIe siècle, comme le roman de Bourgogne, de la Haute-Marne, de la Champagne et du Berry. Pendant la seconde moitié du XIIe siècle, les monuments de l'Auvergne retardent de cinquante ans.
Note 219: (retour) Les dessins de ce porche nous ont été fournis par M. Millet, chargé de la restauration de l'église de Châtel-Montagne.
Note 220: (retour) M. Millet, chargé de la restauration du charmant édifice, a dû remplacer les colonnes qui s'étaient écrasées; il a placé au milieu de leur groupe une colonne de granit, et a pu ainsi conserver à ce narthex toute son élégance. (Voyez les Archives des monuments historiques, publiées sous les auspices de Son Exc. le ministre d'État.)
Note 221: (retour) Voyez CHAPELLE, fig. 1 et 2; PALAIS, fig. 2 et 3.


PORCHES OUVERTS SOUS CLOCHERS.--Il était assez naturel, lorsqu'on prétendait élever un clocher sur la façade principale d'une église, de pratiquer un porche à rez-de-chaussée. Dans les provinces de l'Ouest, du Centre et du Midi, dès le XIe siècle, on avait pour habitude de construire de grosses tours carrées devant l'entrée occidentale des églises; la partie inférieure de ces tours servait de porche 222. À l'article CLOCHER (fig. 41 et 42) nous donnons le grand porche élevé sur la façade occidentale de l'église abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire. Ce porche, qui date du XIe siècle, se compose d'un quinconce de piles épaisses, portant des voûtes d'arête romaines223 . Il occupe une surface considérable et est surmonté d'une grande salle ouverte, comme le rez-de-chaussée, sur trois de ces faces et présentant de même un quinconce de piles. Le clocher devait s'élever sur les quatre piles centrales. Dans le même article (fig. 7), on voit aussi le plan du porche de la cathédrale de Limoges, qui date du XIe siècle, ouvert primitivement sur les faces et supportant un clocher. La partie inférieure du clocher de l'église de Lesterps (Charente) présente un porche dont la disposition rappelle le porche de Saint-Benoît-sur-Loire (voy. CLOCHER, fig. 43 et 44), mais qui date du XIIe siècle.

Ces programmes ne se retrouvent pas dans l'Île-de-France, dans la Normandie, dans la Bourgogne et la Champagne. Les porches sous clochers de l'Île-de-France sont généralement fermés latéralement, comme le porche occidental de l'église abbatiale de Saint-Germain des Prés, et comme celui de l'église de Créteil près Paris 224. Le porche de l'église de Créteil était, il y a peu de temps, parfaitement conservé; son aspect était monumental. Il était ouvert par une arcade sur sa face antérieure et voûté en berceau. Ce n'est qu'un abri devant l'entrée de l'église; long, étroit, fermé latéralement, il tient lieu d'un de ces tambours que l'on érige de notre temps derrière les portes. Sa construction remonte à la seconde moitié du XIe siècle. Nous en donnons le plan (fig. 22) et la coupe longitudinale (fig. 23).

Les arcades uniques de ces porches, ouvertes sur le dehors, étaient fermées par des voiles, si l'on s'en rapporte à d'anciennes peintures et à des bas-reliefs antérieurs au XIIIe siècle; et l'on voit encore les corbelets saillants ou les trous qui servaient à poser la tringle de bois à laquelle étaient suspendues ces sortes de portières d'étoffes.

Sous le clocher de l'église de Saint-Savin, près de Poitiers, il existe un porche de la même époque, entièrement revêtu à l'intérieur de peintures remarquables. Ce porche, plus simple comme architecture que celui de Créteil, présente d'ailleurs une disposition analogue 225. Le clocher occidental de l'église collégiale de Poissy s'élève sur un porche d'une date ancienne (commencement du XIe siècle); il s'ouvre de même sur la voie publique par une seule arcade et est voûté en berceau plein cintre 226.

Si l'on pénètre dans les provinces du centre, à Tulle, à la Châtre, on voit des porches sous clochers avec trois arcades ouvertes, l'une en face de l'entrée, deux latéralement. Ces porches datent de la fin du XIIe siècle et participent des dispositions admises pour les porches sous clochers du Limousin et du Périgord.

Parmi les porches les plus remarquables élevés sous l'influence de ces deux écoles, mais qui ne possèdent pas cependant les piles intérieures que nous voyons dans les porches de Limoges, de Lesterps et de Saint-Benoît-sur-Loire, il faut citer celui de l'église abbatiale de Moissac (Tarn-et-Garonne).

La structure de ce porche est d'un grand intérêt pour l'histoire de l'art. Elle date de deux époques assez rapprochées l'une de l'autre, du commencement et du milieu du XIIe siècle.

La figure 24 en retrace le plan à rez-de-chaussée. Primitivement, ce porche s'ouvrait du côté du midi, en C, par une large arcade en tiers-point. Du côté de l'ouest, en D, et du côté du nord, en E, il s'ouvrait sur des dépendances de l'abbaye, sur les cloîtres, et était fermé par des vantaux.

Une troisième porte F, avec trumeau central, donnait accès dans la nef de l'église. Peu après sa construction, c'est-à-dire vers 1150, on ajouta, au grand porche portant un gros clocher, un second porche ou abri extérieur G, richement décoré de bas-reliefs et de sculptures d'un très-grand style (voy. STATUAIRE). On éleva les piliers H et les contre-forts I. Ces constructions accolées servirent à porter un chemin de ronde crénelé qui défendait l'entrée de l'église.

La figure 25 donne le plan de la salle bâtie au-dessus du porche, et sur les piles de laquelle devait s'élever un clocher qui ne fut pas terminé. La différence des teintes du plan indique la construction première et les adjonctions faites au milieu du XIIe siècle pour recevoir les crénelages à deux étages sur le porche extérieur en K, et à un seul chemin de ronde sur les côtés L et M. C'était une tentative assez hardie, au commencement du XIIe siècle, que de couvrir une salle de 10 mètres de côté par une seule voûte qui ne fût pas une coupole, et l'architecte du porche de Moissac résolut ce problème en constructeur habile. La voûte du rez-de-chaussée est en arcs d'ogives, c'est-à-dire composée de formerets et de deux arcs diagonaux larges, à section rectangulaire, sur lesquels reposent les quatre triangles de la voûte maçonnés en moellons smillés. La voûte de la salle haute est composée de douze arcs tendant à un oeil central réservé pour le passage des cloches.

Notre coupe (fig. 26), faite sur la ligne AB du plan du rez-de-chaussée, explique cette structure. Le détail N indique l'appareil des pierres composant la clef de la voûte du rez-de-chaussée (car les arcs diagonaux sont maçonnés en pierres d'un faible échantillon). Quant aux arcs de la voûte du premier étage, qui peut bien passer déjà pour une voûte dans le mode gothique, les diagonaux sont plein cintre, et les huit autres, partant des piles intermédiaires, sont des portions de cercle. On observera que ces huit arcs intermédiaires sont posés obliquement sur les chapiteaux des piles, tandis que les tailloirs de ces chapiteaux ont leurs faces parallèles aux côtés du carré. Déjà cependant les tailloirs des arcs diagonaux sont posés suivant la direction de ces arcs (voy. le plan, fig. 25). Ces deux salles basse et haute sont d'un effet monumental qui produit une vive impression. La construction, quoique rude, en est bien exécutée et n'a subi aucun mouvement. Les adjonctions faites au milieu du XIIe siècle, si intéressantes qu'elles soient, ont altéré la physionomie grandiose de l'extérieur de ce porche et ont assombri cette belle salle supérieure, dont nous ne connaissons pas la destination, et qui s'ouvrait si largement sur les dehors. La nef de l'église ayant été rebâtie au commencement du XVe siècle sur un plan analogue à celui de la cathédrale d'Alby, il est difficile aujourd'hui de savoir comment cette salle supérieure s'arrangeait avec la nef primitive. Toutefois les trois arcades P, bouchées en brique lors de la reconstruction du XVe siècle, s'ouvraient nécessairement sur la nef ancienne, et mettaient la salle haute en communication directe avec celle-ci sans interposition de vitraux. Mais nous avons déjà vu, par quelques-uns des exemples de porches surmontés de salles, donnés dans cet article, que les nefs n'étaient guère fermées par des vitraux, surtout dans les provinces du Centre et du Midi, avant la fin du XIIe siècle.

Les porches sous clochers sont rares à dater du commencement du XIIIe siècle dans l'architecture française. Cependant nous citerons celui de l'église de Larchant (Seine-et-Marne) 227. La Normandie en présente quelques-uns qui datent des XIVe et XVe siècles; nous mentionnerons comme l'un des plus remarquables celui de la tour de l'église Saint-Pierre, à Caen 228.

Sur les bords du Rhin et dans les contrées environnantes, cette disposition se continue assez tard. Le porche de la cathédrale de Fribourg ouvert sous le clocher occidental est fort beau. Intérieurement il est orné de bonnes figures représentant les arts libéraux, de grandeur naturelle, le Christ, les vierges sages, les vierges folles, le sacrifice d'Abraham, saint Jean-Baptiste, sainte Marie l'Égyptienne, etc. Ce porche n'est ouvert que par une arcade sur la face, les côtés sont clos et décorés par ces statues dont nous venons de citer les principales.

Parlant des porches sous clochers, on ne saurait passer sous silence les porches si bien disposés sous les tours projetées de la façade de l'église de Saint-Ouen, à Rouen.

Ces tours, qui devaient être d'une dimension colossale, ne furent élevées que jusqu'à la hauteur de 20 mètres environ au-dessus du sol. Lorsqu'il fut question d'achever la façade de l'église de Saint-Ouen en 1840, on n'osa continuer l'oeuvre commencée sur des dimensions aussi considérables; on rasa donc les souches des deux clochers, et l'on perdit ainsi une des dispositions des plus originales et des plus ingénieuses parmi toutes celles qu'avait conçues le moyen âge à son déclin, car ces tours dataient du XVe siècle.

Elles s'élevaient sur deux porches posés diagonalement et donnant entrée de biais dans les deux collatéraux. Le plan de ces porches est gravé dans l'ouvrage de Pugin sur les monuments de la Normandie, auquel nous renvoyons nos lecteurs 229. La position oblique des porches de l'église de Saint-Ouen avait permis de les ouvrir sur l'extérieur par deux baies abritées, tendant au centre d'un large parvis formé par la saillie des tours. On évitait ainsi les courants d'air dans l'église, les portes extérieures des porches et celles donnant dans les collatéraux n'étant pas placées en face l'une de l'autre. La foule des fidèles, en sortant par les deux portes latérales et la porte centrale, se trouvait naturellement réunie sur l'aire de ce parvis, sans qu'il pût en résulter de l'encombrement. Il y a lieu de s'étonner que cette disposition si bien trouvée et d'un si heureux effet, n'ait pas été suivie dans la construction de quelques-unes de nos églises modernes, d'autant qu'elle peut s'accommoder à tous les styles d'architecture.

Note 222: (retour) Voyez, à l'article CLOCHER, la carte des diverses écoles de clochers (fig. 61), dans laquelle il est démontré que deux prototypes de ces clochers, à Périgueux, à Brantôme, envoient des rameaux jusqu'à Cahors, Toulouse, le Puy, Loches, Saint-Benoit-sur-Loire, etc.
Note 223: (retour) Voyez les ensembles et les détails de ce porche dans l'Architecture du Ve au XVIe siècle, par Gailhabaud.
Note 224: (retour) Cet édifice a été fort altéré il y a peu d'années.
Note 225: (retour) Voyez Monographie de l'église de Saint-Savin, publiée par les soins du ministre de l'instruction publique.
Note 226: (retour) Il faut citer aussi un de ces porches conservé sous le clocher occidental de l'église Saint-Séverin de Bordeaux, et qui date du commencement du XIIe siècle.
Note 227: (retour) Voyez les Monuments de Seine-et-Marne, par MM. Aufauvre et Fichot.
Note 228: (retour) Voyez Pugin, Specimens of the architectural ant. of Normandy.
Note 229: (retour) Voyez, à l'article ARCHITECTURE RELIGIEUSE, la figure 62.


PORCHES D'ÉGLISES ANNEXES. C'est à dater de la fin du XIIe siècle que les porches accolés aux façades principales ou latérales des églises deviennent très-fréquents. Pourquoi? Avant cette époque, les églises les plus importantes étaient celles qui dépendaient d'établissements monastiques. Ces églises, comme nous l'avons vu, possédaient des porches très-vastes si elles relevaient de l'ordre de Cluny, en forme de portiques si elles relevaient de l'ordre de Cîteaux, plus ou moins étendus si elles ne dépendaient ni de l'un ni de l'autre de ces deux ordres, mais faisant partie du plan primitif ou complété de l'édifice religieux. Lorsque ces porches avaient été annexés, ils achevaient, pour ainsi dire, un ensemble de constructions conçues d'après une idée dominante. Les églises paroissiales antérieures à 1150 étaient petites, pauvres, et copiaient plus ou moins les grandes églises monastiques. Avant cette époque, les cathédrales elles-mêmes avaient peu d'étendue, et s'élevaient également sous l'influence prédominante des édifices dus aux ordres religieux. Mais lorsque, vers 1160, les évêques surent recueillir ces immenses ressources qui leur permirent d'élever des églises qui pussent rivaliser avec celles des ordres religieux et même les dépasser en étendue et en richesse, ils adoptèrent des plans qui différaient sur bien des points de ceux admis par les moines. Plus de chapelles, plus de porches ou de narthex. Les cathédrales prirent généralement pour type un plan de basilique, avec nef centrale et bas côtés; des portes largement ouvertes se présentaient sur la façade, sans vestibule. Il semblait que le monument de la cité, la cathédrale, voulût être surtout accessible à la foule, qu'elle évitât tout ce qui pouvait faire obstacle à son introduction. C'était un forum couvert, dans lequel chacun était appelé sans préparation, sans initiations. Mais bientôt, ainsi que nous l'expliquons ailleurs 230, l'espoir que les évêques avaient conçu de devenir les chefs politiques et religieux de la cité s'évanouit en face de l'attitude nouvelle prise par le pouvoir royal. Les cathédrales durent se renfermer dans leur rôle purement religieux: elles élevèrent des chapelles, des clôtures autour des choeurs; elles crevèrent leurs longues nefs pour y installer des transsepts, et enfin elles ajoutèrent des porches devant les entrées. Mais cependant, comme si l'idée première qui les avait fait élever dût laisser une trace perpétuelle, ces porches se dressèrent principalement devant les entrées secondaires ou latérales; et les façades principales, les portails, ouvrirent, comme dans les conceptions primitives de ces monuments, leurs larges portes sur un parvis sans porches ou vestibules extérieurs. Nous voyons même que certaines cathédrales dont le plan, au XIIe siècle, avait été conçu avec un porche antérieur, comme à Chartres par exemple, suppriment ce porche au commencement du XIIIe siècle pour ouvrir les portes directement sur la place publique. Si quelques cathédrales, ce qui est rare d'ailleurs, possèdent des porches devant leur façade principale, comme celle de Noyon, par exemple, ces porches datent de la fin du XIIIe siècle ou même du commencement du XIVe; car nous ne pouvons considérer comme des porches les larges ébrasements qui précèdent les portes occidentales des cathédrales d'Amiens et même de Laon 231. Ce sont là des portails, c'est-à-dire des portes abritées.

Vers le milieu du XIIIe siècle, nous voyons au contraire élever des porches bien caractérisés devant les portes secondaires des cathédrales. C'est à cette époque, vers 1245, que l'on bâtit les porches latéraux des cathédrales de Chartres, de Bourges, de Châlons-sur-Marne, du Mans, de Bayeux, et qu'on élève souvent ces porches devant des portes qui n'avaient pas été destinées à être abritées. Bientôt cet exemple est suivi dans les églises conventuelles. Pendant les XIVe et XVe siècles, on élève quantité de porches sur les flancs de ces édifices. Quant aux églises paroissiales, dès le XIIIe siècle, leurs portes principales comme leurs portes latérales s'ouvrent fréquemment sous des porches.

À la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe siècle, deux porches, l'un du côté du nord et l'autre du côté méridional, s'implantent devant les portes secondaires de la cathédrale romane du Puy en Velay, et ces deux porches sont surmontés de salles; mais ce sont des hors-d'oeuvre, ne se raccordant en aucune façon avec l'édifice auquel ils se soudent, tandis qu'il faut voir dans les porches latéraux de la cathédrale de Chartres des conceptions mises en harmonie avec le monument déjà construit. Les porches nord et sud plantés devant les portes du transsept de la cathédrale de Chartres passent, à juste titre, pour des chefs-d'oeuvre. Ils sont composés évidemment par des artistes du premier ordre et offrent l'un des plus beaux spécimens de l'architecture française du milieu du XIIIe siècle. Leur plan, leur structure, leur ornementation, la statuaire qui les couvre, sont des sujets d'étude inépuisables, et leur ensemble présente cette harmonie complète si rare dans les oeuvres d'architecture. Celui du nord, plus riche de détails, plus complet comme entente de la sculpture, plus original peut-être comme composition, produirait plus d'effet, s'il était, ainsi que celui du sud, élevé sur un grand emmarchement et exposé tout le jour aux rayons du soleil. Dans l'origine, ces deux porches étaient peints et dorés; leur aspect, alors, devait être merveilleux. C'est lorsqu'on examine dans leur ensemble et leurs détails ces compositions claires, profondément étudiées, d'une exécution irréprochable, qu'on peut se demander si depuis lors nous n'avons pas désappris au lieu d'apprendre; si nous sommes les descendants de ces maîtres dont l'imagination féconde était soumise cependant à des règles aussi rigoureuses que sages; et s'il n'y a pas plus d'art et de goût dans un de ces chefs-d'oeuvre que dans la plupart des pâles et froids monuments élevés de nos jours.

La somme d'intelligence, de savoir, de connaissance des effets, d'expérience pratique, dépensée dans ces deux porches de Notre-Dame de Chartres, suffirait pour établir la gloire de toute une génération d'artistes; et ce que l'on ne saurait trop admirer dans ces oeuvres, c'est combien alors les arts de l'architecture et de la sculpture avaient su faire une alliance intime, combien ils se tenaient étroitement unis.

Nous ne croyons pas nécessaire de donner ici des figures de ces porches publiés dans maints ouvrages 232, gravés, lithographiés et photographiés bien des fois. Nous passerons à l'étude d'exemples non moins remarquables, mais peu connus. L'église de Saint-Nicaise de Reims avait été bâtie par l'architecte Libergier, mort en 1263 233; c'était un des plus beaux monuments religieux de la Champagne. D'une construction savante, l'église de Saint-Nicaise montrait ce qu'était devenue cette architecture champenoise au milieu du XIIIe siècle, un art mûr. Sur la façade de cette église s'ouvraient trois portes: l'une centrale, dans l'axe de la grande nef, les deux autres dans l'axe de chacun des bas côtés. Nous reviendrons tout à l'heure sur ces portes secondaires. La porte centrale était précédée d'un porche peu profond, élevé entre les deux contre-forts butant les archivoltes de la nef, et recevant le poids des angles des deux clochers.

La figure 27 nous montre en A le tracé du plan de ce porche, avec l'échelle en pieds. D'un axe d'un contre-fort à l'autre on comptait 40 pieds. Les contre-forts avaient 8 pieds de face; on comptait également 8 pieds pour l'ouverture des arcades B, et 16 pieds pour l'ouverture de l'arcade centrale; pour la profondeur du porche, qui n'était qu'un abri, 4 pieds. Ainsi les quatre colonnes isolées et engagées a, b, c, d, divisaient l'espace ad en trois parties égales, et ces quatre colonnes portaient trois archivoltes surmontées de gâbles (voy. l'élévation G). Chacune de ces archivoltes inscrivait un triangle équilatéral, et les gâbles eux-mêmes étaient tracés suivant les deux côtés d'un triangle équilatéral. Si l'arcade centrale était entièrement à jour, celles des deux côtés étaient à moitié occupées par l'épaisseur des contre-forts, ainsi que le montre notre plan en E et en E'. Quant à l'ébrasement de la porte, il était disposé de telle façon, qu'en K il existait une boiserie formant tambour ou double porte. En C, est tracée la coupe du porche sur l m.

La figure 28 donne la vue perspective du porche central de l'église de Saint-Nicaise de Reims. Si simple par son plan, cette composition était, en élévation, d'une grande richesse, mais sans que les détails nuisissent en rien à l'ensemble des lignes. D'abord l'architecte avait eu l'idée nouvelle de donner à ses porches l'aspect d'une de ces décorations que l'on dispose devant les façades d'églises les jours de grandes cérémonies. Sans contrarier la structure principale de l'architecture, ces arcades surmontées de gâbles forment une sorte de soubassement décoratif occupant toute la largeur de l'église et percé de baies au droit des portes. C'était comme un large échafaudage tout garni de tapisseries; car on remarquera que les nus de ce soubassement sont ornés de fins reliefs fleurdelisés qui leur donnent l'aspect d'une tenture. Derrière cette architecture légère, et qui semble élevée pour une fête, se voyaient les portes richement décorées de bas-reliefs. Celle centrale, dont nous donnons la vue perspective (fig. 28), portait sur son trumeau la statue de saint Nicaise; dans son tympan, le Christ assis sur le monde au jour du jugement, avec la Vierge et saint Jean à ses côtés et des anges adorateurs; au-dessous, d'un côté, les élus; de l'autre, les damnés, dont quelques-uns sont emmenés en enfer dans un chariot. Dans les écoinçons, deux anges sonnent de la trompette. Les douze apôtres étaient placés, non comme des statues dans des niches, mais comme des groupes de personnages dans les deux enfoncements pratiqués des deux côtés des pieds-droits de la porte. On voit comme, d'une disposition extrêmement simple comme plan, l'architecte Libergier avait su faire un ensemble très-décoratif et facile à suivre d'un coup d'oeil 234. Les deux porches donnant dans l'axe des collatéraux ne se composaient chacun que d'une seule arcade percée entre les deux gros contre-forts des clochers. Cette arcade, surmontée d'un gâble, comme celles du porche central, avait 12 pieds d'ouverture (2 toises). Mais comme ces portes latérales étaient celles qui servaient habituellement (la porte centrale n'étant ouverte que pour les processions ou pour laisser écouler la foule), leurs porches avaient plus de profondeur (1 toise), et à l'intérieur étaient disposés des tambours à demeure, très-ingénieusement combinés.

Le plan (fig. 29) fait voir la disposition de ces tambours en A, et l'entrée des escaliers des clochers, entrée qui se trouvait aussi en dehors de l'église, quoique garantie par la porte extérieure. Les espaces A, B, étaient couverts par des berceaux en tiers-point comme les archivoltes, et les tympans des portes décorés de bas-reliefs dans des quatre-feuilles et des lobes, comme celui de la porte centrale. Les nus D étaient couverts des mêmes semis fleurdelisés en petit relief. Libergier paraît être le premier qui ait eu l'idée de faire ainsi des porches, des hors-d'oeuvre rappelant ces ouvrages provisoires que l'on élève devant les portails des églises à l'occasion de certaines solennités. Cette idée fut développée plus tard avec plus ou moins de bonheur, mais sans qu'on ait, nous semble-t-il, dépassé ce premier essai. Cependant à Troyes, dans la même province, il existe encore deux porches d'une disposition très-remarquable devant les portes du transsept de l'église de Saint-Urbain 235. Ces porches sont de véritables dais soutenus par des arcs-boutants reportant la poussée et la charge de leurs voûtes sur des contre-forts extérieurs isolés. Le plan de l'un de ces porches, en tout semblables entre eux (fig. 30), indique cette disposition. L'espace A, B, C, D est voûté.

Ces deux voûtes reposent sur le mur du transsept et sur les trois piles B, E, C. Trois arcs-boutants G, E, H reportent la poussée extérieure de ces voûtes sur les trois contre-forts I, K, L. La légèreté de cette construction, élevée en liais de Tonnerre d'une excellente qualité, est surprenante. Ces deux voûtes ont réellement l'apparence d'un dais suspendu, car leur saillie laisse à peine voir les frêles colonnes qui les reçoivent. Quant aux contre-forts I, K, L, malgré leur importance relative, ils sont tellement hors-d'oeuvre (les deux contre-forts I, L, étant d'ailleurs au droit de ceux de l'église O, M), qu'ils ne paraissent pas appartenir au porche et que l'oeil ne s'y arrête pas. En P, nous avons tracé à l'échelle de 0m,05 par mètre l'une des colonnes d'angle BC, et en R, le détail à la même échelle du pilier S avec sa niche T.

Une coupe faite sur XV (fig. 31.) rend compte de cette singulière structure dont le géométral ne peut donner qu'une idée très-incomplète. En perspective, les contre-forts et les arcs-boutants ne se projettent pas comme dans le géométral, ils se séparent du porche, le laissent indépendant. L'arc-boutant A, par exemple, à un plan éloigné et butant le premier contre-fort du choeur, ne participe pas de la construction du porche 236; les contre-forts marqués I et L dans le plan paraissent se rattacher eux-mêmes à l'église et non au porche. Il y a dans cette composition une entente de l'effet que ne peut rendre un géométral et qu'exprime difficilement même une vue perspective. Mais ce qui doit attirer l'attention des architectes dans les porches de l'église de Saint-Urbain, c'est la grandeur du parti. Malgré leur excessive légèreté et la ténuité des divers membres de l'architecture réduits à leur plus faible dimension, ces porches sont grands d'échelle et n'ont pas la maigreur que l'on reproche à beaucoup d'édifices élevés à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe.

L'élévation faite sur la ligne ab du plan (fig. 32) fait assez voir combien cette composition est large, claire et comme les détails sont soumis aux masses. Sur les deux archivoltes latérales sont élevés des gâbles, comme sur la face; et les combles en ardoises suivent les pentes de ces gâbles, de sorte que les eaux s'écoulent par des caniveaux posés sur les arcs-boutants et par les gargouilles posées au devant des contre-forts (voy. la coupe). Par derrière, ces combles forment croupe avec chéneau, afin de dégager les grandes fenêtres du transsept. Les gâbles indiquent donc la forme des combles, ce qui est rationnel. Au-dessus des deux portes percées sous le porche s'ouvrent deux fenêtres, ainsi que le fait voir la figure 32, fenêtres dont les meneaux se combinent adroitement avec les gâbles à jour qui surmontent ces deux portes.

La construction des porches de saint-Urbain est conçue comme celle de toutes les autres parties de cette jolie église; c'est-à-dire qu'elle se compose de grands morceaux de pierre de Tonnerre formant une véritable devanture pour les archivoltes, gâbles, balustrades, claires-voies et clochetons, et d'assises basses pour les contre-forts. Quant aux remplissages des voûtes, ils sont faits en petits matériaux 237. Ces porches, comme toute la construction de l'église de Saint-Urbain, élevée d'un seul jet, datent des dernières années du XIIIe siècle, et sont une des oeuvres les plus hardies et les plus savantes du moyen âge. Le XIVe siècle n'atteignit pas cette légèreté, et surtout cette largeur de composition, dans les oeuvres du même genre qu'il eut à élever. Ainsi le porche méridional de l'église Saint-Ouen de Rouen, bâti vers la fin du XIVe siècle, est loin d'avoir cet aspect ample et léger; il est plus lourd et surchargé de détails, qui nuisent à l'ensemble. Le porche occidental de l'église de Saint-Maclou, à Rouen, est certainement un des plus riches qu'ait élevés le XVe siècle, mais il prend toute l'importance d'une façade, et ne semble pas avoir cette destination spéciale si bien indiquée à Saint-Urbain de Troyes 238. La disposition du porche de Saint-Maclou a cela d'intéressant cependant, qu'elle se prête à la configuration des voies environnantes, et que les arcs latéraux forment en plan deux pans coupés très-obtus avec l'arc central, pour donner à la foule des fidèles un accès plus facile.

L'église de Saint-Germain l'Auxerrois, à Paris, possède un porche du commencement du XVe siècle, qui est parfaitement conçu. Il s'ouvre sur la face par trois arcades principales qui comprennent la largeur de la nef, et par deux arcades plus étroites et plus basses, au droit des collatéraux; une arcade semblable de chaque côté, en retour, donne des issues latérales. Les voûtes fermées sur les deux travées extrêmes plus basses sont surmontées de deux chambres couvertes par des combles aigus et éclairées par de petites fenêtres percées dnns les tympans rachetant la différence de hauteur entre les grands et les petits arcs. Une balustrade couronne cette construction couverte en terrasse, sous la rose, dans la partie centrale.

La sculpture et les détails de ce porche, bien des fois retouchés et depuis peu grattés à vif, manquent de caractère, sont mous et pauvres. Le porche de l'église de Saint-Germain l'Auxerrois n'est bon à étudier qu'au point de vue de l'ensemble et de ses heureuses proportions. La porte centrale qui s'ouvre sur la nef date en partie du XIIIe siècle, c'est le seul fragment de cette époque que l'on retrouve dans tout l'édifice rebâti pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles. Le parti adopté dans la construction de ce porche nous paraît remplir assez bien les conditions imposées par les besoins d'une grande église paroissiale, pour que nous en présentions ici (fig. 33) l'aspect général.

On observera que les arcades d'extrémités, étant plus basses que celles centrales, les fidèles réunis sous ce vestibule extérieur, profond d'ailleurs, sont parfaitement abrités du vent et de la pluie, bien que la circulation soit facile. On n'en saurait dire autant des portiques, péristyles ou porches, prétendus classiques, établis au devant des églises bâties depuis deux siècles. Les péristyles de Saint-Sulpice, de la Madeleine, de Saint-Vincent de Paul, de Notre-Dame de Lorette, présentent peut-être une décoration majestueuse, mais ils sont, contre le vent, la pluie ou le soleil, un obstacle insuffisant.

Sur la face méridionale de l'église collégiale de Poissy, on remarque encore les restes d'un joli porche du XVIe siècle; mais cet appendice, reconstruit vers 1821, a perdu son caractère. Un des plus beaux porches élevés à cette époque est sans contredit celui qui abrite la porte méridionale de la cathédrale d'Alby 239. Ce porche est un véritable dais porté sur des piliers en avant de l'entrée de l'église. Il s'élève au sommet d'un grand emmarchement autrefois défendu, à sa partie inférieure, par un ouvrage fortifié dont on voit des restes assez importants.

Nous donnons (fig. 34) le plan du porche de la cathédrale d'Alby avec l'emmarchement qui le précède et la défense antérieure. Les arcades A et B s'ouvraient sur une vaste plate-forme entourée de murs crénelés.

La figure 35 présente une vue perspective de ce porche prise du côté de l'emmarchement.

Le porche de la cathédrale d'Alby est une des compositions des dernières écoles du moyen âge, et produit un merveilleux effet: bâti de pierre blanche, il se détache sur le ton de brique de l'église et sur le ciel de la manière la plus pittoresque; sa position, si bien choisie au sommet d'un long degré, en fait l'entrée la plus imposante qu'on puisse imaginer. Autrefois une longue et haute claire-voie vitrée s'ouvrait au-dessus de la porte, sous la voûte du porche, et donnait une grande lumière dans l'église, d'ailleurs très-sombre 240.

Nous n'avons pu, dans cet article, donner tous les exemples de porches d'églises qui méritent d'être mentionnés; nous nous sommes bornés à reproduire ceux qui présentent un caractère bien franc, qui accusent clairement leur destination, et dont la composition offre cette originalité due à des artistes de talent. Les églises de France sont certainement celles qui présentent les exemples les plus variés, les mieux entendus et les plus grandioses de porches du moyen âge. En Allemagne, ils sont rares; en Angleterre, habituellement bas et petits. Mais certainement, nulle part en Europe, ni en Italie, ni en Espagne, ni en Allemagne, ni en Angleterre, on ne voit des porches qui puissent être comparés, même de loin, à ceux de Chartres, de Saint-Urbain, de Saint-Maclou, de la cathédrale d'Alby, de Saint-Ouen de Rouen, et de Saint-Germain l'Auxerrois.

Note 230: (retour) 1 Voyez l'article CATHÉDRALE, t. II, p. 280 et suiv.--Voyez aussi les Entretiens sur l'architecture, t. I, p. 263 et suiv.
Note 231: (retour) Il faut noter ici (voy. CATHÉDRALE, fig. 19) que le portail de la cathédrale d'Amiens n'a pas été élevé conformément à son tracé primitif. Mais en admettant même ce plan primitif, nous ne pouvons voir, non plus qu'à la cathédrale de Laon, dans ces ébrasements prononcés des portes, ce qui constitue un porche, c'est-à-dire un vestibule ouvert ou fermé.
Note 232: (retour) Voyez la Monographie de la cathédrale de Chartres, par M. Lassus.--L'ouvrage de M. Gailhabaud, sur l'architecture du Ve au XVIe siècle.--Les exemples de décoration de M. Gaucherel.
Note 233: (retour) La tombe de l'architecte Libergier est aujourd'hui placée dans la cathédrale de Reims; elle était, avant la démolition de l'église de Saint-Nicaise, placée dans ce monument.
Note 234: (retour) L'église de Saint-Nicaise a été démolie depuis la fin du dernier siècle. En ordonnant cette démolition, les gens de Reims ont privé leur ville et la France d'un des plus beaux monuments de l'art au XIIIe siècle. Heureusement les documents sur cet édifice ne font pas trop défaut; on en possède des plans et quelques gravures, entre autres celle de la façade, qui est un véritable chef-d'oeuvre et qui est due au graveur rémois De-Son. Cette pièce rare date de 1625.
Note 235: (retour) Nous avons très-souvent l'occasion de parler de cette jolie église, qui présente le développement le plus complet et le plus extraordinaire de cette architecture champenoise du XIIIe siècle (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CONSTRUCTION, fig. 102, 103, 104, 105, 106; FENÊTRE, PILIER).
Note 236: (retour) C'est l'arc-boutant marqué Y sur le plan (fig. 30).
Note 237: (retour) Pour le système de construction adopté à Saint-Urbain de Troyes, voyez, à l'article CONSTRUCTION, les figures 103, 104, 105 et 106.
Note 238: (retour) Voyez les belles photographies que MM. Bisson frères ont faites de ce porche.
Note 239: (retour) Voyez CATHÉDRALE, fig. 50.
Note 240: (retour) M. Daly, architecte diocésain d'Alby, a été depuis peu chargé de restaurer ce porche, et s'est acquitté de cette tâche difficile avec un talent remarquable.


PORCHES ANNEXES À DES CONSTRUCTIONS CIVILES.--Les articles ESCALIER, PERRON, donnent quelques exemples de porches combinés avec les degrés principaux des palais et châteaux. Sur la voie publique, il n'était pas possible d'établir des porches en avant des maisons. Celles-ci possédaient parfois des portiques continus ou des saillies en encorbellement formant abri, ou encore de véritables auvents à demeure (voy. AUVENT, MAISON). Les porches proprement dits eussent gêné la circulation, surtout dans les villes du moyen âge, dont les rues sont généralement étroites. Quelquefois, dans les cours, un pavillon portant son angle saillant sur un seul pilier formait un petit porche devant une entrée ou à l'issue d'une allée, ainsi que le fait voir la figure 36 241.

À l'angle d'une place publique ou d'un carrefour, on laissait aussi, dans certains cas, sous une maison, un espace couvert et ajouré sur la voie publique; mais ces abris étaient des loges plutôt que des porches, on en établissait près des marchés: c'étaient des parloirs, ce qu'on appelle aujourd'hui des bourses, sur une petite échelle 242.

Cependant les vignettes des manuscrits du XVe siècle présentent fréquemment des porches assez importants devant des hôtels, sur la voie publique; et ces porches sont toujours figurés comme étant relativement très-ornés. Un beau manuscrit de cette époque, appartenant à la bibliothèque de Troyes (nº 178), donne un porche d'hôtel dont voici en plan la disposition (fig. 37).

Le porche A est placé à l'angle du bâtiment et forme tambour dans l'intérieur. L'élévation perspective fournie par le manuscrit est reproduite par notre figure 38.

Ce porche est très-petit d'échelle, ce n'est qu'un abri pouvant contenir quatre personnes. C'était ce qui convenait à l'entrée d'une habitation. Au-dessus de la console portant la retombée du gâble de face, est placée une de ces statues de la sainte Vierge, si fréquentes dans les carrefours des villes du moyen âge et aux angles des rues.

Mais la forme des porches la plus habituellement adoptée devant les constructions civiles, telles que hospices, maladreries, maisons de réunion de bourgeois, habitations rurales, est celle que retrace notre figure 39.

Ces annexes se composaient d'un bahut avec pilettes de pierre sur lesquelles des sablières de bois portaient une charpente lambrissée dont l'écartement n'était maintenu que par des entraits retroussés. La légèreté de ces sortes de constructions n'a pas permis qu'elles arrivassent jusqu'à nous, et s'il en reste encore quelques débris, c'est qu'ils ont été engagés au milieu de bâtisses plus récentes. Dans les contrées du Nord, en Suède, en Angleterre même, on a continué fort tard à élever des porches suivant ce système; aussi en trouve-t-on encore quelques-uns debout, d'autant que les charpentes mises en oeuvre étaient, dans ces pays, beaucoup plus épaisses que celles adoptées en France. Il était d'usage aussi, dans la Flandre, d'élever des porches en bois en avant des ponts-levis des châteaux et manoirs, afin de mettre à couvert les gens qui attendaient qu'on leur permît d'entrer; mais, chez nous, ces sortes d'ouvrages ont toujours l'apparence d'un châtelet, ou tout au moins d'un corps de garde défendu (voy. PORTE).

Nous n'avons donné qu'un petit nombre des exemples que fournissent les porches du moyen âge, relativement à leur abondance, car, ces annexes devant être élevées sur des programmes non uniformes, il était naturel de varier leur aspect, autant que leur structure et leur disposition générale. Il est beaucoup de porches importants que nous avons mentionnés, et qui demanderaient une étude toute spéciale: tels sont les porches de Notre-Dame de Chartres, ceux de la cathédrale de Bourges, ceux de Saint-Maclou de Rouen, de l'église de Louviers, et, parmi les porches beaucoup plus anciens, ceux de Saint-Front de Périgueux, des églises de l'Auvergne, celui de Notre-Dame des Doms à Avignon, etc. Quant aux annexes en dehors des portes, qui, pour nous, à cause de leur peu de saillie, ou plutôt à cause de leur liaison intime avec l'édifice auquel elles appartiennent, ne sauraient être considérées comme des porches, nous les classons dans les portails.

Note 241: (retour) Voyez, à l'article MAISON, le plan et l'élévation de l'hôtel de la Trémoille (fig. 36 et 37), la tourelle formant porche à rez-de-chaussée, à l'entrée de l'allée conduisant au jardin. Voyez aussi l'article TOURELLE.


PORT, s. m. Il ne nous reste que peu de traces des ports maritimes établis pendant le moyen âge. Les dispositions des ports changeant sans cesse par suite des développements du commerce, on ne doit point être surpris de ne plus trouver des ports datant de plusieurs siècles, conservés entiers. Cependant, dès le XIe siècle, les côtes de France possédaient des ports assez importants. Sans parler des ports de la Méditerranée, qui, comme celui de Marseille, dataient d'une époque très-reculée, on comptait encore à cette époque ceux de Fréjus, d'Agde, de Narbonne, d'Antibes, qui pouvaient réunir un grand nombre de navires. Tout porte à croire que le port antique de Marseille, pratiqué encore pendant le moyen âge, occupait la place du vieux port de cette ville. Sur les côtes de l'Océan, il y avait, au XIIe siècle, des ports à Bordeaux, à la Rochelle, à l'embouchure de la Loire, à Brest, et dans la Manche, à Saint-Malo, à Granville, à Cherbourg, à Caen, à Dieppe, à Boulogne, à Wissant.

Ces ports furent, la plupart, étendus et protégés par des travaux importants pendant les XIIIe et XIVe siècles. On voit encore à l'entrée des ports de Marseille une des tours qui défendaient le goulet du port, et qui date du XIVe siècle. À l'entrée du port de la Rochelle, il existe aussi une belle tour, dont les soubassements sont fort anciens et dont le couronnement date du XIVe siècle, qui défendait le chenal. Elle se reliait à un ouvrage élevé de l'autre côté du goulet fermé par une sorte de herse. M. Lisch, architecte, a découvert des traces très-intéressantes de ces défenses, et doit en faire le sujet d'un travail qui sera rendu public. La même ville possède un beau phare datant des XIVe et XVe siècles, lequel est encore entier; bien qu'il ne soit plus employé à cet usage. À Aigues-Mortes, le roi Louis IX fit tout d'abord établir à l'entrée du port qui lui servit de base d'opérations pour ses expéditions d'outre-mer, une tour très-importante qui était couronnée par un feu, et qui est connue aujourd'hui sous le nom de tour de Constance.

Les ports étaient fermés, pendant le moyen âge, par des chaînes et même quelquefois par des herses qui étaient suspendues entre deux tours séparées par le chenal. Il faut dire qu'à cette époque, les navires du plus fort tonnage n'avaient que 6 à 7 mètres de largeur entre bordages.

L'emploi des jetées était dès lors habituel, comme il l'est de nos jours, soit pour abriter les passes pendant les gros temps, soit pour maintenir la profondeur d'un chenal et empêcher son ensablement. Les soubassements de la jetée occidentale de Dieppe sont fort anciens et existaient avant le XVIe siècle, puisque à cette époque cette jetée fut reconstruite en partie. Mais le peu de ressources dont on pouvait disposer alors pour entreprendre les travaux dispendieux, devenus si fréquents aujourd'hui, faisait, toutes les fois que la disposition des côtes le permettait, qu'on profitait d'une embouchure de cours d'eau ou d'un étang pour faire un port; et alors, au besoin, on établissait des canaux de communication avec la mer lorsque, comme cela est fréquent pour les étangs salés, les goulets naturels étaient ensablés ou même bouchés totalement. C'est ainsi que les étangs qui formaient le port d'Aigues-Mortes avaient été mis en communication avec la haute mer. C'est ainsi que saint Louis avait fait creuser le canal de Bouc, qui permettait de faire entrer des navires dans l'étang de Berre, près de Marseille.



PORTAIL, s. m. Avant-porte. Ébrasements ménagés extérieurement en avant des portes principales des églises pour former un abri. Ce qui distingue le portail du porche, c'est que le portail ne présente pas, comme le porche, une avancée en hors-d'oeuvre, mais dépend des portes elles-mêmes. Bien que les portes des cathédrales de Paris, de Bourges, d'Amiens, de Reims, de Rouen, de Sens, de Senlis, soient abritées par des voussures profondes surmontées même de gâbles, comme à Amiens et à Reims, cependant on ne saurait donner à ces saillies le nom de porches.

Les portails de nos grandes églises ont fourni aux architectes du moyen âge des motifs splendides de décoration. Ils sont ornés habituellement de nombreuses statues, de figures et de bas-reliefs, sur les pieds-droits en ébrasement, sur les voussures et dans les tympans au-dessus des portes. Cette disposition des portails d'églises appartient à notre pays, à l'architecture issue de l'Île-de-France au XIIe siècle, et certainement on y reconnaît la marque d'un sentiment vrai et grand de l'art décoratif. Entourer ainsi les portes principales des églises d'un monde de statues et de bas-reliefs formant parfois une suite de scènes dramatiques, c'est une idée hardie, neuve, et qui produit un grand effet, car on ne saurait fournir une place plus favorable au statuaire. Les ébrasements obliques, éclairés par le soleil de la manière la plus variée, donnent aux sculptures un relief qui semble leur prêter la vie. Aussi la plupart de ces grands portails, tels que ceux de Notre-Dame de Paris, de Reims, d'Amiens, forment de véritables poëmes en pierre qui attirent toujours l'attention de la foule (Voy. CATHÉDRALE, PORTE.)



PORTE, s. f. Baie servant d'issue, au niveau d'un sol. Toute porte se compose de deux jambages, d'un linteau ou d'un cintre. Les jambages possèdent un tableau et une feuillure destinée à recevoir les vantaux. Nous diviserons cet article en portes fortifiées de villes et châteaux; en portes de donjons et tours; en poternes; en portes d'abbayes; en portes d'églises, extérieures et intérieures; en portes de palais et maisons, extérieures et intérieures.



PORTES FORTIFIÉES tenant aux enceintes de villes, châteaux, manoirs.--Il existe encore en France quelques portes romaines et gallo-romaines qui présentent les caractères d'une issue percée dans une enceinte et protégée par des défenses. Telles sont les portes de Nîmes, d'Arles, de Langres, d'Autun: les premières antérieures à l'établissement du christianisme; celles d'Autun datant du IVe ou Ve siècle. Ces portes sont toutes dressées à peu près sur un même plan. Elles consistent en deux issues, l'une pour l'entrée, l'autre pour la sortie des chariots, et en deux passages pour les piétons; elles sont flanquées extérieurement de deux tours semi-circulaires formant une saillie prononcée. Les portes d'Arroux et de Saint-André, à Autun, sont surmontées, au-dessus des deux arcs donnant passage à travers l'enceinte, d'un chemin de ronde à claire-voie, qui pouvait servir au besoin de défense. Les baies, s'ouvrant sur la voie publique, n'étaient fermées que par des vantaux de menuiserie, sans herses ni ponts mobiles 243.

La porte de Saint-André, à Autun, est l'une des plus complètes de toutes celles que nous possédons en France, et se rapproche de l'époque du moyen âge 244. Elle est d'ailleurs entièrement tracée sur le modèle antique, et possède deux voies A (fig. 1), deux issues pour les piétons B, deux tours C, servant de postes militaires, avec leurs deux escaliers D montant aux étages supérieurs 245. On retrouve encore sur la voie en A des fragments nombreux de ce pavé romain en gros blocs irréguliers. Au droit des deux poternes B étaient établis des trottoirs, et en E était creusé un large fossé dont on aperçoit encore le profil. La voie formait une chaussée qui s'étendait extérieurement assez loin dans la vallée, comme pour mettre en évidence les arrivants.

L'ouvrage principal (fig. 2) est construit en gros blocs de grès posés jointifs, sans mortier, suivant la méthode romaine. On voit, dans notre figure 2, le chemin de ronde supérieur percé d'arcades d'outre en outre et communiquant avec le premier étage des tours et le chemin de ronde des courtines. Ces tours possédaient encore au-dessus deux autres étages, réservés à la défense, l'un couvert par une voûte, et le dernier à ciel ouvert. On y arrivait par les escaliers à double rampe indiqués sur le plan.

Nous nous sommes souvent demandé, en voyant les portes des villes de Pompéi, de Nîmes, d'Autun, de Trèves, toutes si bien disposées pour l'entrée des chariots et des piétons, pourquoi, depuis qu'on a prétendu revenir aux formes de l'antiquité grecque et romaine, on n'avait jamais adopté ce parti si naturel des issues jumelles? La réponse à cette question, c'est que l'on s'est fait une sorte d'antiquité de convention, lorsqu'on a prétendu en prescrire l'imitation. Placer un pilier dans le milieu d'une voie paraîtrait, aux yeux des personnes qui ont ainsi faussé l'esprit de l'antiquité, se permettre une énormité. Beaucoup d'honnêtes gens considèrent les portes Saint-Denis et Saint-Martin à Paris, si peu faites pour le passage des charrois, comme étant ce qu'on est convenu d'appeler une heureuse inspiration d'après les données de l'antiquité. Mais pour l'honneur de l'art antique, jamais les Romains, ni les Grecs byzantins, ni les Gallo-romains, n'ont élevé des portes de ville aussi mal disposées. Leurs portes sont larges, doubles, et n'ont jamais, sous clef, une hauteur supérieure à celle d'un chariot très-chargé. Elles sont accompagnées de poternes, ou portes plus petites pour les piétons, profondes; c'est-à-dire formant un passage assez long, plus long que celui des baies charretières, afin de permettre au besoin un stationnement nécessaire. Quelquefois même ces poternes sont accompagnées de bancs et d'arcades donnant sur le passage des chariots. Telle est, par exemple, la disposition de la porte dite d'Auguste, à Nîmes.

Les tours et remparts touchant à la porte de Saint-André d'Autun sont construits en blocages revêtus extérieurement et intérieurement d'un parement de petits moellons cubiques, suivant la méthode gallo-romaine. Bien que les détails de cette porte soient médiocrement tracés et exécutés, l'ensemble de cette construction, ses proportions, produisent l'effet le plus heureux.

Mais on conçoit que ces portes n'étaient pas suffisamment couvertes, fermées et défendues pour résister à une attaque régulière. Il est vrai, qu'en temps de siége, on établissait, en avant de ces entrées, des ouvrages de terre et bois, sortes de barbacanes qui protégeaient ces larges issues. Ces ouvrages de terre, avec fossés et palissades, s'étendaient même parfois très-loin dans la campagne, formaient un vaste triangle dont le rempart de la ville était la base et dont le sommet était protégé par une tour ou poste en maçonnerie. À Autun même, on voit encore, de l'autre côté de la rivière d'Arroux, un de ces grands ouvrages triangulaires de terre, dont les deux côtés aboutissaient à deux ponts et dont le sommet était protégé par un gros ouvrage carré en maçonnerie, connu aujourd'hui sous le nom de temple de Janus, et qui n'était en réalité qu'un poste important tenant l'angle saillant d'une tête de pont. Ce qui reste de cette tour carrée fait assez voir qu'elle était dépourvue de portes au niveau du rez-de-chaussée, et qu'on ne pouvait y entrer que par une ouverture pratiquée au premier étage et au moyen d'une échelle ou d'un escalier de bois mobile.

Quand le sol gallo-romain fut envahi par les hordes venues du nord-est, beaucoup de villes ouvertes furent fortifiées à la hâte. On détruisit les grands monuments, les temples, les arènes, les théâtres, pour faire des remparts percés de portes flanquées de tours. On voit encore à Vesone (Périgueux), près de l'ancienne cathédrale du Xe siècle, une de ces portes. Il n'y a pas longtemps qu'il en existait encore à Sens, à Bourges, et dans la plupart des villes de l'est et du sud-est du sol gaulois. Beaucoup de ces ouvrages furent même construits en bois, comme à Paris, par exemple.

Quand plus tard les Normands se jetèrent sur les pays placés sous la domination des Carlovingiens, les villes durent de nouveau établir à la hâte des défenses extérieures, afin de résister aux envahisseurs. Ces ouvrages ne devaient pas avoir une grande importance, car il ne paraît pas qu'ils aient opposé des obstacles bien sérieux aux assaillants; les récits contemporains les présentent aussi généralement comme ayant été élevés en bois; et d'ailleurs l'art de la défense des places n'avait pas eu l'occasion de se développer sous les premiers Carlovingiens.

Ce n'est qu'avec l'établissement régulier du régime féodal que cet art s'élève assez rapidement au point où nous le voyons arrivé pendant le XIIe siècle. Les restes des portes d'enceintes de villes ou de châteaux antérieures à cette époque, toujours modifiées postérieurement, indiquent cependant déjà des dispositions défensives bien entendues. Ces portes consistent alors en des ouvertures cintrées permettant exactement à un char de passer: c'est dire qu'elles ont à peine 3 mètres d'ouverture sur 3 à 4 mètres de hauteur sous clef. Il n'était plus alors question, comme dans les cités élevées pendant l'époque gallo-romaine, d'ouvrir de larges ouvertures au commerce, aux allants et venants, mais au contraire de rendre les issues aussi étroites que possible, afin d'éviter les surprises et de pouvoir se garder facilement. De grosses tours très-saillantes protégeaient ces portes.

Nous ne trouvons pas d'exemple complet de portes de villes ou châteaux avant le commencement du XIIe siècle. Un de ces exemples, parvenu jusqu'à nous sans altération aucune, se voit au château de Carcassonne, et il remonte à 1120 environ.

Nous donnons (fig. 3) le plan de cette porte à rez-de-chaussée. On arrive à l'entrée par un pont défendu lui-même par une large barbacane bâtie au XIIIe siècle 246. Le tablier de ce pont A, dont les parapets sont crénelés 247, est interrompu en B, et laisse en avant de l'entrée une fosse de 3 mètres environ de longueur sur 3 mètres de largeur. Un plancher mobile, que l'on enlevait en cas de siége, couvrait ce vide. La porte, qui n'a pas 2 mètres de largeur sur 2m,30 de hauteur, est surmontée d'un large mâchicoulis, fermée par une herse C, un vantail D et une seconde herse E. Un poste placé dans la salle F de la tour de gauche avait son entrée en G, sous le passage. Un second poste H, placé dans la tour de droite, avait son entrée sous un portique donnant sur la cour intérieure du château. En K, est un très-large fossé. Des meurtrières disposées dans les deux salles F et H commandent l'entrée et les dehors. On ne pouvait monter aux étages supérieurs de cette porte que par des escaliers de bois posés le long du parement intérieur de l'ouvrage en I.

Le plan (fig. 4) est pris au niveau de la chambre O de la seconde herse tombant dans la coulisse P, formant aussi mâchicoulis. On arrive à cette chambre par la salle L et par l'escalier M. Deux trous carrés R, percés dans le sol des deux salles des tours, traversent la voûte des salles du rez-de-chaussée et correspondent à deux autres trous percés dans les voûtes du premier étage, de manière à mettre en communication les défenseurs postés à l'étage supérieur avec les servants de la seconde herse et avec les gens des postes inférieurs. Ces trous, qui ont 0m,63 de largeur sur 0m,50 de large, permettaient même au besoin de placer des échelles. Mais ils étaient surtout percés pour faciliter le commandement, qui partait toujours de la partie supérieure des défenses.

La figure 5 présente la coupe longitudinale de la porte faite sur l'axe. On voit, en B, l'interruption du tablier du pont; en C, la coulisse de la première herse, et en D, la coulisse de la seconde. La première herse est manoeuvrée de l'étage supérieur, en E, placé immédiatement sous le plancher réservé aux défenseurs. La seconde herse est manoeuvrée de la chambre dont nous avons donné le plan (fig. 4). Les trous des hourds de la défense supérieure sont apparents en G 248. Devant la première herse est disposé un grand mâchicoulis; un second mâchicoulis est percé devant la seconde herse. En H, nous donnons la coupe de la chambre de la herse faite sur la ligne abcd du plan (fig. 4), avec les salles voûtées du rez-de-chaussée et du premier étage. La coupe (fig. 5) montre également les escaliers de bois qui permettent de monter de la cour du château, soit à la chambre de la herse, soit à l'étage supérieur. Une première porte de bois était disposée en avant de la fosse, sur le pont, en I, afin de commander le tablier de celui-ci. Cet espace en avant de la première herse était abrité des traits qu'auraient pu lancer les assaillants, par un petit comble en appentis, laissant d'ailleurs passer les projectiles tombant du premier mâchicoulis. Ainsi, en cas d'attaque, une garde postée sur le tablier mobile couvrait d'abord le tablier du pont fixe de projectiles. Si l'on prévoyait que la porte I allait être forcée, on faisait tomber le tablier mobile. Du haut de la tour d'où l'on pouvait facilement voir les dispositions de l'attaque, on laissait couler la herse, on fermait le vantail derrière elle, et l'on commandait, au besoin, de laisser tomber la seconde herse. Alors toute la défense agissait du haut, soit par les hourds, soit par les meurtrières, soit par le grand mâchicoulis. Si l'on voulait prendre l'offensive et faire une sortie, on commandait du haut de lever la seconde herse, on massait son monde sous le passage de la porte, on préparait une passerelle, on faisait lever la première herse et l'on ouvrait le vantail. Était-on repoussé, on rentrait quelquefois ayant l'ennemi derrière soi; mais en laissant du haut tomber la première herse, on séparait ainsi les assaillants les plus avancés de la colonne massée sur le pont et on les faisait prisonniers.

La figure 6 est une vue perspective de la porte prise du pont, en supposant la défense de bois et son appentis enlevés. Sur les flancs des tours on voit les deux corbeaux destinés à porter la traverse postérieure de cet appentis. La première herse est supposée levée et la fosse non fermée par son tablier mobile. Sauf les herses qui ont été supprimées, mais dont toutes les attaches et les moyens de suspension sont apparents, cette porte n'a subi aucune dégradation. Il faut ajouter que la fosse a été remplacée par une voûte moderne. Cette construction est faite de petites pierres de grès jaune et est exécutée avec grand soin. Les salles sont voûtées en calotte avec de petits moellons bien taillés. Les combles qui recouvrent cette entrée ont été refaits depuis peu dans la forme indiquée sur la coupe longitudinale.

Les moyens d'attaque des places fortes de cette époque admis, moyens qui ne consistaient qu'en un travail de sape, fort long et périlleux puisqu'il était impossible de battre en brèche des tours et courtines dont les murs avaient une forte épaisseur, faisaient que les assaillants cherchaient toujours à brusquer un assaut ou à surprendre l'ennemi. Si les tours et courtines avaient trop de relief pour qu'il fût possible de tenter unc escalade, surtout lorsque les parapets étaient garnis de hourds, on essayait de s'introduire dans la place par surprises ou par une attaque brusquée sur les portes. Dès lors les assiégés accumulaient autour de ces portes les moyens de défense; on doublait les herses, les vantaux, les obstacles, et l'on séparait les treuils de ces herses afin de rendre les trahisons plus difficiles. Ainsi, dans l'exemple que nous venons de présenter, on voit que la première herse, celle qui ferme l'issue à l'extérieur, est manoeuvrée du haut; c'est-à-dire de l'étage où tous les défenseurs de la porte sont réunis, où se trouve nécessairement le capitaine. Les gens chargés de cette manoeuvre, ainsi entourés du gros du poste, sous les yeux du commandant, pouvaient difficilement trahir. La chambre de la seconde herse est totalement séparée du premier treuil. Les hommes chargés de manoeuvrer cette seconde herse ne voyaient pas ce qui se passait à l'extérieur, et ne pouvaient s'entendre avec ceux postés au premier treuil. Ils pouvaient même être enfermés dans cette chambre. On évitait ainsi les chances de trahison: car il faut dire qu'alors les défenseurs comme les assaillants d'une place étaient recrutés partout, et ces troupes de mercenaires étaient disposées à se vendre au plus offrant; beaucoup de places étaient prises par la trahison d'un poste, et toutes les combinaisons des architectes militaires devaient tendre à éviter les relations des postes chargés de la manoeuvre des fermetures avec les dehors, à les isoler complétement ou à les placer sous l'oeil du capitaine.

Les surprises des places par les portes étaient si fréquentes, que non-seulement on multipliait les obstacles, les fermetures dans la longueur de leur percée, mais qu'on plaçait, au dehors, des barbacanes, des ouvrages avancés qui en rendaient l'approche difficile, qui obligeaient les entrants à des détours et les faisaient passer à travers plusieurs postes.

Aujourd'hui, lorsqu'on assiége régulièrement une place, on établit la première parallèle à 600 ou 800 mètres, et en cheminant peu à peu vers le point d'attaque par des tranchées, on établit les batteries de brèche le plus près possible de la contrescarpe du fossé; les assiégeants, avec l'artillerie à feu, ne se préoccupent guère des portes que pour empêcher les assiégés de s'en servir pour faire des sorties. Mais lorsque l'attaque d'une place ne pouvait être sérieuse qu'au moment où l'on attachait les mineurs aux remparts, on conçoit que les portes devenaient un point faible. L'attaque définitive étant extrêmement rapprochée, toute ouverture, toute issue devait provoquer les efforts de l'assiégeant.

En étudiant les portes fortifiées des places du moyen âge, il est donc très-important de reconnaître les dehors et de chercher les traces des ouvrages avancés qui les protégeaient; car la porte elle-même, si bien munie qu'elle soit, n'est toujours qu'une dernière défense précédée de beaucoup d'autres.

La porte de Laon à Coucy-le-Château est, il ce point de vue, l'une des plus belles conceptions d'architecture militaire du commencement du moyen âge. Bâtie, ainsi que les remparts de la ville et le château lui-même, tout au commencement du XIIIe siècle par Enguerrand III, sire de Coucy 249, elle donne entrée dans la ville en face du plateau qui s'étend du côté de Laon. Cette porte, placée en face de la langue de terre qui réunit le plateau à la ville de Coucy, donnait une entrée presque de niveau dans la cité; mais à cause de cette situation même, elle demandait à être bien défendue, puisque cette langue de terre est le seul point par lequel on pouvait tenter d'attaquer les remparts, dominant, sur tout le reste de leur périmètre, des escarpements considérables. Au commencement du XIIIe siècle, voici quel était le système défensif des abords de cette porte (fig. 7).

En A, était tracée la route de Laon, reportée aujourd'hui en B; en C, une voie descendant dans la plaine et allant vers Chauny 250. En D, était une grande barbacane dans laquelle se réunissaient les deux voies pour atteindre un viaduc E, admirablement construit sur arcades en tiers-point. Ce viaduc aboutissait à une tour G, bâtie dans l'axe de la porte H. Du point de jonction F des routes au point E, ce viaduc s'élevait par une pente sensible vers la ville. Il était de niveau du point E au seuil de la porte, du seuil de cette porte au point H sous le couloir de l'entrée, il existait encore une pente. Des salles inférieures de la porte, par un souterrain d'abord, percé sous le passage, et par des baies percées dans chacune des piles du viaduc, on arrivait au niveau D de la barbacane, sous la voie supérieure. Ainsi, de la ville, et sans ouvrir aucune des herses et vantaux de la porte elle-même, sans abaisser le pont à bascule, sans ouvrir les vantaux des baies de la tour G, les défenseurs pouvaient se répandre dans l'enceinte de la barbacane, se porter aux issues L et K, à la tour du coin P et sur les chemins de ronde terrassés garnis de palissades. Si la barbacane était forcée, les défenseurs pouvaient rentrer dans la ville, sous le viaduc, sans qu'on fût obligé d'ouvrir les vantaux des portes de la tour G, non plus que les herses de l'ouvrage principal. Plus tard, vers la fin du XVe siècle, un beau boulevard revêtu et encore entier fut construit sur l'emplacement de la tour G, dont les substructions restèrent engagées ainsi au milieu du terre-plein; le viaduc fut maintenu et en partie englobé dans les maçonneries du boulevard.

Le plan (fig. 8) donne l'ensemble de ces constructions successives. Ce plan est pris au niveau de l'étage inférieur de la porte. De la ville on descend, par deux escaliers A, dans deux salles basses B, et de ces salles dans le souterrain C. On suivait le viaduc dans sa longueur sur des ponts volants D, posés d'une pile à l'autre jusqu'à la grande barbacane et en traversant l'étage inférieur de la tour G. Nous verrons tout à l'heure le détail de l'amorce de ce passage avec la porte, et du pont à bascule placé en E. Notre plan donne, en teinte plus claire, le boulevard construit vers la fin du XVe siècle, et qui est d'un grand intérêt pour l'histoire des défenses appliquées à l'artillerie à feu 251. Alors les ingénieurs se servirent du passage souterrain pour permettre d'arriver aux galeries inférieures de ce boulevard. Ils fermèrent seulement les arcades I par de la maçonnerie et comblèrent le passage des ponts volants. Vers la partie détournée, le viaduc ne servit plus que de pont passant sur un fossé, pour atteindre, du plateau, le niveau de la plate-forme du boulevard 252. Les espaces K formaient fossé séparant le plateau de la ville et déclinant à droite et à gauche vers les escarpements naturels. Les galeries inférieures du boulevard, indiquées sur le plan, étaient percées de nombreuses meurtrières couvrant le fond de ce fossé de feux croisés. Cet aperçu de l'ensemble des défenses de la porte de Laon à Coucy fait assez connaître l'importance de ce poste militaire, et comme il était puissamment défendu. Examinons maintenant la porte en elle-même, assez bien conservée encore aujourd'hui pour que l'on puisse juger du système adopté par le constructeur 253. Le plan (fig. 8) est pris au-dessous du pavé de la ville, de sorte que le sol des deux salles formant caves non voûtées et des deux salles rondes V est au-dessus du niveau du fond du fossé K. On ne descendait dans ces salles, destinées à servir de magasins, que par des trappes percées dans le plancher et dans la niche P.

La figure 9 donne le plan de la porte, au niveau du pavé de la ville. Ce plan montre le passage pour les chariots et les piétons, se rétrécissant vers l'entrée extérieure.

Ce passage est voûté en berceau tiers-point en A, en B et en C; il est couvert par un plancher en D. En E, est un large mâchicoulis entre deux herses. L'entrée F se fermait par le pont G relevé, et en I était une porte à deux vantaux avec barres. Du couloir D, vers la ville, on entrait par deux portes détournées dans deux salles J, servant de corps de garde. On observera que les deux entrées dans ces salles sont disposées de telle façon que, du passage, on ne puisse voir l'intérieur des postes, ni reconnaître, par conséquent, le nombre d'hommes qu'ils contiennent. Ces postes sont chauffés par deux cheminées K, et éclairés par deux fenêtres L placées au-dessus des deux descentes de caves marquées A sur le plan souterrain. De ces deux postes J, on passe dans les salles circulaires M, percées chacune de trois meurtrières, deux sur le fossé, une sur le passage.

En N, est une des trappes donnant dans une trémie qui correspond à l'étage en sous-sol. Deux escaliers, pris dans l'épaisseur des murs des tours, permettent de monter au premier étage, dont le plan (fig. 10) présente une disposition peut-être unique dans l'art de fortifier les portes au moyen âge. Les deux escaliers que nous venons de signaler arrivent en A dans deux couloirs donnant sur le chemin de ronde R des courtines, et dans les salles rondes B. De ces salles rondes on monte au mâchicoulis M percé entre les deux herses, par deux degrés D. Les salles rondes sont percées de trois meurtrières chacune, donnant sur le dehors 254, et d'une fenêtre F donnant sur la ville. Elles sont, en outre, munies de cheminées C. Par les couloirs E, on arrive, soit à la grande salle S, largement éclairée du côté de la ville par cinq fenêtres, soit aux escaliers à vis qui montent aux défenses supérieures. Des latrines sont disposées en L, et une vaste cheminée s'ouvre en K. On conviendra que ces dispositions, soit comme défenses, soit comme postes, sont remarquablement entendues. La grande salle S, ayant 22 mètres de longueur sur 8 mètres de largeur, pouvait servir de dortoir ou de lieu de réunion à une garde de vingt-cinq hommes, sans compter les défenseurs veillant dans les corps de garde du rez-de-chaussée et dans les trois étages de salles rondes. Ainsi un poste de cinquante à soixante hommes pouvait facilement tenir dans cet ouvrage en temps ordinaire, et, en cas d'attaque, il était aisé de doubler ce nombre de défenseurs sans qu'il y eût encombrement.

Si l'on continue à gravir les deux escaliers à vis, on arrive au second étage (fig. 11), et l'on pénètre, soit dans les deux salles circulaires A, soit dans les deux échauguettes B, donnant entrée sur un chemin de ronde crénelé C, du côté de la ville, et permettant aux défenseurs de surveiller les abords de la porte à l'intérieur. Les salles A sont percées chacune de deux meurtrières, d'une fenêtre F, et communiquent au jeu de la herse, situé en H, et au hourd situé en D, par les deux couloirs G. En montant encore par les escaliers à vis, on arrive au troisième étage (fig. 12), qui est l'étage spécialement consacré à la défense.

Par les couloirs A, on entre dans les salles circulaires B, 0n passe dans les chemins de ronde munis de hourds C, ou sur le chemin de ronde intérieur P. Des salles circulaires, ou du chemin de ronde extérieur C, on arrive au jeu du pont-levis situé au-dessus du hourd protégeant la porte.

Faisant une coupe sur l'axe de la porte, c'est-à-dire sur la ligne ac de la dernière figure, on obtient la figure 13.

Cette figure indique les principales dispositions de cet ouvrage. A est le sol de la ville. On observera que le sol du passage est très-incliné vers l'entrée, afin de donner plus de puissance à une colonne de défenseurs s'opposant à des assaillants qui auraient pu franchir le pont et soulever les herses. En B, on voit, en coupe, le couloir souterrain aboutissant à la poterne de sortie C, laquelle est mise en communication avec les passages pratiqués à travers les piles du pont. Un pont à bascule, pivotant en C et muni de contre-poids, permettait, une fois abaissé, de descendre les degrés D. De ce point il fallait faire manoeuvrer un second pont à bascule, pour franchir les intervalles E, F entre les piles D, G, H. Et ainsi, soit par des ponts à bascule, soit par des passerelles de planches, que l'on pouvait enlever facilement, arrivait-on, à travers la tour G du plan général (fig. 7), jusqu'à la grande barbacane D. Le tablier I du pont (fig. 13) était interrompu en J et remplacé par un pont-levis, non point combiné comme ceux de la fin du XIIIe siècle et des siècles suivants, mais composé d'un tablier pivotant en K, de deux arbres L pivotants, et de deux chaînes passant à travers les mâchicoulis du hourd M; là ces chaînes se divisaient chacune en deux parties, dont l'une s'enroulait sur un treuil et l'autre était terminée par des poids. C'était donc du niveau des hourds N que l'on manoeuvrait le pont-levis, c'est-à-dire au-dessus des mâchicoulis du hourd M. Quant aux deux herses, on les manoeuvrait par un treuil unique; les chaînes enroulées en sens inverse sur ce treuil permettaient, au moyen d'un mécanisme très-simple, de lever l'une des deux herses avant l'autre, mais jamais ensemble. Il suffisait pour cela, quand les herses étaient abaissées, et ne tiraient plus sur le treuil par conséquent, de décrocher les chaînes de la herse qu'on ne voulait pas lever, et de manoeuvrer le treuil, soit dans un sens, soit dans l'autre. L'une des herses levée, on la calait, on décrochait ses chaînes, on rattachait celles de la seconde, et l'on manoeuvrait le treuil dans l'autre sens. Il n'est pas besoin de dire que des contre-poids facilitaient comme toujours le levage. Pour baisser les herses, on raccrochait les chaînes, et on laissait aller doucement sur le treuil l'une des herses, puis l'autre. L'obligation absolue de ne lever qu'une des deux herses à la fois était une sécurité de plus, et nous n'avons vu ce système adopté que dans cet ouvrage.

Mais il est nécessaire d'examiner en détail le mécanisme des ponts et des herses.

En A (fig. 14), nous donnons le plan de la chambre de levage des herses au niveau a de la coupe, et en B, le plan de la plate-forme de levage du pont, au niveau b de la même coupe. On observera d'abord que l'intervalle qui sépare les deux tours, et qui couvre l'entrée, donne en plan une portion de cercle. Deux consoles c forment saillie sur cette portion de cylindre et portaient un hourd de bois d, dont il existe en place des fragments. Ce hourd était posé sur deux pièces de bois horizontales e, et consistait en un empilage d'épais madriers courbes figurés en E dans la coupe. De chaque côté, sur les flancs des tours, étaient fixées deux poulies F destinées à diriger les deux chaînes du pont et à les empêcher de frotter, soit contre le hourd, soit contre la maçonnerie. Au-dessus de ces poulies, en G, les chaînes se partageaient en deux branches: l'une, celle H, allait s'enrouler sur le treuil T, au moyen de la poulie de renvoi h; l'autre, celle I, était tendue par un contre-poids K. En appuyant sur le treuil de fen g, on enroulait la chaîne et l'on soulevait le pont. Cette manoeuvre était facilitée par les contre-poids K. Lorsque ce contre-poids était descendu en l, le pont était complétement relevé. Pour l'abaisser, on appuyait sur le treuil en sens inverse. Sur le plan B est indiquée la position du treuil, et par des lignes ponctuées la projection horizontale des chaînes; la ferme de charpente M étant posée en m sur ce plan. Un deuxième mâchicoulis existait en p. Pour manoeuvrer les deux herses, il était posé à droite et à gauche deux solives jumelles n (voy. le plan B) sur les traverses q (voy. la coupe), reposant elles-mêmes sur les deux épaulements s (voy. le plan A). Ces solives jumelles recevaient chacune deux poulies doubles t t' destinées à recevoir, celle t, les deux chaînes de levage et de contre-poids de la herse extérieure; celle t', les deux chaînes de levage et de contre-poids de la herse intérieure. La coupe fait voir le treuil V, avec la chaîne de levage de la herse intérieure accrochée et la herse O levée, son contre-poids étant par conséquent descendu; la chaîne de levage de la herse extérieure décrochée, celle-ci abaissée et son contre-poids R à son point supérieur, les deux chaînes de levage s'enroulaient sur le treuil en X (voy. le plan A), et les manivelles étaient fixées en Y. Aujourd'hui la construction étant conservée jusqu'au niveau N, les scellements, les corbeaux sont visibles, et pour la partie supérieure nous avons retrouvé les fragments qui en indiquent suffisamment les détails.

Il n'y a rien, dans ce mécanisme, qui ne soit très-primitif; mais ce qu'il est important de remarquer ici, ce sont les dispositions si parfaitement appropriées au besoin, et conservant par cela même un aspect monumental, qui certes n'a point été cherché. Il est évident que les architectes auteurs de pareils ouvrages étaient des gens subtils et réfléchissant mûrement à ce qu'ils avaient à faire. Sur tous les points, les passages, les issues, sont disposés exactement en vue du service de la défense, n'ont que les largeurs et hauteurs nécessaires, et l'architecture n'est bien ici que l'expression exacte du programme. Cependant, à l'extérieur, l'aspect de cette défense est imposant, et rappelle sous une autre forme ces belles constructions antiques des populations primitives.

La figure 15 donne l'élévation extérieure de la porte de Laon, à Coucy, les ponts étant supposés abattus et les herses levées. Les hourds de bois de cet ouvrage étaient évidemment permanents et portés sur des consoles de pierre, comme ceux du donjon du château.

Toute la maçonnerie est élevée en assises de pierres calcaires du bassin de l'Aisne, d'une excellente qualité. Parementées grossièrement, ces assises sont séparées par des joints de mortier épais, et l'aspect rude de ces parements ajoute encore à l'effet de cette structure grandiose. Quand on compare ces ouvrages de Coucy, le donjon, le château, la porte de Laon, les remparts et les tours, aux travaux analogues élevés vers la même époque en Italie, en Allemagne et en Angleterre, c'est alors qu'on peut reconnaître chez nous la main d'un peuple puissant, doué d'une séve et d'une énergie rares, et qu'on se demande, non sans quelque tristesse, comment il se fait que ces belles et nobles qualités soient méconnues, et qu'un esprit étroit et exclusif ait pu parvenir à répudier de pareilles oeuvres en les rejetant dans les limbes de la barbarie?

Une coupe transversale, faite sur l'axe des tours, sur les passages ouverts sur le mâchicoulis et sur la chambre du levage des herses (fig. 16), montre l'intérieur des salles circulaires de ces tours, les passages A sur le chemin de ronde des courtines, la coupe B des hourds et tout le système de la défense à l'intérieur.

Une dernière figure complétera cet ensemble, sur lequel on pourrait publier un volume: c'est l'élévation de la face intérieure de la porte du côté de la ville (fig. 17). L'arcade large, à doubles claveaux, qui donne entrée dans le passage, est d'un effet grandiose. La grande salle du premier étage est bien accusée par ces cinq fenêtres carrées à meneaux, et les deux échauguettes d'angle épaulent de la façon la plus heureuse cette structure si simple.

Cette façade, crénelée à son sommet, fait assez voir que les portes des places bien défendues pouvaient à la rigueur tenir lieu de petites citadelles et se défendre au besoin contre les citoyens qui eussent voulu capituler malgré la garnison. Alors la porte est toujours un poste isolé, commandé par un chef sûr, et pouvant encore résister en cas de trahison ou d'escalade du rempart. Nous faisons ressortir, à l'article ARCHITECTURE MILITAIRE, l'importance de ces postes isolés dans le système défensif du moyen âge, et il ne paraît pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet.

Laissant de côté, pour le moment, des ouvrages d'une moindre importance, mais de la même époque, c'est-à-dire du commencement du XIIIe siècle, nous allons examiner comment, dans l'espace d'un siècle, ces dispositions avaient pu être modifiées dans la construction de portes d'une force semblable.

Sur le flanc oriental de la cité de Carcassonne, il existe une porte défendue d'une manière formidable, et désignée sous le nom de porte Narbonnaise 255. Cette porte et tout l'ouvrage qui s'y rattache avaient été bâtis par Philippe le Hardi, vers 1285, lorsque ce prince était en guerre avec le roi d'Aragon.

Nous présentons (fig. 18) le plan général de cette entrée, avec sa barbacane et ses défenses environnantes 256. La porte Narbonnaise, indiquée en E, n'est pas munie d'un pont-levis; elle s'ouvre sur le dehors de plain-pied, suivant une pente assez roide de l'extérieur à l'intérieur et d'après la méthode défensive de ces ouvrages. Les ponts mobiles n'existaient qu'en B, sur des piles traversant un large fossé en dehors de la barbacane A. L'arrivant, ayant traversé ce pont, se présentait obliquement devant la première entrée C de la barbacane, fermée seulement par des vantaux. Cette entrée C était flanquée pnr un redan D de l'enceinte extérieure, qui la commandait complétement. Un autre redan L, avec forte échauguette sur le rempart intérieur, commandait en outre, à portée d'arbalète, cette entrée C 257. Se détournant vers sa gauche, l'arrivant se trouvait en face de la porte Narbonnaise, défendue par une chaîne, un mâchicoulis, une herse, des vantaux, un grand mâchicoulis intérieur G, un troisième mâchicoulis I, une seconde herse et une porte de bois. Deux meurtrières H sont percées sur le passage entre les deux herses, et dépendent de deux salles à rez-de-chaussée F, dans lesquelles on entre par les portes V. Ces salles sont encore percées chacune de cinq meurtrières. La partie attaquable des tours de la porte est renforcée par des éperons ou becs N, percés chacun d'une meurtrière O. Nous avons expliqué ailleurs 258 la destination spéciale de ces éperons ou becs. Ils obligeaient l'assaillant à s'éloigner de la tangente, et le plaçaient sous les traits des assiégés. Ils rendaient nulle l'action du bélier sur le seul point où l'assiégeant pouvait le faire agir avec succès. Percer la pointe de ces becs par des meurtrières au ras du sol extérieur, était encore un moyen d'empêcher l'attaque rapprochée.

Des salles F, on prenait deux escaliers à vis qui montaient au premier étage, d'où se faisait la manoeuvre des herses. Sous ces salles sont pratiqués de beaux caveaux pour les provisions.

Des palissades de bois P empêchaient le libre parcours des lices entre les remparts extérieur et intérieur, et ne permettaient pas d'approcher du pied des courtines intérieures en M et en K. Les rondes seules pouvaient passer par les barrières N, afin de faire leur service de nuit. Une énorme tour, indiquée au bas de notre figure, et dite tour du Trésau 259, commandait ces lices, et servait encore d'appui à la porte Narbonnaise en battant les dehors par-dessus l'enceinte extérieure.

La figure 19 donne le plan du premier étage de la porte Narbonnaise. Les deux escaliers à vis que nous avons vus indiqués à rez-de-chaussée débouchent dans les deux salles A. Ces deux salles, voûtées comme celles du rez-de-chaussée, possèdent une cheminée C chacune, avec four. De ces deux salles on peut sortir par les deux portes B, sur le chemin de ronde D, s'élevant jusqu'au niveau des coursières E des courtines, par de grands emmarchements. Par les deux passages G on entre de plain-pied dans la salle centrale F, au milieu de laquelle s'ouvre le grand mâchicoulis carré I. En supposant que les assaillants aient pu pénétrer jusqu'à la seconde herse, en forçant les premiers obstacles, on pouvait les accabler de projectiles et de matières enflammées; les défenseurs chargés de cet office se tenaient en arrière dans les deux réduits K, et étaient ainsi parfaitement à l'abri des traits qui auraient pu être lancés par les ennemis, ou soustraits à la fumée et aux flammes des matières accumulées dans le passage. Par les deux couloirs détournés L, les assiégés se rendaient au côté du mâchicoulis antérieur M. De cette salle F, on manoeuvrait la première herse N et l'on servait le troisième mâchicoulis O. En continuant à monter les escaliers H, au-dessus du premier étage, on ne débouche nulle part et l'on arrive à un précipice; de telle sorte que des assaillants ayant pu pénétrer dans ces escaliers à rez-de-chaussée, trouvant les portes fermées et barrées au premier étage et continuant à gravir les degrés comme pour atteindre l'étage supérieur, se trouvaient pris dans une véritable souricière. Pour monter au deuxième étage, celui de la défense, il faut traverser les salles A, et aller chercher les escaliers à vis R qui seuls montent aux crénelages. Pour servir la seconde herse, il fallait franchir les portes B et se rendre sur la plate-forme P. Les servants de cette seconde herse recevaient des ordres du dedans par une petite fenêtre percée au-dessus des mâchicoulis O. Les deux salles A sont percées, sur les dehors, l'une de trois meurtrières, l'autre de quatre, et éclairées du côté de la ville par deux fenêtres. Cette description fait assez connaître le soin minutieux apporté dans l'établissement de cette porte. Mais la coupe longitudinale faite sur ab, que nous présentons (fig. 20), rendra encore cette description plus claire.

Cette coupe nous montre en A la chaîne suspendue d'un côté de la porte à un anneau scellé au flanc de la tour, passant dans l'autre tour par un orifice et retenue par une barre à l'intérieur, lorsqu'on voulait la tendre. La chaîne était un obstacle que l'on apportait en temps ordinaire, lorsque les herses étaient levées et les vantaux ouverts, à une troupe de cavalerie qui aurait voulu se jeter dans la ville. Même en temps de paix on craignait et l'on avait lieu de craindre les surprises. En H, est le premier mâchicoulis percé en avant de la herse et figuré dans le plan du premier étage en M. En C, coule la première herse, servie dans la chambre carrée centrale. En D, est la première porte de bois, à un vantail, ferrée, barrée, ainsi que le fait voir la figure. En E, la meurtrière commandant le passage, et au-dessus le grand mâchicoulis carré, central, avec l'un des réduits décrits dans la figure précédente. En F, le troisième mâchicoulis percé en avant de la deuxième herse; en G, cette seconde herse, manoeuvrée du dehors et abritée par un auvent P. Enfin en H, les derniers vantaux. De la salle du deuxième étage, par l'oeil I, on pouvait commander la manoeuvre des herses; car il ne faut pas oublier que le commandement se faisait toujours du haut. Un formidable système de mâchicoulis doubles en bois et de hourds, défendait en outre, en temps de guerre, les approches de la porte. Les scellements de cet ouvrage de charpenterie sont aujourd'hui parfaitement visibles. En cas de siége, on établissait donc en avant du mâchicoulis H un double hourdage, avec premier mâchicoulis K et second mâchicoulis L. Ce double hourd était couvert et crénelé d'archères. Il formait un auvent au-dessus d'une niche dans laquelle est placée une fort jolie statue de la sainte Vierge. On ne pouvait descendre dans ce double hourd que par la haie N et des échelles; de telle sorte que si ces hourds étaient pris par escalade, ou brûlés, l'assaillant n'était pas pour cela maître de la défense. Dans la partie supérieure, nous avons figuré les hourds posés. Toute la défense active s'organisait à l'étage supérieur M, l'étage O ne servant que de dépôt et de salle de réunion pour la garnison. Cette salle O est largement éclairée par de belles fenêtres 260 du côté de la ville.

Nous donnons (fig. 21) le plan de l'étage M supérieur, dont le plancher était de bois. En WN, sont les chemins de ronde de la défense, et en X une partie des hourds en place 261.

La figure 22 présente l'élévation extérieure de la porte Narbonnaise, avec son grand hourdage de bois au-dessus de l'entrée et les hourds de couronnement posés sur la tour et la courtine de droite. La tour de gauche est présentée avec ses créneaux à volets, en temps de paix 262. Toute la maçonnerie de cet ouvrage est entièrement élevée en belles pierres de grès, gris verdâtre, d'une bonne qualité. Les assises sont ciselées sur les arêtes des lits et joints avec bossage brut sur la face; les lits, très-bien dressés et posés sur couche de mortier excellent, ont 0m,01 d'épaisseur en moyenne. L'aspect extérieur et intérieur de cette porte est des plus imposants et les salles intérieures admirablement construites avec beaux parements layés. Il ne manquait à cette construction, pour être complète, que les combles, qui ont été rétablis depuis peu, sous la direction de la commission des monuments historiques 263.

Avant de quitter cet édifice si remarquable à tous égards, il est nécessaire de rendre compte du jeu des herses, parfaitement visible encore.

Nous prenons pour exemple la seconde herse, celle qui est manoeuvrée extérieurement sur le chemin de ronde du côté de la ville (fig. 23). En A, la herse est supposée levée. En a, sont les trous de scellement des deux jambettes du treuil figuré en a' dans la coupe C. On voit encore en place les deux gros pitons b dans lesquels était enfilée une barre de fer ronde qui était destinée à maintenir les contre-poids c, lorsqu'ils étaient abaissés. En outre, deux cales e, figurées en e', dans la coupe, et entrant dans deux trous disposés à cet effet, soutenaient la herse levée. Les scellements des deux pièces de bois f qui étaient destinées à supporter les poulies sont intacts. Lorsqu'on voulait baisser la herse (voyez en B), on appuyait un peu sur le treuil de manière à enlever facilement les cales e et à faire glisser la barrette de fer passant dans les pitons b; puis on laissait aller, en lâchant, sur les deux manivelles du treuil. La herse tombée, on décrochait les deux barres de fer g, et on laissait entrer leurs oeils h dans deux goujons de fer encore scellés dans la muraille. Ainsi devenait-il impossible, du bas, de soulever la herse. Deux grands crochets de fer scellés en l supportaient une traverse de bois à laquelle était suspendu l'appentis tracé dans la coupe (fig. 20), et dans laquelle venaient s'assembler les pièces de charpente f. Les contre-poids rendaient la manoeuvre facile à deux hommes appuyant sur le treuil. Voulait-on relever la herse, on faisait sortir les oeils h des barres d'arrêt g de leurs goujons, on accrochait ces barres aux mailles de la chaîne, et l'on appuyait sur le treuil. Cette manoeuvre était simple et rapide. La première herse s'enlevait par les mêmes moyens. Il s'agissait seulement d'avoir des contre-poids bien équilibrés, de façon à empêcher la herse de gauchir au levage ou à la descente.

Il ne paraît pas que cet ouvrage ait jamais été attaqué, et depuis l'époque de sa construction, l'histoire ne signale aucun siége en règle de la cité de Carcassonne, bien qu'à plusieurs reprises le pays ait été envahi, soit par les troupes du prince Noir, soit par les troupes de l'Aragon, soit dans des temps de guerres civiles. C'est qu'en effet, avec les moyens d'attaque dont on disposait au moyen âge, la cité était une place imprenable, et la porte Narbonnaise, la seule accessible aux charrois, eût pu défier toutes les attaques.

Lorsqu'on visite cette porte dans tous ses détails, outre la beauté de la construction, la grandeur des dispositions intérieures, on est émerveillé du soin apporté par l'architecte dans chaque partie de la défense. Rien de superflu, aucune forme qui ne soit prescrite par les besoins; tout est raisonné, étudié, appliqué à l'objet. Nous ne connaissons aucun édifice qui ait un aspect plus grandiose que cette large façade plate donnant du côté de la ville. Ce n'est qu'un mur percé de fenêtres et de meurtrières; mais cela est si bien construit, cela prend un si grand air, qu'on ne peut se lasser d'admirer, et qu'on se demande si la scrupuleuse observation des nécessités en architecture n'est pas un des moyens les plus puissants de produire de l'effet.

Le mode d'attaque des places devait nécessairement influer sur les dispositions données aux portes fortifiées. Lorsque les armées assiégeantes n'avaient pas encore adopté des moyens réguliers, méthodiques, pour s'emparer des places, il est clair que leurs efforts devaient se porter sur les issues. La première idée qui venait au commandant d'une armée assiégeante, dans des temps où l'on ne possédait pas des moyens destructifs organisés, était naturellement d'entrer dans la place assiégée par les portes, et de concentrer tous ses moyens d'attaque sur ces points faibles; aussi, par contre, les assiégés apportaient-ils alors à la défense de ces portes un soin minutieux, accumulaient-ils sur ces points tous les obstacles, toutes les ressources que leur suggérait leur esprit subtil. Cependant, déjà vers la fin du XIIe siècle, Philippe-Auguste avait su faire des siéges réguliers, conduits avec méthode et à l'instar de ce que faisaient les Romains en pareil cas. Pendant le XIIIe siècle, quelques siéges bien conduits indiquent que l'art d'attaquer les places se maintenait au point où Philippe-Auguste l'avait amené 264; mais les progrès sont peu sensibles, tandis que l'art de la défense se perfectionne d'une manière remarquable. À la fin du XIIIe siècle, la défense des places avait acquis une supériorité évidente sur l'attaque, et lorsque les places sont bien munies, bien fortifiées, elles ne peuvent être réduites que par un blocus étroit. Mais dès le commencement du XIVe siècle, les engins s'étant très-perfectionnés, les armées agissant avec plus de méthode et d'ensemble, on voit apparaître dans l'art de la fortification des modifications importantes. D'abord les ouvrages de bois, qui occupent une si large place dans les forteresses jusqu'alors, disparaissent; et en effet, à l'aide d'engins puissants, surtout après l'expérience acquise en Orient pendant les dernières croisades, on mettait le feu à ces hourds, si bien garnis qu'ils fussent de peaux fraîches ou de feutres mouillés. On renonça donc d'abord aux hourds de bois mobiles, établis seulement en temps de guerre, et on les remplaça par des hourds de pierre, des mâchicoulis 265. Puis les perfectionnements apportés dans l'attaque étaient assez notables pour qu'on ne s'attachât plus à forcer les portes; on pratiquait des galeries de mine, on affouillait les fondations des tours, on les étançonnait avec du bois, et en mettant le feu à ces soutiens, on faisait tomber des ouvrages entiers. On possédait des engins destructifs assez puissants pour battre en brèche des points saillants, ou pour jeter dans une place une si grande quantité de projectiles de toutes sortes, des matières enflammées, infectantes, qu'on la rendait inhabitable. Dès lors la défense des portes prenait moins d'importance. Il ne s'agissait plus que de les mettre à l'abri d'un coup de main, de les bien flanquer et de leur donner assez de largeur pour qu'une troupe pût rentrer facilement après, une sortie, ou prendre l'offensive en cas d'un échec essuyé par l'assiégeant.

Ces portes étroites et basses des XIIe et XIIIe siècles, si prodigieusement garnies d'obstacles, prennent de l'ampleur; les petites chicanes accumulées sous leurs passages disparaissent, mais en revanche les flanquements et les ouvrages avancés sont mieux et plus largement conçus; les défenses extérieures deviennent parfois ce qu'on appelait alors des bastilles, c'est-à-dire de véritables forteresses à cheval sur un passage.

Philippe le Bel fit élever, pendant les dernières années du XIIIe siècle, en face d'Avignon, une citadelle importante 266, ouverte par une seule porte, du côté accessible, c'est-à-dire au midi, en face de la petite ville de Villeneuve-lez-Avignon. Cette porte est flanquée de deux grosses tours couronnées de mâchicoulis. Son ouverture, au point le plus étroit, est de 4m,20, largeur inusitée pour les portes des XIIe et XIIIe siècles. Nous en donnons le plan à rez-de-chaussée (fig. 24).

Entre deux arcs en tiers-point, coule une première herse A, derrière laquelle, en B, roulait une porte à deux vantaux. En C, est un mâchicoulis, devant la seconde herse D, derrière laquelle également était suspendue une seconde porte à double vantail. Les mâchicoulis de couronnement défendent la première herse. On pénètre dans les deux tours par les portes E, fermées par des vantaux à coulisse, manoeuvrés des salles du premier étage. Les deux herses A et D se manoeuvraient d'une salle voûtée située directement au-dessus du passage; deux escaliers à vis montent du rez-de-chaussée aux salles du premier et à la plate-forme supérieure, qui est dallée sur voûtes. Sur cette plate-forme, au-dessus de la salle de manoeuvre des herses, s'élève un châtelet carré voûté en berceau, sur la plate-forme dallée duquel on arrivait par une échelle de meunier passant par une trappe ménagée au centre du berceau. Dans cette construction tout ouvrage de charpenterie avait été exclu, afin de soustraire cette défense aux chances d'incendie. La construction est traitée avec un soin extrême; élevée en excellente pierre de Villeneuve, par assises réglées de 0m,27 de hauteur, elle n'a subi aucune altération. Les voûtes sont faites avec la plus grande perfection, épaisses, bien garnies dans les reins par une maçonnerie excellente. Les deux escaliers à vis donnent dans des chambres, cachots et latrines, placés dans les épaulements qui réunissent ces tours aux deux courtines voisines. Sur le flanc de l'épaulement de gauche, on voit l'une de ces descentes de latrines, tombant sur les dehors. Un pont-levis, d'une époque plus récente, avait été disposé en avant de la première herse. Les abords de cette porte étaient primitivement défendus par un ouvrage avancé, sorte de barbacane qui est représentée dans la figure 25, donnant l'élévation extérieure de la porte de Villeneuve-lez-Avignon.

Cette élévation fait voir, au centre, le châtelet carré qui surmonte la plate-forme et les couronnements crénelés des escaliers à vis qui, à droite et à gauche, servaient de guette et complétaient la défense des deux pans coupés. Le châtelet, par sa position dominante, commandait les abords et pouvait recevoir un ou deux engins à longue portée. Des engins, pierriers, mangonneaux, pouvaient également être dressés sur les plates-formes dallées des tours. Par la suppression des combles en charpente on évitait donc les incendies, et l'on rendait, par l'installation des machines de jet, les approches plus difficiles; car ces engins remplissaient alors l'office de nos pièces de rempart. Tout porte à croire que les deux pans coupés qui unissent les tours aux courtines étaient principalement destinés à recevoir de ces formidables machines qui, dans cette position, battaient les assaillants qui eussent voulu s'approcher de la porte par les flancs des deux tours. C'était ainsi, en effet, qu'on attaquait les portes pendant les siéges, depuis le XIIe siècle. Les assiégeants se gardaient de se présenter en face de ces portes, toujours munies sur leur front. Ils formaient leur attaque, suivant une ligne oblique, en se couvrant par des mantelets, des épaulements et des galeries de bois, contre les projectiles des courtines; laissant les barbacanes dont ils occupaient les défenseurs par des attaques rapprochées, ils les prenaient latéralement, et arrivaient ainsi à la base des tours des portes, au point le plus difficile à défendre 267. C'était en prévision de ce genre d'attaque que les constructeurs militaires faisaient ces becs saillants, ces éperons renforçant les tours des portes au point attaquable et obligeant l'assaillant à s'éloigner de la tangente; mais dès l'instant que l'on pouvait munir les couronnements des tours de machines de jet à longue portée, ce moyen de défense rapprochée devenait superflu.

Une coupe faite suivant l'axe du passage de la porte de Villeneuve-lez-Avignon (fig. 26), complétera l'intelligence de ce bel ouvrage d'un aspect vraiment imposant. Cette coupe B indique la coulisse de la première herse en C, les premiers vantaux en f, la coulisse de la seconde herse en D et les seconds vantaux en e. On observera que, conformément à l'usage admis, autant que la configuration du terrain le permettait, le sol du passage s'élève de l'extérieur à l'intérieur. Au-dessus du passage, se voit la chambre de manoeuvre des deux herses, et au-dessus de cette salle le châtelet supérieur, surmonté d'un engin à longue portée. Devant la seconde herse D, s'ouvre un mâchicoulis. La figure A donne la coupe transversale du passage fait sur ab en regardant du côté de l'entrée. En E, sont encore scellés les trois anneaux de fer, de 0m,25 de diamètre, qui servaient à suspendre les poulies nécessaires à la manoeuvre des chaînes de la première herse.

Mais la place de Villeneuve-lez-Avignon est située sur une colline de roches abruptes, et sa porte s'ouvre en face d'un contre-fort descendant vers la plaine. Dans une pareille situation, il n'est besoin ni de fossés, ni d'ouvrages avancés très-forts, car l'assiette du lieu offre déjà un obstacle difficile à vaincre. La circulation des allants et venants se borne à des sorties et à des rentrées d'une garnison. La porte que nous venons de présenter ci-dessus est donc plutôt l'entrée d'un château que d'une ville populeuse et dont les issues doivent être laissées libres tout le jour. Les portes de la ville d'Avignon étaient bien, au XIVe siècle, des ouvrages disposés pour une cité fortifiée, mais contenant une population nombreuse et active.

Les remparts d'Avignon furent élevés de 1348 à 1364. Ils étaient percés, soit du côté du Rhône, soit du côté de la plaine, de plusieurs portes, parmi lesquelles nous choisirons la porte Saint-Lazare, l'une des mieux conservées et sur laquelle nous possédons des documents complets 268.

La porte Saint-Lazare d'Avignon fut détruite, ou du moins fort endommagée par une inondation formidable de la Durance en 1358. Elle fut reconstruite sous Urbain V, vers 1364, avec toute la partie des remparts qui s'étend de cette porte au rocher des Doms, par l'un des architectes du palais des Papes, Pierre Obreri, si l'on en croit la tradition.

Voici (fig. 27) le plan général de cette porte, avec le châtelet qui la couvrait. Il ne reste plus aujourd'hui de ces constructions que la porte A et les soubassements d'une partie du châtelet, mais des dessins complets des ouvrages avancés nous sont conservés 269.

Les arrivants se présentaient par une voie B sur le flanc du châtelet; ils devaient franchir un premier pont-levis C, traverser l'esplanade du châtelet diagonalement, se faire ouvrir une barrière D; passer sur un second pont-levis E, entrer dans un ouvrage avancé F fermé par le pont-levis et défendu par deux échauguettes avec mâchicoulis; se présenter devant la porte protégée par une ligne de mâchicoulis supérieurs, par une herse et par un second mâchicoulis percé devant les vantaux. Le châtelet était complétement entouré par un fossé G rempli d'eau, de même que le grand fossé H protégeait les remparts. Ces fossés étaient alimentés par les cours d'eau naturels qui cernent la ville sur toute l'étendue des murailles ne faisant pas face au Rhône.

Trois tours peu élevées flanquaient le châtelet. On montait à l'étage supérieur de ces tours et aux crénelages des courtines par les escaliers K. Une vue cavalière (fig. 28), prise du point X de notre plan, fera saisir l'ensemble de cette porte avec ses défenses antérieures.

Les trois tours du châtelet étaient voûtées et couvertes par des plates-formes dallées à la hauteur du crénelage.

Il est facile de voir que le châtelet était ouvert à la gorge et commandé par l'avant-porte, de même que cette avant-porte était commandée par la tour carrée couronnant la dernière entrée. Cet ouvrage était donc déjà construit suivant cette règle de fortification, que ce qui défend doit être défendu.

La coupe longitudinale faite sur la porte A du plan et l'avant-porte (fig. 29) fait saisir les détails de cette défense. En B, est le pont-levis abaissé; en C, la porte qui conduit par un degré pris dans l'épaisseur de la muraille au crénelage de l'avant-porte; en D, la coulisse de la herse; en G, le mâchicoulis qui protége les vantaux H; en I, le passage couvert par un plancher. La herse se manoeuvrait du palier K, auquel on montait par un escalier L posé sur la saillie du mur inférieur; car il faut noter que le mur supérieur M est beaucoup moins épais que le mur du rez-de-chaussée. Cet escalier L servait d'ailleurs à dégager l'escalier marqué I sur le plan général, et qui aboutissait en retour à côté de l'arcade plein cintre portant le jeu de la herse. Du palier K, en prenant un escalier de bois, on montait à l'étage supérieur sous la couverture, et l'on entrait sur le chemin de ronde du crénelage par la porte P ménagée dans un tambour de pierre posé à l'angle du crénelage. Chacune des portes des remparts d'Avignon était munie d'une cloche, afin de pouvoir prévenir les défenseurs ou les habitants en cas d'attaque ou de surprise. Si nous faisons une section transversale sur la ligne ab de la figure 29 et du plan général, en regardant l'entrée de l'avant-porte, nous obtenons le tracé S. Le pont-levis étant relevé, son tablier fermait l'issue T, et ses bras, passant à travers les deux rainures V, ainsi qu'il est marqué en V' sur la coupe longitudinale, ne gênaient nullement la défense. Le créneau milieu, ses deux meurtrières, restaient libres, et les deux échauguettes latérales J flanquaient la porte. De la salle du premier étage de la tour on passait sur les chemins de ronde des courtines par les portes N. Du côté de la ville, un simple pan de bois Y percé de baies fermait les étages supérieurs de la tour.

La figure 30 donne, en A, la face de l'ouvrage avec l'avant-porte, et en B, la face de la tour, en faisant une section sur l'ouvrage avancé.

La porte Saint-Lazare d'Avignon est remarquable déjà par la simplicité des constructions. Ici on ne voit plus cette accumulation d'obstacles dont la disposition compliquée devait souvent embarasser les défenseurs. Les portes d'Avignon ne sont pas, il est vrai, très-fortes, mais elles ont bien le caractère qui convient à l'enceinte d'une grande ville. La porte Saint-Lazare, avec son boulevard ou barbacane extérieure, protégeait efficacement un corps de troupes voulant tenter une sortie ou étant obligé de battre en retraite. On pouvait, sur l'esplanade du boulevard, masser facilement cinq cents hommes, protéger leur sortie au moyen des flanquements que fournissaient les tours; et eussent-ils été repoussés, ils trouvaient dans cette enceinte un refuge assuré, sans que le désordre d'une retraite précipitée pût compromettre la défense principale, celle de la porte tenant aux courtines. Enfin, le boulevard fût-il tombé aux mains de l'assiégeant, les défenses étant ouvertes complétement du côté de la ville, les assiégés, au moyen surtout de l'avant-porte crénelée, pouvaient contraindre l'assaillant à se renfermer dans les trois tours rondes et à laisser l'esplanade et les courtines libres, ce qui facilitait un retour agressif.

La disposition des portes ouvertes à travers une simple tour carrée, sans flanquements, appartient plus particulièrement à la Provence. Il existait à Orange, à Marseille, et il existe encore à Carpentras, à Aigues-Mortes, des portes de la fin du XIIIe et du commencement du XIVe siècle, percées à travers des tours carrées sans échauguettes ou tourelles flanquantes; tandis que les ouvrages de ce genre qui appartiennent au domaine royal sont, sauf de très-rares exceptions, munis de tours rondes ou de flanquements prononcés.

La petite ville de Villeneuve-sur-Yonne possède encore une très-jolie porte du commencement du XIVe siècle, qui, par la disposition de ses flanquements, mérite d'être signalée entre beaucoup d'autres.

Cette porte, modifiée au XVIe siècle, dans sa partie supérieure, par de nouvelles toitures, laisse cependant voir toutes ses dispositions primitives. La figure 31 en donne le plan.

En A, était un pont-levis flanqué par deux tourelles angulaires formant éperons et pleines dans leur partie inférieure. En B, était un large mâchicoulis, bouché aujourd'hui, qui protégeait la première herse C. Des vantaux de bois fermaient le passage en E. En G, est la seconde herse précédée d'un second mâchicoulis, et en I une seconde paire de vantaux. On montait aux étages supérieurs de la porte et aux courtines par les deux escaliers extérieurs H. En P, se présentaient obliquement, à l'extérieur, deux grands mâchicoulis qui battaient le pont-levis et à travers lesquels passaient les chaînes servant à enlever le tablier. Le tracé M donne le plan de la partie supérieure de la porte. On voit les deux échauguettes flanquantes crénelées qui commandent le pont et les dehors; en N, les deux mâchicoulis obliques à travers lesquels passent les chaînes O du pont-levis; en S, le treuil servant à manoeuvrer les chaînes; en T, la défense supérieure dominant tout l'ouvrage.

La figure 32 présente l'élévation extérieure de la porte de Villeneuve-sur-Yonne. Cette élévation fait saisir la double fonction des mâchicoulis obliques. Toute cette construction est élevée en cailloux de meulière avec chaînes de pierre aux angles. Elle est bien traitée et les mortiers en sont excellents. C'est peut-être à la bonté de cette construction et au peu de valeur des matériaux que nous devons sa conservation.

Une coupe longitudinale faite sur la partie antérieure de la porte (fig. 33) fait voir la manoeuvre du pont-levis et son mécanisme. Des contre-poids, suspendus en arrière des deux longrines du tablier, facilitaient son relèvement, lorsqu'on appuyait sur le treuil T. La première herse abaissée, le mâchicoulis qui la protége était ouvert aux défenseurs. Dans cet exemple, comme dans tous ceux précédemment donnés, la défense n'agit que du sommet de la porte, et par la disposition des échauguettes et des grands mâchicoulis obliques, le fossé ainsi que les abords du pont pouvaient être couverts de projectiles.

On comprend qu'un pareil ouvrage, si peu étendu qu'il soit, devait être très-fort. D'ailleurs les courtines avaient un grand relief, et étaient renforcées sur le front opposé à la rivière par un gros donjon cylindrique qui existe encore. Toute l'enceinte de cette petite ville, si gracieusement plantée sur les bords de l'Yonne, n'était percée que de quatre portes semblables, deux sur les fronts d'amont et d'aval, et deux autres, l'une près du donjon, l'autre en face du pont jeté sur l'Yonne. Six tours cylindriques plantées aux angles formés par les courtines complétaient les défenses. Quant au donjon, il est séparé de la courtine, qui s'infléchit en demi-cercle pour lui faire place, par un fossé. Il ne se reliait au chemin de ronde que par un pont volant et était percé, vers les dehors, d'une poterne au niveau de la contrescarpe du fossé.

En 1374, le roi Charles V fit refaire l'enceinte de Paris sur la rive gauche, en reculant les murs fort au delà des limites établies sous Philippe-Auguste. Cette nouvelle enceinte suivait à peu près la ligne actuelle des boulevards intérieurs et était percée de six portes, qui étaient, en partant d'amont, les portes Saint-Antoine, du Temple, Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre, Saint-Honoré. La plupart de ces portes étaient établies sur plan carré ou barlong avec tourelles flanquantes. L'une des plus importantes, et dont il nous reste des gravures, était la porte Saint-Denis 270. «Nos roys, dit Du Breul 271, faisans leurs premières entrées dans Paris, entrent par cette porte, qui est ornée d'un riche avant-portail, où se voyent par admiration diverses statues et figures qui sont faictes et dressées exprès, avec plusieurs vers et sentences pour explications d'icelles... C'est aussi par cette porte que les corps des défuncts rois sortent pour être portez en pompes funèbres à Saint-Denys en France...» La porte Saint-Denis de Paris était bâtie fort en saillie sur les courtines et formait un véritable châtelet, dans lequel on pouvait faire loger un corps de troupes. En 1413, le duc de Bourgogne se présenta devant Paris vers Saint-Denis, dans l'intention, disait-il, de parler au roi; mais, dit le Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de Charles VI 272, «on lui ferma les portes, et furent murées, comme autreffois avoit esté, avecques ce très grant foison de gens d'armes les gardoient jour et nuyt...»

Et en effet, la plupart de ces portes furent murées plusieurs fois pendant les guerres des Armagnacs et Bourguignons. Ainsi, à cette époque encore, au commencement du XVe siècle, on ne se fiait pas tellement aux fermetures ordinaires des portes de villes qu'on ne se crût obligé de les murer en cas de siége. Il faut dire que ce moyen était particulièrement adopté lorsqu'on craignait quelque trahison de la part des habitants. Alors les portes devenaient des bastilles, des forts, permettant de réunir des postes nombreux sur l'étendue des remparts.

Les portes bâties à Paris sous Charles V se prêtaient parfaitement à ce service, ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant la vue cavalière que nous donnons de la porte de Saint-Denis (fig. 34).

La grande saillie que présentait cet ouvrage sur les courtines donnait un bon flanquement pour l'époque, et avait permis l'établissement d'une fausse braie, avec petit fossé intérieur entre ces courtines et le large fossé qui était alimenté par des cours d'eau, aujourd'hui en partie perdus sous les constructions modernes de la ville 273.

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