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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P)

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Ce motif de piliers a été suivi dans la construction des églises Notre-Dame de Beaune, de Saint-Andoche de Saulieu et de la cathédrale de Langres, car la cathédrale d'Autun a fait école.

L'école de l'Île-de-France, au moment où l'architecture passait aux mains des architectes laïques, devait rompre avec ces traditions qui semblaient si bien établies dans les contrées de la Bourgogne et de la haute Champagne. Vers 1160, ces architectes de l'Île-de-France tentaient d'associer les anciennes données romanes au nouveau système de structure qu'ils inauguraient; ils conservaient encore la colonne monocylindrique et ne commençaient l'ordonnance imposée par les voûtes d'arête en arcs ogives qu'au-dessus de ces colonnes.

Ce principe est franchement accusé dans l'intérieur de la cathédrale de Paris. Les piliers du choeur de cette église, élevés vers 1162, et ceux de la nef, vers 1200, présentent à peu près les mêmes dispositions. Les piliers du choeur, dont nous donnons la section horizontale (fig. 8), se composent d'un gros cylindre de 1m,30 de diamètre (4 pieds), portant un large chapiteau à tailloir carré, sur lequel reposent les archivoltes portant les murs ab, cd, les arcs-doubleaux du collatéral e et les arcs ogives f. Les trois colonnettes g, h, h, s'élancent jusqu'aux naissances des grandes voûtes pour porter les arcs-doubleaux et les arcs ogives ou les formerets. À la hauteur du triforium, la section monocylindrique du pilier se divise, comme l'indique la figure, en autant de membres qu'il y a de nerfs de voûtes à porter.

Dans la nef (fig. 9), la section de la pile du triforium se simplifie; la pile, construite par assises, ne présente que des retours d'équerre, des pilastres, et les colonnettes sont détachées en monolithes. Plus tard, aux piles avoisinant les tours, vers 1210, les constructeurs ont même accolé après coup, à la grosse colonne monocylindrique du rez-de-chaussée, une colonne engagée A pour supporter l'apparence de porte-à-faux des colonnettes antérieures assises sur le tailloir, ou plutôt pour épauler le gros cylindre et arrêter son déversement. C'était une transition.

Voici (fig. 10) quelle est la construction des piles de la nef de Notre-Dame de Paris en élévation 128. Il est clair que l'ordonnance propre au nouveau système de structure adopté alors ne commence qu'à partir du niveau A, c'est-à-dire au-dessus du tailloir des chapiteaux des colonnes du rez-de-chaussée. Celles-ci constituent une ordonnance séparée, un quillage inférieur. Ce principe persiste plus longtemps dans l'Île-de-France que partout ailleurs, ce n'est qu'avec peine que les architectes l'abandonnent. Déjà cependant, à Paris, dans la construction de la cathédrale même, ils avaient élevé, dans les collatéraux de la nef, des colonnes monocylindriques cantonnées de colonnes monostyles (voy. CONSTRUCTION, fig. 92 et 93); mais ce parti leur avait été imposé par la nécessité de donner à ces points d'appui une résistance exceptionnelle. Nous voyons qu'à la cathédrale de Laon, sans aucune raison apparente, vers la même époque, c'est-à-dire vers 1200, les architectes ajoutent aux gros cylindres du rez-de-chaussée de la nef des colonnes monostyles détachées, comme un essai, une tentative, un acheminement vers un nouveau système de structure des piles. Sur vingt piles qui portent le triforium et les voûtes de la nef de Notre-Dame de Laon, quatre seulement présentent cette particularité de colonnettes posées aux angles du tailloir et sur la partie antérieure, ainsi que l'indique la section horizontale (fig. 11).

Les trois colonnettes a, b, b, soulagent le tailloir du gros chapiteau, et reçoivent les cinq colonnettes qui portent l'arc-doubleau, les arcs ogives et les formerets des grandes voûtes. Quant aux colonnettes c, elles reçoivent les sommiers des arcs ogives des voûtes des bas côtés. En perspective, ces piliers présentent donc l'aspect reproduit dans la figure 12.

Ces quatre piliers sont, il est vrai, posés sous les retombées des voûtes, qui, à Laon comme à Notre-Dame de Paris, embrassent deux travées, mais on ne s'explique pas pourquoi ce système, qui est très-bon, n'a pas été suivi tout le long de la nef. Les bagues A forment une assise qui relie les fûts supérieurs B aux fûts inférieurs C. Les constructeurs de la cathédrale de Laon n'avaient pas le beau liais cliquart de Paris, et ils ne pouvaient tailler de colonnettes monostyles d'une grande longueur.

Aussi reliaient-ils les fûts par ces assises de bagues qui se répétaient plusieurs fois dans la hauteur des piliers, comme on le voit en D. On observera que le chapiteau de la grosse colonne comprend deux assises, tandis que les chapiteaux des colonnettes en délit sont pris dans une seule assise faisant corps avec la deuxième assise du gros chapiteau. Ce principe est suivi assez rigoureusement pendant les premières années du XIIIe siècle (voy. CHAPITEAU).

Quelques années avant la construction de la cathédrale de Laon, c'est-à-dire vers 1170, on élevait dans la même ville la nef et le choeur de l'église Saint-Martin, et l'architecte conservait le corps de la pile romane, formée, en section horizontale, de parallélogrammes se pénétrant avec colonne engagée du côté de la grande nef pour recevoir l'arc doubleau; mais dans les quatre angles rentrants laissés par les parallélogrammes, cet architecte posait déjà des colonnettes en délit pour recevoir les arcs ogives des hautes et basses voûtes (fig. 13).

Ces colonnettes, composées de plusieurs morceaux, étaient retenues par des bagues, ainsi que le fait voir la vue perspective. Mais ces piles avaient l'inconvénient de donner une section considérable prenant beaucoup de place, gênant la circulation et masquant la vue du sanctuaire; cependant ces quatre colonnettes, disposées pour recevoir les arcs ogives, avaient probablement fait naître aux architectes de la cathédrale de Laon l'idée de cantonner leur pilier cylindrique de cinq colonnettes, l'une destinée à porter l'arc-doubleau de la grande nef, et les quatre autres à porter les arcs ogives. Bientôt on prit un parti plus radical, on cantonna la grosse colonne cylindrique de quatre colonnes engagées, recevant les deux arcs-doubleaux et les deux archivoltes; les arcs ogives des collatéraux retombèrent alors sur le gros chapiteau du cylindre principal, et ceux des voûtes de la grande nef sur des colonnettes en délit portant sur la saillie du tailloir. C'est suivant ce système que furent élevés les piliers de la cathédrale de Reims (fig. 14).

En A nous donnons la section de ces piliers au niveau du rez-de-chaussée, la grande nef étant du côté N. Les gros cylindres ont 1m,60 de diamètre (5 pieds); dans le sens de la coupe en travers, les piliers, compris les colonnes engagées, ont 2m,48, et dans le sens de la nef 2m,40 seulement. C'était une précaution prise pour donner à ces piliers un peu plus d'assiette dans le sens de la poussée des voûtes.

L'appareil de ces piliers est donné par Villard de Honnecourt et est reproduit dans notre figure. Villard de Honnecourt a bien le soin de nous dire que cet appareil avait été combiné afin de cacher les joints des tambours; il n'est pas besoin d'ajouter que l'appareil se chevauche de deux en deux assises. Au niveau du triforium, en ab (voy. l'élévation B), le pilier adopte la section C. La colonne engagée d fait corps avec la bâtisse, c'est-à-dire qu'elle est élevée par assises, tandis que les colonnettes e recevant les arcs ogives des grandes voûtes, et les colonnettes f recevant les formerets, sont rapportées en délit, maintenues par les bandeaux g, h, qui font bagues, et les chapitaux i et l. L'architecte de Notre-Dame de Reims n'avait pas encore une théorie bien arrêtée sur l'équilibre des voûtes dans les grands édifices gothiques, et il avait cru devoir donner à ses piliers une très-forte section; il avait, au niveau du triforium, cru devoir élever encore un gros contre-fort en porte-à-faux pour asseoir les piles recevant les arcs-boutants (voy. CATHÉDRALE, fig. 14). L'architecte de la cathédrale d'Amiens fut plus hardi: il donna une section beaucoup plus faible à ses piliers, et ne songea à les maintenir dans leur plan vertical que par le secours des arcs-boutants (voy. CATHÉDRALE, fig. 20).

D'autres constructeurs avaient essayé des colonnes jumelles dans les cathédrales de Sens et d'Arras (voy. la section D) (1160), ou plus tard des colonnes avec une seule colonnette adossée (voy. la section E), ou encore des colonnes à section ovale, comme dans le choeur de la cathédrale de Seez (fin du XIIIe siècle) (voy. la section F), dominés qu'ils étaient par cette idée de résister aux poussées et de prendre le moins de place possible, de ne pas obstruer la vue des nefs et des sanctuaires.

Les exemples de piliers empruntés aux cathédrales de Reims et d'Amiens nous font voir seulement une grosse colonne centrale cantonnée de quatre colonnes engagées; les colonnettes destinées à porter les arcs ogives et les formerets ne prennent naissance qu'au-dessus du chapiteau inférieur. Vers le milieu du XIIIe siècle déjà on faisait descendre les colonnettes des arcs ogives des grandes voûtes jusqu'à la base même du pilier; puis bientôt on voulut porter les arcs ogives des voûtes des collatéraux sur des colonnettes spéciales; les piliers prirent donc la section donnée par la figure 15: A étant le côté faisant face à la grande nef et B la partie du pilier en regard du collatéral. Dès l'instant que l'on admettait que les arcs ogives, comme les archivoltes et les arcs-doubleaux, devaient posséder leur colonnette montant de fond, il était logique d'admettre que les formerets eux-mêmes possédassent leurs supports verticaux, et même que les membres de ces nefs de voûtes eussent chacun un point d'appui spécial. On multiplia donc les colonnettes autour du cylindre central, et les moulures elles-mêmes des arcs vinrent mourir sur la base du pilier. Ce parti tendait à faire supprimer les chapiteaux, car à quoi bon un chapiteau dès que la moulure formant l'arc se continue le long du pilier? Vers 1230 déjà, les colonnettes cantonnant les piliers ne sont plus détachées, monostyles, mais tiennent aux assises mêmes de la pile. Ces colonnettes, en se multipliant, devenaient trop grêles pour qu'il fût possible de les tailler dans une pierre posée en délit, et même alors comme il devenait très-difficile, sans risquer de faire casser les pierres, de fouiller au ciseau les angles rentrants, jonctions des colonnettes avec le noyau, on adoucissait ces angles, ainsi que le fait voir la section (fig. 16).

Il résultait de cette nécessité pratique une succession de surfaces courbes, molles, qui ne donnaient que des ombres indécises; il fallait trouver sur ces surfaces des arrêts de lumière qui pussent accuser les nerfs principaux. Les architectes eurent alors l'idée de réserver sur le devant de chaque colonnette une arête qui accrochât la lumière et fit ressortir la saillie du nerf cylindrique (voy. en A, fig. 16). Il résultait de l'adoption de ce principe, que la colonnette, mariée au noyau principal par une gorge et armée d'un nerf saillant, passait de la forme cylindrique à la forme prismatique.

Dès la fin du XIIIe siècle, l'école champenoise, qui, à partir de 1250, avait pris les devants sur les autres écoles gothiques, cherchait des sections de piliers qui fussent rigoureusement logiques, c'est-à-dire qui ne fussent que la section, réunie en faisceau, des arcs que portaient ces piliers. Alors les profils des arcs commandaient impérieusement les sections des piles, et, pour tracer un pilier, il fallait commencer par connaître et tracer les divers membres des voûtes.

Les gens qui élevèrent l'église Saint-Urbain de Troyes, vers 1290, prirent, dès cette époque, le parti radical que nous venons d'indiquer; mais on comprendra facilement que la forme consacrée du gros pilier cylindrique central ne devait plus s'accorder avec ce système nouveau, la réunion en faisceau de tous ces nerfs d'arcs ne pouvant se résoudre en un cylindre, même en y joignant des appendices comme on l'avait fait précédemment et comme l'indiquent les figures 15 et 16. Il fallait abandonner absolument la tradition de la grosse colonne centrale, qui persistait encore vers le milieu du XIIIe siècle. Entraînés par la marche logique de leur art, les constructeurs de Saint-Urbain n'hésitèrent pas, et nous voyons que dans le même édifice et pendant un espace de temps très-court (dix ans au plus), ils abordent franchement le pilier prismatique, en supprimant les chapiteaux.

La figure 17 présente en A une des quatre piles du transsept. Cette pile porte deux arcs-doubleaux B des grandes voûtes, deux archivoltes C de bas côtés, la branche d'arc ogive D de la voûte de la croisée, deux branches d'arcs ogives E des voûtes hautes, et la branche d'arc ogive F de la voûte du collatéral. Son plan affecte la forme donnée par les profils de ces huit arcs, et place les points d'appui verticalement sous la trace des sommiers de ces arcs. La première pile de la nef, dont la section est donnée en G, indique de même la projection horizontale des sommiers des archivoltes B', des arcs ogives E' des grandes voûtes, et des arcs ogives E'' des voûtes des bas côtés, ainsi que celle des arcs-doubleaux H des grandes voûtes et I des basses voûtes. Ces piles portent encore des chapiteaux, très-bas d'assise, parce que le profil des arcs des voûtes n'est pas identique avec la section de ces piliers. Mais la seconde pile de la nef donne la section K, et est tracée de telle façon, que les archivoltes L, les arcs-doubleaux H et I, les arcs ogives M, viennent pénétrer exactement cette section, les membres a tombant en a', les membres b en b', les membres c en c', les membres d en d', etc. Mais, pour ne pas affaiblir la pile par des évidements, les cavets, gorges et profils e viennent rencontrer les surfaces pleines e', les arêtes vives f des boudins s'accusant sur la pile par les arêtes f'. Dès lors les chapiteaux sont supprimés. Une semblable tentative, datant des dernières années du XIIIe siècle, ne laisse pas d'être d'un grand intérêt, quand on voit que pendant le XIVe encore, dans la province de l'Île-de-France et en Normandie, on s'en tenait à des sections de piles n'accusant pas entièrement la section des arcs des voûtes, et nécessitant par conséquent l'emploi du chapiteau pour séparer les sommiers de faisceau des colonnettes des piliers.

L'église de Saint-Ouen de Rouen, dont le choeur date du XIVe siècle, présente des piliers qui sont tracés conformément à la section G, c'est-à-dire qui projettent avec quelques modifications les arcs-doubleaux et les arcs ogives des voûtes, et qui possèdent encore des chapiteaux; ce n'est qu'à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe que la donnée déjà adoptée à la fin du XIIIe siècle par l'architecte de Saint-Urbain de Troyes est définitivement acceptée, et que les piles ne sont que la projection réunie en faisceau des différents profils des arcs. Mais comme cette méthode, toute rationnelle qu'elle était, exigeait une main-d'oeuvre et par conséquent des dépenses considérables, souvent à cette époque on en revient au pilier monocylindrique, dans lequel alors pénétraient les profils des divers arcs des voûtes. C'est ainsi que sont construits les piliers de l'église basse du mont Saint-Michel en mer, et d'un grand nombre d'édifices construits de 1400 à 1500, particulièrement dans les constructions civiles, où l'on prétendait ne pas faire de dépenses inutiles. Toutefois il ne faut pas perdre de vue ce fait, savoir, qu'à dater de 1220, les architectes français, renonçant à la colonne monocylindrique pour porter les voûtes, cherchèrent sans interruption à transformer cette colonne en un support des membres saillants constituant la voûte, et par suite en un faisceau vertical de ces membres. Le pilier tendait ainsi chaque jour à n'être que la continuation des arcs des voûtes, et nous voyons que dès la fin du XIIIe siècle on était déjà arrivé à ce résultat. Le pilier n'étant que le faisceau vertical des arcs des voûtes, ce n'est plus, à proprement parler, un pilier, mais un groupe de moulures d'arcs descendant verticalement jusqu'au sol, c'est le tracé du lit inférieur des sommiers qui constitue la section horizontale de la pile; et en effet, ce tracé est si important dans les édifices voûtés, si impérieux, dirons-nous, qu'il devait nécessairement conduire à ce résultat. Dès 1220, les architectes gothiques ne pouvaient élever un monument voûté sans, au préalable, tracer le plan des voûtes et de leurs sommiers; il était assez naturel de considérer ce tracé comme le tracé du plan par terre, et de planter ces sommiers dès la base de sa construction: c'était un moyen de faire une économie d'épures, et surtout d'éviter des erreurs de plantation.

Les piliers, dans l'architecture civile, affectent des formes qui ne sont pas moins l'expression des nécessités de la construction, soit qu'ils portent des voûtes, soit qu'ils soutiennent des planchers. Ainsi, dans les étages inférieurs de l'évêché de Meaux, étages qui datent de la fin du XIIe siècle, nous voyons des piliers posés en épine qui portent des voûtes doubles, et dont la structure est assez remarquable.

Voici (fig. 18) leur section horizontale en A, et en B leur élévation. Les voûtes sont privées d'arcs-doubleaux. Ce sont des voûtes d'arête construites comme les voûtes romaines, avec un simple boudin en relief sur les arêtes et un angle obtus à la place occupée ordinairement par l'arc-doubleau (voy. la section C faite sur ab). Le pilier se compose d'un corps principal cylindrique, cantonné de quatre boudins également cylindriques (voy. la section A); les piles sont monolithes du dessus de la base à l'astragale du chapiteau.

Des maisons de la ville de Dol possèdent encore des piliers monolithes de granit et qui datent du XIIIe siècle. Ils portent des poitraux de bois et formaient portiques ou pieds-droits de boutiques. Voici (fig. 19) deux de ces piliers. En A est la section du pilier A', en B celle du pilier B'. Les architectes cherchaient toujours, avec raison, à éviter, dans la taille de ces piliers isolés ou adossés, les arêtes vives, qui s'épaufrent facilement et sont fort gênantes. Il suffit de s'être promené un jour de foule dans la rue de Rivoli, à Paris, pour reconnaître les inconvénients des arêtes vives laissées sur les piliers isolés: ce sont autant de lames blessantes placées au-devant des passants. Admettant que cela soit monumental, ce n'en est pas moins très-incommode.

Les architectes de la fin du XVe siècle ont non-seulement fait descendre le long des piles les profils prismatiques des arêtes des voûtes, mais encore ils se sont plu parfois à tordre ces profils en spirale, et à décorer d'ornements sculptés les intervalles laissés entre les côtes. On voit un curieux pilier ainsi taillé au fond du chevet de l'église de Saint-Séverin, à Paris. On en voit un composé de gros boudins en spirale dans l'église de Sainte-Croix de Provins. Ce sont là des fantaisies qui ne sauraient servir d'exemples et que rien ne justifie. La province de Normandie fournit plus qu'aucune autre ces étrangetés dues au caprice de l'artiste qui, à bout de ressources, cherche dans son imagination des combinaisons propres à surprendre le public. Les maîtres du moyen âge n'ont jamais eu recours à ces bizarreries. Ce n'est qu'en Angleterre que dès le XIIIe siècle naît ce désir de produire des effets surprenants. Déjà dans la cathédrale de Lincoln on voit des piliers de cette époque, composés avec une recherche des petits effets que l'on ne trouve dans notre école que beaucoup plus tard. Des exemples de piliers sont présentés dans les articles ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE, CONSTRUCTION et TRAVÉE.

Note 125: (retour) Du Xe au XIe siècle.
Note 126: (retour) Voyez la monographie de l'église de Vignory donnée d'après les dessins de M. Boeswilwald (Archiv. des monuments histor. publiées sous les auspices du ministre d'État).
Note 127: (retour) Ces dessins nous ont été fournis par M. Gaucherel.
Note 128: (retour) Voy. CATHÉDRALE, fig. 2 et 4.


PINACLE, s. m. Couronnement, finoison, comme on disait au XIVe siècle, d'un contre-fort, d'un point d'appui vertical, plus ou moins orné et se terminant en cône ou en pyramide. Dans les monuments d'une haute antiquité, on signale déjà certains amortissements d'angles de frontons et de corniches qui sont de véritables pinacles 129: La plupart des monuments de notre période romane ont perdu presque tous ces couronnements supérieurs qui rappelaient cette tradition antique. Toutefois les ornements en forme de pomme de pin, qui terminent les lanternons de l'église de Saint-Front de Périgueux, peuvent bien passer pour de véritables pinacles. Ce n'est guère qu'au XIIe siècle que l'on commence à signaler des restes nombreux de ces sortes d'amortissements. Alors ils surmontent les angles des clochers carrés à la base des cônes ou des pyramides formant la flèche; ils apparaissent au-dessus des contre-forts aux angles des pignons. D'abord peu développés, ou en forme d'édicules, ils prennent, dès la fin du XIIe siècle, une assez grande importance; puis au commencement du XIIIe siècle, ils deviennent souvent de véritables monuments. Comme tous les membres de l'architecture de ce temps, les pinacles remplissent une fonction: ils sont destinés à assurer la stabilité des points d'appui verticaux par leur poids; ils maintiennent la bascule des gargouilles et corniches supérieures; ils arrêtent le glissement des tablettes des pignons; ils servent d'attache aux balustrades; mais aussi leur silhouette, toujours composée avec un art infini, contribue à donner aux édifices une élégance particulière. Quelquefois, pendant la période romane, ce sont des amortissements très-simples. Les contre-forts des XIe et XIIe siècles, dans le Beauvoisis, par exemple, sont souvent terminés, à leur extrémité supérieure, par un cône recourbé à la pointe. Ces contre-forts cylindriques présentent donc les amortissements reproduits dans les figures 1 et 2 130.

L'église collégiale de Poissy conserve encore, sur l'un des angles de l'escalier de l'abside terminé par une piramide octogone, un pinacle du commencement du XIIe siècle, dont nous donnons (fig. 3) un dessin perspectif.

Ce pinacle se compose de quatre colonnettes portant un groupe de chapiteaux taillés dans une même assise; un cône terminé par un fleuron couronne les chapiteaux. Ce pinacle est fort petit, 1m,30 de haut environ; il se trouve fréquemment adopté dans les édifices de cette époque à la base des piramides des flèches. Le clocher vieux de Chartres possède aux angles de la tour, à la naissance de la flèche, des pinacles d'une belle composition, qui servent en même temps de lucarnes (voy. FLÈCHE, fig. 4); ceux-ci datent du milieu du XIIe siècle.

Les donjons des châteaux possédaient aussi presque toujours leurs pinacles, probablement dès une époque reculée, si l'on s'en rapporte aux vignettes des manuscrits et aux représentations gravées qui nous restent de ces édifices. Au XIIIe siècle, nous en trouvons encore quelques-uns en place ou en fragments. Quelquefois même, comme à la tour de Montbard, ils sont directement posés sur les merlons des créneaux. Au donjon de Coucy, ils étaient au nombre de quatre, élevés sur l'épais talus qui couvrait la corniche de la défense supérieure (voy. DONJON, fig. 39). Mais l'époque brillante des pinacles est celle où les architectes commencèrent à élever des arcs-boutants, afin de contre-buter les grandes voûtes des nefs de leurs églises. Il fallait nécessairement, sur les contre-forts recevant ces arcs-boutants, ajouter un poids, une pression verticale destinée à neutraliser la poussée oblique de ces arcs et permettant de diminuer d'autant la section horizontale des piliers butants (voy. CONSTRUCTION). Si puissant que fussent d'ailleurs ces piliers, les arcs-boutants exerçaient leur action de poussée près de leur sommet, et pouvaient, si ces sommets n'étaient pas chargés, faire glisser les dernières assises. Il fallait donc au-dessus du départ de l'arc un poids vertical, une pression. Les architectes de l'école laïque comprirent bien vite le parti qu'ils pourraient tirer de cette nécessité, au point de vue de la décoration des édifices, et ils ne tardèrent pas à imaginer les plus belles et les plus gracieuses combinaisons pour satisfaire à cette partie du programme imposé aux constructeurs. Ils surent donc composer des pinacles tantôt très-simples pour les édifices élevés à peu de frais, tantôt très-riches, mais toujours entendus, comme silhouette et comme structure, d'une façon remarquable.

Parmi les plus beaux pinacles que nous possédons dans nos édifices français du XIIIe siècle, il faut citer, en première ligne, ceux qui terminent les contre-forts de la cathédrale de Reims. Ce sont là de véritables chefs-d'oeuvre de composition et d'exécution. On conçoit combien il est difficile de poser des édicules au sommet d'un monument, et de les soumettre à l'échelle adoptée pour l'ensemble, de ne point tomber dans la recherche et le mesquin. Tout en donnant à ces couronnements une extrême élégance, l'architecte de Notre-Dame de Reims a su les mettre en harmonie parfaite avec les masses énormes qui les avoisinent, et cela en les accompagnant de statues colossales qui présentent, tout le long de la nef et du choeur, une série non interrompue de grands motifs occupant le regard et faisant disparaître ce qu'il pourrait y avoir de grêle dans ces piramides à jour et dentelées.

Voici (fig. 4) un dessin perspectif de ces pinacles. Le calme et la simplicité de la composition n'ont pas besoin de commentaires pour être appréciés; le croquis que nous donnons, si loin qu'il soit de l'original, fait ressortir les qualités essentielles de l'oeuvre. Observons comme, dans ce détail purement décoratif, l'architecte a su éviter les banalités. Dans les parties décoratives de l'architecture, depuis l'époque de la renaissance, et plus particulièrement de nos jours, on a su si bien familiariser nos yeux avec ce que nous nommerons les chevilles de notre art, que nous avons perdu le sentiment de ce qui est vrai, de ce qui est à sa place, de ce qui est orné, en raison du lieu et de l'objet. Que voyons-nous ici dans cet immense appendice décoratif qui n'a pas moins de 24 mètres depuis la gargouille jusqu'au fleuron supérieur? 1° Une pile ou culée puissante, pleine de A en B, destinée à contre-buter la poussée de l'arc-boutant inférieur dont la pression oblique agit avec plus d'énergie que celle du second; 2° de B en C, une pile évidée, suffisante pour contre-buter la poussée du second arc-boutant, à la condition que cette pile évidée sera chargée d'un poids considérable; celui de la piramide CD; 3° en avant de la partie du contre-fort évidé, deux colonnes monolithes qui raidissent tout le système de la structure, et sous cet évidement destiné à donner de la légèreté à cette pile énorme, une statue abritée, composée de telle façon que les lignes des ailes viennent rompre l'uniformité des lignes verticales; 4° le poids de la piramide, accusé aux yeux par les quatre piramidions d'angle en encorbellement. En tout ceci, rien de superflu, rien qui ne soit justifié ou calculé. Dans toutes les parties, la construction parfaitement d'accord avec la décoration et l'objet; construction savante d'ailleurs et n'étant nulle part en contradiction avec la forme.

Les architectes ne pouvaient pas toujours disposer de ressources aussi considérables, ni se permettre d'élever devant les contre-forts, ou sur leur sommet, des édicules de cette importance relative. Souvent, au contraire, nous voyons qu'ils sont privés des moyens de compléter leur oeuvre. À la cathédrale de Châlons-sur-Marne, dont la construction est contemporaine de celle de Reims, l'architecte procédait avec une économie évidente.

Aussi les pinacles qui terminent les contre-forts de la nef (fig. 5) sont-ils bien loin de présenter la richesse et l'abondance de composition de ceux de Notre-Dame de Reims. Ils consistent en un piramidion à section octogonale, surmontant la tête du contre-fort terminé par trois gâbles au-dessus de la gargouille recevant les eaux des combles coulant dans le caniveau A formant chaperon sur l'arc-boutant. Ici les piliers butants s'élèvent d'une venue jusqu'au niveau B; ce pinacle n'est plus qu'un simple couronnement destiné à couvrir ce pilier et à alléger son sommet. Un programme aussi restreint étant donné, ces pinacles sont encore habilement agencés, et il est difficile de passer d'une base massive à un couronnement grêle avec plus d'adresse.

Les contre-forts de la cathédrale de Rouen, au-dessus des chapelles de la nef, du côté septentrional, montrent de beaux pinacles datant de 1260 environ. Ils se composent (fig. 6) d'un édicule ayant en épaisseur le double de sa largeur; la partie postérieure est pleine et sert de culée à l'arc-boutant; la partie antérieure est ajourée et repose sur deux colonnettes. Sous le dais que forment les gâbles antérieurs est placée une statue de roi; les murs de clôture des chapelles sont en A. Sûrs de la qualité des matériaux qu'ils choisissaient, et sachant les employer en raison même de cette qualité, les architectes de cette époque ne reculaient pas devant ces hardiesses. Ces pinacles, qui ont aujourd'hui 600 ans, et qui n'ont certes pas été entretenus avec beaucoup de soin, sont encore debout, et leurs fines colonnettes supportent leurs couronnements sans avoir subi d'altération. On voit un pinacle analogue à ceux-ci, à la tête du premier contre-fort septentrional du choeur de la cathédrale de Paris, reconstruit exceptionnellement vers 1260, et contenant les statues des trois rois mages groupés. Ceux de l'église abbatiale de Saint-Dernis, élevés à la tête des arcs-boutants, sous le règne de saint Louis, rappelaient primitivement cette donnée; mais ils ont été tellement défigurés, lors des restaurations entreprises, il y a vingt-cinq ans, qu'on ne saurait les reconnaître. Un clocheton octogone surmontait la double travée des gâbles.

Le XIVe siècle alla plus loin encore en fait de légèreté dans la composition des pinacles. Ceux de la chapelle de la Vierge de la cathédrale de Rouen sont d'une ténuité qui les fait ressembler à des objets d'orfévrerie, et semblent plutôt être exécutés en métal qu'en pierre; il est vrai, que la pierre choisie, celle de Vernon, se prête merveilleusement à ces délicatesses.

Comme dans tous les autres membres de l'architecture gothique, les pinacles adoptent les lignes verticales de préférence aux lignes horizontales, à mesure qu'ils s'éloignent du commencement du XIIIe siècle. Ainsi (fig. 7), les pinacles qui terminent les contre-forts de la Sainte Chapelle du Palais à Paris, tracés en A, reposent sur la corniche qui fait tout le tour du bâtiment, et leurs gâbles prennent naissance sur une tablette horizontale a placée sur un dé cubique orné de refouillements. Ceux de la salle synodale de Sens, élevés à la même époque, c'est-à-dire vers 1250, et tous variés, accusent encore des lignes horizontales qui coupent les verticales. En B, nous donnons celui qui accompagne la statue du roi saint Louis, et qui représente un donjon avec porte fermée d'une herse, fenêtres grillées et tourelles. La section horizontale de ce pinacle, prise au niveau cd, est figurée en B'. Les pinacles qui couronnent les contre-forts du choeur de l'église Saint-Urbain de Troyes, figurés en C, et dont la section horizontale, faite au niveau ab, est tracée en C', n'ont, en fait de membre horizontal, qu'une bague dissimulée derrière les piramidions inférieurs. Ces pinacles datent de 1290. Enfin, les grands pinacles qui s'appuient sur les culées des arcs-boutants du choeur de la cathédrale de Paris, reproduits en D, qui datent de 1300, n'accusent qu'à peine la ligne horizontale. Là même, l'architecte a évidemment voulu donner à ce membre important de l'architecture une apparence élancée. Les clochetons f accolés au corps principal du pinacle, et qui l'épaulent, conduisent l'oeil du point e au sommet, par une ligne inclinée à peine interrompue. Ces pinacles sont très-habilement composés et produisent un grand effet. Le caniveau qui sert de chaperon à l'arc-boutant conduit les eaux, à travers les deux jouées du clocheton supérieur, dans une grande gargouille placée à sa base. Ces quatre pinacles sont figurés à la même échelle.

Au XVe siècle, la ligne horizontale, non-seulement n'entre plus dans la composition des pinacles, mais encore ceux-ci forment habituellement des faisceaux de prismes qui se terminent en piramides, se pénètrent et s'élancent les uns au-dessus des autres. Parmi les pinacles de cette époque, dont l'exécution est bonne, nous citerons ceux des contre-forts du choeur de l'église d'Eu (fig. 8).

En A, nous en donnons la section faite sur ab, et en B, quelques détails assez remarquables par leur exécution.

La silhouette a évidemment préoccupé les architectes auteurs de ces conceptions, et il est certain que, sauf de rares exceptions, elle est heureuse. Ces membres d'architecture se découpent presque toujours sur le ciel, et nous avons signalé dans d'autres articles (voy. CLOCHER, FLÈCHE) les difficultés que présente la composition de couronnement ayant l'atmosphère pour fond. En voulant éviter la maigreur, facilement on tombe dans l'excès opposé; le moindre défaut de proportion ou d'harmonie entre les détails et l'ensemble choque les yeux les moins exercés, détruit l'échelle, fait tache; car le ciel est, pour les oeuvres d'architecture, un fond redoutable: aussi faut-il voir avec quel soin les architectes du moyen âge ont étudié les parties de leurs édifices dont la silhouette est libre de tout voisinage, et comme les architectes de notre temps craignent d'exposer leurs oeuvres en découpure sur l'atmosphère. Plusieurs ont été jusqu'à déclarer que ces hardiesses étaient de mauvais goût: c'était un moyen aisé de tourner la difficulté, et cependant neuf fois sur dix les monuments se détachent en silhouette sur le ciel, car ils s'élèvent au-dessus des constructions privées, et sont rarement en pleine lumière, surtout dans notre climat. Il faut considérer, en effet, que c'est particulièrement dans les régions situées au nord de la Loire que les pinacles prennent une grande importance et sont étudiés avec une recherche minutieuse.

Le XVIe siècle composa encore d'assez beaux pinacles, mais qu'on ne peut comparer à ceux du XVe comme hardiesse, ni comme entente de l'harmonie des détails avec l'ensemble et des proportions. Les pinacles du XVIe siècle sont habituellement mal soudés à la partie qu'ils couronnent, ils ne s'y lient pas avec cette merveilleuse adresse que nous admirons, par exemple, dans la composition de ceux du tour du choeur de Notre-Dame de Paris. Ce sont des hors-d'oeuvre qui ne tiennent plus à l'architecture, des édicules plantés sur des contre-forts, sans liaison avec la bâtisse. Ils ne remplissent plus d'ailleurs leur fonction essentielle, qui est d'assurer la stabilité d'un point d'appui par un poids agissant verticalement; ce sont des appendices décoratifs, les restes d'une tradition dont on ne saisit plus le motif.

Note 129: (retour) Voyez la médaille frappée sous le règne de Caracalla, donnant au revers le temple de Vénus à Paphos (bronze); celle donnant au revers les propylées du temple du Soleil, à Baalbec. Consulter l'Architectura numismatica, recueillie par Donaldson, architecte (London, 1859).
Note 130: (retour) Le pinacle de la figure 1 provient des contre-forts de la grande église de Saint-Germer (XIIe siècle). Celui de la figure 2 se retrouve dans quelques édifices du Beauvoisis de la fin du XIe siècle. Les pinacles couronnant les contre-forts cylindriques de l'église Saint-Rémi de Reims étaient terminés par des pinacles analogues (XIe siècle).


PISCINE, s. f. Cuvettes pratiquées ordinairement à la gauche de l'autel (côté de l'épître), dans lesquelles le célébrant faisait ses ablutions après la communion. Le docteur Grancolas 131 s'exprime ainsi au sujet des piscines: «Il y a deux sortes d'ablutions après la communion, la première est du calice et la seconde est des mains ou des doigts du célébrant. C'étoit le diacre qui faisoit celle du calice, comme il paroist par plusieurs anciens missels; et le prestre lavoit ses mains, et c'étoit pour la troisième fois qu'il le faisoit, avant que de venir à l'autel, après l'offrande, et en suite de la communion, comme le dit Ratolde, lotis manibus tertiò... Dans l'Ordre romain de Gaïet, il y a que le prestre n'avaloit pas le vin avec lequel il lavoit ses doigts, mais on le jetoit dans la piscine.--Yves de Chartres rapporte que le prestre lavoit ses mains après la communion... Jean d'Avranches ordonne qu'il y ait un vase particulier dans lequel le prestre lave ses doigts après la communion... Dans les usages de Cîteaux, on mettoit du vin dans le calice pour le purifier, et le prestre alloit laver ses doigts dans la piscine, puis il avaloit le vin qui étoit dans le calice et en prenoit une seconde fois pour purifier encore le calice...

«J'ajouteray que Léon IV, dans une oraison synodale aux curez, ordonne qu'il y ait deux piscines dans chaque église, ou dans les sacristies, ou proche des autels: «Locus in secretario aut juxta altare sit præparatus, ubi aqua effundi possit quando vasa sacra abluuntur, et ibi linteum nitidum cum aqua dependeat; ut ibi sacerdos manus lavet post communionem.» C'étoit pour laver les mains après la communion. Ratherius, évêque de Ravenne, dans ses instructions, ordonne la même chose. Saint Uldaric (ou Udalric), dans les anciennes coutumes de Cluny, parle de deux piscines: dans l'une on purifioit le calice, et dans l'autre on lavoit les mains après le sacrifice...; le diacre et le soudiacre lavoient aussi leurs mains...» Lebrun des Marettes, dans ses Voyages liturgiques 132, à propos de ce qui se pratiquait à la cathédrale de Rouen après la communion, dit: «Le prêtre, après la communion, ne prenoit aucune ablution; mais seulement pendant que les ministres de l'autel communioient du calice, un acolyte apportoit un autre vase pour laver les mains du prêtre, comme on fait encore aujourd'hui à Lyon, à Chartres et chez les Chartreux, et comme on faisoit encore à Rouen avant le dernier siècle, afin qu'il ne fût pas obligé de prendre la rinçure de ses doigts 133.» Et plus loin 134: «La dernière ablution avec l'eau et le vin ne s'y faisoit point alors (au XVIIe siècle), et on n'obligeoit point le prêtre de boire la rinçure de ses doigts. Il alloit laver ses mains à la piscine ou lavoir qui étoit proche de l'autel, sacerdos vadat ad lavatorium. La même chose est marquée dans le missel des Carmes de l'an 1574. Et le rituel de Rouen veut qu'il y en ait proche de tous les autels...» Guillaume Durand 135 dit qu'auprès des autels on doit placer une piscine ou un bassin dans lequel on se lave les mains. M. l'abbé Crosnier, dans une notice publiée dans le Bulletin monumental 136, pose ces diverses questions qu'il cherche à résoudre: «1º Le prêtre a-t-il toujours pris les ablutions à la fin de la messe? 2º La discipline de l'Église sur ce point a-t-elle été uniforme jusqu'au XIIIe siècle? 3º A-t-elle été modifiée à cette époque, et qui est l'auteur de cette modification? 4º Quelle est l'origine de la double piscine qu'on remarque dans presque toutes les églises du XIIIe siècle? 5º L'usage de prendre les ablutions a-t-il été universel et sans exceptions depuis le XIIIe siècle?» Jusqu'au XIIe siècle le prêtre lavait ses mains, à la fin des saints mystères, dans la piscine. Nous venons de voir que, d'après un ancien ordinaire de Rouen, le prêtre ne prenait aucune ablution; celle-ci était versée dans la piscine pendant que les ministres communiaient sous l'espèce du vin.

Yves de Chartres s'exprime ainsi au sujet des ablutions: «Après avoir touché et pris les espèces sacramentelles, le prêtre, avant de se retourner vers le peuple, doit se laver les mains et l'eau est jetée dans un lieu sacré destiné à cet usage.» «Cependant, dit M. l'abbé Crosnier 137, par respect pour les Saintes Espèces, déjà avant le XIIIe siècle, on trouve dans les ordres religieux l'usage de prendre les ablutions; il paraissait inconvenant de verser dans la même piscine l'eau qui avait servi à laver les mains avant la préface, et le liquide employé pour la purification du calice et des doigts après les Saints Mystères; aussi on trouve dans les anciennes coutumes de Cluny trois ablutions prises par le prêtre après la communion, une pour le calice et deux pour les mains...»

Le pape Innocent III ayant décidé que les ablutions devaient être prises par le prêtre, «on a voulu, ajoute M. l'abbé Crosnier, tout à la fois conserver les anciens usages et tenir compte, sinon de la décision du pape, du moins des motifs qui l'avaient suscitée. On établit deux piscines, l'une réservée aux ablutions proprement dites, et l'autre destinée à recevoir les eaux ordinaires...»

C'est en effet à dater de la fin du XIIe siècle, que l'on voit les piscines géminées adoptées dans les chapelles des églises cathédrales et conventuelles, plus rarement dans les églises paroissiales. Les piscines géminées ou simples disparaissent vers le XVe siècle, alors que l'usage de prendre les ablutions est admis dans toutes les églises.

Peut-être avant le XIIe siècle avait-on des piscines transportables, des bassins de métal que l'on plaçait auprès de l'autel, car ce n'est qu'à dater de cette époque que l'on voit la piscine faire partie de l'édifice, qu'elle est prévue dans la construction; encore les premières piscines paraissent-elles être des hors-d'oeuvre, des appendices qui ne s'accordent pas avec l'architecture, tandis qu'au XIIIe siècle la piscine est étudiée en vue de concourir à l'ensemble de la structure.

Les chapelles absidales de l'église abbatiale de Saint-Denis, qui datent de Suger, possèdent des piscines simples en forme de cuvette accolée à l'un des piliers. À la fin du XIIe siècle, dans les chapelles de l'église abbatiale de Vézelay, nous voyons des piscines conçues d'après ce même principe et qui font un hors-d'oeuvre.

Voici (fig. 1) l'une d'elles, qui se compose d'une cuvette lobée avec un orifice au centre. La cuvette porte sur un faisceau de colonnettes percé verticalement, de manière à perdre les eaux dans les fondations. C'était un usage établi généralement, lors de l'établissement des premières piscines, de perdre les eaux sous le sol même de l'église. Plus tard, les piscines furent munies de gargouilles rejetant les eaux à l'extérieur, sur la terre sacrée qui environnait les églises. Cette piscine de Vézelay pose sur le banc qui fait le tour de la chapelle et reçoit l'arcature; sa cuvette est alternativement ornée à l'extérieur de cannelures creuses et godronnées; la base, le faisceau des quatre colonnettes et la cuvette sont taillés dans un seul morceau de pierre. Dans l'église de Montréale (Yonne), qui date de la même époque, derrière le maître autel et dans le banc même qui reçoit l'arcature, est creusée une cuvette de piscine (fig. 2) de forme carrée.

Le banc servait ainsi de crédence pour déposer les vases nécessaires aux ablutions. Plus tard, les piscines prirent une certaine importance et furent faites en forme de niches pratiquées dans les parois des choeurs ou des chapelles. L'usage de la piscine était désormais consacré, de plus la cuvette simple était remplacée par deux cuvettes jumelles. On retrouve beaucoup de piscines de ce genre dès la fin du XIIe siècle. Elles affectent la forme de niches doubles séparées par un petit pilier, et dans la tablette desquelles sont creusées deux cuvettes de forme carrée, ou plus habituellement circulaires, avec un orifice au centre pénétrant dans la fondation.

Beaucoup d'églises abbatiales de cette époque, des ordres de Cluny et de Cîteaux, conservent dans leurs chapelles des piscines ainsi disposées. Celle que nous donnons (fig. 3) provient de l'abbaye de Saint-Jean les Bons-Hommes. Une pilette isolée reçoit un sommier portant deux arcs plein cintre. On voit en A une entaille pratiquée pour poser une tablette de bois; en C, est une entaille terminée à son extrémité droite par un orifice. Peut-être cette entaille était-elle destinée à recevoir le chalumeau. En effet, Lebrun des Marettes, dans ses Voyages liturgiques 138, rapporte que de son temps encore il y avait, dans l'église abbatiale de Cluny, un petit autel au côté gauche du grand autel; que le petit autel servait à la communion sous les deux espèces, qui s'y pratiquait les fêtes et dimanches à l'égard de quelques ministres de l'autel. «Après que le célébrant, ajoute-t-il, a pris la sainte hostie et une partie du sang, et qu'il a communié de l'hostie les ministres de l'autel, ils vont au petit autel à côté; et le diacre ayant porté le calice, accompagné de deux chandeliers, tient le chalumeau d'argent par le milieu, l'extrémité étant au fond du calice; et les ministres de l'autel, ayant un genou sur un petit banc tapissé, tirent et boivent le précieux sang par ce chalumeau. La même chose se pratique à Saint-Denys en France, les jours solennels et les dimanches. Ce petit autel s'appelle la prothèse

Après la communion, dit Boquillot, on renfermait le chalumeau dans l'armoire avec le calice: or, des traces de scellements, visibles dans notre figure 3 en B, indiqueraient qu'une fermeture était disposée de façon à clore cette piscine, qui devenait ainsi une véritable armoire; le calice eût pu être déposé sur la tablette dont l'entaille se voit en A. Un peu plus tard, près de la piscine, on pratiqua souvent une armoire (voyez ce mot). Dès lors il ne fut plus nécessaire de fermer les piscines; aussi voyons-nous que dès le commencement du XIIIe siècle, celles-ci sont disposées pour être ouvertes, bien qu'elles soient le plus souvent ménagées dans des niches jumelles.

La jolie église de Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne) conserve dans la chapelle méridionale une piscine de ce genre très-délicatement composée. Elle consiste en une niche séparée en deux par une pilette taillée, ainsi que chacun des deux jambages, dans un seul morceau de pierre (fig. 4). L'arcature jumelle est évidée dans deux dalles de pierre, la construction venant se bloquer à l'entour. Les cuvettes sont circulaires (voy. le plan), et nulle trace n'indique que cette piscine ait jamais été close. Les colonnettes évidées n'ont pas plus de 4 centimètres de diamètre. On voit par cet exemple déjà, que les architectes du XIIIe siècle, une fois le programme de la piscine admis, en faisaient un motif de décoration; c'est qu'en effet ils n'admettaient pas qu'une nécessité, qu'un besoin ne devînt l'objet d'une étude spéciale, et par suite un moyen d'orner l'édifice. Nous chercherions aujourd'hui, pour ne pas contrarier les lignes de la belle architecture, à dissimuler cet appendice; nos devanciers, au contraire, le faisaient franchement paraître, bien qu'il ne fût jamais dans un axe, et le décoraient avec recherche. Les chapelles de la cathédrale d'Amiens, élevées vers 1240, possèdent de belles piscines prises entre l'arcature formant le soubassement; traitées avec un soin particulier, ces piscines sont placées à la gauche de l'autel (côté de l'épître), suivant l'usage. De l'autre côté, en regard, est pratiquée une armoire.

Nous donnons (fig. 5) un ensemble perspectif de l'une de ces piscines, avec l'arcature qui l'accompagne et lui sert d'entourage. La figure 5 bis en donne le plan. Les colonnettes de l'arcature sont, comme on le voit par ce plan, indépendantes de la piscine, qui est prise aux dépens de l'épaisseur du mur du soubassement. Les orifices des deux cuvettes se perdent dans les fondations, ces piscines n'ayant pas de gargouilles extérieures.

La Sainte-Chapelle du Palais, à Paris, présente également à la gauche du maître-autel une fort belle piscine à double cuvette, avec crédence au-dessus divisée en quatre compartiments. Cette piscine est gravée dans la monographie de la Sainte-Chapelle, publiée par M. Caillat 139; se combine, comme celle que nous venons de donner, avec l'arcature qui forme la décoration du soubassement de la chapelle. En regard, à la droite de l'autel, est une armoire double.

Quelquefois, mais fort rarement, dans les églises du XIIIe siècle, les piscines sont faites en forme de cuvettes posées sur un socle, comme celles de Vézelay. Nous citerons celles des chapelles du choeur de la cathédrale de Séez (fin du XIIIe siècle), dont nous donnons (fig. 6) un croquis. Ici les deux cuvettes n'ont pas la même forme, l'une est à pans, l'autre circulaire; elles reposent sur un faisceau de branchages feuillus, et sont placées dans les travées de l'arcature. Les faisceaux de branchages prennent naissance sur le banc continu servant de soubassement à cette arcature 140.

Les piscines des chapelles des XIIIe et XIVe siècles de la cathédrale de Paris sont d'une grande simplicité, et ne consistent guère qu'en une petite niche lobée portée sur deux colonnettes engagées, ou tombant par un chanfrein sur la tablette. Toutes ces piscines possèdent des gargouilles à l'extérieur. Les piscines des chapelles du choeur de la cathédrale de Reims étaient fermées par des volets de bois et servaient en même temps d'armoires.

Le XIVe siècle fit des piscines très-délicates et riches de sculpture. Nous citerons parmi les plus remarquables celle du choeur de l'église de Saint-Urbain de Troyes 141. Elle contient deux cuvettes partagées par une pilette centrale et terminées par deux gâbles décorés d'un couronnement de la sainte Vierge et de deux figurines des deux donateurs, le pape Urbain IV et le cardinal Aucher. Quatre dais refouillés avec art couronnent ces figurines et sont surmontés de merlons entre lesquels apparaissent des archers paraissant défendre l'édicule. Cette piscine est très-bien gravée dans les Annales archéologiques 142, d'après un dessin de M. Boeswilwald, et nous croyons n'avoir mieux à faire que de renvoyer nos lecteurs à cette reproduction et à la notice de M. Didron qui l'accompagne. La piscine de Saint-Urbain n'est pas la seule qui soit couronnée par un crénelage; nous citerons aussi celles des chapelles absidales de l'église de Semur en Auxois, qui, bien qu'antérieures de soixante ans à celle de Saint-Urbain, sont de même crénelées à leur sommet 143. Les piscines deviennent rares au XVe siècle, probablement parce que l'usage de prendre les ablutions était généralement admis. Cependant nous en trouvons quelques exemples, mais les cuvettes doubles ne sont plus pratiquées. Dans l'une des chapelles latérales de l'église de Semur en Auxois il existe une jolie piscine du XVe siècle que nous donnons ici (fig. 7).

La cuvette est portée sur une colonnette, et dans la niche pratiquée au-dessus est une petite crédence pour poser les vases. Un dais très-riche surmonte le tout. En A nous donnons la section de cette piscine sur ab; en B, sur cd. On voit d'ailleurs dans les églises françaises des XIIIe et XIVe siècles un nombre prodigieux de piscines toutes variées de forme et d'une composition charmante. C'est dans ces accessoires que l'on peut observer la fertilité singulière des architectes de cette époque. Bien rarement ils reproduisent un exemple même remarquable; avec la collection des piscines, on ferait un ouvrage entier fournissant des compositions variées à l'infini d'un même objet.

Note 131: (retour) Les anciennes liturgies. Paris, 1697, t. I, p. 692.
Note 132: (retour) Voyages liturgiques, par le sieur de Mauléon (Lebrun des Marettes). Paris, 1718.
Note 133: (retour) Cette rinçure était probablement jetée dans la piscine.
Note 135: (retour) Rational des divins offices, liv. I, chap. XXXIX.
Note 136: (retour) 1849, tome V de la 2e série, p. 55.
Note 138: (retour) Voyages liturgiques, par le sieur de Mauléon (1718), p. 149.
Note 139: (retour) Bance, Paris, 1858.
Note 140: (retour) Il y a toujours un banc devant les piscines.
Note 141: (retour) Cette piscine date des dernières années du XIIIe siècle, mais appartient, par son ornementation, au XIVe siècle. Nous avons eu, plusieurs fois, l'occasion d'observer que l'église Saint-Urbain de Troyes est en avance de vingt-cinq ans au moins sur l'architecture de l'Île-de-France.
Note 142: (retour) Tome VII, p. 36.
Note 143: (retour) L'une de ces piscines a été gravée dans les Annales archéologiques, t. IV, p. 87. Ces piscines sont à une seule cuvette. On voit aussi, dans la chapelle latérale de l'église de Saint-Thibaut (Côte-d'Or), une piscine du XIVe siècle, à cuvette unique, couronnée par un dais crénelé.


PLAFOND, s. m. (lambris). Ce que nous appelons plafond aujourd'hui dans nos constructions, c'est-à-dire ce solivage de niveau latté et enduit par-dessous, de manière à présenter une surface plane, n'existait pas, par la raison que le plafond n'était que l'apparence de la construction vraie du plancher, qui se composait de poutres et de solives apparentes, plus ou moins richement moulurées et même sculptées. Ces plafonds figuraient ainsi des parties saillantes et d'autres renfoncées, formant quelquefois des caissons ou augets que l'on décorait de profils et de peintures. Il ne nous reste pas en France de plafonds antérieurs au XIVe siècle, bien que nous sachions parfaitement qu'il en existait avant cette époque, puisqu'on faisait des planchers que l'on se gardait d'enduire par-dessous. Les enduits posés sur lattis sous les planchers ont, en effet, l'inconvénient grave de priver les bois de l'air qui est nécessaire à leur conservation, de les échauffer et de provoquer leur pourriture. Des bois laissés à l'air sec peuvent se conserver pendant des siècles; enfermés dans une couche de plâtre, surtout s'ils ne sont pas d'une entière sécheresse, ils travaillent, fermentent et se réduisent en poussière. Nous ne croyons pas nécessaire d'insister sur ce fait bien connu des praticiens 144.

Le plafond n'était donc, pendant le moyen âge, que le plancher; c'était la construction du plancher qui donnait la forme et l'apparence du plafond; il ne venait jamais à l'idée des maîtres de cette époque de revêtir le dessous d'un plancher de voussures, de compartiments et caissons en bois ou en plâtre, n'ayant aucun rapport avec la combinaison donnée par la construction vraie. Il serait donc difficile de traiter des plafonds du moyen âge sans traiter également des planchers, puisque les uns ne sont qu'une conséquence des autres; aussi nous confondrons ces deux articles en un seul.

Si les pièces étaient étroites, si entre les murs il n'existait qu'un espace de deux ou trois mètres, on se contentait d'un simple solivage dont les extrémités portaient sur une saillie de pierre, ou dans des trous, ou sur des lambourdes; mais si la pièce était large, on posait d'abord des poutres d'une force capable de résister au poids du plancher, puis sur ces poutres un solivage. Cette méthode était admise dans l'antiquité romaine et elle fut suivie jusqu'au XVIe siècle. Lorsque les poutres avaient de très-grandes portées, les constructeurs ne se faisaient pas faute de les armer pour leur donner du roide et les empêcher de fléchir sous le poids des solivages. Il est clair que ces sortes de planchers prenaient beaucoup de hauteur; mais nos devanciers ne craignaient pas les saillies produites par les poutres, et les considéraient même comme un moyen décoratif.

Les poutres (fig. 1) avaient en général peu de portée dans les murs, mais étaient soulagées par des corbeaux de pierre plus ou moins saillants. Si ces poutres étaient ornées de profils sur leurs arêtes, ceux-ci n'apparaissaient qu'au delà de la portée sur les corbeaux. Dans les planchers les plus anciens, les solives posent d'un bout seulement sur ces poutres, ainsi qu'il est figuré en B; de l'autre, dans une rainure pratiquée dans la muraille, dans des trous ou sur une lambourde C, comme on le voit en D, laquelle lambourde est posée elle-même sur des corbelets ou un profil continu. Comme il arrivait fréquemment que ces solives se contournaient, n'étant maintenues ni par des tenons ni par des chevilles, on posait alors entre leurs portées, sur les poutres et les lambourdes, des entretoises E formant clefs et chevillées obliquement. Ce moyen roidissait beaucoup les solivages et les poutres. Les entrevous des solives posées anciennement tant pleins que vides, ou étaient enduits sur bardeaux, ou bien garnis de merrains G posés transversalement. Les joints de ces merrains étaient masqués par des couvre-joints H, qui formaient entre les solives comme autant de petits caissons. Sur ces merrains on étendait une aire de plâtre ou de mortier I, puis le carrelage K. Les bois de ces plafonds restaient rarement apparents; ils étaient habituellement couverts de peinture en détrempe que l'on pouvait renouveler facilement. On voit encore bon nombre de ces plafonds des XIIIe et XIVe siècles sous des lattis plus modernes, dans d'anciennes maisons. Quelquefois les poutres et les solives elles-mêmes sont très-délicatement moulurées.

Ce système de planchers employait une grande quantité de bois et exigeait des solives d'un assez fort équarrissage: car, nous l'avons dit déjà, on posait ces solivages tant pleins que vides; il se prêtait parfaitement à couvrir des pièces longues, de grandes salles, des galeries; mais pour des chambres, des pièces à peu près carrées, il n'offrait pas la rigidité que l'on cherche dans des pièces très-habitées et garnies de meubles lourds. On essaya donc au XIVe siècle de remplacer ce système si simple par un autre d'un effet plus agréable et présentant plus de rigidité.

Ainsi (fig. 2), une salle étant donnée, dont le quart est tracé en ABCD, deux poutres principales E étaient posées. Quatre cours de poutrelles F, formant entretoises, venaient s'assembler à repos dans ces poutres et des cours de solives G s'assemblaient de même dans les poutrelles. En H nous donnons la coupe de ce plancher faite sur ab. Les poutrelles reposaient le long des murs sur des corbeaux I, et des lambourdes K engagées dans une rainure, remplissaient les intervalles entre les poutrelles et recevaient les abouts des solives. Les assemblages des pièces de ce plafond sont tracés en L. La poutre est profilée en P, avec les repos des poutrelles en M. Celles-ci, N, possèdent un tenon à queue-d'aronde qui s'embrève dans le repos M, et des repos R qui reçoivent les tenons S des solives également taillés à queue-d'aronde. Des planches d'un pouce et demi étaient posées en long sur les solives et maintenues par les languettes T. Ce système d'embrévements à queue-d'aronde donnait beaucoup de rigidité au plancher, empêchait l'écartement et le chantournement des bois. Les pièces moulurées formaient une suite de caissons d'une apparence très-riche et très-agréable. Nous avons vu des plafonds ainsi construits dans des maisons des petites villes de Saint-Antonin et de Cordes, qui n'avaient souffert aucune altération. Ces plafonds, en beau chêne ou même en sapin, n'avaient jamais été décorés de peintures et présentaient un lambris d'une belle couleur. Non contents de les décorer de moulures, les architectes les enrichirent encore de sculpture. Il existe dans une maison de la rue du Marc, nº 1, à Reims, un magnifique plafond en bois sculpté du XVe siècle, conçu suivant ce principe, et qui est autant une oeuvre de menuiserie que de charpenterie 145. Il recouvre une salle de 15 mètres de longueur sur 6m,50 de largeur, et se divise en cinq travées séparées par six poutres, les deux d'extrémités formant lambourdes.

La figure 3 donne une partie d'une de ces travées, l'ensemble du plafond étant tracé en A. Entre les poutres P sont posées les solives S avec tenons à leurs extrémités. Les solives sont roidies par des entretoises E. Des panneaux B remplissent les intervalles. Ces panneaux sont décorés de parchemins pliés. Les poutres sont sculptées latéralement et sous leur parement; des culs-de-lampe sont rapportés sous les abouts des solives.

Des détails sont nécessaires pour expliquer l'assemblage et la décoration de ce plafond; nous les donnons dans la figure 4. En A est tracée la moitié du profil des poutres; la ligne ponctuée a indique la portée de la solive B. Les culs-de-lampe C ont leur tailloir pincé en b sous cette portée. Les entretoises D sont arrêtées sur les solives, ainsi que l'indique le tracé perspectif D'; un épaulement E, légèrement incliné, reçoit leur about. En G nous donnons une coupe sur les solives, avec l'about de la poutre près de sa portée. En supposant le solivage enlevé, la poutre présente le tracé H. On voit ainsi que les culs-de-lampe sont indépendants et laissent passer derrière leur extrémité inférieure les moulures sculptées sur les poutres. Ce détail explique assez combien ce plafond, partie charpenterie, partie menuiserie, présente de roideur; son aspect est agréable sans trop préoccuper le regard, ce qui est important, car les architectes du moyen âge et même ceux de la renaissance ne pensaient pas encore à ces compositions, majestueuses aux yeux des uns, grotesques aux yeux de beaucoup d'autres, dont on a couvert les plafonds depuis le XVIIe siècle, compositions qui, à tout prendre, ne sont que des plâtrages peints et dorés sur des lattis, accrochés avec des crampons de fer, des apparences masquant une grande pauvreté de moyens sous une couverte de moulages rapportés, simulant des marbres et des bronzes, voire quelquefois des tentures!

Dans la construction de leurs planchers, et par conséquent de leurs plafonds, les maîtres du moyen âge étaient toujours vrais; ils montraient et paraient la structure. Il y avait plus de mérite à cela, pensons-nous, qu'à mentir sans vergogne aux principes élémentaires de la construction. On se préoccupait d'abord des combinaisons des pièces de charpente, puis on cherchait à les décorer en raison même de cette combinaison.

Dans les provinces méridionales de la France, on employait aussi les plafonds rapportés et cloués sur les solives; c'est-à-dire que sous le solivage on clouait des planches, et sur ces planches des moulures formant des compartiments décorés de peintures. Ces sortes de plafonds étaient d'une grande richesse, et en même temps présentaient la légèreté que l'oeil aime à trouver dans les parties supérieures d'une pièce. Ce procédé a été encore employé pendant la renaissance, et le plafond de la galerie de François 1er, à Fontainebleau, en donne un charmant exemple 146.

Notre siècle, qui est un peu trop pénétré de la conviction qu'il invente chaque jour, ne doute pas que les plafonds composés de voutains en brique posés sur des solivages en bois ou fer sont une innovation; or, voici (fig. 5, en A) un plafond posé dans une maison de la fin du XVe siècle, à Chartres, rue Saint-Père, qui nous donne une combinaison de ce genre. Les solives B sont posées sur l'angle et scellées dans les murs; sur leurs plats b sont hourdés des voutains en brique posés en épi. Ces briques ont 3 centimètres d'épaisseur sur 10 centimètres de côté. Les reins C sont remplis de maçonnerie sur laquelle pose le carrelage D. Les solives ont 32 centimètres de côté (un pied) et placées sur la diagonale, elles offrent une grande roideur. Ce plafond, d'une portée assez faible, produit un très-bon effet, et peut facilement être décoré et maintenu propre. À Troyes, dans l'hôtel de l'Aigle, dit de Mauroy, rue de la Trinité, il existe un plafond du XVe siècle, entièrement en bois (voir le tracé G) qui présente des solives refendues E suivant leur diagonale, et posées comme le fait voir la figure 5. Dans l'angle rentrant formé par la juxtaposition de ces solives sont clouées des chanlattes I, puis sur le tout des madriers K, en travers. Ces solives s'assemblent dans des poutres, dont nous donnons la demi-section en L. Quelquefois les angles saillants de ces solives refendues sont chanfreinés, ce qui donne au plafond une apparence de légèreté peu commune. La mode du majestueux (car le majestueux est une des modes les plus durables en ce pays, qui en change si volontiers) a détruit ou recouvert de lattis beaucoup de ces plafonds du moyen âge ou de la renaissance. Il faut être à la piste des démolitions de nos plus vieux hôtels pour découvrir sous des plâtrages des combinaisons souvent très-ingénieuses. C'est ainsi, par exemple, que lors de la démolition de l'hôtel de la Trémoille, à Paris, nous avons vu sous des lattis recouverts de moulures de plâtre, des solivages très-délicatement travaillés, posés sur des poutres et formant une suite de gracieux caissons carrés. C'était une combinaison analogue à celle donnée dans la figure 3, si ce n'est que les entretoises étaient assemblées à tiers de bois avec les solives et laissaient des intervalles parfaitement carrés. Chacun de ces intervalles était rempli par un panneau sculpté d'arabesques; le tout avait été peint et doré. L'Angleterre, plus conservatrice que nous de ses vieux édifices (ce qui ne l'empêche pas d'être à la tête des idées de progrès), possède encore de beaux plafonds des XVe et XVIe siècles, en bois mouluré et sculpté. Si les portées des poutres étaient très-longues, celles-ci étaient souvent armées, c'est-à-dire composées de deux moises pinçant deux pièces inclinées formant arbalétriers ou surmontées de deux véritables arbalétriers noyés dans l'épaisseur du solivage et du carrelage. Des étriers en fer forgé et orné suspendaient la poutre aux deux arbalétriers; ces étriers contribuaient à la décoration de la poutre, et les moulures entaillées sur ses arêtes-vues s'arrêtaient au droit des ferrures. On voit fréquemment des plafonds figurés ainsi dans des vignettes de manuscrits du XVe siècle.

Comme on se fatigue de tout, même des choses qui ne sont justifiées ni par la raison ni par le goût, nous pouvons espérer voir abandonner un jour les lourds plafonds à voussures et à gros caissons, à figures ronde bosse et à draperies entremêlées de guirlandes et de pots, si fort en vogue depuis le règne de Louis XIV, et revenir aux plafonds dont la forme serait indiquée par la structure, qu'elle soit en bois ou en fer.

Il faut observer ici que dès le XVe siècle, entre les solives des planchers, on faisait souvent des entrevous en plâtre enduits sur bardeaux, posés sur tasseaux cloués aux deux tiers de l'épaisseur de la solive, tant pour empêcher la poussière de tamiser entre les languettes des planches de recouvrement que pour éviter la sonorité des planchers entièrement en bois. Ces entrevous étaient peints et même quelquefois décorés de reliefs en plâtre. On voit quelques plafonds de ce genre dans de vieilles maisons d'Orléans. Au-dessus des entrevous, on laissait un isolement, puis on posait des bardeaux sur les solives, et l'on formait des augets, également en plâtre, dans lesquels on tassait le cran, la marne ou même la terre destinés à recevoir le carrelage.

Note 144: (retour) L'usage des planchers en fer justifie au contraire l'adoption des sous-surfaces planes et enduites.
Note 145: (retour) M. Thiérot, architecte à Reims, a bien voulu relever pour nous ce plafond avec le plus grand soin.
Note 146: (retour) Ce plafond a été malheureusement remanié. Nous parlons de celui qui existait avant 1843. À Venise, on voit encore de beaux plafonds exécutés d'après ce système. On en trouve aussi en Espagne et notamment à Tolède. Les hôtels de Toulouse en présentaient encore quelques-uns il y a peu d'années.


PLATE-BANDE, s. f. On appelle ainsi un linteau appareillé en claveaux. La plate-bande, ou réunion de pierres horizontalement posées sur deux pieds-droits, étant en principe de construction un appareil vicieux, les architectes du moyen âge ne l'ont guère plus employée que les Grecs. Les Grecs n'admettaient pas l'arc, et s'ils avaient à franchir un espace entre deux piliers, deux pieds-droits ou deux colonnes, ils posaient sur les points d'appui verticaux un monolithe horizontal. Les Romains procédèrent de même dans la plupart des cas, bien qu'ils eussent déjà appareillé des linteaux et qu'ils en aient fait ainsi de véritables plates-bandes. Les architectes du moyen âge, sauf de très-rares exceptions mentionnées dans l'article CONSTRUCTION et FENÊTRE, ont toujours repoussé le linteau composé de claveaux. S'ils craignaient une rupture, ils bandaient au-dessus un arc de décharge. Nous sommes moins scrupuleux, et nous posons dans nos édifices publics ou privés autant de plates-bandes qu'il y a de baies ou de travées fermées horizontalement; seulement nous avons le soin de soutenir cet appareil vicieux au moyen de fortes barres de fer.

Alors pourquoi ne pas employer des monolithes? N'omettons pas de mentionner ici, encore une fois, les plates-bandes de nos grands monuments, comme la colonnade du Louvre; le Garde-Meuble, la Madeleine, le Panthéon, dont les claveaux sont enfilés dans des barres de fer suspendues par des tirants à des arcs supérieurs. Les architectes du moyen âge, on le comprend, ne pouvaient s'astreindre à mentir de cette sorte aux principes les plus vrais et les plus naturels de la construction, et c'est pour cela que plusieurs les considérèrent comme des gens naïfs.



PLÂTRE, s. m. Gypse cuit au four, broyé et se combinant rapidement avec l'eau de manière à former un corps solide, léger, assez dur, et très-mauvais conducteur du calorique.

C'est un préjugé de croire que les constructeurs du moyen âge n'ont pas employé le plâtre. Cette matière, au contraire, était admise non-seulement dans les constructions privées, mais aussi dans les édifices publics. C'est qu'en effet le plâtre est une excellente matière, la question est de l'employer à propos.

Le plâtre pur, mélangé avec la quantité d'eau convenable, dès qu'il commence à durcir (ce qui a lieu presque immédiatement après le mélange), gonfle et prend un volume plus considérable que celui qu'il avait à l'état liquide. À mesure que l'eau s'évapore et lorsqu'il se dessèche, il perd au contraire de son volume. Ce retrait, on le comprend, peut être dangereux dans nombre de cas, il produit des tassements. Aussi les constructeurs du moyen âge n'ont-ils jamais employé le plâtre dans la grosse maçonnerie, dans ce que nous appelons la limousinerie, ni (sauf des cas très-rares) pour remplir les lits ou joints des pierres. Ils posaient toujours leurs assises de pierres à bain de mortier, et pour leurs blocages entre les parements, ils n'employaient jamais que le mortier avec du gros sable. Il arrivait cependant parfois qu'il n'était pas possible de poser des claveaux, par exemple, à bain de mortier, lorsque les cintres avaient une très-grande portée et que les arcs étaient très-épais; alors on coulait, dans les joints, du bon plâtre. C'est ainsi qu'avaient été bandés primitivement les claveaux des arcs de la rose occidentale de la cathédrale de Paris; et il faut dire que le plâtre employé était excellent, car les lames de coulis s'enlevaient comme de minces tablettes d'un centimètre d'épaisseur, sans se briser.

C'était principalement dans les intérieurs que les architectes du moyen âge employaient le plâtre, pour faire des entrevous et des aires sur les planchers, pour hourder des pans de bois, des cloisons, pour faire des enduits. La plupart des pans de bois de refend des maisons des XIVe et XVe siècles sont hourdés en plâtre. Nous avons vu même parfois des baies, donnant d'une pièce dans l'autre, découpées dans du plâtre. Dans l'archevêché de Narbonne, sous le passage de la porte d'entrée, il existe une petite rose du XIVe siècle, en plâtre, moulurée sur des fentons de fer et donnant dans la grande salle voisine. On faisait aussi à cette époque des manteaux de cheminée en plâtre mouluré et sculpté (voy. CHEMINÉE), des corniches d'appartements, des clotets 147, des doubles baies que l'on fermait d'étoffes. Très-anciennement, pendant l'époque mérovingienne et carlovingienne primitive, on avait fait des cercueils en plâtre, et dans les fouilles de vieux cimetières on en retrouve de nombreux débris. On employait aussi le plâtre tamisé très-fin pour faire des enduits sur la pierre et même sur le bois, afin de pouvoir y appliquer des peintures. Le moine Théophile parle de nombreux ouvrages de bois dans lesquels le plâtre joue un rôle important. Le plâtre pur non falsifié acquiert une grande dureté, il est brillant dans la cassure, très-blanc et résistant. Or, les gens du moyen âge, naïfs comme chacun sait, n'avaient pas découvert tous les procédés modernes à l'aide desquels on falsifie cette excellente matière, et leurs enduits de plâtre sont d'une beauté remarquable. Toutefois le plâtre, même bon, ne résiste pas aux agents atmosphériques, et il ne peut et ne doit être employé qu'à l'intérieur ou dans des lieux bien abrités.

Note 147: (retour) Le clotet était une séparation établie à demeure ou provisoirement dans une grande salle. Beaucoup de grandes salles de châteaux avaient ainsi des clotets qui formaient autant de cabinets où l'on pouvait se retirer. Ces clotets n'avaient guère que 2 mètres de hauteur, sans plafonds. On les remplaça plus tard par des paravents, empruntés aux divisions que les Chinois établissent instantanément dans leurs logis.


PLOMBERIE, s. f. Ouvrages en plomb battu ou fondu, destinés à couvrir les édifices, à conduire les eaux, à revêtir des charpentes exposées à l'air. La plomberie remplit un rôle important dans l'architecture du moyen âge; c'était d'ailleurs une tradition antique, et l'on ne peut fouiller un édifice gallo-romain sans découvrir, dans les décombres quelques débris des lames de plomb employées pour le revêtement des chéneaux et même des combles. Sous les rois mérovingiens, on couvrait des édifices entiers, églises ou palais, en plomb. Saint Éloi passe pour avoir fait couvrir l'église de Saint-Paul des Champs de lames de plomb artistement travaillées. Eginhard 148 écrit, dans une de ses lettres, qu'il s'occupe de la couverture de la basilique des martyrs Marcellin et Pierre: «Un achat de plomb, dit-il, moyennant une somme de cinquante livres, fut alors convenu entre nous. Quoique les travaux de l'édifice, ajoute-t-il, ne soient pas encore assez avancés pour que je doive m'occuper de la couverture, cependant la durée incertaine de cette vie semble nous faire un devoir de toujours nous hâter, afin de terminer, avec l'aide de Dieu, ce que nous avons pu entreprendre d'utile. Je m'adresse donc à votre bienveillance dans l'espoir que vous voudrez bien me donner des renseignements sur cet achat de plomb...» Frodoard, dans son histoire de l'église de Reims 149, rapporte que l'archevêque Hincmar fit couvrir de plomb le toit de l'église Notre-Dame. Plus tard, à la fin du XIIe siècle, l'évêque de Paris, Maurice de Sully, laisse par testament cinq mille livres pour couvrir de plomb le comble du choeur de l'église cathédrale actuelle. L'industrie du plombier remonte donc aux premiers siècles du moyen âge et se perpétua jusques à l'époque de la renaissance, sans déchoir. Cette industrie cependant présente dans l'exécution certaines difficultés sérieuses dont nous devons entretenir nos lecteurs avant de faire connaître les divers moyens qui ont été employés pour les résoudre. Le plomb, comme chacun sait, est un métal très-lourd, très-malléable, doux, se prêtant parfaitement au martelage; mais par cela même qu'il est malléable et lourd, il est disposé toujours à s'affaisser ou à déchirer les attaches qui le retiennent à la forme de bois qu'il est destiné à couvrir. Le travail du plombier doit donc tendre à maintenir les lames de plomb qu'il emploie d'une façon assez complète pour résister à l'affaissement causé par la pesanteur. À ce point de vue, les anciennes couvertures sont très-judicieusement combinées. De plus, la chaleur fait singulièrement dilater ce métal, de même que l'action du froid le rétrécit. S'il n'est pas laissé libre, s'il est attaché d'une manière fixe, il se boursoufle au soleil et arrache les attaches pendant les grands froids. Il faut donc: 1 qu'en raison de son poids, il soit maintenu énergiquement pour ne pas s'affaisser; 2º qu'il soit libre de se dilater ou de se resserrer, suivant les changements de température. D'autres difficultés se présentent lors de l'emploi du plomb dans les couvertures. Autrefois on n'employait que le plomb coulé sur sable en tables plus ou moins épaisses; ce procédé a l'avantage de laisser au métal toute sa pureté et de ne point dissimuler les défauts qui peuvent se manifester, mais il a l'inconvénient de donner aux tables des épaisseurs qui ne sont pas parfaitement égales, de sorte que la dilatation agit inégalement ou que les pesanteurs ne sont pas partout les mêmes. Le plomb laminé que l'on emploie assez généralement aujourd'hui est d'une épaisseur uniforme, mais le laminage dissimulé des brisures ou des défauts qui se manifestent bientôt sous l'action de l'air, et qui occasionnent des infiltrations. De plus, le plomb laminé est sujet à se piquer, qui n'arrive pas habituellement au plomb coulé. Ces piqûres sont faites par des insectes qui perforent le plomb de part en part et forment ainsi autant de trous d'un millimètre environ de diamètre, à travers lesquels l'eau de pluie se fait jour. Nous n'avons jamais eu à signaler de ces sortes de perforations dans des vieux plombs coulés, tandis qu'elles sont très-fréquentes dans les plombs laminés. Nous laissons aux savants le soin de découvrir la cause de ce phénomène singulier. Un autre phénomène se produit avec l'emploi du plomb pour revêtir du bois. Autrefois les bois employés dans la charpente et le voligeage avaient longtemps séjourné dans l'eau et étaient parfaitement purgés de leur séve; aujourd'hui, ces bois (de chêne) sont souvent mal purgés ou ne le sont pas du tout 150, il en résulte qu'ils contiennent une quantié considérable d'acide pyroligneux (particulièrement le bois de Bourgogne), qui forme avec le plomb un oxyde, de la céruse, dès que le métal est en contact avec lui. L'oxydation du plomb est si rapide dans ce cas, que, quelques semaines après que le métal a été posé sur le bois, il est réduit à l'état de blanc de céruse, et est bientôt percé. Nous avons vu des couvertures, faites dans ces conditions, qu'il a fallu refaire plusieurs fois en peu de temps, jusqu'à ce que le plomb eût absorbé tout l'acide contenu dans les fibres du bois. Des couches de peinture ou de brai interposées entre le bois et le métal ne suffisent même pas pour empêcher cette oxydation, tant le plomb est avide de l'acide contenu dans le chêne. Les constructeurs du moyen âge n'avaient pas été à même de signaler ce phénomène chimique, puisque leurs bois n'étaient jamais mis en oeuvre que purgés complétement de leur séve, et leurs couvertures ne présentent point trace de blanc de céruse lorsqu'on en soulève les tables.

Il en est de la couverture en plomb comme de beaucoup d'autres parties de la construction des bâtiments; nous sommes un peu trop portés à croire à la perfection de nos procédés modernes, et trop peu soucieux de nous enquérir de l'expérience acquise par nos devanciers. La plomberie est d'ailleurs si intimement liée à l'art de la charpenterie, que si l'on veut couvrir en planches, il est nécessaire, avant tout, de s'enquérir de la qualité et de la provenance du bois à employer. Les gens du moyen âge, peut-être par suite des traditions de l'antiquité, apportaient un soin minutieux dans l'approvisionnement et la mise en oeuvre du bois; ils n'éprouvaient pas, par conséquent, les désappointements que nous éprouvons aujourd'hui en mettant au levage des bois verts et qui n'ont jamais été baignés dans l'eau courante. On reconnaîtra du moins que cette expérience, raisonnée ou non, est bonne et qu'il faut en tenir compte.

Les plombs employés pendant le moyen âge contiennent une assez notable quantité d'argent et d'arsenic; les nôtres, parfaitement épurés, n'ont pas la qualité que leur donnait cet alliage naturel, et sont peut-être ainsi plus sujets à se piquer et à s'oxyder. Nous avons encore vu en place, en 1835, avant l'incendie des combles de la cathédrale de Chartres, les plombs qui en formaient la couverture datant du XIIIe siècle. Ces plombs étaient parfaitement sains, coulés en tables d'une épaisseur de 0m,004 environ, revêtus extérieurement par le temps d'une patine brune, dure, rugueuse, brillante au soleil. Ces plombs étaient posés sur volige de chêne, et les tables n'avaient pas plus de 0m,60 de largeur. Elles étaient d'une longueur de 2m,50 environ, clouées à leur tête sur la volige avec des clous de fer étamé, à très-larges têtes; les bords latéraux de chacune de ces tables s'enroulaient avec ceux des tables voisines, de façon à former des bourrelets de plus de 0m,04 de diamètre; leur bord inférieur était maintenu par deux agrafes de fer, afin d'empêcher le vent de le retrousser. Voici (fig. 1) un tracé de cette plomberie.

Ainsi les tables étaient fixées invariablement à la tête en A; leurs bords, relevés perpendiculairement au plan, ainsi qu'on le voit en B, étaient enroulés l'un avec l'autre et très-solidement maintenus latéralement par les bourrelets C. Ces bourrelets enroulés n'étaient pas tellement serrés, qu'ils empêchassent la dilatation ou le retrait de chaque feuille. Le bord inférieur des tables était arrêté par les agrafes G, dont la queue était clouée sur la volige. Au droit de chaque recouvrement de feuilles, l'ourlet était doublé, bien entendu, et formait un renflement I. En D, nous donnons, au quart de l'exécution, la section d'un bourrelet. C'est suivant ce principe que le comble de l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne est couvert, et cette couverture date, dans ses parties anciennes, de la fin du XIIIe siècle. Ici les feuilles de plomb étaient gravées de traits remplis d'une matière noire formant des dessins de figures et d'ornements; on voit encore quelques traces de cette décoration. Des peintures et des dorures rehaussaient les parties plates entre ces traits noirs; car il faut observer que presque toutes les plomberies du moyen âge étaient décorées de peintures appliquées sur le métal, au moyen d'un mordant très-énergique.

Les chéneaux de plomb du moyen âge sont également posés à dilatation libre, sans soudures et à ressauts. Leur bord extérieur n'est pas toujours maintenu, comme cela se pratique de nos jours, par des madriers de chêne, mais il s'appuie sur des tringles horizontales de fer rond, portées à distances assez rapprochées par des équerres-à-tiges forgées. Voici (fig. 2) en A, le profil d'une de ces armatures, et, en B, sa face vue sur la corniche de couronnement. Les équerres C sont scellées dans la tablette de corniche sous la sablière S du comble; les tigettes sont rivées sur la tringle. La feuille de plomb du chéneau fixée en a suit le contour a'a'', et vient s'enrouler en b, laissant voir extérieurement les équerres qui lui servent de soutien.

Ces feuilles de plomb de chéneau sont d'une forte épaisseur, d'une longueur qui n'excède guère 1m,30 (4 pieds), et sont réunies par des ourlets, ainsi que le fait voir le tracé perspectif G. À chaque ourlet, au fond du chéneau, est un ressaut, afin d'empêcher les eaux de passer entre les joints des feuilles, ou d'être arrêtées par les saillies des ourlets. D'ailleurs, les gargouilles d'écoulement sont toujours très-rapprochées; de deux en deux feuilles, par exemple. Les constructeurs du moyen âge avaient probablement observé que le bois entièrement enfermé dans des lames de plomb, sans air, ne tarde pas à s'échauffer et à se réduire en poussière. S'ils faisaient, dans des habitations, des chéneaux de bois, ils laissaient apparents la face extérieure du chéneau en la recouvrant seulement d'un fort relief, ainsi que l'indique la figure 3, pour la préserver de l'action directe de la pluie. Les faces des chéneaux de bois étaient habituellement moulurées, quelquefois même sculptées et couvertes de peinture 151.

Si les plombiers du moyen âge apportaient une attention scrupuleuse dans la façon des couvertures, ils excellaient à revêtir les bois d'ouvrages de plomberie, à repousser les plombs au marteau, et faisaient de cette industrie une des décorations principales des couronnements d'édifices. Les articles ÉPI et CRÊTE donnent quelques exemples de ces ouvrages de plomberie repoussée, qui rappellent les meilleurs modèles d'orfévrerie de l'époque. Il est facile de voir, par l'irrégularité même de ces sortes d'ouvrages, qu'ils étaient exécutés sans modèles; on les composait en découpant les ornements dans des tables de plomb d'une bonne épaisseur, et en donnant un modelé à ces découpures plates, au moyen de petits marteaux de bois de différentes formes. Des ornements anciens, que nous avons examinés avec le plus grand soin, nous ont mis sur les traces de cette fabrication très-simple, mais qui exige le goût d'un artiste et la connaissance des développements de surfaces.

Voulant, par exemple, exécuter en plomb repoussé un ornement de fleuron ou d'épi, tel que celui qui est présenté achevé, en A, dans la figure 4, il fallait se rendre compte du développement de ces surfaces sur plan droit, tracer leur contour sur une feuille de plomb, le découper, ainsi que le montre la figure 4 bis, et donner peu à peu à cette surface découpée, plane, le modelé convenable.

Ces feuilles (voy. la fig. 4) se rapportaient agrafées et soudées sur une âme de plomb, indiquée dans la section B faite sur ab. Des boucles de plomb, soudées à l'intérieur de la tige (voy. le détail C), entraient dans des goujons doubles D soudés à l'âme et placés en d. Des tigettes de fer rond e, soudées en dehors dans le canal formé par le modelé des tiges des feuilles, donnaient à celles-ci de la solidité et se terminaient en fleurette de plomb, comme on le voit en E. L'épi présenté ici ayant une section triangulaire, le développement de chacune des trois feuilles devait se renfermer dans l'angle BGH. Dès lors les trois feuilles étant présentées agrafées et soudées à la base de leur tige de g en h, on écartait les feuilles K, de manière qu'elles se touchassent par le bout, et on les réunissait par un point de soudure, ce qui donnait de la solidité et du roide à la partie supérieure. Il fallait une grande habitude des développements de surfaces et des effets que l'on pouvait obtenir par le modelé d'un objet plan, pour découper ces feuilles à coup sûr et sans gâcher du plomb. Mais jamais gens de bâtiment ne se sont mieux rendu compte des développements que les artisans du moyen âge. Ces travaux, qui nous semblent si difficiles à nous qui n'avons acquis à aucune école l'habitude de ces effets, étaient un jeu pour eux et un jeu attrayant, car ils cherchaient sans cesse de nouvelles difficultés à vaincre 152. Epargnant les soudures dans ces sortes de travaux, ils modelaient la feuille de métal avec un goût charmant, comme on modèlerait de l'argile, et lui laissaient l'apparence qui convient à cette matière, sans prétendre simuler de la pierre ou du bois sculpté.

Avaient-ils, par exemple, un chapiteau à faire, ils formaient la corbeille A (fig. 5), puis la revêtaient de crochets, de feuillages modelés à part, soudés et agrafés au corps principal, ainsi qu'on le voit dans la section B. Mais tout cela, léger, vif, détaché, comme il convient à du métal. La corbeille était alors déprimée à sa partie moyenne, et présentait un diamètre moindre que celui de la colonne, afin que les tiges rapportées, par leur épaisseur sur l'âme n'excédassent pas le diamètre du fût. Souvent ces ornements n'étaient qu'agrafés, ce qui évitait toute brisure et facilitait les réparations. De petites tiges de fer soudées à l'intérieur des feuilles, ou crochets, leur donnaient du roide et les empêchaient de s'affaisser.

Dans tous les ouvrages de plomberie, il est nécessaire de prévoir les cas de réparation, et de disposer les attaches, les agrafes, les ourlets, de telle façon qu'il soit toujours possible d'enlever facilement une partie détériorée et de la remplacer. La dilatation du plomb, un défaut dans une feuille, les coups de bec des corneilles, qui parfois s'acharnent à percer une table, peuvent nécessiter le remplacement d'un morceau de plomb. Les plombiers du moyen âge avaient prévu ces accidents, car tous leurs plombs sont disposés de telle façon qu'on les peut enlever par lames ou par fragments, comme on enlève des tuiles, des faîtières ou des arêtiers d'une couverture en terre cuite, sans attaquer les portions en bon état. Si les plombs revêtent immédiatement des bois façonnés, comme ceux d'une lucarne, d'une flèche, les lames ne sont jamais réunies par des soudures; mais par des ourlets adroitement placés, par des recouvrements et des agrafes.

Une colonne, par exemple, sera revêtue ainsi que l'indique, en A, la figure 6; des profils seront garnis ainsi qu'on le voit en B B'. Le plomb, suivant les contours, prendra du roide par suite de ces retours fréquents; il sera attaché à la tête seulement en b, recouvert par les feuilles supérieures, avec agrafures, et recouvrant de la même façon les feuilles inférieures. Si des ornements doivent être adaptés à ces moulures, ils seront attachés par-dessus la feuille, comme on le voit en B', c'est-à-dire par des agrafes c et par des points de soudure d.

S'il s'agit de poser des feuilles sur des plans verticaux, comme des jouées de lucarnes, des souches de flèches, etc., afin que leur poids n'arrache pas les clous de tête, ces feuilles s'agraferont obliquement les unes avec les autres, ainsi qu'on le voit en D. Des agrafes de fer ou de cuivre G maintiendront la table à sa partie inférieure et l'empêcheront de se soulever. Des agrafures de plomb, clouées sur le bois, seront prises par les ourlets et empêcheront les tables de flotter. Des grands poinçons décorés se composeront d'une suite de cylindres ou de prismes, qui se recouvriront les uns les autres sans soudures. Ainsi ces poinçons pourront être démontés et remontés sans difficulté. Une barre de fer emmanchée à fourchette sur le poinçon de charpente maintiendra verticalement les divers membres. Dans les plombs repoussés formant décoration, la soudure ne sera employée que pour réunir des ornements formés de deux coquilles, comme des bagues, des fleurs ronde-bosse, ou pour attacher des feuilles, des tigettes, des fleurons.

Vers la fin du XVe siècle, on remplaça quelquefois les ornements de plomb repoussé par des ornements de plomb coulé dans des moules de pierre ou de plâtre 153. Mais ces ornements coulés sont très-petits d'échelle et sont loin d'avoir l'aspect décoratif des plombs repoussés. Les repousseurs de plomb faisaient des statues de toutes dimensions; on en voit encore sur les combles des cathédrales à Amiens et de Rouen, qui datent du commencement du XVIe siècle. Ces figures étaient presque toujours embouties, c'est-à-dire frappées sur un modèle de bois ou de métal par parties, puis soudées. On avait le soin alors de tenir le modèle très-maigre et sec, pour que l'épaisseur de la feuille du plomb lui rendît le gras qui lui manquait.

Ce qui donne à la plomberie du moyen âge un charme particulier, c'est que les moyens de fabrication qu'elle emploie, les formes qu'elle adopte, sont exactement appropriés à la matière. Comme la charpente, comme la menuiserie, la plomberie est un art à part, qui n'emprunte ni à la pierre, ni au bois, les apparences qu'il revêt. La plomberie du moyen âge est traitée comme une orfévrerie colossale, et nous avons trouvé des rapports frappants entre ces deux arts, sinon quant aux moyens d'attache, du moins quant aux formes admises. L'or et les couleurs appliquées remplaçaient les émaux. On a fait encore de belle plomberie pendant le XVIe siècle, bien que les moyens d'attache, de recouvrement, fussent alors moins étudiés et soignés que pendant les siècles précédents. La flèche de la cathédrale d'Amiens, en partie recouverte en plomb au commencement du XVIe siècle, en partie réparée au XVIIe, permet d'apprécier la décadence de cet art pendant l'espace d'un siècle.

Les plomberies du château de Versailles et du dôme des Invalides se recommandent plutôt par le poids que par le soin apporté dans l'exécution; tandis que les plomberies, malheureusement rares, qui nous restent des XIIIe, XIVe et XVe siècles, sont remarquables par leur légèreté relative et par une exécution très-soignée. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir les anciennes plomberies de l'église de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, de la cathédrale de Reims, de celle d'Amiens, de l'hôtel de Jacques Coeur, de l'Hôtel-Dieu de Beaune, de la cathédrale de Rouen, de celle d'Évreux 154, les nombreux fragments épars sur plusieurs monuments ou hôtels. Il existait encore avant la fin du dernier siècle beaucoup d'édifices du moyen âge qui avaient conservé leurs couvertures de plomb. Ces plomberies ont été enlevées par mesure générale. Il ne faut donc pas s'étonner si nous n'en trouvons aujourd'hui qu'un petit nombre d'exemples. Constatons toutefois que c'est grâce aux études, si fort attaquées, des arts du moyen âge, qu'on a pu de nos jours faire revivre une des plus belles industries du bâtiment.

Note 148: (retour) Einhardi epistolæ XLVI, ad abbatem.
Note 150: (retour) Autrefois tous les bois, outre leur séjour dans l'eau, n'arrivaient sur les chantiers qu'après avoir flotté; aujourd'hui, les transports par chemins de fer nous amènent des bois qui n'ont pas séjourné du tout dans l'eau et qui contiennent toute leur séve. De là des inconvénients très-graves.
Note 151: (retour) Nous avons vu des restes de chéneaux de ce genre dans des maisons de Rouen, d'Orléans, de Bourges.
Note 152: (retour) Sans trop de vanité, nous pouvons dire que nous avons été des premiers, dès 1847, à essayer de faire revivre cette industrie, complétement abandonnée depuis le XVIe siècle, car les plomberies de Versailles, par exemple, sont fondues. Nous avons été secondé par un homme intelligent et, chose plus rare, disposé à laisser de côté les routines, M. Durand, mort depuis, après avoir le premier rendu à cette belle industrie une partie de sa splendeur.
Note 153: (retour) Il existe encore plusieurs de ces moules; on en voyait quelques-uns dans l'Hôtel-Dieu de Beaune, qui avaient servi à couler les ornements des épis des combles.
Note 154: (retour) Les plomberies de la flèche de la cathédrale d'Évreux ont été très-maladroitement restaurées à diverses époques; on ne découvre au milieu de ces reprises que des fragments, exécutés d'ailleurs avec finesse.


POINÇON, s. m. Pièce de charpente verticale qui reçoit les extrémités supérieures des arbalétriers d'une ferme ou les arêtiers d'un pavillon et d'une flèche. (Voy. CHARPENTE, FLÈCHE.)



POITRAIL, s. m. Pièce de bois d'un fort équarrissage posée horizontalement sur des piles ou des poteaux, et portant une façade de maison. (Voy. MAISON, BOUTIQUE, PAN DE BOIS.)



PONT, s. m. (punz, ponz). Nous diviserons cet article en plusieurs parties: il y a les ponts de pierre ou de bois fixes, les ponts torneïs (mobiles), les ponts levis et les ponts de bateaux, flottants, de charrettes.

Les Romains ont été grands constructeurs de ponts, soit de pierre, soit de charpenterie, et dans les Gaules on se servit longtemps des ponts qu'ils avaient établis sur les rivières.

Grégoire de Tours rapporte que le roi Gontran «envoya une ambassade à Childebert, son neveu, pour lui demander la paix, et le prier de venir le voir. Childebert vint le trouver avec ses grands, et tous deux, s'étant réunis près du pont appelé le Pont de pierre, se saluèrent et s'embrassèrent 155.» Ce pont était un pont bâti par les Romains. Toutefois ceux-ci, en raison de l'abondance des bois dans les Gaules, durent établir un grand nombre de ponts de charpente qui subsistaient encore pendant les premiers siècles du moyen âge, car les ponts de pierre bâtis par les Romains, encore apparents, sont rares; s'ils eussent été nombreux, on en trouverait les traces sur nos rivières.

Les Romains établissaient presque toujours des arcs ou portes monumentales, soit aux extrémités des ponts, soit au milieu de leur longueur. Ces arcs étaient devenus, pendant les siècles de paix qui suivirent la conquête définitive du sol des Gaules, plutôt des motifs de décoration que des défenses. Mais dès les premières invasions, ces portes furent munies de crénelages, et peuvent être considérées comme le point de départ de ces châtelets ou forteresses qui garnissaient toujours les ponts du moyen âge, qu'ils fussent de pierre ou de bois.

Il ne nous reste pas de ponts de pierre du moyen âge antérieurs au XIIe siècle 156; mais à cette époque on en construisit un assez grand nombre et dans des conditions extrêmement difficiles. Un des plus beaux et des plus considérables est le pont de Saint-Bénezet, à Avignon. La légende prétend qu'un jeune berger, nommé Petit Benoît, né en 1165 dans le Vivarais, inspiré d'en haut, s'en vint à Avignon, en 1178, et fut l'instigateur et l'architecte du pont qui traversait le Rhône à la hauteur du rocher des Doms. De ce pont, il reste encore quatre arches et quelques piles d'une très-remarquable structure. Commencé en 1178, il était achevé en 1188; sa longueur est de 900 mètres, et la largeur de son tablier de 4 mètres 90 centimètres, compris l'épaisseur des parapets. Pour résister au courant du Rhône et aux débâcles des glaces, les piles ont 30 mètres d'une extrémité à l'autre, et se terminent en amont comme en aval par un éperon très-aigu. Il faut observer que sur ce point le Rhône est très-rapide et se divise en deux bras: l'un beaucoup plus large que l'autre; le plus étroit, qui côtoie le rocher des Doms, est d'une assez grande profondeur. Les difficultés d'établissement de ce pont étaient donc considérables, d'autant qu'au moins une fois l'an, les crues du Rhône atteignent en moyenne 5 mètres au-dessus de l'étiage. Sans discuter sur le plus ou moins de réalité de la légende relative au berger Petit Benoît, il paraît certain que ce personnage fut le chef de la confrérie des Hospitaliers pontifes qui entreprit la construction du pont d'Avignon. Cette confrérie, au XIIe siècle, était instituée pour bâtir des ponts, établir des bacs, et donner assistance aux voyageurs sur les bords des rivières 157. Quoi qu'il en soit, le pont de Saint-Bénezet, savamment construit, existerait encore, n'étaient les guerres et l'incurie des gens d'Avignon.

Clément VI en fit reconstruire quatre arches. Les Catalans et les Aragonais le coupèrent en 1395, pendant le siége du palais des Papes.

En 1418, les Avignonais firent rétablir l'arche coupée; mais soit que l'ouvrage ait été mal fait, soit que les autres parties du pont ne fussent pas entretenues, une arche s'affaissa et entraîna la chute de trois autres en 1602. En 1633, il en tomba deux autres, et pendant l'hiver de 1670, sur le grand bras, on constate encore la chute de deux arches 158. Ces arches furent tant bien que mal réparées par des ouvrages de charpenterie, mais depuis plus d'un siècle ce beau monument est réduit aux quatre arches qui tiennent au châtelet du côté de la ville. Ce pont était la seule voie permanente de communication qui existât entre le territoire papal d'Avignon et le territoire français du Languedoc. Dans des temps reculés, la ville avait étendu sa juridiction dans les îles du Rhône et en face de son territoire, sur tout le littoral de la rive droite du fleuve. Ses justiciers avaient fait dresser leurs fourches patibulaires, les unes devant la fontaine de Montaud, les autres sur le rocher, au nord du lieu des Angles, qu'on appelle encore la Justice. Tant que les rois de France possédèrent la ville d'Avignon indivisément avec les comtes de Provence, ils n'apportèrent aucun obstacle à cette extension de la juridiction de la cité; mais lorsqu'au mois de septembre 1290, Philippe le Bel, par suite du mariage de Charles, son cousin, avec Marguerite, fille du roi de Sicile, comte de Provence, lui eut cédé les droits de suzeraineté qu'il avait sur Avignon, il prétendit faire respecter dans l'avenir ses limites territoriales; en conséquence, ses officiers firent jeter, en 1307, les fondations de la tour de Villeneuve, qui ferme le pont du côté de la rive droite. Charles II, roi de Sicile, se plaignit de cet acte qu'il considérait comme un empiétement sur des droits consacrés par l'usage, en alléguant que le territoire d'Avignon s'étendait au littoral de la rive droite du Rhône. Le roi de France commit son sénéchal de Beaucaire pour faire une enquête au sujet de cette réclamation; celui-ci se transporta sur les lieux, et se disposait à entendre des témoins, lorsque les magistrats d'Avignon intervinrent, disant: Que le sénéchal ne pouvait agir au nom du roi de France dans un lieu qui était du domaine de la juridiction du roi de Sicile, comte de Provence. Rodolphe de Meruel, architecte de la tour de Villeneuve, n'en poussa qu'avec plus d'activité la construction de cette défense, et il ne paraît pas que le roi de France, une fois bien assis sur ce point, ait toléré sur la rive droite du fleuve l'exercice de la juridiction avignonaise. Cette juridiction fut exercée néanmoins pendant quelque temps dans les îles; mais après avoir si bien établi ce qu'ils considéraient comme un droit, les officiers du roi de France n'eurent garde de s'arrêter en si beau chemin, et s'opposèrent à tout acte de juridiction dans les îles 159. Si nous avons rapporté tout au long cette histoire du pont d'Avignon et des bâtiments qui le fermaient du côté de la France, c'est afin de faire connaître que les difficultés opposées par la nature n'étaient pas les seules qu'il y avait à surmonter dans les temps féodaux, s'il s'agissait de bâtir un pont. En effet, les fleuves, et souvent même de minces rivières, formaient la limite entre des territoires appartenant à divers seigneurs, et l'établissement d'un pont détruisait cette limite; chacun alors cherchait à fermer cette communication d'un territoire à l'autre par un châtelet, ou bien s'opposait simplement à son établissement. La division féodale, bien plus encore que l'impuissance des constructeurs; devenait un obstacle à l'établissement des ponts.

On ne pouvait établir des forteresses sur les ponts que sur l'autorisation des fondateurs; mais il faut croire que la nécessité fit souvent enfreindre cette condition, car nous ne connaissons pas de pont important du moyen âge qui ne soit défendu. On ne pouvait non plus y établir des péages que du consentement des fondateurs 160. Guillaume le Grand, duc d'Aquitaine, par une charte de 998, défend pour toujours de percevoir des péages au passage du Pont royal. «Eudes, comte de Chartres, de Tours et de Blois, fit une défense analogue en 1036. Il déclara qu'ayant fait bâtir un pont à Tours dans le seul but de faire une action méritoire pour le salut de son âme, il ne voulait pas qu'il y fût perçu des droits d'aucune espèce 161.» Il n'entrait vraisemblablement pas dans la pensée des fondateurs du pont d'Avignon d'y établir des défenses, au moins du côté de la rive droite, et cependant nous voyons qu'un siècle après sa construction, le roi de France plante sur cette rive une forteresse qui en défend l'entrée ou la sortie, et que les papes, cinquante ans après, bâtissent un châtelet sur la rive gauche. Ainsi ce pont, d'utilité publique s'il en fut, vit ses deux issues fermées par les deux seigneurs qui occupaient chacune des rives.

Les péages perçus au passage des ponts étaient ordinairement affectés à leur entretien; mais on comprend que ces ressources étaient souvent détournées de leur emploi; aussi la plupart de ces ponts étaient mal entretenus. La plupart de ceux qui nous restent accusent des dégradations profondes, et qui datent de plusieurs siècles: «En temps de guerre, le seigneur d'épée avait, dans bien des provinces de France, le droit de faire démolir les ponts, même ceux à la construction desquels il n'avait pas contribué; mais il fallait un cas de salut commun. Cependant il était nécessaire d'obtenir une permission spéciale du seigneur d'épée pour pouvoir réédifier ce pont démoli dans un but d'utilité momentanée 162.» C'est ainsi que beaucoup de ponts du moyen âge furent coupés, et ne furent réparés que provisoirement, ce qui contribua encore à leur ruine. Le pont de Saint-Bénezet se trouvait précisément dans ce cas. Ce qu'il en reste nous permet d'en étudier et d'en décrire la construction. Les arches avaient de 20 à 25 mètres d'ouverture, et étaient au nombre de dix-huit. Dans l'île qui sépare les deux bras du Rhône, la chaussée était percée d'arches, aussi bien que sur les deux cours d'eau. Sur le grand bras, le pont, du côté de Villeneuve, formait un angle obtus, comme pour mieux résister à l'effort du courant. Mais nous reviendrons tout à l'heure sur cette disposition générale.

Voici, figure 1, en A, le géométral d'une des arches, avec deux des piles. Il est à remarquer que sur quatre piles qui existent encore entières, il en est deux qui sont construites suivant le tracé B et deux suivant celui C. Sur l'une de celles conformes au profil C, la plus rapprochée de la ville, est bâtie la petite chapelle dédiée à Saint-Nicolas, dans laquelle étaient déposées les reliques de saint Bénezet. Le sol de cette chapelle est placé à 4m,50 au-dessous du tablier du pont, et l'on y descend par un escalier pratiqué partie en encorbellement, partie aux dépens de l'épaisseur du pont, ainsi que le fait voir le plan D 163. Pour passer devant la chapelle, il n'était laissé au tablier en E qu'une largeur de 2 mètres, compris l'épaisseur du bahut. Par une arcade on pouvait voir du tablier l'intérieur de la chapelle, et une autre arcade en contre-bas ouvrait celle-ci vers l'aval, sur l'éperon. L'autre pile, construite de même avec des trompes, ne semble pas avoir été destinée à recevoir un autre édicule 164; peut-être ne formait-elle qu'une gare bien nécessaire sur un point aussi étroit et aussi long. Ces piles avec trompes alternaient probablement avec celles qui n'en possédaient pas, et qui sont conformes au profil B. Les arches ne sont pas tracées suivant un arc de cercle, mais forment une ellipse, ainsi que le montre la figure, obtenue au moyen de trois centres. C'était un moyen de donner plus de puissance aux reins des arcs, et de permettre l'établissement des trompes avec escaliers. Les piles qui possèdent des trompes étaient percées de trois arcades, au lieu d'une seule, au-dessus des éperons (la chapelle bouchant l'arcade centrale dans la pile C). Cette précaution était bien nécessaire pour donner une issue aux crues du fleuve, car les eaux s'élèvent parfois jusqu'au niveau G 165.

En H nous donnons la section d'une arche, avec le profil en travers de la pile B. Ces arches sont construites au moyen de quatre rangées de claveaux de 70 centimètres de hauteur juxtaposés. Ce sont de véritables arcs-doubleaux parfaitement appareillés, dont les lits se suivent, mais qui ne se liaisonnent point entre eux. Ils ne sont rendus solidaires que par le massif de maçonnerie qui les surmonte et les charge. Il est à croire que les maîtres pontifes avaient voulu en cela copier un monument romain assez voisin, l'aqueduc du Gard, dont les arches maîtresses sont construites suivant ce système. En K nous présentons un tracé perspectif des trompes posées en a à deux des quatre piles existantes, avec l'arrangement de l'escalier en encorbellement qui permet de descendre dans la chapelle.

Nous ne savons aujourd'hui comment le pont d'Avignon se terminait du côté de la ville, lorsqu'il fut construit à la fin du XIIe siècle. Très-élevé au-dessus du sol des rues, il aboutissait déjà probablement à une défense d'où l'on descendait dans la cité. Au XIVe siècle, les papes le terminèrent par un nouveau châtelet très-fort qui défendait l'entrée de la ville; mais si l'on ne voulait pas entrer dans la cité, ou si les portes du châtelet se trouvaient fermées, on pouvait du tablier du pont, descendre sur le quai qui longe le rempart, par un large emmarchement placé en amont.

Du côté du Languedoc on se heurtait, en traversant le pont, contre la tour formidable de Villeneuve et ses défenses accessoires; on entrait dans l'enceinte de la forteresse, ou bien, tournant à droite et passant par une porte, on entrait dans l'enceinte extérieure de Villeneuve. La figure 2 présente un aspect général du pont d'Avignon, avec le coude qu'il formait vers le milieu du grand bras. Au bas de la figure est le châtelet actuel bâti par les papes. En A est l'île traversée par le pont, et souvent inondée; à l'extrémité supérieure, la tour de Villeneuve. Toute la construction du pont, sauf les revêtements des éperons et les arches, est faite en très-petit appareil assez semblable à celui qui revêt les tympans de l'étage supérieur de l'aqueduc du Gard. Les massifs sont bien pleins et maçonnés avec soin, le mortier excellent. La pierre provient des carrières de Villeneuve et n'est pas d'une très-bonne qualité. Il est à croire que si ce pont eût été entretenu comme le pont Saint-Esprit bâti peu après, il se fût conservé jusqu'à nos jours, car il était établi dans d'excellentes conditions, et presque toutes ses piles posaient sur le roc vif; mais, ainsi qu'on l'a vu plus haut, les hommes contribuèrent autant que les eaux terribles du Rhône à le détruire. Depuis l'époque où l'on dut renoncer à se servir de ce moyen de traverser le fleuve, on a établi en aval un pont de bois souvent endommagé par les crues du Rhône, et sur le petit bras, depuis trente ans, un pont suspendu dont la durée est fort compromise. En jetant les yeux sur notre figure 2, on observera que le pont d'Avignon ressemble assez à une passerelle de planches posée sur des bateaux. Les frères pontifes, pour résister à l'action puissante du courant du Rhône sur ce point, surtout pendant les crues, n'avaient rien imaginé de mieux que d'établir en pierre et à demeure ce que le sens vulgaire indique de faire lorsqu'on établit un pont de bateaux, et ce n'était pas trop mal imaginé.

Dans le pays de Saint-Savourin-du-Port, sur le Rhône, appartenant à l'abbaye de Cluny, un abbé de cet ordre, Jean de Tensanges, fit commencer en 1265 le pont Saint-Esprit, sur lequel on passe encore aujourd'hui. Trente années furent employées à sa construction. La largeur de son tablier est de 5 mètres, et sa longueur de 1000 mètres environ; le nombre de ses arches est de vingt-deux. Celles-ci sont plein cintre, et n'offrent pas la particularité dans leur tracé que l'on observe au pont de Saint-Bénezet. Elles sont cependant construites au moyen de rangs de claveaux juxtaposés. Dans les tympans, des arcades permettent aux crues du fleuve de trouver passage. Le pont Saint-Esprit fut la dernière oeuvre des frères hospitaliers pontifes. Dès lors le relâchement de cet ordre contribua à sa complète décadence. Il faut dire qu'à dater du XIIIe siècle, dans les constructions civiles et religieuses, les écoles des maîtres des oeuvres laïques avaient remplacé partout les corporations religieuses, les villes comme les seigneurs n'avaient plus besoin de recourir aux frères constructeurs de ponts et autres. Le pont Saint-Esprit forme un coude à l'opposite du courant sur le grand bras du Rhône, comme le pont d'Avignon. Il était encore fermé à ses deux extrémités par des portes au XVIIe siècle, et aboutissait du côté du bourg à une défense assez importante du XIVe siècle, qui, plus tard, fit corps avec la citadelle qui commandait le cours du fleuve en amont. On peut prendre une idée de ces défenses en jetant les yeux sur la gravure donnée dans la Topographie de la Gaule 166.

Parmi les ponts du XIIe siècle que nous possédons encore en France, il faut citer le vieux pont de Carcassonne, bâti par les soins de la ville en 1184. Le péage de ce pont était destiné à son entretien. Ses arches sont plein cintre, bâties par claveaux reliés, mais non juxtaposés comme ceux du pont d'Avignon. Ses éperons aigus en aval comme en amont s'élèvent jusqu'au tablier, et forment des gares fort utiles, ce tablier n'ayant pas plus de 5 mètres de largeur. Il était autrefois défendu du côté opposé à la cité (rive gauche) par une tête de pont formidable qui enveloppait à peu près tout le faubourg actuel. Une chapelle du XVe siècle est accolée à sa première culée, en amont de ce côté. Sur la rive de la cité, il se reliait aux défenses de cette forteresse par une ligne de courtines flanquées. Ce pont sert encore aujourd'hui, bien qu'il soit depuis longtemps fort mal entretenu.

Le pont vieux de Béziers date à peu près de la même époque. Les arches sont plein cintre, celle du milieu plus élevée que les autres, de sorte que le tablier forme deux pentes peu prononcées. Les tympans de ce pont sont évidés par des arcades en prévision des crues de l'Hérault, et ses piles, plates du côté d'aval, sont en éperon du côté d'amont.

Nous donnons (fig. 3) l'arche centrale de ce pont, avec son plan en A, et un détail B, indiquant la construction des avant-becs et des arches du côté d'amont. Son tablier a 5m,60 de largeur. Les tabliers des ponts d'Avignon et de Saint-Esprit sont de niveau, ce qu'explique d'ailleurs l'énorme longueur de ces ponts; mais les ponts du moyen âge, d'une longueur ordinaire, présentent ordinairement deux pentes, l'arche centrale étant plus élevée et plus large que les arches latérales, afin de faciliter la navigation, et de laisser au milieu des rivières un débouché plus large et plus élevé aux crues. Cependant il est clair que les architectes cherchaient, autant que faire se pouvait, à éviter ces pentes, et beaucoup de leurs tabliers sont presque de niveau du moment que la situation des lieux leur permettait d'établir des quais et des culées élevés. Toutefois, alors qu'ils n'étaient pas forcés d'évider les tympans en prévision de fortes crues, ils se servaient des éperons des piles pour former des gares d'évitement, et ce programme leur a fourni de bons motifs d'architecture. Les exèdres du Pont-Neuf à Paris sont une tradition de cette disposition, qui, du reste, date de l'antiquité.

Il était pourvu à l'entretien des ponts, dit M. le baron de Girardot 167, «au moyen des péages appelés pontage, pontonage, pontenaye, pontonatge, enfin billette ou branchiette, à cause du billot ou de la branche d'arbre où l'on attachait la pancarte indicative des droits à payer. Le péage se percevait pour le passage en dessus, ou pour le passage en dessous. Un droit sur le sel transporté par bateaux fournissait à l'entretien coûteux du pont Saint-Esprit et des enrochements, sans cesse renouvelés, qui préservaient les piles des affouillements à redouter, à cause de la rapidité du fleuve. Les péages sur les ponts très-anciens avaient été établis de l'autorité des seigneurs; mais, lorsque le pouvoir royal eut avancé son oeuvre de centralisation, le roi seul put en établir à son profit ou à celui des engagistes du domaine, soit des cessionnaires à titre d'inféodation ou d'octroi. Les seigneurs hauts justiciers ne furent maintenus dans leur droit, à cet égard, qu'en justifiant d'une très-ancienne possession.»

Le seigneur était tenu, moyennant le péage, d'entretenir les ponts; mais souvent le pont détruit, on continuait à percevoir le droit, sinon sur le pont, du moins sur la navigation; de sorte que des ponts en ruine qui devenaient déjà un obstacle pour les mariniers, étaient encore pour eux une occasion de payer un droit de passage. «Dans l'origine, ajoute M. le baron de Girardot, le droit de péage emportait l'obligation d'assurer aux voyageurs la sûreté de leurs personnes et de leurs effets; en cas de vol ou de meurtre, le seigneur était tenu d'indemniser la victime ou ses ayants droit. On cite les arrêts rendus dans ce sens contre le sire de Crèvecoeur en 1254, le seigneur de Vicilon en 1269, et d'autres de cette même époque; quelques-uns même contre le roi, pour des vols commis sur sa justice (1295). Toutefois cette responsabilité n'avait lieu que pour le jour et non pour la nuit.» Ceci explique comment tous les ponts du moyen âge sont munis de postes qui permettaient d'abord de percevoir le péage, puis de maintenir la police sur leur parcours et dans les environs. Beaucoup de ces tours et châtelets qui munissent les issues des ponts, et quelquefois leur milieu, sont donc de véritables corps de garde et bureaux de péage. Cependant, le plus habituellement, il faut voir dans ces logis de véritables défenses, si, par exemple, les ponts donnent accès dans des bourgs ou villes défendus. C'est ainsi que le vieux pont de Saintes, démoli aujourd'hui, mais que nous avons vu à peu près entier il y a vingt-cinq ans, formait, sur la Charente, un obstacle formidable, soit contre les bateaux arrivant avec une intention hostile, soit contre des partis se présentant par la rive droite. Ce pont était bâti sur des piles romaines, et présentait même encore sur l'une d'elles, vers la rive droite, une porte antique formant arc triomphal à deux ouvertures 168.

La vue, figure 4, donne une idée de la disposition générale de ce pont défendu par une suite d'ouvrages importants. D'abord, du côté du faubourg des Dames, situé sur la rive droite de la Charente, se présentait une première porte; puis venait l'arc romain crénelé dans sa partie supérieure pendant le moyen âge; puis, du côté de la ville, une tour à section ovale à travers laquelle il fallait passer 169; puis, enfin, la porte de la ville, flanquée de tourelles. De la porte sur le faubourg des Dames à l'arc antique, le pont était construit en bois, ainsi que de la grosse tour à la porte de la ville, de sorte que le tablier de ces fragments de pont pouvant être facilement enlevé, toute communication entre la ville et le faubourg, ou la ville et la grosse tour, était interrompue. Les arches du pont reconstruit au moyen âge sur des piles romaines étaient en tiers-point, et le tablier du pont peu relevé au centre. La grosse tour, non-seulement défendait le pont, mais commandait la porte de la ville en cas qu'elle fût tombée au pouvoir d'un ennemi débarquant sur la rive gauche, et dominait le cours du fleuve. Le parapet du pont était autrefois crénelé, afin de permettre à la garnison de la tour de barrer absolument la navigation. Ces défenses ne remontaient pas au delà de la fin du XIVe siècle. Quant au pont lui-même, il datait de plusieurs époques, autant que les reprises successives faites dans les arches permettaient de le reconnaître 170. Le pont de Saintes, bien que privé de sa grosse tour et de ses défenses vers la ville, ne laissait pas, il y a vingt ans, de présenter un véritable intérêt; il a été démoli sans raison sérieuse et remplacé par un pont suspendu qui, bien entendu, devra bientôt être refait, la durée de ces sortes de ponts ne dépassant guère un demi-siècle.

Nos vieilles villes françaises, qui la plupart présentaient, il y a peu de temps, un caractère particulier, et qu'on aimait à visiter ainsi parées encore de leurs monuments, ont laissé détruire, sous l'influence d'un engouement passager, bien de précieux débris. Espérons que leurs conseils municipaux, mieux instruits de leurs véritables intérêts, conserveront religieusement les restes de leur ancienne splendeur, respectés par le temps, quand ces restes d'ailleurs ne peuvent en aucune façon entraver les développements de l'activité moderne, et sont un attrait pour les voyageurs. L'arc romain de Saintes, si précieux sur le pont, fait aujourd'hui sur la rive la plus étrange figure, et semble être un édifice échoué là par hasard.

La ville de Cahors n'a heureusement pas encore détruit son merveilleux pont de la Calendre, l'un des plus beaux et des plus complets que nous ait légués le XIIIe siècle. La construction du pont de la Calendre remonte à l'année 1251, et mérite une étude spéciale. Ce pont se reliait aux murailles de la ville, commandait le cours du Lot, et battait les collines qui sont situées sur la rive opposée. La ville de Cahors possédait trois ponts à peu près bâtis sur le même modèle; le pont de la Calendre est celui des trois qui est le mieux conservé.

Il se compose de six arches principales en tiers-point, fort élevées au-dessus de l'étiage. Sur la pile centrale et les deux piles extrêmes (fig. 5), s'élèvent trois tours: celle du centre carrée et les deux extrêmes sur plan barlong. Du tablier du pont des escaliers crénelés permettent de monter au premier étage de ces tours. La ville est située en A. Sur la rive opposée en B se dressent, abruptes, des collines calcaires assez hautes. On arrivait au pont latéralement, en suivant le cours du Lot, soit en amont, soit en aval, ainsi qu'on le voit en C. Il fallait alors franchir une porte défendue par un châtelet D, qui commandait la route et les escarpements inférieurs de la colline B. Cette porte double donnait entrée à angle droit sur le tablier du pont, en avant de la première tour E. Les parapets de cette première travée étaient crénelés, et communiquaient, d'un côté, par un escalier également crénelé F, avec les défenses supérieures du châtelet. Il fallait alors franchir la tour E, bien défendue dans sa partie supérieure par des mâchicoulis, et par une porte avec mâchicoulis intérieur. La porte E franchie, on entrait sur la première moitié du pont commandée par la tour centrale G, à laquelle on montait par un escalier contenu dans un ouvrage construit sur l'un des avant-becs. Cette tour centrale était de même fermée par une porte. Celle-ci franchie, on entrait sur la seconde moitié du tablier, commandée par la troisième tour H, munie à son sommet de mâchicoulis. Du côté de la ville une dernière porte I défendait les approches de cette troisième tour, à laquelle on montait par un escalier crénelé posé sur un arc-boutant. Les avant-becs servaient de gares d'évitement, et étaient crénelés de manière à flanquer le pont et à battre la rivière. Tous ces ouvrages, sauf le châtelet D 171 et les crêtes crénelées des parapets des avant-becs, sont encore intacts, et présentent, comme on le voit, un fort bel ensemble. La construction est faite en bons matériaux; les claveaux des arches sont extradossés, ce qui est une condition de solidité et d'élasticité. Nous observerons, à ce propos, que les ponts romains, aussi bien que ceux du moyen âge, présentent toujours des arcs extradossés, et ce n'est pas sans raison. En effet, lorsque de lourds fardeaux passent sur les arches, pour peu qu'elles aient une assez grande portée, il se produit dans les reins un mouvement sensible de trépidation: si les claveaux sont indépendants de la construction des tympans, ils conservent leur élasticité et ne peuvent répercuter au loin l'ébranlement; mais si au contraire ces claveaux sont à crossettes ou inégaux, c'est-à-dire s'ils sont plus épais dans les reins qu'à la clef, le mouvement oscillatoire se produit sur toute la longueur du pont, et fatigue singulièrement les piles. On peut observer ce fait sur le pont Louis XV, à Paris, bâti par le célèbre ingénieur Perronnet. Lorsqu'un chariot lourdement chargé passe sur l'arche centrale, on en ressent un ébranlement sensible sur toute la longueur du pont. Pour obvier au danger de cette oscillation, l'ingénieur Perronnet avait pour habitude de cramponner en fer les queues des claveaux; mais s'il assurait ainsi la solidarité de toutes les parties du pont, il plaçait un agent destructeur très-actif dans la maçonnerie, agent qui tôt ou tard causera des désordres notables. Les arcs extradossés, suivant la méthode romaine et du moyen âge, ont au contraire l'avantage de rendre chaque arche indépendante, d'en faire un cerceau élastique qui peut se mouvoir et osciller entre deux piles sans répercuter cette oscillation plus loin. Nos ingénieurs modernes, mieux avisés, en sont revenus à cette méthode; mais cela prouve que les constructeurs du moyen âge avaient acquis l'expérience de ces sortes de bâtisses. On pourra leur reprocher d'avoir multiplié les piles et resserré d'autant les voies de navigation; mais il faut considérer que si les ponts du moyen âge étaient faits pour établir des communications d'une rive d'un fleuve à l'autre, ils étaient aussi des moyens de défense, soit sur la voie de terre, soit sur la voie fluviale, et que la multiplicité de ces piles facilitait singulièrement cette défense. D'ailleurs ces ponts ne s'élevaient pas, comme les nôtres, dans l'espace de deux ou trois ans. La pénurie des ressources faisait qu'on mettait dix et vingt ans à les construire; dès lors il ne fallait pas que la fermeture d'une arche pût renverser les piles voisines, et celles-ci devaient être assez fortes relativement et assez rapprochées, pour résister aux poussées. C'est la nécessité où l'on se trouvait de bâtir ces ponts par parties qui faisait adopter dans quelques cas la courbe en tiers-point pour les arches, cette courbe poussant moins que la courbe plein cintre.

Le pont de la Calendre, à Cahors, possède des avant-becs en aval comme en amont, et par conséquent des gares flanquantes et d'évitement sur les deux côtés du tablier. C'est encore une raison de défense qui a motivé cette disposition, car partout où les ponts n'ont pas cette importance au point de vue militaire, s'il est pratiqué des avant-becs aigus en amont, les piles sont plates du côté d'aval, comme par exemple au pont de Saint-Étienne, à Limoges, décrit par M. Félix de Verneilh dans les Annales archéologiques 172. Ce savant archéologue, auquel nous devons des travaux si précieux sur les monuments français du moyen âge, a observé aussi que dans plusieurs de ces ponts du Limousin, dont les piles sont très-épaisses relativement aux travées des arches, ces piles ne sont souvent composées que d'un parement de granit, au milieu duquel est pilonné un massif de terre. C'était là un moyen économique dont nous avons pu constater l'emploi, et qui remonte, pensons-nous, à une assez haute antiquité, car des restes de piles romaines nous ont présenté la même particularité. Les avant-becs de plusieurs ponts du Limousin donnent en section horizontale, non point un angle aigu ou droit, mais une courbe en tiers-point, ce qui avait l'avantage de permettre le glissement de l'eau courante et de donner plus de force à ces éperons; car il est clair (fig. 6), que la section A présente une plus grande surface que la section B, par conséquent plus de poids et de résistance.

Revenons au pont de Cahors. On remarquera (fig. 5) que les escaliers extérieurs conduisant aux tours sont ouverts du côté de la ville, le long du parapet, de telle sorte que si le châtelet D était pris, fermant la porte de la tour E, les défenseurs pouvaient accabler les assaillants et recevoir des renforts de la ville. Seul l'escalier de la tour centrale G est pratiqué dans un exhaussement de l'avant-bec; son entrée étant placée sous le passage, mais masquée, bien entendu, par la porte qui fermait ce passage. L'escalier de la dernière tour H est en communication avec le crénelage du poste I, et le poste, fermé du côté de la ville, était destiné à présenter un premier obstacle aux assaillants qui auraient pu faire une descente sur la rive de ce côté.

Nous donnons (fig. 7) une vue perspective à vol d'oiseau de la tour E sur la rive opposée à la ville et de ses dépendances. Outre le châtelet extérieur A, une défense basse formait tête de pont sur cette rive, empêchait de débarquer près de la tour, et présentait un premier obstacle sur la route B. On remarquera dans cette figure la disposition des mâchicoulis avec petits arcs plein cintre. Chacun de ces arcs est porté par une console composée de quatre assises en encorbellement qui reçoivent une languette de maçonnerie dans la hauteur du coffre, de sorte que chaque arc fait un assommoir séparé s'ouvrant par une baie dans l'étage supérieur. Au-dessus des mâchicoulis, couverts par de grandes dalles, sont percés quatre créneaux très-rapprochés, permettant le tir de l'arbalète suivant un angle plus ou moins ouvert. Le premier et le second étage sont chacun percés d'une seule archère sur chaque face. L'avant-bec que l'on voit dans notre figure indique le système adopté par le maître de l'oeuvre pour élever la construction. Ces avant-becs sont percés parallèlement au tablier, à la hauteur de la naissance des arches, de passages au-dessous desquels on voit trois trous destinés à poser des sapines en travers, et un petit plancher formant passerelle. Les cintres des arches étaient eux-mêmes posés dans des trous de scellement restés apparents. Ainsi le service des maçons se faisait par cette passerelle à travers les avant-becs. Sur cette passerelle les matériaux étaient bardés, enlevés par des grues mobiles et posés sans nécessiter aucun autre échafaudage. Comme le fait observer M. Félix de Verneilh, dans la notice citée plus haut, les ponts du moyen âge étaient sujets à être coupés pendant les guerres continuelles de ces temps; c'était là encore une raison qui obligeait les constructeurs de donner aux piles une forte épaisseur, car il ne fallait pas, si l'on était dans la nécessité de couper une arche, que les autres vinssent à fléchir. Mais aussi en prévision de cette éventualité, beaucoup de ponts de pierre avaient des travées mobiles en bois. Nous avons vu tout à l'heure que le pont de Saintes possédait deux portions de tabliers de charpente: l'un du côté du faubourg, l'autre du côté de la ville. Certains ponts de pierre étaient munis de véritables ponts-levis: tels étaient ceux de Poissy, d'Orléans, de Charenton, de la Guillotière à Lyon, de Montereau, etc. Parfois aussi les ponts ne se composaient que de piles de maçonnerie avec tabliers de charpente couverts ou découverts.

Les exemples que nous venons de donner démontrent assez l'importance des ponts pendant le moyen âge comme moyen de communication et comme défense. Certains ponts plantés au confluent de deux rivières se reliaient à de véritables forteresses: tel était, par exemple, le pont de Montereau. Vers l'an 1026, un comte de Sens avait fait construire sur l'extrémité de la langue de terre qui se trouve au confluent de l'Yonne et de la Seine un donjon carré très-fort qui servit de point d'appui à un vaste châtelet, auquel aboutissait le pont traversant les deux rivières. Ce pont était en outre fermé à ses deux extrémités par des portes fortifiées. Cet ensemble de défenses existait encore au XVIIe siècle, ainsi que le démontre la gravure de Mérian 173.

Le pont d'Orléans, sur la disposition duquel il reste de curieux documents, est, au point de vue de la défense, un exemple à consulter. Tout le monde sait de combien de faits d'armes il fut le témoin lors du siége entrepris en 1428 par les Anglais. Or voici, au moment de ce siége, quels étaient les ouvrages qui faisaient de ce pont une défense importante. Placé sur la route qui reliait le nord au midi de la France à la distance la plus rapprochée de Paris, il était essentiel de le bien munir.

À l'époque donc où les Anglais vinrent assiéger Orléans, ceux-ci, suivant la rive gauche, se présentèrent, le 12 octobre 1428, par la Sologne, devant le boulevard des Tourelles (fig. 8, situé en A). Ce boulevard n'était alors qu'un ouvrage de terre et de bois. Le 22, ils s'en emparèrent, et les habitants d'Orléans abandonnèrent le fort des Tourelles B, pour se retirer dans la bastille Saint-Antoine F, située dans l'île, après avoir eu la précaution de couper l'arche I de cette partie du pont. Les Anglais, de leur côté, coupèrent l'arche K. Les gens d'Orléans établirent à la hâte un boulevard de bois à la Belle-Croix, en C. Ce fut dans cet espace étroit qu'eurent lieu quelques-uns des faits d'armes de ce siége mémorable. La bastille Saint-Antoine F était précédée d'une chapelle D placée sous le vocable de ce saint, et d'une aumônerie E destinée à recevoir les pèlerins et voyageurs attardés. En H était la porte de la ville, et en G le châtelet. Après la levée du siége, l'ouvrage des Tourelles fut réparé, ainsi que le boulevard A. Cette fois, ce boulevard fut revêtu en pierre, ainsi que le fait connaître un plan sur parchemin dressé par un sieur Fleury, arpenteur, en 1543, et reproduit en fac-simile par M. Jollois, dans son Histoire du siége d'Orléans 174.

Un second pont-levis était pratiqué en avant de la porte H de la ville. Une vue perspective à vol d'oiseau (fig 9) présente l'entrée du pont d'Orléans, avec son boulevard sur la rive gauche, du côté de la Sologne, après les réparations faites depuis le siége de 1428. Plus tard, en 1591 et 1592 175, on reconstruisit ce boulevard A avec casemates en forme de ravelin à doubles tenailles, ainsi que des fouilles récentes l'ont fait reconnaître. Mais alors la porte des Tourelles existait encore. Le boulevard reproduit dans notre figure 9 était entouré d'un fossé rempli par les eaux de la Loire, et muni d'un pont-levis s'abattant parallèlement à la rivière.

Un second pont-levis séparait (comme au temps du siége) le boulevard du fort des Tourelles. Ce fut en effet, en voulant défendre ce pont-levis, attaqué par les gens d'Orléans, après la prise du boulevard, que périt le capitaine anglais et quelques hommes d'armes avec lui. Jeanne Darc y fit mettre le feu au moyen d'un bateau chargé de matières combustibles. L'existence de ce pont-levis en 1428 ne saurait donc être douteuse. Ce qu'on appelait la Belle-Croix, située en C sur l'avant-bec d'une des piles du pont, était un monument de bronze, consistant en un crucifix érigé sur un piédestal orné de bas-relief représentant la sainte Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint Jacques, saint Étienne, et les évêques saint Aignan et saint Euverte. Il était en effet d'un usage général de placer une croix sur le milieu des ponts, pendant le moyen âge. En avant du boulevard des Tourelles était situé le couvent des Augustins, que les habitants d'Orléans jetèrent bas à l'arrivée des Anglais, pour débarrasser les abords du châtelet. Cependant ce monastère était lui-même entouré d'une clôture et d'un fossé, et pouvait servir de défense avancée. On n'arrivait donc devant l'entrée du pont d'Orléans, comme devant l'entrée du pont de la Calendre à Cahors, que latéralement.

On conçoit quelles difficultés le régime féodal devait apporter dans la construction des ponts. Ce n'était ni la science pratique, ni la hardiesse, ni même les ressources qui manquaient lorsqu'il était question d'établir un pont sur un large cours d'eau, mais bien plutôt le bon vouloir d'autorités intéressées souvent à rendre les communications d'un pays à l'autre difficiles. On reconnaît, par les exemples déjà donnés, que si les ponts réunissaient deux rives d'un fleuve, on cherchait à accumuler sur leurs parcours le plus d'obstacles possible. On possède sur la construction du pont de Montauban des documents complets et étendus qui démontrent assez quels étaient les obstacles de toute nature opposés à ces sortes d'entreprises. Dès 1144, le comte de Toulouse, Alphonse Jourdain, en donnant aux bourgeois de Montauriol l'autorisation de fonder la ville de Montauban sur les bords du Tarn, insère dans la charte de fondation cette clause: «Les habitants dudit lieu construiront un pont sur la rivière du Tarn, et, quand le pont sera bâti, le seigneur comte s'entendra avec six prudhommes, des meilleurs conseillers, habitants dudit lieu, sur les droits qu'ils devront y établir, afin que ledit pont puisse être entretenu et réparé 176» Mais la ville naissante était trop pauvre pour pouvoir mettre à exécution une pareille entreprise. Puis vinrent les guerres des Albigeois qui réduisirent ce pays à la plus affreuse détresse. Ce n'est qu'en 1264 que les consuls de Montauban prennent des mesures financières propres à assurer la construction du pont sur le Tarn. En 1291, la ville achète l'île des Castillons ou de la Pissotte, pour y asseoir plusieurs des piles de l'édifice. C'était à l'un des rois qui ont le plus fait pour établir l'unité du pouvoir en France, qu'il était réservé de commencer définitivement cette entreprise 177. Philippe le Bel, étant venu à Toulouse pour terminer les différends qui existaient entre le comte de Foix et les comtes d'Armagnac et de Comminges, chargea de la construction du pont de Montauban deux maîtres, Étienne de Ferrières, châtelain royal de la ville, et Mathieu de Verdun, bourgeois, en soumettant tous les étrangers passant à Montauban à un péage dont le produit devait être exclusivement réservé au payement des frais de construction, et en accordant aux consuls, aux mêmes fins, une subvention (1304). Le roi toutefois imposa comme condition de bâtir sur le pont trois bonnes et fortes tours «dont il se réservait la propriété et la garde». Deux de ces tours devaient s'élever à chaque extrémité, la troisième au milieu 178.

Ce ne fut cependant qu'après des vicissitudes de toutes sortes que l'entreprise put être achevée; les sommes destinées à la construction ayant été, à diverses reprises, détournées par les consuls. Les travaux furent terminés seulement vers 1335. Ce pont est entièrement bâti de brique; sa longueur est de 250m,50 entre les deux culées. Son tablier est parfaitement horizontal et s'élève de 18 mètres au-dessus des eaux moyennes du Tarn. Il se compose de sept arches en tiers-point de 22 mètres d'ouverture en moyenne, et de six piles dont l'épaisseur est de 8m,55, munies d'avant-becs en amont comme en aval, et percées au-dessus de ces éperons de longues baies en tiers-point pour faciliter le passage des eaux pendant les crues. Les briques qui ont servi à la construction de ce pont sont d'une qualité excellente, et portent 5 centimètres d'épaisseur sur 40 centimètres de longueur et 28 centimètres de largeur 179.

La tour la plus forte était située du côté opposé à la ville; ces tours extrêmes étaient carrées, et couronnées de plates-formes avec mâchicoulis et créneaux. La tour centrale, bâtie sur l'arrière-bec, d'aval était triangulaire, et possédait un escalier à vis descendant jusqu'à une poterne percée au niveau de la rivière du côté de la ville. Cet escalier donnait en outre accès sur l'avant-bec de la même pile, au niveau du seuil des baies ogivales posées à travers les autres piles. Là était disposée une bascule qui portait une cage de fer destinée à plonger les blasphémateurs dans le Tarn. Suivant l'usage, une chapelle avait été disposée au niveau du tablier dans la tour centrale, et était placée sous le vocable de sainte Catherine.

Nous ne ferons que citer ici un certain nombre de ponts de pierre du moyen âge qui méritent de fixer l'attention. Ce sont les ponts: de Rouen, rebâti à plusieurs reprises, et démoli pendant le dernier siècle; de l'Arche, démoli depuis peu, et qui datait de la fin du XIIIe siècle, bien qu'il eût été coupé et réparé plusieurs fois pendant les XIVe et XVe siècles; de Poitiers, avec deux portes fort belles à chacune de ses extrémités, et dont on possède de bonnes gravures; de Nevers, démoli il y a peu d'années; de Tours; d'Auxerre, qui possédait une belle tour à l'une de ses extrémités, et que l'abbé Lebeuf a encore vue; de Blois, de Tonnerre; de Sens, terminé du côté de la ville par une tour considérable; de Mâcon, etc. Il est certain que le système féodal était le plus grand obstacle à l'établissement des ponts, au moins sur les larges cours d'eau, mais que le cas échéant, les maîtres du moyen âge savaient parfaitement se tirer d'affaire lorsqu'une volonté souveraine et que des ressources suffisantes les mettaient à même de construire ces édifices d'utilité publique. L'établissement des grands ponts était habituellement dû à l'intervention directe du suzerain, et c'était en effet un des moyens matériels propres à rendre effective l'autorité royale dans les provinces. Ainsi voyons-nous qu'à Montauban, le roi Philippe le Bel, en accordant des subsides pour la construction du pont, met pour condition que les trois tours demeureront en la possession de ses gens.

Bien entendu, entre toutes les villes du royaume, Paris possédait plusieurs ponts dès une époque très-reculée. Du Breul 180 nous a laissé l'histoire de ces ponts modifiés, détruits, refaits bien des fois, soit en bois, soit en pierre. Une des causes de la ruine des ponts de Paris, était ces maisons et ces moulins dont on permettait l'établissement sur les piles et les arches. Les plus anciens de ces ponts étaient le pont au Change et le Petit-Pont, le premier ayant une bastille vers la rue Saint-Denis, appelé le grand Châtelet, l'autre vers la rue Saint-Jacques, appelée le petit Châtelet. Bien que les deux châtelets existassent déjà du temps de Philippe-Auguste, puisque les comtes de Flandre et de Boulogne y furent tenus prisonniers après la bataille de Bouvines, cependant ces deux défenses avaient été rebâties en grande partie, sinon en totalité, à la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIVe siècle, après les crues terribles de 1280 et de 1296, qui ruinèrent les deux ponts.

À la suite de ce désastre, le Petit-Pont fut refait en pierre, en 1314, au moyen d'amendes prélevées sur des juifs. Quant au pont au Change, on se contenta de le réédifier en bois. Le pont Notre-Dame, dont quelques historiens font remonter la construction vers le milieu du XIVe siècle, fut refait aux frais de la ville, en 1413. Cette reconstruction, probablement en bois, menaçait ruine en 1440, puisque, le 13 février de cette année, le parlement, par un arrêt, décida que ce pont serait entièrement rétabli. Ce projet ne fut point suivi d'exécution, et en 1498 le pont Notre-Dame s'écroula avec toutes les maisons qui le bordaient. «Ce pont de bois, dit un chroniqueur 181, contenoit dix-huit pas en largeur et estoit soutenu sur dix-sept rangées de pilotis, chacune rangée ayant trente pilliers; l'espoisseur de chacun de ces pilliers estoit un peu plus d'un pied, et avoient en hauteur quarante-deux pieds. Ceux qui passoient par-dessus ce pont, pour ne point voir d'un costé ny de l'autre la rivière, croyoient marcher sur terre ferme, et sembloient estre au milieu d'une rue de marchands, car il y avoit si grand nombre de toutes sortes de marchandises, de marchands et d'ouvriers sur ce pont, et au reste la proportion des maisons estoit tellement juste et égale en beauté, et excellence des ouvrages d'icelle, qu'on pouvoit dire avec vérité que ce pont méritoit avoir le premier lieu entre les plus rares ouvrages de France.»

À la suite du sinistre du 15 octobre 1498, le peuple de Paris accusa ses magistrats d'incurie et de malversation, et ceux-ci furent menés en prison; après quoi la plupart furent condamnés à des amendes plus ou moins fortes. Il fallut songer à reconstruire le pont Notre-Dame. Les deux maîtres des oeuvres de l'hôtel de ville, Colin de la Chesnaye pour la maçonnerie, et Gautier Hubert pour la charpente, furent chargés de l'entreprise, et on leur adjoignit Jean de Doyac, Didier de Félin, Colin Biart, André de Saint-Martin, ainsi que deux religieux, Jean d'Escullaint et Jean Joconde. Ces deux derniers étaient chargés du contrôle de la pierre de taille. Toutefois et contrairement à l'opinion de Sauval, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac avaient été commis à la superintendance de l'oeuvre. «Seize hommes, pris dans les différents quartiers de la ville, travaillaient sous leurs ordres, et comme marque du pouvoir souverain qu'ils exerçaient, Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac portaient un bâton blanc 182

Le 28 mars 1499, les premières pierres du pont Notre-Dame furent posées par le gouverneur de Paris et les magistrats municipaux. Les travaux furent terminés au mois de septembre 1512. Deux rangs de maisons régulières d'aspect garnissaient les deux côtés de ce pont, et celles-ci ne furent démolies qu'en 1786.

Beaucoup trop de gens avaient été appelés à participer à la construction du pont Notre-Dame; il en résulta des changements dans la direction de l'oeuvre et des avis différents qui retardèrent l'entreprise. Il faut lire à ce sujet la curieuse notice publiée par M. Le Roux de Lincy, laquelle donne tout au long les avis demandés par les magistrats municipaux à diverses personnes considérées comme compétentes: les unes sont pour les pilotis, les autres les considèrent comme inutiles; naturellement les charpentiers penchent pour les pilotis, les maçons pour les blocages. Cependant ce pont était fort bon et fort beau, il y a encore quelques années, et il ne semble pas qu'il fût très-nécessaire de le reconstruire 183.

Au moment de la reconstruction du pont Notre-Dame, c'est-à-dire au commencement du XVIe siècle, on prenait cette habitude, si fort en honneur aujourd'hui, de consulter quantité de gens de métier ou d'amateurs officieux en matières de travaux publics; on accumulait ainsi des avis, des procès-verbaux qui ont certes un grand intérêt pour nous aujourd'hui, mais qui, au total, n'étaient guère profitables à l'oeuvre et entraînaient souvent en des dépenses inutiles. En cela l'histoire de la construction du pont Notre-Dame rappelle passablement celle de beaucoup de nos édifices modernes. On faisait évidemment moins de bruit et l'on noircissait moins de papier autour de nos vieux ponts du moyen âge, commencés presque tous avec des ressources infimes et continués sans bruit, avec persistance, jusqu'à leur achèvement. Cependant ces ponts étaient solides et parfois très-hardis, puisque plusieurs d'entre eux, comme celui de Saint-Esprit par exemple, excitent notre admiration. Les piles des ponts du moyen âge étaient élevées au moyen de bâtardeaux et rarement sur pilotis. On cherchait au fond du fleuve un lit solide, et l'on bâtissait dessus. Si l'on enfonçait des pilotis, c'était en amont des avant-becs, lorsque les fonds étaient sablonneux et pour éviter les affouillements. C'est ainsi que sont construites les piles du pont de la Guillotière à Lyon, qu'étaient fondées celles du Petit-Pont à Paris, du pont de l'Arche et du pont de Rouen. Quant aux arches, nous avons vu que celles des ponts Saint-Bénezet et Saint-Esprit sont composées de rangs de claveaux juxtaposés, non liaisonnés. Quelques arches de pont, d'une ouverture médiocre, notamment dans le Poitou, sont construites au moyen d'arcs-doubleaux séparés par un intervalle rempli par un épais dallage au-dessous du tablier, ainsi que l'indique la figure 10.

Ces arcs-doubleaux sont alors posés en rainure dans les piles et conservent une parfaite élasticité. Les eaux pluviales qui s'infiltrent toujours à travers le pavage passent facilement entre les joints des dalles, et ne salpêtrent pas les reins des arches, comme cela n'a que trop souvent lieu lorsque celles-ci sont pleines 184. Ce système d'arches a encore l'avantage d'être léger, de moins charger les piles, et d'être économique, puisqu'il emploie un tiers de moins de matériaux clavés. Les tympans au-dessus de ces arcs-doubleaux sont élevés en moellon ou en pierre tendre, et peuvent être très-facilement remplacés sans qu'il soit nécessaire d'interrompre la circulation. Les exemples de ponts construits d'après ce système paraissent appartenir au commencement du XIIIe siècle, ou peut-être même à la fin du XIIe.

Pour diminuer la dépense considérable que nécessite un pont construit avec des arches de pierre, on prenait quelquefois le parti de n'élever que des piles en maçonnerie sur lesquelles on posait un tablier de bois. Tel avait été construit le pont traversant la Loire à Nantes (fig. 11).

Sur les avant-becs de ce pont s'élevaient de petites maisons louées à des marchands 185. Entre quelques-unes des piles avaient été établis des moulins; car il est à observer que presque tous les ponts bâtis très-proches des cités populeuses, ou compris dans leur enceinte, étaient garnis de maisons, de boutiques et de moulins. La place était rare dans les villes du moyen âge, presque toutes encloses de murs et de tours, et les ponts étant naturellement des passages très-fréquentés, c'était à qui cherchait à se placer sur ces parcours. Les ponts de Paris étaient garnis de maisons, et formaient de véritables rues traversant le fleuve. Ce fut même l'établissement de ces maisons dont la voirie, ne se préoccupait pas assez, qui contribua à la ruine de ces ponts. S'il fallait se maintenir sur l'alignement des deux côtés de la voie, sur la rivière, on posait des bâtisses en encorbellement, on creusait des caves et des réduits dans les piles, et les parois de ces ponts devaient bientôt se déverser. Lorsque la démolition des maisons qui garnissaient les ponts Notre-Dame et Saint-Michel à Paris fut effectuée, il fallut réparer les parements extérieurs et les tympans des arches jusqu'au droit des piles, chaque habitant ayant peu à peu creusé ces tympans ou altéré ces parements.

Les ponts de bois jouent un rôle important dans l'architecture du moyen âge, leur établissement étant facile et peu dispendieux. Nous trouvons encore la tradition des ponts de bois gaulois en Savoie. Dans cette contrée, pour traverser un torrent, sur les pentes escarpées qui forment son encaissement, on amasse quelques blocs de grosses pierres en manière de culées, puis (fig. 12), sur cet enrochement on pose des troncs d'arbres, alternativement perpendiculaires et parallèles à la direction du ravin, en encorbellement. On garnit les intervalles laissés vides entre ces troncs d'arbres, de pierres, de façon à former une pile lourde, homogène, présentant une résistance suffisante. D'une de ces piles à l'autre on jette deux, trois, quatre sapines, ou plus, suivant la largeur que l'on veut donner au tablier, et sur ces sapines on cloue des traverses de bois. Cette construction primitive, dont chaque jour on fait encore usage en Savoie, rappelle singulièrement ces ouvrages gaulois dont parle César, et qui se composaient de troncs d'arbres posés à angle droit par rangées, entre lesquelles on bloquait des quartiers de roches. Ce procédé, qui n'est qu'un empilage, et ne peut être considéré comme une oeuvre de charpenterie, doit remonter à la plus haute antiquité; nous le signalons ici pour faire connaître comment certaines traditions se perpétuent à travers les siècles, malgré les perfectionnements apportés par la civilisation, et combien elles doivent toujours fixer l'attention de l'archéologue.

Ces sortes d'ouvrages devaient sembler barbares aux yeux des Romains, si excellents charpentiers, et nous les voyons encore exécuter de nos jours au milieu de populations en contact avec notre civilisation. C'est que les travaux des hommes conservent toujours quelque chose de leur point de départ, et que dans l'âge mûr des peuples on peut encore retrouver la trace des premiers essais de leur enfance. C'est ainsi, par exemple, que, dans un ordre beaucoup plus élevé, nous voyons les charpentiers à Rome exécuter des charpentes considérables à l'aide de bois très-courts. C'était là une méthode adoptée par les armées romaines. Ne pouvant en campagne se procurer des engins propres à mettre au levage de très-grandes pièces de bois, ils avaient adopté des combinaisons de charpenterie qui leur permettaient de construire en peu de temps des ouvrages d'une grande hauteur ou d'un grand développement. Ces traditions romaines s'étaient encore conservées chez nous pendant les premiers siècles du moyen âge, où les difficultés de transport et de levage faisaient qu'on employait des bois courts pour exécuter des travaux de charpente, surtout en campagne. Villard de Honnecourt donne le croquis d'un pont fait avec des bois de vingt pieds 186. «Ar chu,» écrit-il au bas de son croquis, «fait om ou pont desor one aive de fus de xx pies d lonc 187.» Le moyen indiqué par Villard de Honnecourt est très-simple, et rappelle les ouvrages de charpenterie que nous voyons exprimés dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et de l'arc de Septime Sévère.

Villard élève deux culées en maçonnerie (fig. 13), auxquelles il scelle d'abord les chapeaux B des deux potences A. Les contre-fiches de ces potences assemblées dans les poteaux D sont roidies par les moises E. Sur les chapeaux de ces potences, il élève les poteaux G, H, maintenus dans tous les sens par des croix de Saint-André. Des seconds chapeaux K réunissent la tête de ces poteaux et sont soulagés par des contre-fiches L moisées comme celles du dessous; puis, sur ces derniers chapeaux, il pose des pièces horizontales qui réunissent les deux encorbellements et les empêchent de donner du nez. Il suffisait de clouer des madriers sur les longrines. En ne prenant, pour exécuter cet ouvrage, comme le dit Villard, que des bois de 20 pieds, on peut avoir facilement un tablier de 50 pieds de long, parfaitement rigide. Cela paraît être pour notre auteur un ouvrage de campagne, qu'il surmonte d'une porte à chaque bout.

Quant aux ponts de bois plantés en travers de grands cours d'eau, ils se composaient de rangées de pieux, ordinairement simples, moisés et armés de fortes contre-fiches en aval et en amont. Sur ces pieux, on posait des chapeaux qui réunissaient leur tête, puis le tablier soulagé par des liens. Les piles, composées de rangs simples de pieux, avaient cet avantage de n'opposer aucun obstacle au courant. Des gardes triangulaires fichées en amont faisaient dévier les glaçons ou les corps flottants qui auraient pu entamer les piles.

Comme les armées romaines, celles du moyen âge ne se faisaient pas faute d'établir des ponts fixes sur les rivières pour passer leurs gens et leur arroi. Dans la Chanson des Saxons, Charlemagne fait faire un pont sur le Rhône: «Barons, dit-il, aux chefs assemblés:

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