← Retour

En Virginie, épisode de la guerre de sécession: Précédé d'une étude sur l'esclavage et les punitions corporelles en Amérique, et suivi d'une bibliographie raisonnée des principaux ouvrages français et anglais sur la flagellat

16px
100%

XX
HEURES DE DÉSŒUVREMENT

Trois nouveaux mois passèrent; je vis bien des choses curieuses, mais je ne veux pas allonger mon récit, ou plutôt ma confession.

Randolph donnait toujours à ses amis des dîners ou parties amusantes et parfois fort libres. N'eut-il pas l'idée, un jour qu'il avait dix convives, de vouloir les faire servir par dix esclaves nues! Cette fantaisie m'épouvanta.

—Oh! Georges, m'écriai-je, vous ne ferez pas une chose pareille? Ce serait trop honteux.

—Mais si, certainement, répondit-il en riant; comment, Dolly, vous rougissez; je croyais pourtant bien que vous étiez guérie de votre timidité.

—Mais votre idée est absolument insensée. Si vous voulez agir ainsi, au moins, ne m'obligez pas à rester à votre table; ma position entre dix hommes environnés de femmes nues serait trop horrible!

Hélas! il me fallut consentir à cette lubrique fantaisie d'un cerveau que je commençais à considérer comme malade.

Le repas eut lieu, ainsi que l'avait voulu Randolph, et, mourant de honte, je me retirai dans ma chambre, pour ne pas voir ce qui allait inévitablement se passer.

Quelques jours après cette scène, Randolph m'annonça qu'il était dans l'obligation de partir à Charlestown pour affaires et ordonna à Dinah de lui préparer sa valise. Avant de s'éloigner, il me fit plusieurs recommandations et me donna le contrôle de toute la maison, en m'exonérant cependant de la surveillance de la plantation: je devais également laisser les majordomes absolument maîtres du travail.

Il ajouta que si l'une des femmes commettait quelque faute, je pourrais, avec l'aide de Dinah, la fouetter moi-même, ou, si je le préférais, l'envoyer à un des surveillants avec une note spécifiant quel instrument devait être employé pour la correction: la baguette, courroie, ou batte.

Je lui promis de faire tout ce qu'il me disait, mais, à part moi, je comptais bien ne pas fouetter ou faire fouetter une seule femme sous quelque prétexte que ce fût. Certes, il est bon parfois de fustiger doucement un enfant, mais l'idée de frapper rudement une femme me répugne profondément.

Randolph parti, je me sentais heureuse d'être libre d'agir à ma guise, sans avoir à subir les ordres d'un maître, car Randolph était moins mon amant que mon maître.

Le temps passa tranquillement. Dinah était très attentive et les femmes se conduisaient parfaitement. Je passais mes journées à lire et à monter à cheval. Randolph m'en avait donné un très doux, car j'étais toujours fort nerveuse.

Nous étions à l'époque de la récolte du coton. Cet ouvrage était fait par des femmes qui étaient obligées, sous peine de punition, d'en récolter un certain poids par jour. Elles se réunissaient à la fin de la journée et un surveillant, un carnet à la main, pesait leurs paniers. Si le poids était insuffisant, la femme était fouettée avec la courroie qui produisait une forte douleur sans abîmer la peau.

J'ai entendu dire à un surveillant qu'on pouvait fouetter une négresse pendant une demi-heure avec la courroie, sans en tirer une goutte de sang.

Nous avions alors soixante-dix femmes employées à ramasser le coton, et tous les soirs, quatre ou cinq recevaient la fouettée. Cette coutume n'était pas particulière à notre habitation, mais tous les planteurs de la Virginie agissaient ainsi. Les majordomes surveillant les travaux des champs étaient chargés du soin de punir les négresses, et toutes les plus jolies travailleuses leur passaient entre les mains; ils n'en avaient pas plus de pitié pour cela; leurs attributions comprenant les fustigations, c'est presque machinalement qu'ils les exerçaient.

Chargement de la publicité...