En Virginie, épisode de la guerre de sécession: Précédé d'une étude sur l'esclavage et les punitions corporelles en Amérique, et suivi d'une bibliographie raisonnée des principaux ouvrages français et anglais sur la flagellat
XXVII
LA PROSTITUÉE
Je me levai tard le lendemain matin, et partis faire différentes courses. Randolph tenait à ce que je fusse toujours bien mise. Très généreux sous ce rapport il ne négligeait rien.
En quelques jours, ma garde-robe fut remplacée.
Georges était allé chercher mes bijoux à Woodlands.
La plantation était dans un état affreux; les esclaves refusaient de travailler, malgré Dinah et les surveillants qui ne pouvaient maintenant les y contraindre.
A Richmond, la vie était triste. Les nombreux échecs des Sudistes avaient semé le deuil partout. Randolph se décida à quitter Richmond et il fut convenu que nous partirions pour New York. Cette nouvelle m'enchanta, et c'est avec ravissement que je m'installai avec lui dans le meilleur hôtel de la ville.
Pendant quelque temps, je fus relativement heureuse.
J'avais de très belles toilettes, Georges m'emmenait fréquemment au spectacle et devenait très aimable pour moi.
Les semaines s'écoulaient rapidement et, par un inexplicable et subit revirement, je remarquai que Randolph devint subitement froid et réservé à mon égard. Il rentrait tous les jours fort tard: je compris qu'il était peut-être l'amant d'autres femmes. Un jour, il m'entraîna dans sa chambre:
—J'ai résolu, me dit-il, d'aller en Europe avec plusieurs amis; en un mot, Dolly, l'heure de la séparation a sonné. Mais il n'y a pas de votre faute; je n'ai jamais eu à me plaindre de vous; en conséquence, je vais acheter pour vous une petite maison et la meublerai convenablement. Vous recevrez une bonne somme pour commencer. Vous êtes jeune, jolie et intelligente, je suis certain que vous réussirez à New York.
C'était une façon un peu brutale de me signifier mon congé, mais en somme, il ne m'abandonnait pas sans ressources.
Je me mis à songer; mon avenir ne m'apparut pas sous des couleurs très brillantes, mais il fallait que je me courbasse sous la loi d'inéluctables circonstances.
Le lendemain donc, après de nombreuses recherches, Randolph acheta, à mon intention, une petite maison qui fut immédiatement meublée avec quelque goût. Puis, en m'y installant, il me donna mille dollars. Je pris deux domestiques noires et devins dès lors propriétaire.
Une après-midi, Randolph me rendit visite et m'aborda en ces termes:
—Vous savez, Dolly, que j'adore fouetter une femme; il est peu probable qu'à l'avenir je puisse me payer cette agréable fantaisie en Europe; aussi faut-il que vous me permettiez de vous laisser fustiger sérieusement avant mon départ.
Cette étrange proposition ne me souriait guère, mais je n'eus pas la force de lui refuser; j'acceptai donc, lui recommandant toutefois de ne pas me frapper trop fort si je lui passais cette dernière fantaisie.
Prenant un mouchoir, il m'attacha les mains, malgré ma défense. Puis, s'asseyant sur une chaise et me renversant sur ses genoux, il me traita ainsi qu'une petite fille, malgré mes pleurs et mes supplications.
—Là, Dolly, maintenant tout est fini entre nous; vous avez reçu de moi la dernière fessée.
Puis il m'embrassa une dernière fois, me dit adieu, et tranquillement sortit de ma maison.
Il partit pour l'Europe dès le lendemain et depuis, je ne l'ai plus revu. Je sais pourtant aujourd'hui qu'il est revenu et qu'il habite Woodlands.
*
* *
Au bout de peu de temps, mes ressources diminuèrent rapidement. Malgré toute ma volonté et la lutte intérieure qui se livrait entre ma conscience et la nécessité, il fallut me résoudre à me laisser pousser vers la chute finale.
J'étais jolie, et bientôt j'eus un grand nombre d'adorateurs.
Je haïssais cependant mon horrible profession et certes, je puis affirmer que je ne m'y suis jamais faite. A deux reprises déjà, j'ai été demandée en mariage, mais je me suis jurée de n'épouser que quelqu'un que j'aimerai réellement. Peut-être un jour mes vœux seront-ils exaucés.
L'an dernier, je suis allée passer quelques jours à Philadelphie où j'ai eu des nouvelles de Miss Dean. Elle est toujours aussi bonne qu'autrefois et continue à être très charitable. Je crois que ses aventures en Virginie sont ignorées. J'aurais bien voulu revoir ma douce amie, mais ma présente condition me le défendait. C'est pour moi un grand chagrin.
Maintenant, mon histoire est finie et vous savez pourquoi je hais les Sudistes.
Ils sont la cause de tous mes malheurs et de ma chute dans le vice. Sans eux, je n'eusse pas été martyrisée par les Lyncheurs, et je n'aurais pas été obligée de me livrer à Randolph. Trois bandits ne m'auraient pas violée et enfin, malheur de moi! je ne serais pas
UNE PROSTITUÉE