... Et l'horreur des responsabilités (suite au Culte de l'incompétence)
III
DANS LA FAMILLE
Que la famille française soit une des plus belles choses que la France puisse proposer au respect et même à l’admiration de l’étranger et que l’étranger, spontanément la respecte et l’admire souvent et même toutes les fois qu’il ne la juge pas sur le témoignage de nos romanciers surannés, j’en conviens de tout mon cœur et suis très heureux d’en convenir. Mais ceci est un livre de critique qui marque les points faibles de notre constitution morale et de notre constitution politique pour tâcher de suggérer l’idée et le désir de réparations possibles.
Or dans la famille elle-même l’effroi des responsabilités, ou, et aussi, la manière fausse d’entendre les responsabilités sont des points faibles qu’il faut signaler et avec toute la précision qu’on y pourra mettre.
Les bourgeois français aiment leurs enfants de tout leur cœur et même ils les aiment trop si l’on peut trop les aimer ; enfin ils les aiment de tout leur cœur. Ce pays est peut-être le seul — ou il est celui où cela se passe le plus souvent — où mari et femme qui ne s’aiment point finissent par s’aimer dans leurs enfants et par amour de leurs enfants, de telle sorte qu’ils deviennent absolument dévoués l’un à l’autre. S’ils savaient s’observer (et cela ne doit pas laisser de leur arriver quelquefois) ils se diraient, jusqu’à leur premier enfant : « Nous ne nous aimons guère ; nous nous sommes mariés par convenance, comme on fait presque toujours en France, et sans nous connaître, comme on fait toujours en France ; ou nous nous sommes mariés par inclination, comme on fait quelquefois en France, mais sans nous connaître comme en France on fait toujours ; et voilà que nous ne nous aimons point du tout. »
Et ils se diraient à partir de leur premier enfant : « ce qui sauve tout c’est l’enfant ; elle l’aime infiniment, je l’aime beaucoup ; je suis content d’elle relativement à lui ; nous ne nous querellons plus beaucoup depuis qu’il est là ; à elle je pardonne tout à cause de lui. »
Et ils se diraient vingt ans plus tard : « Nous les avons élevés avec un dévouement absolu, avec des soins infinis et une sollicitude de tous les instants ; c’est la meilleure mère du monde ; je le lui dis avec émotion ; elle me dit avec attendrissement que je suis un très bon père ; ces moments sont très doux. Tiens ! Mais… nous nous aimons ! »
Les époux français s’aiment profondément après qu’est passé l’âge de l’amour. Cela vient de ce qu’ils s’aiment dans l’amour qu’ils ont pour leurs enfants. Je crois qu’il y a des pays où c’est l’amour qui fait les enfants et qu’en France c’est des enfants que naît l’amour. Pourvu qu’il y soit, c’est l’essentiel.
Les Français aiment donc profondément leurs enfants. Seulement, et par amour pour leurs enfants ils n’en font pas ; et par amour pour leurs enfants ils ne les élèvent pas.
Par amour pour leurs enfants ils n’en font pas. Comme Ugolin dévorait ses fils pour leur conserver un père, les Français s’abstiennent d’avoir des enfants pour leur conserver un père riche ou à l’aise et pour qu’ils ne soient point dans la misère. La terreur des pères de famille français c’est d’avoir plus de deux enfants, ou, même, plus d’un. S’ils en ont plus de deux, ils les aperçoivent, dans l’avenir, moins à l’aise qu’ils ne sont eux-mêmes et en droit de le leur reprocher et c’est devant cette responsabilité qu’ils reculent avec effroi. Si même ils n’en ont que deux ils se disent, avec raison du reste et en bons calculateurs, que quand leurs enfants se marieront, eux, parents, subsistant encore, malheureusement, le bien sera divisé en quatre, deux portions pour les parents, une pour chaque enfant ; que, par conséquent chaque enfant n’en aura qu’un quart jusqu’à la mort de ses parents, portion congrue, portion bien faible : « Oh ! le pauvre petit ménage qu’aura notre fille ! Oh ! l’étroite entrée dans la vie qu’aura notre fils, qui, en sa qualité de fonctionnaire, sera peu payé. Il faudrait n’avoir qu’un enfant. »
Ainsi raisonnent-ils, par crainte de la responsabilité qu’il y a à avoir plus de deux enfants, plus d’un. Ce qui fait quelquefois qu’ils poussent jusqu’à deux, c’est, quand ils commencent par une fille, le désir d’avoir un fils ; mais ce désir même ne les pousse pas toujours jusqu’au courage d’avoir deux enfants. Toujours ils en désirent un, l’amour paternel étant très vif chez eux ; mais plus d’un, très rarement. Ils ont besoin d’avoir un être sorti d’eux qu’ils aiment, qu’ils chérissent, qu’ils caressent et qu’ils gâtent délicieusement et de qui ils se croient aimés ; or un seul suffit pour cela et, dès qu’ils l’ont, le sentiment paternel est éteint par le sentiment paternel lui-même, je veux dire le désir d’avoir des enfants éteint par la satisfaction d’en avoir et par l’idée des devoirs immenses qu’ils ont à l’égard de celui qu’ils ont.
Il y a en France, ne nous y trompons pas et sachons le dire, une désapprobation des pères de famille, une mésestime, oui, une espèce de mépris à l’endroit des pères de famille qui ont de nombreux enfants ; ceux-ci sont considérés comme de mauvais pères, puisqu’ils ont frustré leur premier enfant du bénéfice d’être seul ou leurs deux premiers enfants du bénéfice de n’être que deux. Ce sont gens qui n’aiment pas leurs enfants ; et leurs enfants aînés eux-mêmes partagent obscurément ce sentiment-là. Et ce sont gens aussi qui n’ont pas eu la vertu française par excellence, la vertu sacrée, la seule vertu vraiment estimée, l’économie ; ce sont des prodigues, des dissipateurs, des dilapidateurs. Au fond, aux yeux de tout bourgeois français le père de famille qui a eu six enfants est un bohème et l’on devrait lui donner un conseil judiciaire.
Ce qui s’ensuit de tout cela, c’est d’abord que la famille française est très unie, très concentrée, très ramassée, très respectable, sympathique et touchante ; mais, à un certain point de vue, n’existe pas. La vraie famille, c’est la famille nombreuse, à nombreux enfants. Dans cette famille-ci, il y a, chose étrange au premier abord, mais qui s’explique quand on y réfléchit, beaucoup plus d’amour des enfants pour le père et la mère, peut-être un peu de jalousie, je l’ai indiqué, de la part des aînés, mais de la part des puînés qui sont les plus nombreux et, par contagion, de la part de tous, beaucoup plus d’amour, de respect, de culte pour le père et la mère, qui semblent des patriarches, des chefs de gens, des chefs de nation et qui ont comme une espèce de gloire. Vous n’êtes pas sans avoir connu des familles nombreuses ; car il y en a encore ; et vous avez parfaitement démêlé ce sentiment-là.
De plus, dans cette famille à nombreux enfants, des habitudes de tribu se forment tout naturellement. Il y a dans cette famille des rejetons sains, d’autres qui le sont moins ; ceux-ci sont redressés ou tenus en respect par les autres ; le mauvais sujet a pour correcteurs, non pas seulement son père et sa mère, mais ses frères honnêtes gens ; la famille est une espèce de tribunal et de jury où les bons l’emportent et traduisent à leur barre les mauvais ; à supposer même que les mauvais soient en majorité, deux sont intimidés dans le mal par un seul qui est du côté du père et de la mère et qui est fortifié par eux comme il les fortifie ; en un mot la famille est une société, où les éléments mauvais sont plus que contrebalancés et sont contenus par les éléments bons ; tandis que, dans une famille à un seul enfant, s’il est bon, rien de mieux, mais s’il est mauvais, ses parents n’ont pas d’auxiliaire contre lui. La nombreuse famille a en elle-même une très grande force pour le bien.
Dans la famille à un enfant unique, il arrive d’abord ceci, souvent, que l’enfant unique disparaît et que ce grand effort d’amour fut en pure perte, par lequel la famille s’est bornée à un seul enfant ; ensuite, si l’enfant unique ne disparaît point, il arrive ceci qu’il est élevé avec une excessive faiblesse, qu’il est gâté, par suite qu’il est égoïste et qu’il n’aime point ses parents. Il y a des exceptions ; elles sont assez rares.
Que l’enfant unique n’aime point ses parents ou les aime peu, c’est une chose si naturelle qu’elle n’a guère besoin d’être expliquée : c’est par la jalousie amoureuse que l’enfant apprend l’amour ; jalousie amoureuse le plus souvent tendre, douce et très aimable ; mais enfin c’est parfaitement par jalousie amoureuse : « Tu aimes mieux ma sœur que moi ; tu ne m’aimes pas tant que mon frère. — Mais si ! Je vous aime autant l’un que l’autre. » Le petit jaloux est à peu près convaincu ; en attendant c’est un mouvement de jalousie qui lui a appris l’amour et l’amour ne sortira pas de son cœur.
L’enfant unique, uniquement adoré, trouve cela naturel, et se laisse adorer sans réciprocité et sans rien qui l’excite à la réciprocité, ou qui, même, lui en donne l’idée. L’enfant unique est analogue au mari trop aimé de sa femme ou à la femme trop aimée de son mari ; il n’aime point ; cela semble trop dû qui n’est pas refusé, qui ne l’est jamais, même à demi, même un peu, même apparemment ; cela semble trop dû qui vous est prodigué.
Chose très particulière, que je crois avoir observée, ou peut-être je me trompe ; les parents à enfant unique semblent trouver tout naturel de n’être point aimés du tout ; peut-être ne s’en aperçoivent-il pas ; je crois pourtant qu’ils s’en aperçoivent un peu et qu’ils trouvent que cela va de soi ; ils semblent sentir qu’à l’infini doit répondre rien — « infini, rien », comme dit Pascal à propos de tout autre chose — qu’à une affection sans bornes, doit répondre, par impuissance de l’égaler, une affection très languissante, et à une affection d’une incroyable activité une affection toute passive.
Toujours est-il que l’enfant unique est très passif en affection et que ses parents n’aperçoivent pas cette passivité ou en prennent leur parti ou semblent la voir avec une espèce de plaisir. Les situations anormales dénaturent les sentiments. Vous connaissez tous l’amour éperdu qu’a pour sa femme l’homme que sa femme n’aime point, ses regrets désespérés quand il la perd, son mot, bien souvent entendu : « La pauvre femme ! Comme elle ne m’aimait pas ! Comme je n’ai pas su m’en faire aimer ! » Les parents à enfant unique ne sont qu’un peu comme cela ; mais ils le sont un peu, les mères surtout : « Il ne m’aime pas ! Il m’est si supérieur ! Il est adorable ! Comment ne pas aimer cet enfant-là ? »
Et en effet la non-affection de celui que vous aimez vous confirmant dans le sentiment que vous avez de sa perfection incommensurable avec votre indignité, vous confirme dans l’adoration que vous avez pour lui.
Seulement, c’est imbécile. C’est à cette imbécillité-là que conduit le soin imprudent de n’avoir qu’un enfant au lieu de dix.
Les conséquences ethniques ne sont pas moins graves ni moins douloureuses à considérer. Un peuple non géniteur placé à côté de peuples très prolifiques, ou seulement plus prolifiques que lui, est doucement envahi par eux d’une façon continue. La France, entre l’Allemagne et l’Italie, perd pacifiquement une bataille par an du côté de l’Italie et deux du côté de l’Allemagne. Les enfants qu’elle ne fait pas sont remplacés par ceux que font l’Allemagne et l’Italie et qu’elles nous envoient par manque de place chez elles et abandon de places vides chez nous. Rome est devenue une ville grecque, disait Juvénal ; avec beaucoup moins d’hyperbole que lui, je dirais : la France urbaine est devenue allemande et italienne. Ajoutez le peuple cosmopolite, le peuple juif, qui ne se trouvant nulle part mieux qu’en France et étant très prolifique, peuple notre territoire urbain très largement. A la vérité et je tiens essentiellement à le dire, le creuset intellectuel français est si fort, si ardent, si puissant, que de fils d’Allemands, de fils d’Italiens et de fils de Juifs il fait très vite des Français qui ont presque tous les caractères des Français de race et qui sont presque indiscernables des Français de vieille souche. Allemands, Italiens et surtout Juifs sont très productifs de Français ayant les qualités et les défauts français. Mais voilà qui n’est consolateur qu’à demi ; car si ces fils de métèques sont des Français très acceptables au point de vue de l’intelligence et même du cœur, il ne se peut pas qu’ils soient très français au point de vue du patriotisme. La chose a lieu, me dira-t-on. Je le sais ; mais je sais aussi qu’elle est rare. C’est parmi les fils de métèques qu’est l’état-major des antipatriotes et c’est surtout parmi les métèques qu’on trouve le plus d’indifférents à l’idée de Patrie. De sorte que c’est la paucinatalité, comme dit M. Édouard Petit dans la langue qui lui est particulière, qui contribue le plus à l’affaiblissement du patriotisme.
Il est remarquable, en tous cas, que le fléchissement du patriotisme chez nous a très précisément coïncidé avec la diminution de la natalité proprement française. Un moyen de battre en ruine le patriotisme, si odieux à certains, est de ne pas avoir d’enfants. Quand un instituteur devient père je gage que les autres lui disent : « Vous faites des enfants ; vous n’êtes pas des nôtres. » S’ils ne le lui disent pas, c’est qu’ils n’y entendent rien.
J’ai dit : par terreur des responsabilités, les Français ne font pas d’enfants ; ils élèvent mal ceux qu’ils font ; je passe à l’examen de cette seconde assertion.
Rien n’effraye plus le Français que d’élever son enfant lui-même. Il gâte ses enfants, il ne les élève pas. D’abord quand il s’agit d’une fille, le père français ne l’élève jamais ; il la laisse élever à sa mère ; c’est toujours une lourde faute. J’ai hâte de dire que le père, très occupé en dehors par le soin très sacré de gagner la vie de ses enfants, ne peut pas consacrer beaucoup de temps à l’éducation de ses filles, ni même de ses fils. Encore est-il qu’il doit donner et avec beaucoup d’autorité une direction générale. Je dirai presque surtout l’éducation des filles le regarde jusqu’à un certain âge de celles-ci, jusqu’à leur quatorzième année environ. La mère a une foule de qualités féminines qu’elle communique insensiblement à sa fille et rien de mieux ; mais elle a aussi une foule de défauts féminins qui doivent être contrebalancés par l’influence masculine, paternelle. Ces défauts que la mère ne peut pas combattre chez sa fille, que même elle ne peut pas ne pas lui donner, il faut que le père les signale à sa fille, toujours, certes, en disant que sa mère ne les a pas, et en s’appuyant sur cette affirmation que sa mère ne les a pas pour les mieux combattre ; mais enfin il faut qu’il les signale et qu’il les condamne.
Par parenthèse en les combattant chez sa fille avec affirmation énergique que la mère ne les a pas, il les guérira, du même coup, un peu, chez la mère. Le désordre, la nonchalance, la paresse, l’atermoiement éternel (« Nous avons bien le temps ») l’inexactitude, le bavardage, j’en passe, comment veut-on qu’une mère française guérisse sa fille de toutes ces imperfections-là ? Par son exemple ? Vous plaisantez. Par ses paroles ? C’est plus possible ; mais vous n’ignorez pas que si l’on se corrige peu de ses défauts c’est qu’on les prend pour des qualités et que l’on passe sa vie à s’en féliciter.
Donc jusqu’à un certain âge, il est très important que le père intervienne très adroitement, sans doute, et avec la discrétion nécessaire, mais très diligemment, dans l’éducation de ses filles. Royer-Collard avait autant d’autorité dans sa maison que dans les assemblées politiques, ce qui chez un homme d’État est la chose la plus rare du monde. Il était très impérieux avec Mlles Royer-Collard ; il leur disait entre autres choses : « Vous ne serez pas des demoiselles, je vous en empêcherai bien. » Je ne sais pas s’il les en a empêchées ; mais je sais qu’il comprenait bien les devoirs du père de famille à l’égard de ses filles.
La plupart des pères de famille français, à l’égard de leurs filles, se contentent de les voir croître en gentillesse, en grâces, en agréments et ne s’occupent pas d’autre chose. La responsabilité d’un travail si délicat que l’éducation des filles leur paraîtrait lourde. Ils sont des Chrysale. Avez-vous remarqué que Chrysale n’a pas du tout élevé ses filles ? Elles sont toutes deux façonnées par leur mère. Philaminte a eu une influence directe sur Armande qui est devenue une pédante. Elle a eu une influence à contre-effet sur Henriette qui, ayant le tempérament de son père, a été en réaction contre sa mère, mais en réaction un peu vive, un peu agressive, poussée trop loin, jusqu’à ceci qu’elle est un peu plébéienne, un peu soubrette dans ses propos. « Cette jeune fille manque de duvet », a dit Jules Lemaître. Ou, si vous voulez, Philaminte a formé Armande et par réaction contre Armande, Henriette a donné, avec beaucoup d’esprit, dans un peu de trivial. Ce pauvre Chrysale n’a même pas eu d’influence sur sa sœur. Celle-ci s’est donnée à Philaminte, comme à une personne très distinguée dont elle était fière et heureuse d’être devenue la belle-sœur, mais, bourgeoise presque peuple, comme son frère est bourgeois presque peuple, c’est une Philaminte très commune, qui ne lit guère que des romans et dont le rôle de femme savante consiste surtout à se piquer de savoir l’orthographe ; femme savante de petite ville. Tant y a que son frère n’a pas eu d’influence sur elle et ne peut même pas dire : « Ma pauvre bonne sœur au moins m’était restée. »
Il y a chez nous beaucoup de pères de famille qui lui ressemblent. Bien des chefs de famille français sont des Chrysale.
Il est un point extrêmement grave dans l’éducation des filles où cette terreur de la responsabilité est poussée jusqu’au plus grand ridicule et aussi constitue le plus grand danger du monde. A la vérité ce sont les mères que ce soin concerne et les pères n’y ont rien à voir. Je parle de la révélation à faire à la jeune fille des rapports entre homme et femme. Il est entendu dans la plupart des familles françaises que cette révélation ne doit jamais avoir lieu, ou doit avoir lieu deux ou trois heures avant le coucher de la mariée. Il n’y a rien de plus dangereux. Ou la jeune fille reste ignorante, ce qui arrive beaucoup plus souvent qu’on ne croit, ou elle apprend les choses par ses jeunes amies. Dans le premier cas elle est exposée à de graves périls ; dans le second elle a une instruction confuse, trouble et qui la trouble, et indécente. Les mystères de la vie doivent être enseignés nettement, chastement, sérieusement, gravement, comme la chose la plus grave en effet, la plus sérieuse et la plus chaste ; mais les mères reculent devant la responsabilité qu’il leur semble qu’elles encourent en les enseignant.
Dévelouter l’âme de leurs filles leur semble une mauvaise action. Elles aiment donc mieux que d’autres la fassent ? Non pas précisément ; mais elles remettent indéfiniment à la faire jusqu’au moment où vaguement elles se disent, sans vouloir en être sûres, qu’elle est faite. Il y a là un manque de courage très caractérisé, qui est en même temps une forte imprudence. La jeune fille doit être instruite brièvement et clairement sur les réalités de l’amour dès qu’elle est jeune fille. Le seul moyen de rendre les dangers évitables est de ne pas les laisser inconnus et le seul moyen d’empêcher les curiosités d’être malsaines est de les satisfaire sainement.
On voit quelles nombreuses et diverses phobies à l’égard des responsabilités existent dans les familles françaises. Chez ce peuple si courageux, le courage civil manque et aussi le courage familial. Le courage familial est le premier, comme en date, de tous les courages. C’est celui sur lequel s’appuient tous les autres ou plutôt il est l’atmosphère où tous les autres devraient, sinon précisément prendre naissance, du moins se nourrir, se développer, s’entretenir et se retremper.