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... Et l'horreur des responsabilités (suite au Culte de l'incompétence)

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V
POUR CHACUN DE NOUS

Le caractère français n’est pas à la hauteur de l’esprit français et c’est de là que vient tout le mal. L’esprit français est de tout premier ordre. Comme créateur d’idées, comme conquérant de la connaissance, comme créateur de beauté, aucun esprit dans le monde n’a plus de valeur que l’esprit français et peut-être n’en a autant. Le caractère français est défectueux. « Il y a en France, disait Renan, autant de gens de cœur et de gens d’esprit que dans aucun autre pays ; mais tout cela n’est pas mis en valeur. » Pourquoi tout cela n’est-il pas mis en valeur ? Qu’est-ce qui manque pour que tout cela y soit mis ? Le caractère, la volonté.

Nous sommes légers, nous sommes sans persévérance, sans obstination, sans ténacité. Nous sommes prompts à l’abandonnement. Nous sommes enfants, nous sommes vieillards, nous ne sommes jamais — je parle de la majorité — dans la force de l’âge. Sans être des paresseux et tant s’en faut, nous aimons à nous reposer sur ceux qui nous font travailler ; c’est le paradoxe de notre nature ; nous aimons à nous abandonner à l’État en acceptant qu’il nous impose même de lourdes tâches. Le fond de cette inclination paradoxale c’est le manque de volonté personnelle et ce manque de volonté personnelle vient lui-même de l’horreur des responsabilités.

Ce n’est pas tant que nous ne voulons pas agir que ce n’est que nous ne tenons pas à ce qu’on nous impute les effets de l’action. Nul plus que nous n’aime à dire : « Je m’en lave les mains ; ce n’est pas ma faute ; que voulez-vous que j’y fasse ? Je n’y puis rien, puisque je ne suis rien. »

Nous avons été façonnés ainsi par deux siècles de despotisme brillant et dont nous ne laissions pas, non sans quelque cause, du reste, d’être fiers. Nous nous sommes habitués à ne nous compter pour rien et à compter que tout se fait par tous sans que personne y contribue. Cela est naturel parce que tout se faisait autrefois par la royauté sans qu’aucune initiative partît des individus. Nous nous imaginons maintenant que tout se fait par la collectivité sans qu’aucun des individus dont la collectivité se compose ait une volonté d’acte. Tous ont remplacé un et il n’y a rien de changé.

Mais précisément tout est changé et une démocratie ne peut pas par elle-même, en soi, et par ce seul fait qu’elle existe, remplacer une volonté centrale et une intelligence centrale. Il faut qu’elle tire de son sein ou que de son sein se tirent des individus qui sachent vouloir. Des individus qui savent vouloir, qui acceptent les responsabilités et qui aiment la responsabilité et qui s’unissent dans une pensée et une volonté commune et qui acceptent et aiment des responsabilités communes, ce sont des aristocrates.

D’où il suit qu’une démocratie ne peut vivre qu’à la condition de tirer d’elle des aristocraties ou de souffrir que des aristocraties se tirent d’elle.

Cela paraît singulier ; mais rien n’est plus certain. La vitalité des démocraties se mesure à la force génitrice d’aristocraties qu’elles portent en elles.

Et encore il ne suffit pas, comme je me laissais aller à le dire pour un instant, que les démocraties souffrent qu’il sorte d’elles des collectivités aristocratiques ; il faut que les démocraties soient aristocratiques elles-mêmes en ce sens qu’elles aient en elles-mêmes de la volonté et du goût de la volonté. Il faut que les individus qui les composent aient le sens du vouloir individuel, de la persévérance individuelle, de la ténacité individuelle ; car c’est seulement à cette condition qu’elles comprendront les qualités de leurs aristocraties et les supporteront et les soutiendront et les aimeront, tout en les surveillant.

Une nation est une armée qui aime son état-major parce qu’elle comprend les qualités et les vertus de son état-major et elle ne les comprend que si elle les a elle-même à l’état rudimentaire mais très réelles et déjà fortes. Une nation est une collection de volontés et une organisation de volontés. La collection de volontés c’est elle-même ; l’organisation de volontés c’est les aristocraties qu’elle s’est données et qu’elle approuve et félicite d’avoir des volontés fermes. La volonté du peuple doit être que ses chefs aient de la volonté.

Je répète souvent ce mot d’un candidat dans une comédie : « Citoyens, tout ce que vous voudrez, je le voudrai encore plus que vous. » La réponse des citoyens devrait être : « J’ai une volonté et cette volonté est que vous ayez une volonté et que vous sachiez ce que vous voulez. »

Le goût des responsabilités est le respect de soi-même et le respect de la collectivité dont on fait partie. Il faut savoir, individu se respecter soi-même, collectivité respecter sa conscience collective et le devoir qu’elle vous impose, nation respecter sa conscience nationale et le devoir national qui est de vivre libres à l’intérieur et à l’extérieur. Le désir secret de compter chacun sur un autre, sur d’autres ou sur tous les autres est une démission et une désertion. Nous avons trop de démissionnaires par indifférence et de déserteurs par inertie.

Il faut réagir contre ce défaut national que la douceur naturelle de nos mœurs a fait naître et que de longs âges de despotisme ont entretenu comme avec soin. Ne dites jamais : « Ce n’est pas ma faute », c’est la faute de tous, même des plus humbles. Ne dites jamais : « Je n’y puis rien ». On y peut toujours quelque chose, ne fût-ce qu’en donnant l’exemple de l’énergie personnelle et en cherchant autour de soi d’autres énergies, même très obscures, auxquelles on puisse associer la sienne ce qui forme un noyau de force sociale.

Je ne dirai pas : le royaume d’ici-bas est aux énergiques et à ceux qui ne craignent pas qu’on leur fasse des reproches. Il ne s’agit pas de régner, il s’agit de vivre. On ne vit que par la volonté. Gœthe disait : « On ne meurt que quand on renonce à la vie ; on vit tant que l’on veut vivre. » Ce n’est peut-être pas tout à fait vrai des individus ; mais c’est vrai des peuples. Nietzsche a beaucoup parlé de la volonté de puissance. Il y a beaucoup à dire là-dessus ; mais il est une volonté de puissance qu’on ne saurait trop recommander et souhaiter à tous ceux qu’on aime, à commencer par soi, c’est la volonté de puissances sur soi-même.

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