Étude Médico-Légale: Psychopathia Sexualis: avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle
B.—NÉCROPHILES
Au groupe horrible des assassins par volupté les nécrophiles font naturellement suite, car, chez ces derniers, comme chez les premiers, une représentation qui en soi évoque l'horreur et fait frémir l'homme sain ou non dégénéré, est accompagnée de sensations de plaisir, et devient ainsi une impulsion aux actes de nécrophilie.
Les cas de viol de cadavres décrits dans la littérature par les poètes et les romanciers, font l'impression de phénomènes pathologiques; seulement ils ne sont ni exactement observés ni exactement décrits, si l'on veut toutefois excepter le cas du célèbre sergent Bertrand. (Voir plus loin.)
Dans certains cas, il ne se produit peut-être pas d'autre phénomène qu'un désir effréné qui ne considère pas la mort de l'objet aimé comme un empêchement à la satisfaction sensuelle.
Tel est peut-être le septième des cas rapportés par Moreau.
Un homme de vingt-trois ans a fait une tentative de viol sur Madame X..., âgée de cinquante-trois ans, a tué cette femme qui se défendait, puis en a abusé sexuellement et, l'acte commis, l'a jetée à l'eau. Mais il a repêché le cadavre pour le souiller de nouveau. L'assassin a été guillotiné. On a trouvé à l'autopsie les méninges frontales épaissies et adhérentes à l'écorce cérébrale.
D'autres auteurs français ont cité des exemples de nécrophilie. Deux fois, il était question de moines qui étaient de garde auprès d'une morte; dans un troisième cas, il est question d'un idiot atteint de manie périodique. Après avoir commis un viol, il fut interné dans un asile d'aliénés; là, il pénétra dans la salle mortuaire pour violer des cadavres de femmes.
Dans d'autres cas, le cadavre est manifestement préféré à la femme vivante. Si l'auteur ne commet pas d'autres actes de cruauté—dépècement, etc.—sur le corps du cadavre, il est alors probable que c'est l'inertie du cadavre qui en fait le charme. Il se peut qu'un cadavre qui présente la forme humaine avec une absence totale de volonté, soit, par ce fait même, capable de satisfaire le besoin morbide de subjuguer d'une manière absolue et sans aucune possibilité de résistance l'objet désiré.
Brière de Boismont (Gazette médicale, 1859, 2 juillet) raconte l'histoire d'un nécrophile qui, après avoir corrompu les gardiens, s'est introduit dans la chambre mortuaire où gisait le cadavre d'une fille de seize ans, enfant d'une famille très distinguée. Pendant la nuit, on entendit dans la chambre mortuaire un bruit comme si un meuble eût été renversé. La mère de la jeune fille décédée pénétra dans la chambre et aperçut un homme en chemise qui venait de sauter du lit de la morte. On le prit d'abord pour un voleur, mais bientôt on s'aperçut de quoi il s'agissait. On apprit que le nécrophile, fils d'une grande famille, avait déjà souvent violé des cadavres de jeunes femmes. Il a été condamné aux travaux forcés à perpétuité.
L'histoire suivante, racontée par Taxil (La Prostitution contemporaine, p. 171), est aussi d'un grand intérêt pour l'étude de la nécrophilie.
Un prélat venait de temps en temps dans une maison publique à Paris et commandait qu'une prostituée, vêtue de blanc comme un cadavre, l'attendît couchée sur une civière.
À l'heure fixée, il arrivait revêtu de ses ornements, entrait dans la chambre transformée en chapelle ardente, faisait comme s'il disait une messe, se jetait alors sur la fille qui pendant tout ce temps devait jouer le rôle d'un cadavre39.
Les cas où l'auteur maltraite et dépèce le cadavre, sont plus faciles à expliquer. Ils font un pendant immédiat aux assassins par volupté, étant donné que la volupté chez ces individus est liée à la cruauté ou du moins au penchant à se livrer à des voies de fait sur la femme. Peut-être un reste de scrupule moral fait-il reculer l'individu devant l'idée de commettre des actes cruels sur la personne d'une femme vivante, peut-être l'imagination omet-elle l'assassinat par volupté et ne s'en tient-elle qu'au résultat de l'assassinat: le cadavre. Il est probable que l'idée de l'absence de volonté du cadavre joue ici un rôle.
Observation 23.—Le sergent Bertrand est un homme d'une constitution délicate, d'un caractère étrange; il était, dès son enfance, toujours taciturne et aimait la solitude.
Les conditions de santé de sa famille ne sont pas suffisamment connues, mais on a pu établir que, dans son ascendance, il y avait des cas d'aliénation mentale. Il prétend avoir été affecté d'une étrange manie de destruction dès son enfance. Il brisait tout ce qui lui tombait entre les mains.
Dès son enfance, il en vint à la masturbation sans y avoir été entraîné. À l'âge de neuf ans, il commença à éprouver de l'affection pour les personnes de l'autre sexe. À l'âge de treize ans, le puissant désir de satisfaire ses sens avec des femmes se réveilla en lui; il se masturbait sans cesse. En se livrant à cet acte, il se représentait toujours une chambre remplie de femmes. Il se figurait alors, dans son imagination, qu'il accomplissait avec elles l'acte sexuel et qu'il les maltraitait ensuite. Bientôt il se les représentait comme des cadavres, et, dans son imagination, il se voyait souillant ces cadavres. Parfois, quand il se trouvait dans cet état, l'idée lui vint d'avoir affaire aussi à des cadavres d'hommes, mais cette idée le remplissait toujours de dégoût.
Ensuite il éprouva le vif désir de se mettre en contact avec de véritables cadavres.
Faute de cadavres humains, il se procurait des cadavres d'animaux, auxquels il ouvrait le ventre, arrachait les entrailles, pendant qu'il se masturbait. Il prétend avoir éprouvé alors un plaisir indicible. En 1846, les cadavres ne lui suffisaient plus. Il tua deux chiens, avec lesquels il fit la même chose. Vers la fin de 1846, il lui vint, pour la première fois, l'envie de se servir de cadavres humains. D'abord, il résista. En 1847, comme il venait d'apercevoir par hasard, au cimetière, la tombe d'un mort qu'on venait d'enterrer, cette envie le prit si violemment, en lui causant des maux de tête et des battements de cœur, que, bien qu'il y eût du monde tout près et danger d'être découvert, il se mit à déterrer le cadavre. N'ayant sous la main aucun instrument pour le dépecer, il prit la bêche d'un fossoyeur et se mit à frapper avec rage sur le cadavre. En 1847 et 1848 se manifestait pendant quinze jours, avec de violents maux de tête, l'envie de brutaliser des cadavres. Au milieu des plus grands dangers et des plus grandes difficultés, il satisfit environ quinze fois ce penchant. Il déterrait les cadavres avec ses ongles, et, telle était son excitation, qu'il ne sentait même pas les blessures qu'il se faisait aux mains. Une fois en possession du cadavre, il l'éventrait avec son sabre ou son couteau, arrachait les entrailles pendant qu'il se masturbait. Le sexe des morts, prétend-il, lui était absolument égal; mais on a constaté que ce vampire moderne avait déterré plus de cadavres de femmes que de cadavres d'hommes. Pendant ces actes, il se trouvait dans une excitation sexuelle indescriptible. Après avoir dépecé les cadavres, il les enterrait de nouveau.
Au mois de juillet 1848, il tomba, par hasard, sur le cadavre d'une fille de seize ans.
C'est alors que, pour la première fois, s'éveilla en lui l'envie de pratiquer le coït sur le cadavre. «Je le couvrais de baisers et le pressais comme un enragé contre mon cœur. Toute la jouissance qu'on peut éprouver avec une femme vivante n'est rien en comparaison du plaisir que j'éprouvai. Après en avoir joui environ quinze minutes, je dépeçai, comme d'habitude, le cadavre et en arrachai les entrailles. Ensuite je l'enterrai de nouveau.»
C'est à partir de cet attentat, prétend B..., qu'il a senti l'envie de jouir sexuellement des cadavres avant de les dépecer, ce qu'il a fait avec trois cadavres de femmes. Mais le vrai mobile qui le faisait déterrer les cadavres était resté le même: le dépècement, et le plaisir qu'il éprouvait à cet acte était plus grand que celui que lui procurait le coït pratiqué sur le cadavre.
Ce dernier acte n'était qu'un épisode de l'acte principal et n'a jamais pu complètement satisfaire son rut. Voilà pourquoi, après l'acte sexuel, il mutilait les cadavres.
Les médecins légistes admirent le cas de monomanie. Le conseil de guerre condamna B... à un an de prison.
(Michéa, Union méd., 1849.—Lunier, Annales méd.-psychol., 1849, p. 153.—Tardieu, Attentats aux mœurs, 1878, p. 114.—Legrand, La Folie devant les Tribunaux, p. 524.)
C.—MAUVAIS TRAITEMENTS INFLIGÉS À DES FEMMES (PIQÛRES, FLAGELLATIONS, ETC.)
À la catégorie des assassins par volupté et à celle des nécrophiles qui a beaucoup d'affinités avec la première, il faut joindre celle des individus dégénérés qui éprouvent du charme et du plaisir à blesser la victime de leurs désirs et à voir le sang couler.
Un monstre de ce genre était le fameux marquis de Sade40, qui a donné son nom à cette tendance à unir la volupté à la cruauté.
Note 40: (retour)Taxil (op. cit., p. 180) donne des renseignements détaillés sur ce monstre psychosexuel qui, évidemment, a dû présenter un état de satyriasis habituel associé à une paresthesia sexualis.
De Sade était cynique au point de vouloir sérieusement idéaliser sa cruelle sensualité et se faire l'apôtre d'une doctrine fondée sur ce sentiment pervers. Ses menées étaient devenues si scandaleuses (entre autres il invita chez lui une société de dames et de messieurs qu'il mit en rut en leur faisant servir des bonbons de chocolat mélangés de cantharide) qu'on dut l'enfermer dans la maison de santé de Charenton. Pendant la Révolution (1790), il fut remis en liberté. Il écrivit alors des romans ruisselants de volupté et de cruauté. Lorsque Bonaparte devint consul, le marquis de Sade lui fit cadeau de la collection de ses romans, reliés avec luxe. Le consul fit détruire les œuvres du marquis et interner de nouveau l'auteur à Charenton, où celui-ci mourut en 1814, à l'âge de soixante-quatre ans.
Le coït n'avait pour lui de charme que lorsqu'il pouvait faire saigner par des piqûres l'objet de ses désirs. Sa plus grande volupté était de blesser des prostituées nues et de panser ensuite leurs blessures.
Il faut aussi classer dans cette catégorie le cas d'un capitaine dont l'histoire nous est racontée par Brierre de Boismont. Ce capitaine forçait sa maîtresse, avant le coït qu'il faisait très fréquemment, à se poser des sangsues ad pudenda. Finalement cette femme fut atteinte d'une anémie très grave et devint folle.
Le cas suivant, que j'emprunte à ma clientèle, nous montre d'une façon bien caractéristique la connexité qui existe entre la volupté, la cruauté et le penchant à verser, ou à voir couler du sang.
Observation 24.—M. X..., vingt-cinq ans, est né d'un père lunatique, mort de dementia paralytica et d'une mère de constitution hystéro-neurasthénique. C'est un individu faible au physique, de constitution névropathique et portant de nombreux stigmates de dégénérescence anatomique. Étant enfant, il avait déjà des tendances à l'hypocondrie et des obsessions. De plus, son état d'esprit passait de l'exaltation à la dépression. Déjà, à l'âge de dix ans, le malade éprouvait une étrange volupté à voir couler le sang de ses doigts. Voilà pourquoi il se coupait ou se piquait souvent les doigts et éprouvait de ces blessures un bonheur indicible. Alors il se produisit des érections lorsqu'il se blessait, de même lorsqu'il voyait le sang d'autrui, par exemple une bonne qui s'était blessée au doigt. Cela lui causait des sensations d'une volupté particulière. Puis sa vita sexualis s'éveilla de plus en plus. Il se mit à se masturber sans qu'il y fût amené par personne.
Pendant l'acte de la masturbation, il lui revenait des images et des souvenirs de femmes baignées de sang. Maintenant, il ne lui suffisait plus de voir couler son propre sang. Il était avide de la vue du sang de jeunes femmes, surtout de celles qui lui étaient sympathiques. Souvent il pouvait à peine contenir son envie de blesser deux de ses cousines et une femme de chambre. Mais des femmes qui par elles-mêmes ne lui étaient pas sympathiques, provoquaient chez lui ce désir si elles l'impressionnaient par une toilette particulière, par les bijoux et les coraux dont elles étaient parées. Il put résister à ce penchant, mais son imagination était toujours hantée par des idées sanguinaires qui entretenaient en lui des émotions voluptueuses. Il y avait une corrélation intime entre les deux sphères d'idées et de sentiments. Souvent d'autres fantaisies cruelles l'obsédaient. Ainsi, par exemple, il se représentait dans le rôle d'un tyran qui fait mitrailler le peuple. Par une obsession de son imagination, il se dépeignait les scènes qui se passeraient si l'ennemi envahissait une ville, s'il violait, torturait et enlevait les vierges. Dans ses moments de calme, le malade qui était d'ailleurs d'un bon caractère et sans défectuosité éthique, éprouvait une honte et un profond dégoût de pareilles fantaisies, cruelles et voluptueuses. Aussi ce travail d'imagination cessait aussitôt qu'il s'était procuré une satisfaction sexuelle par la masturbation.
Peu d'années suffirent pour rendre le malade neurasthénique. Alors le sang et les scènes sanguinaires évoqués par son imagination, ne suffisaient plus pour arriver à l'éjaculation. Afin de se délivrer de son vice et de ses rêves de cruauté, le malade eut des rapports sexuels avec des femmes.
Le coït n'était possible que lorsque le malade s'imaginait que la fille saignait des doigts. Il ne pouvait avoir d'érection sans avoir présente cette image dans son idée. L'idée cruelle de blesser n'avait alors pour objectif que la main de la femme. Dans les moments de plus grande excitation sexuelle, le seul aspect d'une main de femme sympathique était capable de lui donner les érections les plus violentes.
Effrayé par la lecture d'un ouvrage populaire sur les conséquences funestes de l'onanisme, il s'imposa une abstinence rigoureuse et tomba dans un état grave de neurasthénie générale compliquée d'hypocondrie, tædium vitæ. Grâce à un traitement médical très compliqué et très actif, le malade se rétablit au bout d'un an. Depuis trois ans, il est d'un esprit sain; il a, comme auparavant, de grands besoins sexuels, mais il n'est hanté que très rarement par ses anciennes idées sanguinaires. X... a tout à fait renoncé à la masturbation. Il trouve de la satisfaction dans la jouissance sexuelle normale; il est parfaitement puissant et n'a plus besoin d'avoir recours à ses idées sanguinaires.
Quelquefois ces tendances à la volupté cruelle ne se produisent chez des individus tarés qu'épisodiquement et dans certains états exceptionnels déterminés, ainsi que nous le montre le cas suivant, rapporté par Tarnowsky (op. cit., p. 61).
Observation 25.—Z..., médecin, de constitution névropathique, réagissant faiblement contre l'alcool, pratiquant le coït normal dans les circonstances ordinaires, sentait, aussitôt qu'il avait bu du vin, que le simple coït ne satisfaisait plus son libido augmenté par cette boisson. Dans cet état, il était forcé, pour avoir une éjaculation et obtenir le sentiment d'une satisfaction complète, de piquer les nates de la puella, de les couper avec une lancette, de voir le sang et de sentir comment la lame pénètre dans la chair vivante.
Mais la plupart des individus atteints de cette forme de perversion, présentent cette particularité que le charme de la femme ne les excite pas. Déjà dans le premier des cas cités plus haut, l'imagination a dû recourir à l'idée de l'écoulement du sang pour que l'érection puisse se produire.
Le cas suivant a rapport à un homme qui, par suite de la masturbation dès son enfance, a perdu la faculté d'érection, de sorte que, chez, lui, l'acte sadique remplace le coït.
Observation 26.—Le piqueur de filles de Bozen (communiqué par Demme, Buch der Verbrechen, Bd. II, p. 341). En 1829, une enquête judiciaire fut ouverte contre B..., soldat, âgé de trente ans. À différentes époques, et dans plusieurs endroits, il avait blessé avec un couteau ou un canif des filles au derrière, mais de préférence dans la région des parties génitales. Il donna comme mobile de ces attentats un penchant sexuel poussé jusqu'à la frénésie et qui ne trouvait de satisfaction que par l'idée ou le fait de piquer des femmes. Ce penchant l'avait obsédé pendant des journées. Cela troublait ses idées et ce trouble ne cessait que quand il avait répondu par un acte à son penchant. Au moment de piquer, il éprouvait la satisfaction d'un coït accompli, et cette satisfaction était augmentée par l'aspect du sang ruisselant sur son couteau. Dès l'âge de dix ans, l'instinct sexuel se manifesta violemment chez lui. Il se livra tout d'abord à la masturbation et sentit que son corps et son esprit en étaient affaiblis.
Avant de devenir «piqueur de filles», il avait satisfait son instinct sexuel en abusant de petites filles impubères, les masturbant et commettant des actes de sodomie. Peu à peu l'idée lui était venue qu'il éprouverait du plaisir en piquant une belle jeune fille aux parties génitales et en voyant couler le sang le long de son couteau.
Dans ses effets, on a trouvé des imitations d'objets servant au culte, des images obscènes peintes par lui et représentant d'une façon étrange la conception de Marie, «l'idée de Dieu figée» dans le sein de la Sainte Vierge.
Il passait pour un homme bizarre, très irascible, fuyant les hommes, avide de femmes, et morose. On ne constata chez lui aucune trace de honte ni de repentir. Évidemment c'était un individu devenu impuissant par suite d'excès sexuels prématurés, mais que la persistance d'un libido sexualis violent poussait à la perversion sexuelle41.
Observation 27.—Dans les premières années qui suivirent 1860, la population de Leipzig était terrorisée par un homme qui avait l'habitude d'assaillir, avec un poignard, les jeunes filles dans la rue et de les blesser au bras supérieur. Enfin on réussit à l'arrêter et l'on constata que c'était un sadique qui, au moment où il blessait les filles, avait une éjaculation, et chez qui l'acte de faire une blessure aux filles était un équivalent du coït. (Wharton, A treatise on mental unsoundness, Philadelphia 1873, § 62342).
Note 42: (retour)Les journaux rapportent qu'en décembre 1896 une série d'attentats analogues ont été commis à Mayence. Un garçon, entre quatorze et seize ans, s'approchait des filles et des femmes et leur blessait les jambes avec un instrument aigu. Il fut arrêté et fit l'impression d'un aliéné. On n'a donné aucun détail sur ce cas, probablement de nature sadique.
Dans les trois cas suivants, il y a également impuissance, mais elle peut être d'origine psychique, la note dominante de la vita sexualis étant ab origine basée sur le penchant sadiste et ses éléments normaux se trouvant atrophiés.
Observation 28 (communiquée par Demme, Buch der Verbrechen, VII, p. 281).—Le coupeur de filles d'Augsbourg, le nommé Bartle, négociant en vins, avait déjà des penchants sexuels à l'âge de quatorze ans, mais une aversion prononcée pour la satisfaction de l'instinct par le coït, aversion qui allait jusqu'au dégoût du sexe féminin. Déjà, à cette époque, il lui vint à l'idée de faire des plaies aux filles et de se procurer par ce moyen une satisfaction sexuelle. Il y renonça cependant faute d'occasions et d'audace.
Il dédaignait la masturbation; par-ci par-là il avait des pollutions sous l'influence de rêves érotiques avec des filles blessées.
Arrivé à l'âge de dix-neuf ans, il fit, pour la première fois, une blessure à une fille. Hæc faciens sperma ejaculavit, summa libidine affectus. L'impulsion à de pareils actes devint de plus en plus forte. Il ne choisissait que des filles jeunes et jolies et leur demandait auparavant si elles étaient mariées ou non. L'éjaculation et la satisfaction sexuelle ne se produisaient que lorsqu'il s'apercevait qu'il avait réellement blessé la fille. Après l'attentat, il se sentait toujours faible et mal à l'aise; il avait aussi des remords.
Jusqu'à l'âge de trente-deux ans, il ne blessait les filles qu'en coupant la chair, mais il avait toujours soin de ne pas leur faire de blessures dangereuses. À partir de cette époque et jusqu'à l'âge de trente-six ans, il parvint à dompter son penchant. Ensuite il essaya de se procurer de la jouissance en serrant les filles aux bras ou au cou, mais par ce procédé il n'arrivait qu'à l'érection, jamais à l'éjaculation. Alors il essaya de frapper les filles avec un couteau resté dans sa gaine, mais cela ne produisit pas non plus l'effet voulu. Enfin il donna un coup de couteau pour de bon et eut un plein succès, car il s'imaginait qu'une fille blessée de cette manière perdait plus de sang et ressentait plus de douleur que si on lui avait incisé la peau. À l'âge de trente-sept ans, il fut pris en flagrant délit et arrêté. Dans son logement, on trouva un grand nombre de poignards, de stylets et de couteaux. Il déclara que le seul aspect de ces armes, mais plus encore de les palper, lui avait procuré des sensations voluptueuses et une vive excitation.
En tout, il aurait blessé cinquante filles, s'il faut s'en tenir à ses aveux.
Son extérieur était plutôt agréable. Il vivait dans une situation bien rangée, mais c'était un individu bizarre et qui fuyait la société.
Observation 29.—J.H..., vingt-cinq ans, est venu en 1883 à la consultation pour neurasthénie et hypocondrie très avancées. Le malade avoue s'être masturbé depuis l'âge de quatorze ans; jusqu'à l'âge de dix-huit ans il en usa moins fréquemment, mais depuis il n'a plus la force de résister à ce penchant. Jusque-là, il n'a jamais pu s'approcher d'une femme, car il était soigneusement surveillé par ses parents qui, à cause de son état maladif, ne le laissaient jamais seul. D'ailleurs, il n'avait pas de désir prononcé pour cette jouissance qui lui était inconnue.
Il arriva, par hasard, qu'un jour, une fille de chambre de sa mère cassa une vitre en lavant les carreaux de la fenêtre. Elle se fit une blessure profonde à la main. Comme il l'aidait à arrêter le sang, il ne put s'empêcher de le sucer, ce qui le mit dans un état de violente excitation érotique allant jusqu'à l'orgasme complet et à l'éjaculation.
À partir de ce moment, il chercha par tous les moyens à se procurer la vue du sang frais de personnes du sexe féminin et autant que possible à en goûter. Il préférait celui des jeunes filles. Il ne reculait devant aucun sacrifice ni aucune dépense d'argent pour se procurer ce plaisir.
Au début, la femme de chambre se mettait à sa disposition et se laissait, selon le désir du jeune homme, piquer au doigt avec une aiguille et même avec une lancette. Mais lorsque la mère l'apprit, elle renvoya la femme de chambre. Maintenant il est obligé d'avoir recours à des mérétrices pour obtenir un équivalent, ce qui lui réussit assez souvent, malgré toutes les difficultés qu'il a à surmonter. Entre temps, il se livre à la masturbation et à la manustupratio per feminam, ce qui ne lui donne jamais une satisfaction complète et ne lui vaut qu'une fatigue et les reproches qu'il se fait intérieurement. À cause de son état nerveux, il fréquentait beaucoup les stations thermales; il a été deux fois interné dans des établissements spéciaux où il demandait lui-même à entrer. Il usa de l'hydrothérapie, de l'électricité et de cures appropriées sans obtenir un résultat sensible.
Parfois il réussit à corriger sa sensibilité sexuelle anormale et son penchant à l'onanisme par l'emploi des bains de siège froids, du camphre monobromé et des sels de brome. Cependant, quand le malade se sent libre, il revient immédiatement à son ancienne passion et n'épargne ni peine ni argent pour satisfaire son désir sexuel de la façon anormale décrite plus haut.
Observation 30 (communiquée par Albert Moll, de Berlin).—L... T..., vingt et un ans, commerçant dans une ville rhénane, appartient à une famille dans laquelle il y a plusieurs personnes nerveuses et psychopathes. Une de ses sœurs est atteinte d'hystérie et de mélancolie.
Le malade a toujours été d'un caractère très tranquille; il était même timide. Étant à l'école, il s'isolait souvent de ses camarades, surtout quand ceux-ci parlaient de filles. Il lui semblait toujours choquant de traiter, dans une conversation avec dames, mariées ou non, la question du coucher ou du lever, ou même d'en faire mention.
Dans les premières années de ses études, le malade travaillait bien; plus tard, il devint paresseux et ne put plus faire de progrès. Le malade vint, le 17 août 1870, consulter le docteur Moll sur les phénomènes anormaux de sa vie sexuelle. Cette démarche lui fut conseillée par un médecin ami, la docteur X..., auquel il avait fait des confidences auparavant.
Le malade fait l'impression d'un homme très timide, farouche. Il avoue sa timidité, surtout en présence d'autres personnes, son manque de confiance en lui-même et d'aplomb. Ce fait a été confirmé par le docteur X...
En ce qui concerne sa vie sexuelle, le malade peut en faire remonter les premières manifestations à l'âge de sept ans. Alors il jouait souvent avec ses parties génitales, et il fut quelquefois puni pour cela. En se masturbant ainsi, il prétend avoir obtenu des érections; il se figurait toujours qu'il frappait avec des verges une femme sur les nates dénudées jusqu'à ce qu'elle en eût des durillons.
«Ce qui m'excitait surtout, raconte le malade, c'est l'idée que la personne flagellée était une femme belle et hautaine, et que je lui infligeais la correction en présence d'autres personnes, surtout des femmes, pour qu'elle sentît la force de mon pouvoir sur elle. Je cherchai donc de bonne heure à lire des livres où il est question de corrections corporelles, entre autres un ouvrage où il était question des mauvais traitements infligés aux esclaves romains.
«Cependant je n'avais pas d'érections quand les mauvais traitements que je me représentais consistaient en coups donnés sur le dos ou sur les épaules. Tout d'abord je crus que ce genre d'excitation passerait avec le temps, et voilà pourquoi je n'en parlai à personne.»
Le malade, qui s'était onanisé de bonne heure, continua. Au moment de sa masturbation, il évoquait toujours la même image de flagellation. Depuis l'âge de treize ou quatorze ans, le malade avait des éjaculations quand il se masturbait. Decimum septimum annum agens primum feminam adiit coeundi causa neque coitum perficere potuit libidine et erectione deficientibus. Mox autem iterum apud alteram coitum conatus est nullo successu. Tum feminam per vim verberavit. Tantopere erat excitatus ut mulierem dolore clamantem atque lamentantem verberare non desierit. Il ne pensait pas que ce fait pouvait lui attirer des poursuites judiciaires qui, d'ailleurs, n'ont pas eu lieu. Par ce procédé, il obtenait l'érection, l'orgasme et l'éjaculation. Il accomplissait l'acte de la manière suivante: il serrait de ses deux genoux la femme de manière que son pénis touchait le corps de celle-ci, mais sans immissio penis in vaginam, ce qui lui paraissait tout à fait superflu.
Plus tard le malade eut tant de honte de battre des femmes et fut en proie à des idées si noires, qu'il pensa souvent au suicide. Pendant les trois années suivantes, le malade alla encore chez des femmes. Mais jamais il ne leur demanda plus de se laisser battre par lui. Il essayait d'arriver à l'érection en pensant aux coups donnés à la femme; mais cet artifice n'avait aucun succès, neque membrum a muliere tractatum se erexit. Après avoir fait cet essai et échoué, le malade prit la résolution de se confier à un médecin.
Le malade fournit encore une série d'autres renseignements sur sa vita sexualis. L'anomalie de son instinct sexuel l'avait autant gêné que son intensité. Il se couchait avec des idées sexuelles qui le poursuivaient toute la nuit et revenaient au moment de son réveil le matin. Il n'était jamais à l'abri de la résurrection de ces idées morbides qui l'excitaient, idées auxquelles au début il se livrait avec délectation, mais dont il ne pouvait se débarrasser pour quelque temps que par la masturbation.
À une de mes questions, le malade répond qu'en dehors des coups sur le dos et surtout sur les nates de la femme, les autres violences n'exerçaient aucun charme sur lui. Ligotter la femme, fouler son corps aux pieds, n'avaient pas du charme pour lui. Ce fait est d'autant plus à relever que les coups donnés à la femme ne procurent au patient un plaisir sexuel que parce que ces coups sont «humiliants et déshonorants» pour la femme; celle-ci doit sentir qu'elle est complètement en son pouvoir. Le malade n'éprouverait aucun charme s'il frappait la femme sur une autre partie du corps que celle dont il a été fait mention, ou s'il lui causait des douleurs d'un autre genre.
Multo minorem ei affert voluptatem si nates suæ a muliere verberantur; tamen ea res sæpe ejaculationem seminis effecit sed hæc fieri putat erectione deficiente.
Inter verbera autem penem in vaginam immittendo nullum voluptatem se habere ratus qualibet parte corporis femininæ pene tacta semen ejaculat. De même qu'en battant la femme le charme pour lui consistait dans l'humiliation de celle-ci, il se sentait de même excité sexuellement par le fait contraire, c'est-à-dire par l'idée d'être humilié lui-même par des coups et de se trouver entièrement livré à la puissance de la femme. Pourtant tout autre genre d'humiliation que des coups reçus sur les fesses, ne pouvait l'exciter. Il lui répugnait de se laisser ligoter et fouler aux pieds par une femme.
Les rêves du malade en tant qu'ils étaient de nature érotique, se mouvaient toujours dans le même ordre d'idées que ses penchants sexuels à l'état de veille. Dans ses rêves il avait souvent des pollutions. Les idées sexuelles perverties ont-elles apparu d'abord dans les rêves ou à l'état de veille? Le patient n'a pu donner sur ce sujet de renseignements précis, bien que le souvenir de la première excitation remonte à l'âge de sept ans. Cependant il croit que ces idées lui sont venues à l'état de veille. Dans ses rêves, le malade battait souvent des personnes du sexe mâle, ce qui lui causait aussi des pollutions. À l'état de veille, l'idée de battre des hommes ne lui causait que peu d'excitation. Le corps nu de l'homme n'a pour lui aucun charme, tandis qu'il se sent nettement attiré par le corps nu d'une femme, bien que son libido ne trouve de satisfaction que lorsque les faits sus-mentionnés ont lieu, et bien qu'il n'éprouve aucun désir du coït in vaginam.
Le traitement du malade eut essentiellement pour but d'amener chez lui un coït normal, autant que possible avec penchant normal, car il était à supposer que si l'on réussissait à rendre normale sa vie sexuelle, il perdrait aussi son caractère farouche et craintif qui le gêne beaucoup. Dans le traitement que j'ai employé (Dr Moll), pendant trois mois et demi, j'ai usé des trois moyens suivants:
1º J'ai défendu expressément au malade qui désire vivement être guéri, de s'abandonner avec plaisir à ses idées perverses. Il va de soi que je ne lui donnai pas le conseil absurde de ne plus penser du tout à la flagellation. Un pareil conseil ne pourrait être suivi par le malade, car ces idées lui viennent indépendamment de sa volonté et apparaissent rien qu'en lisant par hasard le mot «frapper». Ce que je lui défendis expressément, c'était d'évoquer lui-même de pareilles idées et de s'y abandonner volontairement. Au contraire, je lui recommandai de faire tout pour concentrer ses idées sur un autre sujet.
2º J'ai permis, j'ai même recommandé au malade, puisqu'il s'intéresse aux femmes nues, de se représenter dans son imagination des femmes dans cet état. Je lui fis cette recommandation bien qu'il prétende que ce n'est pas au point de vue sexuel que les femmes nues l'intéressent.
3º J'ai essayé par l'hypnose, qui était très difficile à obtenir, et par la suggestion, d'aider le malade dans cette nouvelle voie. Pour le moment, toute tentative de coït lui a été interdite afin d'éviter qu'il se décourage par un échec éventuel.
Au bout de deux mois et demi, ce traitement eut pour résultat que, d'après les affirmations du patient du moins, les idées perverses venaient plus rarement et étaient de plus en plus reléguées au second rang; l'image des femmes nues lui donnait des érections qui devenaient de plus en plus fréquentes et qui l'amenaient souvent à se masturber avec l'idée du coït sans qu'il s'y mêle l'idée de battre une femme. Pendant son sommeil, il n'avait que rarement des rêves érotiques; ceux-ci avaient comme sujet, tantôt le coït normal, tantôt les coups donnés aux femmes. Deux mois et demi après le début de mon traitement, j'ai conseillé au malade d'essayer le coït. Il l'a fait depuis quatre fois. Je lui recommandai de choisir toujours une femme qui lui fût sympathique, et j'essayai, avant le coït, d'augmenter son excitation sexuelle par de la tinctura cantharidum.
Les quatre essais—le dernier a eu lieu le 29 novembre 1800—ont donné les résultats suivants. La première fois, la femme a dû faire de longues manipulations sur le pénis pour qu'il y eût érection; alors l'immissio in vaginam réussit et il y eut éjaculation avec orgasme. Pendant toute la durée de l'acte, il ne lui vint point l'idée qu'il battait la femme ou qu'il en était battu: la femme l'excitait suffisamment pour qu'il pût pratiquer le coït. Au second essai, le résultat fut meilleur et plus prompt. Les manipulations de la femme sur les parties génitales ne furent nécessaires que dans une très faible mesure. Au troisième essai, le coït ne réussit qu'après que le malade eut, pendant longtemps, pensé à la flagellation et se fût mis, par ce moyen, en érection; mais il n'en vint point à des voies de fait. Au quatrième essai, le coït réussit sans aucune évocation d'idées de frapper et sans aucune manipulation de la femme sur le pénis.
Il est évident que, jusqu'en ce moment, on ne peut considérer comme guéri le malade dont il est ici question. De ce que le malade a pu quelquefois pratiquer le coït d'une manière à peu près normale ou tout à fait normale, cela ne veut pas dire qu'il en sera toujours capable à l'avenir, d'autant plus que l'idée de battre lui cause toujours un grand plaisir, bien que cette idée lui vienne maintenant plus rarement qu'autrefois. Pourtant il y a des probabilités pour que le penchant anormal qui, à l'heure actuelle, s'est considérablement atténué, diminue dans l'avenir ou disparaisse peut-être complètement.
Ce cas, observé avec beaucoup de soin, est extrêmement intéressant à bien des points de vue. Il montre nettement une des raisons cachées du sadisme, la tendance à réduire la femme à une sujétion sans limites, tendance qui est entrée dans ce cas dans la conscience de l'individu. C'est d'autant plus curieux que l'individu en question était d'un caractère timide, et, dans ses autres rapports sociaux, d'allures excessivement modestes et mêmes craintives. Ce cas nous montre aussi clairement qu'il peut exister un libido puissant et entraînant l'individu malgré tous les obstacles, tandis qu'en même temps il y a absence de tout désir du coït, la note dominante du sentiment étant tombée sur la sphère des idées sadistes et voluptueusement cruelles. Le cas en question contient en même temps quelques faibles éléments de masochisme.
Il n'est pas rare d'ailleurs que des hommes aux penchants pervertis payent des prostituées pour qu'elles se laissent flageller et même blesser jusqu'au sang.
Les ouvrages qui s'occupent de la prostitution contiennent des renseignements sur ce sujet, entre autres la volume de Coffignon: La Corruption à Paris.
D.—PENCHANT À SOUILLER LES FEMMES
Quelquefois l'instinct pervers qui pousse le sadique à blesser les femmes, à les traiter d'une manière humiliante et avilissante, peut se manifester par une tendance à les barbouiller avec des matières dégoûtantes ou salissantes.
Dans cette catégorie il faut classer le cas suivant, rapporté par Arndt(Vierteljahrsschr. f. ger. Medicin, N. F. XVII, H. 1).
Observation 31.—A..., étudiant en médecine à Greifswald, accusatus quod iterum iterumque puellis honestis parentibus natis in publico genitalia sua e bracis dependentia plane nudata quæ antea summo amiculo (pans de redingote) tecta erant, ostenderat. Nonnunquam puellas fugientes secutus easque ad se attractas urina oblivit. Hæc luce clara facta sunt; nunquam aliquid hæc faciens locutus est.
A... est âgé de vingt-trois ans, fort au physique, proprement mis et de manières décentes. Crâne un peu progeneum. Atteint de pneumonie chronique à la pointe droite du poumon. Emphysème. Pouls: 60; en émotion: 70 à 80 coups. Parties génitales normales. Se plaint de troubles périodiques de la digestion, de constipation, de vertiges et d'une excitation sexuelle excessive qui l'a poussé de bonne heure à l'onanisme, mais jamais à la satisfaction normale de ses besoins sexuels. Se plaint aussi d'être d'humeur mélancolique de temps en temps, d'idées qui lui viennent de se torturer lui-même, ainsi que de tendances perverses dont il ne saurait s'expliquer le mobile. Ainsi, par exemple, il rit dans des occasions graves, a quelquefois l'idée de jeter son argent à l'eau, de courir sous une pluie torrentielle.
Le père de l'inculpé est de tempérament nerveux, la mère sujette à des maux de tête nerveux. Un frère souffrait de crises épileptiques.
Dès sa première jeunesse, l'inculpé montrait un tempérament nerveux, était sujet aux crampes et aux syncopes, et était pris d'un état de catalepsie momentané lorsqu'on le grondait sévèrement. En 1869, il suivait les cours de médecine à Berlin. En 1870, il prit part à la guerre comme ambulancier. Ses lettres de cette époque dénotent de la mollesse et de l'apathie. En rentrant au printemps de 1871, son irritabilité d'humeur éveilla l'attention de son entourage. Il se plaignait souvent à cette époque de malaises physiques et des désagréments que lui causait une liaison féminine.
Il passait pour un homme très convenable.
En prison, il est calme et quelquefois pensif. Il attribue ses actes à des excitations sexuelles très gênantes et qui, ces temps derniers, étaient devenues excessives. Il s'était parfaitement rendu compte de l'immoralité de ses actes, et après coup, il en avait toujours eu de la honte. En les accomplissant, il n'a pas éprouvé une véritable satisfaction sexuelle. Il n'a pas une connaissance parfaite de la vraie portée de sa situation. Il se considère comme un martyre, une victime d'un pouvoir méchant. On suppose que chez lui le libre arbitre est supprimé.
Ce penchant se manifeste aussi dans l'instinct sexuel paradoxal qui se réveille à l'âge de sénilité et qui souvent se fait jour d'une façon perverse.
Ainsi Turnowsky (op. cit., p. 76) nous rapporte le cas suivant:
Observation 32.—J'ai connu un malade qui s'est couché avec une femme en toilette de soirée et fortement décolletée, sur un divan bas, dans une chambre très éclairée. Ipse apud janum alius cubiculi obscurati constitit adspiciendo aliquantulum feminam, excitatus in eam insiluit excrementa in sinus ejus deposuit. Hæc faciens ejaculationem quamdam se sentire confessus est.
Un journaliste viennois me communique le fait que des hommes, en payant des prix exorbitants, décident des prostituées à tolérer, ut illi viri in ora earum spuerent, et fæces et urinas in ora explerent43.
Dans cette catégorie paraît aussi rentrer le cas suivant raconté par le Dr Pascal (Igiene dell'amore):
Observation 33.—Un homme avait une maîtresse. Ses rapports avec elle se bornaient aux actes suivants: elle devait se laisser noircir les mains avec du charbon ou de la suie de chandelle, ensuite elle devait se mettre devant une glace, de sorte qu'il pût voir dans la glace les mains salies. Durant sa conversation souvent assez prolongée avec sa maîtresse, il portait sans cesse ses regards dans la glace sur l'image des mains salies, et puis il prenait congé d'elle, l'air très satisfait.
Très remarquable aussi à ce point de vue, le cas suivant qui m'a été communiqué par un médecin. Un officier n'était connu dans un lupanar à K..., que sous le sobriquet de «l'huile». L'huile lui procurait des érections et des éjaculations, à la condition qu'il fît entrer la puellam publicam nudam dans un seau rempli d'huile et qu'il lui enduisît d'huile tout le corps.
En présence de ces faits, la supposition s'impose que certains individus qui abîment les vêtements de femmes (en versant dessus, par exemple, de l'acide sulfurique ou de l'encre), doivent obéir au désir de satisfaire un instinct sexuel pervers. C'est là aussi une façon de causer de la douleur. Les personnes endommagées sont toujours des femmes, tandis que ceux qui commettent le dégât sont des hommes. Dans tous les cas, il serait bon, dans de pareilles affaires judiciaires, de prêter à l'avenir quelque attention à la vita sexualis des agresseurs.
Le caractère sexuel de ces attentats est mis en lumière par le cas de Bachmann que nous citerons plus loin (Observ. 93) et dans lequel le mobile sexuel du délit fut prouvé jusqu'à l'évidence.
E.—AUTRES ACTES DE VIOLENCE SUR DES FEMMES. SADISME SYMBOLIQUE
Dans les groupes énumérés plus haut, toutes les formes sous lesquelles l'instinct sadiste se manifeste contre la femme, ne sont pas encore épuisées. Si le penchant n'est pas trop puissant ou s'il y a encore assez de résistance morale, il peut se faire que l'inclination sadiste se satisfasse par un acte en apparence puéril et insensé, mais qui, pour l'auteur, possède un caractère symbolique.
Tel semble être le sens des deux cas suivants.
Observation 34.—(Dr Pascal, Igiene dell' Amore). Un homme avait l'habitude d'aller une fois par mois, à une date fixe, chez sa maîtresse et de lui couper alors, avec une paire de ciseaux, les mèches qui lui tombaient sur le front. Cet acte lui procurait le plus grand plaisir. Il n'exigeait jamais autre chose de la fille.
Observation 35.—Un homme, habitant Vienne, fréquente régulièrement plusieurs prostituées, rien que pour leur savonner la figure et y passer ensuite un rasoir comme s'il voulait leur faire la barbe. Numquam puellas lædit, sed hæc faciens valde excitatur libidine et sperma ejaculat44.
Note 44: (retour)Léo Taxil (op. cit., p. 224) raconte que, dans les lupanars de Paris, on tient à la disposition de certains clients des instruments qui représentent des gourdins mais qui, en réalité, ne sont que des vessies gonflées du genre de celles avec lesquelles les clowns, dans les cirques, se donnent des coups. Des sadiques se donnent par ce moyen l'illusion qu'ils battent des femmes.
Unique dans son genre est le cas suivant qui malheureusement n'a pas été assez étudié au point de vue scientifique.
Observation 36.—Au cours d'un procès devant un tribunal correctionnel de Vienne, on a révélé le fait suivant. Dans un jardin de restaurant public, un comte N... est venu un jour accompagné d'une femme et a scandalisé le public par ses menées. Il exigea de la femme qui était avec lui, qu'elle s'agenouillât devant lui et qu'elle l'adorât les mains jointes. Ensuite il lui ordonna de lécher ses bottes. Enfin il exigea d'elle, en plein public, quelque chose d'inouï (osculum ad nates ou quelque chose d'analogue) et ne céda que lorsque la femme eut juré d'accomplir l'acte demandé chez elle, dans l'intimité.
Ce qui frappe dans ce cas c'est le besoin de l'homme perverti d'humilier la femme devant témoins (à comparer les fantaisies des sadistes cités plus haut, observation 30), et le fait que le désir d'humilier la femme tient le premier rang, et que c'est seulement un acte de nature symbolique. À côté de cela, dans ce cas incomplètement observé, les actes cruels sont aussi probables.
F.—SADISME PORTANT SUR DES OBJETS QUELCONQUES. FOUETTEURS DE GARCONS
En dehors des actes sadiques sur des femmes dont on vient de lire la description, il y en a aussi qui se pratiquent sur des êtres ou des objets quelconques, sur des enfants, sur des animaux, etc. L'individu peut, dans ces cas, se rendre nettement compte que son penchant cruel vise en réalité les femmes et qu'il maltraite, faute de mieux, le premier objet qui se trouve à sa portée.
L'état du malade peut aussi être tel qu'il s'aperçoive que seul le penchant aux actes cruels est accompagné d'émotions voluptueuses, tandis que le véritable motif de sa cruauté (qui pourrait seul expliquer la tendance voluptueuse à de pareils actes) reste pour lui obscur.
La première alternative suffit pour expliquer les cas cités par le Dr Albert (Friedreichs Blætter f. ger Med., 1859) et où il s'agit de précepteurs voluptueux qui, sans aucun motif, donnaient des fessées à leurs élèves.
Si, d'autre part, des garçons, on voyant appliquer une correction à leurs camarades, sont mis dans un état d'excitation sexuelle et reçoivent ainsi une direction pour leur vita sexualis dans l'avenir, cela nous fait penser à la seconde alternative, à un instinct sadique inconscient par rapport à son objet, comme dans les deux exemples suivants.
Observation 37.—R..., vingt-cinq ans, négociant, s'est adressé à moi au printemps de l'année 1889 pour me consulter au sujet d'une anomalie de sa vita sexualis, anomalie qui lui fait craindre une maladie et des malheurs dans la vie matrimoniale.
Le malade est d'une famille nerveuse; il était, dans son enfance, délicat, faible, nerveux, d'ailleurs bien portant sauf des morbilli. Plus tard, il s'est bien développé au physique et est devenu vigoureux.
À l'âge de huit ans, il fut témoin, à l'école, des corrections que le maître appliquait aux garçons, leur prenant la tête entre ses genoux et leur fouettant ensuite le derrière.
Cette vue causa au malade une émotion voluptueuse. Sans avoir une idée du danger et de la honte de l'onanisme, il se satisfit par la masturbation, et, à partir de ce moment, il se masturba fréquemment, en évoquant toujours le souvenir des garçons qu'il avait vu fouetter.
Il continua ces pratiques jusqu'à l'âge de vingt ans. Alors il apprit quelle est la portée de l'onanisme, il s'en effraya et essaya d'enrayer son penchant à la masturbation; mais il avait recours à la masturbation psychique qu'il croyait inoffensive et justifiable au point de vue de la morale; à cet effet, il évoquait le souvenir des enfants fouettés.
Le malade devint neurasthénique, souffrit de pollutions, essaya de se guérir par la fréquentation des maisons publiques, mais il n'arriva jamais à avoir une érection. Il fit alors des efforts pour acquérir des sentiments sexuels normaux en recherchant la société des dames convenables. Mais il reconnut bientôt qu'il était insensible aux charmes du beau sexe.
Le malade est un homme de constitution physique normale, intelligent et doué d'un bel esprit. Il n'y a chez lui aucun penchant pour les personnes de son propre sexe.
Mon ordonnance médicale consista en préceptes pour combattre la neurasthénie et pour arrêter les pollutions. Je lui défendis la masturbation psychique et manuelle, je l'engageai à se tenir à l'écart de toute excitation sexuelle, et je lui fis prévoir un traitement hypnotique pour le ramener tout doucement à la vita sexualis normale.
Observation 38.—Sadisme larvé. N..., étudiant, est venu au mois de décembre 1890 à ma clinique. Depuis sa plus tendre jeunesse, il se livre à la masturbation. D'après ses assertions, il a été sexuellement excité en voyant son père appliquer une correction à ses frères, et plus tard, lorsque le maître d'école punissait les élèves. Témoin de ces actes, il éprouvait toujours des sensations voluptueuses. Il ne sait pas dire au juste à quelle date ce sentiment s'est pour la première fois manifesté chez lui; vers l'âge de six ans cela a déjà pu se produire. Il ne sait pas non plus précisément quand il a commencé à se masturber, mais il affirme nettement que son penchant sexuel a été éveillé à l'aspect de la flagellation des autres et que c'est ce fait qui l'a amené inconsciemment à se masturber. Le malade se rappelle bien que, dès l'âge de quatre ans jusqu'à l'âge de huit ans, il a été, lui aussi, à plusieurs reprises, fouetté sur le derrière, mais qu'il n'en a ressenti que de la douleur, jamais de la volupté. Comme il n'avait pas toujours l'occasion de voir battre les autres, il se représentait ces scènes dans son imagination. Cela excitait sa volupté, et alors il se masturbait. Toutes les fois qu'il le pouvait, il s'arrangeait à l'école de façon à pouvoir assister à la correction appliquée aux autres. Parfois il éprouvait le désir de fouetter lui-même ses camarades. À l'âge de douze ans, il sut décider un camarade à se laisser battre par lui. Il en éprouva une grande volupté. Mais lorsque l'autre prit sa revanche et le battit à son tour, il ne ressentit que de la douleur.
Le désir de battre les autres n'a jamais été très fort chez lui. Le malade trouvait plus de satisfaction à jouir des scènes de flagellation qu'il évoquait dans son imagination. Il n'a jamais eu d'autres tendances sadiques, jamais le désir de voir couler du sang, etc.
Jusqu'à l'âge de quinze ans, son plaisir sexuel fut la masturbation jointe au travail d'imagination dont il est fait mention plus haut.
À partir de cette époque, il fréquenta les cours de danse et les demoiselles; alors ses anciens jeux d'imagination cessèrent presque complètement et n'évoquèrent que faiblement des sensations voluptueuses, de sorte que le malade les a tout à fait abandonnés. Il essaya alors de s'abstenir de la masturbation, mais il n'y réussit pas, bien qu'il fît souvent le coït et qu'il y éprouvât plus de plaisir que dans la masturbation. Il voudrait se débarrasser de l'onanisme, qu'il considère comme une chose indigne. Il n'en éprouve pas d'effets nuisibles. Il fait le coït une fois par mois, mais il se masturbe chaque nuit une ou deux fois. Il est maintenant normal au point de vue sexuel, sauf l'habitude de la masturbation. On ne trouve chez lui aucune trace de neurasthénie. Ses parties génitales sont normales.
Observation 39.—L. P..., quinze ans, de famille de haut rang, est né d'une mère hystérique. Le frère et le père de Mme P... sont morts dans une maison de santé.
Deux frères du jeune P... sont morts, pendant leur enfance, de convulsions. P... a du talent, il est sage, calme, mais, par moments, coléreux, entêté et violent. Il souffre d'épilepsie et se livre à la masturbation. Un jour, on découvrit que P..., en donnant de l'argent à un camarade pauvre, nommé B... et âgé de quatorze ans, avait décidé ce dernier à se laisser pincer aux bras, aux cuisses et aux fesses. Quand B... se mit à pleurer, P... s'excita, frappa de la main droite sur B..., tandis qu'avec la gauche il farfouillait dans la poche gauche de son pantalon.
P... avoua que le mauvais traitement qu'il avait infligé à son ami, qu'il aimait d'ailleurs beaucoup, lui avait causé un plaisir particulier. Comme, pendant qu'il battait son ami, il se masturbait, l'éjaculation qui en fut la suite, disait-il, lui procura plus de plaisir que celle de la masturbation solitaire. (V. Gyurkovochky, Pathologie und Therapie der männlichen Impotenz, 1889, p. 80.)
Dans tous ces mauvais traitements d'origine sadique exercés sur des garçons, on ne peut pas admettre une combinaison du sadisme avec l'inversion sexuelle, comme cela arrive quelquefois aux personnes atteintes d'inversion sexuelle.
Il n'y a aucun signe positif en faveur de cette hypothèse; d'ailleurs, l'absence d'inversion sexuelle ressort aussi de l'examen du groupe suivant où, à côté de l'objet des mauvais traitements, l'animal, le sens de l'instinct pour la femme se fait souvent assez bien sentir.
G.—ACTES SADIQUES SUR DES ANIMAUX
Dans bien des cas, des hommes sadiques et pervers qui reculent devant un crime commis sur des hommes, ou qui, en général, ne tiennent qu'à voir souffrir un être vivant quelconque, ont recours à la torture des animaux ou au spectacle d'un animal mourant pour exciter ou augmenter leur volupté.
Le cas rapporté par Hofman dans son Cours de médecine légale est très caractéristique.
D'après les dépositions de plusieurs prostituées devant le tribunal de Vienne, il y avait, dans la capitale autrichienne, un homme qui, avant de faire l'acte sexuel, avait l'habitude de s'exciter en torturant et en tuant des poulets, des pigeons et d'autres oiseaux. Cette habitude lui avait valu, de la part des prostituées, le sobriquet du «Monsieur aux poules» (Hendlherr).
Une observation de Lombroso est très précieuse pour expliquer ces faits. Il a observé deux hommes qui, toutes les fois qu'ils tuaient des poulets ou des pigeons, avaient une éjaculation.
Dans son Uomo delinquente, p. 201, le même auteur raconte qu'un célèbre poète était toujours très excité sexuellement toutes les fois qu'il voyait dépecer un veau qu'on venait de tuer ou qu'il apercevait de la viande saignante.
D'après Mantegazza, des Chinois dégénérés auraient l'habitude de se livrer à un sport horrible qui consisterait à sodomiser des canards et à leur couper le cou avec un sabre tempore ejaculationis(!).
Mantegazza (Fisiologia del piacere, 5e éd., p. 394-395) rapporte qu'un homme qui avait vu couper le cou à un coq, avait depuis ce moment la passion de fouiller dans les entrailles chaudes et sanglantes d'un coq tué, parce que, ce faisant, il éprouvait une sensation de volupté.
Dans ce cas et dans les cas analogues, la vita sexualis est ab origine, telle que la vue du sang et du meurtre provoque des sentiments voluptueux.
Il en est de même dans le cas suivant.
Observation 40.—C. L..., quarante-deux ans, ingénieur, marié, père de deux enfants. Est issu de famille névropathique: le père est emporté, potator; la mère, hystérique, a souffert d'accès éclamptiques.
Le malade se souvient qu'étant enfant il aimait beaucoup à voir tuer des animaux domestiques et surtout des cochons. À cet aspect, il avait des sensations de volupté bien prononcées et de l'éjaculation. Plus tard, il visitait les abattoirs pour se réjouir au spectacle du sang versé et des animaux se débattant dans l'agonie. Toutes les fois que l'occasion se présentait, il tuait lui-même un animal, ce qui lui causait toujours un sentiment qui suppléait au plaisir sexuel.
Ce n'est que lorsqu'il eut atteint l'âge adulte qu'il reconnut le caractère anormal de son état. Le malade n'avait pas d'aversion proprement dite pour les femmes, mais avoir des rapports plus intimes avec elles lui paraissait une horreur. Sur le conseil d'un médecin, il épousa, à l'âge de vingt-cinq ans, une femme qui lui était sympathique; il espérait, de cette manière, pouvoir se débarrasser de son anomalie. Bien qu'il eût beaucoup d'affection pour sa femme, il ne put accomplir que très rarement le coït avec elle, et encore lui fallait-il, pour cela, beaucoup d'efforts et la tension de son imagination. Malgré cet état de choses, il engendra deux enfants. En 1866, il prit part à la guerre austro-prussienne. Les lettres adressées du champ de bataille à sa femme étaient conçues en termes exaltés et enthousiastes. Depuis la bataille de Kœniggraetz, il a disparu.
Dans le cas que nous venons de citer, la faculté du coït normal a été fortement diminuée par la prédominance des idées perverses. Dans le cas suivant, on pourra constater une suppression complète de cette faculté.
Observation 41.—(Dr Pascal. Igiene dell Amore.) Un individu se présentait chez des prostituées, leur faisait acheter des poules vivantes et des lapins, et exigeait qu'on torturât ces animaux en sa présence. Il tenait à ce qu'on leur arrachât les yeux et les entrailles. Quand il tombait sur une puella qui se laissait décider à ces actes et qui se signalait par une cruauté extraordinaire, il était enchanté, payait et s'en allait, sans lui demander autre chose, sans même la toucher.
Il ressort des deux derniers chapitres que les souffrances de tout être sensible peuvent devenir, pour des natures disposées au sadisme, la source d'une jouissance sexuelle perverse. Il y a donc un sadisme qui a pour objet des êtres quelconques.
Mais il serait erroné et exagéré de vouloir expliquer tous les cas de cruauté étrange et extraordinaire par la perversion sadique, et, comme cela se fait quelquefois, de donner le sadisme comme mobile à toutes les atrocités historiques, ou à certains phénomènes de la psychologie des masses contemporaines.
La cruauté naît de sources différentes, et elle est naturelle chez l'homme primitif.
La pitié est un phénomène secondaire, c'est un sentiment acquis assez tard. L'instinct de combativité et de destruction qui, dans l'état préhistorique, était une arme si précieuse, continue toujours à produire son effet, prenant une nouvelle incarnation dans notre société civilisée contre le criminel, pendant que son objectif primitif, «l'ennemi», existe toujours.
Qu'on ne se contente pas de la mort simple, mais qu'on exige aussi la torture du vaincu, cela s'explique en partie par le sentiment de puissance qui veut être satisfait par ce moyen et, d'autre part, par l'immensité de l'instinct de revanche. De cette façon, on peut expliquer toutes les atrocités des monstres historiques sans avoir recours au sadisme, qui a pu parfois entrer en jeu, mais qui, étant une perversion relativement rare, ne doit pas être toujours considéré comme mobile unique.
Il faut, en outre, tenir compte d'un élément psychique qui explique le grand attrait que les exécutions publiques ont encore de nos jours sur les masses: c'est le désir d'avoir des sensations fortes et inaccoutumées, un spectacle rare. Devant ce désir, la pitié est condamnée au silence, surtout chez les natures brutales et blasées.
Il y a évidemment beaucoup d'individus pour qui, malgré ou peut-être grâce à leur vive pitié, tout ce qui se rattache à la mort et aux souffrances exerce une force d'attraction mystérieuse. Ces individus cèdent à un instinct obscur et, malgré leur répugnance intérieure, cherchent à s'occuper de ces spectacles ou, faute de mieux, des images et des circonstances qui les retracent. Cela n'est pas non plus du sadisme, tant qu'aucun élément sexuel n'entre en scène, bien que des fils mystérieux, nés dans le domaine de l'inconscience, puissent relier ces phénomènes à un fonds de sadisme ignoré.
SADISME CHEZ LA FEMME
On s'explique facilement que le sadisme, perversion fréquente chez l'homme, ainsi que nous l'avons constaté, soit de beaucoup plus rare chez la femme. D'abord, le sadisme dont un des éléments constitutifs est précisément la subjugation de l'autre sexe, n'est, en réalité, qu'une accentuation pathologique de la virilité du caractère sexuel; ensuite, les puissants obstacles qui s'opposent à la manifestation de ce penchant monstrueux sont évidemment encore plus difficiles à surmonter pour la femme que pour l'homme.
Toutefois, il y a aussi des cas de sadisme chez la femme, ce qui ne peut s'expliquer que par le premier élément constitutif de ce penchant et par la surexcitation générale de la zone motrice.
Jusqu'ici, on n'en a scientifiquement observé que deux cas.
Observation 42.—Un homme marié s'est présenté chez moi et m'a montré de nombreuses cicatrices de blessures sur ses bras. Voici ce qu'il m'a raconté sur l'origine de ces cicatrices. Toutes les fois qu'il veut s'approcher de sa jeune femme, qui est un peu nerveuse, il est obligé d'abord de se couper au bras. Elle suce ensuite le sang de la blessure et alors il se produit chez elle une vive excitation sexuelle.
Ce cas rappelle la légende très répandue des vampires dont l'origine pourrait peut-être se rattacher à des faits sadiques45.
Note 45: (retour)Cette légende est répandue surtout dans la presqu'île Balkanique. Chez les Grecs modernes, elle remonte à l'antique mythologie des Lamies, femmes qui suçaient le sang. Gœthe a traité ce sujet dans sa Fiancée de Corinthe. Les vers qui ont trait au vampirisme: «Sucent le sang de ton cœur, etc.», ne sont complètement compréhensibles qu'avec l'étude comparée des documents antiques.
Dans un second cas de sadisme féminin, qui m'a été communiqué par M. le Dr Moll de Berlin, il y a, à côté de la tendance perverse de l'instinct, insensible aux procédés normaux de la vie sexuelle, comme cela se voit fréquemment, des traces de masochisme.
Observation 43.—Mme H..., vingt-six ans, est née d'une famille dans laquelle il n'y aurait eu ni maladies de nerfs ni troubles psychiques. Par contre, la malade présente des symptômes d'hystérie et de neurasthénie. Bien que mariée et mère d'un enfant, Mme H... n'a jamais eu le désir d'accomplir le coït. Élevée comme jeune fille dans des principes très sévères, elle resta, jusqu'à son mariage, dans une ignorance naïve des choses sexuelles. Depuis l'âge de quinze ans, elle a des menstrues régulières. Ses parties génitales ne présentent aucune anomalie essentielle. Non seulement le coït ne lui procure aucun plaisir, mais c'est pour elle un acte désagréable. L'aversion pour le coït s'est de plus en plus accentuée chez elle. La malade ne comprend pas comment on peut considérer un pareil acte comme le suprême bonheur de l'amour, sentiment qui, à son avis, est trop élevé pour pouvoir être rattaché à l'instinct sexuel. Il faut rappeler, à ce propos, que la malade aime sincèrement son mari. Elle a beaucoup de plaisir à l'embrasser, un plaisir sur la nature duquel elle ne saurait donner aucune indication précise. Mais elle ne peut pas comprendre que les parties génitales puissent jouer un rôle en amour. Mme H... est, du reste, une femme très sensée, douée d'un caractère féminin.
Si oscule dat conjugi, magnam voluptatem percipit in mordendo eum. Gratissimum ei esset conjugem mordere eo modo ut sanguis fluat. Contenta esset si loco coitus morderetur a conjuge ipsæque eum mordere liceret. Tamen eam pœniteret, si morsu magnam dolorem faceret. (Dr Moll).
On rencontre dans l'histoire des exemples de femmes, quelques-unes illustres, dont le désir de régner, la cruauté et la volupté, font supposer une perversion sadiste chez ces Messalines. Il faut compter dans la catégorie de ces femmes Messaline Valérie, elle-même, Catherine de Médicis, l'instigatrice de la Saint-Barthélémy et dont le plus grand plaisir était de faire fouetter en sa présence les dames de sa cour, etc.46.
Note 46: (retour)Heinrich von Kleist, poète de génie mais évidemment d'un esprit déséquilibré, nous donne dans sa Penthésilée le portrait horrible d'une sadique parfaite imaginée par lui.
Dans la 22e scène de cette pièce, Kleist nous présente son héroïne: elle est prise d'une rage de volupté et d'assassinat, déchire en morceaux Achille, qu'elle avait poursuivi dans son rut et dont elle s'est emparée par la ruse.
«En lui arrachant son armure, elle enfonce ses dents dans la poitrine blanche du héros, ainsi que ses chiens qui veulent surpasser leur maîtresse. Les dents d'Oxus et de Sphynx pénètrent à droite et à gauche. Quand je suis arrivé, elle avait la bouche et les mains ruisselantes de sang.» Plus loin, quand Penthésilée est dégrisée, elle s'écrie: «Est-ce que je l'ai baisé mort?—Non, je ne l'ai pas baisé? L'ai-je mis en morceaux? Alors c'est un leurre. Baisers et morsures sont la même chose, et celui qui aime de tout son cœur peut les confondre.»
Dans la littérature moderne on trouve des descriptions de scènes de sadisme féminin, dans les romans de Sacher-Masoch, dont il sera question plus loin, dans la Brunhilde de Ernst von Wildenbruch, dans la Marquise de Sade de Rachilde, etc.
MASOCHISME47 OU EMPLOI DE LA CRUAUTÉ ET DE LA VIOLENCE SUR SOI-MÊME POUR PROVOQUER LA VOLUPTÉ.
Le masochiste est le contraire du sadiste. Celui-ci veut causer de la douleur et exerce des violences; celui-là, au contraire, tient à souffrir et à se sentir subjugué avec violence.
Par masochisme, j'entends cette perversion particulière de la vita sexualis psychique qui consiste dans le fait que l'individu est, dans ses sentiments et dans ses pensées sexuels, obsédé par l'idée d'être soumis absolument et sans condition à une personne de l'autre sexe, d'être traité par elle d'une manière hautaine, au point de subir même des humiliations et des tortures. Cette idée s'accompagne d'une sensation de volupté; celui qui en est atteint, se plaît aux fantaisies de l'imagination qui lui dépeint des situations et des scènes de ce genre; il cherche souvent à réaliser ces images et, par cette perversion de son penchant sexuel, il devient fréquemment plus ou moins insensible aux charmes normaux de l'autre sexe, incapable d'une vita sexualis normale, psychiquement impuissant. Cette impuissance psychique n'a nullement pour base l'horror sexus alterius; elle est fondée sur ce fait que la satisfaction du penchant pervers peut, comme dans les cas normaux, venir de la femme, mais non du coït.
Il y a aussi des cas où, à côté de la tendance perverse de l'instinct, l'attrait pour les plaisirs réguliers est encore à peu près conservé et des rapports sexuels normaux ont encore lieu à côté des manifestations perverses. Dans d'autres cas, l'impuissance n'est pas purement psychique, mais bien physique, c'est-à-dire spinale. Car cette perversion, comme presque toutes les autres perversions de l'instinct sexuel, ne se développe que sur le terrain d'une individualité psychopathique dans la plupart des cas tarée, et ces individus se livrent ordinairement dès leur première jeunesse à des excès sexuels, surtout des excès de masturbation auxquels les pousse la difficulté de réaliser leurs fantaisies.
Le nombre des cas de masochisme incontestable qu'on a observé jusqu'ici est déjà considérable. Le masochisme existe-t-il simultanément avec une vie sexuelle normale, ou domine-t-il exclusivement l'individu? Le malade atteint de cette perversion cherche-t-il, et dans quelle mesure, à réaliser ses fantaisies étranges? A-t-il par cette perversion plus ou moins perdu sa puissance sexuelle ou non? Tout cela dépend de l'intensité de la perversion, de la force des mobiles contraires, éthiques et esthétiques, ainsi que de la vigueur relative, de la constitution physique et psychique de l'individu atteint. Au point de vue de la psychopathie, l'essentiel c'est le trait commun qui se trouve dans tous ces cas: tendance du penchant sexuel à la soumission et à la recherche des mauvais traitements de la part de l'autre sexe.
On peut appliquer au masochisme tout ce qui a été dit plus haut du sadisme relativement au caractère impulsif (mobiles obscurs) de ses actes et au caractère congénital de cette perversion.
Chez le masochiste aussi il y a une gradation dans les actes, depuis les faits les plus répugnants et les plus monstrueux jusqu'aux plus puérils et aux plus ineptes, selon le degré d'intensité des penchants pervers et l'intensité de la force de réaction morale et esthétique. Mais ce qui empêche d'aller jusqu'aux conséquences extrêmes du masochisme, c'est l'instinct de la conservation. Voilà pourquoi l'assassinat et les blessures graves qui peuvent se commettre sous l'influence de la passion sadique, ne trouvent pas, autant qu'on sait, leur pendant masochiste dans la réalité. Il est cependant possible que les désirs pervers des masochistes puissent, dans leur imagination, aller jusqu'à ces conséquences extrêmes. (Voir l'observation 53.)
Les actes auxquels se livrent certains masochistes se pratiquent en même temps que le coït, c'est-à-dire qu'ils servent de préparatifs. Chez d'autres, ces actes servent d'équivalent au coït. Cela dépend seulement de l'état de la puissance sexuelle qui chez la plupart est psychiquement ou physiquement atteinte par suite de la perversion des représentations sexuelles. Mais cela ne change rien au fond de la chose.
A.—RECHERCHE DES MAUVAIS TRAITEMENTS ET DES HUMILIATIONS DANS UN BUT DE SATISFACTION SEXUELLE
L'autobiographie d'un masochiste qui va suivre, nous fournit une description détaillée d'un cas typique de cette étrange perversion.
Observation 44.—Je suis issu d'une famille névropathique dans laquelle, en dehors de toutes sortes de bizarreries de caractère et de conduite, il y a aussi diverses anomalies au point de vue sexuel.
De tout temps, mon imagination fut très vive, et, de bonne heure, elle fut portée vers les choses sexuelles. En même temps, j'étais, autant que je puis me rappeler, adonné à l'onanisme, longtemps avant ma puberté, c'est-à-dire avant d'avoir des éjaculations. À cette époque déjà, mes pensées, dans des rêveries durant des heures entières, s'occupaient des rapports avec le sexe féminin. Mais les rapports dans lesquels je me mettais idéalement avec l'autre sexe étaient d'un genre bien étrange. Je m'imaginais que j'étais en prison et livré au pouvoir absolu d'une femme, et que cette femme profitait de son pouvoir pour m'infliger des peines et des tortures de toutes sortes. À ce propos, les coups et les flagellations jouaient un grand rôle dans mon imagination, ainsi que d'autres actes et d'autres situations qui, toutes, marquaient une condition de servitude et de soumission. Je me voyais toujours à genoux devant mon idéal, ensuite foulé aux pieds, chargé de fers et jeté en prison. On m'imposait de graves souffrances comme preuve de mon obéissance et pour l'amusement de ma maîtresse. Plus j'étais humilié et maltraité dans mon imagination, plus j'éprouvais de délices en me livrant à ces rêves. En même temps, il se produisit en moi un grand amour pour les velours et les fourrures que j'essayais toujours de toucher et de caresser et qui me causaient aussi des émotions de nature sexuelle.
Je me rappelle bien d'avoir, étant enfant encore, reçu plusieurs corrections de mains de femmes. Je n'en ressentais alors que de la honte et de la douleur, et jamais je n'ai eu l'idée de rattacher les réalités de ce genre à mes rêves. L'intention de me corriger et de me punir m'émouvait douloureusement, tandis que, dans les rêves de mon imagination, je voyais toujours ma «maîtresse» se réjouir de mes souffrances et de mes humiliations, ce qui m'enchantait. Je n'ai pas non plus à rattacher à mes fantaisies les ordres ou la direction des femmes qui me surveillaient pendant mon enfance. De bonne heure, j'ai pu, par la lectures d'ouvrages, apprendre la vérité sur les rapports normaux des deux sexes; mais cette révélation me laissa absolument froid. La représentation des plaisirs sexuels resta attachée aux images avec lesquelles elle se trouvait unie dès la première heure. J'avais aussi, il est vrai, le désir de toucher des femmes, de les serrer dans mes bras et de les embrasser; mais les plus grandes délices, je ne les attendais que de leurs mauvais traitements et des situations dans lesquelles elles me faisaient sentir leur pouvoir. Bientôt je reconnus que je n'étais pas comme les autres hommes; je préférais être seul afin de pouvoir me livrer à mes rêvasseries. Les filles ou femmes réelles m'intéressaient peu dans ma première jeunesse, car je ne voyais guère la possibilité qu'elles puissent jamais agir comme je le désirais. Dans les sentiers solitaires, au milieu des bois, je me flagellais avec les branches tombées des arbres et laissais alors libre cours à mon imagination. Les images de femmes hautaines me causaient de réelles délices, surtout quand ces femmes étaient des reines et portaient des fourrures. Je cherchais de tous côtés les lectures en rapport avec mes idées de prédilection. Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, qui me tombèrent alors sous la main, furent pour moi une grande révélation. J'y ai trouvé la description d'un état qui, dans ses points principaux, ressemblait au mien. Je fus encore plus frappé de retrouver des idées en harmonie avec les miennes, lorsque j'eus appris à connaître les ouvrages de Sacher-Masoch. Je dévorais ces livres avec avidité, bien que les scènes sanguinaires dépassaient souvent mon imagination et me faisaient alors horreur. Toutefois, le désir de réaliser ces scènes ne m'est pas venu, même à l'époque de la puberté. En présence d'une femme, je n'éprouvais aucune émotion sensuelle, tout au plus la vue d'un pied féminin me donnait passagèrement le désir d'en être foulé.
Cette indifférence ne concernait cependant que le domaine purement sensuel. Dans les premières années de ma puberté, je fus souvent pris d'une affection enthousiaste pour des jeunes filles de ma connaissance, affection qui se manifestait avec toutes les extravagances particulières à ces émotions juvéniles. Mais jamais l'idée ne m'est venue de relier le monde de mes idées sensuelles avec ces purs idéals. Je n'avais même pas à repousser une pareille association d'idées, elle ne se présentait jamais. C'est d'autant plus curieux que mes imaginations voluptueuses me paraissaient étranges et irréalisables, mais nullement vilaines ni répréhensibles. Ces rêves aussi étaient pour moi une sorte de poésie; il me restait deux mondes séparés l'un de l'autre: dans l'un, c'était mon cœur ou plutôt ma fantaisie qui s'excitait esthétiquement; dans l'autre, ma force d'imagination s'enflammait par la sensualité. Pendant que mes sentiments «transcendantaux» avaient pour objet une jeune fille bien connue, je me voyais dans d'autres moments aux pieds d'une femme mûre, qui me traitait comme je viens de le décrire plus haut. Mais je n'attribuais jamais ce rôle de tyran à une femme connue. Dans les rêves de mon sommeil, ces deux formes de représentations érotiques apparaissaient tour à tour, mais jamais elles ne se confondaient. Seules les images de la sphère sensuelle ont provoqué des pollutions.
À l'âge de dix-neuf ans, je me laissai conduire par des amis chez des prostituées, bien que, dans mon for intérieur, il me répugnât de les suivre; je le fis par curiosité. Mais je n'éprouvai, chez les prostituées, que de la répugnance et de l'horreur, et je me sauvai aussitôt que je pus sans avoir ressenti la moindre excitation ou émotion sensuelles. Plus tard, je répétai l'essai de ma propre initiative pour voir si je n'étais pas impuissant, car mon premier échec m'affligeait beaucoup. Le résultat fut toujours le même: je n'eus pas la moindre émotion ni érection. Tout d'abord il m'était impossible de considérer une femme en os et en chair comme objet de la satisfaction sensuelle. Ensuite, je ne pouvais renoncer à des états et à des situations qui, in sexualibus, étaient pour moi la chose essentielle, et sur lesquelles je n'aurais, pour rien au monde, dit un mot à qui que ce soit. L'immissio penis à laquelle je devais procéder me paraissait un acte sale et insensé. En second lieu, ce fut une répugnance contre des femmes qui appartenaient à tous et la crainte d'être infecté par elles. Livré à la solitude, ma vie sexuelle continuait comme autrefois. Toutes les fois que les anciennes images de mes imaginations surgissaient, j'avais des érections vigoureuses et presque chaque jour des éjaculations. Je commençais à souffrir de toutes sortes de malaises nerveux, et je me considérais comme impuissant, malgré les vigoureuses érections et les violents désirs qui se manifestaient quand j'étais seul. Malgré cela, je continuais, par intervalles, mes essais avec des prostituées. Avec le temps, je me débarrassai de ma timidité et j'arrivai à vaincre en partie la répugnance que m'inspirait tout contact avec une femme vile et commune.
Mes imaginations ne me suffisaient plus. J'allais maintenant plus souvent chez les prostituées et je me faisais masturber quand je n'avais pu accomplir le coït. Je crus d'abord que j'y trouverais un plaisir plus réel qu'à mes rêveries; au contraire, j'y trouvai un plaisir moins grand. Quand la femme se déshabillait, j'examinais avec attention les pièces de ses vêtements. Le velours et la soie jouaient le premier rôle; mais tout autre objet d'habillement m'attirait aussi, et surtout les contours du corps féminin, tels qu'ils étaient dessinés par le corset et les jupons. Je n'avais, pour le corps nu de la femme, guère d'autre intérêt qu'un intérêt esthétique. Mais, de tout temps, je m'attachai surtout aux bottines à hauts talons et j'y associais toujours l'idée d'être foulé par ces talons ou de baiser le pied en guise d'hommage, etc., etc.
Enfin, je surmontai mes dernières répugnances, et un jour, pour réaliser mes rêves, je me laissai flageller et fouler aux pieds par une prostituée. Ce fut pour moi une grande déception. Cela était, pour mes sentiments, brutal, répugnant et ridicule à la fois. Les coups ne me causèrent que de la douleur, et les autres détails de cette situation, de la répugnance et de la honte. Malgré cela, j'obtins, par des moyens mécaniques, une éjaculation, en même temps qu'à l'aide de mon imagination je transformais la situation réelle en celle que je rêvais. La situation rêvée différait de celle que j'avais créée, surtout par le fait que je m'imaginais une femme qui devait m'infliger des mauvais traitements avec un plaisir égal à celui avec lequel je les recevais d'elle. Toutes mes imaginations sexuelles étaient échafaudées sur l'existence d'un pareil sentiment chez la femme, femme tyrannique et cruelle, à laquelle je devais me soumettre. L'acte qui devait montrer cet état d'esclavage ne m'était que d'une importance secondaire. Ce n'est qu'après ce premier essai, d'une réalisation impossible, que je reconnus nettement quelle était la véritable tendance de mes désirs. En effet, dans mes rêves voluptueux, j'avais souvent fait abstraction de toute représentation de mauvais traitements, et je me bornais à me représenter une femme aimant à donner des ordres, au geste impérieux, à la parole faite pour le commandement, à qui je baisais le pied, ou des choses analogues. Ce n'est qu'alors que je me rendis clairement compte de ce qui m'attirait en réalité. Je reconnus que la flagellation n'était qu'un moyen d'exprimer fortement la situation désirée, mais, qu'en elle-même, la flagellation était sans valeur, me causant plutôt un sentiment désagréable et même douloureux ou répugnant.
Malgré cette déception, je ne renonçai point à essayer de transporter dans la réalité mes représentations érotiques, maintenant que le premier pas dans ce sens avait été fait. Je comptais que mon imagination une fois habituée à la nouvelle réalité, je trouverais les éléments nécessaires pour obtenir des effets plus forts. Je cherchais les femmes qui s'appropriaient le mieux à mon dessein et je les instruisais soigneusement de la comédie compliquée que je voulais leur faire jouer. J'appris en même temps que la voie m'avait été préparée par des prédécesseurs qui avaient les mêmes sentiments que moi. La puissance de ces comédies, pour agir sur mes imaginations et sur ma sensibilité, restait bien problématique. Ces scènes m'ont servi pour me montrer, d'une manière plus vive, quelques détails secondaires de la situation que je désirais; mais, ce qu'elles donnaient de ce côté, elles l'enlevaient en même temps à la chose principale que mon imagination seule, sans le secours d'une duperie grossière et de commande, pouvait me procurer en rêve, d'une manière beaucoup plus facile. Les sensations physiques produites par les mauvais traitements, variaient. Plus l'illusion réussissait, plus je ressentais la douleur comme un plaisir. Ou, pour être plus exact, je considérais alors en mon esprit les mauvais traitements comme des actes symboliques. Il en sortit l'illusion de la situation tant désirée, illusion qui, tout d'abord, s'accompagna d'une sensation de plaisir psychique. Ainsi la perception du caractère douloureux des mauvais traitements a été quelquefois supprimée. Le processus était analogue, mais de beaucoup plus simple, parce qu'il restait sur le terrain psychique, quand je me soumettais à de mauvais traitements moraux, à des humiliations. Ceux-ci aussi s'accentuaient avec la sensation de plaisir, à la condition que je réussisse à me tromper moi-même. Mais cette duperie réussissait rarement bien et jamais complètement. Il restait toujours dans ma conscience un élément troublant. Voilà pourquoi je revenais, entre temps, à la masturbation solitaire. D'ailleurs, avec les autres procédés également, la scène se terminait habituellement par une éjaculation provoquée par l'onanisme, éjaculation qui, parfois, avait lieu sans que j'eusse besoin de recourir à des moyens mécaniques.
Je continuai ce manège pendant des années entières. Ma puissance sexuelle s'affaiblissait de plus en plus, mais non mes désirs et encore moins l'empire que mes étranges idées sexuelles avaient sur moi. Tel est, encore aujourd'hui, l'état de ma vita sexualis. Le coït, que je n'ai jamais pu accomplir, me paraît toujours, dans mon idée, comme un de ces actes étranges et malpropres que je connais par la description des aberrations sexuelles. Mes propres idées sexuelles me paraissent naturelles et n'offensent en rien mon goût, d'ailleurs très délicat. Leur réalisation, il est vrai, ne me donne guère de satisfaction complète, pour les raisons que je viens d'exposer plus haut. Je n'ai jamais obtenu, pas même approximativement, une réalisation directe et véritable de mes imaginations sexuelles. Toutes les fois que je suis entré en relations plus intimes avec une femme, j'ai senti que la volonté de la femme était soumise à la mienne, et jamais je n'ai éprouvé le contraire. Je n'ai jamais rencontré une femme qui, dans les rapports sexuels, aurait manifesté le désir de régner. Les femmes qui veulent régner dans le ménage et, comme on dit, porter la culotte, sont choses tout à fait différentes de mes représentations érotiques. En dehors de la perversion de ma vita sexualis, il y a encore bien des symptômes d'anomalie dans la totalité de mon individualité: ma disposition névropathique se manifeste par de nombreux symptômes sur le terrain physique et psychique. Je crois, en outre, pouvoir constater des anomalies héréditaires de caractère dans le sens d'un rapprochement vers le type féminin. Du moins je considère comme telle mon immense faiblesse de volonté et mon manque surprenant de courage vis-à-vis des hommes et des animaux, ce qui contraste avec mon sang-froid habituel. Mon extérieur physique est tout à fait viril.
L'auteur de cette autobiographie m'a encore donné les renseignements suivants:
Une de mes préoccupations constantes était de savoir si les idées étranges qui me dominent au point de vue sexuel, se rencontrent aussi chez d'autres hommes, et, depuis les premiers renseignements que j'ai obtenus par hasard, j'ai fait de nombreuses recherches dans ce sens. Il est vrai que les observations sur cette question sont difficiles à faire et ne sont pas toujours sûres, étant donné qu'il s'agit là d'un processus intime de la sphère des représentations. J'admets l'existence du masochisme là où je trouve des actes pervers dans les rapports sexuels, actes que je ne peux pas m'expliquer autrement que par cette idée dominante. Je crois que cette anomalie est très répandue.
Toute une série de prostituées de Berlin, de Paris, de Vienne et d'ailleurs m'ont donné des renseignements sur ce sujet, et j'ai appris de cette manière combien sont nombreux mes compagnons de douleur. J'eus toujours la précaution de ne pas leur raconter des histoires moi-même ni de leur demander si telle ou telle chose leur était arrivée, mais je les laissais raconter au hasard d'après leur expérience personnelle.
La flagellation simple est si répandue que presque chaque prostituée est outillée pour cela. Les cas manifestes de masochisme sont aussi très fréquents. Les hommes atteints de cette perversion se soumettent aux tortures les plus raffinées. Avec des prostituées auxquelles on a fait la leçon, ils exécutent toujours la même comédie: l'homme se prosterne humblement; il y a ensuite coups de pied, ordres impérieux, injures et menaces apprises par cœur, ensuite flagellation, coups sur les diverses parties du corps et toutes sortes de tortures, piqûres d'épingles jusqu'à faire saigner, etc. La scène se termine parfois par le coït, souvent par une éjaculation sans coït. Quelques prostituées m'ont montré, à deux reprises différentes, des chaînes en fer avec menottes que leurs clients se faisaient fabriquer pour être enchaînés, puis les pois secs sur lesquels ils se mettaient à genoux, les coussins hérissés d'aiguilles sur lesquels ils devaient s'asseoir sur un ordre de la femme, et bien d'autres objets analogues. Parfois l'homme pervers exige que la femme lui ligote le pénis pour lui causer des douleurs, qu'elle lui pique la verge avec des épingles, qu'elle lui donne des coups de canif ou qu'elle le frappe avec un bout de bois. D'autres se font légèrement égratigner avec la pointe d'un couteau ou d'un poignard, mais il faut qu'en même temps la femme les menace de mort.
Dans toutes ces scènes, la symbolique de la soumission est la principale chose. La femme est habituellement appelée la «maîtresse» (Herrin), l'homme l'«esclave».
Dans toutes ces comédies exécutées avec des prostituées, scènes qui doivent paraître à l'homme normal comme une folie malpropre, le masochiste n'a qu'un maigre équivalent. J'ignore si les rêves masochistes peuvent se réaliser dans une liaison amoureuse.
Si par hasard un pareil fait se produit, il doit être bien rare, car un goût conforme chez la femme (sadisme féminin, comme le dépeint Sacher-Masoch) doit se rencontrer bien rarement. La manifestation d'une anomalie sexuelle chez la femme se bute à de plus grands obstacles, entre autres la pudeur, etc., que la manifestation d'une perversion chez l'homme. Moi-même je n'ai jamais remarqué la moindre avance faite par une femme dans ce sens, et je n'ai pu faire aucun essai d'une réalisation effective de mes imaginations. Une fois un homme m'a avoué confidentiellement sa perversion masochiste, et il a prétendu en même temps qu'il avait trouvé son idéal.
Les deux faits suivants sont analogues à celui de l'observation 44.
Observation 45.—M. Z..., vingt-neuf ans, élève de l'école polytechnique, est venu me consulter parce qu'il se croyait atteint de tabes. Le père était nerveux et est mort tabétique. La sœur de son père était folle. Plusieurs parents sont nerveux à un haut degré et gens bien étranges.
En l'examinant de plus près, j'ai constaté que le malade est un sexuel, spinal et cérébral, asthénique. Il ne présente aucun symptôme anamnestique ni présent de tabes dorsalis. La question qui s'imposait était de savoir s'il avait abusé de ses organes génitaux. Il répond que, dès sa première jeunesse, il s'est livré à la masturbation. Au cours de l'examen, on a relevé les intéressantes anomalies psychopathiques suivantes.
À l'âge de cinq ans, la vita sexualis s'éveilla chez le malade sous forme d'un penchant voluptueux à se flageller et en même temps d'un désir de se faire flageller par d'autres. Pour cela il ne songeait pas à des individus concrets et sexuellement différenciés. Faute de mieux, il se livrait à la masturbation, et avec les années il parvint à avoir des éjaculations.
Longtemps auparavant, il avait commencé à se satisfaire par la masturbation en évoquant en même temps des images de scènes de flagellation.
Devenu adulte, il vint deux fois au lupanar pour s'y faire fouetter par des mérétrices. À cet effet, il choisissait la plus belle fille; mais il fut déçu, il n'arriva pas à l'érection et encore moins à l'éjaculation.
Il reconnut alors que la flagellation était chose secondaire, et que l'essentiel c'était l'idée d'être soumis à la volonté de la femme. La première fois il n'arriva pas à provoquer cet état, mais il réussit à un second essai. Il obtint un succès complet, parce qu'il avait présente l'idée de la sujétion.
Avec le temps, il arriva en excitant son imagination à évoquer des représentations masochistes, à pratiquer le coït, même sans flagellation, mais il n'en éprouva que peu de satisfaction, de sorte qu'il préféra avoir des rapports sexuels à la façon des masochistes. Grâce à ses désirs congénitaux de flagellation, il ne trouvait de plaisir aux scènes masochistes que lorsqu'il était flagellé ad podicem ou que du moins son imagination lui composait une scène semblable. Dans les moments de grande excitabilité, il lui suffisait même de raconter de pareilles scènes à une belle fille. Ce récit provoquait de l'orgasme, et il arrivait la plupart du temps à l'éjaculation.
Il s'ajouta de bonne heure à cet état une représentation fétichiste vivement impressionnante. Il s'aperçut qu'il n'était attiré et satisfait que par des femmes qui portaient des jupons courts et des bottes montantes (costume hongrois). Il ignore comment cette idée fétichiste lui est venue. Même chez les garçons, la jambe chaussée d'une botte montante le charme, mais c'est un charme purement esthétique et sans aucune note sensuelle; il n'a d'ailleurs jamais remarqué en lui des sentiments homosexuels. Le malade attribue son fétichisme au fait qu'il a une prédilection pour les mollets. Mais il n'est excité que par un mollet de femme chaussé d'une botte élégante. Les mollets nus et en général les nudités féminines n'exercent pas sur lui la moindre impression sexuelle.
L'oreille humaine constitue pour le malade une représentation fétichiste accessoire et d'importance secondaire. Il éprouve une sensation à caresser les oreilles des belles personnes, c'est-à-dire d'individus qui ont l'oreille bien faite. Avec les hommes cette caresse ne lui procure qu'un plaisir faible, mais il est très vif avec les femmes.
Il a aussi un faible pour les chats. Il les trouve simplement beaux; tous leurs mouvements lui sont agréables. L'aspect d'un chat peut même l'arracher à la plus profonde dépression morale. Le chat est pour lui sacré; il voit dans cet animal, pour ainsi dire, un être divin. Il ne peut nullement se rendre compte de la raison de cette idiosyncrasie étrange.
Ces temps derniers, il a plus souvent des idées sadiques dans le sens de la flagellation des garçons. Dans l'évocation de ces images de flagellation, les hommes aussi bien que les femmes jouent un rôle, mais généralement ces dernières, et alors son plaisir est de beaucoup plus grand.
Le malade trouve qu'à côté de l'état de masochisme qu'il connaît et qu'il ressent, il y a encore chez lui un autre état qu'il désigne par le mot de «pagisme».
Tandis que ses jouissances et ses actes masochistes sont tout à fait empreints d'un caractère et d'une note de sensualité brutale, son «pagisme» consiste dans l'idée d'être le page d'une belle fille. Il se représente cette fille comme tout à fait chaste, «mais piquante» et vis-à-vis de laquelle il occuperait la position d'un esclave, mais avec des rapports chastes et un dévouement purement «platonique». Cette idée délirante de servir de page à une «belle créature» se manifeste avec un plaisir délicieux, mais qui n'a rien de sexuel. Il en éprouve une satisfaction morale exquise, contrairement au masochisme de note sensuelle, et voilà pourquoi il croit que son «pagisme» est une chose à part.
Au premier aspect, l'extérieur physique du malade n'offre rien d'étrange; mais son bassin est excessivement large avec des hanches étalées; il est anormalement oblique et a le caractère féminin très prononcé. Il rappelle aussi qu'il a souvent des démangeaisons et des excitations voluptueuses dans l'anus (zone érogène) et qu'il peut se procurer de la satisfaction ope digiti.
Le malade doute de son avenir. Il ne pourra être guéri, dit-il, que s'il peut prendre un véritable intérêt à la femme, mais sa volonté ainsi que son imagination sont trop faibles pour cela.
Ce que le malade de cette observation désigne sous le nom de «pagisme» n'a rien qui diffère du caractère du masochisme, ainsi que cela résulte de la comparaison des deux cas suivants de masochisme symbolique et d'autres cas encore. Cette conclusion est encore corroborée par le fait que, dans ce genre de perversion, le coït est quelquefois dédaigné comme un acte inadéquat et que, dans de pareils cas, il se produit souvent une exaltation fantastique de l'idéal pervers.
Observation 46.—X..., homme de lettres, vingt-huit ans, taré, hyperesthésique dès son enfance, a rêvé à l'âge de six ans, plusieurs fois, qu'une femme le battait ad nates. Il se réveillait après ce rêve en proie à la plus vive émotion voluptueuse; il fut amené à la masturbation. À l'âge de huit ans, il demanda un jour à la cuisinière de le battre. À partir de l'âge de dix ans, neurasthénie. Jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, il eut des rêves de flagellations, et quelquefois il évoquait à l'état de veille ces images et se masturbait en même temps.
Il y a trois ans, cédant à une obsession, il s'est fait battre par une puella. Le malade fut alors déçu, car ni l'érection ni l'éjaculation ne se produisirent. Nouvel essai dans ce sens à l'âge de vingt-sept ans pour forcer, par ce moyen, l'érection et l'éjaculation. Il ne réussit qu'en ayant recours à l'artifice suivant. Pendant qu'il essayait le coït, la puella lui devait raconter comment elle battait les autres impuissants et le menacer d'en faire autant avec lui. En outre, il était obligé de s'imaginer qu'il se trouvait ligoté et tout à fait à la merci de la femme, et que, sans aucun moyen de défense, il recevait d'elle des coups des plus douloureux. À l'occasion, il était obligé, pour être puissant, de se faire ligoter pour de bon. C'est ainsi que le coït lui réussissait. Les pollutions n'étaient accompagnées de sensations de volupté que lorsqu'il rêvait (cas très rare) être maltraité ou voir comment une puella en fouettait d'autres. Il n'eut jamais une vraie sensation de volupté dans le coït. Chez la femme, il n'y a que les mains qui l'intéressent. Il préfère avant tout des femmes vigoureuses, à la poigne solide. Toutefois, son besoin de flagellation n'est qu'idéal, car, ayant l'épiderme très sensible, quelques coups lui suffisent dans les plus mauvais cas. Des coups donnés par des hommes lui seraient désagréables. Il voudrait se marier. L'impossibilité de demander la flagellation à une femme honnête et la crainte d'être impuissant sans ce procédé créent son embarras et lui font éprouver le désir de se guérir.
Dans les trois cas cités jusqu'ici, la flagellation passive servait aux individus atteints de la perversion masochiste comme une forme de la servitude envers la femme, situation tant désirée par eux. Le même moyen est employé par un grand nombre de masochistes.
Or la flagellation passive, comme on sait, peut, par l'irritation mécanique des nerfs du séant, produire des érections réflexes48.
Les débauchés affaiblis ont recours à ces effets de la flagellation pour stimuler leur puissance génitale amoindrie; et cette perversité—et non perversion—est très fréquente.
Il convient donc d'examiner quels rapports il y a entre la flagellation passive des masochistes et celle des débauchés qui, bien que physiquement affaiblis, ne sont pas psychiquement pervers.
Il ressort déjà des renseignements fournis par des individus atteints de masochisme, que cette perversion est bien autre chose et quelque chose de plus grand que la simple flagellation.
Pour le masochiste, c'est la soumission à la femme qui constitue le point le plus important; le mauvais traitement n'est qu'une manière d'exprimer cette condition et, il faut ajouter, la manière la plus expressive. L'action a pour lui une valeur symbolique; c'est un moyen pour arriver à la satisfaction de son état d'âme et de ses désirs particuliers.
Par contre, l'homme affaibli qui n'est pas masochiste, ne cherche qu'une excitation de son centre spinal, à l'aide d'un moyen mécanique.
Ce sont les aveux de ces individus, et souvent aussi les circonstances accessoires de l'acte, qui nous permettent, dans un cas isolé, de dire s'il y a masochisme réel ou simple flagellantisme (réflexe). Il importe, pour juger cette question, de tenir compte des faits suivants:
1º Chez le masochiste, le penchant à la flagellation passive existe presque toujours ab origine. Il se montre comme désir, avant même qu'une expérience sur l'effet réflexe du procédé ait été faite; souvent ce désir ne se manifeste d'abord que dans des rêves ainsi qu'on le verra plus loin dans l'observation 48.
2º Chez le masochiste, la flagellation passive n'est ordinairement qu'une des nombreuses et diverses formes des mauvais traitements dont l'image naît dans son imagination et qui souvent se réalise. Dans les cas où les mauvais traitements ainsi que les marques d'humiliation purement symboliques sont employés en dehors de la flagellation, il ne peut pas être question d'un effet d'excitation physique et réflexe. Dans ces cas donc, il faut toujours conclure à une anomalie congénitale, à la perversion.
3º Il y a encore une particularité bien importante à considérer, c'est que si on donne au masochiste la flagellation tant désirée, elle ne produit pas toujours un effet aphrodisiaque. Souvent elle est suivie d'une déception plus ou moins vive, ce qui arrive toutes les fois que le but du masochiste qui veut se créer par l'illusion la situation tant désirée d'être à la merci de la femme, n'est pas atteint et que la femme qu'il a chargée d'exécuter cette comédie apparaît comme l'instrument docile de sa propre volonté. À ce sujet comparez les trois cas précédents et l'observation 50, plus loin.
Entre le masochisme et le simple réflexe des flagellants, il y a un rapport analogue à celui qui existe entre l'inversion sexuelle et la pédérastie acquise.
Cette manière de voir n'est nullement infirmée par le fait que chez le masochiste la flagellation peut aussi amener un effet réflexe et qu'une punition corporelle reçue dans la jeunesse peut éveiller pour la première fois la volupté et faire en même temps sortir de son état latent la vita sexualis du masochiste.
Il faut qu'alors le fait soit caractérisé par les circonstances énumérées plus haut pour pouvoir être considéré comme masochisme.
Quand on ne possède pas de détails sur l'origine des cas, les circonstances accessoires, comme celles que nous avons citées, peuvent tout de même en faire reconnaître clairement le caractère masochiste. C'est ce qui arrive dans les deux cas suivants.
Observation 47.—Un malade du docteur Tarnowsky a fait louer, par une personne de confiance, un appartement, pour les périodes de ses accès, et il a fait instruire le personnel (trois prostituées) de tout ce qu'on doit lui faire.
Il venait de temps en temps; alors on le déshabillait, on le masturbait, on le flagellait, ainsi qu'il l'avait ordonné. Il faisait semblant d'opposer une résistance, demandait grâce; alors on lui donnait à manger, comme c'était dans les instructions, on le laissait dormir, mais on le retenait malgré ses protestations, et on le battait s'il se montrait récalcitrant.
Ce manège durait quelques jours. L'accès passé, on le relâchait, et il rentrait chez sa femme et ses enfants qui ne se doutaient pas le moins du monde de sa maladie. L'accès revenait une ou deux fois par an. (Tarnowsky, op. cit.)
Observation 48.—X..., trente-quatre ans, très chargé, souffre d'inversion sexuelle. Pour plusieurs raisons, il n'a pas trouvé l'occasion de se satisfaire avec un homme, malgré ses grands besoins sexuels. Par hasard, il rêva, une nuit, qu'une femme le fouettait. Il eut une pollution.
Ce rêve l'amena à se laisser fouetter par des mérétrices, pour remplacer chez lui l'amour homosexuel. Conducit sibi non nunquam meretricem, ipse vestimenta sua omnia deponit, dum puellæ ultimum tegumentum deponere non licet, puellam pedibus ipse percutere, flagellare, verberare jubet. Qua re summa libidine affectus pedem feminæ lambit quod solum eum libidinosum facere potest: tum ejaculationem assequitur. Aussitôt l'éjaculation produite, il est pris du plus grand dégoût d'une situation moralement si avilissante, il se dérobe ensuite le plus rapidement possible.
Il y a aussi des cas où la seule flagellation passive constitue tout ce que rêve l'imagination des masochistes, sans autres idées d'humiliation, et sans que l'individu se rende nettement compte de la véritable nature de cette marque de soumission.
Ces cas sont très difficiles à distinguer de ceux du flagellantisme simple et réflexe. Ce qui permet alors de faire le diagnostic différentiel, c'est la constatation de l'origine primitive du désir avant toute expérience de l'effet réflexe (voir plus haut), et aussi ce fait que dans les cas de masochisme vrai, il s'agit ordinairement d'individus déjà pervers dès la première jeunesse et chez qui la réalisation du désir souvent n'est pas mise à exécution ou produit une déception (voir plus haut), puis que tout se passe dans le domaine de l'imagination.
À ce propos, nous citerons un autre cas de masochisme typique dans lequel toute la sphère des représentations particulières à cette perversion paraît complètement atteinte. Ce cas pour lequel nous avons une autobiographie détaillée de l'état psychique du malade, ne diffère de l'observation 44 que parce que l'individu atteint a tout à fait renoncé à réaliser sas fantaisies perverses et que, à côté de la perversion existante de la vita sexualis, les plaisirs normaux ont encore assez d'effet pour rendre possibles les rapports sexuels dans les conditions ordinaires.
Observation 49.—J'ai trente-cinq ans; mon état physique et intellectuel est normal. Dans ma parenté la plus étendue—en ligne directe et collatérale—je ne connais aucun cas de trouble psychique. Mon père qui, à ma naissance, était âgé d'environ trente ans, avait, autant que je sais, une prédilection pour les femmes de haute taille et d'une beauté plantureuse.
Déjà, dans ma première enfance, je me plaisais aux représentations d'idées qui avaient pour sujet le pouvoir absolu d'un homme sur l'autre. L'idée de l'esclavage avait pour moi quelque chose de très excitant; l'émotion était également forte en me voyant dans le rôle du maître comme dans celui du serviteur. J'étais excité outre mesure à la pensée qu'un homme pouvait en posséder un autre, le vendre, le battre; et à la lecture de La Case de l'oncle Tom (ouvrage que je lus à l'époque où j'entrais en puberté), j'avais des érections. Ce qui était surtout excitant pour moi, c'était l'idée d'un homme attelé à une voiture où un autre homme, armé d'un fouet, était assis et le dirigeait, le faisant marcher à coups de fouet.
Jusqu'à l'âge de vingt ans, ces représentations étaient objectives et sans sexe, c'est-à-dire que l'homme attelé dans mon imagination était une tierce personne (pas moi-même), et la personne qui commandait n'était pas nécessairement du sexe féminin.
Aussi ces idées étaient-elles sans influence sur mon instinct sexuel, ainsi que sur la manifestation de cet instinct. Bien que ces scènes créées dans mon imagination m'aient causé des érections, je ne me suis jamais de ma vie masturbé; à partir de l'âge de dix-neuf ans, j'ai fait le coït sans le concours des représentations imaginaires susindiquées et sans y penser. Toutefois, j'avais une grande prédilection pour les femmes mûres, plantureuses et de haute taille, bien que je ne dédaignasse pas non plus les plus jeunes.
À partir de l'âge de vingt et un ans, les représentations commencèrent à s'«objectiver»; il s'y ajoutait une chose «essentielle», c'est que la «maîtresse» devait être une personne grande, forte, et d'au moins quarante ans. À partir de ce moment, je fus toujours soumis à mes idées; ma maîtresse était une femme brutale qui m'exploitait à tous les points de vue, même au point de vue sexuel, qui m'attelait devant sa voiture et faisait ainsi ses promenades, une femme que je devais suivre comme un chien et aux pieds de laquelle je devais me coucher nu pour être battu et fouetté.
Voilà quelle était la base fixe des représentations de mon imagination autour desquelles se groupaient toutes les autres images.
J'éprouvais, à me livrer à ces idées, un grand plaisir qui me causait des érections, mais jamais d'éjaculation. À la suite de la grande excitation sexuelle que me donnaient ces images, je cherchais une femme, de préférence une femme d'un extérieur correspondant à mon idéal, et je faisais le coït avec elle sans aucun autre procédé et sans être, pendant l'acte, dominé par les images en question. J'avais en outre des penchants pour d'autres femmes et je faisais avec elles le coït sans y être amené par l'impression de l'image évoquée.
Bien que j'aie mené, d'après ce qu'on a pu voir jusqu'ici, une vie pas trop anormale au point de vue sexuel, ces images se présentaient périodiquement et avec régularité à mon esprit, et c'étaient presque toujours les mêmes scènes que mon imagination évoquait. À mesure que mon instinct sexuel augmentait, les intervalles entre l'apparition des images devenaient de plus en plus longs. Actuellement ces représentations se montrent tous les quinze jours ou toutes les trois semaines. Si je faisais le coït la veille, j'en empêcherais peut-être le retour. Je n'ai jamais essayé de donner un corps à ces représentations très précises et très caractéristiques, c'est-à-dire de les relier avec le monde extérieur; je me suis contenté de me délecter des jeux de mon imagination, car j'étais profondément convaincu que jamais je ne pourrais obtenir une réalisation de mon «idéal», pas même une réalisation approximative. L'idée d'arranger une comédie avec des filles publiques payées, me paraissait ridicule et inutile, car une personne que je payerais ne pourrait jamais, dans mon idée, occuper la place d'«une souveraine» cruelle. Je doute qu'il y ait des femmes à tendances sadiques, telles que les héroïnes des romans de Sacher-Masoch. Quand même il y en aurait, et que j'aurais le bonheur d'en trouver une, mes rapports avec elle, dans la vie réelle, m'auraient toujours paru comme une comédie. Eh bien! me disais-je, si je tombais sous l'esclavage d'une Messaline, je crois que, à la suite des privations qu'elle m'imposerait, j'en aurais bientôt assez de cette vie tant désirée et que, dans les intervalles de lucidité, je ferais tous mes efforts pour pouvoir reprendre ma liberté.
Pourtant j'ai trouvé un moyen d'obtenir une réalisation approximative. Après avoir, par l'évocation de ces scènes imaginaires fortement excité mon instinct sexuel, je vais trouver une prostituée; arrivé chez elle, je me représente vivement dans mon imagination une de ces scènes d'esclavage où je m'attribue le rôle principal. Au bout d'une demi-heure pendant laquelle mon imagination me dépeint ces situations et que l'érection augmente de plus en plus, je fais le coït avec une volupté plus vive et avec une forte éjaculation. Quand l'éjaculation a eu lieu, le charme est rompu. Honteux, je m'éloigne le plus vite possible et j'évite de me remémorer ce qui s'est passé. Ensuite, quinze jours se passent sans que je sois hanté par mes idées. Quand le coït m'a satisfait, il arrive même que, pendant la période calme qui précède l'accès, je ne puis pas comprendre comment on peut avoir des goûts masochistes. Mais un autre accès arrive sûrement tôt ou tard. Je dois cependant faire remarquer que je fais aussi le coït sans y être préparé par de pareilles représentations; je le fais aussi avec des femmes qui me connaissent bien et en présence desquelles je renie entièrement les fantaisies dont il est question. Mais, dans ces derniers cas, je ne suis pas toujours puissant, tandis que, sous le coup des idées masochistes, ma puissance sexuelle est absolue. Je ne crois pas inutile de faire encore remarquer que, pour mes autres pensées et mes autres sentiments, j'ai des dispositions esthétiques, et que je méprise au plus haut degré les mauvais traitements infligés à un homme. Finalement je dois encore rappeler que la forme du dialogue a aussi son importance. Dans mes représentations, il est essentiel que la «Souveraine» me tutoie, tandis que moi je suis obligé de l'appeler «vous» et «madame». Le fait d'être tutoyé par une personne qui s'y prête et cela comme expression d'une puissance absolue, m'a causé des sensations voluptueuses dès ma première jeunesse et m'en cause encore aujourd'hui.
J'ai eu le bonheur de trouver une femme qui me convient à tous les points de vue, même au point de vue de la vie sexuelle, bien qu'elle soit loin de ressembler à mon idéal masochiste.
Elle est douce, mais plantureuse, qualité sans laquelle je ne peux pas m'imaginer aucun plaisir sexuel.
Les premiers mois de mon mariage se passèrent d'une manière normale au point de vue sexuel; les accès masochistes ne venaient plus; j'avais perdu presque complètement le goût du masochisme. Mais le premier accouchement de ma femme arriva, et l'abstinence par conséquent me fut imposée. Alors les penchants masochistes se manifestèrent régulièrement toutes les fois que le libido se faisait sentir et, malgré mon amour profond et sincère pour ma femme, je fus alors fatalement amené à faire le coït extra-conjugal avec représentations masochistes.
À ce propos, il y a un fait curieux à constater.
Le coitus maritalis que j'ai repris plus tard n'était pas suffisant pour éloigner les idées masochistes, comme cela a lieu régulièrement avec le coït masochiste.
Quant à l'essence du masochisme, je suis d'avis que les idées, par conséquent le côté intellectuel, constituent le phénomène principal, le phénomène lui-même. Si la réalisation des idées masochistes (par conséquent la flagellation passive, etc.) était le but désiré, alors comment expliquer ce fait contradictoire qu'une grande partie des masochistes n'essaient jamais de réaliser leurs idées, ou, s'ils le font, qu'ils en sortent complètement dégrisés ou au moins qu'ils n'y trouvent pas la satisfaction qu'ils espéraient.
Enfin je ne voudrais pas laisser échapper l'occasion de confirmer, par mon expérience, que le nombre des masochistes, surtout dans les grandes villes, paraît être très considérable. La seule source pour de pareils renseignements, car il n'y a guère de communications inter viros, est dans les dépositions des prostituées et, comme elles s'accordent dans les points principaux, on peut considérer certains faits comme prouvés.
Ainsi il est bien établi que chaque prostituée expérimentée est munie d'un instrument destinée à la flagellation (habituellement une baguette); mais il faut, à ce propos, rappeler qu'il y a des hommes qui se font flageller pour stimuler leurs désirs sexuels, et qui, contrairement aux masochistes, considèrent la flagellation comme un moyen.
D'autre part, presque toutes les prostituées sont d'accord dans leurs assertions pour dire qu'il y a un certain nombre d'hommes qui aiment à jouer le rôle d'esclaves, c'est-à-dire à s'entendre appeler ainsi, à se laisser injurier, fouler aux pieds et même battre.
Bref, le nombre des masochistes est plus grand qu'on ne le suppose.
La lecture du chapitre de votre livre sur ce sujet m'a fait, ainsi que vous pouvez vous l'imaginer, une formidable impression. Je crus à une guérison, mais à une guérison par la logique d'après la maxime: tout comprendre, c'est tout guérir.
Il est vrai qu'il ne faut entendre le mot guérison qu'avec une certaine restriction, et qu'il faut bien distinguer entre sentiments généraux et idées concrètes. Les premiers ne peuvent jamais se supprimer. Ils surgissent comme l'éclair; ils sont là et l'on ne sait comment ni d'où ils viennent. Mais on peut éviter la pratique du masochisme en s'abandonnant aux images concrètes et cohérentes ou du moins on peut l'endiguer en quelque sorte.
À l'heure qu'il est, ma situation a changé. Je me dis: Quoi! tu t'enthousiasmes pour des objets que réprouve non seulement le sens esthétique des autres, mais aussi le tien! Tu trouves beau et désirable ce qui, d'après ton jugement, est vilain, bas, ridicule et en même temps impossible! Tu désires une situation dans laquelle en réalité tu ne voudrais jamais entrer! Voilà les contre-motifs qui agissent comme entraves, dégrisent et coupent court aux fantaisies. En effet, depuis la lecture de votre livre (au commencement de cette année), je ne me suis pas une seule fois laissé aller aux rêveries, bien que les tendances masochistes se manifestent à intervalles réguliers.
Du reste, je dois avouer que le masochisme, malgré son caractère pathologique très prononcé, non seulement ne peut pas gâter le bonheur de ma vie, mais n'a pas non plus la moindre action sur ma vie sociale. Pendant la période exempte du masochisme, je suis un homme très normal en ce qui concerne mes actions et mes sentiments. Au moment de mes accès masochistes, il se produit une grande révolution dans le monde de mes sentiments, mais ma vie extérieure ne change en rien. J'ai une profession qui exige que je me montre beaucoup dans la vie publique. Or, j'exerce ma profession, pendant l'état masochiste, aussi bien que pendant d'autres périodes.
L'auteur de ce mémoire m'a encore envoyé les notes suivantes:
I. D'après mon expérience, le masochisme est dans tous les cas congénital et n'est jamais créé par l'individu. Je sais positivement que je n'ai jamais été battu sur les fesses, que mes idées masochistes se sont manifestées dès ma première jeunesse, et que j'ai caressé de pareilles idées depuis le moment où j'ai commencé à penser. Si l'origine de ces idées était due à un coup reçu, je n'en aurais pas assurément perdu le souvenir. Ce qui est caractéristique, c'est que ces idées étaient là bien avant l'existence du libido.
Mais alors les représentations étaient tout à fait sans sexe. Je me rappelle qu'étant enfant, j'étais très excité (pour ne pas dire agité) lorsqu'un garçon plus âgé que moi me tutoyait, tandis que je lui disais: «vous». Je recherchais les conversations avec lui et j'avais soin d'arranger les choses de telle façon que ces tutoiements reviennent le plus souvent possible au cours de notre entretien. Plus tard, quand je fus plus avancé au point de vue sexuel, ces choses n'avaient de charme pour moi que lorsqu'elles avaient lieu avec une femme relativement plus âgée.
II. Je suis, au point de vue physique et psychique, d'un caractère tout à fait viril. Très barbu et le corps entier très poilu. Dans mes rapports non masochistes avec la femme, la position dominante de l'homme est pour moi une condition indispensable, et je repousserais avec énergie toute tentative qui y porterait atteinte. Je suis énergique bien que médiocrement brave, mais le manque de bravoure disparaît surtout quand mon orgueil a été blessé. En présence des événements de la nature (orage, tempête sur la mer, etc.), je suis tout à fait calme 49.
Note 49: (retour)Cette différence de bravoure en présence des éléments de la nature d'un côté, et en présence des conflits de la volonté de l'autre, est en tout cas bien frappante (comparez Observation 44); bien que, dans ce cas, elle constitue la seule marque d'effeminatio dont il a été fait mention.
Mes penchants masochistes n'ont pas, non plus, rien de ce qu'on pourrait appeler de féminin ou d'efféminé. Il est vrai qu'alors domine le penchant à être sollicité et recherché par la femme; cependant les rapports avec la «Souveraine», rapports tant désirés, ne sont pas les mêmes que ceux qui existent entre femme et homme; mais c'est la condition de l'esclave vis-à-vis du maître, de l'animal domestique vis-à-vis de son propriétaire. En tirant les conséquences extrêmes du masochisme, on ne peut conclure autrement qu'en disant que l'idéal du masochiste c'est d'avoir une situation analogue à celle du chien ou du cheval. Ces deux animaux sont la propriété d'un maître qui les maltraite à sa guise sans qu'il doive en rendre compte à qui que ce soit.
C'est précisément ce pouvoir absolu sur la vie et sur la mort, comme on ne le possède que sur l'esclave et sur l'animal domestique, qui constitue l'alpha et l'oméga de toutes les représentations masochistes.
III. La base de toutes les idées masochistes c'est le libido. Dès qu'il y a flux ou reflux dans ce dernier, le même phénomène se produit dans les fantaisies du masochisme. D'autre part, les images évoquées, aussitôt qu'elles se présentent à l'esprit, renforcent considérablement le libido. Je n'ai pas naturellement de grands besoins sexuels. Mais, quand les représentations masochistes surgissent dans mon imagination, je suis poussé au coït à tout prix (dans la plupart des cas je suis alors entraîné vers les femmes les plus viles), et si je ne cède pas assez tôt à cette poussée, le libido monte en peu de temps jusqu'au satyriasis. On pourrait à ce propos parler de cercle vicieux.
Le libido se produit ou parce que j'ai laissé passer un certain laps de temps ou par une excitation particulière, quand même elle ne serait pas de nature masochiste, par exemple par un baiser. Malgré cette origine, le libido, en vertu des idées masochistes qu'il évoque, se transforme en un libido masochiste, c'est-à-dire impur.
Il est du reste incontestable que le désir est considérablement renforcé par les impressions accidentelles, et surtout par le séjour dans les rues d'une grande ville. La vue de belles femmes imposantes in natura de même qu'in effigie produit de l'excitation. Pour celui qui est sous le coup du masochisme, toute la vie des phénomènes extérieurs est empreinte de masochisme, du moins pendant la durée de l'accès. La gifle que la patronne donne à l'apprenti, le coup de fouet du cocher, tout cela produit au masochiste de profondes impressions, tandis que ces faits le laissent froid ou lui causent même du dégoût en dehors des périodes d'accès.
IV. En lisant les romans de Sacher-Masoch, je fus déjà frappé par l'observation que, chez le masochiste, des sentiments sadistes se mêlent de temps en temps aux autres sentiments. Chez moi aussi j'ai découvert parfois des sentiments sporadiques de sadisme. Je dois cependant faire observer que les sentiments sadistes ne sont pas aussi marqués que les sentiments masochistes, et, outre qu'ils ne se manifestent que rarement et d'une façon accessoire, ils ne sortent jamais du cadre de la vie des sentiments abstraits, et surtout ils ne revêtent jamais la forme des représentations concrètes et cohérentes. Toutefois, l'effet sur le libido est le même dans les deux cas.
Ce cas est remarquable par l'exposé complet des faits psychiques qui constituent le masochisme.
Le cas qu'on va lire plus loin, l'est aussi par l'extravagance particulière des actes émanant de la perversion. Ce cas est particulièrement de nature à montrer nettement les rapports qui existent entre la soumission à la femme, l'humiliation par la femme et l'étrange effet sexuel qui en résulte.
Observation 50.—Masochisme. M. Z..., fonctionnaire, cinquante ans, grand, musculeux, bien portant, prétend être né de parents sains; cependant, à sa naissance, le père avait trente ans de plus que la mère. Une sœur de deux ans plus âgée que Z..., est atteinte de la monomanie de la persécution.
L'extérieur de Z... n'offre rien d'étrange. Le squelette est tout à fait viril, la barbe est forte, mais le torse n'a pas de poil du tout. Il dit lui-même qu'il est un homme sentimental qui ne peut rien refuser à personne; toutefois il est emporté, brusque, mais il se repent aussitôt de ses mouvements de colère. Z... prétend n'avoir jamais pratiqué l'onanisme. Dès sa jeunesse, il avait des pollutions nocturnes dans lesquelles l'acte sexuel n'a jamais joué un rôle, mais toujours la femme seule. Il rêvait, par exemple, qu'une femme qui lui était sympathique, s'appuyait fortement contre lui ou, qu'étant couché sur l'herbe, la femme par plaisanterie montait sur son dos. De tout temps, Z... eut horreur du coït avec une femme. Cet acte lui paraissait bestial. Malgré cela, il se sentait attiré vers la femme. Il ne se sentait à son aise et à sa place que dans la compagnie de belles filles et de belles femmes. Il était très galant sans être importun.
Une femme plantureuse, avec de belles formes et surtout un beau pied, pouvait, quand il la voyait assise, le mettre dans la plus grande excitation. Il sentait alors le désir violent de s'offrir pour lui servir de siège et pouvoir «supporter tant de splendeur». Un coup de pied, un soufflet, venus d'elle, lui auraient été le plus grand bonheur. L'idée de faire le coït avec elle lui faisait horreur. Il éprouvait le besoin de se mettre au service de la femme. Il lui semblait que les femmes aiment à monter à cheval. Il délirait à l'idée délicieuse de se fatiguer sous le poids d'une belle femme pour lui procurer du plaisir. Il se dépeignait une pareille situation dans tous les sens; il voyait dans son imagination le beau pied muni d'éperons, les superbes mollets, les cuisses rondes et molles. Toute dame de belle taille, tout beau pied de dame excitait fortement son imagination, mais jamais il ne laissait voir ces sensations étranges qui lui paraissaient à lui-même anormales, et il savait toujours se dompter. Mais, d'autre part, il n'éprouvait aucun besoin de lutter contre elles; au contraire, il aurait regretté d'abandonner ses sentiments qui lui sont devenus si chers.
À l'âge de trente-deux ans, Z... fit par hasard la connaissance d'une femme de vingt-sept ans qui lui était très sympathique, qui était divorcée de son mari et qui se trouvait dans la misère. Il s'intéressa à elle, travailla pour elle pendant des mois et sans aucune intention égoïste. Un soir elle lui demanda impérieusement une satisfaction sexuelle; elle lui fit presque violence. Le coït eut lieu. Z... prit la femme chez lui, vécut avec elle, faisant le coït avec modération; mais il considérait le coït plutôt comme une charge que comme un plaisir; ses érections devinrent faibles; il ne put plus satisfaire la femme et, un jour, celle-ci déclara qu'elle ne voulait plus continuer ses rapports avec lui puisqu'il l'excitait sans la satisfaire. Bien qu'il aimât profondément cette femme, il ne pouvait renoncer à ses fantaisies étranges. Il vécut donc en camarade avec elle, regrettant beaucoup de ne pouvoir la servir de la façon qu'il aurait désiré.
La crainte que ses propositions soient mal accueillies, ainsi qu'un sentiment de honte, l'empêchaient de se révéler à elle. Il trouvait une compensation dans ses rêves. Il rêvait entre autres être un beau coursier fougueux et être monté par une belle femme. Il sentait le poids de la cavalière, les rênes auxquelles il devait obéir, la pression de la cuisse contre ses flancs, il entendait sa voix belle et gaie. La fatigue lui faisait perler la sueur, l'impression de l'éperon faisait le reste et provoquait parfois l'éjaculation au milieu d'une vive sensation de volupté.
Sous l'obsession de pareils rêves, Z..., il y a sept ans, surmonta ses craintes et chercha à reproduire dans la réalité une scène analogue.
Il réussit à trouver des «occasions convenables».
Voici ce qu'il rapporte à ce sujet: «... Je savais toujours m'arranger de façon que, dans une occasion donnée, elle s'assît spontanément sur mon dos. Alors je m'efforçais de lui rendre cette situation aussi agréable que possible, et je faisais tant et si bien qu'à la prochaine occasion c'était elle qui me disait: «Viens, je veux chevaucher sur toi.» Étant de grande taille, je m'appuyais des deux mains sur une chaise, je mettais mon dos dans une position horizontale et elle l'enfourchait comme les hommes ont l'habitude de monter à cheval. Je contrefaisais alors autant que possible tous les mouvements d'un cheval et j'aimais à être traité par elle comme une monture et sans aucun égard. Elle pouvait me battre, piquer, gronder, caresser, tout faire selon son bon plaisir. Je pouvais supporter, pendant une demi-heure ou trois quarts d'heure, des personnes pesant 60 à 80 kilogrammes. Après ce laps de temps, je demandais toujours un moment de repos. Pendant cet entr'acte, les rapports entre ma «souveraine» et moi étaient tout à fait inoffensifs, et nous ne parlions pas même de ce qui venait de se passer. Un quart d'heure après, j'étais complètement reposé, et je me mettais de nouveau à la disposition de ma «souveraine». Quand le temps et les circonstances le permettaient, je continuais ce manège trois ou quatre fois de suite. Il arrivait que je m'y livrais dans la matinée et dans l'après-midi du même jour. Après, je ne sentais aucune fatigue ni aucun malaise, seulement j'avais peu d'appétit dans ces journées. Quand c'était possible, je préférais avoir le torse nu pour mieux sentir les coups de cravache. Ma «souveraine» était obligée d'être décente. Je la préférais avec de belles bottines, de beaux bas, des pantalons courts et serrant aux genoux, le torse complètement habillé, la tête coiffée d'un chapeau et les mains gantées.»
M. Z... rapporte ensuite que, depuis sept ans, il n'a plus fait le coït, mais qu'il se sentait tout de même puissant.
Le «chevauchage par la femme» remplace complètement pour lui cet acte «bestial», même lorsqu'il ne parvient pas à l'éjaculation.
Depuis huit mois, Z... a fait le voeu de renoncer à son sport masochiste, et il a tenu parole. Toutefois, il avoue que si une femme un peu belle lui disait sans ambage: «Viens, je veux t'enfourcher!» il n'aurait pas la force de résister à cette tentation. Z... demande à être éclairé et à savoir si son anomalie est guérissable, s'il doit être détesté comme un homme vicieux ou s'il n'est qu'un malade qui mérite de la pitié.
Le cas que voici ressemble beaucoup au précédent.
Observation 51.—Un homme trouve sa satisfaction sexuelle de la manière suivante. Il va de temps en temps chez une puella publica. Il fait serrer son pénis dans un anneau de porcelaine, tels qu'on en emploie pour suspendre les rideaux des fenêtres. On attache sur cet anneau deux ficelles qu'on passe entre ses jambes par derrière et qu'on attache ensuite au lit. Alors l'homme prie la femme de le fouetter sans miséricorde et de le traiter comme un cheval rétif. Plus la femme le pousse à tirer par ses cris et par les coups de fouet, plus il sent augmenter en lui l'excitation sexuelle; il a une érection probablement favorisée mécaniquement par la compression des vena dorsalis penis qui sont serrées par l'anneau lorsque les ficelles sont trop tendues. L'érection augmentant, le membre est comprimé par l'anneau, et enfin l'éjaculation se produit avec une vive sensation de volupté.
Déjà, dans les observations précédentes, l'action d'être foulé aux pieds joue un rôle, à côté d'autres phénomènes, pour exprimer chez le masochiste les situations d'humilié et de souffre-douleur. On voit l'emploi exclusif et étendu dans la plus grande mesure de ce moyen dans le cas classique suivant que Hammond (op. cit., p. 28), cite d'après une observation du Dr Cox50, de Colorado.
Ces cas forment un degré intermédiaire entre un autre genre de perversion et constituent un groupe spécial.
Observation 52.—X..., mari modèle, avec des principes moraux rigoureux, père de plusieurs enfants, est pris par moments, ou pour mieux dire par accès, de l'envie d'aller au bordel, d'y choisir deux ou trois des plus grandes filles et de s'enfermer avec elles. Alors il met son torse à nu, se couche par terre, croise les bras sur l'abdomen, ferme les yeux et fait marcher la puella sur sa poitrine nue, sur son cou et sa figure, en la priant d'enfoncer vigoureusement à chaque pas les talons dans sa chair. À l'occasion, il demande des filles encore plus lourdes ou quelques autres exercices qui rendent le procédé encore plus cruel. Au bout de deux ou trois heures, il en a assez, paie son compte et va à ses affaires pour revenir, une semaine après, se procurer de nouveau ce plaisir étrange.
Il arrive aussi quelquefois qu'il fait monter une de ces filles sur sa poitrine, et les autres doivent alors la prendre et la faire tourner sur ses talons comme une toupie jusqu'à ce que la peau de M. X... saigne sous les talons des bottines.
Souvent une des filles est obligée de se placer de façon à ce qu'elle tienne la bottine sur ses deux yeux et que le talon presse un peu la pupille de l'un des yeux tandis que l'autre pied chaussé est sur le cou. Dans cette position, il soutient le poids d'une personne d'environ 150 livres pendant quatre ou cinq minutes.
L'auteur parle d'une douzaine de cas analogues dont il a eu connaissance. Hammond suppose avec raison que cet homme, étant devenu impuissant dans ses rapports avec les femmes, cherchait et trouvait, par ce procédé étrange, un équivalent du coït; pendant qu'il laissait piétiner son corps jusqu'à en saigner, il éprouvait d'agréables sensations sexuelles accompagnées d'éjaculation.
Les neuf cas de masochisme que nous avons cités jusqu'ici et beaucoup d'autres cas analogues dont les auteurs font mention, constituent l'opposé du groupe des cas sadistes dont nous avons donné la description plus haut. De même que, dans ce groupe des sadistes, des hommes pervers cherchent une excitation et trouvent une satisfaction en maltraitant la femme, de même, dans le masochisme, ils cherchent à obtenir un effet semblable en endurant des mauvais traitements.
Mais, fait curieux, le groupe des sadistes, celui des assassins même, n'est pas sans avoir un pendant correspondant à celui du masochisme.
Dans ses extrêmes conséquences, le masochisme devrait aboutir au vif désir de se faire donner la mort par une personne de l'autre sexe, de même que le sadisme atteint son plus haut degré dans l'assassinat par volupté. Mais contre cette extrême conséquence se dresse l'instinct de la conservation, de sorte que l'idée extrême n'arrive jamais à être mise à exécution.
Quand tout l'édifice du masochisme n'est échafaudé qu'in petto, l'imagination des individus atteints peut même aller jusqu'aux idées extrêmes, ainsi que le prouve le cas suivant.
Observation 53.—Un homme d'âge moyen, marié et père de famille, qui a toujours mené une vita sexualis normale, mais qui prétend être né d'une famille très nerveuse, me fait les communications suivantes. Dans sa premières jeunesse, il était sexuellement très excité toutes les fois qu'il voyait une femme qui égorgeait un animal avec un couteau. À partir de cette époque, il fut pendant des années plongé dans ce rêve voluptueux que des femmes armées de couteaux le piquaient, le blessaient et même le tuaient. Plus tard, quand il commença à avoir des rapports sexuels normaux, ces idées perdirent pour lui tout leur charme pervers.
Il faut rapprocher ce dernier cas des observations citées plus haut et d'après lesquelles il y a des hommes qui trouvent une jouissance sexuelle à se laisser blesser légèrement par des femmes et à être menacés de mort par elles.
Ces fantaisies donneront peut-être l'explication de l'étrange fait qui va suivre et que je dois à une communication de M. le Dr Kœrber de Hankau (Silésie).
Observation 54.—Une dame m'a raconté l'histoire suivante. Jeune fille ignorante, elle fut mariée à un homme d'environ trente ans. La première nuit du mariage, il lui mit presque par force un petit bassin avec du savon dans les mains; il voulut alors, sans autre marque d'amour, qu'elle lui savonnât le menton et le cou comme s'il devait se faire la barbe. La jeune femme, tout à fait inexpérimentée, fit ce que son mari exigeait, et fut très étonnée de n'avoir, pendant les premières semaines de son mariage, appris rien autre chose des mystères de la vie matrimoniale. Son mari lui déclara que son plus grand plaisir était de se faire savonner la figure par elle. La jeune femme ayant plus tard consulté des amies, décida son mari à faire le coït et, comme elle l'affirme formellement, elle eut de lui par la suite trois enfants. Le mari est travailleur, même très rangé, mais il est brusque et morose. Il exerce le métier de négociant.
Il est très admissible que l'homme dont il est ici question ait considéré l'acte d'être rasé (ou les préparatifs par le savonnage) comme la réalisation symbolique d'idées de blessures et d'égorgement, de fantaisies sanguinaires, comme les idées qui hantèrent, dans un autre cas, un homme d'un certain âge pendant sa jeunesse, et que c'est cette symbolisation qui lui a procuré l'excitation et la satisfaction sexuelles. La parfaite contre-partie sadiste de ce cas ainsi envisagé se trouve dans l'observation 35 qui traite d'un cas de sadisme symbolique.
D'ailleurs, il y a tout un groupe de masochistes qui se contentent des signes symboliques de la scène qui correspond à leur perversion. Ce groupe correspond au groupe des sadistes «symboliques», ainsi que les groupes masochistes que nous avons cités plus haut correspondent aux autres groupes du sadisme. Les désirs pervers du masochiste peuvent (bien entendu toujours dans son imagination) aller jusqu'à «l'assassinat passif par volupté», mais, d'autre part, ils peuvent se contenter de simples indications symboliques de cette situation désirée. D'habitude cette situation se traduit par des mauvais traitements, ce qui, objectivement, dépasse le rêve d'être tué, mais reste en deçà de l'idée subjective.
À côté de l'observation 54, nous tenons encore à citer quelques cas analogues dans lesquels les scènes désirées et arrangées par le masochiste n'ont qu'un caractère purement symbolique et ne servent que pour indiquer la situation tant désirée.
Observation 55.—(Pascal, Igiene dell Amore.) Tous les trois mois, un homme d'environ quarante-cinq ans, venait chez une prostituée et lui payait 10 francs pour faire ce qui suit. La puella devait le déshabiller, lui lier pieds et mains, lui bander les yeux et en outre fermer les volets des fenêtres pour rendre la chambre obscure. Alors elle le faisait asseoir sur un divan et l'abandonnait dans cet état.
Une demi-heure plus tard, la fille devait revenir et délier les cordes. L'homme payait alors et s'en allait satisfait pour revenir dans trois mois.
Il paraît que cet homme en restant dans l'obscurité, complétait par son imagination l'idée qu'il était livré sans défense au pouvoir absolu d'une femme. Le cas suivant est encore plus étrange; c'est une comédie compliquée pour satisfaire des désirs masochistes.
Observation 56.—(Dr Pascal, ibid.) À Paris, un individu se rendait à des soirées fixées d'avance dans un appartement dont la propriétaire était disposée à se prêter à ses penchants étranges. Il entrait en tenue de soirée dans le salon de la dame qui devait le recevoir en grande toilette et d'un air hautain. Il l'appelait «marquise» et elle devait l'appeler: «mon cher comte». Il parlait ensuite du bonheur de la trouver toute seule, de son amour et de l'heure du berger. La dame devait alors jouer le rôle d'une dame froissée dans sa dignité. Le prétendu comte s'enflammait de plus en plus et demandait à la pseudo-marquise de lui poser un baiser sur l'épaule. Grande scène d'indignation; elle sonne, un valet loué exprès à cet effet, entre et met le comte à la porte. Le comte s'en va très content et paie richement les personnes qui ont joué cette comédie préparée.
Il faut distinguer de ce «masochisme symbolique» le «masochisme idéal» dans lequel la perversion psychique reste dans le domaine de l'idée et de l'imagination et n'essaie jamais de transporter dans la réalité les scènes rêvées. On peut considérer comme exemples de «masochisme idéal» les observations 49 et 53. On peut y faire rentrer aussi les deux cas suivants: le premier concerne un individu taré physiquement et intellectuellement, portant des marques de dégénérescence, et chez lequel l'impuissance physique et psychique s'est produite très tôt.
Observation 57.—M. Z..., vingt-deux ans, célibataire, m'a été amené par son tuteur pour consultation médicale, le jeune homme étant très nerveux et, de plus, sexuellement anormal. Son père, au moment de la conception, avait une maladie de nerfs.
Le malade était un enfant vif et doué de talents. On constata chez lui la masturbation dès l'âge de sept ans. À partir de neuf ans, il devint distrait, oublieux, ne pouvant faire de progrès dans ses études.
On était obligé de l'aider par des répétitions et par protection; c'est avec beaucoup de peine qu'il put finir ses classes au Real-gymnasium; pendant son année de volontariat, il se fit remarquer par son indolence, son manque de mémoire et divers coups de tête.
Ce qui amena à demander une consultation médicale fut un incident dans la rue. Z... s'était approché d'une dame et, d'une manière très importune, au milieu des marques d'une vive surexcitation, il avait voulu entamer une conversation à tout prix.
Le malade donne comme motif qu'il a voulu, par la conversation avec une honnête fille, s'exciter afin d'être capable de faire le coït avec une prostituée.
Le père de Z... considère son fils comme un garçon originairement bon et moral, mais sans énergie, faible, troublé, souvent désespéré des insuccès de la vie qu'il a menée jusqu'ici, comme un homme indolent qui ne s'intéresse qu'à la musique pour laquelle il a beaucoup de talent.
L'extérieur physique du malade, notamment son crâne plagiocéphale, ses grandes oreilles écartées, l'innervation du côté droit de la bouche, l'expression névropathique des yeux, indiquent un névropathe dégénéré.
Z... est d'une grande taille, robuste de corps, d'une apparence tout à fait virile. Le bassin est viril, les testicules sont bien développés; pénis très gros, mons Veneris très poilu, le testicule droit descend plus bas que le gauche, le réflexe crémastérien des deux côtés est faible. Au point de vue intellectuel, le malade est au-dessous de la moyenne. Il sent lui-même son insuffisance, se plaint de son indolence et prie qu'on lui rende la force de caractère. Son attitude gauche, embarrassée, son regard effarouché et son maintien nonchalant indiquent la masturbation. Le malade convient que, depuis l'âge de sept ans jusqu'à il y a un an et demi, il s'est masturbé de 8 à 12 fois par jour. Jusqu'à ces dernières années, époque où il devint neurasthénique (douleurs à la tête, incapacité intellectuelle, irritation spinale, etc.), il prétend avoir éprouvé toujours beaucoup de volupté en se masturbant. Depuis, il n'a plus cette sensation, et la masturbation a perdu pour lui tout son charme. Il est devenu de plus en plus timide, mou, sans énergie, lâche et craintif; il ne prend plus intérêt à rien, ne vaque à ses affaires que par devoir et se sent exténué. Il n'a jamais pensé au coït et, à son point de vue d'onaniste, il ne comprend pas comment les autres peuvent y trouver du plaisir.
J'ai recherché l'inversion sexuelle; j'ai obtenu un résultat négatif.
Il prétend n'avoir jamais senti de penchant pour les personnes de son propre sexe. Il croit plutôt avoir eu par ci par là une faible inclination pour les femmes. Il prétend avoir été amené à l'onanisme de lui-même. À l'âge de treize ans, il remarqua pour la première fois l'émission de sperme à la suite des manipulations onanistes.
Ce n'est qu'après avoir longuement insisté que Z... consentit à révéler tout entière sa vita sexualis. Ainsi qu'il ressort des renseignements qui suivront, on pourrait le classer comme un cas de masochisme idéal combiné à un sadisme rudimentaire. Le malade se rappelle bien distinctement que, dès l'âge de six ans, des «idées de violence» ont germé spontanément dans son esprit. Il était obsédé par l'idée que la fille de chambre lui écartait de force les jambes pour montrer ses parties génitales à d'autres personnes; qu'elle essayait de le jeter dans l'eau froide ou bouillante pour lui causer de la douleur. Ces idées de violence étaient accompagnées du sensations de volupté et provoquaient la masturbation. Plus tard, c'est le malade lui-même qui évoquait dans son imagination ces tableaux afin de se stimuler à la masturbation. Ils jouaient même un rôle dans ses rêves, mais ils n'amenaient jamais la pollution, évidemment parce que le malade se masturbait outre mesure pendant la journée.
Avec le temps se joignirent à ces idées masochistes de violence des idées sadiques. D'abord c'était l'image de garçons qui, par violence, se masturbaient mutuellement et se coupaient réciproquement les parties génitales. Souvent alors il se mettait en imagination dans le rôle d'un de ces garçons, tantôt dans le rôle actif, tantôt dans le rôle passif.
Plus tard, son esprit fut préoccupé par l'image de filles et de femmes qui s'exhibitionnaient l'une devant l'autre; il se présentait à son imagination des scènes où la fille de chambre écartait de force les cuisses d'une autre fille et lui tirait les poils du pubis; ensuite c'étaient des garçons cruels qui piquaient des filles et leur pinçaient les parties génitales.
Tous ces tableaux provoquaient chez lui des excitations sexuelles; mais il n'eut jamais de penchants à jouer un rôle actif dans ces scènes ou de les subir passivement. Il lui suffisait de se servir de ces représentations pour l'automasturbation. Depuis un an et demi ces scènes et ces désirs sont devenus plus rares, à la suite de la diminution du libido et de l'imagination sexuelle, mais leur sujet est resté toujours le même. Les idées de violence masochiste prévalent sur les idées sadistes. Depuis ces temps derniers, quand il aperçoit une dame, il lui vient toujours l'idée qu'elle a les mêmes idées sexuelles que lui. Cela explique en partie son embarras dans son commerce avec le monde. Comme le malade a entendu dire qu'il serait débarrassé de ses idées sexuelles qui lui sont devenues importunes, s'il s'habituait à une satisfaction normale de son instinct, il a, au cours des derniers dix-huit mois, tenté deux fois d'accomplir le coït, bien que cet acte lui répugnât et qu'il ne se promît aucun succès. Aussi l'essai s'est-il terminé chaque fois par un échec complet. La seconde fois il éprouva, au moment de sa tentative, une telle répugnance qu'il repoussa la fille et se sauva à toutes jambes.
Le second cas est l'observation suivante qu'un collègue a mise à ma disposition. Bien qu'aphoristique elle est de nature à montrer le caractère du masochisme, la conscience de la soumission.
Observation 58.—Masochisme. Z..., vingt-sept ans, artiste, de vigoureuse constitution physique, d'extérieur agréable, prétend n'être pas taré; bien portant pendant son enfance; est depuis l'âge de vingt-trois ans nerveux et enclin aux idées hypocondriaques. Au point de vue sexuel, il a un penchant à la fanfaronnade, mais toutefois il n'est pas capable de grands exploits. Malgré les avances que lui font les femmes, ses rapports avec elles se bornent à des caresses innocentes. Avec cela, il a un penchant curieux à convoiter les femmes qui se montrent farouches avec lui. Depuis l'âge de vingt-cinq ans, il a fait lui-même la constatation que les femmes, fussent-elles les plus laides, provoquent en lui une excitation sexuelle aussitôt qu'il aperçoit un trait impérieux et hautain dans leur caractère. Un mot de colère de la bouche d'une femme suffit pour provoquer chez lui les érections les plus violentes. Il était un jour assis au café et entendit la caissière, femme d'ailleurs très laide, gronder vertement et d'une voix énergique le garçon. Cette scène lui causa une violente émotion sexuelle qui, en peu de temps, aboutit à l'éjaculation. Z... exige des femmes avec lesquelles il doit avoir des rapports sexuels qu'elles le repoussent et lui fassent des misères de toutes sortes. Il dit que, seules, les femmes qui ressemblent aux héroïnes des romans de Sacher-Masoch pourraient l'exciter.
Ces faits où toute la perversion de la vita sexualis ne se manifeste que dans le domaine de l'imagination et de la vie intérieure des idées et de l'instinct, et n'arrive que rarement à la connaissance d'autrui, paraissent être assez fréquents. Leur signification pratique, comme en général celle du masochisme qui n'offre pas un aussi grand intérêt médico-légal que le sadisme, consiste uniquement dans l'impuissance psychique dans laquelle tombent ordinairement les individus atteints de cette perversion; leur portée pratique consiste en outre dans un penchant violent à la satisfaction solitaire sous l'influence d'images adéquates et dans les conséquences que ces pratiques peuvent entraîner.
Le masochisme est une perversion très fréquente, cela ressort suffisamment de ce qu'on en a déjà cité scientifiquement des cas relativement très nombreux; les diverses observations publiées plus haut en prouvent aussi la grande extension.
Les ouvrages qui s'occupent de la prostitution des grandes villes contiennent également de nombreux documents sur cette matière51.
Un fait intéressant et digne d'être noté, c'est qu'un des hommes les plus célèbres de tous les temps ait été atteint de cette perversion et en ait parlé dans son autobiographie bien qu'avec une interprétation quelque peu erronée.
Il ressort des Confessions de Jean-Jacques Rousseau que ce grand homme était atteint de masochisme.
Rousseau, dont la vie et la maladie ont été analysées par Mœbius (J.-J. Rousseau Krankheitsgeschichte, Leipzig 1889) et par Châtelain (La folie de J.-J. Rousseau, Neuchâtel 1890) raconte dans ses Confessions (1re partie Ier livre) combien Mlle Lambercier, alors âgée de trente ans, lui en imposait lorsque, à l'âge de huit ans, il était en pension et en apprentissage chez le frère de cette demoiselle. L'irritation de la dame, quand il ne savait promptement répondre à une de ses questions, ses menaces de le fouetter, lui faisaient la plus profonde impression. Ayant reçu un jour une punition corporelle de la main de Mlle L..., il éprouva, en dehors de la douleur et de la honte, une sensation voluptueuse et sensuelle qui lui donna une envie violente de recevoir encore d'autres corrections. Seule la crainte de faire de la peine à la dame, empêchait Rousseau de provoquer les occasions pour éprouver cette douleur voluptueuse. Un jour cependant il s'attira malgré lui une nouvelle punition de la main de Mlle L... Ce fut la dernière, car Mlle Lambercier dut s'apercevoir de l'effet étrange que produisait cet acte et, à partir de ce moment, elle ne laissa plus dormir dans sa chambre ce garçon de huit ans. Depuis R... éprouvait le besoin de se faire punir de la même façon qu'avec Mlle Lambercier, par des dames qui lui plaisaient, bien qu'il affirme n'avoir rien su des rapports sexuels avant d'être devenu jeune homme. On sait que ce ne fut qu'à l'âge de trente ans que Rousseau fut initié aux vrais mystères de l'amour par Mme de Warens et qu'il perdit alors son innocence. Jusque-là il n'avait que des sentiments et des langueurs pour les femmes en vue d'une flagellation passive et d'autres idées masochistes.
Rousseau raconte in extenso combien, avec ses grands besoins sexuels, il a souffert de cette sensualité étrange et évidemment éveillée par les coups de fouet, languissant de désirs et hors d'état de pouvoir les manifester. Ce serait cependant une erreur de croire que Rousseau ne tenait qu'à la flagellation seule. Celle-ci n'éveillait en lui qu'une sphère d'idées appartenant au domaine du masochisme. C'est là que se trouve en tout cas le noyau psychologique de son intéressante auto-observation. L'essentiel chez Rousseau c'était l'idée d'être soumis à la femme. Cela ressort nettement de ses Confessions où il déclare expressément:
«Être aux genoux d'une maîtresse impérieuse, obéir à ses ordres, avoir des pardons à lui demander, étaient pour moi de très douces jouissances.»
Ce passage prouve donc que la conscience de la soumission et de l'humiliation devant la femme était pour lui la principale chose.
Il est vrai que Rousseau lui-même était dans l'erreur en supposant que ce penchant à s'humilier devant la femme n'avait pris naissance que par la représentation de la flagellation qui avait donné lieu à une association d'idées.
«N'osant jamais déclarer mon goût, je l'amusais du moins par des rapports qui m'en conservaient l'idée.»
Pour pouvoir saisir complètement le cas de Rousseau et découvrir l'erreur dans laquelle il a dû tomber fatalement lui-même en analysant son état d'âme, il faut comparer son cas avec les nombreux cas établis de masochisme parmi lesquels il y en a tant qui n'ont rien à faire avec la flagellation et qui par conséquent nous montrent clairement le caractère originel et purement psychique de l'instinct d'humiliation.
C'est avec raison que Binet (Revue anthropologique, XXIV, p. 256) qui a analysé à fond le cas de Rousseau, attire l'attention sur la signification masochiste de ce cas en disant:
«Ce qu'aime Rousseau dans les femmes, ce n'est pas seulement le sourcil froncé, la main levée, le regard sévère, l'attitude impérieuse, c'est aussi l'état émotionnel dont ces faits sont la traduction extérieure; il aime la femme fière, dédaigneuse, l'écrasant à ses pieds du poids de sa royale colère.»
L'explication de ce fait énigmatique de psychologie a été résolue par Binet par l'hypothèse qu'il s'agissait de fétichisme, à cette différence près que l'objectif du fétichisme, l'objet d'attrait individuel (le fétiche), ne doit pas toujours être une chose matérielle comme la main, le pied, mais qu'il peut être aussi une qualité intellectuelle. Il appelle ce genre d'enthousiasme «amour spiritualiste» en opposition avec l'«amour plastique», comme cela a lieu dans le fétichisme ordinaire.
Ces remarques sont intéressantes, mais elles ne font que donner un mot pour désigner un fait; elles n'en fournissent aucune explication. Est-il possible de trouver une explication de ce phénomène? C'est une question qui nous occupera plus loin.
Chez Baudelaire, un auteur français célèbre ou plutôt mal réputé et qui a fini dans l'aliénation mentale, on trouve des éléments de masochisme et de sadisme. Baudelaire est aussi issu d'une famille d'aliénés et d'exaltés. Il était dès son enfance physiquement anormal. Sa vita sexualis était certainement morbide. Il entretenait des liaisons amoureuses avec des personnes laides et répugnantes, des négresses, des naines, des géantes. Il exprima à une très belle femme le désir de la voir suspendue par les mains pour pouvoir baiser ses pieds. Cet enthousiasme pour le pied nu se montre aussi dans une de ses poésies enfiévrées comme un équivalent de la jouissance sexuelle. Il déclarait que les femmes sont des animaux qu'il faut enfermer, battre et bien nourrir. Cet homme qui avouait ses penchants masochistes et sadistes, a fini dans l'idiotie paralytique (Lombroso: L'homme de génie).
Dans les ouvrages scientifiques on n'a, jusqu'à ces temps derniers, prêté aucune attention aux faits qui constituent le masochisme. On doit rappeler cependant que Tarnowsky (Die krankhaften Erscheinungen des Geschlechtssinns, Berlin, 1866) a rencontré dans sa pratique des hommes intelligents, très heureux en ménage, qui de temps en temps éprouvaient le désir irrésistible de se soumettre aux traitements les plus brutaux et les plus cyniques, de se faire injurier et battre par des Cynèdes, des pédérastes actifs ou des prostituées.
À remarquer aussi le fait observé par Tarnowsky, que, chez certains individus adonnés à la flagellation passive, les coups seuls, quand même ils font saigner le corps, n'amènent pas toujours le succès désiré (puissance ou du moins éjaculation au moment de la flagellation). «Il faut alors déshabiller de force l'individu en question, lui ligoter les mains, l'attacher à un banc, etc.; pendant ces manœuvres, il fait semblant d'opposer une résistance et de proférer des injures. Seuls, dans ces conditions, les coups de fouet ou de verge produisent une excitation qui aboutit à l'éjaculation.»
L'ouvrage d'O. Zimmermann (Die Wonne des Leids, Leipzig, 1885) renferme bien des documents sur ce sujet, puisés dans l'histoire de la littérature et de la civilisation52.
Note 52: (retour)Il faut cependant bien séparer le masochisme de la thèse principale soutenue dans cet ouvrage, que l'amour contient toujours une part de douleur. De tout temps on a dépeint les langueurs de l'amour non partagé comme pleines de délices et de souffrances à la fois, et les poètes ont parlé des «tortures délicieuses» de la «volupté douloureuse». Il ne faut pas confondre cela avec les phénomènes du masochisme, ainsi que le fait Zimmermann. De même on ne peut comprendre dans cette catégorie les cas où l'on appelle cruelle l'amante qui ne veut pas se livrer. Toutefois, il est curieux de remarquer que Hamerling (Amor und Psyche, 4e chant), pour exprimer ce sentiment, a choisi des images tout à fait masochistes, telles que la flagellation, etc.
Plus récemment ce sujet a attiré l'attention.
A. Moll, dans son ouvrage «Les perversions de l'instinct génital» (édition française, Paris, Carré, 1893), cite une série de cas de masochisme qu'on a observés chez des individus atteints d'inversion sexuelle, entre autres le cas d'un masochiste à inversion sexuelle qui donne à un homme habitué à cela une instruction détaillée en vingt paragraphes pour se faire traiter en esclave et torturer.
Au mois de juin 1891, M. Dimitri von Stefanowsky, actuellement substitut du procureur impérial à Iaroslaw, en Russie, m'a dit que depuis trois ans déjà il a porté son attention sur ce phénomène de perversion de la vita sexualis que j'ai décrit sous le nom de masochisme, mais qu'il a désigné par le mot de «passivisme». Il y a un an et demi il a fait présenter par le professeur Kowalewsky de Charkow un travail sur ce sujet dans les Archives russes de psychiatrie, et, au mois de novembre 1888, il a fait à la Société juridique de Moscou une conférence sur ce sujet au point de vue juridique et psychologique (reproduite dans le Juridischen Boten, organe de la société en question).
V. Schrenk-Notring consacre, dans son ouvrage récemment paru (Die suggestions-therapie bei krankhaften erscheinungen des geschlechtssinnes, etc., Stuttgart, 1892), au masochisme ainsi qu'au sadisme quelques chapitres et cite plusieurs observations53.
Note 53: (retour)Dans la littérature nouvelle, dans les romans et les contes, la perversion psycho-sexuelle qui fait le sujet de ce chapitre, a été traitée par Sacher-Masoch, dont les écrits, plusieurs fois cités, contiennent des descriptions de l'état d'âme morbide de ces individus. Beaucoup de gens atteints de cette perversion signalent les ouvrages de Sacher-Masoch comme une description typique de leur propre état psychique.
Zola a, dans sa Nana, une scène masochiste, de même que dans Eugène Rougon. Le décadentisme littéraire, plus moderne, en France et en Allemagne, s'occupe beaucoup de masochisme et de sadisme. Le roman moderne russe, s'il faut en croire Stefanowski, traite aussi ce sujet; mais, d'après les communications du voyageur Johann-Georg Forster (en 1751-94), cet état jouait déjà un rôle dans la chanson populaire russe.
B.—FÉTICHISME DU PIED ET DES CHAUSSURES. MASOCHISME LARVÉ
Au groupe des masochistes se rattache celui des fétichistes du pied et des chaussures, dont on compte des exemples nombreux. Ce groupe forme une transition avec les phénomènes d'une autre perversion distincte, le fétichisme, mais il est plus près du masochisme que du fétichisme, voilà pourquoi nous l'avons fait rentrer dans celui-là.
Par fétichistes j'entends des individus dont l'intérêt sexuel se concentre exclusivement sur une partie déterminée du corps de la femme ou sur certaines parties du vêtement féminin.
Une des formes les plus fréquentes du fétichisme consiste dans ce fait que le pied ou le soulier de la femme sont le fétiche qui devient l'unique objet des sentiments et des penchants sexuels.
Or il est fort probable, et cela ressort déjà de la classification logique des cas observés, que la plupart des cas de fétichisme des chaussures, peut-être tous, ont pour base un instinct d'humiliation masochiste plus ou moins conscient.
Déjà, dans le cas de Hammond (observation 52), le plaisir d'un masochiste consiste à se faire piétiner sur le corps. Les individus des observations 44 et 48 se laissent aussi fouler aux pieds; celui de l'observation 58, equus eroticus, est en extase devant le pied de la femme, et ainsi de suite. Dans la plupart des cas de masochisme, être foulé aux pieds est la principale forme expressive de la condition de servitude54.
Parmi les nombreux cas précis de fétichisme des souliers, le cas suivant, rapporté par le docteur A. Moll, de Berlin, est particulièrement apte à montrer la connexité qui existe entre le masochisme et le fétichisme des souliers.
Ce cas offre beaucoup d'analogies avec celui que nous présente Hammond, mais il est relaté avec plus de détails et d'ailleurs très minutieusement observé.
Observation 59.—O. L..., trente et un ans, comptable dans une ville wurtembergeoise, issu d'une famille tarée.
Le malade est un homme de grande taille, fort, avec l'aspect d'une santé florissante. En général il est d'un tempérament calme; mais, dans certaines circonstances, il peut devenir très violent. Il dit lui-même qu'il est querelleur et chicaneur. L... est d'un bon caractère, généreux; pour la moindre raison il se sent porté à pleurer. À l'école, il passait pour un élève de talent, avec un don d'assimilation facile. Le malade souffre de temps en temps de congestions à la tête, mais pour le reste il se porte bien, si ce n'est qu'il se sent déprimé et souvent mélancolique, par suite de sa perversion sexuelle, dont on lira plus loin la description.
On n'a pu constater que fort peu de chose sur ses antécédents héréditaires.
Le malade donne sur le développement de sa vie sexuelle les renseignements suivants.
Dès sa première jeunesse, quand il n'avait que huit ou neuf ans, il souhaitait être chien et lécher les bottes de son maître d'école. Il croit qu'il est possible que cette idée lui ait été suggérée par le fait qu'il a vu un jour comment un chien léchait les bottes de quelqu'un; mais il ne peut l'affirmer formellement. En tout cas, ce qui lui paraît certain, c'est que les premières idées sur ce sujet lui sont venues pendant qu'il était à l'état de veille et non en rêve.
À partir de l'âge de dix ans et jusqu'à quatorze ans, L... cherchait toujours à toucher les bottines de ses camarades et même celles des petites filles; mais il ne choisissait que des camarades dont les parents étaient riches ou nobles. Un de ses condisciples, fils d'un riche propriétaire, avait des bottes d'écuyer; L..., en l'absence de son camarade, prenait souvent ces bottes dans ses mains, se frappait avec sur le corps ou les pressait sur sa figure. L... fit de même avec les bottes élégantes d'un officier de dragons.
Après la puberté, le désir se porta exclusivement sur les chaussures de femmes. Entre autres, pendant la saison de patinage, le malade cherchait par tous les moyens l'occasion d'aider aux femmes et aux filles à attacher ou à ôter leurs patins; mais il ne choisissait que des femmes ou des filles riches et distinguées. Quand il passait dans la rue ou ailleurs, il ne faisait que guetter les bottines élégantes. Sa passion pour les chaussures allait si loin qu'il prenait le sable ou la crotte qu'elles avaient foulé et le mettait dans son porte-monnaie et quelquefois dans sa bouche. N'ayant encore que quatorze ans, L... allait au lupanar et fréquentait un café-concert uniquement pour s'exciter par la vue de bottes élégantes; les souliers avaient moins de prise sur lui; sur ses livres d'école et sur les murs des cabinets il dessinait toujours des bottes. Au théâtre, il ne regardait que les souliers des dames. L... suivait dans les rues et même sur des bateaux à vapeur, pendant des heures entières, les dames qui portaient des bottines élégantes; il songeait en même temps avec enchantement comment il pourrait arriver à toucher ces bottines. Cette prédilection particulière pour les bottines s'est conservée chez lui jusqu'à maintenant. L'idée de se laisser piétiner par des dames bottées ou de pouvoir baiser ces bottines procure à L... la plus grande volupté. Il s'arrête devant les magasins de chaussures, rien que pour contempler les bottines. C'est surtout la forme élégante de la bottine qui l'excite.
Le patient aime surtout les bottines boutonnées très haut ou lacées très haut, avec des talons très hauts; mais les bottines moins élégantes, même avec des talons bas, excitent le malade si la femme est très riche, de haute position, et surtout si elle est fière.
À l'âge de vingt ans, L... tenta le coït, mais ne put y réussir, «malgré les plus grands efforts», comme il le dit. Pendant sa tentative de coït, le malade ne songeait pas aux souliers, mais il avait essayé de s'exciter préalablement par la vue de chaussures; il prétend que sa trop grande excitation fut cause de son échec. Il a tenté jusqu'ici le coït quatre ou cinq fois, mais toujours en vain; dans une de ces tentatives, le malade, qui est déjà très à plaindre, a eu le malheur de contracter une lues. Je lui demandai comment il comprenait la suprême volupté; il me déclara: «Ma plus grande volupté, c'est de me coucher nu sur le parquet et de me laisser ensuite piétiner par des filles chaussées de bottines élégantes; bien entendu, cela n'est possible qu'au lupanar.» D'ailleurs, le malade prétend que, dans bien des «lupanars», on connaît bien ce genre de perversion sexuelle des hommes. La preuve que cette perversion n'est pas très rare, c'est que les puellæ appellent les hommes de ce genre les «clients aux bottes». Le malade a rarement exécuté l'acte tel qu'il serait pour lui le plus beau et le plus agréable. Il n'a jamais eu d'idées qui l'aient poussé au coït, du moins pas dans le sens d'une immissio penis in vaginam; il n'y pourrait trouver aucun plaisir. De plus, il a, avec le temps, pris peur du coït, ce qui s'explique suffisamment par l'échec de ses tentatives; il dit lui-même que le fait de ne pouvoir achever le coït l'a toujours gêné. Le malade n'a jamais pratiqué l'onanisme proprement dit. Sauf les quelques cas où il a satisfait son penchant sexuel par l'onanisme avec des bottines ou par des pratiques analogues, il ne connaît pas ce genre de satisfaction, car, dans son excitation provoquée par les bottines, il s'en tient aux érections, et c'est tout au plus si, parfois, il a un écoulement lent et faible d'un liquide qu'il croit être du sperme.
L'aspect d'un soulier seul et d'un soulier qui n'est porté par personne excite aussi le malade, mais pas dans la même mesure que le soulier porté par une femme. Des souliers tout neufs et qui n'ont pas encore été portés l'excitent beaucoup moins que les souliers qui ont été déjà portés, mais qui ne sont pas usés et ont encore l'aspect neuf. C'est ce genre de souliers qui excite le plus le malade.
Le malade est aussi excité par les bottines de dames quand elles ne sont pas portées. Dans ce cas, L... se représente la dame pour compléter l'image; il presse la bottine contre ses lèvres et son pénis. L... «mourrait de plaisir» si une femme, honnête et fière, piétinait sur lui avec ses souliers.
Abstraction faite des qualités citées plus haut, telles que fierté, richesse, distinction qui, jointes à l'élégance de la bottine, offrent un charme particulier, le malade n'est pas insensible non plus aux qualités physiques du sexe féminin. Il a de l'enthousiasme pour les belles femmes, même sans penser aux bottines; mais cette affection ne vise aucune satisfaction sexuelle. Même dans leurs relations avec l'idée des bottines, les charmes physiques jouent un rôle; une femme laide et vieille ne saurait l'exciter, eût-elle les bottines les plus élégantes; les autres parties de la toilette et d'autres conditions encore jouent un rôle important, ce qui ressort déjà du fait que ce sont les bottines élégantes, portées par des femmes de distinction, qui produisent un effet particulièrement émotionnel sur lui. Une servante grossière, dans sa tenue de travail, ne l'exciterait pas, quand même elle serait chaussée des bottines les plus élégantes.
À l'heure qu'il est, ni les souliers, ni les bottines d'hommes ne produisent plus aucun charme sur le malade; il ne se sent pas non plus attiré sexuellement vers les hommes.
Par contre, d'autres circonstances provoquent très facilement une érection chez lui. Si un enfant s'assied sur ses genoux, s'il pose la main pendant quelque temps sur un chien ou sur un cheval, s'il est en chemin de fer ou s'il se promène à cheval, il se produit chez lui des érections qu'il attribue, dans ces derniers cas, aux mouvements du corps.
Chaque matin, il a des érections, et il est capable d'en provoquer en très peu de temps rien qu'en pensant qu'il touche des bottes comme il les désire. Autrefois, il avait souvent des pollutions nocturnes, environ toutes les trois ou quatre semaines, tandis que maintenant elles sont plus rares et n'ont lieu que tous les trois ou quatre mois.
Dans ses rêves érotiques, le malade est toujours excité sexuellement par la même pensée qui l'excite à l'état de veille. Depuis quelque temps, il croit sentir un écoulement de sperme au moment de ses érections; mais il n'en conclut ainsi que parce qu'il sent quelque chose de mouillé au bout de son pénis.
Toute lecture qui touche de près à la sphère sexuelle du malade l'excite d'une manière générale; ainsi, en lisant La Vénus à la fourrure, de Sacher-Masoch, il est si excité que «le sperme ne fait que filer».
D'ailleurs, cette sorte d'écoulement constitue pour L... une satisfaction complète de son instinct sexuel.
Je le questionnai pour savoir si les coups qu'il recevrait d'une femme l'exciteraient; il crut devoir répondre par l'affirmative. Il est vrai qu'il n'a jamais fait une expérience dans ce sens; mais quand une femme lui donnait, par plaisanterie, quelques coups, cela lui produisait toujours une impression très agréable.
Le malade éprouverait surtout un grand plaisir si une femme, même déchaussée, lui donnait des coups de pied. Mais il ne croit pas que les coups par eux-mêmes produiraient l'excitation: c'est plutôt l'idée d'être maltraité par la femme, ce qui peut se faire aussi bien par des injures que par des voies de fait. Du reste les coups et les injures n'auraient d'effet que s'ils venaient d'une femme orgueilleuse et distinguée.
En général, c'est le sentiment de l'humiliation et du dévouement de caniche qui lui procure de la volupté. «Si, dit-il, une dame m'ordonnait de l'attendre même par le froid le plus rigoureux, j'éprouverais, malgré la rigueur de la saison, une grande volupté.»
Je lui demandai si, en voyant la bottine, il était saisi d'un sentiment d'humiliation, il me répondit: Je crois que cette passion générale de l'humiliation s'est concentrée spécialement sur les bottines de dames, parce qu'on dit, sous forme symbolique, qu'une personne «n'est pas digne de délier les cordons des souliers d'une autre», et qu'un subordonné doit être à genoux.
Les bas de la femme exercent aussi un effet excitant sur le malade, mais à un degré moindre, et peut-être uniquement parce qu'ils évoquent l'idée de la bottine. La passion pour les bottines de dames a augmenté de plus en plus, et ce n'est que dans ces dernières années qu'il a cru s'apercevoir d'une diminution de cette passion. Il ne va plus que rarement chez les filles publiques; en outre, il est capable de se retenir. Pourtant cette passion le domine encore entièrement, et lui gâte tout autre plaisir. Une belle bottine de dame détournerait ses regards du plus beau des paysages. Actuellement il va souvent, pendant la nuit, dans les couloirs d'un hôtel, prend des bottines de dames élégantes qu'il baise, qu'il presse contre sa figure, mais surtout contre son pénis.
Le malade, qui a une belle situation matérielle, a fait, il y a quelque temps, un voyage en Italie dans l'unique but de devenir, sans se faire connaître, le valet d'une femme riche et de haute position. Ce projet n'a pas réussi.
Il est venu à la consultation et n'a pas suivi de traitement médical jusqu'ici.
Le récit de cette maladie que nous venons de reproduire, s'étend jusqu'à une période récente, pendant laquelle L... m'a donné par correspondance des renseignements sur son état de santé.
L'histoire qu'on vient de lire, se passe de longs commentaires. Elle me paraît une des images les plus exactes de la maladie; elle est de nature à éclaircir l'affinité supposée par Krafft-Ebing entre le fétichisme des chaussures et le masochisme55.
Note 55: (retour)Le docteur Moll (op. cit., p. 130) fait cependant remarquer, contre cette manière de voir, dans le fétichisme du pied et des chaussures un phénomène de masochisme parfois latent et inexplicable: que le fétichiste préfère souvent des bottines à hauts talons, des chaussures d'une forme particulière, tantôt celles à boutons, tantôt les vernies. Contre cette objection il faut remarquer d'abord que les hauts talons caractérisent la bottine de la femme et qu'ensuite le fétichiste, abstraction faite du caractère sexuel de son penchant, a l'habitude d'exiger de son fétiche certaines particularités de nature esthétique. Comparez plus loin, Observation 90.
Le principal plaisir pour le malade c'est, comme il l'a déclaré toujours et sans que par des questions on lui ait suggéré sa réponse, la soumission à la femme qui doit être placée bien au-dessus de lui et par sa fierté et par sa grande position sociale.
Nombreux sont les cas où, dans les limites de la sphère des idées masochistes complètement développées, le pied, la bottine ou la botte d'une femme, considérés comme instruments d'humiliation, deviennent l'objet d'un intérêt sexuel tout à fait particulier. Dans leurs gradations nombreuses qu'on peut facilement suivre, ils représentent la transition bien reconnaissable vers d'autres cas dans lesquels les penchants masochistes sont de plus en plus relégués au second rang et peu à peu échappent à la conscience, tandis que l'intérêt pour le soulier de la femme reste vivace dans la conscience et présente un penchant en apparence inexplicable. Ce sont de nombreux cas de fétichisme de la chaussure.
Les adorateurs si nombreux des souliers qui, comme tous les fétichistes, offrent aussi quelque intérêt au point de vue médico-légal (vol de chaussures), forment la limite entre le masochisme et le fétichisme.
On peut les considérer pour la plus grande partie ou même tous comme des masochistes larvés avec mobile inconscient, chez qui le pied ou le soulier de la femme est arrivé à une importance par lui-même, comme fétiche masochiste.
À ce propos nous allons citer encore deux cas dans lesquels les chaussures de la femme forment le centre de l'intérêt, il est vrai, mais où pourtant des penchants masochistes manifestes jouent encore un rôle important (Comparez observation 44).
Observation 60.—M. X..., vingt-cinq ans, né de parents sains, n'ayant jamais eu de maladies sérieuses, met à ma disposition l'autobiographie suivante.
À l'âge de dix ans, j'ai commencé à me masturber, mais sans idée voluptueuse. À cette époque déjà, je le sais pertinemment, la vue et l'attouchement des bottines de femmes élégantes avaient pour moi un charme particulier; aussi mon plus vif désir était de pouvoir me chausser de semblables bottines, désir que je réalisais à l'occasion des mascarades. Il y avait encore une autre idée qui me tourmentait: mon idéal était de me voir dans une situation humble; j'aurais voulu être esclave, battu, bref subir tout à fait les traitements qu'on trouve décrits dans les nombreuses histoires d'esclaves. Je ne saurais dire si ce désir s'est éveillé en moi spontanément ou s'il m'a été inspiré à la suite de la lecture d'histoires d'esclaves.
À l'âge de treize ans, je suis entré en puberté; avec les éjaculations qui se produisaient, mes sensations de volupté s'accrurent, et je me masturbai plus fréquemment, souvent deux ou trois fois par jour.
Dès l'âge de douze ans jusqu'à seize ans, je me figurais toujours, pendant l'acte de la masturbation, qu'on me forçait de porter des bottines de fille. La vue d'une bottine élégante au pied d'une fille un tant soit peu belle me grisait, et je reniflais avec avidité l'odeur du cuir. Afin de pouvoir sentir du cuir pendant l'acte de la masturbation, je m'achetai des manchettes en cuir que je reniflais en me masturbant. Mon enthousiasme pour les bottines de femme en cuir est encore le même aujourd'hui, seulement, depuis l'âge de dix-sept ans, il s'y mêle aussi le désir d'être valet, de cirer des bottines de femmes distinguées, d'être obligé de les aider à se chausser et à se déchausser.
Mes rêves nocturnes ne me montrent que des scènes où les bottines jouent un certain rôle: tantôt je suis couché aux pieds d'une dame pour renifler et lécher ses bottines.
Depuis un an, j'ai renoncé à l'onanisme et je vais ad puellas; le coït ne peut avoir lieu que lorsque je concentre ma pensée sur des bottines de dame à boutons; à l'occasion, je prends le soulier de la puella dans le lit. Je n'ai jamais eu de malaises à la suite de mes actes d'onanisme d'autrefois. J'apprends avec facilité, j'ai une bonne mémoire et jamais de ma vie je n'ai eu de maux de tête. Voilà tout ce qui concerne ma personne.
Encore quelques mots concernant mon frère. J'ai la ferme conviction que, lui aussi, il est fétichiste du soulier; parmi les nombreux faits qui me le prouvent je ne relève que le suivant: il éprouve un immense plaisir à se laisser piétiner sur le corps par une belle cousine. D'ailleurs je me fais fort de dire d'un homme qui s'arrête devant un magasin de chaussures pour regarder les marchandises, si c'est un «amant des souliers» ou non. Cette anomalie est très fréquente; quand, en compagnie de camarades, j'amène la conversation sur la question de savoir qu'est-ce qui excite le plus chez la femme, j'entends très souvent déclarer que c'est plutôt la femme habillée que la femme nue; mais chacun se garde bien de nommer son fétiche spécial.
Je suppose aussi qu'un de mes oncles est fétichiste du soulier.
Observation 61 (Rapportée par Mantegazza dans ses Études anthropologiques).—X..., américain, de bonne famille, bien constitué au point de vue physique et moral, n'était, depuis l'âge de la puberté, excité que par des souliers de femme. Le corps de la femme et même le pied nu ou seulement chaussé d'un bas ne lui faisaient aucune impression, mais le pied chaussé d'un soulier ou même le soulier seul lui causaient des érections et même des éjaculations. Il lui suffisait seulement de voir des bottes élégantes, c'est-à-dire des bottines de cuir noir boutonnées sur le côté, et avec de hauts talons. Son instinct génital était puissamment excité lorsqu'il touchait ou embrassait ces bottines ou bien qu'il s'en chaussait. Son plaisir augmente quand il peut planter des clous dans les talons, de façon à ce qu'en marchant les pointes des clous s'enfoncent dans sa chair. Il en éprouve des douleurs épouvantables mais en même temps une véritable volupté. Son suprême plaisir est de se mettre à genoux devant les beaux pieds d'une dame élégamment chaussée et de se laisser fouler par ces pieds. Si la porteuse de ces souliers est une femme laide, les chaussures ne produisent pas d'effet et l'imagination du malade se refroidit. S'il n'a à sa disposition que des souliers, il arrive par son imagination à y rattacher une belle femme et alors l'éjaculation se produit. Ses rêves nocturnes n'ont pour objet que des bottines de belles femmes. La vue des souliers de femmes dans les étalages choque le malade comme quelque chose de contraire à la morale, tandis qu'une conversation sur la nature de la femme lui paraît inoffensive et inepte. À plusieurs reprises, il a tenté le coït, mais sans succès. Il n'arrivait jamais à l'éjaculation.
Dans le cas suivant, l'élément masochiste est encore assez distinct, mais à côté il y a aussi des velléités sadistes (Comparez plus haut les tortureurs de bêtes).
Observation 62.—Jeune homme vigoureux, vingt-six ans. Ce qui l'excite sensuellement dans le beau sexe, ce sont uniquement des bottines élégantes aux pieds d'une femme bien «chic», surtout quand les bottines sont de cuir noir avec un talon très haut. La bottine sans la porteuse lui suffit. C'est sa suprême volupté de voir la bottine, de la palper et de l'embrasser. Le pied nu d'une dame ou seulement chaussé d'un bas le laisse absolument froid. Depuis son enfance il a un faible pour les bottines de dames. X... est puissant; pendant l'acte sexuel, il faut que la personne soit élégamment mise et qu'elle ait avant tout de belles bottines. Arrivé à l'apogée de l'émotion voluptueuse, des idées cruelles se mêlent à son admiration des bottines. Il faut qu'il pense avec délice aux douleurs d'agonie qu'a souffert l'animal dont la peau a fourni la matière des bottines. De temps en temps, il se sent poussé à apporter des poules et d'autres animaux vivants chez la Phryné pour que celle-ci les écrase de ses élégantes bottines et lui procure ainsi une plus grande volupté. Il appelle ce procédé «sacrifier aux pieds de Vénus». D'autres fois, la femme chaussée est obligée de le piétiner; plus elle l'écrase, plus il éprouve de plaisir.
Jusqu'à il y a un an, il se contentait, comme il ne trouvait aucun charme à la femme même, de caresser des bottines de femmes de son goût, et, au milieu de ces caresses, il avait des éjaculations et une satisfaction complète (Lombroso, Archiv. di psichiatria, IX, fascic. 3).
Le cas suivant rappelle en partie le troisième de cette série par l'intérêt que le malade attache aux clous des souliers (comme causes de douleur) et en partie le quatrième cas en ce qui concerne les éléments sadiques qui se font discrètement sentir.
Observation 63.—X..., trente-quatre ans, marié, issu de parents névropathiques; dons son enfance, a souffert de convulsions graves; étonnamment précoce (à l'âge de trois ans il savait déjà lire!), mais développé dans une seule direction, nerveux dès sa première enfance; a été saisi à l'âge de sept ans du violent désir de s'occuper de souliers de femmes ou plutôt des clous de ces souliers. Les voir, mais plus encore les toucher et les compter, procurait à X... un plaisir indescriptible.
Pendant la nuit, il lui fallait se figurer comment ses cousines se font prendre mesures pour des bottines, comment il clouait à l'une d'elles un fer à cheval ou lui coupait les pieds.
Avec le temps, ces scènes de souliers ont pris empire sur lui pendant la journée, et sans grande peine elles provoquaient des érections et des éjaculations. Souvent il prenait des souliers de femmes demeurant dans le même appartement; il lui suffisait de les toucher avec son pénis pour avoir une éjaculation. Pendant quelque temps, alors qu'il était étudiant, il réussit à refouler ces idées. Mais il vint un temps ou il se sentit forcé de guetter ne fût-ce que le bruit des pas féminins sur le pavé des rues, ce qui le faisait frémir de volupté, de même que de voir planter des clous dans des bottines de femmes, ou de voir des chaussures de femmes étalées dans les vitrines des magasins. Il se maria, et, dans les premiers mois de son mariage, il n'eut pas de ces impulsions. Peu à peu, il devint hystérique et neurasthénique.
À cette période, il avait des accès hystériques aussitôt qu'un cordonnier lui parlait de clous de souliers de dames ou de l'acte de clouer les talons des souliers de femmes. La réaction était encore plus violente quand il voyait une belle femme avec des souliers à gros clous. Pour avoir des éjaculations, il lui suffisait de découper en carton des talons de souliers de dames et d'y planter des clous, ou bien il achetait des souliers de dames, y faisait mettre des clous dans un magasin, les traînait sur le parquet, chez lui, et enfin les touchait avec le bout de son pénis. Mais spontanément aussi il lui venait des images voluptueuses de souliers, et au milieu de ces scènes il se satisfaisait par la masturbation.
X... est assez intelligent, zélé dans son emploi, mais il lutte en vain contre sa perversion. Il est atteint de phimosis; le pénis est court et incurvé à sa base, très peu apte à l'érection. Un jour le malade se laissa aller à se masturber en présence d'une dame arrêtée devant la boutique d'un cordonnier; il fut arrêté comme criminel. (Blanche, Archives de neurologie, 1882, nº 22.)
Il faut encore rappeler à ce propos le cas (cité plus loin, observation 111) d'un individu atteint d'inversion sexuelle et dont la sexualité n'était préoccupée que de bottines de domestiques masculins. Il aurait voulu se laisser piétiner sur le corps par eux, etc.
Un élément masochiste se manifeste encore dans le cas suivant.
Observation 64 (Dr Pascal, Igiene del' amore).—X..., négociant, a périodiquement, surtout quand il fait mauvais temps, les désirs suivants. Il aborde une prostituée, la première venue, et la prie de venir avec lui chez un cordonnier où il lui achète une belle paire de bottines vernies, à la condition qu'elle s'en chausse immédiatement. Cela fait, la femme doit traverser les rues, autant que possible dans les endroits les plus sales et les ruisseaux pour bien crotter les bottines. Puis, X... conduit la personne dans un hôtel et, à peine enfermé avec elle dans la chambre, il se précipite sur ses pieds, y frotte ses lèvres, ce qui lui procure un plaisir extraordinaire. Après avoir nettoyé les bottines de cette façon, il fait un cadeau en argent à la femme et s'en va.
De tous ces cas il ressort que le soulier est un fétiche chez le masochiste, évidemment en raison des rapports qui existent entre l'image du pied chaussé de la femme et l'idée d'être piétiné et humilié.
Si donc, dans d'autres cas de fétichisme du soulier, la bottine de la femme se montre comme seul excitant des désirs sexuels, on peut supposer qu'alors les mobiles masochistes sont restés à l'état latent. L'idée d'être foulé aux pieds, reste dans les profondeurs du domaine de l'inconscient, et c'est l'idée seule du soulier, en tant que moyen pour réaliser ces actes, qui surgit dans la conscience. Ainsi s'expliquent bien des cas qui autrement resteraient tout à fait inexplicables.
Il s'agit là d'un masochisme larvé dont le mobile pourrait paraître inconscient, sauf dans le cas exceptionnel où il est établi que son origine est due à une association d'idées provoquée par un incident précis dans le passé du malade, ainsi qu'on le verra dans les observations 87 et 88.
Ces cas de penchant sexuel pour les souliers de femme, sans motif conscient et sans qu'on en ait pu établir la cause ni l'origine, sont très nombreux56. Nous citerons comme exemples les trois faits suivants.
Observation 65.—Ecclésiastique, cinquante ans. Il se montre de temps en temps dans des maisons de prostituées, sous prétexte de louer une chambre dans ces maisons; il entre en conversation avec une puella, lance des regards de convoitise vers les souliers de la femme, lui en ôte un, osculatur et mordet caligam libidine captus; ad genitalia denique caligam premit, ejaculat semen semineque ejaculato axillas pectusque terit, revient de son extase voluptueuse, demande à la propriétaire du soulier la faveur de le garder quelques jours et le rapporte avec mille remerciements après le délai fixé. (Cantarano, La Psichiatria, V. p. 205.)
Observation 66.—Z..., étudiant, vingt-trois ans, issu d'une famille tarée: la sœur était mélancolique, le frère souffrait d'hysteria virilis. Le malade fut, dès sa première enfance, un être étrange, a souvent des malaises hypocondriaques. En lui donnant une consultation pour une «maladie de l'esprit», je trouve chez lui un homme à l'intelligence embrouillée, taré, présentant des symptômes neurasthéniques et hypocondriaques. Mes soupçons de masturbation se confirment. Le malade fait des révélations très intéressantes sur sa vita sexualis.
À l'âge de dix ans, il s'est senti vivement attiré par le pied d'un camarade. À l'âge de douze ans, il a commencé à s'enthousiasmer pour les pieds de femmes. C'était pour lui un plaisir délicieux de les voir. À l'âge de quatorze ans, il commença à pratiquer l'onanisme, en se représentant dans son imagination un très beau pied de femme. À partir de ce moment, il s'extasiait devant les pieds de sa sœur qui avait trois ans de plus que lui. Les pieds d'autres dames, en tant que celles-ci lui étaient sympathiques, l'excitaient sexuellement. Chez la femme, il n'y a que le pied qui l'intéresse. L'idée d'un rapport sexuel avec une femme lui fait horreur. Il n'a jamais essayé de faire le coït. À partir de douze ans, il n'éprouve plus aucun intérêt pour le pied masculin.
La forme de la chaussure du pied féminin lui est indifférente; ce qui est important, c'est que la personne lui soit sympathique. L'idée de jouir des pieds de prostituées lui inspire du dégoût. Depuis des années, il est amoureux des pieds de sa sœur. Rien qu'en voyant ses souliers, sa sensualité se trouve violemment excitée. Une accolade, un baiser de sa sœur ne produisent pas cet effet. Son suprême bonheur est de pouvoir enlacer le pied d'une femme sympathique et d'y poser ses lèvres. Souvent il fut tenté de toucher avec son pénis un des souliers de sa sœur; mais jusqu'ici il a su réprimer ce désir, d'autant plus que, depuis deux ans, sa faiblesse génitale étant très grande, l'aspect d'un pied suffit pour le faire éjaculer.
On apprend par son entourage que le «malade» a une «admiration ridicule» pour les pieds de sa sœur, de sorte que celle-ci l'évite et tâche toujours de lui cacher ses pieds. Le malade sent lui-même que son penchant sexuel pervers est morbide, et il est péniblement impressionné de ce que ses fantaisies malpropres aient précisément choisi comme objet le pied de sa propre sœur. Autant qu'il lui est possible, il évite les occasions et cherche à se compenser par la masturbation au cours de laquelle il a toujours présents dans son imagination des pieds de femmes, ainsi que dans ses pollutions nocturnes. Quand le désir devient trop violent, il ne peut plus résister à l'envie de voir les pieds de sa sœur.
Immédiatement après l'éjaculation, il est pris d'un vif dépit d'avoir été trop faible. Son affection pour le pied de sa sœur lui a valu bien des nuits blanches. Il s'étonne souvent qu'il puisse toujours continuer à aimer sa sœur. Bien qu'il trouve juste que sa sœur cache ses pieds devant lui, il en est souvent irrité, car cela l'empêche d'avoir sa pollution. Le malade insiste sur le fait qu'autrement il est d'une bonne moralité, ce qui est confirmé par son entourage.
Observation 67.—S..., de New-York, est accusé de vols commis sur la voie publique. Dans son ascendance, il y a de nombreux cas de folie; le frère et la sœur de son père sont également anormaux au point de vue intellectuel. À l'âge de sept ans, il eut deux fois un violent ébranlement du cerveau. À l'âge de treize ans, il est tombé d'un balcon. À l'âge de quatorze ans, S... eut de violents maux de tête. Au moment de ces accès, ou du moins immédiatement après, il se manifestait en lui un penchant étrange à voler un soulier, jamais une paire, appartenant aux membres féminins de sa famille, et de le cacher dans un coin. Quand on lui fait des reproches, il nie ou il prétend ne plus se rappeler cette affaire. L'envie de prendre des souliers lui vient périodiquement tous les trois ou quatre mois. Une fois il a essayé de dérober un soulier au pied d'une bonne; une autre fois il a enlevé un soulier de la chambre de sa sœur. Au printemps, il a déchaussé par force deux dames qui se promenaient dans la rue et leur a pris leurs souliers. Au mois d'août, S... quitta de bon matin son logement pour aller travailler dans l'atelier d'imprimerie où il était employé comme typographe.
Un moment après son départ, il arracha à une fille, dans la rue, un soulier, se sauva avec, et courut à son atelier où on l'arrêta pour vol.
Il prétend ne pas savoir grand'chose sur son action; à la vue du soulier, il lui vient, comme un éclair subit, l'idée qu'il en a besoin. Dans quel but? Il n'en sait rien. Il a agi avec absence d'esprit. Le soulier se trouvait, comme il l'avoua, dans une poche de son veston. En prison il était dans un tel état de surexcitation mentale qu'on craignit un accès de folie. Remis en liberté, il enleva encore les souliers de sa femme pendant qu'elle dormait. Son caractère moral, son genre de vie étaient irréprochables. C'était un ouvrier intelligent; seulement les occupations variées qui se suivaient trop rapidement le troublaient et le rendaient incapable de travailler. Il fut acquitté. (Nichols, Americ J. J., 1859; Beck, Medical jurisprud., 1860, vol. 1, p. 732.)
Le Dr Pascal (op. cit.) a cité encore quelques observations analogues et beaucoup d'autres m'ont été communiquées par des collègues et des malades.
C.—ACTES MALPROPRES COMMIS DANS LE BUT DE S'HUMILIER ET DE SE PROCURER UNE SATISFACTION SEXUELLE.—MASOCHISME LARVÉ
On a constaté de nombreux exemples d'hommes pervers dont l'excitation sexuelle, était produite par les sécrétions ou même par les excréments des femmes, qu'ils cherchent à toucher.
Ces cas ont probablement toujours comme base un penchant obscur au masochisme, avec recherche de la plus basse humiliation de soi-même et efforts pour y arriver.
Cette corrélation se dégage nettement des aveux faits par des personnes atteintes de cette hideuse perversion. L'observation qu'on va lire plus loin et qui concerne un individu atteint d'inversion sexuelle, est très instructive sous ce rapport.
Le sujet de cette observation ne s'extasie pas seulement à l'idée d'être l'esclave de l'homme aimé, invoquant pour cela le roman La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch, sed etiam sibi fingit amatum poscere ut crepidas sudore diffluentes olfaciat ejusque stercore vescatur. Deinde narrat, quia non habeat, quæ confingat et exoptet, eorum loco suas crepidas sudore infectas olfacere suoque stercore vesci, inter quæ facta pene erecto se voluptate perturbari semenque ejaculari.
La signification masochiste des actes dégoûtants existe encore clairement dans le cas suivant qu'un collègue m'a communiqué.
Observation 68.—H.-R. G..., propriétaire, major en retraite, qui est mort à l'âge de soixante ans, est issu d'une famille où la légèreté, les dettes et le relâchement des idées éthiques sont héréditaires. Dès sa jeunesse, il s'adonna aux débauches les plus folles. Il était connu comme organisateur «des bals de nu». D'un caractère brutal et cynique, mais sévère et exact dans son service militaire qu'il a dû quitter pour une affaire malpropre qui n'a jamais été divulguée, il vécut en particulier pendant dix-sept ans. Insouciant de l'administration de sa fortune, il s'introduisait partout comme viveur; mais on l'évitait à cause de sa lascivité. Malgré sa brusquerie, on lui fit sentir qu'il était mis au ban de la bonne société. Voilà ce qui le décida à fréquenter ensuite de préférence le monde commun des cochers, des ouvriers et le «zinc» des cabarets. On n'a pu établir s'il avait des rapports sexuels avec des hommes; mais il est bien certain que, même à un âge avancé, il organisait avec un monde très mélangé des symposies, et, jusqu'à la fin de ses jours, il garda la réputation d'un débauché.
Dans les dernières années de sa vie, il avait pris l'habitude de stationner le soir, près des maisons en construction; il choisissait, parmi les ouvriers qui quittaient le bâtiment, les plus sales et les invitait à l'accompagner.
Il est bien établi qu'il faisait déshabiller ces journaliers, qu'il leur suçait ensuite l'orteil, et que, par ce procédé, il réveillait son libido qu'il satisfaisait ensuite.
Cantarano a publié aussi dans La Psichiatria (V. Année, p. 207) une observation d'un individu qui, avant de pratiquer le coït, et pour la même raison, suçait et mordait l'orteil de la puella qui depuis longtemps n'avait pas été lavé.
J'ai connu plusieurs cas où en dehors d'autres actes masochistes (mauvais traitements, humiliations), les malades s'adonnaient à ces penchants dégoûtants, et les dépositions faites par ces individus mêmes ne laissent plus subsister aucun doute sur la signification de ces actes malpropres. De pareils faits nous aident à comprendre d'autres cas qui, si on ne les envisageait pas dans leurs associations avec le penchant masochiste à l'humiliation, deviendraient absolument inexplicables57.
Note 57: (retour)Il y a, dans ces cas, analogie avec les excès du délire religieux. L'extatique religieuse Antoinette Bouvignon de la Porte mélangeait sa nourriture avec des excréments afin de se mortifier (Zimmermann, op. cit., p. 124). Marie Alacoque, béatifiée depuis, léchait, pour sa mortification, les déjections des malades et suçait leurs orteils couverts de plaies.
Il est cependant vraisemblable que l'individu pervers n'a pas conscience de la vraie signification de ce penchant, et qu'il ne se rend compte que de son envie pour les choses dégoûtantes. Par conséquent, là aussi il y a masochisme larvé.
À cette catégorie de pervertis appartiennent d'autres cas observés par Cantarano (mictio et dans un autre cas même defæcatio puellæ ad linguam viri ante actum, usage d'aliments à odeur fécale pour être puissant), et enfin le cas suivant qui m'a été également communiqué par un médecin.
Observation 69.—Un prince russe très décrépit a fait déféquer sa maîtresse sur sa poitrine; elle dut s'accroupir au-dessus de lui en lui tournant le dos. De cette manière, il a pu réveiller les restes de son libido.
Un autre entretient très généreusement une maîtresse, à la condition qu'elle mange exclusivement du pain d'épice. Ut libidinosus fiat et ejaculare possit, excrementa feminæ ore excipit. Un médecin brésilien m'a raconté plusieurs cas de defæcatio feminæ in os viri qui sont parvenus à sa connaissance.
De pareils faits arrivent partout et ne sont pas rares. Toutes les sécrétions possibles, la salive, la mucosité nasale et même le cérumen des oreilles sont employés dans ce but et avalés avec avidité, oscula ad nates et même ad anum. (Le Dr Moll, op. cit., p. 135, rapporte des faits analogues chez les homosexuels). Le désir pervers très répandu de pratiquer le cunnilungus provient peut-être souvent de velléités masochistes.
Pelanda (Archivio di Psichiatria X, fascicolo 3-4) rapporte le fait suivant.
Observation 70.—W..., quarante-cinq ans, taré, était, dès l'âge de huit ans, adonné à la masturbation. A decimo sexto anno libidines suas bibendo recentem feminarum urinam satiavit. Tanta erat voluptas urinam bibentis ut nec aliquid olfaceret nec saperet, hæc faciens. Après l'avoir bu, il éprouvait toujours du dégoût, avait mal au cœur et se jurait de ne plus recommencer. Une seule fois il éprouva le même plaisir en buvant l'urine d'un garçon de neuf ans, avec lequel il s'était livré une fois à la fellatio. Le malade est atteint de délire épileptique.
Les faits cités dans ce groupe sont en parfaite opposition avec ceux du groupe des sadistes.
Il faut classer dans cette catégorie les faits plus anciens que Tardieu (Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, p. 206) avait déjà observés chez des individus séniles. Il décrit comme «renifleurs» ceux qui in secretos locos nimirum theatrorum posticos convenientes quo complures feminæ ad micturiendum festinant, per nares urinali odore excitati, illico se invicem polluunt.
Les «stercoraires» dont parle Taxil (La prostitution contemporaine) sont uniques dans ce genre.
Enfin, il faut encore donner place ici au fait suivant qui m'a été communiqué par un médecin.
Observation 71.—Un notaire, connu dans son entourage comme un original et un misanthrope depuis sa jeunesse et qui, pendant qu'il faisait ses études, était très adonné à l'onanisme, avait l'habitude, comme il le raconte lui-même, de stimuler ses désirs sexuels en prenant un certain nombre de feuilles de papier de latrine dont il s'était servi; il les étalait sur la couverture de son lit, les regardait et reniflait jusqu'à ce que l'érection se produisît, érection dont il se servait ensuite pour accomplir l'acte de la masturbation. Après sa mort, on a trouvé près de son lit un grand panier rempli de ces papiers. Sur chaque feuille, il avait soigneusement noté la date.
Il s'agit ici probablement d'une évocation imaginaire d'actes accomplis, comme dans les exemples précédents.
D.—LE MASOCHISME CHEZ LA FEMME
Chez la femme, la soumission volontaire à l'autre sexe est un phénomène physiologique. Par suite de son rôle passif dans l'acte de la procréation, par suite des mœurs des sociétés de tous les temps, chez la femme l'idée des rapports sexuels se rattache en général à l'idée de soumission. C'est pour ainsi dire le diapason qui règle la tonalité des sentiments féminins.
Celui qui connaît l'histoire de la civilisation sait dans quelle condition de soumission absolue la femme fut tenue de tout temps jusqu'à l'époque d'une civilisation relativement plus élevée58.
Note 58: (retour)Les livres de droit du commencement du moyen âge donnaient à l'homme le droit de tuer sa femme; ceux des périodes suivantes lui accordaient encore le droit de la châtier. On en a fait un ample usage, même dans les classes élevées (Comparez Schultze, Das hæfische Leben sur Zeit des Minnesangs, Bd I. p. 163 f.). À côté on trouve le paradoxal hommage rendu aux femmes du moyen âge.
Un observateur attentif de la vie sociale reconnaîtra facilement, aujourd'hui même, comment les coutumes de nombreuses générations jointes au rôle passif que la nature a attribué à la femme, ont développé dans le sexe féminin la tendance instinctive à se soumettre à la volonté de l'homme. Il remarquera aussi que les femmes trouvent inepte une accentuation trop forte de la galanterie usuelle, tandis qu'une nuance d'attitude impérieuse est accueillie avec un blâme hautement manifesté, mais souvent avec un plaisir secret59.
Note 59: (retour)Comparez les paroles de Lady Milford dans Kabale und Liebe de Schiller: «Nous autres femmes, nous ne pouvons choisir qu'entre la domination et la servitude; mais le plus grand bonheur du pouvoir n'est qu'un misérable pis-aller, si ce plus grand bonheur d'être esclaves d'un homme que nous aimons nous est refusé.» (Acte II, scène 1.)
Sous le vernis des mœurs de salon, l'instinct de la servitude de la femme est partout reconnaissable.
Ainsi il est tout indiqué de considérer le masochisme comme une excroissance pathologique des éléments psychiques, surtout chez la femme, comme une accentuation morbide de certains traits de son caractère sexuel psychique; il faut donc chercher son origine primitive dans le sexe féminin.
On peut admettre comme bien établi que le penchant à se soumettre à l'homme—(qu'on peut toutefois considérer comme une utile institution acquise et comme un phénomène qui s'est développé conformément à certains faits sociaux)—existe chez la femme, jusqu'à un certain point, comme un phénomène normal.
Que, dans ces circonstances, on n'arrive pas souvent à «la poésie» de l'hommage symbolique, cela tient en partie à ce que l'homme n'a pas la vanité du faible qui veut faire ostentation de son pouvoir (comme les dames du moyen âge en présence de leur cavalier servant), mais qu'il préfère en tirer un profit réel. Le barbare fait labourer ses champs par sa femme; le philistin de notre civilisation spécule sur la dot. La femme supporte volontiers ces deux états.
Il est probable qu'il y a chez les femmes des cas assez fréquents d'une accentuation pathologique de cet instinct dans le sens du masochisme, mais la manifestation en est réprimée par les conventions sociales. D'ailleurs, beaucoup de jeunes femmes aiment avant tout être à genoux devant leurs époux ou leurs amants. Chez tous les peuples slaves, dit-on, les femmes de basse classe s'estiment malheureuses quand elles ne sont pas battues par leurs maris.
Un correspondant hongrois m'assure que les paysannes du comitat de Somogy ne croient pas à l'amour de leur mari tant qu'elles n'ont pas reçu de lui une première gifle comme marque d'amour.
Il est difficile au médecin observateur d'apporter des documents humains sur le masochisme de la femme. Des résistances internes et externes, pudeur et convenances, opposent des obstacles presque insurmontables aux manifestations extérieures des penchants sexuels pervers de la femme.
De là vient qu'on n'a pu jusqu'ici constater scientifiquement qu'un seul cas de masochisme chez la femme; encore ce cas est entouré de circonstances accessoires qui le rendent obscur.
Observation 72.—Mlle V. X..., trente-cinq ans, née d'une famille très chargée, se trouve depuis quelques années dans la phase initiale d'une paranoia persecutoria. Cette maladie a eu pour cause une neurasthenia cerebrospinalis dont le point de départ doit être cherché dans une surexcitation sexuelle. Depuis l'âge de vingt-quatre ans, la malade était adonnée à l'onanisme. À la suite d'un espoir matrimonial déçu et d'une violente excitation sensuelle, elle en est venue à la masturbation et à l'onanisme psychique. Il n'y eut jamais chez elle d'affection pour des personnes de son propre sexe. Voici les dépositions de la malade: «À l'âge de six à huit ans, l'envie m'a prise d'être fouettée. Comme je n'ai jamais été battue et que je n'ai jamais assisté à la flagellation d'autrui, je ne peux pas m'expliquer comment ce désir étrange a pu se produire chez moi. Je ne peux que m'imaginer qu'il est congénital. J'éprouvais un véritable sentiment de délice à ces idées de flagellation et, dans mon imagination, je me représentais combien ce serait bon d'être fouettée par une amie. Jamais la fantaisie ne m'est venue de me laisser fouetter par un homme. Je jouissais à l'idée seule et n'ai jamais essayé de mettre à exécution mes fantaisies. À partir de l'âge de dix ans, j'ai perdu ces idées. Ce n'est qu'à l'âge de trente-quatre ans, lorsque j'eus lu les Confessions de Rousseau, que je compris ce que signifiait cette envie d'être flagellée, et qu'il s'agissait chez moi des mêmes idées morbides que chez Rousseau. Jamais, depuis l'âge de dix ans, je n'ai eu de pareilles tendances.»
Ce cas doit évidemment, par son caractère primitif ainsi que par l'évocation de Rousseau, être classé comme cas de masochisme. Que ce soit une amie qui, dans l'imagination, exerce le rôle de flagellant, cela s'explique simplement par le fait qu'ici les sentiments masochistes entrent dans la conscience d'une enfant avant que la vita sexualis soit développée et que le penchant pour l'homme se manifeste. L'inversion sexuelle est absente dans ce cas d'une façon absolue.