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Étude Médico-Légale: Psychopathia Sexualis: avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle

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L'autobiographie très précieuse pour la science qu'on vient de lire était accompagnée de la lettre suivante, qui ne manque pas non plus d'intérêt.


Je dois, tout d'abord, vous demander pardon de vous importuner par ma lettre; j'avais perdu tout appui et je me considérais comme un monstre qui m'inspirais du dégoût à moi-même. Alors la lecture de vos écrits m'a rempli d'un nouveau courage, et j'ai décidé d'aller au fond de la chose, de jeter un coup d'œil rétrospectif sur ma vie, quoi qu'il en arrive. Or, j'ai considéré comme un devoir de reconnaissance envers vous de vous communiquer le résultat de mes souvenirs et de mes observations, car je n'ai trouvé cité dans votre ouvrage aucun cas analogue au mien. Enfin j'ai pensé aussi qu'il pourrait vous intéresser d'apprendre par la plume d'un médecin quelles sont les pensées et les sensations d'un être humain masculin complètement manqué et se trouvant sous l'obsession d'être femme.

Peut-être tout cela ne s'accorde pas; mais je n'ai plus la force de faire d'autres réflexions, et je ne veux pas approfondir davantage cette matière. Bien des choses sont répétées, mais je vous prie de bien songer qu'on peut avoir des défaillances dans un rôle dont le déguisement vous a été imposé malgré vous.

J'espère, après avoir lu vos ouvrages, que, en continuant à remplir mes devoirs comme médecin, citoyen, père et époux, je pourrai toujours me compter au nombre de ceux qui ne méritent pas d'être méprisés entièrement.

Enfin j'ai tenu à vous présenter le résultat de mes souvenirs et de mes méditations, afin de prouver qu'on peut être médecin malgré la nature féminine de ses pensées et de ses sentiments. Je crois que c'est un grand tort de fermer à la femme la carrière médicale; une femme découvre, grâce à son instinct, les signes de certains maux que l'homme scruta dans l'obscurité, en dépit de tout diagnostic; en tout cas, il en est ainsi lorsqu'il s'agit de maladies de femmes et d'enfants. Si on pouvait le faire, chaque médecin devrait être forcé de faire un stage de trois mois comme femme; il comprendrait et estimerait alors mieux cette partie de l'humanité d'où il est sorti; il saurait alors apprécier la grandeur d'âme des femmes et, d'autre part, la dureté de leur sort.

Epicrise.—Le malade, très chargé, est originairement anormal au point de vue psycho-sexuel; car pendant l'acte sexuel il a une sensation féminine caractéristique. Cette sensation anormale demeura purement une anomalie psychique jusqu'à il y a trois ans, anomalie basée sur une neurasthénie grave, et puissamment accentuée par des sensations physiques dans le sens d'une transmutatio sexualis, sensations suggérées par obsession à sa conscience. Le malade, à sa grande frayeur, se sent alors aussi physiquement femme et, sous le coup de l'idée obsédante d'être femme, il croit éprouver une métamorphose complète de ses pensées, de ses sentiments et de ses aspirations d'autrefois, et même de sa vita sexualis dans le sens d'une éviration. Toutefois son «moi» est capable de conserver son empire sur ces processus morbides de l'âme et du corps, et de se sauver de la paranoia. Voilà un exemple remarquable de sensations, d'idées obsédantes basées sur des tares nerveuses, un cas d'une grande valeur pour arriver à étudier comment la transformation psycho-sexuelle a pu s'accomplir.

Quatrième degré. Métamorphose sexuelle paranoïque.

Le dernier degré possible dans le processus de la maladie est la monomanie de la métamorphose sexuelle. Elle se développe sur la base d'une neurasthénie sexuelle qui dégénère en neurasthenia universalis dans le sens d'une maladie psychique, la paranoia.

Les observations nous montrent le développement intéressant du processus névrotico-psychologique jusqu'à son point culminant.


Observation 100.—K..., trente-six ans, célibataire, domestique agricole, reçu à la clinique le 20 février 1889, présente un cas typique de neurasthenia sexualis, dégénérée en paranoïa persecutoria avec hallucinations olfactives, sensations, etc.

Il est issu d'une famille chargée. Plusieurs de ses sœurs et frères étaient psychopathes. Le malade a un crâne hydrocéphale, enfoncé au niveau de la fontanelle droite; l'œil est névropathique. De tout temps, le malade eut de grands besoins sexuels; il s'est adonné à l'âge de onze ans à la masturbation; il a fait le coït à l'âge de vingt-trois ans; il a procréé trois enfants illégitimes et a cessé ensuite tout rapport sexuel de peur de faire encore des enfants et d'être trop chargé de pensions alimentaires. L'abstinence lui était très pénible; il renonça aussi à la masturbation et eut à la suite des pollutions abondantes. Il y a un an et demi, il est devenu sexuellement neurasthénique; il avait alors aussi des pollutions diurnes; il fut très affaibli et déprimé; cet état de choses durant, il a fini par contracter une neurasthénie générale et être atteint de paranoïa.

Depuis un an, il a eu des sensations paresthésiques; il lui semble avoir une grande pelotte à la place de ses parties génitales; ensuite il se figura que son pénis et son scrotum lui manquaient, et que ses parties génitales s'étaient transformées en parties génitales féminines. Il sentait des mamelles lui pousser, une natte de cheveux, et des vêtements féminins se coller à son corps. Il se figurait être femme. Les passants dans les rues lui semblaient tenir des propos comme ceux-ci: «Voyez donc cette garce, cette vieille drôlesse!»

Dans son sommeil accompagné de rêves, il avait la sensation d'un homme qui accomplissait le coït sur lui devenu femme. Il en avait de l'éjaculation avec un vif sentiment de volupté.

Pendant son séjour à la clinique, il s'est produit une interruption dans sa paranoïa et en même temps une amélioration notable de sa neurasthénie. Alors disparurent momentanément les sentiments et les idées d'une métamorphose sexuelle.

Voici un autre cas d'éviration avancée sur le chemin de la transformatio sexus paranoïca.


Observation 101.—Franz St..., trente-trois ans, instituteur dans une école primaire, célibataire, probablement issu d'une famille chargée, névropathe de tout temps, émotif, peureux, ne pouvant supporter l'alcool, a commencé à se masturber à l'âge de dix-huit ans. À l'âge de trente ans se produisirent chez lui des symptômes de neurasthenia sexualis. (Pollutions avec faiblesse consécutive, pollutions qui se produisaient aussi dans la journée, douleurs dans la région du plexus sacré, etc.). Il s'y ajouta encore de l'irritation spinale, des pressions sur la tête et de la cérébrasthénie.

Depuis le commencement de 1885, le malade s'est abstenu du coït qui ne lui procurait plus aucune sensation de volupté. Il se masturbait souvent.

En 1888, commença chez lui la monomanie de la persécution. Il remarquait qu'on l'évitait, qu'il répandait une odeur infecte, qu'il puait (hallucinations olfactives); il s'expliquait de cette façon le changement d'attitude des gens à son égard, de même que leurs éternuements, leur toux, etc.

Il sentait des odeurs du cadavre, d'urine corrompue. Il attribuait la cause de sa mauvaise odeur à des pollutions à l'intérieur. Il les percevait par une sensation, comme si un liquide montait du pubis à la poitrine.

Le malade quitta bientôt la clinique. En 1889, il revint pour y être reçu; il était déjà dans un état avancé de paranoïa masturbatoria persecutoria (monomanie de la persécution).

Au commencement du mois de mai 1889, le malade éveilla l'attention parce qu'il protestait violemment toutes les fois qu'on l'appelait: «Monsieur».

Il proteste contre cette apostrophe, car, prétend-il, il est femme. Des voix le lui disent. Il s'aperçoit que des mamelles lui poussent. Il y a une semaine, les autres malades lui ont fait des attouchements voluptueux. Il a entendu dire qu'il est une putain. Ces temps derniers il a eu des rêves d'accouplement. Il rêvait qu'on pratiquait le coït sur lui comme sur une femme. Il sentait l'immissio penis, et a eu la sensation d'une éjaculation au milieu de son rêve.

Le crâne est pointu, la face est longue et étroite; bosses pariétales proéminentes. Les parties génitales sont normalement développées.

Le cas suivant, observé dans l'asile d'Illenau, est un exemple manifeste d'inversion durable et maniaque de la conscience sexuelle.


Observation 102.—Metamorphosis sexualis paranoïca.

N..., vingt-trois ans, célibataire, pianiste, a été reçu vers la fin du mois d'octobre 1865 à la maison de santé d'Illenau. Il est né d'une famille censée être exempte de tares héréditaires, mais tuberculeuse. Le père et le frère ont succombé à la phtisie pulmonaire. Le malade, étant enfant, était faible, mal doué, mais avait un talent exclusif pour la musique. De tout temps il eut un caractère anormal, taciturne, renfermé, insociable, avec des manières brusques.

À partir de l'âge de quinze ans, il se livra à la masturbation. Quelques années plus tard, des malaises neurasthéniques se produisirent (battements de cœur, faiblesse, douleurs de tête périodiques, etc.), en même temps que des velléités hypocondriaques. L'année dernière, le malade travaillait beaucoup et durement. Depuis six mois, sa neurasthénie s'est accentuée. Il se plaignit alors de battements de cœur, congestion de la tête, insomnie, il devint très irritable; paraissait sexuellement très excité, et prétendait qu'il lui fallait se marier le plus tôt possible, pour raisons de santé. Il tomba amoureux d'une artiste, mais presqu'en même temps (septembre 1865), il devint malade du paranoïa persecutoria (voyait des actes hostiles, entendait des injures dans la rue, trouvait du poison dans sa nourriture, on tendait une corde à travers le pont pour qu'il ne puisse pas aller chez son amante). À la suite de son excitation croissante et de conflits avec son entourage qu'il considérait comme ennemi, il a été reçu dans l'asile d'aliénés. À son entrée, il présentait encore l'image typique de la paranoïa persecutoria avec les symptômes de la neurasthénie sexuelle qui devint plus tard générale; mais sa monomanie de la persécution ne s'échafaudait point sur ce fond nerveux. Ce n'est qu'accidentellement que le malade entendait dire à son entourage: «Voilà qu'on lui enlève le sperme, voilà qu'on lui enlève la vessie.»

Au cours des années de 1866 à 1868, la manie de la persécution fut reléguée de plus en plus au second rang et fut remplacée en grande partie par des idées érotiques. La base somatico-physique était une excitation violente et continuelle de la sphère sexuelle. Le malade s'amourachait de chaque dame qu'il voyait; il entendait des voix qui l'encourageaient à s'approcher d'elles; il demandait impérieusement le consentement au mariage et prétendait que, si on ne lui procurait pas une femme, il mourrait de consomption. Grâce à sa pratique continuelle de la masturbation, les signes d'une prochaine éviration se montrent déjà en 1869. Il disait que si on lui donnait une femme, il ne l'aimerait que «platoniquement». Le malade devient de plus en plus bizarre, il ne vit que dans une sphère d'idées érotiques, voit partout faire dans l'asile de la prostitution, entend par-ci par-là des voix qui l'accusent d'avoir une attitude indécente vis-à-vis des femmes. Il évite donc la société des dames, et ne consent à faire de la musique devant les dames qu'à la condition d'avoir deux hommes comme témoins.

Au cours de l'année 1872, l'état neurasthénique prend un développement considérable. Alors la paranoia persecutoria aussi reparaît de plus en plus au premier plan et avec une couleur clinique particulière due à l'état nerveux fondamental. Des hallucinations olfactives se produisent; il est influencé par l'action du magnétisme. Il dit que des «ondulations magnétiques agissent sur lui». (Fausse interprétation de malaises spinaux asthéniques.) Sous le coup d'une excitation violente et continuelle et d'excès de masturbation, le processus de l'éviration progresse de plus en plus. Il n'est plus qu'épisodiquement homme, il est consumé du désir d'être femme, et se plaint amèrement que la prostitution éhontée des hommes, dans cette maison, rende impossible la venue d'une femme vers lui; l'air empoisonné de magnétisme, l'amour non satisfait l'ont rendu mortellement malade; il ne peut pas vivre sans amour; il est empoisonné par un poison de lubricité qui agit sur l'instinct génital. La dame qu'il aime est ici, au milieu de la plus basse débauche. Les prostituées, dans cette maison, ont des «chaînes de félicité», c'est-à-dire des chaînes dans lesquelles on est enchaîné sans pouvoir bouger et dans lesquelles on éprouve de la volupté. Il est prêt, maintenant, à se contenter d'une prostituée. Il possède un admirable rayonnement des pensées par les yeux qui vaut 20 millions. Ses compositions valent 500,000 francs. À côté de ces symptômes de monomanie des grandeurs, il y a des symptômes de monomanie de la persécution; la nourriture est empoisonnée par des excréments vénériens; il sent le poison, il entend des accusations infâmes, et il demande une machine à boucher les oreilles.

À partir du mois d'août 1872, les signes de l'éviration deviennent de plus en plus nombreux. Il se comporte avec beaucoup d'afféterie et déclare qu'il ne pourrait plus vivre au milieu des hommes qui boivent et qui fument. Il pense et sent tout à fait en femme. On doit le traiter dorénavant en femme, et le mettre dans la section des femmes. Il demande des confitures, des gâteaux fins. Pris de ténesme et de spasme de la vessie, il demande à être transporté dans un hôpital d'accouchement, et à être traité comme une malade enceinte. Le magnétisme morbide des hommes qui le soignent a une action nuisible sur lui.

Passagèrement, il se sent encore, par moments, homme, mais il plaide d'une manière très significative pour son sens sexuel morbide, inverti; il veut la satisfaction par la masturbation, le mariage sans coït. Le mariage est une institution de volupté. La fille qu'il épouserait devrait être onaniste.

À partir du mois de décembre 1872, la conscience de sa personnalité se transforme définitivement en une conscience féminine. Il a été de tout temps une femme, mais, entre un et trois ans, un empirique, un charlatan français, lui a greffé des parties génitales masculines et a empêché le développement de ses mamelles en lui frottant et en lui préparant le thorax.

Il demande énergiquement à être interné dans la section des femmes, à être protégé contre les hommes qui veulent le prostituer et à être habillé en femme. Éventuellement il serait disposé à s'occuper dans un magasin de jouets d'enfants, à faire de la couture ou du découpage, ou à travailler pour une modiste. À partir du moment de la transformatio sexus, commence pour le malade une ère nouvelle. Dans ses souvenirs, il considère son individualité d'autrefois comme celle d'un cousin à lui.

Pour le moment, il parle de lui-même à la troisième personne; il déclare être la comtesse V..., la meilleure amie de l'impératrice Eugénie, demande des parfums, des corsets, etc. Il prend les autres hommes de l'asile pour des femmes, essaie de se tresser une natte, demande un cosmétique oriental pour l'épilation, afin qu'on ne mette plus en doute sa nature de femme. Il se plaît à faire l'apologie de l'onanisme, car «il était, dès l'âge de quinze ans, onaniste, et il n'a jamais cherché de satisfactions d'un autre genre». Occasionnellement on observe encore chez lui des malaises neurasthéniques, des hallucinations olfactives, des idées de persécution. Tous les faits de sa vie qui se sont passés jusqu'au mois de décembre 1872, reviennent à la personnalité du cousin.

Le malade ne peut être dissuadé de son idée fixe qu'il est la comtesse V... il invoque qu'il a été examiné par la sage-femme qui a constaté son sexe féminin. La comtesse ne se mariera pas, parce qu'elle méprise les hommes. Comme le malade n'obtient pas d'avoir des vêtements de femme ni des souliers à hauts talons, il préfère rester toute la journée au lit; il se comporte en femme noble et souffrante, fait la douillette, la pudique, demande des bonbons, etc. Autant qu'il peut, il fait de ses cheveux des nattes, il s'arrache les poils de la barbe, et il se fait avec des petits pains un buste de femme.

En 1877, il se produit une carie à la jointure du genou gauche, et bientôt s'y ajoute une phtisie pulmonaire. Le malade meurt le 2 décembre 1874. Crâne normal. Le lobe frontal est atrophié, le cerveau anémié. Examen microscopique (Dr Schüle): sur la couche superficielle du lobe frontal, les cellules ganglionnaires sont légèrement rétrécies; dans la tunique adventice des vaisseaux beaucoup de granulations graisseuses; le glia n'est pas changé; parcelles de pigment et granulations colloïdes isolées. Les couches profondes de l'écorce cérébrale sont normales. Les parties génitales sont très grosses, les testicules petits, flasques; à la coupe, aucun changement macroscopique.

Ce cas de monomanie de la transformation sexuelle que nous venons de décrire dans ses origines et les diverses phases de son développement, est un phénomène d'une rareté étonnante dans la pathologie de l'esprit humain. En dehors des cas précédents que je dois à mon observation personnelle, j'en ai observé un cas, comme phénomène épisodique, chez une dame invertie, un autre comme phénomène permanent chez une fille atteinte de paranoia primitive, et enfin un autre chez une dame atteinte de paranoia primitive.

Dans la littérature je n'ai pas rencontré d'observations sur la monomanie de la transformation sexuelle, sauf un cas traité brièvement par Arndt dans son Manuel (p. 172), un cas étudié assez superficiellement par Sérieux (Recherches cliniques), p. 33, et les deux cas bien connus d'Esquirol. Nous reproduisons ici sommairement le cas d'Arndt, bien que, pas plus que ceux d'Esquirol, il n'offre aucun renseignement sur la genèse de la monomanie.


Observation 103.—Une femme d'âge moyen, internée dans l'asile de Greifswalder, se prenait pour un homme et se comportait en conséquence. Elle se coupait les cheveux très courts, se faisait une raie sur le côté, à la mode des militaires. Un profil bien prononcé, un nez un peu fort et une certaine grossièreté de traits donnaient à sa figure un cachet bien caractéristique; des cheveux courts et collés aux oreilles achevaient de donner à sa tête une expression tout à fait virile.

Elle était de grande taille, maigre; sa voix était profonde et rauque; la pomme d'Adam anguleuse et proéminente; son maintien était raide, sa démarche et ses mouvements pesants sans être lourds. Elle avait l'air d'un homme déguisé en femme. Quand on lui demandait comment lui était venue l'idée de se prendre pour un homme, elle s'écriait presque toujours, pleine d'irritation: Eh bien, regardez-moi donc! Est-ce que je n'ai pas l'air d'un homme? Aussi je sens que je suis homme. J'ai toujours eu un sentiment de ce genre, mais ce n'est que peu à peu que je suis parvenue à m'en rendre compte clairement. L'homme qui est censé être mon mari n'est pas un vrai homme; j'ai procréé mes enfants toute seule. J'ai toujours senti en moi quelque chose de pareil, mais ce n'est que plus tard que j'ai vu clair. Et dans mon ménage, est-ce que je n'ai pas toujours agi en homme? L'homme qui est censé être mon mari, n'était qu'un aide. Il a exécuté ce que je lui ai commandé. Dès ma jeunesse, je fus toujours plutôt portée vers les choses viriles que vers les affaires des femmes. J'ai toujours mieux aimé m'occuper de ce qui se passe dans la ferme et dans les champs que des affaires du ménage et de la cuisine. Seulement, je n'avais pas reconnu à quoi cela tenait. Maintenant je sais que je suis un homme; aussi je veux me comporter comme tel, et c'est une honte de me tenir toujours dans des vêtements de femme.


Observation 104.—X..., vingt-six ans, de haute taille et de belle prestance, aimait, dès son enfance, à mettre des vêtements de femme. Devenu grand, il savait, à l'occasion des représentations théâtrales par des amateurs, toujours si bien arranger les choses, qu'on lui donnait des rôles de femme à jouer. Après avoir éprouvé une forte dépression mélancolique, il s'imagina être réellement une femme, et essaya d'en convaincre son entourage. Il aimait à se déshabiller, à se coiffer ensuite en femme et à se draper. Un jour il voulut sortir dans cette tenue. Sauf cette idée, il était tout à fait raisonnable. Il avait l'habitude de se coiffer pendant toute la journée, de se regarder dans la glace, et, à l'aide de sa robe de chambre, de se costumer autant que possible en femme.

Un jour qu'Esquirol faisait mine de lui soulever son jupon, il se mit en colère et lui reprocha son insolence (Esquirol).


Observation 105.—Madame X..., veuve, fut, par suite de la mort de son mari et de la perte de sa fortune, en proie à de vives émotions et au chagrin. Elle devint folle; après avoir commis une tentative de suicide, elle fut transportée à la Salpétrière.

Madame X..., svelte, maigre, continuellement en excitation maniaque, s'imaginait être un homme et se mettait toujours en colère quand on l'appelait: «Madame». Un jour qu'on mit à sa disposition des vêtements d'homme, elle fut transportée de joie. En 1802, elle est morte d'une maladie de consomption, et elle a manifesté, peu de temps encore avant son décès, sa manie d'être un homme (Esquirol).

Dans un précédent chapitre, j'ai fait mention des rapports intéressants qui existent entre ces faits de la métamorphose sexuelle imaginaire et la soi-disant folie des Scythes.

Marandon (Annales médico-psychologiques, 1888, p. 160) a, comme beaucoup d'autres, accepté l'hypothèse erronée que, chez ces Scythes de l'antiquité, il s'agissait d'une véritable monomanie et non pas d'une simple éviration. D'après la loi de l'empirisme actuel, cette monomanie, si rare aujourd'hui, a dû être non moins rare dans l'antiquité. Comme il est impossible de l'admettre autrement que basée sur une paranoia, il n'a jamais pu être question d'une manifestation endémique de ce phénomène, mais seulement de l'interprétation superstitieuse d'une éviration (dans le sens d'un châtiment d'une déesse), ainsi que cela ressort des allusions d'Hippocrate.

Le fait qui ressort de la soi-disant folie des Scythes ainsi que des observations modernes relevées chez les Indiens de Pueblo, reste toujours remarquable au point de vue anthropologique; avec l'atrophie des testicules, on a constaté en même temps celle des parties génitales et en général une régression vers le type féminin au point de vue physique et moral. C'est d'autant plus frappant qu'une pareille réaction est aussi insolite chez l'homme qui, à l'âge adulte, a perdu ses organes génitaux, que chez la femme adulte après la ménopause artificielle ou naturelle.

B.—LE SENS HOMOSEXUEL COMME PHÉNOMÈNE MORBIDE ET CONGÉNITAL84.

Note 84: (retour)

Ouvrages (en dehors de ceux qui seront mentionnés plus tard): Tardieu, Des attentats aux mœurs, 7º édit., 1878, p. 210—Hoffmann, Lehrb. d. ger. Med., 6º édit., p. 170, 887.—Glay Revue philosophique, 1881, nº1.—Magnan, Annal. méd.-psychol., 1885, p. 558.—Shaw et Ferrin, Journal of nervous and mental disease, 1883, Avril, nº 2.—Bernhardi, Der Uranismus, Berlin (Volksbuchhandlung), 1882—Chevalier, De l'inversion de l'instinct sexuel, Paris, 1885.—Ritti, Gaz. hebdom. de médecine et de chirurgie, 1878, 4 janvier.—Tamassla, Rivista sperim., 1878, p. 97-117.—Lombroso. Archiv. di Psychiatr., 1881.—Charcot et Magnan, Archiv. de Neurologie, 1882, nos 7, 12.—Moll, Die conträre Sexualempfindung, Berlin, 1891.—Chevalier, Archives de l'anthropologie criminelle, t. V, nº 27; t. VI, nº 31.—Reuss, Aberrations du sens génésique (Annales d'hygiène publique, 1896).—Saury, Étude clinique sur la folie héréditaire, 1880.—Brouardel, Gaz. des hôpitaux, 1886 et 1887.—Tilier, L'instinct sexuel chez l'homme et chez les animaux, 1889.—Carlier, Les deux prostitutions, 1887.—Lacassagne, Art. Pédérastie in Dictionn. encyclopédique.—Vibert, Art. Pédérastie in Dictionnaire de méd. et de chirurgie.

L'essentiel, dans ce phénomène étrange de la vie sexuelle, c'est la frigidité sexuelle poussée jusqu'à l'horreur pour l'autre sexe, tandis qu'il y a un sens sexuel et un penchant pour son propre sexe. Toutefois, les parties génitales sont normalement développées, les glandes génitales fonctionnent tout à fait convenablement, et le type sexuel est complètement différencié.

Les sentiments, les pensées, les aspirations et en général le caractère répondent, quand l'anomalie est complètement développée, à la sensation sexuelle particulière, mais non pas au sexe que l'individu atteint représente anatomiquement et physiologiquement. Ce sentiment anormal se manifeste aussi dans la tenue et dans les occupations; il va jusqu'à donner à l'individu une tendance à s'habiller conformément au rôle sexuel pour lequel il se sent doué.

Au point de vue clinique et anthropologique, ce phénomène anormal présente divers degrés dans son développement, c'est-à-dire diverses formes et manifestations.

1) À côté du sentiment homosexuel prédominant il y a des traces de sentiments hétéro-sexuels (hermaphrodisme psycho-sexuel);

2) Il n'y a de penchant que pour son propre sexe (homosexualité);

3) Tout l'être psychique se conforme au sentiment sexuel anormal (effémination et viraginité);

4) La conformation du corps se rapproche de celle qui répond au sens sexuel anormal.

Cependant, on ne rencontre jamais de vraies transitions à l'hermaphrodisme; au contraire, les organes génitaux sont parfaitement différenciés, de sorte que, comme dans toutes les perversions morbides de la vie sexuelle, il faut chercher la cause du phénomène dans le cerveau (androgynie et gynandrie).

Les premiers renseignements un peu exacts85 sur ces phénomènes de nature énigmatique nous viennent de Casper (Über Nothzucht und Päderastie, Casper's Vierteljahrsschr., 1852, I) qui les confond avec la pédérastie, c'est vrai, mais qui déjà fait cette juste remarque que, dans la plupart des cas, cette anomalie est congénitale et doit être considérée comme une sorte d'hermaphrodisme intellectuel.

Note 85: (retour)

M. le docteur Moll, de Berlin, attire mon attention sur le fait qu'on trouve déjà des allusions à l'inversion sexuelle concernant des hommes, dans le Moritz's Magazin f. Erfahrungseelenkunde, t. VIII, Berlin, 1791. En effet, on y cite les biographies de deux hommes pris d'un amour délirant pour des personnes de leur propre sexe. Dans le deuxième cas, qui est particulièrement remarquable, le malade explique l'origine de son «aberration» par le fait qu'étant enfant, il n'a été caressé que par des personnes adultes, et à l'âge de dix à douze ans par ses camarades d'école. «Cela et la privation de la société des personnes de l'autre sexe ont eu pour conséquence chez moi de détourner le penchant naturel pour le sexe féminin et de le reporter sur les hommes. Maintenant encore les femmes me sont indifférentes.»

On ne peut pas dire s'il s'agissait d'un cas d'inversion congénitale (hermaphrodisme psycho-sexuel) ou acquise. Le cas le plus ancien d'inversion sexuelle qu'on connaisse jusqu'ici en Allemagne concerne une femme qui était mariée avec une autre femme et cohabitait avec son consort au moyen d'un priape en cuir. Un cas de viraginité qui s'est présenté au commencement du siècle passé, et qui est très intéressant aussi au point de vue juridique et historique, a été puisé dans les dossiers officiels et cité par le docteur Muller d'Alexandersbad dans Friedreichs Blætter f. ger. Medicin cahier 4.

Il y a là un véritable dégoût des attouchements sexuels avec des femmes, tandis que l'imagination se réjouit à la vue des beaux jeunes hommes, des statues et des tableaux qui en représentent. Ce fait n'a pas échappé à Casper que, dans ces cas, l'immissio penis in anum (pédérastie) n'est pas la règle, mais ces individus recherchent et obtiennent des satisfactions sexuelles par des actes sexuels d'un autre genre (onanisme mutuel).

Dans ses Klinischen novellen (1863, p. 33), Casper cite la confession intéressante d'un homme atteint de cette perversion de l'instinct génital, et il n'hésite pas à déclarer que, abstraction faite des imaginations corrompues, de la démoralisation produite par la satiété des jouissances sexuelles normales, il y a de nombreux cas où la «pédérastie» provient d'une impulsion congénitale, étrange, inexplicable, mystérieuse. Vers 1860, un nommé Ulrichs, qui lui-même était atteint de cet instinct perverti, a soutenu dans de nombreux écrits86, publiés sous le pseudonyme de Numa Numantius, cette thèse que la vie sexuelle de l'âme est indépendante du sexe physique, et qu'il y a des individus masculins qui, en présence de l'homme, se sentent femmes (anima muliebris in corpore virili inclusa).

Note 86: (retour)

Vindex, Inclusa, Vindicta, Formatrix, Ara spei, Gladius jurens (1864 et 1865, Leipzig, H. Matthes). Ulrichs, Kritische Pfeile, 1879, en commission chez H. Crönlein, Stuttgart, Augustenstrasse, 5. L'auteur qui combat sans se décourager les préjugés dont ses semblables ont à souffrir, a publié dans ce but, depuis 1889, à Aquila degli Abruzzi (Italie), un journal écrit en latin sous le titre: Il periodico latino.

Il désignait ces gens sous le nom d'uranistes (Urning), et réclamait rien moins que l'autorisation de l'État et de la société pour l'amour sexuel des uranistes, comme un amour congénital et par conséquent légitime, ainsi que l'autorisation du mariage entre eux. Seulement, Ulrichs nous doit encore la preuve que ce sentiment sexuel paradoxal, qui est en tout cas congénital, soit un phénomène physiologique et non pas pathologique.

Griesinger a jeté une première lumière anthropologico-clinique sur ces faits (Archiv f. Psychiatrie, I, p. 651), en montrant, dans un cas qu'il avait observé personnellement, la lourde tare héréditaire de l'individu atteint.

Nous devons à Westphal (Archiv f. Psychiatrie, II, p. 73) le premier essai sur le phénomène qu'il appelle «inversion sexuelle congénitale, avec conscience du caractère morbide de ce phénomène». Il a ouvert la discussion: le nombre des cas a atteint jusqu'ici le chiffre de 107, sans compter ceux qui sont rapportés dans notre monographie87.

Note 87: (retour)

Concernant les individus du sexe masculin: 1º Casper, Klin. Novellen, p. 36 (Lehrb. d. ger. Med., 7e édit., p. 176); 2º Westphal, Archiv f. Psych., II, p. 73; 3º Schminke, dans le même journal, III, p. 325; 4º Scholz, Vierteljahrsschr. f. ger. Medicin XIX; 5º Guck, Arch. f. Psych., V, p. 564; 6º Servaes, au même endroit, VI, p. 384; 7º Westphal, dans la même feuille, VI, p. 62O; 8º, 9º, 10º Stark, Zeitschr. f. Psychiatrie, t. XXXI; 11º Liman (Caspers, Lehrb. d. ger. Med., 6e édit., p. 509, p. 292); 12º Legrand du Saulle, Annal. méd.-psychol., 1876, mai; 13º Sterg, Jahrb. f. Psychiatrie, III, cahier 3; 14º Krueg, Zeitschr., Brain, 1884, oct.; 15º Charcot et Magnan, Arch. de Neurolog., 1882, nº 9; 16º, 17º, 18º Kirn, Zeitschr. f. Psychiatr., t. XXXIX, p. 216; 19º Rabow, Erlenmeyers Centralbl., 1883, nº 8; 20º Blumer, Americ. Journ. of insanity, 1882, juillet; 21º Servage, Journal of mental science, 1884, octobre; 22º Scholz, Vierteljahrsschr. f. ger. Med., N. F., t. XL, fascicule 7; 23º Magnan, Ann. med.-psychol., 1885, p. 461; 24º Chevalier, De l'inversion de l'instinct sexuel, Paris, 1885, p. 129; 25º Morselli, La Riforma medica, 4e année, mars; 26º Leonpacher, Friedreichs Blätter, 1888, II, 4; 27º Holländer, Allg. Wiener med. Zeitung 1882; 28º Kriese, Erlenmeyers Centralbl., 1888, nº 19; 29º, 30º, 31º, 32º v. Krafft-Ebing, Psychopathia sexualis, 3e édit., Observations 32, 36, 42, 43; 33º Golenko, Russ. Archiv f. Psychiatrie, t. IX, II, 3 (cité par Rothe dans Zeitschr. f. Psychiatrie; 34º v. Krafft, Internationales Centralblatt f. d. Physiol. und Pathologie der Harn und Sexualorgane, t. I, fasc. 4; 35º Cantarano, La Psychiatria, 1887, 5e année, p. 195; 36º Sérieux, Recherches cliniques sur les anomalies de l'instinct sexuel, Paris, 1888, Obs. 13; 37º-42º Kiernan, The medic. Standard, 1888, 7 cas; 43º-46º Rabow, Zeitschr. f. Klin. Medicin, t. XVII, Suppl.; 47º-51º v. Krafft, Neue Forschungen, Observations 1, 3, 4, 5, 8; 52º-61º v. Krafft, Psychopathia sexualis, 5e édit., Observ. 53, 61, 64, 66, 73, 75, 78, 84, 85, 87; 62º-65º Le même, Neue Forschungen, 2e édit., Observ. 3, 4, 5, 6; Hammond, Impuissance sexuelle, p. 30, 36; 68º-71º Garnier, Anomalies sexuelles, 1889, Observ. 227, 228, 229, 230; 72º v. Krafft, Friedreichs Blätter, 1891, fascicule 6; 73º-87º v. Krafft, Psychopathia sexualis, 6e édit., Observ. 78, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 89, 93, 94, 96, 97, 98, 101, 102; 88º Fraenkel, Medic. Zeitung d. Vereins f. Hertkunde in Preussen, t. XXII, p. 102 (homo mollis); 89º-91º Bernheim, Hypnotisme, Paris, 1891, Obs. 38 et suivantes; 92º Wetterstrand, Der Hypnotismus, 1891; 93º Müller, Hydrothérapie, 1890, p. 309; 94º à 96º v. Sehrenk-Notzing, Suggestionstherapie, 1892, cas 63, 68, 97; 97º Ladame, Revue de l'hypnotisme, 1889, 1er septembre; 98º v. Krafft, Internat. Centralblatt f. d. Krankheiten der Harn und Geschlechtsorgane, t. I, fasc. 1; 99º à 100º Wachholz, Friedreichs Blätter f. gerichtl. Med., 1892, fascicule 6.

Concernant des individus féminins: 1º Westphal, Arch. f. Psych., II, p. 73; 2º Gock, Op. cit., nº 1; 3º Wise, The Alienist and Neurologist, 1883, janvier; 4º Cantanaro, La Psychiatria, 1883, 201; 5º Sérieux, Op. cit., Observ. 14; 6º Kiernan, op. cit.; 7º Müller, Friedreichs Blätter f. ger. Med., 1891, fascicule 4.

Westphal ne touche pas la question de savoir si l'inversion sexuelle est le symptôme d'un état névropathique ou psychopathique, ou bien si elle constitue un phénomène isolé. Il maintient avec fermeté que cet état est congénital.

Me fondant sur les cas que j'ai publiés jusqu'en 1877, j'ai signalé cet étrange sentiment sexuel comme un stigmate de dégénérescence fonctionnelle, et comme un phénomène partiel d'un état névro-psycho-pathologique ayant pour cause, dans la plupart des cas, l'hérédité. Cette supposition a été confirmée par l'analyse des cas qui se sont présentés depuis. On peut citer, comme symptômes de cette tare névro-psycho-pathologique les points suivants.

1º La vie sexuelle des individus ainsi conformés se manifeste régulièrement bien avant la période normale et bien après, d'une façon très violente. Souvent elle présente encore d'autres phénomènes pervers, en dehors de cette direction anormale imprimée par l'étrange sentiment sexuel.

2º L'amour psychique de ces individus est souvent romanesque et exalté; de même leur instinct génital se manifeste dans leur conscience avec une force particulière, obsédante même.

3º À côté du stigmate de dégénérescence fonctionnelle de l'inversion sexuelle, on trouve encore d'autres symptômes de dégénérescence fonctionnelle et souvent aussi anatomique.

4º Il existe des névroses (hystérie, neurasthénie, états épileptoïdes, etc.). Presque toujours on peut constater de la neurasthénie temporaire ou permanente. Cette neurasthénie est ordinairement constitutionnelle, c'est-à-dire qu'elle est produite par des causes congénitales. Elle est réveillée et maintenue par la masturbation ou par l'abstinence forcée.

Chez les individus masculins, la neurasthenia sexualis se développe sur ce terrain morbide ou prédisposé congénitalement. Elle se manifeste alors surtout par la faiblesse irritative du centre d'éjaculation. Ainsi s'explique le fait que, chez la plupart des individus atteints, une simple accolade ou un baiser donné à la personne aimée, quelquefois même le simple aspect de cette dernière, provoquent l'éjaculation. Souvent l'éjaculation est alors accompagnée d'une sensation de volupté anormalement forte, qui va jusqu'à la sensation d'un courant «magnétique» à travers le corps.

5º Dans la majorité des cas, on rencontre des anomalies psychiques (talents brillants pour les beaux-arts, surtout pour la musique, la poésie, etc.), en même temps que de la faiblesse des facultés intellectuelles (esprits faux, bizarres), et même des états de dégénérescence psychique très prononcée (imbécillité, folie morale).

Beaucoup d'uranistes en viennent temporairement ou pour toujours aux délires caractéristiques des dégénérés (états passionnels pathologiques, délires périodiques, paranoia, etc.).

6º Dans presque tous les cas où il fut possible de rechercher l'état physique et intellectuel des ascendants et des proches parents, on a constaté dans ces familles des névroses, des psychoses, des stigmates de dégénérescence, etc.88.

Note 88: (retour)

L'inversion sexuelle, comme phénomène partiel de la dégénérescence nerveuse, peut se produire aussi chez les descendants de parents exempts de névrose. Cela ressort d'une observation de Tarnowsky (op. cit., p. 34) dans laquelle le lues du procréateur était en jeu, ainsi que d'un cas du même genre rapporté par Scholz (Vierteljahrsschrift f. ger. Medicin) où la tendance perverse de l'instinct génital était liée à un arrêt de développement physique d'origine traumatique.

L'inversion sexuelle congénitale est bien profonde et bien enracinée; cela ressort déjà du fait que les rêves érotiques de l'uraniste masculin n'ont pour sujet que des hommes, et ceux de l'homosexuel féminin des individus féminins.

L'observation de Westphal, que la conscience de la défectuosité congénitale des sentiments sexuels pour l'autre sexe et du penchant pour son propre sexe, est ressentie péniblement par l'individu atteint, ne se confirme que dans un certain nombre des cas. Beaucoup d'individus n'ont pas même conscience de la nature morbide de leur état. La plupart des uranistes se sentent heureux avec leurs sentiments sexuels pervers et la tendance de leur instinct; ils ne se sentent malheureux que par l'idée que la loi et la société ont élevé des obstacles contre la satisfaction de leur penchant pour leur propre sexe.

L'étude de l'inversion sexuelle montre nettement les anomalies de l'organisation cérébrale des individus atteints de cette perversion. Gley (Revue philosophique, 1884, janvier) croit pouvoir donner le mot de l'énigme, en supposant que ces individus ont un cerveau féminin avec des glandes génitales masculines, et que, chez eux, c'est la vie cérébrale morbide qui détermine la vie sexuelle, contrairement à l'état normal dans lequel les organes génitaux déterminent les fonctions sexuelles du cerveau.

Un de mes clients m'a exposé une manière de voir très intéressante et qui pourrait être admise pour expliquer l'inversion congénitale primitive. Il prend comme point de départ la bisexualité réelle telle qu'elle se présente anatomiquement chez tout fœtus jusqu'à un certain âge.

On devrait, dit-il, prendre en considération qu'au caractère originairement hermaphrodite des parties congénitales correspond probablement aussi un caractère originairement hermaphrodite avec des germes latents de tous les traits secondaires du sexe, tels que cheveux, barbe, développement des mamelles, etc. L'hypothèse d'un hermaphrodisme latent des traits secondaires du sexe subsistant chez chaque individu pendant toute la vie est justifiée par les phénomènes de régression partielle d'un type sexuel dans l'autre, même après le développement complet du corps, phénomènes qu'on a pu constater chez les castrates, les mujerados, et, à la ménopause, chez les femmes, etc.

La partie cérébrale de l'appareil sexuel, le centre psycho-sexuel masculin ou féminin représente un des traits secondaires les plus importants du sexe; il est même égal en valeur à l'autre moitié de l'appareil sexuel. Quand il y a développement tout à fait normal de l'individu, les organes génitaux hermaphrodites du fœtus, c'est-à-dire les glandes des germes et des organes de copulation, forment d'abord des organes qui portent le caractère prononcé d'un seul sexe; ensuite, les traits secondaires du caractère sexuel—physiques et psychiques—subissent la même transition de la conformation hermaphrodite à la conformation monosexuelle (en tout cas, pendant qu'ils sont à l'état latent; ou bien pendant la vie fétale, simultanément avec les organes de la génération; ou encore, plus tard, quand ils sont sur le point de sortir de leur état latent). Troisièmement, pendant cette transition, les traits secondaires du caractère sexuel suivent l'évolution opérée sur l'un des deux sexes par les organes génitaux, pour rendre possible le fonctionnement harmonique de la vie sexuelle.

Cette évolution uniforme de tous les traits du caractère sexuel se fait régulièrement, par suite d'une disposition spéciale dans le processus du développement. L'origine et le maintien de cette disposition s'expliquent suffisamment par leur nécessité absolue.

Mais, dans des conditions anormales (dégénérescence héréditaire, etc.), cette harmonie de développement peut être troublée de différentes façons. Non seulement l'évolution des organes génitaux de l'état hermaphrodite vers l'état monosexuel peut faire défaut, mais le même fait peut aussi se produire pour les traits secondaires du caractère sexuel, pour les traits physiques et plus encore pour les traits psychiques. Enfin, l'harmonie du développement de l'appareil sexuel peut être tellement troublée qu'une partie suive l'évolution vers un sexe et l'autre vers le sexe opposé.

Quatre types principaux d'hermaphrodisme sont donc possibles (il y a des types secondaires, comme les hommes à mamelles, les femmes à barbe): 1º l'hermaphrodisme purement physique des parties génitales avec monosexualité psychique; 2º l'hermaphrodisme purement psychique, avec parties génitales monosexuelles; 3º l'hermaphrodisme parfait, physique et intellectuel, avec tout l'appareil sexuel bisexuellement constitué; 4º l'hermaphrodisme croisé où la partie psychique et la partie physique sont monosexuelles, mais chacune dans un sens opposé à l'autre.

En y regardant de plus près, la première forme physique d'hermaphrodisme peut être considérée comme croisée, car les glandes génitales répondent à un sexe et les parties génitales externes à un sexe opposé.

La deuxième et la quatrième forme d'hermaphrodisme ne sont, au fond, rien autre chose que de l'inversion sexuelle congénitale89.

Note 89: (retour)

Frank Lydston (Philadelph. med. and surgical Reporter, sept. 1818) et Thierman, (Medical Standard, novembre 1888), essaient d'expliquer d'une manière analogue une partie des cas de Paranoia sexuelle congénitale en les plaçant dans une catégorie subordonnée de l'hermaphrodisme. Kiernan, pour compléter son explication, suppose que, chez les individus tarés, il se produit plus facilement des régressions vers les formes primitives de l'hermaphrodisme de la série animale: «The original bi-sexuality of the ancestors of the race, shown in the rudimentary female organs of the male, could not fail to occasion functional, if not organic, reversions, when mental or physical manifestations were interfered with by disease or congenital defect. It seems certain that a feminely functionating brain can occupy a male body and vice versa. Males may be borne with female external genitals and vice versa. The lowest animals are bisexual, and the various types of hermaphroditism are more or less complete reversions to the ancestral type.» (Op. cit., p. 9. Note de l'auteur.)

La troisième forme paraît être très rare. Cependant, le droit canonique de l'église s'en est occupé; car il exige de l'hermaphrodite avant son mariage un serment sur la manière dont il se comportera (Voir Phillip, Kirchenrecht, p. 633 de la 7e édit.).

Par appareil génital psychique monosexuel dans un corps monosexuel appartenant un sexe opposé, il ne faut pas comprendre «une âme féminine dans un cerveau masculin» ou vice versa, manière de voir qui serait en contradiction manifeste avec toutes les idées scientifiques. Il ne faudrait pas non plus se figurer qu'un cerveau féminin puisse exister dans un corps masculin, ce qui contredirait tous les faits anatomiques: mais il faut admettre qu'un centre psycho-sexuel féminin peut exister dans un cerveau masculin, et vice versa.

Ce centre psycho-sexuel (dont il est nécessaire de supposer l'existence, ne fût-ce que pour expliquer les phénomènes physiologiques) ne peut être autre chose qu'un point de concentration et d'entrecroisement des nerfs conducteurs qui vont aux appareils moteurs et sensitifs des organes génitaux, mais qui, d'autre part, vont aussi aux centres visuel, olfactif, etc., portant ces phénomènes de conscience qui, dans leur ensemble, forment l'idée d'un être «masculin» ou «féminin».

Comment pourrions-nous représenter cet appareil génital psychique dans l'état d'hermaphroditisme primitif que nous avons supposé plus haut? Là aussi, nous devrions admettre que les futures voies conductrices étaient déjà tracées, bien que fort légèrement, ou préparées par le groupement des éléments.

Ces «voies latentes» hermaphrodites sont projetées pour relier les organes de copulation (qui eux-mêmes sont encore à l'état hermaphrodite) avec le siège futur des éléments de représentation des deux sexes. Quand tout l'organisme se développe d'une manière normale, une moitié des ces voies doit plus tard se développer pour devenir capable de fonctionner, tandis que l'autre moitié doit rester à l'état latent; et, dans ce cas, tout dépend probablement de l'état du point d'entrecroisement que nous avons supposé, comme un centre subcortical intercalé.

Cette hypothèse très compliquée ne contredit pas forcément le fait que le cerveau fœtal n'a pas de structure. Cette absence de structure n'est admise que grâce à l'insuffisance de nos moyens d'investigation actuels. Mais, d'autre part, cette hypothèse repose à son tour sur une supposition bien risquée: elle admet une localisation déjà existante pour des représentations qui n'existent pas encore, en d'autres termes une différenciation quelconque des parties du cerveau qui sont en rapport avec les représentations futures. Nous ne sommes donc pas trop éloignés de la théorie si déconsidérée «des représentations innées». Mais nous sommes aussi en présence du problème général de tous les instincts, problème qui nous pousse toujours à de semblables hypothèses.

Peut-être s'ouvrira-t-il maintenant une voie par laquelle nous pourrons faire un pas vers la solution de ces problèmes d'hérédité psychique. En nous appuyant sur les connaissances modernes beaucoup plus étendues sur les faits de la génération dans toutes les séries des organismes et sur la connaissance de la connexité de ces faits que la biologie commence à nous donner, nous pourrons jeter un coup d'œil plus profond sur la nature de l'hérédité physique et psychique.

Nous connaissons actuellement le processus de la génération, c'est-à-dire la transformation des individus dans sa manifestation la plus simple. Elle nous montre l'amibe qui se scinde en deux cellules filles qui qualitativement sont identiques à la cellule mère.

Nous voyons, en allant plus loin, le détachement dans le bourgeonnement d'une partie réduite quantitativement, mais identique en qualité avec l'entier.

Le phénomène primitif de toute génération n'est donc pas une reproduction, mais une continuation. Si donc, à mesure que les types deviennent plus grands et plus compliqués, les germes des organismes paraissent, en comparaison de l'organisme-mère, non seulement diminués quantitativement, mais aussi simplifiés qualitativement, morphologiquement et physiologiquement, la conviction que la génération est une continuation et non pas une reproduction nous amène à la supposition générale d'une continuation latente mais ininterrompue de la vie des parents dans leurs descendants. Car, dans l'infiniment petit, il y a place pour tout, et il est aussi faux de se figurer que la réduction du volume progressant à l'infini, déduction qui n'est toujours qu'un rapport comparé à la grandeur du corps de l'être humain qui observe, arrive quelque part à une limite infranchissable pour la différenciation de la matière, qu'il serait erroné de croire que la grandeur illimitée de l'espace de l'univers arrive quelque part à une limite de remplissage avec des formations individualisées. Ce qui me paraît avoir besoin d'être expliqué, c'est plutôt le fait que ce ne sont pas toutes les qualités des parents, soit morphologiques en volume, soit physiologiques avec le mode des mouvements des particules, qui se manifestent spontanément dans la descendance, après le développement du germe. Ce fait, dis-je, a plutôt besoin d'être expliqué que l'hypothèse d'une différenciation héréditaire de la substance du cerveau qui a des relations fixes avec les représentations qui n'ont pas été perçues par l'individu, hypothèse sans laquelle les instincts restent inexplicables.

Magnan (Ann. méd.-psychol., 1885, p. 458) parle très sérieusement d'un cerveau de femme dans un corps d'homme, et vice versa90.

Note 90: (retour)

Cette hypothèse tombe d'elle-même devant l'autopsie citée dans mon observation 118, autopsie qui a constaté que le cerveau pesait 1,150 grammes et celle de l'observation 130, où l'on a constaté que le cerveau pesait 1,175 grammes.

L'essai d'explication de l'uranisme congénital donné, par exemple, par Ulrichs qui, dans son Memnon, paru en 1868, parle d'une anima muliebris virili corpore inclusa (virili corpori innata), et qui cherche à donner la raison du caractère congénital féminin de sa propre tendance sexuelle anormale, n'est pas plus satisfaisant. La manière de voir du malade de l'observation 124 est très originale. Il est probable, dit-il, que son père, en le procréant, a voulu faire une fille; mais, au lieu de cela, c'est un garçon qui est venu au monde.

Une des plus étranges explications de l'inversion sexuelle congénitale se trouve dans Mantegazza (op. 1886, p. 106).

D'après cet auteur, il y aurait des anomalies anatomiques chez les invertis, en ce sens que, par une erreur de la nature, les nerfs destinés aux parties génitales se répandraient dans l'intestin, de sorte que c'est de là que part l'excitation voluptueuse, qui, d'habitude, est provoquée par l'excitation des parties génitales. Comment l'auteur, d'habitude si perspicace, s'expliquerait-il alors les cas nombreux où la pédérastie est abhorrée par ces invertis? La nature ne fait d'ailleurs jamais de pareils soubresauts. Mantegazza invoque, en faveur de son hypothèse, les communications d'un ami, écrivain remarquable, qui lui assurait n'être pas encore bien fixé sur le fait de savoir s'il éprouvait un plus grand plaisir au coït qu'à la défécation!

L'exactitude de cette expérience admise, elle ne prouverait pas que l'homme en question soit sexuellement anormal, et que chez lui la sensation voluptueuse du coït soit réduite au minimum.

On pourrait peut-être expliquer l'inversion congénitale en disant qu'elle représente une particularité spéciale de la descendance, mais ayant pris naissance par voie d'hérédité.

L'atavisme serait le penchant morbide pour son propre sexe, penchant acquis par l'ascendant, et qui se trouverait fixé comme phénomène morbide et congénital chez le descendant. Cette hypothèse est, en somme, admissible, puisque, d'après l'expérience des attributs physiques et moraux acquis, non seulement les qualités, mais aussi et surtout les défectuosités, se transmettent par hérédité. Comme il n'est pas rare que des invertis fassent des enfants, que dans tous les cas ils ne sont pas toujours impuissants (les femmes ne le sont jamais), une hérédité par voie de procréation serait possible.

L'observation 124 dans laquelle la fille d'un inverti, âgée de huit ans, pratique déjà l'onanisme mutuel,—acte sexuel qui, étant donné l'âge, fait supposer une inversion sexuelle,—plaide évidemment en faveur de cette hypothèse.

La communication qui m'a été faite par un inverti de vingt-six ans, classé dans le groupe 3, est non moins significative.

Il sait positivement, dit-il, que son père, mort il y a plusieurs années, a été également atteint d'inversion sexuelle. Il affirme connaître encore beaucoup d'hommes avec lesquels son père avait entretenu «des liaisons». On n'a pu établir s'il s'agissait chez le père d'une inversion congénitale ou acquise, ni à quel groupe appartenait sa perversion.

L'hypothèse sus-indiquée paraît d'autant plus acceptable que les trois premiers degrés de l'inversion congénitale correspondent parfaitement aux degrés de développement qu'on peut suivre dans la genèse de l'inversion acquise. On se sent donc tenté d'interpréter les divers degrés de l'inversion congénitale comme les divers degrés d'anomalies sexuelles acquises ou développées d'une autre manière chez l'ascendance, et transmises par la procréation à la descendance; encore, faut-il rappeler, à ce propos, la loi d'hérédité progressante.

D'autres ont, faute de mieux, recours à l'onanisme pour les mêmes raisons multiples qui, souvent, font repousser le coït même par les non-uranistes. Chez les uranistes doués d'un système nerveux originairement irritable, ou qui a été détraqué par l'onanisme (faiblesse irritable du centre d'éjaculation), de simples accolades, des caresses avec ou sans attouchement des parties génitales, suffisent pour provoquer l'éjaculation, et procurer par là une satisfaction sexuelle. Chez des individus moins excitables, l'acte sexuel consiste en manustupration accomplie par la personne aimée, ou en onanisme mutuel, ou en une contrefaçon du coït inter femora. Chez les uranistes de moralité perverse et puissants quoad erectionem, l'impulsion sexuelle est satisfaite par la pédérastie, acte qui répugne aux individus sans défectuosité morale autant qu'aux hommes hétérosexuels. Fait digne d'attention, les uranistes affirment que l'acte sexuel qui leur plaît avec des personnes de leur propre sexe leur procure une grande satisfaction, comme s'ils s'étaient retrempés, tandis que la satisfaction par l'onanisme solitaire ou le coït forcé avec une femme les affecte beaucoup, les rend misérables, et augmente leurs malaises neurasthéniques. La manière dont se satisfont les uranistes féminins est peu connue. Dans une de mes observations personnelles, la fille se masturbait en se sentant dans le rôle d'un homme, et en s'imaginant avoir affaire à une femme aimée. Dans un autre cas, l'acte consistait dans l'onanisation de la personne aimée, à laquelle elle touchait les parties génitales.

Il est difficile d'établir nettement jusqu'à quel degré cette anomalie est répandue91, car la plupart des individus qui en sont atteints ne sortent que rarement de leur réserve; et, dans les faits qui viennent devant les tribunaux, on confond l'uraniste par perversion de l'instinct génital avec le pédéraste qui est simplement un immoral.

Note 91: (retour)

L'inversion sexuelle ne doit pas être rare; la preuve, c'est que c'est un sujet souvent traité dans les romans.

Chevalier (op. cit.) indique, dans la littérature française (outre les romans de Balzac qui, dans la Passion au désert, traite de la bestialité, et dans Sarrasine, de l'amour d'une femme pour un eunuque); Diderot, La Religieuse (roman d'une femme adonnée à l'amour lesbien); Balzac, La Fille aux yeux d'or (Amor lesbiens); Th. Gautier, Mademoiselle de Maupin; Feydeau, La comtesse de Chalis; Flaubert, Salammbô, etc.

Il faut aussi faire mention de Mademoiselle Giraud ma femme, de Belot.

Ce qui est intéressant, c'est que les héroïnes de ces romans (lesbiens) se montrent avec le caractère et dans le rôle d'un homme vis-à-vis de la personne de leur propre sexe qu'elles aiment, et que leur amour est très ardent. La base névropathique de cette perversion sexuelle n'a pas échappé non plus à l'attention de ces romanciers. Dans la littérature allemande, ce sujet a été traité par Wilbrandt dans Fridolins heimliche Ehe et par le comte Emeric Stadion dans Brick and Brack oder Licht im Schatten. Le plus ancien roman uraniste est probablement celui de Pétrone, publié à Rome à l'époque des Césars, sous le titre de Satyricon.

D'après les études de Casper, de Tardieu, ainsi que d'après les miennes, cette anomalie est probablement plus fréquente que ne le fait supposer le nombre minime des cas observés.

Ulrichs (Kritische Pfeile, 1880, p. 2) prétend qu'en moyenne, pour 200 hommes adultes hétérosexuels, il y a un adulte inverti, un sur 800, et que cette proportion est encore plus grande parmi les Magyares et les Slaves du Sud, affirmations sur lesquelles nous n'insistons pas.

Un des sujets de mes observations personnelles connaît personnellement, dans la commune où il est né (localité de 1,300 habitants), 14 uranistes. Il affirme en connaître au moins 80 dans une ville de 60,000 habitants. Il est à supposer que cet homme, d'ailleurs digne de foi, ne fait pas de différence entre l'homosexualité congénitale et acquise.

1. HERMAPHRODISME PSYCHIQUE92.

Note 92: (retour)

Comparez l'article de l'auteur: Ueber psychosexuales Zwitterthum dans l'Internat. Centrablatt f. d. Physiologie und Pathologie der Harn und Sexualorgane, t. I, f. 2.

Ce degré de l'inversion est caractérisé par le fait que, outre un sentiment et un penchant sexuel prononcé pour les individus de son propre sexe, il y a encore un penchant pour l'autre sexe, mais que ce dernier est beaucoup plus faible que le premier, et ne se manifeste qu'épisodiquement, tandis que le sentiment homosexuel tient le premier rang et se manifeste, au point de vue de sa durée, de sa continuité et de son intensité, comme l'instinct dominant dans la vie sexuelle.

Le sentiment hétérosexuel peut exister à l'état rudimentaire, éventuellement ne se manifester que dans la vie inconsciente (les rêves) ou éclater vivement au jour (du moins épisodiquement).

Les sentiments sexuels pour l'autre sexe peuvent être consolidés et renforcés par la force de la volonté, la discipline de soi-même, par le traitement moral, par l'hypnotisme, par l'amélioration de la constitution physique, par la guérison des névroses (neurasthénie), et avant tout par l'abstention de la masturbation.

Mais il y a toujours danger de céder complètement à l'influence des sentiments homosexuels, ces derniers ayant une base plus forte, et d'arriver ainsi à l'inversion sexuelle exclusive et permanente.

Ce danger peut naître surtout sous l'influence de la masturbation (ainsi que c'est le cas dans l'inversion acquise), de la neurasthénie ou de son aggravation, conséquence de la masturbation, puis, par suite de mauvaises tentatives de rapports sexuels avec des personnes de l'autre sexe (manque de sensation voluptueuse pendant le coït, échec dans le coït par faiblesse d'érection, éjaculation précoce, infection).

D'autre part, le goût esthétique et éthique pour des personnes de l'autre sexe peut favoriser le développement des sentiments hétérosexuels.

C'est ainsi qu'il est possible que l'individu, selon la prédominance des influences favorables ou défavorables, éprouve tantôt un sentiment hétérosexuel, tantôt un sentiment homosexuel.

Il me paraît fort probable que ces hermaphrodites tarés ne sont pas très rares93.

Note 93: (retour)

Cette supposition est corroborée par un renseignement que M. le docteur Moll, de Berlin, a eu la bonté de me transmettre et qui concerne un uraniste célibataire. Celui-ci a pu citer une série de cas, parmi des gens de sa connaissance, d'hommes mariés qui entretenaient en même temps une liaison avec un homme.

Comme, dans la vie sociale, il n'attire que peu ou pas du tout l'attention, et que ces secrets de la vie conjugale ne parviennent qu'exceptionnellement à la connaissance du médecin, on s'explique facilement que cet intéressant groupe intermédiaire de l'inversion sexuelle, groupe très important au point de vue pratique, ait jusqu'ici échappé à l'exploration scientifique.

Bien des cas de frigiditas uxoris et mariti reposent probablement sur cette anomalie. Les rapports sexuels avec l'autre sexe sont possibles. Dans tous les cas, dans ce degré d'inversion, il n'y a pas d'horror sexus alterius. Un terrain bien favorable s'offre là à la thérapie médicale et surtout morale.

Le diagnostic différentiel de l'inversion acquise peut être difficile; car, tant que l'inversion n'a pas fait disparaître tous les restes de l'ancien sentiment génital normal, le status præsens donnera le même résultat.

Dans l'état du premier degré, la satisfaction des penchants homosexuels se fait par l'onanisme passif et mutuel, coitus inter femora.


Observation 106 (Hermaphrodisme psychique chez une dame).—Mme M..., quarante-quatre ans, est un exemple vivant du ce fait que, dans un être, soit masculin, soit féminin, des tendances d'inversion sexuelle peuvent subsister avec une vie sexuelle normale.

Le père de cette dame était très musicien, doué d'un grand talent d'artiste, viveur, grand admirateur de l'autre sexe, et d'une rare beauté. Il est mort de démence, dans une maison de santé, après avoir eu plusieurs accès d'apoplexie. Le frère du père était névro-psychopathe; ce fut un enfant lunatique; de tout temps il fut atteint d'hyperesthésie sexuelle. Quoique marié et père de plusieurs fils mariés, il voulait enlever Mme M..., sa nièce, qui avait dix-huit ans et dont il était amoureux fou. Le père du père était très excentrique; artiste remarquable, tout d'abord il étudia la théologie, mais, à la suite d'une ardente vocation pour l'art dramatique, il devint acteur et chanteur. Il fit des excès in Baccho et Venere; prodigue, aimant le luxe, il mourut à l'âge de quarante-neuf ans d'apoplexie cérébrale. Les parents de la mère sont morts de tuberculose pulmonaire.

Mme M... avait onze frères et sœurs, dont six seulement sont restés vivants. Deux frères, tenant au physique de la mère, sont morts de tuberculose, l'un à l'âge de seize ans, l'autre à l'âge de vingt ans. Un frère est atteint de phtisie du larynx. Les quatre sœurs qui sont vivantes, ainsi que Mme M..., tiennent du physique du père; l'aînée est célibataire, très nerveuse, et fuit la société. Deux sœurs plus jeunes sont mariées, bien portantes, et ont des enfants sains. Une autre est virgo et souffre des nerfs.

Mme M... a quatre enfants, dont plusieurs sont très délicats et névropathes.

Sur son enfance la malade ne sait rien d'important à nous dire. Elle apprenait facilement, avait des dons pour la poésie et l'esthétique, passait pour être un peu exaltée, aimait la lecture des romans, les choses sentimentales; elle était de constitution névropathique, très sensible aux fluctuations de la température, et attrapait au moindre courant d'air un cutis anserina très désagréable. Il est encore à noter que la malade, à l'âge de dix ans, eut l'idée que sa mère ne l'aimait pas, trempa un jour des allumettes dans du café, le but afin de devenir bien malade et de provoquer par ce moyen l'affection de sa mère.

Le développement s'opéra sans difficulté dès l'âge de onze ans. Depuis, les menstrues sont régulières. Déjà, avant l'époque du développement de la puberté, la vie sexuelle commença à se faire sentir; d'après les déclarations de la malade elle-même, ses impulsions sexuelles furent trop puissantes pendant toute sa vie. Ses premiers sentiments, ses premières impulsions étaient franchement homosexuels. La malade conçut une affection passionnée, mais tout à fait platonique, pour une jeune dame; elle lui dédiait des sonnets et des poésies qu'elle composait; c'était pour elle un bonheur suprême quand elle pouvait admirer au bain ou pendant la toilette «les charmes éblouissants de l'adorée» ou bien dévorer des yeux la nuque, les épaules, et les seins de la belle. L'impulsion violente de toucher ces charmes physiques fut toujours combattue et refoulée. Étant jeune fille, elle devint amoureuse des «Madones» peintes par Raphaël et Guido Reni. Elle avait l'obsession de suivre pendant des heures entières les belles filles et les belles femmes dans les rues, quel que fût le temps, en admirant leur maintien et en guettant le moment de leur être agréable, de leur offrir un bouquet, etc. La malade m'a affirmé que, jusqu'à l'âge de dix-neuf ans, elle n'eut absolument aucune idée de la différence des sexes; car elle avait reçu d'une tante, une vieille vierge très prude, une éducation tout à fait claustrale. Par suite de cette ignorance, la malade fut la victime d'un homme qui l'aimait passionnément et qui l'avait décidée à faire le coït. Elle devint l'épouse de cet homme, mit au monde un enfant, mena avec lui «une vie sexuelle excentrique», et se sentit complètement satisfaite par les rapports conjugaux. Peu d'années après, elle devint veuve. Depuis, les femmes sont redevenues l'objet de son affection; en première ligne, dit la malade, par peur des suites que pourraient avoir des rapports avec un homme.

À l'âge de vingt-sept ans, elle conclut un second mariage avec un homme maladif et pour lequel elle n'avait pas d'affection. La malade a accouché trois fois, a rempli ses devoirs maternels; elle dépérit au physique et éprouva dans les dernières années de sa vie matrimoniale un déplaisir croissant à faire le coït, bien qu'il y eût toujours en elle un violent désir de satisfaction sexuelle. Le déplaisir à faire le coït a été en partie occasionné par l'idée de la maladie de son mari.

Trois ans après la mort de son second mari, la malade découvrit que sa fille du premier mariage, âgée de neuf ans, se livrait à la masturbation et en dépérissait. Elle consulta le Dictionnaire Encyclopédique sur ce vice, ne put résister à l'impulsion de l'essayer et devint elle aussi onaniste. Elle ne peut se décider à faire une confession complète sur cette période de sa vie. Elle affirme avoir été en proie à une terrible excitation sexuelle et avoir placé hors de la maison ses deux filles pour les préserver d'«un sort terrible», tandis qu'elle ne voyait aucun inconvénient à garder avec elle ses deux garçons.

La malade devint neurasthénique ex masturbatione (irritation spinale, congestion à la tête, faiblesse, embarras intellectuel, etc.), parfois même dysthymique avec un tædium vitæ très pénible.

Son sens sexuel la poussait tantôt vers la femme, tantôt vers l'homme. Elle savait se dompter, souffrait beaucoup de son abstinence, d'autant plus que, à cause de ses malaises neurasthéniques, elle n'essayait de se soulager par la masturbation que dans les cas extrêmes. À l'heure qu'il est, cette femme, qui a déjà quarante-quatre ans, mais qui a encore ses menstruations régulièrement, souffre beaucoup de la passion qu'elle a conçue pour un jeune homme dont elle ne peut pas éviter le voisinage pour des raisons professionnelles.

La malade, dans son extérieur, ne présente rien d'extraordinaire: elle est gracieusement bâtie, d'une musculature faible. Le bassin est tout à fait féminin, mais les bras et les jambes sont étonnamment grands et d'une conformation masculine très prononcée. Comme aucune chaussure féminine ne va à son pied et qu'elle ne veut pas pourtant se faire remarquer, elle serre ses pieds dans des bottines de femme, de sorte qu'ils en ont été déformés. Les parties génitales sont développées d'une façon tout à fait normale, et sans changements, sauf un descensus uteri avec hypertrophie de la portion vaginale. Dans un examen plus approfondi la malade se déclare essentiellement homosexuelle; le penchant pour l'autre sexe, dit-elle, n'est chez elle qu'épisodique et quelque chose de grossièrement sensuel. Il est vrai qu'elle souffre actuellement beaucoup de son penchant sexuel pour ce jeune homme de son entourage, mais elle estime, comme un plaisir plus noble et plus élevé, de pouvoir poser un baiser sur la joue tendre et ronde d'une jeune fille. Ce plaisir se présente souvent, car elle est très aimée parmi ces «gentilles créatures», comme une «tante complaisante», puisqu'elle leur rend sans se décourager les «services les plus chevaleresques» et se sent alors toujours être un homme.


Observation 107 (Inversion sexuelle, avec satisfaction par rapports hétéro-sexuels).—M. Z..., trente-six ans, rentier, m'a consulté pour une anomalie de ses sentiments sexuels, anomalie qui lui fait paraître comme très risquée la conclusion d'un mariage projeté. Le malade est né d'un père névropathe qui a, la nuit, des réveils subits avec angoisse. Son grand-père était aussi névropathe. Un frère de son père est idiot. La mère du malade et sa famille étaient bien portantes, avec un état mental normal.

Trois sœurs et un frère, ce dernier atteint de folie morale. Deux sœurs sont bien portantes et vivent heureuses en ménage.

Étant enfant, le malade était nerveux, souffrait comme son père de soubresauts nocturnes, mais n'a jamais été atteint de maladies graves, sauf une coxalgie à la suite de laquelle il est resté boiteux.

Les impulsions sexuelles se sont éveillées chez lui très tôt. À l'âge de huit ans, et sans y être incité par quelqu'un, il a commencé à se masturber. À partir de l'âge de quatorze ans, il a éjaculé du sperme. Au point de vue intellectuel, il était bien doué; il s'intéressait aux arts et à la littérature. De tout temps il fut d'une faible musculature, et ne prit jamais de plaisir aux jeux des garçons, ni plus tard aux occupations des hommes. Il portait un certain intérêt aux toilettes féminines, aux attifements et aux occupations de la femme. Dès l'âge de puberté, le malade s'est aperçu de son affection pour les individus du sexe masculin. C'étaient surtout les jeunes gars de la classe populaire qui lui étaient sympathiques. Les cavaliers avaient pour lui un attrait particulier. Impetu libidonoso sæpe affectus est ad tales homines aversos se premere. Quodsi in turba populi, si occasio fuerit bene successit, voluptate erat perfusus; ab vigesimo secundo anno interdum talis occasionibus semen ejaculavit. Ab hoc tempore idem factum est si quis, qui ipsi placuit, manum ad femora posuerat. Ab hinc metuit ne viris manum adferret. Maxime pericolusus sibi homines plebeios fuscis et adstrictis bracis indutos esse putat. Summum gaudium ei esset si viros tales amplecti et ad se trahere sibi concessum esset; sed patriæ mores hoc fieri velant. Pæderastia ei displacet; magnam voluptatem genitalium virorum adspectus ei affert. Virorum occurentium genitalia adspici semper coactus est.

Au théâtre, au cirque, etc., c'étaient les artistes masculins qui seuls l'intéressaient. Le malade prétend n'avoir jamais remarqué chez lui un penchant pour les femmes. Il ne les évite pas; à l'occasion, il danse même avec elles, mais, en le faisant, il ne ressent pas la moindre émotion sexuelle.

À l'âge de vingt-huit ans, le malade était déjà neurasthénique, peut-être bien à la suite de ses excès de masturbation.

Ensuite ce furent de fréquentes pollutions pendant le sommeil, pollutions qui l'affaiblissaient. Dans ces pollutions il ne rêvait que très rarement des hommes, et jamais des femmes. Une fois la pollution fut provoquée par un rêve lascif dans lequel il commettait un acte de pédérastie. Sauf ce cas, ses rêves de pollutions lui représentaient des scènes de mort, des attaques par des chiens, etc. Le malade continuait de souffrir du plus violent libido sexualis. Souvent il lui venait des idées voluptueuses d'aller se réjouir à l'abattoir à la vue des bêtes en agonie ou de se laisser battre par des garçons; mais il résistait à ce désir de même qu'à l'impulsion de mettre un uniforme militaire.

Pour se débarrasser de son habitude de la masturbation et pour satisfaire son libido nimia, il se décida à faire une visite au lupanar. Il tenta un premier essai de satisfaction sexuelle avec une femme, à l'âge de vingt et un ans, un jour qu'il avait fait force libations bachiques. La beauté du corps de la femme, de même que toute nudité féminine, lui était à peu près indifférente. Mais il était capable de pratiquer le coït avec plaisir, et il fréquenta dorénavant régulièrement le lupanar, «pour raisons de santé», comme il disait.

À partir de cette époque, il trouvait aussi un grand plaisir à se faire raconter par des hommes leurs rapports sexuels avec des femmes.

Au lupanar, des idées de flagellation lui viennent très souvent, mais il n'a pas besoin de fixer ces images pour être puissant. Il considère les rapports sexuels au lupanar seulement comme des expédients contre son penchant à la masturbation et à l'amour des hommes, comme une sorte de soupape de sûreté, afin de ne pas se compromettre un jour devant un homme sympathique.

Le malade voudrait se marier, mais il craint de ne pas avoir d'amour et, par conséquent, de n'être pas puissant devant une honnête femme. Voilà pourquoi il a des scrupules et pourquoi il consulte un médecin.

Le malade est un personnage très cultivé et d'un extérieur tout à fait viril. Il ne présente rien d'étrange ni dans sa mise, ni dans son attitude. Sa démarche et sa voix ont un caractère tout à fait viril, de même que son squelette et son bassin. Ses parties génitales sont normalement développées. Elles sont très poilues, de même que la figure. Personne dans l'entourage, ni dans les connaissances du malade, ne se doute de son anomalie sexuelle. Dans ses fantaisies d'inversion sexuelle, dit-il, il ne s'est jamais senti dans le rôle de la femme vis-à-vis de l'homme. Depuis quelques années, le malade est resté presque tout à fait exempt de malaises neurasthéniques.

Il ne saurait dire s'il se considère comme inverti congénital. Il semble que son faible penchant ab origine pour la femme, à côté de son penchant très fort pour l'homme, a été affaibli encore par une masturbation précoce, et au profit de l'inversion sexuelle, mais sans avoir été complètement réduit à zéro. Avec la cessation de la masturbation le sentiment pour le sexe féminin a augmenté quelque peu, mais seulement dans le sens d'une sensualité grossière.

Comme le malade déclarait être obligé de se marier pour des raisons de famille et d'affaires, on ne pouvait éluder au point de vue médical cette question délicate.

Heureusement le malade se bornait à la question de savoir s'il serait puissant comme mari. On dut lui répondre qu'en réalité il était puissant et qu'il le serait selon toutes prévisions avec une femme de son choix, dans le cas où elle lui serait au moins intellectuellement sympathique.

D'ailleurs, en ayant recours à son imagination, il pourrait toujours améliorer sa puissance.

La principale chose consisterait à renforcer ses penchants sexuels pour les femmes, penchants qui n'ont été qu'arrêtés dans leur développement, mais qui ne lui manquent pas absolument. Il pourrait atteindre ce but en écartant et en refoulant tout sentiment, toute impulsion homosexuelle, même avec le concours des influences artificielles et inhibitives de la suggestion hypnotique (suggestion contre les sentiments homosexuels), ensuite en s'incitant avec effort aux sentiments sexuels normaux, par l'abstinence complète de toute masturbation, et en faisant disparaître les derniers vestiges de l'état neurasthénique du système nerveux par l'emploi de l'hydrothérapie et, éventuellement, de la faradisation générale.

Je dois à un collègue, âgé de trente ans, l'autobiographie suivante qui, à d'autres points de vue encore, mérite toute attention.


Observation 108 (Hermaphrodisme psychique; Inversion avortée).—Mon ascendance est assez lourdement chargée. Mon grand-père du côté paternel était un viveur gai et un spéculateur; mon père, un homme de caractère intègre, mais qui, depuis trente ans, est atteint de folie circulaire, sans être sérieusement empêché de vaquer à ses affaires. Ma mère souffre, comme son père, d'accès sténocardiaques. Le père de ma mère et le frère de ma mère auraient été des sexuels hyperesthésiques. Ma sœur unique, qui est de neuf ans plus âgée que moi, fut atteinte deux fois d'accès éclamptiques; elle était, à l'âge de la puberté, exaltée au point de vue religieux et probablement aussi hyperesthésique au point de vue sexuel. Pendant des années, elle eut à combattre une grave névrose hystérique; mais maintenant elle est très bien portante.

Comme fils unique, venu tardivement au monde, je fus le chéri de ma mère, et je dois à ses soins infatigables d'être, à l'âge de jeune homme, bien portant, après avoir enduré, enfant et petit garçon, toutes sortes de maladies infantiles (hydrocéphalie, rougeole, croup, variole; à l'âge de dix-huit ans, catarrhe intestinal chronique pendant un an). Ma mère, qui avait des principes religieux très rigoureux, m'a élevé dans ce sens, sans me gâter, et elle m'a toujours inculqué comme principe suprême de morale un sentiment de devoir inflexible qui a été développé jusqu'à la rigidité par un maître d'école que je considère encore aujourd'hui comme mon ami. Comme, par suite de mon état maladif, j'ai passé la plus grande partie de mon enfance dans le lit, j'en fus réduit à des occupations tranquilles et notamment à la lecture. De cette manière, je suis devenu un garçon précoce, mais non blasé. Déjà, à l'âge de huit à neuf ans, les passages des livres qui m'intéressaient le plus étaient ceux où il était question de blessures et d'opérations chirurgicales que de belles filles ou des femmes avaient dû subir. Entre autres, un récit où il est raconté comment une jeune fille s'enfonça une épine dans le pied, et comment cette épine lui fut retirée par un garçon, me mit dans une excitation très violente; de plus, j'avais une érection toutes les fois que je regardais la gravure représentant cette scène, qui cependant n'avait rien de lascif. Autant qu'il m'était possible, j'allais voir tuer des poulets, et, quand j'avais manqué ce spectacle, je regardais avec un frisson voluptueux les taches de sang, je caressais le corps de l'animal encore tout chaud. Je dois faire remarquer ici que, de tout temps, je fus un grand amateur de bêtes, et que l'abatage de plus grands animaux, même la vivisection des grenouilles, m'inspiraient du dégoût et de la pitié.

Aujourd'hui encore, l'égorgement des poulets a pour moi un grand charme sexuel, surtout quand on les étrangle; j'éprouve des battements de cœur et une oppression précordiale. Fait intéressant, mon père avait la passion de ligotter les deux mains à des filles ou à des jeunes femmes.

Je crois qu'une autre de mes anomalies sexuelles doit encore être rattachée à cette fibre cruelle de mon caractère. Ainsi que je le raconterai plus loin, un de mes jeux favoris était un théâtre de poupées que j'improvisais et où j'indiquais le sujet aux exécutants. Il y avait dans la pièce une jeune fille qui, sur l'ordre sévère de son père—c'était toujours moi,—devait se soumettre à une opération douloureuse du pied exécutée par le médecin. Plus la poupée pleurait et se désolait, plus ma satisfaction était grande. Pourquoi ai-je toujours désigné le pied comme lieu de l'opération chirurgicale? Cela s'explique par le fait suivant. Étant petit garçon, j'arrivai par hasard au moment où ma sœur aînée changeait de bas. En la voyant vite cacher ses pieds, mon attention fut éveillée, et bientôt la vue de ses pieds nus jusqu'aux chevilles devint l'idéal de mes désirs.

Bien entendu, cela fit que ma sœur redoubla de précautions; et c'est ainsi qu'il s'engagea une lutte continuelle où j'employais toutes les armes: la ruse, la flatterie et les explosions de colère, et que je soutins jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Pour le reste, ma sœur m'était indifférente; les baisers qu'elle me donnait m'étaient même désagréables. Faute de mieux, je me contentais des pieds de nos bonnes; mais les pieds masculins me laissaient froid. Mon plus vif désir aurait été de pouvoir couper les ongles ou, sit venia verbo, les œils-de-perdrix d'un beau pied de femme. Mes rêves érotiques tournaient toujours autour de ce sujet; ce qui plus est, je ne me suis consacré à l'étude de la médecine que dans l'espoir d'avoir l'occasion de satisfaire mon penchant ou de m'en guérir. Dieu merci! c'est ce dernier moyen qui m'a réussi. Quand j'eus fait ma première dissection des extrémités inférieures de la femme, le charme funeste était rompu; je dis funeste, car en moi-même je rougissais de ces penchants. Je crois pouvoir omettre d'autres détails sur cette passion étrange qui m'a même enthousiasmé jusqu'à faire des poésies, et qui a été déjà décrite souvent en d'autres endroits.

Passons à la dernière page de mes aberrations sexuelles.

J'avais environ treize ans et commençais à changer de voix, lorsqu'un camarade d'école, qui était incidemment chez nous comme hôte, m'agaça un soir en me poussant avec son pied nu qu'il sortait de la couverture. J'attrapai son pied, et aussitôt je fus pris d'une excitation très violente qui fut suivie d'une pollution, la première que j'eus. Le garçon avait une structure de fille à s'y méprendre, et ses dispositions intellectuelles étaient conformes à cette particularité de son corps. Un autre camarade, qui avait des pieds et des mains très petits et très délicats et que je vis un jour au bain, me causa une très violente excitation. Je considérais comme un très grand bonheur de pouvoir coucher avec l'un ou avec l'autre dans le même lit, mais je n'ai nullement pensé à un rapport sexuel plus intime et qui aurait dépassé une simple accolade. D'ailleurs, je repoussais avec horreur de pareilles idées.

Quelques années plus tard, à l'âge de seize à dix-huit ans, je fis la connaissance de deux autres garçons qui ont réveillé mon sentiment sexuel. Quand je me colletais avec eux, j'avais immédiatement des érections. Tous les deux étaient des garçons énergiques, gais, d'une conformation délicate, d'habitus enfantin. Lorsqu'ils atteignirent l'âge de puberté, aucun d'eux ne put plus m'inspirer un intérêt profond, bien que j'eusse conservé pour tous les deux un intérêt amical. Je ne me serais jamais laissé entraîner à des pratiques d'impudicité avec eux.

Quand je me suis fait inscrire à l'Université, j'oubliai complètement ces phénomènes de mon libido sexualis; mais, par principe, je me suis abstenu jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans de tout rapport sexuel, malgré les railleries de mes collègues. Comme alors les pollutions devenaient trop fréquentes, que j'avais à craindre de la sorte de contracter éventuellement une cérébralasthénie ex abstinentia, je me jetai dans la vie sexuelle normale, et ce fut pour mon bien, malgré que j'en aie fait un assez grand usage.

Si je suis presque impuissant en face des puellæ publicæ, et si le corps nu de la femme me dégoûte plutôt qu'il ne m'attire, cela tient probablement aux branches spéciales de la médecine que j'ai étudiées pendant des années.

L'acte me satisfait toujours mieux quand je peux, en le faisant, fixer l'idée de la vis; mais, comme d'autre part, l'idée m'est insupportable que cette fille est satisfaite par d'autres que par moi, j'ai résolu, depuis des années, comme une nécessité pour l'équilibre de mon âme, de me payer une femme entretenue et autant que possible une virgo, bien que ces sacrifices matériels me grèvent lourdement. Autrement la jalousie la plus absurde me rendrait incapable de travailler. Je dois encore rappeler que, à l'âge de treize ans, je devins pour la première fois amoureux, mais platoniquement, et depuis j'ai souvent soupiré avec des langueurs de trouvère. Ce qui distingue mon cas de tous les autres, c'est que je ne me suis jamais masturbé de ma vie.

Il y a quelques semaines, je fus effrayé: pendant mon sommeil, j'avais rêvé de pueris nudis, et je m'étais éveillé avec une érection.

Enfin, je vais entreprendre la tâche toujours délicate de vous dépeindre mon état actuel. De taille moyenne, élégamment bâti, crâne dolichocéphale de 59 centimètres de circonférence, avec bosses frontales très proéminentes; regard un peu névropathique, pupilles moyennes, mâchoire très défectueuse. Musculature forte. Chevelure forte, blonde. À gauche, varicocèle; le frein était trop court, me gênait pendant le coït; je le coupai moi-même, il y a trois ans. Depuis, l'éjaculation est retardée, la sensation de volupté diminuée.

Tempérament coléreux, don d'assimilation rapide; bonnes facultés pour combiner avec énergie; pour un héréditaire, je suis très tenace; j'apprends facilement les langues étrangères, j'ai l'oreille musicale, mais autrement pas de talents artistiques. Zélé pour mes devoirs, mais toujours rempli du tædium vitæ, tendances au suicide auxquelles je n'ai résisté que par religion et par égard pour ma mère adorée. Du reste, candidat typique au suicide. Ambitieux, jaloux, paralysophobe et gaucher. J'ai des idées socialistes. Chercheur d'aventures, car je suis très brave; j'ai résolu de ne me jamais marier.


Observation 109 (Hermaphrodisme psychique; autobiographie).—Je suis né en 1868. Les familles de mes deux parents sont saines. Dans tous les cas, il n'y eut chez eux aucune maladie mentale. Mon père était commerçant; il a maintenant soixante-cinq ans, est nerveux depuis des années et très enclin à la mélancolie. Avant son mariage, mon père, dit-on, aurait été un vaillant viveur. Ma mère est bien portante, quoique pas très forte. J'ai une sœur et un frère bien portants.

Moi-même je me suis développé sexuellement de très bonne heure; à l'âge de quatorze ans, j'avais tellement de pollutions que j'en fus effrayé. Je ne puis plus dire dans quelles circonstances ces pollutions se manifestaient ni par quel genre de rêves elles étaient provoquées. Le fait est que, depuis des années, je ne me sens attiré sexuellement que vers les hommes et que, malgré toute mon énergie et malgré une lutte terrible, je ne puis pas vaincre ce penchant contre nature qui me répugne tant. Dans les premières années de ma vie, dit-on, j'aurais enduré beaucoup de maladies graves, de sorte qu'on craignit pour ma vie. De là vient aussi que plus tard on m'a gâté et trop choyé. J'étais confiné souvent à la chambre; j'aimais mieux jouer avec des poupées qu'avec des soldats; je préférais en général les jeux tranquilles de la chambre aux jeux bruyants de la rue. À l'âge de dix ans, on me mit au lycée. Bien que je fusse très paresseux, je comptai parmi les meilleurs élèves, car j'apprenais avec une facilité extraordinaire, et j'étais le favori de mes professeurs. Depuis mon âge le plus tendre (sept ans), j'eus plaisir à être avec les petites filles. Je me rappelle que, jusqu'à l'âge de treize ans, j'entretenais avec elles des liaisons d'amour, que j'étais jaloux de ceux qui parlaient à l'objet de mon amour, que j'avais plaisir à regarder sous les jupons des amies de ma sœur et des bonnes, et que j'avais des érections quand je touchais le corps de mes petites camarades de jeux. Je ne puis pas me rappeler avec exactitude si, à cet âge précoce, les garçons avaient pour moi un aussi puissant attrait et m'émotionnaient sexuellement. J'eus toujours beaucoup de plaisir à la lecture des pièces de théâtre: j'avais un théâtre de poupées, je contrefaisais les artistes que je voyais au grand théâtre et surtout, cherchant pour moi les rôles de femmes, je me plaisais alors à m'affubler de vêtements de femmes.

Quand l'éveil de ma vie sexuelle est devenu plus fort, le penchant pour les garçons l'emporta. Je devins tout à fait amoureux de mes camarades; j'éprouvais un sentiment voluptueux quand l'un d'eux, qui me plaisait, me touchait le corps. Je devins très farouche, je refusais d'aller à la leçon de gymnastique et de natation. Je croyais être fait autrement que mes camarades, et j'étais gêné quand je me déshabillais devant eux. J'avais plaisir à adspicere mentulam commilitum meorum, et j'avais des érections très faciles. Je ne me suis masturbé qu'une fois dans ma jeunesse. Un ami me raconta qu'on pouvait avoir du plaisir sans une femme; j'en essayai, mais je n'y éprouvai aucune jouissance. À cette époque, le hasard me fit tomber entre les mains un livre qui prévenait contre les conséquences funestes de l'onanisme. Je ne revins plus à mon premier essai. À l'âge de quatorze ou quinze ans, je fis la connaissance de deux garçons un peu plus jeunes que moi, mais qui m'excitaient sexuellement à un très haut degré. C'était surtout de l'un d'eux que j'étais amoureux. À son approche, j'étais ému sexuellement; j'étais inquiet quand il n'était pas là, jaloux de tous ceux qui lui parlaient et embarrassé en sa présence. Celui-ci ne se doutait pas du tout de mon état. Je me sentais très malheureux, je pleurais souvent et volontiers, car les pleurs me soulageaient. Pourtant je ne pouvais pas comprendre ce sentiment, et j'en sentais bien le caractère irrégulier. Ce qui me rendait particulièrement malheureux alors, c'est que ma faculté pour le travail sembla disparaître tout d'un coup. Moi qui autrefois apprenais avec la plus grande facilité, j'éprouvai subitement la plus grande difficulté: mes idées n'étaient jamais à la question, mais vagabondaient. C'était par le déploiement de toute mon énergie que j'arrivais à faire entrer quelque chose dans ma tête. J'étais obligé de répéter à haute voix ma leçon afin de maintenir mon attention en éveil. Ma mémoire, autrefois si bonne, me trahissait souvent. Je restais, malgré tout, un bon élève; je passe encore aujourd'hui pour un homme bien doué; mais j'ai une difficulté terrible à me graver quelque chose dans la mémoire. J'employai alors toute mon énergie pour sortir de cet état pitoyable. J'allais tous les jours faire de la gymnastique, de la natation et des promenades à cheval; je fréquentais assidûment la salle d'armes, et je trouvais beaucoup de plaisir à tous ces exercices. Aujourd'hui encore, je me sens très à mon aise quand je suis à cheval, bien que je ne m'entende pas bien en fait d'équitation et que je n'aie pas un don particulier pour les exercices de corps. Les relations avec mes camarades me faisaient beaucoup de plaisir, je ne manquais à aucune «beuverie»; je fumais et j'étais très populaire parmi eux. Je fréquentais beaucoup les brasseries, j'aimais à m'amuser avec les filles de brasserie, sans cependant en être sexuellement ému. Aux yeux de mes amis et de mes professeurs, je passais pour un homme débauché, un grand coureur de femmes. Malheureusement, c'était à tort.

À l'âge de dix-neuf ans, je devins élève de l'Université. Je passai mon premier semestre à l'Université de B... J'en ai gardé jusqu'à aujourd'hui un souvenir terrible. Mes besoins sexuels se faisaient sentir avec une violence extrême; je courais toute la nuit, surtout quand j'avais beaucoup bu, pour chercher des hommes. Heureusement je ne trouvais personne. Le lendemain d'une pareille promenade, j'étais toujours hors de moi-même. Le deuxième semestre, je me fis inscrire à l'Université de M...; ce fut l'époque la plus heureuse de ma vie. J'avais des amis gentils; fait curieux, je commençais à avoir du goût pour les femmes, et j'en étais bien heureux. Je nouai une liaison d'amour avec une fille jeune mais débauchée, avec laquelle je passai bien des nuits échevelées; j'étais extraordinairement apte aux joutes amoureuses.

Après le coït je me sentais dispos et aussi bien que possible. Outre cela, moi qui avais toujours été chaste, j'avais beaucoup de relations avec des femmes. Chez la femme, ce n'était pas le corps qui me charmait, car je ne le trouvais jamais beau, mais un certain je ne sais quoi; bref, je connaissais les femmes et leur seul contact me donnait une érection. Cette joie et cet état ne durèrent pas longtemps; je commis la bêtise de prendre une chambre commune avec un ami. C'était un jeune homme aimable, doué de talents et redouté des femmes; ces qualités m'avaient vivement attiré. En général, je n'aime que les hommes instruits, tandis que les hommes vigoureux mais sans éducation ne peuvent m'exciter vivement que pour un moment, sans jamais m'attacher. Bientôt je devins amoureux de mon ami. Alors arriva la période terrible qui a détraqué ma santé. Je couchais dans la même chambre que mon ami; j'étais obligé de le voir tous les jours se déshabiller devant moi; je dus rassembler toute mon énergie pour ne pas me trahir. J'en devins nerveux; je pleurais facilement, j'étais jaloux de tous ceux qui causaient avec lui. Je continuais toujours à avoir des rapports avec des femmes, mais ce n'était que difficilement que je pouvais arriver à faire le coït, qui me dégoûtait ainsi que la femme.

Les mêmes femmes, qui autrefois m'excitaient le plus vivement, me laissaient froid. Je suivis mon ami à W... où il rencontra un ami d'autrefois avec lequel il prit une chambre commune. Je devins jaloux, malade d'amour et de nostalgie. En même temps je repris mes rapports avec les femmes; mais ce n'est que rarement et avec beaucoup de peine que j'arrivais à accomplir le coït. Je devins terriblement déprimé, et je fus près de devenir fou. Du travail, il n'en était plus question. Je menais une vie insensée et fatigante; je dépensais des sommes énormes; je jetais pour ainsi dire l'argent par les fenêtres. Un mois et demi plus tard je tombai malade, et on dut me transporter dans un établissement d'hydrothérapie, où je passai plusieurs mois. Là je me suis ressaisi; bientôt je devins très aimé de la société; car je puis être très gai et je trouve beaucoup de plaisir dans la société des dames instruites. Pour la conversation, je préfère les dames mariées aux jeunes demoiselles, mais je suis aussi très gai dans la compagnie des messieurs, à la table de la brasserie et au jeu de quilles.

Je rencontrai, dans l'établissement hydrothérapique, un jeune homme de vingt-neuf ans qui évidemment avait les mêmes prédispositions que moi. Cet homme-là cherchait à se fourrer contre moi, voulait m'embrasser; mais cela me répugnait beaucoup, bien qu'il m'excitât et que son contact me donnât des érections et même de l'éjaculation. Un soir cet homme me décida à faire de la masturbatio mutua. Je passai ensuite une nuit terrible, sans sommeil; j'avais un dégoût horrible de cette affaire et je pris la résolution ferme de ne plus jamais pratiquer pareille chose avec un homme. Pendant des jours entiers, je ne pus me tranquilliser. Cela m'épouvantait que cet homme, malgré tout et en dépit de ma volonté, pût m'exciter sexuellement; d'autre part, j'éprouvais une satisfaction à voir qu'il était amoureux de moi et que, évidemment, il avait à traverser les mêmes luttes que moi. Je sus le tenir à l'écart.

Je me fis inscrire dans diverses Universités; je fréquentai encore plusieurs établissements hydrothérapiques, obtenant des guérisons momentanées, mais jamais durables. Je m'amourachai encore par-ci par-là d'un ami, mais jamais plus je n'eus une passion aussi violente que celle que j'eus pour l'ami de M... Je n'avais plus de rapports sexuels, ni avec des femmes, car j'en étais incapable, ni avec des hommes, car je n'en avais pas l'occasion, et je m'efforçais de me détourner d'eux. J'ai rencontré encore souvent l'ami de M...; nous sommes maintenant plus amis que jamais; sa vue ne m'excite plus, ce dont je suis bien aise. Il en est toujours ainsi; quand j'ai perdu de vue pour quelque temps une personne qui m'avait excité sexuellement, l'influence sexuelle disparaît.

J'ai passé mes examens brillamment. Pendant la dernière année, avant mes examens, j'ai commencé à pratiquer l'onanisme, c'est-à-dire à l'âge de vingt-trois ans, ne pouvant satisfaire autrement mon instinct génital qui devenait très gênant. Mais je ne me livrai à la masturbation que rarement, car, après l'acte, j'étais rempli de dégoût et je passais une nuit blanche. Quand j'ai beaucoup bu, je perds toute mon énergie. Alors je cours des heures entières à la recherche des hommes et finis par en arriver à la masturbation pour me réveiller le lendemain la tête lourde, avec le dégoût de moi-même, et pour rester en proie à une profonde mélancolie les jours suivants. Tant que j'ai de l'empire sur moi, je cherche à combattre mon naturel avec toute l'énergie dont je dispose. C'est horrible de ne pouvoir entrer en relations tranquilles avec aucun de ses amis, et de tressaillir à la vue de tout soldat ou de tout garçon boucher. C'est horrible, quand la nuit vient et que je guette à ma fenêtre si au mur d'en face, il n'y a pas quelqu'un qui pisse et me fournisse l'occasion de voir ses parties génitales. Ils sont horribles ces rêves, et surtout la conviction de l'immoralité, du caractère criminel de mes désirs et de mes sentiments. J'ai de moi-même un dégoût qu'on ne peut guère décrire. Je considère mon état comme morbide. Je ne peux pas le prendre pour congénital, je crois plutôt que ce penchant m'a été inculqué à la suite d'une éducation manquée. Ma maladie me rend égoïste et dur pour les autres; elle étouffe chez moi toute bonhomie et tout égard pour ma famille. Je suis capricieux, souvent excité jusqu'à la folie, souvent triste; de sorte que je ne sais pas comment me sortir d'embarras; alors j'ai les pleurs faciles. Et pourtant j'ai un dégoût pour les rapports sexuels avec les hommes. Un soir que je revenais du cabaret, ivre et excité, et que j'avais perdu à demi conscience, l'âme pleine de libido, je me promenai dans un square public; je rencontrai un jeune homme qui me décida à faire un acte de masturbation mutuelle. Bien qu'il m'excitât, je fus après l'acte tout à fait hors de moi. Aujourd'hui même, quand je passe devant ce square, je suis pris de dégoût; récemment encore, comme j'y passais à cheval, je tombai sans aucune raison de ma monture docile, tellement le souvenir de cette vilenie m'avait révolté.

J'aime les enfants, la famille et la société, et je suis, grâce à ma position sociale, en état de fonder et de diriger un ménage. Je dois renoncer à tout cela, et pourtant je ne peux pas renoncer à l'espoir de guérir. Ainsi, je suis balancé entre la joie de l'espérance et un désespoir terrible; je néglige mon métier et ma famille. Je ne désire même pas arriver à me marier et fonder une famille. Je serais content si je pouvais dompter cet horrible penchant pour le sexe masculin, si je pouvais communiquer tranquillement avec mes amis et reprendre l'estime de moi-même.

Personne ne peut se faire une idée de mon état; je passe pour un «vert galant» et je cherche à me maintenir cette réputation. J'essaie souvent de nouer des liaisons avec des filles, car l'occasion se présente souvent. J'en ai déjà connu plus d'une qui m'aimait et qui m'aurait sacrifié son honneur; mais je ne puis lui offrir de l'amour, je ne puis rien lui donner sexuellement. Je pourrais bien aimer un homme; je ne suis excité que par des hommes très jeunes, des jouvenceaux de dix-sept à vingt-cinq ans, qui ne portent pas de favoris ou, ce qui est mieux encore, qui ne portent pas de barbe du tout. Je ne puis aimer que ceux qui sont très instruits, convenables, et de manières aimables. Moi-même je suis de petite taille, très vaniteux, très étourdi, très exalté aussi; je me laisse facilement guider par des personnes qui me plaisent et que je cherche à imiter en tout, mais je suis aussi très susceptible et facile à froisser. J'attache une très grande valeur aux apparences; j'aime les beaux meubles et les beaux vêtements, et je m'en laisse imposer par des manières aristocratiques et une mise élégante. Je suis malheureux de ce que mon état neurasthénique m'empêche d'étudier et de cultiver tout ce que je voudrais.

J'ai fait la connaissance d'un malade pendant l'automne dernier. Il n'a pas de stigmates de dégénérescence; il est d'un habitus tout à fait viril, bien que d'une constitution délicate et frêle. Les parties génitales sont normales. L'extérieur, distingué, n'a rien d'étrange. Il maudit sa perversion sexuelle dont il voudrait se débarrasser à tout prix. Malgré tous les efforts du médecin ainsi que du malade, on n'a pu obtenir qu'un degré d'hypnose très léger et insuffisant pour un traitement par suggestion.


Observation 110 (Hermaphrodisme psychique; fétichisme de la bouche).—J'ai trente et un ans; je suis employé dans une fabrique. Mes parents sont bien portants et n'ont rien de maladif. On dit que mon grand-père paternel a souffert du cerveau; ma grand'mère maternelle est morte mélancolique; un cousin de ma mère était un alcoolique; plusieurs autres parents proches sont anormaux au point de vue psychique.

J'avais quatre ans lorsque mon instinct génital commença à s'éveiller. Un homme de vingt et quelques années, qui jouait avec nous autres enfants et qui nous prenait sur ses bras, me donna l'envie de l'enlacer et de l'embrasser violemment. Ce penchant à embrasser sensuellement sur la bouche est très caractéristique dans mon état, car cette manière d'embrasser est chez moi le charme principal de ma satisfaction sexuelle.

J'ai éprouvé un mouvement analogue à l'âge de neuf ans. Un homme laid, même sale, à barbe rousse, m'a donné cette envie d'embrasser.

Alors se montra chez moi pour la première fois, un symptôme qu'on retrouve encore aujourd'hui: par moments les choses viles, même les personnes en vêtements sales et communes dans leurs manières, exercent un charme particulier sur mes sens.

Au lycée je fus, de onze à quinze ans, passionnément amoureux d'un camarade. Là aussi mon plus grand plaisir aurait été de l'enlacer de mes bras et de l'embrasser sur la bouche. Parfois j'étais pris pour lui d'une passion telle que je n'en ai jamais eu depuis de plus forte pour les personnes aimées. Mais, autant que je me rappelle, je n'eus des érections que vers l'âge de treize ans.

Durant ces années, je n'eus, comme je viens de le dire, que l'envie d'enlacer de mes bras et d'embrasser sur la bouche; cupiditas videndi vel tangendi aliorum genitalia mihi plane deerat. J'étais un garçon tout à fait naïf et innocent, et j'ignorai, jusqu'à l'âge de quinze ans, tout à fait la signification de l'érection; de plus, je n'osais pas même embrasser l'aimé, car je sentais que je faisais là un acte étrange.

Je n'éprouvais pas le besoin de me masturber, et j'eus la chance du ne pas y avoir été entraîné par des camarades plus âgés. En général, je ne me suis jamais masturbé jusqu'ici; j'ai une certaine répugnance pour cela.

À l'âge de quatorze à quinze ans, je fus pris de passion pour une série de garçons dont quelques-uns me plaisent encore aujourd'hui. Ainsi, je fus très amoureux d'un garçon auquel je n'ai jamais parlé; pourtant, j'étais heureux rien qu'en le rencontrant dans la rue.

Mes passions étaient de nature sensuelle; cela ressort déjà du fait que, rien qu'en pressant la main de l'individu aimé et en le caressant, j'avais de violentes érections.

Mais mon plus grand plaisir a été toujours amplecti et os osculari; je ne demandais jamais autre chose.

J'ignorais que le sentiment que j'éprouvais était de l'amour sexuel, seulement je me disais qu'il était impossible que j'éprouve seul de pareilles délices. Jusqu'à l'âge de quinze ans, jamais femme ne m'avait excité; un soir que j'étais seul avec la bonne dans ma chambre, j'éprouvai la même envie que j'avais jusqu'ici pour les garçons; je plaisantai d'abord avec elle, et quand je vis qu'elle se laissait faire volontiers, je la couvris de baisers; voluptatem sensi tantam quantam nunc rarissime sentio. Alter alterius os osculati sumus et post X minutas pollutio evenit. C'est ainsi que je me satisfaisais deux à trois fois par semaine: bientôt je nouai une liaison analogue avec une de nos cuisinières et d'autres bonnes encore. Ejuculatio semper evenit postquam X fere minutas nos osculati sumus.

Entre temps, je pris des leçons de danse: c'est alors que, pour la première fois, je fus épris d'une demoiselle de bonne famille. Cet amour disparut bientôt; j'aimai encore une autre jeune fille dont je n'ai jamais fait la connaissance, mais dont la vue exerçait sur moi la même force d'attraction que la vue des jeunes gens; j'éprouvai pour elle plus que cette chaleur sensuelle que je sentais en d'autres occasions pour les filles. Mon penchant pour les filles était, à cette époque, arrivé à son point culminant: les filles me plaisaient à peu près autant que les garçons. Je satisfaisais ma sensualité, ainsi que je l'ai dit plus haut, en embrassant la bonne, ce qui provoquait toujours une pollution. C'est ainsi que je passai ma vie, de l'âge de seize ans jusqu'à dix-huit. Le départ de nos bonnes me priva de l'occasion de satisfaire mes sens. Vint alors une période de deux à trois ans, pendant laquelle j'ai dû renoncer aux jouissances sexuelles; en général, les filles me plaisaient moins; devenu un peu plus grand, j'eus honte de me commettre avec des servantes. Il m'était impossible de me procurer une maîtresse, car, malgré mon âge, j'étais rigoureusement surveillé par mes parents; je ne fréquentais que peu les jeunes gens, de sorte que je n'avais que très peu d'esprit d'initiative. À mesure que le penchant pour les femmes diminuait, l'attrait pour les jeunes gens augmentait.

Comme, depuis l'âge de seize ans, j'avais beaucoup de pollutions en rêvant tantôt de femmes, tantôt d'hommes, pollutions qui m'affaiblissaient beaucoup et déprimaient complètement mon humeur, je voulus absolument essayer du coït normal.

Cependant, des scrupules et l'idée que des filles publiques ne pourraient m'exciter, m'empêchèrent, jusqu'à l'âge de vingt et un ans, d'aller au bordel. Je soutins, pendant deux ou trois ans, un combat quotidien (s'il y avait eu des bordels d'hommes, aucun scrupule n'aurait pu m'empêcher d'y aller). Enfin, j'allai un jour au lupanar; je n'arrivai pas même à l'érection, d'abord parce que la fille, bien que jeune et assez fraîche pour une prostituée, n'avait pas de charme pour moi, ensuite parce qu'elle ne voulut pas m'embrasser sur la bouche. Je fus très déprimé et je me crus impuissant.

Trois semaines après, je visitai aliam meretricem quæ statim osculo erectionem effecit; erat robusto corpore, habuit crassa labia, multo libidinosior quam prior. Jam post tres minutas oscula sola in os data ejaculationem ante portam effecerunt. J'allai sept fois chez des prostituées, pour essayer d'arriver au coït.

Parfois, je n'arrivais point à avoir d'érection, parce que la fille me laissait froid; d'autres fois, j'éjaculais trop tôt. En somme, les premières fois, j'eus quelque répugnance à penem introducere, et même, après avoir réussi à faire le coït normal, je n'y éprouvai aucun charme. La satisfaction voluptueuse est produite par des baisers sur la bouche, c'est pour moi le plus important; le coït n'est que quelque chose d'accessoire qui doit servir à rendre plus étroit l'enlacement. Le coït seul, quand même la femme aurait pour moi les plus grands charmes, me serait indifférent sans les baisers, et même, dans la plupart des cas, l'érection cesse ou elle n'a pas lieu du tout quand la femme ne veut pas m'embrasser sur la bouche. Je ne peux pas embrasser n'importe quelles femmes, mais seulement celles dont la vue m'excite; une prostituée dont l'aspect me déplaît ne peut me mettre en chaleur, malgré tous les baisers qu'elle pourrait me prodiguer et qui ne m'inspireraient que du dégoût.

Ainsi, depuis quatre ans, je fréquente tous les dix à quinze jours le lupanar; ce n'est que rarement que je ne réussis pas à coïter, car je me suis étudié à fond, et je sais, en choisissant la puella, si elle m'excitera ou si elle me laissera froid. Il est vrai que, ces temps derniers, il m'est arrivé de nouveau de croire qu'une femme m'exciterait et que pourtant aucune érection ne s'est produite. Cela se produisait surtout quand, les jours précédents, j'avais dû faire trop d'efforts pour étouffer mon penchant pour les hommes.

Dans les premiers temps de mes visites au lupanar, mes sensations voluptueuses étaient très minimes; je n'éprouvais que rarement un vrai plaisir (comme autrefois par les baisers). Maintenant, au contraire, j'éprouve, dans la plupart des cas, une forte sensation de volupté. Je trouve un charme particulier aux lupanars de basse espèce; car, depuis ces temps derniers, c'est l'avilissement des femmes, l'entrée obscure, la lueur blafarde des lanternes, en un mot tout l'entourage qui a pour moi un attrait particulier; la principale raison en est, probablement, que ma sensualité est inconsciemment stimulée par le fait que ces endroits sont très fréquentés par des militaires, et que cette circonstance revêt pour ainsi dire la femme d'un certain charme.

Quand je trouve alors une femme dont la figure m'excite, je suis capable d'éprouver une très grande volupté.

En dehors des prostituées, mes désirs peuvent encore être excités surtout par des filles de paysans, des servantes, des filles du peuple et, en général, par celles qui sont habillées grossièrement et pauvrement.

Un fort coloris des joues, des lèvres épaisses, des formes robustes: voila ce qui me plaît avant tout. Les dames et les demoiselles distinguées me sont absolument indifférentes.

Mes pollutions ont lieu, la plupart du temps, sans me procurer aucune sensation de volupté; elles se produisent souvent quand je rêve d'hommes, très rarement ou presque jamais quand je rêve de femmes. Ainsi qu'il ressort de cette dernière circonstance, mon penchant pour les jeunes hommes subsiste toujours, malgré la pratique régulière du coït. Je peux même dire qu'il a augmenté, et cela dans une mesure considérable. Quand, immédiatement après le coït, les filles n'ont plus de charme pour moi, le baiser d'une femme sympathique pourrait, au contraire, me mettre tout de suite en érection; c'est précisément dans les premiers jours qui suivent le coït que les jeunes hommes me paraissent le plus désirables.

En somme, les rapports sexuels avec les femmes ne satisfont pas entièrement mon besoin sensuel. Il y a des jours où j'ai des érections fréquentes avec un désir ardent d'avoir des jeunes gens; ensuite viennent des jours plus calmes, avec des moments d'une indifférence complète à l'égard de toute femme et un penchant latent pour les hommes.

Une trop grande accalmie sensuelle me rend pourtant triste, surtout quand ce calme suit des moments d'excitation supprimée; ce n'est que lorsque la pensée des jeunes gens aimés me donne de nouvelles érections que je me sens de nouveau le moral relevé. Le calme fait alors brusquement place à une grande nervosité; je me sens déprimé, j'ai parfois des maux de tête (surtout après avoir refoulé les érections); cette nervosité va souvent jusqu'à une agitation violente que je cherche alors à apaiser par le coït.

Un changement essentiel dans ma vie sexuelle s'est opéré l'année passée, quand j'eus pour la première fois l'occasion de goûter à l'amour des hommes. Malgré le coït avec les femmes, qui me faisait plaisir—(à vrai dire c'étaient les baisers qui me faisaient plaisir et provoquaient l'éjaculation),—mon penchant pour les jeunes gens ne me laissait pas tranquille. Je résolus d'aller dans un lupanar fréquenté par beaucoup de militaires et de me payer un soldat en cas extrême. J'eus la chance de tomber bientôt sur un individu qui pensait comme moi et qui, malgré la très grande infériorité de sa position sociale, n'était pas indigne de moi ni par ses manières, ni par son caractère. Ce que j'éprouvai pour ce jeune homme—(et je l'éprouve encore),—c'est bien autre chose que ce que j'éprouve pour les femmes. La jouissance sensuelle n'est pas plus grande que celle que me procurent les prostituées, dont l'accolade et les baisers m'excitent beaucoup; avec lui je peux toujours éprouver une sensation de volupté et j'ai pour lui un sentiment que je n'ai pas pour les femmes. Malheureusement, je n'ai pu l'embrasser qu'à huit reprises différentes.

Bien que nous soyons séparés l'un de l'autre depuis plusieurs mois déjà, nous ne nous sommes pas oubliés et nous entretenons une correspondance très suivie. Pour le posséder, j'osai aller dans un lupanar, l'embrasser dans cet endroit, au risque d'être trahi.

Au début de notre liaison, il y eut une période pendant laquelle je n'entendis plus parler de lui; il ne me croyait pas digne d'assez de confiance.

Pendant ces semaines, j'ai souffert de chagrins et de peines qui m'ont mis dans un état de dépression et d'inquiétude anxieuse comme je n'en avais jamais éprouvé auparavant. Avoir à peine trouvé un amant et être déjà obligé de renoncer à lui, voilà ce qui me paraissait le tourment le plus affreux. Quand, grâce à mes efforts, nous nous retrouvâmes, ma joie fut immense, j'étais même tellement excité, qu'à la première accolade, après son retour, je ne pus arriver à l'éjaculation, malgré mon plaisir sensuel.

Usus sexualis in osculis et amplexionibus solis constitit, pene meo ludere ei licebat (dum ferre non possum mulierem penem manu tangere neque mulieri tangere cum concedo). Il est à remarquer d'ailleurs qu'en présence du bien-aimé j'ai immédiatement une érection: une poignée de main, même sa vue me suffit. Des heures entières je me suis promené avec lui le soir, et jamais je ne me lassais de sa compagnie, malgré sa position sociale fort inférieure à la mienne; c'est avec lui que je me sentais heureux; la satisfaction sexuelle n'était que le couronnement de notre amour. Bien que j'eusse enfin trouvé l'âme-sœur tant cherchée, je ne devins pas pour cela insensible aux femmes, et je fréquentais comme autrefois les bordels, quand l'instinct me tourmentait trop. J'espérais passer cet hiver dans la ville où se trouve mon amant; malheureusement, cela m'est impossible, et je suis maintenant forcé de rester séparé de lui jusqu'à une époque indéterminée. Cependant, nous essayerons de nous revoir, ne fût-ce que passagèrement, quand même ce ne serait qu'une ou deux fois par an; en tout cas, j'espère qu'à l'avenir nous pourrons nous retrouver et rester plus longtemps ensemble. Ainsi cet hiver j'en suis de nouveau réduit à rester sans un ami qui pense comme moi. J'ai bien résolu, par crainte du danger d'être découvert, de ne plus me mettre en quête d'autres uranistes, mais cela m'est impossible, car les rapports sexuels avec les femmes ne me satisfont plus; par contre, l'envie d'avoir des jeunes gens va toujours croissant. Parfois j'ai peur de moi-même; je pourrais me trahir par l'habitude que j'ai de demander aux prostituées si elles ne connaissent pas un homme avec mes tendances; malgré cela, je ne puis renoncer à chercher un jeune homme partageant mes sentiments; je crois même qu'au besoin je prendrais le parti de m'acheter un soldat, bien que je me rende parfaitement compte du risque que je cours.

Je ne puis plus rester sans l'amour d'un homme, sans ce bonheur je serai toujours en désharmonie avec moi-même. Mon idéal serait d'entrer en relations avec une série de personnes ayant mes goûts, bien que je me trouve déjà content de pouvoir, sans empêchement, communiquer avec mon amant. Je pourrais facilement me passer de femmes si j'avais régulièrement des satisfactions avec un homme; cependant, je crois que, par moments et à des intervalles plus espacés, j'embrasserais aussi, pour me changer, une femme, car mon naturel est absolument hermaphrodite au point de vue psycho-sexuel (les femmes, je ne les peux désirer que sensuellement; mais les jeunes gens, je puis les aimer et les désirer à la fois). S'il existait un mariage entre hommes, je crois que je ne reculerais pas devant une vie commune qui me paraîtrait impossible avec une femme. Car, d'un côté, quand même la femme m'exciterait beaucoup, ce charme se perdrait bientôt dans les rapports réguliers, et alors tout plaisir sexuel deviendrait un acte sans jouissance, bien que non impossible à accomplir; d'autre part, il me manquerait le véritable amour pour la femme, attrait que j'éprouve en face des jeunes gens et qui me fait paraître désirable un commerce avec eux, même sans rapports sexuels. Mon plus grand bonheur serait une vie commune avec un jeune homme qui me plairait au physique, mais qui s'accorderait avec moi au point de vue intellectuel, qui comprendrait tous mes sentiments et qui, en même temps, partagerait mes idées et mes désirs.

Pour me plaire, les jeunes gens devaient avoir entre dix-huit et vingt-huit ans; quand j'avançai en âge, la limite des jeunes gens capables de m'exciter fut également reculée. Du reste, les tailles les plus diverses peuvent me plaire. La figure joue le principal rôle, bien que ce ne soit pas tout. Ce sont plutôt les blonds que les bruns qui m'excitent; ils ne doivent pas être barbus; ils doivent porter une petite moustache peu épaisse, ou pas de moustache du tout. Pour le reste, je ne puis dire que certaines catégories de figures me plaisent. Je repousse les visages à nez grand et droit, aux joues pâles, bien qu'il y ait là aussi des exceptions. Je vois avec plaisir des régiments de soldats, et bien des hommes me plaisent en uniforme, qui me laisseraient froid, s'ils étaient en bourgeois.

De même que chez les femmes, c'est une mise commune (surtout les jaquettes claires) qui m'excite, le costume militaire exerce un attrait sur moi. Dans les salles de danse, dans des cabarets fréquentés par de nombreux militaires, me mêler dans la foule aux troupiers et décider ceux qui me plaisent à me donner l'accolade et à m'embrasser,—bien qu'au point de vue intellectuel et social toute grossièreté de propos et de manières me répugne,—me mêler, dis-je, aux soldats, constituerait une stimulation naturelle de mes sens.

En présence de jeunes gens des meilleures classes, l'envie sensuelle se manifeste moins. Ce que j'ai dit de l'attrait qu'exerce sur moi le costume, ne doit pas être pris dans ce sens que ce sont les vêtements qui m'excitent. Cela veut dire que le vêtement peut contribuer à renforcer et à mieux faire ressortir l'effet que me produit la figure qui, dans d'autres circonstances, ne m'attirerait pas avec autant de force. Je puis en dire autant, seulement dans un autre sens, de l'odeur et de la fumée des cigares. Chez les hommes qui me sont indifférents, l'odeur de cigare m'est plutôt désagréable; mais chez les gens qui me sont sexuellement sympathiques, elle m'excite. Les baisers d'une prostituée qui sent le cigare augmentent ses charmes (d'abord pour cette raison particulière que cela me fait penser, bien qu'inconsciemment, aux baisers d'un homme). Ainsi, j'aimais particulièrement à embrasser mon amant quand il venait de fumer un cigare (il est à remarquer à ce propos que je n'ai jamais fumé ni un cigare, ni une cigarette; je ne l'ai pas même essayé).

Je suis de grande taille, mince; la figure a une expression virile; l'œil est mobile; l'ensemble de mon corps a quelque chose de féminin. Ma santé laisse à désirer, elle est probablement très influencée par mon anomalie sexuelle; ainsi que je l'ai déjà mentionné, je suis très nerveux et j'ai par moments tendance à m'absorber dans la méditation. J'ai aussi des périodes terribles de dépression et de mélancolie, surtout quand je songe aux difficultés que j'ai à me procurer une satisfaction homo-sexuelle correspondant à ma nature, mais surtout quand je suis très excité sexuellement et que, devant l'impossibilité de me satisfaire avec un homme, je dois dompter mon instinct. Dans cet état, il se produit, conjointement à la mélancolie, une absence totale de désirs sexuels.

Je suis très courageux au travail, mais souvent superficiel, étant porté aux travaux très rapides avec une activité dévorante. Je m'intéresse beaucoup à l'art et à la littérature. Parmi les poètes et les romanciers, je suis le plus attiré par ceux qui dépeignent des sentiments raffinés, des passions étranges et des impressions insolites; un style fignolé, affecté, me plaît. De même en musique, c'est la musique nerveuse et excitante de Chopin, Schumann, Schubert, Wagner, etc., qui me convient le mieux. Tout ce qui dans l'art est non seulement original, mais bizarre aussi, m'attire.

Je n'aime pas les exercices du corps et je ne les cultive pas.

Je suis bon de caractère, compatissant; malgré les peines que me cause mon anomalie, je ne me sens pas malheureux d'aimer les jeunes gens; mais je regarde comme un malheur que la satisfaction de cet amour soit considéré comme inadmissible et que je ne puisse obtenir sans obstacles cette satisfaction. Il ne me semble pas que l'amour pour l'homme soit un vice, mais je comprends bien pourquoi il passe pour tel. Comme cet amour est considéré comme un crime, je serais, en le satisfaisant, en harmonie avec moi-même, c'est vrai, mais jamais avec le monde de notre époque; voilà pourquoi je serai fatalement et toujours un peu déprimé, d'autant plus que je suis d'un caractère franc qui déteste tout mensonge. Le chagrin que j'ai d'être obligé de tout cacher dans mon for intérieur, m'a décidé à avouer mon anomalie à quelques amis dont la discrétion et l'intelligence sont absolument sûres. Bien que parfois ma situation me paraisse triste, à cause de la difficulté que j'ai à me satisfaire et du mépris général qu'inspire l'amour pour l'homme, j'ai souvent des moments où je tire presque vanité de mes sentiments anormaux. Je ne me marierai jamais, cela est entendu; je n'y vois aucun mal, bien que j'aime la vie de famille et que j'aie passé jusqu'ici une vie dans ma famille. Je vis dans l'espoir d'avoir à l'avenir un amant masculin pour toujours; il faut que j'en trouve un, sans cela l'avenir me paraîtrait sombre et monotone, et toutes les choses auxquelles on aspire ordinairement, honneurs, haute position, etc., ne seraient que vanité et choses sans attraits.

Si cet espoir ne devait pas se réaliser, je sens que je ne serais plus capable de me consacrer à mon métier; je serais capable de reléguer tout au second rang pour obtenir l'amour des hommes. Je n'ai plus de scrupules moraux au sujet de mon anomalie; en général, je ne me préoccupe guère de ce fait que je suis attiré par les charmes des jeunes hommes. Du reste, je juge la moralité et l'immoralité plutôt d'après mes sentiments que d'après des principes absolus, étant toujours enclin à un certain scepticisme et n'ayant pu encore arriver à me former une philosophie arrêtée.

Jusqu'ici il me semble qu'il n'y a de mauvais et d'immoral que les faits qui portent préjudice à autrui, les actes que je ne voudrais pas qu'on me fît à moi-même; mais, je puis dire à ce sujet que j'évite autant que possible d'empiéter sur les droits d'autrui; je suis capable de me révolter contre toute injustice qui serait commise envers un tiers. Mais je ne vois pas comment ni pourquoi l'amour pour les hommes serait contraire à la morale. Une activité sexuelle sans but—(si l'on voit l'immoralité dans l'absence du but, dans le fait contre nature)—existe aussi dans les rapports avec les prostituées, même dans les mariages où l'on se sert de préservatifs contre la procréation des enfants. Voilà pourquoi les rapports sexuels avec des hommes doivent, à mon avis, être placés au même niveau que tout rapport sexuel qui n'a pas pour but de faire des enfants. Mais, il me paraît bien douteux qu'une satisfaction sexuelle doive être considérée comme morale, parce qu'elle se propose le but sus-indiqué. Il est vrai qu'une satisfaction sexuelle qui ne vise pas la procréation, est contraire à la nature; mais nous ne savons pas si elle ne sert pas à d'autres buts qui sont encore pour nous un mystère; et quand même elle serait sans but, on n'en pourrait point conclure qu'il faut la réprouver, car il n'est pas prouvé que la mesure d'après laquelle on doit juger une action morale soit son utilité.

Je suis convaincu et certain que le préjugé actuel disparaîtra et que, un jour, on reconnaîtra, à juste raison, le droit aux homosexuels de pratiquer sans entraves leur amour.

En ce qui concerne la possibilité de la liberté d'un pareil droit, qu'on se rappelle donc les Grecs et leurs amitiés qui, au fond, n'étaient pas autre chose que de l'amour sexuel; qu'on songe un peu que, malgré cette impudicité contre nature, pratiquée par les plus grands génies, les Grecs sont considérés, encore aujourd'hui, au point de vue intellectuel et esthétique, comme des modèles qu'on n'a pas pu encore atteindre et qu'on recommande d'imiter.

J'ai déjà songé à guérir mon anomalie par l'hypnotisme. Quand même il pourrait donner un résultat, ce dont je doute, je voudrais être sûr que je deviendrais réellement et pour toujours un homme qui aimerait les femmes; car, bien que je ne puisse pas me satisfaire avec les hommes, je préférerais pourtant conserver cette aptitude à l'amour et à la volupté, quoique inassouvie, que d'être tout à fait sans sentiment.

Ainsi, il me reste l'espoir que je trouverai l'occasion de satisfaire cet amour que je désire tant et qui me rendrait heureux; mais je ne préférerais nullement à mon état actuel une désuggestion des sentiments homosexuels sans trouver une compensation dans des sentiments hétérosexuels équivalents.

Finalement, je dois, contrairement aux diverses déclarations des uranistes que je trouve citées dans les biographies publiées, faire remarquer que, pour ma part du moins, il m'est très difficile de reconnaître mes semblables.

Bien que j'aie décrit d'une manière assez détaillée mes anomalies sexuelles, je crois que les remarques suivantes seront encore importantes pour la compréhension complète de mon état.

Ces temps derniers, j'ai renoncé à l'immissio penis, et je me suis contenté du coitus inter femora puellæ.

L'éjaculation s'est alors produite plus rapidement que par la conjunctio membrorum et, en outre, j'éprouvai une certaine volupté au pénis même. Si cette façon de rapport sexuel me fut assez agréable, cela doit être en partie attribué au fait que, dans ce genre de jouissance sexuelle, la différence de sexe est tout à fait indifférente, et qu'inconsciemment cela me rappelait l'accolade d'un homme. Mais, cette réminiscence était absolument inconsciente, bien que perçue vaguement; car je n'avais pas un plaisir dû à ma force d'imagination, mais causé directement par les baisers sur la bouche de la femme. Je sens aussi que le charme que le lupanar et les mérétrices exercent sur moi commence à s'effacer; mais je sais pertinemment que certaines femmes pourront toujours m'exciter par leurs baisers.

Aucune femme ne me semble désirable au point d'être capable de surmonter quelque obstacle pour la posséder; aucune ne le sera jamais, tandis que la crainte d'être découvert et livré à la honte ne peut que difficilement me retenir dans la recherche des étreintes des hommes.

Ainsi, je me suis laissé entraîner dernièrement à me payer un soldat chez une mérétrice. La volupté fut très vive et surtout, après la satisfaction obtenue, je fus remonté. Les jours suivants je me sentais, pour ainsi dire, réconforté, ayant à tout moment des érections; bien que je n'aie pu jusqu'ici retrouver ce soldat, l'idée de pouvoir m'en payer un autre me procure une certaine inquiétude; cependant, je ne serais parfaitement satisfait que si je trouvais une âme-sœur parmi les gens de ma position sociale et de mon instruction.

Je n'ai pas encore mentionné que, tandis qu'un corps de femme, sauf la figure, me laisse absolument froid, le toucher avec la main me dégoûterait, membrum virile me tangere dum os meum os ejus osculatur, mihi exoptatum esse; de plus, je n'éprouverais aucun dégoût à poser mes lèvres sur celles d'un homme qui me serait très sympathique.

La masturbation, ainsi que je l'ai dit, m'est impossible.


Observation 111 (Hermaphrodisme psychique; sentiment hétérosexuel développé de bonne heure, à la suite de masturbation épisodique, mais puissante; sentiment homosexuel pervers ab origine; excitation sensuelle par les bottes d'hommes).—M. X..., vingt-huit ans, est venu chez moi au mois de septembre 1887, tout désespéré, pour me consulter sur la perversion de sa vita sexualis, qui lui rend la vie presque insupportable et qui, à plusieurs reprises, l'a déjà poussé au suicide.

Le malade est issu d'une famille où les névroses et les psychoses sont très fréquentes. Dans la famille du côté paternel, des mariages entre cousins ont eu lieu depuis trois générations. Le père, dit-on, est bien portant, et est heureux en ménage. Le fils, cependant, fut frappé par la prédilection de son père pour les beaux valets. La famille du côté maternel passe pour être composée d'originaux. Le grand-père et l'aïeul de la mère sont morts mélancoliques; la sœur de la mère était folle. Une fille du frère du grand-père était hystérique et nymphomane. Des douze frères et sœurs de la mère, trois seulement se sont mariés, parmi lesquels un frère qui était atteint d'inversion sexuelle et d'une maladie de nerfs, par suite d'excès de masturbation. La mère du malade était, dit-on, bigotte, d'une intelligence bornée, nerveuse, irritable et portée à la mélancolie.

Le malade a un frère et une sœur: le premier est névropathe, souvent en proie à une dépression mélancolique; bien qu'il soit déjà adulte, il n'a jamais montré trace de penchants sexuels; la sœur est une beauté connue et pour ainsi dire célèbre dans le monde des hommes. Cette dame est mariée, mais sans enfants; on prétend que c'est à cause de l'impuissance du mari. Elle resta, de tout temps, froide aux hommages que lui rendaient les hommes; mais elle est ravie par la beauté féminine et presque amoureuse de quelques-unes de ses amies.

Le malade, en venant à sa personnalité, nous raconta qu'à l'âge de quatre ans déjà, il rêvait de beaux écuyers, chaussés de belles bottes. Quand il fut devenu plus grand, il ne rêvait jamais de femmes. Ses pollutions nocturnes ont toujours été provoquées par des «rêves de bottes».

Dès l'âge de quatre ans, il éprouvait une étrange affection pour les hommes ou plutôt pour les laquais qui portaient des bottes bien cirées. Au début, ils ne lui paraissaient que sympathiques; mais, à mesure que sa vie sexuelle commença à se développer, il éprouvait, à leur aspect, de violentes érections et une émotion voluptueuse. Les bottes bien reluisantes ne l'excitaient que quand elles étaient chaussées par des domestiques; sur les pieds des personnes de son monde, elles l'auraient laissé absolument froid.

À cet état de choses ne se rattachait aucune impulsion sexuelle dans le sens d'un amour d'hommes. La seule idée de cette possibilité lui faisait horreur. Mais il lui vint à l'esprit des idées, renforcées par des sensations voluptueuses, d'être le valet de ses valets, de pouvoir leur ôter leurs bottes, de se laisser fouler aux pieds par eux, d'obtenir la permission de cirer leurs bottes. Sa morgue d'aristocrate se révoltait contre cette idée. En général, ces idées de bottes lui étaient pénibles et le dégoûtaient. Les sentiments sexuels se développèrent chez lui de bonne heure et puissamment. Ils trouvèrent alors leur expression dans ces idées voluptueuses de bottes, et, à partir de la puberté, dans des rêves analogues, accompagnés de pollutions.

Du reste, le développement physique et intellectuel s'accomplissait sans troubles. Le malade apprenait avec facilité; il termina ses études, devint officier, et, grâce à son apparence virile et distinguée, ainsi qu'à sa haute position, un personnage très bien vu dans le monde.

Il se dépeint lui-même comme un homme de bon cœur, d'une grande force de volonté, mais d'un esprit superficiel. Il affirme être un chasseur et un cavalier passionné, et ne jamais avoir eu de goût pour les occupations féminines. Dans la société des dames, il fut, comme il l'assure, toujours un peu timide; dans les salles de bal, il s'est toujours ennuyé. Il n'a jamais eu d'intérêt pour une dame du monde. Parmi les femmes, c'étaient, seules, les paysannes robustes, comme celles qui posaient chez les peintres de Rome, qui l'intéressaient, mais jamais une émotion sensuelle, dans la vraie acception du mot, ne lui vint en présence de ces représentantes du sexe féminin. Au théâtre et au cirque, il n'avait d'yeux que pour les artistes hommes. Il n'éprouvait aucune excitation sensuelle même pour ceux-ci. Chez l'homme, ce sont surtout les bottes qui l'intéressent, et encore faut-il que le porteur de ce genre de chaussures appartienne à la classe domestique et soit un bel homme. Ses égaux, quand même ils porteraient les plus belles bottes, lui sont absolument indifférents.

Le malade n'est pas encore clairement fixé sur la nature de ses penchants sexuels, et il ne saurait pas dire si l'affection l'emporte chez lui pour l'un ou pour l'autre sexe.

À mon avis, il a eu primitivement plutôt du goût pour la femme, mais cette sympathie était, en tout cas, très faible. Il affirme avec certitude que l'adspectus viri nudi lui était antipathique, et celui des parties génitales viriles lui serait même répugnant. Ce n'était précisément pas le cas vis-à-vis de la femme; mais il restait sans excitation même devant le plus beau corpus feminimum. Quand il était jeune officier, il était obligé d'accompagner de temps en temps ses camarades au bordel. Il s'y laissait décider volontiers, car il espérait se débarrasser, de cette façon, de ses idées. Il était impuissant tant qu'il n'avait pas recours à ses idées de bottes. Alors le coït avait lieu d'une façon tout à fait normale, mais sans lui procurer le moindre sentiment de volupté. Le malade n'éprouvait aucun penchant à avoir des rapports avec les femmes; il lui fallait, pour cela, une impulsion extérieure, à vrai dire une séduction. Abandonné à lui-même, sa vita sexualis consistait dans le plaisir de penser à des bottes et en rêves analogues avec pollutions. Comme chez lui l'obsession d'embrasser les bottes de ses valets, de les leur ôter, etc., s'accentuait de plus en plus, le malade résolut de faire tous les efforts possibles pour se débarrasser de cette impulsion dégoûtante, qui le blessait dans son amour-propre. Il avait vingt ans et se trouvait à Paris; alors il se rappela d'une très belle paysanne, laissée dans sa lointaine patrie. Il espérait pouvoir se délivrer, avec cette fille, de ses tendances sexuelles perverses; il partit aussitôt pour sa patrie et sollicita les faveurs de la belle campagnarde. Il paraît que, de sa nature, le malade n'était pourtant pas tout à fait prédisposé à l'inversion sexuelle. Il affirme qu'à cette époque il tomba réellement amoureux de la jeune paysanne, que son aspect, le contact de son jupon lui donnaient un frisson voluptueux; un jour qu'elle lui accorda un baiser, il eut une violente émotion. Ce n'est qu'après une cour assidue d'un an et demi que le malade arriva à son but auprès de la jeune fille.

Il était puissant, mais il éjaculait tardivement (dix à vingt minutes), et n'avait jamais de sensation voluptueuse pendant l'acte.

Après une période d'un an et demi de rapports sexuels avec cette fille, son amour pour elle se refroidit, car il ne la trouvait pas «aussi pure et fine» qu'il l'aurait désiré. À partir de ce moment, il a dû de nouveau recourir à l'évocation des images de bottes pour rester puissant dans ses rapports avec sa paysanne. À mesure que sa puissance diminuait, ses idées de bottes revenaient spontanément.

Plus tard le malade fit aussi le coït avec d'autres femmes. Par-ci, par-là, quand la femme lui était sympathique, la chose se passait sans l'évocation des idées de bottes.

Une fois il est même arrivé au malade de se rendre coupable de stuprum. Fait curieux, cette seule fois cet acte—qui était cependant forcé—lui procura un sentiment de volupté.

À mesure que sa puissance baissait, et qu'elle ne pouvait plus se maintenir que par les idées de bottes, le libido pour l'autre sexe baissait aussi. Chose significative, malgré son faible degré de libido, son faible penchant pour les femmes, le malade en arriva à la masturbation pendant qu'il entretenait des rapports sexuels avec la fille de paysans. Il apprit ces pratiques par la lecture des «Confessions» de J.-J. Rousseau, ouvrage qui lui tomba par hasard entre les mains. Aux impulsions dans ce sens se joignirent des idées de bottes. Il entrait alors dans des érections violentes, se masturbait, avait pendant l'éjaculation une volupté très vive qui manquait pendant le coït; il se sentait au commencement ragaillardi et stimulé intellectuellement par la masturbation.

Avec le temps cependant les symptômes de la neurasthénie, sexuelle d'abord, ensuite générale, avec irritation spinale, firent leur apparition. Il renonça pour un moment à la masturbation et alla trouver son ancienne maîtresse. Mais elle lui était devenue tout à fait indifférente et, comme il ne réussissait plus, même avec l'évocation des images de bottes, il s'éloigna de la femme et retomba de nouveau dans la masturbation qui le mettait à l'abri de l'impulsion de baiser et de cirer des bottes de valets. Toutefois, sa situation sexuelle restait bien pénible. Parfois il essayait encore le coït et réussissait quand, dans son imagination, il pensait à des bottes cirées. Après une longue abstinence de la masturbation, le coït lui réussissait quelquefois, sans qu'il eût besoin de recourir à aucun artifice.

Le malade déclare qu'il a de très grands besoins sexuels. Quand il n'a pas éjaculé depuis un long laps de temps, il devient congestif, très excité et psychiquement tourmenté par ses horripilantes idées de bottes, de sorte qu'il est forcé de faire le coït ou, ce qu'il préfère, se masturber.

Depuis un an sa situation morale s'est compliquée d'une façon fâcheuse par le fait, qu'étant le dernier rejeton d'une famille riche et noble, sur le désir pressant de ses parents, il doit enfin penser au mariage.

La fiancée qui lui est destinée est d'une rare beauté et elle lui est tout à fait sympathique au point de vue intellectuel. Mais comme femme elle lui est indifférente, comme toutes les femmes. Elle le satisfait au point de vue esthétique comme n'importe quel «chef-d'œuvre de l'art». Elle est devant ses yeux comme un idéal. L'adorer platoniquement serait pour lui un bonheur digne de tous ses efforts; mais la posséder comme femme est pour lui une pensée pénible. Il sait d'avance qu'en face d'elle il ne pourra être puissant qu'à l'aide de ses idées de bottes. Mais sa haute estime pour cette personne, ainsi que son sens moral et esthétique, se révolteraient contre l'emploi d'un pareil moyen. S'il la souillait avec ces idées de bottes, elle perdrait à ses yeux même sa valeur esthétique, et alors il deviendrait tout à fait impuissant; il la prendrait en horreur. Le malade croit que sa situation est désespérée, et il avoue que ces temps derniers il fut à plusieurs reprises tenté de se suicider.

C'est un homme d'une haute culture intellectuelle, d'habitus tout à fait viril, à la barbe fortement développée, à la voix grave et aux parties génitales normales. L'œil a l'expression névropathique. Aucun stigmate de dégénérescence. Symptômes de neurasthénie spinale. On a réussi à rassurer le malade et à lui inspirer confiance dans l'avenir.

Les conseils médicaux consistaient en moyens pour combattre la neurasthénie: interdiction de continuer la masturbation et de s'abandonner à ses idées de bottes, affirmation qu'avec la guérison de la neurasthénie la cohabitation serait possible sans le secours des idées de bottes, et qu'avec le temps le malade serait apte au mariage moralement et physiquement.

Vers la fin du mois d'octobre 1888, le malade m'écrivait qu'il avait résisté victorieusement à la masturbation et aux idées de bottes. Il n'a rêvé qu'une seule fois de bottes et il n'a presque plus eu de pollutions. Il est affranchi des tendances homosexuelles, mais, malgré de fréquentes et puissantes émotions sexuelles, il n'a aucun libido pour la femme. Dans cette situation fatale, il est forcé par les circonstances de se marier dans trois mois.

2. HOMOSEXUELS OU URANISTES.

Contrairement au groupe précédent, c'est-à-dire celui des hermaphrodites psychosexuels, il y a ici, ab origine, un sentiment et un penchant sexuels exclusifs pour les personnes du même sexe; mais, contrairement au groupe qui suit, l'anomalie des individus se borne uniquement à la vita sexualis et n'exerce pas un effet plus profond et plus grave sur le caractère ni sur la totalité de la personnalité intellectuelle.

La vita sexualis est, chez ces homosexuels (uranistes), mutatis mutandis, tout à fait semblable à celle de l'amour normal hétérosexuel; mais, comme elle est contraire au sentiment naturel, elle devient une caricature, d'autant plus que ces individus sont en général atteints d'hyperæsthesia sexualis et que, par conséquent, leur amour pour leur propre sexe est un amour ardent et extatique.

L'uraniste aime, idolâtre son amant masculin, de même que l'homme qui aime la femme, idolâtre sa maîtresse. Il est capable de faire pour lui les plus grands sacrifices; il éprouve les tortures de l'amour malheureux, souvent non payé de retour, de l'infidélité de l'amant, de la jalousie, etc.

L'attention de l'homme homosexuel n'est captivée que par le danseur, l'acteur, l'athlète, la statue d'homme, etc. L'aspect des charmes féminins lui est indifférent, sinon répugnant; une femme nue lui paraît dégoûtante, tandis que la vue des parties génitales viriles, la vue des cuisses de l'homme, etc., le fait tressaillir de joie.

Le contact charnel avec un homme qui lui est sympathique lui donne un frisson de volupté; et, comme de pareils individus sont souvent neurasthéniques sexuellement, soit de naissance, soit par suite de la pratique de l'onanisme ou d'une abstinence forcée de tout rapport sexuel, il se produit facilement des éjaculations qui, dans les rapports les plus intimes avec la femme, n'auraient pas lieu du tout ou ne pourraient être forcément provoquées que par des moyens mécaniques. L'acte sexuel de n'importe quel genre, accompli avec l'homme, procure du plaisir et laisse derrière lui un sentiment de bien-être. Quand l'uraniste est capable de se forcer au coït, le dégoût agit régulièrement comme idée d'entrave et rend l'acte impossible; il éprouve à peu près le même sentiment qu'un homme qui serait forcé de goûter à de la nourriture ou à des boissons nauséabondes. Toutefois, l'expérience nous apprend que souvent des invertis de ce second degré se marient pour des raisons éthiques ou sociales.

Ces malheureux sont relativement puissants, quand, au milieu de l'étreinte conjugale, ils fouettent leur imagination et se figurent tenir, au lieu de l'épouse, un homme aimé entre leur bras.

Mais le coït est pour eux un lourd sacrifice, et non un plaisir; il les rend pour des journées entières faibles, énervés et souffrants. Quand ces uranistes ne sont pas capables de contrebalancer les idées et les représentations d'entrave, soit par l'effort énergique de leur imagination, soit par l'emploi de boissons alcooliques excitantes, soit par des érections artificiellement créées à l'aide de vessies pleines, etc., ils sont complètement impuissants, tandis que le seul contact d'un homme peut leur donner des érections et même de l'éjaculation.

Danser avec une femme est désagréable à l'uraniste. La danse avec un homme, surtout avec un homme de formes sympathiques, lui paraît être le plus grand plaisir.

L'uraniste masculin, quand il est d'une classe bien élevée, n'a pas d'antipathie pour les rapports non sexuels avec les femmes, quand leur conversation et leur goût artistique lui paraissent agréables. Il n'abhorre la femme que dans son rôle sexuel.

La femme homosexuelle présente ces mêmes phénomènes, mutatis mutandis. À ce degré de l'aberration sexuelle, le caractère et les occupations restent conformes au sexe que l'individu représente. La perversion sexuelle reste une anomalie isolée, mais qui laisse des traces profondes dans l'existence sociale et intellectuelle de la personne en question. Conformément à ce fait, elle se sent, dans n'importe quel acte sexuel, dans le rôle qui lui échouerait dans le cas d'une tendance hétérosexuelle.

Il y a cependant des cas intermédiaires, formant une transition vers le troisième groupe, dans ce sens que la personne s'imagine, désire ou rêve le rôle sexuel qui correspondrait à ses sentiments homosexuels et qu'il se manifeste incomplètement des penchants à des occupations, des tendances de goût, qui ne sont pas conformes au sexe que l'individu représente. Dans certains cas on a l'impression que ces phénomènes ont été artificiellement produits par l'influence de l'éducation, dans d'autres qu'ils représentent des dégénérescences plus profondes et produites, dans les limites du degré en question, par une activité sexuelle perverse (masturbation); ces derniers cas présentent des phénomènes de dégénérescence progressive analogues à ceux que nous avons observés dans les inversions sexuelles acquises.

En ce qui concerne la façon de se satisfaire au point de vue sexuel, il faut remarquer que, chez beaucoup d'uranistes hommes, qui sont atteints de faiblesse sexuelle irritable, la seule accolade suffit pour provoquer une éjaculation. Les personnes sexuellement hyperesthésiques et atteintes de paresthésie des sentiments esthétiques, ont souvent un plus grand plaisir à se commettre avec des individus sales et communs, pris dans la lie de la populace.

Sur le même terrain se produisent des désirs pédérastes (naturellement actifs) et d'autres aberrations; mais il est rare, et évidemment c'est seulement chez des personnes d'une moralité défectueuse et très cupides, que le libido nimia amène aux actes de pédérastie.

Contrairement aux vieux débauchés corrompus qui préfèrent des garçons et pratiquent de préférence la pédérastie, l'affection sexuelle des uranistes adultes ne paraît pas se tourner vers les individus masculins non développés.

L'uraniste ne pourrait probablement devenir dangereux pour les garçons que par suite d'un rut violent, ou quand il ne trouve pas mieux.

Le mode de satisfaction sexuelle des uranistes féminins est probablement la masturbation mutuelle et passive; ces personnes trouvent le coït aussi dégoûtant, fatigant et inadéquat que l'homme uraniste.


Observation 112.—L'observation suivante est l'extrait d'une très longue autobiographie qu'un médecin atteint d'inversion sexuelle a mise à ma disposition.

J'ai quarante ans; je suis né d'une famille très saine94, j'ai toujours été bien portant; je passais pour un modèle de fraîcheur physique et intellectuelle, d'énergie; je suis d'une constitution robuste, mais je n'ai que peu de barbe; sauf aux aisselles et au mons Veneris, je n'ai pas de poils sur le corps.

Note 94: (retour)

Plus tard, on a appris qu'un proche parent était mort fou, et que huit sœurs et frères du malade avaient péri entre l'âge de un à huit ans d'hydrocephalus acutus ou chronicus.

Peu après ma naissance, mon pénis était déjà extraordinairement grand; à l'heure qu'il est, il a en statu erectionis 21 centimètres de longueur et une circonférence de 14 centimètres. Je suis excellent cavalier, gymnaste, nageur; j'ai pris part à deux campagnes comme médecin militaire. Je n'ai jamais eu de goût pour les vêtements de femme ni pour les occupations féminines. Jusqu'à l'âge de puberté, j'étais timide en face du sexe féminin, et je le suis encore quand je me trouve en présence de femmes que je ne connais que depuis peu de temps.

De tout temps la danse me fut antipathique. À l'âge de huit ans s'éveilla en moi l'affection pour mon propre sexe. Tout d'abord j'éprouvais du plaisir en regardant les parties génitales de mes frères. Fratrem meum juniorem impuli ut alter alterius genitalibus luderet, quibus factis penis meus se erexit. Plus tard, en prenant un bain avec les enfants de l'école, les garçons m'intéressaient beaucoup, les filles pas du tout. J'avais si peu de goût pour elles qu'à l'âge de quinze ans encore je croyais qu'elles étaient munies d'un pénis comme nous autres. En compagnie de garçons ayant les mêmes sentiments, nous nous amusions vicissim genitalibus nostris ludere. À l'âge de onze ans et demi, on me donna un précepteur très sévère; je ne pouvais que rarement aller en cachette trouver mes camarades. J'apprenais très facilement, mais je ne m'accordais pas bien avec mon précepteur; un jour qu'il m'ennuyait trop, je me mis en rage et je courus sur lui avec un couteau; je l'aurais tué avec plaisir, s'il ne m'avait pas saisi le bras. À l'âge de douze ans et demi, j'ai déserté la maison paternelle pour une raison analogue, et pendant six semaines je rôdai dans le pays voisin.

On me mit ensuite au lycée; j'étais déjà développé sexuellement, et, en nous baignant, je m'amusais avec les garçons de la manière que j'ai indiquée, plus tard aussi par l'imitatio coïtus inter femora. J'avais alors treize ans. Les filles ne me plaisaient pas du tout. Des érections violentes m'amenèrent à jouer avec mes parties génitales; l'idée me vint aussi penem in os recipere, ce à quoi j'arrivai en me courbant. Je provoquai, par ce moyen, une éjaculation. C'est ainsi que j'arrivai à pratiquer la masturbation. J'en fus vivement effrayé, je me considérais comme un criminel; je me découvris à un condisciple âgé de seize ans. Celui-ci m'éclaira, me rassura et conclut avec moi une liaison d'amour. Nous étions heureux et nous nous satisfaisions par l'onanisme mutuel. En outre, je me masturbais aussi; au bout de deux ans, cette union fut rompue, mais, aujourd'hui encore, quand nous nous rencontrons par hasard—mon ami est un fonctionnaire supérieur—l'ancienne flamme se rallume de nouveau.

Ce temps que j'ai passé avec mon ami H... fut bien heureux, et j'en payerais le retour avec le sang de mon cœur. La vie m'était alors un plaisir; mes études étaient pour moi comme un jeu facile; j'avais de l'enthousiasme pour tout ce qui est beau.

Pendant ce temps, un médecin, ami de mon père, me séduisit en me caressant, à l'occasion d'une visite, en m'onanisant, en m'expliquant les procédés sexuels et en m'engageant à ne jamais me faire de manustuprations, cet acte étant très préjudiciable à la santé. Il pratiqua alors avec moi l'onanisme mutuel et me déclara que c'était pour lui le seul moyen de fonctionner au point de vue sexuel. Il a, dit-il, le dégoût des femmes; voilà pourquoi il a vécu en désaccord avec sa femme, morte depuis. Il m'invita avec insistance à venir le voir le plus souvent possible. Ce médecin était un homme de belle prestance, père de deux fils âgés du quatorze et quinze ans, avec lesquels, l'année suivante, je nouai une liaison d'amour analogue à celle que j'entretenais avec mon ami H... J'avais honte d'avoir fait des infidélités à ce dernier; toutefois je continuais mes rapports avec le médecin. Il pratiquait avec moi l'onanisme mutuel, me montrait nos spermatozoïdes sous le microscope; il me montrait aussi des ouvrages et des images pornographiques, mais qui ne me plaisaient guère, car je n'avais d'intérêt que pour les corps masculins. Plus tard, à l'occasion d'une visite, il me pria de lui accorder une faveur qu'il n'avait encore jamais goûtée et dont il avait grande envie. Comme je l'aimais, je consentis à tout. Instrumentis anum dilatavit, me pædicavit, dum simul penem meum trivit ita ut eodem tempore dolore et voluptate affectus sim. Après cette découverte j'allai immédiatement trouver mon ami H..., croyant que cet homme aimé me donnerait un plaisir plus grand encore. Alter alterum pædicavit; mais nous fûmes déçus tous les deux et nous n'y revînmes plus; car, passif, je n'éprouvais que de la douleur; et, actif, je n'avais pas de plaisir, tandis que l'onanisme mutuel nous procurait la plus grande jouissance. Je me laissai faire encore plusieurs fois par le médecin, et encore je ne le fis que par gratitude. Jusqu'à l'âge de quinze ans, je pratiquai avec des amis l'onanisme passif ou mutuel.

J'étais devenu grand; les femmes et les filles me faisaient toutes sortes d'avances; mais je les fuyais comme Joseph fuyait la femme de Putiphar. À l'âge de quinze ans, je vins dans la capitale. Je n'avais que rarement l'occasion de satisfaire mon penchant sexuel. En revanche, je jouissais à l'aspect des images et des statues d'hommes, et je ne pouvais m'empêcher d'embrasser ardemment les statues aimées. L'ennui principal pour moi, c'étaient les feuilles de vigne qui couvraient les parties génitales.

À l'âge de dix-sept ans, je me fis inscrire à l'Université. De nouveau je vécus deux ans avec mon ami H...

À l'âge de dix-sept ans et demi on me poussa, alors que j'étais en état d'ivresse, à faire le coït avec une femme. Je me forçai; mais, aussitôt l'acte accompli, je pris la fuite, rempli de dégoût. De même qu'après ma première manustupration active, j'eus comme le sentiment que j'avais commis un crime. Dans un nouvel essai que je fis, sans être ivre, puella nuda pulcherrima operante erectio non evenit, tandis que la vue seule d'un garçon ou le contact de ma cuisse avec une main d'homme rendait mon pénis raide comme de l'acier. Mon ami H... venait, il y a peu de temps, de faire la même expérience. Nous nous creusâmes alors la tête, mais en vain, pour en découvrir la cause. Je laissai donc les femmes pour ce qu'elles sont, et je trouvai mon plaisir chez des amis par l'onanisme passif et mutuel: entre autres je le pratiquais avec les deux fils du médecin qui, depuis mon départ, avait abusé de ses enfants en leur faisant de la pædicatio.

À l'âge de dix-neuf ans je fis la connaissance de deux vrais uranistes.

A..., cinquante-six ans, d'un extérieur féminin, imberbe, très médiocre au point de vue intellectuel, avec un instinct sexuel très fort et qui s'est manifesté trop prématurément, a pratiqué l'amour uraniste depuis l'âge de six ans. Il venait tous les mois une fois dans la capitale. J'étais obligé de coucher avec lui: il était insatiable d'onanisme mutuel et me força aussi à la pædicatio active et passive, ce que j'ai dû accepter à contre-cœur, par-dessus le marché.

B..., négociant, trente-six ans, d'apparence tout à fait virile, avait des besoins énormes, de même que moi-même. Il savait donner à ses manipulations sur mon corps un tel charme que je dus lui servir de cynède. C'est le seul avec lequel j'éprouvai dans le rôle passif quelque jouissance. Il m'avoua que, rien qu'en me sachant près de lui, il était pris d'érections très tourmentantes: quand je ne pouvais pas le servir, il était obligé de se soulager par la masturbation.

Malgré ces amourettes, j'étais assistant de clinique à l'hôpital et je passais comme très zélé et très capable dans mon métier. Bien entendu, j'ai cherché dans toute la littérature médicale une explication de ma bizarrerie sexuelle. Partout je la trouvais stigmatisée comme un délit qui mérite d'être puni, tandis que moi je n'y pouvais reconnaître que la simple et naturelle satisfaction de mes désirs sexuels. J'avais la conscience que cette particularité m'est venue de naissance; mais, me sentant en antagonisme avec le monde entier, et souvent près de la folie et du suicide, j'essayais toujours et toujours de satisfaire avec les femmes mon immense appétit génital. Le résultat était toujours le même: ou il y avait absence de toute érection ou, quand je réussissais à faire l'acte, il y avait dégoût et horreur d'y revenir.

Étant médecin-major, je souffris énormément à la vue et au contact de milliers de corps d'hommes nus. Heureusement, je contractai une liaison d'amour avec un lieutenant qui partageait mes sentiments, et je passai encore une fois une période de divines délices.

Par amour pour lui, je me laissai décider à la pædicatio, que son âme désirait tant. Nous nous aimâmes jusqu'à sa mort, à la bataille de Sedan. Depuis, je n'acceptai plus jamais la pædicatio ni passive, ni active, bien que j'aie eu beaucoup d'amourettes et que je sois un personnage très demandé.

À l'âge de vingt-trois ans, je suis allé m'établir comme médecin à la campagne, j'étais très couru et très aimé comme médecin. Pendant cette période, je me satisfaisais avec des garçons de quatorze ans. Je me suis, à cette époque, lancé dans la vie politique et brouillé avec le clergé. Un de mes amants me trahit, le clergé me dénonça et je fus forcé de prendre la fuite. L'enquête judiciaire conclut en ma faveur. J'ai pu rentrer, mais je fus vivement ébranlé et je profitai de la guerre qui venait d'éclater (1870) pour servir sous les armes, espérant trouver la mort. Je rentrai de la guerre, avec nombre de distinctions honorifiques; homme mûr et calme, je ne trouvais plus de plaisir que dans les travaux assidus de mon métier. J'espérais que mon énorme instinct génital était près de s'éteindre, épuisé que j'étais par les immenses fatigues de la campagne.

À peine fus-je reposé que l'ancien instinct indomptable recommença à se faire sentir en moi et m'entraîna à des satisfactions effrénées. Souvent je faisais mon examen de conscience, me reprochais mon penchant répréhensible aux yeux du monde, sinon aux miens.

Pendant un an, je m'abstins, en déployant toute ma force de volonté; ensuite, j'allai dans la capitale pour me forcer aux rapports avec les femmes. Moi qui, à la vue du plus sale garçon d'écurie, étais pris d'érections violentes, je n'avais guère d'émotion auprès de la plus belle des femmes. Je rentrais anéanti. J'avais un garçon pour mon service et en même temps pour mes satisfactions sexuelles.

La solitude de la vie du médecin du campagne, le vif désir d'avoir des enfants, me poussaient au mariage. Du reste, je voulais couper court aux cancans des gens, et j'espérais en outre triompher enfin de mon fatal penchant.

Je connaissais une demoiselle pleine de bonté et de cœur, et de l'amour de laquelle j'étais convaincu. Je réussis, grâce à l'estime et à l'adoration que j'avais pour ma femme, à remplir mes devoirs conjugaux. Ce qui me facilita ma tâche, ce fut l'air garçon qu'avait ma femme. Je l'appelais mon Raphaël, je fouettais mon imagination pour évoquer des images de garçons et arriver ainsi à l'érection. Mon imagination se lassa au bout d'un moment: c'en était fait de l'érection. Je ne pouvais pas dormir dans le même lit que ma femme. Dans ces deux dernières années, le coït m'a toujours été de plus en plus difficile à exécuter, et, depuis deux ans, nous y avons renoncé. Ma femme connaît mon état d'âme. Sa bonté de cœur et son amour pour moi ont pu la décider à n'y attacher aucune importance.

Mon penchant sexuel pour mon propre sexe est resté toujours le même, et malheureusement il m'a forcé souvent à faire des infidélités à ma femme.

Aujourd'hui encore, l'aspect d'un garçon de seize ans me met dans une vive excitation sexuelle avec des érections gênantes, de sorte que je me soulage à l'occasion par la manustupration du garçon ou par la masturbation sur moi-même.

Les tourments que je souffre sont indescriptibles. Faute de mieux, uxor mea penem lerit, sed quod mulieris manus magno opere post dimidiam horam aduquitur, pueri manus post nonnulla momenta adsequitur. Et ainsi je passe ma vie misérable, esclave de la loi et de mon devoir envers ma femme!

Je n'ai jamais eu le désir de la pædicatio ni active ni passive. Quand je la faisais ou la subissais, c'était toujours par gratitude et par complaisance.

Le médecin auquel je dois cette auto-observation m'affirme que, jusqu'ici, il a eu des rapports sexuels avec au moins six cents uranistes. Il y en a beaucoup qui vivent encore et occupent des positions sociales très élevées et très respectées (10 p. 100 seulement d'entre eux sont devenus plus tard amateurs de femmes). Une autre partie ne déteste pas la femme, mais a plus de penchant pour le sexe masculin; les autres sont exclusivement et pour toujours amateurs d'hommes.

Ce médecin prétend n'avoir jamais rencontré de conformations anormales des parties génitales chez ces six cents uranistes; mais il a souvent pu remarquer certains rapprochements vers les formes féminines, le peu d'abondance des poils, un teint plus tendre, une voix plus haute. Il y avait souvent aussi un développement des mamelles; X..., affirmat ab 13-15 anno lac in mammis suis habuisse quod amicus H... esuxit. Seuls 10 p. 100 de ces hommes montraient du goût pour les occupations féminines. Tous ses amis étaient atteints d'un penchant sexuel anormalement précoce et fort. La grande majorité d'entre eux se sentait vis-à-vis l'un de l'autre comme hommes, se satisfaisait par l'onanisme mutuel, manustupration sur l'amant ou par l'amant. La plupart d'entre eux inclinaient vers la pédérastie active. Mais souvent, la crainte du Code pénal ou des raisons esthétiques contre l'anus, sont les causes pour lesquelles l'acte n'est pas exécuté. Ils se sentent rarement dans le rôle de femme vis-à-vis des autres, et ont rarement un penchant à la pédérastie passive.

Au commencement de l'année 1887, ce médecin fut arrêté parce qu'il s'était livré à des actes d'impudicité avec deux garçons de quatorze ans. Le délit consistait en ce qu'il faisait d'abord frotter par les garçons mentulam propriam inter femora viri jusqu'à ce que l'éjaculation se produisît, et qu'il exécutait le même procédé cum mentula propria inter femora pueri. Lors des débuts judiciaires, on admit qu'on se trouvait en présence d'un instinct morbide; mais il fut prouvé que l'inculpé n'avait pas de troubles mentaux, qu'il n'avait pas perdu son libre arbitre, en tout cas qu'il n'avait pas agi sous une impulsion irrésistible.

Toutefois, il fut condamné à un an de prison, tout en tenant compte des plus grandes circonstances atténuantes.


Observation 113.—M. X..., de haute position sociale, m'a consulté pour une neurasthénie et une insomnie dont il souffre depuis des années. L'enquête sur la cause du mal a amené le malade à avouer qu'il a un penchant sexuel anormal pour son propre sexe, qu'il a en général de grands besoins sexuels, et que probablement sa maladie de nerfs vient de là. Les passages suivants de l'historique de la maladie de cet homme très intelligent pourront présenter quelque intérêt scientifique.

«Mon sentiment sexuel anormal remonte à l'époque de mon enfance. À l'âge de trois ans, un journal de modes me tomba par hasard entre les mains. J'embrassai les belles gravures d'hommes à en déchirer le papier, et je ne fis pas même attention aux figures de femmes. Je détestais les jeux des garçons.

J'aimais mieux jouer avec les filles, car elles avaient toujours des poupées. Je confectionnais de préférence des robes pour les poupées; aujourd'hui encore, malgré mes trente-trois ans, les poupées m'intéressent beaucoup. Étant encore petit garçon, je restais des heures entières aux aguets des cabinets ut virorum genitalia adspicerem. Quand je réussissais à en apercevoir, j'avais toujours une émotion étrange et j'étais pris d'une sorte de vertige. Les hommes frêles m'étaient peu sympathiques, mais les garçons surtout m'étaient absolument indifférents. À l'âge de treize ans, je me livrai à l'onanisme. De l'âge de treize ans jusqu'à quinze ans, je dormis dans le même lit qu'un très beau jeune homme. C'était mon bonheur! Per multas horas vespere pene erecto illum domum venientem expectavi. Quod si ille fortuito genitalia mea in tecto tetigit, summa voluptate affectus sum. À l'âge de quatorze ans, j'avais un camarade d'école qui partageait mes goûts. In schola per nonnulas horas alter genitalia alterius tenebat manibus. Ah! quelles heures délicieuses! Je stationnais dans les maisons de bains le plus souvent que je pouvais. L'aspect des parties génitales viriles me causait de violentes érections. À l'âge de seize ans, je fus envoyé dans la grande ville. La vue de tant de beaux hommes me ravissait. À l'âge de dix-sept ans et demi, j'essayai le coït avec une fille publique, mais, pris de dégoût et de répugnance, je fus incapable de l'accomplir. D'autres essais encore échouèrent, jusqu'à l'âge de dix-neuf ans. Alors je réussis une fois; mais le coït ne me procura aucun plaisir, il me laissa plutôt un sentiment de dégoût. Je me fis violence; j'étais fier du succès, de cette preuve que j'étais pourtant un homme, ce dont j'avais commencé à douter.

Des essais ultérieurs ne réussirent plus. Le dégoût était trop vif. Quand la femme se déshabillait j'étais obligé d'éteindre tout de suite la lumière. Je me crus alors impuissant; je consultai des médecins; je fréquentai les bains et les établissements hydrothérapiques pour guérir ma prétendue impuissance, car je ne savais pas du tout ce que je devais en penser. J'aimais la société des dames, par vanité peut-être, car je paraissais sympathique et aimable à la plupart des femmes. Je n'estimais chez la femme que les qualités spirituelles et esthétiques. J'aimais à danser avec des femmes douées de ces qualités, mais quand ma danseuse se serrait pendant la danse contre moi, j'éprouvais une sensation fortement désagréable, du dégoût même, et j'aurais bien voulu la battre. Quand, par hasard, il arrivait qu'un monsieur, par pure plaisanterie, dansait avec moi, j'avais toujours le rôle de la dame. Alors je me serrais, je me pressais contre lui, et j'en étais tout ravi et content. Quand j'eus dix-huit ans, un monsieur qui venait dans notre bureau dit un jour: «C'est un gentil garçon, pour lequel on pourrait, en Orient, demander à chaque instant une livre sterling.» Ce propos m'intrigua beaucoup, et j'aurais bien voulu avoir le mot de cette énigme. Un autre monsieur aimait à plaisanter avec moi et, en sortant de chez nous, il m'enlevait souvent des baisers que, hélas! je lui aurais si volontiers accordés. Ce voleur de baisers est devenu plus tard un de mes amants. Grâce à ces circonstances, mon attention fut éveillée, et j'attendais une occasion propice.

Quand j'eus atteint l'âge de vingt-cinq ans, il arriva un jour qu'un ancien capucin me fixa du regard. Il devint pour moi comme un Méphisto. Enfin il m'adressa la parole. Aujourd'hui encore, en y pensant, je crois sentir les battements précipités de mon cœur; j'étais près de m'évanouir. Il me donna rendez-vous pour le soir dans un restaurant. J'y allai; mais, arrivé à la porte, je m'en retournai; je redoutais des mystères terribles. La soirée suivante, le capucin me rencontra de nouveau. Il me persuada, m'amena dans sa chambre, car c'est à peine si je pouvais marcher, tellement mon émotion était grande. Mon séducteur me fit asseoir sur le canapé, me fixa en souriant de ses beaux yeux noirs: je perdis connaissance.

Il me faudrait beaucoup écrire pour pouvoir donner une idée approximative de cette volupté, de ces joies divines et idéales qui remplissaient toute mon âme; je crois que seul un jeune homme innocent, amoureux par-dessus les oreilles, qui, pour la première fois, arrive à satisfaire sa langueur amoureuse, pourrait être aussi heureux que je le fus dans cette soirée mémorable. Mon séducteur exigea ma vie par plaisanterie—(ce que je pris d'abord au sérieux). Je le priai de me laisser être heureux encore pendant quelque temps, et alors je serais prêt à mourir avec lui. C'eût été bien conforme à mes idées exaltées de cette époque. J'entretins alors pondant cinq ans une liaison avec cet homme qui m'est encore si cher aujourd'hui. Ah! que j'étais heureux à cette époque, mais souvent aussi malheureux! Je n'avais qu'à le voir causer avec un joli garçon, et la rage de la jalousie s'éveillait en moi.

À l'âge de vingt-sept ans, je me suis fiancé avec une jeune dame. Son esprit, ses sentiments délicats et esthétiques ainsi que des raisons financières, dans l'intérêt de mon commerce, me décidèrent à songer à me marier avec elle. D'ailleurs, je suis un grand ami des enfants, et toutes les fois que je rencontrais un pauvre journalier qui avait avec lui sa femme et un bel enfant, j'enviais son bonheur de père de famille.

Je m'illusionnais donc moi-même; je traversai sans accident ma période de fiançailles; cependant, en embrassant ma fiancée, j'éprouvais plutôt de l'angoisse et de la peur que du plaisir. Une ou deux fois il arriva pourtant qu'après un copieux dîner, en l'embrassant vivement et courageusement, j'eus des érections. Que j'étais alors heureux! Je me voyais déjà papa! Deux fois je fus sur le point de rompre le mariage. Le jour des noces,—les invités étaient déjà réunis,—je m'enfermai dans ma chambre; je pleurai comme un enfant; je ne voulais pas me marier. Cédant aux persuasions des membres de ma famille auxquels je donnais les raisons les plus futiles, je me laissai traîner en toilette de rue devant l'autel.

Uxor mea nuptiarum tempore menses habuit.

Oh! que j'en rendis grâce à tous les saints! Aujourd'hui encore je suis convaincu que seule cette circonstance m'a permis d'accomplir plus tard le coït.

J'ignore encore aujourd'hui comment je suis arrivé à pouvoir plus tard faire cet acte avec ma femme et procréer un charmant garçon. Il est ma consolation dans ma vie manquée. Je ne puis que remercier le bon Dieu du bonheur d'avoir un enfant. Ma vie conjugale fut pour ainsi dire une filouterie. Ma femme, que j'estime beaucoup à cause de ses qualités excellentes, ne se doute pas du tout de mon état réel; seulement elle se plaint souvent de ma froideur. Grâce à sa bonté de cœur et à sa naïveté, il me fut possible de lui faire accroire que l'accomplissement du devoir conjugal ne se fait qu'une fois par mois. Comme elle n'est pas sensuelle et que je trouve toujours une excuse dans ma nervosité, je réussis à la tromper. Le coït est pour moi le plus grand sacrifice qu'on puisse imaginer. Grâce à de fortes libations de vin et en utilisant le matin les érections produites sous l'influence de la réplétion vésicale, je réussis à faire le coït une fois par mois; mais je n'éprouve aucune volupté; j'en suis tout affaibli, et le lendemain je sens une aggravation de mes malaises nerveux. Seule la conscience d'avoir rempli mon devoir conjugal envers ma femme, que j'aime du reste, m'est alors un plaisir, une satisfaction morale. Il n'en est pas ainsi avec un homme. Je peux cohabiter avec lui plusieurs fois dans la même nuit, en me sentant toujours dans le rôle de l'homme. J'éprouve alors la plus grande volupté, le bonheur le plus pur, et je m'en sens rasséréné et content. Ces temps derniers, mon penchant pour les hommes s'est un peu relâché. J'ai même eu le courage d'éviter un beau jeune homme qui me faisait la cour. Cela durera-t-il? Je crains que non. Je ne puis pas du tout me passer de l'amour des hommes; quand je suis forcé de m'en priver, je me sens abattu, fatigué, misérable, et j'ai alors des douleurs et des congestions à la tête. J'ai toujours compris que ma bizarrerie regrettable est morbide et congénitale; je m'estimerais heureux si je n'étais pas marié. Je plains ma femme, si bonne et si gentille. Souvent je suis pris de la peur de ne pouvoir plus vivre avec elle. Alors des idées de divorce me viennent, ou je fais le projet de me suicider ou bien de partir pour l'Amérique.

Le malade, auquel je dois cette communication, ne présente à première vue aucun signe de son état. Il est d'un habitus tout à fait viril, porte une forte barbe, a la voix forte et grave, et les parties génitales tout à fait normales. Le crâne a une conformation normale; les stigmates de dégénérescence manquent absolument; seulement son œil, particulièrement nerveux, rappelle la névropathie. Les organes végétatifs fonctionnent normalement. Le malade présente les symptômes ordinaires d'une neurasthénie qu'on peut attribuer aux excès sexuels d'un homme ayant des besoins anormaux, dans ses rapports avec des personnes de son propre sexe, et aux influences nuisibles du coït forcé avec sa femme malgré son horror feminæ.

Le malade déclare être né de parents sains et n'avoir dans son ascendance ni névropathes ni aliénés. Son frère aîné fut marié pendant trois ans. Le mariage fut dissous parce que l'époux n'avait jamais eu de rapports sexuels avec sa femme. Il se maria une seconde fois. La seconde femme aussi se plaignit d'être négligée par son mari; mais elle a quatre enfants dont la légitimité n'est pas mise en doute. Une sœur est hystérique.

Le malade prétend avoir, étant jeune homme, souffert d'accès de vertige qui duraient plusieurs secondes et pendant lesquels il avait comme le sentiment que tout son être se désagrégeait. Il dit avoir été de tout temps très irritable, très émotif, et avoir eu de l'enthousiasme pour la poésie et pour la musique. Lui-même il dépeint son caractère comme mystérieux, anormal, nerveux, inquiet, extravagant et hésitant. Il est souvent exalté sans aucune raison, et ensuite déprimé sans motif, jusqu'à concevoir des idées de suicide. Il peut, par une transition rapide et subite, passer des sentiments religieux à la frivolité, de l'esthétique au cynisme, de la lâcheté à la provocation, de la crédulité bonasse à la méfiance, enfin de la tendance à faire du mal à autrui à celle d'être touché aux larmes du malheur des autres, d'être libéral jusqu'à la prodigalité et ensuite avare comme Harpagon. En tout cas, le malade est un être taré. Intellectuellement il semble être très bien doué; aussi nous a-t-il affirmé avoir appris avec facilité et avoir toujours été parmi les premiers en classe.

Le mariage de cet homme ne fut pas heureux. Le malade est resté neurasthénique malgré qu'il n'ait que rarement accompli avec sa femme l'acte sexuel si inadéquat et si nuisible pour lui, et qu'il n'ait pas moins rarement trouvé de compensations chez des amants masculins. Sa souffrance présentait par moments des exacerbations considérables jusqu'à désespérer de sa situation conjugale et sexuelle, et allant même jusqu'au plus violent tædium vitæ.

Sa femme est devenue hystéropathe, anémique, et le malade lui-même est d'avis qu'elle l'est devenue ex abstinentia. Quelque violence qu'il se fasse, quelque effort qu'il déploie, il lui est impossible depuis quelques années de faire le coït; les érections font absolument défaut, tandis qu'il se sent très puissant dans ses rapports avec ses amants masculins.

Le garçon de ces malheureux parents a maintenant neuf ans et se porte bien.

Le malade m'avoua encore qu'autrefois il n'était puissant pendant le coït avec sa femme qu'en évoquant par artifice dans son imagination l'image d'un homme aimé. (Extrait du Lehrbuch der Psychiatrie de l'auteur, 2e édition, avec des notes supplémentaires).


Observation 114. Autobiographie.—L'auteur de ces lignes est uraniste de naissance.

Bien que je n'aie jamais rencontré d'autres uranistes, je suis complètement renseigné sur mon état, ayant réussi à me procurer avec le temps tous les ouvrages scientifiques qui traitent de ce sujet. Il n'y a pas longtemps que j'ai eu l'occasion de lire votre livre Psychopathia sexualis.

Je vis que vous examiniez et précisiez les choses sans préjugé, seulement dans l'intérêt de la science et de l'humanité.

Bien que je ne puisse vous communiquer beaucoup de faits nouveaux, je tiens tout de même à vous mentionner certaines choses que vous voudrez bien accepter comme une pierre de plus pour votre édifice; je les remets en pleine confiance entre vos mains, convaincu que vous vous en servirez pour notre réhabilitation sociale.

Vous êtes peut-être dans le vrai en supposant que nous sommes souvent atteints d'une tare héréditaire. Mon père souffrait d'une maladie de la moelle épinière avant ma naissance; plus tard, il est devenu mélancolique et s'est suicidé.

Un autre point cependant sur lequel je ferai mes réserves, est l'opinion exprimée par vous, dans un autre passage, que l'onanisme, pratiqué dès la première jeunesse, pourrait amener un individu à des penchants pervers.

Négociant, propriétaire d'un petit fonds de commerce, célibataire—(cela va de soi),—je viens de passer ma trentième année; j'ai l'apparence d'un homme bien portant et mon extérieur s'écarte à peine du type viril normal. J'ai ressenti à partir de l'âge de dix ans mes premières émotions sexuelles qui, dès le début, se portèrent exclusivement vers le sexe masculin.

À partir de l'âge de douze ans, j'ai pratiqué la masturbation. J'ai dû jusqu'à aujourd'hui me contenter de ce genre de satisfaction, le coït avec la femme ayant été impossible, malgré tous mes essais, et n'ayant jamais éprouvé de désirs mais plutôt du dégoût pour la femme, et par conséquent n'ayant jamais la moindre érection.

Si je dois faire maintenant une confession sur la manière de satisfaire mon instinct sexuel, je dois avouer qu'autrefois des camarades d'école, des garçons de mon âge, pouvaient provoquer chez moi une excitation sexuelle. Mon penchant pour les garçons de dix ans, mais surtout pour les jeunes gens de quinze à vingt ans, subsiste encore aujourd'hui.

Ce qui me charme avant tout, ce sont les formes des corps bien vigoureux mais pourtant délicats des cadets (élèves militaires), dont l'uniforme plein de goût et les manières distinguées m'excitent particulièrement.

Je n'ai pas eu l'occasion d'entrer avec eux en rapports, même purement sociaux. Je dois me contenter de les suivre dans les rues et les promenades ou bien dans les cas plus favorables, au restaurant, sur le tramway ou en chemin de fer; je m'assieds près d'eux et, quand je puis le faire sans être aperçu, je me satisfais au moyen de l'onanisme.

Mon désir le plus ardent serait souvent d'être l'ami, le serviteur ou l'esclave d'un de ces jeunes hommes.

Je ne pense jamais à la pédérastie directe: exoptatum mihi est corpus tangere, amplecti, membrum meum ab amato juvene tangi, me autem genitalia vel podicem ejus osculare posse.

J'ai souvent cette envie que Sacher Masoch dépeint dans son roman «La Vénus à la fourrure», dans lequel un homme se fait volontairement l'esclave d'une femme, et éprouve des frissons de volupté quand il est battu ou humilié par elle. Seulement, chez moi, ce sentiment est modifié dans ce sens que je ne voudrais nullement être l'esclave d'une femme, mais l'esclave d'un homme ou plutôt d'un jeune homme que j'aimerais tellement que je me mettrais à sa merci avec tout mon être.

Voilà quelles sont à peu près les scènes de volupté qui sont présentes à mon esprit pendant que je m'onanise, scènes dans lesquelles je me représente toujours les jeunes hommes ou les garçons que j'ai rencontrés.

Je sens bien que l'onanisme est toujours un pis-aller bien triste et bien incomplet.

Voici comment je procède dans mon rêve de volupté.—(Je dis tout, car je tiens à écrire la vérité et toute la vérité.)—Je me figure m'être engagé à une obéissance absolue envers un jeune homme qui me plaît au physique. Je m'imagine qu'il vient m'humilier, qu'il exige, par exemple, que je baise ses pieds ou qu'il m'oblige à renifler ses chaussettes trempées de sueur. Quia quod exopto et concupisco mihi non contingit meas crepidas (chaussettes) olfacio casque in os recipio, genitalia mea iis praestringo, quibus factis mox pene erecto voluptate perturbatus semen ejaculo.

Dans l'évocation de ces images, je suis allé même jusqu'à me figurer que le jeune homme que je me représentais comme mon maître, m'ordonnait pour m'humilier de manger de ses excréments. Alors, à défaut de la réalisation de la scène imaginée, je mange de mes propres excréments, toutefois en petite quantité seulement, avec un dégoût partiel et un vif battement de cœur; alors il se produit une violente érection suivie d'éjaculation.

Cependant, je n'arrive à ces scènes malpropres d'une imagination fiévreuse et à leur exécution que lorsque je me suis privé, pendant un laps de temps plus ou moins long, du plaisir de me satisfaire par l'onanisme, dans le voisinage immédiat d'un jeune homme.

Ce dernier procédé est plus conforme à mon naturel, car il me procure un peu plus de jouissance et en quelque sorte un rassérènement physique et intellectuel, bien que je n'aie pas encore pu arriver à mon idéal d'une satisfaction réelle et directe, accordée avec consentement mutuel.

Je crois presque que l'horrible fantaisie dont j'ai parlé n'est que la conséquence de la privation des satisfactions normales, c'est-à-dire des satisfactions qui sont normales pour moi, dans ma nature d'uraniste. Je crois que, par une satisfaction régulière, corps à corps, cette passion poussée jusqu'à la folie se calmerait et renoncerait en tout cas à de pareilles extravagances. Ou, pour être plus précis, c'est l'effet final de mes essais d'abstinence, car c'est seulement après une plus ou moins longue période de privation que j'aboutis à ces images de folie et de volupté.

Je crois même que, dans d'autres circonstances sociales, je serais capable de grandes et de nobles affections ainsi que d'abnégation. Mes idées ne sont point exclusivement charnelles ou morbidement sensuelles. Que de fois, à l'aspect d'un beau jeune homme, je suis saisi d'un sentiment profond et romanesque! Et alors, je récite comme une prière ce beau vers de Heine:

«Tu es comme une fleur, si délicieuse, si belle, si pure, etc.»

Un jour que je dus me séparer d'un jeune homme que j'estimais et que j'appréciais, bien qu'il ignorât mon amour pour lui, ce furent les beaux vers de Scheffel qui me revinrent, ces beaux vers dont la dernier couplet—mutatis mutandis—résonnait surtout dans mon âme:

«Le monde est devant moi, gris comme le ciel. Mais que mon sort tourne au bien ou au mal!—Cher ami, fidèle je pense à toi;—Que Dieu t'ait en sa garde! C'eût été trop beau!—Que Dieu te protège! Le sort en a décidé autrement.»

Jamais un jeune homme ne s'est encore douté de mon amour pour lui; je n'ai porté à aucun un funeste préjudice au point de vue moral; mais il y en a beaucoup à qui j'ai frayé le chemin; alors je ne recule devant aucune peine, et je fais tous les sacrifices que je puis faire.

Quand j'ai l'occasion d'avoir auprès de moi un ami aimé, de le former, de le maintenir et de le protéger, quand mon amour, resté ignoré, est payé de retour (bien entendu par une affection non sexuelle), alors les sales images de mon imagination se dissipent. Alors mon amour devient presque platonique; il s'ennoblit, pour retomber ensuite dans la fange, quand il ne lui est pas donné de se manifester dignement.

Je suis d'ailleurs, sans me flatter, un homme qui ne compte pas parmi les plus méchants. D'un esprit plus vif que la moyenne des gens, je prends part à tout ce qui émeut l'humanité. Je suis bon, doux et facile à apitoyer; je ne ferais pas de mal à une bête et moins encore à un être humain; au contraire, partout où je le peux, je fais le bien et des actions humanitaires.

Bien que, devant ma conscience, je ne puisse rien me reprocher et que je repousse vivement le jugement du monde sur nous, je souffre beaucoup. Il est vrai que je n'ai jamais fait de mal à personne et que je crois mon amour, dans ses manifestations nobles, un sentiment aussi élevé que l'amour des hommes normaux; mais, avec le sort malheureux que nous prépare l'intolérance et l'ignorance, je souffre souvent très durement, au point d'être las de cette vie.

Il n'y a pas d'écrits ni de paroles qui puissent dépeindre toute notre misère, toutes nos situations malheureuses, la peur continuelle d'être découverts dans notre anomalie et d'être mis au ban de la société. La seule idée d'être découvert, de perdre sa position et d'être répudié par tout le monde, est plus pénible qu'on ne le croit. Alors tout ce qu'on aurait fait de bien serait oublié; tout individu de prédisposition normale se rengorgerait, fort de son sentiment de haute moralité, même s'il eût agi le plus cyniquement en ce qui concerne son amour. Je connais plus d'un individu normal dont la frivolité en amour me semblera toujours difficile à comprendre.

Cependant, qu'importe notre misère! Nous pouvons finir nos jours malheureux en maudissant l'humanité. En vérité, souvent j'aspire au calme de l'asile d'aliénés. Que ma vie finisse quand il le faudra! Le plus tôt serait le mieux; je suis prêt.

Pour passer à une autre question, je crois aussi, comme les autres qui vous ont écrit, que notre nervosité n'est que le résultat de notre existence malheureuse et infiniment misérable au milieu de la société humaine.

Et maintenant, encore une remarque. À la fin de votre ouvrage, vous parlez de la suppression de l'article du Code relativement à nos actes. Certes, par cette suppression l'humanité ne périra point. En Italie, comme je crois le savoir, il n'y a pas de paragraphe de ce genre. Et pourtant l'Italie n'est pas une contrée sauvage, mais un pays civilisé. Et moi qui suis obligé de saper ma santé par l'onanisme, je ne pourrais pas être atteint par la loi, dont jusqu'ici je n'ai violé aucun article. Pourtant je souffre de ce maudit mépris qui pèse sur nous. Mais comment l'opinion de la société pourrait-elle se modifier, tant qu'un article du Code la confirmera dans sa fausse moralité. La loi doit en tout cas répondre à la conscience du peuple, non pas à la conscience populaire qui est erronée, mais aux opinions des gens les mieux pensants et les plus instruits de la nation; elle ne doit pas se régler sur les désirs et les préjugés d'une populace superstitieuse et obscure.

Les esprits perspicaces ne doivent pas persévérer plus longtemps dans les vieilles opinions à ce sujet.

Excusez-moi, Monsieur, de terminer sans me nommer. Ne cherchez pas après moi. Je ne pourrais rien ajouter qui soit digne d'être noté. Je vous remets ces lignes dans l'intérêt de mes compagnons de malheur. Publiez-en ce que vous croyez utile dans l'intérêt de la science, de la vérité et de l'équité.


Observation 115.—Par une soirée d'été, au crépuscule, X. Y..., docteur en médecine dans une ville de l'Allemagne du Nord, a été pris en flagrant délit par un garde champêtre, au moment où il faisait sur un chemin des actes d'impudicité avec un vagabond. Il masturbait ce dernier et ensuite mentulam alius in os suum immisit. X... s'est soustrait aux poursuites judiciaires en prenant la fuite. Le procureur royal abandonna la plainte parce qu'il n'y avait aucun scandale public et que l'immissio membri in anum n'avait pas eu lieu. On a trouvé en la possession d'X... une vaste et longue correspondance uraniste qui a permis de constater que, depuis des années, il avait des rapports uranistes suivis avec des personnes appartenant à toutes les classes de la société. X... est issu d'une famille tarée. Le grand-père du côté paternel est mort aliéné et s'est suicidé. Le père était un homme de constitution faible et de caractère bizarre. Un frère du malade s'est masturbé dès l'âge de deux ans. Un cousin était inverti, il commit les mêmes actes contre les bonnes mœurs que X...; c'était un jeune homme imbécile; il a fini ses jours avec une maladie de la moelle épinière. Un frère de son grand-père du côté paternel était hermaphrodite. La sœur de sa mère était folle. La mère passe pour être bien portante. Le frère de X... est nerveux et à des accès de colère violente.

Étant enfant, X... était aussi très nerveux. Le miaulement d'un chat lui causait une peur terrible; on n'avait qu'à imiter la voix d'un chat pour qu'il se mît à pleurer amèrement et à se cramponner de peur aux personnes de son entourage.

À l'occasion de maladies peu graves, il était toujours pris de fièvres violentes. C'était un enfant calme, rêveur, doué d'une imagination très vive, mais de faibles moyens intellectuels. Il ne rechercha jamais les jeux des garçons. Il s'amusait, de préférence, aux occupations féminines. Il avait un plaisir particulier à coiffer la servante de la maison ou son frère.

À l'âge de treize ans, X... fut mis en pension. Là, il pratiqua l'onanisme mutuel, séduisit ses camarades, se rendit impossible par sa conduite cynique, de sorte qu'on dut le renvoyer chez ses parents. Déjà, à cette époque, des lettres d'amour, d'un caractère lascif et parlant d'inversion sexuelle, tombèrent entre les mains des parents.

À partir de l'âge de dix-sept ans, X... fit ses études sous la direction sévère d'un professeur de lycée. Il faisait des progrès convenables. Il n'avait du talent que pour la musique. Après avoir fait son baccalauréat, X... devint, à l'âge de dix-neuf ans, étudiant de l'Université. Là, il se fit remarquer par son genre cynique et par la fréquentation de jeunes gens sur lesquels toutes sortes de bruits couraient, avec force allusions à leurs amours homosexuelles. Il commença à devenir coquet dans sa mise; il aimait les cravates voyantes, portait des chemises très échancrées au cou, serrait ses pieds dans des bottes étroites et peignait ses cheveux d'une façon étrange. Ces penchants disparurent lorsqu'il eut terminé ses études universitaires et qu'il fut rentré chez ses parents.

À l'âge de vingt-quatre ans, il fut gravement neurasthénique pendant quelque temps. À partir de cette époque et jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans, il parut très sérieux, se montrant très capable dans son métier; mais il évitait la société du beau sexe et rôdait toujours avec des messieurs d'une réputation douteuse.

Le malade n'a pas consenti à un examen personnel. Il s'est excusé par lettre, en disant qu'il le croit sans utilité, son penchant pour son propre sexe existant chez lui depuis son enfance et étant congénital. De tout temps, il a eu l'horror feminæ, et il n'a jamais pu se décider à goûter les charmes féminins. Vis-à-vis de l'homme, il se sent dans le rôle masculin. Il reconnaît que son penchant pour son propre sexe est anormal, mais il s'excuse de ses excès sexuels par sa prédisposition morbide.

Depuis sa fuite d'Allemagne, X... vit dans le sud de l'Italie, et, comme je l'apprends par une lettre qu'il m'a adressé, il s'adonne, comme autrefois, à l'amour uraniste.

X... est un homme grave, de très belle prestance et de traits tout à fait virils; il a une barbe très fournie; ses parties génitales sont normalement développées. Le docteur X... a mis, il y a quelque temps, son autobiographie à ma disposition; les passages suivants méritent d'en être reproduits. «Quand, à l'âge de sept ans, je suis entré dans une pension, je me sentis très mal à mon aise, et j'ai trouvé un accueil très peu avenant de la part de mes condisciples. Je ne me sentais attiré que vers un seul d'entre eux, un très joli enfant que j'aimais presque passionnément. Dans nos jeux d'enfants, je savais toujours arranger les choses pour paraître habillé en fille; et mon plus grand plaisir était de faire à notre bonne des coiffures bien compliquées. Je regrettais souvent de n'être pas né fille.

«Mon instinct génital s'éveilla à treize ans et se porta, dès son origine, vers les jeunes gens vigoureux. Au commencement, je ne me rendis pas encore compte du caractère anormal de ce penchant; je n'en eus conscience que quand je vis et entendis comment mes camarades étaient conformés sous le rapport sexuel. À l'âge de treize ans, je commençai à me masturber. À l'âge de dix-sept ans, je quittai la maison paternelle et je fréquentai le lycée d'une grande capitale, où l'on m'avait mis en pension chez un professeur marié. J'eus plus tard des rapports sexuels avec le fils de ce professeur. C'était la première fois que j'éprouvais une satisfaction sexuelle. Ensuite, je fis la connaissance d'un jeune artiste, qui s'aperçut bientôt de mon naturel anormal et qui m'avoua que c'était aussi son cas. J'appris par lui que cette anomalie était très fréquente: cette communication anéantit l'idée qui m'affligeait beaucoup que j'étais le seul individu anormal. Ce jeune homme avait de nombreuses connaissances de son goût et il m'introduisit dans ce cercle d'amis. Là, je fus bientôt l'objet de l'attention générale, car, comme on disait, au physique je promettais beaucoup. Bientôt, je fus idolâtré par un monsieur d'un âge mûr, que je reçus pour une courte période; puis, j'écoutai avec complaisance les propositions d'un jeune et bel officier qui était à mes pieds. À vrai dire, celui-ci était mon premier amour.

«Après avoir fait mon baccalauréat, à l'âge de dix-neuf ans, affranchi de la discipline de l'école, je fis la connaissance d'un grand nombre de gens ayant mes penchants, entre autres celle de Karl Ulrichs (Numa Numantius).

«Lorsque, plus tard, je passai à l'étude de la médecine et que j'eus des relations avec beaucoup de jeunes gens de nature normale, je me trouvai souvent dans l'obligation de céder aux invitations de mes camarades et d'aller chez des filles publiques. Après m'être couvert de honte devant plusieurs femmes, parmi lesquelles il y en avait de très belles, l'opinion se répandit parmi mes amis que j'étais impuissant. Je donnai à ce bruit de la consistance en racontant de prétendus exploits excessifs que j'avais autrefois accomplis avec des femmes. J'avais, à cette époque, de nombreuses relations au dehors. Dans les cercles, on vantait tellement ma beauté physique, que ma réputation de beauté prit une très grande extension. Ceci eut pour conséquence qu'à chaque instant un voyageur se présentait et que je recevais une telle quantité de lettres d'amour que j'en étais souvent embarrassé. Cette situation atteignit son apogée quand, plus tard, je fus logé au lazaret comme médecin faisant son volontariat d'un an. Il y avait là un va-et-vient comme chez une personnalité célèbre, et les scènes de jalousie qui s'y jouaient à cause de moi faillirent amener la découverte de toute cette affaire. Peu de temps après, je tombai malade: j'avais une inflammation de l'articulation de l'épaule, dont je ne guéris que trois mois plus tard.

«Pendant ma maladie, on me fit plusieurs fois par jour des injections sous-cutanées de morphine, qu'on cessa brusquement un jour, mais que, en secret, je continuai de pratiquer, même après ma guérison. Avant de commencer à pratiquer comme médecin, je fis un séjour de plusieurs mois à Vienne pour faire des études spéciales. Grâce à des recommandations, j'eus dans cette ville mes entrées dans divers cercles de personnes de mon genre. J'y fis la remarque que l'anomalie dont il est ici question est, dans ses formes variées, aussi répandue dans les classes populaires que dans les hautes classes de la société, et que ceux qui sont abordables par métier, contre espèces sonnantes, se rencontrent fréquemment aussi dans les hautes classes.

«Quand je me suis établi comme médecin à la campagne, j'espérais pouvoir me débarrasser de la morphine en prenant de la cocaïne. Ainsi je tombai dans le cocaïnisme qu'on n'a pu supprimer qu'après trois rechutes, il y a un an et neuf mois. Dans ma position, il m'était impossible de trouver des satisfactions sexuelles, et je m'aperçus avec plaisir que l'usage de la cocaïne avait pour conséquence d'éteindre mes désirs. Quand je fus délivré pour la première fois du cocaïnisme, grâce aux soins énergiques de ma tante, je partis en voyage pour quelques semaines afin de me rétablir complètement. Les envies perverses étaient revenues avec toute leur force. Un soir que je m'étais amusé avec un homme en champ libre, dans les environs de la ville, je fus le lendemain mandé au cabinet du procureur royal, qui me dit que j'étais surveillé, qu'on m'avait déjà dénoncé, mais que l'acte dont on m'accusait ne tombant pas sous le coup de la loi, selon la décision de la Cour suprême de l'empire allemand, je devais cependant prendre garde, car le bruit de cette affaire avait déjà pénétré partout. À la suite de cet incident, je me vis dans la nécessité de quitter l'Allemagne et de me chercher une nouvelle patrie dans un pays où les lois et l'opinion publique considèrent que tous les penchants anormaux ne peuvent pas être supprimés par la force de la volonté. Comme je me rendais parfaitement compte que mes penchants étaient en contradiction avec la manière de voir de la société, j'essayai à plusieurs reprises de les maîtriser; je ne faisais que les attiser davantage, et mes amis disaient qu'ils avaient observé sur eux le même effet. Me sentant exclusivement attiré vers les jeunes gens vigoureux et très virils, et ne trouvant que rarement des complaisances chez ces individus, j'en étais souvent réduit à acheter ce consentement. Comme mes désirs ne visaient que des personnes de la classe inférieure, j'en trouvais toujours qui, pour de l'argent, se prêtaient à mes fantaisies. J'espère que les révélations que je vais faire ne provoqueront pas votre indignation; j'ai voulu d'abord les passer sous silence, mais il faut que je les ajoute pour rendre ma communication plus complète, puisqu'elles sont destinées à augmenter le nombre des cas que vous avez observés. J'éprouve le besoin d'accomplir l'acte sexuel de la façon suivante:

«Pene juvenis in os recepto, ita ut commovendo ore meo effecerim, ut is quem cupio, semen ejaculaverit, sperma in perinæum exspuo, femora comprimi jubeo et penem meum adversus et intra femora compressa immitto. Dum hæc fiunt, necesse est ut juvenis me, quantum potest, amplectatur. Quæ prius me fecisse narravi, eumdem mihi afferunt voluptatem, acsi ipse ejaculo. Ejaculationem pene in anum immitendo vel manu terendo assequi, mihi sequaquam amœnum est.

«Sed inveni qui penem meum recaperint atque ea facientes quæ supra exposui, effecerint, ut libidines meæ plane sint saturatæ.

«Quant à ma personne, je dois encore donner les renseignements suivants. J'ai 1m, 80 de taille; je suis d'un habitus tout à fait viril, et bien portant, sauf une irritabilité anormale de la peau. J'ai des cheveux blonds et touffus, la barbe idem. Mes parties génitales sont de grosseur moyenne et d'une conformation normale. Je suis capable de faire, dans les vingt-quatre heures, quatre à six fois l'acte dont j'ai parlé, sans éprouver la moindre fatigue. Mon genre de vie est très régulier. Je ne bois que très peu d'alcool et je suis très modéré dans l'usage du tabac. Je joue assez bien du piano, et quelques petites compositions que j'ai faites ont été très applaudies. Il n'y a pas longtemps, j'ai achevé un roman qui, comme premier ouvrage, est très favorablement apprécié par mes amis. Ce roman a pour sujet plusieurs problèmes de la vie des invertis sexuels. Étant donné le grand nombre de compagnons de souffrance que j'ai connus personnellement, je fus, bien entendu, souvent à même de faire des observations sur les diverses formes de cette anomalie; les renseignements suivants pourront donc vous être de quelque utilité.

«Le fait le plus anormal que je connaisse, c'est la manie d'un monsieur habitant les environs de Berlin. Is juvenes sordidos pedes habentes aliis prœfert, pedes eorum quasi furibundus lambit. Tel est un monsieur de Leipzig, qui linguam in anum cœno iniquatum quod ei gratissimum est, immittere narratur.

«À Paris, il y a un monsieur qui, par ses insistances, a décidé un de mes amis, ut in os ei mingat. On m'affirme que d'aucuns, à la vue de bottes de cavaliers ou de pièces d'uniforme militaire, entrent dans une telle extase qu'il se produit chez eux spontanément des éjaculations.

«L'exemple de deux personnages de Vienne nous montre jusqu'à quel point certains invertis se sentent femmes, ce qui n'est pas du tout mon cas. Ces deux individus ont des sobriquets féminins: l'un est un coiffeur, qui s'appelle Die französische Laura (Laura la Française), l'autre est un ancien boucher qu'on appelle Die Selcher Fanny (Fanny la Charcutière). Tous deux ne manquent jamais, pendant le carnaval, l'occasion de se montrer déguisés en femmes. À Hambourg, il y a un personnage que beaucoup de gens prennent pour une femme, parce que cet individu est toujours, chez lui, habillé en femme et que, dans ses rares sorties, il est également revêtu d'une toilette féminine. Ce monsieur a même voulu, à l'occasion d'un baptême, figurer comme marraine, ce qui a provoqué un scandale énorme.

«Les défauts des femmes, commérages, manque à la parole donnée, faiblesse de caractère, sont le partage régulier de pareils individus.

«Je connais plusieurs cas de tendance sexuelle perverse où l'individu est en même temps atteint d'épilepsie et de psychoses; ce qui est surprenant, c'est la fréquence des hernies dans ces cas. Pendant que je pratiquais la médecine, plusieurs personnes auxquelles je fus recommandé par mes amis, s'adressèrent à moi pour des maladies contractées à l'anus. J'ai constaté deux chancres syphilitiques, un chancre mou, plusieurs fissures, et actuellement j'ai en traitement un monsieur qui a, à l'anus, des conditomes pointus, qui forment une sorte de gonflement ressemblant à un chou-fleur et ayant presque la grosseur du poing. J'ai vu à Vienne un cas d'affection primitive du palais chez un jeune homme qui avait l'habitude de fréquenter, déguisé en femme, les bals masqués et d'y attirer à l'écart les messieurs. Il prétendait toujours, au moment psychologique, avoir ses règles, et par ce moyen, il savait s'arranger de façon à ce qu'on se servît de lui per os. De cette manière il aurait, en une seule soirée, séduit quatorze jeunes gens.

«N'ayant, dans aucun des ouvrages sur l'inversion sexuelle qui me sont tombés sous les yeux, rien trouvé sur les rapports des pédérastes entre eux, je voudrais vous donner, pour finir, encore quelques renseignements à ce sujet.

«Aussitôt que deux invertis font connaissance, ils échangent mutuellement des communications sur les incidents de leur passé, sur leurs amours et leurs conquêtes, à moins qu'une pareille conversation soit impossible par la grande distance sociale qui sépare un uraniste de l'autre. Ce n'est que rarement qu'on s'abstient d'une pareille conversation quand on fait une nouvelle connaissance. Entre eux, les invertis se désignent par le mot «tantes»; à Vienne ils s'appellent «sœurs». Deux prostituées viennoises, d'allures masculines, dont j'ai fait la connaissance par hasard, et qui ont entre elles des rapports d'inversion sexuelle, me racontèrent que, dans des circonstances analogues, les femmes se servent de la désignation d'«oncles». Depuis que j'ai une conscience nette de mon état anormal, je suis entré en relations avec plus de mille individus, ayant des sentiments conformes à ma nature. Presque dans chaque grande ville il y a un lieu de réunion pour eux, ce qu'on appelle «un trottoir», un lieu de raccolage. Dans les petites villes il y a relativement peu de «tantes»; cependant, j'en ai trouvé huit dans une bourgade de 2.300 habitants; dans une ville de 7.000 habitants dix-huit dont j'étais sûr, sans parler des autres que je soupçonnais. Dans ma ville natale, qui a 30.000 habitants, je connais personnellement environ cent-vingt tantes. La plupart ont la faculté, et pour ma part je la possède au plus haut degré, de juger du premier coup d'œil si un individu a nos tendances ou non, ou, pour employer l'argot des tantes, «s'il est raisonnable ou non raisonnable». Mes amis étaient souvent étonnés de la sûreté extraordinaire de mon coup d'œil. Je reconnaissais au premier coup d'œil des «tantes» chez des individus qui, selon toute apparence, étaient organisés tout à fait virilement. D'autre part, j'ai tellement la faculté de me comporter virilement que, dans les cercles où je fus recommandé par des amis, on manifesta au premier abord des doutes sur l'authenticité de mon caractère. Quand je suis de mauvaise humeur, je peux me comporter tout à fait comme une femme. La plupart des «tantes», y compris moi, ne regardent pas leur anomalie comme un malheur; ils regretteraient plutôt de voir leur état changer. Comme, selon mon opinion et celle des autres tantes, cet état congénital ne peut guère être influencé par rien, nous n'avons qu'un espoir, c'est de voir un jour modifier les articles du Code dans ce sens que le viol ou la provocation au scandale public, quand ils sont constatés simultanément, pourraient être poursuivis par la loi».


Observation 116 (Inversion sexuelle chez une femme).—S... I..., trente-huit ans, institutrice, m'a consulté pour des souffrances nerveuses. Le père fut passagèrement aliéné; il est mort d'une maladie du cerveau. La malade est une enfant unique. Déjà, dans sa première jeunesse, elle souffrait de sentiments d'angoisse et d'idées qui la tourmentaient, par exemple, qu'elle se trouvait dans un cercueil et qu'elle s'éveillerait après qu'on l'aurait fermé, qu'elle avait oublié de dire quelque chose à confesse et qu'elle ne serait pas digne de la communion. Elle souffrait beaucoup de maux de tête, était très émotionnable, peureuse, mais avait tout de même des impulsions à voir des choses émouvantes, par exemple des cadavres.

Dès sa plus tendre enfance, la malade était excitée sexuellement, et elle en vint à la masturbation sans y avoir été entraînée par personne. Les règles se produisirent à l'âge de quatorze ans, plus tard elles s'accompagnèrent de douleurs et de coliques, d'une violente excitation sexuelle, de migraines et d'une forte dépression morale. À partir de l'âge de dix-huit ans, la malade a pu supprimer son penchant à la masturbation.

La malade n'a jamais ressenti d'affection pour une personne de l'autre sexe. Quand elle pensait au mariage, ce n'était que parce qu'elle désirait par ce moyen se caser. En revanche, elle se sentait puissamment attirée vers les filles. Elle prit au commencement cette affection pour un sentiment d'amitié. Mais bientôt elle reconnut, à l'ardeur avec laquelle elle s'attachait à ses amies, à l'immense langueur qu'elle éprouvait sans cesse pour elles, que ces sentiments étaient pourtant plus que de l'amitié.

La malade ne peut pas comprendre qu'une fille puisse aimer un homme, mais elle comprend très bien qu'un homme puisse avoir de l'affection pour une fille. Elle s'est toujours vivement intéressée aux belles femmes et aux belles filles, et leur aspect lui a toujours causé une puissante émotion. Son plus grand désir a toujours été de pouvoir embrasser ces gentilles créatures. Elle n'a jamais rêvé d'hommes, mais toujours de filles. Son bonheur était de jouir de leur vue. La séparation de ses «amies» l'a toujours plongée dans le désespoir.

La malade, dont l'extérieur est tout à fait féminin et très décent, dit qu'elle ne s'est jamais sentie dans un rôle particulier vis-à-vis de ses amies, pas même dans ses rêves de bonheur. Le bassin est de conformation féminine, les mamelles sont fortes; aucune trace de barbe sur la figure.


Observation 117.—Mme R..., trente-cinq ans, femme du monde, m'a été amenée par son mari, en 1886, pour une consultation médicale. Le père était médecin et très névropathe. Le grand-père paternel était bien portant, normal, et a atteint l'âge de quatre-vingt-dix ans. Sur la mère du père de la malade on n'a pas de renseignements. Les frères et sœurs du père sont, dit-on, tous nerveux. La mère de la malade était atteinte d'une maladie de nerfs et souffrait d'asthme. Les parents de cette dernière étaient tout à fait sains. La sœur de la mère fut atteinte de mélancolie.

Depuis l'âge de dix ans, la malade a souffert de mal de tête habituel; sauf la rougeole, elle n'a eu aucune maladie; elle était très douce, a reçu la meilleure éducation; avait un talent particulier pour la musique et les langues étrangères; fut obligée de faire des études pour obtenir un brevet d'institutrice; fut pendant sa période de développement intellectuellement très surmenée et a eu, à l'âge de dix ans, une mélancolie sans délire qui a duré plusieurs mois. La malade affirme que, de tout temps, elle n'a eu de sympathie que pour des personnes de son propre sexe et qu'elle n'a eu que tout au plus un intérêt esthétique pour les hommes. Elle n'a jamais eu de goût pour les travaux de femmes. Étant petite, elle préférait à tout, courir et jouer avec les garçons.

La malade dit qu'elle est restée bien portante jusqu'à l'âge de vingt-sept ans. Alors elle est devenue, sans aucune raison extérieure, mélancolique; elle se prenait pour une mauvaise personne pleine de péchés, n'avait plus de joie à rien, était sans sommeil. Pendant cette période de maladie, elle était tourmentée d'idées obsédantes; elle se représentait sa mort, son agonie et celle de son entourage. Elle guérit après cinq mois. Elle devint alors gouvernante; elle était très surmenée; elle était bien portante sauf quelques malaises neurasthéniques et des irritations spinales périodiques.

À l'âge de vingt-huit ans, elle fit la connaissance d'une dame plus jeune qu'elle de cinq ans. Elle en tomba amoureuse et en fut aimée. Leur amour était très sensuel et trouvait à se satisfaire dans l'onanisme mutuel. «Je l'ai idolâtrée, c'est un être si noble!» disait la malade en parlant de cette liaison d'amour qui a duré quatre ans et qui s'est terminée par le mariage malheureux de cette amie.

En 1885, après bien des émotions morales, la malade fut atteinte d'une maladie, une sorte d'hystéro-neurasthénie (dyspepsie gastrique, irritation spinale, accès de catalepsie, d'hémianopie avec migraine, accès d'aphasie transitoire, pruritus pudendi et ani).

Au mois du février 1886, ces symptômes disparaissaient.

Au mois de mars, la malade fit la connaissance de son mari actuel, l'épousa sans hésiter, car il était riche, avait beaucoup d'affection pour elle, et son caractère lui était sympathique.

Le 6 avril, elle lit un jour cette phrase: «La mort n'épargne personne.» Comme un coup de foudre, ses anciennes idées obsédantes de la mort lui reviennent. Dans son obsession elle s'imaginait la mort la plus terrible pour elle et son entourage; elle se représentait des scènes d'agonie particulière; elle en perdit la tranquillité et le sommeil, et ne se plaisait plus à rien. Son état s'améliora. Son mariage eut lieu fin mai 1886, mais elle fut encore tourmentée de l'idée pénible qu'elle porterait malheur à son mari et à sa parenté.

Le 6 juin, premier coït. Elle en fut moralement très déprimée. Ce n'est pas comme cela qu'elle s'était figuré le mariage! Au commencement elle fut tourmentée par un violent tædium vitæ. Sou époux qui l'aimait sincèrement, faisait tout son possible pour la rassurer. Les médecins consultés étaient d'avis que tout irait bien, une fois que la malade serait grosse. La mari ne pouvait s'expliquer la conduite énigmatique de sa femme. Elle était aimable pour lui, tolérait ses caresses, se comportait d'une façon tout à fait passive dans le coït qu'elle cherchait à éviter autant que possible; elle était, après l'acte, pendant des jours entiers fatiguée, épuisée, tourmentée par une irritation spinale et nerveuse.

Un voyage des époux lui permit de revoir son amie qui, depuis trois ans, vivait malheureuse en ménage. Les deux femmes tressaillirent de joie et d'émotion, quand elles tombèrent dans les bras l'une de l'autre; elles furent dès ce moment inséparables. Le mari trouva cette liaison amicale quelque peu étrange et pressa le départ. Il se convainquit en prenant connaissance de la correspondance de sa femme avec cette amie, que cet échange de lettres ressemblait absolument à celui qui est en usage entre amoureux.

Mme R... devint enceinte. Pendant sa grossesse, les restes de sa dépression psychique et ses obsessions disparurent. Vers le 15 septembre, avortement environ à la neuvième semaine de la grossesse. À la suite, nouveaux symptômes d'hystéro-neurasthénie; de plus antéflexion et latéroflexion à droite de l'utérus, anémie, atonie ventriculaire.

À la consultation, la malade fait l'impression d'une personne très tarée névropathiquement. L'expression névropathique de l'œil est manifeste. Habitus tout à fait féminin. Sauf un palais très étroit et très incurvé, il n'y a pas d'anomalies du squelette. Ce n'est que difficilement que la malade s'est décidée à faire des confidences sur son anomalie sexuelle. Elle se plaint d'avoir fait un mariage sans savoir ce que c'est que la vie conjugale entre homme et femme. Elle aime son mari cordialement à cause de ses qualités d'esprit, mais les rapports conjugaux lui sont un supplice; elle n'y consent qu'à contre-cœur et sans en éprouver jamais la moindre satisfaction. Post actum, elle est pendant des jours entiers tout à fait fatiguée et épuisée. Depuis l'avortement et l'interdiction du médecin de continuer les rapports conjugaux, elle se sent mieux, mais c'est l'avenir qui lui paraît terrible. Elle estime son mari, elle l'aime psychiquement, elle ferait tout pour lui, si seulement il voulait dorénavant l'épargner sexuellement. Elle espère qu'avec le temps elle pourrait devenir capable d'un sentiment sensuel pour lui. Quand il joue du violon, elle croit souvent qu'il surgit en elle un sentiment qui est plus que de l'amitié, mais ce n'est qu'un sentiment éphémère dans lequel elle ne voit aucune garantie pour l'avenir. Son suprême bonheur c'est sa correspondance avec son ancienne amante. Elle sent que c'est un tort, mais elle ne peut y renoncer; sans cela elle se sentirait trop malheureuse.

Il faut noter comme très remarquable le fait que l'anomalie peut, pendant longtemps, se borner à une simple inversion du sentiment sexuel et que l'impulsion à une satisfaction perverse ne se manifeste qu'à la suite d'une cause occasionnelle, par exemple une séduction, ou d'une névrose qui vient de se déclarer. Ces cas peuvent être facilement confondus avec ceux d'inversion morbide acquise, quand on ne peut pas démontrer anamnestiquement qu'ils sont primitifs et congénitaux par rapport au sens sexuel.


Observation 118.—Mme C..., trente-deux ans, femme d'un fonctionnaire, grande, pas laide, d'un extérieur tout à fait féminin, est née d'une mère névropathe et très émotive. Un frère était psychopathe et a péri par potus. La malade fut, de tout temps, bizarre, entêtée, renfermée, violente, coléreuse, excentrique. Ses frères et sœurs aussi sont des gens très irritables. Dans la famille, il y eut plusieurs cas de phtisie pulmonaire. À treize ans, la malade se faisait déjà remarquer par des signes d'une grande émotivité sexuelle et par un amour extatique pour une camarade de son âge. Son éducation fut très sévère; toutefois la malade lisait clandestinement beaucoup de romans et écrivait des poésies en quantité. À l'âge de dix-huit ans, elle s'est mariée, pour échapper à la situation désagréable qu'elle avait dans la maison paternelle.

Elle dit qu'elle a toujours été indifférente aux hommes. En effet, elle évitait les bals.

Les statues de femmes lui plaisaient beaucoup. Le comble du bonheur pour elle, serait d'être mariée avec une femme aimée. Il est vrai que cela lui a toujours paru inexplicable. Elle dit qu'avant d'avoir conclu son mariage, elle n'avait pas conscience de son anomalie sexuelle. La malade s'est soumise au devoir conjugal; elle a donné naissance à trois enfants dont deux ont souffert de convulsions; elle vécut d'accord avec son mari qu'elle estimait, mais uniquement pour ses qualités morales. Elle évitait volontiers le coït. «J'aurais préféré avoir des rapports avec une femme.»

En 1878, la malade a fini par devenir neurasthénique. À l'occasion d'un séjour dans une station balnéaire, elle fit la connaissance d'un uraniste féminin, dont j'ai publié l'histoire dans l'Irrenfreund (1884, nº 1, observation nº 6).

La malade rentra changée dans sa famille. Le mari rapporte à ce sujet: «Elle n'était plus mon épouse, elle n'avait plus d'affection ni pour moi, ni pour ses enfants, et ne voulait plus entendre parler de rapports conjugaux.» Elle était prise d'amour ardent pour son amie; elle n'avait plus d'idées pour autre chose. Quand son mari eut interdit la maison à la dame en question, il y eut une correspondance où l'on pouvait lire des passages comme celui-ci: «Ma colombe, je ne vis que pour toi, mon âme!» C'était une émotion terrible quand une lettre attendue n'arrivait pas. La liaison n'était pas du tout platonique. Certaines allusions laissent supposer que le procédé du satisfaction sensuelle était l'onanisme mutuel. Cette liaison amoureuse dura jusqu'en 1882 et rendit la malade neurasthénique au plus haut degré. Comme elle négligeait absolument la maison, le mari prit une dame de soixante ans comme femme de ménage, et, en outre, une gouvernante pour les enfants. La malade est devenue amoureuse de toutes les deux; celles-ci toléraient ses caresses et tiraient un profit matériel de la passion de leur maîtresse.

Vers la fin de 1883, elle dut faire un voyage dans le Midi à cause d'une tuberculose pulmonaire qui commençait à se développer. Là elle fit la connaissance d'une Russe, âgée de quarante ans, en tomba passionnément amoureuse, mais ne trouva pas l'amour en retour qu'elle aurait désiré. Un jour la malade fut frappée d'aliénation mentale; elle prenait la Russe pour une nihiliste, se croyait magnétisée par elle; elle eut un délire de persécution manifeste, s'enfuit, fut prise dans une ville d'Italie, transportée à l'hôpital où elle se calma bientôt. Elle poursuivit alors de nouveau la dame de ses propositions d'amour, se sentant infiniment malheureuse et songeant au suicide.

Rentrée au domicile de son mari, elle fut prise d'une profonde dépression de ne pas avoir sa Russe, et se montra froide et brusque envers son entourage. Vers la fin du mois de mai 1887, il se déclara chez elle un état d'excitation érotique avec délire. Elle dansait, jubilait, déclarait qu'elle était du sexe masculin, demandait après ses anciennes maîtresses, prétendait être de la famille impériale; elle prit la fuite, déguisée en homme; elle fut ensuite amenée dans un état d'émotion érotico-maniaque à l'asile d'aliénées. L'état d'exaltation disparut au bout de quelques jours. La malade devint calme, déprimée; elle fit une tentative de suicide par désespoir, elle fut ensuite atteinte d'un douloureux tædium vitæ, l'inversion sexuelle passant de plus en plus au second rang; la tuberculose faisait des progrès. La malade est morte de phtisie au commencement de l'année 1885.

L'autopsie du cerveau n'a montré rien d'étrange en ce qui concerne la structure et l'ordre des circonvolutions. Le poids du cerveau était de 1,150 grammes. Le crâne était légèrement asymétrique. Aucun signe anatomique de dégénérescence. Les parties génitales internes et externes étaient normales.

3. EFFÉMINATION ET VIRAGINITÉ.

Il y a, entre le groupe précédent et celui-ci, plusieurs cas intermédiaires qui servent de transition, et qui sont caractérisés par le degré d'influence du penchant sexuel sur la personnalité psychique, spécialement sur les penchants et l'ensemble des sentiments. Dans les cas les plus avancés du troisième groupe, des hommes se sentent femmes devant l'homme, et des femmes se sentent hommes en face de la femme. Cette anomalie dans le développement des sentiments et du caractère se manifeste souvent dès l'enfance. Le garçon aime à passer son temps dans la société de petites filles, à jouer aux poupées, à aider sa maman dans les occupations du ménage; il aime les travaux de la cuisine, la couture, la broderie, montre du goût dans le choix des toilettes féminines, de sorte que, en cette matière, il pourrait même donner des consultations à ses sœurs. Devenu plus grand, il n'aime pas à fumer, à boire, à se livrer aux sports virils; il trouve, au contraire, plaisir aux chiffons, aux bijoux, aux arts, aux romans, etc., au point de faire le bel esprit. Quand la femme représente ces tendances, il préfère fréquenter la compagnie des dames.

Son plus grand plaisir c'est de pouvoir se déguiser en femme, à l'occasion d'une mascarade. Il cherche à plaire à son amant en cherchant, pour ainsi dire instinctivement, à lui montrer ce qui plaît dans le sexe opposé à l'homme hétérosexuel: pudeur, grâce, sens esthétique, poésie, etc. Souvent il fait des efforts pour se donner une allure féminine par sa démarche, par son maintien, par la coupe de ses vêtements.

La contre-partie est représentée par l'uraniste féminin, dès l'âge de petite fille. L'endroit qu'elle préfère est le préau où s'ébattent les garçons; elle cherche à rivaliser avec eux dans leurs jeux. La petite fille ne veut rien savoir des poupées; sa passion est le cheval à bâton, le jeu de soldats et de brigands. Elle montre non seulement de l'antipathie pour les travaux féminins, mais elle y montre aussi une maladresse insigne. Sa toilette est négligée; elle aime les manières rudes et garçonnières. Au lieu des arts, son goût et ses penchants la portent vers les sciences. À l'occasion, elle fait un effort pour s'essayer à boire et à fumer. Elle déteste les parfums et les sucreries. L'idée d'être née femme lui inspire des réflexions douloureuses, et elle se sent malheureuse d'être à jamais exclue de l'université, de la vie gaie d'étudiant et de la carrière militaire.

Une âme d'homme sous un sein de femme se traduit par des penchants d'amazone pour les sports virils, de même que par des actes de courage et des sentiments virils. L'uraniste féminin aime la coupe de cheveux et de vêtements des hommes, et le comble de son plaisir serait de pouvoir, à l'occasion, se montrer habillée en homme. Son idéal réside dans les personnages féminins de l'histoire ou de l'époque contemporaine qui se sont signalés par leur esprit et leur énergie.

Quant aux penchants et aux sentiments sexuels de ces uranistes, dont tout l'être psychique est également atteint, les hommes se sentent femmes devant un homme, et les femmes se sentent hommes devant une femme. Ils éprouvent donc une répulsion en face des personnes de même sexe que le leur, mais ils sont attirés par les homosexuels ou même les gens normaux de leur propre sexe. La même jalousie qu'on trouve dans la vie sexuelle normale, se rencontre aussi là, quand une rivalité menace leur amour; cette jalousie est même souvent incommensurable, étant donné que les invertis sont, dans la plupart des cas, sexuellement hyperesthésiques.

Dans les cas d'une inversion sexuelle complètement développée, l'amour hétérosexuel paraît à l'individu atteint comme quelque chose de tout à fait incompréhensible; les rapports sexuels avec une personne de l'autre sexe lui semblent inconcevables, impossibles. Un essai dans ce sens échoue, par le fait que l'idée entravante de dégoût et même d'horreur rend l'érection impossible.

Deux individus seulement, des sujets de transition vers la troisième catégorie, que j'ai observés, ont pu parfois faire le coït, en ayant recours aux efforts de leur imagination, se figurant que la femme qu'ils tenaient entre leurs bras était un homme. Mais cet acte qui leur était inadéquat, était un grand sacrifice pour eux et ne leur donnait aucune jouissance.

Dans les rapports homosexuels, l'homme, pendant l'acte, se sent toujours comme femme et la femme comme homme. Les procédés sont, chez l'homme, quand il y a faiblesse irritable du centre d'éjaculation, simplement le succubus ou le coït passif inter femora, ou dans d'autres cas la masturbation passive ou ejaculatio viri dilecti in ore. Il y en a qui désirent la pédérastie passive. À l'occasion, il y a aussi des désirs de pédérastie active. Dans un cas d'essai fait dans ce sens, l'homme y renonça, car il fut pris de dégoût pour un acte qui rappelait trop le coït normal.

Jamais il n'existait dans les cas observés, un penchant pour des mineurs (amour des garçons). Dans des cas assez nombreux, on s'en tenait aux affections platoniques. La satisfaction sexuelle de la femme consiste probablement dans l'amor lesbicus ou la masturbation active.


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