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Étude Médico-Légale: Psychopathia Sexualis: avec recherches spéciales sur l'inversion sexuelle

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Observation 119. Autobiographie.—I. Antécédents.—J'ai maintenant vingt-trois ans; comme vocation j'ai choisi les études de l'École polytechnique (École des Ingénieurs et des Mines) où je trouve une parfaite satisfaction. Je n'ai eu que des maladies d'enfance sans gravité, tandis que mon frère et ma sœur qui sont maintenant bien portants, ont eu à en supporter de très graves. Mes parents sont vivants et mon père est avocat. Il est, ainsi que ma mère, comme on a l'habitude de dire, nerveux et très surexcité. Mon père a eu un frère et une sœur qui sont morts à un âge tendre.

II. État personnel.—En ce qui concerne mes attributs physiques, j'ai un corps robuste, sans être très bien bâti; les yeux sont gris, les cheveux blonds. Barbe et poils sur le corps, raisonnablement pour mon âge et mon sexe. Les seins et les organes génitaux sont normalement développés, ma démarche est ferme, presque lourde, le maintien négligé. Ce qui est surprenant, c'est que la largeur de mon bassin soit égale exactement à celle de mes épaules.

De ma nature je suis bien doué intellectuellement. Dans un de mes certificats on a même déclaré mes capacités «excellentes». Sans vouloir me vanter, je dois dire que j'ai passé brillamment mes examens, et j'ai un vif intérêt pour tout ce qui concerne le salut de l'humanité, pour la science, les arts et l'industrie. Mon énergie a pu, avec assez de facilité relativement, ajourner à une époque opportune la satisfaction de mes besoins dont je donnerai la description plus loin. Je condamne avec intention et en pleine conscience la morale d'aujourd'hui qui force les anormaux sexuels à enfreindre des lois arbitrairement créées, et j'estime que les rapports sexuels entre deux personnes du même sexe ne doivent dépendre que du consentement libre des individus, sans que le législateur ait le droit d'intervenir. J'ai puisé dans mes études la première idée de former, d'après le procédé de Carneri, une morale basée sur les doctrines darwiniennes, morale qui, il est vrai, ne s'accorde guère avec celle d'aujourd'hui, mais qui serait capable d'élever l'homme à un niveau supérieur, et de l'ennoblir dans le sens des lois naturelles.

Je ne crois pas qu'il y ait chez moi beaucoup de stigmates ni de tares. J'ai une certaine surexcitation. Ce qui me paraît à ce sujet important à noter, c'est que j'ai fréquemment des rêves où il ne s'agit, en général, que de choses indifférentes, et qui n'ont jamais pour sujet de soi-disant images voluptueuses; tout au plus ils roulent sur les toilettes féminines, sur leur essayage, sur ce qui pour moi constitue, en tout cas, une idée voluptueuse. Parfois, surtout jusqu'à l'âge de seize ans, la vivacité de mes songes s'accentuait jusqu'au somnambulisme, et très souvent, ce qui m'arrive encore aujourd'hui, jusqu'à me faire parler à haute voix pendant mon sommeil.

Mes penchants. Mon penchant anormal dont j'ai parlé plus haut, est le principe fondamental de mon sentiment sexuel. Quand je me suis habillé en femme, j'éprouve une satisfaction complète. J'ai alors une tranquillité, un bien-être particulier, qui me permettent de me livrer plus facilement à une occupation intellectuelle. Mon libido pour l'accomplissement de l'acte sexuel est très minime. J'ai aussi beaucoup de dispositions et de goût pour les travaux manuels de la femme; sans avoir reçu la moindre éducation, j'ai appris la broderie et le crochet et, en secret, j'aime à faire ces travaux. J'aime aussi à m'occuper d'autres travaux féminins, tels que la couture, etc. De sorte qu'à la maison, où je cache soigneusement mon penchant et me garde bien de m'y livrer, des preuves que je donnai involontairement de mes aptitudes, m'ont valu cet éloge que je ferais une excellente femme de chambre, éloge dont je ne rougis pas du tout, mais qui au contraire m'a beaucoup flatté en secret. Je faisais peu de cas de la danse avec les femmes; je n'aimais à danser qu'avec mes camarades d'école. Notre cours de danse était organisé de sorte que j'en avais souvent l'occasion; mais en dansant avec un camarade, je n'avais de plaisir qu'à la condition d'être dans le rôle de la dame. Je passe sur une série de rêveries et de désirs qui semblent avoir un caractère typique, étant d'une ressemblance parfaite avec les phénomènes cités dans la Psychopathia sexualis: par exemple, les fantaisies funèbres de ce jeune officier, le costume de ballerine, etc. Pour le reste, mes goûts ne diffèrent pas d'une façon notable de ceux de mon sexe. Je fume et bois modérément; j'aime beaucoup les sucreries, et je fais peu de cas des exercices du corps.

III. Historique de l'anomalie.—Après cette description sommaire de mon individualité, je peux passer à l'analyse historique du développement de mon anomalie. Dès le moment où j'ai pu quelque peu penser par moi-même et que je me suis occupé de la différence des sexes, j'eus le désir ferme et secret d'être une fille. Je croyais même l'être. Mais, en prenant un bain avec des camarades, je vis chez les autres garçons les mêmes parties génitales que chez moi, je me rendis compte de l'impossibilité de mon idée. Je dus rabattre de mes désirs et me nourrir de l'espoir d'être du moins hermaphrodite. Comme j'avais une certaine répulsion à regarder de près les images et les descriptions des parties génitales, bien que de pareils ouvrages me soient tombés souvent entre les mains, cette espérance subsista jusqu'au moment où mes études m'obligèrent à m'occuper de plus près de cette matière. Pendant ce temps, je lus tous les livres où il était question d'hermaphrodites, et quand parfois les journaux racontaient comment une personne du sexe féminin avait été élevée en homme et rendue plus tard par hasard à son sexe, j'avais le plus vif désir d'être à la place de cette personne. Bien fixé sur mon caractère masculin, j'ai dû mettre fin à mes rêves, ce qui ne m'a causé aucune joie. J'essayai par toutes sortes de moyens d'annihiler mes glandes génitales; mais les douleurs que j'éprouvai me firent renoncera à ces tentatives. Maintenant encore j'ai le désir très vif d'avoir les signes extérieurs du sexe féminin, d'avoir une jolie natte, un buste bien arrondi, une taille de guêpe.

À l'âge de douze ans, j'ai eu pour la première fois l'occasion de mettre des vêtements féminins; bientôt après l'idée m'est venue d'arranger le soir les draps et les couvertures de mon lit comme des jupons. Plus tard, avec l'âge, mon plus grand bonheur était de prendre en cachette les robes de mes sœurs et de m'en revêtir, ne fût-ce que pour quelques minutes et au risque d'être découvert. À ma grande joie il me fut un jour permis de jouer un rôle de femme dans une représentation théâtrale d'amateurs; on dit que je m'en suis assez bien acquitté. Depuis que je suis devenu étudiant et que je mène une vie plus indépendante, je me suis procuré des vêtements et du linge de femme, que je tiens moi-même en bon état. Quand le soir, à l'abri de toute découverte, je puis mettre une pièce après l'autre, depuis le corset jusqu'au tablier et aux bracelets, je suis tout à fait heureux, et je me mets au travail, calme, content dans mon for intérieur, et plein de zèle pour mon ouvrage. Quand je m'habille en femme, il se produit régulièrement une érection qui n'est jamais suivie d'éjaculation, mais qui s'apaise d'elle-même en très peu de temps. Je cherche aussi à me rapprocher extérieurement davantage du type féminin, en donnant à mes cheveux une coiffure correspondant à ce caractère et en rasant ma barbe que j'aimerais mieux voir arrachée.

IV. Penchants sexuels.—En passant à la description de mes penchants sexuels, je dois tout d'abord faire remarquer que ma maturité sexuelle s'est faite d'une façon normale, si j'en conclus par mes pollutions, la mue de ma voix, etc. Les pollutions se produisent maintenant encore régulièrement toutes les trois semaines et rarement à des intervalles plus rapprochés. Je n'en éprouve jamais une sensation de volupté. Je n'ai jamais pratiqué l'onanisme; jusqu'à ces temps derniers je n'en connaissais que le nom; quant à la chose, j'ai dû me renseigner à ce sujet par des informations directes pour être éclairé. En général, tout attouchement de mon membre en érection m'est pénible et douloureux, loin de me donner aucune sensation voluptueuse.

Autrefois mon attitude en face des femmes était très timide; maintenant je me comporte avec calme, comme un égal avec des égaux. C'est très rarement qu'une excitation directe, dans le sens sexuel, a été provoquée chez moi par une femme; mais, en analysant de plus près ces faits rares, il me semble que ce n'était jamais la personne de la femme, mais seulement sa toilette qui produisait cet effet. Je m'amourachais de ses vêtements et l'idée d'en pouvoir porter de pareils m'était agréable. Ainsi, je n'eus jamais d'excitation sexuelle, même au bordel, où mes amis m'entraînaient quelquefois; je restais indifférent malgré l'étalage de toutes sortes de charmes imaginables et même devant de véritables beautés. Mais mon cœur était capable de sentiments amicaux pour le sexe féminin. Souvent je me figurais que j'étais déguisé en femme, que je vivais inconnu parmi elles, que j'avais des relations avec elles, et que j'étais très heureux ainsi. C'étaient les jeunes filles dont le buste n'était pas encore trop développé et surtout celles qui portaient les cheveux courts, qui étaient plutôt capables de me faire quelque impression, parce qu'elles se rapprochaient le plus de ma manière de voir. Une fois j'eus la chance de trouver une fille qui se sentait malheureuse d'appartenir au sexe féminin. Nous conclûmes un pacte d'amitié solide et nous nous réjouissions souvent à l'idée de pouvoir échanger notre situation sociale. Il convient peut-être de relater encore le fait suivant qui pourrait avoir quelque importance pour caractériser mon cas. Lorsqu'il y a quelques mois, les journaux rapportèrent l'histoire d'une comtesse hongroise qui, déguisée en homme, avait contracté un mariage et qui se sentait homme, je songeai sérieusement à me présenter à elle pour conclure un mariage inverti où j'aurais été la femme et elle l'homme... Je n'ai jamais essayé le coït et je n'en ai jamais eu envie. Prévoyant que, en face de la femme l'érection nécessaire me ferait défaut, je me proposais de mettre, au cas échéant, les vêtements de la femme, et je crois que, ces préparatifs faits, le succès attendu n'aurait pas manqué de se produire.

Pour ce qui concerne mon attitude vis-à-vis des personnes du sexe masculin, je dois avant tout relever le fait que, pendant la période où j'allais à l'école, j'entretenais avec des camarades des amitiés des plus tendres. Mon cœur était heureux quand je pouvais rendre un petit service à l'ami adoré. Je l'idolâtrais réellement avec ferveur. Mais d'autre part je lui faisais pour un rien des scènes de jalousie terribles. Pendant la brouille, j'avais le sentiment de ne pouvoir ni vivre, ni mourir. Réconcilié je redevenais pour quelque temps l'être le plus heureux. Je cherchais aussi à me faire des amis parmi les petits garçons que je choyais, que je comblais de sucreries et que j'aurais volontiers embrassés. Bien que mon amour en restât toujours aux termes platoniques, il était pourtant d'un caractère anormal. Un propos que j'ai tenu alors inconsciemment sur un camarade adoré et plus âgé que moi, en fournit la preuve: «Je l'aime tant, disais-je, que je préférerais à tout le pouvoir de l'épouser.» Maintenant encore où je vis très retiré, je raffole facilement d'un bel homme, à barbe fine et aux traits intelligents. Mais je n'ai jamais trouvé une âme-sœur à laquelle j'aurais pu me découvrir, pour être comme une amie auprès de lui. Jamais je n'ai essayé de réaliser directement mes penchants ou de commettre quelque imprudence à ce sujet. J'ai finalement cessé de fréquenter les musées où sont exposés des corps d'hommes nus, car les érections que me produisait cette vue, étaient très gênantes. En secret j'ai parfois soupiré après l'occasion de pouvoir dormir à côté d'un homme, et j'en ai trouvé aussi l'occasion. Un monsieur plus âgé, et qui ne m'était guère sympathique, m'y invita un jour.

Cum eo concubui, ille genitalia mea tetigit, et bien que sa personne me fût antipathique, j'éprouvai le plus grand bonheur. Je me sentais tout à fait livré à lui; en un mot je me sentais femme.

S'il m'est permis d'ajouter encore une remarque pour finir, je dois formellement déclarer que, bien que j'aie la pleine conscience de l'anomalie de mes penchants, je ne désire nullement les changer. Je ne fais qu'aspirer après le temps ou je pourrai m'y livrer avec plus de commodité et sans risque d'être découvert, afin de me procurer un plaisir qui ne fait de tort à personne.


Observation 120.—Mlle Z..., trente et un ans, artiste, est venue à la consultation pour des malaises neurasthéniques. Elle attire l'attention par les traits grossiers et virils de sa figure, sa voix creuse, ses cheveux courts, ses vêtements à coupe masculine, sa démarche virile et son aplomb. Pour le reste, elle est tout à fait femme; elle a des seins assez développés; le bassin est féminin; pas de poils sur la figure.

L'interrogatoire, relativement à l'inversion sexuelle, donne un résultat positif.

La malade raconte qu'étant encore petite, elle aimait mieux jouer avec des garçons, notamment aux jeux «de soldat», «au marchand», «au brigand» etc. Elle dit que dans ces jeux de garçons elle était très violente et effrénée; elle n'a jamais eu de goût pour les poupées ni pour les travaux manuels de la femme; elle n'a appris que les plus rudimentaires (tricoter et coudre).

À l'école, elle fit de bons progrès et s'est surtout intéressée aux mathématiques et à la chimie. De très bonne heure, s'est éveillé en elle un penchant pour les beaux-arts pour lesquels elle montrait quelques aptitudes. Son but suprême était de devenir une artiste remarquable. Dans ses rêves d'avenir, elle n'a jamais pensé à une liaison conjugale. Comme artiste, elle s'intéressait aux beaux êtres humains, mais c'étaient seulement les corps de femmes qui l'attiraient; quant aux figures d'hommes, elle ne les contemplait «qu'à distance». Elle ne pouvait souffrir les «niaiseries des chiffons»; il n'y a que les choses viriles qui lui plaisaient. Les rapports quotidiens avec les filles lui déplaisaient, parce que leur conversation ne roulait que sur les toilettes, les chiffons, les amourettes avec les hommes, etc., ce qui lui paraissait insipide et ennuyeux. Par contre elle avait, dès son enfance, des relations d'amitié extatique avec certaines filles; à l'âge de dix ans, elle brûlait pour une camarade d'école et inscrivait son nom partout où elle pouvait.

Depuis elle eut de nombreuses amies auxquelles elle prodiguait des baisers «enragés». En général, elle plaît aux filles à cause de ses manières garçonnières. Elle adresse des poésies à ses amies pour lesquelles elle serait capable de grimper sur les toits. Elle-même trouve surprenant ce fait qu'elle soit gênée devant des filles et surtout des amies. Elle ne serait pas capable de se déshabiller devant elles.

Plus elle aime une amie, plus elle est pudique en face d'elle.

À l'heure qu'il est, elle entretient une de ces liaisons d'amitié. Elle embrasse et enlace sa Laura, se promène devant ses fenêtres, souffre tous les supplices de la jalousie, surtout quand elle voit son amie s'amuser avec des messieurs. Son seul désir est de vivre toujours à côté de cette amie.

La malade raconte qu'il est vrai que, deux fois dans sa vie, des hommes auraient fait quelque impression sur elle. Elle croit que, si on avait sérieusement sollicité sa main, elle aurait conclu un mariage, car elle aime beaucoup la vie de famille et les enfants. Si un monsieur voulait la posséder, il devrait d'abord la mériter par la lutte, de même qu'elle préfère se conquérir une amie par un combat acharné. Elle trouve que la femme est plus belle et plus idéale que l'homme. Dans les cas très rares où elle eut des rêves érotiques, il s'agissait toujours de femmes. Elle n'a jamais rêvé d'hommes.

Elle ne croit pas qu'elle puisse encore aimer un homme, car les hommes sont faux; elle est d'elle-même nerveuse et anémique.

Elle se croit tout à fait femme, mais elle regrette de n'être pas homme. Déjà à l'âge de quatre ans, son plus grand plaisir était de s'habiller en garçon. Elle a décidément un caractère viril; aussi n'a-t-elle jamais pleuré de sa vie. Sa plus grande passion serait de monter à cheval, de faire de la gymnastique, de l'escrime, de conduire des chevaux. Elle souffre beaucoup de ce que personne de son entourage ne la comprenne. Elle trouve bête de parler affaires de femmes. Beaucoup de gens qui la connaissent ont déjà émis l'opinion qu'elle aurait dû naître homme.

La malade dit qu'elle n'a jamais eu un tempérament sensuel. En donnant l'accolade à ses amies, elle a souvent éprouvé une curieuse sensation de volupté. L'accolade et les baisers étaient ses seules manifestations d'amitié.

La malade prétend être née d'un père nerveux et d'une mère folle qui, jeune fille, était tombée amoureuse de son propre frère qu'elle voulut persuader de partir avec elle pour l'Amérique. Le frère de la malade est un homme très étrange et très bizarre.

La malade ne présente aucun signe extérieur de dégénérescence; le crâne est normal. Elle prétend avoir eu ses premières menstrues à l'âge de quatorze ans. Elles viennent régulièrement, mais lui causent toujours des douleurs.


Observation 121.—Pour donner tout de suite à mon malheureux état le nom qui lui convient, je vous ferai tout d'abord remarquer qu'il porte tous les symptômes de l'état que vous avez désigné sous le nom d'effeminatio dans votre ouvrage Psychopathia sexualis.

J'ai maintenant trente-huit ans: grâce à mon anomalie, j'ai derrière moi une vie remplie de tant d'indicibles souffrances que je m'étonne souvent de la force d'endurance dont l'homme peut être doué. Ces temps derniers la conscience d'avoir traversé tant de supplices m'a inspiré une sorte d'estime pour moi-même, sentiment qui seul est capable de me rendre la vie encore quelque peu supportable.

Je vais maintenant m'efforcer de dépeindre mon état tel qu'il est, et selon l'exacte réalité. Je suis au physique bien portant; autant que je puis m'en souvenir, je n'ai jamais fait de maladie grave et je suis issu d'une famille saine. Mes parents, il est vrai, sont tous les deux des natures très irritables; mon père est ce qu'on appelle un tempérament coléreux, ma mère un tempérament sanguin avec un fort penchant à de sombres mélancolies. Elle est très vive, très aimée à cause de son bon cœur et de son active charité, mais elle manque de confiance en elle-même et éprouve un impérieux besoin de s'appuyer sur quelqu'un. Toutes ces particularités étaient aussi très prononcées dans le caractère de son père. J'appuie sur ce fait, parce qu'on dit de moi que je leur ressemble; quant à ces dernières particularités, je puis moi-même constater la ressemblance. J'ai toujours cru que mon amour pour mon propre sexe n'était que l'hypertrophie de ces deux traits de caractère. Mais, même quand j'essaie de me raffermir intérieurement par l'illusion que je suis fort et vigoureux, de déchirer le lien qui m'attire avec un pouvoir magique vers l'homme, il me reste toujours dans le sang un résidu que je ne puis éloigner. Aussi loin que je puis remonter dans mes souvenirs, je vois partout ce désir primitif et énigmatique d'avoir un amant. Il est vrai que la première manifestation fut d'une nature grossièrement sensuelle. Je ne suis pas si j'avais déjà dix ans, quand un jour que j'étais couché dans mon lit, je fus surpris de provoquer par une pression sur mes parties génitales des sensations nouvelles et enivrantes, en me figurant en même temps qu'un homme de mon entourage me faisait des manipulations voluptueuses. Bien des années plus tard seulement, j'appris que c'était de l'onanisme. Dans les premiers temps, je fus tellement effrayé et tellement assombri par mon mystérieux penchant que je fis alors ma première tentative de suicide. Que n'ai-je pas réussi alors! Car j'eus ensuite une série de secousses physiques et psychiques si violentes, qu'elles mirent comme une chaîne autour de mon cœur qu'elles rétrécirent et rendirent brutal et dur. Pour le dire tout de suite: jusqu'à aujourd'hui, l'onanisme ne m'a pas lâché de ses griffes; il a résisté à tous les essais, à tous les efforts de ma volonté brisée pour rompre avec lui. Trois ou quatre fois je l'ai abandonné pendant des mois entiers, dans la plupart des cas sous l'influence d'émotions morales. À l'âge de treize ans, j'eus mon premier amour. Aujourd'hui, il me souvient, qu'alors le comble de mes désirs était de pouvoir embrasser les jolies lèvres roses et fraîches de mon camarade. d'école. C'était une langueur pleine de rêves romanesques. Il devint plus violent à l'âge de quinze et seize ans, lorsque pour la première fois je souffris les supplices d'une folle jalousie plus dévorante qu'elle ne saurait jamais l'être dans l'amour naturel. Cette seconde période amoureuse a duré pendant des années, bien que je n'eusse passé que quelques jours avec l'objet de mon amour et qu'ensuite nous ne nous soyons pas revus pendant quinze ans. Peu à peu mon sentiment s'est refroidi pour lui, et je suis encore à plusieurs reprises devenu amoureux fou d'autres hommes qui, sauf un seul, étaient tous de mon âge.

Jamais mon amour—vous me permettrez cette expression pour désigner un sentiment condamné par la majorité des hommes—n'a été payé de retour; je n'ai jamais eu avec un homme des rapports du genre de ceux qui doivent craindre le grand jour; jamais un seul d'entre eux n'a eu pour moi plus qu'un intérêt ordinaire, bien qu'un des amis auxquels je faisais la cour, eût deviné mon désir secret. Et pourtant, je me suis consumé dans le désir ardent de l'amour des hommes. Mes sentiments sont, dans ce cas à mon avis, tout à fait ceux d'une femme aimante; et j'aperçois avec épouvante que mes représentations sensuelles deviennent de plus en plus semblables à celles d'une femme. Pendant les périodes où je suis libre d'une affection précise, mon désir dégénère, car, en me livrant à mes procédés d'onanisme, j'évoque des idées grossièrement sensuelles. Je peux encore lutter contre ce mal, mais c'est bien vainement que je tente de supprimer l'amour même. Depuis une année, je souffre de cette exaltation de mes sentiments; j'ai tant médité sur leur particularité, que je crois pouvoir vous donner une description exacte de mes sensations. Mon intérêt est toujours éveillé par la beauté physique. J'ai fait, à ce propos, la curieuse remarque que je n'ai jamais aimé un homme barbu.

On pourrait en inférer que je suis voué à ce qu'on appelle l'amour des garçons. Cependant cette supposition n'est pas exacte. Car au charme sensuel dont j'ai parlé, se joint un intérêt psychique pour la personne que je fréquente, ce qui est une source de tourments. Je suis pris d'une affection si profonde que je m'attache avec une sorte d'abnégation. On se lie à moi et cette confiance réciproque pourrait développer une amitié très cordiale, si au fond de mon âme ne sommeillait ce démon qui me pousse à une union plus intime qu'on ne saurait admettre qu'entre personnes de sexes différents. Tout mon être en languit, chaque fibre en palpite et je me consume dans une passion brûlante. Je m'étonne d'être capable d'exposer ici en quelques mots secs les sensations qui ont déchiré tout mon être. Il est vrai qu'à force de lutter, pendant des années, j'ai dû apprendre à dissimuler mes penchants et à sourire quand j'étais déchiré par les souffrances. Car n'ayant jamais été payé de retour, je n'ai connu de l'amour que les supplices, la jalousie, cette jalousie folle qui obscurcit l'esprit, pour tous ceux ou celles avec qui l'être adoré échangeait un seul regard.

J'ai réservé de m'arrêter à la fin sur l'élément psychique afin de montrer combien mon penchant anormal est enraciné. Je n'ai jamais éprouvé le moindre souffle d'amour sensuel pour l'autre sexe. L'idée d'avoir avec lui des rapports sexuels me répugne. Plusieurs fois déjà j'ai souffert en entendant affirmer que telle ou telle jeune fille était amoureuse de moi. Comme tout jeune homme, j'ai abondamment goûté aux plaisirs du monde, entre autres à celui de la danse. Je danse avec plaisir, mais je serais heureux si je pouvais danser comme dame avec des jeunes gens.

Je voudrais une fois de plus insister sur le fait que mon amour est tout à fait sensuel. Comment expliquer autrement que la poignée de main du bien-aimé et souvent son aspect me provoquent un serrement de cœur et même de l'érection!

J'ai employé tous les moyens pour arracher cet «amour» de mon «cœur». J'ai essayé de l'étourdir par l'onanisme, de l'abaisser dans la fange pour pouvoir d'autant mieux me placer au-dessus de lui.—(Il y a dix ans, pendant une de ces périodes d'amour, j'avais repoussé l'onanisme et j'avais eu la sensation que mon sentiment amoureux s'ennoblissait).—Maintenant encore j'ai l'idée fixe que si mon bien-aimé me déclarait m'aimer, et n'aimer que moi, je renoncerais avec plaisir à toute satisfaction sensuelle, et je me contenterais de pouvoir reposer dans ses bras fidèles. Mais c'est une illusion que je me fais.

Très honoré monsieur, j'ai une position sociale pleine de responsabilités, et je crois pouvoir affirmer que mon penchant anormal ne me fera jamais dévier, pas même de l'épaisseur d'un fil, du devoir que je suis obligé d'accomplir. Sauf cette anomalie, je ne suis pas fou et je pourrais être heureux. Mais, l'année dernière surtout, j'ai trop souffert pour ne pas envisager avec terreur l'avenir qui, certes, ne m'apportera point la réalisation de mon désir qui couve toujours sous la cendre, c'est-à-dire le désir de posséder un amant qui me comprenne et qui réponde à mon amour. Seule une telle union me donnerait un réel bonheur psychique. J'ai beaucoup réfléchi sur l'origine de mon anomalie, surtout parce que je crois pouvoir supposer qu'elle ne m'est pas venue par hérédité. Je crois que c'est l'onanisme qui a allumé ce sentiment congénital. Il y a longtemps que j'aurais pu mettre fin à toutes ces misères, puisque je ne crains pas la mort, et que dans la religion qui, fait curieux, ne s'est pas retirée de mon cœur impur, je ne trouve aucun avertissement contre le suicide. Mais la conviction que ce n'est pas exclusivement ma faute qui fait qu'un ver rongeur a rongé ma vie dès son origine, un certain défi de rester quand même, défi que j'ai conçu précisément ces temps derniers à la suite d'un indicible chagrin, m'amènent à tenter l'expérience afin de voir s'il n'y a pas possibilité d'échafauder sur une nouvelle base un modeste bonheur pour ma vie, quelque chose qui me remplisse le cœur. Je crois que, sous l'influence d'une vie de famille tranquille, je pourrais devenir heureux. Mais je ne dois pas vous cacher que l'idée de vivre maritalement avec une femme m'est horrible, que je n'entreprendrais que le cœur saignant cette tentative de revirement, car alors je devrais rompre radicalement avec l'espoir toujours vivace, avec cette illusion que le hasard pourrait pourtant m'amener un jour le bonheur rêvé.

Cette idée fixe s'est tellement enracinée que je crains que, seule, la suggestion hypnotique puisse m'en guérir.

Pourriez-vous me donner un conseil? Vous me rendriez infiniment heureux. Le conseil le plus pressant se bornera probablement à m'interdire l'onanisme. Que je voudrais le suivre! Mais si je n'ai pas sous la main des moyens directement matériels ou mécaniques, je ne pourrai pas m'arracher à ce vice. D'autant moins que je crains qu'à la suite de ces pratiques durant des années, ma nature s'y soit déjà habituée. Les suites, il est vrai, ne m'en ont pas été épargnées, bien qu'elles ne soient pas aussi horribles qu'on les dépeint ordinairement. Je souffre d'une nervosité peu intense; je suis, il est vrai, affaibli et je paie ce vice par des troubles périodiques de la digestion; mais je suis capable encore de supporter des fatigues; j'y trouve même quelque plaisir si elles ne sont pas trop fortes. Je suis d'humeur sombre, mais je peux être très gai par moments; heureusement j'aime mon métier; je m'intéresse à bien des choses, surtout à la musique, aux arts, à la littérature. Je ne me suis jamais livré à des occupations féminines.

Ainsi que cela ressort de tout ce que je viens d'exposer, j'aime à fréquenter les hommes, surtout quand ils sont beaux, mais je n'ai jamais entretenu avec aucun d'eux des relations intimes. C'est un abîme profond qui me sépare d'eux.

Post-Scriptum.—Je crains de n'avoir pas assez précisé ma vie sexuelle dans les lignes précédentes. Elle ne consiste que dans l'onanisme, mais, pendant l'acte, je me laisse influencer par ces représentations horribles qu'on désigne par coïtus inter femora, ejaculatio in ore, etc.

Mon rôle est, dans ces cas, passif. Ces images se transforment et passent à celles de l'accouplement quand une passion m'a enchaîné. La lutte contre cette passion est terrible, parce que mon âme participe aussi au combat. Je désire l'union la plus étroite, la plus complète qu'on puisse imaginer entre deux êtres humains, la vie commune, des intérêts communs, une confiance absolue et l'union sexuelle. Je pense que l'amour naturel ne diffère de celui-ci que par son degré de chaleur, fort au-dessous du feu de notre passion. Précisément en ce moment j'ai de nouveau cette lutte à soutenir et je refoule par la violence cette folle passion qui me tient captif déjà depuis si longtemps.

Pendant des nuits entières je me roule dans mon lit, poursuivi par l'image de celui pour l'amour duquel je donnerais tout ce que je possède. Qu'il est triste que le plus noble sentiment qui ait été donné à l'homme, l'amitié, soit impossible à cause d'un vil penchant sensuel!

Je voudrais encore une fois déclarer que je ne puis pas me décider à transformer ma vie sexuelle par des rapports sexuels avec des femmes. L'idée de ces rapports m'inspire du dégoût et même de l'horreur.


Observation 122.—J'écrirai, tant bien que mal, l'histoire de mes souffrances; je ne suis guidé que par le désir de pouvoir contribuer par cette autobiographie à renseigner quelque peu sur les malentendus et les erreurs cruelles qui règnent encore dans toutes les sphères contre l'inversion sexuelle.

J'ai maintenant trente-sept ans, et je suis né de parents qui tous deux étaient très nerveux. Je rappelle ce fait parce que souvent j'ai eu l'idée que mon inversion sexuelle pourrait m'être venue par voie d'hérédité; cependant cette assertion n'est que bien vague. Quant à mes grand-pères et grand'mères, que je n'ai jamais connus, je voudrais seulement citer comme fait digne d'être retenu, que mon grand-père du côté maternel avait la réputation d'être un grand «don Juan».

J'étais un enfant assez faible et, pendant mes deux premières années, j'ai souffert de ce qu'on appelle des arthrites; c'est probablement à la suite de cette maladie que mon don d'assimilation et ma mémoire se sont affaiblis; car j'apprends difficilement les choses qui ne m'intéressent pas, et j'oublie facilement ce que j'ai appris. Je voudrais encore faire mention du fait que, avant ma naissance, ma mère fut en proie à de vives émotions morales, et qu'elle eut souvent des frayeurs. Depuis l'âge de trois ans, je suis très bien portant et jusqu'ici j'ai été épargné par les maladies graves. Entre l'âge de douze et de seize ans, j'eus parfois des sensations nerveuses étranges que je ne puis pas décrire et qui se faisaient sentir dans la tête et sur le bout des doigts. Il me semblait alors que tout mon être voulait se dissoudre. Mais, depuis de longues années, ces accès ne se sont plus renouvelés. Du reste, je nuis un homme assez vigoureux, avec une chevelure touffue, et d'un caractère tout à fait viril.

À l'âge de six ans, je suis arrivé tout seul à pratiquer l'onanisme auquel malheureusement je fus très adonné jusqu'à l'âge de dix-neuf ans. Faute de mieux, j'y ai recours encore assez souvent, bien que je reconnaisse le caractère répréhensible de cette passion et que je m'en sente toujours affaibli, tandis que le rapport sexuel avec un homme, loin du me fatiguer, me donne au contraire le sentiment d'avoir retrempé mes forces. À l'âge de sept ans, je commençai à aller à l'école et bientôt j'éprouvai une vive sympathie pour certains de mes camarades, ce qui d'ailleurs ne me paraissait nullement étrange. Au lycée, quand j'eus quatorze ans, mes condisciples m'ont éclairé sur la vie sexuelle des hommes, chose que j'ignorais absolument; mais leurs explications n'ont pu m'inspirer aucun intérêt. À cette époque je pratiquais avec deux ou trois amis l'onanisme mutuel auquel ceux-ci m'avaient incité et qui avait un charme immense pour moi. Je n'avais toujours pas conscience de la perversité de mon instinct génital; je croyais que mes fautes n'étaient que des péchés de jeunesse, comme en commettent tous les garçons de mon âge. Je pensais que l'intérêt pour le sexe féminin se manifesterait quand l'heure serait venue. Ainsi j'atteignis l'âge de dix-neuf ans. Pendant les années suivantes, je fus amoureux fou d'un très bel artiste dramatique, ensuite d'un employé d'une banque et d'un de mes amis, deux jeunes gens qui étaient loin d'être beaux et de porter sur les sens. Cet amour était purement platonique et m'entraînait parfois à faire des poésies enflammées. Ce fut peut-être le plus beau temps de ma vie, car j'envisageais tout cela avec des yeux innocents. À l'âge de vingt et un ans, je commençai pourtant à m'apercevoir peu à peu que je n'avais pas tout à fait les mêmes prédispositions que mes camarades; je ne trouvais aucun plaisir aux occupations viriles, ni à fumer, ni à boire, ni au jeu de cartes; quant au lupanar, il m'inspirait réellement une peur mortelle. Aussi n'y suis-je jamais allé; j'ai toujours réussi à m'esquiver sous un prétexte, quand les camarades y allaient. Je commençai alors à réfléchir sur moi-même; je me sentais souvent abandonné, misérable, malheureux, et je languissais de rencontrer un ami prédisposé comme moi, sans parvenir à l'idée qu'il pouvait bien exister hors de moi des gens de cet acabit. À l'âge de vingt-deux ans, j'ai fait la connaissance d'un jeune homme qui enfin m'a éclairé sur l'inversion sexuelle et sur les personnes atteintes de cette anomalie, car lui aussi était uraniste et, ce qui est plus, amoureux de moi. Mes yeux se dessillèrent et je bénis le jour qui m'a apporté cet éclaircissement. À partir de ce moment, je vis le monde d'un autre œil, je vis que le même sort était échu à beaucoup de gens et je commençai à comprendre et à m'accommoder autant que possible de ce sort. Malheureusement cela marchait très mal, et aujourd'hui encore je suis pris d'une révolte, d'une haine profonde contre les institutions modernes qui nous traitent si mal, nous autres pauvres uranistes. Car quel est notre sort? Dans la plupart des cas, nous ne sommes pas compris, nous sommes ridiculisés et méprisés et, dans le meilleur cas, si l'on nous comprend, on s'apitoie sur nous comme sur de pauvres malades ou des fous. C'est la pitié qui m'a toujours rendu malade. Je commençai donc à jouer la comédie, pour tromper mes proches sur l'état de mon âme, et, toutes les fois que j'y réussissais, j'en avais une grande satisfaction. J'ai fait aussi la connaissance de plusieurs compagnons de sort; j'ai noué avec eux des liaisons qui malheureusement étaient toujours de courte durée, car j'étais très peureux et prudent, en même temps que difficile dans mon choix et gâté.

J'ai toujours profondément abhorré la pédérastie, comme quelque chose d'indigne d'un être humain, et je désirerais que tous mes compagnons de sort en fissent autant; malheureusement, chez certains d'entre eux, ce n'est pas le cas; car, si tous pensaient sur ce sujet comme moi, l'opprobre et la raillerie des hommes d'un sentiment diffèrent du nôtre seraient encore plus injustes.

En face de l'homme aimé je me sens complètement femme, voilà pourquoi je me comporte assez passivement pendant l'acte sexuel. En général, toutes mes sensations et tous mes sentiments sont féminins; je suis vaniteux, coquet, j'aime les chiffons, je cherche à plaire, j'aime à me bien habiller, et, dans les cas où je veux particulièrement plaire, j'ai recours aux artifices de toilette pour lesquels je suis assez bien expérimenté.

Je m'intéresse très peu à la politique, mais je n'en suis que plus passionné pour la musique; je suis un partisan enthousiaste de Richard Wagner, prédilection que j'ai remarquée chez la plupart des uranistes. Je trouve que c'est précisément cette musique qui correspond le mieux à notre caractère. Je joue assez bien du violon, j'aime la lecture et je lis beaucoup, mais je n'ai que peu d'intérêt pour les autres sujets; de même tout le reste dans la vie m'est assez indifférent, par suite de la sourde résignation qui m'envahit de plus en plus.

Bien que j'aie tout sujet d'être content de la destinée, ayant comme technicien une position assurée dans une grande ville d'Allemagne, je n'aime pas mon métier. Ce que j'aimerais le mieux, ce serait d'être libre et indépendant, de pouvoir, en compagnie de l'être aimé, faire de beaux voyages, consacrer mes loisirs à la musique et à la littérature, surtout au théâtre qui me paraît comme un des plus grands plaisirs. Être l'intendant d'un théâtre de la Cour, voilà une position que je trouverais acceptable.

La seule position sociale ou vocation qui me paraisse vraiment désirable, est celle de grand artiste, soit chanteur, soit acteur, soit peintre ou sculpteur. Il me semblerait encore plus beau d'être né sur un trône royal; ce désir répond à mon envie très prononcée de régner.—(S'il y a vraiment une métempsychose, question dont je m'occupe beaucoup et théorie qui me paraît très probable, je dois avoir déjà vécu une fois comme imperator ou comme souverain quelconque).—Mais il faut être né pour tout cela, et comme je ne le suis pas, je n'ai pas d'ambition pour les soi-disant honneurs et distinctions de la société.

En ce qui concerne les tendances de mon goût, je dois constater qu'il y a là une certaine scission. De beaux jeunes gens de talent et qui ont au moins vingt ans, qui se trouvent au même niveau social que moi, me paraissent plutôt créés pour un amour platonique, et je me contente, dans ce cas, d'une amitié très sincère et très idéale qui rarement dépasse les bornes de quelques accolades. Mais sensuellement je ne saurais être excité que par des hommes plus rudes et plus robustes qui ont au moins mon âge, mais qui doivent occuper une position sociale et intellectuelle inférieure à la mienne. La raison de ce phénomène curieux est peut-être que ma grande pudicité, ma timidité native et ma réserve en présence des hommes de ma position, exercent l'effet d'une idée entravante, de sorte que, dans ce cas, je n'arriverais que difficilement et rarement à une émotion sexuelle. Je souffre beaucoup de cet antagonisme,—cela s'explique,—car j'ai toujours peur de me révéler à ces gens simples qui sont au-dessous de moi et qu'on peut souvent acheter pour de l'argent. Car, dans mon idée, il n'y aurait rien de plus terrible qu'un scandale qui me pousserait immédiatement au suicide. Je ne puis pas assez me figurer combien ce doit être terrible d'être, à la suite d'une petite imprudence ou par la méchanceté du premier venu, stigmatisé devant le monde entier, et pourtant sans que ce soit de notre faute. Car que faisons-nous autre chose que ce que les hommes de dispositions normales peuvent se permettre de faire souvent et sans gêne? Ce n'est pas notre faute si nous n'éprouvons pas les mêmes sentiments que la grande foule: c'est un jeu cruel de la nature.

Maintes fois j'ai cherché dans ma tête si la science et quelques hommes scientifiques sans préjugés, penseurs indépendants, ne pourraient imaginer des moyens pour que, nous, les «Cendrillons» de la nature, nous puissions avoir une position plus supportable devant la loi et les hommes. Mais toujours je suis arrivé à cette triste conclusion que pour se faire le champion d'une cause, il faut tout d'abord la bien connaître et la définir. Qui est-ce qui, jusqu'à ce jour, pourrait expliquer et définir avec exactitude l'inversion sexuelle? Et pourtant il faut qu'il y ait pour ce phénomène une explication juste, qu'il y ait une voie par laquelle on puisse amener la grande foule à un jugement plus sensé et plus indulgent, et, avant tout, obtenir du moins ceci: qu'on ne confonde plus l'inversion sexuelle avec la pédérastie, confusion qui malheureusement règne encore chez la plupart des gens, je dirais même chez tous. Par un pareil acte, on s'érigerait un monument impérissable à la reconnaissance de milliers d'hommes contemporains et futurs; car il y a toujours eu des uranistes, il y en a et il y en aura à toutes les époques, et en plus grand nombre qu'on ne le suppose.

Dans le livre de Wilbrand: Fridolins heimliche Ehe, je trouve énoncée une théorie tout à fait acceptable à ce sujet, ayant eu moi-même déjà à plusieurs reprises l'occasion de constater que tous les uranistes n'aiment pas au même degré l'homme, mais qu'il y a parmi eux d'innombrables subdivisions depuis l'homme le plus efféminé jusqu'à l'inverti qui aime encore autant et aussi souvent les charmes féminins que les autres. Ceci pourrait peut-être expliquer la soi-disant différence entre l'inversion congénitale et l'inversion acquise, différence qui, à mon avis, n'existe pas du tout. Cependant chez les cinquante-cinq individus que j'ai connus dans les trois années écoulées depuis que j'ai compris mon état, j'ai rencontré les mêmes traits de tempérament, d'âme et de caractère; presque tous sont plus ou moins idéalistes, ne fument que peu ou pas du tout, sont dévots, vaniteux, coquets et superstitieux, et réunissent en eux—(je dois l'avouer malheureusement)—plutôt les défauts des deux sexes que leurs qualités. Je sens un véritable horror pour la femme dans son rôle sexuel, horreur que je ne saurais vaincre, pas même avec tous les artifices de mon imagination qui est extrêmement vive; aussi je ne l'ai jamais essayé, car je suis convaincu d'avance de la stérilité d'une tentative qui me paraît contre nature et criminelle.

Dans les rapports purement sociaux et amicaux, j'aime beaucoup à être en relation avec les filles et les femmes, et je suis très bien vu dans les cercles de dames, car je m'intéresse beaucoup aux modes, et je sais parler avec beaucoup d'à-propos et de justesse de ces matières. Je puis, quand je veux, être très gai et très aimable, mais ce don de conversation n'est qu'une comédie qui me fatigue et qui m'affecte beaucoup. De tout temps j'ai montré beaucoup d'intérêt et d'adresse pour les travaux de femmes; étant enfant, j'ai jusqu'à l'âge de treize ans passionnément aimé à jouer aux poupées auxquelles je faisais moi-même des robes. Maintenant encore, j'ai beaucoup de plaisir à faire de belles broderies, occupation à laquelle malheureusement je ne puis me livrer qu'en secret. J'ai une prédilection non moins vive pour les bibelots, les photographies, les fleurs, les friandises, les objets de toilette et toutes les futilités féminines. Ma chambre que j'ai arrangée et décorée moi-même, ressemble à peu près au boudoir surchargé d'une dame.

Je voudrais encore mentionner, comme particularité curieuse, que je n'ai jamais eu de pollutions. Je rêve beaucoup et très vivement presque chaque nuit; mes rêves érotiques, quand j'en ai, ne s'occupent que d'hommes, mais je suis toujours réveillé avant qu'une éjaculation ait pu se produire. Au fond, je n'ai pas de grands besoins sexuels; il y a chez moi des périodes de quatre à six semaines, pendant lesquelles l'instinct génital ne se manifeste pas du tout. Malheureusement ces périodes sont très rares et sont suivies ordinairement d'un réveil d'autant plus violent de mon terrible instinct, qui, s'il n'est pas satisfait, me cause de grands malaises physiques et intellectuels. Je suis alors de mauvaise humeur, déprimé moralement, irritable; je fuis la société; mais toutes ces particularités disparaissent à la première occasion qui me permet de satisfaire mon instinct génital. Je dois remarquer que, en général, pour les causes les plus futiles, mon humeur peut varier plusieurs fois dans la même journée; elle est comme le temps d'avril.

Je danse bien et volontiers; mais je n'aime la danse qu'à cause de ses mouvements rythmiques et de ma prédilection pour la musique.

Enfin je dois faire mention d'une chose qui provoque toujours mon indignation. On nous prend en général pour des malades; c'est à tort. Car, pour toute maladie, il y a un remède ou un calmant; or aucune puissance au monde ne pourrait ôter à un uraniste sa prédisposition invertie. La suggestion hypnotique même, qu'on a souvent appliquée avec un succès apparent, ne peut pas amener de transformation durable dans la vie psychique d'un uraniste. Chez nous, on confond l'effet avec la cause. On nous prend pour des malades, parce que la plupart d'entre nous le deviennent réellement avec le temps. Je suis profondément convaincu que les deux tiers de nous, arrivés à un âge avancé, s'ils y arrivent jamais, auront une défectuosité mentale, et c'est facile à expliquer. Quelle force de volonté et quels nerfs ne doit-on pas avoir pour pouvoir pendant toute sa vie et sans interruption dissimuler, mentir, être hypocrite! Que de fois, quand, dans un cercle de gens normaux, la conservation tombe sur l'inversion sexuelle, n'est-on pas obligé de se rallier aux calomnies et aux injures, tandis que chacun de ces propos agit sur nous comme un couteau tranchant! D'autre part, être obligé d'écouter les propos et les mots d'esprit inconvenants et ennuyeux sur les femmes, feindre un intérêt et une attention pour ces conversations qui aujourd'hui sont en vogue dans la soi-disant «bonne compagnie»! Voir tous les jours, presqu'à chaque heure, de beaux hommes auxquels on ne peut se révéler, être forcé de se priver pendant des semaines, des mois même, de l'ami dont nous aurions tellement besoin, et par-dessus tout la peur terrible et continuelle de se trahir devant les hommes, d'être couvert de honte et d'opprobre! Vraiment, il ne faut pas s'étonner que la plupart d'entre nous soient incapables de tout travail sérieux, car la lutte avec notre triste destinée absorbe toute notre force de volonté et notre persévérance. Combien il est funeste pour nos nerfs d'être obligés de renfermer toutes nos pensées, tous nos sentiments dans notre for intérieur, où notre imagination déjà si vive, alimentée par tout cela, travaille avec d'autant plus d'activité, de sorte que nous portons avec nous une fournaise qui menace de nous dévorer! Heureux ceux de nous qui ne manquent jamais de la force pour pouvoir mener une telle vie, mais heureux aussi ceux qui en ont déjà fini!


Observation 123. Autobiographie.—Vous recevrez ci-jointe la description du caractère ainsi que des sentiments moraux et sexuels d'un uraniste, c'est-à-dire d'un individu qui, malgré la conformation virile de son corps, se sent tout à fait femme, dont les sens ne sont nullement excités par les femmes et dont la langueur sexuelle ne vise que les hommes.

Pénétré de la conviction que l'énigme de notre existence ne saurait être démêlée ou du moins éclaircie que par des hommes de science qui pensent sans préjugés, je vous donne ma biographie uniquement dans le but de contribuer par ce moyen à l'éclaircissement de cette erreur cruelle de la nature et de rendre peut-être un service à mes compagnons de sort de la future génération. Car des uranistes il y en aura, tant qu'il y aura des hommes, de même que c'est un fait irréfutable qu'il y en a eu à toutes les époques. Mais à mesure que l'instruction scientifique de notre époque fera des progrès, on finira par voir en moi et en mes semblables non pas des êtres haïssables, mais des êtres dignes de commisération, qui ne méritent jamais le mépris, mais plutôt la suprême pitié de leur prochain plus heureux qu'eux. Je tâcherai d'être aussi bref que possible dans mon récit, de même que je ferai tous les efforts pour rester impartial. Je dois d'ailleurs faire remarquer, au sujet de mon langage cru et souvent même cynique, que, avant tout, je tiens à être vrai: voilà pourquoi je n'évite point les expressions les plus crues, car ce sont elles qui peuvent le mieux caractériser le sujet que je veux exposer.

J'ai trente-quatre ans et demi; je suis un négociant à revenu modique; ma taille est au-dessus de la moyenne, je suis maigre, je n'ai pas les muscles forts, j'ai une figure tout à fait ordinaire, couverte de barbe et, au premier aspect, je ne diffère en rien des autres hommes. Par contre, ma démarche est féminine, surtout quand je presse le pas; elle est un peu dandinante; les mouvements sont anguleux, peu harmonieux et manquent de tout charme viril. La voix n'est ni féminine ni aiguë, mais plutôt d'un timbre de baryton.

Tel est mon habitus extérieur.

Je ne fume ni ne bois pas; je ne puis ni siffler, ni monter à cheval, ni faire de la gymnastique, ni tirer de l'épée, ni au pistolet non plus; je ne m'intéresse pas du tout aux chevaux ni aux chiens; je n'ai jamais eu entre les mains ni un fusil ni une épée. Dans mes sentiments intimes et dans mes désirs sexuels, je suis parfaitement femme. Sans aucune instruction bien solide—je n'ai passé que cinq années au lycée—je suis pourtant intelligent; j'aime à lire de bons ouvrages bien écrits; je dispose d'un jugement sain, mais je me laisse toujours entraîner par l'état d'esprit du moment; qui connaît mon faible et sait en profiter, peut me manier et me persuader facilement. Je prends toujours des résolutions sans trouver jamais l'énergie de les mettre à exécution. Comme les femmes, je suis capricieux et nerveux, irrité souvent sans aucune raison, parfois méchant contre des personnes dont la figure ne me va pas ou contre lesquelles j'ai de la rancune; je suis alors arrogant, injuste, souvent blessant et insolent.

Dans tous mes actes et gestes je suis superficiel, souvent léger; je ne connais aucun sentiment moral profond, et j'ai peu de tendresse pour mes parents, mes sœurs et mes frères. Je ne suis pas égoïste; à l'occasion je suis même capable de faire des sacrifices; je ne puis jamais résister aux larmes, et, comme les femmes, on peut me gagner par une prévenance aimable ou par des prières instantes.

Déjà, dans ma tendre enfance, je fuyais les jeux de guerre, les exercices de gymnastique, les bagarres de mes camarades masculins; je me trouvais toujours dans la compagnie des petites filles avec lesquelles je sympathisais plus qu'avec les garçons; j'étais timide, embarrassé, et je rougissais souvent. Déjà à l'âge de douze à treize ans, j'éprouvais des serrements de cœur étranges à la vue de l'uniforme collant d'un joli militaire; les années suivantes, pendant que mes camarades d'école parlaient toujours de filles et commençaient même de petites amourettes, j'étais capable de suivre pendant des heures un homme vigoureusement bâti avec des fesses bien développées et plantureuses, et je me grisais à cet aspect.

Sans réfléchir beaucoup sur ces impressions, qui différaient tant des sentiments de mes camarades, je commençai à me masturber en pensant pendant l'acte à des hommes bâtis comme des héros et bien mis, jusqu'à ce que, à l'âge de dix-sept ans, je fusse éclairé sur mon état par un compagnon de sort. Depuis ce temps j'ai eu huit à dix fois affaire avec des filles; mais pour provoquer l'érection, j'ai toujours dû évoquer l'image d'un bel homme de ma connaissance; je suis convaincu aujourd'hui que, même en ayant recours à mon imagination, je ne serais pas capable d'user d'une fille. Peu de temps après cette découverte, je préférai fréquenter des uranistes vigoureux et âgés, car à cette époque je n'avais ni les moyens ni l'occasion de voir de véritables hommes. Depuis, cependant, mon goût a complètement changé, et ce ne sont que les hommes, les vrais hommes, entre vingt-cinq et trente-cinq ans, aux formes vigoureuses et souples, qui puissent exciter au plus haut degré mes sens, et dont les charmes me ravissent comme si j'étais vraiment femme. Grâce aux circonstances, j'ai pu au cours des années faire environ une douzaine de fois connaissance avec des hommes, qui, pour une gratification de 1 à 2 florins par visite, servaient à mes fins. Quand je me trouve enfermé seul dans ma chambre avec un joli garçon, mon plus grand plaisir, c'est avant tout membrum ejus vel maxime si magnum atque crassum est, manibus capere et apprehendere et premere, turgentes nates femoraque tangere atque totum corpus manibus contractare et, si conseditur, os faciem atque totum corpus, immovero nates, ardentibus oxculis obtegere. Quodsi membrum magnum purumque est, dominusque ejus mihi placet, ardente libidine mentulam ejus in os meum receptam complures horas sugere possum, neque autem detector, si semen in os meum ejaculalur, cum maxima corum qui «uraniste» nominantur pars hac re non modo delectatur, sed etiam semen nonnunquam devorat.

Cependant j'éprouve la volupté la plus intense quand je tombe sur un homme qui est déjà dressé à ces pratiques et qui membrum meum in os recipit et erectionem in ore suo concedit.

Quelque invraisemblable que cela paraisse, je trouve toujours, moyennant quelques cadeaux, des garçons chics qui se laissent faire. Ces gaillards apprennent ordinairement ces choses pendant leur service militaire, car les uranistes savent très bien que, chez les militaires, on est bien disposé pour de l'argent; et le drôle, une fois dressé à ce service, est souvent par les circonstances amené à continuer, malgré sa passion pour le sexe féminin.

Les uranistes, sauf quelques exceptions, me laissent froid d'habitude, car tout ce qui est féminin me répugne au plus haut degré. Pourtant il y a parmi eux des individus qui peuvent me charmer aussi bien qu'un véritable homme et avec lesquels j'aime encore mieux avoir des rapports parce qu'ils répondent à mes caresses enflammées avec une égale ardeur. Quand je me trouve en tête-à-tête avec un de ces individus, mes sens excités n'ont plus d'entraves et je laisse se déchaîner complètement mes fureurs bestiales: osculor, premo, amplector eum, linguam meam in os ejus immitto; ore cupiditate tremente ejus labrum superius sugo, faciem meam ad ejus nates adpono et odore voluptari et natibus emanente voluptate obstupescor. Les hommes véritables, en uniformes collants, font sur moi la plus grande impression. Quand j'ai l'occasion d'enlacer de mes bras un superbe gaillard et de l'embrasser, cela me donne une éjaculation immédiate, fait que j'attribue surtout à une masturbation fréquente. Car je me masturbais souvent dans les premières années, presque toutes les fois que j'avais vu un solide gaillard qui me plaisait; son image m'était alors présente pendant que je faisais l'acte d'onanisme. Mon goût, en ces choses, n'est pas trop difficile; il est comme celui d'une bonne qui voit son idéal dans un solide sous-officier de dragons. Une belle figure est, il est vrai, un accessoire agréable, mais pas du tout indispensable à l'excitation de mon envie sensuelle; la principale condition est et reste: vir inferiore corporis parte robusta et bene formosa, turgidis femoribus durisque natibus, tandis que le torse peut être svelte. Un ventre fort me dégoûte, une bouche sensuelle avec de belles dents m'excite et me stimule vivement. Si cet individu a, en outre, un membrum pulchrum magnum et æqualiter formatum, toutes mes exigences, même les plus exagérées, sont parfaitement satisfaites. Autrefois l'éjaculation se produisait cinq à huit fois dans une nuit, quand je me trouvais avec des hommes qui me plaisaient et qui m'excitaient passionnément; maintenant encore j'éjacule quatre à six fois, étant excessivement lubrique et sensuel, au point que même le cliquetis du sabre d'un joli hussard peut me causer de l'émotion. Avec cela j'ai une imagination très vive et je pense pendant presque toutes mes heures de loisir à de jolis hommes aux membres vigoureux, et je serais ravi si un gaillard solide et resplendissant de force, magna mentula præditus me præsente puellam futuat; mihi persuasum est, fore ut hoc aspectu sensus mei vehementissima perturbatione afficiantur et dum futuit corpus adolescentis pulchri tangam et si liceat ascendam in eum dum cum puella concumbit atque idem cum eo faciam et membrum meum in ejus anum imittum. Seuls mes moyens financiers restreints m'empêchent de mettre à exécution ces projets cyniques dont mon esprit est très souvent rempli; autrement il y a longtemps que je les aurais réalisés.

Le militaire exerce sur moi le plus grand charme, mais j'ai encore, en outre, un faible pour les bouchers, les cochers de fiacre, les camionneurs, les cavaliers du cirque, à la condition qu'ils aient un corps bien fait et souple. Les uranistes me sont odieux pour les rapports intimes, et j'ai contre la plupart d'entre eux une aversion tout à fait injustifiée que je ne saurais m'expliquer. Aussi, sauf une seule exception, n'ai-je jamais eu une relation d'amitié intime avec aucun uraniste. Par contre, les rapports les plus cordiaux, consolidés par les années, me rattachent à quelques hommes normaux, dans la société desquels je me trouve très bien, mais avec lesquels je n'ai jamais ou de rapports sexuels et qui ne se doutent pas du tout de mon état.

Les conversations sur les questions politiques ou économiques, ainsi que toute discussion sur un sujet sérieux, me sont odieuses; par contre, je cause avec beaucoup de plaisir et avec un assez bon jugement des choses de théâtre. Dans les opéras, je me figure être sur la scène, je ma crois entouré des applaudissements du public qui me célèbre, et je voudrais, de préférence, représenter des héroïnes passives ou chanter des rôles dramatiques de femmes.

Les sujets de conversation les plus intéressants pour moi et mes semblables, ce sont toujours nos hommes; ce thème est inépuisable pour nous autres; les charmes les plus secrets de l'amant sont alors minutieusement expliqués, mentulæ æstimantur, quanta sint magnitudine, quanta crassitudine; de forma carum atque rigiditate conferimus, alter ab altero cognoscit cujus semen celerius, cujus tardius ejaculatur. Je mentionne encore qu'un de mes quatre frères s'est laissé entraîner à des actes uranistes, sans être uraniste lui-même; tous les quatre sont des adorateurs passionnés du sexe féminin et font sans cesse des excès sexuels. Les parties génitales des hommes, dans notre famille, sont, sans exception, très fortement développées.

Enfin, je répète les paroles par lesquelles j'ai commencé ces lignes. Je ne pouvais pas choisir mes expressions, car il s'agissait pour moi de fournir un sujet pour l'étude de l'existence uraniste; pour cela, il importait, avant tout, de ne donner que la vérité absolue. Veuillez donc excuser, pour cette raison, le cynisme de ces lignes.

Au mois d'octobre 1890, l'auteur des lignes qui précèdent se présenta chez moi. Son extérieur répondait, en général, à la description qu'il m'en avait faite. Les parties génitales étaient volumineuses, très poilues. Les parents auraient été sains au point de vue nerveux; un frère s'est brûlé la cervelle par suite d'une maladie nerveuse; trois autres sont nerveux à un degré très prononcé. Le malade est venu chez moi en proie au plus grand désespoir. Il ne peut plus supporter la vie qu'il mène, car il en est réduit aux rapports avec des individus vénals, et il ne peut pratiquer l'abstinence, étant donnée sa prédisposition excessive à la sensualité; il ne peut pas comprendre non plus comment on pourrait le transformer en un individu aimant les femmes et le rendre capable des plus nobles jouissances de la vie, car, dès l'âge de treize ans, il avait des penchants pour l'homme.

Il se sent tout à fait femme et aspire à faire la conquête d'hommes qui ne soient pas uranistes. Quand il est avec un uraniste, c'est comme si deux femmes se trouvaient ensemble. Il préférerait plutôt être sans sexe que de continuer à mener une existence comme la sienne. La castration ne serait-elle pas une délivrance pour lui?

Un essai d'hypnose n'amena chez ce malade excessivement émotionnel qu'un engourdissement très léger.


Observation 124.—B..., garçon de café, quarante-deux ans, célibataire, m'a été envoyé comme inverti par son médecin, dont il était amoureux. B... donna de bonne volonté et avec décence des renseignements sur sa vita ante acta et surtout sexualis, très heureux de trouver enfin une explication sérieuse de son état sexuel qui, de tout temps, lui a paru morbide.

B... ne sait rien de ses grands-parents. Son père était un homme emporté, coléreux et très excité, potator, ayant eu, de tout temps, de grands besoins sexuels. Après avoir fait vingt-quatre enfants à la même femme, il divorça d'avec elle et mit trois fois en état de grossesse sa femme de ménage. La mère aurait été bien portante.

De ces vingt-quatre enfants, six seulement sont encore en vie: plusieurs d'entre eux ont des maladies de nerfs, mais sans anomalie sexuelle, sauf une sœur qui, de tout temps, a eu la manie de poursuivre les hommes.

B... prétend avoir été maladif dans sa première enfance. Dès l'âge de huit ans, sa vie sexuelle s'éveilla. Il se masturba et eut l'idée penem aliorum puerorum in os arrigere, ce qui lui fit grand plaisir. À l'âge de douze ans, il commença à devenir amoureux des hommes, dans la plupart des cas de ceux qui avaient trente ans et portaient des moustaches. Déjà, à cette époque, ses besoins sexuels étaient très développés; il avait des érections et des pollutions. À partir de ce moment, il s'est masturbé presque tous les jours, en évoquant pendant l'acte l'image d'un homme aimé. Son suprême plaisir était cependant penem viri in os arrigere. Il en avait une éjaculation avec la plus vive volupté. Environ douze fois seulement, il a pu, jusqu'ici, goûter ce plaisir. Quand il se trouvait en présence d'hommes sympathiques, il n'a jamais eu de dégoût pour le pénis d'autrui, au contraire. Il n'a jamais accepté les propositions de pédérastie qui, soit active, soit passive, lui répugne au plus haut degré. En accomplissant ces actes pervers, il s'est toujours figuré être dans le rôle d'une femme. Sa passion pour les hommes qui lui étaient sympathiques était sans bornes. Il aurait été capable de tout pour un amant. Il tressaillait d'émotion et de volupté rien qu'en l'apercevant.

À l'âge de dix-neuf ans, il s'est laissé souvent entraîner par des camarades à aller au lupanar. Il n'a jamais trouvé de plaisir au coït. Pour avoir de l'érection en présence de la femme, il a toujours dû s'imaginer qu'il avait affaire à un homme aimé. Ce qu'il aurait préféré à tout, c'est que la femme lui permît l'immissio penis in os, ce qui lui a toujours été refusé. Faute de mieux, il pratiquait le coït; il est même devenu deux fois père. Son dernier enfant, une fille de huit ans, commence déjà à se livrer à la masturbation et à l'onanisme mutuel, ce dont il est profondément affligé. N'y aurait-il pas quelque remède à cela?

Le malade affirme qu'avec les hommes il s'est toujours senti dans le rôle de la femme, même dans les rapports sexuels. Il a toujours pensé que sa perversion sexuelle avait pour cause originaire le fait que son père, en le procréant, avait voulu faire une fille. Ses frères et ses sœurs l'avaient toujours raillé à cause de ses manières féminines. Balayer la chambre, laver la vaisselle étaient pour lui des occupations agréables. On a souvent admiré ses aptitudes pour ce genre du travaux, et on a trouvé qu'il y était plus adroit que bien des filles. Quand il pouvait le faire, il se déguisait en fille. Pendant le carnaval, il allait dans les bals déguisé en femme. Dans ces occasions, il réussissait parfaitement à imiter les minauderies et les coquetteries des femmes, parce qu'il a un naturel féminin.

Il n'a jamais eu beaucoup de goût à fumer ou à boire, aux occupations et aux plaisirs masculins; mais il a fait avec passion de la couture, et, étant garçon, il a été souvent grondé parce qu'il jouait sans cesse aux poupées. Au théâtre et au cirque, son intérêt ne se concentrait que sur les hommes. Souvent il ne pouvait pas résister à l'envie de rôder autour des pissotières, pour voir des parties génitales masculines.

Il n'a jamais trouvé plaisir aux charmes féminins. Il n'a réussi le coït qu'en évoquant l'image d'un homme aimé. Ses pollutions nocturnes étaient toujours occasionnées par des rêves lascifs concernant des hommes.

Malgré de nombreux excès sexuels, B... n'a jamais souffert de neurasthénie, et il n'en présente aucun des symptômes.

Le malade est délicat, a une barbe et une moustache peu fournies; ce n'est qu'à l'âge de vingt-cinq ans que sa figure est devenue barbue. Son extérieur, sauf sa démarche dandinante et légère, ne présente rien qui puisse indiquer un naturel féminin. Il affirme qu'on a déjà souvent ridiculisé sa démarche féminine. Les parties génitales sont fortes, bien développées, tout à fait normales, couvertes de poils touffus; le bassin est masculin. Le crâne est rachitique, un peu hydrocéphale, avec des os pariétaux convexes. La face surprend par son exiguïté. Le malade prétend qu'il est facile à irriter et enclin aux emportements et à la colère.


Observation 125.—Le 1er mai 1880, les autorités policières amenèrent à la Clinique psychiatrique de Gratz un homme de lettres, le docteur en philosophie G...

G..., venant d'Italie et passant, dans son voyage, par Gratz, avait trouvé un soldat qui, moyennant argent, s'était livré à lui, mais qui finalement l'avait dénoncé à la police. Comme celui-ci défendait avec le plus grand sans-gêne son amour pour les hommes, la police trouva son état mental douteux et le fit placer en observation près d'aliénistes. G... raconta aux médecins, avec une franchise cynique, qu'il y a plusieurs années déjà il avait eu, à M..., une affaire analogue à démêler avec la police et qu'il avait été, alors, quinze jours en prison. Dans les pays du Sud, il n'y a aucune loi contre les gens comme lui; en Allemagne et en France seulement, on a trouvé l'affaire mauvaise.

G... a cinquante ans; il est grand, vigoureux, avec un regard libidineux, des manières coquettes et cyniques. L'œil a une expression névropathique et vague; les dents de la mâchoire inférieure sont bien plus en arrière que celles de la mâchoire supérieure. Le crâne est normal, la voix virile, la barbe bien fournie. Les parties génitales sont bien conformées; cependant les testicules sont un peu petits. Physiquement, G... ne présente rien à noter, sauf un léger emphysème du poumon et une fistule externe à l'anus. Le père de G... était atteint de folie périodique; la mère était une personne «excentrique»; une tante était atteinte d'aliénation mentale. De neuf enfants issus du père et de la mère de G..., quatre sont morts à un âge tendre.

G... prétend avoir été bien portant, sauf qu'il a eu des scrofulides. Il a obtenu le grade de docteur en philosophie. À l'âge de vingt-cinq ans il a eu des hémoptysies, il alla en Italie où, sauf quelques interruptions, il gagnait sa vie avec sa plume et en donnant des leçons. G... dit qu'il a souvent souffert de congestions et aussi quelque peu «d'irritation spinale», c'est-à-dire que le dos lui faisait mal. Du reste, il est toujours de bonne humeur, seulement son porte-monnaie n'est jamais bien garni, et il a toujours bon appétit, comme toutes les «vieilles hétaïres». Il raconte ensuite avec beaucoup de plaisir et de cynisme qu'il est atteint d'inversion sexuelle congénitale. Déjà, à l'âge de cinq ans, son plus grand plaisir était videre mentulam, et il rôdait autour des pissotières pour avoir ce bonheur. Avant l'âge de puberté, il avait pratiqué l'onanisme. À sa puberté il s'aperçut qu'il avait un sentiment très tendre pour ses amis. Une impulsion obscure lui montrait le chemin que son amour prendrait. Il avait pour ainsi dire l'obsession d'embrasser d'autres jeunes gens, et parfois de caresser le pénis du l'un ou de l'autre. Ce n'est qu'à l'âge de vingt-six ans qu'il commença à entrer en rapports sexuels avec des hommes; il se sentait alors toujours dans le rôle de la femme. Étant encore petit garçon, son plus grand plaisir était de s'habiller en femme. Il a été souvent battu par son père, quand, pour obéir à son impulsion, il mettait les vêtements de sa sœur. Quand il voyait un ballet, c'étaient toujours les danseurs et jamais les ballerines qui l'intéressaient. Aussi loin que sa mémoire remonte, il a toujours eu l'horror feminæ. Quand il allait dans un lupanar, ce n'était que pour voir des jeunes gens, «puisque, dit-il, je suis un concurrent des putains.» Quand il voit un jeune homme, il le regarde tout d'abord dans les yeux; si ceux-ci lui plaisent, il regarde la bouche pour voir si elle est faite pour les baisers, et ensuite vient le tour des parties génitales pour voir si elles sont bien développées. G... parle avec une grande suffisance de ses ouvrages poétiques, et il fait valoir que les gens de son acabit sont tous des hommes doués de beaucoup de talent. Il cite à l'appui de sa thèses comme exemples: Voltaire, Frédéric le Grand, Eugène de Savoie, Platon, qui, selon lui, étaient tous des «uranistes». Son plus grand plaisir est d'avoir un jeune homme qui lui soit sympathique et qui lui fasse la lecture de ses vers (les vers de G... ). L'été dernier, il a eu un amant de ce genre. Lorsqu'il dut se séparer de lui, il s'abandonna au désespoir; il ne mangeait plus, ne dormait plus et ne put que peu à peu se ressaisir. L'amour des uranistes est profond et extatique. A Naples, raconte-il, il y a un quartier où les effeminelli vivent en ménage avec leurs amants, de même qu'à Paris les grisettes. Ils se sacrifient pour leur amant, entretiennent son ménage, tout comme les grisettes. Par contre, il y a répulsion entre uraniste et uraniste, tout comme «entre deux putains; c'est une question de boutique».

G... éprouve une fois par semaine le besoin d'avoir des rapports sexuels avec un homme. Il se sent heureux de son étrange sentiment sexuel qu'il considère comme anormal, mais non comme morbide ni comme illégitime. Il est d'avis qu'il ne reste à lui et à ses compagnons qu'un parti à prendre, c'est d'élever au niveau du surnaturel le phénomène contre-nature qui est en eux. Il voit dans l'amour uraniste comme un amour plus élevé, idéalisé, divinisé et abstrait. Quand nous lui objectons qu'un pareil amour est contraire aux buts de la nature et à la conservation de la race, il répond d'un air pessimiste que le monde doit mourir et la terre continuer à tourner autour de son axe sans les hommes qui n'existent que pour leur propre supplice. Afin de donner une raison et une explication de son sentiment sexuel anormal, G... prend Platon comme point de départ, Platon, dit-il, «qui certes n'était pas un cochon». Déjà Platon a formulé la thèse allégorique que les hommes étaient autrefois des boules. Les dieux les avaient coupées en deux disques. Dans la plupart des cas l'homme se compasse sur la femme, mais quelquefois aussi l'homme sur l'homme. Alors le pouvoir de l'instinct de l'union est aussi puissant, et tous deux se raffraîchissent par devant. G... raconte ensuite que ses rêves, quand ils étaient érotiques, n'ont jamais eu pour sujet des femmes, mais toujours des hommes. L'amour pour l'homme est le seul genre qui puisse le satisfaire. Il trouve abominable de fouiller avec son pénis dans le ventre d'une femme. Comme il l'a entendu dire, c'est de cette manière dégoûtante qu'on pratique le coït. Il n'a jamais eu envie de voir les parties génitales d'une femme; cela lui répugne. Il ne considère pas comme un vice son genre de satisfaction sexuelle; c'est une loi de la nature qui l'y force. Il s'agit pour lui de l'instinct de conservation. L'onanisme n'est qu'un expédient misérable, et nuisible encore, tandis que l'amour uraniste relève le moral et retrempe les forces physiques.

Avec une indignation morale qui a l'air bien comique à côté de son cynisme ordinaire, il proteste contre la confusion des uranistes avec les pédérastes. Il abhorre le podex, un organe de sécrétion. Les rapports des uranistes ont toujours lieu par devant et consistent dans un système d'onanisme combiné.

Telles sont les descriptions de G... dont l'individualité intellectuelle est aussi, en tout cas, primitivement anormale. La preuve en est dans son cynisme, dans sa frivolité incroyable, dans l'application de ses maximes au domaine religieux, terrain sur lequel nous ne pourrions le suivre, sans transgresser les limites tracées même pour une observation scientifique; dans son raisonnement philosophique entortillé sur les causes de son sentiment sexuel pervers; dans sa manière retorse d'envisager le monde; dans sa défectuosité éthique dans tous les sens; dans sa vie de vagabond; dans ses manières bizarres et dans son extérieur. G... fait l'effet d'un homme originairement fou. (Observation personnelle. Zeitschrift für Psychiatrie).


Observation 126.—Taylor avait à examiner une nommée Elise Edwards, âgée de vingt-quatre ans. L'examen a amené la constatation qu'elle était du sexe masculin. E... avait depuis l'âge de quatorze ans porté des vêtements féminins, elle a aussi débuté sur la scène comme actrice; elle portait les cheveux longs et, à la mode des femmes, une raie au milieu. La conformation de la figure avait quelque chose de féminin; pour le reste le corps était tout à fait masculin. Elle avait soigneusement arraché les poils de sa barbe. Les parties génitales viriles, vigoureuses et bien développées, étaient fixées par un bandage vers le haut sur le ventre.

L'examen de l'anus indiquait la pratique de la pédérastie passive. (Taylor, Med. jurisprudence, 1873. 11, p. 280, 473).


Observation 127.—Un fonctionnaire d'âge moyen, marié à une brave femme et, depuis plusieurs années, père de famille heureux, présente un phénomène curieux dons le sens de l'inversion sexuelle.

L'histoire scandaleuse suivante fut divulguée un jour par l'indiscrétion d'une prostituée. X... se présentait environ tous les huit jours au lupanar, s'y costumait en femme; à ce déguisement ne manquait jamais une perruque de femme. La toilette terminée, il se couchait sur un lit et se laissait masturber par une prostituée. Il préférait de beaucoup employer, s'il pouvait l'y décider, un individu masculin, l'homme de peine du lupanar. Le père de X... avait une tare héréditaire, fut à plusieurs reprises atteint d'aliénation mentale et hyperæsthesia et paræsthesia sexualis.


Observation 128.—C... R..., servante, vingt-six ans, souffre depuis l'âge de sa formation de paranoïa originaria et d'hystérie; elle eut, à la suite de ses idées fixes, un passé romanesque et s'attira, en 1887, en Suisse, où elle s'était réfugiée par monomanie de la persécution, une instruction judiciaire. À cette occasion on constata qu'elle était atteinte d'inversion sexuelle.

On n'a aucun renseignement sur ses parents ni sur sa parenté R... prétend que, sauf une inflammation des poumons qu'elle a eue à l'âge de seize ans, elle n'a jamais été gravement malade auparavant.

La première menstruation eut lieu sans malaises à l'âge de quinze ans; plus tard les menses furent irrégulières et anormalement fortes. La malade affirme qu'elle n'a jamais eu de penchant pour les personnes de l'autre sexe, et jamais toléré qu'un homme s'approchât d'elle. Elle n'a jamais pu comprendre comment ses amies pouvaient parler de la beauté et de l'amabilité des personnes du sexe masculin. Elle ne peut pas comprendre non plus comment une femme peut se laisser embrasser par un homme. Par contre, elle fut transportée d'enthousiasme quand elle put poser un baiser sur les lèvres d'une amie bien aimée. Elle a pour les filles un amour qu'elle ne peut pas s'expliquer. Elle a aimé et embrassé avec extase quelques-unes de ses amies; elle aurait été capable de leur sacrifier sa vie. Le comble de son plaisir aurait été de vivre avec une pareille amie et de la posséder seule et entièrement.

Elle se sent comme homme vis-à-vis de la fille aimée. Étant encore petite fille, elle n'avait de goût que pour les jeux des garçons; elle aimait surtout entendre les décharges des fusils et la musique militaire; elle en était tout à fait enthousiasmée et aurait aimé partir comme soldat. Son idéal était la chasse et la guerre. Au théâtre elle n'avait d'intérêt que pour les artistes des rôles de femmes. Elle sait très bien que cette tendance est contraire au caractère féminin, mais c'est plus fort qu'elle. Elle avait grand plaisir à aller habillée en homme, de même elle fit de tout temps avec plaisir toutes sortes d'ouvrages d'homme et y montra une adresse particulière, tandis que c'était le contraire en ce qui concerne les ouvrages de femme et surtout les travaux manuels. La malade aime aussi à fumer et à boire des boissons alcooliques. A la suite d'idées fixes de persécution et pour échapper à ses prétendus persécuteurs, la malade s'est, à plusieurs reprises, montrée en vêtements d'homme et a joué des rôles masculins. Elle le faisait avec tant d'adresse—(native sans doute)—qu'elle sut généralement tromper les gens sur son véritable sexe.

Il a été établi documentairement que, déjà en 1884, la malade avait vécu pendant longtemps tantôt habillée en civil, tantôt avec l'uniforme d'un lieutenant, et que, poussée par la monomanie de la persécution, elle s'était, en août 1884, habillée d'un costume semblable à celui des laquais et s'était réfugiée d'Autriche en Suisse. Là elle trouva une place comme domestique dans la famille d'un négociant; elle tomba amoureuse de la demoiselle de la maison, la «belle Anna», qui de son côté, ne se doutant pas du véritable sexe de R..., devint amoureuse du jeune et joli servant.

La malade fait sur cet épisode de sa vie les remarques caractéristiques que voici: «J'étais tout à fait amoureuse d'Anna. Je ne sais pas comment cela m'est venu, et je ne saurais me rendre aucun compte de cette inclination. C'est cet amour fatal qui est cause que j'ai pendant si longtemps continué de jouer le rôle d'un homme. Je n'ai encore jamais éprouvé d'amour pour un homme, et je crois que mon affection se tourne vers le sexe féminin et non pas vers le sexe masculin. Je ne comprend pas cet état.»

R... écrivait de Suisse des lettres à son amie et compatriote Amélie, qui ont été jointes au dossier du tribunal. Ce sont des lettres pleines d'un amour extatique qui dépasse de bien loin la mesure de l'amitié. Elle appelle son amie: «ma fleur de miracle, soleil de mon cœur, langueur de mon âme». Elle est son suprême bonheur sur terre, c'est à elle qu'elle a donné tout son cœur. Dans des lettres adressées aux parents de son amie, elle dit qu'ils veillent bien sur cette «fleur miraculeuse», car si celle-ci mourait, elle ne pourrait plus rester parmi les vivants.

R... fut pendant quelque temps internée à l'asile pour qu'on puisse examiner son état mental. Un jour qu'on autorisa une visite d'Anna près de R..., les accolades et les baisers ardents n'en voulaient plus finir. Anna avoua sans réticence qu'à la maison déjà elles s'étaient embrassées avec la même tendresse.

R... est une femme grande, svelte, et d'une apparence imposante, de conformation tout à fait féminine, mais avec des traits plutôt masculins. Le crâne est régulier, pas de stigmates de dégénérescence anatomique; les parties génitales sont normales et tout à fait vierges. R... fait l'impression d'une personne décente et moralement très pure. Toutes les circonstances indiquent qu'elle n'a aimé que platoniquement; le regard et l'extérieur indiquent une névropathe. Hystérie grave périodique, accès d'une sorte de catalepsie avec état délirant et visions. La malade est facile à mettre en état de somnambulisme par l'influence hypnotique, et, dans cet état, elle est susceptible de recevoir toutes les suggestions. (Observation personnelle, Friedreichs Blætter, 1881. Fascicule 1.)

4. ANDROGYNIE ET GYNANDRIE.

Il y a une transition à peine sensible entre la groupe précédent et les cas d'inversion sexuelle où non seulement le caractère et toutes les sensations du sens sexuel anormal coexistent, mais où même par la conformation de son squelette, le type de sa figure, sa voix, etc., en un mot sous le rapport anatomique comme sous le rapport psychique et psycho-sexuel, l'individu se rapproche du sexe dans le rôle duquel il se sent vis-à-vis des autres individus de son propre sexe. Il est évident que cette empreinte anthropologique de l'anomalie cérébrale représente un degré très avancé de dégénérescence. Mais, d'autre part, cette déviation est basée sur des conditions tout autres que les phénomènes tératologiques de l'hermaphrodisme envisagé au sens anatomique. Cela ressort clairement du fait que jusqu'ici on n'a jamais rencontré sur le terrain de l'inversion sexuelle, de tendance aux malformations hermaphroditiques des parties génitales. On a toujours établi que les parties génitales de ces individus étaient, au point de vue sexuel, complètement différenciées, bien que souvent atteintes de stigmates de dégénérescence anatomique (épi- ou hypospadies, etc.), qui entravaient le développement des organes qui étaient du reste bien différenciés au point de vue sexuel.

Mais on ne possède pas encore jusqu'ici un nombre d'observations suffisant de ce groupe intéressant: femmes en vêtements d'hommes avec parties génitales féminines, hommes en vêtements de femmes avec parties génitales masculines. Tout observateur expérimenté se rappelle sans doute avoir rencontré des individus masculins dont la manière d'être féminine (hanches larges, formes rondes avec abondance de graisse, barbe totalement absente ou très faiblement développée; traits de la figure féminins, teint délicat, voix de fausset, etc.) était surprenante, et vice versa des êtres féminins qui, par la charpente des os, le bassin, la démarche, les attitudes, leurs traits grossiers et nettement virils, leur voix grave et rauque, etc., l'ont fait douter de l'«éternel féminin».

Nous avons d'ailleurs, dans les groupes précédents, rencontré des traces isolées d'une pareille transformation anthropologique, entre autres dans l'observation 106 où une dame avait des pieds d'homme, dans l'observation 112 où il y eut développement des mamelles avec du lait à l'âge de la puberté.

Il paraît aussi que chez les individus du quatrième groupe ainsi que chez quelques-uns du troisième qui forment une transition vers le quatrième, la pudeur sexuelle n'existe qu'en face d'une personne du propre sexe et non pas en face du sexe opposé.


Observation 129. Androgynie.—M. V... H..., trente ans, célibataire, est né d'une mère névropathe. On prétend que dans la famille du malade il n'y aurait eu ni maladies nerveuses, ni mentales, et que son frère unique est tout à fait normal au point de vue intellectuel et physique. Le malade, dit-on, eut un développement physique tardif et, pour cette raison, on l'a envoyé à plusieurs reprises aux bains de mer et dans les stations climatériques. Dès son enfance, il était de constitution névropathique et, d'après le témoignage d'un parent, il n'était pas comme les autres garçons. De très bonne heure il s'est fait remarquer par son aversion pour les amusements des garçons et par sa prédilection pour les jouets féminins. Il détestait tous les jeux des garçons, les exercices de la gymnastique, tandis que le jeu de poupées et les ouvrages de femme avaient pour lui un charme particulier. Plus tard le malade s'est bien développé au physique, il n'a pas eu de maladies graves; mais, au point de vue intellectuel, son individualité est restée anormale, incapable d'envisager la vie d'une manière sérieuse, et empreinte d'une tendance tout à fait féminine dans ses pensées et ses sentiments.

À l'âge de dix-sept ans, des pollutions se sont produites; devenues de plus en plus fréquentes, elles avaient lieu même dans la journée; elles affaiblirent le malade et causèrent des troubles nerveux nombreux. Des phénomènes de neurasthenia spinalis se sont développés et ont subsisté jusqu'à ces dernières années, mais ils se sont atténués à mesure que les pollutions devenaient plus rares. Il nie avoir pratiqué l'onanisme, mais le contraire paraît très vraisemblable. Depuis l'âge de la puberté, son caractère apathique, mou et rêveur s'est fait de plus en plus jour. Tous les efforts pour amener le malade à une profession pratique proprement dite, restèrent infructueux. Ses facultés intellectuelles, bien que réellement saines, ne pouvaient s'élever à la hauteur nécessaire pour se diriger efficacement avec un caractère indépendant et envisager la vie d'une manière plus élevée. Il est resté sans volonté précise, un grand enfant; rien ne caractérise plus manifestement sa conformation anormale que son incapacité réelle à manier l'argent; de son propre aveu, il n'a pas l'esprit à gérer l'argent d'une façon ordonnée et sensée. Aussitôt qu'il a des fonds, il les dépense en bibelots, objets de toilette et autres futilités.

Le malade paraît aussi peu capable que possible de conquérir une position sociale, pas même d'en comprendre l'importance et la valeur.

Il n'a rien appris à fond; il a occupé son temps à sa toilette, aux passe-temps artistiques, surtout à la peinture pour laquelle il semble avoir quelque talent; mais, là non plus, il ne faisait rien, n'ayant pas la persévérance nécessaire. On ne pouvait pas l'amener à un travail intellectuel sérieux. Il ne comprenait que les apparences des choses; il était toujours distrait, et s'ennuyait toutes les fois qu'il était question d'affaires sérieuses. Des coups de tête insensés, des voyages sans rime ni raison, des gaspillages d'argent, des dettes: voilà ce qui se produisait à chaque instant dans son existence, et il ne saisissait même pas les inconvénients positifs de ce genre de vie. Il était entêté, intraitable; il n'a jamais fait rien qui vaille toutes les fois qu'on a essayé de le faire marcher tout seul et gérer lui-même ses intérêts.

Avec ces phénomènes d'une conformation originairement anormale et psychiquement défectueuse, s'alliaient des symptômes prononcés d'un sentiment sexuel pervers qui, d'ailleurs, sont aussi indiqués par l'habitus somatique du malade. Il se sent sexuellement femme en face de l'homme; il a de l'inclination pour les personnes de son propre sexe en même temps que de l'indifférence, sinon de l'aversion pour les femmes. Il prétend avoir eu, à l'âge de vingt-deux ans, des rapports sexuels avec des femmes, et avoir accompli le coït d'une façon normale; mais il s'est bientôt détourné du sexe féminin, d'une part, parce que ses malaises neurasthéniques s'accentuaient après chaque coït, d'autre part, parce qu'il avait peur d'être infecté et que l'acte ne lui avait jamais procuré de satisfaction. Il ne se rend pas parfaitement compte de son état sexuel anormal; il a conscience d'avoir un penchant pour le sexe masculin, mais il n'admet qu'avec réticence qu'il a pour certains individus masculins un sentiment du délicieuse amitié, sans qu'il s'y joigne un sentiment sensuel. Il n'abhorre pas précisément le sexe féminin, il se déciderait même à épouser une femme qui l'attirerait par des penchants artistiques homogènes aux siens, à la condition qu'on lui fît grâce de ses devoirs conjugaux qui lui seraient désagréables et dont l'accomplissement le rendrait faible et le fatiguerait. Le malade nie avoir jamais eu des rapports sexuels avec des hommes; mais ses dénégations sont démenties par l'embarras et la rougeur qu'il manifeste en parlant de ce sujet, et plus encore par un incident arrivé à N..., où le malade se trouvait il y a quelque temps: au restaurant, il a essayé d'entrer en rapports sexuels avec quelques jeunes gens et a provoqué ainsi un immense scandale.

L'extérieur aussi, l'habitus, la conformation du corps, les gestes, les manières, la toilette attirent l'attention et rappellent décidément des formes et des allures féminines. Le malade est d'une taille au-dessus de la moyenne, mais le thorax et le bassin sont de conformation féminine. Le corps est riche en graisse, la peau bien soignée, tendre et douce. Cette impression qu'on est en présence d'une femme habillée en homme est encore renforcée par le fait que la figure ne porte que peu de barbe qui d'ailleurs est rasée, le malade n'ayant laissé qu'une petite moustache, et aussi par sa démarche dandinante, ses manières timides et pleines de minauderies, ses traits féminins, l'expression flottante et névropathique de ses yeux, les traces de rouge et du blanc sur sa figure, la coupe gomineuse de ses vêtements, avec un veston bombé devant comme par des seins, sa cravate à franges et nouée à la façon des dames, et enfin ses cheveux séparés au milieu par une raie, ramenés et collés sur les tempes.

L'examen du corps a permis de constater une conformation d'un caractère féminin incontestable. Les parties génitales externes sont, il est vrai, bien développées, mais le testicule gauche est resté dans le canal inguinal, le mons Veneris est peu poilu, anormalement riche en graisse et proéminent. La voix est d'un timbre élevé et manque absolument de caractère viril.

Les occupations et les pensées de V... H... ont également un caractère féminin très prononcé. Il a son boudoir, sa table de toilette bien assortie devant laquelle il passe des heures entières, s'occupant de toutes sortes d'artifices pour s'embellir; il abhorre la chasse, les exercices d'armes et toutes les occupations masculines; il se désigne lui-même comme un bel esprit, parle de préférence de ses peintures, de ses essais poétiques, s'intéresse aux ouvrages féminins, tels que la broderie qu'il fait aussi; il dit que son bonheur suprême serait de passer sa vie dans un cercle de messieurs et de dames qui auraient des goûts artistiques, une éducation esthétique, d'occuper son temps en conversations, à faire de la musique, à discuter des questions d'esthétique, etc. Sa conversation roule de préférence sur les choses féminines, les modes, les travaux manuels de la femme, l'art de la cuisine, les affaires du ménage.

Le malade est bien portant, mais un peu anémique. Il est de constitution névropathique et présente des symptômes de neurasthénie qui sont entretenus par son genre de vie manqué, par un trop long séjour au lit et à la chambre, par sa mollesse.

Il se plaint de maux de tête périodiques, de congestions céphaliques, de constipation habituelle; il a facilement des soubresauts d'effroi: il se plaint d'être parfois faible et fatigué, d'avoir des douleurs aiguës dans les extrémités, dans la direction des nerfs lombo-abdominaux; il se sent fatigué après ses pollutions et après ses repas; il est sensible à la pression sur le Proc. spinosi, sur le thorax, la poitrine, de même qu'à la palpation des nerfs qui y conduisent. Il éprouve d'étranges sympathies ou antipathies pour certains personnages; quand il rencontre des personnes antipathiques, il est en proie à un état singulier d'angoisse et de trouble. Ses pollutions, bien qu'elles soient actuellement devenues rares, sont pathologiques, car elles se produisent même au cours de la journée et sans aucune émotion voluptueuse.

Conclusions médicales.—1º M. V... H... est d'après tout ce qu'on a observé en lui et rapporté sur sa personne, un être intellectuellement anormal, défectueux, et il faut ajouter qu'il l'est ab origine. Son inversion sexuelle présente un phénomène partiel de cette conformation anormale au point de vue physique et intellectuel.

2º Cet état, étant primitif, n'est susceptible d'aucune guérison.

Il y a dans les centres intellectuels les plus élevés une organisation défectueuse, qui le rend incapable de diriger son existence par lui-même et d'acquérir une position sociale par l'exercice d'une profession. Son sentiment sexuel pervers l'empêche de fonctionner sexuellement d'une façon normale; il a, en outre, pour lui, toutes les conséquences sociales d'une pareille anomalie: dangers dans la satisfaction des envies perverses qui résultent de son organisation anormale, ses craintes de conflits avec la loi et la société. Cette préoccupation cependant ne doit pas être très grande, étant donné que l'instinct génital pervers du malade est minime.

3º M. V... H... n'est pas irresponsable dans le sens légal du mot; il n'y a pas lieu de l'interner dans un asile d'aliénés, cela n'est pas nécessaire.

Bien que ce soit un grand enfant, incapable de se diriger lui-même, il peut, sous la surveillance et la direction d'hommes intellectuellement normaux, vivre dans la société. Il est capable aussi jusqu'à un certain degré de respecter les lois et les prescriptions de la société civile et de les prendre comme ligne de direction pour ses actes; mais en vue des aberrations sexuelles et des conflits avec la loi qui en pourraient résulter, il faut appuyer sur le fait que son sentiment sexuel est anormal et basé sur des conditions organiques et morbides, circonstance dont éventuellement on devra lui tenir compte.

4º M. V... H... souffre aussi physiquement. Il présente des symptômes d'une anémie légère et de neurasthenia spinalis.

Un régime de vie rationnel, un traitement médical tonique et autant que possible hydrothérapique paraissent nécessaires. Il faut maintenir le soupçon que la masturbation pratiquée de bonne heure a été la cause première de cette maladie, et la possibilité de l'existence d'une spermatorrhée, étiologiquement et thérapeutiquement importante, paraît tout indiquée. (Observation personnelle, Zeitschrift f. Psychiatrie.)


Observation 130.—Mlle X..., trente-huit ans, s'est présentée à l'automne de 1881 à ma consultation pour de violentes douleurs spinales, une insomnie persistante qu'elle a voulu combattre et qui l'a amenée au morphinisme et au chloralisme.

La mère et la sœur avaient une maladie de nerfs; les autres membres de la famille seraient bien portants, à ce qu'elle dit. La malade prétend que sa maladie date de 1872, à la suite d'une chute sur le dos dont elle fut vivement effrayée: mais étant encore jeune fille, elle souffrait déjà de crampes musculaires et de symptômes hystériques. Par suite de sa chute, il s'est développé une névrose neurasthénico-hystérique où prédominaient l'irritation spinale et l'insomnie. Épisodiquement elle eut de la paraplégie hystérique qui dura jusqu'à huit mois, et des accès de délire d'hysteria hallucinatoria avec crampes. Au cours de sa maladie, il se surajouta des symptômes de morphinisme. Un séjour de plusieurs mois à la clinique a fait cesser le morphinisme et a atténué considérablement la névrose neurasthénique; à ce propos, la faradisation générale s'est montrée étonnamment favorable.

Au premier aspect, la malade avait fait une impression étrange par ses vêtements, ses traits et ses manières. Elle portait un chapeau d'homme, des cheveux coupés courts, un pince-nez, une cravate d'homme, une jaquette à coupe masculine et qui couvrait une grande partie de sa robe; elle avait les traits durs, masculins, une voix un peu grave: elle fit plutôt l'impression d'un homme en jupons que d'une dame, en faisant abstraction de la gorge et de la conformation féminine du bassin.

Pendant sa longue période d'observation, la malade ne présenta jamais aucun signe d'érotisme. Interrogée sur son genre d'habillement, elle répondit que la mise qu'elle avait choisie lui allait mieux. Peu à peu on lui fit avouer qu'étant petite fille encore, elle avait une prédilection pour les chevaux et les occupations masculines, mais aucun intérêt pour les ouvrages de femme. Plus tard, elle aima beaucoup la lecture et eut le désir de se faire institutrice. Elle n'a jamais trouvé aucun plaisir à la danse qu'elle a toujours considérée connue une chose insensée. Le bal non plus n'eut jamais d'attrait pour elle. Son plus grand plaisir était le cirque. Jusqu'à sa maladie de 1872, elle n'a eu d'affection ni pour les personnes de l'autre sexe, ni pour celles de son propre sexe. À partir de cette époque, elle ressentit une amitié chaleureuse, qui lui paraissait étrange à elle-même, pour les femmes, surtout pour les dames jeunes; elle éprouva et satisfit son besoin de porter des chapeaux et des paletots à la façon des hommes. Depuis 1869, elle a coupé ses cheveux et elle les porte peignés à la façon des hommes. Elle prétend n'avoir jamais été excitée sensuellement dans ses fréquentations avec les jeunes dames, mais son amitié et son dévouement pour celles qui lui étaient sympathiques, étaient illimités, tandis qu'elle éprouvait une aversion pour les hommes et leur société.

Ses parents rapportent que, avant 1872, on demanda la malade en mariage, mais qu'elle refusa; elle est, en 1877, revenue d'une station thermale tout à fait changée sexuellement; depuis elle a parfois donné à entendre qu'elle ne se considérait pas comme un être féminin.

Depuis elle ne voulut fréquenter que des dames; elle a toujours une sorte de liaison amoureuse avec l'une ou avec l'autre et laisse parfois échapper la remarque qu'elle se sent homme. Cet attachement pour les dames dépasse la mesure de l'amitié; il y a des larmes, des scènes de jalousie, etc. En 1874, comme elle passait dans une ville balnéaire, une jeune dame est tombée amoureuse de la malade qu'elle prit pour un homme déguisé en femme. Quand cette dame plus tard s'est mariée, la malade est devenue mélancolique pendant un certain temps et a parlé d'infidélité. L'attention des parents fut aussitôt éveillée par son penchant pour les vêtements d'hommes, par ses allures masculines, son aversion pour les ouvrages féminins; singularités qui ne se manifestaient que depuis sa maladie, tandis que, auparavant, la malade, du moins au point de vue sexuel, n'avait présenté aucun symptôme étrange. D'autres recherches il est résulté que la malade entretenait, avec la dame décrite dans l'observation 118, une liaison d'amour qui, en tout cas, n'était pas purement platonique et qu'elle écrivait à cette dame des billets tendres, comme un amant en écrirait à sa maîtresse.

J'ai revu en 1887 la malade dans un hôpital où elle avait été transportée de nouveau, à cause de ses accès hystéro-épileptiques, son irritation spinale et son morphinisme. L'inversion sexuelle subsistait toujours; ce n'est que grâce à une surveillance rigoureuse qu'on a pu empêcher la malade de faire des tentatives impudiques sur des malades femmes. Son état n'a pas changé jusqu'en 1889. Alors la malade fit une grave maladie, et mourut au mois d'août 1889 d'épuisement.

L'autopsie a fait constater dans les organes végétatifs: dégénérescence amyloïde des reins, fibrome de l'utérus, kyste de l'ovaire gauche. L'os frontal semblait très épaissi, inégal à sa surface interne, avec de nombreuses exostoses; la dure-mère était soudée à la boite cranienne.

Le diamètre longitudinal du crâne était de 175, le diamètre en largeur de 148 millimètres. Le poids total du cerveau œdématié, mais non atrophié, était de 1,175 grammes. Les méninges étaient fines, faciles à détacher. Écorce cérébrale pâle, circonvolutions cérébrales larges, peu nombreuses, et régulièrement disposées. Dans le cervelet et les gros ganglions, rien d'anormal.


Observation 131 (Gynandrie95).—Le 4 novembre 1889, le beau-père d'un certain comte V. Sàndor se plaignit au parquet que le comte lui avait extorqué la somme de 800 florins, sous prétexte qu'il avait besoin de cette somme pour un cautionnement qu'il devait déposer pour devenir secrétaire d'une société d'actions. On a, en outre, établi que Sàndor avait falsifié des traités, que la cérémonie nuptiale du printemps de 1889, lorsqu'il s'était uni à sa femme, était fictive, et surtout que ce prétendu comte Sàndor n'était pas un homme, mais une femme déguisée en homme et dont le vrai nom était comtesse Sarolla (Charlotte) de V...

Note 95: (retour)

Comparez les rapports détaillés des médecins légistes sur ce cas réunis par le docteur Birnbacher dans Friedreichs Blætter f. ger. Med., 1891, fascicule 1.

S... fut arrêté et une instruction judiciaire ouverte contre lui pour escroquerie et falsification de documents publics. Dans le premier interrogatoire, S..., né le 6 décembre 1866, reconnut qu'il était de sexe féminin, de culte catholique, célibataire, et vivait comme auteur, sous le nom de comte Sàndor V...

Voici les faits remarquables et corroborés par d'autres témoignages, qui ressortent de l'autobiographie de cet homme-femme.

S... est originaire d'une famille de vieille noblesse, très considérée en Hongrie, famille particulièrement excentrique.

Une sœur de la grand'mère du côté maternel était hystérique, somnambule, et resta pendant dix-sept ans au lit pour une paralysie imaginaire. Une deuxième grand'tante a passé sept ans au lit, s'imaginant qu'elle était malade à mourir, ce qui ne l'empêchait point de donner des bals. Une troisième avait le spleen et l'idée qu'une console de son salon était maudite. Si quelqu'un mettait un objet sur cette console, la dame en avait la plus vive émotion, criait sans cesse: «c'est maudit, c'est maudit!» Elle portait l'objet dans une pièce qu'elle appelait la «chambre noire», et dont elle gardait sur elle la clef. Après la mort de cette dame, on trouva dans la soi-disant «chambre noire» un grand nombre de châles, de bijoux, de billets de banque, etc. Une quatrième grand'tante n'a pas laissé balayer sa chambre pendant deux ans; elle ne se débarbouillait ni ne se peignait. Elle ne se montra qu'après ces deux ans expirés. Toutes ces femmes étaient en même temps très instruites, spirituelles et aimables.

La mère de S... était nerveuse et ne pouvait supporter le clair de lune.

On prétend que la famille du côté paternel avait une vis de trop dans ses rouages. Une branche de la famille s'occupe presque exclusivement de spiritisme. Deux parents proches du côté paternel se sont brûlé la cervelle. La majorité des descendants masculins sont des gens de grand talent. Les descendants féminins sont tous des êtres bornés et terre à terre. Le père de S... occupait un poste élevé qu'il a cependant dû quitter à cause de son excentricité et de sa prodigalité (il a mangé plus d'un million et demi de florins).

Une des manies du père fut de faire élever S... tout à fait en garçon; il la faisait monter à cheval, conduire des chevaux, chasser; il admirait son énergie virile et l'appelait Sàndor.

Par contre, ce père maniaque a fait habiller de vêtements féminins son fils cadet, et l'a fait élever en fille. La farce cessa à l'âge de seize ans, quand ce garçon dut entrer dans un lycée, pour faire ses études.

Sarolta Sàndor, cependant, resta sous l'influence de son père jusqu'à l'âge de douze ans; alors on l'envoya chez sa grand'mère maternelle, femme excentrique qui vivait à Dresde, mais qui la mit dans une pension de demoiselles, lorsque les goûts virils de la petite commencèrent à devenir trop exagérés.

À l'âge de treize ans, elle noua dans la pension une liaison d'amour avec une Anglaise à laquelle elle déclara être un garçon et l'enleva.

Sarolta revint ensuite chez sa mère qui n'avait aucune action sur sa fille et qui dut permettre que sa Sarolta redevienne Sàndor, qu'elle porte de nouveau des vêtements de garçon et qu'elle ait chaque année au moins une liaison d'amour avec des personnes de son propre sexe. En même temps, Sarolta recevait une éducation très soignée, faisait de grands voyages avec son père, bien entendu toujours habillée en jeune monsieur, fréquentait les cafés, même des lieux équivoques, et se vantait même d'avoir, un jour, au lupanar, in utroque genu puellas sedisse. Sarolta se grisait souvent, était passionnée pour les sports virils, très forte en escrime. Elle se sentait particulièrement attirée vers les actrices ou vers les femmes isolées et qui autant que possible n'étaient pas de la première jeunesse. Elle affirme n'avoir jamais eu d'affection pour un jeune homme et avoir éprouvé, d'année en année, une aversion croissante pour les individus du sexe masculin. «J'aimais mieux aller avec des hommes peu jolis et insignifiants dans la société des dames, afin de n'être éclipsée par aucun d'eux. Si j'apercevais qu'un de mes compagnons éveillait des sympathies chez les dames, j'en devenais jalouse. Parmi les dames, je préférais les spirituelles à celles qui avaient de la beauté physique. Je ne pouvais souffrir ni les dames grosses et encore moins celles qui étaient folles des hommes. J'aimais la passion féminine qui se manifestait sous un voile poétique. Toute effronterie de la part d'une femme m'inspirait du dégoût. J'avais une idiosyncrasie indicible pour les vêtements de femme et, en général, pour tout ce qui est féminin, mais seulement sur moi et en moi; car, au contraire, j'avais de l'enthousiasme pour le beau sexe.»

Depuis environ dix ans, Sarolta a vécu toujours loin de sa famille et toujours en homme. Elle eut un grand nombre de liaisons avec des dames, fit des voyages avec elles, dépensa beaucoup d'argent et contracta des dettes.

En même temps, elle se consacrait aux travaux littéraires et devint le collaborateur très apprécié de deux grands journaux de la capitale.

Sa passion pour les dames était très variable. Elle n'avait pas de constance en amour.

Une seule fois une de ses liaisons a duré trois ans. Il y a plusieurs années que Sarolta fit au château de G... la connaissance de Mme Emma E... qui avait dix ans plus qu'elle. Elle tomba amoureuse de cette dame, conclut avec elle un contrat de mariage et vécut avec elle pendant trois ans, maritalement, dans la capitale.

Un nouvel amour qui lui fut funeste, l'a décidée à rompre ses «liens conjugaux» avec E... Celle-ci ne voulait pas quitter Sarolta. Ce n'est qu'au prix de grands sacrifices matériels, que Sarolta a racheté sa liberté. E..., dit-on, se donne encore aujourd'hui comme femme divorcée et se considère comme comtesse V... Sarolta a dû inspirer aussi à d'autres dames de la passion; cela ressort du fait que, avant son «mariage» avec E..., alors qu'elle s'était lassée d'une demoiselle D..., après avoir dépensé avec elle plusieurs milliers de florins, celle-ci la menaça de lui brûler la cervelle, si elle ne lui restait pas fidèle.

Ce fut l'été de 1887, pendant un séjour dans une station balnéaire, que Sarolta fit la connaissance de la famille d'un fonctionnaire très estimé, M. E... Aussitôt Sarolta devint amoureuse de Marie, la fille de ce fonctionnaire, et en fut aimée. La mère et la cousine de la jeune fille essayèrent de la détourner de cette liaison, mais vainement. Pendant l'hiver, les deux amoureux échangèrent des lettres. Au mois d'avril 1888, le comte S... vint faire une visite, et au mois de mai 1889, il atteignit le comble de ses désirs: Marie qui entre temps avait quitté sa place d'institutrice, fut unie par un pseudo-prêtre hongrois à son S... adoré dans une tonnelle de jardin improvisée en chapelle; un ami de son fiancé figurait comme témoin.

Le couple vivait heureux et joyeux, et sans la plainte déposée par le beau-père, ce simulacre de mariage aurait encore duré longtemps. Il est à remarquer que pendant la longue période de son état de fiancé, S... a réussi à induire la famille de sa fiancée en erreur complète sur son véritable sexe.

S... était fumeur passionné, avait des allures et des passions tout à fait masculines. Ses lettres et même les convocations des tribunaux lui parvenaient sous l'adresse de «Comte S...»; il disait entre autres souvent qu'il lui faudrait bientôt aller faire ses vingt-huit jours. Il ressort des allusions faites par le «beau-père» que S...—(ce qu'il a d'ailleurs plus tard avoué)—a pu simuler l'existence d'un scrotum à l'aide d'un mouchoir ou d'un gant qu'il fourrait dans une des poches de son pantalon. Le beau-père a aussi remarqué un jour chez son futur gendre quelque chose comme un membre en érection (probablement un priape); celui-ci a même donné à entendre qu'il lui serait nécessaire de se servir d'un suspensoir toutes les fois qu'il monterait à cheval. En effet S... portait un bandage autour du corps, probablement pour attacher un priape.

Bien que S... se fît souvent raser, pour la forme, on était pourtant convaincu dans l'hôtel qu'il était femme, car la fille de chambre avait trouvé dans son linge des traces de sang provenant des menstrues (sang que S... prétendait être de provenance hémorroïdale): un jour que S... prenait un bain, la même fille de chambre, ayant regardé à travers le trou de la serrure, prétendit s'être convaincue de visu du sexe féminin de S...

Il faut croire que la famille de Mlle Marie fut pendant longtemps dans l'erreur sur le véritable sexe du pseudo-époux.

Rien ne caractérise mieux la naïveté et l'innocence incroyable de cette malheureuse fille que le passage suivant d'une lettre adressée par Marie à S... le 20 août 1889:

«Je n'aime plus les enfants des autres, mais un petit bébé de mon Sandi, une superbe petite poupée,—ah! quel bonheur, mon Sandi!»

Quant à l'individualité intellectuelle de S..., un grand nombre de manuscrits nous fournissent les renseignements désirés. L'écriture a du caractère, de la fermeté et de l'assurance. Ce sont des traits de plume foncièrement virils. Le contenu se répète partout avec les mêmes singularités: passion féroce et effrénée, haine et guerre à tout ce qui s'oppose à son cœur avide d'amour et d'affection, amour au souffle poétique, amour qui ne touche jamais à rien de vil, enthousiasme pour tout ce qui est beau et noble, goût pour les sciences et les beaux-arts.

Les écrits de Sarolta dénotent une vaste connaissance des littératures de toutes les langues: il y a là des citations des poètes et des prosateurs de tous les pays. Des gens compétents affirment aussi que les produits poétiques et la prose de S... ne sont pas sans valeur.

Les lettres et les écrits qui concernent ses rapports avec Marie, sont très remarquables au point de vue psychologique. S... parle du bonheur qui fleurit pour elle aux côtés de Marie, de son immense désir de voir, ne fût-ce qu'un moment, la femme adorée. Après tant de honte, elle ne désire qu'échanger sa cellule contre la tombe. La douleur la plus amère, c'est l'idée que maintenant Marie aussi la haïra. Elle a versé des larmes brûlantes sur son bonheur perdu, des larmes si abondantes qu'elle pourrait s'y noyer. Des feuilles entières sont consacrées à la glorification de cet amour, aux souvenirs du temps de son premier amour et de sa première connaissance.

S... se plaint de son cœur qui ne se laisse pas dominer par la raison; elle manifeste des explosions de sentiments, qu'on ne peut que sentir dans la réalité, et qu'on ne peut feindre. Puis de nouveau, des explosions de la passion la plus folle avec la déclaration de ne pouvoir plus vivre sans Marie. «Ta voix si chère et si aimée, cette voix au son de laquelle je sortirais peut-être encore de ma tombe, cette voix dont le son m'était toujours la promesse du paradis! Ta seule présence était suffisante pour soulager mes souffrances physiques et morales. C'était un courant magnétique, une singulière puissance que ton être a exercée sur le mien et que je ne saurais jamais définir. Ainsi j'en suis restée à la définition éternellement juste et vraie: Je l'aime, parce que je l'aime. Dans la nuit sombre et pleine de désolation, je n'avais qu'une étoile, l'astre de l'amour de Marie. Cet astre est éteint maintenant; il n'en est resté que le reflet, le souvenir doux et douloureux qui de sa lueur faible éclaircit encore la nuit terrible de la mort, une étincelle d'espoir...» Cet écrit se termine par cette apostrophe: «Messieurs, sages jurisconsultes, psycho-pathologues et autres, jugez-moi! Chaque pas que je faisais était guidé par l'amour, chacun de mes actes avait pour cause l'amour.—Dieu me l'a inculqué dans le cœur. S'il m'a créée telle et non autrement, est-ce ma faute ou sont-ce les voies du destin à jamais insondables? J'ai foi en Dieu et je crois qu'un jour la délivrance viendra, car ma faute n'était que l'amour même, base et principe fondamental de ses doctrines et de son empire. Dieu miséricordieux, tout-puissant, tu vois mes peines, tu sais combien je souffre: penche-toi vers moi, tends-moi ta main secourable, puisque tout le monde m'a déjà abandonnée. Dieu seul est juste. Dans quel beau langage le dit Victor Hugo dans sa Légende des Siècles! Qu'il me semble triste et singulier cet air de Mendelssohn: Chaque nuit je te vois dans mon rêve...»

Bien que S..., sache qu'aucun de ses écrits n'arrivera à sa «tête de lionne adorée», elle ne se lasse point de remplir les feuilles de l'exaltation de la personne de Marie, d'y transcrire les explosions de sa douleur et de son bonheur en amour, «de solliciter une seule larme claire et brillante, versée par un clair et tranquille soir d'été, quand le lac est embrasé des feux du soleil couchant, comme de l'or fondu, et que les cloches de Sainte-Anna et de Maria-Woerth se fondent en une harmonie mélancolique et annoncent le calme et la paix à cette pauvre âme, à ce pauvre cœur qui jusqu'au dernier soupir n'a battu que pour toi.»

Examen personnel.—La première rencontre que les médecins légistes eurent avec Mlle S..., fut en quelque sorte un embarras pour les deux parties: pour les médecins, parce que la tournure virile, peut-être exagérée, de S..., leur en imposait; pour elle, parce qu'elle craignait d'être déshonorée par le stigmate de la moral insanity. Une figure intelligente, pas laide, qui malgré une certaine délicatesse des traits et une certaine exiguïté des parties, aurait eu un caractère masculin très prononcé, s'il n'y avait pas absence totale de moustaches, ce que S... regrettait beaucoup. Il était difficile, même pour les médecins légistes, malgré les vêtements féminins de Sarolta, de se figurer sans cesse avoir devant eux une dame: par contre, les rapports avec Sàndor homme se passaient avec beaucoup plus de sans-gêne, de naturel, et de correction apparente, l'accusée elle-même le sent bien. Elle devient plus franche, plus communicative, plus dégagée, aussitôt qu'on la traite en homme.

Malgré son penchant pour le sexe féminin qui existait chez elle depuis les premières années de sa vie, elle prétend n'avoir éprouvé les premières manifestations de l'instinct génital qu'à l'âge de treize ans, lorsqu'elle enleva l'Anglaise à cheveux roux du pensionnat de Dresde. Cet instinct se manifestait alors par une sensation de volupté, quand elle embrassait et caressait son amie. Déjà à cette époque, elle ne voyait dans ses songes que des êtres féminins; depuis, dans ses rêves érotiques, elle se sentit toujours dans la situation d'un homme, et à l'occasion, elle eut aussi la sensation de l'éjaculation.

Elle ne connaît ni l'onanisme solitaire ni l'onanisme mutuel. Pareille chose lui paraît dégoûtante et au-dessous de la «dignité d'un homme». Elle ne s'est jamais laissée toucher par d'autres ad genitalia, d'abord pour la raison qu'elle tenait beaucoup à garder son secret. Les menses ne se sont produites qu'à l'âge de dix-sept ans, elles venaient toujours faiblement et sans aucun malaise. S... abhorre visiblement la discussion des phénomènes de la menstruation; c'est quelque chose qui répugne à ses sentiments et à sa conscience d'homme. Elle reconnaît le caractère morbide de ses penchants sexuels, mais elle ne désire pas un autre état, se sentant bien et heureuse dans cette situation perverse. L'idée d'un rapport sexuel avec des hommes lui fait horreur et elle en croit l'exécution impossible.

Sa pudeur va si loin qu'elle coucherait plutôt avec des hommes qu'avec des femmes. Ainsi quand elle veut satisfaire un besoin naturel ou changer du linge, elle se voit dans la nécessité de prier sa compagne de cellule de se tourner vers la fenêtre pour qu'elle ne la regarde pas.

Quand S... se trouve par hasard en contact avec sa compagne de cellule, femme de la lie du peuple, elle éprouve une excitation voluptueuse, et a dû en rougir. S... raconte, même spontanément, qu'elle fut en proie à une véritable angoisse lorsque, dans la cellule de la prison, elle fut forcée de reprendre les vêtements de femme dont elle avait perdu l'habitude. Sa seule consolation fut qu'on lui avait laissé au moins sa chemise d'homme. Ce qui est très remarquable et ce qui prouve l'importance du sens olfactif dans sa vita sexualis, c'est qu'elle nous dit que, après le départ de Marie, elle avait cherché et reniflé les endroits du canapé où la tête de Marie s'était posée, pour respirer avec volupté le parfum de ses cheveux. Quant aux femmes, ce ne sont pas précisément les jeunes et les plantureuses qui intéressent S..., les très jeunes non plus. Elle ne met qu'au second rang les charmes physiques de la femme. Elle se sent attirée comme par une force magnétique vers celles qui sont entre vingt-quatre et trente ans. Elle trouvait sa satisfaction sexuelle exclusivement in corpore feminæ (jamais sur son propre corps), par la manustupration de la femme aimée ou en faisant le cunnilingus. À l'occasion elle se servait aussi d'un bas garni d'étoupe comme priape. S... ne fait qu'à contre-cœur et avec un visible embarras pudique ces révélations; de même, dans ses écrits, on ne trouve aucune trace d'impudicité ou de cynisme.

Elle est dévote, a un vif intérêt pour tout ce qui est beau et noble, sauf pour les hommes; elle est très sensible à l'estime morale des autres.

Elle regrette profondément d'avoir par sa passion rendu Marie malheureuse, trouve pervers ses sentiments sexuels, et cet amour d'une femme pour une autre femme moralement répréhensible chez les individus sains. Elle a beaucoup de talent littéraire, possède une mémoire extraordinaire. Sa seule faiblesse est sa légèreté colossale et son incapacité de gérer, avec bon sens, l'argent et les valeurs en argent. Mais elle se rend parfaitement compte de cette faiblesse et nous prie de n'en plus parler.

S... a 153 centimètres de taille; elle est d'une charpente osseuse délicate et maigre, mais étonnamment musculeuse sur la poitrine et sur la partie supérieure des cuisses. Sa démarche, avec des vêtements féminins, est maladroite.

Ses mouvements sont vigoureux, pas désagréables, bien que d'une certaine raideur masculine, sans grâce. Elle salue par une vigoureuse poignée de mains. Toute son attitude a l'air résolue, énergique, et dénote une certaine confiance en sa propre force. Le regard est intelligent, l'air un peu sombre. Ses pieds et ses mains sont remarquablement petits comme chez un enfant. Les parties tendineuses des extrémités sont remarquablement velues, tandis qu'on ne voit pas de poils de barbe, ni même de duvet, malgré les expériences faites avec le rasoir. Le torse ne répond pas du tout à la conformation féminine. La taille manque. Le bassin est si mince et si peu proéminent qu'une ligne partie d'au-dessous de l'aisselle et allant au genou correspondant forme une ligne droite et n'est ni enfoncée par la taille, ni repoussée en dehors par le bassin. Le crâne est légèrement oxycéphale et reste dans toutes ses dimensions d'un centimètre au-dessous du volume moyen du crâne féminin.

La circonférence du crâne est de 32 centimètres, la ligne de l'oreille à la pointe postérieure du crâne de 24, la ligne de l'oreille à l'occiput de 23, celle de l'oreille au front de 26,5; la circonférence longitudinale est de 30, la ligne de l'oreille au menton de 20,5, le diamètre longitudinal de 17, le plus grand diamètre en largeur de 13, la distance des conduits auditifs de 12, la ligne des jugulaires de 11,2 centimètres. La mâchoire supérieure dépasse la mâchoire inférieure de 0,5 centimètre. La position des dents n'est pas tout à fait normale. La dent oculaire supérieure à droite ne s'est jamais développée. La bouche est remarquablement petite. Les oreilles sont décollées, les lobes ne sont pas séparés, mais se confondent avec la peau des joues. Le palais est dur, étroit et bombé. La voix est dure et grave. Les seins sont assez développés, mais sans sécrétion. Le mons Veneris est couvert de poils touffus et foncés. Les parties génitales sont tout à fait féminines, sans aucune trace de phénomènes d'hermaphrodisme, mais leur développement s'est arrêté; elles ont le type enfantin d'une fille de dix ans. Les labia majora se touchent presque complètement, les minora ont la forme d'une crête de coq et proéminent au-dessus des grandes. Le clitoris est petit et très sensible. Le frenulum est tendre, le perineum très étroit, introitus vaginæ étroit, avec muqueuse normale. L'hymen manque (probablement absence congénitale), de même les carunculæ myrtiformes. La vagina est tellement étroite que l'introduction d'un membrum virile serait impossible; d'ailleurs très sensible. Il est évident que jusqu'ici le coït n'a pas eu lieu. L'utérus est senti à travers le rectum gros comme une noix; il est immobile et en rétroflexion.

Le bassin est aminci dans tous les sens (rabougri), avec un type masculin très prononcé. La distance entre les pointes de l'os iliaque antérieur est de 22,3 (au lieu de 26,9), celle des crêtes iliaques 26,5 (au lieu de 29,3) celle des trochanter de 27,7 (31), les conjungata externes ont 17,2 (19-20), et les internes ont 7,7 (au lieu de 10,8). En raison du peu de largeur du bassin, les cuisses ne sont pas convergentes comme c'est le cas chez la femme, mais leur position est tout à fait droite.

Le rapport médical a démontré que chez S..., il y a une inversion morbide et congénitale du sentiment sexuel, inversion qui se manifeste même anthropologiquement par des anomalies dans le développement du corps, et qui a pour cause de lourdes tares héréditaires; qu'enfin les actes incriminés trouvent leur explication dans la sexualité morbide et irrésistible de la malade.

La remarque caractéristique de S.: «Dieu m'a inculqué l'amour dans le cœur; s'il m'a créée telle et pas autrement, est-ce ma faute, ou sont-ce les voies insondables de la Providence?» est, sous ce rapport, tout à fait légitime.

Le tribunal a prononcé l'acquittement. La «comtesse en vêtements d'homme», comme l'appelaient les journaux, rentra dans la capitale de son pays où elle figure de nouveau comme comte Sàndor. Son seul chagrin est que son amour heureux avec sa Marie ardemment adorée a maintenant disparu.

Une femme mariée, à Brandon (Wisconsin), dont le docteur Kiernan rapporte l'histoire (The med. Standard, 1888, nov.-déc), a eu plus de chance. Elle enleva, en 1883, une jeune fille, se laissa marier avec elle à l'église, et vécut maritalement avec elle sans être dérangée.

Un cas rapporté par Spitzka (Chicago med. Review du 20 août 1881) fournit un intéressant exemple historique d'androgynie. Il concerne lord Cornbury, gouverneur de New-York, qui a vécu sous le gouvernement de la reine Anne, et qui, évidemment atteint de moral insanity, était un débauché effréné. Malgré sa haute position, il ne pouvait s'empêcher de se promener dans les rues vêtu en femme et avec toutes les allures et les minauderies d'une cocotte.

Sur un des portraits qu'on a pu conserver de lui, on remarquera surtout l'étroitesse de son os frontal, sa face asymétrique, ses traits féminins, sa bouche sensuelle. Il est certain qu'il ne s'est jamais pris lui-même pour une femme.

Chez les individus atteints d'inversion sexuelle, le sentiment et la tendance sexuels pervers peuvent aussi se compliquer d'autres phénomènes de perversion.

Il est probable qu'il s'agit, en ce qui concerne la manifestation de l'instinct, de faits analogues à ceux qui se produisent chez les personnes hétérosexuelles perverses dans la mise en action de leur instinct.

Étant donné cette circonstance que l'inversion sexuelle va presque régulièrement de pair avec une accentuation morbide de la vie sexuelle, il est fort possible que des actes sadistes et de volupté cruelle se produisent sans la satisfaction du libido. Un exemple caractéristique à ce sujet est le cas de Zastroio (Casper-Liman, 7e édit., t. I, p. 160; t. II, p. 487), qui a mordu une de ses victimes, un garçon, lui a déchiré le prépuce, fendu l'anus, et finalement l'a étranglé.

Z... était issu d'un grand-père psychopathe, d'une mère mélancolique; son oncle maternel s'adonnait à des jouissances sexuelles anormales et s'est suicidé.

Z... était né d'uraniste; dans son habitus et ses occupations, il était de caractère masculin, atteint de phimosis; c'était un homme faible psychiquement, tout à fait déséquilibré et, au point de vue social, tout à fait inutilisable. Il avait l'horror feminæ; dans ses rêves érotiques, il se sentait femme en face de l'homme; il avait la pénible conscience de son absence de sentiment sexuel normal et de son penchant pervers; il essaya de trouver une satisfaction dans l'onanisme mutuel et eut souvent des désirs de pédérastie.

On trouve dans l'historique de quelques-uns des malades précédents de pareilles velléités sadistes chez des invertis sexuels (comp. observations 107, 108 de cette édition). Il y a aussi du masochisme parfois (comp. observations 43, 6e édition, observation 111, 114 de cette édition).

Comme exemple de satisfaction sexuelle perverse basée sur l'inversion sexuelle, nous citerons encore ce Grec qui, comme le rapporte Athenæus, était amoureux d'une statue de Cupidon et la souilla dans le temple de Delphes; puis, outre les cas monstrueux cités dans le livre de Tardieu (Attentats, p. 272), le cas horrible d'un nommé Artusio (voir Lumbroso: L'uomo delinquente, p. 200) qui a ouvert le ventre d'un garçon et l'a souillé par cette ouverture.

Les observations 86, 110, 111 prouvent que, dans l'inversion sexuelle, on rencontre quelquefois aussi du fétichisme.

DIAGNOSTIC, PRONOSTIC ET TRAITEMENT DE L'INVERSION SEXUELLE

L'inversion sexuelle n'a eu pour la science jusqu'à ces derniers temps qu'un intérêt anthropologique, clinique et médico-légal; on est arrivé, grâce aux recherches plus récentes, à pouvoir penser aussi à la thérapie de cette anomalie funeste qui, chez l'individu atteint, constitue un si grave préjudice au point de vue moral, physique et social.

La première condition d'une intervention thérapeutique, c'est la différenciation exacte entre les cas de maladie acquise et ceux de maladie congénitale, et le classement d'un cas concret dans une des catégories qu'on a pu définir par la voie de l'empirisme scientifique.

Le diagnostic entre les cas acquis et congénitaux n'offre pas de difficultés au début.

Si l'inversio sexualis est déjà déclarée, l'étude rétrospective du cas donnera les éclaircissements nécessaires sur la maladie.

La conclusion importante, au point de vue du pronostic, c'est-à-dire de savoir s'il y a inversion congénitale ou acquise, ne peut dans ces cas se déduire que d'une anamnèse minutieuse.

Il serait de la plus grande importance, pour juger du caractère congénital de l'anomalie, d'établir si l'inversion sexuelle existait longtemps avant que l'individu se soit livré à la masturbation. Une enquête dans ce sens se butte à une difficulté: la possibilité d'une indication inexacte de l'époque (erreur de mémoire).

Prouver que le sentiment hétérosexuel a existé avant la période de début de l'auto-masturbation ou de l'onanisme mutuel, est chose importante pour la constatation d'une inversion sexuelle acquise.

En général, les cas acquis sont caractérisés de la façon suivante:

1º Le sentiment homosexuel ne se montre dans la vie de l'individu que secondairement, et peut être dû parfois à des incidents qui ont troublé la satisfaction sexuelle normale (neurasthénie onaniste, états psychiques).

Il est cependant probable que dans ce cas, malgré un libido sensuel et grossier, les sentiments et les penchants pour l'autre sexe, surtout au point de vue de l'affection psychique et du sens esthétique, ne reposent ab origine que sur une base très faible.

2º Tant que l'inversion sexuelle ne s'est pas manifestée par des faits, le sentiment homosexuel est jugé par la conscience comme vicieux et morbide, et l'individu ne s'abandonne que faute de mieux à cette anomalie.

3º Le sentiment hétérosexuel reste pendant longtemps prédominant, et l'individu ressent péniblement l'impossibilité de le satisfaire. Ce sentiment s'efface à mesure que le sentiment homosexuel se fait de plus en plus fort.

Dans les cas congénitaux, au contraire, on observe les phénomènes suivants:

a) Le sentiment homosexuel vient en première ligne et domine la vita sexualis. Il apparaît comme une satisfaction naturelle et prédomine aussi dans les songes de l'individu.

b) Le sentiment hétérosexuel a manqué de tout temps, ou si, dans le cours de la vie de l'individu, il se manifeste aussi (hermaphrodisme psycho-sexuel), il n'est qu'un phénomène épisodique, ne trouve pas de racines dans l'âme de l'individu, et n'est qu'un moyen accidentel pour satisfaire des impulsions sexuelles.

D'après ce qui procède, la différenciation entre les divers autres groupes d'invertis congénitaux et les cas d'inversion acquise ne rencontrera guère de difficultés.

Le pronostic des cas d'inversion sexuelle acquise est de beaucoup plus favorable que celui des cas congénitaux. Dans les premiers, c'est vraisemblablement l'effémination complète, la transformation psychique de l'individu dans le sens de ses sentiments sexuels pervers qui constitue la limite au delà de laquelle il n'y a plus rien à espérer pour la thérapeutique. Dans les cas congénitaux, les diverses catégories énumérées dans ce livre représentent autant de degrés divers de la tare psychosexuelle, et la guérison n'est possible qu'avec la catégorie des hermaphrodites, et seulement probable (voir plus loin le cas de Schrenk-Notzing) dans les états de dégénérescence plus grave.

La prophylaxie de ces états n'en serait que plus importante: empêchement pour les congénitaux de procréer de pareils malheureux; préservation pour les invertis acquis des influences nuisibles qui, d'après l'expérience, pourraient amener cette fatale aberration du sentiment sexuel.

D'innombrables héréditaires deviennent la proie de ce triste mal, parce que les parents et les précepteurs ne se doutent même pas des dangers que la masturbation peut avoir pour les enfants, sur un terrain pareil.

Dans beaucoup d'écoles et de pensionnats il y a pour ainsi dire un apprentissage de la masturbation et de l'impudicité. Aujourd'hui on se préoccupe trop peu de la situation physique et morale des élèves.

S'acquitter du programme d'études, voilà la principale chose. Qu'importe si en même temps maint élève sombre au physique et au moral!

Avec une pruderie ridicule on cache d'un voile épais aux jeunes gens qui grandissent la vita sexualis: mais on ne fait pas la moindre attention aux mouvements de leur instinct génital. Combien peu de médecins sont consultés par leurs clients souvent les plus lourdement tarés pendant la période de développement des enfants.

On croit tout devoir abandonner à la nature. Par moments celle-ci s'agite trop violemment et conduit par des voies dangereuses les jeunes gens qui manquent de conseils et de secours.

Il ne nous paraît pas à propos d'approfondir ici le côté prophylactique de la question96.

Note 96: (retour)

Les paroles suivantes, que m'a écrites le malade de l'observation 88 de la 6e édition, sont dignes d'attention sous le rapport de la prophylaxie: «Si jamais on arrivait, non pas à détruire, comme chez les Spartiates, les jeunes gens malingres pour avoir une bonne sélection dans le sens des idées darwiniennes, mais à reconnaître notre inversion sexuelle à l'âge de notre première jeunesse, on pourrait peut-être, pendant cette période, guérir par la suggestion, la pire de toutes les maladies! Il est probable que la guérison pourrait être plus facilement obtenue dans la jeunesse que plus tard.»

Les parents et les précepteurs trouveront beaucoup d'indications et d'instructions dans ce livre ainsi que dans les nombreux ouvrages scientifiques sur la masturbation.

Voici les points à remplir dans le traitement de l'inversion sexuelle:

1º Combattre l'onanisme ainsi que les autres éléments nuisibles à la vita sexualis.

2º Suppression de la névrose (neurasthenia sexualis et universalis) produite par des conditions anti-hygiéniques de la vita sexualis.

3º Traitement psychique pour combattre les sentiments et les impulsions homosexuels et développer le penchant hétérosexuel.

Le point principal de l'action devra viser à remplir la troisième indication, surtout contre l'onanisme.

L'accomplissement des points 1 et 2 du programme ne suffira que dans des cas très rares, quand l'inversion sexuelle acquise n'est pas encore arrivée à un état avancé. Le cas suivant rapporté par l'auteur dans le l'Irrenfreund de 1884, nº I, en fournit un exemple.


Observation 132.—Z... 51 ans, de mère psychopathe, a été mis dans son jeune âge à l'école des cadets où il a été entraîné à l'onanisme. Il se développa bien au physique; il avait le sens sexuel normal, et devint à l'âge de dix-sept ans légèrement neurasthénique à la suite de pratiques de masturbation; il eut des rapports sexuels avec des femmes et en éprouva du plaisir, se maria à l'âge de vingt-cinq ans, mais fut atteint un an plus tard de malaises neurasthéniques accentués et perdit alors tout à fait son inclination pour le sexe féminin. Elle fut remplacée par l'inversion sexuelle. Impliqué dans un procès de haute trahison, il passa deux ans en prison et ensuite cinq ans en Sibérie. Pendant ces sept années, la neurasthénie et l'inversion sexuelle s'aggravèrent sous l'influence de la masturbation continuelle. À l'âge de trente-cinq ans, rendu à la liberté, le malade a dû depuis visiter toutes sortes de stations thermales, à cause de ses malaises neurasthéniques très avancés. Pendant cette longue période, son sentiment sexuel anormal n'a subi aucun changement. Il vivait pour la plupart du temps séparé de sa femme, qu'il estimait beaucoup pour ses qualités intellectuelles, mais qu'il fuyait parce qu'elle était femme, de même qu'il évitait les contacts avec tout être féminin. Son inversion sexuelle était purement platonique. L'amitié, l'accolade cordiale, un baiser, lui suffisaient. Des pollutions occasionnelles se produisaient sous l'influence de rêves érotiques où il s'agissait toujours de personnes de son propre sexe. Pendant la journée aussi, la plus belle femme le laissait froid, tandis que la seule vue de beaux hommes provoquait chez lui de l'érection et de l'éjaculation. Au cirque et au bal il n'y avait que les athlètes et les danseurs qui l'intéressaient. Dans ses périodes de plus grande émotivité, l'aspect même des statues d'hommes lui provoquait du l'érection. Incidemment il retomba à son ancien vice, à la masturbation. Homme délicat de sentiment et cultivé au point de vue esthétique, il avait la pédérastie en horreur. Il considéra toujours son sentiment sexuel pervers comme quelque chose de morbide, sans s'en estimer malheureux, étant donné son libido et sa puissance manifestement affaiblis.

Le status præsens a montré les symptômes ordinaires de la neurasthénie. La taille, l'attitude et le vêtement ne présentaient rien d'étrange. Le massage électrique eut un succès extraordinaire. Au bout de quelques séances, le malade était très ragaillardi au physique et au moral. Après vingt séances, le libido s'est réveillé de nouveau, non dans le sens qu'il avait jusqu'ici, mais avec une tendance normale, la même que le malade eut jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. À partir de ce moment ses rêves érotiques n'eurent pour objet que la femme, et un jour le malade me raconta avec joie qu'il avait fait le coït et qu'il y avait éprouvé le même plaisir qu'il y a vingt-six ans. Il cohabitait de nouveau avec sa femme et espérait être délivré pour jamais de la neurasthénie et de l'inversion sexuelle. Cette espérance s'est justifiée pendant les six mois que j'ai encore eu l'occasion d'observer le malade.

Ordinairement le traitement physique, même soutenu par la thérapie morale, par des conseils énergiques d'éviter la masturbation, de supprimer les sentiments homosexuels et d'éveiller les tendances hétérosexuelles, ne suffit pas, même dans les cas d'inversion sexuelle acquise.

Seul le traitement psychique—la suggestion—peut être efficace.

L'observation suivante montre un exemple intéressant et réconfortant du succès obtenu par l'autosuggestion dans les formes atténuées de l'anomalie.


Observation 133.—Autobiographie d'un hermaphrodite psychique.—Lutte victorieuse de l'individu contre ses penchants homosexuels.

Mon père a eu une attaque d'apoplexie, mais il guérit en gardant une légère déviation de la figure. Ma mère était très anémique et très mélancolique. Tous deux ont beaucoup souffert d'hémorrhoïdes; mon père leur attribuait les maux de reins dont il souffrait par moments, même après son mariage.

Je suis, si j'ose m'exprimer ainsi, un caractère passif. Étant enfant je m'abandonnais à toutes sortes d'imaginations (les religieuses y compris). Je mouillais mes draps et pendant mon sommeil je m'amusais avec mes parties génitales, jusqu'au jour où mon père, pour m'en empêcher, m'attacha les mains. (J'étais à cette époque tout enfant et je ne me masturbais pas.) J'ai toujours été timide et maladroit dans mes rapports avec les autres. À l'âge d'environ quatorze ou quinze ans je fus poussé à l'onanisme. L'impulsion et les désirs pour la femme qui se sont manifestés lors de l'éveil de mon sentiment sexuel, n'étaient au fond que de nature platonique; d'ailleurs je n'avais pas d'occasions de me mettre en relation avec des dames. À l'âge d'environ dix-huit ans j'ai essayé de satisfaire d'une façon naturelle mon besoin sexuel, plutôt poussé par la curiosité que par une impulsion intérieure. Sans avoir eu jamais d'inclination pour la femme, j'ai depuis ce temps satisfait mon besoin par des rapports sexuels chaque fois que j'en ai eu l'occasion.

Peu après la période de la puberté, je devins très anémique et je paraissais plus que mon âge. Alors des pensées mélancoliques et des idées étranges se firent jour. J'éprouvais une vraie volupté à me représenter dans l'état de la plus grande humiliation possible. Il peut être intéressant d'ajouter encore qu'à cette époque je luttais contre des doutes religieux et que ce n'est que plus tard que j'ai trouvé le courage de me placer au-dessus de la religion. Je tombais amoureux des jeunes gens. Au commencement je résistai à ces idées, mais plus tard elles sont devenues si puissantes que je suis devenu un véritable uraniste. Les femmes me paraissaient n'être que des êtres humains de seconde classe. J'étais dans un état d'esprit désolant. Avec une lassitude de la vie, des tendances à la misanthropie s'installèrent dans mon âme malade. Un jour je lus l'ouvrage: Was will das werden? (Qu'adviendra-t-il?) Et avant que j'aie pu m'en rendre compte, j'étais devenu démocrate-socialiste, mais dans le sens idéal. La vie avait de nouveau une valeur pour moi, car j'avais un idéal: la lutte pacifique pour le relèvement social du prolétariat. Cela produisit une puissante révolution dans mon être. Comme dans mes meilleurs jours (à l'âge de seize et dix-sept ans), je m'enthousiasmais pour l'art et notamment pour le théâtre. À l'heure qu'il est, je travaille à un drame et à une comédie, et je roule dans ma tête de grandes idées. J'ai lu une remarque de Schlegel que Sophocle devait son énergie et sa puissance de travail aux exercices physiques, son sens artistique à la musique. Puis un autre passage: «L'auteur dramatique doit être avant tout d'une intelligence intacte.» Cela me tomba comme une lourde pierre sur l'âme; car mes sentiments sexuels invertis ne pouvaient être sortis d'un esprit sain et droit.

Je conçus alors l'idée de me faire traiter par l'hypnotisme, mais la honte m'en empêcha. Je me dis alors que je devais être, au fond, un être lâche et bien faible pour avoir si peu de confiance en moi-même et je résolus sérieusement de supprimer mes désirs uranistes. En même temps, je combattis par un régime rationnel ma nervosité. Je faisais des parties de canot; je fréquentais la salle d'armes, je marchais beaucoup en plein air, et j'eus la joie, en me réveillant un matin, de me trouver comme un homme tout à fait transformé. Quand je pensais à mon passé entre vingt et vingt-six ans, il me semblait que, pendant cette période, un homme tout à fait étranger et dégoûtant avait logé dans ma peau.

J'étais tout étonné que le plus bel écuyer, le camionneur de bière le plus vigoureux ne m'inspirassent plus aucun intérêt; les musculeux tailleurs de pierres même me laissaient froid. J'avais du dégoût en pensant que de pareils gens avaient pu me sembler beaux. Ma confiance en moi-même s'augmente; je suis très bon, c'est vrai, mais je suis d'un caractère foncièrement actif. Mon extérieur s'est continuellement amélioré depuis l'âge de vingt ans. J'ai maintenant l'air que comporte mon âge. J'ai, c'est vrai, des rechutes dans mes désirs uranistes, mais je les supprime avec énergie. Je ne satisfais mon libido que par le coït, et j'espère qu'en continuant ce genre de vie rationnel l'envie du coït s'accroîtra.

Ordinairement c'est la suggestion par un tiers et la suggestion provoquée par l'hypnose qui offrira des chances de succès.

Dans ces cas la suggestion posthypnotique doit désuggérer l'impulsion à la masturbation ainsi que les sentiments homosexuels, et, d'autre part, inculquer au malade la confiance dans sa puissance et lui donner des penchants hétérosexuels.

La condition première est naturellement la possibilité d'amener une hypnose suffisamment profonde. C'est précisément ce qui ne réussit pas souvent chez les neurasthéniques; car ils sont trop excités, embarrassés, et peu en état de pouvoir concentrer leur idées.

Ainsi dans un cas que j'ai rapporté (T. I, fascicule II, p. 58 de Internationale Centralblatt für die Physiologie und Pathologie der Harn und Sexualorgane), je n'ai pas réussi à obtenir l'hypnose bien que le malade la désirât vivement et fît tout son possible pour y parvenir.

Étant donnés les bienfaits énormes qu'on peut rendre à ces malheureux, quand on se rappelle le fait de Ladame (voir plus loin), on devrait dans de pareils cas faire tout son possible pour forcer l'hypnose, seul moyen de salut. Le résultat fut satisfaisant dans les trois cas suivants.


Observation 134. (Inversion sexuelle acquise par la masturbation.)—M. X..., négociant, vingt-neuf ans.

Les parents du malade étaient bien portants. Dans la famille du père, aucune trace de nervosité.

Le père était un homme irritable et morose. Un frère du père avait été un viveur et est mort célibataire.

La mère est morte à sa troisième couche, le malade avait six ans; elle avait une voix grave et rauque, plutôt virile, et était très brusque dans ses allures.

Parmi les enfants nés de cette union, il y a un frère du malade qui est irritable, mélancolique et indifférent aux femmes.

Étant enfant, le malade eut une rougeole avec délire. Jusqu'à l'âge de quatorze ans, il était gai et sociable; à partir de cette époque, il est devenu calme, solitaire, mélancolique. La première trace de sentiment sexuel s'est fait remarquer à l'âge de dix à onze ans; il fut alors initié par d'autres garçons à l'onanisme et pratiqua avec eux l'onanisme mutuel.

À l'âge de treize à quatorze ans il eut sa première éjaculation. Jusqu'à il y a trois mois, le malade ne s'est aperçu d'aucune conséquence fâcheuse de l'onanisme.

À l'école il apprenait avec facilité; parfois il avait des maux de tête. À partir de l'âge de vingt ans, il a eu des pollutions, bien qu'il se masturbât tous les jours. Quand il avait des pollutions, il rêvait de scènes d'accouplement; il voyait comment l'homme et la femme accomplissaient l'acte. À l'âge de dix-sept ans, il a été amené par un homme homosexuel à pratiquer l'onanisme mutuel. Il y a éprouvé de la satisfaction, car il a toujours eu d'énormes besoins sexuels. Il s'est passé un temps assez long avant que le malade ait cherché une nouvelle occasion d'avoir des rapports avec un homme. Il s'agissait seulement pour lui de se débarrasser de son sperme.

Il n'éprouvait ni amitié, ni amour pour les personnes avec lesquelles il entretenait des rapports. Il n'éprouvait de satisfaction que lorsqu'il était dans le rôle actif et qu'on le manustruprait. Une fois l'acte accompli, il n'avait que du mépris pour l'individu. Quand, avec le temps, le personnage lui inspirait de l'estime, il cessait les relations. Plus tard, il lui fut indifférent de se masturber ou d'être masturbé. Quand il se masturbait lui-même, il pensait toujours à la main des hommes sympathiques qui l'onanisaient. Il préférait les mains dures et rugueuses.

Le malade croit que, sans la séduction, il se serait dirigé dans les voies de la satisfaction naturelle de l'instinct génital. Il n'a jamais éprouvé de l'amour pour son propre sexe, mais il s'est plu à l'idée de cultiver l'amour avec des hommes. Au commencement il a eu des émotions sensuelles en face de l'autre sexe. Il aimait à danser; il se plaisait avec les femmes, mais il regardait plutôt leur corps que leur figure. Il avait eu aussi des érections en voyant une femme sympathique, il n'a jamais essayé de faire le coït, car il craignait l'infection; il ignore même s'il serait puissant en présence d'une femme. Il croit que tel ne serait pas le cas, car ses sentiments pour les femmes se sont refroidis, surtout depuis cette dernière année.

Tandis qu'auparavant, dans ses rêves érotiques, il avait des représentations d'hommes et de femmes, plus tard, il ne rêvait plus que de rapprochements avec des hommes. Il ne peut se rappeler d'avoir, ces années dernières, rêvé de rapports sexuels avec une femme. Au théâtre, ce sont toujours les figures féminines qui l'intéressent, de même au cirque et au bal. Dans les musées, il se sent également attiré par les statues masculines et féminines.

Le malade fume beaucoup, boit de la bière, aime la compagnie des messieurs, est gymnaste et patineur. Les manières fates lui ont toujours été odieuses; il n'a jamais eu le désir de plaire aux hommes, mais plutôt le désir de plaire aux dames.

Il ressent péniblement son état actuel, l'onanisme ayant pris trop d'empire. L'onanisme qui, autrefois, était inoffensif, montre maintenant ses effets nuisibles.

Depuis le mois de juillet 1889, il souffre de névralgie des testicules; la douleur se fait sentir surtout pendant la nuit; il a souvent des tremblements la nuit, (irritabilité réflexe exagérée): le sommeil ne le repose pas; le malade s'éveille avec des douleurs dans les testicules. Il est maintenant porté à se masturber plus souvent qu'autrefois. Il a peur de l'onanisme. Il espère que sa vie sexuelle pourra encore être ramenée dans les voies normales. Il pense à l'avenir; il a même déjà noué une liaison avec une demoiselle qui lui est sympathique, et l'idée de l'avoir comme épouse lui est agréable.

Depuis cinq jours il s'est abstenu de l'onanisme, mais il ne croit pas qu'il serait capable d'y renoncer par sa propre force. Ces temps derniers, il était très abattu, n'avait plus envie de travailler, se sentait las de la vie.

Le malade est grand, vigoureux, bien bâti, très barbu. Le crâne et le squelette sont normaux.

Réflexes profonds très accentués, pupilles plus larges que la moyenne, égales, réagissant très promptement. Carotides de calibre égal. Hyperæsthesia urethræ. Les cordons spermatiques et le testicule ne sont pas sensibles; les parties génitales sont tout à fait normales.

On rassure le malade; on le console par l'espoir d'un avenir heureux à la condition qu'il renonce à l'onanisme et qu'il reporte son sentiment actuel pour son propre sexe vers les femmes.

Ordonnance: demi-bains (24—20° R.), antipyrine, 1 gr. pro die; le soir 4 grammes de bromure de potassium.

13 décembre. Le malade vient tout effrayé et troublé à la consultation, disant qu'il ne pourra par sa propre force résister à l'onanisme; il prie qu'on l'aide.

Un essai d'hypnose plonge la malade dans un profond engourdissement.

Il reçoit les suggestions suivantes:

1º Je ne puis, ne dois et ne veux plus faire de l'onanisme;

2º J'ai en horreur l'amour pour mon propre sexe et je ne trouverai plus beau aucun homme;

3º Je veux guérir et je guérirai; j'aimerai une brave femme, je serai heureux et je la rendrai heureuse.

14 décembre. Le malade, en se promenant, a vu un bel homme et s'est senti puissamment attiré vers celui-ci.

À partir de ce moment, tous les deux jours, séances hypnotiques avec les suggestions sus-indiquées. Le 18 décembre, (quatrième séance) on réussit à obtenir le somnambulisme. L'impulsion à l'onanisme et l'intérêt pour les individus masculins diminuent.

Dans la huitième séance, on ajoute aux suggestions sus-mentionnées celle de la «puissance complète». Le malade se sent moralement relevé et physiquement renforcé. La névralgie des testicules a disparu. Il trouve qu'il est maintenant au zéro du sentiment sexuel.

Il croit être débarrassé de la masturbation et de l'inversion sexuelle.

Après la onzième séance, il déclare n'avoir plus besoin des séances médicales. Il veut rentrer chez, lui et épouser une fille. Il se sent tout à fait bien portant et puissant. Le malade est renvoyé au commencement du mois de janvier 1890.

En mars 1890, le malade m'écrit: «J'ai eu depuis encore quelquefois besoin de rassembler toutes mes forces morales pour combattre mon ancienne habitude et Dieu merci! j'ai réussi à me délivrer de ce mal. Plusieurs fois déjà j'ai pu accomplir le coït et j'y ai éprouvé un plaisir assez sérieux. Je compte avec tranquillité sur l'avènement d'un avenir heureux.»


Observation 135. (Inversion sexuelle acquise. Amélioration notable par le traitement hypnotique.)—M. P..., né en 1803, employé d'un établissement industriel, est issu d'une famille de patriciens très considérée en Allemagne centrale, famille dans laquelle la nervosité et les maladies mentales étaient fréquentes.

L'aïeul du côté paternel et sa sœur sont morts aliénés, la grand'mère est morte d'apoplexie, le frère du père est mort fou, la fille de ce dernier a péri d'une tuberculose cérébrale; le frère de la mère s'est suicidé dans un accès de folie. Le père du malade est très nerveux; un frère aîné est gravement atteint de neurasthénie compliquée d'anomalie de la vita sexualis; un autre frère est l'objet de l'observation 118 de la sixième édition de la Psychopathia sexualis, un troisième frère a une conduite excentrique et aurait, dit-on, des monomanies; une sœur souffre de crampes, une autre sœur est morte en bas âge de convulsions.

Le malade est taré, car dès sa première jeunesse, il était très bizarre, irritable, emporté; il faisait à son entourage l'impression d'un individu anormal.

De très bonne heure, la vita sexualis se manifesta chez lui violemment, il est venu à l'onanisme sans y être entraîné. À partir de l'âge de seize ans, ce garçon, très développé pour son âge, fréquentait les bordels de la capitale, profitant de ses sorties du dimanche et des jours de fêtes. Il faisait le coït avec plaisir, et pendant les jours de la semaine, il se satisfaisait par l'onanisme. À partir de l'âge de vingt ans, le malade, devenu indépendant, fit des excès avec des prostituées; il fut à la suite atteint de neurasthenia sexualis, devint relativement impuissant, et ne trouva plus de satisfaction dans le coït, à cause de sa faiblesse d'érection et de l'ejaculatio præcox. Son libido sexualis devint plus puissant que jamais; il le satisfaisait par l'onanisme. Au commencement de l'année 1888, le malade fit la connaissance d'un jeune homme.

«Par sa figure agréable, ses manières câlines et les belles formes extérieures de son corps, il s'acquit toute mon affection. J'avais le désir de lui adresser la parole et je me réjouissais d'avance du moment où je pourrais le voir, j'étais tout à fait amoureux de lui. Avec cette passion s'éteignit mon amour pour les femmes. Cet homme pouvait m'exciter à un tel point que pendant des minutes, je sentais ma mémoire s'évanouir et que je ne pouvais que balbutier.

«Bientôt après, je fis la connaissance d'un monsieur qui m'était sympathique aussi et qui devait avoir une influence décisive sur le reste de ma vie. Il était homosexuel. Je lui avouai que je n'éprouvais plus que du dégoût pour le sexe féminin et que je me sentais attiré vers l'homme.

«Un jour que je demandais à mon camarade comment il s'y prenait pour amener des soldats à se livrer à lui, il me répondit que la principale chose était d'avoir de l'aplomb et qu'alors on pouvait faire marcher n'importe qui. Vers la fin de 1888, me rappelant ce conseil, je me rapprochai d'un brosseur d'officier qui m'avait puissamment excité, bien que jamais aucune éjaculation n'en eût résulté. Voyant que ce soldat ne voulait pas se livrer, je n'insistai plus auprès de lui. Alium quondam militem in cubiculum allectum rogavi ut, veste exuta, mecum in lectum concumberet. Rogatus fecit quæ volui et alter alterius penem trivit.

«Bien qu'après ce succès heureux j'aie encore abusé de beaucoup de gens, je n'étais pour ainsi dire amoureux que d'un seul. C'était un très joli garçon de dix-sept ans. Sa voix me semblait si caressante, ses manières étaient si convenablement tendres, qu'aujourd'hui encore je ne puis l'oublier. Dans mes rêves je ne m'occupais que de beaux jeunes gens et souvent ma sensualité réveillée m'empêchait de dormir des nuits entières».

Au commencement de l'année 1889, les manières du malade éveillèrent des soupçons d'amour homosexuel. Une dénonciation dont il était menacé, le déprima profondément et il songea à se suicider. Sur le conseil du médecin de la famille, il partit pour la capitale. Comme le malade était incapable de renoncer par sa propre volonté à ses goûts habituels, on commença à lui appliquer le traitement hypnotique. On n'obtint qu'un léger engourdissement qui n'eut qu'un succès minime, étant données les séductions des anciens amants dans la proximité desquels le malade se trouvait.

À cette époque, il ne manquait pas encore de principes moraux solides. La situation s'améliora grâce à l'idée de sa famille désolée, et par la crainte d'une poursuite judiciaire dont il était sérieusement menacé.

Le malade se décida à essayer de se soumettre au traitement de l'auteur de ce livre.

J'ai trouvé en lui un homme délicat, pâle, gravement neurasthénique, qui désespérait de son avenir, mais qui n'avait aucun stigmate extérieur de dégénérescence. Le malade reconnaissait qu'il se trouvait dans une fausse position et semblait vouloir faire tout son possible pour redevenir un homme honnête et convenable.

Il regrettait profondément sa perversion sexuelle qu'il jugeait comme morbide, mais qu'il croyait acquise. Il ne me cacha nullement qu'en présence de jeunes gens il n'était plus maître de lui et qu'il ne pouvait pas garantir non plus de pouvoir s'abstenir de l'onanisme auquel il était forcé d'avoir recours faute de mieux. Seule une volonté puissante pourrait par suggestion l'en préserver.

Son amour homosexuel a consisté jusqu'ici exclusivement en onanisme mutuel; l'érection ne se produit chez lui qu'au contact des hommes aimés; l'éjaculation a lieu très tôt, mais l'accolade seule ne suffit pas pour la provoquer. Il ne s'est pas senti dans un rôle sexuel particulier vis-à-vis de l'homme. Les parties génitales et les organes végétatifs sont normaux.

En dehors des dispositions pour un traitement contra neurastheniam, on a commencé, le 8 avril 1890, un traitement hypnotico-suggestif.

L'hypnose réussit facilement par le simple regard et la suggestion verbale. Après une demi-minute, le malade tomba dans un profond engourdissement avec attitude cataleptiforme des muscles. Le réveil eut lieu en lui suggérant qu'il se réveillerait en comptant jusqu'à trois. Parfois, on pouvait obtenir des suggestions post-hypnotiques. Les suggestions intra-hypnotiques avaient pour sujet:

1º Défense de s'onaniser;

2º Ordre formel de considérer l'amour homosexuel comme méprisable, dégoûtant et impossible;

3º Ordre de ne trouver de beauté que chez les dames, de s'approcher d'elles, de rêver d'elles, de sentir du libido et de l'érection à leur aspect.

Les séances ont eu lieu quotidiennement. Le 14 avril, le malade m'annonça avec contentement et une sorte de satisfaction morale qu'il a fait le coït avec plaisir et qu'il avait éjaculé tardivement.

Le 16, il se sentit exempt de tendances onanistes, attiré vers la femme et tout à fait indifférent envers les hommes. Il rêve de charmes féminins et a des rapports avec des femmes.

Le 1er mai, le malade paraît tout à fait normal sexuellement et il se sent comme tel. Il est devenu au physique un tout autre homme, plein de courage et de confiance en lui-même.

Il fait le coït normal avec une satisfaction parfaite et il se croit à l'abri de toute rechute.

Dans une lettre écrite plus tard M. P... dit:

«Ce qui n'est pas autrement remarquable, c'est que je suis toujours délivré de ces aberrations. La seule chose qui me rappelle encore cette période sombre, ce sont les rêves, rares il est vrai, de mon passé désolé que je n'ai pas le pouvoir de bannir et qui parfois occupent même agréablement mes pensées. Par ma propre volonté, je l'espère, je réussirai pourtant à m'en débarrasser bientôt tout à fait. Dans le cas où je redeviendrais faible, vos exhortations instantes, j'en suis sûr, feront que je résisterai avec énergie et que je ne succomberai point.»

Le 20 octobre 1890 P... m'écrivait:

«Je suis complètement guéri de l'onanisme et l'amour homosexuel ne trouve plus de sympathie en moi. Mais la puissance complète ne semble pas encore rétablie, bien que je vive avec un régime très réglé. Toutefois je me sens content.»


Observation 136. (Inversion sexuelle acquise.)—Z..., fonctionnaire, trente-deux ans, né d'une mère hystéropathe. La mère de la mère souffrait également d'hystérie, et tous ses frères et sœurs avaient des maladies de nerfs. Un frère est uraniste. Z... était faiblement doué d'esprit; il apprenait difficilement. En dehors de la scarlatine, il n'eut pas de maladies d'enfance. À treize ans, il fut amené par des camarades de pensionnat à pratiquer l'onanisme. Il était sexuellement hyperesthésique; il commença à l'âge de dix-sept ans à faire le coït qu'il pratiquait avec plaisir et puissance complète. À l'âge de vingt-six ans, mariage par raison d'argent et pour sa position sociale. Le ménage fut malheureux. Après un ans, Mme Z..., à la suite d'une maladie utérine très grave, devint incapable de supporter le coït. Z... satisfaisait ses grands besoins avec d'autres femmes et, faute de mieux, par la masturbation. Il s'adonna, en outre, à la passion du jeu, mena une vie tout à fait dissolue, devint gravement neurasthénique et essaya de ranimer ses nerfs usés en buvant de grandes quantités de vin et de cognac. À ses malaises essentiellement cérébrasthéniques se joignirent alors des crises de rire et de pleurs; il devint très émotif. Son libido nimia subsistait toujours sans être diminué. Par suite du dégoût qu'il avait toujours eu des prostituées et de la crainte des maladies, il ne se satisfaisait qu'exceptionnellement par le coït. Dans la plupart des cas, il se soulageait par l'onanisme.

Il y a quatre ans, il s'aperçut d'un affaiblissement progressif de l'érection et de la diminution du libido pour la femme. Il commença à se sentir attiré vers les hommes, et les scènes de ses rêves érotiques n'avaient plus pour objet la femme mais des individus masculins.

Il y a trois ans, comme un garçon de bain le massait, il fut très excité sexuellement (le domestique avait aussi de l'érection, ce qui frappa l'attention du malade). Il ne put pas se retenir de se serrer contre le garçon, de l'embrasser et de se faire masturber par lui, ce que celui-ci fit volontiers. À partir de ce moment ce genre de satisfaction sexuelle fut le seul qui lui convint. La femme lui est devenue tout à fait indifférente. Il ne courait qu'après les hommes. Cum talibus masturbationem mutuam fecit, concupivit cum iis dormire. Il abhorrait la pédérastie. Il se sentait tout à fait heureux, quand une lettre anonyme (datée du mois d'août 1889) qui l'engageait à être prudent, le ramena à la conscience de sa situation. Il fut profondément bouleversé, eut des attaques hystériques, fut complètement déprimé, eut honte devant les autres hommes, se sentit comme un paria dans la société, médita un suicide, s'ouvrit à un prêtre qui le rassura. Il tomba ensuite dans les idées religieuses, voulut entre autres entrer dans un couvent par pénitence et pour se guérir de ses aberrations sexuelles. En proie à cet état d'esprit, le malade tomba par hasard sur mon livre Psychopathia sexualis. Il fut épouvanté, honteux, mais il trouva une consolation dans l'idée qu'il devait être malade. Sa première idée fut de se réhabiliter sexuellement devant lui-même. Il surmonta toute son aversion, essaya le coït dans un bordel, ne réussit pas d'abord par suite de sa trop grande excitation, mais finit par remporter un succès.

Comme ses sentiments d'inversion sexuelle ne disparaissaient pas, bien qu'il s'efforçât de les refouler par toutes sortes de moyens possibles, il vint me trouver et me demander des soins médicaux. Il se sentait, dit-il, affreusement malheureux, près du désespoir et du suicide. Il voyait devant lui l'abîme et il voudrait être sauvé à tout prix.

Sa confession fut interrompue à plusieurs reprises par de violents accès hystériques. Des affirmations rassurantes, l'espoir du salut le calmèrent.

Au point de vue physique, la malade a le front un peu fuyant; pas d'autres stigmates de dégénérescence. L'irritation spinale, les réflexes profonds exagérés, la congestion de la tête, indiquaient la neurasthénie. Du côté des parties génitales point d'anomalies, mais l'urethra était hyperesthésié. Sa mine était troublée, son maintien relâché; vie psychique désordonnée et sans aucune consistance.

Ordonnance: demi-bains, frictions, antipyrine, bromure. Interdiction de s'onaniser, d'avoir des rapports avec des hommes; interdiction d'avoir des pensées libidineuses portant sur des hommes.

Le malade revient après quelques jours et se plaint qu'il n'est pas assez fort pour exécuter ce programme. Sa volonté est trop faible. Étant donnée cette situation précaire, il n'y a que la suggestion hypnotique qui puisse porter remède.

Suggestions: 1º Je déteste l'onanisme, je ne puis et ne veux plus me masturber.

2º Je trouve le penchant pour l'homme dégoûtant, détestable. Jamais je ne trouverai plus l'homme ni beau, ni désirable.

3º Je trouve que seule la femme est désirable. Je ferai le coït avec plaisir et avec puissance, une fois par semaine.

Le malade accepte ces suggestions et les répète d'une voix balbutiante.

Les séances ont lieu tous les deux jours. À partir du 15 on réussit à obtenir l'état somnambulique avec suggestions posthypnotiques à volonté. Le malade reprend une certaine solidité morale et se rétablit au physique, mais des malaises cérébrasthéniques le tourmentent encore; parfois il a encore des rêves d'hommes pendant la nuit, et à l'état de veille des penchants vers l'homme, ce qui le déprime.

Le traitement dure jusqu'au 21 septembre. Résultat: le malade est guéri de l'onanisme; il n'est plus excité par les hommes mais bien par les femmes. Coït normal tous les huit jours. Les malaises hystériques ont disparu; les malaises neurasthéniques sont très atténués.

Le 6 octobre, le malade m'annonce par lettre qu'il se porte bien, et me remercie en paroles émues de l'avoir «sauvé d'un abîme profond». Il se sent rendu à une nouvelle vie.

Le 9 décembre 1889, le malade revient pour être soumis de nouveau à mon traitement. Il a eu, ces temps derniers, deux fois des rêves érotiques d'hommes, mais à l'état de veille il n'a éprouvé aucun penchant pour l'homme, il a pu aussi résister à la tentation de se masturber, bien que vivant seul à la campagne il n'eût pas d'occasions de faire le coït. Il a plus que de l'inclination pour l'autre sexe, et ordinairement il ne rêve que de personnes féminines; rentré dans la capitale, il a fait le coït et en a éprouvé du plaisir. Le malade se sent réhabilité moralement, presque débarrassé des malaises neurasthéniques, et déclare, après trois nouvelles séances hypnotiques, que maintenant il se croit tout à fait guéri et à l'abri de toute rechute. Toutefois une rechute a eu lieu au mois de septembre 1890. Le malade, après un surmenage physique dans un voyage à travers de hautes montagnes et une série d'émotions morales, et de plus par manque d'occasions de faire le coït, était redevenu neurasthénique.

Il eut de nouveau des rêves d'hommes, se sentit attiré vers des hommes sympathiques. Il se masturba plusieurs fois et n'éprouva plus de vrai plaisir lorsque, rentré dans la ville, il fit le coït. Du reste, par un traitement antineurasthénique et une seule hypnose, on réussit vite à rétablir sa santé et à rendre sa conduite normale.

Au cours des années 1890 et 1891, le malade eut encore par-ci par là des tendances à l'inversion sexuelle et des rêves dans ce sens, mais seulement lorsque, à la suite d'émotions morales ou d'excès, la névrose se manifestait de nouveau. Dans ces moments, le coït ne lui procurait plus de satisfaction. Le malade s'est vu alors dans la nécessité de faire rétablir l'équilibre par quelques séances hypnotiques, ce qui a toujours facilement réussi.

À la fin de l'année 1891, le malade déclare avec satisfaction que depuis son traitement il a su se maintenir à l'abri de la masturbation et des rapports homosexuels, et que sa confiance en lui-même, de même que son estime de lui-même, s'est consolidée de nouveau.

Quant aux autres cas d'inversion acquise, guéris par l'emploi de la suggestion hypnotique, consulter Wetterstrand, Der Hypnotismus und seine Anwendung in der praktischen Medicin, 1891, p. 52; Bernheim Hypnotisme, Paris, 1891, etc., p. 38.

Les faits que nous venons de citer et qui montrent le succès de la suggestion hypnotique en présence des cas d'inversion sexuelle acquise, font supposer qu'il est possible de porter secours aussi aux malheureux qui sont atteints d'inversion sexuelle congénitale.

Bien entendu, la situation dans ces derniers cas est tout autre, en tant qu'il s'agit de combattre une anomalie congénitale, de détruire une existence psycho-sexuelle morbide pour en créer à sa place une nouvelle qui soit saine. Cet effet paraît a priori impossible à obtenir, du moins chez l'uraniste prononcé. Mais, ce qui est en apparence impossible, devient possible par l'emploi d'artifices; cela ressort du cas de Schrenck-Notzing que nous trouverons plus loin. Il dépasse de beaucoup le cas que j'ai rapporté et dans lequel du moins la désuggestion des sentiments homosexuels a réussi avec l'emploi de l'hypnose.

Une observation analogue est rapportée par Ladame (voir plus loin).

Les conditions sont de beaucoup plus favorables chez l'hermaphrodite psycho-sexuel, chez qui on peut du moins renforcer par la suggestion et faire prévaloir les éléments et le sentiment hétérosexuel qui existent chez l'individu malade.


Observation 137.—Je suis enfant illégitime, né en 1858. Ce n'est que tard, en suivant les traces obscures de mon origine, que j'ai pu avoir des renseignements sur l'individualité de mes parents. Ces renseignements, malheureusement, sont très incomplets. Mon père et ma mère étaient cousins. Mon père est mort il y a trois ans; il s'était marié avec une autre femme et avait plusieurs enfants qui, autant que je sais, sont bien portants.

Je ne crois pas que mon père ait eu de l'inversion sexuelle. Étant enfant, je l'ai vu souvent sans me douter que c'était mon père. Il avait un aspect vigoureux et viril. D'ailleurs, on dit qu'à l'époque de ma naissance ou auparavant, il aurait eu une maladie vénérienne.

J'ai vu plusieurs fois ma mère dans la rue, mais j'ignorais alors que c'était ma mère. Elle devait avoir environ vingt-quatre ans, lorsque je suis venu au monde. Elle était de grande taille, de mouvements brusques et énergiques et d'un caractère résolu. On dit qu'à l'époque de ma naissance elle a beaucoup voyagé, déguisée en homme, qu'elle a porté les cheveux courts, fumé de longues pipes et en général qu'elle s'est fait remarquer alors par ses allures excentriques. Elle possédait une excellente instruction, avait été belle dans sa jeunesse; elle est morte sans avoir été jamais mariée et a laissé une fortune considérable.

Tout cela permettrait, le cas donné, de conclure à des penchants homosexuels ou du moins à l'existence d'anomalies. Ma mère a, plusieurs années avant ma naissance, donné le jour à une fille. Cette sœur que je n'ai jamais connue, s'est mariée très jeune; mais elle s'est empoisonnée après quelques années de mariage, pour des raisons que j'ignore encore.

J'ai 1 m. 70 de taille; 0 m. 92 de tour; le tour de mes reins est de 1 m. 02; je crois donc avoir le bassin un peu fortement développé. Le pannicule graisseux a été très développé chez moi de tout temps. La charpente osseuse est vigoureuse. La musculature est bien faite, mais pas assez développée, peut-être faute d'exercice ou peut-être sous l'influence de l'onanisme que j'ai pratiqué de bonne heure et avec persévérance: de sorte que je parais plus fort que je ne le suis. Le système pileux, les cheveux et la barbe sont normaux. Les poils des parties génitales sont quelque peu clairsemés. Le reste du corps est presque glabre. Tout mon extérieur a un caractère tout à fait viril. La démarche, le maintien, la voix, sont d'un homme complet, et d'autres uranistes m'ont souvent dit qu'ils ne se doutaient pas du tout de ma passion. J'ai servi dans l'armée et j'ai toujours pris plaisir aux exercices du cavalier, monter à cheval, faire de l'escrime, nager, etc.

Ma première éducation a été dirigée par un prêtre. Je n'avais guère de camarades de jeu pour ainsi dire. La vie de famille de mes parents d'adoption était irréprochable. Au mois d'octobre 1871, on m'a mis en pension. Là, j'ai commis les premiers actes pervers sur lesquels j'aurai à revenir en détail dans l'historique de ma vie sexuelle.

J'ai fait mes classes au lycée, puis mon service militaire comme volontaire d'un an; j'ai étudié ensuite la science forestière et je suis maintenant intendant d'un grand domaine. Je n'ai appris à parler qu'à l'âge de trois ans et ce fait a contribué à maintenir les gens dans la supposition que je suis hydrocéphale. À partir de l'époque où j'allai à l'école, mon développement intellectuel fut normal; j'apprenais même facilement, mais je n'ai jamais pu concentrer mon activité sur un point fixe. J'ai beaucoup de goût pour l'art et pour l'esthétique, mais aucun goût pour la musique. Dans mes premières années, j'avais le plus mauvais caractère qu'on puisse imaginer. Il a changé complètement au cours de ces derniers douze ans, sans que j'en puisse indiquer la cause. Aujourd'hui rien ne m'est plus haïssable que le mensonge et je ne dis plus rien de contraire à la vérité, pas même en plaisantant. Dans les affaires d'argent je suis devenu très économe, sans être pour cela avare.

Bref, aujourd'hui je ne pense qu'en rougissant à mon passé et je ne me considérerai à juste titre comme un parfait galant homme, que lorsque je pourrai être délivré de ma malheureuse perversion ou perversité sexuelle. J'ai bon cœur, toujours prêt à faire le bien dans la mesure de mes moyens, de caractère gai pour la plupart du temps; je suis un homme bien vu dans la société. Je n'ai aucune trace de cette irascibilité nerveuse qu'on remarque si souvent chez mes compagnons de souffrance. Je ne manque pas non plus de bravoure personnelle. Rien dans les premières phases de mon développement n'indique une anomalie. Il est vrai qu'étant encore enfant j'aimais à être au lit et à me coucher sur le ventre; je me suis, dans cette position, le matin, frotté avec plaisir le ventre contre le lit, ce qui a souvent fait rire mes parents adoptifs. Mais je ne me rappelle pas avoir ressenti de sensations voluptueuses par ces mouvements. Je n'ai jamais recherché particulièrement la camaraderie des petites filles et je n'ai jamais joué aux poupées. De très bonne heure, j'entendis parler des choses sexuelles. Mais en écoutant ce genre de conversation, je ne pensais à rien. Même dans la vie de mes rêves, il n'y avait alors rien qui touchât aux choses sexuelles. Il n'en était pas non plus question dans mes relations avec les garçons de mon âge. Je crois pouvoir affirmer que ma vita sexualis ne s'est éveillée qu'à l'âge de treize ans, au pensionnat, après avoir été entraîné par un camarade à l'onanisme mutuel. L'éjaculation ne se produisit pas encore; la première n'eut lieu qu'un an plus tard. Malgré cela, je me livrai avec passion au vice de l'onanisme. Mais à cette époque se manifestèrent déjà les premiers symptômes d'un penchant homosexuel. Des jeunes gens vigoureux, des débardeurs de la halle, des ouvriers, des soldats apparurent dans mes rêves, et l'évocation de leur image jouait un rôle pendant la masturbation. En même temps, il se manifesta une première inclination à la pédérastie, notamment à la pédérastie passive. Jusqu'à l'âge de quatorze ans j'ai fait souvent avec mon séducteur des essais de pédérastie mutuelle sans que l'on ait réussi à accomplir une immissio. Parallèlement à ces tendances, il existait encore un penchant faible pour le sexe féminin. Environ six mois après la première masturbation, j'allai une fois chez une puella publica, mais je n'eus ni éjaculation ni volupté particulière. Plus tard j'ai fait jusqu'à l'âge de dix-neuf ans six fois le coït dans des maisons publiques. L'érection et l'éjaculation se produisaient promptement, mais sans me procurer une grande volupté. L'onanisme, surtout pratiqué mutuellement, m'était au moins aussi agréable que le coït. Je n'ai jamais eu ce qu'on appelle un «amour de lycéen». Il y a dix ans, lorsque je me trouvais à la station balnéaire de H., je crus qu'il s'éveillait en moi de l'amour pour une dame d'une beauté extraordinaire qui appartenait à une grande famille; je me sentais bien près d'elle et je m'estimai heureux quand je constatai que mon amour était payé de retour. Aussi cette liaison me détourna pendant quelque temps de l'onanisme; seulement j'avais peur, par suite de l'onanisme pratiqué pendant des années, d'être affaibli et d'être incapable de remplir mes devoirs conjugaux. Quand nous fûmes ensuite séparés par la distance, mon affection se refroidit bien vite; je m'aperçus que je m'étais berné moi-même et, deux années plus tard, je pouvais apprendre sans la moindre jalousie, que cette dame s'était mariée. Mon penchant pour la femme—si jamais il avait existé—se refroidissait de plus en plus. Il y a deux ans et demi, étant allé avec des amis très virils dans une maison publique à H., je fis mon dernier coït. J'eus encore une érection, mais plus d'éjaculation. La femme m'est devenue indifférente; la prostituée qui se comporte avec effronterie, provoque mon indignation. J'aime la société des femmes spirituelles, surtout de celles qui sont déjà d'un certain âge, bien que dans la société je sois maladroit, gauche, et souvent même sans tact. Je n'ai jamais trouvé aucun charme aux formes du corps féminin.

Mais revenons à mes tendances perverses. Quand, à l'âge de quatorze ans, je suis venu à H..., j'ai perdu de vue mon amant, mon séducteur. Il avait quelques années de plus que moi, et il entra dans la carrière administrative à l'âge de dix-neuf ans, je l'ai rencontré pendant un voyage en chemin de fer. Nous avons interrompu notre voyage, pris une chambre commune et essayé de la pédérastie mutuelle; mais, à cause des douleurs, l'immissio ne nous a pas réussi. Nous nous sommes satisfaits alors par l'onanisme mutuel. À H..., j'ai eu des rapports sexuels avec deux condisciples, mais ces rapports se bornaient à de fréquentes masturbations mutuelles, mes deux camarades ne voulant pas se prêter à la pédérastie. Dans la dernière année de mon séjour à H..., j'avais alors dix-neuf ans, j'eus encore des rapports avec un troisième ami en pratiquant de l'onanisme; mais nos relations étaient déjà plus intimes; nous nous déshabillions et faisions de la masturbation mutuelle au lit. Du mois d'octobre 1869 jusqu'au mois de juillet 1870, je n'eus pas d'amant. Je faisais de la masturbation solitaire. Quand la guerre éclata, je voulus me faire enrôler comme volontaire, mais on ne m'a pas pris. En même temps que moi se présenta au bureau d'enrôlement un ancien camarade d'école qui depuis était devenu un jeune homme d'une rare beauté. J'ai dû partager avec lui dans un hôtel trop rempli le même lit pendant une nuit. Bien qu'à l'époque de notre séjour à l'école nous n'eussions jamais eu de rapports sexuels l'un avec l'autre, il se montra favorable à mes assiduités et fit une tentative de pédérastie. Elle ne réussit pas non plus, à cause des douleurs; cependant pendant ces essais il y eut ejaculatio ante anum meum. Aujourd'hui encore je me rappelle de la sensation de volupté que j'ai éprouvée et qui dépassa toute mon attente. Après la guerre j'ai encore souvent rencontré cet ami, mais nos rapports se bornèrent alors aux procédés d'onanisme mutuel. Pendant les dix-huit années suivantes, je n'ai eu que deux fois l'occasion de pratiquer l'amour homosexuel. L'hiver de l'année 1879 je rencontrai dans un compartiment de chemin de fer un beau hussard. Je le décidai à coucher avec moi dans un hôtel. Plus tard il m'avoua avoir déjà pratiqué l'onanisme mutuel avec le fils du châtelain de sa commune. Je ne pus le décider à la pédérastie. Par contre je provoquai chez lui de l'éjaculation par la receptio penis ejus in os meum. Ce procédé ne m'a procuré aucune satisfaction, mais du dégoût. Je n'y suis jamais revenu depuis et je n'ai pas accepté non plus la receptio penis mei in os alterius. En 1887 j'ai fait, c'était encore en chemin de fer, la connaissance d'un matelot que je décidai à rester avec moi à l'hôtel. Il prétendit, il est vrai, n'avoir encore jamais fait de la pédérastie, mais il s'y montra tout de suite disposé; il était dans une excitation sensuelle manifeste, eut immédiatement de l'érection et accomplit l'acte avec une ardeur non dissimulée. C'était la première fois que la pædicatio réussissait. J'eus, il est vrai, des douleurs atroces mais aussi une jouissance infinie.

Pendant mon séjour dans cette ville ma vita sexualis a subi un changement radical. J'ai constaté avec quelle facilité on peut, soit pour de l'argent, soit par goût, trouver des gens qui se prêtent à nos penchants. De tristes expériences avec des escrocs ne me furent pas épargnées non plus. Jusqu'à la fin de l'année passée j'ai goûté abondamment au plaisir de l'amour homosexuel et surtout de la pédérastie passive; depuis je n'ai pratiqué que l'onanisme mutuel de peur de contracter une maladie vénérienne. Je n'ai jamais été pédéraste actif, d'abord pour la simple raison que je n'ai trouvé personne qui pût supporter la douleur qui en résulte.

Je cherche de préférence mes amants parmi les cavaliers, les marins, éventuellement parmi les ouvriers, surtout les bouchers et les forgerons. Les hommes robustes, à la figure colorée, m'attirent particulièrement. Les culottes de peau ordinaire des cavaliers ont pour moi un charme particulier. Je n'ai pas de prédilection ni pour les baisers ni pour d'autres accessoires. J'aime aussi les grandes mains dures et rendues calleuses par le travail.

Je ne veux pas laisser passer inaperçu que, dans certaines circonstances, j'ai un grand empire sur moi-même.

Étant intendant d'un grand domaine, j'habitais une grande maison. Mon valet était un jeune homme d'une rare beauté, qui avait fait son service militaire dans les hussards. Après avoir causé une fois vaguement de cette affaire avec lui et appris à cette occasion qu'il était inaccessible, j'ai habité pendant des années avec ce jeune homme, je me suis réjoui de sa beauté, mais je ne l'ai jamais touché. Je crois qu'il ignore encore aujourd'hui ma passion. De même j'ai fait il y a deux ans et demi à C... la connaissance d'un matelot qu'aujourd'hui encore, mes amis et moi, nous déclarons être le plus bel homme que nous ayons jamais vu. Après une absence de plus de deux années, ce marin se rendit, il y a quelques semaines, à mon invitation et me fit une visite. Je sus m'arranger de façon à ce que nous couchions dans la même chambre; je brûlais du désir de m'approcher de lui. Mais avant je le sondai par une conversation confidentielle et quand j'appris qu'il méprisait tout ce qui avait rapport à l'amour homosexuel, je ne pus me décider à essayer de nouveaux rapprochements. Pendant des semaines nous avons partagé la même chambre, je me suis toujours réjoui à la vue de son corps superbe (dans les premiers jours j'en étais même excité sexuellement); j'ai pris avec lui un bain romain afin de pouvoir regardé son corps nu, mais il n'a jamais rien su de ma passion. Aujourd'hui encore j'ai une liaison idéale et platonique avec ce jeune homme qui a une instruction bien supérieure à sa position sociale et un joli talent de poète.

Jusqu'à l'âge de trente-huit ans, je n'ai pas eu une idée nette de ma situation. Je croyais toujours que je m'étais désaccoutumé de la femme par suite de l'onanisme trop précoce et pratiqué depuis, continuellement et avec intensité; j'espérais toujours que, quand je rencontrerais «la vraie femme», j'abandonnerais l'onanisme et que je pourrais trouver du plaisir avec elle. Je n'ai connu mon état qu'après avoir fait la connaissance de compagnons de souffrance et de gens de ma tendance. Je fus d'abord épouvanté; plus tard, je me suis résigné en me disant que mon sort ne dépend pas de moi. Aussi n'ai-je plus fait d'efforts pour résister à la tentation.

Il y a deux ou trois semaines, votre livre Psychopathia sexualis m'est tombé entre les mains. Cet ouvrage m'a fait une impression des plus profondes. Je l'ai d'abord lu avec un intérêt indubitablement lascif. La description de la formation des mujerados, par exemple, m'a beaucoup excité. L'idée qu'un jeune homme vigoureux soit émasculé de cette façon pour servir plus tard à la pédérastie de toute une tribu de peaux-rouges sauvages, vigoureux et sensuels, m'a tellement excité que, les deux jours suivants, je me suis masturbé cinq fois, toujours en rêvant que j'étais un de ces mujerados. Mais plus j'avançais dans la lecture du livre, plus j'en comprenais la portée sérieuse, morale, et plus j'ai pris en horreur mon état actuel. J'ai compris de mieux en mieux ce qu'il me faudrait faire pour amener, s'il en existe la moindre possibilité, un changement dans ma situation présente. Quand j'eus fini l'ouvrage, ma résolution était prise d'aller chercher remède chez l'auteur.

La lecture de l'ouvrage cité a eu sans doute un résultat. Depuis, je n'ai pratiqué que deux fois la masturbation solitaire, et deux fois avec des cavaliers. Dans ces quatre cas, j'ai eu bien moins de satisfaction qu'auparavant et j'ai toujours ce sentiment: «Ah! puisses-tu donc renoncer à tout cela!»

Néanmoins, je vous avoue que maintenant encore j'ai immédiatement des érections, quand je me trouve avec de beaux militaires.

Pour terminer, j'ajouterai encore que malgré, ou peut-être à cause de la fréquence de l'onanisme, je n'ai jamais eu de pollutions. L'éjaculation qui d'ailleurs ne consiste et n'a consisté habituellement qu'en quelques petites gouttelettes, ne se produit qu'après une friction d'une durée relativement longue.

Quand pour une raison ou pour une autre, je m'abstenais pendant longtemps de l'onanisme, l'éjaculation se produisait plus promptement et plus abondamment.

Il y a douze ans, Hansen a essayé, mais en vain, de m'hypnotiser.»

Au printemps de 1891 l'auteur de l'autobiographie précédente est venu me trouver, en me déclarant qu'il ne pouvait plus continuer cette existence et qu'il considérait le traitement hypnotique comme son dernier moyen de salut, ne se sentant pas lui-même la force nécessaire pour résister à son penchant funeste à l'onanisme et à la satisfaction sexuelle avec des personnes de son propre sexe. Il se sent comme un paria, un être contre nature, mis hors les lois de la nature et de la société, et se trouvant de plus en danger de tomber entre les mains des juges.

Il éprouve une horreur morale en accomplissant l'acte sexuel avec un individu masculin, et pourtant il se sent comme électrisé à la vue d'un beau troupier.

Depuis des années, il n'a plus la moindre sympathie, pas même morale, pour la femme.

La malade m'a paru, au point de vue physique et psychique, exactement tel qu'il s'est présenté dans son autobiographie.

J'ai pu constater que le crâne est un peu hydrocéphale et en même temps plagiocéphale.

Les essais d'hypnotisation se sont heurtés au commencement à des difficultés.

Ce n'est que par le moyen du Braid et en me servant d'un peu de chloroforme que j'ai pu obtenir, dans la troisième séance, un profond engourdissement.

À partir de ce moment, il suffisait de le faire regarder un objet brillant.

Les suggestions consistaient dans l'interdiction de la masturbation, dans la désuggestion des sentiments homosexuels, dans l'assurance que le malade prendrait goût à la femme et qu'il n'aurait plaisir et puissance que dans les rapports hétérosexuels.

Une seule fois il revint encore à la masturbation. Après la troisième séance, le malade rêva de femmes.

Quand, après la quatorzième séance, le malade, appelé à sa maison, par d'importantes affaires, dut partir, il se déclara complètement débarrassé des tendances à la masturbation et à l'amour homosexuel: cependant, ajoutait-il, le penchant pour l'homme n'était pas encore tout à fait éteint.

Il éprouva de nouveau de l'intérêt pour le sexe féminin, et il espère en continuant le traitement se délivrer définitivement de son funeste état.


Observation 138. (Hermaphrodisme psychique.)—M. V. P., vingt-cinq ans, célibataire, issu d'une famille nerveuse, a souffert de convulsions dans son enfance. Il s'en est rétabli, mais il est resté malingre, émotif et irascible. Il n'a pas eu de maladies graves. Avant l'âge de dix ans, la vie sexuelle s'est éveillée. Ses premiers souvenirs à ce sujet se rapportent à des sensations voluptueuses qu'il a éprouvées auprès des valets de la maison. Quand il fut plus âgé, il avait des rêves érotiques où il s'agissait de rapports avec des hommes. Au cirque il s'intéressait exclusivement aux artistes masculins.

Les jeunes gens vigoureux lui étaient les plus sympathiques de tous. Souvent il ne pouvait résister à l'envie de les enlacer et de les embrasser. Ces temps derniers, le simple frôlement d'un homme le remplissait de délices et lui donnait de l'éjaculation. Il a jusqu'ici heureusement résisté à l'impulsion de nouer une liaison amoureuse avec un homme. Le malade est un hermaphrodite psychique, dans ce sens qu'il n'est pas insensible aux charmes féminins; mais il trouve l'homme plus beau que la femme. Jusqu'ici, à vrai dire, les nudités féminines ne lui ont jamais plu, et ce n'est qu'une fois qu'il aurait, d'après ses souvenirs, rêvé du coït avec une femme.

Ayant de grands besoins sexuels et ne voulant pas se commettre avec des hommes, il a toutefois commencé à l'âge de vingt ans à avoir des rapports sexuels avec des femmes. Jusque-là il s'est rarement livré à la masturbation manuelle, mais il a fait souvent de l'onanisme psychique; ce faisant, des images de beaux hommes planaient dans son imagination.

Il a fait le coït avec succès, mais sans plaisir et sans une véritable sensation de volupté. Par des circonstances particulières, il fut astreint à l'abstinence de sa vingt-deuxième à sa vingt-quatrième année. Il supporta péniblement cette abstinence, mais il se soulageait par-ci par-là par l'onanisme psychique.

Quand, il y un an, il trouva de nouveau l'occasion de faire le coït, il s'aperçut que son libido pour la femme s'était affaibli, que l'érection était insuffisante et que l'éjaculation se produisait trop tôt. Finalement il renonça au coït. Alors il se manifesta chez lui du libido pour l'homme.

Étant donnée la faiblesse irritable de son centre d'éjaculation, le seul contact des hommes sympathiques suffisait pour provoquer chez lui un écoulement de sperme.

Le malade est fils unique. Des raisons de famille exigent qu'il conclue un mariage. Il a, à juste titre, des scrupules; il se croit impuissant «imaginatif», et demande conseil et remède.

Il sait bien qu'il faudrait lui enlever ses penchants pour l'homme; c'est le seul moyen de le secourir.

Il est d'un extérieur tout à fait viril. Le crâne est légèrement hydrocéphale. Barbe richement développée, parties génitales normales. Le réflexe crémastérien ne peut pas être provoqué. Aucun symptôme de neurasthénie. Œil névropathique. Pollutions rares. Érections seulement en présence des hommes sympathiques.

Le 16 juillet 1889, on a commencé à faire de l'hypnose selon la méthode de Bernheim, afin d'agir sur lui par suggestion. Ce n'est qu'à la troisième séance, le 18, qu'on a obtenu un profond engourdissement.

Suggestions: Vous n'avez plus d'affection pour l'homme. Seule la femme est belle et désirable. Vous aimerez une femme, vous l'épouserez, vous serez heureux, et vous la rendrez heureuse. Vous êtes tout à fait puissant. Vous le sentez déjà.

Le malade accepte toutes les suggestions dans l'hypnose qui est répétée chaque jour, mais qui ne dépasse jamais l'engourdissement. Le 22 juillet il annonce qu'il a fait le coït avec plaisir. Le garçon de l'hôtel où il demeure l'intéresse de moins en moins. Toutefois, il trouve toujours l'homme plus beau que la femme. Le 1er août on a dû interrompre le traitement. Résultat: puissance complète, indifférence totale pour le sexe masculin, et aussi pour le moment pour le sexe féminin.

Le même traitement a eu un succès décisif dans le cas suivant d'hermaphrodisme psychosoxuel que j'ai rapporté dans le T. 1, fascicule 2 de l'Internat. Centralblatt für die Physiol. u. Pathol. der Harn und Sexualorgane.


Observation 139.—Monsieur V. X., vingt-cinq ans, grand propriétaire, né d'un père névropathe et emporté. Le père dit-on, est sexuellement normal. La mère souffrait des nerfs, de même que ses deux sœurs. La mère de la mère était nerveuse, le père de la mère était un viveur et faisait des excès in Venere. Le malade est enfant unique et tient de la mère. Il fut dès sa naissance malingre, souffrit beaucoup de migraines; il était nerveux, il a supporté diverses maladies d'enfance et s'est livré, sans y être entraîné, à l'onanisme à partir de l'âge de quinze ans.

Il prétend n'avoir éprouvé d'inclination ni pour le sexe féminin, ni pour le masculin, jusqu'à l'âge de dix-sept ans; alors s'est éveillé en lui le penchant pour l'homme. Il est devenu amoureux d'un camarade. Celui-ci a répondu à son amour. Ils se sont enlacés, se sont embrassés et se sont masturbés mutuellement. À l'occasion le malade pratiquait le coït inter femora viri. Il abhorrait la pédérastie.

Ses rêves érotiques n'avaient pour objet que des hommes. Au théâtre et au cirque, il ne s'intéressait qu'aux sujets masculins. Son penchant le portait vers les gens d'environ vingt ans. Une belle taille plantureuse lui inspirait de la sympathie.

Quand ces conditions étaient remplies, peu lui importait à quelle classe de la société l'homme de sa prédilection appartenait. Dans ses rencontres sexuelles, il se sentait toujours dans le rôle masculin.

À partir de l'âge de dix-huit ans, le malade fut l'objet de vives préoccupations de la part de sa famille, car il avait noué une liaison amoureuse avec un garçon de café, s'était rendu ridicule par cette affaire et s'était laissé exploiter. On le fit rentrer à la maison. Il se commettait avec des valets et des cochers. Il y eut scandale. On l'envoya en voyage. À Londres il s'attira une affaire de chantage. Il réussit à regagner sa patrie.

Ces diverses expériences ne lui furent d'aucun enseignement et il manifesta de nouveau un penchant fatal pour les hommes. On m'a envoyé le malade pour que je le guérisse de son funeste penchant (décembre 1888). C'est un jeune homme bien portant, de grande taille, imposant, robuste; il est de conformation tout à fait virile, a les parties génitales fortes et bien développées. La démarche, la voix et le maintien sont tout à fait virils. Il n'a pas de passions viriles bien prononcées. Il fume peu et seulement des cigarettes, boit très peu, aime les sucreries, la musique, les beaux-arts, l'élégance, les fleurs, et se meut de préférence dans les cercles de femmes; il porte moustache, mais le reste de la figure est rasé. Sa mise n'a rien du gommeux. C'est un homme pâle, amolli, un flâneur et un propre à rien du grand monde, qu'il est difficile de sortir du lit avant l'heure de midi. Il prétend n'avoir jamais senti le caractère morbide de son penchant pour son propre sexe. Il croit que cette disposition est congénitale; il voudrait, assagi par de fâcheuses expériences, se délivrer de sa funeste perversion; mais il n'a guère confiance en sa force morale. Il a déjà essayé, mais alors il tombe toujours dans le vice de la masturbation qu'il trouve nuisible, car elle lui cause des malaises neurasthéniques (pas trop graves d'ailleurs). Il n'y a pas chez lui de défectuosités morales. L'intelligence est un peu au-dessous de la moyenne. Il a une éducation soignée et des manières aristocratiques. L'œil un peu névropathique dénote la constitution nerveuse de l'individu. Le malade n'est pas un uraniste complet et condamné. Il a des sentiments hétérosexuels, mais ses émotions sensuelles pour le beau sexe ne se manifestent que rarement et à un degré très faible. À l'âge de dix-neuf ans, il fut pour la première fois amené par des amis dans un lupanar. Il n'éprouva pas d'horror feminæ, il eut une érection suffisante et fit le coït avec quelque plaisir, mais sans cette volupté intense qu'il éprouve entre les bras d'un homme.

Depuis, dit le malade, il a encore coïté six fois, deux fois sua sponte. Il affirme qu'il en a toujours l'occasion, mais qu'il ne le fait que faute de mieux, quand l'impulsion sexuelle le tourmente trop; enfin que le coït ainsi que la masturbation lui servent de faible compensation pour remplacer l'amour homosexuel. Il a même déjà pensé à la possibilité de trouver une femme sympathique et de l'épouser. Il est vrai qu'il considérerait les rapports conjugaux et l'abstinence définitive des hommes comme des devoirs très durs.

Comme il y avait là des rudiments de sentiment hétérosexuel et que le cas ne pouvait être considéré comme désespéré, un essai thérapeutique me sembla opportun. Les indications étaient très claires, mais on ne pouvait compter sur la volonté de ce malade amolli, qui n'avait nullement la conscience nette de sa situation. Il était donc tout indiqué de chercher dans l'hypnose un appui pour l'influence morale du médecin. La réalisation de cet espoir paraissait douteuse, par suite du récit du malade que le fameux Hansen avait, à plusieurs reprises, mais en vain, essayé de l'hypnotiser.

Toutefois, il fallait répéter les essais, à cause des intérêts sociaux importants du malade. À mon grand étonnement, la méthode de Bernheim amena immédiatement un profond engourdissement avec possibilité de suggestion posthypnotique.

À la deuxième séance, le somnambulisme a été obtenu par un simple regard jeté sur le malade qui est suggestible dans tous les sens. On peut, en lui passant la main sur la peau, provoquer des contractures. Le réveil a lieu en comptant jusqu'à trois.

La malade a de l'amnésie, en dehors de l'hypnose, pour tout ce qui s'est passé pendant son état hypnotique. On l'hypnotise tous les deux ou trois jours pour lui faire des suggestions. On fait, en outre, un traitement moral et hydrothérapique.

Les suggestions faites pendant l'hypnose sont les suivantes:

1º Je déteste l'onanisme, car il rend malade et misérable;

2º Je n'ai plus d'affection pour l'homme, car l'amour pour un être masculin est contraire à la religion, à la nature et à la loi;

3º J'éprouve du penchant pour la femme, car la femme est un être aimable et désirable; elle est créée pour l'homme.

Dans les séances, la malade répète ces suggestions sur mon ordre.

Après la quatrième séance on est surpris de constater déjà que, dans les cercles où il est présenté, le malade commence à faire la cour aux dames. Peu de temps après, quand une célèbre cantatrice passe sur la scène, il est tout feu et flamme pour elle. Quelques jours plus tard, le malade s'informe de l'adresse d'un lupanar.

Toutefois, il cherche encore de préférence la compagnie des jeunes messieurs, mais, malgré une surveillance très étroite, on n'a pu constater rien de suspect à ce sujet.

17 février. Le malade demande la permission de faire le coït et il est très satisfait de son début avec une dame du demi-monde.

16 mars. Jusqu'ici hypnose environ deux fois par semaine. Par un seul regard, le malade est plongé dans un profond somnambulisme; sur mon ordre, il répète les suggestions; il est accessible à toute suggestion posthypnotique et, à l'état de veille, il ne se rappelle plus de l'influence qu'on a exercée sur lui pendant son état d'hypnose. À l'état hypnotique, il affirme être parfois tout à fait débarrassé de l'onanisme et des sentiments sexuels pour les hommes. Comme dans l'hypnose il donne toujours les mêmes réponses stéréotypées (par exemple, d'avoir à telle ou telle date fait la masturbation pour la dernière fois) et qu'il subit trop la volonté du médecin pour pouvoir mentir, ses affirmations méritent foi, d'autant plus qu'il a les apparences d'une santé florissante, qu'il est exempt de tout malaise neurasthénique, qu'il ne donne aucune inquiétude dans ses rapports avec les messieurs, et qu'il montre un caractère franc, libre et viril.

Comme il fait parfois le coït avec plaisir et en cédant à son libre penchant, et que les pollutions qu'il a quelquefois, ne sont provoquées que par des rêves érotiques concernant des personnes féminines, on ne peut plus douter de la transformation favorable de sa vita sexualis et l'on peut supposer que les suggestions hypnotiques sont maintenant devenues des auto-suggestions directrices de la totalité de ses sentiments, de ses idées et de ses efforts. Le malade restera probablement toujours une natura frigida, mais il parle souvent de mariage, et de sa résolution, aussitôt qu'il aura trouvé une dame qui lui soit sympathique, de solliciter sa main. On cessa le traitement. (Observation personnelle. International Centralblatt für die Physiol. u. Pathologie der Harn und Sexualorgane. T. I.)

Au mois de juillet 1889, j'ai reçu une lettre du père qui m'annonce que son fils se porte bien et a une bonne conduite.

Le 24 mai 1890 j'ai rencontré par hasard mon ancien client dans un voyage. Son air de santé florissante me laissa supposer un état des plus favorables. Il me confessa qu'il trouvait encore certains hommes sympathiques, mais qu'il n'éprouvait plus aucune velléité amoureuse pour le sexe masculin. À l'occasion, il fait le coït avec des femmes, en éprouve un plaisir parfait, et il songe sérieusement à se marier.

Pour faire un essai, j'ai hypnotisé le malade selon la méthode que je lui avais appliquée autrefois et je lui demandai de répéter les ordres que je lui avais donnés.

Plongé dans un profond somnambulisme et avec la même intonation qu'autrefois, le malade me récita les suggestions qu'il avait reçues en décembre 1888. C'est, en tout cas, un exemple de la durée et de la puissance de la suggestion posthypnotique.

Le traitement par suggestion hypnotique eut un succès complet dans les cas suivants.


Observation 140. (Hermaphrodisme psychique. Amélioration par le traitement hypnotique).—M. de K..., 23 ans, d'une grande famille, très bien doué intellectuellement, scrofuleux pendant son enfance, descend d'un père qui, dit-on, a été un viveur. Le frère du père avait la réputation d'être un inverti sexuel.

Le malade affirme que, déjà à l'âge de sept ans, il avait une inclination singulière pour les personnes du sexe masculin. C'étaient surtout les cochers et les laquais à moustaches qui l'enthousiasmaient à cette époque. Il éprouvait un sentiment de bonheur étrange quand il pouvait se frotter contre ces individus.

De bonne heure, le malade fut placé au corps des cadets, où il fut entraîné à l'onanisme mutuel et où il apprit la pratique de l'imitatio coïtus inter femora viri. À l'âge de dix-sept ans, il fit pour la première fois le coït avec une prostituée.

Il accomplit l'acte très bien, mais il n'eut pas le moindre plaisir, et il reconnut ou que ce genre de satisfaction n'était rien ou bien qu'il devait être autrement conformé que les autres jeunes gens.

Toutefois, il coïtait encore souvent, contracta une gonorrhée, après la guérison de laquelle il éprouva une aversion de plus en plus vive pour le sexe féminin; il pratiqua dorénavant le coït de plus en plus rarement et seulement dans les cas où, malgré son libido très vif, il ne pouvait avoir des rapports avec des individus masculins. Son penchant pour les hommes devenait de plus en plus fort; c'étaient notamment les hommes adultes bien bâtis et autant que possible peu barbus qui avaient de l'attrait pour lui. Il aboutit aux excès les plus dégoûtants dans le sens du coïtus buccalis, et de la pédérastie active et passive.

Le malade lui-même avait grande honte d'une pareille dégradation; il essayait toujours de revenir dans la bonne voie en faisant le coït avec la femme, mais il dut se rendre à cette évidence désespérante que sa force normale était insuffisante, que le rapport avec la femme le laissait froid ou même lui répugnait, et que, à vrai dire, il était créé pour les rapports sexuels avec des personnes de son propre sexe. En effet, ses songes n'avaient jamais les femmes pour objet, mais toujours les hommes, et tel était déjà le cas à un âge où il n'avait pas encore la moindre idée de la différence des sexes.

Le malade vient à la consultation, car il a compris que le bonheur de toute sa vie est en jeu. Il a clairement reconnu le caractère immoral et antinaturel de son existence sexuelle. Il croit que sa situation n'est pas désespérée, puisqu'il n'abhorre pas la femme: il y a trois semaines encore, il a coïté avec une femme, il a réussi, bien qu'il n'ait éprouvé ni plaisir, ni satisfaction morale. Il ne met pas en doute qu'il soit en réalité créé pour l'amour du sexe masculin; mais à la suite d'une neurasthénie qui vient de se déclarer, il n'a plus, même dans l'acte sexuel avec l'homme, le plaisir qu'il éprouvait autrefois dans des circonstances analogues. Il a abandonné sa position d'officier de l'armée, parce que ses troupiers l'excitaient trop sexuellement, et qu'il craignait de se compromettre un jour.

Le malade n'a pas de stigmates de dégénérescence. Il a un extérieur tout à fait viril; les parties génitales sont normales. L'examen d'un spécimen du sperme a permis de constater des spermatozoïdes en abondance. Le pénis est grand, bien développé; le système pileux sur les parties génitales et sur le corps en général est très bien fourni. Le malade a des goûts virils, mais il n'a jamais trouvé plaisir ni à fumer ni à boire. Son œil névropathique est la seule chose qu'on pourrait interpréter dans le sens d'une prédisposition nerveuse.

Il prétend que dans ses actes sexuels avec les hommes, il s'est la plupart du temps senti dans le rôle de l'homme, mais parfois aussi dans celui de la femme.

Une tentative d'hypnose a amené un engourdissement avec une attitude cataleptiforme des muscles; on l'utilise pour lui faire des suggestions appropriées à sa maladie.

Après la quatrième séance, il déclare avec satisfaction et étonnement à la fois, que les hommes le laissent froid. Il voudrait essayer sa bonne chance avec des femmes, mais il craint d'être impuissant.

Après la sixième séance, il essaie le coït cum muliere, sans y avoir été engagé. Son libido fut très grand, mais inter actum le libido ainsi que l'érection l'abandonnèrent.

Après la neuvième séance, le malade interrompt le traitement, ses affaires l'ayant obligé de rentrer à la maison. Il est content en tant qu'il se sent indifférent vis-à-vis de l'homme, et capable de résister à toute tentation. Il a la conviction certaine qu'il ne retombera plus dans ses anciennes «vilenies». Mais à l'heure qu'il est, il ne sent pas non plus le moindre intérêt pour le sexe féminin.


Observation 141.—M. X..., trente et un ans, chimiste, issu d'une famille névropathique, était, dès son enfance, nerveux, émotif, peureux et sujet aux migraines. Il se rappelle nettement qu'étant tout petit garçon, il contemplait avec plaisir les ouvriers à demi nus dans l'atelier qui se trouvait en face de la maison paternelle et qu'il se sentait attiré vers eux. Quand on l'envoya en classe, il éprouva un sentiment analogue pour ses camarades. Sans y être incité, il arriva à l'âge de onze ans à faire de l'onanisme; pendant l'acte, il pensait toujours à ses camarades d'école. Plus tard, il eut des amitiés extatiques. Sa vita sexualis est devenue toute-puissante. Devenu grand, il s'intéressa aussi aux femmes, mais le principal objet du ses désirs, c'étaient les hommes des classes élevées de la société. Il sentit l'anomalie de ce penchant, chercha des relations avec les puellis, fit plusieurs fois le coït, mais sans y éprouver un véritable agrément. Alors il s'égara de plus en plus dans la voie de l'inversion sexuelle: il pratiquait la masturbation mutuelle et le coït inter femora viri, se livrait à l'occasion aussi à la pédérastie passive, mais il y renonça bientôt car il n'en éprouvait que de la douleur.

Il affirme qu'il se sent tout à fait homme et qu'il n'a jamais eu de goûts féminins. Squelette, attitude tout à fait virils. Système pileux et barbe très abondants, parties génitales tout à fait normales. Point d'aversion pour le sexe féminin. À l'occasion, il fait le coït avec des puellis, mais sans en être satisfait. Le malade se sent très malheureux, reconnaît nettement sa fausse position, voudrait à tout prix être débarrassé de son penchant homosexuel et devenir capable de se marier. Ce serait terrible d'être toujours forcé de jouer la comédie. Dès le premier essai d'hypnotisation fait d'après la méthode de Bernheim, le malade est plongé dans un profond engourdissement. Il est très suggestible, reçoit les suggestions nécessaires, constate avec satisfaction, après la quatrième séance, que les individus masculins lui sont devenus tout à fait indifférents et qu'il commence à coïter avec plaisir, mais que dans son âme il ne se sent pas satisfait, étant donné qu'il est obligé d'avoir recours aux puellæ publicæ. Après la quatorzième séance, il déclare n'avoir plus besoin d'appui. Il est enthousiasmé d'une jeune dame et il a l'intention de l'épouser. Le malade a sollicité la main de cette dame, mais il a été éconduit. Bientôt après, il fit un voyage en Italie, et alors l'intérêt pour les hommes se réveilla de nouveau. Il eut une rechute et me demanda de reprendre le traitement. En peu de séances le statu quo ante fut rétabli.


Observation 142. (Hermaphrodisme psychique. Traitement par la suggestion hypnotique suivi de succès). M. Z..., vingt ans, prétend être issu de grands-parents bien portants, de père sain, mais d'une mère nerveuse. Il est enfant unique et il a été gâté par sa mère. À l'âge de huit ans, il a été très excité sexuellement par un valet qui lui montrait des gravures pornographiques et son pénis.

À l'âge de douze ans, Z... devint amoureux de son corépétiteur. En s'endormant il eut la vision de cet homme tout nu. Il se sentit vis-à-vis de celui-ci dans la situation d'une femme; il s'extasiait à l'idée de pouvoir l'épouser un jour.

À l'âge de treize ans, à l'occasion d'une soirée dansante donnée à la maison, une jeune gouvernante excita son imagination, et à l'âge de quinze ans il tomba amoureux d'une jeune dame. Il est resté sensuellement très excitable, mais les années suivantes ce furent exclusivement les hommes sympathiques qui lui firent cette impression. Il ne pratiquait point la masturbation.

À l'âge de vingt ans, le malade est devenu neurasthénique ex abstinentia. Il essaya alors le coït, mais ne réussit pas. En revanche, il était saisi d'un puissant libido quand, dans un hammam, il avait l'occasion de voir des viri nudi. L'un d'eux remarqua l'émotion du jeune homme, l'aborda, le masturba, ce qui lui causa un grand plaisir. Il se sentait puissamment attiré vers cet homme et se fit encore masturber par lui à plusieurs reprises. Entre temps il faisait des essais du coït avec les femmes, mais il remportait toujours un échec. Le malade en était profondément désolé; il consulta des médecins qui expliquèrent son impuissance par sa nervosité et qui étaient d'avis que cela s'arrangerait bientôt.

Jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, sa satisfaction sexuelle consistait à se faire masturber une fois par mois par l'homme aimé. C'est à cette époque qu'il se sentit pour la dernière fois attiré vers la femme. C'était une paysanne vierge. Elle se montra inaccessible à ses désirs. Comme son amant lui était devenu inaccessible aussi, le malade prit l'habitude de la masturbation solitaire. À la suite de ces pratiques, sa neurasthénie s'accentua de plus en plus. Il ne put pour cette raison terminer ses études; il évita les hommes, devint sombre, aboulique; il fit sans succès des cures dans divers établissements hydrothérapiques. Le malade vint me trouver vers la fin du mois de février 1890 pour me demander conseil au sujet de sa neurasthénie (cérébro-spinale) qui était grave et continue.

C'est un homme grand, svelte, de manières aristocratiques, d'allures nettement viriles, et d'apparence névropathique; lobes des oreilles grands et se confondant comme un cadre avec les joues. Les parties génitales sont tout à fait normales. Il présente les symptômes ordinaires d'une neurasthénie cérébro-spinale modérée. Il est très déprimé, se plaint que la vie lui paraît si peu agréable qu'il en est arrivé au tædium vitæ; il est péniblement affecté de son anomalie sexuelle, d'autant plus que sa famille insiste pour qu'il se marie.

Chez la femme il n'y a que l'âme qui l'intéresse et non le corps. Sexuellement il n'a d'affection que pour les hommes, et encore faut-il que ceux-ci soient du meilleur monde. Ses rêves n'ont jamais eu pour objet des individus de son propre sexe, mais toujours des personnes du sexe féminin. Dans ces rêves érotiques il s'est vu dans le rôle de la femme.

La puella la plus raffinée n'a jamais pu provoquer de l'érection ni du libido chez lui.

Ses rapports sexuels avec les hommes ont consisté dans la masturbation passive ou mutuelle. Il ne s'est livré que rarement à l'auto-masturbation et quand il ne pouvait faire autrement. Depuis cinq mois il s'en est abstenu, depuis le mois d'août 1889 il n'a pas eu non plus de rapports sexuels avec des hommes.

Un essai d'hypnose selon la méthode de Bernheim n'a pas réussi. En passant plusieurs fois la main sur le front, on provoque de l'engourdissement avec catalepsie. Cette méthode est employée pour appliquer le traitement suggestif chez ce malade digne de pitié. L'état hypnotique reste toujours le même; il est impossible de l'amener au somnambulisme.

À la troisième séance le malade reçoit les suggestions: l'onanisme et l'amour du sexe masculin sont détestables; il faut trouver les femmes belles et rêver d'elles.

Après la sixième séance (10 mars), il se produit une évolution visible dans l'existence psychique du malade. Il devient plus calme, il se sent plus dégagé, rêve par-ci par-là de femmes, et plus d'hommes, trouve que ces derniers lui sont devenus tout à fait indifférents et m'annonce avec satisfaction qu'il n'a plus de velléités de masturbation. Il s'approche du beau sexe, mais il s'aperçoit que les femmes n'exercent pas sur lui la moindre force d'attraction.

Le 19 mars des affaires rappellent le malade chez lui, de sorte que le traitement a dû être interrompu.

Le 17 mai 1890 il revient au traitement. Il affirme qu'entre temps il ne s'est pas masturbé et qu'il a su résister à son penchant pour les hommes. Aussi n'a-t-il plus rêvé d'hommes, et deux fois même dans ses songes il s'est occupé de femmes, mais tout à fait platoniquement. Son asthénie cérébrale (ex abstinentia) s'est augmentée. Il souffre évidemment du manque d'une satisfaction morale et sensuelle de sa vita sexualis, puisque l'amour homosexuel et la masturbation lui sont devenus impossibles, et que, en même temps, il est aussi privé des rapports avec les femmes. Le malade en est péniblement affecté jusqu'au tædium vitæ.

On le soumet alors à un traitement antineurasthénique (hydro-électrothérapie) et on reprend le traitement hypnotique. Ce n'est qu'après une cure laborieuse de dix semaines que les malaises neurasthéniques disparaissent. Parallèlement il se produit un changement dans l'individualité psychique.

Le malade s'aperçoit avec satisfaction qu'il devient plus vigoureux et que la vie sexuelle ne joue plus chez lui un rôle dominant. Il est vrai qu'il se sent attiré plutôt vers l'homme que vers la femme, mais il résiste facilement aux désirs homosexuels. Le boudoir qu'il avait jusqu'ici se transforme en bureau de travail; au lieu de s'occuper de luxe, de toilette et de lectures frivoles, il court dans les forêts et sur les montagnes. À cause des dangers d'un échec, on laisse le malade prendre une initiative sur le terrain hétérosexuel.

Ce n'est que dans la quatorzième semaine de sa cure qu'il se met à l'épreuve. Il réussit brillamment. Il devient un homme gai, sain de corps et d'esprit; il nourrit les meilleures espérances pour son avenir et caresse même l'idée de se marier.

Il éprouve un plaisir croissant aux rapports sexuels normaux et a, à l'occasion, des rêves érotiques concernant des femmes; il ne rêve plus d'hommes.

Vers la fin du mois de septembre, la cure du malade est terminée. Il se sent tout à fait normal sous le rapport hétérosexuel; il est délivré de sa neurasthénie et il a des idées de mariage. Toutefois il avoue franchement qu'il entre encore en érection quand il voit un homme bien fait tout nu; mais il résiste avec facilité aux envies qui pourraient le prendre à ce propos; dans la vie des songes il a exclusivement des «relations avec la femme».

Au mois d'avril 1891 j'ai revu le malade qui se portait au mieux. Il croit que sa vita sexualis est complètement assainie, en tant qu'il fait le coït régulièrement avec une parfaite puissance, qu'il ne rêve que de femmes et qu'il n'a jamais la moindre velléité de masturbation. Toutefois il me fait cet aveu intéressant que souvent post coïtum il a encore passagèrement un «léger goût pour l'homme», mais qu'il lui est facile de le dompter. Il se croit rétabli pour toujours et nourrit le projet de se marier.

Le traitement par suggestion peut réussir aussi dans l'inversion sexuelle manifestement congénitale, ainsi que le prouvent les sujets traités par l'auteur et celui de Ladame où du moins on a réussi à désuggérer les sentiments homosexuels et à obtenir une neutralisation sexuelle très salutaire, étant donnés les dangers de la honte sociale et des poursuites judiciaires. Wetterstrand a même réussi à remplacer la tendance homosexuelle par des sentiments hétérosexuels avec puissance génitale. Ce cas est cité par von Schrenk (op. cit., observation 49). Des succès analogues ont été encore obtenus par Bernheim (cité par Schrenk: observation 51), Muller (cité par Schrenk: observation 53), Schrenk (op. cit., cas 66, 67). Ce dernier même a réussi dans des cas d'effémination (Schrenk, op. cit., cas 62 et 63).

Nous tenons à citer ici le premier de ces cas qui est pour ainsi dire un succès phénoménal et que l'auteur a pu personnellement suivre. D'ailleurs, ces succès décisifs et durables ne peuvent être obtenus que quand on peut pousser l'hypnose jusqu'au somnambulisme. Toutefois, il faut se mettre en garde contre les illusions.


Observation 143 (Cas d'inversion sexuelle congénitale amélioré par suggestion hypnotique).—R., fonctionnaire, vingt-huit ans, demanda, le 20 janvier 1880, des secours médicaux. Il est le frère du malade qui fait l'objet de l'observation 135 et par conséquent d'une famille très tarée. Vers la fin du traitement, il avoue être l'auteur de l'autobiographie qui a été insérée comme observation 83 dans la cinquième édition de ce livre et que nous allons tout d'abord reproduire ici:

«Mon anomalie consiste, pour le dire brièvement, en ce que, sous le rapport sexuel, je me sens tout à fait femme. Depuis ma première jeunesse, dans mes rêves et dans mes actes sexuels, j'ai eu devant les yeux uniquement des images d'êtres masculins et de parties génitales d'hommes. Jusqu'à ce que je sois devenu élève de l'Université, je n'y ai rien trouvé d'étrange. (Je n'ai jamais parlé à autrui de mes fantaisies et de mes rêves; je vivais, quand je fréquentais le lycée, très retiré, et j'étais très peu communicatif). Ce qui frappa mon attention, alors que j'étais étudiant de l'Université, c'est que les êtres féminins ne pouvaient m'inspirer le moindre intérêt. J'ai essayé plusieurs fois depuis, au lupanar et ailleurs, de faire le coït ou d'arriver au moins au coït, mais toujours en vain.

«Aussitôt que j'étais seul avec un être féminin dans une chambre, toute érection cessait immédiatement. J'ai pris d'abord ce phénomène pour de l'impuissance, et pourtant j'étais à cette époque si excité sexuellement qu'il me fallait me masturber plusieurs fois par jour pour pouvoir dormir.

«Mes sentiments pour le sexe masculin se sont développés bien autrement: ils sont devenus plus forts chaque année. Au commencement ils se manifestèrent par une amitié extrêmement romanesque pour certains personnages, sous la fenêtre desquels j'attendais la nuit des heures entières, que je cherchais par tous les moyens à rencontrer dans les rues, et dont je cherchais toujours à me rapprocher. J'écrivais à ces personnages les lettres les plus passionnées, mais je me gardais bien toutefois d'y déclarer trop clairement mes sentiments. Plus tard, dans la période qui suivit mes vingt ans, j'eus une conscience nette de la nature sensuelle de mes inclinations, surtout à la suite de la sensation voluptueuse que j'éprouvais aussitôt que je me trouvais en contact direct avec un de ces amis. C'étaient tous des hommes bien bâtis, aux cheveux foncés et aux yeux noirs. Je ne me suis jamais senti excité par des garçons et je ne comprends pas comment on peut avoir du goût pour la pédérastie proprement dite. À la même époque (entre ma vingt-deuxième et ma vingt-troisième année) le cercle des personnes que j'aimais, s'élargissait de plus en plus. À l'heure qu'il est, je ne peux pas voir dans la rue un bel homme sans concevoir le désir de le posséder. J'aime surtout les personnes de la basse classe dont les formes vigoureuses m'attirent: les soldats, les gendarmes, les cochers de tramway, etc.. en un mot, tout ce qui porte un uniforme. Si quelqu'un de ces gens répond à mon regard, je sens comme un frisson à travers tout mon corps. Je suis excité surtout le soir, et rien qu'en entendant le pas vigoureux d'un militaire, j'ai souvent des érections des plus violentes. C'est pour moi un plaisir particulier de suivre ces individus et de les contempler en marchant derrière eux. Aussitôt que j'apprends qu'ils sont mariés ou qu'ils se commettent avec des filles, mon émotion disparaît. Il y a quelques mois encore je pouvais maîtriser mes penchants et ils ne se faisaient pas remarquer directement. À cette époque, un soldat que je suivais, me sembla disposé à consentir à mes désirs; je l'abordai. Pour de l'argent, il fut prêt à tout. Statim summa libidine affectus sum eum amplecti et osculari neque periculo videndi deterritus sum, quominus hæc facerem. Genitalia mea apprehendit manibus et statim ejaculatio evenit. Cette rencontre me fit enfin comprendre le but de ma vie, but que je cherchais depuis si longtemps. Je savais que c'était là que mon naturel trouverait son bonheur et sa satisfaction; à partir de ce moment j'ai pris la résolution de faire tous mes efforts pour trouver un être que je puisse aimer et auquel je resterais attaché pour toujours. Je n'ai aucun remords de ma manière d'agir.

«Il est vrai que dans les moments de calme je sens très bien la grande différence qui existe entre ma façon de penser et les vues du monde; je connais naturellement aussi, étant jurisconsulte, les dangers d'une liaison telle que je la désire, mais tant que la totalité de ma nature n'aura pas changé, je ne saurais résister aux tentations qui me hantent. Malgré tout, je serais prêt à me soumettre à tout traitement pour sortir de mon état anormal.

«Je sens en femme, et je m'en rends compte, entre autres par le fait que toute représentation sensuelle ayant rapport à une femme me paraît pour ainsi dire forcée et même contre nature. Je suis certain aussi que mon estime pour une femme—je fréquente beaucoup la société des dames et je m'y trouve très bien—se convertirait en aversion dans le cas où j'apercevrais chez elle des inclinations sensuelles pour ma personne. Dans mes rêves et dans mes fantaisies érotiques concernant les hommes, je me figure toujours dans des positions telles que leur figure est tournée vers moi. Maxima mihi esset voluptas, si vir robustus nudus me tanta vi amplecteretur, ut reniti non possem. En général, je me vois dans ces positions dans un rôle tout à fait passif, et ce n'est qu'en faisant violence à mes sentiments que je pourrais m'imaginer dans une autre situation. Je suis d'une timidité vraiment féminine. Quelque grand que soit mon désir de m'approcher de tel ou tel individu, je fais des efforts aussi grands pour ne rien laisser percer de mon inclination. Des moustaches, un système pileux très développé, et même la crasse, me paraissent particulièrement attrayants. Inutile de dire qu'au point de vue social mon état me paraît tout à fait désespérant, et si je n'avais pas l'espoir de trouver un être qui me comprenne, je ne saurais guère supporter la vie. Je sens que les rapports sexuels avec l'homme sont l'unique moyen de combattre avec efficacité mon penchant pour l'onanisme. Bien que cela m'affecte beaucoup, je ne puis pas m'en passer longtemps, car autrement, ainsi que je l'ai déjà éprouvé par expérience, je serais encore plus affaibli par des pollutions nocturnes et par des érections qui dureraient des heures entières dans la journée.

«Jusqu'ici je n'ai aimé vraiment que deux hommes. Tous les deux étaient des officiers, de beaux hommes, de grand talent, sveltes et bien bâtis, bruns, avec des yeux noirs. J'ai fait la connaissance de l'un à l'Université. J'étais amoureux fou de lui; je souffrais beaucoup de son indifférence, je passais la moitié des nuits sous ses fenêtres, rien que pour être dans sa proximité. Quand il fut transféré dans une autre garnison, je fus désespéré.

«Peu après je fis la connaissance d'un autre officier qui ressemblait au premier, et qui m'a captivé dès le premier moment. Je cherchai par tous les moyens possibles à me rencontrer avec lui; je passais toute la journée dans la rue et dans les endroits où je pouvais espérer le voir. Je sentais me monter le sang au visage quand je l'apercevais à l'improviste. Quand je le voyais causer amicalement avec d'autres, je ne me sentais plus de jalousie. Quand j'étais assis à côté de lui, j'avais l'impulsion invincible de le toucher; je pouvais à peine cacher ma grande émotion, quand j'avais l'occasion de lui effleurer les genua aut femora. Cependant jamais je n'ai eu le courage de déclarer mes sentiments devant lui, car j'ai cru deviner dans ses manières qu'il ne les aurait pas compris ou pas partagés.

«J'ai vingt-sept ans, je suis de taille moyenne, bien fait; je passe pour être joli, j'ai la poitrine un peu étroite, de petites mains, de petits pieds et une voix grêle. Au point de vue intellectuel, je crois être bien doué, car j'ai passé brillamment mon examen de brevet; je sais plusieurs langues et je suis bon peintre.

«Dans mon métier je passe pour être travailleur et consciencieux. Les gens de ma connaissance me trouvent froid et singulier. Je ne fume pas, ne pratique aucun sport; je ne puis ni chanter, ni siffler. Ma démarche est un peu affectée, de même que mon langage. J'ai beaucoup de prédilection pour l'élégance, j'aime les bijoux, les sucreries, les parfums, et je vais de préférence dans la société des dames.»

On apprend encore par les notes prises par le Dr V. Schrenk sur la maladie de cet inverti, que les entraves sociales et légales d'un côté, l'impulsion violente pour son propre sexe de l'autre côté, ont provoqué dans l'âme du malade des luttes terribles qui ont fait de sa vie un supplice. C'est pour cette raison qu'il s'est confié à un médecin.

Le 22 janvier 1889, le malade fut soumis au traitement hypnotico-suggestif suivant la méthode de l'École de Nancy. Peu à peu on réussit à le mettre en somnambulisme.

Les suggestions lui ont été faites dans ce sens: indifférence et faculté de résistance vis-à-vis du sexe masculin, intérêt croissant pour les rapports avec la femme, interdiction de la masturbation, substitution des images féminines aux images masculines dans les rêves érotiques. Après quelques séances, les formes féminines commencent à plaire au malade. À la septième séance, on lui suggère de faire le coït et d'y réussir. Cette suggestion est suivie d'effet. Pendant les trois mois suivants, le malade se trouvant sous l'influence éducatrice des suggestions périodiques, est resté en possession complète d'un fonctionnement sexuel normal. Le 22 avril 1889, il y a rechute, par suite de la séduction d'un uraniste. Repentir et horreur dans la séance suivante. Comme expiation, coït avec une femme en présence du séducteur.

Le malade se plaint que le coït avec des femmes très inférieures comme éducation, ne satisfait pas son besoin esthétique. Il espère trouver cette satisfaction dans un mariage heureux. Il cesse le traitement, se fiance quelques semaines plus tard avec une amie d'enfance, se présente six mois après comme un heureux fiancé, et croit, par suite du bonheur qu'il éprouve avec sa fiancée, être à l'abri de toute rechute.

L'auteur assure que le traitement hypnotique n'a jamais d'effet nuisible secondaire. Étant donnée la lourde tare héréditaire du malade, il ne tranche pas la question de savoir si la guérison sera durable, mais il exprime la conviction que, dans le cas de récidive, la suggestion hypnotique ne manquerait pas de produire son effet comme la première fois.

Comme le succès incroyable de ce cas m'avait intéressé au plus haut degré, et que je m'intéressais encore davantage au cours que prendraient les choses après la guérison, je me suis adressé à l'auteur en lui demandant des renseignements sur l'état de santé de son ancien malade.

Avec la plus grande amabilité, M. le Dr V. Schrenk a mis à ma disposition la lettre suivante qu'il avait reçue au mois de janvier 1890.

«Par le traitement suggestif de M. le baron V. Schrenk, j'eus pour la première fois la faculté physique d'avoir des rapports sexuels avec une femme, ce qui, jusqu'ici ne m'avait pas réussi malgré des essais réitérés.

«Comme mon besoin esthétique ne pouvait être satisfait par des relations avec des prostituées, j'ai cru trouver mon salut réel dans un mariage. Une affection amicale ancienne pour une dame que je connais depuis mon enfance m'a fourni la meilleure occasion de conclure un mariage, d'autant plus qu'à cette époque je croyais que c'était elle qui serait le plus capable d'éveiller en moi des sentiments pour le sexe féminin, sentiments qui, jusque-là m'étaient totalement inconnus. Son être répond tellement à mes inclinations que je suis profondément convaincu de trouver aussi une complète satisfaction physique. Cette conviction n'a pas changé pendant les mois qui se sont écoulés depuis nos fiançailles.

«J'ai l'intention de me marier dans quatre semaines.

«En ce qui concerne mon attitude vis-à-vis du sexe masculin, ma force de résistance—c'est le résultat le plus positif et le plus constant du traitement—subsiste toujours au même degré. Tandis que, autrefois, il m'était impossible, en voyant par exemple un beau cocher de tramway, de résister à une excitation sexuelle intense au point de me forcer à quitter la voiture: aujourd'hui je peux rester sans aucune excitation sexuelle, même quand je me trouve avec mon ancien amant. Il faut ajouter toutefois que la fréquentation de ce dernier a toujours pour moi un certain attrait qui cependant ne peut être comparé à mon ancienne passion.

«D'autre part j'ai refusé, et sans que cela m'ait coûté beaucoup d'efforts, des offres réitérées d'entrer en rapports sexuels avec des hommes auxquels autrefois je n'aurais pu résister.

«Je puis affirmer que c'est plutôt par sentiment de pitié que je ne romps pas les relations avec mon ancien amant qui a conservé pour moi son affection passionnée.

«Ces relations me paraissent plutôt comme un devoir moral que comme un besoin intérieur.

«Depuis que le traitement médical a été terminé, je n'ai plus eu de rapports avec des prostituées. Cette circonstance, ainsi que les nombreuses lettres de mon ancien amant et ses tentatives de renouer l'ancienne liaison, peuvent être considérées comme la cause de ce que, dans l'intervalle de huit mois, je me suis laissé entraîner trois ou quatre fois dans nos entretiens à un rapport sexuel. Dans ces occasions, j'ai toujours conservé la conscience d'être parfaitement maître de moi-même, ce qui était contraire à mon état passionnel d'autrefois, et m'a attiré les reproches les plus vifs de la part de mon ami. Je sens toujours une certaine barrière insurmontable qui n'est pas fondée sur des raisons morales mais qui doit être directement attribuée à votre traitement. Depuis ce temps, je n'éprouve plus pour lui d'amour dans le sens d'autrefois. D'ailleurs, depuis que le traitement a été terminé, je n'ai plus jamais cherché d'occasions d'entrer en rapports sexuels avec des hommes et je n'en éprouve pas non plus le besoin, tandis qu'autrefois il ne se passait pas un jour où je ne m'y sentisse poussé au point que par moments j'étais incapable de penser à autre chose.

«Les images sexuelles à l'état de rêve ou à l'état de veille sont devenues très rares.

«Je crois pouvoir exprimer la conviction que mon mariage, qui aura lieu d'ici quelques semaines, que le changement de domicile qui en sera la conséquence et que je désire moi-même, seront capables de détruire les derniers résidus de ma perversion, résidus qui d'ailleurs ne me gênent plus. Je termine ces lignes par l'affirmation la plus sincère que, dans mon for intérieur, je suis devenu un tout autre homme et que cette transformation m'a rendu l'équilibre moral qui m'a manqué jusqu'ici.»

Les lignes précédentes que M. le Dr V. Schrenk complète encore en rapportant une communication verbale du malade d'après laquelle celui-ci ne s'est plus livré à aucun acte de masturbation, constituent bien la preuve la plus éclatante de l'effet durable et efficace de la suggestion post-hypnotique.

Pour ma part, je tiens le sentiment hétérosexuel du malade pour une création artificielle d'un excellent médecin, et le malade lui-même semble le sentir, car il parle d'une barrière qui n'est pas fondée sur des raisons morales, mais qui doit être directement attribuée au traitement.

La lettre suivante, que mon collègue V. Schrenk a bien voulu mettre à ma disposition, nous montre quel sort a été réservé à ce malade intéressant.

«Monsieur le baron, rentré depuis quelques jours de mon voyage de noces, je me permets de vous envoyer un rapport sommaire sur mon état actuel. La semaine qui précéda le mariage, je me trouvai, à vrai dire, dans un état d'émotion excessive, car je craignais de ne pouvoir remplir certains devoirs. Les prières pressantes de mon ami, qui voulait à tout prix avoir encore un entretien avec moi, m'ont laissé absolument froid. Depuis que je vous ai rencontré la dernière fois, je n'ai pas revu cet ami. J'étais très inquiet à l'idée que mon mariage pourrait fatalement devenir malheureux. Mais maintenant je n'ai plus d'inquiétude à ce sujet. Il est vrai que, la première nuit, je n'ai réussi que très difficilement à me mettre en excitation sexuelle; mais la seconde nuit et les suivantes je crois avoir satisfait à toutes les exigences qu'on peut demander à un homme normal; je suis toujours capable d'y satisfaire. J'ai aussi la conviction que l'harmonie qui existe, au point de vue intellectuel, entre ma femme et moi depuis longtemps, se complète encore de plus en plus par un autre genre d'harmonie. Il me paraît impossible de revenir aux anciennes habitudes. Voici peut-être un fait significatif pour mon état actuel: la nuit passée j'ai, il est vrai, rêvé d'un ancien amant, mais ce rêve n'était pas sensuel et ne m'a pas excité.

«Quant à ma situation actuelle, j'en suis satisfait. Je sais bien que mon affection nouvelle est loin d'avoir atteint le même degré que mon affection ancienne. Mais je crois que ce penchant croîtra en force tous les jours. Déjà maintenant la vie que je menais autrefois me paraît incompréhensible et je ne puis pas comprendre pourquoi je n'ai pas pensé plus tôt à refouler ces sentiments anormaux par une satisfaction sexuelle normale. Une rechute ne me paraîtrait possible qu'à la suite d'une transformation complète de ma vie psychique actuelle, et cela, pour le dire en un mot, me semble impossible.

«Votre tout dévoué, L...»

J'apprends encore les détails suivants par une lettre que M. le Dr V. Schrenk m'a écrite le 7 décembre:

«Dans le cas présent, la guérison paraît être de plus longue durée que je ne l'aurais attendu, car, lorsqu'il y a quelques mois, j'ai parlé avec mon ancien malade, celui-ci a déclaré qu'il se sentait très heureux de la vie conjugale et, comme je l'ai compris, il s'attend à devenir père d'ici peu de temps.»

En effet, au printemps 1891, il est devenu père. Le docteur V. Schrenk a publié sur son ancien malade de nouveaux renseignements très intéressants au point de vue thérapeutique, qu'on peut relire dans la Wiener internationale klinische Rundschau 1892 ainsi que dans son livre Die Suggestionstherapie, 1892, p. 242.

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