Études sur l'Islam et les tribus Maures: Les Brakna
6.—Mohammed Sidi (1851-1858).
Mohammed Sidi était un autre neveu de ce Mokhtar Sidi qu'en 1842 l'autorité française avait déporté au Gabon pour ramener le calme dans le Brakna. Avec son cousin Mohammed Al-Habib, fils de Mokhtar Sidi, il s'était réfugié auprès de l'émir des Trarza qui s'était chargé de leur éducation et les poussa par la suite contre Mohammed Râjel, son ennemi. Comme Mohammed Al-Habib n'était qu'un enfant, ce fut Mohammed Sidi qui rallia définitivement les suffrages de l'émir des Trarza et des Brakna dissidents.
Mohammed Sidi, prétendant pendant tout le commandement de Mohammed Râjel, erra sans cesse des Id Ou Aïch aux Trarza en quête de secours. En avril 1847, son mariage avec une fille d'Ahmeddou Ier enfla son parti de campements fidèles à l'ancien émir. C'est le signal de sa fortune. A plusieurs reprises, il vint attaquer son rival. En août 1848, notamment, à la tête de contingents trarza il atteignit le camp de Mohammed Râjel et le pillait. Les deux chefs furent blessés: le premier, d'une balle qui lui emporta deux doigts de la main, l'émir d'une balle dans le pied. L'émir fut complètement défait.
A partir de cette date, l'autorité de Mohammed Sidi s'accroît. Mohammed Râjel, sur les instances du Sénégal, est contraint de lui céder le tiers des coutumes. Dès l'année suivante l'autorité française le traite comme un véritable «Roi», suivant ses propres prétentions. Il est salué quand il vient à l'escale de salves de coups de canon et y perçoit les coutumes.
En 1850, une intervention en faveur de Mohammed Râjel fut tentée par le gouverneur. Pour faire échec aux bandes alliées de Mohammed Al-Habib et de Mohammed Sidi, il établit un camp d'instruction à Podor, y fit venir quelques troupes et s'y transporta de sa personne. Il put se rendre compte ainsi de la faiblesse de l'émir, que soutenait Ahmed Leïgat, le frère révolté de Mohammed Al-Habib, et dut abandonner sa cause.
Mohammed Sidi ne devait toutefois être complètement débarrassé de son rival qu'en 1851, date où son allié Mohammed Al-Habib, émir des Trarza, battit et mit en fuite Mohammed Râjel.
Le commandement de Mohammed Sidi devait, comme il convient, être agité par les agressions d'un nouveau prétendant: Sidi Eli, fils d'Ahmeddou Ier, qui, parvenu à la majorité, entendait recueillir la succession de son père. A la tête de ses partisans siyed et normach, il se heurta à plusieurs reprises aux bandes siyed et Oulad Ahmed, de l'émir.
Allié de Mohammed Al-Habib, son principal soutien, Mohammed Sidi ne nous fut jamais très sympathique. Il persécuta notamment les pourognes du fleuve, à qui il reprochait leur attachement aux Noirs et à la France. Aussi fonda-t-on, à plusieurs reprises, des espoirs sur son rival, Sidi Eli, et lui vint-on en aide dans ses luttes contre l'émir.
Dès avril 1853, on profita d'une brouille de l'émir avec Mohammed Al-Habib pour faire proclamer Sidi Eli, qui jusque-là avait été soutenu d'abord par Ahmed Leïgat, son oncle par alliance, puis, après l'assassinat de celui-ci par les bandes qui marchaient à sa suite. Mohammed Sidi, abandonné par tous, sauf par le chef d'une fraction siyed: Mokhtar ould Amar, s'enfuit jusque dans l'Adrar. Sidi Mborika, fils de Mohammed Al-Habib, le poursuivit plusieurs jours sans pouvoir l'atteindre. Cette année-là, Sidi Eli toucha les coutumes, au Coq.
Ce ne fut d'ailleurs qu'un intermède. Aussitôt Mohammed Al-Habib rentré chez lui, Mohammed Sidi revint dans le Brakna, la lutte reprenait entre les deux prétendants, quand les marabouts ramenèrent provisoirement la paix. L'émir gardait son titre de «roi» et renouait son alliance avec Mohammed Al-Habib. Sidi Eli gardait le commandement de quelques tribus.
Les hostilités entre les deux chefs reprenaient en 1854. La politique active de Faidherbe dans les affaires maures l'amenait, dès la fin de l'année, à prendre parti pour Sidi Eli, que les chefs toucouleurs de Podor lui avaient présenté, contre Mohammed Sidi, allié des Trarza.
Il lui écrivait, le 15 novembre 1855, ainsi qu'aux principaux chefs des Brakna, cette lettre habile:
Je désire vivement que Sidi Eli vienne à bout de Mohammed Sidi, ce captif de Mohammed El-Habib, qui ruine les Brakna pour faire plaisir aux Trarza.
Les Français et Brakna ont été des amis de tout temps contre les Trarza, excepté dans ces dernières années parce que Mohammed El-Habib, qui est très fier, était parvenu à tromper les Français. Il est temps de rétablir les choses sur l'ancien pied.
Le fils d'Ahmédou doit être l'ami des Français comme son père. Et qu'il fasse comprendre à tous les Brakna qu'ils doivent se réunir pour former une nation forte et puissante et qui ne soit pas à la merci de ses voisins.
Que Sidi Eli pousse vivement Mohammed Sidi et vienne s'établir près de Podor. Qu'il demande l'appui des gens de Toro qui sont nos amis.
Nous allons entrer avec une armée chez les Trarza; nous nous placerons de manière que les Trarza ne puissent pas empêcher la traite des Brakna à Podor. Si Sidi Eli s'arrange avec moi, qu'il vienne à Podor ou à bord d'un bateau, quand il voudra, pour qu'on le salue et qu'on le reconnaisse comme roi des Brakna. C'est lui qui recevra tous les cadeaux pendant la traite.
L'année dernière, j'ai donné plus de 25.000 francs à Mohammed Sidi et ce n'était qu'une partie de ce que je voulais lui donner, puisque mon intention est de faire cadeau, tous les ans, au roi des Brakna d'une pièce par mille livres de gomme.
Mais Mohammed El-Habib a forcé son tributaire de lui en donner la plus grande partie et d'empêcher des Brakna de continuer leur commerce.
Les Trarza sont déjà dans la plus grande misère. Nous allons achever à les ruiner cette année.
Que Sidi Eli s'entende avec les chefs raisonnables de son peuple et qu'il me réponde par une bonne lettre pour que nous puissions nous arranger.
Si nous nous arrangeons, je te donnerai des fusils et de la poudre et j'enverrai un vapeur au-dessus de Podor.
Mohammed Al-Habib répondait à cette diplomatie par un coup de maître. Il provoqua, au début de 1856, une grande conférence sous les auspices du grand Cheikh Sidïa, à Tindaouja. Une réconciliation générale intervint entre l'émir du Trarza, l'émir de l'Adrar et leurs différents chefs insoumis. L'émir du Brakna, Mohammed Sidi, y apparut aussi et donna son assentiment à la coalition maure, qui se préparait contre les Français. En revanche, notre ami, Sidi Eli, dont les sentiments étaient connus, ne fut pas convoqué.
Faidherbe n'attendit pas l'offensive. Par une proclamation en date du 9 février 1856, il interdisait toute communication avec les Brakna, «qui ne voulaient pas se séparer de Mohammed Al-Habib» et attaquait directement cet émir. Par la suite, il chercha, suivant sa propre expression, «à tirer parti des dissensions qui se manifestaient chez les Brakna, pour les détacher de l'alliance des Trarza», et pour faire échec à Mohammed Sidi qui créait des difficultés le long du fleuve et devant Podor.
Il installa, à cet effet, un camp à Koundy, à une lieue au nord de Podor, et y mit une garnison d'un bataillon d'infanterie et d'une section d'artillerie. De ce camp, ses troupes devaient incursionner pendant plusieurs années chez les Trarza et les Brakna.
A la fin de mars 1856, le gouverneur se rendit lui-même à Koundy où il eut une entrevue avec Sidi Eli, à la suite de laquelle les troupes du camp se joignirent aux Maures Brakna révoltés contre leur roi Mohammed Sidi et pénétrèrent dans l'intérieur. Il s'ensuivit quelques engagements heureux pour nos armes, qui cimentèrent l'alliance avec Sidi Eli et donnèrent à ce dernier une plus grande autorité sur ses partisans.
Dans ces différentes affaires, les Guedala, les Id Eïlik, les Tanak perdirent 4.000 moutons, des bœufs et un certain nombre d'hommes, dont le fils du Cheikh des Tanak. Des prisonniers furent faits et conduits à Podor. Sidi Eli restait en selle. En juin, on voulut, pour en finir, aller enlever, en face de Mbamam, le camp de Mohammed Sidi, défendu par les Oulad Ahmed; mais le commandant de Podor, chargé de cette opération, fut mal secondé par Sidi Eli et ne réussit pas. Sidi Eli n'embrassait en effet notre cause qu'avec une certaine mollesse, se souvenant qu'à diverses reprises, antérieurement, les Français l'avaient compromis, puis abandonné pour faire leur paix avec Mohammed Al-Habib.
Cet échec eut quand même un heureux résultat. Mohammed Sidi, inquiet, se retira vers le nord, et allait rejoindre son allié, vaincu, Mohammed Al-Habib.
L'année suivante, les hostilités recommencèrent. Mohammed Sidi, que l'émir du Trarza avait employé auprès de ses amis Toucouleurs pour les gagner à sa cause, parcourut le Fouta, et rentra bredouille. Il prit part à toutes les luttes des Trarza contre les Français ou leurs alliés, et s'attaqua notamment avec des contingents Oulad Ahmed, mais sans grand succès, à son concurrent. La tradition a conservé les noms de plusieurs de ces combats qui se succédèrent de 1855 à 1858: Morliyet, Foni, Lefar, Mbargou, au-dessus de Kaédi, Diabdiola, Djiguéti Monadji dans l'Oued, et à Kindelak, au nord-est du lac Rokiz.
Mohammed Sidi avait avec lui les Oulad Ahmed et une partie des Oulad Siyed, les Normach, les Oulad Eli et les Touabir.
A l'extérieur, chacun des deux partis brakna trouvait pour auxiliaire chacun des deux partis qui, de semblable manière, divisait les Id Ou Aïch. Sidi Eli s'appuyait sur les Chratit et Mohammed Sidi sur les Abakak. Flanqué de son éternel tuteur, Sidi, fils de Mohammed Al-Habib, il allait implorer le secours de l'émir Bakkar, des Id Ou Aïch.
Ce fut un coup de main des Oulad Ahmed qui amena la paix générale. Lassés de cette guerre incessante, travaillés par Bakkar, chef des Id Ou Aïch, qui venait de conclure un traité avec nous, ils firent alliance avec les Oulad Dâman des Trarza, qui étaient en instance de soumission, et lâchant Mohammed Sidi, décampèrent vers l'est. L'émir, dont ils étaient la principale force, eut recours à Mohammed Al-Habib pour les ramener à l'obéissance. Les deux chefs marchèrent à leur rencontre, mais les Oulad Ahmed, nullement intimidés, n'attendirent pas leur venue et les surprirent une nuit, tuant Mokhtar ould Omar, chef d'une moitié des Siyed, et plusieurs guerriers de Mohammed Sidi, et faisant prisonniers quelques Trarza qu'ils mutilèrent atrocement et renvoyèrent à Mohammed Al-Habib.
C'était la fin. Les deux émirs demandaient la paix. Avec les Trarza elle fut signée en mai 1858. Elle entraîna celle des Brakna, conclue le 10 juin.
L'émir Mohammed Sidi restait en place, mais comme on prévoyait qu'il était à la merci d'un coup heureux de son rival, le Gouvernement concluait avec tous les deux le traité de commerce et d'amitié, qu'il venait de passer avec l'émir des Id Ou Aïch, Bakkar ould Soueïd Ahmed, et qui allait constituer sur le fleuve le régime «des escales» qui a duré jusqu'à notre occupation effective.
Sidi Eli, lâché partiellement par les Français, eut recours à la perfidie, arme accoutumée des Maures. Il annonce officiellement sa soumission. Mohammed Sidi l'accepta, lui fit un accueil bienveillant, dans le secret espoir de s'en débarrasser lui-même et scella la réconciliation générale des Brakna par de grandes réjouissances (novembre 1858). Quelques jours plus tard, au cours d'une promenade, Sidi Eli tuait d'un coup de feu l'émir Mohammed Sidi. Il se faisait immédiatement reconnaître chef des Brakna par ses partisans enthousiastes, dans le silence apeuré du camp adverse; et épousait sans retard Garmi, veuve de sa victime. Elle devait être la mère d'Ahmeddou, le dernier émir et notre adversaire de 1903-1908.
Il y a, en marge de ces intrigues et aventures, une figure curieuse à signaler: c'est celle de Mokhtar Ndiak, premier ministre des différents émirs brakna, qui se succédèrent de 1840 à 1875. Il assurait à sa façon l'esprit de suite et la continuité de la politique brakna, en précipitant la chute des émirs, mais en maintenant soigneusement sa personne en place. Il s'annonce dans l'histoire comme le brillant prédécesseur de celui qui, chez les Trarza voisins, allait porter pendant un demi-siècle (1860-1910) cet art de la politique à sa plus haute expression: Khayarhoum.
Le traité, conclu le 10 juin 1858, avec chacun des deux émirs brakna, comportait les dispositions principales suivantes:
a) «Le roi des Brakna» reconnaît la protection de la France sur les provinces sénégalaises du Dinar et du Ouolof et s'engage à empêcher les courses de ses tribus sur cette partie de la rive gauche.
b) Rétablissement des relations commerciales. La traite de la gomme se fera toute l'année par les escales de Podor, Saldé... Le commerce de tous autres produits est libre.
c) Création d'un droit d'une pièce de guinée pour 600 kilos de gomme traité à Saldé (c'est-à-dire environ 3 p. 100). Ce droit est perçu par le Gouvernement français et versé à l'émir.
d) Neutralité absolue du chef brakna dans le commerce entre ses sujets et les traitants.
e) Droit pour les Français de couper du bois chez les Brakna sans payer de redevance.
Un acte additionnel à ce traité devait intervenir le 5 juin 1879. On le verra un peu plus tard.
Pendant tout ce temps, ce régime a fonctionné normalement et sans trop de heurts. Une seule difficulté s'est souvent présentée, touchant le versement intégral de la coutume aux émirs. A maintes reprises, l'avis officiel suivant, ou un avis semblable, parut à Saint-Louis: «Il ne peut y avoir de crédit dans les opérations commerciales avec ces peuples (maures) qu'aux risques et périls de ceux qui le leur accordent. L'administration a déjà déclaré et déclare que ce crédit n'engagera jamais pour elle la question politique.»
Malgré ces déclarations formelles, elle céda souvent, soit en consentant des avances aux émirs, toujours quémandeurs, soit en leur faisant des retenues pour payer des créanciers, qui attendaient vainement le paiement de leurs factures ou pour garantir de pillages commis par les tribus.
On se doute que les règlements de comptes furent épineux dans ces conditions et que les émirs, souvent furieux et toujours mécontents, se livreront plus d'une fois à des représailles tant sur les caravanes de gommes que sur les traitants du fleuve.
7.—Sidi Eli II (1858, † 1893).
Sidi Eli ould Ahmeddou prenait, en décembre 1858, par l'assassinat, le principat de son père que sa jeunesse l'avait empêché d'occuper, en 1841, à la mort d'Ahmeddou. Sa mère étant une hartanïa des Oulad Siyed.
Son commandement allait s'étendre sur une durée de trente-cinq ans, sans que nous ayons jamais eu à nous plaindre sérieusement de lui.
Les relations avec le nouvel émir débutèrent toutefois par une certaine friction. En juin 1859, des bandes brakna passèrent le fleuve et pillèrent plusieurs villages du Diolof. Invité à faire rendre gorge à ses gens, et impuissant à s'exécuter, Sidi Eli se vit attaquer dans son campement par une colonne volante que dirigeait le commandant Faron. Pris avec tout son monde et son bagage, il dut se soumettre et restituer les gens, bêtes et meubles capturés ou pillés; il jura en outre d'observer et faire observer plus fidèlement le traité signé l'année précédente.
C'est ici que se place le voyage de l'enseigne de vaisseau Bourrel et du lieutenant Alioun Sal, des spahis sénégalais. Ils partirent ensemble, le 12 juillet 1860, de Podor et arrivèrent peu après au campement de l'émir qui comprenait environ «onze cents tentes appartenant aux Oulad Siid, aux Oulad-Mansour, aux Ahratin-Oulad-Siid et aux Ahratin-Tanak.» Ils y passèrent environ trois mois, au cours desquels Bourrel prit de nombreuses notes et étudia le pays et les gens, tandis qu'Alioun Sal entretenait sa tâche de réconcilier Sidi Eli avec les Oulad Normach et Ahmed, toujours rebelles à l'autorité émirale. Il y parvint au moins en apparence, car Brahim ould Ahmeïada fit porter des paroles de paix à l'émir, et celui-ci accepta ses offres et «envoya un beau cheval à Brahim comme témoignage «d'amitié».
Ensuite, Alioun continuait sur le Tagant, où l'appelait une autre mission, tandis que Bourrel rentrait à Podor, en visitant les campements maraboutiques.
La maladresse de l'émir, se greffant sur l'animosité de l'émir terrouzi Sidi Mborika, allait lui attirer des difficultés sérieuses avec les Trarza. En fin 1860, il envoya une mission à Sidi Mborika qui venait de succéder à son père Mohammed Al-Habib. Cette mission était dirigée par un Zenagui du nom de Khaïna ould Baabba, qui ne montra dans ses fonctions diplomatiques qu'une grossièreté inouïe dans cette société maure si policée. Sidi le fit arrêter et garder à vue, mais Khaïna, enfourchant une jument de pur sang de l'émir, s'enfuit à toute hâte. Les pourparlers n'aboutissant pas, Sidi arma ses gens et marcha en personne contre les Brakna. Il trouva aussitôt des partisans sur place, car les Oulad Normach et les Oulad Ahmed n'avaient pas pardonné à Sidi Eli l'assassinat de Mohammed Sidi. Eli dut prendre la fuite. Il offrit des concessions, renvoya la jument, menaça des foudres de son allié le Gouvernement français. Rien n'y fit.
Sidi Mborika avait, en effet, contre Sidi Eli un motif de haine inexpiable. On sait que son père Mohammed Al-Habib avait fait tuer son frère Ahmed Leïgat. Or, le fils d'Ahmed Leïgat, cousin par conséquent de Sidi Mborika, avait épousé la tante de Sidi Eli, et avait été placé par ce dernier chez les Chratit, du parti de Rassoul, allié de Sidi Eli et ennemi des Trarza. Ce jeune homme commençait à grandir et manifestait des projets ambitieux et surtout des desseins de vengeance, qui n'étaient pas sans inspirer de l'inquiétude au fils de celui qui avait fait tuer son père.
Pour aller jusqu'au bout de son plan, Sidi Mborika devait détrôner Sidi Eli, et le remplacer par une de ses créatures. C'est ce qu'il fit en proclamant sa chute et en faisant reconnaître à sa place un cousin de l'émir renversé: Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi, le fils même de cet émir que l'autorité française avait déporté au Gabon en 1842.
Voici en quels termes Sidi Mborika annonçait cette transformation politique au commandant de Podor. Ils prouvent bien quel était l'état de nos relations avec les Maures, sous l'ancien régime:
Il ne faut pas chercher à vous mettre au-dessus de moi. Ecoutez ce que je vous dis, et vous, commandant, faites-le savoir à M. Faidherbe. Dites-vous que vous êtes des commerçants, qui cherchez à échanger vos marchandises. Vous avez besoin de quelqu'un qui surveille les chemins des marchands, qui vendent la gomme et toutes les productions de ce pays. Il vous faut un homme qui puisse chasser les pillards, qui soit intelligent, puissant et sache se faire obéir des sujets. Moi, je ne veux qu'améliorer le pays et empêcher les troubles. Pour cela je ne vois rien de mieux à faire que de nommer Mohammed Al-Habib. Dès que ma lettre vous sera parvenue, faites avec lui ce que vous faisiez avec les anciens princes, qui protégeaient les chemins. Soyez franchement son ami, et lui et moi, nous serons tout à fait vos amis.
Il faut savoir que je suis entièrement de son parti dans cette circonstance. Si vous êtes content et acceptez ce que je vous dis, nous aussi, nous serons satisfaits de vous. Si vous n'acceptez pas ce que nous venons de vous dire, nous serons irrités contre vous.
Cette belle épître ne convainquit pas Faidherbe. Sidi, au dire de celui-ci, employa alors un moyen machiavélique pour nous brouiller avec Sidi Eli. On avait eu le tort, en 1863, pendant la guerre avec le Fouta, d'exciter les Brakna contre les Toucouleurs, alors nos ennemis. Les Brakna ne demandaient pas mieux que de reprendre leurs anciennes habitudes de pillage sur la rive gauche et, par suite, Sidi parvint facilement même, en 1863, à engager une partie des sujets de Sidi Eli, et principalement les Oulad Ahmed, à exercer leurs pillages à main armée, même dans les environs de Podor. Sidi Eli, qui retenait à peine ses plus fidèles sujets, ne put rien faire pour réprimer ceux qui lui résistaient ouvertement.
Ne voulant pas aider à la réussite du projet de l'émir des Trarza, en rendant Sidi Eli responsable de ces pillages, et ne pouvant pas, d'un autre côté, laisser ces pillages et ces assassinats impunis, le gouverneur donna l'ordre au commandant de Podor de s'emparer des principaux coupables, s'il en trouvait l'occasion; c'est ce qui fut fait, et deux d'entre eux, tributaires des Oulad Siyed, convaincus d'avoir pris part à tous les vols et assassinats faits dans la banlieue de Podor, furent fusillés.
Malgré cet exemple, les Oulad Ahmed enlevèrent encore, quelques jours après, les troupeaux de Mao. Sidi Eli se mit immédiatement à leur poursuite, et leur fit dire que s'ils ne rendaient pas tout de suite les troupeaux, il allait leur faire la guerre. En effet, le 13 avril, il attaqua leurs camps, mais cette attaque ayant été faite sans ensemble, fut repoussée, et le parti de Sidi Eli essuya des pertes importantes. Pendant qu'une partie de son armée était ainsi mise en déroute, une autre bande, chargée d'enlever le camp où se trouvaient les femmes et les bagages, surprenait le chef des Oulad Ahmed, Biram, le tuait, ainsi que plusieurs autres personnages importants, et faisait des prises assez considérables.
Les Oulad Ahmed firent alors appel aux Trarza qui se préparèrent à intervenir.
L'émir Sidi Eli tergiversa, batailla, n'aboutit à rien.
Cette situation se traduisit par une anarchie épouvantable. La rive gauche du Sénégal ne tarda pas à en sentir les fâcheux effets. Des bandes d'aventuriers s'abattaient en rezzous sur les villages du Toro et les pillaient. Ce fut le sort de Dyouldé-diabé, Laboudou, Gamagué, Diatal, Eidi, Guédé, Foudéa, Nasli, Diambo, et de plusieurs campements de Peul Odabé.
Toutes nos récriminations ne servaient de rien, parce que Sidi Eli était dans l'impuissance de réprimer les brigandages tant de ses amis que de ses ennemis. «Ce n'est que peu de chose, disait-il en juillet 1863, et j'ai fait tout ce qu'on peut faire en pareil cas tant en amendes qu'en menaces de mort. Ceux qui craignaient cette dernière peine se sont sauvés... Quant aux Toucouleurs de Podor (les plaignants), je ne demande à Dieu que de les éviter, et qu'il ne leur arrive aucun accident. Au premier tort, ils courent vers le commandant et me font payer les dégâts. Au surplus, eux-mêmes ne cherchent qu'à me brouiller avec les Français.»
Du 1er janvier 1862 à la fin novembre 1863, il était ainsi enlevé 2.500 bœufs et plusieurs milliers de têtes de petit bétail.
L'émir Sidi Mborika, mettant à exécution ses projets, apparaissait à nouveau dans le Brakna, après avoir écrit au gouverneur une lettre dans laquelle il protestait de ses bonnes intentions, et où il déclarait n'intervenir dans les affaires des Brakna que pour rétablir l'ordre, en substituant à un chef impuissant un chef fort et respecté; il pénétra sur le territoire des Brakna, et fit sa jonction avec les Oulad Ahmed.
Le gouverneur, voulant faire encore une tentative en faveur du roi des Brakna, écrivit à Sidi la lettre suivante:
J'ai reçu votre lettre. Vous me dites que vous voulez intervenir dans les affaires des Brakna pour assurer la tranquillité du pays, pour le bien général. Si cela est vrai, il ne nous sera pas difficile de nous entendre, car nous aussi nous ne voulons que le bien général. Mais comment entendez-vous obtenir ce résultat? On nous dit que vous voulez pour cela nommer Mohammed Al-Habib roi des Brakna, je ne crois pas que cela soit le moyen d'arranger les affaires. Mohammed Al-Habib est un homme qui n'a pas l'habitude du commandement; il n'a ni richesse, ni partisans; il ne peut même pas habiter le pays des Brakna; les Oulad Ahmed seuls consentiraient à le reconnaître et ils sont tout à fait incapables de rétablir l'ordre chez les Brakna. Si vous ne leur aviez accordé votre protection et votre aide, ils se seraient déjà sauvés dans le désert. Tous les Brakna sont d'accord avec Sidi Eli, excepté les Oulad Ahmed. Il est donc bien certain que Mohammed Al-Habib ne pourrait pas gouverner les Brakna, quand même vous le nommeriez. Il y aurait bientôt toute espèce de désordres et c'est à vous, naturellement, que nous serions obligés de nous en prendre.
Vous voyez donc bien que vous allez entreprendre une affaire qui vous créera indubitablement des embarras sérieux d'où il pourra résulter une chose que nous ne désirons, ni vous ni moi, la guerre entre nous! J'ai reçu de France beaucoup de chevaux et de soldats, je n'ai jamais eu autant de forces à ma disposition. S'il survient des désordres dans le fleuve, je ne pourrai pas faire autrement que d'employer ces forces à rétablir l'ordre. Il y aurait un moyen plus simple et plus facile d'arranger les affaires que de suivre cette politique dangereuse: ce serait de vous entendre avec Sidi Eli. Si vous voulez, je vous ferai entrer en communication avec ce chef; je l'engagerai à vous accorder ce qui est juste dans une conférence que vous pourriez avoir ensemble et où assisterait un envoyé de moi.
Après la réception de cette lettre et arrivé à hauteur d'Aléibé, le roi des Trarza fit faire des ouvertures à Sidi Éli, en lui disant que quelques cadeaux arrangeraient l'affaire, et qu'il ne demandait pas mieux que de le laisser roi des Brakna et de s'en retourner chez lui. Sidi attendait les résultats de cette proposition, avant de s'aventurer davantage dans le pays, lorsque le bruit s'étant tout à coup répandu parmi ses troupes que le gouverneur arrivait pour lui couper la retraite; il y eut une débandade générale, et il opéra en deux jours son retour sur le territoire des Trarza.
Sidi Éli s'était réfugié à Tébékout (Saldé), où il avait jadis ouvert une escale et placé comme chef son ami Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli et maître du Rag, à qui il abandonnait le tiers de ses coutumes. Il revint sur la rive droite, regroupa ses bandes Siyed, Mansour et Éli, qui ne l'avaient pas abandonné, et assisté de contingents toucouleurs, mis à sa disposition par l'almamy du Fouta, notre allié, il recommença à batailler.
Dans les derniers mois de 1864 enfin, les Français, lassés de ces dissensions, qui portaient un coup fâcheux au commerce, réussirent à concilier les deux adversaires. Sous la haute autorité de Faidherbe, les délégués des deux émirs: Chems Mohameden Fal, des Ida Ou Al-Hadj, et Ahmed ould Braïk pour le Trarza, Djeddna et Rachid pour le Brakna, signèrent un traité de paix entre les deux confédérations (cf. en annexe).
Sidi Éli, se reconnaissant incapable de lutter contre son rival, achetait la paix au prix d'importants sacrifices: il s'engageait «à verser au roi des Trarza une indemnité de 250 pièces de guinée, ou leur valeur en bœufs». Il consentait à ce qu'un quart des droits perçus à son profit sur le commerce de la gomme à Podor fût payé à l'émir des Trarza.
Moyennant ces concessions, Sidi Mborika s'engageait à laisser les caravanes se diriger librement soit sur Podor, soit sur Dagana, et à assurer la sécurité des routes. Il reconnaissait Sidi Éli comme émir des Brakna et nouait amitié avec lui. Le prétendant Mohammed Al-Habib, abandonné de son protecteur, vint chercher asile chez les Oulad Dâmân du Trarza. Par la suite, il devait rentrer chez l'émir Ahmeddou, fils de Sidi Éli, et y finir tranquillement ses jours († vers 1900).
La disparition du prétendant ne ramena pas d'ailleurs le calme complet chez les Brakna. Les Normach revendiquaient toujours le droit de choisir dans leur campement princier l'émir de la confédération. Les Oulad Siyed entendaient conserver ces droits, acquis par prescription depuis un siècle. La lutte recommença donc et se poursuivit de longues années. Les Oulad Ahmed, par tradition d'indiscipline et d'anarchie, se joignirent aux Normach et aggravèrent le désordre. Ils furent même, la plupart du temps, les seuls adversaires des Oulad Siyed.
Voici, par exemple, ce qu'ils écrivaient astucieusement au gouverneur du Sénégal:
Si nous avons volé vos bœufs et ceux de vos amis ce n'était point pour rompre notre ancienne amitié. Notre ancienne amitié a été cause de la guerre qui a eu lieu autrefois entre les Trarza et les Brakna. Les Trarza ont été chassés et nous aussi. Alors nous nous sommes déterminés à voler dans le pays le plus que nous avons pu pour y porter le trouble et forcer Sidi Eli, par restitutions, à perdre le revenu qu'il pouvait recevoir des Blancs et des Noirs. A présent, nous sommes revenus dans le pays pour nous mettre d'accord avec les Oulad Seïd. Ils sont venus nous trouver à Aleïbé pour renouveler notre amitié. Ils se sont entendus avec les Oulad Normach pour nous trahir.
Nous nous sommes sauvés; on nous a poursuivis et on nous a rejoints dans un endroit qu'on appelle Chaïd (vis-à-vis d'Alod). Nous ne pouvions aller plus loin et avons été obligés d'accepter la bataille. Nous les avons repoussés et poursuivis toute une journée: nous en avons tué une quarantaine. Dieu nous a protégés contre leur nombreuse armée, composée de tous les Oulad Beïd, de tous les Oulad Normach, du chef des Oulad Eli, Mohammed ould Eïba et d'une partie des Touabir. Maintenant nous envoyons vers vous pour renouveler l'amitié qui existait entre nous, et nous attendons que vous en fassiez autant.
La preuve que nous avons toujours été vos amis, c'est que nous n'avons pas cessé de surveiller le chemin des gommiers. Depuis que nous avons dû quitter le pays jusqu'à présent, nous n'avons jamais souffert qu'un de nous fît du mal aux marchands de gomme.
Les caravanes du haut pays ont toujours passé près de nous en allant et en revenant et jamais nous ne leur avons rien exigé ou pillé.
Des combats aux issues les plus diverses se succédèrent pendant une dizaine d'années. Sidi Éli, appuyé sur Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli de Kaëdi, et sur les Toucouleurs du Fouta, nos alliés, finit par avoir raison de ses adversaires. Les Id Ou Aïch s'étaient partagés, suivant leur antique alliance, entre les deux camps et prirent part à plusieurs de ces rencontres. Après les combats des Maye-Maye et de Khaleïfi, Sidi Éli fut définitivement victorieux à Doffa, dans l'Oued (vers 1873).
A partir de cette date, s'il rencontre encore de l'opposition chez ces irréductibles ennemis, son autorité émirale n'est plus contestée. Les luttes devaient d'ailleurs reprendre avec une certaine intensité, soit en 1880 contre les Trarza, soit en 1885 contre les Oulad Normach et Ahmed, et leurs alliés Abakak (Id Ou Aïch). On les verra plus bas.
En 1879, les escales vivaient toujours sous le régime du traité de 1858. «Après vingt et un ans de paix profonde entre les deux nations, comme dit le préambule, le moment semble venu d'introduire dans leurs relations commerciales des modifications en rapport avec les liens d'amitié des deux peuples. Un acte additionnel fut donc signé, le 5 juin 1879, par le capitaine Louis, représentant du gouverneur Brière de L'Isle, et l'émir Sidi Éli.
Il y est dit en substance:
a) Il n'y a plus d'escales. Le commerce de la gomme et de tous autres produits est libre; il se fera à terre ou à bord, dans les anciennes escales ou partout ailleurs.
b) La coutume proportionnelle est supprimée. Elle est remplacée par une indemnité fixe, payée par quarts au moment de la traite.
c) Neutralité absolue de l'émir des Brakna dans le domaine commercial.
Une convention, passée le 22 mai 1880, réglait l'indemnité fixe, restée indéterminée dans l'acte additionnel. La quotité en était de 1.600 pièces de guinée filature, dont 400 étaient distraites au projet de Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli et de l'escale de Tébékout (Saldé).
Une autre convention, en date du 13 août 1886, fixait cette quotité à 2.000 pièces, dont un quart pour le chef de l'escale de Tébékout (Saldé), Sidi Ahmed, qui dans l'intervalle avait succédé à son père Mohammed Heïba.
Des incursions des Oulad Dâmân en 1878-1879 faillirent rallumer la guerre entre Trarza et Brakna. Les bons offices du gouverneur, d'une part, et l'intercession du Cheikh Sidia Baba, qui faisait ainsi ses premières armes, d'autre part, ramenèrent la concorde. L'affaire fut réglée par indemnités.
Il en fut de même de plusieurs incursions de Toucouleurs sur des tribus maraboutiques, et notamment les Tagnit, alors dépendant du Brakna. L'émir, qui nous savait en délicatesse avec les gens de Dibango (Aleïba), offrit de faire nos affaires en faisant les siennes. Il voulait se jeter sur ces Toucouleurs et les piller. L'affaire se régla par transaction.
En 1881, Sidi Éli engagea son ami Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli, à s'interposer entre les Français et Abdoul Boubakar, chef des Bosséa, qui se posait en révolté. De plus, il adressait à Abdoul lui-même une lettre pressante pour l'engager à faire la paix. Il lançait en même temps une proclamation dans le Bosséa «pour faire comprendre aux habitants que la paix avec les Français était indispensable pour la tranquillité et le bien-être de leur pays».
En 1885, Sidi Éli se retrouve pris entre les Trarza et les Id Ou Aïch. Du côté des Trarza et par la pression de Saint-Louis, l'affaire s'aplanit presque aussitôt. Éli Diombot, émir des Trarza, se dit exaspéré contre son voisin brakna, qui utiliserait contre lui ou tout au moins laisserait utiliser (notamment par les pillards Oulad Siyed) les secours que les Français lui font passer à l'usage des Toucouleurs du Bosséa. En réalité, il veut rétablir sa popularité en baisse, en conduisant ses hassanes au pillage. Il est d'ailleurs non moins fâché contre les Français, qui «donnent la liberté aux captifs, gardent ses tributaires (Taghredient) sur leur territoire et autorisent les gens du Cayor et du Baol à garder les biens de ses sujets, qui meurent dans ces provinces.» Encore qu'il eût déclaré «qu'il ne supporterait pas cela tant qu'il aurait la tête sur son cou», il finit par s'amadouer devant les menaces que proféra le gouverneur à l'annonce des premiers pillages sur les Oulad Tari.
Mais avec les Id Ou Aïch, les affaires allèrent plus loin. Une bande d'Abakak, alliés des Oulad Normach, envahit le Brakna oriental sous la conduite de Nabra (de son vrai nom Brahim), fils naturel de l'émir Bakkar ould Soueïd Ahmed. Les campements prirent la fuite, tandis que Mokhtar, fils aîné de Sidi Éli, organisait la résistance et demandait naturellement le secours des Chratit, ennemis des Abakak. Il se mit à la tête de bandes siyed et de quelques Oulad Ahmed; mais, repoussé, il dut prendre la fuite et fut tué au cours de la poursuite par Nabra.
A cette nouvelle, Sidi Éli lança son second fils Ahmeddou sur les envahisseurs. Nabra, qui à l'instar du poète arabe chantait: «Ce n'est pas à mes ancêtres que je dois ma gloire, mais à moi-même. C'est moi qui suis un ancêtre. Je suis Brahim ould Brahim», reçut la troupe brakna à coups de feu. Le combat resta indécis et, suivant la coutume maure, on se sépara sans résultat.
Nabra finit par rentrer dans sa tribu. Sidi Éli, rasséréné, prit alors l'offensive lui-même, et surprit et razzia les partisans de Nabra dans le Fori. L'affaire en resta là.
Notre alliance avec Sidi Éli joua en 1891, lors des difficultés qui s'élevèrent entre le Gouvernement français et Amar Saloum, émir des Trarza. Il soutint de toutes ses forces Ahmed Saloum II ould Ali Diembot, rival suscité à Amar Saloum par les Français. Il aida à son triomphe en lui envoyant un groupe de partisans, commandé par son fils Ahmeddou.
Cette assistance devait assurer d'excellentes relations, de ce jour et jusqu'à notre arrivée, entre Trarza et Brakna. Elles eurent leur consécration par le mariage du nouvel émir des Trarza avec la fille de Sidi Éli: Fatma. Cette union, si heureuse de ce côté, devait par ailleurs être funeste à Ahmed Saloum, car sa première femme Myriam ould Brahim, jalouse, se retira dans son campement des Oulad Ahmed ben Dâmân, et cette fraction ne tarda pas à passer au parti de Sidi ould Mohammed Fal, rival de l'émir.
Sidi Éli ne devait pas voir ces difficultés de son gendre. Il mourut en 1893, sur les bords du fleuve, à Lehroud, en face de Mafou. Il fut immédiatement et sans difficulté remplacé par son fils aîné Ahmeddou.
8.—Ahmeddou II (1893-1903).
Ahmeddou II ould Sidi Éli était âgé de 40 ans environ à son avènement. Il était complètement inféodé aux Oulad Siyed de par ses origines paternelles et de par ses attaches maternelles: sa mère était en effet une Siyedïa, Garmi ment Ahmed Fal. Par elle, Ahmeddou se trouvait être le frère utérin de Mohammed, fils posthume de l'émir Mohammed Sidi ould Mohammed.
Vers 1878, l'émir Sidi Éli avait fait épouser à son fils Ahmeddou Moumina, fille de son allié Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli et protecteur des escales de Tébékout (Saldé) et de Kaédi. Il en eut un fils, Sidi Éli, généralement connu sous le sobriquet d'Ould Assas, du nom de sa nourrice.
Moumina, nouvelle Aliénor d'Aquitaine, allait par ses mariages successifs semer la brouille pendant plusieurs années dans cette partie du Sud mauritanien.
En 1883, elle déserta le domicile conjugal et se réfugia chez son père à Kaédi. Puis, en vraie fille de hassane et sans attendre la répudiation, elle épouse Nabra, fils naturel de l'émir des Id Ou Aïch, qu'on a vu plus haut et qui, outre l'avantage de sa stature gigantesque, avait, aux yeux de la vindicative Moumina, le bénéfice du meurtre de Mokhtar, frère de son ex-mari. Ahmeddou, indigné, la répudia aussitôt. L'intrigante ne fut pas étrangère aux luttes qui se déroulèrent alors entre Brakna et Id Ou Aïch.
Quelques années plus tard, Moumina revint à ses premières amours; elle lâcha Nabra, réintégra le «Mahsar» des Brakna et eut l'adresse de se faire épouser une deuxième fois par Ahmeddou. Après divers incidents conjugaux, un nouveau divorce intervint, et Moumina, rendue à la liberté, s'empressa d'aller faire le malheur d'un homme d'Église, le Kounti Sidi Amar ould Sidi-l-Mokhtar, des Ahel Cheikh.
Cette fugue ne dura pas. La princesse mésalliée revint, un an après, dans le campement d'Ahmeddou, y épousa son frère Mohammed Al-Habib, brouilla quelque temps les deux frères, fut répudiée à nouveau, et finalement, ses charmes étaient désormais inopérants, se retira dans le campement de son fils Ould Assas: elle y est morte en 1917, à Touizit, dans le Chamama.
Pour en finir avec les aventures conjugales de l'émir Ahmeddou, il reste à dire qu'il épousa, en mai 1899, la nièce de Rassoul, chef des Chratit: Fatma ment Cheikh ould Éli. Il n'en eut qu'une fille: Garmi, aujourd'hui revenue avec sa mère chez les Chratit. Il répudia, peu après, cette Fatma et depuis cette date ne vécut plus qu'avec des filles de ses haratines et captifs, notamment Diouldé, ancienne captive enlevée au chef des Oulad Normach, et qui a suivi Ahmeddou en dissidence; Ziza ment Haboub, ancienne captive enlevée aux Oulad Ahmed, mariée actuellement à Soumaïla, détenu de droit commun à Aleg; et enfin Ment Baba, Toucouleure. Il en a eu plusieurs enfants: Mohammed, né vers 1899, Bakar, né vers 1900.
Ahmeddou, autant par son caractère fourbe que par la faiblesse de son autorité ou plutôt de ses moyens, devait nous causer jusqu'en fin 1903, date de l'occupation de son pays, toutes sortes de désagréments.
Dans le courant de l'année 1890, le gouverneur Clément Thomas avait fait dénoncer à Sidi Éli la convention de 1886 fixant à 1.500 pièces de guinée le taux de l'indemnité fixe, remplaçant les droits de sortie sur les gommes. 1.000 de ces 1.500 pièces furent accordées à l'émir des Trarza et il n'en resta que 500, que Sidi Éli ne voulut point accepter. Cette mesure avait été prise, parce qu'au cours de la traite des dernières années, il avait été constaté que Sidi Éli était complètement impuissant à maintenir la sécurité de l'escale. Il n'avait plus aucune autorité sur les tribus rattachées à son groupe, il ne pouvait se faire obéir même par ses sujets directs. Il laissait faire, si même il n'encourageait pas les pillages sans nombre par les gens de son propre camp.
Durement atteint par cette réduction de sa rente, Sidi Éli fit de grands efforts pour arriver à rétablir son autorité. La situation restait néanmoins tendue, quand il mourut. Avec son fils Ahmeddou, que l'administration contribua à faire accepter pacifiquement aux tribus, et qui, plus jeune et plus actif, paraissait inspirer confiance, on revint à l'ancien état de choses. On visa à affermir son autorité sur les Oulad Normach et Oulad Ahmed; on renforça le commandement de ses représentants; on exécuta loyalement les conditions du traité du 12 décembre 1891, conclu d'ailleurs avec lui-même, représentant son père, et qui accordait à l'émir brakna une indemnité fixe de 1.000 pièces de guinée filature.
On pensa en même temps utiliser sa vigueur et sa prétendue bonne volonté, en le liguant avec les Ahel Sidi Mahmoud, fâchés de se voir coupé les routes de Bakel par les Id Ou Aïch, et en jetant un fort rezzou de ces deux tribus sur le camp de Bakkar ould Soueïd Ahmed, émir des Id Ou Aïch, qui avait offert l'hospitalité à nos trois irréductibles ennemis sénégalais: Abdoul Boubakar, chef du Bosséa; Ali Bouri Ndiaye, bourba du Diolof, et Amadou Chékou, marabout agitateur.
Toute cette politique fut vaine, et Ahmeddou opposa la force d'inertie, chère aux Maures. Il fallut en arriver à retenir sur ses coutumes la rançon des pillages commis par ses gens, ce qui évidemment ne fit qu'augmenter le nombre des razzias et nous brouiller périodiquement avec Ahmeddou. En mai 1895, dans son indignation, il ferme brutalement l'escale de Podor. Le voyage inopiné du Directeur des Affaires politiques Merlin lui fit perdre contenance, et il rouvrit aussitôt l'escale.
La grande aventure du principat d'Ahmeddou fut la lutte qui éclata entre les Dieïdiba, marabouts classiques des Oulad Biri, marabouts, cousins et alliés des Oulad Ahmed. Par le jeu des alliances traditionnelles et des haines invétérées, la plupart des tribus trarza et brakna, tant guerrière que maraboutique, allaient en être troublées. N'étaient notre présence et l'influence acquise par notre politique dans les affaires maures, des luttes interminables eussent à nouveau ensanglanté les confins trarza-brakna. Elles restèrent localisées aux Oulad Biri et aux Dieïdiba.
Déjà, sous Cheikh Sidïa Al-Kabir, vers 1860, un incident fâcheux, mais qui n'avait pas d'autre importance que celle des menus faits de la vie de tribus voisines, était venu mettre à l'épreuve les bons rapports antérieurs des Oulad Biri et des Dieïdiba. Un individu des Oulad Falli, Mohammed ould Abd El-Fattah, s'étant pris de querelle avec des zenaga Dieïdiba, marcha contre eux à la tête de ses gens, les surprit et en tua seize. Sur l'intervention de Bakkar ould Soueïd Ahmed, émir des Id Ou Aïch, qui était aussi par indivis suzerain des zenaga tués, Cheikh Sidïa Al-Kabir consentit à payer la dïa, qui fut fixée à 16.000 pièces de guinée. L'affaire n'eut donc pas d'autres suites.
Vers 1890, des contestations au sujet de trois points d'eau, Bou Talhaïa, Hasseï Al-Afia et Aredekkel, dans l'Amechtil, dont les deux tribus revendiquaient la propriété, remirent le feu aux poudres. La question s'aggravait encore du fait de contestations similaires sur les terrains de la Dabaye du Chamama. De 1890 à 1900, il se livra une multitude de petits combats, dont il serait fastidieux de donner le détail.
Il suffit de retenir que les hassanes des deux pays prirent respectivement parti pour leurs marabouts. L'émir du Trarza, Ahmed Saloum Ier, son parent, Sidi Ahmed ould Bou Bakar Siré, et surtout les guerriers Oulad Dâmân et Euleb, marchèrent avec les Oulad Biri. L'émir du Brakna, Ahmed ould Sidi Éli, avec ses gens Oulad Abdallah et ses alliés toucouleurs Aleïbé du Chamama, combattaient pour les Dieïdiba. Ces passes d'armes peu sérieuses entre gens qui faisaient parler la poudre sans conviction, et cherchaient surtout à vivre aux crochets des Tolba, sous prétexte de les défendre, furent plus d'une fois fâcheuses pour les Oulad Biri. Le Cheikh faillit être enlevé en 1896 dans son camp d'Aouadane, et ne dut son salut qu'à la valeur de ses élèves noirs, qui se jetèrent avec fureur sur les bandes Dieïdiba et Oulad Siyed et les exterminèrent.
L'intervention de l'autorité française amenait une série de tractations entre les belligérants: d'abord la paix est conclue, au moins en principe, en novembre 1896, à Boïdel Barka, entre les chefs trarza et brakna. Le 29 janvier suivant, les délégués des deux tribus maraboutiques signent à Podor une déclaration, qui énonce qu'aucune réparation ne sera accordée de part et d'autre pour les dégâts respectivement commis. Sous les auspices du gouverneur général, une convention est passée, à Saint-Louis, le 9 février 1897 entre les deux émirs, assistés de leurs ministres et conseillers.
Les actes antérieurs précités y sont confirmés: Podor est reconnu escale brakna, sous l'autorité d'Ahmeddou, mais avec liberté commerciale pour tous les Maures du Trarza. Les deux émirs s'engagent à faire sérieusement la police de leurs tribus. Ahmeddou enfin autorise les Oulad Biri à habiter et à cultiver sur le territoire des Brakna qu'ils occupaient précédemment. Il les autorise notamment à se réinstaller à Dabaye (marigot de Morghen ou de Koundi).
Une nouvelle convention voulut consacrer avec plus de force encore, en 1898, les accords établis l'année précédente[5]. Mais pour éviter les difficultés qui avaient surgi, les terrains litigieux de Dabaye furent déclarés neutres et placés sous la surveillance spéciale de l'administrateur de Podor. Pendant ce temps, les Toucouleurs de la rive gauche passaient sur le fleuve et mettaient les terrains en valeur. Il fut impossible d'obtenir des uns et des autres la bonne volonté nécessaire à des concessions réciproques. Ils ne voulurent même plus se voir: Ahmeddou refusa de rendre visite à un marabout. Cheikh Sidïa ne voulut point se rendre au campement d'Ahmeddou pour éviter de s'y faire assassiner.
[5] Pour les textes français de ces deux conventions de 1897 et 1898 entre Trarza et Brakna, Cf. «L'Émirat des Trarza (Annexes)», par Paul Marty, in collection de la Revue du Monde Musulman.
La lutte continua donc de plus belle entre les tribus; elle finit pourtant par tourner à l'avantage, au moins apparent, des Oulad Biri, en ce qui concerne les puits du nord. Les Dieïdiba vaincus durent évacuer, vers la fin de 1899, l'Amechtil et l'Aoukeïra, mais ils prirent leur revanche en y venant piller, les années suivantes, les campements biri, de sorte que ceux-ci à leur tour durent abandonner les puits litigieux et se concentrer dans l'Aoukeïra. Non entretenus, ces puits tombèrent bientôt en ruines. En 1903, assurés de l'appui de Coppolani et profitant de l'état de l'insoumission de Dieïdiba, qui ne pouvaient ainsi faire valoir leurs droits, Cheikh Sidïa fit réoccuper le territoire abandonné et remettre les puits en état. La soumission des Dieïdiba allait en 1904, soulever à nouveau le conflit. Ils demandèrent sans tarder à entrer en possession de leurs puits. Les Oulad Biri protestèrent, et comme l'affaire traînait en longueur, les combats recommencèrent de toutes parts, entre haratines et captifs d'abord, puis entre zenaga, et enfin entre marabouts.
Les autorités des cercles Trarza et Brakna allaient mettre un terme à ces luttes et procéder à un accord entre les tribus.
Sous les auspices du capitaine Gerhardt, commandant le cercle du Trarza, un arrangement fut conclu, le 7 février 1912, entre Sidi El-Mokhtar, cheikh des Oulad Biri et Mostafa ould Khalifa ould Ouadia, principal notable des Dieïdiba, délégués par eux à ces fins. Le droit de propriété des puits a été reconnu aux Dieïdiba, mais les deux tribus auront la jouissance de l'eau, suffisamment abondante pour contenter tout le monde. Satisfaits de n'avoir pas cédé à leurs adversaires et d'avoir tous à moitié gain de cause, les indigènes ont promis réciproquement de ne pas apporter de gêne à l'exercice de leur droit de jouissance commune; et depuis 1912, ils paraissent avoir tenu parole.
Ahmeddou eut encore à intervenir à plusieurs reprises dans les dissensions intestines, qui déchirèrent les Touabir, de 1896 à 1900. A la mort du cheikh de la fraction Anouazir, Cheikh ould Hammadi, sa succession politique fut disputée entre son fils Hamdel Khalifa et le chef de la famille rivale Neïbat. L'affaire avait d'autant plus d'importance que les Anouazir sont les fractions princières de la tribu, et que leur chef est pratiquement le chef de la tribu. La querelle se maintint peu de temps circonscrite aux deux rivaux: le jeu des alliances et des haines réciproques amena successivement du côté de Hamdel Khalifa une partie des autres Touabir, et notamment les Oulad Al-Kohol, puis Sidi Ahmed ould Mohammed ould Heïba, ex-chef des Oulad Eli de Kaédi, révoqué par nous; du côté d'Ahmed Neïbat, le reste des Touabir et notamment les Oulad Yora, puis M'hammed, chef en fonctions des Oulad Eli, rival du premier. A partir de 1897, le conflit est général, et des rencontres se produisent à chaque occasion.
L'émir des Id Ou Aïch, Bakkar, eut la sagesse de ne pas se laisser entraîner dans le conflit, en arguant que les uns et les autres étant ses tributaires, il n'avait pas à prendre parti en faveur des uns ou des autres. Mais Ahmeddou sollicité à plusieurs reprises, et qui avait d'abord refusé, se laissa tenter par les cadeaux de guinée des Oulad Al-Kohol. Il envoya un contingent à leur secours. Les Oulad Yora firent marcher la cavalerie de Saint-Georges et leurs guerriers, de sorte que leurs ennemis, y compris la bande d'Ahmeddou, furent complètement défaits à Segar. Ils laissaient plus de 100 morts sur le terrain.
L'honneur d'Ahmeddou était engagé: il manifesta l'intention de réduire à merci les révoltés, ce qui valut immédiatement à ceux-ci le concours de ses ennemis Normach et Oulad Ahmed. Ses bandes, commandées par Mohammed Krara, son frère, et Ould Assas, son fils, et composées de Siyed et de Dieïdiba, marchèrent contre les Oulad Yora, en juillet 1901. Ceux-ci, intimidés prirent la fuite. L'affaire en resta là et Hamdel Khalifa fut reconnu chef des Touabir.
A la fin du dix-neuvième siècle, à la veille de notre occupation, la situation politique était la suivante: Les Oulad Siyed dominaient de Zouireth Mohammed (près Dagana) jusque vers Boghé et dans l'intérieur, jusqu'à Aleg et Chogar. Ils protégeaient surtout les Dieïdiba, les Tolba Tanak, les Hijaj et les Kounta-khol Bekkaï.
Les Oulad Normach commandaient sur le fleuve, vers Cascas et la région de Mal. Ils protégeaient les Id Eïlik, les Soubak, les Ahel Taleb Mohammed, les Tiab Ould Normach, les Meterambin et les Kounta Ahel Sidi Amar.
Les Oulad Ahmed descendaient quelquefois jusqu'à Boghé et commandaient, vers Chogar, l'Akel et l'Agan, ils protégeaient les Oulad Biri, les Ahel Gasri les Draouat. Les Oulad Eli (O. Abdallah aussi) commandaient vers Kaëdi et le Raag, et protégeaient les Lemtouna, les Toumodek et les Hijaj de l'est.
Les Ahel Souid Ahmed (Id Ou Aïch) faisaient sentir leur influence jusqu'à Guimi, Mal, l'Agueïlat et protégeaient surtout les Tâgât, les Torkoz, les Id ag Jemouella et les Kounta Oulad Bou Sif.
En fait, chaque tribu maraboutique faisait elle-même sa police intérieure et extérieure, et ne faisait intervenir les guerriers que lorsqu'elle ne pouvait pas faire autrement.
Les guerriers pillaient sans vergogne amis et ennemis, prenaient de force ce qu'on ne voulait pas leur donner, tandis que leurs haratines et leurs zenaga volaient sans cesse. Les plus voleurs étaient les haratines Oulad Siyed et le zenaga Arallen (région de Podor), et les Touabir (Khat).
On ne pouvait approcher du fleuve sans être volé. La meilleure police était faite par les Ahel Souid Ahmed, qui, voulant se réserver le monopole du pillage, châtiaient impitoyablement les zenaga, Hassanes Oulad Talha, Oulad Bou Sif marabouts et autres pillards qui rançonnaient leurs gens.
Le principat d'Ahmeddou allait prendre fin en décembre 1903 par l'occupation française.
Dès 1902, et tout en poursuivant sa politique d'apprivoisement en tribu, Coppolani avait installé un fort à Regba à la limite des pays trarza et brakna, et un autre à Boghé au débouché sur le fleuve du pays brakna. Il avait entamé avec Ahmeddou des relations pleines d'espoir. Malheureusement les sympathies qui l'attachaient à Cheikh Sidïa étaient une forte cause de défiance pour les Dieïdiba marabouts et conseillers de l'émir et de ses Oulad Siyed. Coppolani prit son congé en France dans l'été 1903. Pendant son absence, divers traitants, intéressés au maintien de l'anarchie, donnèrent à l'émir les plus mauvais conseils et firent donner les Dieïdiba. Il arriva qu'Ahmeddou, moitié par crainte, moitié par esprit de résistance, rassembla ses fidèles et ses haratines et fit décider l'alliance avec les Id Ou Aïch. Il partit aussitôt les retrouver. C'est peu après que Coppolani allait prononcer sa déchéance et confisquer ses biens au profit du Trésor (décembre 1903).
CHAPITRE VIII
L'OCCUPATION FRANÇAISE
Arrivé à Boghé en fin novembre 1903, Coppolani apprenait qu'Ahmeddou réunissait ses contingents à Aleg, et s'apprêtait à s'unir aux Id Ou Aïch pour nous combattre, malgré toutes les promesses de dévouement faites antérieurement.
Toutes les tribus religieuses armées, et notamment les Dieïdiba, suivaient ce mouvement concerté avec notre vieil ennemi, l'émir Bakkar, des Id Ou Aïch. Toutefois et par opposition de principe, les Oulad Normach et une partie des Oulad Ahmed, dont les chefs étaient venus à Boghé saluer le gouverneur général, de passage au début de l'année, demeuraient fidèles à leurs engagements.
En présence de cette situation et pour arrêter des incursions certaines vers le fleuve, Coppolani activait l'exécution de son programme d'occupation du pays brakna, simple acte préliminaire de l'occupation de Tagant.
Le 1er décembre 1903, il quittait Boghé, accompagné du résident du pays brakna, du commandant des troupes du Tagant et d'un détachement de spahis. Par la mare de Sarak, il était sur les bords cultivés du lac Aleg, le 3. Aucun incident ne s'était produit sur la route. Une fraction importante des Dieïdiba, rencontrée le lendemain au cours d'une reconnaissance, et campée sur la rive opposée du lac, apprit à la colonne la fuite d'Ahmeddou, de ses hassanes, et du reste des Dieïdiba vers Chogar.
Coppolani leur envoyait aussitôt des émissaires spéciaux pour les inviter à ne pas quitter le pays. Mais Ahmeddou poussé par ses deux neveux, deux fils de Bakkar et un certain nombre d'Id Ou Aïch, arrêtait ces émissaires, groupait ses haratines, quelques contingents Dieïdiba, Oulad Ahmed et autres dissidents, au total 400 fusils environ, et, la nuit du 8 au 9 décembre, se jetait sur le camp des envahisseurs. Toutes les précautions avaient été prises. Après une vive fusillade, les agresseurs furent repoussés, laissant quelques morts et quelques blessés sur le terrain. De notre côté, nous avions un tirailleur et quelques porteurs blessés et deux goumiers tués. Quelques chevaux de spahis, effrayés par les feux de salve, avaient cassé leurs entraves et pris la fuite. Dès l'aube, le commandant des troupes, faisant une reconnaissance aux environs, rencontrait quelques Oulad Siyed, en tuait trois et chassait les autres. Il désarmait le campement des Dieïdiba précités et le faisait installer près du poste pour avoir guides et moyens de transport sous la main.
Cette agression d'Ahmeddou, commise surtout à l'instigation des Id Ou Aïch, fut le principal fait d'armes de l'occupation du Brakna.
Quelques jours plus tard, le capitaine Chauveaux mettait fin à toute récidive en surprenant à Chogar, à 40 kilomètres d'Aleg, le campement d'Ahmeddou et en mettant en déroute ses bandes hassanes.
L'action politique de Coppolani s'exerça aussitôt sur les tribus religieuses. Les premiers, les Kounta, ennemis invétérés des Id Ou Aïch, vinrent à lui, et promirent de les combattre en liaison avec lui, dès qu'il s'avancerait vers l'est.
C'est à cette date que fut créé le poste d'Aleg avec toutes les précautions défensives d'usage. Sis sur une hauteur et habilement fortifié, il était, pour ainsi dire, imprenable. Au point de vue local, il domine tout le pays brakna et permet la surveillance de toute la région, comprise entre Aleg, Boutilimit, Podor et Boghé. Au point de vue politique, il est placé sur la bifurcation des routes du Tagant, situé à 6 jours au nord-est. Ils constituait en plus, à cette date, un excellent bastion sur le flanc des Id Ou Aïch.
La mission de Tagant prit sans plus tarder la direction du nord-est. Les tribus zouaïa du Brakna, déjà ralliés lui firent ses envois entre Boghé et Aleg.
Quant à Ahmeddou, il n'abandonnait pas toute résistance. Dans une conférence tenue à Agadel, près d'Acheram, et à laquelle participèrent Ahmeddou, Bakkar et leurs fils, le plan de campagne suivant fut arrêté:
Les Id Ou Aïch rallieraient tous leurs tributaires et tenteraient l'enlèvement du poste d'Aleg, où ils se fortifieraient solidement. Puis deux colonnes iraient, l'une à Gueïlat, à l'est de la région du moyen Mounguel, l'autre à Mbout. Elles s'y installeraient sur des positions retranchées, afin de s'opposer à la pénétration française. L'occupation de Mbout paraît avoir été à ce moment la grande crainte de Bakkar, et il joua de cette inquiétude pour rallier définitivement à lui les Chratit, toujours frondeurs à l'égard des Abakak, et les Oulad Aïd.
Ce plan de campagne n'aboutit pas. La mission d'organisation du Tagant se mit en marche, accompagnée d'un goum où l'on voit figurer, à côté des chefs trarza, plusieurs chefs brakna: Bakar ould Ahmeïada, chef des Normach; Biram ould Himeïmed, chef des Oulad Ahmed, et enfin Sidi Ahmed ould Heïba, chef des Oulad Eli, de Kaëdi. C'était sur leur propre territoire que les Id Ou Aïch devaient sauver l'honneur de leur nom.
La mission arrivait à Mal, le 1er février, et y installait un poste fortifié semblable à celui qu'elle venait d'établir à Mouit. Sis à 70 kilomètres à l'ouest d'Aleg et à 80 kilomètres au nord de Kaédi, Mal réunissait des condition excellentes pour la surveillance du fleuve et la centralisation des moyens nécessaires au départ de la mission et à l'organisation même du plateau central du Tagant. La région, couverte de lougans, offre des ressources en bestiaux et en cultures. C'est un plateau boisé que traverse un important marigot terminé par un lac de 40 kilomètres de circonférence, où existe toujours une eau limpide, de qualité excellente.
Les tribus religieuses Id ag Jemouella, Torkoz, Touabir, Toumodok, Lemtouna, Tâgât, Hejaj, et des campements divers, etc., vinrent aussitôt faire leur soumission et demander la protection française. Les Oulad Ahmed, au nombre de 600 fusils, suivirent le mouvement et sur la demande de Coppolani, s'installèrent aux environs de Mal. Plusieurs autres fractions religieuses, retirées entre Mal et la falaise, et qui attendirent notre installation à Mal pour en faire autant, se décidèrent quelques jours plus tard, et échappèrent non sans peine à la surveillance des guerriers Id Ou Aïch.
Ceux-ci, excités maintenant par Ahmeddou, qui sentait la partie lui échapper définitivement, projetèrent d'attaquer soit Mal, soit Mouit. Ils commencèrent par des escarmouches et finirent par investir Mouit dans la nuit du 16 au 17 février, au nombre de plusieurs milliers. Ahmeddou menait le bal. Ils furent repoussés avec des pertes sérieuses et se retirèrent au pied de la falaise du Tagant.
En même temps, Coppolani n'oubliait pas de faire intervenir puissamment l'influence de ses amis marabouts. Cheikh Sidïa vint le trouver dans son campement, et par sa présence, ses palabres, ses lettres, contribua fortement à mettre fin à cette campagne de guerre sainte, qui commençait à prendre naissance sur le haut fleuve et dans certaines tribus. Par lui encore et pour satisfaire leur haine nationale, les Kounta du Brakna et de Tagant, même quelques fractions Ahel Sidi Mahmoud, la plupart des campements Chrattit, quelques Tadjakant se rapprochaient des Français, ou tout au moins promettaient leur neutralité.
Le Brakna pouvait dès lors être considéré, sinon comme entièrement pacifié, au moins comme suffisamment en main pour permettre de passer à la deuxième partie du programme, ou tout au moins de l'amorcer: l'occupation du Tagant. Aussi, dès le 9 mars 1904, la mission se mettait-elle en branle vers la falaise. Un détachement quittait Mal sous la direction même de Coppolani; un autre détachement commandé par le capitaine Payn et comprenant plusieurs chefs toucouleurs: Abdoulaye Kane, Samba, etc., partait de Mouit, à la même date. Ils faisaient leur jonction le 11, et le 14 atteignaient à Gour Mal les nombreux campements hassanes et tolba qui, sous la direction d'Ahmeddou et d'Othman ould Bakkar, cheminaient vers le Nord-Est pour se réfugier dans les montagnes de l'Assaba. A l'approche de la colonne, les guerriers prirent le devant; les marabouts revinrent sur leurs pas avec de nombreux troupeaux. Par l'humanité de Coppolani, qui fit prendre des hausses supérieures aux distances appréciées, les pertes des ennemis furent minimes.
La colonne rentrait, dès le lendemain, sur le territoire brakna, en en ramenant les habitants.
Le 13 juillet 1904, 120 tentes Oulad Siyed, c'est-à-dire à peu près toute la tribu princière,—nobles et haratines—venait faire, sous la conduite de Mohammed Krara, frère de l'émir, sa soumission à Boghé. Ils avaient, dans leur fuite, subi des fatigues énormes et étaient complètement épuisés. Une quinzaine de personnes étaient mortes de faim. Mohammed Krara, Abd El-Jelil, chef des marabouts Dieïdiba, qui demandait aussi l'aman, et Cheikh Fal arrivaient peu après à Saint-Louis. Ils apportèrent la soumission du Brakna.
Une contribution de guerre de 500 bœufs et de 1.000 fr. leur fut infligée: elle fut répartie ainsi:
| Oulad Siyed | 102 | bovins | ||
| Id ag Fara Brahim | 120 | —— | 3.848 | francs |
| Id ag Fara | 93 | —— | 1.987 | —— |
| Zemarig | 99 | —— | 2.115 | —— |
| Ahel Mohammed Othman | 5 | —— | 320 | —— |
| Tabouit | 60 | —— | 1.282 | —— |
| Ahel Negza | 21 | —— | 448 | —— |
Désormais le Brakna reprenait sa vie normale. Les hostilités y étaient closes; tous revinrent en foule travailler ou faire travailler dans le Chamama. Les derniers irréductibles n'étaient plus que des dissidents.
Les vaincus—qui étaient les seuls hassanes—n'acceptaient pas toutefois sans résistance morale le nouvel état de choses. Voici, à titre d'échantillon, la protestation qu'ils adressaient, en fin 1905, au représentant du Gouvernement français.
Quoique non producteurs, nous tenions presque tout le commerce entre nos mains. Nous faisions les opérations nous-mêmes ou par l'intermédiaire de marabouts complaisants, qui recevaient pour leur salaire un quart de la valeur de la vente. Les acheteurs étaient les dioula du Diolof ou du Cayor, les marabouts trarza et les traitants du fleuve. A part un peu de gomme, la région trop pauvre fournissait peu au commerce; nous étions donc approvisionnés par de fructueuses razzias et par les caravanes venues du Nord. Les principaux articles de vente, et l'on peut dire les seuls, étaient les animaux pillés (bœufs, chameaux, chevaux, moutons) et les captifs. En 1903, les Tadjakant, les Larlal, les Ida Ou Ali et les Kounta ont versé sur le marché brakna plus d'un millier de captifs, par convois qui atteignaient parfois le chiffre de 200. Ce trafic était d'un bon rapport pour tous: vendeurs, acheteurs et commissionnaires et l'on a le droit de se plaindre de votre surveillance et de votre contrôle pour en empêcher le retour.
Quant aux irréductibles et aux pillards du Nord, ils se signalaient encore par quelques petits coups de mains, tels les Oulad Bou Sba, qui s'emparèrent notamment d'un convoi de munitions entre Aleg et Mal, razzièrent les Kounta de Chogar et en s'en retournant pillèrent, près de Mal, les troupeaux des tribus maraboutiques. D'autres Bou Sba, ceux-là nos amis, leur donnèrent la chasse. A signaler encore, à la lisière des territoires trarza et brakna, à 30 kilomètres au nord-est de Podor, l'attaque nocturne du poste de Ragba par un rezzou que dirigeait le fils de Mokhtar Oummou, des Oulad Dâmân (Trarza), dans l'intention de venger son frère, tué quelque temps auparavant par une de nos bandes toucouleures. Cette attaque fut facilement repoussée.
Ahmeddou, presque seul, demandait l'hospitalité à son allié Bakkar, et se retirait dans les campements Abakak de l'Assaba.
Bakkar pressé entre la mission, qui préparait sa marche vers le Tagant, et les tribus Kounta et Oulad Nacer des confins du Sahel, qui le harcelaient, ne tarda pas à faire des offres de soumission. Elles ne devaient toutefois pas aboutir immédiatement, car la marche de la mission fut arrêtée et l'occupation du Tagant fut ajournée à la saison sèche suivante. Pendant ce temps, Ahmeddou avec ses guerriers Siyed et ses marabouts Dieïdiba se tenaient dans l'expectative dans les campements Abakak.
Le meurtre de Coppolani et les événements qui agitèrent en 1905, et surtout en 1906, le Tagant purent sembler à Ahmeddou et à son fils Ould Assas une occasion de revanche. Ils comptèrent parmi les plus bouillants guerriers du Chérif, Moulay Dris, envoyé par le Maroc pour tenir l'étendard de la guerre sainte et cimenter l'union des tribus rebelles. Ils prirent une part active au siège de Tijikja.
En outre, Bakkar ould Ahmeïada, chef des Normach se laissait séduire par les paroles sucrées du Chérif et de son entourage, et faisait défection en novembre 1906.
Cette défection se produisait à la suite d'un essai de règlement assez intempestif, effectué par l'administration entre les Normach et les Kounta-Ahel Sidi-l-Mokhtar.
A la suite d'une agression, en 1904, des Normach contre les Kounta, un tribunal composé de trois cadis, condamna les premiers au paiement d'un certain nombre de «dïa». La saisie des biens fut opérée, mais un reliquat restait dû à Sidi Amar, chef des Kounta, qui ne cessait de réclamer le paiement intégral de la somme fixée. Les deux tribus, ennemies entre elles, essayaient à tout instant de se nuire. La situation toujours très tendue fut dénouée brutalement, en octobre 1906, par une nouvelle agression des Normach contre les Kounta. Une véritable bataille fut livrée, et de part et d'autre quelques individus restèrent sur le carreau. Bakkar prit immédiatement la brousse et alla donner son adhésion au Chérif.
Ainsi par sa proximité du Tagant, le Brakna subissait, en fin 1906, une répercussion assez sensible des incidents de Tijikja.
En novembre, les Oulad Normach dissidents faisaient une incursion sur le fleuve et pillaient le troupeau du village de Cascas. Le 16 décembre, ils s'emparaient de trois troupeaux de bœufs, appartenant aux Peul de Falcandé et tuaient un indigène. En même temps, une bande de dissidents fort mêlée tentait d'enlever le troupeau du poste de Ragba, mais était repoussée avec pertes. Les gens de Bakkar pillaient peu après les campements Id Eïlik, et notamment celui de leur chef Tig ould Moïn, qui avait présidé le tribunal des cadis précité.
En même temps, un petit mejbour d'Oulad Ahmed dissidents, commandé par Seneïba, ex-chef de la tribu, pénétrait sur le territoire brakna. Rencontré par une reconnaissance entre Chogar et Digguet-Memmé, il s'enfuyait sans accepter le combat.
Ould Assas et sa bande inauguraient cette série de pillages par lesquels il allait se signaler pendant deux ans. Il opérait plusieurs razzias aux environs d'Aguiert, pillait un courrier à Digguet-Memmé, et enlevait des troupeaux aux Touabir M'haïmdat et aux Soubak.
En même temps, le consortium de nos grands ennemis: Ahmeddou ex-émir des Brakna, Mohammed Mokhtar, chef des Kounta du Tagant et Othman ould Bakkar, émir des Id Ou Aïch, écrivait à Cheikh Sidia et à Mohammed Saloum III ould Brahim, émir des Trarza, pour les inviter à évacuer le pays trarza et à se joindre à eux-mêmes ou tout au moins à les laisser attaquer en toute liberté les Français et leurs partisans.
Il n'est pas jusqu'aux Id Ou Aïch qui ne se missent de la partie. A la tête d'un rezzou d'Ahel Soueïd Ahmed et d'Oulad Talha, Deï ould Bakkar, frère d'Othman précité, entrait dans le Brakna par la passe de Tizigui. Il enlevait à Melga, à 20 kilomètres à peine de Mal, un troupeau de 300 bœufs et de 1.200 moutons aux Id ag Jemouella.
Cette recrudescence de mejbour était due à la dissémination forcée des ennemis, provoquée par l'arrivée à Tagant de la colonne de secours Michard et par le besoin impérieux où se trouvaient les dissidents de se ravitailler.
Peu de tribus maraboutiques firent dissidence. Il n'y eut guère que quelques campements Messouma et Torkoz. Ils se hâtèrent d'ailleurs de demander l'aman, dès que la colonne Michard eut dispersé rebelles et ennemis du Tagant. Les conditions qui leur furent imposées comprenaient principalement le paiement d'une amende de guerre proportionnée à leurs ressources, le désarmement partiel, et la reddition de toutes les armes à tir rapide.
L'histoire du Brakna se résume à dater de cette heure, dans la nomenclature des rezzous et contre-rezzous dont il est le champ d'opérations. Puis peu à peu les chefs de bandes sont tués, meurent en exil ou font leur soumission. Le calme s'accroît. A partir de 1910, quand l'Adrar est définitivement pacifié, on peut dire que la tranquillité générale n'est plus troublée.
Voici les principaux faits de cette période; chez les Noirs riverains du Sénégal d'abord.
Le 1er février 1908, le chef du canton du Démette signalait qu'une troupe de Maures avait pillé à trois reprises le village de Gorel, situé entre Dinetiou et Dara (Podor), et était disposée à se jeter sur Boghé ou Thiénel; que quatre indigènes avaient été tués ou blessés, et que d'autres engagements avaient lieu, notamment à Gallol, depuis une huitaine de jours.
La venue d'Ould Assas et d'une bande de 40 guerriers maures et pourognes était également signalée; un pillage d'une centaine de vaches et d'un millier de moutons était commis sur des Peul du canton d'Edy, qui avaient passé le fleuve pour mener leurs troupeaux dans les pâturages de la rive droite.
D'autre part, à Boghé, on annonçait successivement le pillage d'un village de cultures près de Chabou: le passage d'Ould Assas dans les campements des Dieïdiba, aux environs d'Aleg, et l'attaque, le 27 janvier, du village de Gorel.
A la suite de ces attaques et pillages, suivis de meurtres qui provoquèrent parmi la population sédentaire des bords du fleuve une profonde émotion, des mesures immédiates furent prises pour exercer une active police dans le pays.
Le peloton de spahis, commandé par le lieutenant Corrart des Essarts, reçut l'ordre de se rendre à Boghé et d'exécuter des reconnaissances dans la région troublée.
En outre, quelques fusils 74 distribués dans les villages les plus exposés aux pillages devaient permettre aux habitants de repousser les attaques éventuelles des petits groupes armés.
A ce moment, Bakkar ould Ahmeïada, chef dissident des Oulad Normach, était également signalé dans la région nord de Boghé. Après diverses tentatives infructueuses de recherches des «Mejbour», le lieutenant des Essarts réussissait à tomber, le 27 février, à la mare de Sarrak (située à 40 kilomètres au nord de Boghé), sur la bande d'Id Ou Aïch et d'Oulad Talha commandée par Ould Assas et la mettait en pleine déroute.
Ould Assas fut grièvement blessé et passa plusieurs mois pour mort. Recueilli et soigné par les Dieïdiba, il fut reconduit, sur la fin de sa guérison dans l'Adrar. Le cadavre pris pour le sien, sur le champ de bataille, était celui d'un indigène des Euleb. Trente autres Maures restaient sur le terrain. Un noir blessé et fait prisonnier était ramené à Boghé. Cet indigène n'était autre que l'artilleur bambara qui avait déserté en 1904, après avoir tiré sur son chef, le lieutenant Coupaye; il avait porté les armes contre nous en diverses circonstances notamment, contre les détachements français qui ont sillonné le Tagant en 1905.
Le combat de la mare de Sarrak eut une importance politique considérable et ramena le calme dans la région du Chamama.
Dès lors, la présence des spahis n'étant plus d'une nécessité urgente à Boghé, le peloton reçut l'ordre d'exécuter une tournée de police dans le cercle du Brakna pour consolider par cette manifestation les résultats obtenus.
En même temps, les prises importantes faites sur les tribus dissidentes du Gorgol, à Mbout, permirent de rendre aux habitants des villages riverains du Sénégal une partie des biens qui leur avaient été enlevés par les bandes d'Assas. Un millier de moutons furent ainsi répartis à Podor entre les indigènes qui avaient été les plus éprouvés.
Les pillages, commis sur les populations maures, étaient moins importants que ceux dont les indigènes du Sénégal étaient victimes.
Les Id ag Jemouella avaient, le 2 janvier 1907, un troupeau de 60 bœufs enlevé, à 4 kilomètres du poste de Mal; les Rahahla, campés dans le Chamama, à proximité des Dabaï et attaqués par la bande des Trarza dissidents Oulad Ahmed ben Dâmân, avaient deux hommes tués et un blessé; les Tâgât, réfugiés à 150 mètres du poste d'Aguiert, se voyaient enlever leurs troupeaux par les Oulad Bou Sba; ces derniers purent être rejoints par une reconnaissance qui reprit les biens volés, après avoir tué un des pillards.
D'autre part, le chef des Oulad Normach dissidents, Bakkar ould Ahmeïada, attaquait vers la fin de janvier, les Toumoudek de Sidi-l-Mokhtar; les Touabir M'haïmdat, accourus au secours du campement, contribuèrent à repousser cette attaque dans laquelle furent tués 9 hommes: le propre frère de Bakkar, Omar Bou Salif, du côté des Oulad Normach, et 8 Toumodek et Touabir.
Quelque temps après, il pillait le village de Mbagne (mai 1907). Énergiquement poursuivi par le lieutenant Chabre, il est atteint à Chagour, mais peut encore échapper, abandonnant toutefois une grande partie de son butin.
Après quelques exploits de ce genre, et notamment le pillage dans la région du Mal, le 8 novembre 1907, d'un campement Torkoz qui eut 18 hommes tués et se vit enlever un nombreux bétail, Bakkar était assassiné dans la nuit du 30 décembre par un de ses hommes, à la suite d'une altercation violente. 4 hommes de sa bande rentraient immédiatement à Aleg et faisaient leur soumission.
Le ralentissement des rezzous et surtout l'occupation de plus en plus efficace du Tagant permirent à ce moment-là la suppression des petits postes du début. C'est ainsi que Guimi et Aguiert disparaissent en fin 1906; Mal, en septembre 1907.
A la même date, on envisagea un instant l'évacuation d'Aleg et le transfert de la capitale du Brakna à Chogar. On trouvait Aleg placé dans de mauvaises conditions hygiéniques, et surtout hors du centre géométrique des tribus principales. Le choix se portait sur Chogar, mieux placé pour l'administration des nomades, sis à une vingtaine de kilomètres des meilleures zones de pâturage du cercle, où les chameaux peuvent séjourner toute l'année et à 4 jours du fleuve seulement. De plus, la nature très boisée des environs offre en abondance des matériaux de construction. Ce projet fut ajourné, et malgré qu'il ait été repris plusieurs fois, n'a jamais abouti.
Le 4 juin 1908, un convoi de ravitaillement, montant vers Aleg, est attaqué à Azlat par quelques dissidents, conduits, a-t-on dit, par Seneïba. Ils tuèrent les mulets à coups de couteaux et fusillèrent l'interprète noir et plusieurs gardes qui s'étaient laissés surprendre.
En novembre 1908, Cheikh vint à Aleg pour saluer le colonel Gouraud, Commissaire du Gouvernement, et palabrer avec les tribus.
En fin décembre 1908, et au début de 1909, Ahmeddou fait une apparition dans le Brakna et jusque dans le Chamama pour entraîner la dissidence des tribus, et surtout des Oulad Ahmed. Pourchassé, il ne put donner suite à son projet et s'enfuit.
Par la suite, on voit Hobeïb, frère d'Ahmeddou, incursionner aussi dans le Brakna et se faire donner, mi de gré, mi de force, des cadeaux par les marabouts ou les Toucouleurs. Il est plusieurs fois mis à mal par les gens d'Eliman Abou.
Le retour de l'Adrar de la colonne Gouraud, en décembre 1909, amena la soumission à peu près générale de tous les chefs rebelles du Trarza et du Brakna: Ould Deïd, Isselmou ould Mokhtar Oummou, Ahmed ould Bou Bakar, Lobat ould Ahmeïada, Sidi Ahmed ould Bou Bakkar, etc., se présentent soit à Boutilimit, soit à Aleg par des chassés-croisés plus ou moins habiles, et déposent les armes. Il ne restait plus en dissidence que Seneïba, qui revenait à son tour quelques semaines plus tard, et l'émir Ahmeddou, qui, irréductible jusqu'au bout, s'enfonçait vers le sud marocain.
Le 1er juillet 1910, un groupe de pillards enlevait près d'Aguiert 70 chameaux aux Tâgât, et le lendemain pillait une caravane de dioula à Lekfotar et brûlait les correspondances enlevées d'un courrier.
Le lieutenant Bourguignon rattrapait les pillards à la passe de Tizigui, reprenait marchandises et chameaux enlevés et tuait 2 pillards. La leçon fut salutaire; elle amena leur soumission presque immédiatement à Chingueti.
Peuple heureux, le Brakna n'a désormais plus d'histoire.
Le cercle du Brakna fut constitué dans sa première forme par un arrêté du Gouverneur général du 26 décembre 1905; il était formé des anciennes régions de Mal et de Regba, auxquelles fut jointe la partie de l'ancienne région de Gorgol, située sur la rive droite de cet oued. Le chef-lieu en fut Aleg, avec deux résidences annexes: Boghé et Mal.
Le cercle devait être remanié et délimité par l'arrêté du Gouverneur général, en date du 26 décembre 1912. Il était borné au nord par le cercle de Tagant, à l'est par le Gorgol, à l'Ouest par le Trarza, au sud par le fleuve Sénégal, le séparant de la colonie du même nom. Il comprenait en cet état le Brakna proprement dit, ou territoire des Maures, avec Aleg comme chef-lieu, et le Chamama, zone d'inondation du Sénégal, peuplé de Noirs (Toucouleurs), avec Boghé comme chef-lieu. Aleg restait la capitale du cercle.
Un arrêté du 30 juin 1918 a partagé le cercle en deux nouveaux cercles, calqués sur ces deux régions géographiques: le premier, qui conserve son nom de Brakna, est le cercle Maure et reste soumis à un officier (Aleg); le second, qui prend le nom de Chamama, est un cercle Noir, et se trouve désormais commandé par un administrateur (Boghé). Nul doute qu'un avenir prochain ne mette fin à ce partage inutile, et même fort gênant, et ne ramène les choses en leur état antérieur.
Le Brakna maure actuel comprend quatre grandes régions naturelles; l'Amechtil, pays des grandes dunes et des puits profonds. Le sol, surtout sablonneux, est partout très perméable—L'Agan, région de dunes et de roches. Les mares et les oglat y sont nombreux, et l'eau y persiste longtemps, suivant les pluies, et quelquefois toute l'année. L'Akel, région intermédiaire entre les deux autres; le sol assez compact retient l'eau. Les mares et les oglat y sont nombreux, mais l'eau ne persiste que pendant deux ou trois mois après l'hivernage. L'Aftouth, qui s'étend au nord du Chamama, dont il le sépare par une ligne de dunes de faible altitude. C'est un pays de «tamourt» nombreuses (cuvettes, déversoirs de bassins fermés), où l'eau abonde en hivernage, tandis qu'en été, on la trouve à faible profondeur. Les principales sont l'Aguiert, Guimi; Chogar-Toro; Lemaoudou; Aleg (bassin de l'Oued Katchi); Mal, qui se déverse quelquefois dans le Sénégal par le Khat; la rive droite du bassin du Gorgol avec les tamourt de Dionaba, Chogar-Godel, et enfin les oueds Lgoussi, Mouit, Mounguel. La rivière la plus importante du Brakna est l'oued Katchi (prononcé à peu près Katyi, Kaki) dont le cours a environ 170 kilomètres et qui se jette dans le lac d'Aleg. Les lits de ces tamourt et oueds sont formés d'une bonne terre alluvionnaire, où les haratines maures font leurs lougans.
La transhumance des troupeaux est soumise à la règle générale des tribus du nord immédiat du fleuve: réserver pour la saison sèche les points où l'eau sera abondante et facile à prendre, c'est la loi du moindre effort. Aussi, dès le début de l'hivernage, tout le monde s'éparpille, fuyant les grands tamourt où pullulent mouches et moustiques. L'oued Katchi est la plus grande région d'attraction, l'herbe et l'eau y abondent et les campements peuvent s'installer sur les plateaux qui l'entourent, plateaux assez dénudés, d'où le grand vent chasse les moustiques. Lorsque les premiers froids ont détruit les moustiques, que les petites mares sont à sec, on se rapproche des grands tamourt. Lorsqu'en ces puits l'eau a disparu, on creuse les oglat. A mesure que la sécheresse augmente, beaucoup d'oglat se dessèchent. En mai-juin, les tribus sont toutes concentrées autour des 4 ou 5 points d'eau principaux; Aleg, Guimi, Mal, le bassin de Gorgol et autour des grands puits.
LIVRE II
CHRONIQUE ET FRACTIONNEMENT DES TRIBUS
Les tribus qui habitent actuellement le territoire brakna sont d'origine arabo-berbère, comme toutes les tribus de l'Afrique du Nord et de l'Afrique occidentale.
Certaines sont nettement d'origine arabe: ce sont les hassanes[6] Oulad Abd Allah (I Oulad Normach et II Oulad Siyed) et III, Oulad Ahmed, qui se rattachent, comme on l'a vu plus haut aux invasions arabes des quatorzième et quinzième siècles. Leurs généalogies claires, simples, incontestées chez eux et au dehors, les lient indiscutablement à ces grands condottieri qui descendent du Sud marocain. Ce sont eux d'ailleurs les seuls qui portent le nom de «Brakna». Le pays a pris d'eux le nom de «territoire brakna» ou «territoire des Brakna» (trab Brakna), parce qu'ils en étaient les maîtres politiques, mais ce serait faire une injure grave aux tribus maraboutiques que de les appeler «Brakna». Elles sont simplement, à leur dire, domiciliées sur le territoire brakna.
[6] La numérotation indique l'ordre d'étude de ces tribus.
Nos prédécesseurs sur la terre sénégalaise avaient, dès le dix-huitième siècle, fait la distinction, sans toujours bien se rendre compte des faits. Voici par exemple Labarthe, qui dit: «La troisième tribu, appelée Ebraquana, s'étend à l'est de celle Aulad el Hagi... Les Maures Braknas font partie de la tribu Ebraquana.» (1784). Les «Maures Bracknas» sont pour lui évidemment les hassanes, ou vrais Brakna commandés par «Hamet-Mocktard». C'est exact. Mais il fait erreur quand il veut les insérer dans une tribu Ebraquana. Il n'y a pas de tribu de ce nom, autre que la première, quelle qu'en soit l'orthographe, mais il y a un territoire brakna, où nomadisent d'autres tribus que les Brakna.
La deuxième couche des Brakna est constituée par les tribus tolba ou zouaïa, dont nous avons fait les «tribus maraboutiques» et qui sont plus nombreuses d'ailleurs que les tribus guerrières. Ce sont les: IV Dieïdiba; V Zemarig; VI Kounta; VII Torkoz; VIII Hijaj; IX Id Eïlik; X, Id ag Jemouella, ceux-ci se prétendant Chorfa; XI Tâgât; XII Tolba Tanak; XIII Ahel Gasri; XIV Draouat; XV Tachomcha. Ces tribus maraboutiques sont toutes d'origine berbère, encore qu'elles se donnent par delà leur ascendance berbère-marocaine une lointaine extraction arabe. Il est d'ailleurs avéré que, soit dans leur passé sud-marocain, soit depuis les invasions hassanes, quelques gouttes du sang arabe se sont infusées à leur sang, de même que du sang berbère s'est répandu par les mariages dans les veines des hassanes. Ces tribus berbères sont en général celles qui ont pris part à la grande guerre de Cherr Babbah (dix-septième siècle), dont l'issue malheureuse les a définitivement muées en marabouts.
Viennent enfin au troisième degré les tribus zenaga proprement dites, c'est-à-dire «tributaires». J'ai expliqué dans l'Émirat des Trarza que zenaga avait perdu son sens originel de Çanhadja, pour prendre celui de «tributaire», encore qu'il y ait des tributaires qui ne soient pas Çanhadja et des zenaga-Çanhadja qui ne soient pas tributaires. Il n'y a pas à y revenir ici. Ces tribus zenaga, qui vivaient à demi-guerrières dans le sillage des hassanes et avaient réussi à se faire respecter d'eux, sont les XVI, Behaïhat; XVII, Soubak; XVIII, Toumodek; XIX, Tabouit; XX, Touabir.
Il ne reste à ajouter à cette nomenclature que XXI, le village sédentaire (dabaï) d'Aleg, dont la création ne remonte qu'à notre occupation (fin 1903).
Avant d'entamer l'étude directe de chaque tribu, il faut donner, au moins pour la perfection de la documentation, les prétendues et fantaisistes—au moins pour la plupart—origines arabes que se donnent les tribus du Brakna.
Sont Qoreïchites: les Oulad Abd Allah (Oulad Normach et Oulad Siyed), les Oulad Ahmed, les Kounta, les Hijaj.
Sont Himyarites: les Dieïdiba, les Torkoz, les Tâgât; les Id Eïlik, les Soubak, les Toumodek, les Behaïhat, les Arallen, les Touabir.
Sont Chorfa: les Id ag Jemouella.
CHAPITRE PREMIER
OULAD NORMACH
1.—Historique.
On a vu dans la première partie de cet ouvrage les origines et l'histoire des Oulad Normach. Jusqu'au milieu du dix-huitième siècle, en effet, cette dynastie dirige le sort des Brakna et l'histoire de l'une n'est que l'histoire des autres.
Vers 1780, le pouvoir passe définitivement aux Oulad Siyed dans la personne de l'émir Mohammed ould Mokhtar. C'est à cette branche cadette qu'est lié désormais le sort de la tribu. Pour continuer à suivre l'histoire des Oulad Normach, il faut la reprendre à cette date.
Ahmeïada, fils ou petit-fils de Ahomel Heïba, paraît être mort, ou en tout cas avoir perdu le commandement de la confédération vers 1780. Une tradition dit qu'il aurait été assassiné par ses gens révoltés. Il laissait de nombreux enfants, dont les plus connus, pour avoir joué un rôle ou pour avoir laissé une descendance subsistant aujourd'hui, sont Mohammed, Mokhtar Cheikh, Sidi Ahmed, Hiba et Bakkar. Ces enfants étaient tous en bas âge: ce fut sans doute une raison de plus, qui permit aux Oulad Siyed de se substituer aux Normach.
A l'intérieur des Oulad Normach, l'anarchie régna plusieurs années. Mohammed, fils aîné d'Ahmeïada, parvenu à l'âge d'homme, refusa de faire valoir ses droits et se convertit au maraboutisme. Ses jeunes frères s'étaient retirés chez les Oulad Eli de Gorgol, dont le chef Sidi Heïba avait épousé leur sœur Fatima Ahmeïada. Dès qu'il fut à l'âge d'homme, Mokhtar Cheikh, deuxième fils d'Ahmeïada décida son beau-frère à combattre les Oulad Normach et leurs berbères zenaga Oulad Aïd. Il ne subit que des échecs et se rendit compte qu'il ne pourrait par la force assouvir sa haine et venger la mort de son père. Sidi Heïba essaya alors de diviser les Oulad Normach et leurs tributaires. Il «fit connaître aux premiers qu'il ne leur en voulait pas, et qu'il ne désirait que vivre en bonne intelligence avec eux, pourvu qu'ils se séparassent des Oulad Aïd».
Les Oulad Normach allaient accepter, quand Mokhtar Cheikh leur demanda audience. Dès qu'ils l'eurent mis au courant de leur projet d'abandonner les Oulad Aïd, pour éviter la continuation des hostilités avec les Oulad Eli, il les en dissuada, leur déclarant que cette action serait indigne de leur passé et de leurs aïeux, qui, eux, n'avaient jamais abandonné leurs vassaux. Il leur fit comprendre que Sidi faisant une telle proposition, n'avait d'autre but que de les diviser et de les vaincre en détail, puisqu'il n'avait pu les anéantir, lorsqu'ils étaient réunis. Il ajouta que s'il le fallait, pour l'honneur du nom, il n'hésiterait pas à marcher contre les Oulad Eli eux-mêmes, dans les rangs des Oulad Aïd.
Les Oulad Normach auraient été tellement touchés du raisonnement de Mokhtar Cheikh et de son dévouement à sa tribu d'origine qu'ils déclarèrent qu'ils ne pourraient avoir un meilleur chef que lui, lui dressèrent une tente au centre du campement et lui rendirent l'héritage paternel.
L'ambition du fils d'Ahmeïada, seul chef désormais des Oulad Normach, était satisfaite. Il déclara la guerre aux tribus des régions voisines, Trarza, Tagant, et jusque dans le Hodh. Avec les Oulad Siyed il fut en lutte perpétuelle. Il tua ainsi près de Kaédi Sidi Heïba son beau-frère, qui l'avait élevé. Il fit si bien qu'à la fin de son règne, les deux tiers des hommes valides de la tribu étaient morts sur les champs de bataille. Il fut enterré à Chogar.
Son frère Heïba ould Ahmeïada lui succéda.
L'alliance conclue par son prédécesseur avec les Ahel Soueïd Ahmed, qui habitaient le Tagant, fut consolidée et il leur vint en aide contre les Chratit, leurs cousins. Il continua la lutte contre les Oulad Siyed et Oulad Eli et mourut un an après, de la variole.
Il fut remplacé par son frère, Sidi Ahmed, dont la mère appartenait aux Ahel Mohammed Aïda, famille régnante de l'Adrar. Celui-ci conclut la paix avec toutes les tribus originaires de la souche Oulad Abdallah et elles déclarèrent alors la guerre aux Oulad Ahmed, qui, quoique Brakna, faisaient toujours bande à part.
La guerre ne dura que quelques années, car les Oulad Ahmed vaincus demandèrent la paix. Ils s'empressèrent du reste de la violer en assassinant Heïba ould Sidi Ahmed à Tamourt Nadj.
Les Oulad Ahmed se vengèrent, avant même d'attendre le successeur de leur chef tué, Brahim ould Mokhtar, qui se trouvait dans le Tagant, lors de l'assassinat de son oncle. Ils massacrèrent près de Chogar toute une caravane Oulad Ahmed. Quelque temps après, Brahim épousa une jeune fille des Oulad Ahmed et les deux tribus se réconcilièrent.
Pendant tout le temps que dura le commandement de Brahim, Oulad Ahmed et Oulad Normach vécurent en bonne intelligence, nomadisant ensemble. Pendant l'hivernage, ils vivaient sur l'oued Katchi à Guimi, à Tamersnat et dans l'Agan. Pendant la saison sèche, ils étaient installés: les Oulad Normach, au nord du Chamama, en face la province du Lac, dont les habitants étaient leurs amis; les Oulad Ahmed, en face du canton des Aleïbé.
Toutes deux marchaient ensemble contre leurs ennemis communs, les Oulad Siyed.
Ces derniers vivaient constamment près du fleuve, en face du canton de Toro, qui s'étend de Edi à Podor, et dont les habitants leur étaient aussi dévoués que ceux du Lac l'étaient aux Oulad Normach.
Quelque temps avant la mort de Brahim ould Mokhtar Cheikh, son cousin, Mokhtar ould Ahmeïada, essaya de lui enlever le commandement. Il ne parvint qu'à opérer une scission dans la tribu. Elle se fractionna en deux groupements, dont chacun eut un chef indépendant. Celui de Brahim continua à vivre avec les Oulad Ahmed. Cette situation ne se prolongea pas au delà de deux ans, car, à la mort de Brahim survenue vers 1871, Mokhtar put réunir à nouveau les deux campements et en devint le chef.
La guerre continua avec les Oulad Siyed, entrecoupée par de courtes périodes de paix.
De 1871 à 1876, les hostilités furent ininterrompues. Elles aboutirent à la paix de 1876, à la suite de la victoire de Khaïrou Eli remportée par les Oulad Siyed.
La guerre commença en 1878, sur la demande d'un nommé Ali Salim de Guidabé, qui avait eu son père tué par les Oulad Siyed.
Mokhtar ould Ahmeïada ayant accepté, la lutte dura quatre ans, à la suite desquels, Sidi Eli demanda la paix par l'intermédiaire de Sidi Mohammed Bekkaï ould Cheikh Sidi-l-Mokhtar. Lorsqu'elle fut conclue, Oulad Siyed et Oulad Normach réunirent leurs campements et nomadisèrent ensemble. Le tamtam de guerre fut confié à Mokhtar ould Ahmeïada en sa qualité de descendant direct de Normach.
Cette entente fut de courte durée, car en 1885, Nabra, fils de Bakkar ould Soueïd Ahmed, chef des Id Ou Aïch, alliés de longue date aux Oulad Normach, ayant tué, en duel, à Iguig, comme on l'a vu dans la première partie, Mokhtar fils d'Ahmeddou chef des Oulad Siyed, ceux-ci considérèrent les Normach comme complices du meurtrier. Les campements se séparèrent et la guerre recommença.
Cette fois-ci, les Oulad Normach s'allièrent avec les Trarza al-Biodh; et les Oulad Siyed eurent les Trarza al-Kohol comme partisans. La lutte dura cinq ans. En 1890, les amis des Oulad Normach ayant perdu leur chef Amar ould Salim, rentrèrent chez eux.
Mokhtar ould Heïba, chef des Oulad Normach, ayant été abandonné par les Arabes de sa tribu, dont le chef était son frère Mohammed et qui était allé vivre près du fleuve, fut obligé de demander la paix à l'émir Ahmeddou, des Oulad Siyed.
Ahmeddou la lui accorda et il vécut avec quelques haratines près de Chogar et de Guimi, tant que les Oulad Normach furent commandés par son frère, puis par le fils de ce frère, son neveu Mohammed. Celui-ci vivait aussi en bonne relation avec les Oulad Siyed, dont le chef était le mari de sa tante Oum Mouminin mint Heïba.
Le jeune chef des Oulad Normach mourut à Cascas, en 1892, et son oncle ne lui survécut que d'une vingtaine de jours. Ceux des Oulad Normach qui vivaient avec Mokhtar ould Ahmeïada descendirent près du fleuve et campèrent avec leurs compatriotes. Le chef de la tribu Sidi Ahmed, vécut en bonne intelligence avec les Oulad Siyed, dont il devint en quelque sorte un des vassaux. Il est bon de dire que sa parenté avec Ould Assas, fils d'Ahmeddou et de sa tante Oum Mouminin, lui facilitera beaucoup les rapports avec les Oulad Siyed, dont Ould Assas commençait déjà à suppléer le chef.
Pendant ce temps, Bakkar, fils de Mokhtar ould Ahmeïada, âgé de 16 ans, vivait dans la tribu des Oulad Ahmed avec sa mère Mint Dioghédan. Quand il fut en état de porter le fusil, il commença, avec ses camarades du même âge des Oulad Ahmed, à piller les Oulad Siyed. En 1898, à la tête d'une bande dans laquelle se trouvait Brahim ould Ahmoïmid, ancien chef d'un campement Oulad Ahmed, Omar ould Bou Salîf, Mohammed Brahimat, et Mokhtar ould Naïm, il se rendit au campement des Oulad Siyed et y tua Mohammed ould Ahmeddou, dont le frère Mohammed Krara avait tué son frère aîné Brahim ould Mokhtar ould Ahmeïada, à Guimi.
Entre temps, avec les Oulad Biri et les Oulad Ahmed il se battit contre les Oulad Siyed, les Oulad Normach commandés par son cousin Sidi Ahmed et contre les Dieïdiba. Il ne voulut pas rentrer dans sa tribu, trouvant dans sa haine pour les ennemis de son père la volonté de vivre loin des siens, ne voulant pas habiter dans une tribu qui pliait devant la volonté des Oulad Siyed.
En 1901, les Touabir Oulad M'haïmidat et les Oulad Yara, battus par les Oulad Siyed, qui épousaient la querelle des Oulad Kohol allèrent trouver Bakkar chez les Oulad Ahmed et lui demandèrent de marcher avec eux contre leur ennemi commun. Ils trouvèrent les Oulad Ahmed à Tamourt Nadj. Leur chef Ahmoïmid leur déclara qu'il était prêt à épouser leur querelle, pourvu qu'ils le reconnaissent comme chef et non Bakkar, qui dans le campement n'était qu'un étranger.
Après avoir été du même avis que Ahmoïmid, Oulad Mohaïmidat et Oulad Yara se récusèrent, dès qu'ils furent dans le Chamama avec les guerriers Oulad Ahmed. Furieux, Ahmoïmid chercha à se réconcilier avec les Oulad Siyed. Lorsque sa tribu connut ses démarches, elle l'abandonna et se choisit comme chef Brahim ould Ahmoïmid, son cousin germain. Pendant ce temps, Séneïba était dans le Tagant. Dès qu'il apprit les difficultés éprouvées par Ahmoïmid, il revint chez les Oulad Ahmed et s'il ne parvint pas à déposséder Brahim, il réussit du moins à lui enlever une partie de ses tentes. Les Oulad Ahmed furent alors partagés en deux campements. En même temps, Bakkar prenait le commandement des Oulad Normach en remplacement de Sidi Ahmed, destitué pour sa faiblesse à l'égard de la tribu ennemie, les Oulad Siyed.
Oulad Normach, Oulad Ahmed, Touabir Oulad M'hamidat et Oulad Yara se préparèrent activement à la guerre contre les Oulad Siyed lors de notre arrivée en Mauritanie en 1903.
C'est alors que l'émir Ahmeddou, ses Oulad Siyed et ses partisans attaquèrent la mission Coppolani à Aleg.
Les ennemis des Oulad Siyed, sous le commandement de Bakkar ould Ahmeïada, firent alors cause commune avec nous.
Mais par la suite, au fur et à mesure de la progression de notre occupation, plusieurs personnages se détachèrent de notre alliance, et notamment Bakkar ould Mokhtar.
Après avoir pillé pendant plus d'un an les tribus du cercle de Brakna, Bakkar avait pris la route de l'Adrar pour ne pas subir un jugement prononcé contre lui.
Il se signala par ses rezzous jusqu'en janvier 1907, date où il fut assassiné par un de ses compagnons de rapines, Mokhtar ould Leïli, des Oulad Mansour.
Tableau généalogique des chefs Normachi actuels.
| Ahmeïada, dernier émir Normachi († vers 1780). |
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| Mohammed. | Mokhtar Cheikh, 1845. |
Sidi Ahmed. | Hiba. | Bakkar. | ||||||||||||||||
| Ahmed. | Brahim. | Mokhtar. | Mohammed. | |||||||||||||||||
| Eli. | Mokhtar Cheikh. | Brahim, tué par Ahmeddou Krara. |
Hiba, tué par les Siyed. |
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| Ahmed. | Ahmeïada. | Hiba, mort en bas âge. |
Mohammed. † | |||||||||||||||||
| Bakkar, né en 1878, tué en dissidence en 1907. |
Sidi Ahmed, né vers 1882. |
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| Mohammed. | Mohammed. | |||||||||||||||||||
| Hiba, dit Lobat, chef actuel. |
Mokhtar. † | |||||||||||||||||||
A l'heure actuelle, subsistent:
a) de la famille de Mokhtar ould Hiba ould Ahmeïada, son fils aîné, Mohammed, qui versé dans le maraboutisme, a refusé le commandement de la tribu; sa mère n'était qu'une concubine de Mokhtar; son dernier fils Hiba, dit Lobat, chef actuel de la tribu et qu'on retrouvera plus tard;
b) de la famille de Mohammed ould Hiba ould Ahmeïada, frère du précédent: Mohammed, né vers 1906, fils de son fils Sidi Ahmed. Il est élevé par sa mère, chez les Oulad Ahmed. Tous ses autres fils ont été tués, Hiba par les Oulad Siyed à Ouezzou, Mohammed et Mokhtar, un peu plus tard;
c) de la famille de Mokhtar Cheikh ould Ahmeïada son arrière-petit-fils, Ahmed ould Eli et ses deux petit-fils Mokhtar Cheikh et Ahmeïada, fils de Brahim. Ahmed ould Eli, né vers 1908, n'est qu'un enfant qui a remplacé son père Eli ould Ahmed. Celui-ci, né vers 1876, courageux, éloquent, généreux, était très aimé de la tribu, qui espérait en lui un chef. Il fut dissident jusqu'en janvier 1908, date à laquelle il fit sa soumission. Il est mort vers 1914. Mokhtar Cheikh est né vers 1865. Il ne descendit du Tagant dans le Brakna, que pour solliciter l'emploi de chef des Oulad Normach, chaque fois qu'elle se trouvait vacante. Candidat malheureux, il regagnait toujours son pays natal, après un court séjour dans le Brakna. En 1906, après la bataille de Niémelan, à laquelle il prit part vraisemblablement, Mokhtar Cheikh partit dans l'Adrar avec les Oulad Soueïd Ahmed. Mais quelques mois après, ayant vu arriver dans l'Adrar Bakkar ould Ahmeïada et la plupart des membres de sa famille, il vint faire sa soumission pour solliciter à nouveau le commandement des Oulad Normach. Son frère cadet, Ahmeïada, est né vers 1880. Il vit dans la fraction de sa mère, les Oulad Soueïd Ahmed, avec lesquels il partit dans l'Adrar, après l'attaque de Tijikja, où il se distingua;
d) de la famille de Mokhtar, dit Badior, fils de Normach subsistent deux branches issues de ses deux fils: Samba et Ahmed. Le chef de la première est Samba ould Mohammed ould Sidi Ahmed ould Abd allah ould Samba. Les chefs de la seconde sont: Ahmed et Mohammed ould Brahim o... ould Ahmed;
e) de la famille d'Al-Mekhaïlig ould Normach subsistent plusieurs tentes, dont les chefs sont Samba et Brahim ould Mokhtar ould Siyed ould Mokhtar Salem ould Eli ould Amar ould Al-Mekhaïlig;
f) de la famille d'Abd Allah ould Normach, subsiste la tente de Yahdi ould Amar ould Ahmed Mahmoud ould Eli ... ould Abd Allah;
g) les descendants de Siyed ould Normach sont les Tiab ould Normach;
h) d'Ahmed ould Normach, le fils aîné, seul, Baouba, a sa postérité chez les Normach: les chefs de tentes sont: Mohamed Saloum ould Mbarek Fal ould Eli Saloum ould Mohamed Saloum ould Baouba, et Amar ould Mohamed ould Brahim ould Othman ould Baouba. Le fils cadet a laissé aussi des descendants, qui se sont maraboutisés et fondus chez les Tagnit.
2.—Fractionnement.
Les Oulad Normach, victimes de leurs dissensions perpétuelles, sont aujourd'hui réduits à un chiffre infime. Ils comprennent 75 tentes et 339 individus. Encore de ce chiffre les tiab et les haratines constituent-ils la plus grande partie.
| tentes | personnes | bovins | ovins | camelins | ânes | |
| Normach nobles | 10 | 78 | 34 | 215 | 10 | 6 |
| Haratines Normach | 39 | 179 | 23 | 685 | 2 | 17 |
| Tiab Normach | 26 | 82 | 58 | 173 | 2 | 17 |
| __ | ___ | ___ | ____ | __ | __ | |
| 75 | 339 | 115 | 1.073 | 12 | 40 |
On remarquera que cette tribu guerrière ne possède pas un seul cheval. Ce petit fait indique nettement sa décadence. Ils n'ont pas de marque, suivant la coutume des guerriers.
Ils nomadisent en hivernage, entre Aleg et Daguet Mémé; en saison sèche, au Sud de Mal et aux environs de Dielowar. Leur territoire de commandement était compris, à notre arrivée, entre Mal, Cascas et l'oued Katchi. En cas d'insuccès dans leurs luttes contre les Oulad Siyed, ils refluaient vers le nord: Chogar, Guimi, Aguiert, se rapprochant ainsi des Oulad Ahmed, leurs alliés ordinaires.
Les marabouts des Oulad Normach sont: les Dieïdiba et les Id Eïlik; ce sont ceux-ci qui, depuis plusieurs générations, ont fourni leurs cadis. C'était jadis Tig ould Al-Atig. En 1915, ils l'ont abandonné et usent maintenant des bon offices du cadi de la deuxième fraction des Id Eïlik Kabir ould Al-Aqel, des Ahel Aleg. Au surplus, l'influence religieuse des uns et des autres est bien minime. On ne rencontre que quelques Normach pourvus de l'ouird.
Le chef général des Normach est actuellement Lobat (de son vrai nom Hiba ould Mokhtar ould Hiba). Sa mère Oumm Mouminin ment Mohamed Jerdane est des Oulad Ahmed. Il est né vers 1895, et exerce malgré sa jeunesse son commandement avec beaucoup de doigté. Encore enfant à notre arrivée, il suivit les siens dans leur dissidence. Il se trouvait au combat des Touigdaten, près d'Ajoujt où fut tué le capitaine Repoux, puis revint dans le Brakna et fit sa soumission après la mort de son frère Bakar. Il repartit en dissidence en fin 1908 avec ses oncles maternels les Ahel Bou Bakkar, des Oulad Ahmed, fit partie de quelques rezzous dans le Regueïba et le Hodh, et se soumit en fin 1909 avec Mohamed ould Bou Bakkar. Le droit au commandement lui revenait par hérédité. Deux mois après son retour, il en était pourvu en remplacement de Mohammed ould Badior, chef intérimaire. Ce jeune et intelligent pillard de la veille comprit qu'il devait se rapprocher des Français pour restaurer sa tribu. Il vint donc habiter Aleg au début de 1912, et suivit pendant plusieurs mois les cours de l'école. Puis trouvant que les progrès n'étaient pas assez rapides, il alla faire un an d'études à la médersa de Saint-Louis et deux années à la médersa du Boutizimit. L'ex-chef Mohammed ould Badior assurait son intérim. Rentré en novembre 1916 à Aleg, il suivait quelque temps encore les cours de l'école locale, puis jugeant son instruction terminée, il reprenait le commandement de sa tribu. Aujourd'hui il parle et écrit convenablement le français.
C'est un chef excellent, qui se tient très bien et qu'il ne faut pas juger sur son maintien d'ex-écolier qui lui fait du tort. Il a fait preuve pour lui comme pour les siens de beaucoup d'énergie. Son ambition serait de restaurer le prestige de sa tribu en mettant la main sur ses anciens tributaires qui lui ont échappé. Mais c'est là de l'histoire ancienne. Les Touabir veulent bien encore faire des cadeaux aux Normach, et le 13 novembre 1916 cinq zenaga lui remettaient officiellement le horma classique, mais ils tiennent par-dessus tout à leur indépendance recouvrée, et nous ne pouvons, malgré toute notre sympathie pour Lobat et les siens, qu'approuver cette régénération des Touabir.
Les notables de la tribu Normach sont: a) Mohammed ould Brahim ould Ahmed, dit Badior (ould Bakkar ould Ali ould Ahmed ould Hiba ould Normach). Son grand-père Ahmed fut un guerrier cruel; ses exactions sur ses zenaga Touabir, dont il pillait sans répit les troupeaux lui valut le surnom de «Badior» qui est le nom d'une maladie qui décime les moutons. Mohammed ould Badior, comme on l'appelle communément, semble avoir joué un rôle assez effacé avant notre arrivée. Il ne partit jamais en dissidence, non plus que sa famille. Aussi après le départ de Bakkar ould Mokhtar fut-il nommé chef, comme étant le notable le plus représentatif, il fut remplacé au début de 1910 par Lobat, héritier naturel, et assura les intérims de celui-ci pendant ses absences. Retiré dans sa tribu, il y vit aujourd'hui tranquille et assez besogneux.
b) Yahdi ould Amar ould Ahmed Mahmoud ould Eli ould Abd Allah; Ce personnage, né vers 1848, paraît être le notable le plus important des Normach. Il est très renommé pour sa science médicale et s'était acquis dans l'exercice de cet art un beau cheptel de bœufs et de moutons. Il prit part à Tartonguel à l'échauffourée qui mit aux prises Oulad Normach et Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar et, à la suite de ces incidents, fut le principal artisan de la dissidence des Normach. Il fut notamment le mauvais génie de Bakkar ould Ahmeïada en le dissuadant de se rendre auprès des autorités du Brakna et en lui conseillant la fuite vers l'Adrar. Il partit lui-même peu après en dissidence, entraînant un grand nombre de tentes. Il retint Bakkar dans le Nord tant qu'il put et ne fit lui-même sa soumission que parmi les derniers. Au cours de son exil, il fut victime de plusieurs pillages, qui ont considérablement diminué sa fortune. Il faut signaler dans l'entourage de Yahdi le forgeron Qassim ould Al-Kehel, intelligent et ouvert, qui paraît n'avoir suivi Bakkar et Yahdi dans l'Adrar que par fidélité à ses chefs.
c) Bou Daha ould Qadiri, né vers 1888. Il est issu d'une famille de Tiab ould Normach redevenue guerrière. Vigoureux, sans fortune, orphelin, il prit la vie de pillard qui convenait le mieux à son tempérament. Quand cet art devint trop dangereux dans le Brakna il suivit Bakkar dans l'Adrar et fut de toutes ses razzias. Après la mort de son chef de bande, il fit sa soumission, et depuis cette date s'est tenu tranquille.
d) En dehors des personnalités précitées, il n'y a guère à signaler que quelques jeunes gens, de plus ou moins d'avenir: Samba ould Siyed, né vers 1892, neveu de Yahdi, chez qui il vit; Brahim, son frère, né vers 1895, Abd Er-Rahman leur cousin. Ils ont tous suivi le chef de famille dans l'Adrar.
Chez les Haratines Oulad Normach, les personnages principaux sont les deux frères Khanfari (Sidi Bouna), né vers 1878, et Ahmeïada, né vers 1878, fils d'Eliman ould Yarg. Ils ont été tous deux de fidèles compagnons de Bakkar. Dans leur campement vit le fils d'une bonne famille normach, orphelin de père et de mère, Mahmoud ould Eïbouti. Il l'a suivi dans sa dissidence comme dans sa soumission.
Les Haratines ne témoignent que d'une piété fort minime. Rares sont ceux d'entre eux qui ont reçu une affiliation, toujours qadrïa d'ailleurs. Ils nomadisent en tout temps sur l'oued Katchi et dans l'Oubeïr, entre Aleg et Kaédi.
Ils on pris, comme leurs maîtres hassanes, depuis notre
arrivée, le feu lam-alif des Id Eïlik, contre-marqué d'un
trait inférieur, soit .
Les Tiab ould Normach sont comme leur nom l'indique, les descendants de guerriers Normach qui, lassés de leur vie d'aventure ou plus probablement incapables de la continuer en face de dangers trop grands pour leur courage, ont abandonné le statut des guerriers et ont déclaré vivre en bons et pieux musulmans. Certains campements mènent cette vie depuis fort longtemps, tels les Ahel Melkhail, qui se convertirent une génération après Abd Allah; d'autres sont venus «à la voie droite» tout récemment, tels les Ahel Khajaj. Au surplus, le nombre de ces Tiab varie; s'il augmente tous les jours par l'afflux de nouveaux éléments, il subit aussi des déperditions, car des familles converties n'hésitent pas à reprendre les armes, quand l'occasion s'en présente.
Le nom de Tiab Oulad Normach qu'on leur donne n'est pas exact. Il y a bien des Normach, mais il y a aussi des Oulad Oubbeïch, frères de Normach, les uns et les autres Oulad Mohammed. Il y a aussi des Oulad Naggad, frères des Oulad Mohammed, les uns et les autres Oulad Abd Allah. Le vrai nom devrait être Tiab Oulad Abd Allah. Au surplus, le chef est d'origine neggadi, et non normachi. Mais l'habitude est prise aujourd'hui.
C'est à la tente des Ahel Bou Bakkar qu'appartient héréditairement le pouvoir. Aujourd'hui, à cause du jeune âge du représentant de cette famille, le commandement est exercé par Sidi-l-Mokhtar. Abd El-Ouadoud ould Mohammed Mokhtar ould Abd El-Ouadoud ould Mohammed ould Bou Bakkar ould Samba ould Siyed ould Normach est né en effet vers 1890 seulement.
Son père étant mort peu après, le commandement fut donné à Sidi-l-Mokhtar ould Samba (ould M'hammed ould Amar Fal ould Ahmed ould Mohammed ould Samba ould Neggad). Cette famille compte en effet parmi les plus influentes, car son ancêtre Semba ould Neggad, passe pour être le premier qui se convertit et donna naissance à la tribu. Ce chef n'est jamais parti en dissidence et fit sa soumission dès le début. Il remplit très convenablement ses fonctions, quoique déjà âgé et parfois radoteur. Il est qadri par l'imposition de Cheikh Sidia, auprès de qui il est allé séjourner quelque temps.
Le maître d'école de la tribu est Mostafa ould Ahmijen, personnage insignifiant. Les Tiab Normach envoient la plupart du temps leurs enfants étudier chez les Dieïdiba, Tagag et Hijaj; mais en réalité, ils ne se piquent ni de culture ni de piété.
Les notables sont: Mohammed Mahio ould Maïef; Mohammed Mokhtar ould Mohammed Salem; Ahmeïdou ould Maïef.
Jusqu'à 1904, les Tiab vécurent sous la dépendance directe du chef des Oulad Normach et firent donc partie intégrante de cette tribu. Au départ de Bakkar, on leur a rendu leur autonomie et ils l'ont conservée depuis.
Ils apposent le feu lam-alif sur la cuisse gauche de
leurs animaux, avec comme contre-marques l'outarde
ou la croix
.
Terrains de parcours. Hivernage: entre Guimi et Chogar Gadel, ainsi que dans l'Agan et Akel. Saison sèche: à l'est de Chogar Gadel et Mouit.
Les Tiab Normach n'ont qu'un maigre cheptel. C'est une tribu pauvre et sans importance, qui n'a rien gagné à revenir à Allah.
CHAPITRE II
OULAD SIYED
Tableau généalogique des chefs Siyed actuels.
| Aghrich. | ||||||||||||||||||||||||||
| Mokhtar. | ||||||||||||||||||||||||||
| 1. Mohammed, † vers 1804. |
2. Sidi Eli Ier, vers 1804 † 1818. |
Sidi Mohammed. | ||||||||||||||||||||||||
| 3. Ahmaddou Ier, 1818 † 1841. |
Mohammed. | Mokhtar. | ||||||||||||||||||||||||
| 7. Sidi Eli II, 1858 † 1893. |
4. Mokhtar Sidi. | 6. Mohammed Sidi, 1851 † 1858. |
5. Moh. Râjel, 1842-1851. |
|||||||||||||||||||||||
| Moh. Al-Habib, † 1900. |
Mohammed. | |||||||||||||||||||||||||
| Othman. | Hachem. | |||||||||||||||||||||||||
| 8. Ahmeddou II, 1893-1903. |
Mokhtar, † 1884. |
Moh. Krara. | Bakkar. | Hobeïb, chef actuel. |
Sidi Moh. | |||||||||||||||||||||
| Ould Assas, 1907. |
Mokhtar. | Mokhtar. | Sidi Mohammed. | |||||||||||||||||||||||
| Ould Assas. | ||||||||||||||||||||||||||
| M'hamed. | ||||||||||||||||||||||||||
| Sidi. | ||||||||||||||||||||||||||
| Bakkar. | ||||||||||||||||||||||||||
1.—Historique.
Il n'y a pas à revenir ici sur l'histoire des Oulad Siyed. Tout ce qui les concerne a été dit, soit au livre premier «Histoire générale», soit au chapitre précédent, relatif à leurs cousins les Oulad Normach. Il ne reste qu'à rattacher les personnages actuels aux gens et aux événements du passé.
L'émir Ahmeddou II ould Sidi Eli est resté l'irréductible ennemi du début. En dissidence depuis 1903, il a reculé d'année en année devant les progrès de notre occupation: le Tagant, l'Adrar, la zaouïa de Smara, et finalement, depuis 1909, le Sud marocain l'ont tour à tour hébergé. Il a toutefois esquissé une tentative de rapprochement en 1914. Il s'en fut trouver le caïd Aïad al-Djerari à Agadir et écrivit, par l'intermédiaire des Gouvernements marocains et aofien, à ses anciens fidèles pour leur demander des subsides. Sa lettre ne trouve aucun écho dans le Brakna. Bien plus le chef de son ancienne tribu maraboutique, les Dieïdiba, lui fit cette réponse typique. Le texte français est de l'auteur lui-même.
De la part de Mustapha ould Oudâa et de la Djemâah des Djedjé ba à M. Hamedou ould Sidi Eli.
Monsieur,
Nous avons l'honneur de vous faire savoir que nous sommes en possession de votre lettre que nous avons vivement acclamée et reçue avec grand plaisir.
Quant à votre observation, on voit clairement que la discontinuation de liaisons entre nous ne vous plaît pas, mais est-ce à nous, Dieïdiba, qu'il faut donner le tort? Nous n'avons fait que rester dans nos parages. A l'arrivée des Français, tout le monde était parti en dissidence parce qu'on les croyait plus méchants qu'ils ne le sont. Nous autres, nous n'avions été nulle part. Nous gardons toujours notre pays de peur qu'en notre absence, on ne le confiât à un chef étranger, c'est-à-dire qui n'appartient ni à nous ni à notre famille.
Maintenant la tranquillité est partout. Les Français donnent à tout le monde la liberté d'appliquer ses anciennes coutumes. D'ailleurs les chefs Arabes ont aujourd'hui le sort qu'ils n'ont jamais eu autrefois; on leur obéit à souhait et ils ont encore le droit de recevoir exactement tout ce que leurs administrés donnaient dans le temps.
Toutes les autres régions, telles que Trarza et Oulad Bieri, n'ont qu'un seul chef à la tête de chacune. Il n'y a que Brakna qui est occupé par plusieurs chefs, et cela ne tient qu'à ce que vous n'y êtes. A notre avis, il faut revenir pour contenter votre peuple en le dirigeant au lieu d'autres. C'est assez abandonné. D'abord les Européens sont devenus maîtres partout; c'est inutile de résister contre eux. Aussi il vaut mieux se soumettre avant d'être pris par force.
Dans le cas que vous voudrez vous rendre, n'ayez qu'à nous le dire à nous-mêmes, pour faire la négociation avec les Européens.
Devant cette réponse qu'il n'attendait pas, Ahmeddou finit par lâcher le parti Makhzen et se rapprocher d'Al-Hiba. Celui-ci, dans l'espérance de l'utiliser quelque jour, le traîne à sa suite quand il en a besoin, et l'entretient tant bien que mal. En 1919, Ahmeddou était campé dans l'Oued Noun et vivait avec ses gens des libéralités des chefs tekna: Mohammed Yahia ould Hiba, chef des Azouafid, et Mokhtar ould Nojem, chef des Aït Lahsen. Ahmeddou est aujourd'hui un vieillard de soixante-quinze ans. Il paraît, vu la situation du Brakna, absolument inoffensif. Il relève déjà de l'histoire. Sa femme Moumina ment Mohammed ould Heïba, mère d'Ould Assas est décédée, en 1917, à Tizouit, dans le Chamama chez les Oulad Siyed.
Il a laissé comme postérité connue dans le Brakna: 1o son petit-fils Ould Assas (Sidi Eli) junior, fils posthume d'Ould Assas ould Ahmeddou, le chef des rezzous du début. Ce jeune homme, né vers 1907, vit son grand-oncle Hobeïb chef de la tribu; 2o et 3o ses fils M'hammed, né vers 1899, et Sidi, vers 1900, tous deux avec leur père dans leur Sud marocain; 4o Bakar, né vers 1900, qui campe tantôt chez son oncle Hobeïb, tantôt chez Cheikh Fal; 5o une fille Garmi, campée avec sa mère chez les Chratit de l'Assaba. Elle vient de temps à autre chez les Oulad Siyed.
Parmi les frères d'Ahmeddou fils de Sidi Eli, il faut citer: 1o Mokhtar, vu plus haut, et tué en 1884 par les Ahel Soueïd Ahmed; sans postérité; 2o Mohammed Krara, le meurtrier de Brahim ould Mokhtar ould Ahmeïada, le Normachi. Il est mort en 1904 à son retour de Saint-Louis. Il a laissé deux fils: Mokhtar, né vers 1899, qui campe chez son oncle Hobeïb, et Sidi Eli qui campe chez les Ahel Bou Bakkar (Oulad Ahmed); et deux filles, dont l'une est mariée chez les Tabouit et l'autre chez les Oulad Ahmed; 3o Mohammed, tué par Bakkar en 1900. Il a laissé un fils, actuellement en dissidence et une fille, Garmi, jadis mariée avec un Dâmâni, aujourd'hui divorcée; 4o Bakkar, décédé vers notre arrivée, et dont le fils Mokhtar, né vers 1885, partit en dissidence avec son oncle l'émir Ahmeddou, est revenu avec l'aman, le 23 décembre 1918. 5o Hobeïb, chef actuel des Oulad Siyed et qu'on verra plus loin; 6o Sidi Mohammed, né vers 1879, et tué en 1905 par les Oulad Dâmân; il a laissé un fils: Sidi Mohammed, né vers 1905, et emmené en dissidence par son oncle l'émir Ahmeddou, chez qui il se trouve toujours, et une fille Mahjouba. Leur mère Moïnetou ment Toumoni, hartanïa, est avec eux dans l'oued Noun; 7o Fatma, veuve de l'ex-émir du Trarza, Ahmed Saloum II, et qui a deux enfants: Sidi Eli et Cheikh Saad Bouh; 8o Mouminin, veuve d'un Id ag Fari.
Dans la branche collatérale, descendance de Sidi Mohammed ould Mokhtar ould Aghrich, et qui a fourni deux émirs siyed, il faut citer; 1o Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi, qui, père et fils, ont été vus plus haut. Mohammed al-Habib, qui s'était retiré chez les Oulad Dâmân, rentra par la suite au Brakna et y finit tranquillement ses jours vers 1900, dans le campement d'Ahmeddou. Il a laissé une fille et deux fils: Othman, né vers 1870, qui est en dissidence avec son parent dans le Sud marocain, et Mohammed, né vers 1880, qui campa chez les Oulad Siyed; 2o Hachem ould Mohammed ould M'hammed Sidi († 1858); ex-chef de la tribu pendant trois ans, et relevé de ses fonctions. Né vers 1888, c'est un homme apathique, sans autorité et sans prestige. Ses frères et sœurs sont décédés depuis longtemps.
3o Hamoud, fils de l'ex-émir Mohammed Râjel (1842-1851) et qui n'a pas de postérité; 4o Boya, sœur dudit Hamoud, qui a épousé un Dâmâni, du nom d'Amar et en a plusieurs enfants, actuellement chez les Oulad Dâmân.
Une branche collatérale plus éloignée, celle de M'khetir (frère d'Aghrich) ould Seddoum ould Siyed subsiste encore de nos jours. Le chef en est Sidi ould Ahmeddou ould Sidi ould Othman ould Brahim M'khaïtir; et les principaux notables: Baouba ould Otham, Brahim ould Terraza et Amar ould Bakar.
Restent enfin trois branches collatérales, plus éloignées encore, et se rattachent à Sidi Ahmed, Amar Lobat et Eli, tous trois frères de Seddoum et fils de Siyed.