Études sur l'Islam et les tribus Maures: Les Brakna
ANNEXE
Poème sur la jeune fille Soubâk.
C'est à Dieu qu'elle appartient la belle fille des Soubâk. Elle marche noblement, sur les hautes dunes d'Al-Ouaki.
Elle est massive comme un morceau de sable[11]. C'est une jeune fille délicate. Elle se balance sans cesse laissant croire, mais à tort, qu'elle va tomber.
O perle brillante, plus vivace que les âges. Salut à toi. Je t'envoie un souffle parfumé, délicieux comme ton propre parfum.
En ta figure, nous voyons cette image qui représente en même temps l'eau de la vie et l'eau de la mort.
[11] C'est un compliment, sans le paraître. Les Maures engraissent leurs femmes comme les juives de Tunis, et la beauté est proportionnelle à l'embonpoint.
CHAPITRE XVIII
TOUMODEK
1.—Historique.
Les Toumodek (au sing. Toumodeki) sont des Berbères qui se rattachent à la famille lemtouna. Leur tradition relate que leur ancêtre, Atjfara, était un des frères des Id ag Bambra et Id ag Fara, qui constituent aujourd'hui l'actuelle tribu des Lemtouna (Gorgol). En réalité, les Toumodek préexistaient, comme Lemtouna, à l'arrivée d'Atjfara, le Lemtouni. Mais cet immigré, qui arrivait avec ses captifs et ses troupeaux, infusa un nouveau sang à la tribu qui périclitait. Des mariages les unirent. La descendance d'Atjfara a prévalu, mais sous l'ancien nom de Toumodek.
C'est à peu près vers la guerre de Babbah (dix-septième siècle), qui amena un reclassement général des tribus maures, que ces événements survinrent. La tradition relate que les Toumodek prirent part au Cherr Babbah, mais ne spécifie pas si ce fut dans leur premier ou dans leur nouvel état. Il est probable que ce fut dans le premier état et que c'est justement l'issue malheureuse de la guerre qui amena le déclin de la tribu et son relèvement par l'afflux d'éléments nouveaux.
Comme dans beaucoup de traditions maures, Toumodek, l'ancêtre éponyme, aurait eu deux femmes: une blanche et une noire. De celle-ci sont nés les Toumodek al-Kohol (Noirs) qui sont les Toumodek du Brakna, et dont on verra plus loin le fractionnement. De la première sont issus les Toumodek al-Biodh (Blancs), qui ne sont plus très nombreux, et sont disséminés au Tagant, au Gorgol et au Guidimaka. Ils se fractionnent en Ahel Miloud (ou Ahel Amar ould Miloud) ould Sidi Mohammed; Ahel Leffot; Ahel Al-Falli. Rien dans leur teint ne distingue évidemment les Toumodek Blancs des Toumodek Noirs.
Le commandement fut exercé, pendant tout le dix-neuvième siècle, par les Ahel Baye (cf. annexe) descendant du fils aîné d'Atjfara. Il devait passer, vers 1885, chez les Ahel Al-Hadi, branche cadette dont (1) Ahmed ould Mohammed Aïnina était le représentant (cf. annexe). Peu avant notre arrivée, Ahmed ould Mohammed Aïnina quitta le Chamama pour aller vivre plus au nord, vers Sangara Fal. C'est alors le chef des Oulad Eli, dont dépendaient les Toumodek, fit nommer (2) Mohammed Mahmoud ould Taleb Amar, des Ahel Baye, comme chef de tribu. Nous le reconnûmes à notre arrivée, mais il mourut peu après (1905).
Les fils d'Ahmed, ayant suivi leur père dans le Nord, le commandement passe à (3) Sidi-l-Mokhtar ould Sidi Ahmed, neveu d'Ahmed; mais, au bout de cinq mois, ce dernier partit dans le Tagant, se disant malade.
Le choix se porta alors sur la tente cadette des Ahel Al-Hadi, et (4) Mohammed Aïnina ould Abd Allah fut élu (1905). Ce Mohammed Aïnina, intelligent et ouvert, comprit tout l'intérêt qu'il avait à vivre en bonne intelligence avec nous. Il avait été du reste l'un des premiers à venir, à la tête de ses gens, présenter sa soumission à Coppolani. Malheureusement, s'il était très vénéré comme marabout, il était nul comme chef et sans aucune autorité. Il remplit les fonctions de cadi, en même temps que celui de chef de tribu.
Vieilli et usé, il demandait depuis longtemps à être relevé, quand on accéda à son désir, en octobre 1912. Il mourait en janvier 1913. Il fut remplacé par son fils Abd Allah, jeune homme ouvert et instruit, qui, après avoir fait de bonnes études auprès de Mohammed Lamin ould Cheikh Mohammed, des Hijaj, servit plusieurs années de khalifa à son père. Mais avant d'avoir pris possession de son commandement, Abd Allah commit un faux qui l'écarta du pouvoir. Sur un fragment de feuille de convocation, revêtu d'un cachet et de la signature de l'Administrateur de Boghé, il écrivit, en arabe, par ordre de ce résident, que la région du Khat était interdite au Toumodek, et il vint apporter ce papier à Aleg, en accusant du méfait le chef des Touabir-Oulad M'haïmdat. Confronté avec Bikel ould Beyyat, Abd Allah dut avouer le faux. Il fut condamné par le tribunal à six mois de prison, et le projet de nomination fut arrêté.
Il fut remplacé dans ses fonctions provisoires par son frère, Mohammed Abd Er-Rahman. La lutte électorale se circonscrivit dans les deux tentes Ahel Al-Hadi, les Ahel Baye n'étant représentés à cette date (1913) que par un enfant. Elle fut très chaude. Ce fut enfin (5) Abd Allah ould Ahmed qui l'emporta.
Abd Allah ould Ahmed ould Mohammed Aïnina est né vers 1867, il a fait d'excellentes études auprès de son père, qui était lui-même un élève de Mohammed Mahmoud ould Habib Allah ould Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba. C'est un homme intelligent et instruit, qui jouit d'une grande renommée à cause de sa piété et son honnêteté et qui enseigne le droit et la théologie à une trentaine de jeunes gens. Il a éprouvé, au début, une certaine opposition de la part d'Abd Allah ould Mohammed Aïnina. Il aurait même été victime, ainsi que Mohammed Abd Er-Rahman, d'une tentative d'assassinat. Depuis la fuite du coupable dans le Hodh, le calme s'est rétabli.
2.—Fractionnement.
Les Toumodek du Brakna, ou Toumodek noirs, se partagent en 4 fractions:
- Ahel Ahmed Al-Hadi.
- Ahel Baraka.
- Ahel Baye.
- Ahel Aboubak, groupant 51 tentes et 291 personnes. La fraction haratine qui marche à leur suite comprend 71 tentes et 374 personnes, soit au total pour la tribu 122 tentes et 665 personnes.
Elle possède le cheptel suivant, qui est surtout la propriété des fractions libres: 2 juments, 170 vaches, 25 génisses, 95 bœufs, 25 veaux (soit 316 bovins), 8 chameaux, 2.705 ovins et 53 ânes.
Les notables des fractions libres sont:
- Mohammed Mahmoud ould Ahmed Al-Hadi.
- Kalima ould Abd Er-Rahman.
- Abd Allah ould Eli.
- Lbane ould Ahmed Fal.
- Mostafa ould Baba.
La djemaa de la fraction des haratines se compose de:
- Abiaye ould Ahmed Al-Obeïd, chef.
- Ifra ould Malek.
- Mohammed ould Al-Haouri.
- Mohammed Mokhtar.
- Bilal ould Khammoui.
Les terrains de parcours de la tribu sont: en saison sèche, le Gorgol, et de l'est de Gadel à Mouit; en fin de saison sèche et en hivernage, le nord de Chogar Gadel, et dans l'oued Derga; les haratines restent dans le Khat du Chamama. Souvent quelques tentes en sortent pour nomadiser avec les gens libres.
La marque des bestiaux est le «fala», exact , ou
renversé
, qu'on appose sur la cuisse droite de tous les
animaux.
L'ensemble de la tribu est qadri et se rattache à l'obédience des grands marabouts Ahel Al-Qadi des Dieïdiba. Il y a pourtant quelques Tidjanïa, disciples des Ida Ou Ali par Cheikh Ahmed Al-Beddi.
L'enseignement est très répandu. La tente des Ahel Al-Hadi s'y distingue particulièrement. Elle a toujours joui dans le pays d'une grande réputation juridique et elle fournit à peu près constamment les cadis de la tribu. Autrefois rien ne se jugeait dans l'Est de l'Aftouth, sans la présence de Mohammed Aïnina ould Ahmed ould Al-Hadi.
C'est à Raï, près de Mal, que se trouvent les tombeaux d'Al-Hadi, de son fils, Ahmed, grand saint qui récitait le Coran tous les soirs, entre le crépuscule et la nuit tombée, et qui accomplit beaucoup d'autres miracles, et enfin de son fils Mohammed Aïnina précité. C'est le principal centre des pèlerinages de la tribu. Les gens aiment à y faire enterrer leurs défunts, en cette pieuse campagne.
ANNEXE
Généalogie des Toumodek.
A.—Les Ahel Baye.
| Atjfara. | ||||||||||
| Baye. | ||||||||||
| Ahmed Baba. | ||||||||||
| Taleb Amar. | ||||||||||
| Ahmed Baba. | 2. Mohammed Mahmoud. | Hassan. | ||||||||
| Taleb Amar, né vers 1890. |
Ahmed Babou, né vers 1904. |
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B. Les Ahel Al-Hadi.
| Atjfara. | ||||||||||||||||||||||||||
| Mohammed. | ||||||||||||||||||||||||||
| Ammar Al-Khalifa. | ||||||||||||||||||||||||||
| Al-Hadi. | ||||||||||||||||||||||||||
| Ahmed. | ||||||||||||||||||||||||||
| Mohammed Aïnina. | Abd Allah. | |||||||||||||||||||||||||
| (1) Ahmed. | Abd Er-Rahman. | Sidi Ahmed. | Sidi-l-Mokhtar. | (4) Moh. Aïnina. | Ahmed. | |||||||||||||||||||||
| (5) Abd Allah. | Moh. Mahmoud, qui a épousé la sœur de Mohammed Abd Er-Rahman. | (3) Sidi-l-Mokhtar. | Mohammed Aïnina. | Abd Allah. | Moh. Ab-Erd Rahman. | Abd Allah, dit Mamatna. | ||||||||||||||||||||
Les numéros indiquent l'ordre de succession du commandement.
CHAPITRE XIX
TABOUIT
Les Tabouit constituaient jadis une importante tribu, formée, semble-t-il, d'un noyau arabo-hassane, d'origine Oulad Nacer, autour duquel s'étaient groupés de nombreux éléments berbères. Avec le temps elle se dissocia, et l'on en trouve aujourd'hui trois tronçons: l'un, les Ahel Bribich, se disant Chorfa, sont dans l'Adrar; l'autre s'est incorporé aux Ahel Sidi Mahmoud de Kiffa; le dernier n'est autre que le groupement Tabouit du Brakna, qui assure être surtout d'origine Nacer.
Les Tabouit du Brakna, gens à chameaux, ont vécu longtemps dans l'Aoukar, ce qui explique les nombreuses redevances qu'ils servaient aux guerriers, car ils devaient acquitter un rafer à tous les rezzous ou campements guerriers qui passaient par ce carrefour. Avec le temps, les Tabouit se rapprochèrent des Dieïdiba. Ceux-ci, notamment les Id ag Fara, rachetèrent la plupart des horma et rafer des Tabouit et les prirent à leur compte. Ce rachat devait donner lieu par la suite, à de nombreux conflits. Les Id ag Fara, et spécialement Abd El-Jelil, réclament le paiement de la redevance et le remboursement de leurs frais. Les Tabouit assurent ne rien devoir au Dieïdiba, offrant de continuer à donner, comme par le passé, de petits cadeaux à leurs marabouts, mais pas de redevance fixe. Il est certain, en tout cas, que si les horma et rafer sont contestés, la zakat et la hadiya ne le sont pas, et que les Tabouit l'acquittent sans rechigner.
Le chef de tribu est, depuis notre arrivée, Cheikh ould Ali ould Ahmed Abdou. Il est parti en dissidence avec ses gens, en même temps que les Oulad Siyed.
Il revint en même temps que les Asba et Negza; mais ses gens furent pillés au retour par les Id Ou Aïch. Il est riche en bétail et en clients. Il assure assez correctement son service, quoiqu'il ne mérite qu'une confiance limitée, aussi bien dans ses renseignements que dans ses recensements.
La djemaa se compose des nommés Ahmoud ould Abd Er-Rahman, Ahmed ould Ahmed Chaïn, et Chibani ould Abakak.
La tribu comprend 42 tentes et 205 personnes. Elle est riche de 165 bovins, 3.450 ovins et 52 ânes.
Le feu est celui de Dieïdiba, le qaf qu'ils apposent sur
la cuisse droite ou au cou droit.
Les terrains de parcours sont: en hivernage, l'Oued Katchi et l'est de Chogar; en saison sèche, l'ouest d'Aleg et les environs du lac.
Les Tabouit ne paraissent pas animés d'une grande dévotion, et ce serait peut-être la meilleure preuve de leurs origines hassannes. On y trouve cependant quelques individus pourvus de l'ouird qadri et relevant du célèbre Cheikh Al-Qadi par les marabouts dieïdiba.
CHAPITRE XX
TOUABIR
1.—Historique.
Les Touabir (au sing. Tibari) sont des Berbères et ne le nient pas, ce qui est un cas fort rare; mais ils se hâtent d'ajouter que leurs ascendants berbères étaient, dans le lointain des âges, venus d'Himyar. Leur ancêtre éponyme, Tibar, serait arrivé dans le pays en même temps que l'invasion hassanne des Oulad Abd Allah. Ses descendants ne se séparèrent pas de ces Brakna et devinrent leur zenaga.
Tibar aurait eu trois fils: Aïssa, qui est l'ancêtre des Oulad Yarra, et de certaines tentes Anouazir et Oulad Al-Kohol (Aleg); Harouna, qui est l'ancêtre des Houarin et autres Anouazir (Kaédi); Deïloud, ancêtre des Oulad Al-Kohol (Mbout). Comme on le voit, les Touabir sont aujourd'hui à cheval sur trois cercles: Brakna, Gorgol et Assaba.
Ethniquement les Touabir comprennent donc trois grands rameaux: les Oulad Yarra, les Anouazir et les Oulad Al-Kohol.
1o Les Oulad Yarra se partageaient en deux fractions: les Blancs (Al-Biodh) qui marchaient généralement avec les Oulad Normach; et les Noirs (Al-Kohol), qui suivaient le sillage des Oulad Siyed. La séparation daterait du temps de la scission des Normach et des Siyed. Ces derniers étaient dits «Noirs» parce qu'ils vivaient, comme leurs suzerains Oulad Siyed dans le Chamama, près des Toucouleurs, et qu'ils s'alliaient à ces noirs par des mariages assez nombreux. Avec le temps, les «Blancs» ont conservé le nom d'Oulad Yarra, et les «Noirs» ont pris celui de M'haïmdat. Oulad Yarra et M'haïmdat constituent aujourd'hui les deux fractions Touabir du Brakna.
Les Oulad Yarra comprennent quatre sous-fractions: Oulad Obeïd Allah, Al-Khassina, et Agouarir, qui sont chez les Brakna: M'haïrdat, qui sont partagés entre les Oulad Yarra du Brakna et les Id Eïnik du Trarza.
Les M'haïmdat (primitivement Oulad Yarra al-Kohol) se subdivisent en Oulad Brahim; Oulad Moumen, Relachat; Mrazig, Ahel Digué, Inmeïlet, Al-Hiadna, Ladem et Chebahin. Les Mrazig sont issus des Oulad Brahim; les Ahel Digué, des Relachat; les Inmeïlet et Al-Hiadna des Agouazir. Les Ladem sont venus du Hodh; les Chebani ne passent pas pour être de pure origine; certains disent qu'ils viennent de l'Est, et il est certain qu'on trouve dans la région de Sokolo (Sahel soudanais oriental) une fraction du nom de Chebahin; mais celle-ci assure à son tour venir de Chebahim du Brakna. Qui est veritas? Une autre tradition dit que les Chebahin se rattachent à Deïloud, dernier fils de Tibar.
2o Les Anouazir, ou fils de Nizar, fils de Harouna, comprennent les sous-fractions Zaghoura, Hemamta, Al-Hiadna, Al-Mouajna, Cherourat, Inmeïlat, Brarga et Oulad Hommadin. Elles ressortissent au Gorgol et ne nous intéressent pas ici.
3o Les Oulad Al-Kohol comprennent les Oulad Saoud, les Ahel Hennad, et les Oulad Qreïchat. Ils ont vécu dans le Brakna jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Après de longues luttes avec les M'haïmdat, ils furent définitivement vaincus en face du village de Fodé Eliman (Lao) et se réfugièrent auprès des Oulad Siyed. C'est ce qui explique qu'ayant lié leur sort à celui de cette tribu, ils partirent en dissidence avec Ahmeddou; alors que leurs frères faisaient leur soumission. Par la suite, ils s'installèrent chez les Tadjakant de M'Bout. Après avoir plusieurs fois manifesté l'intention de revenir dans le Brakna, ils ont fini par rester dans l'Assaba. Ils ne nous intéressent donc plus ici.
Riches, nombreux et guerriers, les Touabir avaient su se faire une place dans l'ancienne société maure. Ils étaient des zenaga, mais des zenaga dont les services guerriers étaient indispensables à leurs suzerains, et qui, à ce titre, marchaient à peu près sur le même pied qu'eux et ne leur payaient que peu ou même pas de redevances. Ils constituaient l'élément qui faisait pencher la balance en faveur de la tribu à laquelle ils s'alliaient. En 1821-1822, ils prennent part comme alliés de l'almamy Youssoufou Siré aux luttes intestines du Fouta. Ils font prisonnier le prétendant, ex-almamy, Abou Bakari Lamin Bul, et décident de le tuer. Seule l'intervention de l'Almamy Youssoufou les en empêcha et put faire rendre la liberté au prisonnier (Chronique de Siré Abbas-Soh).
Peu avant notre arrivée dans le pays, les Oulad M'haïmdat avaient tâté les Oulad Siyed pour se joindre, avec les Oulad Yarra, aux Oulad Normach et Oulad Ahmed. Grâce à cette alliance, Bakar put revenir de son exil dans le Tagant, résister aux attaques des Oulad Siyed et, dès notre arrivée, passer à l'offensive. Ainsi donc, les Touabir jouirent pendant tout le dix-neuvième siècle d'un traitement de faveur, et s'étant rendus à peu près indépendants, dominèrent dans le Khat. A nous-mêmes, en 1904, ils disaient: «Nous ne connaissons que nos troupeaux et nos fusils.»
Ils purent dès lors avoir leur diplomatie personnelle, tant vis-à-vis des Français que vis-à-vis des Toucouleurs. Ils firent preuve d'un certain sens politique en entretenant depuis 1850, des relations épistolaires avec les autorités françaises de Saint-Louis. La djemaa écrivait de temps en temps, donnait des nouvelles, protestait de ses sympathies et se recommandait à la bienveillance du gouverneur du Sénégal. Mais d'autre part, ils étaient en coquetterie avec les chefs toucouleurs du Bosséa, qui nous opposèrent une si vive résistance. Aussi leur mauvaise réputation était-elle bien établie sur le fleuve. A propos du pillage d'un chaland près de Cascas, le Moniteur officiel du Sénégal du 27 juin 1865 les définit «tribu qui n'obéit à aucun des chefs, avec lesquels nous avons des traités et ne vit que de brigandages». En 1875, alliés aux gens du Lao et aux Irlabé-Aleïdi, ils mettent en déroute les gens de Bosséa, les Irlabé Diéri et les Oulad Aïd, de Hamma Heïba. Ils en profitent pour piller le village de Ndulliba. La paix ne fut rétablie que par l'intervention de Saint-Louis. Quelques années plus tard, ils nous rendirent des services, lors des luttes contre Abdoul Bou Bakar, chef rebelle du Bosséa. Poursuivis par les gens d'Ibra Almamy, aidés des Touabir Abdoul fut rejoint à Taghada (près Kiffa) et contraint de se réfugier chez les Id ou Aïch, où il fut assassiné par les Chratit (1891).
Bourrel, qui traversa les campements Touabir, en 1860, dit que c'est une tribu puissante qui se tient généralement en dehors de toutes guerres intestines. «Ils sont tributaires, ajoute-t-il, de 4 chefs: Bakar, émir des Dowaïch; Brahim ould Ahmeïada, chef des Oulad Normach; Rassoul, chef des Chratit (Oulad Kohol); Sidi Eli, émir des Brakna. Bakar en possède le plus grand nombre, puis Rassoul, puis Sidi Eli et Brahim.» Depuis cette date, comme on le verra plus loin, les Touabir se sont rachetés de leurs redevances ou ont profité de notre arrivée et de la dissidence de plusieurs de leurs suzerains pour ne plus les acquitter.
2.—Fractionnement.
Les Touabir se partagent aujourd'hui en deux fractions autonomes: Oulad Yarra, Oulad M'haïmdat.
A. Les Oulad Yarra comprennent 50 tentes et 295 âmes.
Ils sont riches d'une jument, de 3 chameaux, de 295 bovins,
de 3.076 ovins et de 64 ânes. Ils n'ont pas de marques spéciales
et empruntent généralement le feu des Id Eïlik,
soit .
La djemaa se compose des nommés Bella ould Amar; Ahmed ould Armohir, Sidi Mbarek ould Bou Bakar, Hossin ould Talmoudi.
La tribu nomadise en hivernage entre Mal et Guimi; en saison sèche, à Mal et aux environs.
Avant notre arrivée, et jusqu'en 1898, le chef de tribu fut Mohammed Sidi ould Al-Qadri. C'était un homme fort intelligent et grand seigneur, mais autoritaire et dur; il mécontenta les Oulad Yarra qu'il traitait avec mépris et dut abandonner le commandement. En 1907, ils voulurent l'élire à nouveau, mais comme Mokhtar ould Touil devait continuer à s'occuper des affaires de la tribu, il ne voulut pas accepter cette collaboration et refusa. Il nomadisait la plupart du temps avec les Meterambrin. Il est mort en 1914.
Lors de sa soumission, en 1898, la djemaa lui donna comme successeur intérimaire Mokhtar ould Deïloud ould Mohammed ould Touil, plus connu sous le nom de Mokhtar ould Touil; il n'était pas de la famille des chefs, et c'est pourquoi à plusieurs reprises en 1904, à notre arrivée, puis en 1907, il fut question de le remplacer. Mais ce projet n'aboutit pas. C'était un homme intelligent et riche en bétail et clients. Il nous a toujours bien servis, mais fut sans grande autorité sur ses gens; il vivait dans le sillage des Oulad M'haïmdat, conduits eux-mêmes par Sidi Amar, chef et pontife des Kounta. Il est mort en 1915, et son frère Sidi, et son jeune fils ayant été écartés, il a été remplacé sur élection de la djemaa par un notable influent: Ceddiq ould Mokhtar ould Bokhari.
Ceddiq est un homme ouvert et sympathique, qui dirige bien sa tribu.
B. Les Oulad M'haïmdat comprennent 85 tentes et 400 personnes. A ce nombre il faut joindre 7 tentes et 30 personnes pour les haratines M'haïmdat. Ils sont riches de 2 chevaux, 11 chameaux, 416 bovins, 5.200 ovins et 96 ânes.
Le chef de la tribu était, à notre arrivée, Bouha ould Brahim ould Haïb Allah. Il mourut peu après, ne s'étant guère signalé avec ses gens que par son opposition à la création du poste de Mouit, en 1904, ce qui valut à la fraction une amende de 100 bœufs. Ils abandonnèrent alors le Rag et vinrent dans la région de Mal. Le fils de Bouha étant trop jeune pour lui succéder, la djemaa élut Mohammed ould Mokhtar Salem ould Beyyat, dit Bidiel ould Beyyat. C'est un assez bon chef, faible pourtant devant ses gens, et qui se laissait jadis guider par Sidi Amar, des Kounta, et depuis la mort de celui-ci, par les notables intrigants.
La djemaa se compose de Cheikh ould Mokhtar, Mokhtar ould Ahmeïdat, Mohammed ould M'haïd et Sidina ould Alioua.
Le chef des Haratines est Amoïjen ould Samba; et les notables Sidi-I-Abd ould Al-Hartani et Bokhari ould Terko.
La marque des M'haïmdat est la même que celle des Oulad Yarra.
La fraction nomadise en hivernage, entre Mal et Guimi; et en saison sèche, à Mal et aux environs.
Guerriers par profession et par atavisme les Touabir en ont pris les mœurs, et notamment le dédain pour les choses islamiques. Les gens disent d'eux: «Ils sont comme les hassanes. Il n'y a aucune tente «de sciences chez eux». C'est exact. De même, il n'y a aucune personnalité maraboutique notoire. Les écoles coraniques végétant sans élèves, quand un enfant veut pousser ses études, il va chez les Kounta ou Dieïdiba voisins.
Les affiliations religieuses sont donc très rares. A signaler pourtant quelques ouird Qadrïa, relevant soit des Kounta (M'hammed ould Bekkaï), soit des Id Eïlik (Naji), soit des Dieïdiba. Les Kounta sont en quelque sorte les suzerains religieux des Touabir, surtout des M'haïmdat, qui continuent à leur payer comme jadis une hadiya annuelle d'un mouton de choix et de 4 litres de beurre par troupeau de moutons. Les Oulad Yarra acquittant vis-à-vis de Cheikh Fal des redevances qui sont autant des horma que des hadiya.
Les Touabir rachètent leur tiédeur religieuse par une certaine ardeur au travail manuel. Ce sont de bons éleveurs et d'excellents puisatiers.
CHAPITRE XXI
DABAÏ D'ALEG
La dabaï (ou adabaï) d'Aleg n'est autre que le village noir et métis, qui s'est constitué au pied du poste militaire. C'est la seule agglomération sédentaire du Brakna. Elle est de création récente, ne remontant qu'à 1904, date de notre occupation du mamelon d'Aleg, et s'est constitué par l'immigration sporadique de noirs du fleuve, de captifs libérés, de tirailleurs licenciés, de haratines en rupture de vasselage. Elle comprend, en 1918, 40 cases et 149 personnes. Elle est riche de 3 juments, 41 bovins, 1.177 ovins, 24 chameaux et 17 ânes. Ces troupeaux ne s'éloignent pas des environs d'Aleg.
Le chef de la dabaï est Yéro Diakité, né vers 1870, Ou assoulouké d'origine, égaré ici à la suite d'aventures diverses. C'est un brave homme, très dévoué, et qui rend d'excellents services. Il tient bien en main cette population aux origines diverses et qui n'a encore acquis que fort peu le lien et la solidarité collectifs.
Les notables sont: a) Tierno Bou Bakar, d'origine foula du Labé, almamy et maître de l'unique école coranique qui compte une douzaine d'élèves, enfants de la dabaï ou de la demi-compagnie de tirailleurs. On peut dire à ce propos que l'école française voisine, tenue actuellement par Mamoudou Ba, élève distingué de la médersa de Saint-Louis et fils du cadi de Kaédi, est bien plus florissante avec 25 jeunes gens, tous Maures. Tierno Bou Bakar, né vers 1870, est un homme sympathique et relativement lettré; b) Harouna Kaïta; c) Mamadi Kamara.
Toute la population de la dabaï est musulmane, qu'elle soit d'origine malinké, bambara, diallonké ou toucouleure. Ce sont pour la plupart d'anciens dioula de kola et de tabac, qui se sont fixés ici, et font maintenant surtout des lougans. Entre temps et à l'occasion, leur ancien métier reparaît et on les voit repartir vers le fleuve: Mafou, Boghé Kaédi, soit avec un âne ou un chameau pour y porter des peaux ou de la gomme et y chercher du mil, du sucre, ou des denrées de fabrication européenne, soit pour y conduire des bestiaux.
A part Tierno Bou Bakar, qui est affilié au Tidianisme de Saad Bouh, les autres habitants de la dabaï ressortissent aux différents ouird qadrïa de la région: Cheikh Sidïa, Saad Bouh, marabouts Dieïdiba, Id Eïlik, Kounta, etc., Yéro Diakité spécialement relevé de Bakkaï, fils de Bou Kounta de N'diassan (Tivaouane).
Aleg est, depuis 1917, pourvue d'une coquette mosquée en banco, avec minaret, qu'a fait élever le lieutenant Bayart, commandant le cercle. Elle est utilisée par la population locale seulement. Quant aux Maures, on sait que, fidèles à leur coutume, ils ne font jamais la prière dans une mosquée bâtie, même quand ils sont à proximité d'un de ces édifices. Cependant les Brakna, que leur service ou leurs affaires appellent à Aleg, savent apprécier à leur façon cette mosquée, en allant coucher, la nuit, sur la terrasse, pour fuir les moustiques qui abondent dans la région et dont ils ont la plus grande frayeur.
LIVRE III
LE CHAMAMA DU BRAKNA
CHAPITRE PREMIER
NOTES GÉOGRAPHIQUES
Le Chamama est cette plaine alluvionnaire qui s'étend sur la rive droite du fleuve Sénégal—la rive maure—de l'embouchure du Gorgol jusqu'au marigot des Maringouins. Il est réparti administrativement en trois branches, dépendant de trois cercles: Gorgol (province de Néré); Chamama proprement dit, ou Chamama du Brakna (provinces des Irlabé-Ebyabé, Lao Alsybé et Toro) et enfin Trarza. Comme on le voit, la portion centrale a donné son nom au cercle, dont Boghé est le chef-lieu. Il y a peu de temps d'ailleurs que ce Chamama de Boghé a été constitué en cercle. Avant l'arrêté du 30 juin 1918, ils constituait une simple subdivision du cercle du Brakna, et les intimes relations qui existent entre Maures Brakna et Toucouleurs riverains suffisaient et suffiront peut-être encore un jour à justifier cette union.
Au nord du Chamama, s'étend la Draa, région de transition vers la haute Mauritanie, pays des collines rocheuses ou sablonneuses, des ruisseaux (oued ou marigots), gonflés en hivernage, des forêts de gommiers et d'épineux divers, des bosquets touffus des tamourts ou dépressions, aqueuses de longs mois, et humides toujours, des aftouh enfin, plateaux peu élevés, où de nombreux troupeaux rencontrent d'abondants pâturages. L'artère centrale en est l'oued Katchi, ou plus simplement «l'oued», et qui se déverse dans la vaste dépression du lac d'Aleg.
Le Chamama qui nous occupe, le Chamama du Brakna[12] s'étend le long du Sénégal du marigot de «Baraouagui» (25 kilomètres ouest de Podor), au village de «Gognadé» (marigot de Diorbivol), situé à 25 kilomètres est de Kaédi.
[12] Cf. pour cette section de chapitre la monographie de l'Administrateur Mère, à laquelle nous avons fait quelques emprunts.
Il est borné au nord par la ligne sinueuse des dunes peu élevées, dont le relief limite la zone d'inondation du fleuve. La largeur du Chamama, qui s'identifie avec la région inondable, varie de 2 à 15 kilomètres.
Il forme donc une plaine allongée, avec de différences de niveau de quelques mètres seulement, qui suffisent à déterminer deux natures de terrain: 1o les «Fondé» ou parties qui ne sont pas atteintes par l'inondation et qui sont recouvertes d'arbres, de broussailles et de pâturages; 2o les «Coladé» plus ou moins inondés en hivernage par les eaux du Sénégal, suivant l'importance de la crue du fleuve. Ces coladés, qui forment plus des deux tiers du Chamama, sont d'une grande fertilité, toujours entretenue par les alluvions: ils constituent un terrain d'élection pour la culture du gros mil.
Les pluies d'hivernage commencent dans le courant du mois de juillet et durent jusqu'au 15 octobre. Elles arrivent sous forme de tornades, d'une façon irrégulière, paraissant plus nombreuses dans la période de croissance de la lune. Toutefois leur irrégularité est telle, que les cultures de dunes, dites d'hivernage (petit mil, pastèques, arachides), semées aux premières pluies, sont d'une réussite toujours problématique et ne sont considérées par l'indigène que comme un secours supplémentaire et aléatoire.
L'importance de la crue du Sénégal, dépendant de la quantité d'eau tombée dans la région du haut fleuve, et l'abondance de la récolte du gros mil dans les colés étant en raison directe de l'inondation, cette récolte est peu influencée par les pluies locales. Une année de sécheresse où les pâturages manquent, où les cultures d'hivernage ne donnent pas, peut fournir une excellente récolte de mil.
L'arbre qui domine dans le Chamama est le «gonakier» (amour), que l'on y rencontre en quantités considérables et dont la graine est utilisée par les Maures à cause de sa grande richesse en tannin. On rencontre également le tamarinier (cellaha), une grande quantité d'épineux—dont quelques gommiers (irouar)—sur les premiers revers des dunes.
Le Chamama est aujourd'hui à peu près exclusivement peuplé et cultivé par les Toucouleurs (Toro, Alsybé, Lao, Irlabé-Elyabé) et par les haratines maures. Ces derniers, presque sédentaires, quoique continuant à habiter la tente, ont leurs campements établis ordinairement à la limite de la région sablonneuse.
D'autres races habitèrent le Chamama dans le passé: 1o les Ouolof, probablement au moyen âge. Outre la légende le «yettodé», de nombreuses familles, surtout de pêcheurs en a conservé le souvenir. Les Ouolof, qui étaient installés vraisemblablement beaucoup plus dans le Nord, reculèrent peu à peu vers le fleuve, sous la pression des Peul Bababé, et des tribus berbères-maures; 2o les Sérères, dont on peut situer la présence dans la même période. Beaucoup de ruines de village ou des villages existant encore, ont conservé des noms sérères. Les Sérères se retirèrent peu à peu vers le Sud du Sénégal après une série de défaites; 3o Les Sarakollé, qui semblent n'être venus qu'en très petit nombre arrivant de l'Est, et dont on trouve encore deux familles dans le Lao et les Alsybé.
Ces différentes races occupèrent réellement le pays, parfois jusqu'au Tagant. Elles achevèrent leur exode, lors des invasions des Peul venant du Macina, puis des Dénianké arrivant du Fouta.
C'est de la fusion de toutes ces races qu'est sorti le peuple toucouleur. La révolution islamique de la deuxième moitié du dix-huitième siècle lui donnait la conscience de son unité nationale et religieuse. Il la fortifia par de nombreuses luttes contre ses voisins et particulièrement contre les tribus maures, qui n'ont jamais cessé jusqu'au dernier jour, sur les deux rives du fleuve, de piller, de brûler et d'emmener les populations en esclavage.
Après une longue période, l'élément Toucouleur resta à peu près implanté dans la région du Chamama, située à l'est de Boghé (Irlabé-Elyabé, Lao), tandis que les Maures du Brakna restèrent maîtres dans la région ouest (Aleybé Toro), où ils devinrent les propriétaires de la terre. Il en résulte aujourd'hui que les premiers sont restés possesseurs du sol de la région qu'ils occupent, et qui appartient à certaines familles. Il est régi selon la coutume toucouleure, et à la tête de chaque groupement, se place un chef de terrain. Dans les Aleybé et le Toro, où l'autorité française s'est substituée aux émirs du Brakna vaincus, la terre est devenue propriété domaniale, «Baïti». Le cultivateur n'en jouit qu'à titre précaire. Il ne doit ni la vendre, ni la céder sans autorisation.
Le chef-lieu administratif et l'agglomération principale du Chamama du Brakna est Boghé, que les Maures appellent Dibango, ou Doubango.
La population totale est de 19.550 habitants, dont 18.200 noirs et 1.350 haratines maures.
CHAPITRE II
L'ISLAM NOIR
Avant notre pénétration sur la rive gauche, les Toucouleurs du Toro et des Aleybé—à part quelques exceptions chez ces derniers—n'habitaient pas le Chamama. Les habitants des villages de la rive gauche ne venaient cultiver qu'avec l'autorisation de l'Emir du Brakna et moyennant le paiement de droit fixé plus ou moins arbitrairement.
En général, l'émir faisait percevoir sur les Noirs, autorisés à cultiver: l'assaka (1/10 de la récolte), le dioldi (location), plus un cadeau variable pour avoir le droit de défricher tout nouveau terrain. De plus, les cultivateurs devaient payer le bakh ou droit de protection à certaines familles de guerriers. Chaque colengal (sing. de colé) avait un chef de terrain ou «Dion colengal» qui était chargé de recueillir ces différentes contributions pour les remettre aux destinataires ou au percepteur de l'émir.
L'émir ne se faisait aucun scrupule de retirer ses autorisations, selon son unique bon plaisir. La population noire était administrée par la colonie du Sénégal sur la rive gauche où elle habitait.
Au contraire, chez les Toucouleurs du Loo et des Irlabé-Elyabé, qui habitaient en assez grand nombre sur la rive droite, où ils avaient pris pied, lors de la révolution islamique du Fouta, les villages s'étaient dégagés des hassanes et relevaient administrativement des chefs des mêmes provinces de la rive gauche.
Ils y percevaient l'impôt de capitation, rendaient la justice, suivant les lois et coutumes en usage au Sénégal.
Du temps des almamys, la justice était rendue par leurs cadis.
Les chefs de terrains étaient élus par la famille, puis agréés par l'almamy, qui, à ce titre, recevait d'eux de nombreux cadeaux.
Suivant l'origine du terrain et celle de la famille des cultivateurs, le chef de terrain percevait certains droits: Assaka (impôt religieux du 1/10 de la récolte); Dioldi (droit variable de location); Thiottigou (droit de succession, acquitté par l'héritier au chef de terrain); Doftal (prestation en nature au propriétaire). Dans la pratique, le montant de ces droits allait à l'almamy, au percepteur chef de terrain, et aux principaux membres de la famille propriétaire.
L'almamy disposait plus ou moins arbitrairement des terrains non encore occupés, ainsi que de ceux qui devenaient vacants par suite de l'extinction de la famille propriétaire, en faveur de ses suivants, de ses créatures, et pour récompenser ses services rendus à la guerre.
Ce sujet de la propriété immobilière dans le Chamama a été traité avec une telle documentation, avec une telle précision par M. Chéruy qu'il suffit ici d'y renvoyer. On trouvera cette étude soit dans les suppléments au journal officiel de l'A. O. F. de mars-avril 1911, soit en une brochure, édition spéciale.
Les Toucouleurs du Chamama paient, à l'instar de leurs frères de la rive gauche, l'impôt de capitation. Il était fixé en 1918 à 6 francs. Il a produit, pour 18.200 habitants, dont 13.719 contribuables, 82.314 francs.
Les chefs de provinces touchaient jadis des remises au titre de l'impôt de capitation. Depuis le 1er janvier 1918, ils touchent un traitement fixe.
Les chefs de village portent généralement le nom, dérivé de l'arabe, d'«élima». Ils étaient tantôt élus par le conseil des notables, tantôt choisis par le chef du Lao ou l'almamy du Fouta, mais dans tous les cas, on tenait compte du droit héréditaire de certaines familles. Les mêmes principes sont aujourd'hui observés par l'administration française.
La population noire du Chamama du Brakna est entièrement toucouleure et en parle la langue (poular)[13]. On y trouve exceptionnellement une trentaine de Sarakollé perdus dans la masse des autres indigènes et en ayant pris le langage et les coutumes, et quelques Ouolof que l'on peut considérer comme des passagers, car ce sont des traitants ou des ouvriers, dont toutes les relations de famille sont étrangères au pays, et qui arrivent et qui repartent suivant les nécessités de leur commerce ou de leur travail.
[13] Cf. sur la langue des Toucouleurs le très remarquable ouvrage de Henri Gaden, le Poular, chez Ernest Leroux, Paris.
Les pêcheurs du fleuve, dont l'origine remonte à l'occupation du pays par les Ouolof, en ont pratiquement perdu le souvenir. Ils parlent le poular et se considèrent comme de cette race, à laquelle ils se sont d'ailleurs mélangés par de nombreux croisements.
Les Toucouleurs du Chamama se divisent comme leurs frères de la rive gauche en castes ou classes. On y distingue notamment: les Torodbé, classe qui a fait la révolution religieuse de la fin du dix-huitième siècle, qui est resté le parti maraboutique par excellence, et qui est toujours le milieu où se recrutent les familles dirigeantes du pays; les Diniankobé, ancienne classe prépondérante, réduite au second plan par les Torodbé; les Koliabé, clients et serviteurs des deux premières classes; les Tioubalbé, pêcheurs du fleuve; les forgerons, Laobé, griots, etc.
Les principales familles sont: dans le Toro, les Kane, famille des chefs, les Li, les Si, les Tiélo; chez les Aleybé, les Vagne et les Lam; dans le Lao, les Wane, famille des chefs, les Kane, les Li, les Baro, les Diatys, les Bousso; chez les Irlabé, les Ane, les Diallo, assimilés aux Kans, les Li, les Si, les Ba; chez les Elyabé, les Li, les Kane, les Ba.
Les familles d'origine peule, qui sont devenues toucouleures, c'est-à-dire qui se sont islamisées, instruites ès sciences arabes et alliées aux Toucouleurs, ont gardé le souvenir de leurs origines. D'autres groupements peul ont gardé au contraire leur caractère national. Ils ont conservé leur nom et leurs mœurs, leurs habitudes de nomadisation, leurs richesses en cheptel, leur endogamie; ils se sont bien islamisés dans l'ambiance locale, mais plus faiblement, et leur islam est plus fermé aux influences extérieures. Peu d'entre eux sont affiliés à une voie religieuse, et ceux-là ne semblent pas en pratiquer les rites spéciaux.
Certaines familles, comme les Kane, se sont partagés les Kane de Yahia Kane (Irlabé, Ebyabé maures), sont devenues toucouleures; les Kane d'Abdoulaye Kane (Irlabé-Elyabé de la rive gauche) sont restés peul, ou du moins visent à le rester. Chez les Toucouleurs d'origine peule, comme chez les Peul restés intacts, on trouve des représentants des trois grandes tribus originelles peul: Ba, Diallo et Bari. Seule, la quatrième tribu, les Soh, n'est pas représentée ici.
Les familles d'origine maure ont aussi gardé le souvenir de leurs origines. C'est ainsi que les Wane descendent d'un père Larlal, qui avait épousé une femme noire, et qui appartenait aux Larïal blancs, créateurs de Ouadan. Son fils Eli s'établit à Oualalbé, auprès des Toucouleurs Si, Sal, Sar, Thiam et Diop qui lui donnèrent le nom de Wandé Dien (l'aurore). Le farba de Oualaldé à conservé ce nom. On dit aussi que cette famille prit le diamou de Wane, parce qu'elle s'était primitivement installée auprès d'une termitière (Wandé).
Les Kane, qui sont originaires du Dimar, assurent que leur antique village de Dimatch est une corruption de Dimachq (Damas) et que leur ancêtre était un Arabe de Syrie.
Certains Li, passés ensuite sur la rive gauche à Dogo (Matam), assurent descendre d'Abd El-Malik ould Merouan.
Il faut souligner d'ailleurs fortement que si l'apport du sang maure est relativement minime dans la formation du peuple toucouleur, le voisinage, la prédication, l'enseignement, la contrainte même parfois des tribus maraboutiques maures voisines ont contribué plus que tout autre cause à l'islamisation primitive des Foutanké, à la révolution religieuse qui donne le pouvoir aux néo-convertis, et à leur raffermissement depuis un siècle et demi dans la foi du Prophète.
Au surplus, les tributaires et les groupements toucouleurs ont, dès le début, associé leurs dissensions intestines et noué entre eux des alliances locales (qism) pour lutter contre des alliances de même composition. C'est ainsi qu'il était classique que les gens du Lao et les Aleybé étaient les alliés des hassanes Oulad Normach et Oulad Ahmed et des marabouts Kounta, notamment des Meterambrin; que le Toro était l'allié des Oulad Siyed; les Irlabé et Ebyabé, les alliés des Oulad Eli—Oulad Naceri; le Bosséa, l'allié des Oulad Eli—Ahel Hiba. Une guerre entre tribus maures entraînait souvent l'entrée en ligne des Toucouleurs alliés. Il en est de même dans les luttes entre Toucouleurs.
Les personnalités les plus notoires du Chamama sont actuellement au nombre de quatre: Tierno Sakho, Eliman Abou, Baïla Biram et Yahia Kane.
Tierno Ahmadou, fils de Mokhtar Tierno, dit Sakho, du nom de son village d'origine, est né en 1867, à Ségou, où son père s'était établi à la suite d'Al-Hadj Omar. Il y fit ses premières études et y commença le droit. Il étudia ensuite la théologie et les sciences sacrées à Nioro et Kolomina, et acheva son éducation chez Al-Harith ould Maham des Id ab Lahsen. C'est aujourd'hui un homme très instruit ès sciences arabes et islamiques, et comme on en rencontre rarement chez les noirs, même chez les Toucouleurs, qui sont le peuple où l'on trouverait le plus grand nombre de cette sorte de docteurs. Nommé cadi de Boghé, en octobre 1905, peu après l'occupation, il exerce ces fonctions depuis cette date avec une autorité et un dévouement inlassables. Intelligent, ouvert, pondéré, il nous a rendu d'inappréciables services. Unissant à une parfaite science juridique, une connaissance complète du droit local et des traditions et coutumes maures et toucouleures, il sait toujours trouver la solution idéale qui conciliera les intérêts de tout le monde. Il jouit d'une autorité incontestée même chez les Maures. Dans les conflits qui divisent les nomades, anciens maîtres du pays, et les Toucouleurs des deux rives, on s'en remet par avance à sa décision. On voit des Maures du Trarza, du Brakna, du Gorgol et même du bas Tagant le choisir comme arbitre suprême. Son influence lui a permis de venir en aide, à Yahia Kane, chef des Irlabé-Elyabé maures, lors des recrutements intensifs. Il fut mis ensuite à la disposition du commandant du cercle de Podor pour user de ses bons offices diplomatiques auprès des villages toucouleurs, rebelles au recrutement et qui s'armaient. Il y réussit parfaitement.
Ahmadou Sakho a reçu l'ouird tidiani, en 1890, de Mohammed Fal ould Baba, des Ida Ou Ali du Trarza; et les pouvoirs de moqaddem du Chérif Çalih ould Al-Mekki, originaire d'Orient et qui s'était installé à Tivouane, où il est mort. C'est au cours d'un voyage à Podor que ce Chérif qui, par Chérif Makki, le Hossini, se rattachait à Mohammed Rali, lui conféra ce titre.
Ahmadou Sakho tient par intermittence une école coranique. Il professe avec plus de continuité l'enseignement supérieur. Il donne des cours sur l'Alfiya, d'Ibn Bouna, la Rissala, la Soghra et la Ouasta, la Tohfat et le Précis à une douzaine de jeunes gens, surtout Toucouleurs ou haratines.
Toro.—Eliman Abou, chef de la province du Toro maure, est né à Podor, vers 1858. Son père Ibrahima Kane était installé à Thioffi, dont il fut le chef. Il fut un des chefs les plus dévoués à notre cause et reçut des autorités du moment de nombreuses attestations que son fils montre encore avec orgueil. Le commandant de l'artillerie de Podor témoigne en 1863 qu'il «a aidé la colonne de Podor de tous ses moyens; qu'il a prêté gracieusement ses partisans, ses porteurs, ses bœufs; qu'il a guidé la colonne». Il est proposé pour la médaille d'or de 1re classe par le gouverneur du Sénégal, qui atteste qu'il «est le seul homme du pays qui se ferait tuer pour le service du Gouvernement français».
A la même date, le chef du bataillon sénégalais «certifie que, comme volontaire, il a conduit avec la plus grande bravoure toute la colonne qui a opéré dans le Fouta. Sa conduite au combat de Ndiomou fut intrépide». Ibrahima Kane serait mort au cours d'une mission, dont il avait été chargé, dans le but d'arrêter une insurrection dans le Fouta.
Mis à l'école des otages de Saint-Louis, son fils Eliman Abou en sortit comme interprète et fut employé en cette qualité au Soudan. En 1888, il reçoit un premier témoignage de satisfaction du commandant de Bafoulabé. En 1888, il remplit, outre ses fonctions d'interprète, celles de professeur à l'école des otages. En 1891, inculpé à tort dans l'assassinat de l'administrateur Jeandet à Podor, il est acquitté, et est nommé successivement chef des Célobé, puis chef des Aleybé dans le cercle de Podor. En 1900, il est envoyé à Paris avec les fils de chefs et nommé officier d'Académie. En 1901, il reçoit les félicitations du gouverneur pour la bonne administration de sa province et du gouverneur général pour le concours qu'il a prêté à l'autorité militaire pour l'organisation des convois de la relève du Soudan. En 1905, il est percepteur et chargé du transit de la Mauritanie. En février 1906, à la suite de la suppression de la perception de Podor, il était nommé à sa fonction actuelle.
La famille d'Eliman Abou a donné le même exemple d'adaptation: son frère Mamadou Abdoul est mort à Toulon, en 1882, comme lieutenant de spahis; son fils aîné, Racine Kane, né vers 1890, écrivain expéditionnaire au Sénégal, est sous-officier de tirailleurs aux armées; le second Abdoul Eliman, né vers 1891, est tantôt secrétaire de son père, tantôt comptable de la maison Oldani à Podor. Il a fait partie de la colonne de l'Adrar (1908), à la tête des partisans levés par son père; le troisième, Ibrahima Kane, né vers 1893, sert de Khalifa à son père; le quatrième Ndiak Eliman, né vers 1894, est comptable de la maison Oldani à Podor. Ils sont tous intelligents, instruits et considérés dans la région. Les plus jeunes sont aux armées.
Eliman Abou a une bonne instruction arabe. Il parle encore et écrit même suffisamment le français.
Il a deux femmes légitimes, personnes de bonne famille, et un grand nombre de concubines, qui lui ont donné une vingtaine d'enfants qu'il emploie à la culture de ses lougans. Il possède de beaux troupeaux de bœufs et de petit bétail.
Doyen des chefs du cercle, il dirige avec autorité une province, sinon très importante, du moins difficile à commander par suite du mélange des populations: Toucouleurs et Peul des deux rives, haratines, Maures.
Il est, comme beaucoup de Kane, et par opposition au mouvement omari, de l'obédience qadrïa.
Peu de marabouts méritent une mention dans cette province du Toro: Mamadou Othman, né vers 1875, professeur et almamy de père en fils à Thioné; Ahmadou Mountaga, petit-fils d'Al-Hadj Omar, né vers 1870, disciple de Tierno Sakho, sans profession bien définie, tour à tour cultivateur et commerçant; Aliou Penda Li, né vers 1860, imam de Mboyo, disciple tidiani de Mourtada Tal, de passage ici.
Les mosquées-diouma de la province sont à Guédé et Ndioum, sur la rive sénégalaise.
Le Toro comprend 1.500 habitants dont 930 contribuables. Il était inscrit au rôle de 1918 pour 5.580 francs. Son chef reçoit un traitement annuel de 900 francs. L'influence islamique s'y est fait sentir dans l'onomastique locale: on y trouve les villages de Dar al-Barka, la capitale, Diama al-Ouali, Louboudou et Médina.
Lao.—Aleybé.—Baïla Biram Wane est le chef de province du Lao et des Aleybé. Il est le descendant d'une vieille famille maraboutique, qui exerçait une influence religieuse et politique sur toute la population du Lao-Formangué. C'est l'almamy Biram qui, chef du Fouta, porta le renom de la famille à son apogée. Son troisième fils, Abdoul fut, sous le règne d'Almamy Madadou, chef du Lao-Hernagué. Le fils d'Abdoul, Biram, fut un vaillant guerrier, qui marcha longtemps pour notre cause aux côtés d'Ibra Almamy, son cousin germain, dont nous allions faire, quelques années plus tard, le chef du Fouta.
Baïla Biram, fils aîné de Biram Abdoul, est né en 1881 à Mbouba (Podor). Son frère aîné, Ibra Biram, né en 1898, est chef du village d'Abdallah; ses frères cadets sont: Bokar Biram, né en 1888, interprète à Atar, et Mamadou Amat, né en 1890, tirailleur aux armées.
Mis à l'école des fils de chefs, Baïla en sortit en 1902 et fut aussitôt nommé interprète à Matam, puis à Bakel. Mis hors cadres en Mauritanie, il fut interprète à Mal, puis à Aleg. En 1908, il était nommé chef du Lao maure; deux mois plus tard, il prenait le commandement du goum toucouleur qui allait opérer dans l'Adrar avec la colonne Gouraud. Il s'y conduisit brillamment, fut blessé deux fois, fut l'objet de deux citations à l'ordre et reçut la croix et la médaille coloniale. En 1912, il accompagnait encore la colonne Patey dans la colonne du Hodh et l'occupation de Tichit. Au retour de cette colonne, le chef de la province des Aleybé, Lamin Samba ayant été destitué, Baïla joignit le commandement de cette province à celle du Lao.
Baïla est un chef intelligent et dévoué, qui a toujours témoigné d'un parfait loyalisme, et sait administrer avec beaucoup de tact ses populations, dont il est très aimé. Les divers recrutements de la grande guerre se sont effectués chez lui sans à coups. En 1915, il recevait à cette occasion une médaille d'honneur de 1re classe. En 1918, il donnait lui-même le bon exemple et s'engageait à la tête de son contingent. Il gagna rapidement les galons d'officier.
Baïla Biram a deux femmes légitimes de bonne famille: Khadi Seck, fille de Bou-l-Mogdad et Fatimata Kane, fille d'Abdoulaye Kane. Il en a eu plusieurs enfants, encore en bas âge.
Bon arabisant, Baïla a aussi d'excellentes connaissances de français. Comme les vieilles familles jadis prépondérantes, lors de l'avènement d'Al-Hadj Omar, et par réaction contre son tidjanisme, Baïla appartient au qaderisme.
En dehors de Baïla Biram, dont l'influence, quoique d'essence religieuse, s'exerce surtout dans le domaine politique, il faut citer parmi les marabouts notoires du Lao-Aleybé, soit qu'ils y résident personnellement, soit qu'ils habitent la rive sénégalaise et qu'ils ne comptent ici que des disciples: a) Tierno Ali Lam, né vers 1858, maître d'une école de 15 élèves et disciple tidiani du Cheikh Mortada Tal; b) Tierno Ndiaye, de son vrai nom Alfa Ahmadou, né vers 1870. C'est l'almamy du Bababé, le plus gros village de la région qui, avec ses 4 écoles et sa mosquée de banco, est un foyer d'islam. Tierno fait l'école du premier degré et quelquefois des cours supérieurs. Il est disciple tidiani, de l'obédience de Tierno Ibrahima Mohammed Mojtaba, qui fut un des fidèles d'Al-Hadj Omar, et revint mourir à Béré, dans le Lao; c) Alfa Ahmadou Ndiaye, né vers 1870, almamy de Diouldé-Diabé, maître de l'école locale, qui comprend une dizaine d'élèves et disciple tidiani d'Al-Hadj Malik de Tivaouane.
A côté de cette obédience omarïa, la propagande des missionnaires de Saad Bouh n'a pas été sans succès. Il faut citer parmi ces personnages, domiciliés d'ailleurs à l'extérieur: d) Cheikh Mamadou, père du marabout connu de Damga, Abdou Salam; e) Cheikh Mamadou Biram Almamy, cousin de Baïla, mort vers 1890 dans un pèlerinage à la Mecque, et son disciple Al-Hadj Mamadou Abdou Wane; f) Cheikh Mamadou Biram Abdou, mort à la même date; g) Cheikh Moussa Kamara, du Damga.
Le qaderisme, en dehors du chef de province, comprend quelques adeptes de Cheikh Sidïa et de Cheikhs de passage, comme Tourad et Sidi-l-Khir, des Ahel Taleb Mokhtar du Hodh, et les fidèles du Cheikh Mohamed Fal, des Eïlik du Brakna, décédé récemment et que son fils Naji a remplacé.
Jusqu'à ces temps derniers, une grande figure religieuse rayonnait dans le Lao: Alfa Mamadou, imam de Oualaldé (Koliabé). Il «a affirmé la religion musulmane», dit-on de lui, ce qui est exact; car, par ses prédications, ses exhortations et son exemple, il a ramené les mœurs locales à une orthodoxie plus rigoureuse. Il a laissé de nombreux enfants et disciples, qui, partagés sur les deux rives, continuent sa tradition. Son fils aîné, Alfa Chibani, élève de Tierno Sakho, vise à le remplacer. Un de ses disciples, Hamidou Ahmadou, de Diatta (Podor), cultivateur, maître d'école et lettré, paraît devoir se faire une renommée locale.
En résumé, le Lao et les Aleybé ont été jusqu'à 1850 les disciples des Cheikhs qadrïa de Mauritanie. Cette tradition s'est maintenue, même sous Al-Hadj Omar, car les adeptes de ce dernier le suivirent au Soudan. Ce n'est que lors du retour de ces dissidents, dont plusieurs avaient été les propres disciples d'Ahmadou Chékou, à Nioro, et à la suite de plusieurs voyages de son frère Mourtada que le tidianisme s'implanta fermement sur la rive maure. L'inimitié très vive qui, au début, sépara ceux qui étaient restés au pays et les nouveaux venus s'est apaisée avec le temps, et les deux rives vivent en bons termes côte à côte.
La grande mosquée du Vendredi pour ces deux provinces se trouve à Démette, sur la rive sénégalaise.
La population totale est de 7.500 habitants, dont 6.077 contribuables. Le Lao était inscrit, au rôle de 1918, pour 1.216 francs et les Aleybé pour 3.461 francs. Leur chef reçoit un traitement annuel de 2.800 francs. L'influence locale se fait sentir dans l'onomastique des villages, tels que Abd Allah Oualo, Abd Allah Diéré, Fodé Elimane.
Irlabé-Elyabé.—Le chef des provinces Irlabé et Elyabé est Yahia Kane. Né vers 1875 à Diaba (Saldé), il appartient, tant du côté paternel que du côté maternel, au meilleur lignage. Du côté paternel, il est fils de Mamadou Alfa, fils de Alfa Ahmadou Mokhtar, fils de Tierno Samba, fils de Mamadou, fils de Hamidin Samba. Du côté maternel, il compte plusieurs almamys et notamment l'almamy Ahmadou, son bisaïeul, et l'almamy Youssouf. Son père, Mamadou Alfa, servit d'intermédaire entre le Gouvernement du Sénégal et Abdoul Bou Bakar, lors de la conclusion des traités avec le Fouta. Son oncle, Cheikh Ndiaye, est cadi supérieur de Matam.
Il a quatre frères dont les plus notoires sont Ahmadou Mokhtar Kane, ancien élève de la médersa de Saint-Louis, secrétaire du tribunal de subdivision des Irlabé-Elyabé, son khalifa et successeur éventuel; et Abd-El-Aziz Kane, assesseur au tribunal de cercle d'Aleg. Les autres poursuivent encore leurs études.
Jadis cadi et président du tribunal des Irlabé-Elyabé de la rive droite, Yahia Kane fut, en février 1906, à la mort de Mamadou Lamin, nommé chef politique et président du tribunal local de la même province du même nom sur la rive maure. Il exerça ces deux fonctions jusqu'en 1918, date où il résilia ses fonctions judiciaires par suite de la concentration à Boghé de toutes les juridictions de province. Il a reçu une médaille d'honneur en 1916.
C'est un homme riche et très considéré et un chef qui a de l'autorité. Il a de nombreux lougans et de beaux troupeaux.
Il a été affilié au Qaderisme par Saad Bouh, qu'il a rencontré à Saint-Louis au cours d'un voyage.
Les principales personnalités maraboutiques des Irlabé-Elyabé sont: a) Tierno Aliou Oumar, de Davélé, né vers 1850, qui, par Tierno Mamadou Alimou, se rattache au Tidianisme omari. C'est un petit maître d'école; b) Tierno Mahmoudou Dielïa de Mbagne, né vers 1856, almamy d'une mosquée de quartier, maître d'une petite école coranique et disciple de ce même Tierno Alimou, de Bokidiavé; c) Tierno Ciré Ahmed, de Fokone, né vers 1880, maître d'école, de la même obédience; d) Tierno Samba, de Serimali, né vers 1876, disciple tidiani d'Al-Hadj Omar Galleya, qui était un fidèle du grand Al-Hadj Omar.
La mosquée du Vendredi des Irlabé-Elyabé est à Mbagne.
La population totale est de 9.200 habitants dont 6.712 contribuables. Ils étaient inscrits, au rôle de 1918, pour 40.272 francs. Leur chef reçoit un traitement annuel de 2.600 francs. L'influence islamique s'y fait sentir dans l'onomastique de certains villages, tels que Taïbata, Maloum Diaba, etc.
CHAPITRE III
FRACTIONS MAURES
Trois fractions maures habitent en permanence le Chamama du Brakna: les Tendra, les Id Ar Zimbo, les Haratines Chorfa; trois autres fractions y envoient leurs haratines cultiver, au moment de l'inondation: Haratines Id Ab Lahsen, Haratines Tagnit, Haratines Oulad Biri. Tous ces groupements sont originaires des tribus Trarza du même nom. Le total de cette population maure est de 1.350 âmes.
Tendra.—Les Tendra du Chamama sont une colonie de la grande tribu du Trarza occidental. Ils sont venus dans le pays au début du dix-neuvième siècle, attirés par la richesse des cultures. On y trouvait, au début, les origines sociales les plus diverses: zenaga, haratines, captifs, et même marabouts de condition libre, à qui leur misère imposa cet exode et cette vie inférieure. Avec le temps, la fusion s'est produite dans cette fraction.
D'autres individualités et même de petits campements ont rejoint, au cours du dix-neuvième siècle et jusqu'à nos jours, les premiers émigrants. Le plus récent est celui du Cheikh Abd Allah ould Ahmeddou, de la fraction Oulad Bou Sidi, venu ici à la suite d'un rezzou Oulad Bou Sba.
A notre arrivée, la fraction était sous les ordres de Cheikh Ahmed ould Bachir. Elle fut rattachée par Coppolani à la subdivision du Chamama. A Cheikh Ahmed, décédé en 1916, a succédé Ahmeddou ould Cheikh Mohameddou ould Habib Rahman ould Bou Saïri ould Ahmed ould Mohamedden ould Agd Abhoum, des Ahel Agd Abhoum. Né vers 1870, il n'est arrivé ici que vers 1900. Son frère, le vieux Cheikh centenaire Mohameddou, vit encore dans le Nord, dans la tribu d'origine. C'est un personnage religieux fort considéré. Il est le disciple qadri de Cheikh Ahmed ould Khalifa, disciple lui-même de Mostafa ould Cheikh Al-Qadi des Dieïdiba, qui fut l'élève du grand Cheikh Kounti Sidi-l-Mokhtar. Cheikh Mohameddou est le marabout de son fils et d'un grand nombre de Tendra du Chamama.
La plupart des autres tentes, et notamment Cheikh Abd Allah précité, né vers 1842, se rattachent à la même obédience de Mostafa ould Cheikh Al-Qadi, mais par le canal des Cheikhs Tendra: Mohammed Abd Er-Rahman ould Mohammed Salem et Sidi ould Bou Bakar.
Il y a enfin quelques Tidjania, relevant de l'obédience d'Ahmed Beddi, des Ida Ou Ali.
La fraction comprenait au début deux sous-fractions: Id Agd Abhoum et Oulad Bou Sidi. Elles ont contracté de si nombreux liens matrimoniaux qu'elles ont fusionné à peu près complètement, et ne se distinguent plus l'une de l'autre.
L'instruction est répandue dans ces campements de cultivateurs. Chaque campement a son petit maître d'école. Le plus considéré paraît être Babba ould Bou Siri, né vers 1860.
Les tombeaux particuliers visités sont: celui de Cheikh Sidïa ould Al-Kharachi, mort vers 1917, à Maye-Maye; et celui de Mohammed Abd Allah ould Al-Hassen, des Tendra du Sahel, venu mourir ici vers 1900, à Bou Naya.
Les Tendra du Chamama ont de beaux troupeaux de
bœufs et de petit bétail. Comme ils trouvent de l'eau partout
soit dans les marigots qui sillonnent le pays, soit dans des
puisards qu'on creuse en un point quelconque, ils ont perdu
toute habitude de nomadisation. Quand l'un d'entre eux a,
par atavisme, besoin d'une cure de grand air, il va passer
quelque temps dans les campements de la tribu-mère. La
marque des troupeaux est le feu général des Tendra , apposé
sur la cuisse gauche. Ils ont comme contre-marque
un point, ou le
, et aussi le
qu'ils apposent sur le
côté gauche du cou. Ils ont payé en 1916 une zakat de
1.213 fr. 65.
Leurs principaux coladé de culture sont: Ammara, les mares de Gondelat, et Baïssat colengal, dans le Toro; Rahahiat Adninaye, Oum Hani et Berbar. Leur impôt achour s'est monté, en 1918, à 1.640 francs pour Ammara, et 540 pour Maye-Maye. Le chiffre de la population dépasse 400 âmes.
Les Id Ar Zimbo du Chamama, colonie de la tribu zenaga du même nom du Trarza, comprennent deux sous-fractions: Ib Ab Amrar et Oulad Imijen.
Les Ib Ab Amrar sont, par droit héréditaire, sous l'autorité de Mohamed ould Mohamedden ould M'hamdi ould Abd Allah ould An-Nahoui ould Djeddana ould Mokhtar ould Ahmed ould Mohamedden ould Sidi Ahmed ould Amrar, l'ancêtre éponyme, qui, par son père Abd Allah ould Mohammed, se rattachait à Zeïneb, femme d'Ali et fille du Prophète. C'est du nom de Zeïneb déformé que viendrait le nom de la tribu «Zimbo». On voit que les traditions généalogiques—fantaisistes évidemment au moins pour les premiers âges—ne se sont pas perdus dans la fraction, malgré son exode.
Mohammed est né vers 1875, et n'occupe les fonctions de chef que depuis 1900. A notre arrivée, son père Mohamedden, marabout fort considéré et professeur très réputé d'enseignement coranique et de sciences supérieures, était Cheikh de la fraction. Il ne voulut pas par méfiance faire connaître sa qualité et on présenta à sa place le hartani Boubba ould Mgari. Celui-ci fut révoqué quelque temps après. Après plusieurs expériences de ce genre, Mohamedden finit par se faire connaître et désigna son fils comme Cheikh du groupement. Il en est aussi l'imam. Depuis ce jour, il n'y a plus eu de difficultés.
L'ensemble de cette sous-fraction est tidjani et relève de l'obédience du Cheikh Ahmed Beddi, des Ida Ou Ali de Djerarïa. On va souvent lui faire visite et lui porter des cadeaux.
Leurs lieux de pèlerinage sont les tombeaux de leurs ancêtres à Tin Houmed Debdouba, et Derba, dans l'Aftouth du Trarza.
Leurs coladé de culture sont à Tichamamaten, Tabba, Dokhon, Bab Ouinita et Tenouakoujar. Ils ont payé, en 1918, 760 francs d'achour.
Les Oulad Imijen sont depuis fort longtemps dans le Chamama. Ils ont perdu le souvenir de leur arrivée; ils en attribuent la cause à leur désir d'échapper aux perpétuels rezzous du Nord.
Leur chef est Khatri ould Ahmed ould Mokhtar ould Abdi ould Imijen. Cet Imijen, dont le nom est synonyme de Mersoul ou «Envoyé» (de Dieu), était le frère d'Amrar, vu plus haut.
Les Oulad Imijen sont affiliés en très grande majorité, et notamment leur Cheikh Khatri, au Qaderisme de Cheikh Sidïa. Ils visitent le cimetière de leurs ancêtres à Timouzin. Aucun nom de marabout ne mérite chez eux une mention spéciale.
Ils cultivent à Djoueïha, dans le Tichamamaten, à Afliou, et aux environs. Ils ont payé, en 1918, un achour de 1.050 francs.
Les Id Ar Zimbo n'ont que peu de troupeaux et encore
sont-ils à peu près tous chez les Id Ab-Amrar. Leur marque
est , qu'ils apposent sur la fesse droite des bœufs et de
ânes. Quelques tentes ont emprunté à leurs oncles maternels,
les Ida Ou Ali, chez qui d'ailleurs, elles vont quelquefois
camper, le feu
. La zakat de 1918 était de 104 fr. 10
chez les Id ab Amrar; elle était nulle chez les Oulad Imijen.
Le chiffre total de la population dépasse 700 âmes.
Les Haratines Chorfa sont une colonie d'affranchis des Chorfa de Nouagour (Trarza); quelques-uns d'entre les Chorfa, miséreux et inconsidérés, sont venus se déclasser, en s'installant chez ces haratines et en s'alliant à eux. C'est parmi eux qu'est pris le Cheikh: Lbou ould Moulay Ahmed ould Sidi Ellah ould Ahmed Logman ould Maazouz ould Mohammed ould Chérif, né vers 1875. C'est ce Mohammed ould Chérif, originaire de Fez, qui vint le premier dans le pays, peu après que le voyage de l'émir Ali Chandora dans la capitale du Maghreb eut attiré l'attention sur la basse Mauritanie (début du dix-huitième siècle). Venu pour quêter simplement, il s'y établit sans esprit de retour.
Ces haratines relèvent par leurs maîtres de diverses obédiences: soit qadrïa de Cheikh Sidïa ou des Tendra, soit tidjanïa, du Cheikh Ahmed Beddi, des Ida Ou Ali.
Leur centre et lieu de cultures est à Diaouldé, entre le
fleuve et le marigot de Koundi. Ils ont quelques bœufs et
des ânes qu'ils marquent soit d'un , sur la cuisse droite,
soit d'un grand trait
, sur le côté droit du cou.
Leur zakat était de 64 fr. 15 et leur achour de 560 francs
pour l'exercice 1918. Ils sont environ 200 personnes.
Des haratines Tagnit, Id ab Lahsen et Oulad Biri, il n'y a rien à dire ici. Ils sont domiciliés avec leurs maîtres dans le haut Trarza et ne viennent dans le Chamama qu'à l'époque des cultures et dans cette seule intention. Ils ont d'ailleurs été étudiés ailleurs (cf. mes Études sur l'Islam maure), notamment la dabaï des haratines Oulad Bïri, sise à Mbagnik, sous l'autorité de Dris ould Mohameddou. L'achour des haratines Tagnit était, pour l'exercice 1918 et pour le Chamama du Brakna, de 5.100 francs; celui des Id Ab Lahsen, de 400 francs; celui des Oulad Biri, de 1.550 francs.
LIVRE IV
COUTUMES SOCIALES ET POLITIQUES
CHAPITRE PREMIER
LA JUSTICE
Conformément à la coutume générale des pays musulmans, la justice civile était exercée dans les tribus maures du Brakna, au premier degré par le cadi de tribu, au degré supérieur par le cadi de l'émir. La dualité politique entraîna généralement deux juridictions supérieures. Il y avait, au Sud, le Cadi de l'émir des Oulad Siyed qui tranchait les contestations, nées dans cette tribu et dans les tribus guerrières, zenaga et maraboutiques, qui ressortissaient à son autorité. Il y avait, au Nord, celui des Oulad Normach, qui opérait dans les mêmes conditions.
Le cadi était un marabout, homme de science et de vertu, qui s'imposait par ses vertus personnelles ou par le prestige de sa famille. Chez les Oulad Siyed, il était choisi parmi les Deïdiba; chez les Oulad Normach, parmi les Deïdiba et les Id Eïlik.
Dans les tribus, le cadi du premier degré tenait ces fonctions de la voix populaire.
La justice pénale était administrée par le chef politique, ici comme ailleurs. Mais ce chef ne faisait guère qu'homologuer et exécuter les sentences du cadi et des marabouts, ses conseillers judiciaires.
Dans le Chamama toucouleur, les juridictions s'échelonnent de l'éliman du village au chef de province et à l'almamy suprême.
L'administration française a respecté, autant que possible, ces antiques coutumes.
En pays maure, les cadis de tribu, en pays noir, les éliman locaux continuent à être les juges de pays et de conciliation. Quoique leurs sentences n'aient pas force de loi, c'est à eux généralement qu'on s'adresse et qu'on s'en tient.
Au premier degré, on trouve le tribunal de subdivision, présidé par un magistrat indigène chez les noirs, par l'adjoint au commandant de cercle chez les Maures, assisté de deux assesseurs. Le tribunal du Chamama comporte, sous un président commun deux chambres: une pour les Noirs, une pour les Maures, afin que ces deux catégories de justiciables soient représentées dans le tribunal.
Les appels sont interjetés devant le tribunal de cercle, que préside le commandant de cercle assisté de deux assesseurs indigènes.
En dernier lieu enfin, domine la chambre d'homologation de Dakar, à qui doivent être soumises les décisions prononçant une peine supérieure à cinq années d'emprisonnement.
Cette organisation judiciaire fait l'objet du décret du 16 août 1912, véritable charte judiciaire de l'A. O. F., et de l'arrêté du gouverneur général du 5 octobre 1913, spécial à la Mauritanie.
Le droit appliqué continue à être, comme par le passé, le droit musulman, mitigé des coutumes locales. Nous n'en avons supprimé que les dispositions contraires à l'humanité et à la civilisation.
CHAPITRE II
LES IMPÔTS
Les impôts, auxquels sont soumis, à l'heure actuelle, les Maures du Brakna, sont les impôts traditionnels d'origine islamique: l'achour et la zakat.
L'achour est la dixième partie du revenu agricole. Les modes de fixation diffèrent. Voici le premier: on admet par l'expérience qu'un lougan, ensemencé avec une petite corbeille de 3 kg. 700 de mil, donne, dans les terrains, dits «Walléré» et pour les bonnes années, 100 grandes corbeilles de 7 fois 3 kg. 700, soit 2.590 kilos. Dans les moyennes années, ce revenu est seulement de 30 grandes corbeilles, soit 777 kilos. L'achour sera donc de 259 kilos dans le premier cas et de 7 kg. 77 dans le second cas. Dans la pratique, on évalue toujours faiblement la récolte, de sorte que ce «dixième» se rapproche sensiblement du vingtième.
Dans les terrains «coladé», la bonne année donne 60 corbeilles et la mauvaise 10 seulement.
Voici un autre mode d'évaluation: la mesure (moudd) de semence, soit 4 kilos, donne de 8 à 20 matar, suivant les années et les terrains. Le matar étant de 20 moudd, ou 80 kilos, la récolte varie entre 640 et 1.600 kilos; d'où un kilo de semence produit de 160 à 400 kilos. L'achour sera donc de 16 à 40 kilos par kilo de semence jeté en terre.
Les Noirs du Chamama ne paient pas l'achour à notre administration. Mais cette redevance, qu'ils appellent assaka, déformation de l'arabe zakat, est encore payé bénévolement par eux et suivant la coutume ancienne, qui date de leur islamisation, à leurs chefs locaux. La raison de ce maintien est en effet qu'il ne fait pas concurrence à notre impôt, puisque nous ne les avons astreints qu'à l'impôt de capitation. En revanche, chez les haratines, où nous l'avons maintenu, il est tombé en désuétude, et les chefs toucouleurs ont dû renoncer à le percevoir.
Le total de l'achour pour le Brakna a été, en 1918, de 19.653 fr. 95. La répartition par tribu est donnée ci-après.
Les principaux terrains de culture de chaque tribu sont situés dans le Brakna, soit autour du lac d'Aleg, soit dans les divers oued, et notamment l'oued Katchi, qui s'y déversent dans les affluents Chelkha du haut Gorgol. En outre, chaque tribu envoie ses haratines, et même les plus miséreux de ses gens libres, cultiver, lors de l'inondation annuelle, dans les coladé du Chamama.
Voici les principales régions de culture par tribu:
Oulad Siyed.—Dans le Chamama: à Ouamal, Zahaf, Zalla Draouala-Tléla, Diadia, Lemdeïben.
Arallen.—Chamama, Al-Megfa.
Oulad Normach.—Bouéré, Diélouar, Chamama (C. de Guiro).
Oulad Ahmed.—Chogar, Soubara, Kreïmi.
Beheïhat.—Youli Chogar, Aguemi, Sâdi Ladé.
Touabir.—Kra Lebkhaine.—Taïchot Lehout, Douwal-Al-Khat-Mbota; dans les divers coladé des Irlabé-Pété (Chamama), et dans celui de Sawalel (Ebyabé).
Dieïdiba.—Mbeïdia, Diont, Arich, Diambet, Maye Maye, Regba Bou Dioud, Diongal, Ouamat, Diadé, et surtout à Bella et dans le lac d'Aleg (Idâg Fara Brahim).
Tenouïssat-Id Ayank-Guimfa, Taïchot, Touizert, Tijom, Al-Khat, Lemchouka, Regba, Lakhchab, Tichilit Ndiaye, Damet, Diadié, Maye-Maye, Bou-Diour Balla et surtout dans le lac d'Aleg (Id ag Fara).
Ragg, Khat Lopaj, Toiba, Tiatahaka Bella, Donga Chebour, Arsa, et surtout dans le lac d'Aleg (Ahel Mohammedden).
Lac d'Aleg (Asbat), Maye-Maye, Bella, Arsa, Seksa, Oued Cheddid, Diadié Chabour, et surtout à Ouamal, Tiaktachaka, Dongo, et dans le lac d'Aleg (Ahel Agd Ammi).
Zemarig.—Al-Meriché; et dans le Chamama, les coladé de Sawar, Galadji, Beida, de Waboundé, de Thidé-Oldi, tous terrains Walaldé du Lao.
Tabouit.—Lac d'Aleg et Bella (Chamama).
Oulad Bou Sif Noirs.—Taïchot Dagana, Tijam, Tegora, Khatal, Ouara Boulla, Touizert, Touïdimi, Agueni. Ils vont quelquefois chez les Id Ag Jemouella.
Oulad Bou Sif Blancs.—Sambou Diana, Ameïré, Borella Taïchot Dagna.
Ahel Cheikh Mokhtar.—Cheikhat, Rouéré, Oum Agneïn Chamama; Gondéré Nouib, Bidi-Ngal, Ameïré.
Meterambrin.—Aboïsal, Lamaoudou, Bifdi.
Torkoz.—Ouesseni, Mal, Tourtoguel.
Hijaj.—Cheikhat, Afougan et surtout Bassi Nguidé. Dans le Chamama les coladé de Doumgal, Diogué, Diarra, les fondé Diarra et Mamadou (T. des Irlabé-Dieri); les terrains de Niokoul et de Sokol (Irlabé).
Id Eïlik.—Louran, Oguéré et Toul de Ameïré; dans le Chamama: Douwal et divers coladé des Irlabé-Pété.
Tagat.—Barkéol, Guimi, Aguiert, Agouawa, Chelkhat Riyah, Chelkhat Tramoni, Al-Meridi Doïra, Laouija, Chéga, Farawa, Chogar Gadel, O. Ahmoud, O. Agneïn, Rekaïs, Gadel, Bidi Ngal, Boueïré, Oum al-Karech, Tezekra, Al-Gouissi, et surtout Gaoua.
Id ag Jemouella.—Surtout Bidi Ngal et Guimi, et aussi à Lahouar, Barkéol, Bora et au puits de Chacal.
Soubâk.—Tenmissat Temat, Agueïllet Touya, Dienouga, Al-Khachba, Tin Bouzekri, le Chamama pour les Haratines.
Toumodek.—Modi Founti, L'Khat; et dans le Chamama, le colengal de Sawalel (Elyabé) et les terrains de Fokol (Elyabé).
T. Tanak.—Maye-Maye.
Ahel Gasri.—Tartouguel.
Tiab Normach.—Guimi.
Braouat.—Chelkhat Garich, Lac d'Aleg.
Tachomcha.—Avec les Tagat.
Dabaye d'Aleg.—Lac d'Aleg.
De plus, ces tribus se reçoivent les unes chez les autres.
Enfin, il faut signaler des tribus étrangères au cercle qui y viennent cultiver.
Torkoz du Tagant.—A Tendel, Douiat, Diounaba, Wandia.
Id Imijen des Oulad Biri.—A Eloïskat.
Ahel Agmoïli de Mbout, au Chelkhat Rekham.
Ahel Cheikh Menn (Tagat) du Tagant.—A Agmimi et Gadel.
La fraction Kounta du Tahani: Ahel Mohammed ould Sidi Lamin, à Oudeï Lafkarrin.
Toumodek du Gorgol.—Bou Soïlif.
Les régions particulièrement fréquentées et cultivées sont, en dehors du lac d'Aleg, les points de Maoudou, Tendel, Gadel et Gaoua.
Vaste marécage de 3 kilomètres de long sur 2 de large, dirigé de l'ouest à l'est, et rempli, depuis le début de l'hivernage jusque fin avril, le lit du marigot de Maoudou est creusé, en temps de sécheresse, par de nombreux puits de 2 à 5 mètres. Il est environné de nombreux lougans et d'excellents pâturages, mais la région est tellement infestée de moustiques que, la plupart de temps, elle est complètement abandonnée par les troupeaux maures. Le lac est alimenté par les eaux de l'oued Blektaer aux nombreux méandres.
Le beau lac de Tendel, bordé des grands arbres de la tamourt, a une superficie de plusieurs hectares. Il est à quelques pas du Gorgol desséché. C'est le point de rendez-vous de toutes les caravanes qui d'Aguiert, de Moudjéria, et du Tagant par Garouel descendent vers le fleuve. Jadis fréquenté par les rezzous, la région de Tendel est aujourd'hui occupée surtout par les Tadjakant riches de plus de 2.000 chameaux et d'une immense quantité de bœufs, et de têtes de petit bétail. Les campements quittent le Tagant et l'Assaba, après l'hivernage, pour passer la bonne saison dans le Regueïba, et entre le Maoudou-Tendel et Chogar-Gadel. Avec la paix, ils ont poussé dans l'Agan jusqu'à Ouazan, et même vers Dikel et Tiguegui.
Gadel ne possède la plupart du temps qu'une petite mare d'eau corrompue. Les Maures prétendent n'avoir jamais pu y trouver de l'eau, à quelque profondeur qu'ils aient creusé, et de guerre lasse, avoir reporté leur travail à Gaoua.
Gaoua, dans l'oued, consiste en quatre excellents puits, signalés au loin par un maigre dattier et le tombeau de Si Ahmed Hadrami, chef des Tagat.
La Zakat est la taxe qui grève les troupeaux, pour la valeur d'un quarantième. Aujourd'hui, pour en faciliter la perception, nous l'avons fixée, une fois pour toutes, à un taux invariable. Ce taux est, pour l'exercice 1918, le suivant:
| Juments | 7 | francs. | Veau | 1 fr. 50 |
| Pouliches | 6 | —— | Anes | 0 fr. 50 |
| Chevaux | 5 | —— | Chameaux | 2 francs |
| Poulains | 4 | —— | Chamelles | 2 francs |
| Vaches | 2 | fr. 45 | Chamelon | 1 fr. 25 |
| Génisses | 2 | francs | Mouton | 0 fr. 15 |
| Bœufs | 2 | —— | ||
Le total de l'impôt zakat pour le Brakna a été, en 1918, de 67.905. fr. 70. La répartition par tribu est donnée ci-après.
On s'est aujourd'hui définitivement rangé au maintien de l'impôt zakat dans les tribus maures. Universellement accepté, à cause de ses origines religieuses et coutumières, c'est aussi celui qui est le plus juste, car il grève proportionnellement le revenu, et c'est aussi celui qui rapporte le plus, car il atteint la principale, l'unique même richesse locale: le cheptel. Le prélèvement de cet impôt a nécessité le recensement, chaque année de plus en plus exact, de ce cheptel. Voici cet état de recensement pour l'exercice 1918.
Équidés 156, dont 112 juments, 7 pouliches, 30 chevaux et 7 poulains.
Bovins 17.537, dont 9.606 vaches, 3.415 génisses, 3.026 bœufs, et 1.490 veaux.
Camelins 1.155, dont 233 chameaux, 708 chamelles et 214 chamelins.
Petit bétail: 156.980 têtes.
Anes: 5.134.
Il faut remarquer que la peste bovine a fait baisser, en 1917, le cheptel de 3.000 individus, et que, d'autre part, depuis quelques années, un mouvement commercial s'est établi sur la foire de Louga, et surtout sur l'usine frigorifique de Lyndiane et que la plupart des bœufs adultes prennent le chemin du Sénégal.
Principale richesse des tribus du Brakna, les troupeaux font l'objet de maintes contestations et rapines, en quoi consiste le principal souci de l'administration locale. Mais depuis que Mercure s'échappa de son berceau, le soir même de sa naissance, pour aller ravir le troupeau de bœufs de son frère Apollon, les vols de bestiaux sont la monnaie courante de la vie des peuples pasteurs. Et avec leur flair de nomades et leurs marques de feu bien connues et données plus haut, les Maures aux longs cheveux retrouvent aussi facilement leurs bêtes que le Dieu subtil des pâturages de l'Hellade.
Dans le Chamama, il a été longtemps difficile de faire une évaluation même approximative du nombre d'animaux. La plus grande partie (Peul du Sénégal, Maures du Nord), y viennent parfois de très loin, quand l'herbe y est abondante. De plus, les familles toucouleures qui habitent le pays ont des membres sur les deux rives du fleuve et leurs troupeaux pâturent indistinctement au Sénégal et en Mauritanie. Les animaux ne font donc que passer dans le Chamama, en y séjournant plus ou moins longtemps. Leur nombre et la durée de leur séjour sont limités uniquement par l'abondance du pâturage. Vers la fin de mai, les pâturages sont épuisés. Les troupeaux venus de la rive gauche, après l'hivernage, y retournent, ceux des Maures restent jusqu'aux premières pluies dans la région des dunes voisines, se nourrissent, tant bien que mal, des maigres plantes desséchées qui y restent encore. On a tout de même, ces derniers temps, pu établir un recensement des troupeaux maures de la région. Ce cheptel comprendrait une dizaine de chevaux, 25 juments, 275 bœufs, 595 vaches, 5.268 têtes de petit bétail.
Il n'y a pas à revenir sur les zones de pâturage, ni sur les marques et contre-marques de feu, particulières à chaque tribu. Elles ont été exposées plus haut, dans la notice qui leur a été consacrée.
| Tribus. | Zakat. | Achour. | |
| Oulad Siyed | 1.379,75 | 1.696,20 | |
| Arallen | 764,50 | 541,80 | |
| Oulad Normach | 290,60 | 102 » | |
| Oulad Ahmed | 1.633,60 | 63 » | |
| Al-Behaïhat | 4.864 » | 230 » | |
| Touabir-Oulad M'haïmdat | 1.745,25 | 135 » | |
| Touabir-Oulad Yara | 1.061,90 | 80 » | |
| Oulad Bou Sif Noirs (Kounta) | 5.546,65 | 235 » | |
| Oulad Bou Sif Blancs (Kounta) | 1.403 » | 72 » | |
| Ahel Bekkaï | —— | 1.224,95 | 174 » |
| Ahel Sidi Amar | —— | 386,10 | 120 » |
| Meterambrin | —— | 495,80 | 510 » |
| Tiab Oulad Normach | 166,05 | 301,80 | |
| Dieïdiba | 15.096,45 | 3.978,15 | |
| Tagat | 13.626,35 | 4.947 » | |
| Zemarig | 1.243 » | 1.118 » | |
| Tabouit | 897 » | 124,20 | |
| Soubâk | 2.226,55 | 206 » | |
| Torkoz | 3.329,20 | 380 » | |
| Hijaj | 3.664,65 | 1.097 » | |
| Toumodek | 1.156,25 | 282 » | |
| Id Aj Jemouella | 1.352,65 | 1.779 » | |
| Id Eïlik-Ahel Aleg | 1.806,95 | 160 » | |
| Id Eïlik-Ahel Abary | 751,80 | 90 » | |
| Draouat | 644,85 | 54 » | |
| Ahel Gasri | 584,19 | 24 » | |
| Tolba Tanak | 223,20 | 108 » | |
| Tachomcha | 159,65 | » » | |
| Dabaye d'Aleg | 261,40 | » » | |
| Oulad Biri Id Imijen | » | 45 » | |
| Torkoz (du Tagant) | » | 199,80 | |
| Ahel Ag Moïli (de Mbout) | » | 174 » | |
| Ahel Cheikh Menni (du Tagant) | » | 350 » | |
| Kounta (du Tagant) | » | 42 » | |
| Toumodek (du Gorgol) | » | 33 » | |
| Totaux | 67.986,20 | 19.653,95 | |
Dans le Chamama, les Noirs ne sont soumis qu'au seul impôt de capitation. Il est dû par toute personne ayant dépassé l'âge de 8 ans. Il a augmenté sensiblement dans ces dernières années. Il est actuellement de 6 francs, par an et par tête.
En résumé, les recensements de 1918 donnent: pour le Brakna, 20.829 habitants, se décomposant en 6.800 hommes, 7.585 femmes, 3.299 garçons et 3.145 filles. Ils versaient 87.640 fr. 15 d'impôt achour et zakat. Pour le Chamama, 18.200 habitants, dont 13.779 contribuables, versaient 82.214 fr. d'impôt de capitation.
CHAPITRE III
LES REDEVANCES COUTUMIÈRES
J'ai étudié longuement dans mon ouvrage l'Émirat des Trarza les origines, la nature et les modalités des redevances coutumières maures: horma, rafer, bakh. Il suffit d'y renvoyer. On ne trouvera ici que la liste des redevances particulières, en vigueur dans les tribus du Brakna, à notre arrivée. Plusieurs d'entre elles ont été rachetées sous notre occupation, conformément à notre souci d'émancipation des uns et à notre désir de ménager les droits acquis et les moyens de subsistance des autres. «La variété des espèces, dit une circulaire du commissaire du Gouvernement général en Mauritanie (1er novembre 1914), interdit toute réglementation uniforme. Le taux du rachat devra être estimé d'après le caractère et l'origine de la redevance et aussi d'après les ressources réelles du tributaire.»
Ce rachat est loin d'être aussi avancé dans le Brakna que dans le Trarza, sans doute parce que les autorités locales y ont poussé avec moins de force; en revanche beaucoup de ces redevances sont tombées en désuétude par le départ en dissidence des maîtres et n'ont pas été relevées à leur retour. Quoi qu'il en soit, il ne sera pas inutile de connaître les antiques biens de cette sorte de vasselage, qui unissait tribu hassane à tribu maraboutique ou zenaga. Même après leur disparition par rachat ou de toute autre façon, ces biens ne disparaissent pas complètement. Il y faudra plusieurs générations.
Les Asba et Negza devaient aux Ahel Bou Bakar des Oulad Ahmed une redevance de quatre pièces de guinée par année et par tente. Les bénéficiaires prétendaient tenir ce droit par héritage des Oulad Biri. Les tributaires niaient avoir dû une horma de ce genre aux Oulad Biri et par conséquent à leurs prétendus ayants droit, les Ahel Bou Bakar. Ils donnaient l'explication suivante: au début du dix-neuvième siècle, un de leurs ancêtres avait épousé une hartanïa des Oulad Ahmed. Les enfants de ce couple firent de temps en temps des cadeaux aux anciens maîtres de leur mère. Étant les plus forts, les Oulad Ahmed exigèrent ensuite que les cadeaux leur fussent continués, et transformèrent ainsi des actes de générosité en un droit de rafer. La redevance, qui était encore payée en 1907, subit un rude coup, lors du départ en dissidence des Ahel Bou Bakar. Pourtant, dans une conférence tenue à Aleg, le 30 décembre 1914, devant le commandant de cercle, il fut reconnu que le droit des Ahel Bou Bakar était authentique; et les Ahel Negza tributaires (12 tentes) s'en rachetèrent aussitôt par la livraison de 70 moutons, 4 vaches et 2 ânes (paiement effectué le 10 janvier 1915).
Les Tabouit sont tributaires des Ahel Baouba (Oulad Ahmed) et leur ont payé une redevance annuelle d'un mouton par tente jusqu'en 1897, époque à laquelle les Tabouit et les Dieïdiba s'allièrent pour marcher contre les Oulad Biri et les Oulad Ahmed. Le conflit traîna en longueur, grâce à l'appui des Oulad Siyed. Notre arrivée y mit fin. Depuis cette date, les Tabouit ont cessé leurs paiements. Pourtant les discussions se perpétuaient. Une conférence réunit les intéressés à Aleg, le 23 décembre 1914. Devant le commandant de cercle, il fut reconnu que les pillages des Oulad Ahmed eux-mêmes, les protecteurs, avaient dégagé leurs tributaires de toute obligation.
Les Ida Ou Ali, du Tagant payaient, depuis plusieurs générations, aux Oulad Ahmed une redevance, destinée à assurer la sécurité de leurs caravanes venant dans le Brakna. Cette redevance se montait à trente mesures de blé et trente mesures de dattes. Elle n'était pas payée dans le Brakna. D'après les conventions, elle ne pouvait être exigée que lors de l'arrivée des premières caravanes dans la région du Brakna, et n'était payée que dans le Tagant, où les Ahel Bou Bakar devaient aller réclamer leurs droits. Elle est, avec notre occupation, tombée en désuétude.
Les Ahel Menna, des Anouazir du Gorgol, et les Oulad Yara et Oulad M'haïmdat, des Touabir du Brakna, ont payé jusqu'à notre arrivée en Mauritanie une redevance d'un mouton ou d'une pièce de guinée par tente aux Ahel Amar Beyyat (Ahel Soueïd Ahmed) pour la protection qui leur était accordée par cette famille contre les tribus guerrières du cercle, et notamment contre les Oulad Ahmed. Ce rafer a fait l'objet de deux conventions de rachat. Les Touabir se sont libérés les premiers par un acte passé à Aleg le 17 mars 1915. Ils ont versé 340 moutons à leurs tributaires (130, les Oulad Yarra, 210, les Oulad M'haïmdat). Les Anouazir en ont fait autant le 8 décembre 1917 à Kaédi. Ils ont versé 350 francs aux Ahel Amar Beyyat, et 470 francs aux Ahel Ahmed ould Sidi.
Les Brarka et les Rouarib des Torkoz sont devenus, vers le milieu du dix-neuvième siècle, tributaires des Ahel Brahim Naama (des Oulad Ahmed), qui avaient acheté aux Ahel Sabar les rafer, payés à ces derniers. Cette acquisition aurait consisté en un total de 40 annuités. Cette redevance qui était d'un jeune chameau par an, a été payée jusqu'à nos jours. Par un acte passé à Aleg, le 8 janvier 1915, les tributaires se sont rachetés, moyennant le paiement effectué le 5 mai 1915, d'une somme de 200 francs.
Par un acte, passé à Aleg le 1er décembre 1914, les Haratines Tanak ont racheté solidairement toutes les horma qu'ils devaient aux Oulad Siyed sous ces conditions: Livraison de 6 vaches, 4 bœufs, 100 moutons, 2 veaux. La moitié a été livrée le jour même; l'autre moitié, le 1er juillet 1915. Paiement d'une somme de 365 francs, le 1er janvier 1916, pour se libérer de tous droits de bakh, ou autres, sur leurs terrains de culture.
Les Arallen payaient aux Oulad Siyed une pièce de guinée par tente et par an. Cette redevance remontait, dit-on, au traité qui mit fin à la grande guerre des hassanes et des zaouïa (Cherr Babbah). Par un acte, passé le 8 décembre 1914, la djemaa des Arallen s'est rachetée aux conditions suivantes, qui ont été exécutées: Livraison de 6 vaches, 7 bœufs, 200 moutons, 2 veaux, 3 ânes, le 1er avril 1915. Paiement d'une somme de 700 francs, le 1er septembre 1915, pour se libérer de tous droits de bakh, ou autres, sur leurs terrains de culture.
Les deux horma précitées (Arallen et Haratines Tanak) furent réparties, trois jours plus tard, proportionnellement aux titres des ayants droit et suivant les dispositions suivantes: a) les guerriers Oulad Siyed présents reçurent intégralement leur part; b) la part des guerriers en dissidence fut confisquée et remise, à titre de secours, aux héritiers pauvres (mais présents au Brakna) des guerriers en dissidence, à Hobeïb, à Hachem, à Sidi Ali, à charge pour eux de venir à leur tour en aide aux sous-héritiers; c) le reste fut réservé pour faire face à toute revendication légitime et omise dans la présente répartition.
Par un acte, passé le 8 décembre 1914 à Aleg, les hassanes Oulad Siyed ont libéré leurs haratines de toutes leurs redevances traditionnelles (horma, ghafer, bakh), sans condition aucune. En conséquence, sont abolis, d'une façon définitive, les droits et redevances de toutes sortes, dues par les haratines Oulad Siyed à leurs anciens maîtres.
Par deux actes, passés à la même date à Aleg, les hassanes Oulad Siyed ont procédé à la même libération vis-à-vis de leurs fractions tributaires: 1o les Ahel Ghaïta, Azafal et Igdala; 2o les haratines Oulad Mansour.
Par une décision prononcée le 10 décembre 1914, à Aleg, par le capitaine commandant le cercle, toutes les prétentions à droits de horma, rafer ou autres, émises par les Oulad Siyed sur leurs anciens tributaires, Tabouit et Id Ayank, ont été reconnues infondées et irrecevables, pour les raisons suivantes: 1o le seul ayant droit Ahmeddou, ex-émir, est toujours en dissidence; 2o lesdits tributaires ont été pillés, à notre arrivée dans le pays, par les Oulad Siyed eux-mêmes, leurs protecteurs. En conséquence, sont seules susceptibles d'être examinées les horma particulières de guerriers Oulad Siyed sur des tributaires isolés, ex-haratines ou autres, réfugiés ou habitant chez les Tabouit de Id Ayank.
Par un acte passé à Aleg, le 10 décembre 1914, les Oulad Normach ont libéré définitivement leurs haratines dans les mêmes conditions, exposées plus haut, où les Oulad Siyed avaient libéré les leurs.
Les fractions Touabir, soit Oulad Yarra et Oulad M'haïmdat du Brakna, soit Anouazir du Gorgol, devaient chacune aux Ahel Ahmeïada (Oulad Normach) une horma consistant en une brebis laitière et un mouton de boucherie par tente et par an. Ces animaux pouvaient être remplacés par le paiement d'une pièce de guinée.
Les deux premières fractions se sont libérées, à Aleg, en 1914, par un accord avec leurs suzerains par la livraison de 260 moutons, le 15 janvier 1915 (Oulad M'haïmdat) et de 225 moutons le 25 janvier 1915 (Oulad Yarra).
Les Anouazir se sont rachetés, à Kaédi, en 1915, par le versement définitif de 500 moutons. Ce n'est pas sans difficultés que ce dernier rachat a pu être conclu. Les Anouazir estimaient en effet qu'ayant rompu leurs liens avec ces Normach et fait alliance avec les Oulad Siyed, et ayant tenu tête victorieusement aux Normach, ils étaient libérés par le fait de guerre. La solution a pu heureusement être dénouées à l'amiable.
Les Anouazir payaient encore une horma de deux moutons et d'une pièce de guinée aux Ahel Mohammed ould M'hammed Cheïn, des Chratit. Mais l'émir Bakkar, des Id Ou Aïch, la leur avait enlevée, et c'était à lui que, dans le dernier état de choses, elle était versée. Un rachat est intervenu, le 15 décembre 1916, par le versement définitif aux Abakak de 550 moutons.
C'est dans les mêmes conditions qu'est intervenu le rachat des Oulad Aïd vis-à-vis des Abakak, le 23 décembre 1916 par le paiement de 400 moutons.
Les haratines Oulad Bou Sif Noirs payaient un rafer d'un jeune chameau par an aux Ahel Habib. Ceux-ci avaient acquis par achat ce droit des Ahel Bou Bakar, qui le possédaient de longue date. Par acte, passé à Aleg le 10 décembre 1914, Lobbat ould Ahmeïada, chef des Oulad Normach, a reçu, à titre de rachat définitif de cette fraction, la somme de 175 francs.
Par un acte, passé à Aleg le 10 décembre 1914, les hassanes Oulad Ahmed ont libéré de tous droits et sans aucune condition leurs haratines, à l'exception toutefois des nommés Amar ould Habib Al-Béguer Saïd ould Ngomohid, Miloud ould Mbarek, Sidïa ould Baye, Samba ould Seneïba, Kha ould Jara, qui s'engagèrent à se racheter, moyennant le paiement du dixième de leur avoir actuel. C'est ce qui fut fait quelque temps après.
Les Oulad Al-Heneïti, des Zekhaïmat, devaient aux Ahel Alouïn, des Oulad Ahmed, un rafer d'un chameau par an, que les bénéficiaires tenaient par héritage des Ahel Melitra. Par un acte, passé à Aleg le 16 décembre 1914, il a été reconnu que Chmat ould Ahmed, chef de la tente bénéficiaire, n'avait pas rempli les obligations de son droit, puisque les Oulad Ahmed: Biram et H'moïmed avaient enlevé aux Oulad Al-Haneïti sans défense, 11 chameaux, 2 ânes et un troupeau de moutons. Ces chameaux n'ayant pu être restitués aux victimes, les droits de Chmat ont été annulés sans conditions.
Les haratines Oulad Bou Sif Noirs furent jadis condamnés à payer une dïa à Hamoumou ould Ahmed, chef d'un campement de Oulad Ahmed pour le meurtre de six de ses gens. Cette dïa avait été transformée en une horma annuelle d'un jeune chameau. Par un acte passé à Aleg, le 17 décembre 1914, lesdits haratines se rachetèrent définitivement de cette horma par le versement d'une somme de 250 francs effectué le 15 février 1915.
Les Oulad Bou Sif Blancs payaient au campement de Brahim ould Sidi Brahim un rafer annuel. Désireux de se racheter, les Oulad Bou Sif Blancs du Brakna provoquèrent une conférence à Aleg, le 23 décembre 1914, et se libérèrent définitivement, en ce qui les concerne, par une somme de 100 francs, qui fut payée le 10 février 1915.
Les haratines Oulad Bou Sif Noirs et les Oulad Al-Heneïti devaient à la tente d'Ahmed Saloum ould Mokhtar Oummou, des Oulad Dâmân (Trarza) un rafer annuel d'un jeune chameau. Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, les tributaires se sont rachetés définitivement par le versement de 30 moutons pour les Haratines, et de 45 moutons pour les Oulad Al-Heneïti.
Les Haratines Oulad Bou Sif Noirs payaient aux Ahel Soueïd Ahmed et Ahel Ahmed Bounan un rafer global et annuel de 3 chameaux. Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, le rachat de cette redevance a été effectué pour 110 moutons, mâles et femelles, d'une valeur moyenne de 5 francs. Le paiement a été effectué le 1er juillet 1915.
Les Oulad Bou Sif Blancs payaient aux Oulad Dâmân (Trarza) un rafer annuel d'un chameau. Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, les deux parties ont reconnu que la fraction Bou Sif du Brakna ne représentait que le quart de la tribu, les autres étant dans le Hodh. Le rachat du rafer, en ce qui les concerne, a donc été fixé à 40 moutons, qui ont été livrés le 1er juillet 1915.
Les Id Ayank payaient une horma d'une pièce de guinée par an et par tente aux Ahel Soueïd Ahmed (Id Ou Aïch). Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 300 moutons, mâles et femelles, qui ont été livrés le 1er juillet suivant.
Les Oulad Kani (Oulad Bou Sif Noirs) payaient aux Abakak (Id Ou Aïch) un rafer annuel de dix jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, ce rachat a été effectué pour 200 moutons, mâles et femelles, qui ont été livrés le 17 juillet suivant.
Les Oulad Al-Heneïti payaient aux Abakak deux rafer de 10 jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 100 gros et grands moutons, moitié mâles, moitié femelles, qui ont été livrés le 17 juillet suivant.
Les Id Ag Jemouella hassanes payaient aux Ahel Soueïd Ahmed une horma d'une pièce de guinée, marque meïlis, par tente et par an. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 3 vaches, 1 bœuf, 85 moutons, qui ont été livrés le 17 avril 1915.
Les Behaïhat payaient aux Ahel Soueïd Ahmed (Id Ou Aïch), comme détenteurs de leurs biens, une horma d'une à quatre pièces de guinée par tente et par an, et leur fournissait le lait de plusieurs vaches et brebis laitières. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 500 moutons moyens, moitié mâles, moitié femelles, et pour 10 vaches de 3 ans, qui ont été livrés le 16 juin 1915.
Les Tabouit payaient jadis aux Abakak une horma annuelle de 100 moutons. A la requête des bénéficiaires, une conférence réunit les intéressés à Aleg, le 18 mars 1916. Il fut reconnu que les tributaires avaient été complètement pillés en 1914 par les propres cousins de Bouna Ould Soueïd Ahmed: Sidi Mohammed et Mohammed Mahmoud, et qu'aucune restitution n'avait été effectuée. En conséquence, par une décision du commandant de cercle, en date du même jour, les Tabouit ont été définitivement libérés.
Les Oulad Bou Sif Blancs payaient aux Ahel Soueïd Ahmed un rafer annuel de 4 chameaux. La fraction Bou Sif du Brakna ne représente que le quart de la tribu. Aussi le rachat, effectué à Aleg le 16 juin 1915, a-t-il fixé leur part à 100 moutons seulement, moitié mâles, moitié femelles, qui ont été livrés le 1er octobre 1915.
Les Meterambrin payaient aux Ahel Soueïd Ahmed un rafer annuel de 3 jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 16 juin 1915, le rachat a été effectué pour 40 moutons et 100 moudd de mil (400 kilos), livrés le 1er août suivant.
Les Brarka des Torkoz payaient aux Ahel Soueïd Ahmed un rafer annuel de 2 jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 17 juin 1915, le rachat a été effectué pour 90 moutons, livrés le 20 août suivant.
Les Tabouit payaient jadis à l'émir du Trarza un rafer annuel de 60 moutons. L'émir céda ce droit, en reconnaissance de certains services, à Mohammed ould Mohammed Lefdhil, chef des Oulad Dâmân. Khattari, fils et héritier du bénéficiaire, ayant offert aux Tabouit de se racheter, ceux-ci se sont libérés par un acte, passé à Aleg le 13 mai 1918, pour la somme de 1.000 francs, 250 francs furent versés comptant, le reste trois mois plus tard.
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Outre ces horma et rafer collectifs, tous éteints à l'heure actuelle, il faut signaler un grand nombre de horma particulières à des tentes de hassanes, à percevoir sur des tentes particulières de zenaga et de marabouts. Les bénéficiaires appartiennent soit aux tribus guerrières du cercle: Oulad Siyed et Oulad Mansour, Oulad Normach, Oulad Ahmed; soit à des tribus et fractions, extérieures au cercle, telles que les Ahel Gankou, Oulad Dâmân et Euleb (Trarza); Ahel Soueïd Ahmed (Tagant), Oulad Hammoni (Adrar). Les haratines appartiennent indifféremment à toutes les tribus zouaïa ou zenaga du cercle. La plus grande partie a été rachetée.
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Un certain nombre de horma et rafer collectifs sont encore en suspens, et donnent lieu à discussion, à savoir:
Doivent à l'émir de l'Adrar:
Les Oulad Bou Sif Blancs, un chameau par an;
Les Oulad Bou Sif Noirs (Haratines), un chameau par an; rafer non accepté par les tributaires;
Les Torkoz, un chameau par an;
Les Behaïhat, une chamelle laitière, cette dernière personnelle à l'émir Sidi Ahmed.
Doivent aux Oulad Hammouni de l'Adrar: les Behaïhat, un rafer annuel d'une chamelle laitière, d'une bande de tente et de 5 calebasses de beurre.
Doivent aux Euleb de Boutilimit: les Oulad Bou Sif Blancs, 1 chameau par an; les Oulad Bou Sif Noirs haratines, 1 chameau par an. Les Oulad Bou Sif Blancs, ayant été pillés par leurs protecteurs et ayant eu un homme tué, se déclarent dégagés de toute redevance envers les Euleb.
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A côté de ces droits, dont la plupart remontent à la capitulation maraboutique de 1674, qui suivit la suprême défaite des zouaïa à Tin Iefdadh, il faut citer plusieurs redevances d'ordre religieux, consenties volontairement par plusieurs tribus à des Cheikhs ou à des tribus tolba. En voici les principales:
Les Touabir du Brakna et du Gorgol paient un mouton de choix, et une outre de beurre par campement à Sidi Amar des Kounta.
Les Touabir, soit Oulad M'haïmdat, soit Oulad Yara, soit Anouazir, paient la même redevance au chef des Id Eïlik-Ahel Abari.
Les Touabir-Oulad Yara paient la même redevance au chef des Id Eïlik-Ahel Aleg.
Les Oulad Ahmed, soit libres, soit haratines, paient la même redevance à la famille de Cheikh Sidïa.
La dïa ou prix du sang est universellement connue. Son taux était dans le Brakna de 480 pièces de guinée, sauf pour les Oulad Normach, Oulad Siyed et Dieïdiba, chez qui il était seulement de 400 pièces. Comme partout ailleurs, le chiffre élevé de cette dïa n'est pas payé. Il en va de même d'ailleurs pour la dot. Un tiers est immédiatement exigible; pour les deux autres, il y a un délai, qui pratiquement est sans terme. Avec le temps, la prescription et la réciprocité des meurtres, ces reliquats de dette s'éteignaient par la confusion juridique. Il y a tout un tarif pour la série des diverses blessures; le taux d'une blessure à la tête est de 20 à 24 pièces de guinée, etc.
Les différents rafer, qui frappaient les caravanes commerciales, ont évidemment disparu avec l'occupation française. C'est même de toutes les redevances coutumières celle qui est le plus vite, le plus complètement, et le plus facilement tombée en désuétude.
Aujourd'hui, le mouvement commercial afflue vers les escales du fleuve, situées sur deux rives du Sénégal. Les deux principales de la rive droite, pour le Brakna évidemment, sont Boghé et Mbagne. La traite se fait surtout avec les Maures venus de l'intérieur pour vendre de la gomme, du bétail et les menus produits de leurs industrie (nattes, objets de cuir, etc.) et pour acheter le mil, les étoffes, le thé, le sucre, le tabac, les objets de quincaillerie et verroterie, qui leur sont nécessaires. Les Maures s'adressent, lorsqu'il est possible, directement au producteur pour leurs achats de mil; mais le cultivateur, toujours plus ou moins endetté, est forcé la plupart du temps de vendre sa récolte à bref délai et, de ce fait, l'intermédiaire, gros acheteur, s'interpose entre le consommateur et le producteur au grand détriment des deux. En revanche, la spéculation sur le mil est assez aléatoire pour le traitant dont la campagne se solde parfois par une perte considérable; elle a en outre l'avantage de régulariser les cours.
Avec les traitants installés d'une façon permanente, dont certains, à Boghé, atteignent un chiffre d'affaire de 500 francs par jour, des boutiques secondaires s'ouvrent d'avril à juillet, saison où la traite de mil, de la gomme et du bétail se fait avec plus d'intensité.
Les traitants importants, au nombre d'une dizaine, ne sont que les agents des grosses maisons de commerce de Podor et de Saint-Louis. Par suite de la concurrence, qui a été particulièrement prononcée, depuis quelques années, entre ces différentes maisons de commerce, les prix de vente ont sensiblement baissé.
Le Toucouleur n'est ni un dioula, ni un convoyeur. C'est le Maure de l'intérieur qui vient chercher ce dont il a besoin; il arrive par petits groupes ou isolément sans jamais former une grosse caravane. Les gens de l'Adrar et du Tagant, qui font, pour le compte de nos postes du Nord, des entreprises de transports et qui reçoivent, à ce titre, des avances de fonds, profitent ordinairement de leur retour pour emporter sur une partie de leurs animaux les marchandises qu'ils achètent avec ces avances. Le mil particulièrement sert à remplir les bâts de charge (tarfa) de leurs animaux porteurs.
CHAPITRE IV
LES HARATINES
Les haratines se présentent, ici comme ailleurs, sous la forme d'anciens captifs affranchis (liberti) ou de leurs descendants (libertini). Une redevance annuelle à l'égard de leurs anciens maîtres leur est, la plupart du temps, imposée: c'est une des différentes modalités de la horma.
La condition de hartani ne dérive que d'une source: la volonté du maître. Nos règlements eux-mêmes n'ont pu de leur propre chef transformer les captifs en haratines. Certains d'entre eux, mûrs pour la liberté, se sont affranchis complètement, à l'abri de la législation nouvelle. Mais la plupart n'ont repris qu'une liberté fort mitigée et après seulement en avoir obtenu l'autorisation de leur maître et avoir fixé, d'un commun accord, la qualité de la horma.
Cette transformation de la condition servile, cette demi-libération, est la rémunération de services exceptionnels rendus par le captif à son maître: par exemple, le captif a sauvé la vie de son maître ou de l'un de ses enfants; il a soigné ceux-ci pendant leur enfance avec un grand dévouement; il a fait pour son maître des opérations commerciales fructueuses; il l'a suivi à la guerre et lui a fait honneur, etc. En certains cas, dérivés du droit musulman ou de la coutume locale, le maître est presque tenu d'affranchir son captif: par exemple, quand, dans un ménage de captifs lui appartenant, la femme a deux jumeaux, le bénéfice de la mesure s'applique à l'un des deux jumeaux, plus souvent encore, surtout dans les tribus maraboutiques, elle s'applique à la suite d'un vœu ou par expiation de ses péchés.
Ces affranchissements étant très communs, la société captive en pays maure se muait et se mue encore inévitablement en classes de haratines en trois générations. La classe servile ne se renouvelait que par l'afflux de nouvelles individualités.
L'affranchi, souvent nanti d'une vache ou d'un petit troupeau de chèvres, don de son maître ou de ses économies, s'en va la plupart du temps planter sa tente dans un campement de haratines, affilié à la tribu de son maître. Il était avec les hassanes Oulad Siyed; il émigre chez les Haratines Oulad Siyed, et plus spécialement dans la sous-fraction hartanïa correspondant à la sous-fraction hassanïa. Les deux campements marchent souvent ensemble d'ailleurs ou dans un voisinage immédiat.
Pendant la période des cultures toutefois, ils se séparent et les haratines vont se fixer dans le Chamama, pour cultiver le mil dans les terrains d'inondation du Sénégal. Ce n'est pas d'ailleurs un fait nouveau pour eux. Ils font, comme haratines, ce qu'ils faisaient antérieurement comme captifs. Ce campement est la «dabaï».
La redevance se paie au moment de la récolte, et les suzerains hassanes ne manquent pas de venir la chercher; le paiement en est effectué en nature: grain généralement, souvent aussi pièces de guinée.
Les terrains ne sont plus très abondants, ni le courage de ces affranchis très entreprenant. Aussi, parmi ces nouvelles recrues de la liberté, beaucoup d'entre elles, au lieu de mériter généreusement leur nouveau sort, cèdent-elles aux belles promesses des chefs de canton toucouleurs et se mettent-elles à leur remorque, cultivant leurs lougans et retombant dans une quasi-captivité, qui ne vaut même pas la première.
Cette question de haratines a soulevé, de longue date déjà, des conflits entre maîtres maures et riverains toucouleurs.
Il y a plus de deux siècles, par exemple, que les premiers captifs ou haratines des Zemarig, évadés de chez leurs maîtres, sont venus se mettre sous la protection des Toucouleurs. Ils s'établirent d'abord à Demette et s'allièrent avec les habitants de ce village. Au début du dix-huitième siècle environ, ils allèrent former un village de culture (dabaï) non loin de là. En même temps, les Aleybé mettaient à leur disposition quelques lougans sur la rive droite du Sénégal.
Avec le temps et l'accroissement régulier de ces Soudanes Zemarig, ces terrains furent insuffisants. Les Aleybé amenèrent leurs hôtes auprès du Farda de Oualaldé, mieux pourvu. C'est alors vers la fin du dix-huitième siècle que leur fut cédé le colengal de Galadji, qui était abandonné depuis vingt-cinq ans.
Vers 1870, la sécurité, qui règne alors en Mauritanie, incite Toucouleurs et Soudanes Zemarig à passer sur la rive droite: ils viennent s'établir au village de Thiénel, et acquièrent de ses habitants des lougans dans les coladé de Thidé Oldi, de Gueïmar, de Dialcodjé et de Dalorga.
Les guerres que soutinrent par la suite leurs patrons Dieïdiba, d'abord et conjointement avec les Oulad Siyed, contre les Aleybé (vers 1890), ensuite contre les Oulad Biri (de 1895 à 1898) contraignirent les Soudanes Zemarig à émigrer deux fois. Ils allèrent d'abord dans les provinces du Lao et des Irlabé Elyabé, puis s'en revinrent chez leurs premiers amis de Oualaldé. A chaque fois, leurs terrains leur furent rendus par les Toucouleurs, qui les cultivaient pendant leur absence.
A ce moment, les Soudanes Zemarig payaient aux propriétaires toucouleurs les droits ci-après:
1o Le «dioldi», soit cinq coudées de guinée par cultivateur et par an;
2o L'«assaka», ou dixième partie de la récolte par lougan et par an;
3o L'«aorftal», soit trois journées de travail par an;
4o Le «thiottetigou», droit de succession qui variait entre 2 et 10 pièces de guinée suivant l'importance du ou des lougans.
Ces Soudanes Zemarig, ainsi d'ailleurs que ceux des autres tribus maraboutiques, dépendaient plutôt des Toucouleurs, qui leur avaient donné un asile et des terres, que de leurs maîtres, chez lesquels ils n'avaient pas pu vivre. Ces derniers, la plupart du temps, ne pouvaient même obtenir ce qui leur était dû qu'avec l'appui de chefs toucouleurs. D'ailleurs, les Soudanes Zemarig ne se sont installés définitivement en Mauritanie qu'entre 1870 et 1890, et ce fut simplement, semble-t-il, pour se soustraire à l'impôt de capitation, qui allait être établi en territoire français. Auparavant, ils n'y venaient que pour travailler leurs lougans. La récolte faite, ils regagnaient le Sénégal, où ils vivaient plus paisiblement.
Aussi, au début de l'occupation, ces groupements de Soudanes furent-ils considérés comme indépendants des tribus maraboutiques. Des circonstances historiques contribuèrent encore à cette émancipation. A la suite de l'attaque du poste d'Aleg et de la dissidence des Oulad Normach et des Dieïdiba, Coppolani déclara leurs haratines dégagés de toute redevance. Aussi, pendant plusieurs années, furent-ils astreints à payer leur impôt directement aux résidences de Boghé et de Kaédi, tandis que leurs patrons versaient le leur à Mal et à Aleg. Le départ de la mission vers le Nord, la mort de Coppolani et les graves événements qui suivirent, la rentrée des dissidents enfin, permirent aux hassanes de recommencer leur perception; mais avec le temps, le mouvement séparatiste a fait du progrès, et cette fois intérieur. Notre occupation a transformé la situation et accentué encore ce mouvement d'émancipation. Point n'était besoin d'ailleurs de règlements hâtifs pour arriver à ces résultats. Notre seule présence, nos prédications humanitaires, l'accroissement de richesse, le contact avec les Toucouleurs les produisaient nécessairement.
Cependant, en 1910, sur la réclamation de différents chefs de tribus tolba et hassanes, à qui de lourdes charges de convois et de partisans étaient imposées et qui, par conséquent, avaient besoin de leurs captifs et serviteurs divers pour assurer ce service, les Soudanes furent rattachés aux tribus de leurs anciens patrons.
Telle est leur situation aujourd'hui (1918), mais elle ne va pas sans difficultés. Les Toucouleurs ne se font pas faute d'attirer plus que jamais leurs frères noirs, serviteurs ou vassaux des Maures.
On proposa, dès le début, de remédier à cette situation en interdisant aux Toucouleurs de recevoir des haratines maures dans leurs villages. Cette mesure était inopportune.
Il convenait, en effet, de s'en tenir aux mesures suivantes, qui ne sont autres que les règles de la tradition, légèrement adaptées et adoucies.
a) Obliger tous les haratines d'une même tribu, ou tout au moins les pousser à se regrouper en un point choisi, à portée des terrains de culture qu'on leur allouera et qui faciliteront leur sédentarisation.
b) Leur prescrire de se choisir parmi eux un chef de campement et asseoir fortement son autorité.
c) Grouper les différents campements haratines, provenant de la même confédération maure et portant les noms des différentes sous-fractions dont ils sont issus, sous le commandement d'un même chef responsable, à la façon des chefs de canton.
Cette pratique a tendu à fixer les haratines au sol, en leur donnant le sentiment de la propriété, en leur faisant aimer le pays qu'ils cultivent et qui devient le berceau de leur famille, en développant enfin chez eux le sentiment de leur indépendance.
Depuis le début de notre occupation, beaucoup de haratines se sont dispersés: leurs «dabaï» sont restées tantôt attachées au campement libre et tantôt se sont transplantées dans le Chamama et ont été rattachées aux provinces toucouleures. Pour plusieurs de ceux-ci, le changement a été minime; ils se sont replacés en quelque sorte dans un nouveau servage. Les chefs toucouleurs de la rive droite, qui attirent à eux ces recrues nouvelles, se défendent en disant que ces Soudanes, leurs cousins maurisés, ne feront jamais de progrès s'ils restent sous la dépendance, même relâchée, de leurs maîtres, tandis qu'auprès d'eux, bénéficiant du statut toucouleur auquel ils participent par leurs origines, leurs mœurs de quasi-sédentaires et leurs nombreuses alliances, ils feront l'apprentissage de la vie libre et de la civilisation française.
Tiraillés entre leurs anciens maîtres et leurs nouveaux chefs de canton, leur sort comporte quelques difficultés. On ne déplorera qu'à demi cette situation, si cette double redevance qu'ils ont à payer fait produire à ces paresseux et à ces imprévoyants un double travail.
CHAPITRE V
LA GOMME
La gomme est le principal, sinon l'unique produit que, depuis trois siècles, les Européens du Sénégal sont allés chercher aux escales maures. Les opérations de cette traite sont bien connues, ayant été décrites maintes fois depuis le P. Labat jusqu'aux auteurs contemporains. Il est inutile d'y revenir ici.
En ce qui concerne le Brakna, on a vu au livre premier la naissance historique de la traite, et les escales où elle se pratiquait et on trouvera en annexe les principales tractations officielles auxquelles elle a donné lieu.
On connaît l'explication ingénieuse que Bérenger-Feraud a donné à cette idée dont furent, plusieurs siècles durant, pénétrés les Maures, à savoir que la gomme était absolument indispensable à la vie des Français.
«On s'est souvent demandé, avec étonnement, pourquoi les Maures se figurent obstinément que la gomme nous est indispensable en France pour l'existence même des populations et que, si nous en manquions, des villes entières mourraient de faim; il n'est pas impossible qu'une erreur d'interprétation, d'expression, qu'un malentendu, en un mot, ait été l'origine de cette croyance. En effet, nous trouvons dans les traités de mai 1785, entre Durand, directeur général de la Compagnie du Sénégal et les marabouts Darmankour que le titre de pensionnaire du roi était traduit par un mot qui signifie plus exactement «fournisseur des vivres de la maison du roi» (Silvestre de Sacy).
«Or pourquoi ce fournisseur vient-il au Sénégal en personne, se dirent les Maures, si ce n'est pour un objet tenant directement à l'alimentation? Ils durent croire que Durand était le restaurateur du roi comme quelque individu, qu'ils connaissaient bien à Saint-Louis, était le restaurateur des employés de la Compagnie, et, par une série de raisonnements, dont on comprend aisément la filière, ils arrivèrent à penser que c'était réellement pour nourrir des hommes, et non pour des besoins industriels, que nous mettions cette extrême insistance à acheter de la gomme, que nous leur recommandions bien de ne pas vendre aux Anglais nos ennemis.»
Le fait est exact, et n'est pas spécial aux seuls Id Ou al-Hadj (Darmankour). Le premier traité avec les Brakna que nous ayons conservé, le traité avec Mohammed ould Mokhtar, répétant sans doute des traités antérieurs, traduit «pensionnaire du roi», par «iaati aïch ahel sultan takoul», ce qui signifie «qui donne la nourriture à manger aux gens du Roi» et ce qui est évidemment tout le contraire du sens réel. Ce n'est pas la première fois que je signale des erreurs de traduction dans les textes arabes de l'histoire de l'Afrique occidentale française. Si celle-ci paraît insignifiante, encore qu'elle ait pu ancrer chez les Maures des idées fausses à notre égard et les exciter souvent à nous résister dans les tractations diplomatiques ou commerciales de la gomme, d'autres eurent des conséquences plus importantes.
Dans le but d'obtenir un plus fort rendement de la gomme, les indigènes détruisent les gommiers en les saignant. Leur méthode est une incision parallèle à l'axe. C'est cela qui détermine l'exsudation la plus abondante. Toute autre méthode ne donne qu'une exsudation insignifiante, mais ils pratiquent leur incision brutalement, atteignant et dépassant l'aubier, pratiquant de larges, inutiles et dangereuses entailles dans le cœur de l'arbre. En même temps, ils écorcent partiellement l'arbre. Après trois ou quatre ans de ce régime, l'arbre s'étiole et meurt.
Les instructions qu'on leur donne annuellement, comme les amendes qu'on ne leur ménage pas, ne les ont jamais corrigés. Voici, à titre de curiosité et sous sa forme originale, la circulaire envoyée d'Aleg par le commandant de cercle aux dirigeants de tribu, le 28 mars 1911:
«O chefs, parlant des affaires des tribus Brakna, le Colonel, commandant les pays maures, vous informe de ce qui suit:
«Les gommiers sont nombreux dans vos pays et y constituent une richesse, mais si ces gommiers sont saignés sans intelligence, cette richesse vous sera enlevée. Il a dit que l'arbre, par exemple, était comme l'homme: si en le saignant, on lui enlevait de grands morceaux de chair, il ne tarderait pas à mourir.
«Maintenant nous préparons le moyen de saigner les arbres sans les tuer. Tout d'abord, le Colonel vous autorise cette année à saigner les gommiers à votre façon et pour éviter de gâter vos arbres, il vous ordonne:
1o De ne pas saigner les gommiers qui seraient plus minces que le poignet d'une main;
2o De ne pas couper trop de branches pour s'approcher du tronc de l'arbre;
3o D'enlever peu de fibres sur le tronc de l'arbre et peu sur chacune des grandes branches: une largeur d'index au plus;
4o De ne pas couper l'arbre avec les fibres. Ceux parmi vous, ô Maures, qui agiront contrairement à cet ordre, seront sévèrement punis et seront, eux et leurs tribus, empêchés de ramasser la gomme. Vous devez, ô chefs de tribus, interdire et ordonner, et par conséquent empêcher ceux qui ramassent la gomme de dépasser ces limites.»
Les Maures ne songent jamais à remplacer les plants détruits. Les graines de gommier tombent à terre et fort peu parviennent à germer. Si l'on veut que cette branche de l'industrie maure ne prenne pas fin par la disparition des arbres, il conviendra d'avoir, aux environs d'Aleg dans un terrain fertile, une pépinière soigneusement entretenue par les moyens locaux. Cette pépinière distribuera, chaque année, un certain nombre de jeunes plants aux tribus, et chaque tribu sera contrainte de les faire fructifier au centre de leurs territoires de nomadisation. Les Maures sont trop avisés pour ne pas continuer d'eux-mêmes, quand le premier effort aura été imposé.
On pourra d'ailleurs appliquer les mêmes procédés à la culture des gonakiers et surtout à la création et à l'extension de palmeraies.
Le territoire du Brakna était, en effet, doté de palmeraies dans un passé peu éloigné. Il en existe encore des vestiges: