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Études sur l'Islam et les tribus Maures: Les Brakna

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C.—Meterambrin.

Les Meterambrin comprennent 64 tentes et 318 âmes.

Leur chef est Limam ould Mokhtar ould Reggad ould Abd Er-Rahman ould Ahmed ould Mokhtar ould Meterember. On a vu plus haut le rôle joué par chacun de ses ascendants dans l'histoire de la fraction; Limam en est donc héréditairement le chef. Il est né vers 1880. Il a succédé, en 1909, à son oncle Mohammed Lamin ould Sidi Mohammed. Il n'a pas grande autorité sur ses gens, qui, comme beaucoup de groupements Kounta, ont des tendances vers la dissociation. Malgré le caractère guerrier des Meterambrin, Limam se pare d'une grande piété extérieure; il a plusieurs fois manifesté des velléités de départ pour la Mecque. Il a épousé récemment Kounta Houïa ment Ahmedi, sœur du chef des Oulad Bou Sif Blancs.

Il est secondé par son Khalifa Mohammed ould Mbarek. Les notables de la fraction sont: Seïba ould Mohammed Mbarek et Boubout ould Sidi Mohammed.

Le cheptel des Meterambrin comprend 2 juments, 119 bovins, 1.240 ovins, 6 chameaux et 42 ânes. Au lam-alif classique des Kounta, ils ajoutent la contre-marque billahi, soit .

Leurs terrains de parcours sont: en hivernage, entre Chogar et Lemaoudou; en saison sèche, à l'est de Mal. En mars 1911, ils tentèrent de déboucher dans le Chamama, mais après un court séjour, ils retournèrent dans la région de Lemaoudou.

Les Meterambrin passent pour être les plus guerriers des Kounta. Ils n'attaquaient pas leurs voisins, mais en cas de légitime défense, ils savaient user de leur supériorité armée. A l'égard toutefois de leurs ennemis héréditaires: Ahel Sidi Mahmoud, ainsi que Tadjakant et Chratit, leurs alliés, ils ne craignaient pas de se montrer agressifs. Il ne faut donc s'étonner de ne trouver chez eux aucune personnalité religieuse et de voir cette fraction d'une tribu, qui porte pourtant un nom maraboutique fameux, faire appel pour les services judiciaires et cultuels aux bons offices de Tig ould Al-Atig, des Id Eïlik, qu'on verra plus loin.

La plus grande partie des Meterambrin habite encore l'Adrar, leur pays d'origine. Ils n'ont que peu de relations avec leurs cousins du Brakna.

Les Meterambrin ont laissé la plus grande partie de leurs haratines s'installer sur la rive gauche du Sénégal, où ils ont fondé des villages qui dépendent des chefs de cantons du Lao et des Irlabé-Ebyabé. Par suite de leurs bonnes relations avec les Almamys du Fouta, ces haratines cultivèrent longtemps pour rien les terrains que leur donnaient les Toucouleurs. En échange, les Maures prévenaient les indigènes du fleuve de l'approche des pillards ou leur donnaient des indications pour leur permettre de retrouver leurs animaux ou d'en poursuivre le remboursement. De plus, il y a auprès de Limam des haratines qui continuent à payer le horma à leurs ex-maîtres du Tagant. (Oulad Sidi Haïb Allah.)

Une personnalité féminine curieuse mérite une mention chez les Meterambrin. C'est Belana, fille unique de Mohammed Lamin, l'ex-chef, et cousine par conséquent de Limam. Elle est née vers 1878 et avait déjà secondé son père dans son commandement. Elle continua sa collaboration à son cousin, successeur de son père. C'est du reste grâce à elle que Limam put à 19 ans prendre le commandement de la fraction, car un membre d'une famille rivale des Ahel Sidi Mohammed Reggad voulait l'en écarter. Elle déjoua les intrigues, en prenant en main la régence et en l'exerçant à la satisfaction de tous. Elle avait été mariée à Sidi Amar, des Ahel Cheikh, et en avait eu une fille. Ayant repris sa liberté, elle fut sur le point d'être épousée par Limam, moins âgé qu'elle de douze ans, mais leur parenté de lait fut un obstacle dirimant. Aujourd'hui sa tente est plantée à côté de celle de Limam et elle continue à faire sentir son autorité dans la fraction.

D.—Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar.

Les Ahel Cheikh, comme on les appelle communément, sont divisés en deux sous-fractions, qui ont été nommées fort arbitrairement par notre autorité: Ahel Sidi Amar et Ahel Bekkaï. Ces dénominations sont en usage aujourd'hui chez les intéressés.

Les Ahel Sidi Amar ont pour chef Chebani ould Baba ould Sidi-l-Mokhtar. Ils comprennent 61 tentes et 335 personnes. Leur cheptel se compose de 2 chevaux, 7 chameaux, 114 bovins, 500 moutons, 72 ânes.

Les notables sont: Cheikh ould Taïeb, Baba ould Moghar et Jeïli ould Kobbadi.

La fraction passe l'hivernage entre Chogar et Lemaoudou; la saison sèche à l'est de Mal. Au lam-alif des Kounta elle joint comme contre-marque sur la cuisse droite le feu billahi: .

Chibani, le chef de fraction, est fils de Baba que nous avons vu mourir à Kaédi en 1891. Sidi Amor, son frère, lui avait succédé à cette date. Il fit sa soumission à Coppolani, dès le premier jour, et, depuis, s'est généralement bien comporté à notre égard. Il était d'une grande susceptibilité religieuse et était loin d'avoir la bonhomie de son oncle Sidi M'hammed. Très orgueilleux, il émit à plusieurs reprise la prétention de céder le commandement de la fraction à son neveu et à faire donner à son campement une autonomie personnelle. Ses difficultés avec Bakar ould Ahmeïada l'amenèrent à régler le différend les armes à la main. Son prestige religieux en souffrit beaucoup. Il manifesta à plusieurs reprises l'intention d'aller à la Mecque pour se purifier, mais il n'en fit rien. Au début de l'occupation, il essaya de s'approprier 119 chameaux et 35 bœufs, qui lui avaient étés confiés, et se vit condamner à 1.200 fr. de restitutions. Il mourut en fin août 1912. Il laissait un fils, Sidi-l-Mokhtar, né vers 1908.

Sa succession administrative et spirituelle passa à son neveu, Bambaye ould Baba (octobre 1912). Bambaye est un surnom maternel. Son vrai nom est Bekkaï. Bambaye, né vers 1882, est l'élève des Ahel Cheikh Mohammed, des Hijaj. Il jouit d'une bonne réputation et sera évidemment dans quelques années un marabout de renom. Il a toutefois été relevé de ses fonctions pour fautes administratives, en juillet 1915, et notamment pour avoir disparu avec l'impôt de la fraction. Il a été remplacé par son frère Chibani, précité.

Les Ahel Bekkaï ont pour chef le vieux Sidi M'hammed ould Bekkaï, l'immigrant précité de 1860. Né vers 1840, il n'a jamais quitté le Brakna, depuis son arrivée dans le pays, et s'y est acquis une influence considérable. Il est certainement le marabout le plus vénéré de la région. C'est un homme paisible, modeste, fort instruit, dont les hautes qualités intellectuelles paraissent malheureusement s'estomper avec l'âge. Il fut Cheikh des Ahel Bekkaï depuis l'origine jusqu'à juillet 1912. A cette date, déjà vieux et fatigué, il demanda à être relevé de son commandement, et fut remplacé par son neveu, Khalifa ould Al-Abidin.

Khalifa, né vers 1880, avait été proposé par son oncle au choix de la djemaa et continua à vivre avec lui. Avec assez de bonne volonté, il commit des maladresses, quelques exactions, et s'aliéna la plus grande partie des tentes. D'ailleurs, arrivé du Hodh en 1909, il n'avait pas eu le temps de s'imposer et était encore peu connu. Il fallut lui donner un remplaçant et on n'en put trouver d'autre pour ramener le calme, que le vieux Sidi M'hammed. Il a donc repris le titre de Cheikh et en exerce les fonctions par Khalifa.

Sidi M'hammed est un professeur réputé; il a autour de lui une trentaine de jeunes gens, surtout Kounta, à qui il donne des cours d'enseignement supérieur. Il a reçu l'ouird et le titre de moqaddem de son parent Khettari ould Sidi-l-Bekkaï ould Hammadi ould Sidi-l-Bekkaï ould Cheikh Sidi-l-Mokhtar. Ce Khettari, venu rejoindre dans le Brakna Sidi-l-Mokhtar ould Bekkaï, se rattachait à Cheikh Sidi Mohammed, le protecteur de Laing. Sa descendance est toujours, sous le nom d'Ahel Khettari, dans le campement de Sidi M'hammed.

Les notables de la fraction sont:

  • Mohammed Al-Kouri ould Salek,
  • Sidi ould Ali,
  • Mokhtar ould Hobeïb Allah,
  • Sidina ould Kettari.

Les Ahel Bekkaï comprennent 83 tentes et 598 personnes. Leur cheptel est de 4 chevaux, 269 bovins, 6 chameaux, 3.348 têtes de petit bétail et 150 ânes. Leur feu est le lam-alif contre-marqué du billahi . Ils l'apposent sur la cuisse droite des bovins et sur la face gauche du cou pour les chameaux.

Leurs terrains de parcours s'étendent: en hivernage, entre Guimi et Chogar Gadel; en saison sèche, à l'Est de Guimi.

Aux Kounta, il faut rattacher un petit groupement qui a longtemps vécu dans son sillage et sous les ordres de Sidi M'hammed, et qui est encore en constantes relations avec eux: les Ahel Al-Azrag. Ils vivaient jadis au Tagant et avaient une palmeraie à Talorza. Quelques années déjà avant notre occupation, ils descendaient dans l'Agan, près des Oulad Bou Sif, pendant la saison sèche et ne remontaient dans le Tagant qu'aux premières pluies. Ils ne se fixèrent dans le Brakna que vers 1905 et se dispersèrent de tous côtés; toutes les tentatives faites pour les regrouper ont échoué. Sidi Mohammed se voua lui-même à ce projet et fit nommer par la djemaa Sidi-l-Ami ould Cheikh ould Hanna, dit Sidïa ould Henna, petit-fils d'un marabout de grand renom et qui bénéficiait de la réputation ancestrale. Né vers 1882, c'était d'ailleurs lui-même un homme intelligent et instruit avec lequel les relations furent toujours cordiales. Après des débuts heureux, l'entreprise échoua encore. Les Ahel Al-Azrag, au nombre total de 61 tentes, sont aujourd'hui répartis dans le Brakna, le Gorgol et le Tagant, suivant le tableau ci-joint:

Brakna, groupement Al-Azrag 25 tentes.
—— chez les Tagant 3 ——
—— chez les Torkoz 1 ——
—— chez les Oulad Bou Sif 1 ——
Gorgol,   ——  ——  —— 7 ——
Tagant (très dispersés) 24 ——

Ce sont des commerçants avisés et actifs. Ils prétendent se rattacher généalogiquement à Cheikh Sidi Omar Cheikh, le grand marabout Kounti du seizième siècle.

Les Ahel Cheikh, tant Ahel Sidi Amar qu'Ahel Bekkaï, vont visiter en pèlerinage les tombeaux de leurs ancêtres, et notamment ceux de: a) Baba ould Sidi-l-Mokhtar à Maouella, près de Kaédi, sur la rive gauche du Sénégal; b) Sidi Amar, à Sif al-Fil au sud de Mouit; c) Bambaye ould Sidi Amar, dans le Raag de Kaédi.

Comme tous les Kounta, ce sont de grands voyageurs et d'actifs commerçants. Leur centre de négoce est surtout Kaédi.

ANNEXE
Tableau généalogique des Ahel Cheikh (Kounta) du Brakna.

Cheikh Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir
† 1811.
 
Baba Ahmed
† vers 1840.
 
Bekkaï
† 1853.
 
 
Baba 1879. Sidi-l-Mokhtar dit Sidina,
† vers 1887.
Sidi M'hammed, chef des Ahel Bekkaï. Al-Abidin.
 
 
Baba 1891. Sidi Amar. Khalifa.
 
 
Bambaye. Chibani,
chef actuel des Ahel Sidi Amar.
Sidi-l-Mokhtar,
né vers 1908.

CHAPITRE VII
TORKOZ

1.—Historique.

Les Torkoz se flattent généralement d'être d'origine arabe (Beni Oummiya). Ils rattachent leur ancêtre éponyme Abd Er-Rahman Rekkaz à Oqba ben Nâfi, le conquérant de l'Afrique du Nord et l'aïeul revendiqué par les Kounta. Voici sa chaîne généalogique: Rekkaz ould Bou Bakrin ould Abd Allah ould Sidi Mohammed ould Sidi Salem ould Sidi Brahim ould Sidi Othman ould Alioun ould Sidi Abd Allah ould Sidi Jaafer ould Salem ould Oqba.

Une autre tradition, recueillie chez les tribus voisines et non déniée par quelques Torkoz, leur donne une origine berbère. Les ancêtres des Rakkaz, dit-elle, vinrent, par delà l'Adrar, du Sud marocain avec Bou Bakar ben Omar (onzième siècle). Leurs descendants arrivèrent dans le Sahara occidental, en même temps que les pères des Medlich et des Id Ar-Zimbo. Par la suite, les Torkoz qui s'étaient créé de belles palmeraies dans l'Adrar, en furent dépouillés puis furent chassés du pays par les Smassid. Il en reste à peine quelques tentes dans l'Adrar. Les Torkoz sont les cousins des Chleuh Rekakza et autres qui habitent l'Oued Noun, où ils sont restés guerriers et à moitié sédentaires, et également les cousins des Terkeïza, qui habitent l'oasis de Mreïbot, près de Tindouf. Cette tradition se rapproche certainement de la vérité.

Rekkaz, id est «le tapoteur» ainsi nommé parce qu'il portait toujours un bâton avec lequel il frappait le sol, vivait au temps de l'imam Hadrami, c'est-à-dire vers la fin du seizième siècle et le début du dix-septième siècle. Cette date est bien déterminée par la tradition, parce qu'elle fait de son fils Ahmed et de son petit-fils Berrek, les chefs Torkoz pendant «la guerre de Boubbah» (dix-septième siècle).

Voici le tableau généalogique établissant la filiation ethnique de toutes les fractions torkoz (Brakna, Tagant et même Hodh et Azaouad) à l'égard de Rekkaz.

Abd Er-Rahman, le Rekkaz   Ahmed   Berrek, père des Brarka (Aleg).   Ahel Bahmouda.
Ida Ou Amar.
Helalma.
Ahel Hemid ould Boubah.
O. Eli Mbarek.
 
Sidi Ahmed, père des Oulad Sidi Ahmed (Moudjéria).   O. Sidi Bou Bakar.
O. Sidi Reguieg.
O. Sidi Ahmed Aleïa.
Ahel Bar (rares).
O. Sidi Boussar.
O. Sidi Salé.
 
Abd Er-Rezzaq, père des Ahel Abd Er-Rezzaq (Hodh.) (Regueïba).   Belahmar, ancêtre des Oulad Belahmar (Tagant).
Renia, ancêtre des Id ag Renia (Trarza).
Talaba, père des Ahel Sidi-l-Mokhtar et des Ahel Tahel Ahmed.
 
Mohammed, père d'Ali Bou Ghareb, qui est l'ancêtre des Ghouareb ou Lghouareb (Tagant).
 
Amar, père de Tiki, qui est l'ancêtre des Oulad Tiki (Tagant).

Les premiers Torkoz arrivèrent dans le Brakna «vers le temps du Cherr Boubbah, ou peu après», c'est-à-dire à la fin du dix-septième siècle. C'est de là que date la scission de la tribu. Tribu à chameaux jusque-là, les nouvelles conditions géographiques la transformèrent. Les fractions du Tagant: Oulad Sidi Ahmed et Ghouareb, gardèrent leur cheptel camelin. Les Brarka et quelques sous-fractions cousines qui descendaient avec eux vers le sud et s'établissaient dans l'Aftout devinrent propriétaires de bœufs. Les premiers furent longtemps les plus riches. Mais, par la suite, les Brarka doublèrent leurs richesses pastorales par le commerce et furent classés les plus fortunés des cinq fractions.

Les Torkoz assurent qu'ils ne prirent pas part à la guerre de Boubbah, n'étant arrivés dans le Sud que quelques années après la conclusion de la paix. Mais les Tolba voisins placent leur arrivée avec la fin du Cherr Boubbah, et disent formellement qu'ils prirent part au combat final de Tin Yefdan. C'est de ce jour que daterait leur dispersion. Ils durent, comme les autres tolba, se soumettre au payement d'une horma, qui fut fort longtemps perçue par les Oulad Ahmed et les Oulad Yahia ben Othman et les Ahel Soueïd Ahmed sur les fractions torkoz ressortissant à leur autorité. Par la suite, leur état s'aggrava de redevance envers les Ahel Soueïd Ahmed. Il est vrai qu'avec le temps les Torkoz du Brakna ont pu se dégager de ces tributs, depuis longtemps déjà en ce qui concerne les Oulad Ahmed, plus récemment pour les Abakak, à qui, par transformation de la tradition, ils ne peuvent encore aujourd'hui refuser, de temps en temps, de légers cadeaux. On trouve, d'ailleurs encore, un certain nombre de tentes torkoz dans les campements Abakak, à qui ils servent de tolba.

En résumé, il n'y a plus aujourd'hui dans le Brakna, en fait de Torkoz, que la fraction Brarka. Les Oulad Sidi Ahmed, les Ghouareb et les Oulad Tiki sont dans le Tagant; les Ahel Abd Er-Rezzaq se partagent entre le Hodh et le Regueïba, le Tagant et le Trarza. Il y a même une fraction torkoz de 10 tentes chez les Kounta de l'Azouad, dans la fraction Regagda, sous-fraction des Ahel Sidi Ceddiq.

Les Oulad Sidi Ahmed ont vécu plusieurs années au Brakna, où ils s'étaient réfugiés après la perte de leurs chameaux. Ils retournèrent au Tagant, en 1911-1912, mais entendirent conserver l'usage des pâturages du Sud, ce qui amena des conflits avec leurs cousins. Il y eut des batailles sanglantes entre Oulad Sidi Ahmed, Ghouareb, que les premiers voulaient empêcher de boire à Tindel, dans l'influent du Gorgol et Brarka. Elle donna lieu aux sanctions suivantes des autorités du Brakna et du Tagant.

1o Une amende de 500 francs, répartie entre les principaux membres de la djemaa, a été infligée aux Oulad Ahmed;

2o D'après les mêmes dispositions, une amende de 300 francs a été infligée aux Brarka;

3o Trois Oulad Ahmed, coupables d'avoir tiré sur les Brarka, ont été punis de quinze jours de prison;

4o Les Torkoz ont été désarmés;

5o Leur tribu, sous le commandement de Sidina a été groupée dans un rayon en rendant la surveillance facile pour le Commandant de Cercle;

6o Une dïa est payée par les coupables aux Brarka blessés. Elle a été fixée, suivant les coutumes, à 340 pièces de guinée filature payables, la moitié en mai et l'autre moitié en août.

Après entente avec le Tagant, la question de principe fut réglée ainsi en 1914. Le Brakna, sauf la partie Est-Agan, et le Trarza: Aguiert, Tin Yarech, Letfotar, sont interdits aux Oulad Sidi Ahmed. D'autre part, défense est faite aux Brarka de dépasser la ligne Ouezzan—Lmeïdja—Tindel.

Avec les Id ag Jemouella, les relations ont toujours été forts tendues. Avant et depuis notre arrivés, de sanglants combats ont été livrés entre ces deux tribus, et, jusqu'en 1915, où une répression sévère intervint, et jusqu'en mai 1917 où cinq Abakak venus récolter de la gomme et pillarder aussi sur le territoire torkoz et qui furent pris pour des Id ag Jemouella, furent criblés de coups de feu et blessés à coups de massue. Cette méprise n'eut pas d'autres suites que les réparations accoutumées.

2.—Fractionnement.

Les Torkoz du Brakna, c'est-à-dire la fraction torkoz des Brakna, se divise en huit sous-fractions.

  • Ahel Bou Hammadi,
  • Ahel Habrezza,
  • Ahel Ammi,
  • Ahel Hemid ould Aoubak,
  • Ahel Taleb Maham,
  • Ida Ou Omar,
  • Helalma,
  • Tolba.

Les Ahel Bou Hammadi et la sous-fraction suivante: Ahel Habrezza sont des Ahel Bahmouda. Ils ont pour chef Sidi ould Hammadi, et pour djemaa: Jiyed ould Oualati; Abd El-Fettah ould Hamida; Hachim ould Oualati.

Les Ahel Habrezza tirent le nom de Habrezza, qui eut une célébrité marquée en son temps, et dont le tombeau se trouve dans le Brakna, en un point ignoré. Ils ont pour chef Mohammed Limam ould Al-Boustami ould Ahmed Jeddou (ould Ali Menna ould Habrezza ould Ba Ahmouda ould Berrek), qui est aussi le chef général de la tribu. Voici la succession depuis Habrezza:

(1) Habrezza.
 
(2) Eli Menna.
 
 
(3) Mohammed. Ahmed Jeddou. Amar.
 
 
(5) Ahmed Jeddou. Sidi. (4) Boustami. Cheikh. Ahmoud.
 
fille mariée à Sidi Ahmed.   (6) Ahmed Jeddou. Moh. Mokhtar. Moh. Lamin.
 
 
  Moh. Limam, chef actuel
 
 
  Mostafa.
 
 
  Sidi Ahmed.
 

Au moment de notre occupation, la tribu vivait sous l'autorité de la djemaa, les derniers chefs (4) Boustami et (5) Ahmed Jeddou ould Mohammed, ayant discrédité le commandement par leurs rivalités. Boustami ayant disparu, ce fut Ahmed Jeddou qui fut porté par l'élection à la tête de la fraction. Il mourut vers 1909 et fut remplacé par (6) Ahmed Jeddou ould Boustami. Les nombreuses plaintes dont il fut l'objet provoquèrent sa démission en janvier 1911. Il mourut peu de temps après (30 mars 1911).

On put trouver la solution de ce commandement difficile, en sortant des Ahel Eli-Menna, et (7) Sidina ould Zeïn ould Bouddia fut nommé chef, grâce à l'appoint des Oulad Sidi Ahmed. Ceux-ci partis au Tagant, Sidina n'eut plus qu'une minorité dans la tribu. Il fut rapidement convaincu d'exactions par l'ensemble des Brarka, qui, fidèles à leur campement héréditaire, ne voulaient pas de lui, et révoqué (fin 1912).

On revint donc aux Ahel Eli Menna, et (8) Mohammed Limam ould Boustami, frère d'Ahmed Jeddou fut élu. Son élection fut assurée par le bloc des Ahel Bahmouda, Helalma et Ida Ou Amar, mais il eut l'adresse, le jour même, de caresser les opposants et de s'attirer leur sympathie. Depuis ce jour, le calme semble revenu. Mohammed Limam, né vers 1870, assure très correctement son service. C'est un marabout vénéré et paisible. Il vit, autour de Mal, en bonnes relations avec ses voisins et particulièrement avec Cheikh Sidïa. Il a un fils, Boustami, né vers 1905, qui commence à le seconder. Il a un beau troupeau, et passe pour riche[9].

[9] Mohammed Limam est mort de la grippe en décembre 1918.

Les notables de la sous-fraction Habrezza sont: Sidi Ahmed et Mostafa ould Eli Menna, frère du Cheikh, ses cousins, nommés au tableau généalogique, et Alfa ould Khouna.

Les Ahel Ammi ont pour chef Sidi Ould Ammi et pour notables: Cheikh ould Ammi et Sidna ould Omar. Ils sont Ahel Hemid ould Aoubak, ainsi que les deux sous-fractions suivantes:

Les Ahel Hemid ould Aoubak sont le noyau d'une fraction, jadis florissante, et qui a essaimé. Leur chef est Abd El-Ouadoud ould Sidi Brahim et leurs notables sont: Al-Hadj ould Ahmed Maaloum et Ahmed Maaloum ould Sidi Brahim;

Les Ahel Taleb Maham ont pour chef Sidi Mohammed ould Omar ould Bouddïa et pour notable: Ahmoud ould Bachir.

Les Ida Ou Omar ont pour chef: Ali ould Mokhtar, leur djemaa comprend Mahfoudh ould Boubba; Brahim ould Al-Ouâar et Sidi ould Ahmed Bouh.

Les Helalma (au sing. Helalmi) ont pour chef Bouna ould Alioua et pour notables: Mohammed Sidi ould Al-Hadi et Cheikh ould Taleb Ali.

Les Tolba sont une sous-fraction issue des Oulad Eli Mberrek. Ils ont pour chef: Abd El-Moumen ould Cheikh Mohammed Mahmoud ould Abd El-Fettah, et pour notables Abd El-Rafour ould Tolba et Brahim ould Mohammed ould Taleb Ali.

Les Torkoz nomadisent en saison sèche autour du Mal; en hivernage entre Mal, Guimi et Aguiert.

Leur feu est «berek» qu'ils apposent sur la cuisse droite des animaux. Ils ont plusieurs contre-marques: un trait oblique sur la joue droite, chez les Ahel Ammi; un trait sur la nuque chez les Eli Menna, ainsi que l'amama (turban) soit , sur le barek; un T sur le côté droit chez les Ahel Amar Bouddïa; et chez la plupart des gens deux traits parallèles sur le côté droit du cou.

Les statistiques de 1917 donnant, pour l'ensemble de la fraction, 208 tentes et 855 âmes, 15 équidés, 73 camelins, 741 bovins, 8.730 ovins et 262 ânes.

Les Torkoz sont, avec les Tagant, les gens les plus commerçants du Brakna. Ils vont à Saint-Louis, Louga, Kaolak, Dakar et jusqu'en Gambie et en Casamance, pour vendre des milliers de moutons. Ils servent même d'intermédiaires à certaines tribus voisines pour la vente de leur bestiaux.

3.—Vie religieuse.

Un nom domine la vie religieuse du Torkoz: Mrabet ould Sidi Mohammed ould Mrabet Abd El-Fettah, tant par son prestige personnel que par l'héritage acquis de son grand-père, un des grands pontifes de son temps.

Mrabet Abd El-Fettah ould Taleb Ali (ould Mohammed ould Ahmed ould Amar ould Eli Mbarek) remplit l'histoire religieuse des Torkoz et d'une partie du Brakna pendant toute la première moitié du dix-neuvième siècle. Il fut l'élève de deux grands maîtres: Sidi-l-Mokhtar, des Id Abhoum (Oulad Biri); Cheikh Menni, des Tagat, l'ancêtre de la fraction Ahel Menni. On lui doit la revivification de Diok et un exemple précieux. Passant un jour à Diok. à 30 kilomètres environ au sud-est de Moudjéria, au cours d'un de ses nombreux voyages dans le Brakna, il affirma à ses compagnons de route qu'une inspiration divine lui faisait connaître que ce lieu était béni du ciel et qu'il le choisissait pour y vivre jusqu'à sa mort et que c'est là qu'il désirait voir s'élever son tombeau.

Dieu ayant exaucé ses prières, il trouva de l'eau à 0 m. 50 en creusant le sable brûlant. Puis il envoya quelques jeunes captifs, ses élèves, chercher des plants de palmiers, qu'ils payèrent deux vaches aux Oulad Sidi Haïb Allah, de Kçar el-Barka? (Tagant).

Sa plantation terminée, Mrabet ould Abd El-Fettah creusa quelques puits de 8 mètres de profondeur; deux d'eau douce qui lui servirent pour arroser ses palmiers et pour les besoins de sa famille, et deux d'eau très légèrement salée pour ses chameaux. Mrabet, qui avait déjà cinquante ans lorsqu'il s'installa à Diok, y mourait vingt-cinq ans plus tard (vers 1840). Son tombeau, construit par son fils Sidi Mohammed, se voit encore près de la palmeraie plantée par Mrabet. C'est une simple construction en pierre et en banco. Il se trouve exactement à Mouilah, près de Diok; il est l'œuvre de son fils Sidi Ahmed.

Pendant toute sa vie et les dix années qui suivirent, les palmiers donnèrent une belle et abondante récolte de dattes. La production ayant considérablement diminué, les habitants de Diok, courant de nombreux risques de pillage de la part des Oulad Nacer, qui ravageaient le pays et étant obligés de donner une large hospitalité aux guerriers de passage, Cheikh Sidi Mohammed vers 1875, abandonna la propriété paternelle. Toutefois, il continua de venir tous les ans faire la récolte des dattes; mais les arbres laissés sans soin et d'autre part abîmés par des troupeaux de singes, ne produisirent plus qu'une récolte tous les deux ans.

Vers 1897, Mrabet ould Sidi Mohammed ould Fettah, partagea, pendant six ans encore, la récolte avec son oncle Cheikh Mohammed. Puis la palmeraie fut abandonnée complètement en 1903. Ayant appris qu'en 1908 un homme des Ghouareb avait récolté à Diok, dans la palmeraie abandonnée, deux charges de chameau de dattes, Mrabet revendiqua ses droits de propriétaire et paya à un Alaoui de Tijikja une pièce et demie de guinée pour tailler et féconder les dattiers.

La palmeraie de Mrabet Abd El-Fettah qui fut partagée entre ses deux fils, Sidi Mohammed et Cheikh Mohammed Ahmed, tous deux décédés, comprend aujourd'hui deux propriétés distinctes: l'une appartenant à Mrabet ould Sidi Mohammed, fils unique de Sidi Mohammed et l'autre aux cinq fils de Cheikh Mohammed, dont l'aîné porte le nom d'Abd Es-Selam.

En outre, près de cette palmeraie, quelques dattiers ont été plantés par les frères Brahim et Ahmed Djilani ould Dechar qui, par vénération pour la mémoire de leur professeur se constituèrent les gardiens de son tombeau même après le départ de ses fils.

La propriété de ces quelques dattiers a été contestée à l'unique fille héritière de Brahim et de Ahmed, Douila ment Ahmed-Abd Allah par Mrabet ould Sidi Mohammed. Ce dernier, en bas âge lors de la plantation des dattiers, prétendit à sa majorité, que ces arbres ayant été placés dans un domaine de sa famille sans autorisation, il les considérait comme sa propriété. L'accord s'est fait aujourd'hui.

C'est ce Mrabet ould Sidi Mohammed ould Abd El-Fettah qui est aujourd'hui le maître des destinées religieuses de la tribu. Né vers 1870 d'une mère hijajïa, il a fait ses études auprès de son père et de Cheikh Mohammed Abd Allah ould Mohammed Mahmoud, dans Dieïdiba, dont il est le disciple qadri, et de qui il a reçu les pouvoirs de moqaddem. Il a fait sa soumission dès l'occupation du pays et n'a jamais créé de difficultés. Son frère fut bien mis en prison, en mars 1911, pour opposition à l'élection du chef et lui-même ne fut peut-être pas étranger aux intrigues du moment, mais il a, depuis ce temps, fait oublier ce mauvais moment. Les nombreuses aumônes qu'il reçoit lui ont procuré de grands biens, mais son hospitalité est large. Il est le cadi écouté et le professeur d'enseignement supérieur de la tribu. Ses élèves varient entre 30 et 50. A côté d'une majorité de Torkoz, on y trouve des jeunes gens de plusieurs tribus voisines. Sa réputation dépasse le Brakna et s'étend au Trarza, au Tagant et au Gorgol.

La plupart des Torkoz sont les disciples spirituels, dans la voie du Qaderisme, de Mrabet; mais parmi les jeunes gens on voit certaines dissidences se produire et se rallier à Cheikh Sidïa ou à Saad Bouh.

Le frère de Mrabet, Abd El-Fettah ould Sidi Mohammed, est aussi un marabout de renom, mais plus occupé que son frère des choses temporelles. C'est un professeur réputé, qui a fait ses études chez les Tendra et se rattache au Cheikh Mohammed Abd Er-Rahman ould Mohammed Salem.

Un dernier nom à mentionner: Mohammed ould Taleb Ahmed, notable fort écouté, et qui est un de ceux qui travaillèrent le plus à la réunion des Brarka et des Oulad Sidi Ahmed.

Les Torkoz du Brakna honorent par leurs pèlerinages les tombeaux de leurs ancêtres à Hemmal, Begguert, Mal et Kedouacha.

Ils sont considérés par les Abakak (Id Ou Aïch) comme leurs marabouts cadis et professeurs. Les relations des deux tribus sont tout à fait cordiales.

CHAPITRE VIII
HIJAJ

1.—Historique.

Les Hijaj sont une tribu dérivée des Rehahla. Ils sont donc d'origine arabo-hassane, puisque Rehhal, ancêtre éponyme des Rehahla, est le frère d'Antar, de Yahia et d'Omran, ancêtres des Oulad Nacer, des Oulad Yahia ben Othman, et des Trarza et Brakna, et que ces quatre personnages sont les fils d'Othman ould Oudaï ould Hassan.

En ce qui concerne l'historique des Rehahla et par conséquent l'historique lointain des Hijaj, je ne puis que renvoyer à mon ouvrage l'Émirat des Trarza.

C'est de la fin de la guerre de Boubbah que date leur «conversion» au maraboutisme; elle résulte probablement, bien que la tradition soit muette sur ce point, de la défaite des Rehahla, hassanes des premières invasions, et de leurs alliés les marabouts, par les Trarza-Brakna. Un individu des Rehahla, le nommé Samba, premier ancêtre connu des Hijaj, ne pouvant plus vivre dans sa tribu vaincue, vint chercher fortune sur les rives de l'Oued Katchi. Il était accompagné d'un de ses cousins, dit Damâni, et de plusieurs serviteurs (fin du dix-septième siècle). Samba eut deux fils: Hamdan et Abd En-Nebi, qui sont les ancêtres des deux premières fractions Hijaj. Damâni est l'ancêtre éponyme de la troisième et dernière fraction des Douamin.

Il faut, à partir de maintenant avoir sous les yeux le tableau généalogique de la tente princière pour pouvoir suivre le cours des événements.

Tableau généalogique.

Samba.
 
 
Hamdan. Abd En-Nabi.
 
 
Maham. Taleb Brahim. Taleb Amed. Meskour.
 
Al-Hadj Mohammed. Al-Hadj Hossin. Al-Hadj Mokhtar. Mohammed Barhoum.
 
Mokhtar.
 
1. Mohammed Lamin.
 
 
2. Sidi Abd Allah. Al-Qadi. Cheikh Mohammed.
 
 
Hamenni. Mrabet. Cheikh Ahmed Mahmoud. Mohammed Lamin.
 
 
3. Mahmoud. 4. Mohammed Al-Mrabet † 1914. Mohammed. Mokhtar. Moh. Mostafa.
 
 
Sidi Abd Allah. 6. Ahmed. Inedji. 5. et 7. Mahmoud. Hadj Amin. Ma-l-Aïnin.

Hamdan, qui vécut dans le premier quart du dix-huitième siècle, est le premier qui ait fait le pèlerinage à la Mecque et inauguré ainsi ce nom de Hadj, qui allait devenir celui de la tribu. Il eut quatre fils, dont l'un, Meskour, est l'ancêtre de la tente princière des Hijaj. Les trois autres mirent au monde chacun un fils, Mohammed, Hossin et Mokhtar. Ces trois cousins firent ensemble le pèlerinage de la Mecque, vers le milieu du dix-huitième siècle. Le second, Hossin, mourut à la Mecque même et y fut enterré; les deux autres revinrent à bon port et furent enterrés, après une vie embellie par les vertus islamiques, le premier à Al-Aguilat, près de Mouit, l'autre à Al-Ouasta. Ce triple pèlerinage auréola ce petit campement d'une gloire, assez rare alors, et on se prit à les désigner sous le sobriquet de «tribu des Hadj» ou «Hijaj». Le nom leur en est resté définitivement. Et de ce jour-là la tribu se voua à la vie maraboutique.

La tribu naissante vivait alors dans l'Agan et buvait au puits d'Oudenech, situé à Zkil, au nord-ouest de Chogar-Toro, et à celui d'Al-Ouasta, sis à 15 kilomètres au nord-ouest du premier.

Il n'y a rien à dire sur les premiers descendants de Meskour, au cours du dix-huitième siècle. Le commandement est d'ailleurs, à cette époque, l'objet d'âpres compétitions. C'est au début du dix-neuvième siècle qu'il se fixa définitivement dans les Oulad Hamdan et dans les Ahel Meskour par les vertus et le prestige de Mohammed Lamin ould Mokhtar ould Mohammed Barhoum ould Meskour.

Cette dévolution de l'autorité devait entraîner, au cours du dix-neuvième siècle, des scissions répétées dans la tribu. Une première fraction alla s'installer dans le Gorgol; on les y retrouve aujourd'hui sous ce nom. En 1910, ils ont été réunis à la tribu-mère du Brakna. D'autres retournèrent vers les cousins Rahahla et furent asservis comme eux au tribut. D'autres enfin, mais antérieurement, qui n'avaient voulu se muer aux marabouts définitifs, allèrent s'affilier aux Oulad Eli (Brakna du Gorgol). De nos jours enfin, vers 1902, la fraction Douamin, qui n'est à proprement parler que cousine des deux, et, à ce titre a toujours fait preuve d'indépendance, ne voulant pas accepter l'autorité des Oulad Hamdan, est allée s'incorporer aux Id ag Fara Brahim, des Dieïdiba. L'accord faillit se faire, il y a quelques années, mais, au dernier moment, on ne s'entendit pas et les choses restèrent en l'état.

Mohammed Lamin est compté comme le premier chef de la tribu, désormais constituée en une unité bien vivante. C'est sous son règne, semble-t-il, qu'eut lieu la guerre fort dure, rapportée par le Tarikh de Oualata, et où luttèrent d'une part les Oulad Bella et les Masna de Tichit, d'autre part les Hijaj et les Dehahna alliés. Les Hijaj du Brakna envoyèrent des contingents à leurs frères du Nord. Un combat sanglant, le 19 juillet 1850, mit fin aux hostilités. Après Mohammed Lamin, le pouvoir est resté dans la descendance de son fils aîné (2) Sidi Abd Allah. C'est ce Sidi Abd Allah, «homme magnifique, avec une barbe imposante qui descendait jusqu'à la poitrine, un vrai patriarche» que visita l'enseigne Bourrel, en 1860, et qui lui fit un si cordial accueil. Les chefs, ses fils, furent d'abord (3) Mahmoud, mort sans postérité, et (4) Mohammed El-Mrabet, mort au début de 1914.

Mohammed Al-Mrabet était chef de la tribu lors de l'occupation française. Obéi et aimé de ses gens, dévoué à nos intérêts, il fut un excellent chef qu'on a eu le regret de voir mourir de la variole en janvier 1914. Il fut remplacé par surprise et sous l'influence du grand marabout de la famille, Cheikh Ahmed Mahmoud, par son neveu (5) Mahmoud ould Mohammed Mokhtar, au détriment de ses fils.

De ses fils, l'aîné, Sidi Abd Allah, ne voulut pas revendiquer ses droits et les céda à son cadet Ahmed. Ahmed faisait alors ses études chez les marabouts du Nord. Il revint immédiatement et réclama le commandement. Entre temps, il suivait les cours de l'école d'Aleg. On finit par lui donner droit, et en fin 1914, il fut nommé chef de la tribu.

Mais jeune et léger (6) Ahmed ne sut pas se faire obéir; il manqua totalement de pondération dans son commandement, et dut être remplacé, en avril 1917 par son prédécesseur (7), Mahmoud ould Mohammed Mokhtar.

Mahmoud, né vers 1862, marabout paisible, n'a qu'une influence limitée; il est simplement le membre le plus notoire de la djemaa. Il a trois fils: Hamma Lamin, Mohammed et Ahmed; il subit fortement l'influence de ses frères: Had Amin et Mrabet, et surtout de son cousin, le grand Cheikh spirituel de la tribu, Ahmed Mahmoud. Le jeune Ahmed, qui avait commencé par faire quelque opposition et avait été, de ce fait, puni disciplinairement, est revenu au calme[10].

[10] Mahmoud ould Mohammed Mokhtar est mort de la grippe en décembre 1918.

2.—Fractionnement.

Les Hijaj du Brakna se partagent ethniquement et administrativement en les fractions suivantes:

1o Oulad Hamdan; chef: Mahmoud ould Mohammed Mokhtar; 120 tentes et 580 âmes; 200 camelins, 958 bovins, 2.495 ovins, 164 ânes;

2o Oulad Abd En-Nabi: première sous-fraction administrative; chef: Cheikh ould Taleb Brahim, qui a succédé à son frère Jeddou, tous deux neveux de l'ancien chef Cheikh Mostafa ould Taleb Brahim, vieux et cassé, 9 tentes et 28 personnes; 20 bovins, 270 ovins et 10 ânes; deuxième sous-fraction administrative; chef: Mohammed ould Khalil, 20 tentes et 57 personnes, 131 bovins, 325 ovins et 20 ânes;

3o Haratines Hijaj; chef: Kaouri ould Obeïd; 40 tentes et 160 âmes; 74 bovins, 404 ovins et 12 ânes. Ces haratines sont pour la plupart domiciliés dans le Chamama auprès de Mbagne. Un petit nombre d'autres est resté nomade vers Bassi Nguidi.

L'ensemble comprend donc 189 tentes et 831 âmes. Le cheptel est de 200 camelins, 1.183 bovins, 3.494 ovins, et 206 ânes. Le feu de la tribu est, comme il convient à ces fils de pèlerins, la marque «Makka» , qu'ils apposent sur la cuisse droite des animaux.

Les Hijaj se partagent, d'après leur genre de vie, en deux groupes: les Oulad Hamdan, ou grands nomades du Nord (Amechtil et Akel) et les Oulad Abd En-Nabi, rattachés récemment encore au Gorgol, ou petit nomades du Sud-Est. On pourrait y joindre le groupe cultivateur des Haratines.

Fraction à chameaux, les Oulad Hamdan nomadisent dans le Nord-Ouest. En hivernage, ils sont aux environs de Diguet Menné et dans l'Oued; en saison sèche, à Chogar, et aux environs, à Oudnech et à Al-Ouasta. Ce n'est que de nos jours qu'ils ont pu revenir vers ces puits ancestraux. Vers 1900, victimes de plusieurs pillages de la part des Oulad Bou Sba de l'Adrar, ils avaient été obligés de les abandonner et s'étaient cantonnés à Diguet Memmé et à Chogar Tora. De nos jours, ils n'échappent pas toujours aux rezzous, mais ils retrouvent en fin de compte leurs pertes. C'est ainsi que pillés par les Regueïbat en juin 1914, ils rentrèrent peu à peu en possession de leurs chameaux, repris par le peloton méhariste de l'Adrar.

Fraction à bœuf et à petit bétail, les Oulad Abd En-Nebi, ne possèdent pas un seul chameau. Ils nomadisent dans un petit rayon, en hivernage, vers Al-Kouïat et Al-Ousakat; en saison sèche, à Bassi Nguidi et à Bilal.

Le cadi de la tribu est Mohammed Salem ould Jeddou, d'origine Ahel Babouya, né vers 1865, savant professeur et juriste, élève et disciple de Mohammed Lamin ould Cheikh Mohammed. D'une famille peu connue, Mohammed Salem commence seulement à percer grâce à sa science et à sa probité.

Les principaux notables sont: les deux fils de Cheikh Mohammed ould Mohammed Lamin, à savoir: Cheikh Ahmed Mahmoud et Mohammed Lamin. Cheikh Ahmed Mahmoud, né vers 1868, est le marabout le plus en vue des Hijaj. Il passe déjà pour être un ouali. Élève et disciple qadri de son père, il se rattache par lui aux grands Cheikhs Sidi Mohammed ould Menni des Tagat, Cheikh Al-Qadi des Deïdiba, et Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir, des Kounta. Il est fort instruit, possède une bibliothèque bien garnie et distribue l'enseignement coranique et supérieur à une cinquantaine d'élèves, tant des Hijaj que des tribus voisines, notamment Tadjakant et Id ag Jemouella. Ce Cheikh se confine de plus en plus dans la piété et le mysticisme; il a fini par se désintéresser complètement des affaires administratives et du commandement de la tribu; il abandonne même souvent son école à son cadet. Il vit à l'écart, ermite, plongé dans une quasi perpétuelle kheloua. Son seul fils peut alors l'approcher, et quelquefois son frère Mohammed Lamin. C'est un thaumaturge reconnu, au demeurant le marabout le plus notoire du Cercle, après M'hammed ould Bekkaï, des Kounta. Son frère, Mohammed Lamin, né vers 1870, de la même obédience, très intelligent et très instruit, est moins confiné dans le mysticisme. Il dirige avec beaucoup de savoir une école de trente élèves, où l'on voit, à côté des Hijaj, des Tadjakant et des Dieïdiba. Quand son frère aîné disparaît dans sa retraite, c'est près de cent élèves que comprend cette petite Université nomade. Les deux Cheikhs ont distribué leur ouird à la majeure partie de leurs contribules.

Les Hijaj sont tous qadrïa, relevant de deux obédiences différentes, soit surtout celle de Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, soit celle de Cheikh Sidïa, en définitive par conséquent de la même source des Kounta de l'Azaouad.

Les principaux notables de la tribu sont: chez les Oulad Hamdan, Mohammed Fal ould Khalil; Mohammed Fal ould Bokhari, Ahmed ould Najid; Mohammed Abd Er-Rahman ould Sidi; chez les Oulad Abd En-Nabi (1re sous-fraction) Sidi Abd Allah ould Abaïdi, et (2e sous-fraction) Youssef ould Aïssa et Brahim ould Salek; chez les haratines Ahmed ould Biyad et Samba ould Al-Yarg.

Le maître d'école coranique attitré de la tribu est Ahmed Abd Ed-Daïm ould Sidi ould Mokhtar Fal, né vers 1855, vieillard peu intelligent et médiocrement instruit, mais honnête, sympathique et très en confiance.

CHAPITRE IX
ID EÏLIK

1.—Historique.

Les Id Eïlik se prétendent, comme il convient, d'origine arabe, et se donnent une ascendance ommeïade. Ce qui est plus certain, c'est que l'ancêtre éponyme, Eïlik était un Berbère marabout, qui vivait avec les siens dans le sillage des Oulad Abd Allah, au seizième siècle. Depuis une ou deux générations au moins, cette sympathie unissait les deux tribus: Hassane et Zenaga. La tradition est formelle à ce sujet; elle prétend même que, dès le temps de Bou Baker ben Omar (onzième siècle), les deux tribus étaient alliées, étant venues ensemble d'Arabie, ce qui est un anachronisme manifeste, puisque les Arabes n'arrivent en Mauritanie qu'au quinzième siècle. Il est plus probable qu'Eïlik, Berbère du Sud marocain, arriva au seizième siècle dans les bandes Oulad Abd Allah, qui s'abattaient sur la Mauritanie. C'est ce qui expliquerait l'arrivée commune de la tradition historique.

Eïlik laissait quatre fils: Zar, Badelli, Diaoudiaye et Ab Amrar. La descendance des deux derniers s'est fondue dans celle de Zar et de Badelli, et aujourd'hui les Id Eïlik s'attribuent tous l'une de l'autre de ces deux filiations.

Zar, de son vrai nom Ishaq, était l'aîné. Le commandement devait rester dans sa famille jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, où il passa dans la branche cadette avec Atig, septième descendant de Badelli.

En leur qualité de marabouts, les Id Eïlik prirent part à la guerre de Boubbah, au début au moins, dans le clan de leurs frères dans la foi. Mais ils finirent par céder à leur amitié traditionnelle pour les Oulad Abd Allah, et lâchèrent les marabouts se rangeant aux côtés des hassanes. La légende veut que cette trahison ait été consommée à Tin Yefdad même, c'est-à-dire à la dernière et suprême bataille du «Cherr Boubbah».

On raconte en effet que, repoussés une première fois par les marabouts, les guerriers s'étaient retirés au Tagant. Les deux camps, s'étant mis à nouveau en marche l'un contre l'autre, se rencontrèrent à la mare de Tin Yefdad, au sud d'Ouezzan. Ils se faisaient face depuis plusieurs jours, quand les Ahel Badelli allèrent trouver les chefs guerriers et leur conseillèrent de prendre de nuit le plus d'eau possible dans la mare, puis de la rendre imbuvable, en y faisant piétiner des animaux, traînant des branches d'épineux. Ce conseil fut suivi. Puis au matin, les hassanes attaquèrent les marabouts. Repoussés, ils revinrent inlassablement à la charge et épuisèrent leurs adversaires. A la nuit, chacun resta sur ses positions, mais tandis que les guerriers buvaient et se refaisaient, les marabouts mouraient de soif devant la mare. Le lendemain, incapables de continuer la lutte, ils durent se reconnaître vaincus et accepter les conditions des guerriers.

Toute cette histoire paraît bien fantaisiste. Il n'en reste pas moins que les Id Eïlik, marabouts des Oulad Normach, ne leur payent pas de horma officielle, contrairement à toutes les coutumes maures, et que les uns et les autres sont d'accord pour reconnaître que cette situation privilégiée remonte à la guerre de Boubbah et aux concours que les Normach reçurent à cette époque des Id Eïlik. On peut donc en admettre le principe.

A la fin du dix-huitième siècle, et sans qu'on sache en quelles circonstances exactement, le commandement passe dans les mains d'Atig ould Ahmed ould Habid ould Hand ould Mohand ould Malik ould Tegueddi ould Badelli ould Eïlik, chef de la branche cadette.

Atig meurt en 1810, laissant deux fils: Cheikh Mohammed Mahmoud et Mouïn. C'est à cette date, et par suite des rivalités des deux fils, qui se constituent le groupement actuel des Id Eïlik en deux fractions: Ahel Aleg, Ahel Abary, du nom de la région où ces campements nomadisaient habituellement. On connaît Aleg. Abary est le nom d'une petite rivière du Chamama.

Tableau généalogique.

Atig,
† vers 1810.
 
 
Cheikh Mohammed Mahmoud, † vers 1840. Mouïn, vers 1880.
 
 
Mostafa,
† vers 1839.
Sidi Salem.   Tig.
 
 
Cheikh Moh. Fal. Mahfoudh.   Mostafa.   Ahmed Mouïn.
 
 
 
Mostafa. Naji,
chef des Ahel Aleg.
Isselmou.   Abd El-Kerim.   Mahmoud, chef des Ahel Abary.
 
 
    Ahmed.
 

Cheikh Mohammed Mahmoud, tout en reconnaissant une certaine indépendance aux Ahel Abary de son frère, conserva encore, nominalement au moins, le commandement de la tribu. A sa mort, vers 1840, il ne laissait que des petits-enfants en bas âge, car son fils Mostafa était mort un an avant lui. Cette situation permit à Mouïn, chef des Ahel Abary, de prendre sa complète autonomie.

Cheikh Mohammed Fal ould Mostafa ould Cheikh Mohammed Mahmoud a été un très pieux, très influent et très réputé marabout. On trouva son obédience dans plusieurs tribus maures voisines, et chez beaucoup de Toucouleurs du Chamama. Il était chef des Ahel Aleg, à notre arrivée, et conserva le commandement jusqu'à sa mort (fin 1912), mais depuis plusieurs années déjà, il ne s'occupait plus que de choses pieuses et laissait la direction politique de la fraction (Ahel Aleg) à son fils Naji et à son frère Mahfoudh. Nous n'eûmes que peu de rapports avec ce Cheikh. Il affecta de nous ignorer.

Naji (de son vrai nom Mohammed Mahmoud) a succédé à son père Mohammed Fal, en fin 1912, tant dans son commandement politique que dans sa direction spirituelle. A ce titre, il jouit d'un grand prestige dans sa tribu et au dehors, principalement dans la dabaï de haratines et dans les villages toucouleurs du Chamama et perçoit de nombreux cadeaux de toute nature. Très intelligent, fort instruit, sympathique, Naji, vers 1884, est déjà un professeur renommé. Son cours supérieur est suivi assidûment par une trentaine de jeunes gens Id Eïlik, haratines et Toucouleurs. Une de ses sœurs a épousé un fils de Cheikh Sidïa; elle vit actuellement séparée de son mari.

La deuxième fraction, les Ahel Abary, sont sous le commandement de la branche cadette de la tente Atig. A Mouïn ould Atig, décédé vers 1880, a succédé son fils Mohammed Salem, dit Tig ould Latig, qui s'est éteint en 1915, à l'âge de 80 ans. Ce fut un saint homme, très vénéré, ancien élève de Mohammed Mahmoud le grand «Mrabet», et dont on fit au début le cadi du Cercle. Son instruction et son esprit de conciliation lui avaient acquis une renommée universelle. C'était de plus un traditionaliste remarquable et un professeur, autour de qui se pressaient des enfants de toutes les tribus du Brakna. Il recevait des aumônes de partout et principalement des Touabir et des Kounta; parmi ceux-ci, surtout des Meterambrin.

Depuis plusieurs années, ses facultés baissaient et il se faisait suppléer par son fils, Ahmed Mahmoud.

2.—Fractionnement.

Les Id Eïlik se partagent en deux fractions se décomposant à leur tour en huit sous-fractions.

A.—Ahel Aleg.
  • Ahel Mohammedden al-Habib.—Chef: Naji ould Mohammed Fal.
  • Ida Ou Zar.—Chef: Ahmeddou ould Jeddhoum.
  • Ahel Taleb M'hammed.—Chef: Bassi ould Abd Al-Latif.
  • Njamra.—Chef: Nadji ould Khalifa.
  • Haratines.—Chef: Mohammed ould Bidia.

Les deux premières sous-fractions sont seules de pure origine eïlik: la première de Badelli, la seconde de Zar. Les Ahel Taleb M'hammed sont d'origine bourba, nationalisés (holafa) Eïlik depuis fort longtemps; les Njamra sont dans les mêmes conditions, mais d'origine medlich.

Ils comprennent 121 tentes et 575 personnes et sont riches de 10 chameaux, 591 bovins, 1.161 ovins et 87 ânes.

Les principaux notables sont: Mahfoudh ould Mostafa, oncle de Naji; et Mostafa, frère aîné, et Isselmou, frère cadet de Naji. Mostafa, orphelin de mère, et jaloux des préférences manifestées par son père à Naji s'est retiré depuis 1907 chez les Ahem Abary, où il s'est marié. Isselmou paraît devoir être un savant de quelque envergure.

B.—Ahel Abary.
  • Ahel Mohammedden ould Al-Habib.—Chef: Ahmed Mahmoud.
  • Ida Zohra (Zar).—Chef: Mohammed Fal ould Atjfara.
  • Haratines.—Beya ould Birama.

Ils comprennent 62 tentes dont 42 pour les gens libres et 20 pour les haratines, et 352 personnes dont 70 haratines. Ils possèdent 11 chameaux, 285 bovins, 644 ovins et 48 ânes.

Les principaux notables de la djemaa sont: Sidi Salem ould Al-Altig; et ses fils Mostafa; Abd El-Karim et Ahmed. Il aurait tendance à former bande à part dans les Ahel Abary. Sidi Salem est en effet l'aîné de Mouïn, et c'est à lui qu'aurait dû revenir le commandement, s'il n'avait eu la méfiance d'envoyer son frère à Coppolani en 1905. Mohammed Fald ould Al-Atig; Ahmeïdou o. Ahmed Chella; Mohammed Lamin ould Habib; Mohammed Salem ould Obeïd Allah; Soudani ould Souleïman, Abmoïjin ould Moïjen.

L'ensemble de la tribu comprend donc 183 tentes et 297 personnes, et possède 21 chameaux, 876 bovins, 1.805 ovins et 135 ânes.

La marque commune est le lam-alif qu'ils apposent sur la cuisse droite. La zone de nomadisation est, en saison sèche comme en hivernage, d'Aleg à Mal. Quant aux haratines, ils sont en hivernage, au sud de Dielowar, en saison sèche, dans le Chamama entre Cascas et Boghé.

Ces haratines étaient jusqu'à 1912 groupés sous le commandement de Beya ould Birama, qui était responsable vis-à-vis des deux chefs. Groupés, ces haratines avaient plus de cohésion et travaillaient mieux. Mais dévoué à Cheikh Mohammed Fal, et de ce fait, assez partial vis-à-vis des gens de Tig, son commandement, satisfaisant de par ailleurs, provoqua des réclamations. Il fut scindé, et aujourd'hui les haratines vivent séparés, comme leurs maîtres.

3.—La vie religieuse.

Les Id Eïlik jouissent, entre les diverses tribus maraboutiques du Brakna, d'un grand prestige religieux, grâce sans doute aux personnalités de renom qu'ils ont fourni à la génération précédente: Cheikh Mohammed Fal ould Mostafa et Tig ould Latig. De tous les points du Brakna et du Chamama, on vient compléter son instruction dans leurs tentes, et certaines d'entre elles sont de vraies petites zaouïa nomades. On leur demande, par la même occasion, l'ouird qadri, détenu ici par filiation dans la famille princière, depuis le grand Cheikh Mohammed Mahmoud ould Atig, qui était un disciple de choix de Mostafa ould Al-hadj, frère et élève de Cheikh Al-Qadi des Deïdiba, personnage bien connu. Cette obédience rattache, comme presque partout ailleurs, les Id Eïlik aux Kounta de l'Azouad, car les deux frères précités reçurent l'ouird dans le campement du grand Cheikh Kounti, Sidi-l-Mokhtar, et de sa main même.

Les principales tribus qui composent la clientèle des Id Eïlik sont: les Soubâk, les Zemarig, les Oulad Normach, les Touabir-Oulad Yarra, les Tadjakant de M'Bout, les Oulad Hid du Gorgol. Dans le Chamama, sis à l'est de Boghé, on ne trouve pas de village toucouleur, qui ne compte quelques-uns de leur talibé. Il en va de même, au moins en partie, sur la rive gauche. La personnalité la plus notoire de ces disciples noirs est Amadou Mokhtar, chef du Toro sénégalais.

Actuellement le moqaddem en titre est Naji (Mohammed Mahmoud) par dérivation de son père et de son grand-père. Cette tente vise avec un soin jaloux à ce que la baraka ne sorte pas de la famille.

L'influence de Cheikh Sidïa est assez sensible dans cette tribu. Son point de départ est le mariage projeté depuis longtemps, et effectué en 1911, d'un fils de Cheikh Sidïa avec Mariam, dit Maroum, sœur de Naji. Il y eut des tiraillements. Les Dieïdiba, jaloux de voir les Oulad Biri s'immiscer dans le Brakna, y firent une grande campagne d'opposition. Les Kounta s'en mêlèrent, car Maroum avait été en quelque sorte promise à Bambaye. La campagne ne fut pas sans succès, car quand Cheikh Mohammed Fal mourut en fin 1912, Naji ne fut appelé par la djemaa à le remplacer que conditionnellement. Ce mariage ne dura pas d'ailleurs. Le fils de Cheikh Sidïa, ayant épousé, malgré ces promesses, une deuxième femme, Maroum revint dans le campement fraternel.

Les deux cadis des fractions Id Eïlik sont: pour les Ahel Aleg, Kabir ould Mohammed Salem, né vers 1880, ouvert, assez instruit, mais peu intelligent; pour les Ahel Abary Sidi Salem ould Oummoui, né vers 1850, vieillard ouvert et sympathique.

Le cimetière classique des Id Eïlik, celui qui renferme la plupart de leurs tombes et où ils vont faire leurs pèlerinages, est à Tiabba Taba, près du lac d'Aleg. On trouve là les tombeaux de tous les ancêtres des chefs marabouts actuels.

CHAPITRE X
ID AG JEMOUELLA

1.—Historique.

Les Id ag Jemouella se disent Chorfa. Leurs ancêtres arrivèrent dans la haute Mauritanie peu après l'époque lemtouna. Un peu plus tard, ils participent, aux côtés du fameux imam Hadrami, aux luttes contre les Tachomcha. Quand les hassanes envahissent l'Adrar c'est aux Id ag Jemouella que les Oulad Mbarek ont affaire, et de durs combats s'ensuivirent. Les Id ag Jemouella passent en outre pour avoir pris une part active aux différentes phases de la guerre de Boubbah (Cherr Boubbah).

Cette suite ininterrompue de guerres avait épuisé la tribu; elle penchait dès lors vers le maraboutisme. Seules, quelques tentes obstinément guerrières ne voulaient pas se convertir. Elles furent à peu près détruites par les attaques des Litama; les derniers campements se réfugièrent chez les Oulad Eli ould Abd Allah, prirent qualité de marabouts et s'engagèrent à leur payer des redevances.

Une autre tradition brakna, celle-ci extérieure aux Id ag Jemouella, ne conteste pas l'enchaînement de ces faits, mais leur dénie l'origine chérifienne. Elle relate que les Id ag Jemouella sont les descendants d'une vieille tribu berbère, établie dans le Brakna, bien avant l'arrivée des Oulad Abd Allah, et qui perdit son antique puissance lors des luttes contre ces invasions arabes. C'est à cette date qu'ils se muèrent en marabouts, et du même coup, en chorfa. Cette tradition paraît plus vraisemblable.

Quoi qu'il en soit, l'ancêtre éponyme de la tribu serait un certain Abd Er-Rahman, dit Jamal al-Din (beauté de la religion). Il aurait été le fils, ou tout au moins le descendant, du fameux Sidi Yahia, le grand saint de Tombouctou, ancêtre également des Glagma et des Ahel Taleb Mokhtar du Hodh. La généalogie de ce Sidi Yahia est connue et a été donnée ailleurs. Abd Er-Rahman Jamal eut trois fils: Othman, Izzoun et Eïdyé, et ce sont ceux qui ont donné naissance aux trois groupements ethniques de la tribu: Oulad Othman, Oulad Izzoun, Oulad Eïdyé.

Le pouvoir se perpétua dans la branche aînée: celle d'Othman. La tradition rapporte que son cinquième descendant, Abd Er-Rahman ould Mohammed ould Yeïja, «Le dernier héros des temps antiques» fut tué à la bataille de Tin Iefdadh, qui termina le Cherr Boubbah.

Eïdyé, de son vrai nom Youssef, laissa quatre fils: Maham Aboubak, Abd Allah et Imijen, dont la descendance se retrouve aujourd'hui chez les Oulad Eïdyé.

Il en est de même pour Izzoun.

Avec le temps, le pouvoir est devenu héréditaire dans la tente des Ahel Kebd, branche aînée des Oulad Othman. On donne de ce nom de Kebd qui signifie «foie» une explication amusante. De même que le foie est un viscère qu'on ne peut avoir qu'après la mort de l'animal, de même le pouvoir ne peut sortir des Ahel Kebd qu'avec leur disparition totale. Ce Kebd, qui mourut au début du dix-neuvième siècle, s'appelait de son vrai nom Taleb Othman ould Sidi Mohammed ould Taleb Othman ould Al-Alem ould Othman ould Abd Er-Rahman.

Lors de notre arrivée en Mauritanie, les Ahel Kebd n'avaient pas de membres capables de les représenter. La djemaa chargea donc son président, le cadi Abd Allah ould Hamed des Ahel Othman, d'apporter la soumission de la tribu à Coppolani; par la suite, il conserva son commandement et l'exerça du reste avec intelligence. Aussi, pour reconnaître les services qu'il lui rendit au cours de sa mission Coppolani lui accorda-t-il une petite palmeraie près de Tijikja.

Abd Allah ould Ahmed (ould Belal ould Lamin ould Mohammed Karim ould Abd Er-Rahman ould Mohammed ould Yeïja ould Abd Er-Rahman ould Mohammed ould Othman ould Abd Er-Rahman Jemal Ad-Din), né vers 1868, riche, intelligent et instruit, cadi de sa tribu, s'est maintenu chef des Id ag Jemouella jusqu'en 1914. Son commandement a été troublé par divers graves incidents.

En 1905, il a à supporter les attaques des Id Ou Aïch, qui lui ont voué un haine féroce. Ils déclarent que c'est lui qui est cause de l'installation des Français à Mal, en 1904, et le pillent à plusieurs reprises. La tribu, déchirée par les dissensions, finit par se partager en deux fractions: l'une qui reste rangée derrière son chef, l'autre qui subit l'influence de Cheikh Mohammed Mahfoudh, disciple de Saad Bouh, jeune ambitieux et intrigant, né vers 1878, et qui fut quelque temps cadi de la tribu. Après avoir tenté de se faire inscrire à Kaédi, un beau jour, en mai 1906, il part avec six de ses élèves vers le Nord. Il fut très bien reçu par Ma-l-Aïnin qui lui confia la gérance de ses biens à Atar. Sa disparition a ramené le calme et l'unité dans la tribu.

En juillet 1908, des contestations éclatèrent entre Lemtouna et Id ag Jemouella au sujet de l'usage de certains puits. Les Lemtouna provoquèrent à plusieurs reprises des rixes sanglantes.

En 1915-1916, le chef des deux petites fractions hassanes Naji ould Baji; le fils de l'ancien chef: Ba Naji et deux pillards réputés: Mokhtar et Naji ould Taïeb prennent la brousse et se livrent à une série de petits pillages, dans le Brakna et le Raag. Quelques tirailleurs, insoumis ou déserteurs, se joignent à eux. Enfin, traqués et pris par les partisans, ils sont jugés et le calme renaît.

Dans ces dernières années, de violents conflits avec les Torkoz au sujet de pâturages et de points d'eau ont amené par une mesure rigoureuse et intempestive la condamnation de la tribu à 27.000 francs de dommages-intérêts envers les Torkoz. Elle est sortie de cette affaire complètement épuisée et n'a pas pu encore se relever.

Le mécontentement de la djemaa et de l'administration a dès lors contraint le Cheikh Abd Allah à se retirer. Déjà dès 1911, on avait cessé de faire la prière devant sa tente; il a été remplacé par le représentant héréditaire des Ahel Kebd: Sidi Mohammed. Abd Allah s'est retiré sous sa tente et y vit en philosophe paisible.

Dans le dernier état de choses, les Id ag Jemouella payaient un rafer aux Oulad Mohammed et un autre aux Oulad Eli du Gorgol.

2.—Fractionnement.

Les Id ag Jemouella (au sing. Jemouelli) se divisent aujourd'hui administrativement en dix fractions à savoir:

  • Al-Hofra.—Cheikh: Sidi Mohammed ould Kebd (Othman).
  • Ahel Bilal.—Cheikh: Hamed ould Hamed (Othman).
  • Ahel Mokhtar Mohammed.—Cheikh: Sidi ould Al-Hazzey (Eïdyé).
  • Ahel Sidi Youssef.—Cheikh: Taleb Othman ould Sidi (Eïdyé).
  • Ahel Taleb Abeïdi.—Cheikh: Mohammed Fal ould Ahmed (Othman).
  • Oulad Tegueddi.—Cheikh: Abada ould Cebbar (Izzoun).
  • Ahel Idyé.—Cheikh: Baba ould Sidi Cheikh (Othman).
  • Ahel Ahmeïdat.—Cheikh: Cheikh ould Ahmeïdat (Massanes).
  • Ahel Mohammed Sidi.—Cheikh: Brahim ould Brahim (Hassanes).
  • Haratines.—Cheikh: Cheikh ould Mokhtar.

Ce fractionnement a été voulu par eux lors de la réorganisation de la tribu; ethniquement, ils se divisent en trois fractions et quatorze sous-fractions, conformément aux données historiques exposées plus haut. A savoir:

Oulad Othman   Ahel Bilal
Ahel Alem
Oulad Othman proprement dits
Ahel Taleb Abeïdi
Ahel Idyé
Id ab Emchif
Id ag Messaad
Oulad ben Brahim
 
Oulad Izzoun   Ahel Bou Daha
Ahel Obeïd ould Cheïn
Oulad Tegueddi
Id ag Bounka (d'où descend la tente des Ahel Cheikh Abd Allah, des Id ag Fara Brahim).
 
Oulad Eïdyé   Ahel Sidi Youssef
Ahel Mokhtar ould Mohammed

Les Id ag Jemouella hassanes, qui ne sont d'ailleurs guère plus guerriers que de nom, forment deux sous-fractions, issues des groupements précités:

  • Id Abd Allah, provenant des Oulad Othman,
  • Oulad Eïdyé, provenant de la fraction du même nom.

Ces deux groupements n'ont plus que quelques tentes, qui vivent mêlées soit au tolba, soit surtout aux haratines. Certaines tentes sont allées chercher fortune chez les Dieïdiba-Asbat Negza et chez les Touabir. Elles s'y incorporèrent vraisemblablement.

Le chef actuel de la tribu est Cheikh Sidi Mohammed ould Moussa ould Cheikh Mohammed Al-Mokhtar ould Kebd, nommé en 1914. En sa qualité de représentant héréditaire des Ahel Kebd, il jouit d'une autorité incontestée, et c'est au surplus un personnage dévoué; mais la tribu n'est tout de même pas en main. Il y a trop d'éloquents bavards et d'intrigants parmi ces chérifiens, d'ailleurs intelligents et ouverts.

Le cadi est Mohammed Mahfoudh ould Naji ould Sidi Youssef, des Oulad Eïdyé. Né vers 1875, c'est un personnage sympathique et instruit. Il relève dans l'ordre mystique de Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Moustafa ould Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba.

Les personnalités importantes de la tribu sont: a) Al-Mehaba ould Taleb Imijen, né vers 1880, très instruit, juriste et traditionaliste; b) Abd Allah ould Hamed ould Abd Allah, né vers 1885, professeur intelligent et ouvert; c) Taïeb ould Hassen ould Sidi Ahmed, né vers 1875, professeur de renom; d) Mohammed Liman, qui après être resté en dissidence dans l'Adrar de 1906 à 1912, fit sa soumission avec les Ahel Soueïd Ahmed, et rentré dans le Brakna se signala au début par quelque opposition; e) Cheikh Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Taj al-Arifin ould Cheikh Mohammed Lamin, vu antérieurement. Il serait toujours dans le Sous, où il aurait fait, dit-on, sa soumission au Makhzen et aurait épousé une fille de Haïda ould Mouïzz, le glorieux pacha de Taroudant.

Le recensement général des Id ag Jemouella a donné pour l'exercice 1918: 250 tentes et 2.275 personnes; 7 chevaux, 3 chameaux, 462 bovins, 1.602 ovins et 200 ânes. Les marques de la tribu sont soit le lamha, commun à tous, et qui s'appose sur la cuisse droite ou à la naissance de la hanche, soit le narli sur la hanche et spécial aux Ahel Mokhtar ould Mohammed. On met souvent comme contremarque un petit dal sur le lam du lamha.

La tribu nomadise en hivernage à l'ouest de Guimi et vers Bidi Ngal. Les haratines sont en outre, en hivernage, au nord-ouest de Mouit et aux environs de Guimi, en saison sèche, à Dielowar et Chogar. Depuis leur conflit avec les Torkoz, on a interdit aux Id ag Jemouella la région de Mal pour éviter tout contact entre ennemis. Ils sont un peu à l'étroit dans la région de Guimi. On leur a donné en outre des tamourts importants et non cultivés au nord de Kra Lemaoudou.

Les tombeaux les plus vénérés sont ceux de: a) Mohammed, dit Bilal, ould Kamin, grand-père d'Abd Allah ould Ahmed, à Guimi; b) Abd Er-Rahman ould Bilal, fils du précédent, savant et traditionaliste de renom, mort vers 1880, à Nouadich (Tagant). Il est l'auteur du poème, bien connu ici, qui donne en vers élégants la généalogie des Id ag Jemouella (Cf. en annexe).

La tribu dans l'ensemble pratique l'ouird qadri. Les moqaddem locaux sont au nombre de deux: Cheikh Ahmed Salem ould Bou Daha qui relève de Sidi-l-Mokhtar ould Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, et Cheikh Abd Allah ould Mostafa, des Taleb Mohamedden, des Dieïdiba, considéré par les Id ag Jemouella comme un maître.

ANNEXE
Poème généalogique des Id ag Jemouella.


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CHAPITRE XI
TAGAT

1.—Historique.

Les Tagat (au sing. Tagati) appartiennent dans la tradition maure à la souche des Ansar. Leur ancêtre serait Youssef ould Yaqoub ould Abou Dojennas, l'Ansari. Par lui, ils seraient les cousins des Id Eïboussat.

Les Tagat sont en réalité, semble-t-il, comme tous les marabouts maures, des Berbères. Leur parenté avec les Lemtouna est affirmée par tout le monde et reconnue par eux-mêmes. Ils sont originaires de l'Azaouad et ne vinrent en Mauritanie par le Hodh et le Tagat qu'aux seizième et dix-septième siècles, à la suite des invasions marocaines. Un des leurs, Ahmed ould M'haïmid, bientôt suivi de toute la tribu, serait venu s'installer à Aguiert, où dominaient alors les Noirs. Ceux-ci, dit la tradition, cultivateurs et pasteurs, étaient alors fort nombreux et riches dans la région d'Aguiert. Ils habitaient des cases en pierres, dont on ne retrouve plus les débris aujourd'hui. L'immigrant accabla ses hôtes de brimades et fut assassiné par vengeance, l'année suivante. Chacun resta alors sur ses positions (vers le dix-septième siècle).

Les nouveaux arrivés ne prirent pas part à la guerre de Boubbah, n'ayant pas encore eu le temps de faire alliance avec les marabouts. Ils étaient, au contraire, les amis des hassanes, à cause de la réception cordiale que leur aurait faite Boussam ould Cheïboubi, chef des Oulad Al-Yatim, les futurs Litama (Oulad Abd Allah). Ils se mirent sous sa tutelle et lui payèrent la horma.

A la mort de Boussam, les Litama se scindèrent. Décimés par des guerres continuelles avec les Ahel Mohammed et les Oulad Eli du Gorgol, ils perdirent la plus grande partie de leurs vassaux et marabouts, dont les Tagat. Ceux-ci contractèrent alliance avec les fractions abakak, des Id Ou Aïch, qui devinrent leurs suzerains en même temps qu'ils le devenaient des Torkoz. C'était à l'époque en effet où les guerriers Id Ou Aïch commençaient à descendre dans l'Aftout et menaçaient le Brakna.

Les Tagat, installés à la bordure ouest du Tagant, ont vécu dans cette situation de tributaires des Id Ou Aïch et spécialement des Ahel Soueïd Ahmed jusqu'à nos jours, tant les fractions à chameaux, nomadisant au nord, que les fractions à bœufs et petit bétail nomadisant au sud. Ils étaient également bien avec les Oulad Ahmed et leurs campements reçurent plusieurs fois les femmes et les enfants Oulad Ahmed, quand ceux-ci étaient vaincus dans leurs luttes classiques contre les Oulad Siyed.

La tradition, plus ou moins légendaire, rapporte que l'ancêtre éponyme de la tribu fut un certain Tâgât, descendant de Youssef l'Ansari. Il eut cinq fils, ancêtres de tous les campements actuels soit du Tagant, soit du Brakna, soit du Gorgol, à savoir:

Tagât.
 
 
 
Eli,
père des Oulad Eli-Tagat (Gorgol) et des Ahel Cheikh ould Menni (Tagant).
Sidi Ahmed,
père des Oulad Sidi Ahmed Bou Hajar (Tagant).
Eineb,
père des Id Eïneb (Brakna).
Aouach,
père des Id Aouach (Brakna).
Atjfara,
père des Atjfara Id (Brakna).

Les trois dernières sous-fractions descendent de frères germains. C'est ce qui expliquerait en partie leur union actuelle. Il faut y ajouter aussi une autre cause: le genre de vie et la richesse pastorale. Les premières fractions étaient surtout des fractions à chameaux, vivant dans un large rayon de nomadisation; les autres des nomades, de moindre envergure, dont le cheptel était surtout de bovins.

Les campements Tagat vécurent longtemps ensemble. A la suite de disputes avec les Id Atjfara, les Oulad Eli Tagat se séparèrent de la tribu et allèrent planter leurs tentes chez les Tadjakant du Gorgol (début du dix-neuvième siècle). Peu après, à la mort de leur chef, Cheikh ould Menni, les Ahel Cheikh ould Menni, qui sont ethniquement des Oulad Eli, partirent à leur tour et se rapprochèrent du Tagant. A notre arrivée cette scission s'accentua. Les Ahel Cheikh ould Menni furent englobés dans le Tagant; les Oulad Eli dans le Gorgol; les dernières fractions restèrent Brakna. Depuis ce temps, diverses questions d'intérêt et notamment l'affaire de Gadel, ont encore accentué cette haine entre Tagat du Tagant et Tagat du Brakna. Les premières considèrent comme une injure, dirent-ils, d'être appelés Tagat, et comme il y a parmi eux quelques tentes, qui descendent des Id Ar-Zimbo, ils assurent se rattacher à cette tribu du Trarza.

Les Oulad Sidi Ahmed Bou Hajar, ou Oulad Sidi Ahmed des cailloux, n'ont pas à être étudiés ici, puisqu'ils relèvent du Tagant. Ils sont en excellentes relations avec les Kounta avec lesquels ils cultivaient, et cette intimité n'est pas étrangère à leur glissement vers le nord-est. Certaines tentes ont des origines chorfa. La fraction aura dès lors une tendance à évoluer vers cette dignité chérifienne.

Restent donc pour constituer les Tagat du Brakna tous les campements, descendant des trois derniers fils de Tagat, c'est-à-dire les Id Eïneb, les Id Aouach, et les Id Atjfara.

Remarquons qu'il y a une génération, deux campements Id Aouach sont allés s'installer dans le Guidimaka.

Les Tagat n'ont jamais eu, à leur tête, un chef unique pour toute la tribu, avant notre arrivée en Mauritanie. Chacune des sous-fractions avait un chef indépendant des autres. Toutefois, pour les affaires concernant toute la tribu, les chefs se réunissaient, accompagnés chacun de quelques membres de la djemaa, choisis parmi les plus sages. Néanmoins, la supériorité numérique d'une sous-fraction, avait une influence considérable dans les décisions de cette espèce de conseil de famille. C'est ainsi que les Ahel Ceddiq, la plus importante sous-fraction de la tribu Tagat a toujours exercé sa suprématie sur les actes de la tribu.

En 1868, à défaut d'un membre de cette famille, capable d'assurer la responsabilité du commandement de la tribu, un nommé Sidi ould Ahmed Ralla, des Ahel Taleb Brahim, de la sous-fraction des Ahel Bou Khiyar, fut choisi pour commander les Id Atjfara. Cet homme qui eut une supériorité marquée sur ses prédécesseurs et sur tous les chefs maures du Brakna fut assassiné en 1892, à Aguiert, par Aminou, fils de Bakar ould Soueïd Ahmed. Cet assassinat fut commis par vengeance, car le chef tagat, anciennement tributaire des Ahel Soueïd Ahmed, voulant s'affranchir de la redevance annuelle que fournissait sa tribu, refusa du mil à celui qui devait devenir son assassin. Il fut remplacé par Mokhtar ould Ben, de la fraction Ahel Bou Khiyar, qui était le chef des Tagat, lors de l'arrivée de Coppolani en Mauritanie.

Il fut remplacé par Cheikh Hadrami, de la famille où le pouvoir était héréditaire. A celui-ci, mort en 1899, succéda Mokhtar ould Oubba, des Ahel Bou Khiyar, qui était en fonctions lors de l'arrivée des Français.

A cette date, les Tagat, comme tous les Maures, ne crurent pas que nous nous établirions dans leurs pays à titre définitif. Aussi les chefs ne se dérangèrent-ils pas, et c'est ainsi que pour paraître faire acte de soumission et éviter d'être pillés par les guerriers de leur race, les Tagat dépêchèrent Mrabet ould Abd Ed-Daïm à Coppolani.

Mrabet (ould Abd Ed-Daïm ould Amar Fal ould Ahmed ould Aouissa ould Youssef ould Atjafara) se trouvait par hasard dans le campement du chef des Tagat. Il avait la réputation d'un homme intelligent, sachant mener parfaitement ses affaires. Il fut donc choisi parmi ses compatriotes pour les représenter. Ils lui donnèrent même un cadeau pour le dédommager du retard qu'auraient à subir ses affaires du fait de son déplacement. Coppolani l'agréa comme chef. Il est inutile de dire que par la suite le chef ainsi dépossédé par la tribu et par nous, avec sa complicité propre, protesta et voulut reprendre son commandement. Quant aux Tagat, se trouvant bien, ils ne réclamèrent pas.

Mrabet servit de guide à Coppolani jusqu'à Tijikja et incontestablement lui rendit des services. Par la suite, son attitude fut digne, sans provocation; il protesta de son désir de bien faire et se montra décidé à nous être utile, ou tout au moins à ne pas faire échec à notre autorité. Il montra sa souplesse en se faisant seconder par son prédécesseur Mokhtar ould Oubba dont l'ambition était de reprendre ses fonctions de chef et qui intriguait pour faire déposséder Mrabet. Il est vrai qu'à cette date (1906) Mrabet fit dans le Tagant une absence de trois mois, qui coïncida fâcheusement avec la venue du Chérif marocain, Si Dris. Il lui aurait fait tenir 150 pièces de guinée. Mrabet se défendit vivement de toute trahison et prétendit que ses cadeaux n'avaient aucune signification politique, mais avaient uniquement pour but d'obtenir la restitution de chameaux volés. Il est certain en tout cas que l'intervention du Chérif lui valut la restitution d'une partie de son troupeau, pillé par les Oulad Delim à Tidiniakout, et que d'autre part Mrabet ramena avec lui plusieurs familles dissidentes, et même quelques tentes du Tagant.

Mrabet avait été puni, en 1913, d'une amende de 100 francs pour avoir dit que le poste de Moudjéria était commandé par des Noirs (interprètes). Connu dans tout le cercle, il était en relation avec tous les chefs. C'était un marabout très vénéré, disciple qadri de Saad Boudh, et qui caressa longtemps le projet—qu'il ne put réaliser—de faire le pèlerinage de La Mecque. Il avait manifesté à plusieurs reprises l'intention de démissionner, et il allait avoir satisfaction, quand il mourut le 22 février 1918.

Il laissait quatre fils: Abd El-Ouadoud, né vers 1892; Hossin, né vers 1894; Mohammed Ahmed, né vers 1903, et Mohammed, né vers 1908, ainsi que plusieurs filles, mariées à des notables de la tribu.

Il fut remplacé par son fils aîné, Abd El-Ouadoud, que la djemaa élut à l'unanimité. Six mois ne s'étaient pas écoulés que la djemaa se réunissait à nouveau, destituait Abd El-Ouadoud pour insuffisance et nommait à sa place Ahmadou ould Habib (ould Mohammed ould Habib ould Amar ould Naïmat ould Bou Khiyar ould Youssef ould Atjfara). Né vers 1870, Ahmadou est le chef actuellement en fonctions.

Riches pasteurs, les Tagat ont été maintes fois, victimes des pillards du Nord. Pour ne rappeler que les derniers, ils ont vu leurs troupeaux enlevés en 1900 par les Oulad Bou Sba, et c'est le désir de les recouvrer qui les amena à Coppolani, les premiers de tout le Brakna, dès 1900. En fin 1906, pillage par les Oulad Delim, qui eut les conséquences relatées plus haut. Au début de 1907, nouveau pillage par les Oulad Bou Sba, à Aguiert. La garnison du poste fit une sortie, reprit les troupeaux volés et tua un des agresseurs.

2.—Fractionnement.

Les Tagat se divisent ethniquement en les fractions et sous-fractions suivantes:

Id Atjfara   Ahel Ceddiq
Ahel Bou Khiyar
Ahel Aouis
Oulad Atjfara
Ahel Taleb Brahim
Ahel Taleb Bou Maham
 
Id Aouach   Ahel Aoubak
Ahel Taleb Jeddou
Ahel Amarna Al-Mokhtar
Ahel Mokhtar (à Kiffa)
 
Id Eïneb   Ahel Taleb Ahmed
Ahel Taleb Mohammed

Ces fractions maraboutiques, agitées, inquiètes, intrigantes, se sont ingéniées à troubler leur situation ethnique. Elles se sont aujourd'hui reconstituées en cinq groupements (rekiz) que l'administration française a respectés, et qui sont:

a) Ahel Aouissat, formés surtout d'Id Atjfara, soit Aouissat, soit Taleb Brahim-Cheikh: Abd El-Ouadoud. Notables: Youssef ould Brahim et Abdou ould Ahmed; 73 tentes et 219 âmes.

b) Ahel Bou Khiyar, formés surtout d'Id Atjfara, soit Ahel Bou Khiar, soit Oulad Atjfara, soit Taleb Bou Maham.—Cheikh: Ahmed ould Abd Ed-Daïm.—Notables: Ahmeïdou ould Yali; Mokhtar ould Bak; Mounir ould Mohammed Maïna.—100 tentes et 670 âmes.

c) Ahel Ceddiq, formés d'Id Atjfara, surtout Ahel Ceddiq, et d'Id Aouach, surtout Amarna.—Cheikh: Mohammed Mahmoud ould Seïma.—Notables: Mami ould Mohammed Lamin; Manmoud ould Taleb Amar; Mohammed Mahmoud ould Sidi-l-Mokhtar.—71 tentes, et 236 âmes.

d) Id Aouach, comprenant surtout les Ahel Aoubak et Ahel Taleb Jeddou, qui sont ethniquement Id Aouach.—Cheikh: Mohammed ould Ahmeddou.—Notables: Mokhtar Fal ould Lamin; Mohammed ould Othman; Biraïm ould Bouna.—199 tentes et 578 âmes.

e) Ahel Taleb Mohammed, qui comprennent à peu près tous les Id Eïneb, c'est-à-dire non seulement la sous-fraction Ahel Taleb Mohammed, mais aussi l'autre: Ahel Taleb Ahmed.—Cheikh: Mohammed Limam ould Al-Hadj Ahmed; Taleb Ahmed.—Notables: Mohammed Mahmoud Abd El-Rali; Mounir ould Taleb Maham; Sidi-l-Mokhtar ould Lamin.—61 tentes et 233 âmes.

La tribu comprend au total 504 tentes et 1.986 âmes. Il faut y joindre quelques tentes de haratines, dont Thofeïl ould Aleïa est le chef.

Un campement: les Ahel Hadj ould Boudda, qui a été rattaché aux Id Eïneb, serait d'origine Bassin (zenaga). Leur ancêtre, étant allé à la Mecque, prit le nom de Hadj, et à son retour s'installa à Chogar-Tora, où, vivant en bons termes avec les hassanes, il donna naissance à une nombreuse postérité. Ce campement est dirigé depuis plusieurs années par un Tâmegati, d'origine Brahim ould Cheikh.

On trouve chez les Kounta de l'Azaouad un campement du nom de Tâgat, qui se prétend cousin des Tagat du Brakna. Il comprend cinq tentes, qui sont installées chez les Ahel Baddi, sous-fraction des Regagda.

La diversité des richesses pastorales des Tagat tendrait à provoquer de nouvelles scissions au sein de la tribu: les Id Atjfara, gens de chameaux, voudraient monter plus au nord, tandis que les deux autres fractions, propriétaires de bovins et de lougans, tendraient à rester dans la région des puits et des cultures.

Le cheptel comprend dans son ensemble: 4.280 bovins, 11.551 ovins, 270 chameaux et 613 ânes.

La marque générale de la tribu est le lam-alif ou le ⊥ qu'ils apposent généralement sur le cou. Le campement Oulad Eli n'utilise que le lam-alif et quelquefois le mim-ha. Beaucoup de fractions ont leurs contre-marques: les Ahel Ceddiq ba ba-alif ou >— les Ahel Taleb Brahim; les Ahel Taleb Khiar lam-kaf ⊥; les Ahel Mohammed Bou Khiar ain-dal-dal; les Ahel Eïneb lam mim-alif; les Aouissat >—<; les Ahel Cheikh ould Manni croix; etc.

Leurs terrains de parcours, avant notre arrivée en Mauritanie, étaient les suivants:

Pendant l'hivernage, l'Agan dans sa partie orientale, Letfotar, Touri Deilil, et Aguiert.

Pendant la saison sèche: Aguiert, Gaoua, Choggar-Gadel, Tindel et Lemaodou. Depuis 1896, époque à laquelle éclata la guerre entre les Abakak et les Oulad Nacer de Kiffa, ces derniers ravageant le pays, les Tâgât n'osèrent pas remonter plus haut qu'Aguiert. Pendant plusieurs années, ils nomadisèrent dans les mêmes points, mais n'allèrent plus dans l'Agan. Aujourd'hui leur territoire de nomadisation s'étend, en tout temps, entre Gaoua, Aguiert, Douira et le Tagant. Aguiert comporte une trentaine de puits de 5 mètres de profondeur. L'eau, qui ne s'épuise jamais, provient de l'oued par infiltration. Elle est excellente. Guelaïta Tindel, à 30 kilomètres au nord, est une grande mare, où l'eau est plus ou moins abondante, suivant les pluies, jusqu'en janvier; Letfotar, à 45 kilomètres au nord-est d'Aguiert, sur la route de Moudjeria, est un mauvais marigot qui tarit en janvier; Garouel, à 60 kilomètres du sud-est, est une grande source inépuisable, dans la barrière du Tagant, Gaoua Al-Aouidja, à 45 kilomètres au sud, comprend de nombreux puits de 5 mètres dans le lit de l'oued Gaoua: Ouazan, à 50 kilomètres au nord-ouest, comprend deux puits de 3 mètres, creusés dans la cuvette au pied du rocher. L'eau est assez abondante en toute saison. Dikel, Tiyegui, Tidiniakout, sur la piste d'Oujeft, ont de l'eau en toute saison. Tichilit, à 60 kilomètres au nord de Kreni, comprend plusieurs puits de 2 mètres dans la sebkha. L'eau y est saumâtre.

Les Tagat sont d'industrieux cultivateurs. En mars-avril 1911, ils ont construit une digue à Chogar Gadel pour faciliter l'inondation de leurs terrains de culture. Ces terrains sont à partager entre les Ahel Cheikh ould Menni et les Oulad Eli. Ils ont des plantations de palmiers à 2 kilomètres de la palmeraie d'Al-Moïlah et au confluent du déversoir de la tamourt de Gadel dans le Gorgol, au lieu dit Dakhfig. Très travailleurs, ils ne craignent pas de se mettre à la terre avec leurs haratines.

Ce sont en outre d'avisés commerçants. Ils passent pour les plus habiles trafiquants du cercle.

3.—La vie religieuse.

Les Tagat comptent au nombre des marabouts les plus pieux et les plus lettrés du cercle. Cette réputation semble s'être assise, au début du dix-neuvième siècle, avec le grand Cheikh Al-Ouali Sidi Mohammed ould Menni. Cette grande figure, semblable à celle de Cheikh Sidïa Al-Kabir ou de Cheikh Mohammed Fadel, qui vivaient vers le même temps, provoqua un renouveau de ferveur et d'instruction dans la moyenne Mauritanie (Tagant et haut Brakna). L'impulsion s'est continuée jusqu'à nos jours chez les Tâgât, bien que la fraction même du grand marabout, les Ahel Cheikh ould Medni, se soit détachée du corps de la tribu, et du Tagant, où elle est réfugiée, vive, dans les plus mauvais termes avec ses frères Tâgât.

Cheikh Al-Ouali ould Menni, qui était un qadri de l'obédience de Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, est mort vers 1850. Son tombeau, au dire de l'enseigne Bourrel, qui le visita en 1860, était très honoré. Il était gardé par un ermite, élève du marabout, qui vivait de la charité publique et des offrandes faites à son patron. Depuis lors, le gardien a disparu, mais ce tombeau qui se trouve à Taounïa, non loin de Guimi, est toujours l'objet de pèlerinages. Le Cheikh a laissé plusieurs enfants, dont l'étude ressortit au Tagant. Le plus connu d'entre eux fut Sidi Zin al-Abidin qui rompit définitivement avec les Tâgât à la suite de contestations multiples, et quelquefois sanglantes, au sujet des pâturages de la région. Il est enterré à proximité de la tamourt de Gadel, qui envoie des eaux vers le Gorgol, et son tombeau est visité même par ses ennemis.

La deuxième grande figure de la tribu est son ancien chef: Cheikh Ahmed Hadrami ould Mohammed Abd Ed-Daïm. C'était un des principaux telamides de Sidi Abd Allah ould Hadj Brahim, des Ida Ou Ali, et il exerça longtemps les pouvoirs de moqaddem qadri et chadli. Son tombeau, très vénéré, est une construction qui s'élève à Al-Aouija de Gaoua.

De ces deux Cheikhs relève un grand nombre de Tâgât. Les autres se partagent entre l'obédience qadrïa de Cheikh Sidïa et l'obédience multiforme, mais surtout tidjanïa, de Saad Bouh.

Les personnalités notoires de la tribu sont, à l'heure actuelle: a) Cheikh Abd Er-Rahman ould Omar Babana ould Taleb Ahmed, qui vient de mourir en 1916. Né vers 1868, il avait fait ses études chez Saad Bouh, et se soumit dès notre arrivée. Il était un des professeurs de renom de la tribu, et sa clientèle scolaire, à qui il enseignait surtout la théologie, se recrutait non seulement chez les Tagat, mais encore chez les Ahel Cheikh ould Menni, les Torkoz, et les Oulad Biri. Il recevait des aumônes de ces différentes tribus; b) Cheikh Ahmed Abou-l-Maali, fils de Cheikh Ahmed Hadrami précité (ould Ahmeddou ould Mohammed ould Abd ed-Daïm ould Taleb ould Khiyar ould Youssef ould Atjfara ould Tagat). Il est né vers 1902 et, malgré son âge peu avancé, joue déjà un grand pontife: Sa tête toujours inclinée, son air compassé, ses pieux et perpétuels ronrons assurent déjà son renom de piété. C'est au surplus un bon lettré; c) Cheikh Sidi ould Abd Er-Rahman ould Al-Maaloum, décédé en 1915. Né vers 1875, c'était un des bons élèves de Saad Bouh; il passait pour un excellent professeur et recrutait ses élèves non seulement parmi les Tâgât, mais encore chez les Chorfa du Gorgol, et les Id Ou Aïch du Tagant. Ses fréquentes tournées du Trarza au Tagant ne l'avaient pas enrichi; d) Mokhtar ould Oubba, chef des Ahel Bou Khiyar, riche et influent. Il a remplacé, au début de 1907, Mrabet parti à Tijikja; e) Ahmed ould Hamoïdié, ancien cadi. Ce personnage fort instruit avait reçu de Coppolani des promesses d'indemnité, qui, par la mort de ce dernier, ne furent pas tenues. Il en a conservé jusqu'à sa mort, survenue en 1914, une attitude boudeuse; f) Brahim ould Omar Babana, fils de l'ancien chef. Né vers 1870, il semble avoir définitivement abandonné l'attitude religieuse en licenciant son école et toute ambition politique en refusant la succession de son père. C'est un homme riche, intelligent et ouvert, qui se consacre tout entier au négoce et notamment au commerce des bestiaux. On le voit de Saint-Louis, à Tombouctou. Il fait les convois, effectue des fournitures, soumissionne aux appels d'offre; g) Abd Ed-Daïm ould Hachmi, intelligent, adroit et dévoué; il a été employé, dès le début, et notamment par Pein, comme guide et comme convoyeur. Il est susceptible de rendre encore des services.

Les campements-universités de la tribu sont, outre ceux des Cheikhs précités, qui s'adonnent à l'enseignement, les Ahel Taleb Brahim et les Ahel Mohammed Abd Ed-Daïm.

Les tombeaux visités sont ceux des Cheikh susnommés ainsi que les saints ancêtres (Çalihin), enterrés aux cimetières nationaux de Melzem al-Kouïma, Khouimet ad-Douigui; Aguiert Tindel; Sga. Ajouter celui de Mokhtar Ali, à Yougà.

On ne saurait omettre l'influence des marabouts tagat pour le développement de petites palmeraies locales.

Vers 1833, un marabout du nom de Ahmed ould Sidi Abdallah, des Aouïssat, défricha à Gaoua une grande étendue de terrain. Ayant pu pendant cinq ans obtenir une récolte abondante, il résolut de se fixer dans cet endroit. A cet effet, il creusa un puits de 5 mètres à Aouïja, tout près de Gaoua. Ce puits lui fournit une eau suffisante pour sa famille et ses troupeaux pendant les cinq années qu'il vécut dans sa propriété. Elle suffit aussi à ses enfants qui l'habitèrent pendant quinze ans après la mort de leur père.

Vers 1855, par suite de trois années successives de sécheresse, ces héritiers de Ahmed ould Sidi Abdallah, ayant en vain essayé de percer une énorme pierre qui défend l'accès de la nappe d'eau, furent obligés d'abandonner la propriété de leur père. Ce n'est que vers 1858 qu'un autre marabout, Cheikh Hadrami précité, vint s'installer à la place des enfants du premier occupant d'Aouija. Il fit venir de Kçar al-Barka une vingtaine de plants de dattiers et les planta à Gaoua; il put les arroser, grâce au peu d'eau qu'il trouva dans le puits creusé par ses prédécesseurs.

Le débit d'eau lui paraissant trop inférieur, il résolut coûte que coûte de percer la roche qui barrait le puits d'Aouïja. Il descendit alors à Saint-Louis où il acheta des outils plus perfectionnés que ceux dont il se servait habituellement. Après deux mois d'efforts vains, il dut se rendre compte de l'inutilité de son travail et l'abandonna. Il quitta Gaoua, comme l'avaient fait les héritiers d'Ahmed Sidi Abd Allah, mais ses dattiers ayant poussé, il y revenait de temps à autre pour les soigner et faire la récolte.

Les Maures, ne pouvant comprendre la présence de cette pierre au-dessus de la nappe d'eau d'Aouija, attribuent l'inutilité des efforts qui furent tentés à deux reprises différentes à l'intervention divine due aux prières de Cheikh Mohammed Zouin, des Ahel Babiya de Tinouajiou, demeurant chez les Kounta et ennemi de Cheikh Mohammed Hadrami. C'est parce que ce dernier marabout aurait maudit les entreprises que pourrait faire son rival, que celui-ci ne put faire mieux à son tour à Mbal, près de Ouazan, pour la construction d'un autre puits.

Malgré ce manque d'eau relatif, tout au moins pendant une partie de l'année, dix-sept des vingt dattiers fournirent une récolte abondante à Cheikh Hadrami et à ses fils jusqu'en 1896, date à laquelle ils durent abandonner leur palmeraie par crainte des pillages des Oulad Nacer.

Deux de ces dattiers seulement ont continué à donner des dattes de mauvaise qualité, les autres ayant été brûlés soit par les pillards, soit par un feu de brousse. Les héritiers des deux vivificateurs de Gaoua, Abou-l-Maali, fils de Hadrami, et Abdou et Sidïa, petit fils de Ahmed ould Sidi Abd Allah, n'élèvent aucune prétention au sujet de cette propriété.

Il serait à désirer que l'autorité française, qui est à l'abri des maléfices des marabouts brakna, tente à son tour de briser la fameuse pierre du puits d'Al-Aouija, et y réussisse. Ce serait une façon certaine de fixer les Tagat à Gaoua et le gage de la revivification par ces industrieux travailleurs d'excellents terrains à palmiers.

CHAPITRE XII
TOLBA TANAK.

Les Tolba Tanak (au sing. Tanaki) sont d'origine berbère avouée. Ils descendent des Id Ou Aïch par un nommé Aleïa ould Mohammedden ould Eli ould Mokhtar ould Gueïda ould Arouch ould Aboubak ould Amouin, qui serait venu habiter chez les Oulad Siyed, il y a une centaine d'années. Il eut de nombreux fils, dont deux, Mohammed Mahmoud et Mohammedden, sont bien connus. Ces enfants furent les ancêtres des Tolba Tanak.

Telle est la source principale du gros des Tanak, tant haratines que Tolba; mais il y a une autre tradition qui donne à un certain nombre de tentes une origine arabe; le nom même de l'ancêtre éponyme serait arabe, Tanak ayant été un fils ou plutôt un descendant d'Abd Allah, le chef hassani. Il est certain en tout cas que les Tanak se sont unis, au cours des générations, par de nombreux mariages avec les Oulad Siyed et les Oulad Mansour, et qu'ils sont donc incontestablement métissés de sang arabe.

C'est du temps de la conversion des Tolba Tanak que la scission avec leurs haratines s'effectua. Jusqu'alors les Tanak avaient été guerriers et incorporés aux Oulad Siyed. Quand ils voulurent se muer en Tolba, les Oulad Siyed ne les en empêchèrent pas, mais ils gardèrent leurs haratines. Cette fraction de haratines Tanak, qui a conservé son nom, est toujours fraction intégrante des Oulad Siyed.

Tolba Tanak et Oulad Siyed vivent toujours côte à côte et dans les meilleurs termes. Ils s'unissent très souvent par des liens matrimoniaux.

Les Tolba Tanak n'ont pas d'histoire. Faidherbe signale en 1858 que les Tanak se mettent au service du lam Toro pour intercepter les communications avec Podor. Il assure, sans autres explications, qu'il y mit facilement ordre. Depuis notre arrivée, un seul incident est à relater: en mai 1911, une véritable bataille s'engagea à propos d'une infraction à la coupe de bois qui avait été signalée par le chef et qui entraîna des mesures de répression. Haratines et Tolba mêlés se partagèrent en deux camps et à coups de pierres et de bâtons et se blessèrent grièvement. Le calme est revenu depuis lors.

Le chef de la tribu est Mohammed Mahmoud ould Sidi ould Mohammedden ould Aleïa. C'est un excellent homme, qui a toujours rempli ses fonctions sans bruit et avec ponctualité. Il n'est jamais parti en dissidence. Riche, et maître de nombreux clients, il est aimé et obéi par les siens.

Les principaux notables sont: Brahim ould Mohammed Mokhtar et Ahmeddou ould Younès.

Le taleb en renom de la tribu était Mokhtar Soufi, qui est mort en 1918. C'était un maître d'école très estimé. Il n'a pas encore été remplacé.

La tribu comprend 19 tentes et 88 âmes. Elle est riche de 73 bovins, 305 ovins, 3 chameaux et 10 ânes. Elle a comme marque la djaja patte de poule, apposée sur la cuisse gauche. Elle nomadise: en hivernage, dans l'Oued Katchi, du sud d'Aleg jusqu'à Chogar; en saison sèche, autour d'Aleg et de Mouit. Les Tanak vont cultiver à Maye Maye, où ils ont de beaux lougans de mil.


Mahfoudh,
Fils de Cheikh Saad Bouh.

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Toutes les tentes sont affiliées à l'obédience qadrïa. La plupart, comme celle du Cheikh, ont reçu cet ouird du Cheikh Sidi-l-Mokhtar ould Abd El-Jelil, des Tendra, qui par Cheikh Sidi ould Bou Bakar, de la même tribu, se rattachait à Cheikh Mostafa ould Al-Qadi, des Dieïdiba. Les autres se rattachent à la même source par un autre descendant de Cheikh Al-Qadi: Cheikh Mohammed Mahfoudh.

Les tombeaux visités sont ceux de leurs saints ancêtres (çalihin); à Aleg d'abord, où le plus notoire est celui d'Ahmed Fal ould Beraba, grand-père maternel de Mohammed Mahmoud; à Maye Maye ensuite, où les plus honorés sont ceux de Dib ould Aleïa et d'Ahmed Salem ould Younès.

CHAPITRE XIII
AHEL GASRI

Les Ahel Gasri sont une petite tribu de formation récente. Ils comprennent deux fractions d'origines différentes: a) les Oulad Al-Hadj ould Al-Gasri qui sont d'ascendance lointaine ida ou ali, et proviennent en dernier lieu de la fraction du même nom, comprise dans les Telamides de Cheikh Sidïa; et b) les Ahel Brahim Al-Adib, qui sont d'ascendance Oulad Ahmed, et se sont convertis et incorporés aux premiers, lors de leur arrivée dans le Brakna en 1913. Par la suite, quelques tentes Gasri, qui se trouvaient chez les Toumodek, ont demandé à venir se joindre à leurs frères.

Cette petite tribu, en formation dans le Brakna, comprend à l'heure actuelle 20 tentes et 93 personnes. Elle est riche de 22 chameaux, 50 ânes, 191 bovins et 700 ovins. Elle a pour marque le sur la hanche droite, mais beaucoup ne l'utilisent pas.

Il y a peu d'années encore, certaines tentes nomadisaient de préférence dans la région de Mal, tandis que d'autres allaient dans la région de Bir Al-Barka. Aujourd'hui, ils sont groupés, et vont en hivernage entre Chogar et Chogar-Gadel; en saison sèche, à l'ouest de Chogar.

Le chef de la tribu est Mohammed Al-Hassan ould Noureïn (les deux lumières) personnage de peu d'importance.

La djemaa se compose de Brahim ould Salek; Sidi Mohammed ould Al-Kaouri; Mohammed Lamin ould Mokhtar; Mahmoud ould Abd Er-Rahman.

L'ouird tidjani est pratiqué par tous. C'est le fait de l'importation des tentes d'origine ida ou ali.

CHAPITRE XIV
Draouat.

Les Draouat (au sing. Draoui) sont une petite tribu, dont l'autonomie est récente. Leur ancêtre est un certain Al-Qassem Ad-Draoui, c'est-à-dire originaire de l'Oued Dra, qui serait venu à Chogar dans le courant du dix-huitième siècle. Il se promena de Chogar à Guimi et à Aleg, épousant des femmes locales et se constituant un petit campement, qui vécut par la suite, tantôt chez les Dieïdiba, tantôt chez les Oulad Ahmed, tantôt chez les Oulad Biri, tantôt et fort longtemps chez les Euleb.

A notre arrivée, ils s'étaient partagés entre les Dieïdiba et les Oulad Biri. Le groupement campé avec les Oulad Biri fait toujours partie de cette tribu et comprend une soixantaine de tentes, qui comptent parmi les telamides de Cheikh Sidïa. Le groupement campé chez les Dieïdiba s'en est détaché en 1914 et s'est vu accorder son autonomie.

Le chef de tribu est Cheikh ould M'hamdi ould Sidi-l-Mokhtar ould Mostafa ould Sidi ould Beïdiba ould Al-Qassem. La djemaa est composée de Mohammed Mokhtar ould Tolba; Sidi Lamin ould Othman; Ahmed ould Hamenni; Abd Allah ould Amar Oummar.

La tribu comprend 18 tentes et 158 personnes. Elle est riche de 251 bovins, 639 ovins et 25 ânes. Ses marques sont soit le habara qu'elle appose sur la cuisse gauche, soit le qaf des Dieïdiba, apposé sur la cuisse droite.

Elle nomadise en hivernage entre Aleg et Lemaoudou, dans l'Oued; en saison sèche, au nord-ouest du lac d'Aleg et à Chogar.

L'obédience prédominante est celle de Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Mostafa, qui par son père et par son grand-père se rattache au Cheikh Mostafa ould Cheikh Al-Qadi. Plusieurs individus se réclament aussi de l'ouird de Cheikh Sidïa.

Les maîtres de renom sont: Mahfoudh ould Tolba pour le premier degré, et Sidi Lamin ould Othman pour l'enseignement supérieur.

Les Draouat honorent les tombeaux de leurs ancêtres, à Tifagag, Kreïmi, et Taïert al-Melaïzmat, ainsi que ceux des Dieïdiba.

CHAPITRE XV
TACHOMCHA

Les Tachomcha du Brakna sont une petite colonie de la grande confédération du même nom, florissant dans le Trarza sous le nom d'Oulad Dimân, Id Eïqoub et Oulad Barik Allah. Ils sont originaires des Id Atjafara (Oulad Dimân); leur arrivée dans le Brakna ne remonte qu'à 1906, année où la misère les chassa de leur pays.

Cette petite fraction de 10 tentes et 46 personnes a gardé son autonomie administrative, encore qu'elle marche dans le sillage des Aouïssat (Tagat). Elle nomadise en tout temps entre Douaïa et Aguiert.

Elle est riche de 15 bovins, 745 ovins, 2 chameaux et 12 ânes.

Le chef de fraction est Mohamed Oulad Mokhtar ould Mohammed Ahmed. La djemaa comprend en outre les nommés Cheikh ould Mohammed; Mohammed Mokhtar ould Ahmed Dadi; Mostafa ould Sidi, qui sont aussi les savants les plus notoires.

CHAPITRE XVI
BEHAÏHAT

1.—Historique.

Les Behaïhat (au sing. Behaïhi) sont des Berbères qui, par-dessus leur origine çanhadjïa, prétendent se rattacher aux Ansar. Leur habitat était l'Adrar Tmar, où ils vivaient comme tributaires dans le sillage des Oulad Ammoui. Chaque événement politique de cette région troublée, et notamment chaque décès d'émir, avec les compétitions de zenaga qu'il entraînait, était pour eux une source de brimades et de pillages, si bien qu'ils finirent par abandonner leurs maîtres et par descendre par petites fractions vers le Sud. Du Tagant, où ils séjournèrent quelque temps, ils vinrent jusque dans le haut Brakna, où on les trouve aujourd'hui. La première de ces migrations, dont la date nous soit bien connue, est celle des Ahel Atrous, qui suivit la mort du grand émir Ahmed ould Aïda (vers 1858). Un quart de siècle plus tard, lors des troubles, qui suivirent la mort de l'émir Ahmed ould Mohammed ould Ahmed Aïda, trois autres sous-fractions vinrent rejoindre les Ahel Atrous. Vers 1900, à la mort d'Ahmed ould Sidi Ahmed, quatre campements se mettent en marche. Entre 1903 et 1905, nouveau départ de quatre campements: deux tout d'abord lors du décès d'Ahmed ould Sidi-l-Mokhtar, puis deux lorsqu'on apprit l'arrivée de Coppolani dans le Tagant.

Les Behaïmat furent en effet des premiers à se soumettre. Ils avaient, il est vrai, suivi tout d'abord les Ahel Soueïd Ahmed, tente princière des Id Ou Aïch, leurs nouveaux protecteurs, dans leur recul vers l'Assabat, mais ils les abandonnèrent presque aussitôt et vinrent faire leur soumission à Mouit et à Mal. Ils furent autorisés à nomadiser dans cette région et cessèrent définitivement de remonter vers le Tagant, à la saison des pluies.

Lorsque Gouraud arriva dans l'Adrar, quelques tentes Behaïhat, qui nomadisaient encore entre Tagant et Adrar, demandèrent et furent autorisées à se joindre à leurs parents du Brakna (1908). C'est ainsi que s'est constituée l'actuelle tribu des Behaïhat du Brakna. Le reste de la tribu habite toujours l'Adrar.

Zenaga incultes, et au surplus émigrés du gros de la tribu, les Behaïhat du Brakna ne possèdent aucune tradition historique. C'est sans doute dans les campements de l'Adrar qu'on pourra avoir quelques renseignements à ce sujet. Ils savent simplement que leur ancêtre éponyme était un certain Behih, qui laissa cinq fils: Othman, Ferzouz, Haïmed, Samba et Merzoug, ancêtres éponymes à leur tour des cinq fractions ethniques de la tribu: Athamna, Fraziz, Oulad Haïmed, Oulad Samba et Oulad Merzoug. Par suite des événements relatés plus haut, ces cinq fractions se sont entremêlées avec le temps et on ne les retrouve pas aujourd'hui dans cette forme.

Les Behaïhat étaient, ces dernières années, en perpétuel désaccord avec les Torkoz et les Touabir. Ces conflits proviennent surtout de ce que les Behaïhat sont à cheval sur les trois cercles de Brakna, du Gorgol et de l'Assaba. On envisagea un moment de leur imposer l'obligation de nomadiser en hivernage sur la rive gauche du Kraa al-Asfar, de Digguet Mémé à Aleg; et pendant la saison sèche, près du poste même. Mais ces projets n'eurent pas de suite. Un règlement, intervenu en mars 1914, prescrit à tous les Behaïhat de rentrer au Brakna et leur a indiqué la limite exacte du cercle qu'ils ne doivent pas franchir. Toutefois, après entente avec le cercle de Gorgol, ils ont l'autorisation de boire aux Ogol nord-ouest de Mouit.

Cette réglementation a bien souffert quelques accrocs. C'est ainsi qu'en décembre 1916, les Behaïhat ont dû, à la suite d'une bagarre, payer une forte dïa à M'Bout. Ils sont d'autre part toujours soumis à des rafer vis-à-vis de l'émir de l'Adrar et n'arrivent pas à s'en racheter.

2.—Fractionnement.

A notre arrivée, le Cheikh de la tribu était Omar ould Omar Ketch. Son rôle était difficile. Il n'avait que peu d'autorité par lui-même, obligé qu'il était de tenir compte des deux fortes personnalités, Eli et Fedila ould Ahmed Atrous. Il devait de plus ménager les gens de l'Adrar,—nos ennemis,—dont il était tributaire et qui pouvaient nuire à ses contribuables, restés sous leur autorité. Il fut remplacé à sa mort, vers 1910, par Brahim ould Omar Ketch.

Brahim assura son service assez correctement, mais sans grande énergie devant les pillards, et sans grande autorité pour maintenir ses gens dans l'ordre. Il se signala surtout par d'excellents recensements qui amenèrent une forte plus-value d'impôt. Toujours malade, il dut, au début de 1918, donner sa démission. Il voulut faire nommer à sa place son neveu Ahmed ould Sidïa ould Sidi ould Omar Ketch, mais la djemaa ne le suivit pas dans cette voie et élut Sidi ould Al-Falli (3 mai 1918). C'est ce dernier qui est actuellement le chef de tribu.

Les Dieïdiba de Brakna comprennent cinq sous-fractions:

Ahel Omar Ketch 66 tentes 277 personnes
Ahel Ahmed Atrous 43 —— 174 ——
Ahel Al-Falli 52 —— 195 ——

Soit au total 238 tentes et 905 personnes. Dans ce nombre sont comprises quelques tentes chorfa, installées à demeure chez les Behaïhat. Les personnalités importantes sont: 1re sous-fraction: Cheikh Ahmed ould Omar Ketch, Sidi ould Omar Ketch, Eli ould Barhoun; 2e sous-fraction: Cheikh Eli ould Ahmed Atrous, Mohammed ould Miloud, Mohammed ould Brahim; 3e sous-fraction: Cheikh Sidi ould Al-Falli, Mohammed Saloum ould Al-Falli, Isselmou ould Barhoun; 4e sous-fraction: Cheikh Ahmed ould Baba ould Jériou, Mohammed ould Aïda, Naji ould Jérima; 5e sous-fraction: Cheikh Omar ould Omar, Maqam ould Touijer, Maham ould Gheraba.

Le cheptel de la tente comprend 586 bovins, 21.125 ovins, 28 camelins et 644 ânes. Les gens n'ont généralement pas de marques. Quelques-uns ont pourtant emprunté le feu de leurs voisins Torkoz et Tagat.

La zone de parcours est autour de Chogar Gadel, en hivernage; et l'est de Mal, en saison sèche.

Les Behaïhat de Brakna ont conservé de bonnes relations avec leurs contribules de l'Adrar. Ils leur donnent asile lorsque ceux-ci viennent dans le Sud pour se réapprovisionner en mil. De plus, à la période de récolte des dattes, ceux du Brakna vont dans l'Adrar et n'en reviennent qu'avec une ample provision de ces fruits.

Cette tribu est réfractaire à toute idée de commerce. Aussi, pour ses achats et pour la vente de ses animaux, a-t-elle recours à un intermédiaire, généralement Tagat ou Torkoz.

Zenaga guerriers, les Behaïhat ont le sentiment islamique aussi développé que leurs anciens maîtres hassanes. Ils ne se livrent à aucune pratique et ne reçoivent pas l'ouird, sauf quelques rares individualités, qui se réclament de l'obédience de Saad Bouh. Ils n'ont chez eux aucun maître d'école attitré. Quelques tentes envoient leurs enfants quérir un rudiment d'instruction chez les marabouts voisins Tagat ou Torkoz.

On ne peut pas abandonner les Behaïhat sans dire quelques mots d'une petite fraction d'origine arabe, les Oulad Bou Lahia, qui, après un séjour de quelque durée dans le Sud mauritanien, est repartie vers l'Adrar, laissant ici quelques tentes.

Ces Oulad Bou Lahia appartiennent au groupe hassane des Merafra. Lors de sa scission, ils restèrent en entier dans l'Adrar. Ils quittèrent par la suite ce pays, pour venir habiter dans le Tagant près des Chratit, leurs partisans. C'est là qu'ils vivaient lors de notre arrivée en Mauritanie. Ils firent leur soumission en 1904 à M'Bout, si tant est que leur retour individuel et effacé puisse être considéré comme une soumission, puis ils quittèrent le cercle du Gorgol, pour venir s'installer dans le Brakna, sans prévenir ni le commandant de cercle du Gorgol, ni celui du Brakna.

Dix tentes seulement restèrent dans le Brakna; 3 avec les Oulad Bou Sif, 2 avec les Behaïhat, et 5 choisirent un des leurs, Mohammed Lamin ould Al-Kouaïri, comme chef autonome. Il repartit du reste à son tour pour l'Adrar, quelques années plus tard. Les trois tentes qui ne le suivirent pas demandèrent à se retirer, une chez les Behaïat, et deux dans le campement de Sidi Mohammed Bekkaï des Kounta. En un mot, cette tribu a disparu du cercle et les tentes isolées qui sont restées sont partagées entre les Behaïhat et les Kounta.

Les Oulad Bou Lahia étaient réputés comme les plus pillards de tous les Maures et les plus impitoyables; aussi étaient-ils l'objet du mépris et de la haine de tous.

«Que Dieu les maudisse!» telle est l'expression qui est prononcée, dès que le nom de cette tribu est cité ainsi du reste que celui de leurs parents, les Oulad Talha du Tagant. Bon sang arabe ne saurait mentir. Ils ont été longtemps les guides des rezzous dans la région.

CHAPITRE XVII
SOUBÂK

Les Soubâk (au sing. Soubâki) ont des origines très mêlées. Le gros de la tribu est constitué par des zenaga Oulad Normach, qui sont venus se grouper autour d'un chef religieux émigré. D'autres éléments maraboutiques sont venus ensuite s'adjoindre à la tribu naissante. C'est une formation qui ressemble singulièrement à celle des Kounta.

On distinguera donc chez les Soubâk trois éléments:

1o Des zenaga Oulad Normach, surtout d'origine Touabir Al-Kohol, et peut-être aussi des zenaga Oulad Siyed, provenant de chez les Ahel Oubba. La tradition rapporte que ces Berbères prirent part à la lutte des marabouts contre les hassanes et furent vaincus avec eux à la journée de Tin Fefdadh, qui mit fin au Cherr Babbah (1674). C'est à un campement de ces zenaga que les Soubâk devraient leur nom; Soubâk ou Soubâka, qui est enterré au nord de Tamerzguid, où ces gens vivaient alors. Le chef actuel, Brahim Salem, descend de Soubâk: Brahim Salem ould Mohammed Mokhtar ould Abd Er-Rahman ould Al-Kherrachi ould Taleb Amar ould Adyé ould Ibennan ould Soubâka.

2o Un grand marabout, d'origine d'Id Eïqoub, Mahaouam ould Ioqob, qui survint chez les Soubâk au début du dix-neuvième siècle et dont le renom de vertu et de piété attira les campements dispersés de cette tribu. Par lui elle se reconstitua politiquement et se transforma de zenaga en tribu maraboutique. La horma n'en restait pas moins due d'ailleurs au suzerains Oulad Normach, et la situation s'est maintenue telle jusqu'à nos jours. Ce Mahaouma (Mohammed) a été enterré à Nouakil, aujourd'hui territoire Oulad Biri. Sa tente est représentée actuellement par Mohammed Mahmoud ould Mohammed Abd Allah, dit Al-Ouali, ould Mohammed ould Sidi-l-Falli ould Abd Allah ould Mahaouma.

3o Plusieurs tentes étrangères aux Soubâk, et notamment des Id Eïqoub, qui, attirés par la réputation de Mahaouma, sont venues vivre en telamides auprès de lui, puis, avec le temps, se sont fondues dans la tribu.

Sous l'ancien régime, les Soubâk vécurent partagés en deux groupements autonomes; l'un, groupement à chameaux, vivait dans le Nord aux puits de Toumbousseri, Al-Mouirja, Tin Ouissé, et aux mars d'Isefag, Aghmourat et Bou Zeriba, où ils faisaient de belles cultures. On lui donne le nom de Soubâk Sahelïin. Le groupement à bœufs vivait dans le Sud et en portait le nom (Soubâk Cherguïin). Ils faisaient leurs cultures dans le Chamama. Les pillages des Regueïbat et Oulad Bou Sba eurent pour effet de rapprocher les deux tronçons qui menaçaient de se constituer en unités indépendantes. Les Soubâk Sahelïin durent se réfugier plusieurs années (1904-1906) dans le Chamama. Quand ils purent rentrer dans l'Agan, ils n'oublièrent pas le chemin du Chamama et chaque année, depuis ce temps, on les y voit revenir. Réciproquement, certaines tentes des gens du Sud remontent vers le Nord avec leurs cousins.

Le fractionnement des Soubâk s'établit ainsi:

  • Oulad Ibennan.—Chef: Diyna ould Mohammed Cheikh.
  • Ahel Haïb Allah.—Chef: Mohammed Lamin ould Hambli.
  • Haratines.—Chef: Mohammed ould Birou.

Les Ahel Haïb Allah sont sortis des Oulad Ibennan, Haïb Allah étant un fils d'Ibennan. Les haratines appartiennent en très grande majorité aux Oulad Ibennan.

La tribu comprend 91 tentes et 543 âmes. Elle est riche de 95 chameaux, 201 ânes, 710 bovins, 2.415 ovins. La marque générale des bœufs est le lam-alif qu'on contremarque, suivant les campements, des trois façons suivantes lam-alif avec croix  lam-alif avec «,»  lam-alif. Pour les chameaux on utilise les deux feux croix ou sad-ha. Tous ces feux s'apposent sur la cuisse droite.

Les territoires de nomadisation de la tribu sont: en hivernage, l'Aftout et l'Akel; Oued Katchi, Guimi, Kreïmi; en saison sèche, Hasseï el-Ma, Guimi et Chogar.

A notre arrivée, le chef de tribu était Biyni (Mohammed Al-Mokhtar) ould Mohammed Cheikh. Il fut, quinze ans durant, un chef convenable et paisible, mais sans grande autorité. Au début de 1918, malade et incapable d'assurer son service, il fut, sur ses demandes réitérées, relevé de ses fonctions. La djemaa lui donna comme successeur, le 3 mai 1918, son cousin Brahim Salem ould Mohammed Mokhtar. Né vers 1860, c'est un homme ouvert, intelligent et sympathique.

Les Soubâk sont considérés comme une fraction de professeurs. Tous leurs maîtres—et ils sont au moins une quinzaine—sont très réputés. Autour d'eux se pressent des étudiants de tout le Brakna, et même du dehors, tels les Larlal. Les tentes les plus notoires sont celles de Mohammed Mahmoud précité, descendant de Mahaouma; Mohammed Sidi ould Lamin Fal; et Sidi Ahmed Bekkaï ould Ahmed Meska.

Dans son ensemble, la tribu relève de l'affiliation qadrïa. L'obédience la plus répandue est celle du Cheikh Mohammed Mahmoud ould Cheikh Mohammed ould Mohammed Lamin, des Hijaj, qui, par Cheikh Sidi Mohammed ould Manni, relève de Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba. On trouve encore quelques telamides des Kounta, quelques autres de Cheikh Sidïa, et de moins nombreux encore de Saad Bouk.

A signaler enfin deux ou trois Tidjanïa, adeptes des Ida Ou Ali.

Un personnage, de peu d'envergure d'ailleurs, Cheikh Al-Khalif ould Mohammed Fal, a fait parler de lui, il y a quelques années. Il s'attribua de lui-même le titre de Cheikh et eut, pendant un certain temps, une grande vogue. Puis des discussions surgirent; on lui contesta son titre; comme il faisait ouvertement pratique de magie, certaines personnes attribuèrent à ses maléfices la mort de leurs parents. Bref son ardeur, baissant avec l'âge, il a mis une sourdine à son action, et se tient tranquille chez lui.

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