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Histoire de la civilisation égyptienne des origines à la conquête d'Alexandre

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Peinture

La polychromie était de règle pour la statuaire; il en était de même pour les bas-reliefs qui devaient tous être peints de couleurs vives. Dans les tombeaux très anciens, comme ceux de l’époque de Snefrou, qui sont encore construits en briques, des peintures sur enduit remplacent les bas-reliefs, reproduisant en teintes plates les mêmes scènes que nous avons l’habitude de voir sculptées et enluminées dans les autres tombes de l’Ancien Empire. La manière primitive de décorer ces monuments était donc, à n’en pas douter, la peinture, et le bas-relief coloré n’est que le développement normal de celle-ci, résultant du besoin de la rendre plus durable en la reportant sur pierre et en dégageant du fond chaque figure, chaque objet représenté; le bas-relief, avant de devenir un art en soi, n’était que le support de la peinture. Rien de plus naturel dès lors que de retrouver dans les scènes peintes les mêmes compositions que dans les reliefs, avec les mêmes variantes d’interprétation. Les procédés sont très simples: les couleurs minérales délayées dans de l’eau, additionnée d’une sorte de gomme, sont étendues en teintes plates sur un enduit sec, au moyen d’un pinceau; un trait plus foncé sertit les figures; les détails étaient ajoutés après coup quand ils étaient plus foncés, réservés quand ils étaient blancs. Les peintures de Dahchour et de Meïdoum, qui datent du commencement de la IVme dynastie, nous montrent les artistes égyptiens déjà en pleine possession de leur métier, et il est certains de leurs panneaux qui sont pleins de vie, de mouvement et de délicatesse. Pendant un certain temps on négligea complètement la peinture pour la sculpture, et nous ne trouvons des tombeaux peints sur enduit qu’en province, presque jamais dans la capitale; ce n’est que plus tard, sous le Moyen et le Nouvel Empire, que cet art reprendra un nouvel essor et accaparera de nouveau la décoration intérieure des sépultures.

Peinture d’un tombeau de Meïdoum
Fig. 129. Peinture d’un tombeau de Meïdoum
(d’après une photographie de E. Brugsch-Pacha).

Objets usuels

Depuis quatre ou cinq mille ans, les tombeaux de l’Ancien Empire résistent victorieusement aux atteintes du temps et ils sont arrivés jusqu’à nous avec leur décoration peinte ou sculptée, dans un état de conservation très satisfaisant. Les violateurs de sépultures ne les ont cependant point épargnés; dans l’antiquité déjà ils les ont visités, ils sont descendus dans tous les caveaux funéraires, dans ceux des rois comme dans ceux des simples particuliers, franchissant les obstacles les plus sérieux, et ont pillé consciencieusement tout le mobilier funéraire. Seules les statues de serdab qui ne pouvaient avoir aucune valeur pour eux furent laissées dans leur cachette, ainsi que les tables d’offrandes, grandes dalles sculptées devant la stèle fausse-porte. Les meubles, les armes, les outils, les vêtements, les bijoux, tous les objets usuels, en un mot, ont disparu et nous ne les connaissons que par les représentations des reliefs et des peintures, représentations qui du reste sont souvent très suffisantes. Les seuls objets qui nous soient parvenus sont des vases en pierre ou en terre qui ne présentent pas avec ceux de la période précédente des divergences très marquées.


Inscriptions

Depuis les dynasties thinites, époque où on ne l’employait qu’avec parcimonie, l’écriture a fait d’immenses progrès; elle est définitivement constituée, régularisée et ordonnée. C’est un instrument parfait en son genre, bien qu’un peu compliqué, capable d’exprimer toutes les nuances de la pensée, dans tous les domaines, et qui a en même temps un caractère décoratif très marqué permettant de l’employer à l’ornementation des monuments, soit isolément, soit à côté des représentations figurées, pour les compléter, les équilibrer et les expliquer. Quelques lignes d’hiéroglyphes, sur un objet quelconque, suffisent à faire de lui un objet d’art, tant cette écriture est belle par elle-même.

Panneau de Hosi
Fig. 130. Panneau de Hosi
(d’ap. Mariette. Album du Musée de Boulaq, pl. XII).

L’écriture hiéroglyphique, en même temps utilitaire et ornementale, avec ses combinaisons de caractères alphabétiques, syllabiques et idéographiques, paraît à peu près sur tous les monuments de l’Ancien Empire, dans les tombeaux en particulier où nous l’avons vue se mêler aux bas-reliefs, s’incorporer à eux. Ce sont en général de courtes phrases, mises dans la bouche des personnages représentés dans la scène; ainsi il n’est pas rare de voir un ouvrier dire à son voisin: «tâche de te dépêcher» ou: «fais attention à ce que tu fais»; un moissonneur boit à même une cruche de bière en s’écriant: «ah! que c’est bon!» ailleurs c’est la chanson des laboureurs qui travaillent dans le terrain encore inondé: «Le piocheur est dans l’eau, parmi les poissons; il cause avec le silure, il échange des saluts avec l’oxyrhinque.» En d’autres parties de la tombe, à l’entrée, et surtout sur la stèle fausse-porte, on trouve le nom du mort, avec ses titres et de courtes formules adressées à divers dieux comme Osiris et Anubis, et plus loin la grande liste d’offrandes disposée en tableau. Dans les souterrains des tombes royales on voit, à partir d’un certain moment, les longs textes religieux se dérouler en colonnes serrées, et couvrir d’immenses surfaces de parois. J’ai déjà parlé des inscriptions historiques ou plutôt biographiques où un haut fonctionnaire raconte les péripéties de sa carrière et qui sont si précieuses pour nous; il faut encore signaler certains textes officiels, gravés sur pierre, des décrets du roi en faveur de certains temples, instituant des privilèges spéciaux, et nous aurons une idée générale de ce qu’il y avait sous l’Ancien Empire en fait d’inscriptions monumentales.

Pour des compositions de longue haleine, des ouvrages scientifiques, médicaux, théologiques ou littéraires et sans doute aussi déjà pour la correspondance, on employait une autre matière que la pierre et une autre écriture que les hiéroglyphes. Les tiges de papyrus décortiquées, développées et écrasées, fournissaient des feuilles qui étaient pour les Egyptiens ce qu’est pour nous le papier, feuilles qu’on réunissait bout à bout pour en faire de longs rouleaux; au moyen d’un roseau taillé en pointe ou en pinceau, on y écrivait à l’encre en caractères cursifs qui sont une abréviation des hiéroglyphes et auxquels nous donnons le nom d’écriture hiératique. Cette écriture est disposée soit en colonnes verticales, soit en lignes horizontales écrites de droite à gauche. Vu la fragilité de la matière employée, il ne nous est parvenu que bien peu de manuscrits de l’Ancien Empire, assez toutefois pour que nous puissions juger que la méthode employée ne différait en rien de celle des époques postérieures.

C. CIVILISATION

Royauté et Gouvernement

Bien que fils des dieux et dieu lui-même, le roi d’Egypte n’est pas, comme dans beaucoup de monarchies orientales, un despote paresseux et cruel, invisible au fond de son palais; il ne se borne pas non plus à donner tous ses soins à ce qui doit être la grande œuvre monumentale de son règne, la construction de son tombeau. Il s’occupe activement et personnellement de son pays et de son peuple, il dirige lui-même toute l’administration, choisit les fonctionnaires, récompense les plus méritants, rend la justice. Il exerce sur ses sujets une activité bienveillante et semble être vraiment, pour l’Ancien Empire tout au moins, le «dieu bon», selon une des épithètes qu’on lui décerne le plus fréquemment. A côté de cela il trouve encore le temps de s’occuper de science et de composer lui-même des ouvrages de médecine ou de théologie. A l’exemple de leur père, les princes ne restent pas inactifs, ils font l’apprentissage du pouvoir en occupant dès leur jeune âge des postes importants dans l’administration.

La maison du roi se compose d’une foule d’officiers de toute sorte, préposés les uns à la toilette, aux vêtements, aux parfums, les autres à la nourriture ou à la boisson, et de prêtres spéciaux attachés à la personne royale, ainsi que d’une garde du corps.

Le roi n’est pas seul à assumer le pouvoir, il a sous ses ordres une administration compliquée et d’origine très ancienne; les fonctionnaires sont nombreux et se présentent à nous chacun avec une série de titres dont nous ne parvenons pas à découvrir l’exacte signification, mais qui montrent qu’un individu pouvait cumuler des charges de natures très diverses, religieuses, militaires, civiles et judiciaires. Ceux de ces personnages que nous connaissons le mieux sont naturellement ceux qui entouraient le roi de plus près et dont les tombeaux sont voisins du sien, les vizirs, les grands juges, les grands prêtres, les fonctionnaires de l’administration centrale. A côté et au-dessous d’eux il y avait la foule des fonctionnaires provinciaux. L’ancienne division politique du pays en clans ou tribus avait donné naissance, une fois l’œuvre d’unification accomplie, à un certain nombre de provinces ou nomes qui eurent chacun son administration propre, sous le contrôle du pouvoir central. Sous des rois dont l’autorité s’exerce sans contestation, cette organisation intérieure doit avoir ses avantages, mais si le sceptre tombe en des mains plus faibles elle ne peut que favoriser le démembrement du pays; nous avons vu que c’est en effet ce qui arriva: la naissance et le développement progressif de la féodalité, puis les rivalités des familles les plus puissantes et les luttes intestines, amenèrent la fin de l’Ancien Empire.

Le haut gouvernement des nomes était donc un pouvoir féodal, très probablement entre les mains des descendants directs des anciens chefs de tribus. Quant à l’administration proprement dite, elle n’était pas le privilège d’une caste spéciale, mais était ouverte à tous; il suffisait d’avoir une bonne instruction, d’être scribe, de se montrer intelligent et habile, pour pouvoir atteindre à n’importe quelle fonction. Nous avons l’exemple de personnages d’humble extraction commençant par les charges les plus modestes pour monter progressivement aux plus hautes positions du royaume.

Les prêtres pouvaient cumuler des fonctions civiles et des charges sacerdotales; ils pouvaient aussi, semble-t-il, se recruter parmi toutes les classes de la population et ne formaient pas une caste à part. Le roi était de droit souverain pontife de tout le pays et les grands seigneurs héréditaires étaient en même temps les grands prêtres des sacerdoces de leurs nomes.

Nous avons donc, dans l’Egypte de l’Ancien Empire, un mélange extrêmement curieux de tous les modes de gouvernement: en haut, une monarchie absolue et théocratique, au-dessous une aristocratie héréditaire, féodale et terrienne, et enfin, tant pour les provinces que pour l’ensemble du pays, une administration accessible à tous, tenant en même temps de la démocratie et du mandarinat et ayant un caractère sacerdotal très marqué. Comment fonctionnaient tous ces rouages qui nous paraissent si peu compatibles les uns avec les autres? Nous ne pouvons nous en rendre compte d’une manière très précise, mais les résultats montrent que ce système de gouvernement n’était pas mauvais puisque non seulement il subsista pendant les longs siècles que dura l’empire memphite, mais encore fut repris au Moyen et au Nouvel Empire avec certaines modifications.


Relations extérieures

Les objets remontant à l’Ancien Empire sont si peu nombreux qu’il ne faut pas s’étonner si l’on n’en retrouve pas qui portent la marque d’une importation étrangère. Les relations commerciales avec les pays environnants, par terre comme par mer, ne s’étaient cependant pas interrompues, bien au contraire; on consommait beaucoup d’encens en Egypte, surtout pour les besoins du culte; or l’encens ne pouvant provenir que du sud de l’Arabie, de la côte des Somalis, du pays de Pount, comme on appelait ces régions, il devait donc arriver en Egypte par la Mer Rouge. Les mines du Sinaï ne sont pas assez riches en cuivre pour avoir pu fournir tout celui qu’on employait sous l’Ancien Empire, aussi est-il des plus probable que déjà à ce moment-là on le faisait venir de Chypre, comme aux époques suivantes. Le commerce, plus facile encore avec la Syrie, était sans doute plus développé de ce côté-là. Les pharaons avaient du reste sur cette contrée, ou du moins sur sa partie méridionale, certaines prétentions de suzeraineté, et nous les avons vus y envoyer à diverses reprises des expéditions armées. Le plus souvent ces expéditions remportaient des succès sur les indigènes et ramenaient un riche butin, pris par la force ou acquis par voie d’échange, mais parfois aussi elles échouaient piteusement, et se faisaient massacrer dans un guet-apens.

Le Soudan et la Nubie n’étaient pas encore soumis, mais le gouvernement égyptien, qui recrutait des mercenaires parmi les tribus de ces régions, les considérait un peu comme des vassales et leur envoyait souvent de petites expéditions à demi militaires, à demi commerciales, chargées de recueillir l’allégeance des chefs et si possible un tribut, d’assurer la sécurité des routes et le respect du nom de l’Egypte, et de faire aboutir des opérations fructueuses par voie d’échange. Ces expéditions étaient le plus souvent dirigées par les gouverneurs du sud, les résidents égyptiens à Eléphantine, qui avaient la garde de la frontière: ces hauts fonctionnaires s’appliquèrent à laisser à la postérité le récit plus ou moins détaillé de leurs diverses missions. Ainsi nous voyons Herkhouf s’acquérir la faveur du roi pour lui avoir ramené du centre de l’Afrique un nain qui devait le divertir par ses danses bizarres: ce roi était Pepi II, alors encore un tout petit enfant.


Famille

Du haut en bas de l’échelle sociale, l’organisation de la famille a un caractère tout patriarcal, empreint de liberté, de bienveillance et d’intimité. Il suffit de jeter les yeux sur les nombreux groupes familiaux, bas-reliefs ou statues, pour juger des relations tendres qu’avaient entre eux époux, parents et enfants: on voit souvent la femme assise sur le même siège que son mari, ou debout à côté de lui, passant le bras autour de son cou tandis qu’il l’enlace étroitement et que les enfants se pressent autour d’eux. L’homme est le chef incontesté de la famille, il la dirige, la protège, la groupe autour de lui, sa vie durant; quant à la femme, elle jouit d’une position très privilégiée, en regard des autres femmes d’Orient: elle n’est pas enfermée dans un harem, elle est absolument libre de ses mouvements et de ses actions, elle accompagne partout son mari comme une égale, non comme une inférieure, elle exerce une autorité morale toute spéciale sur les enfants. Parmi ceux-ci, les filles ont les mêmes droits que les fils à l’héritage paternel.

Dès l’Ancien Empire, l’Egyptien est certainement monogame; à peine trouve-t-on un ou deux grands personnages ayant à côté de leur femme légitime une concubine, dont les enfants ont du reste à peu près les mêmes droits que leurs frères. Seul le roi a en général plusieurs femmes dont l’une, «la grande épouse royale» a le pas sur les autres, étant sans doute de plus haute naissance, parfois même de race royale. Pour conserver aussi pur que possible le sang divin qui coule dans ses veines, le roi doit de préférence prendre une femme du même sang que lui, donc une proche parente. Sous le Nouvel Empire nous voyons le plus souvent le pharaon épouser sa sœur, parfois même sa fille; il en était sans doute de même pour les rois memphites. Ces unions qui nous paraissent monstrueuses n’avaient rien que de très naturel pour les Egyptiens, pour qui la pureté de la race avait une importance capitale.


Vêtement

Vu le climat de l’Egypte, les habitants de ce pays n’ont jamais éprouvé le besoin de s’habiller chaudement; le costume en usage sous l’Ancien Empire est particulièrement sommaire. Les hommes portent tous le pagne, plus ou moins grand suivant leur condition: pour les gens de bas étage, les mariniers par exemple, il se réduit à une ceinture garnie par devant de quelques petites lanières formant tablier, pour d’autres ouvriers c’est un morceau d’étoffe passant entre les jambes et fixé également à une ceinture. Le modèle ordinaire est composé d’une longue pièce de toile blanche enroulée étroitement autour de la partie moyenne du corps, soutenue par une ceinture et descendant presque jusqu’aux genoux. Chez les grands personnages ce vêtement prend plus d’importance: il n’est pas plus long, mais beaucoup plus ample, et la partie de devant, gaufrée à petits plis et empesée, forme une sorte de grand tablier triangulaire. En outre, les notables ont le plus souvent aux pieds des sandales, simples semelles plates, et autour du cou un large collier descendant sur la poitrine et composé généralement de perles en verroterie, parfois aussi de perles d’or. La tête est entièrement rasée, cheveux, barbe et moustaches, et, pour sortir, les grands personnages se coiffent d’une perruque plus ou moins volumineuse suivant la mode du jour, tandis que chez les gens du peuple cette perruque paraît n’être plus qu’une simple calotte feutrée, épousant les formes du crâne. Souvent une petite barbe postiche se fixe sous le menton des notables. Jamais on ne voit de manteau sur les épaules des particuliers; seul le roi, dans certaines cérémonies, porte un vêtement de forme particulière, très ample, sans manches, descendant du cou jusqu’aux genoux.

Costumes de l’Ancien Empire
Fig. 131. Costumes de l’Ancien Empire
(d’apr. Lepsius. Denkmäler, II, pl. LXXIII).

Les femmes sont vêtues d’une robe absolument collante descendant de la naissance des seins jusqu’au bas des mollets; des bretelles la retiennent aux épaules. La gorge est couverte d’un large collier, et des anneaux de différentes formes ornent les bras et les chevilles. La chevelure, très abondante, retombe sur les épaules en une multitude de petites tresses; parfois un riche bandeau enserre cette coiffure au-dessus du front.

Ptahhetep à sa toilette
Fig. 132. Ptahhetep à sa toilette
(d’apr. Paget-Pirie. Ptahhetep, pl. XXII).

La toilette était chose importante pour les Egyptiens; ils se lavaient soigneusement, se faisaient oindre le corps d’huiles et de parfums. Les gens riches avaient des serviteurs qui les massaient et leur servaient de manicures, de pédicures, et sans doute aussi de coiffeurs. Avant et après le repas, on se lavait les mains et la bouche, comme cela se fait encore aujourd’hui en Orient.


Mobilier et Habitation

Les Egyptiens avaient l’habitude de s’accroupir à terre, sur des nattes, pour toutes les occupations sédentaires; c’était la position ordinaire des artisans à leur travail et des scribes en train d’écrire. Par contre, pour manger, ils s’asseyaient sur des chaises, des fauteuils ou même des divans à deux places, devant de petits guéridons ronds, hauts sur pied, où s’empilaient les victuailles. Ils couchaient dans des lits garnis de plusieurs matelas, de couvertures et de chevets en guise d’oreiller, lits à quatre pieds, assez élevés pour qu’on dût y monter à l’aide d’un petit escabeau. Le mobilier comportait encore un certain nombre de coffres de diverses dimensions, où l’on serrait le linge et les ustensiles de toute sorte. En ce qui concerne les habitations, nous n’avons guère de renseignements pour l’Ancien Empire; ce devaient être des constructions légères, en partie en briques crues ou en terre pilée, en partie en bois, avec des jours qu’on pouvait fermer, au moyen de tentures multicolores ou de nattes; comme plafond, des solives de bois de palmier, se touchant, supportaient une terrasse en terre battue.


Chasse et Pêche

Les grands marais remplis de poissons et d’oiseaux de toute sorte qui bordaient la vallée du Nil, fournissaient aux seigneurs égyptiens, grands amateurs de chasse et de pêche, un terrain incomparable. Ils s’y rendaient avec leurs gens qui sur place préparaient des nacelles légères en faisceaux de tiges de papyrus, dans lesquelles tout ce monde s’embarquait, pénétrant dans les fourrés marécageux. Le maître tenait d’une main des oiseaux captifs dont les cris servaient d’appeaux, tandis que de l’autre il brandissait son boumerang et le lançait adroitement sur le gibier, abattant l’un après l’autre le héron, l’oie, le canard, la grue, que ses gens allaient chercher dans les roseaux; puis il saisissait un harpon à double lame barbelée avec lequel il transperçait d’une main sûre les gros poissons passant à sa portée, qu’il relevait tout ruisselants d’eau. Cette arme puissante lui servait aussi à se défendre contre l’hippopotame qui aurait pu venir troubler sa promenade.

Chasse et pêche au marais
Fig. 133. Chasse et pêche au marais
(d’après de Morgan. Catal. des Monum., I, Assouan, p. 146).
Chasse au lasso
Fig. 134. Chasse au lasso
(d’ap. Davies. Ptahhetep, I, pl. XXII).

Aux confins du désert, la chasse était plus fructueuse, mais plus difficile et plus dangereuse aussi; on y rencontrait la gazelle, l’antilope, le bœuf sauvage ainsi que le lion et la panthère. Le seigneur égyptien s’y aventurait rarement, mais il y envoyait certains de ses hommes, chasseurs de profession qui, accompagnés de leurs grands chiens, poursuivaient le gibier et l’attaquaient avec leurs flèches ou au lasso.

Chasse au filet
Fig. 135. Chasse au filet
(d’après Capaet. Une rue de tombeaux, pl. XXXVI-XXXIX).

Il ne suffisait pas d’approvisionner le garde-manger, il fallait se constituer une réserve vivante d’aliments et remplir la basse-cour. A cette fin, au moment du passage des oiseaux migrateurs, on disposait sur des étangs de grands filets tendus sur des cadres en bois et on attirait le gibier au moyen d’appâts ou d’appeaux; une fois que le vol s’était posé sur l’étang, un surveillant caché tout près de là donnait un signal, d’autres hommes tiraient vivement sur une corde, le filet se refermait sur les volatiles qu’on sortait avec précaution et qu’on enfermait dans des cages pour les porter dans de grandes volières grillées et munies de bassins d’eau, où on pouvait les conserver et les engraisser.

Scènes de pêche
Fig. 136. Scènes de pêche
(d’après de Morgan. Recherches sur les origines de l’Egypte, I, fig. 518).

Le Nil et ses dérivés fourmillent de poissons, dont la chair a été de tous temps une grande ressource pour les habitants du pays; ceux-ci employaient pour les prendre des moyens qui sont de tous les temps et de tous les pays, des engins qu’ils avaient perfectionnés et dont ils savaient tirer parti: d’abord la ligne, une ligne à main hérissée d’hameçons à son extrémité, mais sans canne ni flotteur, puis le petit filet à manche, le troubleau, puis les nasses, les grandes bouteilles en osier qu’on déposait au fond de l’eau et qu’on relevait de temps en temps. La pêche la plus productive était fournie par la seine, le grand filet droit muni de plombs et de flotteurs, qu’on traînait à grand renfort de bras dans des cours d’eau ou des étangs, de manière à ramasser tout le poisson. Sitôt sortis de l’eau, les poissons étaient ouverts, vidés, salés et étendus ou suspendus au soleil pour être séchés.

Basse-cour
Fig. 137. Basse-cour
(d’ap. von Bissing. Mast. des Gem-ni-kai, I, pl. IX).

Le nombre des animaux ainsi domestiqués s’accroissait sans cesse tant par la reproduction naturelle que par l’apport de nouveaux individus pris à la chasse. Nous venons de voir les oiseaux élevés en basse-cour, nourris de grains ou engraissés au moyen de boulettes qu’on leur introduisait de force dans le bec. On employait le même procédé pour certains bestiaux de choix élevés à part des autres dans des fermes, bœufs ou antilopes qu’on empâtait ainsi avec des aliments fabriqués au fur et à mesure, parfois même des hyènes qu’on était obligé d’attacher par les pattes et de renverser sur le dos pour leur faire avaler des oies rôties; il semble en effet, quelque bizarre que cela puisse nous paraître, que sous l’Ancien Empire les Egyptiens, pour varier leurs menus, mangeaient parfois de la chair d’hyène.


Elevage

La grande masse du bétail vivait presque en liberté sous la garde de bergers dans les terrains situés au delà des cultures, qui n’avaient pas encore, comme aujourd’hui, absorbé tout le sol de la vallée; ces animaux étaient presque sauvages, il fallait lier les jambes des vaches pour les traire, et quant aux bœufs et taureaux, lorsqu’il s’agissait de les capturer, on devait employer le lasso. De temps à autres, les propriétaires allaient sur place inspecter leurs bestiaux ou se les faisaient amener par troupes, pour en faire le compte. Le gouvernement faisait de son côté procéder tous les deux ans au dénombrement général des bestiaux, sur lesquels le roi prélevait sans doute une forte dîme; cette opération était même considérée comme des plus importantes, car elle servait de base aux calculs chronologiques: on ne disait pas, à cette époque, «l’an 6 de tel roi», mais «l’année qui suit le 3e compte de bestiaux de tel règne». A côté des bœufs et des vaches, il y avait encore dans ces domaines ruraux du petit bétail, des chèvres et des moutons; quant aux ânes, qu’on réunissait aussi en troupeaux, comme on les employait fréquemment à toutes sortes de travaux, il est probable qu’on les gardait à proximité des habitations plutôt que dans les pâturages.

Engraissage des bœufs
Fig. 138. Engraissage des bœufs
(d’après de Morgan. Rech. sur les origines de l’Egypte, I, fig. 521).
Antilopes. Engraissage des hyènes
Fig. 139. Antilopes. Engraissage des hyènes
(d’après de Morgan. Rech. sur les origines de l’Egypte, I, fig. 513).

A côté de l’élevage, l’agriculture était en plein développement, et les tableaux qui représentent des scènes de la vie des champs sont nombreux dans les bas-reliefs des mastabas. La crue du Nil était soigneusement observée et enregistrée dans les documents officiels; c’est donc qu’on avait reconnu l’importance des irrigations, desquelles dépend la fertilité du pays. Il est très probable que c’est de cette période que datent les premiers de ces canaux qui apportent l’eau sur tous les points de la vallée, et les digues qui la retiennent pour laisser déposer le limon.

Labourage et semailles
Fig. 140. Labourage et semailles
(d’après Davies. Sheikh Saïd, pl. XVI).
Scène de moisson
Fig. 141. Scène de moisson
(d’ap. Lepsius. Denkmäler, II, pl. CVI).
Dépiquage du grain
Fig. 142. Dépiquage du grain
(d’après Murray. Saqqara Mastabas, I, pl. XI).

La principale culture est celle des céréales. Nous voyons les laboureurs retourner le sol à l’aide de charrues très simples, à soc de bois, attelées de deux bœufs, car il n’est pas nécessaire de travailler très profondément cette terre meuble et grasse. Derrière eux viennent les semeurs, jetant le grain à la volée, et immédiatement après, on amène des troupeaux de chèvres et de moutons qui, pressés par des ouvriers munis de courbaches, piétinent le champ ensemencé pour faire pénétrer le grain. La moisson se fait au moyen de faucilles de bronze ou de bois armées de lames de silex, avec lesquelles on scie la tige à mi-hauteur; on lie les javelles en gerbe pour les charger sur des ânes qui bon gré mal gré les transportent près de l’aire où on les empile en hautes meules. Plus tard, quand la récolte est sèche, vient le dépiquage: les gerbes sont déliées, étendues sur l’aire et foulées aux pieds par des bœufs ou des ânes, et ce procédé a le double avantage de faire sortir le grain et de hacher la paille qui, comme partout en Orient, sert de fourrage. Les vanneuses ensuite jettent en l’air le grain et le passent au crible, et enfin on mesure la récolte au boisseau et on l’enferme dans les greniers.

Foulage et pressurage du raisin
Fig. 143. Foulage et pressurage du raisin
(d’après Paget-Pirie. Tomb of Ptahhetep, pl. XXXIII).

La vigne se cultive en berceaux, dans des jardins; au moment de la vendange, des hommes cueillent le raisin mûr, le mettent dans de grands paniers et le portent tout à côté, sur le pressoir, sorte de grande auge surélevée où la récolte est foulée aux pieds par d’autres ouvriers. Le résidu est ensuite mis dans de grands sacs de forte toile, à chaque extrémité desquels est passé un bâton, et on arrive encore à extraire une bonne quantité de jus en tordant énergiquement ce pressoir rudimentaire, opération qui nécessite une pittoresque gymnastique de la part des cinq pressureurs. Enfin le moût est porté au cellier, dans de grandes jarres qu’on ferme et qu’on scelle soigneusement.

Récolte du lin
Fig. 144. Récolte du lin
(d’après Lepsius. Denkmäler, II, pl. CVII).

Les autres genres de culture, comme la récolte des figues que des hommes ou parfois des singes vont cueillir dans les arbres, ou celle du lin, qui se pratique par arrachage de la tige et non plus à la faucille, sont plus rarement représentées. Enfin quelques scènes de jardinage montrent des ouvriers arrosant soigneusement des carrés de légumes.

Tressage des nattes
Fig. 145. Tressage des nattes
(d’après Perrot et Chipiez. Histoire de l’Art, I, p. 36).

Les Egyptiens n’employaient pour leurs vêtements que de la toile de lin, et déjà au début de la IVme dynastie ils étaient passés maîtres dans l’art de filer et de tisser. Parmi les rares échantillons d’étoffes de l’Ancien Empire qui nous sont parvenus, il y a surtout des toiles fines, très fines même; certaines bandelettes de momies royales sont faites au moyen de fil incomparablement plus fin que celui de n’importe quel tissu moderne (un kilo de ce fil représenterait 12 à 18.000 mètres de longueur, selon les calculs des spécialistes). Pour d’autres usages, en particulier pour la fabrication de portières et tentures, on employait des étoffes multicolores plus épaisses, où le tisserand, précurseur des fabricants de tapis orientaux, obtenait par la disposition de ses fils de couleur des compositions ornementales simples, mais du meilleur goût.

Les vanniers faisaient déjà de ces paniers de toute forme qui sont aujourd’hui une spécialité du Soudan égyptien, ouvrages de sparterie très soignés et très fins, aux brins de couleurs heureusement alternés et qui sont en même temps d’une solidité à toute épreuve. Les gens du peuple étaient très habiles à ces sortes de travaux, ainsi les pâtres, tout en surveillant leurs troupeaux, tressaient avec des joncs et d’autres herbes les nattes dont ils faisaient usage, nattes si souples qu’elles se roulaient comme des couvertures et se portaient aisément en bandoulière.

Menuisiers. Tombeau de Mera
Fig. 146. Menuisiers. Tombeau de Mera
(d’ap. un dessin de l’auteur).

Dans d’autres tableaux nous voyons des cordiers tordant ou tournant leurs cordes, des cordonniers assouplissant le cuir, le taillant et le cousant, des menuisiers travaillant à des meubles de toute sorte avec la scie, le maillet, le ciseau, l’herminette et le perçoir à archet. Plus loin ce sont des sculpteurs et des peintres, des fabricants de vases de pierre et des chaudronniers dont nous avons déjà passé en revue les œuvres, et enfin des bijoutiers pesant, fondant et coulant l’or, calibrant et assemblant les pierres fines.

Orfèvres et joailliers
Fig. 147. Orfèvres et joailliers
(d’ap. de Morgan. Recherches sur les orig. de l’Egypte, I, fig. 527).

Navigation

On peut dire que les transports, sous l’Ancien Empire, se faisaient uniquement par la voie fluviale. Sur terre, le seul moyen de locomotion était la marche; les ânes servaient seulement de bêtes de somme, et il est extrêmement rare que les hommes aient songé à monter sur leur dos. Quant à la litière ou chaise à porteurs, c’était là un luxe que seuls les grands seigneurs pouvaient s’offrir, quand ils allaient inspecter leurs domaines. Sur l’eau, nous avons déjà vu les petites nacelles en papyrus employées pour la chasse et la pêche; les autres bateaux construits en bois étaient très variés de forme, qu’il s’agît des lourds et solides bachots, munis de rames et de gouvernails, destinés à faire de petits trajets et à transporter des marchandises ou des bestiaux, ou bien des bateaux à rames et à voiles, qui dénotent déjà une grande habitude de la navigation. Dès le début de la IVe dynastie, on employait de façon constante, pour remonter le Nil, de longs bateaux aux extrémités légèrement relevées, portant un gros mât formé de deux madriers qui s’assujettissent dans les deux bordages et ne se réunissent qu’à leur partie supérieure; une vergue se hisse au sommet de ce mât, supportant une voile trapézoïde d’un modèle spécial commandée par deux bras, gros cordages dont un homme assis à la poupe tient les extrémités. Des gouvernails en forme de rames, en plus ou moins grand nombre suivant les dimensions du bateau, servent à donner la direction. Un toit léger, courant au-dessus du pont, fournit aux passagers un abri suffisant. Pour descendre le fleuve, on pliait la voile, on abattait le mât et le bateau suivait le fil du courant, actionné en outre par les rames. Plus tard, vers la fin de l’Ancien Empire, on voit paraître un nouveau modèle de barque, la grande nef pontée, au mât simple portant une voile carrée soutenue par deux vergues; le mode de navigation ne change du reste pas pour cela, et on continue, comme de nos jours encore, à remonter le fleuve à la voile, à le redescendre à la rame.

Litière
Fig. 148. Litière
(d’après Davies. Deir et Gebrawi, I, pl. VIII).
Fabrication de nacelles
Fig. 149. Fabrication de nacelles
(d’ap. Davies. Sheikh Saïd, pl. XII).
Barque. IVe dyn.
Fig. 150. Barque. IVe dyn.
(d’ap. Jéquier. Bull. de l’Inst. fr. du Caire, t. IX, pl. III).

Les vaisseaux de mer, plus grands et plus forts sans doute que ceux du Nil, en diffèrent à peine quant à la forme générale; les mâts, les voiles, les gouvernails, les rames sont les mêmes, mais il n’y a aucune superstructure, et un énorme câble, allant de la proue à la poupe, assure la solidité de la charpente.


Scène du marché
Fig. 151. Scène du marché
(d’apr. Lepsius. Denkmäler, II, pl. XCVI).

Pour avoir un tableau complet de l’état de l’Egypte à cette époque, il faudrait approfondir encore bien des points sur lesquels nous sommes peu documentés, ainsi la question très importante du commerce qui, faute de numéraire, se faisait de gré à gré, par échange, suivant entente entre les contractants, sans que nous sachions s’il y avait des boutiques ou seulement des marchés périodiques dans les centres. Nous sommes aussi assez mal renseignés sur l’exploitation des mines et des carrières et sur le transport des gros matériaux, qui se faisait à bras d’hommes, sur traîneaux, de la montagne au fleuve. Cette esquisse sommaire, suffisante pour le moment, nous permettra de nous rendre compte de ce qu’était, dans ses grandes lignes tout au moins, la civilisation de l’Egypte sous les rois memphites et héliopolitains, période qui est la base même de toute la civilisation pharaonique. Pour les époques suivantes nous pourrons nous contenter de signaler les transformations, les perfectionnements apportés au cours des siècles à cet état de choses, par suite du travail intérieur ou des importations étrangères.

Forage de vases de pierre
Fig. 152. Forage de vases de pierre
(d’ap. de Morgan. Recherches sur les origines de l’Egypte, I, fig. 497).

Sphinx du Moyen Empire
Fig. 153. Sphinx du Moyen Empire
(d’après Legrain. Statues et statuettes, I, pl. XX).

CHAPITRE VI

MOYEN EMPIRE
(2200 à 1500 avant J.-C. environ.)

A. HISTOIRE

XIe dynastie

Une période de troubles intérieurs comme celle qui termina l’Ancien Empire ne pouvait se prolonger indéfiniment et devait aboutir à une restauration de la monarchie sur des bases un peu différentes. Nous avons vu les derniers rois memphites, qui ne disposaient pas d’une force militaire sérieuse et qui sans doute n’avaient plus l’autorité morale de leurs prédécesseurs, s’effacer peu à peu devant leurs compétiteurs, les princes héracléopolitains; ceux-ci n’avaient cependant pas réussi, malgré l’énergique appui de leurs vassaux, les dynastes de Siout, à s’installer définitivement sur le trône d’Egypte, ni même à laisser un nom durable. Pendant ce temps s’élevait dans le sud, dans une province qui jusqu’alors n’avait joué aucun rôle, celle de Thèbes, une famille nouvelle, au sang moins pur, mélangé d’éléments soudanais, famille énergique poursuivant de père en fils, avec opiniâtreté, un seul but, la restauration, à son profit, de l’unité du royaume égyptien. Ces seigneurs qui portent tous le nom d’Antef ou de Mentouhotep, commencèrent petitement: les plus anciens n’ont que leur titre de monarque puis peu à peu ils s’arrogent le droit d’inscrire leur nom dans un cartouche, ils se qualifient de rois de la Haute Egypte et finissent par prendre la titulature complète des rois légitimes. Les premiers n’étendaient leur domination que sur la moitié méridionale de la Haute Egypte, mais en même temps ils avaient soumis la Nubie jusqu’à la deuxième cataracte au moins; les derniers régnèrent sur toute la vallée du Nil et poussèrent même plus loin, puisqu’ils entreprirent des expéditions du côté du Sinaï et de la Syrie méridionale.

Mentouhotep IV
Fig. 154. Mentouhotep IV (?)
(d’apr. un bas-relief provenant de Deir-el-Bahari).

L’ordre de succession de ces rois, qui forment la XIme dynastie, n’est pas très clair; leur chronologie l’est encore moins: le papyrus de Turin donne six rois ayant régné pendant plus de 160 ans, tandis que d’après Manéthon il y aurait eu 16 rois et 43 ans de règne; il y a dans ces chiffres des erreurs évidentes, puisque nous savons d’autre part que certains de ces rois régnèrent au moins 50 ans; on peut donc supposer que le papyrus ne nomme que les derniers rois de la série, ceux qui pouvaient être considérés comme souverains légitimes, tandis que Manéthon indique le nombre total des princes de la famille, et la somme des années de règne des deux derniers seulement, ceux qui gouvernèrent sans aucun doute tout le pays. Comme date, nous pouvons placer cette XIme dynastie thébaine, de façon tout à fait approximative du reste, aux environs de l’an 2.200 avant J.-C.


XIIe dynastie

Nous ne savons dans quelles conditions le dernier roi de cette dynastie, Mentouhotep V Seankhkara, céda la place de gré ou de force à un homme du nom d’Amenemhat, qui avait été grand-vizir sous un règne précédent et qui était sans doute apparenté de près ou de loin à la famille royale. Usurpateur ou non, le nouveau roi trouva devant lui de nombreux adversaires qu’il finit par réduire, comme il sut plus tard déjouer un complot des gens du palais qui en voulaient à sa vie. Amenemhat I était non seulement un homme d’action, il était aussi un organisateur de premier ordre, à en juger par l’œuvre accomplie pendant les 30 ans que dura son règne. Il supprime définitivement le régime féodal, l’autonomie des petits princes locaux sur lesquels ses prédécesseurs avaient dû s’appuyer pour gouverner, il reconstitue l’unité de l’Egypte sous un seul sceptre, fait régner l’ordre et la paix dans tout le pays, recule ses frontières grâce à des expéditions heureuses, et fonde une dynastie qui devait régner 213 ans en tout, et être une des plus brillantes qui aient occupé le trône de l’Egypte.

Senousrit I
Fig. 155. Senousrit I
(photo. de E. Brugsch-Pacha).

La XIIme dynastie est donc d’origine thébaine, mais son centre politique fut toujours celui qu’avait choisi le fondateur de la monarchie égyptienne, Memphis, abandonnée depuis quelques siècles. C’est dans les environs immédiats de l’antique capitale que les nouveaux rois établirent leur résidence et qu’ils construisirent leurs tombeaux. Les sept rois qui se succèdent de père en fils portent tous, soit le nom d’Amenemhat, qui est celui du fondateur de la dynastie, soit celui de Senousrit, qu’on lisait autrefois Ousertesen et qui est en réalité l’origine du nom grec de Sesostris, ce héros plus légendaire que réel sur la personne duquel se groupèrent aux basses époques tous les hauts faits des rois du temps passé dont on avait conservé le souvenir.

Senousrit III
Fig. 156. Senousrit III
(d’après Legrain. Statues et statuettes, I, pl. VI).

Les vrais Sésostris, ceux de l’histoire, sont du reste aussi des guerriers et des conquérants, mais leur activité est surtout dirigée vers le sud. Les plus célèbres d’entre eux, Senousrit I et Senousrit III parachevèrent l’œuvre entreprise par Amenemhat I, la conquête de la Nubie: ils étendent l’autorité effective de l’Egypte jusqu’à la 2e cataracte, c’est-à-dire reculent d’au moins 400 kilomètres les frontières de leur royaume. La Nubie est devenue une province égyptienne, administrée par des fonctionnaires spéciaux, avec de petites garnisons cantonnées dans les points faibles du pays, où s’élèvent d’importantes forteresses, celles de Semneh et de Koummeh en particulier, qui gardent les deux rives de la cataracte, frontière extrême de la nouvelle province.

Les Pharaons de la XIIme dynastie, bien que très occupés du côté du Soudan, ne négligent pas pour cela les autres contrées limitrophes; les Libyens aussi bien que les Syriens habitant les confins de l’Egypte sont refoulés ou assujettis, et la domination effective du roi s’étend sur les Oasis, le Sinaï et les contrées désertiques où les travaux dans les carrières et dans les mines peuvent s’effectuer en toute tranquillité.

Amenemhat III
Fig. 157. Amenemhat III
(d’après Musée Egyptien, II, pl. XV).

Le dernier grand roi de la dynastie, Amenemhat III, attacha son nom à une œuvre gigantesque, la création dans le Fayoum, — petit territoire en contre-bas de la vallée du Nil, du côté ouest, — d’un immense réservoir destiné à régulariser les irrigations des environs de Memphis et de la Basse Egypte. C’est le fameux lac Moeris mentionné par Hérodote et les autres auteurs classiques, qui parlent en même temps avec admiration du Labyrinthe, le palais construit sur ses bords. Quelle est dans ces récits la proportion exacte de fable et de réalité, c’est ce qui n’a pu être encore établi; toujours est-il que maintenant on ne voit plus, de ce qui devait être jadis le lac Moeris, qu’un lac naturel sans écoulement, le Birket-Karoun, et au lieu du Labyrinthe, des ruines de villes, très étendues, mais qui n’ont rien de monumental, deux pyramides, des colosses, un obélisque; ces restes de constructions montrent bien l’importance des travaux entrepris par Amenemhat III dans ce coin de pays, travaux qui furent, sinon aussi merveilleux que se l’imaginaient les Grecs, du moins considérables.


XIIIe et XIVe dynasties

Deux règnes très courts et sans éclat, ceux d’Amenemhat IV et de la reine Sebeknefrou clôturent cette période si glorieuse et si brillante pendant laquelle l’Egypte avait atteint un degré de puissance très supérieur à celui auquel elle était arrivée sous les plus grands rois de l’Ancien Empire. Nous ne savons quelles sont les circonstances qui amenèrent la chute de la XIIme dynastie, soit que la race se soit éteinte naturellement, soit que ces deux derniers souverains aient fait preuve d’incapacité et se soient laissés supplanter par des compétiteurs puissants. Avec eux cesse, pour un temps du moins, l’unité de l’Egypte, et nous nous trouvons en présence de deux familles rivales, l’une de Thèbes, l’autre de Xoïs dans le Delta, qui forment la XIIIme et la XIVme dynastie; il semble qu’à un moment donné cette dernière dynastie ait été considérée comme seule légitime, mais d’un autre côté la puissance des rois thébains de la XIIIme a certainement été plus grande. Du reste ces deux séries de rois sont si enchevêtrées qu’on a peine à les distinguer l’une de l’autre: les monuments de cette époque donnent bien des noms de rois, rarement des dates, et jamais aucun détail sur le règne des divers souverains ni sur l’ordre de succession; le papyrus de Turin donnait une longue liste, malheureusement très fragmentée aujourd’hui, et ne paraît pas avoir établi de distinction entre ces deux dynasties; les autres listes royales ne mentionnent que très peu de noms de cette époque. Enfin Manéthon ne cite pas un seul nom, mais donne à la XIIIme dynastie 60 rois et 453 ans de règne, et à la XIVme, 76 rois et 184 ans, chiffres qui sont peut-être exagérés quant au nombre d’années, mais qui paraissent correspondre à la réalité, en ce qui concerne le nombre de rois qui occupèrent le trône.

Neferhotep. Bologne
Fig. 158. Neferhotep. Bologne
(d’ap. Petrie. Photographs, No 38).

Nous sommes donc peu renseignés sur cette période, et c’est à peine s’il convient de rappeler le souvenir des Neferhotep et des Sebekhotep, les quelques souverains qui nous paraissent être les figures les plus marquantes de la série et dont les règnes sont plus longs que ceux des autres et les monuments que nous avons d’eux plus abondants et plus importants. L’examen des noms mêmes de tous ces rois montre clairement que ces deux dynasties ne se composent pas seulement de deux familles homogènes, mais de groupes très différents d’origine ou d’individus isolés qui se succèdent sans lien apparent, et ne sont même sans doute pas tous de vrais Egyptiens; ainsi l’un d’eux s’appelle Nehasi, «le nègre», et d’autres, comme Khendi et Khenzer, à en juger par leurs noms, pourraient être d’origine babylonienne.


Les Hyksos

C’est précisément à cette époque, où l’Egypte n’était plus suffisamment puissante pour résister aux ennemis du dehors, que surgirent les Hyksos ou rois pasteurs, chefs de bandes ou de tribus sémites, originaires sans doute de Palestine ou de Syrie, qui pénétrèrent dans la vallée du Nil par la frontière nord-est, entre Péluse et Suez, s’établirent et se fortifièrent dans le Delta, rayonnèrent de là dans tout le pays, y établirent une autorité durable et s’arrogèrent même le titre officiel de rois d’Egypte. Cette invasion est en somme le résultat d’une de ces poussées des peuples d’Orient vers l’Occident qui sont si fréquentes dans l’histoire et qui chaque fois amenèrent des perturbations considérables; celle-ci fut déterminée par la descente des Elamites en Mésopotamie, qui provoqua également le départ d’Abraham pour la Palestine.

Tête d’un roi hyksos
Fig. 159. Tête d’un roi hyksos
(d’apr. Naville. Bubastis, pl. XI).

La domination des rois pasteurs dura longtemps et s’exerça, suivant les monuments, plus ou moins loin vers le sud, contrebalancée seulement par un petit noyau qu’on pourrait qualifier de nationaliste et qui se groupait dans la Thébaïde, autour des derniers rois de la XIIIme dynastie, puis des princes qui fondent la XVIIme et préparent la revanche qui doit inaugurer le Nouvel Empire. Ces étrangers s’étaient rapidement égyptianisés; ils avaient adopté les coutumes de leurs sujets plus civilisés qu’eux et cherchèrent à gouverner comme les anciens rois autochtones, mais ils ne réussirent pas à laisser une trace vraiment durable de leur passage au pouvoir. Nous ne connaissons aucun édifice important qui puisse avoir été construit par eux, à part peut-être les murs d’enceinte en briques de leur capitale, la ville fortifiée d’Avaris, à l’est du Delta, et leurs noms ne nous sont parvenus que sur quelques petits objets ou sur des statues antérieures qu’ils s’étaient appropriées. Ils encouragèrent les sciences et la littérature, ainsi que nous l’apprennent certains papyrus, mais d’un autre côté, il est bien probable que c’est aux premiers de ces rois qu’il faut attribuer le pillage systématique des tombeaux royaux antérieurs.


XVIIe dynastie

Enfin il s’éleva une nouvelle race de princes thébains qui, d’abord vassaux des rois Hyksos, prirent en main la tâche de délivrer leur pays de la domination étrangère. Leurs talents militaires, leur valeur personnelle et sans doute surtout un mouvement intense du pays entier, révolté contre ses oppresseurs, amenèrent rapidement la chute du royaume des pasteurs. Refoulés de la Haute Egypte d’abord, puis du Delta même, il ne resta bientôt plus aux pharaons sémites qu’un petit canton aux confins du désert et leur retraite fortifiée d’Avaris, où ils tinrent bon pendant un siècle encore. Cette période de lutte à outrance qui coûta la vie à certains rois thébains, morts en pleine bataille, et qui termine ce que nous avons coutume d’appeler le Moyen Empire, est une période héroïque et glorieuse et les noms de ces rois qui affranchirent leur pays du joug étranger, les Seknenra, les Kamès, les Ahmès, mériteraient une place d’honneur dans l’histoire, si par malheur nous n’étions si peu renseignés sur leur vie et leur œuvre dont nous ne faisons guère qu’entrevoir les résultats.

Poignard d’Apepi
Fig. 160. Poignard d’Apepi
(Photographie Brugsch-Pacha).

Telle est, dans ses grandes lignes, l’histoire du Moyen Empire thébain, joint à la domination des Hyksos; sa chronologie est difficile à établir et donne lieu encore aujourd’hui à des opinions très divergentes, car si nous connaissons presque à un jour près la durée de la XIIme dynastie, il n’en est pas de même pour les suivantes, qui régnèrent sans doute collatéralement sur diverses parties du pays. Nous avons déjà vu que Manéthon donne à la XIIIme dynastie thébaine 453 ans et à la XIVme dynastie xoïte, 184 ans; il range les rois Hyksos dans deux dynasties distinctes, la XVme et la XVIme, qui auraient régné, la première 284 ans avec ses six rois qu’on retrouve sans peine sur les monuments contemporains, les Salatis, les Bnôn, les Jannias et les Apophis, et l’autre 511 ans avec 32 rois parfaitement inconnus. Enfin, toujours pour Manéthon, la XVIIme dynastie, celle de la revanche, aurait eu deux séries de rois, les uns hyksos, les autres thébains, ayant occupé les trônes d’Egypte pendant 151 ans jusqu’à l’expulsion définitive des Sémites. Si l’on met bout à bout tous ces chiffres, on obtient pour l’intervalle qui sépare la XIIme dynastie du Nouvel Empire la somme fantastique de 1.583 ans, qui paraît absolument inadmissible, surtout si l’on songe que dans un pays comme l’Egypte, où presque tout se conserve, une période aussi longue, même troublée, nous aurait transmis des séries de documents autrement plus importantes que celles qui nous sont parvenues. D’un autre côté, une théorie récente, très en vogue aujourd’hui, et basée sur deux dates astronomiques qu’on voudrait attribuer, l’une à un roi de la XIIme dynastie, l’autre au premier souverain de la XVIIIme, réduit cet intervalle à 200 ans environ. Cette théorie me paraît encore plus insoutenable que la précédente, car je ne vois pas le moyen de faire tenir dans un espace de deux siècles un nombre de 150 ou 200 rois au minimum, dont certains régnèrent, nous le savons pertinemment, 40 et même 50 ans. La vérité est très probablement entre ces deux théories extrêmes, et je suis tenté de me rattacher, au moins dans ses grandes lignes, au système proposé par un égyptologue norvégien, M. Lieblein, système qui peut se résumer somme suit: l’invasion hyksos a lieu à la fin de la XIIme dynastie et entraîne sa chute, après quoi une nouvelle famille thébaine, la XIIIme, prend possession du trône; pendant ce temps les chefs pasteurs, maîtres de la plus grande partie du pays, mais se sentant inférieurs comme civilisation et n’osant encore se mettre personnellement à la tête du gouvernement, intronisent d’abord des princes autochtones qui ne sont autres que leurs créatures et leurs vassaux et qui constituent la XIVme dynastie xoïte. Après ce laps de temps, se sentant suffisamment égyptianisés, ils prennent eux-mêmes les rênes du pouvoir: c’est la XVme dynastie; quant à la XVIme elle n’existe pas en réalité, c’est une dynastie purement fictive, qui représente seulement la somme de la domination des Hyksos jusqu’au moment où ces rois furent refoulés dans Avaris. La XVIIme dynastie, avec sa double série de rois, caractérise le siècle de l’expulsion. Ainsi, puisque la XIVme et la XVme dynasties sont contemporaines de la XIIIme, et que la XVIme doit être supprimée, comme faisant double emploi, nous n’avons plus qu’à additionner les chiffres que donne Manéthon pour la XIVme, la XVme et la XVIIme, ce qui donne, pour toute la période hyksos, 619 ans en tout. Il faudrait donc placer la XIIme dynastie entre 2.300 et 2.100 environ, et l’époque des rois pasteurs et de leurs compétiteurs égyptiens irait de 2100 à 1500 avant notre ère. Je me contente de signaler ce résultat, non comme absolument certain, mais comme assez satisfaisant.

Tête de la momie de Seqnenrà
Fig. 161. Tête de la momie de Seqnenrà
(d’après Elliot Smith. Royal Mummies, pl. II).

B. MONUMENTS

Si nous voulons nous faire une idée de ce qu’était la civilisation égyptienne sous le Moyen Empire et des progrès qu’elle avait pu réaliser depuis la période précédente, nous nous trouvons tout d’abord, de même qu’en ce qui concerne l’histoire proprement dite, en présence de documents extrêmement abondants appartenant à la fin de la XIme et à toute la XIIme dynastie, puis d’une époque singulièrement silencieuse, celle des luttes intestines suscitées par la présence des Hyksos. Ce fait n’a rien que de très naturel et nous obligera, par conséquent, à ne tenir compte dans ce tableau d’ensemble, que des monuments appartenant à la période de gloire du premier empire thébain, de ceux qui se rattachent aux règnes des Amenemhat et des Senousrit, ainsi que de leurs prédécesseurs immédiats.


Architecture

Il ne reste pour ainsi dire rien des constructions religieuses édifiées par les rois de la XIIme dynastie; les unes ont pu être détruites par les Hyksos, tandis que les autres, les plus nombreuses, ont été reprises par les rois de la XVIIIme dynastie, agrandies et si bien remaniées, que dans les temples colossaux du Nouvel Empire on ne retrouve qu’à grand’peine les traces du petit sanctuaire plus ancien qui en formait le noyau; seules, avec quelques bas-reliefs, les colonnes ont survécu, de belles colonnes monolithes en granit qui présentent, à peu de chose près, les mêmes caractères artistiques que celles de l’Ancien Empire, à quelque ordre qu’elles appartiennent, lotiforme, palmiforme ou papyriforme. Des statues souvent colossales et des sphinx ornaient aussi ces temples; on les trouve réemployés dans les constructions ultérieures et portant bien souvent non pas le nom du roi qui les fit sculpter, mais les cartouches de celui qui se les appropria après coup, suivant un procédé qui paraissait tout naturel aux Egyptiens et que nous n’hésitons pas à qualifier d’usurpation.

Reconstitution du monument de Mentouhotep II
Fig. 162. Reconstitution du monument de Mentouhotep II
(d’ap. Naville. The XIe dyn. Temple at Deir el Bahari, II, pl. XXIII).

Le grand monument qu’un des Mentouhotep de la XIme dynastie fit construire au fond du cirque de Deir-el-Bahari et qui a été découvert et déblayé ces dernières années par M. Naville, est un temple funéraire qui n’était pas voué au culte des dieux, aussi ne fut-il guère remanié aux époques ultérieures. C’est un édifice en terrasses avec rampe d’accès, adossé à la montagne; des colonnades de piliers carrés entourent un massif central qui était peut-être surmonté d’une pyramide, et derrière lequel se trouvaient les naos consacrés aux princesses royales; au fond du sanctuaire aujourd’hui détruit, un long couloir s’enfonçait dans le rocher et aboutissait à une petite chambre qui contenait un grand naos d’albâtre, destiné probablement à recevoir une statue de roi.

Pyramide de Senousrit III à Dahchour
Fig. 163. Pyramide de Senousrit III à Dahchour
(d’après J. de Morgan. Fouilles à Dahchour, I, pl. XII).

Les autres souverains de la XIme dynastie n’avaient que des tombeaux de petites dimensions, assez semblables à ceux des simples particuliers; les grands rois de la XIIme adoptèrent le mode de sépulture de leurs prédécesseurs de l’Ancien Empire, la pyramide, sans toutefois chercher à édifier des monuments aussi colossaux. A Licht et à Dahchour, de même qu’à Hawara et à Illahoun, un revêtement très soigné, en calcaire et même par places en granit, recouvre, ou plutôt recouvrait, puisqu’il a en partie disparu, une maçonnerie plutôt défectueuse en pierre ou en briques; les chambres funéraires sont non plus dans la pyramide même, mais à une grande profondeur au-dessous de celle-ci, et les couloirs habilement dissimulés n’ont pas empêché ces tombeaux d’être entièrement pillés. A côté du monument royal, des caveaux étaient réservés aux reines et aux princesses, caveaux d’où sont sortis les trésors inestimables qui ont été trouvés il y a quelques années par le Service des Antiquités de l’Egypte. Du côté est s’élevait la chapelle funéraire, du type déjà connu, avec ses vestibules, sa cour centrale, son sanctuaire et ses magasins; un grand mur encerclait le tout.

Les fonctionnaires continuent à se faire ensevelir à côté de leur souverain, mais leurs mastabas ne sont plus comparables à ceux de la période précédente. Ce sont de simples massifs de maçonnerie de petites dimensions, ornés d’une stèle sur la face est; la chambre funéraire se trouve immédiatement au-dessous, et on y accède par un puits foré au nord du monument extérieur.

Façade de tombeau à Beni-Hassan.
Fig. 164. Façade de tombeau à Beni-Hassan.

Les tombeaux des seigneurs provinciaux et des princes des nomes de la Haute Egypte sont autrement plus originaux et plus intéressants pour nous, puisque certains d’entre eux, ceux de Bersheh et surtout ceux de Beni Hassan nous fournissent la plus merveilleuse série de documents figurés concernant la vie publique et privée de l’époque. Ces monuments appartiennent à la classe des hypogées ou tombeaux rupestres, comme nous en avons déjà vu quelques-uns sous l’Ancien Empire; ils sont entièrement creusés dans le rocher, à flanc de coteau, et les colonnes qui soutiennent le plafond ne sont pas rapportées, mais ménagées dans la masse même, au cours du travail d’excavation. Ces hypogées sont précédés d’un portique largement ouvert du côté de la plaine du Nil, soutenu par deux de ces piliers droits, sans chapiteau, aux arêtes abattues, qu’on a pris longtemps, à cause de leur fût cannelé et de leur petit abaque plat, pour la forme la plus ancienne de la colonne dorique; de là le nom de «colonnes protodoriques» qui leur est resté. Une porte s’ouvre sur une salle carrée de grandes dimensions, au plafond soutenu par quatre colonnes ou davantage, et au fond de laquelle s’ouvre une niche profonde, servant en quelque sorte de sanctuaire; un puits descend au caveau funéraire. Les parois sont entièrement couvertes de peintures sur enduit, plus complètes encore que les tableaux sculptés dans les mastabas. Elles retracent avec une vie et un naturel souvent admirables, les scènes les plus diverses de la vie des champs comme de celle des gens de métier.

Tombeau de Beni-Hassan
Fig. 165. Tombeau de Beni-Hassan
(d’après Newberry. Beni Hassan, I, pl. IV).
Masque de momie
Fig. 166. Masque de momie
(d’après Chassinat. Fouilles d’Assiout, pl. XXVI).

Les personnages de moindre importance, qui ne pouvaient avoir une sépulture aussi complète, se contentaient d’un simple caveau souterrain, au fond d’un puits, et arrivaient à entasser dans cet étroit espace tout ce qui pouvait leur être utile pour la vie de l’au-delà. L’art de la momification en était encore à peu près au même point qu’à la période memphite, et l’on se contentait sans doute de dessécher les corps au moyen d’alun ou de natron, car de tous ceux qui nous sont parvenus, il ne reste guère que les os. Le mort ainsi préparé, on l’enveloppait d’un épais maillot de linges, de linceuls et de bandelettes; on plaçait parfois sur le haut du corps un masque en cartonnage peint, et on le couchait sur le côté, la tête appuyée sur un chevet, au fond d’un sarcophage rectangulaire en bois, aux parois épaisses, couvertes de peintures au dehors comme au dedans, et muni d’un couvercle plat ou bombé. La décoration extérieure consiste le plus souvent en bandes de grands hiéroglyphes entre lesquelles on peignait parfois toute une ornementation architecturale montrant que le sarcophage était considéré comme une maison, donc comme l’habitation même du mort, une maison d’un modèle archaïque, construite en bois avec des stores en nattes de couleur pour fermer les baies. A l’intérieur, on inscrivait de longs textes funéraires analogues à ceux des pyramides et destinés à assurer au défunt la sécurité dans le monde des enfers; au-dessus de ces textes court une large frise où sont peints les objets qui devraient en réalité figurer dans le mobilier funéraire: pièces de costume, coiffures, bijoux, armes, sceptres, outils, vases, meubles, toujours suivant le principe que la figuration d’un objet suffit pour remplacer l’objet lui-même quand il s’agit d’une ombre, du double immatériel d’un homme. Il arrive aussi qu’on voie déjà paraître, à l’intérieur du grand sarcophage, le cercueil anthropoïde qui renferme la momie elle-même et qui devient le modèle courant du sarcophage au Nouvel Empire; ce type de cercueil n’est que le développement normal du masque funéraire habituel.

Momie du Moyen Empire
Fig. 167. Momie du Moyen Empire
(d’après Chassinat-Palanque. Fouilles d’Assiout, pl. XXI).
Sarcophage du Moyen Empire
Fig. 168. Sarcophage du Moyen Empire
(d’après Petrie. Gizeh and Rifeh, pl. X.A).
Intérieur d’un sarcophage
Fig. 169. Intérieur d’un sarcophage
(d’après Lacau. Sarcoph. ant. au Nouv. Emp., pl. XXIV).
Sarcophage anthropoïde
Fig. 170. Sarcophage anthropoïde
(d’ap. Petrie. Gizeh and Rifeh, pl. X.B).

Quant au mobilier funéraire proprement dit, il est en général modeste. Dans les tombeaux des princesses de la famille royale, on ne trouve guère que la série des vases à onguents et à parfums, des sceptres et une certaine quantité de bijoux, merveilles d’art et de goût, qui sont parmi les plus belles choses que l’antiquité égyptienne nous ait livrées. Chez les particuliers il y a d’abord la caisse carrée, absolument indispensable du sarcophage, faite sur le même modèle que lui, et contenant les quatre vases canopes, où l’on enfermait les viscères du mort, puis quelques vases grossiers ayant contenu des victuailles, enfin des imitations d’armes et des groupes de bois stuqué et peint, représentant des scènes de la vie familière. Ces scènes sont les mêmes qu’on voit figurer ailleurs, en bas-relief ou en peinture, sur les parois des mastabas et des tombeaux rupestres, mais traitées avec plus de naturel et de naïveté: nous y voyons représentés des cuisiniers, des porteurs et des porteuses d’offrandes, la fabrication du pain et de la bière, et surtout des bateaux, reproduction des grandes barques de l’époque avec leur gréement complet et leur équipage. Malgré leur facture souvent un peu grossière, ces petits monuments sont peut-être l’image la plus parfaite, en tous cas la plus expressive, de la vie des anciens Egyptiens.

Canope du Moyen Empire
Fig. 171. Canope du Moyen Empire
(d’ap. Gautier-Jéquier. Fouilles de Licht, p. 68).
Statuette de serviteur
Fig. 172. Statuette de serviteur
(d’ap. le Musée Egyptien, I, pl. XXXVIII).

La cachette aux statues, le serdab, n’existe plus dans la tombe du Moyen Empire, et s’il se trouve encore dans le tombeau une statue du mort, celle-ci n’est plus que très rarement en pierre, mais presque toujours en bois et souvent de très petite dimension. Il y a ici évidemment une évolution dans les idées funéraires: la notion du ka, du double qui pour subsister a besoin d’un support à défaut du corps lui-même, existe toujours, mais tend à se transformer; il semble qu’elle se spiritualise en quelque sorte et qu’une petite image du mort, image souvent informe, lui suffise, et cela plutôt par tradition que par besoin réel. C’est à ce moment qu’on voit apparaître les premières statuettes mummiformes représentant le défunt, prototypes des innombrables statuettes funéraires ou oushabtis du Nouvel Empire.

Modèle de barque
Fig. 173. Modèle de barque
(photographie de E. Brugsch-Pacha).
Statuette en bois
Fig. 174. Statuette en bois
(d’après Gautier-Jéquier. Fouilles de Licht, p. 80).

Pour les morts d’une classe moins élevée, ceux qu’on ensevelissait à même le sol, on avait en certaines régions la coutume de poser au-dessus de la tombe une petite maison en terre cuite, reproduction en miniature de l’habitation des vivants, et qui devait servir de domicile à l’âme: privée de ce pied-à-terre si sommaire, cette âme eût risqué d’errer sans trêve à l’aventure et de disparaître misérablement.

Statuette funéraire du Moyen Empire
Fig. 175. Statuette funéraire du Moyen Empire
(d’apr. Petrie. The Labyrinth, pl. XXX).

Les constructions civiles, palais, maisons, magasins, faites en briques et en bois, et n’ayant aucune prétention à la durée, ont disparu presque partout en Egypte; nous sommes un peu plus favorisés cependant pour le Moyen Empire que pour les autres époques, puisqu’on a retrouvé au Fayoum des restes importants d’agglomérations de maisons, vraies villes composées de petites habitations en briques, serrées les unes contre les autres et séparées par de longues rues droites; c’est là sans doute qu’habitaient des ouvriers et des employés dont les papiers, restés cachés dans le coin des chambres, sont parvenus jusqu’à nous: ces précieux documents sur papyrus contenaient des écrits de toute sorte, mais surtout des lettres et des comptes.

Modèle de maison en terre cuite
Fig. 176. Modèle de maison en terre cuite
(d’ap. Petrie. Gizeh and Rifeh, pl. XV).

Pour ce qui est de l’architecture militaire, de hautes et massives forteresses en briques crues remplacent les simples enceintes formées d’une épaisse muraille, en usage sous l’Ancien Empire. Nous avons, à la frontière méridionale de la Nubie, deux bons exemples de ces constructions, qui dominent de très haut le terrain environnant et qui devaient opposer une très grande résistance à l’escalade et à la sape. Le progrès réalisé dans ce domaine est très naturel et cela n’a rien d’étonnant, puisque la monarchie égyptienne, à cette époque, a un caractère militaire très prononcé et se distingue en cela très nettement de celle de la période précédente.

Attaque d’une forteresse
Fig. 177. Attaque d’une forteresse
(d’après Newberry. Beni Hasan, II, pl. XV).

Sculpture

La statuaire du Moyen Empire continue à suivre, presque sans s’en écarter, les traditions des dynasties memphites; ses procédés sont identiques, et c’est à peine si nous pouvons signaler un peu plus de fini dans les parties qui étaient autrefois laissées le plus souvent à l’état d’ébauches, les jambes et les pieds. Ce sont toujours les mêmes formes, les mêmes attitudes, avec plus de délicatesse peut-être, mais moins de puissance; on recherche moins la ressemblance exacte, réaliste, de la figure à reproduire, qu’une sorte de portrait idéalisé qui n’a plus sans doute que les caractères généraux de l’original: ainsi dans les dix statues de Senousrit I découvertes à Licht, statues identiques de dimension et de matière, sorties ensemble d’un même atelier, toutes les têtes, qui à première vue paraissent semblables, sont dans le détail très différentes les unes des autres et cependant les traits d’ensemble restent les mêmes et se retrouvent aussi dans les autres statues du même souverain.

Statues de Senousrit I
Fig. 178. Statues de Senousrit I. — Licht.
(photographie de M. Pieron).
Statue du roi Hor
Fig. 179. Statue du roi Hor
(photographie de E. Brugsch-Pacha).

Sous le Moyen Empire les statues sont beaucoup moins abondantes que sous l’Ancien, car les particuliers, quelle que fût leur position, n’en déposaient plus guère dans leur tombeau. Encore ces statues sont-elles presque uniquement en bois, les unes de grandeur naturelle, d’autres très petites. Seuls les très hauts personnages avaient le droit de placer dans les temples une image faite à leur ressemblance; les rois par contre y dressaient souvent des statues colossales en granit, dont plusieurs sont parvenues jusqu’à nous, ainsi que les sphinx, également en granit, qui bordaient les avenues de ces temples, sphinx dont la tête était toujours un portrait plus ou moins fidèle du roi régnant. D’autres statues, moins grandes, ornaient les parties apparentes des tombeaux royaux et parfois même on déposait une statue du ka ou du double dans le caveau funéraire, près du sarcophage, comme dans les tombeaux des simples particuliers. Telle la statue de bois du jeune roi Hor Aouabra, qui fut probablement co-régent de son père Amenemhat III, monument délicieux de travail, d’expression et de sentiment, qui restera un des joyaux de l’art égyptien.

Il n’y a pas non plus de grandes modifications à signaler dans la manière de traiter le bas-relief; un dessin ferme et pur, un relief peu marqué, un modelé très délicat, souvent à peine perceptible, sont les caractères généraux de cette branche de la sculpture qui, comme la statuaire, est toujours empreinte d’une grande distinction et d’une remarquable noblesse d’allure.


Peinture

Nous avons vu, en parlant de l’Ancien Empire, que toute sculpture devait être peinte, au moins en principe. La simple peinture sur enduit, qui ne se distinguait pas à première vue du bas-relief polychrome, était soumise aux mêmes lois que ce dernier quant à la disposition générale et la composition, mais constituait un moyen d’expression singulièrement plus rapide et économique. Pour les peintres du Moyen Empire, le souci de la perfection artistique ne passe qu’en seconde ligne: ils donnent libre cours à leur fantaisie, toujours maintenue, il est vrai, par une certaine routine, dans le même procédé d’exécution, et ils s’appliquent avant tout à rendre aussi vivant que possible le sujet qu’ils ont à traiter.

Bas-relief de Koptos
Fig. 180. Bas-relief de Koptos
(d’après Petrie. Koptos, pl. IX).

Arts industriels

La céramique ne présente aucun caractère spécial; de plus en plus les vases en terre sont réservés aux usages vulgaires, et leur facture est généralement peu soignée. Par contre les nombreux petits vases en pierre dure qu’on continue à fabriquer et qui sont destinés à contenir des parfums ou des onguents sont d’un travail extrêmement remarquable. Les matières les plus précieuses sont employées pour cela: l’obsidienne, le lapis-lazuli et la cornaline, aussi bien que l’albâtre, qui continue à être d’un usage courant. L’usage des vases de bronze persiste aussi, comme par le passé.

Vases en cornaline et lapis-lazuli
Fig. 181 et 182. Vases en cornaline et lapis-lazuli
(d’ap. de Morgan. Fouilles à Dahchour, I, pl. XXV).
Pectoral de Senousrit II
Fig. 183. Pectoral de Senousrit II
(d’après de Morgan. Fouilles à Dahchour, I, pl. XVI).

Dans la bijouterie et la joaillerie, les orfèvres de la XIIme dynastie sont arrivés à un degré de perfection qui ne sera plus dépassé et qui fait encore l’admiration de tous les spécialistes; ils taillent et calibrent les pierres avec la plus grande précision, fondent et cisèlent les métaux, emploient le filigrane. Mais leur triomphe incontestable est le bijou ciselé, ajouré et champlevé, avec incrustations de pierres telles que le lapis, la turquoise et la cornaline. La composition du bijou est toujours digne de son exécution, qu’il s’agisse d’un minuscule hiéroglyphe servant d’élément de collier, d’un pectoral pouvant être considéré comme un vrai bas-relief historique en miniature, d’une garde de poignard ou d’un diadème représentant une couronne de fleurs naturelles.

Couronne en or
Fig. 184. Couronne en or
(d’apr. de Morgan. Dahchour, II, pl. IX).

C. CIVILISATION

Royauté

La première monarchie thébaine a un caractère très différent de celui des dynasties memphites, qui était, comme nous l’avons vu, essentiellement pacifique; de simples nomarques qu’ils étaient, les princes de Thèbes avaient acquis le pouvoir suprême au prix de longues luttes. Il était donc bien naturel qu’ils continuassent à faire de l’armée leur principal soutien et que, pour ne pas la laisser inactive, ils l’employassent à pacifier les contrées avoisinantes et à étendre les frontières de l’Egypte. Les rois de la XIIme dynastie ne sont pas, à proprement parler, des conquérants, mais des souverains dont le but est d’assurer le tranquille développement de leur pays en tenant en respect leurs voisins, nomades plus ou moins sauvages et toujours disposés à faire des incursions dans la riche vallée du Nil, et en créant sur le point le plus facilement accessible, le sud, une marche bien fortifiée. Sitôt que cette activité militaire se ralentit, comme cela semble avoir été le cas sous Amenemhat III et ses successeurs, les barbares, qui sont ici les Hyksos, fondent sur le pays et le soumettent, en partie du moins. Il faudra de longs siècles aux vrais Egyptiens pour les chasser et reprendre le pouvoir, et ce nouvel apprentissage de la guerre sera cause de l’avènement des grands conquérants de la XVIIIme dynastie.

Groupes de soldats d’un prince de Siout
Fig. 185. Groupes de soldats d’un prince de Siout
(d’après Maspero. Musée Egyptien, I, pl. XXXIII).

Pour assurer la transmission régulière des pouvoirs royaux de père en fils et éviter les compétitions possibles, Amenemhat I, dans les dernières années de son règne, associa au trône son fils Senousrit I qui fut chargé de diriger l’armée et les expéditions en dehors de l’Egypte, tandis que le vieux souverain continuait à s’occuper de la politique intérieure. Tous les rois de la XIIme dynastie suivirent cet exemple et prirent à un moment donné leur héritier présomptif comme co-régent.


Gouvernement

Le système féodal ne disparut pas dès l’avènement de la XIIme dynastie; les princes des nomes, reconnaissant l’autorité supérieure et la suzeraineté du roi, continuèrent à administrer comme auparavant leur province, sur laquelle ils avaient des droits très étendus: le peuple des campagnes, fellahs ou paysans, fournissait les soldats et pouvait être réquisitionné pour toutes sortes de corvées, spécialement pour les gros transports et les constructions; de lourdes redevances pesaient sur eux, aussi bien sur les paysans soi-disant libres, que sur les serfs et les tenanciers des domaines princiers. Les habitants des villes jouissaient d’une plus grande liberté, tout en étant aussi sous l’autorité directe du nomarque; dans ces cités se groupaient les artisans, les scribes et les fonctionnaires de toute sorte, tous gens d’une classe très supérieure au menu peuple des campagnes. Une légion d’employés, inspecteurs, percepteurs, chacun ayant sa charge nettement délimitée, veillait au bon fonctionnement de ces petits états, dont le prince payait au roi une redevance régulière et lui fournissait des troupes exercées, sur une simple réquisition; il avait sans doute à ses côtés un représentant du souverain. Quant au pouvoir judiciaire, il était presque entièrement entre les mains du pouvoir central.

Cependant cet ordre de choses ne devait pas durer et la centralisation s’opérait peu à peu. Vers la fin de la dynastie, les nomarques disparaissent ou tout au moins leur rôle est si effacé qu’on ne les voit plus paraître. Par contre le nombre des fonctionnaires royaux augmente considérablement; ce sont eux maintenant qui sont chargés non seulement de la justice, mais de toute l’administration civile et militaire, qui perçoivent les redevances, tiennent constamment à jour les registres de la population, du bétail et du cadastre, institution nécessaire dans un pays comme l’Egypte, soumis aux empiétements d’un fleuve dont le cours n’est pas encore définitivement fixé.


Relations extérieures

Nous avons vu la conquête de la Nubie, l’occupation des Oasis, la pacification des contrées désertiques bordant l’Egypte et les campagnes en Syrie; toutes ces opérations, qui furent la préoccupation constante des rois de la XIIme dynastie, avaient eu pour résultat le développement du commerce, favorisé par la tranquillité et la sécurité régnant aux abords de l’Egypte. Les produits du Soudan et de la Syrie arrivent donc dans la vallée du Nil, par caravanes, plus facilement que jamais; de plus, les expéditions au pays de Pount, au pays des Somalis, d’où l’on tirait l’encens, l’ivoire et d’autres objets précieux, paraissent être devenues plus fréquentes, tant par eau, le long des côtes de la Mer Rouge, que par la voie de terre, par le Soudan et l’Abyssinie. Il en est de même pour les relations avec les îles grecques: la poterie dite de Kamarès, qui provient certainement de ces régions se retrouve parfois dans des tombes de la XIIme dynastie, et réciproquement on rencontre souvent en Crète, en Grèce et jusqu’en Etrurie des objets appartenant au premier empire thébain.

Nomades sémites
Fig. 186. Nomades sémites
(d’après Newberry, Beni Hasan, I, pl. XXXI).

Les marchandises importées en Egypte étaient surtout des matières premières, et tout particulièrement les métaux, comme par le passé; en échange, les Egyptiens livraient à leurs voisins toute sorte d’objets ouvrés, et aussi du grain. Nous savons par les récits bibliques que la vallée du Nil était un peu le grenier du monde oriental, et que dans les années de disette ce n’était guère que là qu’on pouvait aller s’approvisionner. C’est en effet sous le Moyen Empire que durent vivre les patriarches qui, après avoir mené la vie des nomades en Palestine, finirent par se fixer dans un petit district du Delta. Abraham dut venir en Egypte pendant le règne de la XIIme dynastie, et c’est presque un tableau de son arrivée avec sa famille et ses serviteurs, que cette peinture célèbre de Beni Hassan, où l’on voit des fonctionnaires égyptiens amener à leur prince une tribu de nomades sémites, avec leurs lourds costumes bariolés, leurs bestiaux, leurs armes et leurs bagages et apportant avec eux de l’antimoine et d’autres produits qu’ils cherchent sans doute à échanger. L’arrivée de Joseph en Egypte, son élévation aux plus hautes dignités et l’installation de sa famille au pays de Goshen ou Kesem, dans les environs de la ville fortifiée d’Avaris, doivent se placer sous un des rois hyksos, nous ne pouvons savoir au juste lequel. Les noms égyptiens que donne le texte hébreu peuvent être rapprochés de certains noms qui étaient en effet employés sous le Moyen Empire et ne sont pas sans doute, comme on l’a cru pendant longtemps, la transcription de noms saïtes, ce qui forcerait à reporter la composition même du récit biblique à une très basse époque. Toute cette série de récits constitue pour nous un précieux document pour la connaissance des relations entre les Egyptiens et leurs voisins.


Vie privée

Il n’y a pas lieu de revenir sur l’organisation de la famille, pas plus que sur les conditions de la vie privée qui continuent à être les mêmes, à peu de chose près, que sous l’Ancien Empire. La nourriture aussi est la même, ainsi que la manière de manger, et on attache toujours autant d’importance aux soins de propreté. Une petite différence se remarque dans le costume des hommes, car si les gens du peuple continuent à porter le petit pagne court, celui des personnages de qualité s’allonge et forme une sorte de jupon plus ou moins ample, descendant jusqu’aux mollets ou même jusqu’aux chevilles; le grand manteau est d’un usage fréquent, comme si le climat s’était refroidi, ce qui est du reste peu probable.

Nous connaissons les villes où habitaient les ouvriers et qui ont été retrouvées au Fayoum, avec leurs petites maisons serrées les unes contre les autres, avec leurs étroites rues droites; nous avons aussi des modèles en terre cuite des maisons où vivaient les gens d’une classe un peu supérieure: une cour entourée d’un mur, au milieu de laquelle se trouvait un étang, précédait l’habitation, qui était elle-même de dimensions assez restreintes; un péristyle à colonnes s’ouvrait largement sur la cour, et les chambres se trouvaient au fond, derrière cette galerie. L’escalier extérieur montait à la terrasse où aboutissaient les grandes bouches à air destinées à la ventilation des appartements et sur laquelle parfois de petites chambres étaient construites (fig. 176). Il ne nous est resté aucune trace des palais royaux ni de ceux des grands seigneurs.


Chasse et pêche

Les procédés de pêche et de chasse, de même que les engins employés, sont les mêmes que sous l’Ancien Empire: le filet, la ligne et le harpon pour la pêche, le lasso, l’arc, le boumerang, le filet et le piège simple pour la chasse. Il faut cependant signaler le fait que les grands seigneurs se constituaient des réserves de gros gibier, de vrais parcs de chasse enclos de palissades et de treillages, où ils pouvaient à leur gré et sans avoir la difficulté d’aller les chercher au loin dans le désert, abattre à coups de flèches les bœufs sauvages, les lions, les antilopes ou les autruches.

Parc de chasse
Fig. 187. Parc de chasse
(d’apr. Newberry. El Bersheh, I, pl. VII).

Agriculture et élevage

L’agriculture étant une des principales ressources du pays, est toujours l’objet d’une attention spéciale de la part du gouvernement; la quantité des terrains cultivables augmente aux dépens des pâturages, grâce à une méthode d’irrigation toujours en voie de développement. Nous ne savons pas quels canaux furent creusés à cette époque, mais nous voyons des rois comme Amenemhat III entreprendre des travaux considérables tels que le lac Mœris qui était très vraisemblablement destiné, ainsi que l’affirment les Grecs, à régulariser les irrigations dans la partie la plus fertile du pays. Le même souverain fit établir un nilomètre sur les rochers de la deuxième cataracte, à l’extrême frontière de ses états, pour surveiller l’inondation et en prévoir d’avance les conséquences pour l’Egypte. Grâce à tous ces efforts et bien que l’outillage ne se fût guère amélioré, le rendement des terres augmentait dans de grandes proportions et l’Egypte devenait le plus grand magasin de grain de l’Orient.

L’élevage tend à diminuer, et l’on ne trouve plus guère que dans certains cantons où le sol est moins fertile qu’ailleurs et moins apte à la culture, les immenses troupeaux de bétail à demi sauvage. Il était réservé aux Hyksos d’introduire dans la faune domestique du pays un nouvel animal, le cheval, innovation qui devait, comme nous le verrons, avoir les conséquences les plus importantes pour l’Egypte.

Barque à voile carrée
Fig. 188. Barque à voile carrée (VIe dyn.)
(d’après Jéquier. Bull. de l’Institut franç. du Caire, IX, pl. III).

Navigation

L’augmentation des produits du sol devait nécessairement amener le développement du commerce intérieur et, partant, de la navigation fluviale, qui était aussi l’objet de la sollicitude du gouvernement, puisque nous voyons un des rois faire exécuter de grands travaux pour rendre navigable la première cataracte en y creusant un chenal suffisamment profond. Les bateaux employés d’ordinaire sont les grandes barques pontées à voile carrée, dont le modèle date de la fin de l’Ancien Empire. Quant à la navigation sur la Méditerranée et la mer Rouge, les documents que nous possédons sont insuffisants pour pouvoir en faire une étude sérieuse, au moins en ce qui concerne le Moyen Empire. Il est cependant probable qu’on employait pour cela des bateaux plus grands et plus forts, mais du même modèle que ceux du Nil.


Industrie

Les scènes figurées, en bois stuqué, déposées au fond des caveaux funéraires, de même que les tableaux peints dans les tombes, nous montrent que, comme sous l’Ancien Empire, la population de l’Egypte ne s’adonnait pas exclusivement à l’agriculture, mais que l’industrie y était aussi en honneur. Les procédés employés sont toujours à peu près les mêmes procédés simples tels qu’on les retrouve chez tous les peuples jeunes, où l’on ne se livre pas à la grande industrie et où l’on ne fabrique les objets qu’au fur et à mesure des besoins.

Menuisiers
Fig. 189. Menuisiers
(d’ap. Quibell. Excavations at Saqqarah, II, pl. XVII).

On remarque entre autres de nombreuses représentations de la fabrication des étoffes: dans le gynécée même des grands seigneurs, des femmes sont occupées à filer le lin tandis que d’autres se livrent au tissage; les métiers employés par ces femmes sont de formes diverses, suivant le genre d’étoffes qu’elles doivent faire, et ces métiers, d’un mécanisme simple et pratique, leur permettaient de tisser des toiles d’une finesse et d’une régularité remarquables, qu’on a retrouvées en grande quantité dans les tombeaux.

Femmes filant et tissant
Fig. 190. Femmes filant et tissant
(d’après Newberry. Beni Hasan, II, pl. IX).

Littérature

De l’Ancien Empire, il ne nous est parvenu aucune œuvre qu’on puisse qualifier de littéraire: les textes des pyramides sont de nature purement religieuse et magique, et les inscriptions tombales comme les biographies sont des récits très simples qui ne témoignent d’aucune recherche de style ou de composition. L’époque suivante nous a, par contre, fourni une longue série d’ouvrages qui, s’ils ne sont pas très étendus, ont du moins un caractère littéraire très marqué. Ces écrits sont de toute sorte, de vrais poèmes comme le chant du harpiste ou le dialogue d’un désespéré avec son âme, des contes comme l’histoire de Sinouhit et celle du roi Khéops et des magiciens, des morceaux d’éloquence comme la plaidoirie du paysan, des traités de morale comme les préceptes de Kaqemna et de Ptahhotep. A côté de cela on trouve encore de nombreux livres religieux ou magiques, des livres de médecine et des traités scientifiques. Tous ces ouvrages sont composés dans une langue très belle et très pure, encore exempte de tout élément étranger, avec une recherche de style marquée, des phrases simples et claires dans lesquelles on voit que les scribes égyptiens affectionnaient l’allitération et le jeu de mots, tout en employant toujours le mot propre. Ces papyrus, qui nous sont parvenus en très bon état de conservation, ne constituent pas un des moindres titres de gloire du Moyen Empire et c’est avec raison qu’on a pu dire de cette période qu’elle est l’époque classique de la littérature égyptienne.

Une page du papyrus Prisse
Fig. 191. Une page du papyrus Prisse
(d’après Jéquier. Le papyrus Prisse et ses variantes, pl. V).
Bijou de la XIIe dyn.
Fig. 192. Bijou de la XIIe dyn.
(d’ap. de Morgan. Fouilles à Dahchour, I, pl. XX).

Panneau du char triomphal de Thoutmès IV
Fig. 193. Panneau du char triomphal de Thoutmès IV
(d’après Carter-Newberry. Tomb of Thoutmosis IV, pl. X).

CHAPITRE VII

NOUVEL EMPIRE
(1500 à 332 avant J.-C.)

A. HISTOIRE

La prise de la forteresse d’Avaris, le dernier retranchement des rois hyksos dans le Delta, et l’expulsion définitive des souverains sémites marque la date la plus importante peut-être de toute l’histoire d’Egypte. Le grand mouvement national, après des siècles de luttes stériles, avait enfin trouvé dans les princes de la XVIIme dynastie des chefs capables de le mener à bien; leur triomphe inaugure une ère de gloire et de puissance telle que l’Egypte n’en avait jamais connu auparavant, et qui est l’apogée de l’empire pharaonique. Cette date, plusieurs historiens l’indiquent avec précision, mais leurs données sont loin de s’accorder, aussi me paraît-il plus prudent de donner ici encore des chiffres approximatifs et de placer l’expulsion des Hyksos et le début de la XVIIIme dynastie aux environs de l’an 1500.


XIIIe dynastie

Il n’y a aucune solution de continuité, pas même un changement de famille régnante, entre la XVIIme et la XVIIIme dynastie; seule l’expulsion des Hyksos en marque la séparation, et le roi qui réussit à parachever la libération du sol égyptien, Ahmès, est en même temps le dernier souverain de la XVIIme et le premier de la XVIIIme. Les fragments de Manéthon qui indiquent comme composant cette dernière dynastie 15 rois ayant régné 259 ans en tout, non compris Ahmès, considéré ici comme appartenant au groupe précédent, contiennent diverses confusions dans les noms de rois; plusieurs de ces souverains sont dédoublés tandis que d’autres sont réunis sous un seul nom, mais les chiffres que donne Manéthon correspondent assez bien aux indications des monuments et leur total peut être considéré comme conforme à la réalité. La XVIIIme dynastie se placerait donc, approximativement, et avec un écart possible de 50 ans au plus, entre 1500 et 1200 avant J.-C. Ahmès ne se borna pas à chasser les Hyksos d’Egypte; il les poursuivit jusque dans la Syrie méridionale et leur infligea une nouvelle défaite en s’emparant de la ville dans laquelle ils s’étaient réfugiés, et sans doute les extermina définitivement, car ils ne reparaissent plus dans l’histoire.

Aménophis I
Fig. 194. Aménophis I. — Turin
(d’ap. Petrie. Photographs, No 75).

L’empire une fois reconquis, il s’agissait de le réorganiser, car les préoccupations militaires avaient sans doute absorbé, pendant le siècle qui venait de s’écouler, toute l’activité des rois nationaux. Ce fut la tâche du fils et successeur d’Ahmès, Aménophis I, qui s’en acquitta, pendant son court règne de 13 ans, à la satisfaction universelle, puisque après sa mort il fut divinisé non seulement de façon officielle, comme tous les rois, mais par le peuple même de sa capitale: lui et sa femme Ahmès Nofritari sont considérés comme les patrons de la nécropole thébaine pendant tout le début du Nouvel Empire. Autant que nous pouvons en juger, ses successeurs continuèrent son œuvre et mirent tous leurs soins à augmenter le bien-être du pays.

Pendant ces longues luttes, l’Egypte était devenue une vraie puissance militaire; elle possédait une armée bien exercée qu’on ne pouvait laisser dans l’inaction. Cette armée n’était plus tout à fait la même que jadis, elle possédait un élément nouveau, la charrerie, et les Egyptiens avaient rapidement perfectionné cette arme, dont ils devaient la connaissance aux rois hyksos, et qui était déjà depuis longtemps en usage chez les Syriens. Les soldats qui montaient ces chars attelés de deux chevaux combattaient de loin avec leurs flèches et leurs javelines, et le choc de leurs escadrons compacts pouvait décider du sort des batailles. L’infanterie était aussi mieux armée, le métal ayant partout remplacé le silex des anciens temps, et beaucoup de soldats n’étaient plus à moitié nus comme autrefois, mais vêtus de cottes capitonnées et de bonnets rembourrés qui les préservaient dans une certaine mesure.

Tête de la momie de Thoutmès I
Fig. 195. Tête de la momie de Thoutmès I
(d’ap. Elliot-Smith. Royal Mummies, pl. XXII).

Aménophis I avait déjà employé son armée pour de petites expéditions de frontières contre les Libyens et les nègres, mais ce fut son fils Thoutmès I qui inaugura l’ère des grandes conquêtes; il envahit la Syrie et la soumit en grande partie, jusqu’à l’Euphrate, où il posa des stèles-frontières, puis il poussa avec ses armées très loin dans le Soudan, sans négliger pour cela d’entreprendre dans l’Egypte même des travaux importants. A sa mort, après une vingtaine d’années de règne, il ne laissait pour lui succéder qu’un fils né d’une femme qui n’était pas de souche royale, Thoutmès II, qui pour légitimer en quelque sorte son accession au trône, dut épouser sa demi-sœur Hatshepsou, en qui coulait un sang plus pur. Il continua l’œuvre de son père, mais n’eut qu’un règne très court. Après lui la couronne revenait à son très jeune fils Thoutmès III, né aussi d’une femme de race non royale; sa tante Hatshepsou profita de sa minorité pour s’emparer de la régence, régna d’abord en son nom et à côté de lui, puis le relégua dans l’ombre et s’arrogea le titre de roi d’Egypte.

Sauf une grande expédition maritime au pays de Pount, expédition qui a du reste un caractère nettement commercial et politique et aucunement militaire, Hatshepsou concentra toute son activité sur l’Egypte elle-même, qu’elle administra sagement, avec le concours de ministres d’une réelle valeur, s’appliquant à faire disparaître les dernières traces du néfaste passage des rois hyksos. Elle restaura des temples et en construisit d’autres, comme celui de Deir el Bahari, qui était consacré à son culte funéraire et qui, étant une des œuvres artistiques les plus remarquables de la dynastie, perpétue, aussi bien que le grand obélisque de Karnak, le souvenir de cette reine qui sut mener à bien l’œuvre intérieure des rois ses prédécesseurs, la réorganisation du pays.

Thoutmès III
Fig. 196. Thoutmès III
(d’apr. Legrain. Statues et statuettes, I, pl. XXX).

Thoutmès III étant arrivé à l’âge de raison, la régente, le «roi Hatshepsou», comme elle s’appelait elle-même, lui fit épouser sa propre fille, mais sans lui laisser pour cela la place à laquelle il aurait eu droit; il était donc assez naturel qu’il conçut envers elle des sentiments de rancune et que plus tard, quand il fut enfin maître du pouvoir, il cherchât à diminuer ou même à faire disparaître le souvenir de son illustre tante. Ce fait très simple a fait naître de longues contestations parmi les égyptologues au sujet de l’ordre de succession des premiers rois de la XVIIIme dynastie, et aujourd’hui les discussions sur ce point n’ont pas encore cessé.

Après 22 ans pendant lesquels Hatshepsou avait assumé les charges et les bénéfices du pouvoir, Thoutmès III devait encore régner seul pendant 48 ans; c’est non seulement un des plus longs règnes qu’enregistre l’histoire d’Egypte, c’est encore le plus glorieux. Profitant de quelques années où le joug égyptien avait pesé sur eux avec moins de force, les princes syriens avaient sans doute reconquis en partie leur indépendance; aussitôt sur le trône, Thoutmès prit en personne le commandement de son armée, envahit la Palestine et la Syrie et commença par une série de victoires cette suite de campagnes qui durent recommencer chaque printemps, pendant près de vingt ans, jusqu’au moment où l’autorité du pharaon fut établie de façon absolument effective sur l’Asie antérieure jusqu’à l’Euphrate tout au moins. Les fils des princes, emmenés comme otages, étaient une garantie de la fidélité de leurs pères et de la rentrée régulière des tributs; du côté de la Nubie il ne paraît pas y avoir eu de difficultés et les peuplades nègres payaient régulièrement leurs redevances; Chypre, les îles grecques et le pays de Pount envoyaient aussi leurs produits, peut-être pour faire acte de vassalité, comme le disent les Egyptiens, mais plus probablement pour en faire le commerce et obtenir des échanges. Jamais l’Egypte n’avait été si puissante et si florissante; Thoutmès III puisa largement à ce trésor qui se renouvelait sans cesse et s’en servit pour entreprendre des constructions importantes sur tous les points de ses états, depuis le fond du Soudan et les Oasis jusqu’aux confins de la Syrie, mais surtout dans sa capitale, Thèbes, qu’il tint à honneur d’embellir et de développer. C’est dans le temple d’Amon à Karnak, entre autres, considérablement agrandi par lui, qu’il grava le récit de toutes ses campagnes, cette source si précieuse pour l’histoire, en même temps que l’image de la plupart de ses ancêtres. Toute la fin de son règne fut consacrée à l’accomplissement de ces travaux pacifiques.

Tête de la momie de Thoutmès
Fig. 197. Tête de la momie de Thoutmès IV
(d’après Elliot-Smith. Royal Mummies, pl. XXIX).

Aménophis II, son fils, puis Thoutmès IV, son petit-fils, lui succédèrent sans égaler sa gloire; leurs règnes, de peu de durée, n’offrent aucun événement mémorable: quelques expéditions en Syrie pour réprimer des révoltes locales et introniser de nouveaux vassaux, ainsi que des constructions de peu d’importance, comparées à celles de leur illustre père et aïeul.

Sphinx d’Aménophis III
Fig. 198. Sphinx d’Aménophis III
(d’après Legrain. Statues et statuettes, I, pl. LIII).

C’est encore une grande figure que celle d’Aménophis III, fils de Thoutmès IV, qui régna 37 ans, fut un habile diplomate, un politique et un organisateur de grand talent, en même temps qu’un constructeur infatigable, un guerrier et un chasseur ne redoutant aucun danger. Il n’étendit pas les conquêtes de ses ancêtres, mais sut maintenir ses vassaux dans l’obéissance et il ne semble pas qu’il y ait eu de son temps la moindre tentative de révolte. Les gouverneurs locaux, qui sont en général des indigènes, envoient à la cour leurs rapports réguliers, et les rois voisins de l’Assyrie, de Babylone et de Mitanni cherchent à entrer en faveur auprès du puissant pharaon, ainsi qu’en témoignent les fameuses tablettes de Tell el Amarna, les archives de la politique étrangère à cette époque. Les constructions monumentales deviennent de plus en plus nombreuses, et les plus beaux temples d’Egypte datent presque tous de ce règne, qui, au point de vue artistique, a une importance capitale. Dans son œuvre si complexe, Aménophis III était admirablement secondé par son ministre, un homme qui mérita d’être plus tard divinisé, Amenophis fils de Paapis.


Les rois hérétiques

Le personnage le plus énigmatique de toute l’histoire d’Egypte est le fils et successeur de ce grand roi, celui qui commença par porter le nom d’Aménophis IV; sa mère, la reine Thii, une Egyptienne de basse ou tout au moins de moyenne naissance, avait déjà réussi à prendre à la cour de son mari une place très importante et tout à fait inaccoutumée, et nous devons sans doute attribuer à son influence la réforme religieuse qui caractérise ce règne et qui devait amener une perturbation profonde dans toute l’Egypte et le déclin rapide de cette glorieuse dynastie. La principale cause de cette révolution profonde bien qu’éphémère, était la raison politique: le clergé d’Amon, dieu de Thèbes, bien plus favorisé par les grands conquérants que ceux des autres sanctuaires du pays, était devenu singulièrement fort, et sa puissance pouvait contre-balancer celle des rois, ce qui arriva du reste quelques siècles plus tard. Désireux de se débarrasser du pouvoir de plus en plus menaçant des grands prêtres d’Amon, et obéissant peut-être aussi à une certaine tendance mystique de son caractère, Aménophis IV imagina un moyen radical: il supprima purement et simplement le dieu de ses pères, devenu gênant. Détruire les immenses sanctuaires construits par ses ancêtres eût été au-dessus de ses forces, aussi se contenta-t-il de les fermer, d’en chasser les prêtres, et de faire marteler le nom d’Amon dans toutes les inscriptions, fût-ce même dans le cartouche de son père ou dans le sien propre. Puis il abandonna Thèbes avec toute sa cour, et fonda dans la Moyenne Egypte une ville nouvelle, sous les auspices du nouveau dieu qu’il venait d’inventer et qui devait remplacer tous les dieux d’Egypte, Aten, le disque solaire, ou plutôt le dieu tout-puissant qui se manifeste par l’intermédiaire du soleil. Ce monothéisme en même temps teinté mysticisme et de matérialisme correspondait trop peu aux idées égyptiennes du temps pour pouvoir durer, mais il offre un intérêt tout particulier, puisque nous n’avons dans toute l’antiquité classique et orientale, aucun autre exemple d’une réforme religieuse analogue. L’idée première de ce culte n’est cependant pas absolument originale mais dérive du culte d’un des plus anciens dieux égyptiens, Rà d’Héliopolis, le Soleil; il y a donc probablement aussi dans la réforme d’Aménophis IV, une réaction des anciens dieux, ou tout au moins de leur sacerdoce, contre le nouveau venu qui les avait supplantés tous, Amon le dieu de Thèbes et des dynasties thébaines.

Buste de Khounaten
Fig. 199. Buste de Khounaten
(d’après Bénédite. Monum. Piot, XIII, pl. I).
Adoration d’Aten. Tell el Amarna
Fig. 200. Adoration d’Aten. Tell el Amarna
(d’apr. une photographie de l’auteur).

En même temps qu’il changeait de religion, le roi prenait un nouveau nom, Khounaten, «la splendeur du disque solaire». Sa nouvelle capitale de Khout-aten, «l’horizon du disque», avec ses grands palais, son temple d’Aten, ses villas dont on a retrouvé les ruines, devait avoir un aspect tout particulier, grâce à la nouvelle tendance artistique qui se manifestait chez les sculpteurs et les peintres et qui était due sans doute à l’inspiration du roi lui-même, réagissant jusque dans ce domaine contre les habitudes et la routine. Les artistes égyptiens de l’époque cherchent à faire disparaître de leurs œuvres cette sorte de raideur et de solennité qui de nos jours inspire encore à première vue, à ceux qui ne sont pas initiés à l’art égyptien, un sentiment d’étonnement et même de répulsion; ils serrent de plus près la nature dans la ligne comme dans le mouvement, et dans leur inexpérience de ce nouveau mode d’expression, ils en arrivent parfois à des exagérations qui produisent une impression étrange. Ainsi la figure même du roi est représentée avec le crâne démesurément long, le nez et le menton proéminents, le cou mince, la poitrine étroite, le ventre et les cuisses énormes; les membres de sa famille, les courtisans eux-mêmes imitent dans leurs portraits ces formes étranges et on pourrait croire, à voir ce type nouveau si répandu, que toute la population de l’Egypte s’est modifiée d’un jour à l’autre. Il y a à côté de cela des scènes si parfaites de sentiment et d’intimité, des décorations peintes d’une variété si merveilleuse, que nous sommes obligés de reconnaître dans ces représentants d’un art nouveau des artistes qui sont au moins égaux, peut-être même supérieurs à leurs devanciers.

Peinture de Tell el Amarna
Fig. 201. Peinture de Tell el Amarna
(d’ap. Petrie. Tell-el-Amarna, pl. I).
Tablette de Tell el Amarna
Fig. 202. Tablette de Tell el Amarna
(d’apr. Scheil. Bulletin de l’Inst. français du Caire, II, pl. VIII).

L’intimité, ou tout au moins l’apparence d’intimité qui règne entre les membres de la famille royale est une des choses qui contribuent peut-être le plus à nous donner de la sympathie pour cet étrange souverain qui prenait en tout le contre-pied de ses devanciers. Qu’il sorte en voiture, la reine et les six princesses l’escortent; qu’il reçoive des ambassadeurs étrangers, qu’il distribue des récompenses à ses sujets, qu’il officie dans le temple d’Aten, toujours sa femme et ses filles se tiennent à côté de lui, le caressant ou l’enlaçant tendrement.

Toutankhamon
Fig. 203. Toutankhamon
(d’ap. Legrain. Statues et statuettes, I, pl. LVII).

Très occupé par cette transformation radicale du pays, suivant ses doctrines et ses théories nouvelles, Khounaten n’eut pas le loisir de surveiller activement ses possessions asiatiques; il eût fallu y envoyer fréquemment des expéditions armées pour contenir les éléments toujours plus ou moins en effervescence de ces populations auxquelles on avait laissé une autonomie presque complète, et c’est justement ce qui ne fut pas fait. Dans les lettres des gouverneurs de ces pays, qui se trouvent parmi les tablettes de Tell el Amarna, nous voyons sans cesse des demandes de secours contre les insurgés qui deviennent de jour en jour plus forts, et les rois étrangers parlent à Khounaten sur un ton moins humble et moins respectueux que dix ans plus tôt, à son père. Le lien se relâchait peu à peu, l’empire si puissamment organisé commençait à s’effriter, par suite du caprice d’un homme qui se croyait sans doute un génie, mais qui n’avait pas compris qu’une transformation intégrale comme la sienne serait fatalement préjudiciable au pays.

Horemheb
Fig. 204. Horemheb
(d’apr. Legrain. Statues et statuettes, I, pl. LX).

Nous ne savons pas exactement combien de temps régna Khounaten, mais sa réforme ne lui survécut que peu d’années; ses deux successeurs immédiats, qui étaient ses gendres, commencèrent par suivre la même voie que lui, puis le second d’entre eux, auquel une découverte retentissante vient de donner une renommée mondiale, fut forcé d’en revenir à la tradition séculaire de l’Egypte, rouvrit les sanctuaires de Thèbes et changea son nom de Toutankhaten en celui de Toutankhamon. Aucun fait saillant n’illustra ces règnes, pas plus que celui d’Aï qui vint ensuite. La grande tâche de la réorganisation devait incomber à un autre, à un homme qui occupait depuis longtemps une haute position dans le pays, qui devait appartenir de près ou de loin à la famille royale, et qui monta sur le trône sous le nom d’Horemheb. Il fit des expéditions en Nubie pour rétablir dans les pays du sud le prestige de l’Egypte, fit des constructions en maints endroits et embellit les sanctuaires désertés pendant un temps, mais surtout il rétablit en tous points l’ancien ordre de choses et promulgua une série de lois pour réprimer la violence et l’arbitraire, et assurer la protection des faibles. C’est avec cette noble figure que se termine la XVIIIme dynastie.


XIXe dynastie

Le successeur d’Horemheb, Ramsès I, un ancien grand vizir qui n’était sans doute pas apparenté à la famille royale, ne fit qu’une très courte apparition sur le trône, vers 1250 probablement. Son fils Séti I est à tous les points de vue un des plus grands parmi les pharaons. Il consacra toutes les premières années d’un règne dont nous ignorons la longueur, et qui dura peut-être un demi-siècle, à reprendre les colonies asiatiques que possédait l’Egypte avant la crise des rois hérétiques. Horemheb avait déjà rétabli son autorité sur la Nubie, et il lui suffit d’une très brève campagne dans ce pays pour bien marquer sa puissance, puis il se jeta avec toutes ses forces sur la Syrie, qu’il traversa triomphalement du sud au nord, écrasant à plusieurs reprises les indigènes qui avaient repris leur indépendance, et il atteignit les confins du pays des Hittites en Asie Mineure et des royaumes de Babylonie et d’Assyrie, sur le Haut Euphrate. Une expédition contre les tribus libyennes du désert enleva à celles-ci toute velléité de faire des incursions dans la vallée du Nil. L’Egypte avait en apparence, et pour un temps du moins, reconquis toute sa puissance, et Séti pouvait s’occuper en paix de travaux intérieurs; il nous est parvenu des témoins très remarquables de cette activité parmi lesquels figurent son tombeau, le temple d’Abydos et surtout la grande salle hypostyle de Karnak, sur les parois extérieures de laquelle il fit sculpter en tableaux immenses les péripéties de ses campagnes.

Tête de la momie de Séti I
Fig. 205. Tête de la momie de Séti I
(d’après Elliot-Smith. Royal Mummies, frontispice).
Campagnes de Séti I
Fig. 206. Campagnes de Séti I (Temple de Karnak).
Tête de la momie de Ramsès II
Fig. 207. Tête de la momie de Ramsès II
(d’ap. Elliot-Smith. Royal Mummies, pl. XLIV).

De tous les anciens rois d’Egypte, le seul dont l’humanité ait conservé un souvenir vivant est Ramsès II, fils de Séti I, qu’on confond volontiers avec le légendaire Sesostris, et qui jouit en somme d’une réputation très supérieure à son œuvre. Il eut un très long règne, construisit beaucoup, et, en plus de cela, il s’appropria sans le moindre scrupule tous les monuments de ses prédécesseurs, effaçant même parfois leurs cartouches pour y mettre le sien, aussi n’y a-t-il guère de site antique en Egypte où l’on ne trouve son nom. Dès le début de son règne il eut à lutter, dans les provinces asiatiques de son empire, contre un royaume devenu progressivement très puissant et qui occupait une grande partie de l’Asie Mineure, celui des Hittites. Il sut habilement jouer d’un succès qu’il remporta dans sa première campagne et où sa valeur personnelle avait décidé de la victoire; sur la façade de tous ses temples, il fit sculpter cet épisode accompagné d’un poème dithyrambique, le fameux poème de Pentaour, et acquit ainsi une auréole de gloire qui est, sinon imméritée, du moins un peu surfaite. En effet, son succès ne devait pas être décisif, et nous voyons Ramsès, quelques années plus tard, conclure avec ces mêmes rois hittites un traité dont il fait de nouveau très grand état et qui, à tout prendre, met sur un pied d’égalité les deux parties contractantes au lieu d’assurer la supériorité de l’Egypte. Ramsès sut du reste, semble-t-il, maintenir l’intégrité de ses états, et l’orage qui s’approchait de ses frontières n’éclata qu’après sa mort.

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