Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)
Mais j'aime toujours M. l'abbé Métastase.
«Bonsoir, ma petite Aurore. Je vais me coucher, bien qu'il ne soit que neuf heures et demie, car je ne me sens pas disposée du tout à passer, comme toi, les nuits à travailler. Je n'ai pas d'ardeur et n'en prends que pour mon plaisir..................................... ...........................................»
............ 17 juin ............
«J'ai été, il y a quelques jours, à ce qu'on appelle ici un tantarare. C'est une société composée de personnes âgées qui jouent au boston dans un salon fort peu éclairé. Quelques jeunes personnes, qui ont suivi leurs mères, bâillent ou en meurent d'envie. Pour moi, mon sort a été supportable. Je me suis trouvée, par hasard, auprès d'une jeune dame aimable et de mon âge. Nous avons beaucoup bavardé. Tu aurais été étonnée de nous entendre raisonner sur l'histoire de France! Comme je n'y suis pas des plus ferrées, j'ai jeté la conversation sur ce qui m'en plaît le mieux, sur le temps de la chevalerie. Nous avons cherché alors des hommes dignes du beau titre de chevaliers dans ceux que nous connaissons, et nous n'avons pas pu en trouver plus de deux ou trois. Il fallait leur donner des dames: la chose nous parut trop difficile, quoique, au fond, chacune de nous pensât que c'était elle.
«Tu me demandes si je versifie encore. Vraiment non. J'ai laissé ce goût au couvent, où je ne pouvais avoir à chanter d'autres romances que celles que je composais moi-même. Maintenant ce n'est pas un petit plaisir pour moi de pouvoir chanter toutes celles que je veux........
«Comment! tu tires le pistolet dans une cible, avec ton ami Hippolyte? Et moi qui me vantais à toi de brûler de la poudre! Décidément, tu es bien plus gâtée que moi, et je vas m'en plaindre à mon papa, qui me refuse des balles. Il croit que le bruit et le feu me suffiront longtemps!—Par exemple, je déteste toujours le travail d'aiguille. Je le reconnais pourtant bien nécessaire à une femme; mais j'ai trouvé un ouvrage qui me plaît: c'est de filer. J'ai un petit rouet charmant, avec une belle quenouille d'ébène, qui vaut bien la quenouille de bois de rose d'Amélie, dans Gaston de Foix.—Mais que tu es donc heureuse d'avoir un cheval à toi! Je n'ai, en fait de bêtes, qu'une tourterelle qui se charge de me réveiller le matin en volant sur mon lit.—Je ne partage guère ton désir singulier de retourner au couvent. En fait de religieuses, je n'aimais que Poulette; mais la nouvelle supérieure, point. Je m'étonne toujours que tu puisses supporter son souvenir et ne pourrais m'attacher à elle que pour l'amour de Dieu.—J'ai eu des nouvelles de G***. Elle est au Sacré-Cœur, et toujours méchante comme elle l'était chez nous. C'est encore quelqu'un que tu aimais et que je ne peux pas souffrir. Il paraît qu'elle se plaît beaucoup, dans cette nouvelle pension, à raconter tous les affreux tours qu'elle jouait à nos vieilles locataires de la rue des Boulangers.»
27 septembre ...
«... Je n'ai plus de nouvelles de notre couvent que par toi, et tu es la seule avec qui je puisse me livrer un peu à mon babil, car l'inspection des lettres par Mme Eugénie m'empêche d'écrire davantage aux amies que nous y avons laissées. Cela mettrait trop de contrainte dans mes lettres. Par exemple, je ne me risquerais pour rien au monde à leur parler de M. de la ***, qui est maintenant le seul beau danseur du régiment du Calvados, M. de Lauzun étant absent.
«Tu te représenteras facilement le premier, quand je te dirai qu'il me ressemble comme deux gouttes d'eau, surtout au bal, où nous avons tous deux de très vives couleurs. Nous sommes de la même taille. Il jouit, comme moi, d'un honnête embonpoint. Il a des cheveux blondasses et des petits yeux bleus mal ouverts. Enfin, quand nous dansons ensemble, on le prendrait pour mon frère. Maman dit que si elle s'était mariée deux ou trois ans plus tôt, elle aurait pu avoir un fils aussi charmant.
«Au dernier bal où j'ai été, il y avait trois officiers, dont M***. Celui-là avait de grands pantalons rouges et des petits brodequins verts, qui me donnaient grande envie qu'il me fît danser; mais c'est un désir qu'il n'a pas partagé.... On ne danse pas pendant l'Avent. Maman a donné des concerts où nous avons brillé comme tu penses. J'avais très peur, mais le public d'ici ne s'y connaît guère. Ma harpe est très bonne, quoique pas plus grande que la tienne, au couvent. Elle a des sons charmans. Elle est en bois satiné gris et toute dorée. Je chante toujours un peu, et on met mon peu de voix sur le compte de ma timidité.»
«18 janvier 1822.
«Il est plus de trois heures. Je sors du bal, et pendant que la femme de chambre déshabille maman, j'ai le temps de commencer une lettre pour ma petite Aurore. Puisque les extrêmes se cherchent, j'aime à babiller avec toi, et je veux de conter tout chaud, tout bouillant, mes plaisirs de ce soir. Hélas! malgré tout ce que je t'en dis pour te monter la tête, ils n'ont pas été sans mélange. J'ai encore dansé avec tout le monde, excepté avec ces petites bottes vertes qui m'avaient déjà tentée. Et comme les difficultés augmentent les fantaisies, j'en ai plus envie que jamais. J'ai grand besoin de me reposer après trois bals de suite. C'est une vie désordonnée, et tu as peut-être bien raison de n'en pas désirer une pareille. Mais passer l'hiver seule à la campagne! pour cela, c'est effrayant, je ne m'en sentirais pas le courage. La vie est toute couleur de rose autour de moi, et je me figure que la réflexion me rendrait triste.»
La personne qui m'écrivait ainsi était extrêmement jolie, malgré les moqueries qu'elle fait d'elle-même. Elle était un peu grasse et un peu louche, il est vrai; mais cela ne l'empêchait pas d'être légère dans sa démarche et d'avoir le plus doux regard et les plus jolis yeux. Elle avait peu de voix, en effet, mais chantait d'une manière ravissante. C'était une nature narquoise, remplie de bienveillance, et voyant en toutes choses le côté comique. Elle avait de grandes originalités, aimant le plaisir sans coquetterie, et laissant prendre à son esprit un tour assez hardi quelquefois, sans manquer dans ses manières et dans ses actions à une réserve exquise.
Ces charmantes puérilités de jeune fille m'arrivaient quelquefois en même temps qu'une argumentation de philosophie matérialiste de Claudius et une exhortation pleine d'onction et de suavité de l'abbé de Prémord. Ma vie intellectuelle était donc bien variée, et si j'étais triste souvent, je ne m'ennuyais du moins jamais. Au contraire, même au milieu de mes plus grands dégoûts de l'existence, je me plaignais de la rapidité du temps, qui ne suffisait à rien de ce dont j'aurais voulu le remplir.
J'aimais toujours la musique. J'avais dans ma chambre un piano, une harpe et une guitare. Je n'avais plus le temps de rien étudier, mais je déchiffrais beaucoup de partitions. Cette impossibilité où j'étais d'acquérir un talent quelconque m'assurait du moins une source de jouissances en m'habituant à lire et à comprendre.
Je voulais aussi apprendre la géologie et la minéralogie. Deschartres remplissait ma chambre de moellons. Je n'apprenais rien qu'à voir et à observer les détails de la création, sur lesquels il attirait mes regards; mais le temps manquait toujours. Il eût fallu que notre chère malade pût guérir.
Vers la fin de l'automne, elle devint très calme, et je me flattais encore; mais Deschartres regardait cette amélioration comme un nouveau pas vers la dissolution de l'être. Ma grand'mère n'était pourtant pas d'un âge à ne pouvoir se relever. Elle avait soixante-quinze ans, et n'avait été malade qu'une fois déjà dans toute sa vie. L'épuisement de ses forces et de ses facultés était donc assez mystérieux. Deschartres attribuait cette absence de puissance réactive à la mauvaise circulation de son sang dans un système de vaisseaux trop étroits. Il fallait l'attribuer plutôt à l'absence de volonté et d'épanouissement moral, depuis l'affreux chagrin de la perte de son fils.
Tout le mois de décembre fut lugubre. Ma grand'mère ne se leva plus et parla rarement. Cependant, habitués à être tristes, nous n'étions pas terrifiés. Deschartres pensait qu'elle pouvait vivre longtemps ainsi dans un engourdissement entre la mort et la vie. Le 22 décembre, elle me fit lever pour me donner un couteau de nacre, sans pouvoir expliquer pourquoi elle songeait à ce petit objet et voulait le voir dans mes mains. Elle n'avait plus d'idées nettes. Cependant elle s'éveilla encore une fois pour me dire: «Tu perds ta meilleure amie.»
Ce furent ses dernières paroles. Un sommeil de plomb tomba sur sa figure calme, toujours fraîche et belle. Elle ne se réveilla plus et s'éteignit sans aucune souffrance, au lever du jour et au son de la cloche de Noël.
Nous n'eûmes de larmes ni Deschartres ni moi. Quand le cœur eut cessé de battre et le souffle de ternir légèrement la glace, il y avait trois jours que nous la pleurions définitivement, et en ce moment suprême nous n'éprouvions plus que la satisfaction de penser qu'elle avait franchi sans souffrance du corps et sans angoisses de l'âme le seuil d'une meilleure existence. J'avais redouté les horreurs de l'agonie: la Providence les lui épargnait. Il n'y eut point de lutte entre le corps et l'esprit pour se séparer. Peut-être que déjà l'âme était envolée vers Dieu, sur les ailes d'un songe qui la réunissait à celle de son fils, tandis que nous avions veillé ce corps inerte et insensible.
Julie lui fit une dernière toilette, avec le même soin que dans les meilleurs jours. Elle lui mit son bonnet de dentelle, ses rubans, ses bagues. L'usage, chez nous, est d'enterrer les morts avec un crucifix et un livre de religion. J'apportai ceux que j'avais préférés au couvent. Quand elle fut parée pour la tombe, elle était encore belle. Aucune contraction n'avait altéré ses traits nobles et purs. L'expression en était sublime de tranquillité.
Dans la nuit, Deschartres vint m'appeler, il était fort exalté et me dit d'une voix brève: «Avez-vous du courage? Ne pensez-vous pas qu'il faut rendre aux morts un culte plus tendre encore que celui des prières et des larmes? Ne croyez-vous pas que de là-haut ils nous voient et sont touchés de la fidélité de nos regrets? Si vous pensez toujours ainsi, venez avec moi.»
Il était environ une heure du matin. Il faisait une nuit claire et froide. Le verglas, venu par dessus la neige, rendait la marche si difficile, que, pour traverser la cour et entrer dans le cimetière qui y touche, nous tombâmes plusieurs fois.
«Soyez calme, me dit Deschartres toujours exalté sous une apparence de sang-froid étrange. Vous allez voir celui qui fut votre père.» Nous approchâmes de la fosse ouverte pour recevoir ma grand'mère. Sous un petit caveau, formé de pierres brutes, était un cercueil que l'autre devait rejoindre dans quelques heures.
«J'ai voulu voir cela, dit Deschartres, et surveiller les ouvriers qui ont ouvert cette fosse dans la journée; le cercueil de votre père est encore intact; seulement les clous étaient tombés. Quand j'ai été seul, j'ai voulu soulever le couvercle. J'ai vu le squelette. La tête s'était détachée d'elle-même. Je l'ai soulevée, je l'ai baisée. J'en ai éprouvé un si grand soulagement, moi qui n'ai pu recevoir son dernier baiser, que je me suis dit que vous ne l'aviez pas reçu non plus. Demain cette fosse sera fermée. On ne la rouvrira sans doute plus que pour vous. Il faut y descendre, il faut baiser cette relique. Ce sera un souvenir pour toute votre vie. Quelque jour, il faudra écrire l'histoire de votre père, ne fût-ce que pour le faire aimer à vos enfans qui ne l'auront pas connu. Donnez maintenant à celui que vous avez connu à peine vous-même, et qui vous aimait tant, une marque d'amour et de respect. Je vous dis que de là où il est maintenant, il vous verra et vous bénira.»
J'étais assez émue et exaltée moi-même pour trouver tout simple ce que me disait mon pauvre précepteur. Je n'y éprouvai aucune répugnance, je n'y trouvais aucune bizarrerie; j'aurais blâmé et regretté qu'ayant conçu cette pensée, il ne l'eût pas exécutée. Nous descendîmes dans la fosse et je fis religieusement l'acte de dévotion dont il me donna l'exemple.
«Ne parlons de cela à personne, me dit-il, toujours calme en apparence, après avoir refermé le cercueil, et sortant avec moi du cimetière: on croirait que nous sommes fous, et pourtant nous ne le sommes pas, n'est-il pas vrai?
—Non, certes,» répondis-je avec conviction.
Depuis ce moment j'ai observé que les croyances de Deschartres avaient complétement changé. Il avait toujours été matérialiste et n'avait pas réussi à me le cacher, bien qu'il eût soin de chercher dans ses paroles des termes moyens pour ne pas s'expliquer sur la Divinité et l'immatérialité de l'âme humaine. Ma grand'mère était déiste, comme on disait de son temps, et lui avait défendu de me rendre athée. Il avait eu bien de la peine à s'en défendre, et, pour peu que j'eusse été portée à la négation, il m'y aurait confirmée malgré lui.
Mais il se fit en lui une révolution soudaine et même extrême dans son caractère, car peu de temps après je l'entendis soutenir avec feu l'autorité de l'Église. Sa conversion avait été un mouvement du cœur, comme la mienne. En présence de ces froids ossemens d'un être chéri, il n'avait pu accepter l'horreur du néant. La mort de ma grand'mère ravivant le souvenir de celle de mon père, il s'était trouvé devant cette double tombe écrasé sous les deux plus grandes douleurs de sa vie, et son âme ardente avait protesté, en dépit de sa raison froide, contre l'arrêt d'une éternelle séparation.
Dans la journée qui suivit cette nuit d'une étrange solennité, nous conduisîmes ensemble la dépouille de la mère auprès de celle du fils. Tous nos amis y vinrent et tous les habitans du village y assistèrent. Mais le bruit, les figures hébétées, les batailles des mendians qui, pressés de recevoir la distribution d'usage, nous poussaient jusque dans la fosse pour se trouver les premiers à la portée de l'aumône, les complimens de condoléance, les airs de compassion fausse ou vraie, les pleurs bruyans et les banales exclamations de quelques serviteurs bien intentionnés, enfin tout ce qui est de forme et de regret extérieur me fut pénible et me parut irréligieux. J'étais impatiente que tout ce monde fût parti. Je savais un gré infini à Deschartres de m'avoir amenée là, dans la nuit, pour rendre à cette tombe un hommage grave et profond.
Le soir, toute la maison, vaincue par la fatigue, s'endormit de bonne heure, Deschartres lui-même, brisé d'une émotion qui avait pris une forme toute nouvelle dans sa vie.
Je ne me sentis pas accablée. J'avais été profondément pénétrée de la majesté de la mort; mes émotions, conformes à mes croyances, avaient été d'une tristesse paisible. Je voulus revoir la chambre de ma grand'mère et donner cette dernière nuit de veille à son souvenir, comme j'en avais donné tant d'autres à sa présence.
Aussitôt que tout le bruit eut cessé dans la maison, et que je me fus assurée d'y être bien seule debout, je descendis et m'enfermai dans cette chambre. On n'avait pas encore songé à la remettre en ordre. Le lit était ouvert, et le premier détail qui me saisit fut l'empreinte exacte du corps, que la mort avait frappé d'une pesanteur inerte et qui se dessinait sur le matelas et sur le drap. Je voyais là toute sa forme gravée en creux. Il me sembla, en y appuyant mes lèvres, que j'en sentais encore le froid.
Des fioles à demi vides étaient encore à côté de son chevet. Les parfums qu'on avait brûlés autour du cadavre remplissaient l'atmosphère. C'était du benjoin, qu'elle avait toujours préféré pendant sa vie, et qui lui avait été rapporté de l'Inde, dans une noix de coco, par M. Dupleix. Il y en avait encore, j'en brûlai encore. J'arrangeai ses fioles comme la dernière fois elle les avait demandées; je tirai le rideau à demi, comme il avait coutume d'être quand elle le faisait disposer. J'allumai la veilleuse, qui avait encore de l'huile. Je ranimai le feu, qui n'était pas encore éteint. Je m'étendis dans le grand fauteuil, et je m'imaginai qu'elle était encore là, et qu'en tâchant de m'assoupir j'entendrais peut-être encore une fois sa faible voix m'appeler.
Je ne dormis pas, et cependant il me sembla entendre deux ou trois fois sa respiration, et l'espèce de gémissement, de réveil que mes oreilles connaissaient si bien. Mais rien de net ne se produisit à mon imagination, trop désireuse de quelque douce vision pour arriver à l'exaltation qui eût pu la produire.
J'avais eu dans mon enfance des accès de terreur à propos des spectres, et au couvent il m'en était revenu quelques appréhensions. Depuis mon retour à Nohant, cela s'était si complétement dissipé, que je le regrettais, craignant, quand je lisais les poètes, d'avoir l'imagination morte. L'acte religieux et romanesque que Deschartres m'avait fait accomplir la veille était de nature à me ramener les troubles de l'enfance; mais loin de là, il m'avait pénétrée d'une désespérance absolue de ne pouvoir communiquer directement avec les morts aimés. Je ne pensais donc pas que ma pauvre grand'mère pût m'apparaître réellement, mais je me flattais que ma tête fatiguée pourrait éprouver quelque vertige qui me ferait revoir sa figure éclairée du rayon de la vie éternelle.
Il n'en fût rien. La bise siffla au dehors, la bouillotte chanta dans l'âtre, et aussi le grillon, que ma grand'mère n'avait jamais voulu laisser persécuter par Deschartres, bien qu'il la réveillât souvent. La pendule sonna les heures. La montre à répétition, accrochée au chevet de la malade, et qu'elle avait la coutume d'interroger souvent du doigt, resta muette. Je finis par ressentir une fatigue qui m'endormit profondément.
Quand je m'éveillai, au bout de quelques heures, j'avais tout oublié, et je me soulevai pour regarder si elle dormait tranquille. Alors le souvenir me revint avec des larmes qui me soulagèrent, et dont je couvris son oreiller toujours empreint de la forme de sa tête. Puis je sortis de cette chambre, où les scellés furent mis le lendemain et qui me parut profanée par les formalités d'intérêt matériel.
CHAPITRE VINGTIEME.
Mon tuteur.—Arrivée de ma mère et de ma tante.—Étrange changement de relations.—Ouverture du testament.—Clause illégale.—Résistance de ma mère.—Je quitte Nohant.—Paris, Clotilde.—1823.—Deschartres à Paris.—Mon serment.—Rupture avec ma famille paternelle.—Mon cousin Auguste.—Divorce avec la noblesse.—Souffrances domestiques.
Mon cousin Réné de Villeneuve, puis ma mère, avec mon oncle et ma tante Maréchal, arrivèrent peu de jours après. Ils venaient assister à l'ouverture du testament et à la levée des scellés. De la valeur de ce testament allait dépendre mon existence nouvelle; je ne parle pas sous le rapport de l'argent, je n'y pensais pas, et ma grand'mère y avait pourvu de reste; mais sous le rapport de l'autorité qui allait succéder pour moi à la sienne.
Elle avait désiré, par-dessus tout, que je ne fusse point confiée à ma mère, et la manière dont elle me l'avait exprimé, à l'époque de la pleine lucidité où elle avait rédigé ses dernières volontés, m'avait fortement ébranlée. «Ta mère, m'avait-elle dit, est plus bizarre que tu ne penses, et tu ne la connais pas du tout. Elle est si inculte qu'elle aime ses petits à la manière des oiseaux, avec de grands soins et de grandes ardeurs pour la première enfance; mais quand ils ont des ailes, quand il s'agit de raisonner et d'utiliser la tendresse instinctive, elle vole sur un autre arbre et les chasse à coups de bec. Tu ne vivrais pas à présent trois jours avec elle sans te sentir horriblement malheureuse. Son caractère, son éducation, ses goûts, ses habitudes, ses idées te choqueront complétement, quand elle ne sera plus retenue par mon autorité entre vous deux. Ne t'expose pas à ces chagrins, consens à aller habiter avec la famille de ton père, qui veut se charger de toi après ma mort. Ta mère y consentira très volontiers, comme tu peux déjà le pressentir, et tu garderas avec elle des relations douces et durables que vous n'aurez point si vous vous rapprochez davantage. On m'assure que, par une clause de mon testament, je peux confier la suite de ton éducation et le soin de t'établir à Réné de Villeneuve, que je nomme ton tuteur, mais je veux que tu acquisses d'avance à cet arrangement, car Mme de Villeneuve surtout ne se chargerait pas volontiers d'une jeune personne qui la suivrait à contre-cœur.»
A ces momens de courte mais vive lueur de sagesse, ma grand'mère avait pris sur moi un empire complet. Ce qui donnait aussi beaucoup de poids à ses paroles, c'était l'attitude singulière et même blessante de ma mère, son refus de venir me soutenir dans mes angoisses, le peu de pitié que l'état de ma grand'mère lui inspirait, et l'espèce d'amertume railleuse, parfois menaçante de ses lettres rares et singulièrement irritées. N'ayant pas mérité cette sourde colère qui paraissait gronder en elle, je m'en affligeais, et j'étais forcée de constater qu'il y avait chez elle soit de l'injustice, soit de la bizarrerie. Je savais que ma sœur Caroline n'était point heureuse avec elle, et ma mère m'avait écrit: «Caroline va se marier. Elle est lasse de vivre avec moi. Je crois, après tout, que je serai plus libre et plus heureuse quand je vivrai seule.»
Mon cousin était venu bientôt après passer une quinzaine avec nous. Je crois que pour se bien décider, ou tout au moins pour décider sa femme à se charger de moi, il avait voulu me connaître davantage. De mon côté, je désirais aussi connaître ce père d'adoption que je n'avais pas beaucoup vu depuis mon enfance. Sa douceur et la grâce de ses manières m'avaient toujours été sympathiques, mais il me fallait savoir s'il n'y avait pas derrière ces formes agréables un fond de croyances quelconques, inconciliables avec celles qui avaient surgi en moi.
Il était gai, d'une égalité charmante de caractère, d'un esprit aimable et cultivé, et d'une politesse si exquise que les gens de toute condition en étaient satisfaits ou touchés. Il avait beaucoup de littérature, et une mémoire si fidèle qu'il avait retenu, je crois, tous les vers qu'il avait lus. Il m'interrogeait sur mes lectures, et dès que je lui nommais un poète, il m'en récitait les plus beaux passages d'une manière aisée, sans déclamation, avec une voix et une prononciation charmantes. Il n'avait point d'intolérance dans le goût et se plaisait à Ossian aussi bien qu'à Gresset. Sa causerie était un livre toujours ouvert et qui vous présentait toujours une page choisie.
Il aimait la campagne et la promenade. Il n'avait, à cette époque, que quarante-cinq ans, et comme il n'en paraissait que trente, on ne manqua pas de dire à La Châtre, en nous voyant monter à cheval ensemble, qu'il était mon prétendu, et que c'était une nouvelle impertinence de ma part de courir seule avec lui, au nez du monde.
Je ne trouvai en lui aucun des préjugés étroits et des appréciations mesquines des provinciaux. Il avait toujours vécu dans le plus grand monde, et mes excentricités ne le blessaient en rien. Il tirait le pistolet avec moi, il se laissait aller à lire et à causer jusqu'à deux ou trois heures du matin; il luttait avec moi d'adresse à sauter les fossés à cheval; il ne se moquait pas de mes essais de philosophie, et même il m'exhortait à écrire, assurant que c'était ma vocation, et que je m'en tirerais agréablement.
Par son conseil, j'avais essayé de faire encore un roman, mais celui-ci ne réussit pas mieux que ceux du couvent. Il ne s'y trouva pas d'amour. C'était toujours une fiction en dehors de moi et que je sentais ne pouvoir peindre. Je m'en amusai quelque temps et y renonçai au moment où cela tournait à la dissertation. Je me sentais pédante comme un livre, et, ne voulant pas l'être, j'aimais mieux me taire et poursuivre intérieurement l'éternel poème de Corambé, où je me sentais dans le vrai de mes émotions.
En trouvant mon tuteur si conciliant et d'un commerce si agréable, je ne songeais pas qu'une lutte d'idées pût jamais s'engager entre nous. A cette époque, les idées philosophiques étaient toutes spéculatives dans mon imagination. Je n'en croyais pas l'application générale possible. Elles n'excitaient ni alarmes ni antipathies personnelles chez ceux qui ne s'en occupaient pas sérieusement. Mon cousin riait de mon libéralisme et ne s'en fâchait guère. Il voyait la nouvelle cour, mais il restait attaché aux souvenirs de l'empire, et comme, en ce temps-là, bonapartisme et libéralisme se fondaient souvent dans un même instinct d'opposition, il m'avouait que ce monde de dévots et d'obscurantistes lui donnait des nausées, et qu'il ne supportait qu'avec dégoût l'intolérance religieuse et monarchique de certains salons.
Il me faisait bien certaines recommandations de respect et de déférence envers madame de Villeneuve, qui me donnaient à penser qu'il n'était pas le maître absolu chez lui; mais ma cousine n'était pas dévote alors, et tenait surtout aux manières et au savoir-vivre. Comme je m'inquiétais de ma rusticité, il m'assura qu'il n'y paraissait pas quand je voulais, et qu'il ne s'agissait que de vouloir toujours. «Au reste, me disait-il, si tu trouves quelquefois ta cousine un peu sévère, tu feras à ses exigences du moment le sacrifice de la petite vanité d'écolier, et aussitôt qu'elle t'aura vue plier de bonne grâce, elle t'en récompensera par un grand esprit de justice et de générosité. Chenonceaux te semblera un paradis terrestre, à toi qui n'a jamais rien vu, et si tu y as quelques momens de contrainte je saurai te les faire oublier. Je sens que tu me seras une société charmante: nous lirons, nous disserterons, nous courrons, et même nous rirons ensemble, car je vois que tu es gaie aussi, quand tu n'a pas trop de sujets de chagrin.»
Je m'en remettais donc à lui de mon sort futur avec une grande confiance. Il m'assurait aussi que sa fille Emma, Mme de la Roche-Aymon, partageait la sympathie particulière que j'avais toujours eue pour elle, et qu'à nous trois nous oublierions la gêne du monde, que ni elle ni lui n'aimaient plus que moi.
Il m'avait également parlé de ma mère, sans aigreur et en termes très convenables, en me confirmant tout ce que ma grand'mère m'avait dit en dernier lieu de son peu de désir de m'avoir avec elle. Loin de me prescrire une rupture absolue, il m'encourageait à persister dans ma déférence envers elle. «Seulement, me disait-il, puisque le lien entre vous semble se détendre de lui-même, ne le resserre pas imprudemment, ne lui écris pas plus qu'elle ne paraît le souhaiter et ne te plains pas de la froideur qu'elle te témoigne. C'est ce qui peut arriver de mieux.»
Cette prescription me fut pénible. Malgré tout ce que j'y trouvais de sage, et peut-être de nécessaire au bonheur de ma mère elle-même, mon cœur avait toujours pour elle des élans passionnés, suivis d'une morne tristesse. Je ne me disais pas qu'elle ne m'aimait point: je sentais qu'elle m'en voulait trop d'aimer ma grand'mère pour n'être pas jalouse aussi à sa manière: mais cette manière m'effrayait, je ne la connaissais pas. Jusqu'à ces derniers temps, ma préférence pour elle lui avait été trop bien démontrée.
Quand après quelques mois, et au lendemain de la mort de ma grand'mère, mon cousin Réné revint pour m'emmener, j'étais bien décidée à le suivre. Pourtant l'arrivée de ma mère bouleversa. Ses premières caresses furent si ardentes et si vraies, j'étais si heureuse aussi de revoir ma petite tante Lucie, avec son parler populaire, sa gaîté, sa vivacité, sa franchise et ses maternelles gâteries, que je me flattai d'avoir retrouvé le rêve de bonheur de mon enfance dans la famille de ma mère.
Mais au bout d'un quart d'heure tout au plus, ma mère, très irritée par la fatigue du voyage, par la présence de M. de Villeneuve, par les airs refrognés de Deschartres, et surtout par les douloureux souvenirs de Nohant, exhala toutes les amertumes amassées dans son cœur contre ma grand'mère. Incapable de se contenir, malgré les efforts de ma tante pour la calmer et pour atténuer par des plaisanteries l'effet de ce qu'elle appelait ses exagérations, elle me fit voir qu'un abîme s'était creusé à mon insu entre nous, et que le fantôme de la pauvre morte se placerait là longtemps pour nous désespérer.
Ses invectives contre elle me consternèrent. Je les avais entendues autrefois, mais je ne les avais pas toujours comprises. Je n'y avais vu que des rigueurs à blâmer, des ridicules à supporter. Maintenant elle était accusée de vices de cœur, cette pauvre sainte femme! Ma mère, je dois dire aussi, ma pauvre mère, disait des choses inouïes dans la colère.
Ma résistance ferme et droite à ce torrent d'injustice la révolta. J'étais, certes bien émue intérieurement, mais la voyant si exaltée, je pensai devoir me contenir, et lui montrer dès le premier orage, une volonté inébranlable de respecter le souvenir de ma bienfaitrice. Comme cette révolte contre ses sentimens était par elle-même bien assez offensante pour son dépit, je ne croyais pas pouvoir y mettre trop de formes, trop de calme apparent, trop d'empire sur ma secrète indignation.
Cet effort de raison, ce sacrifice de ma propre colère intérieure au sentiment du devoir, était précisément ce que je pouvais imaginer de pire avec une nature comme celle de ma mère. Il eût fallu faire comme elle, crier, tempêter, casser quelque chose, l'effrayer enfin, lui faire croire que j'étais aussi violente qu'elle et qu'elle n'aurait pas bon marché de moi.
«Tu t'y prends tout de travers, me dit ma tante quand nous fûmes seules ensemble. Tu es trop tranquille et trop fière; ce n'est pas comme cela qu'il faut se conduire avec ma sœur. Je la connais bien, moi! Elle est mon aînée, et elle m'aurait rendue bien malheureuse dans mon enfance et dans ma jeunesse si j'avais fait comme toi; mais quand je la voyais de mauvaise humeur et couvant une grosse querelle, je la taquinais et me moquais d'elle jusqu'à ce que je l'eusse fait éclater. Ça allait plus vite. Alors quand je la sentais bien montée, je me fâchais aussi, et tout à coup je lui disais: «En voilà assez; veux-tu m'embrasser et faire la paix? Dépêche-toi, car sans cela, je te quitte.» Elle revenait aussitôt, et la crainte de me voir recommencer, l'empêchait de recommencer trop souvent elle-même.»
Je ne pus profiter de ce conseil. Je n'étais pas la sœur, l'égale par conséquent, de cette femme ardente et infortunée. J'étais sa fille. Je ne pouvais oublier le sentiment et les formes du respect. Quand elle revenait elle-même, je lui restituais ma tendresse avec tous ses témoignages; mais il m'était impossible de prévenir ce retour en allant baiser des lèvres encore chaudes d'injures contre celle que je vénérais.
L'ouverture du testament amena de nouvelles tempêtes. Ma mère, prévenue par quelqu'un qui trahissait tous les secrets de ma grand'mère (je n'ai jamais su qui), connaissait depuis longtemps la clause qui me séparait d'elle. Elle savait aussi mon adhésion à cette clause: de là sa colère anticipée.
Elle feignit d'ignorer tout jusqu'au dernier moment, et nous nous flattions encore, mon cousin et moi, que l'espèce d'aversion qu'elle me témoignait lui ferait accepter avec empressement cette disposition testamentaire, mais elle était armée de toutes pièces pour en accueillir la déclaration. Sans doute quelqu'un l'avait influencée d'avance, et lui avait fait voir là une injure qu'elle ne devait point accepter. Elle déclara donc très nettement qu'elle ne se laisserait pas réputer indigne de garder sa fille, qu'elle savait la clause nulle, puisqu'elle était ma tutrice naturelle et légitime, qu'elle invoquait la loi, et que ni prières ni menaces ne la feraient renoncer à son droit, qui était effectivement complet et absolu.
Qui m'eût dit cinq ans auparavant que cette réunion tant désirée serait un chagrin et un malheur pour moi? Elle me rappela ces jours de ma passion pour elle et me reprocha amèrement d'avoir laissé corrompre mon cœur par ma grand'mère et par Deschartres. «Ah! ma pauvre mère, m'écriai-je, que ne m'avez-vous prise au mot dans ce temps-là! Je n'aurais rien regretté alors. J'aurais tout quitté pour vous. Pourquoi m'avez-vous trompée dans mes espérances et abandonnée si complétement? J'ai douté de votre tendresse, je l'avoue. Et à présent, que faites-vous? Vous brisez, vous blessez mortellement ce cœur que vous voulez guérir et ramener! Vous savez qu'il a fallu quatre ans à ma grand'mère pour me faire oublier un moment d'injustice contre vous, et vous m'accablez tous les jours, à toute heure, de vos injustices contre elle!»
Comme, d'ailleurs, je me soumettais sans murmure à sa volonté de me garder avec elle, elle parut s'apaiser. La politesse extrême de mon cousin la désarmait par moment. Elle ne ferma pas tout à fait l'oreille à l'idée de me permettre de rentrer au couvent, comme pensionnaire en chambre, et j'en écrivis à Mme Alicia et à la supérieure, afin d'avoir une retraite toute prête à me recevoir, aussitôt que j'aurais conquis la permission d'en profiter.
Il ne se trouva pas un logement vacant, grand comme la main, aux Anglaises. On m'aurait reprise volontiers comme pensionnaire en classe; mais ma mère ne voulait pas qu'il en fût ainsi, disant qu'elle comptait me faire sortir sans en être empêchée par les réglemens, qu'elle voulait me marier à sa guise, par conséquent, n'avoir pas, dans ses relations avec moi, l'obstacle d'une grille et d'une consigne de tourière.
Mon cousin me quitta en me disant de prendre courage et de persister avec douceur et adresse dans le désir d'aller au couvent. Il me promettait de s'occuper de me caser au Sacré-Cœur ou à l'Abbaye-aux-Bois.
Ma mère ne voulait pas entendre parler de rester avec moi à Nohant, encore moins de m'y laisser avec Deschartres et Julie, l'une qui y conservait son logement selon le désir exprimé par ma grand'mère, l'autre qui, ayant encore une année de bail, devait y rester comme fermier. Ma mère ne savait vivre qu'à Paris, et pourtant elle avait l'intuition vraie de la poésie des champs, l'amour et le talent du jardinage et une grande simplicité de goûts; mais elle arrivait à l'âge où les habitudes sont impérieuses. Il lui fallait le bruit de la rue et le mouvement des boulevards. Ma sœur était tout récemment mariée; nous devions habiter, ma mère et moi, l'appartement de ma grand'mère, rue Neuve-des-Mathurins.
Je quittai Nohant avec un serrement de cœur pareil à celui que j'avais éprouvé en quittant les Anglaises. J'y laissais toutes mes habitudes studieuses, tous mes souvenirs de cœur, et mon pauvre Deschartres seul et comme abruti de tristesse.
Ma mère ne me laissa emporter que quelques livres de prédilection. Elle avait un profond mépris pour ce qu'elle appelait mon originalité. Elle me permit cependant de garder ma femme de chambre Sophie, à laquelle j'étais attachée, et d'emmener mon chien.
Je ne sais plus quelle circonstance nous empêcha de nous installer tout de suite rue Neuve-des-Mathurins. Peut-être une levée de scellés à faire. Nous descendîmes chez ma tante, rue de Bourgogne, et nous y passâmes une quinzaine avant de nous installer dans l'appartement de ma grand'mère.
J'eus une grande consolation à retrouver ma cousine Clotilde, belle et bonne âme, droite, courageuse, discrète, fidèle aux affections, avec un caractère charmant, un enjouement soutenu, des talens et la science du cœur, préférable à celle des livres. Quelque enveloppés d'orages domestiques que nous fussions alors, il n'y eut jamais, ni alors ni depuis, un nuage entre nous deux. Elle aussi me trouvait un peu originale; mais elle trouvait cela très joli, très amusant, et m'aimait comme j'étais.
Sa douce gaîté était un baume pour moi. Quelque malheureuse ou intempestivement tournée aux choses sérieuses que l'on soit, on a besoin de rire et de folâtrer à dix-sept ans, comme on a besoin d'exister. Ah! si j'avais eu à Nohant cette adorable compagne, je n'aurais peut-être jamais lu tant de belles choses, mais j'aurais aimé et accepté la vie.
Nous fîmes beaucoup de musique ensemble, nous apprenant l'une à l'autre ce que nous savions un peu, moi lire, elle dire. Sa voix, un peu voilée, était d'une souplesse extrême et sa prononciation facile et agréable. Quand je me mettais avec elle au piano, j'oubliais tout.
A cette époque se place une circonstance qui m'impressionne beaucoup, non qu'elle soit bien importante, mais parce qu'elle me mettait aux prises, dès mon entrée dans la vie, avec certaines probabilités entrevues d'avance. Deschartres fut appelé à venir rendre à une assemblée de famille compte de son administration. Cela se passait chez ma tante. Mon oncle, qui faisait carrément les choses et qui était le conseil de ma mère, trouvait une lacune dans le paiement des fermes, une lacune de trois ans, par conséquent dix-huit mille francs à Deschartres. On avait appelé, je ne sais plus pourquoi, un avoué à cette conférence.
En effet il y avait trois ans que Deschartres n'avait payé. J'ignore si, par tolérance ou par crainte de le laisser ruiné, ma grand'mère lui avait donné quittance d'une partie, mais ces quittances ne se trouvèrent point. Quant à moi, je n'avais rien touché de lui et ne lui avais, par conséquent, donné aucune décharge.
Le pauvre grand homme avait, comme je l'ai dit, acheté un petit domaine dans les landes, non loin de chez nous. Comme il avait plus d'imagination que de bonheur dans ses entreprises, il avait rêvé là, à tort, une fortune; non qu'il aimât l'argent, mais parce que toute sa science, tout son amour-propre s'engouffraient dans la perspective de transformer un terrain maigre et inculte en une terre grasse et luxuriante. Il s'était jeté dans cette aventure agricole avec la foi et la précipitation de son infaillibilité. Les choses avaient mal tourné, son régisseur l'avait volé! Et puis il avait voulu, croyant bien faire, échanger les produits de nos terres avec ceux de la sienne. Il nous amenait du bétail maigre qui n'engraissait pas chez nous, ou qui y crevait de pléthore en peu de jours. Il envoyait chez lui nos bestiaux gourmands et gâtés qui ne s'accommodaient pas de ses ajoncs et de ses genêts, et qui y dépérissaient rapidement. Il en était ainsi des grains et de tout le reste. En somme, sa terre lui avait peu rapporté, en Nohant encore moins, relativement. Des pertes considérables et répétées l'avaient mis dans la nécessité de vendre son petit bien, mais il ne trouvait pas d'acquéreurs et ne pouvait combler son arriéré.
Je savais tout cela, bien qu'il ne m'en eût jamais parlé. Ma grand'mère m'en avait avertie, et je savais que nous ne vivions à Nohant que du produit de la maison de la rue de la Harpe et de quelques rentes sur l'État.
Ce n'était pas suffisant pour les habitudes de ma grand'mère; sa maladie d'ailleurs avait occasionné d'assez grands frais. La gêne était réelle dans la maison, et, n'ayant pas de quoi renouveler ma garderobe, j'arrivais à Paris avec un bagage qui eût tenu dans un mouchoir de poche, et une robe pour toute toilette.
Deschartres ne pouvant fournir ces malheureuses quittances, auxquelles nous n'avions pas songé, arrivait donc de son côté pour donner ou essayer de donner des explications, ou d'obtenir des délais. Il se présenta fort troublé. J'aurais voulu être un moment seule avec lui pour le rassurer; ma mère nous garda à vue, et l'interrogatoire commença autour d'une table chargée de registres et de paperasses.
Ma mère, fortement prévenue contre mon pauvre pédagogue et avide de lui rendre tout ce qu'il lui avait fait souffrir autrefois, goûtait, à voir son embarras, une joie terrible. Elle tenait surtout à le faire passer pour un malhonnête homme vis-à-vis de moi, à qui elle faisait un principal grief de ne pas partager son aversion.
Je vis qu'il n'y avait pas à hésiter. Ma mère avait laissé échapper le mot de prison pour dettes; j'espère qu'elle n'eût pas exécuté une si dure menace; mais l'orgueilleux Deschartres, attaqué dans son honneur, était capable de se brûler la cervelle. Sa figure pâle et contractée était celle d'un homme qui a pris cette résolution.
Je ne le laissai pas répondre. Je déclarai qu'il avait payé entre mes mains, et que, dans le trouble où nous avait si souvent mis l'état de ma grand'mère, nous n'avions songé ni l'un, ni l'autre à la formalité des quittances.
Ma mère se leva, les yeux enflammés et la voix brève: «Ainsi, vous avez reçu dix-huit mille francs, me dit-elle, où sont-ils?
—Je les ai dépensés apparemment, puisque je ne les ai plus.
—Vous devez les représenter ou en prouver l'emploi.»
J'invoquai l'avoué. Je lui demandai si, étant unique héritière, je me devais des comptes à moi-même, et si ma tutrice avait le droit d'exiger ceux de ma gestion des revenus de ma grand'mère.
«Non, certes, répondit l'avoué. On n'a pas de questions à vous faire là-dessus. Je demande qu'on insiste seulement sur la réalité de vos recettes. Vous êtes mineure et n'avez pas le droit de remettre une dette. Votre tutrice a celui d'exiger les rentrées qui vous sont acquises.»
Cette réponse me rendit la force prête à m'abandonner. Tomber dans une série de mensonges et de fausses explications ne m'eût peut-être pas été possible. Mais, du moment qu'il ne s'agissait que de persister dans un oui pour sauver Deschartres, je crois que je ne devais pas hésiter. Je ne sais pas s'il était en aussi grand péril que je me l'imaginais. Sans doute on lui eût donné le temps de vendre son domaine pour s'acquitter, et l'eût-il vendu à bas prix, il lui restait pour vivre la pension que lui avait assignée ma grand'mère par son testament[29]. Mais les idées de déshonneur et de prison pour dettes me bouleversaient l'esprit.
Ma mère insista comme le lui suggéra l'avoué. «Si M. Deschartres vous a versé dix-huit mille francs, c'est ce qu'on saura bien. Vous n'en donneriez pas votre parole d'honneur?»
Je sentis un frisson, et je vis Deschartres prêt à tout confesser.
«Je la donnerais, m'écriai-je.
—Donne-la en ce cas, me dit ma tante, qui me croyait sincère et qui voulait voir finir ce débat.
—Non, mademoiselle, reprit l'avoué, ne la donnez pas.
—Je veux qu'elle la donne! s'écria ma mère, à qui j'eus ensuite bien de la peine à pardonner de m'avoir infligé cette torture.
—Je la donne, lui répondis-je très émue, et Dieu est avec moi contre vous dans cette affaire-ci!
—Elle a menti, elle ment! cria ma mère. Une dévote! une philosophailleuse! Elle ment et se vole elle-même!
—Oh! pour cela, dit l'avoué en souriant, elle en a bien le droit, et ne fait de tort qu'à sa dot.
—Je la conduirai, avec son Deschartres, jusque chez le juge de paix, dit ma mère. Je lui ferai faire serment sur le Christ, sur l'Évangile!
—Non, madame, dit l'avoué, tranquille comme un homme d'affaires; vous vous en tiendrez là; et quant à vous, mademoiselle, me dit-il avec une certaine bienveillance, soit d'approbation, soit de pitié pour mon désintéressement, je vous demande pardon de vous avoir tourmentée. Chargé de soutenir vos intérêts, je m'y suis cru obligé. Mais personne ici n'a le droit de révoquer votre parole en doute, et je pense que l'on doit passer outre sur ce détail.»
J'ignore ce qu'il pensait de tout ceci. Je ne m'en occupai point et je n'eusse point su lire à travers la figure d'un avoué. La dette de Deschartres fut rayée au registre, on s'occupa d'autre chose et on se sépara.
Je réussis à me trouver seule un instant sur l'escalier avec mon pauvre précepteur. «Aurore, me dit-il avec les larmes dans les yeux, je vous paierai, n'en doutez pas?
—Certes, je n'en doute pas, répondis-je, voyant qu'il éprouvait quelque humiliation. La belle affaire! Dans deux ou trois ans votre domaine sera en plein rapport.
—Sans doute! bien certainement! s'écria-t-il, rendu à la joie de ses illusions. Dans trois ans, ou il me rapportera trois mille livres de rente, ou je le vendrai cinquante mille francs. Mais j'avoue que, pour le moment, je n'en trouve que douze mille, et que si l'on m'eût retenu la pension de votre grand'mère pendant six années, il m'aurait fallu mendier, je ne sais quel gagne pain. Vous m'avez sauvé, vous avez souffert. Je vous remercie.»
Tant que je pus rester chez ma tante auprès de Clotilde, mon existence, malgré de fréquentes secousses, me parut tolérable. Mais quand je fus installée rue Neuve-des-Mathurins, elle ne le fut point.
Ma mère, irritée contre tout ce que j'aimais, me déclara que je n'irais point au couvent. Elle m'y laissa aller embrasser une fois mes religieuses et mes compagnes, et me défendit d'y retourner. Elle renvoya brusquement ma femme de chambre, qui lui déplaisait, et chassa même mon chien. Je le pleurai, parce que c'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.
M. de Villeneuve vint lui demander de m'emmener dîner chez lui. Elle lui répondit que Mme de Villeneuve eût à venir elle-même lui faire cette demande. Elle était dans son droit sans doute, mais elle parlait si sèchement que mon cousin perdit patience, lui répondit que jamais sa femme ne mettrait les pieds chez elle, et partit pour ne plus revenir. Je ne l'ai revu que plus de vingt ans après.
De même que mon bon cousin m'a pardonné et me pardonne encore de ne pas partager toutes ses idées, je lui pardonne de m'avoir abandonnée ainsi à mon triste sort. Pouvait-il ne pas le faire? Je ne sais. Il eût fallu de sa part une patience que je n'aurais certes pas eue pour mon compte, si je n'eusse eu affaire à ma propre mère. Et puis, quand même il eût dévoré en silence cette première algarade, n'eût-elle pas recommencé le lendemain?
Cependant il m'a fallu des années, je le confesse, pour oublier la manière dont il me quitta, sans même me dire un mot d'adieu et de consolation, sans jeter les yeux sur moi, sans me laisser une espérance, sans m'écrire le lendemain pour me dire que je trouverais toujours un appui en lui quand il me serait possible de l'invoquer. Je m'imaginai qu'il était las des ennuis que lui suscitait son impuissante tutelle, et qu'il était content de trouver une vive occasion de s'en débarrasser. Je me demandai si Mme de Villeneuve, qui avait déjà l'âge d'une matrone, n'aurait pas pu, par un léger simulacre de politesse, dont ma mère eût été flattée, la décider à me laisser continuer mes visites chez elle, si tout au moins, on n'eût pas pu tenter un peu plus, sauf à me laisser là, avec la confiance d'inspirer quelque intérêt et de pouvoir y recourir plus tard sans crainte d'être importune. Je m'attendais à quelque chose de semblable. Il n'en fut rien. La famille de mon père resta muette. L'appréhension de la trouver close m'empêcha d'y jamais frapper. Je ne sais si ma fierté fut exagérée, mais il me fut impossible de la faire plier à des avances. J'étais un enfant, il est vrai, et, bien que je n'eusse aucun tort, je devais faire les premiers pas; mais on va voir ce qui m'en empêcha.
Mon autre cousin, Auguste de Villeneuve, frère de Réné, vint me voir aussi une dernière fois. Sans être liée avec lui, j'étais plus familière, je ne sais pourquoi. Il était aussi très bon, mais il manquait un peu de tact. Je me plaignis à lui de l'abandon de Réné: «Ah dame, me dit-il avec son grand sang-froid indolent, tu n'as pas agi comme on te le recommandait. On voulait te voir entrer au couvent, tu ne l'as pas fait. Tu sors avec ta mère, avec sa fille, avec le mari de sa fille, avec M. Pierret. On t'a vue dans la rue avec tout ce monde-là. C'est une société impossible: je ne dis pas pour moi, ça me serait bien égal, mais pour ma belle-sœur et pour les femmes de toute famille honorable où nous aurions pu te faire entrer par un bon mariage.»
Sa franchise éclaircissait une grande question d'avenir pour moi. Je lui demandai d'abord comment il m'était possible, ayant affaire à une personne que la résistance la plus polie et la plus humble exaspérait, d'entrer au couvent contre sa volonté, de refuser de sortir avec elle et de ne pas voir son entourage. Comme il ne pouvait me donner une réponse satisfaisante, je lui demandai si, d'ailleurs, refuser de voir ma sœur, son mari et Pierret, au cas où cela me serait possible, lui paraissait conciliable avec les liens du sang, de l'amitié et du devoir.
Il ne me répondit pas davantage, seulement il me dit: «Je vois que tu tiens à ta famille maternelle et que tu es décidée à ne jamais rompre avec tous ces braves gens-là. Je croyais le contraire. C'est différent.
—J'ai pu, lui dis-je, dans des momens de douleur et de colère intérieure, souhaiter de quitter ma mère, qui me rend fort malheureuse, et comme je ne vois pas qu'elle soit heureuse de notre réunion, je désirerais encore beaucoup le couvent, ou bien je m'arrangerais d'un mariage qui me soustrairait à son autorité absolue; mais quelque tort qu'elle puisse avoir, j'ai toujours été résolue à la fréquenter et à ne me rendre complice d'aucun affront qui lui serait fait.
—Eh bien! reprit-il, toujours aussi froid et faisant des grimaces nerveuses qui lui étaient habituelles, et qui semblaient lui servir à rassembler ses idées et ses paroles, en bonne religion, tu as raison, mais ainsi ne va pas le monde. Ce que nous appelons un bon mariage pour toi, c'est un comme ayant quelque fortune et de la naissance. Je t'assure qu'aucun de ces hommes-là ne viendra te trouver ici, et que, même quand tu auras attendu trois ans, l'époque de ta majorité, tu ne seras pas plus facile à bien marier qu'aujourd'hui. Quant à moi, je ne m'en chargerais pas: on me jetterait à la tête que tu as vécu trois ans chez ta mère et avec toutes sortes de bonnes gens qu'on ne serait pas fort aise de fréquenter. Ainsi, je te conseille de te marier toi-même comme tu pourras. Qu'est-ce que ça me fait, à moi, que tu épouses un roturier? S'il est honnête homme, je le verrai parfaitement et je ne t'en aimerai certainement car je vois que ta mère tourne autour de nous, et qu'elle va me flanquer à la porte!»
Là-dessus, il prit son chapeau et s'enfuit en me disant: «Adieu, ma tante!»
Je ne lui en voulus pas, à lui, il ne s'était jamais chargé de moi. Sa franchise me mettait à l'aise, et sa promesse d'amitié constante me consolait amplement de la perte d'un bon parti. Je l'ai retrouvé aussi amicalement insouciant et tranquillement bon peu d'années après mon mariage.
Mais cette rupture momentanée de sa part, absolue de celle de tout le reste de la famille, me donna bien à penser.
J'avais peut-être oublié, depuis quelques années, qui j'étais, et comme quoi mon sang royal s'était perdu dans mes veines en s'alliant, dans le sein de ma mère au sang plébéïen. Je ne crois pas, je suis même certaine que je n'avais pas cru m'élever au-dessus de moi-même en regardant comme naturelle et inévitable l'idée d'entrer dans une famille noble, de même que je ne me crus pas déchue pour n'avoir pas à y prétendre. Au contraire, je me sentais soulagée d'un grand poids. J'avais toujours eu de la répugnance, d'abord par instinct, ensuite par raisonnement, à m'incorporer dans une caste qui n'existait que par la négation de l'égalité. A supposer que j'eusse été décidée au mariage, ce qui n'était réellement pas encore, j'aurais, autant que possible, suivi le vœu de ma grand'mère, mais sans être persuadé que la naissance eût la moindre valeur sérieuse, et dans le cas seulement où j'aurais rencontré un patricien sans morgue et sans préjugés.
Mon cousin Auguste me signifiait, de par la loi du monde, qu'il n'en est pas et qu'il ne peut y en avoir. Tout en avouant que ma manière de voir était religieuse et honorable pour moi, il déclarait qu'elle me déshonorait aux yeux du monde, que personne ne m'y pardonnerait d'avoir fait de trouver quelqu'un qui dût m'approuver.
Que devais-je donc faire selon lui et selon son monde? M'enfuir de chez ma mère, faire connaître, par un éclat, qu'elle ne me rendait pas heureuse, ou faire supposer pis encore, c'est-à-dire que mon honneur était en danger auprès d'elle? Cela n'était pas, et si cela eût été, le retentissement de ma situation ainsi proclamée m'eût-il rendue beaucoup plus mariable au gré de mes cousins?
Devais-je, à défaut de la fuite, me révolter ouvertement contre ma mère, l'injurier, la menacer? quoi? que voulait-on de moi? Tout ce que j'eusse pu faire eût été si impossible et si odieux, que je ne le comprends pas encore.
C'est bien trop me défendre sans doute d'avoir fait mon devoir; mais si j'insiste sur ma situation personnelle, c'est que j'ai fort à cœur de prouver ce que c'est que l'opinion du monde, la justice de ses arrêts et l'importance de sa protection.
On représente toujours ceux qui secouent ses entraves comme des esprits pervers, ou tout au moins si orgueilleux et si brouillons qu'ils troublent l'ordre établi et la coutume régnante, pour le seul plaisir de mal faire. Je suis pourtant un petit exemple, entre mille plus sérieux et plus concluans, de l'injustice et de l'inconséquence de cette grande coterie plus ou moins nobiliaire qui s'intitule modestement le monde. En disant inconséquence et injustice, je suis calme jusqu'à l'indulgence; je devrais dire l'impiété: car, pour mon compte, je ne pouvais envisager autrement la réprobation qui devait s'attacher à moi pour avoir observé les devoirs les plus sacrés de la famille.
Qu'on sache bien que je ne m'en prenais pas, que je ne m'en suis jamais prise à mes parens paternels. Ils étaient de ce monde-là, ils n'en pouvaient refaire le code à leur usage et au mien. Ma grand'mère, ne pouvant se décider à envisager pour moi un avenir contraire à ses vœux, avait arraché d'eux la promesse de me réintégrer dans la caste où, par leurs femmes[30] (les Villeneuve n'étaient pas de vieille souche), ils avaient été réintégrés eux-mêmes. Les sacrifices qu'ils avaient dû faire pour s'y tenir, ils trouvaient naturel de me les imposer. Mais ils oubliaient que, pour pousser ces sacrifices jusqu'à fouler aux pieds le respect filial (ce que certes ils n'eussent pas fait eux-mêmes), il m'eût fallu, outre un mauvais cœur et une mauvaise conscience, la croyance à l'inégalité originelle.
Or je n'acceptais pas cette inégalité. Je ne l'avais jamais comprise, jamais supposée. Depuis le dernier des mendians jusqu'au premier des rois, je savais, par mon instinct, par ma conscience, par la loi du Christ surtout, que Dieu n'avait mis au front de personne ni un sceau de noblesse, ni un sceau de vasselage. Les dons mêmes de l'intelligence n'étaient rien devant lui sans la volonté du bien, et d'ailleurs cette intelligence innée, il la laissait tomber dans le cerveau d'un crocheteur tout aussi bien que dans celui d'un prince.
Je donnai des larmes à l'abandon de mes parens. Je les aimais. Ils étaient les fils de la sœur de mon père, mon père les avait chéris; ma grand'mère les avait bénis; ils avaient souri à mon enfance; j'aimais certains de leurs enfans: Mme de la Roche-Aymon, fille de Réné; Félicie, fille d'Auguste, adorable créature, morte à la fleur de l'âge, et son frère Léonce, d'un esprit charmant.
Mais je pris vite mon parti sur ce qui devait être rompu entre nous tous: les liens de l'affection et de la famille, non, certes, mais bien ceux de la solidarité d'opinion et de position.
Quant au beau mariage qu'ils devaient me procurer, je confesse que ce fut une grande satisfaction pour moi d'en être débarrassée. J'avais donné mon assentiment à une proposition de Mme de Pontcarré, que ma mère repoussa. Je vis que, d'une part, ma mère ne voudrait jamais de noblesse, que, de l'autre, la noblesse ne voulait plus de moi. Je me sentis enfin libre, par la force des choses, de rompre le vœu de ma grand'mère et de me marier selon mon cœur (comme avait fait mon père), le jour où je m'y sentirais portée.
Je l'étais encore si peu que je ne renonçais point à l'idée de me faire religieuse. Ma courte visite au couvent avait ravivé mon idéal de bonheur de ce côté-là. Je me disais bien que je n'étais plus dévote à la manière de mes chères recluses: mais l'une d'elles, Mme Françoise, ne l'était pas et passait pour s'occuper de science. Elle vivait là en paix comme un père dominicain des anciens jours. La pensée de m'élever par l'étude et la contemplation des plus hautes vérités au-dessus des orages de la famille et des petitesses du monde me souriait une dernière fois.
Il est bien possible que j'eusse pris ce parti à ma majorité, c'est-à-dire après trois ans d'attente, si ma vie eût été tolérable jusque-là. Mais elle le devenait de moins en moins. Ma mère ne se laissait toucher et persuader par aucune de mes résignations. Elle s'obstinait à voir en moi une ennemie secrètement irréconciliable. D'abord elle triompha de se voir débarrassée du contrôle de mon tuteur et me railla du désespoir qu'elle m'attribuait. Elle fut étonnée de me voir si bien détachée des grandeurs du monde; mais elle n'y crut pas et jura qu'elle briserait ma sournoiserie.
Soupçonneuse à l'excès et portée d'une manière toute maladive, toute délirante, à incriminer ce qu'elle ne comprenait pas, elle élevait, à tout propos des querelles incroyables. Elle venait m'arracher mes livres des mains, disant qu'elle avait essayé de les lire, qu'elle n'y avait entendu goutte, et que ce devait être de mauvais livres. Croyait-elle réellement que je fusse vicieuse ou égarée, ou bien avait-elle besoin de trouver un prétexte à ses imputations, afin de pouvoir dénigrer la belle éducation que j'avais reçue? Tous les jours c'étaient de nouvelles découvertes qu'elle me faisait faire sur ma perversité.
Quand je lui demandais, avec insistance, où elle avait pris de si étranges notions sur mon compte, elle disait avoir eu des correspondances à La Châtre, et savoir, jour par jour, heure par heure, tous les désordres de ma conduite. Je n'y croyais pas, je n'effrayais pas de l'idée que ma pauvre mère était folle. Elle le devina, un jour, au redoublement de silence et de soins qui étaient ma réponse habituelle à ses invectives. «Je vois bien, dit-elle, que tu fais semblant de me croire en délire. Je vais te prouver que je vois clair et que je marche droit.»
Elle exhiba alors cette correspondance sans vouloir me laisser jeter les yeux sur l'écriture, mais en me lisant des pages entières qu'elle n'improvisait certes pas. C'était le tissu de calomnies monstrueuses et d'aberrations stupides dont j'ai déjà parlé et dont je m'étais tant moquée à Nohant. Les ordures de la petite ville s'étaient emparées de l'imagination vive et faible de ma mère. Elles s'y étaient gravées jusqu'à détruire le plus simple raisonnement. Elles n'en sortirent entièrement qu'au bout de plusieurs années, quand elle me vit sans prévention et que tous ses sujets d'amertume eurent disparu.
Elle se disait renseignée ainsi par un des plus intimes amis de notre maison. Je ne répondis rien, je ne pouvais rien répondre. Le cœur me levait de dégoût. Elle se mettait au lit, triomphante de m'avoir écrasée. Je me retirai dans ma chambre; j'y restai sur une chaise jusqu'au grand jour, hébétée, ne pensant à rien, sentant mourir mon corps et mon âme tout ensemble.
CHAPITRE VINGT ET UNIEME.
Singularités, grandeurs et agitations de ma mère.—Une nuit d'expansion.—Parallèle.—Le Plessis.—Mon père James et ma mère Angèle.—Bonheur de la campagne.—Retour à la santé, à la jeunesse et à la gaîté.—Les enfans de la maison.—Opinions du temps.—Loïsa Puget.—M. Stanislas et son cabinet mystérieux.—Je rencontre mon futur mari.—Sa prédiction.—Notre amitié.—Son père.—Bizarreries nouvelles.—Retour de mon frère.—La baronne Dudevant.—Le régime dotal.—Mon mariage.—Retour à Nohant.—Automne 1823.
Pour supporter une telle existence, il eût fallu être une sainte. Je ne l'étais pas, malgré mon ambition de le devenir. Je ne sentais pas mon organisation seconder les efforts de ma volonté. J'étais affreusement ébranlée dans tout mon être. Ce bouquet à toutes mes agitations et à toutes mes tristesses portait un si rude coup à mon système nerveux que je ne dormais plus du tout et que je me sentais mourir de faim, sans pouvoir surmonter le dégoût que me causait la vue des alimens. J'étais secouée à tout instant par des sursauts fébriles, et je sentais mon cœur aussi malade que mon corps. Je ne pouvais plus prier. J'essayai de faire mes dévotions à Pâques. Ma mère ne voulut pas me permettre d'aller voir l'abbé de Prémord, qui m'eût fortifiée et consolée. Je me confessai à un vieux bourru qui ne comprenant rien aux révoltes intérieures contre le respect filial dont je m'accusais, me demanda le pourquoi et le comment, et si ces révoltes de mon cœur étaient bien ou mal fondées.
«Ce n'est pas là la question, lui répondis-je. Selon ma religion, elles ne doivent jamais être assez fondées pour n'être pas combattues. Je m'accuse d'avoir soutenu ce combat avec mollesse.»
Il persista à me demander de lui faire la confession de ma mère. Je ne répondis rien, voulant recevoir l'absolution et ne pas recommencer la scène de La Châtre.
«Au reste, si je vous interroge, dit-il, frappé de mon silence, c'est pour vous éprouver. Je voulais voir si vous accuseriez votre mère, et puisque vous ne le faites pas, je vois que votre repentir est réel et que je peux vous absoudre.»
Je trouvai cette épreuve inconvenante et dangereuse pour la sûreté des familles. Je me promis de ne plus me confesser au premier venu, et je commençai à sentir un grand dégoût pour la pratique d'un sacrement si mal administré. Je communiai le lendemain, mais sans ferveur, quelque effort que je fisse, et encore plus dérangée et choquée du bruit qui se faisait dans les églises que je ne l'avais été à la campagne.
Les personnes qui entouraient ma mère étaient excellentes envers moi, mais ne pouvaient ou ne savaient pas me protéger. Ma bonne tante prétendait qu'il fallait rire des lubies de sa sœur et croyait la chose possible de ma part. Pierret, plus juste et plus indulgent que ma mère à l'habitude, mais parfois aussi susceptible et aussi fantasque, prenait ma tristesse pour de la froideur, et me la reprochait avec sa manière furibonde et comique qui ne pouvait plus me divertir. Ma bonne Clotilde ne pouvait rien pour moi. Ma sœur était froide et avait répondu à mes premières effusions avec une sorte de méfiance, comme si elle se fût attendue à de mauvais procédé de ma part. Son mari était un excellent homme qui n'avait aucune influence sur la famille. Mon grand-oncle de Beaumont ne fut point tendre. Il avait toujours eu un fonds d'égoïsme qui ne lui permettait plus de supporter une figure pâle et triste à sa table sans la taquiner jusqu'à la dureté. Il vieillissait aussi beaucoup, souffrait de la goutte, et faisait de fréquentes algarades dans son intérieur, et même à ses convives, quand ils ne s'efforçaient pas de le distraire et ne réussissaient pas à l'amuser. Il commençait à aimer les commérages, et je ne sais jusqu'à quel point ma mère ne l'avait pas imprégné de ceux dont j'étais l'objet à La Châtre!
Ma mère n'était cependant pas toujours tendue et irritée. Elle avait ses bons retours de candeur et de tendresse par où elle me reprenait. C'était là le pire. Si j'avais pu arriver à la froideur et à l'indifférence, je serais peut-être arrivée au stoïcisme; mais cela m'était impossible. Qu'elle versât une larme, qu'elle eût pour moi une inquiétude, un soin maternel, je recommençais à l'aimer et à espérer. C'était la route du désespoir: tout était brisé et remis en question le lendemain.
Elle était malade. Elle traversait une crise qui fut exceptionnellement longue et douloureuse chez elle, sans jamais abattre son activité, son courage et son irritation. Cette énergique organisation ne pouvait franchir, sans un combat terrible, le seuil de la vieillesse. Encore jolie et rieuse, elle n'avait pourtant aucune jalousie de femme contre la jeunesse et la beauté des autres. C'était une nature chaste, quoi qu'on en ait dit et pensé, et ses mœurs étaient irréprochables. Elle avait le besoin des émotions violentes, et, quoique sa vie en eût été abreuvée, ce n'était jamais assez pour cette sorte de haine étrange et bien certainement fatale qu'elle avait pour le repos de l'esprit et du corps. Il lui fallait toujours renouveler son atmosphère agitée par des agitations nouvelles, changer de logement, se brouiller ou se raccommoder avec quelqu'un ou quelque chose, aller passer quelques heures à la campagne, et se dépêcher de revenir tout d'un coup pour fuir la campagne; dîner dans un restaurant, et puis dans un autre; bouleverser même sa toilette de fond en comble chaque semaine.
Elle avait de petites manies qui résument bien cette mobilité inquiète. Elle achetait un chapeau qui lui semblait charmant. Le soir même, elle le trouvait hideux. Elle en ôtait le nœud, et puis les fleurs, et puis les ruches. Elle transposait tout cela avec beaucoup d'adresse et de goût. Son chapeau lui plaisait ainsi tout le lendemain. Mais le jour suivant c'était un autre changement radical, et ainsi pendant huit jours, jusqu'à ce que le malheureux chapeau, toujours transformé, lui devînt indifférent. Alors elle le portait avec un profond mépris, disant qu'elle ne se souciait d'aucune toilette, et attendant qu'elle se prît de fantaisie pour un chapeau neuf.
Elle avait encore de très beaux cheveux noirs. Elle s'ennuya d'être brune et mit une perruque blonde qui ne réussit point à l'enlaidir. Elle s'aima blonde pendant quelque temps, puis elle se déclara filasse et prit le châtain clair. Elle revint bientôt à un blond cendré, puis retourna à un noir doux, et fit si bien que je la vis avec des cheveux differens pour chaque jour de la semaine.
Cette frivolité enfantine n'excluait pas des occupations laborieuses et des soins domestiques très minutieux. Elle avait aussi ses délices d'imagination, et lisait M. d'Arlincourt avec rage jusqu'au milieu de la nuit, ce qui ne l'empêchait pas d'être debout à six heures du matin et de recommencer ses toilettes, ses courses, ses travaux d'aiguille, ses rires, ses désespoirs et ses emportemens.
Quand elle était de bonne humeur, elle était vraiment charmante, et il était impossible de ne pas se laisser aller à sa gaîté pleine de verve et de saillies pittoresques. Malheureusement cela ne durait jamais une journée entière, et la foudre tombait sur vous, on ne savait de quel coin du ciel.
Elle m'aimait cependant, ou du moins elle aimait en moi le souvenir de mon père et celui de mon enfance; mais elle haïssait aussi en moi le souvenir de ma grand'mère et de Deschartres. Elle avait couvé trop de ressentimens et dévoré trop d'humiliations intérieures pour n'avoir pas besoin d'une éruption de volcan longue, terrible, complète. La réalité ne lui suffisait pas pour accuser et maudire. Il fallait que l'imagination se mît de la partie. Si elle digérait mal, elle se croyait empoisonnée et n'était pas loin de m'en accuser.
Un jour, ou plutôt une nuit, je crus que toute amertume devait être effacée entre nous et que nous allions nous entendre et nous aimer sans souffrance.
Elle avait été dans le jour d'une violence extrême, et comme de coutume, elle était bonne et pleine de raison dans son apaisement. Elle se coucha et me dit de rester près de son lit jusqu'à ce qu'elle dormît, parce qu'elle se sentait triste. Je l'amenai, je ne sais comment, à m'ouvrir son cœur, et j'y lus tout le malheur de sa vie et de son organisation. Elle me raconta plus de choses que je n'en voulais savoir, mais je dois dire qu'elle le fit avec une simplicité et une sorte de grandeur singulières. Elle s'anima au souvenir de ses émotions, rit, pleura, accusa, raisonna même avec beaucoup d'esprit, de sensibilité et de force. Elle voulait m'initier au secret de toutes ses infortunes, et, comme emportée par une fatalité de la douleur, elle cherchait en moi l'excuse de ses souffrances et la réhabilitation de son âme.
Après tout, dit-elle en se résumant et en s'asseyant sur son lit, où elle était belle avec son madras rouge sur sa figure pâle qu'éclairaient de si grands yeux noirs, je ne me sens coupable de rien. Il ne me semble pas que j'aie jamais commis sciemment une mauvaise action; j'ai été entraînée, poussée, souvent forcée de voir et d'agir. Tout mon crime, c'est d'avoir aimé. Ah! si je n'avais pas aimé ton père, je serais riche, libre, insouciante et sans reproche, puisque avant ce jour-là je n'avais jamais réfléchi à quoi que ce soit. Est-ce qu'on m'avait enseigné à réfléchir, moi? Je ne savais ni a ni b. Je n'étais pas plus fautive qu'une linotte. Je disais mes prières soir et matin comme on me les avait apprises; et jamais Dieu ne m'avait fait sentir qu'elles ne fussent pas bien reçues.
«Mais à peine me fus-je attachée à ton père que le malheur et le tourment se mirent après moi. On me dit, on m'apprit que j'étais indigne d'aimer. Je n'en savais rien et je n'y croyais guère. Je sentais mon cœur plus aimant et mon amour plus vrai que ceux de ces grandes dames qui me méprisaient et à qui je le rendais bien. J'étais aimée. Ton père me disait «Moque-toi de tout cela comme je m'en moque.» J'étais heureuse et je le voyais heureux. Comment aurais-je pu me persuader que je le déshonorais?
«Voilà pourtant ce qu'on m'a dit sur tous les tons quand il n'a plus été là pour me défendre. Il m'a fallu alors réfléchir, m'étonner, me questionner, arriver à me sentir humiliée et à me détester moi-même, ou bien à humilier les autres dans leur hypocrisie et à les détester de toutes mes forces.
«C'est alors que moi, si gaie, si insouciante, si sûre de moi, si franche, je me suis senti des ennemis. Je n'avais jamais haï: je me suis mise à haïr presque tout le monde. Je n'avais jamais pensé à ce que c'est que votre belle société avec sa morale, ses manières, ses prétentions. Ce que j'en avais vu m'avait toujours fait rire comme très drôle. J'ai vu que c'était méchant et faux. Ah! je te déclare bien que si, depuis mon veuvage, j'ai vécu sagement, ce n'est pas pour faire plaisir à ces gens-là, qui exigent des autres ce qu'ils ne font pas. C'est parce que je ne pouvais plus faire autrement. Je n'ai aimé qu'un homme dans ma vie, et après l'avoir perdu, je ne me souciais plus de rien, ni de personne.»
Elle pleura, au souvenir de mon père, des torrens de larmes, s'écriant: «Ah! que je serais devenue bonne si nous avions pu vieillir ensemble! Mais Dieu me l'a arraché tout au milieu de mon bonheur. Je ne maudis pas Dieu: il est le maître; mais je déteste et maudis l'humanité!......»—Et elle ajouta naïvement et comme lasse de cette effusion: «Quand j'y pense. Heureusement je n'y pense pas toujours.»
C'était la contre-partie de la confession de ma grand'mère que j'entendais et recevais. La mère et l'épouse se trouvaient là en complète opposition dans l'effet de leur douleur. L'une qui, ne sachant plus que faire de sa passion et ne pouvant la reporter sur personne, acceptait l'arrêt du ciel, mais sentait son énergie se convertir en haine contre le genre humain; l'autre qui, ne sachant plus que faire de sa tendresse, avait accusé Dieu, mais avait reporté sur ses semblables des trésors de charité.
Je restais ensevelie dans les réflexions que soulevait en moi ce double problème. Ma mère me dit brusquement: «Eh bien! je t'en ai trop dit, je le vois, et à présent tu me condamnes et me méprises en connaissance de cause! J'aime mieux ça. J'aime mieux t'arracher de mon cœur et n'avoir plus rien à aimer après ton père, pas même toi!»
—Quant à mon mépris, lui répondis-je en la prenant toute tremblante et toute crispée entre mes bras, vous vous trompez bien. Ce que je méprise, c'est le mépris du monde. Je suis aujourd'hui pour vous contre lui, bien plus que je ne l'étais à cet âge que vous me reprochez toujours d'avoir oublié. Vous n'aviez que mon cœur, et à présent ma raison et ma conscience sont avec vous. C'est le résultat de ma belle éducation que vous raillez trop, de la religion, et de la philosophie que vous détestez tant. Pour moi, votre passé est sacré, non pas seulement parce que vous êtes ma mère, mais parce qu'il m'est prouvé par le raisonnement que vous n'avez jamais été coupable.
—Ah! vraiment! mon Dieu! s'écria ma mère, qui m'écoutait avec avidité. Alors, qu'est-ce que tu condamnes donc en moi?
—Votre aversion et vos rancunes contre ce monde, ce genre humain tout entier sur qui vous êtes entraînée à vous venger de vos souffrances. L'amour vous avait faite heureuse et grande, la haine vous a faite injuste et malheureuse.
—C'est vrai, c'est vrai! dit-elle. C'est trop vrai! Mais comment faire? Il faut aimer ou haïr. Je ne peux pas être indifférente et pardonner par lassitude.
—Pardonnez au moins par charité.
—La charité? oui, tant qu'on voudra pour les pauvres malheureux qu'on oublie ou qu'on méprise parce qu'ils sont faibles! Pour les pauvres filles perdues qui meurent dans la crotte pour n'avoir jamais pu être aimées. De la charité pour ceux qui souffrent sans l'avoir mérité? Je leur donnerais jusqu'à ma chemise, tu le sais bien! Mais de la charité pour les comtesses, pour madame une telle qui a déshonoré cent fois un mari aussi bon que le mien, par galanterie; pour monsieur un tel qui n'a blâmé l'amour de ton père que le jour où j'ai refusé d'être sa maîtresse...... Tous ces gens-là, vois-tu, sont des infâmes; ils font le mal, ils aiment le mal, et ils ont de la religion et de la vertu plein la bouche.
—Vous voyez pourtant qu'il y a, outre la loi divine, une loi fatale qui nous prescrit le pardon des injures et l'oubli des souffrances personnelles, car cette loi nous frappe et nous punit quand nous l'avons trop méconnue.
—Comment ça! explique-toi clairement.
—A force de nous tendre l'esprit et de nous armer le cœur contre les gens mauvais et coupables, nous prenons l'habitude de méconnaître les innocens et d'accabler de nos soupçons et de nos rigueurs ceux qui nous respectent et nous chérissent.
—Ah! tu dis cela pour toi! s'écria-t-elle.
—Oui, je le dis pour moi, mais je pourrais le dire aussi pour ma sœur, pour la vôtre, pour Pierret. Ne le croyez-vous pas, ne le dites-vous pas vous-même, quand vous êtes calme?
—C'est vrai que je fais enrager tout le monde quand je m'y mets, reprit-elle; mais je ne sais pas le moyen de faire autrement. Plus j'y pense, plus je recommence, et ce qui m'a paru le plus injuste de ma part en m'endormant est ce qui me paraît le plus juste quand je me réveille. Ma tête travaille trop. Je sens quelquefois qu'elle éclate. Je ne suis bien portante et raisonnable que quand je ne pense à rien; mais cela ne dépend pas de moi du tout. Plus je veux ne pas penser, plus je pense. Il faut que l'oubli vienne tout seul, à force de fatigue. C'est donc ce qu'on apprend dans tes livres, la faculté de ne rien penser du tout!»
On voit par cet entretien combien il m'était impossible d'agir sur l'instinct passionné de ma mère par le raisonnement, puisqu'elle prenait l'émotion de ses pensées tumultueuses pour de la réflexion, et cherchait son soulagement dans un étourdissement de lassitude qui lui ôtait toute conscience soutenue de ses injustices. Il y avait en elle un fonds de droiture admirable, obscurci à chaque instant par une fièvre d'imagination malade qu'elle n'était plus d'âge à combattre, ayant d'ailleurs vécu dans une complète ignorance des armes intellectuelles qu'il eût fallu employer.
C'était pourtant une âme très religieuse, et elle aimait Dieu ardemment, comme un refuge contre la sienne propre. Elle ne voyait de clémence et d'équité qu'en lui, et, comptant sur une miséricorde sans limites, elle ne songeait pas à ranimer et à développer en elle le reflet de cette perfection. Il n'était même pas possible de lui faire entendre par des mots l'idée de cette relation de la volonté avec Celui qui nous la donne. «Dieu, disait-elle, sait bien que nous sommes faibles, puisqu'il lui a plu de nous faire ainsi.»
La dévotion de ma sœur l'irritait souvent. Elle abhorrait les prêtres et lui parlait de ses curés comme elle me parlait de mes vieilles comtesses. Elle ouvrait souvent les Évangiles pour en lire quelques versets. Cela lui faisait du bien ou du mal, selon qu'elle était bien ou mal disposée. Calme, elle s'attendrissait aux larmes et aux parfums de Madeleine; irritée, elle traitait le prochain comme Jésus traita les vendeurs dans le Temple.
Elle s'endormit en me bénissant, en me remerciant du bien que je lui avais fait, et en déclarant qu'elle serait désormais toujours juste pour moi. «Ne t'inquiète plus, me dit-elle; je vois bien à présent que tu ne méritais pas tout le chagrin que je t'ai fait. Tu vois juste, tu as de bons sentimens. Aime-moi, et sois bien certaine qu'au fonds je t'adore.»
Cela dura trois jours. C'était bien long pour ma pauvre mère. Le printemps était arrivé et, à cette époque de l'année ma grand'mère avait toujours remarqué que son caractère s'aigrissait davantage, et frisait par momens l'aliénation, je vis qu'elle ne s'était pas trompée.
Je crois que ma mère elle-même sentit son mal et désira être seule pour me le cacher. Elle me mena à la campagne chez des personnes qu'elle avait vues trois jours auparavant à un dîner chez un vieux ami de mon oncle de Beaumont, et me quitta le lendemain de notre arrivée en me disant: «Tu n'es pas bien portante: l'air de la campagne te fera du bien. Je viendrai te chercher la semaine prochaine.»
Elle m'y laissa quatre ou cinq mois.
J'aborde de nouveaux personnages, un nouveau milieu où le hasard me jeta brusquement, et où la Providence me fit trouver des êtres excellens, des amis généreux, un temps d'arrêt dans mes souffrances, et un nouvel aspect de choses humaines.
Mme Roettiers du Plessis était la plus franche et la plus généreuse nature du monde. Riche héritière, elle avait aimé dès l'enfance son oncle James Roettiers, capitaine de chasseurs, troupier fini, dont la vive jeunesse avait beaucoup effrayé la famille. Mais l'instinct du cœur n'avait pas trompé la jeune Angèle. James fut le meilleur des époux et des pères. Ils avaient cinq enfans et dix ans de mariage quand je les connus. Ils s'aimaient comme au premier jour et se sont toujours aimés ainsi.
Mme Angèle, bien qu'à vingt-sept ans elle eût les cheveux gris, était charmante. Elle manquait de grâce, ayant toujours eu la pétulance, la franchise d'un garçon, et la plus complète absence de coquetterie; mais sa figure était délicate et jolie; sa fraîcheur, qui contrastait avec cette chevelure argentée, rendait sa beauté très originale.
James avait la quarantaine et le front très dégarni, mais ses yeux, bleus et ronds, pétillaient d'esprit et de gaîté, et toute sa physionomie peignait la bonté et la sincérité de son âme.
Les cinq enfans étaient cinq filles, dont une était élevée par le frère aîné de James: les quatre autres, habillées en garçons, couraient et grouillaient dans la maison la plus rieuse et la plus bruyante que j'eusse jamais vue.
Le château était une grande villa du temps de Louis XVI, jetée en pleine Brie, à deux lieues de Melun. Absence complète de vue et de poésie aux alentours, mais en revanche un parc très vaste et d'une belle végétation: des fleurs, des gazons immenses, toutes les aises d'une habitation que l'on ne quitte en aucune saison, et le voisinage d'une ferme considérable qui peuplait de bestiaux magnifiques les prairies environnantes. Mme Angèle et moi nous nous prîmes d'amitié à première vue. Bien qu'elle eût l'air d'un garçon sans en avoir les habitudes, tandis que j'en avais un peu l'éducation sans en avoir l'air, il y avait entre nous ce rapport, que nous ne connaissions ni ruses ni vanités de femme, et nous sentîmes tout d'abord que nous ne serions jamais, en rien et à propos de personne, la rivale l'une de l'autre; que, par conséquent, nous pouvions nous aimer sans méfiance et sans risque de nous brouiller jamais.
Ce fut elle qui provoqua ma mère à me laisser chez elle. Elle avait compté que nous y passerions huit jours. Ma mère s'ennuya dès le lendemain, et comme je soupirais en quittant déjà ce beau parc tout souriant de sa parure printanière, et ces figures ouvertes et sympathiques qui interrogeaient la mienne, Mme Angèle, par sa décision de caractère et sa bienveillance assurée, trancha la difficulté. Elle était mère de famille si irréprochable, que ma propre mère ne pouvait s'inquiéter du qu'en dira-t-on, et comme cette maison était un terrain neutre pour ses antipathies et ses ressentimens, elle accepta sans se faire prier.
Cependant, comme au bout de la semaine, elle ne faisait pas mine de revenir, je commençai à m'inquiéter, non pas de mon abandon dans une famille que je voyais si respectable et si parfaite, mais de la crainte d'être à charge, et j'avouai mon embarras.
James me prit à part et me dit: «Nous savons toute l'histoire de votre famille. J'ai un peu connu votre père à l'armée, et j'ai été mis au courant, le jour où je vous ai vue à Paris, de ce qui s'est passé depuis sa mort; comment vous avez été élevée par votre grand'mère, et comment vous êtes retombée sous la domination de votre mère. J'ai demandé pourquoi vous ne pouviez pas vous entendre avec elle. On m'a appris, et je l'ai vu au bout de cinq minutes, qu'elle ne pouvait se défendre de dire du mal de sa belle-mère devant vous, que cela vous blessait mortellement, et qu'elle vous tourmentait d'autant plus que vous baissiez la tête en silence. Votre air malheureux m'a intéressé à vous. Je me suis dit que ma femme vous aimerait comme je vous aimais déjà, que vous seriez pour elle une société sûre et une amie agréable. Vous avez parlé en soupirant du bonheur de vivre à la campagne. Je me suis promis du plaisir à vous donner ce plaisir-là. J'ai parlé le soir tout franchement à votre mère, et comme elle me disait avec la même franchise qu'elle s'ennuyait de votre figure triste et désirait vous voir mariée, je lui ai dit qu'il n'y avait rien de plus facile que de marier une fille qui a une dot, mais qu'elle ne vivait pas de manière à vous mettre à même de choisir, car je voyais bien que vous êtes une personne à vouloir choisir, et vous avez raison. Alors je l'ai engagée à venir passer quelques semaines ici, où vous voyez que nous recevons beaucoup d'amis ou de camarades à moi, que je connais à fond, et sur lesquels je ne la laisserais pas se tromper. Elle a eu confiance, elle est venue; mais elle s'est ennuyée, et elle est partie. Je suis sûr qu'elle consentira très bien à vous laisser avec nous tant que vous voudrez. Y consentez-vous vous-même? Vous nous ferez plaisir, nous vous aimons déjà tout à fait. Vous me faites l'effet d'être ma fille, et ma femme raffole de vous. Nous ne vous tourmenterons pas sur l'article du mariage. Nous ne vous en parlerons jamais, parce que nous aurions l'air de vouloir nous débarrasser de vous, ce qui ne ferait pas le compte d'Angèle; mais si, parmi les braves gens qui nous entourent et nous fréquentent, il se trouve quelqu'un qui vous plaise, dites-le nous, et nous vous dirons loyalement s'il vous convient ou non.
Mme Angèle vint joindre ses instances à celles de son mari. Il n'y avait pas moyen de se tromper à leur sincérité, à leur sympathie. Ils voulaient être mon père et ma mère, et je pris l'habitude, que j'ai toujours gardée, de les appeler ainsi. Toute la maison s'y habitua aussitôt, jusqu'aux domestiques, qui me disaient: «Mademoiselle, votre père vous cherche, votre mère vous demande.» Ces mots en disent plus que ne le ferait un récit détaillé des soins, des attentions, des tendresses délicates et soutenues qu'eurent pour moi ces deux excellens êtres. Mme Angèle me vêtit et me chaussa, car j'étais en guenilles et en savattes. J'eus à ma disposition une bibliothèque, un piano et un cheval excellent. C'était le superflu de mon bonheur.
J'eus quelque ennui d'abord des assiduités d'un brave officier en retraite qui me fit la cour. Il n'avait absolument rien que sa demi-solde et il était le fils d'un paysan. Cela me mit bien mal à l'aise pour le décourager. Il ne me plaisait pas du tout, et il était si honnête homme que je n'osais point croire qu'il ne fût épris que de ma dot. J'en parlai au père James en lui remontrant qu'il m'ennuyait, mais que j'avais si grand' peur de l'humilier et de lui laisser croire que je le dédaignais à cause de sa pauvreté, que je ne savais comment m'y prendre pour m'en débarrasser. Il s'en chargea, et ce brave garçon partit sans rancune contre moi.
Plusieurs autres offres de mariage furent faites par mon oncle Maréchal, mon oncle de Beaumont, Pierret, etc. Il y en eut de très satisfaisantes, pour parler le langage du monde, sous le rapport de la fortune et même de la naissance, malgré la prédiction de mon cousin Auguste. Je refusai tout, non pas brusquement, ma mère s'y fût obstinée, mais avec assez d'adresse pour qu'on me laissât tranquille. Je ne pouvais accepter l'idée d'être demandée en mariage par des gens qui ne me connaissaient pas, qui ne m'avaient jamais vue, et qui par conséquent ne songeaient qu'à faire une affaire.
Mes bons parens du Plessis, voyant bien réellement que je n'étais pas pressée, me prouvèrent bien réellement aussi qu'ils n'étaient pas pressés non plus de me voir prendre un parti. Ma vie auprès d'eux était enfin conforme à mes goûts et salutaire à mon cœur malade.
Je n'ai pas dit tout ce que j'avais souffert de la part de ma mère. Je n'ai pas besoin d'entrer dans le détail de ses violences et de leurs causes, qui étaient si fantasques qu'elles en paraîtraient invraisemblables. A quoi bon, d'ailleurs? Elles sont bien mille fois pardonnées dans mon cœur, et comme je ne me crois pas meilleure que Dieu, je suis bien certaine qu'il les lui a pardonnées aussi. Pourquoi offrirais-je ce détail au jugement de beaucoup de lecteurs, qui ne sont peut-être ni plus patiens, ni plus justes à l'habitude, que ne l'était ma pauvre mère dans ses crises nerveuses? J'ai tracé fidèlement son caractère, j'en ai montré le côté grand et le côté faible. Il n'y a à voir en elle qu'un exemple de la fatalité produite, bien moins par l'organisation de l'individu que par les influences de l'ordre social: la réhabilitation refusée à l'être qui s'en montre digne; le désespoir et l'indignation de cet être généreux, réduit à douter de tout et à ne pouvoir plus se gouverner lui-même.
Cela seul était utile à dire. Le reste ne regarde que moi. Je dirai donc seulement que je manquai de force pour supporter ses inévitables résultats de sa douleur. La mort de mon père avait été pour moi une catastrophe que mon jeune âge m'avait empêchée de comprendre, mais dont je devais subir et sentir les conséquences pendant toute ma jeunesse.
Je les comprenais enfin, mais cela ne me donnait pas encore le courage nécessaire pour les accepter. Il faut avoir connu les passions de la femme et les tendresses de la mère pour entrer dans la tolérance complète dont j'aurais eu besoin. J'avais l'orgueil de ma candeur, de mon inexpérience, de ma facile égalité d'âme. Ma mère avait raison de me dire souvent: «Quand tu auras souffert comme moi, tu ne seras plus sainte Tranquille!»
J'avais réussi à me contenir, c'était tout; mais j'avais eu plusieurs accès de colère muette, qui m'avaient fait un mal affreux, et après lesquels je m'étais sentie reprise de ma maladie de suicide. Toujours ce mal étrange changeait de forme dans mon imagination. Cette fois j'ai éprouvé le désir de mourir d'inanition, et j'avais failli le satisfaire malgré moi, car il me fallait pour manger un tel effort de volonté, que mon estomac repoussait les alimens, mon gosier se serrait, rien ne passait, et je ne pouvais pas me défendre d'une joie secrète en me disant que cette mort par la faim allait arriver sans que j'en fusse complice.
J'étais donc très malade quand j'allai au Plessis, et ma tristesse était tournée à l'hébètement. Peut-être que c'était trop d'émotions répétées pour mon âge.
L'air des champs, la vie bien réglée, une nourriture abondante et variée, où je pouvais choisir, au commencement, ce qui répugnait le moins aux révoltes de mon appétit détruit: l'absence de tracasseries et d'inquiétudes et l'amitié surtout, la sainte amitié, dont j'avais besoin plus que de tout le reste, m'eurent bientôt guérie. Jusque-là je n'avais pas su combien j'aimais la campagne et combien elle m'était nécessaire. Je croyais n'aimer que Nohant. Le Plessis s'empare de moi comme un Éden. Le parc était à lui seul toute la nature, qui méritait un regard dans cet affreux pays plat. Mais qu'il était charmant, ce parc immense, où les chevreuils bondissaient dans des fourrés épais, dans des clairières profondes, autour des eaux endormies de ces mares mystérieuses que l'on découvre sous les vieux saules et sous les grandes herbes sauvages! Certains endroits avaient la poésie d'une forêt vierge. Un bois vigoureux est toujours et en toute saison une chose admirable.
Il y avait aussi de belles fleurs et des orangers embaumés autour de la maison, un jardin potager luxuriant. J'ai toujours aimé les potagers. Tout cela était moins rustique, mieux tenu, mieux distribué, pourtant moins pittoresque et moins rêveur que Nohant; mais quelles longues voûtes de branches, quelles perspectives de verdure, quels beaux temps de galop dans les allées sablonneuses! Et puis, des hôtes jeunes, des figures toujours gaies, des enfans terribles si bons enfans! Des cris, des rires, des parties de barres effrénées, une escarpolette à se casser le cou! Je sentis que j'étais encore un enfant moi-même. Je l'avais oublié. Je repris mes goûts de pensionnaire, les courses échevelées, les rires sans sujet, le bruit pour l'amour du bruit, le mouvement pour l'amour du mouvement. Ce n'étaient plus les promenades fiévreuses ou les mornes rêveries de Nohant, l'activité où l'on se jette avec rage pour secouer le chagrin, l'abattement où l'on voudrait pouvoir s'oublier toujours. C'était la véritable partie de plaisir, l'amusement à plusieurs, la vie de famille pour laquelle, sans m'en douter, j'étais si bien faite, que je n'ai jamais pu en supporter d'autre sans tomber dans le spleen.
C'est là que je renonçai pour la dernière fois aux rêves du couvent. Depuis quelques mois, j'y étais revenue naturellement dans toutes les crises de ma vie extérieure. Je compris enfin, au Plessis, que je ne vivrais pas facilement ailleurs que dans un air libre et sur un vaste espace, toujours le même si besoin était, mais sans contrainte dans l'emploi du temps et sans séparation forcée avec le spectacle de la vie paisible et poétique des champs.
Et puis, j'y compris aussi, non pas l'exaltation de l'amour, mais les parfaites douceurs de l'union conjugale et de l'amitié vraie, en voyant le bonheur d'Angèle; cette confiance suprême, ce dévoûment tranquille, et absolu, cette sécurité d'âme qui régnaient entre elle et son mari au lendemain déjà de la première jeunesse. Pour quiconque n'eût pu obtenir du ciel que la promesse de dix années d'un tel bonheur, ces dix années valaient toute une vie.
J'avais toujours adoré les enfans, toujours recherché, à Nohant et au couvent, la société fréquente d'enfans plus jeunes que moi. J'avais tant aimé et tant soigné mes poupées, que j'avais l'instinct prononcé de la maternité. Les quatre filles de ma mère Angèle lui donnaient bien du tourment, mais c'était le cher tourment dont se plaignait Mme Alicia avec moi, et c'était encore bien mieux: c'étaient les enfans de ses entrailles, l'orgueil de son hyménée, la préoccupation de tous ses instans, le rêve de son avenir.
James n'avait qu'un regret, c'était de n'avoir pas au moins un fils. Pour s'en donner l'illusion, il voulait voir le plus longtemps possible ses filles habillées en garçon. Elles portaient des pantalons et des jaquettes rouges, garnis de boutons d'argent, et avaient la mine de petits soldats mutins et courageux. A elles se joignaient souvent les trois filles de sa sœur Mme Gondoin Saint-Aignan, dont l'aînée m'a été bien chère; et puis Loïsa Puget, dont le père était associé à mon père James dans l'exploitation d'une usine, enfin quelques garçons de la famille ou de l'intimité, Norbert Saint-Martin, fils du plus jeune des Roettiers, Eugène Sandré et les neveux d'un vieux ami. Quand tout ce petit monde était réuni, j'étais l'aînée de la bande et je menais les jeux, où je prenais, assez longtemps encore après mon mariage, autant de plaisir pour mon compte que le dernier de la nichée.
Je redevenais donc jeune, je retrouvais mon âge véritable au Plessis. J'aurais pu lire, veiller, réfléchir; j'avais des livres à discrétion et la plus entière liberté. Il ne me vint pas à l'esprit d'en profiter. Après les cavalcades et les jeux de la journée, je tombais de sommeil aussitôt que j'avais mis le pied dans ma chambre, et je me réveillais pour recommencer. Les seules réflexions qui me vinssent, c'était la crainte d'avoir à réfléchir. J'en avais trop pris à la fois; j'avais besoin d'oublier le monde des idées, et de m'abandonner à la vie de sentiment paisible et d'activité juvénile.
Il paraît que ma mère m'avait annoncée là comme une pédante, un esprit fort, une originale. Cela avait un peu effrayé ma mère Angèle, qui en avait eu d'autant plus de mérite à s'intéresser quand même à mon malheur; mais elle attendit vainement que je fisse paraître mon bel esprit et ma vanité. Deschartres était le seul être avec qui je me fusse permis d'être pédante; puisqu'il était pédant lui-même et dogmatisait sur toutes choses, il n'y avait guère moyen de ne pas disserter avec lui. Qu'aurais-je fait au Plessis de mon petit bagage d'écolier? Cela n'eût ébloui personne, et je trouvais bien plus agréable de l'oublier que d'en repaître les autres et moi-même. Je n'éprouvais le besoin d'aucune discussion, puisque mes idées ne rencontraient autour de moi aucune espèce de contradiction. La chimère de la naissance n'eût été, dans cette famille d'ancienne bourgeoisie, qu'un sujet de plaisanterie sans aigreur, et comme elle n'y avait pas d'adeptes, elle n'y avait pas non plus d'adversaires. On n'y pensait pas, on ne s'en occupait jamais.
A cette époque, la bourgeoisie n'avait pas la morgue qu'elle a acquise depuis, et l'amour de l'argent n'était point passé en dogme de morale publique. Quand même il en eût été ainsi d'ailleurs, il en eût été autrement au Plessis. James avait de l'esprit, de l'honneur et du bon sens. Sa femme, qui était tout cœur et toute tendresse, l'avait enrichi alors qu'il n'avait rien. Le pur amour, le complet désintéressement étaient la religion et la morale de cette noble femme. Comment me serais-je trouvée en désaccord sur quoi que ce soit avec elle ou avec les siens? Cela n'arriva jamais.
Leur opinion politique était le bonapartisme non raisonné, à l'état de passion contre la restauration monarchique, œuvre de la lance des Cosaques et de la trahison des grands généraux de l'empire. Ils ne voyaient pas dans la bourgeoisie dont ils faisaient partie une trahison plus vaste, une invasion plus décisive. Cela ne se voyait pas alors et la chute de l'empereur n'était bien comprise par personne. Les débris de la grande armée ne songeaient pas à l'imputer au libéralisme doctrinaire qui en avait pourtant bien pris sa bonne part. Dans les temps d'oppression, toutes les oppositions arrivent vite à se donner la main. L'idée républicaine se personnifiait alors dans Carnot, et les bonapartistes purs se réconciliaient avec l'idée, à cause de l'homme qui avait été grand avec Napoléon dans le malheur et dans le danger de la patrie.
Je pouvais donc continuer à être républicaine avec J.-J. Rousseau, et bonapartiste avec mes amis du Plessis, ne connaissant pas assez l'histoire de mon temps, et n'étant pas, en ce moment-là, assez portée à la réflexion et à l'étude des causes pour me débrouiller dans la divergence des faits; mes amis, comme la plupart des Français à cette époque, n'y voyaient pas moins trouble que moi.
Il y avait pourtant des opinions auprès de nous qui eussent dû me donner à penser. Le frère aîné de James et quelques-uns de ses plus vieux amis, s'étaient ralliés avec ardeur à la monarchie et détestaient le souvenir des guerres ruineuses de l'empire. Était-ce affaire d'intérêt, considération de fortune, ou amour de la sécurité? James bataillait contre eux en vrai chevalier de la France, ne voyant que l'honneur du drapeau, l'horreur de l'étranger, la honte de la défaite et la douleur de la trahison. Après sept ans de Restauration, il avait encore des larmes pour les héros du passé, et comme il n'était ni bête, ni ridicule, ni culotte du peau, on écoutait avec émotion ses longues histoires de guerre souvent répétées, mais toujours pittoresques et saisissantes. Je les savais par cœur, et je les écoutais encore, y découvrant un talent de romancier historique qui m'attachait, quoique je fusse bien loin de songer à devenir romancier moi-même. Quelques passages du roman de Jacques m'ont été suggérés par de vagues souvenirs des récits de mon père James.
Puisque j'ai nommé Loïsa Puget, que j'ai perdue de vue au bout de deux ou trois ans, je dois un souvenir à cette enfant remarquable, que j'ai à peine connue jeune fille. Elle avait quelques années de moins que moi, et cela faisait alors une si grande différence, que je ne me rappelle pas sans quelque étonnement l'espèce de liaison que nous avions ensemble. Il est certain qu'elle fut à peu près le seul être avec qui je m'entretins parfois d'art et de littérature au Plessis. Elle était douée d'une grande précocité d'esprit et montrait une aptitude en même temps qu'une paresse singulières dans toutes ses études. Elle fut, je crois une victime de la facilité. Elle comprenait tout d'emblée et s'assimilait promptement toutes les idées musicales et littéraires. Sa mère avait été cantatrice en province, et quoiqu'elle eût la voix cassée, chantait encore admirablement bien quand elle consentait à se faire entendre en petit comité. Elle était aussi très bonne musicienne et tourmentait Loïsa pour qu'elle étudiât sérieusement, au lieu d'improviser au hasard. Loïsa, qui avait du bonheur dans ses improvisations, ne l'écoutait guère. C'était un enfant terrible, plus terrible que tous ceux du Plessis. Jolie comme un ange, pleine de réparties drôles, elle savait se faire gâter par tout le monde. Je crois qu'elle s'est gâtée aussi elle-même à force de se contenter, esprit facile, de ses idées faciles. Elle a produit des choses gaies d'intention, spontanées, d'un rhythme heureux, d'une couleur nette et d'une parfaite rondeur. Ce sont des qualités qui l'emportent encore sur la vulgarité du genre. Mais moi qui me souviens d'elle plus qu'elle ne l'imagine peut-être (car j'étais déjà dans l'âge de l'attention quand elle n'était encore que dans celui de l'intuition), je sais qu'il y avait en elle beaucoup plus qu'elle n'a donné; et si l'on me disait que, retirée et comme oubliée en province, elle a produit quelque œuvre plus sérieuse et plus sentie que ses anciennes chansons, ne fût-ce que d'autres chansons (car la forme et la dimension ne font rien à la qualité des choses), je ne serais pas étonnée du tout d'un progrès immense de sa part.
Il y avait dans la maison un personnage assez fantastique qui s'appelait M. Stanislas Hue. C'était un vieux garçon surmonté d'un gazon jaunâtre et dont les traits durs n'étaient pas sans quelque analogie avec ceux de Deschartres: mais il ne s'y trouvait point la ligne de beauté originelle qui, en dépit du hâle, de l'âge et de l'expression à la fois bourrue et comique, révélait la beauté de l'âme de mon pédagogue. Le père Stanislas, on appelle volontiers ainsi ces vieux hommes sans famille qui passent à l'état de moines grognons, n'était ni bon ni dévoué. Il était souvent aimable, ne manquant ni de savoir ni d'esprit: mais il pensait et disait volontiers du mal de tout le monde. Il voyait en noir, et n'avait peut-être pas le droit d'être misanthrope, n'étant pas meilleur et plus aimant qu'un autre.
Ses manies divertissaient la famille, bien qu'on n'osât pas en rire devant lui. Je l'osai pourtant, ayant l'habitude de faire rire Deschartres de lui-même, et croyant la plaisanterie ouverte plus acceptable que la moquerie détournée. Je le rendis furieux, et puis il en revint. Et puis, il se refâcha et se défâcha, je ne sais combien de fois. Tantôt il avait un faible pour mes taquineries et les provoquait. Tantôt elles l'irritaient d'une façon burlesque. Il était pourtant très obligeant pour moi en général. Le beau cheval que je montais était à lui. C'était un andalou noir appelé Figaro, qui avait vingt-cinq ans, mais qui avait encore la souplesse, l'ardeur et la solidité d'un jeune cheval. Quelquefois son maître me le refusait, quand je l'avais mis de mauvaise humeur. Figaro se trouvait tout à coup boiteux. Mon père James allait me le chercher pendant que M. Stanislas avait le dos tourné. Nous partions au grand galop, et, au bout de deux heures, nous revenions lui dire que Figaro allait beaucoup mieux, l'air lui ayant fait du bien. Il s'en vengeait, au dire de James, par une bonne note bien méchante dans son journal; car il faisait un journal jour par jour, heure par heure, de tout ce qui se disait et se faisait autour de lui, et il avait ainsi, disait-on, vingt cinq ans de sa vie consignés, jusqu'aux plus insignifians détails, dans une montagne de cahiers pour lesquels il lui fallait une voiture de transport dans ses déplacemens et une chambre particulière dans ses établissemens. Je ne crois pas qu'il y ait eu d'homme plus chargé de ses souvenirs et plus embarrassé de son passé.
Une autre manie consistait à ne rien laisser perdre de ce qui traînait. Il ramassait, dans tous les coins de la maison et du jardin, les objets oubliés ou abandonnés, une bêche cassée, un mouchoir de poche, un vieux soulier, un vieux chenet, une paire de ciseaux. L'appartement qu'il occupait au Plessis était un musée encombré, jusqu'au plafond, de guenilles et de vieilles ferrailles. Ce n'était ni avarice ni penchant au larcin, car tout cela était pour lui sans usage, et une fois entré dans son capharnaüm, n'en devait sortir qu'à sa mort. Tout ce qu'on peut présumer de la cause de cette fantaisie, c'est que son vieux fonds de malice et de critique le portait à faire chercher aux gens peu soigneux les objets égarés. C'était une secrète joie pour lui de mettre les domestiques, les enfans et les hôtes de la maison en peine et en recherches. On n'avait pas la liberté de poser un livre sur le piano ou sur la table du salon, d'accrocher son chapeau à un arbre, de mettre un râteau contre un mur, ou un bougeoir sur l'escalier, sans qu'au retour, fût-ce au bout de cinq minutes, l'objet n'eût disparu pour ne jamais reparaître, tandis qu'il vous épiait, riant en sa barbe et se frottant le menton. «Ne cherchez pas, disait Mme Angèle, ou pénétrez, si vous pouvez, dans le magasin du père Stanislas.» Or, c'était la chose impossible. Le père Stanislas se renfermait au verrou quand il entrait chez lui et emportait sa clé quand il en sortait. Jamais âme vivante n'avait balayé ou épousseté son cabinet de curiosités. Il a été mourir dans un autre château, chez M. de Rochambeau, où il avait, je crois, transporté dans des fourgons tout son attirail, et quand tous ces trésors sortirent de la poussière pour être inventoriés, on m'a dit qu'il y en aurait eu pour des frais considérables d'inventaire, si l'on n'eût pris le parti d'estimer le tout à dix-huit francs.
Ce vieux renard avait, disait-on, douze mille livres de rentes. Il avait été administrateur des guerres, si j'ai bonne mémoire. Ne voulant pas dépenser sa petite fortune, il se mettait en pension chez des amis, au moindre prix possible et accumulait son revenu. C'était un pensionnaire insupportable à la longue, grognant à sa manière, qui consistait à railler amèrement le café trouble ou la sauce tournée, et à déchirer à belles dents la gouvernante ou le cuisinier. Il était le parrain de la dernière fille de James, paraissait l'aimer beaucoup, et faisait entendre adroitement qu'il se chargeait de sa dot dans l'avenir; mais il n'en fit rien, et content d'avoir fait enrager son monde, mourut sans songer à personne.
Ma mère, ma sœur, et Pierret vinrent rarement passer un jour ou deux au Plessis, pour savoir si je m'y trouvais bien et si je désirais y rester. C'était tout mon désir, et tout alla bien entre ma mère et moi jusque vers la fin du printemps.
A cette époque, M. et Mme Du Plessis allèrent passer quelques jours à Paris, et, bien que je demeurasse chez ma mère, ils venaient me prendre tous les matins pour courir avec eux dîner au cabaret, comme ils disaient, et flâner le soir sur les boulevards. Ce cabaret, c'était toujours le café de Paris ou les Frères provençaux; cette flânerie, c'était l'Opéra, la Porte Saint-Martin, ou quelque mimodrame du Cirque, qui réveillait les souvenirs guerriers de James. Ma mère était invitée à toutes ces parties: mais bien qu'elle aimât ce genre d'amusement, elle m'y laissait aller sans elle le plus souvent. Il semblait qu'elle voulût remettre tous ses droits et toutes ses fonctions maternelles à Mme Du Plessis.
Un de ces soirs-là, nous prenions après le spectacle des glaces chez Tortoni, quand ma mère Angèle dit à son mari: «Tiens, voilà Casimir!» Un jeune homme mince, assez élégant, d'une figure gaie et d'une allure militaire, vint leur serrer la main, et répondre aux questions empressées qu'on lui adressait sur son père, le colonel Dudevant, très aimé et respecté de la famille. Il s'assit auprès de Mme Angèle et lui demanda tout bas qui j'étais. «C'est ma fille, répondit-elle tout haut.—Alors, reprit-il tout bas, c'est donc ma femme? Vous savez que vous m'avez promis la main de votre fille aînée. Je croyais que ce serait Wilfrid, mais comme celle-ci me paraît d'un âge mieux assorti au mien, je l'accepte, si vous voulez me la donner.» Mme Angèle se mit à rire, mais cette plaisanterie fut une prédiction.
Quelques jours après, Casimir Dudevant vint au Plessis et se mit de nos parties d'enfant avec un entrain et une gaîté, pour son propre compte, qui ne pouvaient me sembler que de bon augure pour son caractère. Il ne me fit pas la cour, ce qui eût troublé notre sans-gêne, et n'y songea même pas. Il se faisait entre nous une camaraderie tranquille, et il disait à Mme Angèle, qui avait depuis longtemps l'habitude de l'appeler son gendre: «Votre fille est un bon garçon;» tandis que je disais de mon côté: «Votre gendre est un bon enfant.»
Je ne sais qui poussa à continuer tout haut la plaisanterie. Le père Stanislas, pressé d'y entendre malice, me criait dans le jardin quand on y jouait aux barres: «Courez donc après votre mari!» Casimir, emporté par le jeu, criait de son côté: «Délivrez donc ma femme!» Nous en vînmes à nous traiter de mari et de femme avec aussi peu d'embarras et de passion, que le petit Norbert et la petite Justine eussent pu en avoir.
Un jour, le père Stanislas m'ayant dit à ce propos je ne sais quelle méchanceté dans le parc, je passai mon bras sous le sien, et demandai à ce vieux ours pourquoi il voulait donner une tournure amère aux choses les plus insignifiantes.
«Parce que vous êtes folle de vous imaginer, répondit-il, que vous allez épouser ce garçon-là. Il aura soixante ou quatre-vingt mille livres de rente, et certainement il ne veut point de vous pour femme.
—Je vous donne ma parole d'honneur, lui dis-je, que je n'ai pas songé un seul instant à l'avoir pour mari, et puisqu'une plaisanterie, qui eût été de mauvais ton si elle n'eût commencé entre des personnes aussi chastes que nous le sommes toutes ici, peut tourner au sérieux dans des cervelles chagrines comme la vôtre, je vais prier mon père et ma mère de la faire cesser bien vite.»
Le père James, que je rencontrai le premier en rentrant dans la maison, répondit à ma réclamation que le père Stanislas radotait. «Si vous voulez faire attention aux épigrammes de ce vieux Chinois, dit-il, vous ne pourrez jamais lever un doigt qu'il n'y trouve à gloser. Il ne s'agit pas de ça. Parlons sérieusement. Le colonel Dudevant a, en effet, une belle fortune, un beau revenu, moitié du fait de sa femme, moitié du sien; mais dans le sien il faut considérer comme personnelle sa pension de retraite d'officier de la Légion-d'Honneur, de baron de l'empire, etc. Il n'a de son chef qu'une assez belle terre en Gascogne, et son fils, qui n'est pas celui de sa femme, et qui est fils naturel, n'a droit qu'à la moitié de cet héritage. Probablement il aura le tout, parce que son père l'aime et n'aura pas d'autres enfans; mais tout compte fait, sa fortune n'excèdera jamais la vôtre et même sera moindre au commencement. Ainsi, il n'y a rien d'impossible à ce que vous soyez réellement mari et femme, comme nous en faisions la plaisanterie, et ce mariage serait encore plus avantageux pour lui qu'il ne le serait pour vous. Ayez donc la conscience en repos, et faites comme vous voudrez. Repoussez la plaisanterie si elle vous choque; n'y faites pas attention, si elle vous est indifférente.
—Elle m'est indifférente, répondis-je, et je craindrais d'être ridicule et de lui donner de la consistance, si je m'en occupais.»
Les choses en restèrent là. Casimir partit et revint. A son retour, il fut plus sérieux avec moi et me demanda à moi-même ma main avec beaucoup de franchise et de netteté. «Cela n'est peut-être pas conforme aux usages, me dit-il; mais je ne veux obtenir le premier consentement que de vous seule, en toute liberté d'esprit. Si je ne vous suis pas trop antipathique et que vous ne puissiez pourtant pas vous prononcer si vite, faites un peu plus d'attention à moi, et vous me direz dans quelques jours, dans quelque temps, quand vous voudrez, si vous m'autorisez à faire agir mon père auprès de votre mère.»
Cela me mettait fort à l'aise. M. et Mme Du Plessis m'avaient dit tant de bien de Casimir et de sa famille, que je n'avais pas de motifs pour ne pas lui accorder une attention plus sérieuse que je n'avais encore fait. Je trouvais de la sincérité dans ses paroles et dans toute sa manière d'être. Il ne me parlait point d'amour et s'avouait peu disposé à la passion subite, à l'enthousiasme, et, dans tous les cas, inhabile à l'exprimer d'une manière séduisante. Il parlait d'une amitié à toute épreuve, et comparait le tranquille bonheur domestique de nos hôtes à celui qu'il croyait pouvoir jurer de me procurer. «Pour vous prouver que je suis sûr de moi, disait-il, je veux vous avouer que j'ai été frappé, à la première vue, de votre air bon et raisonnable. Je ne vous ai trouvée ni belle ni jolie, je ne savais pas qui vous étiez, je n'avais jamais entendu parler de vous; et, cependant, lorsque j'ai dit en riant à Mme Angèle que vous seriez ma femme, j'ai senti tout à coup en moi la pensée que si une telle chose arrivait, j'en serais bien heureux. Cette idée vague m'est revenue tous les jours plus nette, et quand je me suis mis à rire et à jouer avec vous, il m'a semblé que je vous connaissais depuis longtemps et que nous étions deux vieux amis.»
Je crois qu'à l'époque de ma vie où je me trouvais, et au sortir de si grandes irrésolutions entre le couvent et la famille, une passion brusque m'eût épouvantée. Je ne l'eusse pas comprise, elle m'eût peut-être semblé jouée ou ridicule, comme celle du premier prétendant qui s'était offert au Plessis. Mon cœur n'avait jamais fait un pas en avant de mon ignorance; aucune inquiétude de mon être n'eût troublé mon raisonnement ou endormi ma méfiance.
Je trouvai donc le raisonnement de Casimir sympathique, et, après avoir consulté mes hôtes, je restai avec lui dans les termes de cette douce camaraderie qui venait de prendre une sorte de droit d'exister entre nous.
Je n'avais jamais été l'objet de ces soins exclusifs, de cette soumission volontaire et heureuse qui étonnent et touchent un jeune cœur. Je ne pouvais pas ne point regarder bientôt Casimir comme le meilleur et le plus sûr de mes amis.
Nous arrangeâmes avec Mme Angèle une entrevue entre le colonel et ma mère, et jusque-là nous ne fîmes point de projets, puisque l'avenir dépendait du caprice de ma mère, qui pouvait faire tout manquer. Si elle eût refusé, nous devions n'y plus songer et rester en bonne estime l'un de l'autre.
Ma mère vint au Plessis et fut frappée, comme moi, d'un tendre respect pour la belle figure, les cheveux d'argent, l'air de distinction et de bonté du vieux colonel. Ils causèrent ensemble et avec nos hôtes. Ma mère me dit ensuite: «J'ai dit oui, mais pas de manière à ne pas m'en dédire. Je ne sais pas encore si le fils me plaît. Il n'est pas beau. J'aurais aimé un beau gendre pour me donner le bras.» Le colonel prit le mien pour aller voir une prairie artificielle derrière la maison, tout en causant agriculture avec James. Il marchait difficilement, ayant eu déjà de violentes attaques de goutte. Quand nous fûmes séparés, avec James, des autres promeneurs, il me parla avec une grande affection, me dit que je lui plaisais extraordinairement, et qu'il regarderait comme un très grand bonheur dans sa vie de m'avoir pour sa fille.
Ma mère resta quelques jours, fut aimable et gaie, taquina son futur gendre pour l'éprouver, le trouva bon garçon, et partit en nous permettant de rester ensemble sous les yeux de Mme Angèle. Il avait été convenu que l'on attendrait, pour fixer l'époque du mariage, le retour à Paris de Mme Dudevant, qui avait été passer quelque temps dans sa famille, au Mans. Jusque-là, on devait prendre connaissance entre parens de la fortune réciproque, et le colonel devait régler le sort que, de son vivant, il voulait assurer à son fils.
Au bout d'une quinzaine, ma mère retomba comme une bombe au Plessis. Elle avait découvert que Casimir, au milieu d'une existence désordonnée, avait été pendant quelque temps garçon de café. Je ne sais où elle avait pêché cette billevesée. Je crois que c'était un rêve qu'elle avait fait la nuit précédente, et qu'au réveil elle avait pris au sérieux. Ce grief fut accueilli par des rires qui la mirent en colère. James eut beau lui répondre sérieusement, lui dire qu'il n'avait presque jamais perdu de vue la famille Dudevant, que Casimir n'était jamais tombé dans aucun désordre; Casimir lui-même eut beau protester qu'il n'y avait pas de honte à être garçon de café, mais que n'ayant quitté l'école militaire que pour faire campagne comme sous lieutenant, et n'ayant quitté l'armée, au licenciement, que pour faire son droit à Paris, demeurant chez son père et jouissant d'une bonne pension, ou le suivant à la campagne où il était sur le pied d'un fils de famille, il n'avait jamais eu, même pendant huit jours, même pendant douze heures, le loisir de servir dans un café; elle s'y obstina, prétendit qu'on se jouait d'elle, et m'emmenant dehors, se répandit en invectives délirantes contre Mme Angèle, ses mœurs, le ton de sa maison et les intrigues de Du Plessis qui faisait métier de marier les héritières avec des aventuriers pour en tirer des pots-de-vin, etc., etc.
Elle était dans un paroxysme si violent que j'en fus effrayée pour sa raison et m'efforçai de l'en distraire en lui disant que j'allais faire mon paquet et partir tout de suite avec elle, qu'à Paris, elle prendrait toutes les informations qu'elle pourrait souhaiter, et que, tant qu'elle ne serait pas satisfaite, nous ne verrions pas Casimir. Elle se calma aussitôt. «Oui, oui, dit-elle. Allons faire nos paquets!» Mais à peine avais-je commencé, qu'elle me dit: «Réflexion faite, je m'en vas. Je me déplais ici. Tu t'y plais, restes-y, je m'informerai, et je te ferai savoir ce que l'on m'aura dit.»
Elle partit le soir même, revint encore faire des scènes du même genre, et, en somme, sans en être beaucoup priée, me laissa au Plessis jusqu'à l'arrivée de Mme Dudevant à Paris. Voyant alors qu'elle donnait suite au mariage et me rappelait auprès d'elle avec des intentions qui paraissaient sérieuses, je la rejoignis rue Saint-Lazare, dans un nouvel appartement assez petit et assez laid, qu'elle avait loué derrière l'ancien Tivoli. Des fenêtres de mon cabinet de toilette, je voyais ce vaste jardin, et dans la journée, je pouvais, pour une très mince rétribution, m'y promener avec mon frère, qui venait d'arriver et qui s'installa dans une soupente au-dessus de nous.
Hippolyte avait fini son temps, et, bien qu'à la veille d'être nommé officier, il n'avait pas voulu renouveler son engagement. Il avait pris en horreur l'état militaire, où il s'était jeté avec passion, il avait compté y faire un avancement plus rapide: mais il voyait bien que l'abandon des Villeneuve s'était étendu jusqu'à lui, et il trouvait ce métier de troupier en garnison, sans espoir de guerre et d'honneur, abrutissant pour l'intelligence et infructueux pour l'avenir. Il pouvait vivre sans misère avec sa petite pension, et je lui offris, sans être contrariée par ma mère, qui l'aimait beaucoup, de demeurer chez moi jusqu'à ce qu'il eût avisé, comme il en avait dessein, à se pourvoir d'un nouvel état.
Son intervention entre ma mère et moi fut très bonne. Il savait, beaucoup mieux que moi, trouver le joint de ce caractère malade. Il riait de ses emportemens, la flattait ou la raillait. Il la grondait même, et de lui elle souffrait tout. Son cuir de hussard n'était pas aussi facile à entamer que ma susceptibilité de jeune fille, et l'insouciance qu'il montrait devant ses algarades les rendait tellement inutiles qu'elle y renonçait aussitôt. Il me récomfortait de son mieux, trouvant que j'étais folle de me tant affecter de ces inégalités d'humeur, qui lui semblaient de bien petites choses en comparaison de la salle de police et des coups de torchon du régiment.
Mme Dudevant vint faire sa visite officielle à ma mère. Elle ne la valait certes pas pour le cœur et l'intelligence, mais elle avait des manières de grande dame et l'extérieur d'un ange de douceur. Je donnai tête baissée dans la sympathie que son petit air souffrant, sa voix faible et sa jolie figure distingué inspiraient dès l'abord, et m'inspirèrent, à moi, plus longtemps que de raison. Ma mère fut flattée de ses avances qui caressaient justement l'endroit froissé de son orgueil. Le mariage fut décidé; et puis il fut remis en question, et puis rompu, et puis repris au gré de caprices qui durèrent jusqu'à l'automne et qui me rendirent encore souvent bien malheureuse et bien malade; car j'avais beau reconnaître avec mon frère qu'au fond de tout cela ma mère m'aimait et ne pensait pas un mot des affronts que prodiguait sa langue, je ne pouvais m'habituer à ces alternatives de gaîté folle et de sombre colère, de tendresse expansive et d'indifférence apparente ou d'aversion fantasque.
Elle n'avait point de retours pour Casimir. Elle l'avait pris en grippe parce que, disait-elle, son nez ne lui plaisait pas. Elle acceptait ses soins et s'amusait à exercer sa patience, qui n'était pas grande, et qui pourtant se soutint avec l'aide d'Hippolyte et l'intervention de Pierret. Mais elle m'en disait pis que pendre, et ces accusations portaient si à faux qu'il leur était impossible de ne pas produire une réaction d'indulgence ou de foi dans les cœurs qu'elle voulait aigrir ou désabuser.
Enfin elle se décida, après bien des pourparlers d'affaires assez blessans. Elle voulait me marier sous le régime dotal, et M. Dudevant père y faisait quelque résistance à cause des motifs de méfiance contre son fils, qu'elle lui exprimait sans ménagement. J'avais engagé Casimir à résister de son mieux à cette mesure conservatrice de la propriété, qui a presque toujours pour résultat de sacrifier la liberté morale de l'individu à l'immobilité tyrannique de l'immeuble. Pour rien au monde je n'eusse vendu la maison et le jardin de Nohant, mais bien une partie des terres, afin de me faire un revenu en rapport avec la dépense qu'entraînait l'importance relative de l'habitation. Je savais que ma grand'mère avait toujours été gênée à cause de cette disproportion: mais mon mari dut céder devant l'obstination de ma mère, qui goûtait le plaisir de faire un dernier acte d'autorité.
Nous fûmes mariés en septembre 1822, et après les visites et retours de noces, après une pause de quelques jours chez nos chers amis du Plessis, nous partîmes avec mon frère pour Nohant, où nous fûmes reçus avec joie par le bon Deschartres.
FIN DU TOME NEUVIÈME.
Typographie L. Schnauss.
NOTES:
[1] Et elles le sont presque toutes, j'aime à le dire.
[2] J'ai fait depuis une remarque qui m'a paru triste. C'est que la plupart des femmes trichent au jeu et sont malhonnêtes en affaires d'intérêt. Je l'ai constaté chez des femmes riches, pieuses et considérées. Il faut le dire, puisque cela est, et que signaler un mal c'est le combattre. Cet instinct de duplicité qu'on peut observer, même chez les jeunes filles qui jouent sans que la partie soit intéressé, tient-il à un besoin inné de tromper, ou à l'âpreté d'une volonté nerveuse qui veut se soustraire à la loi du hasard? Cela ne vient-il pas plutôt de ce que leur éducation morale est incomplète. Il y a deux sortes d'honneur dans le monde; celui des hommes porte sur la bravoure et sur la loyauté dans les transactions pécuniaires. Celui des femmes n'est attaché qu'à la pudeur et à la fidélité conjugale. Si l'on se permettait de dire ici aux hommes qu'un peu de chasteté et de fidélité ne leur nuiraient pas, ils lèveraient certainement les épaules: mais nieront-ils qu'une honnête femme, qui serait en même temps un honnête homme, aurait doublement droit à leur respect et à leur confiance?
[3] Mme de Pardaillan était l'amie de la duchesse douairière d'Orléans.
[4] 1848.
[5] Le Berrichon a le goût des verbes réfléchis. Il dit: Cet homme ne sait pas ce qu'il se veut, il ne sait quoi se faire ni s'inventer.
[6] L'aveuglat est une sorte de collin-maillard. Le cob et les évalines sont une manière de jouer aux osselets avec une grosse bille de marbre. Le traîne-balin s'appelle, je crois, les petits-paquets, à Paris. La marelle doit-être connue dans beaucoup de provinces. Elle est expliquée dans les notes de Pantagruel, par Esmengard. Un grave antiquaire du Berry s'est donné la peine de composer un ouvrage sur l'étymologie du mot évaline. Il n'a pas osé se risquer pour le cob. Cela devenait sans doute plus ardu et trop sérieux.
[7] On assurait qu'il avait grandi d'un pied pendant la campagne.
[8] Je crois que c'était la Mort d'Abel, de je ne sais qui.
[9] Je ne doute pas que ma grand'mère ne m'eût déduit de meilleures raisons si elle eût été encore dans toute la force de ses facultés morales et intellectuelles. Elle avait certainement dû s'occuper plus efficacement de former l'âme de mon père. Mais j'ai beau chercher dans mes souvenirs la trace d'un enseignement vraiment philosophique de sa part, je ne la trouve pas. Je crois pouvoir affirmer que, pendant une phase de sa vie antérieure à la révolution, elle avait préféré Rousseau à Voltaire; mais que plus elle a vieilli, plus elle est devenue voltairienne. L'esprit de bigoterie de la Restauration dut nécessairement porter cette réaction à l'extrême dans les cerveaux philosophiques qui dataient du siècle précédent. Or, l'on sait combien est pauvre de fond et vide de moralité la philosophie de l'histoire chez Voltaire.
[10] Il y avait, entre autres métaphores, une lune qui labourait les nuages, assise dans sa nacelle d'argent.
[11] On me dit que des critiques de parti pris blâment la sincérité avec laquelle je parle de mes parens, et particulièrement de ma mère. Cela est tout simple, et je m'y attendais. Il y a toujours certains lecteurs qui ne comprennent pas ce qu'ils lisent: ce sont ceux qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas comprendre la véritable morale des choses humaines. Comme je n'écris pas pour ceux-là, c'est en vain que je leur répondrais; leur point de vue est l'opposé du mien: mais je prie ceux qui ne haïssent pas systématiquement mon œuvre, de relire ces lignes et de réfléchir. Si, parmi eux, il en est quelques-uns qui aient souffert des mêmes douleurs que moi, pour les mêmes causes, je crois que j'aurai calmé l'angoisse de leurs doutes intérieurs, et fermé leur blessure, par une appréciation plus élevée que celle des champions de la fausse morale.
[12] O honte!—C'est notre fi!
[13] Honte! honte!
[14] La réverende mère. On lui donnait ce titre en anglais seulement.
[15] C'était le confesseur d'une partie des pensionnaires et des religieuses. Ce n'était pas le mien. Cet abbé de Villèle, frère du ministre, a été depuis archevêque de Bourges.
[16] Très chères sœurs.
[17] Très chers enfans.
[18] Cette phrase et la suivante ne sont pas littéralement traduisibles: Vos esprits sont bas (abattus) aujourd'hui. Qu'est-ce que vous avez?
[19] Elle est bas espritée; elle est dans ses absences spirituelles.
[20] Ce n'est pas une raison pour omettre de rappeler la belle action qui s'est passée depuis que ces lignes sont écrites. Sous-préfet à Nérac, M. de Pompignan est descendu dans un puits méphitique où personne n'osait se risquer, pour en retirer de pauvres ouvriers asphyxiés. Parvenu au but de ses efforts, M. de Pompignan, qui par deux fois déjà s'était évanoui, replongeant toujours avec un nouveau courage, faillit payer de sa vie l'admirable dévoûment de son cœur.
[21] Quelquefois les mêmes prêtres qui officiaient, tantôt dans notre chapelle, tantôt dans celle des Écossais, amenaient chez nous, pour servir la messe, quelque pieux élève, fier de remplir l'office d'enfant de chœur. Je me souviens d'avoir vu là plusieurs fois, sous la robe de pourpre et le blanc surplis, le frère d'une de nos plus belles compagnes, qui était aussi un des plus beaux garçons du collége voisin. C'était celui qu'on a appelé depuis dans le monde le beau Dorsay, et que je n'ai connu que peu de temps avant sa mort, alors que, plein de généreuse sollicitude pour les victimes politiques, jusque sur son lit d'agonie, il était le noble et courageux Dorsay. Sa sœur, la belle et bonne Ida Dorsay, était sortie du couvent lorsque j'y entrai, mais elle y venait souvent voir ses anciennes amies. Elle a épousé le comte de Guiche; elle est aujourd'hui duchesse de Grammont.
[22] Probablement il était d'origine anglaise; il s'appelait Whitehead (tête blanche).
[23] On appelait dortoirs non-seulement la salle commune de la petite classe, mais aussi les corridors longs, étroits et obscurs qui séparaient les doubles rangées de cellules fermées.
[24] Sœur Hélène! Elle est dans ses vapeurs. Littéralement: Dans ses mauvais esprits.
[25] J'ai connu dans la suite la belle et véritablement angélique personne dont il est question. Elle avait épousé M. de R... en secondes noces. Elle m'a raconté toute l'histoire de son union avec le duc de C... «Ah! mon bon cousin René, si vous l'aviez entendue décrire ce parfait bonheur de sa première union!»
[26] Dans ce temps-là, je croyais, comme beaucoup d'autres, que Thomas a Kempis était l'auteur de l'Imitation. Les preuves invoquées par M. Henri Martin sur la paternité légitime de Jean Gerson m'ont semblé si concluantes, que je n'hésite pas à m'y rendre.
[27] Fontenelle, Éloge de Leibnitz.
[28] Dans une de ces lettres, elle me raconte comme quoi Clary de Faudoas a manqué mettre le feu à sa cellule, pour fêter par des illuminations, la naissance du petit duc (Henri V). Je cite ce petit fait comme une date de mon récit.
[29] Elle avait été de quinze cents francs dans le premier brouillon du testament. Il l'avait fait réduire à mille francs, avec beaucoup d'instance et même d'emportement.
[30] Mlle de Guibert et Mlle de Ségur.