L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793
LES RAPPORTS.
L’Académie ne prenait de décisions sur les principes de la science qu’à regret en quelque sorte et dans de rares occasions. La méthode infinitésimale par exemple et la théorie de l’attraction, adoptées par les uns et contredites par les autres, ne furent jamais jugées régulièrement par une sentence expresse; tant que ses membres partagés continuèrent à en disputer, l’Académie, sans se déclarer indifférente, demeura sagement indécise, et l’on pourrait seulement la blâmer de prolonger la prudence bien au delà des doutes qui l’ont fait naître.
On lit par exemple au procès-verbal du 22 août 1759: «L’hypothèse du père Berthier est tout à fait opposée à la philosophie newtonienne, presque universellement adoptée aujourd’hui; mais nous croyons que cette hypothèse peut se soutenir dans l’hypothèse du plein et des tourbillons; sous ce point de vue l’Académie, qui persiste à n’adopter aucun système, nous paraît pouvoir recevoir l’hommage que lui offre de son livre le père Berthier et permettre que cet ouvrage soit imprimé sous son privilége.»
Dix-sept ans plus tard l’Académie, toujours dans les mêmes principes, se refusant de nouveau à étudier les causes dans les effets, écarte obstinément la recherche des lois primordiales comme une chimère indigne d’encouragement. «Tout le reste de l’écrit de M. Dolomieu, dit le rapporteur d’une commission, est purement systématique, et l’Académie n’étant pas dans l’usage de prononcer sur les systèmes, nous passerons sous silence les raisonnements de l’auteur, quelque bien écrits qu’ils nous paraissent, parce que cela entraînerait dans de trop grandes discussions et que tous les raisonnements possibles dans l’art de traiter les mines ne valent pas un fait décrit avec clarté.
L’empressement des savants à lui soumettre leurs projets et leurs travaux, comme à la maîtresse de la science dans tout le royaume, transformait peu à peu l’Académie en une sorte de conseil réglé dont la confiance publique faisait l’autorité et la force. D’après ses règlements et suivant les desseins de son fondateur, l’Académie était tenue de prononcer sur le mérite des machines et sur les demandes de privilège; c’est par là que ses jugements prirent leur commencement, mais on lui soumit bien vite des découvertes, des inventions et des projets de toute sorte. Les commissaires désignés étaient exacts et diligents, dans les premières années surtout, à présenter en quelques paroles un rapport trop concis pour que nous ayons beaucoup à y apprendre, et qui, plus assuré dans le blâme que dans la louange, semble plus propre souvent à rebuter ou à irriter les inventeurs qu’à les enseigner et à les soutenir. Tels sont ceux-ci par exemple: «MM. Parent et Renau n’ont rien trouvé d’utile dans le livre qu’ils avaient à examiner et pour la théorie elle est pleine d’erreurs.»
«Nous avons examiné par ordre de l’Académie la manière que M. Besson lui a proposée pour relever un vaisseau submergé en lui attachant de tous côtés des tonneaux vides, ce qui, suivant la manière dont l’auteur l’emploie, nous a paru impraticable.»
Réaumur chargé d’examiner un taille-plumes mécanique le décrit minutieusement et ajoute: «Il pourra être un outil commode à la plupart des gens qui écrivent peu.» Le succès d’une autre invention lui paraît plus utile qu’assuré et là se borne son approbation.
On lit ailleurs au procès-verbal: «M. Lemonnier a parlé ainsi sur le mémoire de M. Desaussedats: L’auteur n’entend pas l’état de la question.»
Quelquefois plus sévère encore, le rapporteur engage l’Académie à refuser les communications nouvelles du même auteur. «Nous avons lu par ordre de l’Académie, dit une fois le chimiste Hellot, la lettre de M..... Je crois qu’on fera bien de lui répondre qu’il est inutile qu’il écrive davantage à l’Académie ou à quelques académiciens; on ne doit pas établir de correspondance avec un homme sans lettres, sans principes et qui d’ailleurs est très-importun.»
Certaines questions, telles que la quadrature du cercle, après avoir été faussement résolues un trop grand nombre de fois, furent elles-mêmes rejetées du cercle des travaux académiques, en même temps que la recherche reconnue impossible du mouvement perpétuel. Ce problème de la quadrature du cercle se trouve placé en quelque sorte au seuil de la science comme un appât pour les débutants incapables de comprendre dans quel sens on le tient pour si difficile. D’après un bruit populaire qui n’est pas absolument oublié aujourd’hui, les gouvernements auraient promis pour sa solution des récompenses considérables, et un effort heureux après quelques mois d’étude aurait pu, suivant cette fausse opinion, procurer à la fois la gloire et la fortune. Un des inventeurs osa même assigner d’Alembert devant le Parlement, comme le frustrant, par son refus d’examiner sa solution, de la récompense de 150,000 livres, qu’il croyait obstinément promise et qu’il prétendait mériter.
L’Académie, sans être jamais négligente, se montrait souvent sévère et impatiente et non sans raison quelquefois. La plupart des inventions qu’on lui propose dans les premières années sont indignes d’un jugement sérieux et au-dessous de toute critique; c’est elle-même qui le déclare officiellement, en quelque sorte, dans la préface du premier volume du Recueil des savants étrangers publié en 1750.
«Dès les premiers temps de l’institution de l’Académie, dit le secrétaire Grandjean Fouchy, plusieurs savants tant étrangers que régnicoles s’empressèrent de prendre part à ses travaux en lui adressant des mémoires et des dissertations sur différents sujets. Nous ne pouvons dissimuler que, surtout dans les commencements, l’Académie n’ait eu plus souvent à louer la bonne volonté des auteurs d’un grand nombre de ces pièces que l’excellence de leurs ouvrages.»
Le nombre des mémoires présentés s’augmentait cependant tous les jours, et l’Académie a plus d’une fois l’occasion d’accorder judicieusement à des idées ingénieuses et utiles un précieux témoignage d’exactitude et de nouveauté; mais plus d’une fois aussi, il faut le dire, elle décourage par sa prudence et son incrédulité les inventeurs qu’il aurait fallu diriger ou mettre en lumière.
«Ceux qui se mêlent de donner des préceptes et des conseils, dit Descartes, se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels il les donnent, et s’ils manquent en la moindre chose, ils en sont blâmables.» L’Académie le fut plus d’une fois.
On lit par exemple au procès-verbal du 21 juin 1704: «On a lu un écrit de M. Brunet qui propose des machines lithotritiques qui doivent, à la faveur d’une sonde dans laquelle elles seront comme pliées, entrer dans la vessie, là se déployer par des lamelles à ressort et articulées, prendre la pierre et la tenir ferme, après quoi une espèce de lance comprise dans la machine la brisera, ce qui la mettra en état de sortir par les urines comme du simple gravier. La composition et la difficulté du jeu de ces machines et le long temps que l’opération durerait ont fait rejeter cette idée par toute la compagnie.»
L’abbé Nollet, en rendant compte d’un mémoire sur les moyens de préserver les édifices de la foudre, a l’imprudence d’ajouter: «Ce mémoire nous paraît propre à dissiper, si tant est qu’elle subsiste encore, l’espérance que quelques personnes (c’est de Franklin qu’il s’agit) avaient conçue de préserver les édifices des funestes effets du tonnerre, en épuisant la matière fulminante de la nue et la détournant à leur gré par le moyen des conducteurs métalliques dressés en l’air et prolongés jusqu’à terre. Nous croyons qu’il mérite à tous égards d’être imprimé avec l’approbation de l’Académie.»
Les registres de l’Académie contiennent près de dix mille rapports aussi divers par la forme que par la nature et par l’importance des questions discutées et dont le détail serait infini. Nous avons dit et montré la sincérité un peu rude du plus grand nombre; l’indulgence de quelques autres prodigue parfois au contraire des louanges exagérées. Certains rapporteurs, entrant dans la pensée qu’ils devraient discuter et juger, acceptent toutes les assertions sans s’étendre à développer le détail des preuves pour les examiner et les peser; d’autres enfin, avec plus d’assurance et plus d’autorité, contrôlent et fortifient les raisonnements, vérifient et interprètent les faits et, les rattachant aux théories dont ils sont l’occasion ou la preuve, les illuminent de nouvelles clartés.
On aime surtout à retrouver l’accueil fait par l’Académie aux premiers essais des grands hommes qui font aujourd’hui sa gloire. Le 26 avril 1726, MM. Nicole et Pitot rendent compte du premier mémoire présenté par Clairaut à l’âge de douze ans. «Ces productions, disent-ils, qui auraient autrefois fait honneur aux plus habiles géomètres, deviennent encore aujourd’hui surprenantes lorsqu’on sait qu’elles sont l’ouvrage d’un jeune homme de douze ans et quelques mois, ce qui montre les progrès qu’on doit attendre de lui et combien il est estimable d’avoir acquis à cet âge tant de connaissances dans la géométrie et le calcul différentiel.»
«Il est bien rare, est-il dit deux ans plus tard dans un autre rapport, de voir un jeune homme de quatorze ans entendre les découvertes faites par MM. de l’Hopital, Wallis et Tchirnauss, et plus rare encore de voir le même jeune homme renchérir et ajouter de nouveau aux découvertes de ces grands géomètres.»
Fontenelle dans les mémoires de l’Académie exprime la même pensée avec plus d’élégance: «Autrefois, dit-il, de pareilles productions auraient fait honneur aux plus habiles géomètres; la louange aujourd’hui est à partager entre l’excellence des nouvelles méthodes et le génie singulier d’un enfant.»
Les premiers essais de d’Alembert sont quinze ans plus tard dignement loués et appréciés par Clairaut lui-même. Après avoir analysé avec bienveillance un mémoire dans lequel le jeune débutant rectifie une assertion inexacte du père Guinée, le rapporteur ajoute: «Ces remarques prouvent sa capacité, son exactitude et son amour pour la vérité.» En rendant compte quelques mois après d’un travail de plus grande portée mais imparfait encore, car d’Alembert s’est abstenu de le faire imprimer, Clairaut termine en disant: «Il serait trop long de le suivre dans toutes les considérations qu’il a faites sur cette matière; il suffit de dire qu’elles nous ont paru montrer bien de la science et de l’industrie dans l’auteur.»
Lavoisier également fut soutenu et encouragé dès ses débuts; Duhamel et Jussieu disent de son premier travail: «Ce mémoire est rempli de faits bien observés, d’observations de chimie exactement exécutées, de réflexions physiques très-judicieuses qui jettent un grand jour sur la substance gypseuse, sur sa nature et même sur la formation des fossiles, qui sont une partie considérable de l’histoire naturelle.»
Citons encore ces lignes extraites du rapport sur le premier mémoire de Coulomb: «Tel est le précis des recherches que M. Coulomb a présentées à l’Académie. Nous avons remarqué partout dans ses recherches une profonde science de l’analyse infinitésimale, beaucoup de sagacité dans le choix des hypothèses physiques qui servent de base aux calculs de l’auteur et dans les applications qu’il en a faites.» Maupertuis et Clairaut, en rendant compte du premier mémoire de Buffon relatif au calcul des probabilités, terminent leur rapport en disant: «Tout cela fait voir, outre beaucoup de savoir en géométrie, beaucoup d’invention dans l’auteur.»
Les étrangers embarrassés par un problème ou arrêtés dans une entreprise difficile consultaient souvent l’Académie qui, flattée de leur confiance, répondait de son mieux et sans retard. C’est ainsi qu’en 1705, le célèbre astronome et antiquaire Bianchini demanda des conseils sur un projet qui fit grand bruit alors, quoique son insuccès l’ait condamné à l’oubli. On avait découvert à Rome, dans les vieilles constructions du Monte Citorio, non loin de la grande colonne triomphale de Marc Aurèle, les restes d’une autre colonne monolithe en granit rouge d’Égypte dédiée à l’empereur Antonin le Pieux. C’était un des monuments funéraires qui dans la Rome impériale ornaient et encombraient le Champ de Mars. Le pape Benoît XIV, très-ami des arts et des sciences, avait chargé Bianchini, son camérier d’honneur, de restaurer cette colonne et de la transporter vis-à-vis la Curia innocenziana située à peu de distance. C’est après plusieurs essais inutiles que Bianchini consulta l’Académie en lui envoyant un rapport détaillé des procédés employés et proposés jusque-là. «Les méchaniciens de l’Académie, dit le procès-verbal du 6 mai 1705, feront réflexion sur le transport de ce grand fardeau et en donneront leur avis.» Les réflexions furent faites avec grande diligence; dès le samedi 9 mai, les mécaniciens apportèrent une réponse et des conseils un peu vagues qui ne furent pas de grande utilité. La colonne se rompit et les débris servirent à réparer l’obélisque d’Auguste sur la place du Monte Citorio; le piédestal représentant l’apothéose d’Antonin orne aujourd’hui les jardins du Vatican, et il ne reste d’autre trace de l’opération qu’un mémoire latin fort rare composé par Bianchini et la mention qui en est faite dans les registres de l’Académie.
Le parlement lui-même dans certains cas prenait directement l’Académie pour arbitre des difficultés relatives à la science qui embarrassaient ses décisions. Le 26 janvier 1732, avant d’enregistrer un privilége demandé par le sieur Texier fabricant de soieries, il demande l’avis de l’Académie sur la nouveauté, l’utilité et les conséquences de ses ouvrages. Le sieur Texier avait inventé un nouveau moulin à foulon; les opposants à son privilége prétendaient qu’ils pouvaient donner aux étoffes de soie des apprêts semblables à ceux du sieur Texier et même meilleurs, seulement ils avancent qu’ils ne se servent pas du moulin à foulon dont l’usage ne peut être qu’inutile et nuisible. A une question ainsi posée la réponse semblait bien simple: pourquoi ne pas autoriser le sieur Texier à employer son moulin qu’il trouve bon et les opposants qui le jugent mauvais à ne s’en pas servir? La commission fut moins hardie et par le refus du sieur Texier de se soumettre aux épreuves proposées par elle, elle se déclara ingénument hors d’état de donner son avis. Une telle réponse d’ailleurs n’était pas rare, et l’Académie, en déclarant sincèrement ses incertitudes, avait souvent l’excellent esprit de s’abstenir.
Consultée par le ministre de la marine sur la valeur d’un procédé proposé pour relever les vaisseaux submergés, elle répond sur le rapport de Réaumur et Couplet: «Pour être en état de porter un jugement sur la réussite d’une telle entreprise, il faudrait avoir examiné soi-même sur les lieux l’état où sont les vaisseaux échoués, leur profondeur, la quantité dont ils sont envasés, la qualité de la vase, etc., etc.; nous ne sommes pas en état de rien prononcer sur ce sujet.» Désignée dans une autre occasion par le tribunal consulaire comme arbitre de la contestation survenue entre l’horloger de la Samaritaine et le fondeur de timbres, l’Académie décide qu’il ne lui convient pas d’accepter cette commission.
Ceux qui s’adressaient à l’Académie, ministres, magistrats ou particuliers, la trouvaient cependant presque toujours prête à juger, et lorsque l’équité le demandait, elle n’hésitait pas à rendre témoignage contre elle-même pour ainsi dire, en proclamant la vérité tardivement reconnue.—Le propriétaire des eaux minérales de Passy, nommé Levieillard, expose en 1763 à l’Académie, que dans un ouvrage imprimé en son nom, une analyse inexacte des eaux dont il est propriétaire conduit à les déclarer peu utiles et nuit à ses intérêts.
Tout considéré, dirent les rapporteurs de l’Académie, nous jugeons que la plainte de M. Levieillard est juste... c’est pourquoi nous sommes d’avis qu’ayant égard à la plainte de M. Levieillard, et pour l’utilité du public on peut imprimer ce rapport en forme d’avertissement au commencement de la suite de l’Art des forges.
Mais si l’Académie était prête à juger sur toutes les questions et sur tous les mérites, elle ne permettait pas qu’on lui rendît la pareille et s’offensait des moindres critiques. Le procès-verbal du 1er avril 1730, qui le laisse voir avec beaucoup de naïveté, montre que dans plus d’une rencontre la liberté des journalistes de notre époque aurait été prise pour de la licence au XVIIIe siècle. «Le président Desmaisons, dit le procès-verbal, a dit que M. le duc du Maine, sous l’autorité duquel s’imprime le journal de Trévoux, ayant su que dans quelques-uns des derniers tomes de ce journal les ouvrages de l’Académie avaient été traités tout autrement qu’ils auraient dû l’être, Son Altesse sérénissime avait ordonné qu’il en serait fait une satisfaction authentique à l’Académie dans le tome prochain et que l’emploi de travailler à ce journal serait ôté à celui qui avait fait les mauvais extraits. On a dit que c’était le père Castel.»
En lisant ces articles qui, sans appel et sans débats contradictoires, ont attiré une punition si sévère, on demeure aussi affligé que surpris. Les comptes rendus du père Castel contiennent en effet plus d’une page entièrement consacrée à la louange des académiciens, et les critiques les plus sévères, bien loin de passer au delà des bornes, semblent la plupart d’une parfaite justesse.
«M. Pitot, dit-il, a quarré la moitié d’une courbe qu’il appelle la compagne de la cycloïde. Il y a mille courbes particulières quarrées de la sorte lorsqu’on veut se donner la peine d’y appliquer la méthode et les formules ordinaires du calcul.
«M. Nicole travaille toujours aux différences finies; la suite des temps pourra en faire voir l’utilité.
«Le jaugeage sur lequel M. de Mairan travaille serait plus utile si l’usage n’avait déjà à peu près toute la perfection qu’il peut avoir.
«M. le chevalier de Louville considère les corps célestes à peu près comme les boules de billard qui vont l’une contre l’autre, se rencontrent, se choquent. C’est une fiction ingénieuse du moins si elle n’est solide, et qui fait voir que les astronomes de ce siècle sont assez habiles dans leur art pour avoir bien du temps à perdre dans des spéculations qui n’y ont aucun rapport.»
En rendant compte d’une hypothèse de Maupertuis sur la structure des instruments de musique: «C’est dommage, dit avec grande raison le père Castel, que la preuve manque à une si jolie conjecture.»
Parlant enfin de trois éloges de Fontenelle insérés dans le volume qu’il analyse, il accorde à l’élégance et à la finesse du style des louanges sérieuses et méritées, mais il le reprend d’avoir blâmé Hartsoecker pour la rudesse de sa polémique. «Cette manière franche et ouverte de réfuter les sentiments qu’on ne peut goûter est préférable, dit le père Castel, à toutes ces critiques, satires et invectives secrètes qui ne sont que trop ordinaires à ce qu’on appelle les savants polis et d’un style précieusement radouci à l’égard de ceux qui ne sont pas de leur avis ou de leur cabale.»
Ces extraits, qu’on ne l’oublie pas, ne donnent pas même une idée exacte du ton de l’article, où plus d’une appréciation élogieuse ne peut laisser supposer aucune hostilité systématique. Le journaliste, parlant de questions qu’il semble comprendre, blâmant quelques académiciens sans impertinence et louant les autres sans emphase, ne songeait à obtenir par reconnaissance ou par crainte aucune des récompenses qu’ils décernaient, et il semble ici un fort honnête homme qui, dans cette triste affaire, a eu le beau rôle.
L’ombrageuse compagnie n’entendait pas qu’on discutât ses arrêts, et le Journal des savants lui-même, toujours rédigé par ses membres, n’avait pas le droit de la critiquer. En rendant compte d’un nouveau volume de la Connaissance des temps, le rédacteur qui, il est vrai, était Lalande lui-même, s’était permis de désirer certaines innovations en regrettant les décisions contraires prises par l’Académie chargée de diriger l’impression du recueil.
«Nous avons rendu compte plusieurs fois de la Connaissance des temps, disait-il, depuis que M. Lalande en est chargé, parce qu’elle contient chaque année des articles nouveaux. Quoique pendant six ans elle ait porté le titre de Connaissance des mouvements célestes, l’Académie a jugé que celui de Connaissance des temps était assez ancien pour devoir être conservé, et M. Lalande l’a rétabli, quoiqu’il fût persuadé, avec beaucoup d’autres, que le titre de Connaissance des mouvements célestes était bien plus convenable à la nature de cet ouvrage et à sa destination. Il y a fait entre autres jusqu’ici l’abrégé de ce qui s’est fait de plus intéressant pour l’astronomie et la navigation en France ou ailleurs, mais il avait supprimé pour cet effet différentes tables qu’on s’était accoutumé d’y trouver pour l’usage ordinaire de la navigation et de l’astronomie et que l’Académie a cru devoir y être rétablies. M. Lalande paraît se plaindre de la nécessité où il s’est trouvé de supprimer beaucoup de choses nouvelles, qu’il se proposait d’insérer dans ce volume, et les astronomes verront aussi avec peine qu’on les prive de l’agrément qu’ils trouvaient chaque année à avoir dans cet ouvrage de nouveaux secours pour leurs calculs, des observations nouvelles et une notice intéressante de ce qui se faisait de nouveau parmi les astronomes.»
L’Académie maintenant ses décisions trouva mauvais qu’on ne se bornât pas à s’y soumettre sans les discuter. «Lecture faite de l’article, dit le procès-verbal, l’Académie a été d’avis de prier M. de Mairan, président du journal (qui a déclaré n’avoir point été présent à la lecture de cet article) de veiller particulièrement à ce qu’à l’avenir il ne fût rien inséré qui regardât l’Académie ou les académiciens sans son aveu.»
Cette susceptibilité d’ailleurs était dans l’esprit du temps, et chacun veillait soigneusement à ne rien laisser entreprendre contre ses priviléges et ses droits. C’est ainsi que l’Académie des sciences, ayant sur le rapport de Lagny et de Mairan approuvé un nouveau système d’écriture, reçut une réclamation de l’Académie royale d’écriture dans laquelle est cité un arrêt du 26 février 1633, qui assujettit les maîtres d’écriture à des formes de caractères, lettres et alphabets déterminés, parce qu’il fallait, comme l’arrêt l’explique, apporter un remède à l’écriture que l’on faisait alors de très-difficile lecture. L’Académie royale d’écriture étant, sans contestation, la gardienne officielle de ces alphabets et formes de caractères, le rapport de l’Académie usurpait sur ses droits et encourageait à la désobéissance; l’Académie le maintint cependant, et le public écrivit comme il voulut.
Les jugements de l’Académie, demandés et reçus avec un continuel empressement, soulevèrent plus d’une fois, malgré leur autorité croissante, les protestations de ceux qui se croyaient au-dessus de tout contrôle. En 1783, le sieur Defer, architecte, avait contesté dans un mémoire sur la théorie des voûtes la solidité du pont de Neuilly, chef-d’œuvre récent de Perronet. L’Académie sans déclarer son opinion renvoya suivant l’usage ce travail à des commissaires. On en parla dans la ville, et les ennemis de Perronet en prirent occasion pour annoncer la ruine certaine du pont et l’écroulement reconnu imminent, disaient-ils, par l’Académie des sciences. Des curieux, chaque jour, se rendaient à Neuilly pour jouir du spectacle. L’administration des ponts et chaussées s’en plaignit, et les lettres échangées à cette occasion font paraître la force morale acquise par la savante compagnie qui, sans esprit d’opposition mais sans craindre de déplaire, repousse les reproches qu’elle ne mérite pas et maintient avec fermeté ses traditions et ses droits. M. Joly de Fleury lui avait écrit le 15 février 1783: «Je viens d’être informé qu’il a été présenté à l’Académie des sciences un mémoire au sujet du pont de Neuilly et j’en ai rendu compte au roi. Sa Majesté a grande confiance dans les lumières de Messieurs de l’Académie; mais comme ils n’ont aucune inspection sur les ponts et chaussées, Sa Majesté n’a point approuvé qu’ils aient nommé des commissaires pour visiter un pont qui a été construit par ses ordres.»
L’Académie cependant en retenant le mémoire de Defer était restée dans ses limites, sans manquer en rien de discrétion ou de prudence.
«J’ai rendu compte à l’Académie, écrit Condorcet, de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser, et elle m’a chargé d’avoir celui de vous faire un exposé fidèle de sa conduite relativement au mémoire de M. Defer. Elle se flatte que cette conduite mieux connue ne pourra que mériter l’approbation du roi. Le mémoire de M. Defer traite de plusieurs sujets; un des plus importants est l’examen de la méthode de construire les ponts, connue sous le nom de système des poussées horizontales; c’est une question importante de statique et de mécanique pratique, et l’Académie pouvait, devait même, en vertu de ses règlements, nommer des commissaires pour l’examiner. M. Defer cite dans son mémoire plusieurs exemples qui lui paraissent prouver le danger de ce système, et les mouvements qu’il a observés dans le pont de Neuilly sont un de ces exemples. Comme ce pont a été construit par M. Perronet, membre de l’Académie, les commissaires se proposaient, suivant l’usage, de communiquer le mémoire à cet académicien pour avoir sa réponse aux objections, et, dans le cas où ils auraient jugé la visite du pont nécessaire, ils ne l’auraient faite qu’après y avoir été autorisés par l’administration. L’Académie désirerait, à la vérité, qu’un examen qui intéresse la réputation d’un de ses membres fût fait avec l’attention la plus scrupuleuse, et M. Perronet désirerait d’avoir l’Académie pour juge, et pour examinateurs de son ouvrage des confrères dont il connaît l’équité et les lumières. Vous avez désiré, monsieur, que le mémoire de M. Defer fût remis entre vos mains. L’Académie est dans l’usage de ne remettre qu’aux auteurs mêmes les ouvrages qui lui ont été confiés, et seulement dans quelques circonstances. C’est en partie à cet usage invariablement observé, qu’elle doit la confiance de ceux qui lui présentent des découvertes ou des travaux utiles; confiance qui l’honore et que l’utilité publique demande qu’elle conserve sans aucune atteinte. D’ailleurs comme ce qui regarde le pont de Neuilly ne forme qu’une petite partie du mémoire de M. Defer, l’Académie désirerait connaître si c’est le mémoire en entier ou seulement cette partie dont vous lui demandez communication, et elle m’a permis, lorsque vous aurez bien voulu me faire savoir vos intentions, d’avoir l’honneur de vous adresser une copie certifiée, soit du mémoire en entier, soit des observations faites sur le pont de Neuilly.»
M. Joly de Fleury répond à la séance suivante: «Je mettrai, monsieur, votre lettre sous les yeux du roi. Je suis très-persuadé que Messieurs de l’Académie n’ont eu ni l’intention d’entreprendre sur le département des ponts et chaussées, ni de donner des inquiétudes au public, mais il est cependant très-vrai que l’un et l’autre ont eu lieu contre leur intention.
Par rapport au mémoire du sieur Defer, quoiqu’il n’y ait rien de secret pour le roi, il suffit que vous m’adressiez un extrait de ce qui concerne le pont de Neuilly...»
L’Académie ne fit pas de rapport et sans rien relâcher de ses droits, évita sagement un conflit inutile. Les craintes de Defer étaient d’ailleurs sans fondement, et le pont de Neuilly est cité depuis un siècle comme un des monuments les plus irréprochables du talent de Perronet.
Tout en déniant à l’Académie le droit d’examiner et de juger ses travaux, l’administration vient souvent elle-même lui commettre l’examen d’un grand nombre de projets étrangers à ses attributions. C’est à l’Académie par exemple que fut renvoyé, en 1776, le projet de Perrier pour la distribution des eaux dans Paris. «Je vous ai adressé, écrit M. de Malesherbes au secrétaire de l’Académie, le 3 février 1776, un projet pour distribuer l’eau dans Paris, vous marquant de le mettre sous les yeux de l’Académie, afin qu’elle pût nommer des commissaires pour l’examiner: en voici un nouveau qui vient de m’être remis. Le sieur Perrier, qui le propose, jouit d’une très-bonne réputation, et son expérience dans l’art mécanique est connue. Ce projet peut être remis aux mêmes commissaires chargés d’examiner le premier. Comme le sieur Perrier offre de faire toutes les avances des travaux, c’est un objet qui mérite considération, en supposant toutefois que son projet puisse remplir les vues que le gouvernement se propose.»
L’Académie connaissait depuis longtemps un excellent projet de Deparcieux pour amener à Paris les eaux de l’Yvette mêlées sur le trajet à celles de la Bièvre. Perronet, après la mort de Deparcieux, l’avait discuté et loué plus d’une fois devant ses confrères; c’est pour lui que conclut sans réserve le rapport de l’Académie. On devait le prévoir, mais on reste surpris de voir le rapporteur Condorcet mêler aux études techniques qui devraient faire tout le sujet de son jugement, des attaques sans mesure, dont la haineuse emphase semble un présage anticipé de la révolution déjà menaçante.
«M. Deparcieux, dit Condorcet, espérait que, quoique la principale utilité de son projet fût pour le peuple, néanmoins comme il importe à tout le monde de boire de bonne eau, de respirer un air pur, d’habiter un pays où les épidémies sont plus rares, les gens riches s’intéresseraient à son projet; mais malheureusement la classe d’hommes à qui il s’adressait ne trouve malsain que le pays où il n’y a ni fortune, ni faveur à espérer.»
De telles lignes sont heureusement fort rares dans les recueils de l’Académie qui, fidèle à sa tradition et marchant constamment dans la droite voie de la science, n’y rencontre et n’y cherche, même dans les plus mauvais jours, aucune trace des passions politiques.
L’Académie est même quelquefois consultée dans des cas où sa compétence peut sembler fort douteuse.
«Vous trouverez ci-joint, écrit le baron de Breteuil à l’Académie le 14 août 1787, un projet qui concerne l’embellissement de la ville de Paris et qui m’a été remis par le sieur de Wailly, membre de l’Académie d’architecture.
«Je pense depuis longtemps qu’il serait très-important pour l’administration d’avoir un plan général arrêté et approuvé par le roi, et qui comprît autant qu’il serait possible tous les embellissements dont la ville de Paris est susceptible. Je conçois qu’un pareil plan ne pourrait être l’ouvrage d’un seul artiste. Je conçois encore que les circonstances peuvent être longtemps un obstacle à l’exécution de ces embellissements jugés dignes d’être exécutés; mais il me semble qu’on peut toujours s’occuper de l’examen des projets des différents artistes qui présenteront des vues utiles et des idées heureuses, et les faire approuver et déterminer par Sa Majesté lorsqu’ils le mériteront, sauf à ne les réaliser que dans le temps où il sera possible d’en supporter la dépense. Le projet du sieur de Wailly m’a paru être du nombre de ceux qui doivent fixer l’attention et qu’il pourra être bon d’examiner.» Le projet de de Wailly consistait à combler le bras de rivière qui sépare l’île Saint-Louis de la Cité en coupant les deux îles sur toute leur longueur par une rue nouvelle qui en aurait fait un des plus beaux quartiers de Paris.
L’Académie, dans son rapport, paraît priser très-haut le mérite un peu banal aujourd’hui d’une rue très-longue et très-droite. «Un effet heureux et agréable, dit Perronet dans son rapport, tant du local que des dispositions du projet du sieur de Wailly, est que la grille du palais se trouve dans le prolongement de la rue Saint-Louis, en sorte qu’en changeant la direction des rues de la Vieille-Draperie et des Marmousets on a une longue rue qui, partant de la place et du pont établis à l’extrémité de l’île Saint-Louis, traverse toute cette île, l’île de la Cité, et vient aboutir à la grille neuve du palais, et même, si on perçait cet édifice, elle traverserait la place Dauphine et se terminerait à la statue Henri IV. On a dit, ajoute le rapporteur, qu’une compagnie se chargerait de cette entreprise qui ne coûtera rien au gouvernement; c’est à cette compagnie à s’assurer par un examen plus détaillé que nous ne pouvons le faire du montant des dépenses et de la valeur du produit.»
Les assemblées provinciales s’adressaient aussi à l’Académie, soit pour s’éclairer sur des projets d’utilité publique, soit pour autoriser de son jugement leur résistance à des décisions qu’elles combattaient.
La maîtrise des eaux et forêts de Paris, dans un intérêt de salubrité, avait interdit en 1784 le rouissage du chanvre dans tous les cours d’eau de l’Ile de France et créé par là de grandes difficultés aux agriculteurs. L’Académie, consultée par l’assemblée provinciale de l’Ile de France, blâma formellement la mesure. «Nous ne craignons pas de dire, disent les commissaires Lavoisier et Daubenton, que les changements apportés aux anciens usages de la province nous paraissent avoir été ordonnés prématurément et avant que la question ait été suffisamment éclaircie. Nous pensons qu’il serait à souhaiter que les choses fussent provisoirement remises à l’état où elles étaient avant le 4 avril 1784.»
En 1775 déjà, la question avait été soumise une première fois à l’Académie, et le rapport très-court de Duhamel se terminait ainsi: «Il vaut mieux faire l’aveu de son ignorance que de hasarder une opinion inconsidérée.»
Les états de Bretagne s’adressèrent à plusieurs reprises à l’Académie des sciences et obtinrent d’elle des consultations importantes sur de grands projets soumis à leur délibération. Les mémoires de l’Académie contiennent un rapport de Coulomb sur un projet de canalisation de plusieurs rivières de Bretagne.
L’Académie fut aussi consultée sur l’endiguement des grèves du mont Saint-Michel; mais, faute de documents précis, elle refusa de se prononcer formellement. On lui demanda enfin des instructions sur la meilleure manière d’aérer la salle des états à Rennes, et les commissaires conseillèrent de faire une ouverture au plafond en augmentant le tirage, s’il était nécessaire, par le moyen d’un petit poêle.
Un des projets les plus importants soumis à l’Académie fut sans contredit celui de la translation de l’Hôtel-Dieu et de la réorganisation des hôpitaux de Paris. Déjà, en 1784, une commission académique, dans un rapport sur le régime intérieur des prisons, avait signalé fortement l’état horrible des infirmeries. L’Hôtel-Dieu pendant longtemps avait été chargé des prisonniers malades; mais leur translation était un moyen souvent tenté d’évasion, et l’ordre fut donné de les soigner dans la prison même, où la place manquait aussi bien que les ressources les plus nécessaires. Au For-l’Évêque par exemple, dans une chambre étroite, obscure et mal aérée, seize malades parfois devaient se partager quatre lits. Les prisonniers pour dettes, les pères détenus faute de pouvoir payer les mois de nourrice de leurs enfants, y gisaient côte à côte avec les criminels de la pire espèce. L’Hôtel-Dieu présentait des tristesses non moins grandes et la mortalité y était plus forte qu’en aucun autre hôpital de l’Europe. L’Académie, consultée sur les réformes à y introduire, voulut réunir toutes ses lumières pour donner sur une telle question un rapport digne d’elle et de sa renommée. Les plus illustres de ses membres, Lavoisier, de Jussieu, Bailly et Laplace furent chargés, avec le chirurgien Tenon, d’étudier le projet de translation. Les administrateurs de l’Hôtel-Dieu, sans alléguer leurs motifs faciles à deviner, avaient refusé non-seulement d’aider la commission académique, mais de l’introduire dans les salles; c’est sur le témoignage de Tenon que la commission récite l’intolérable état des choses.
Non-seulement quatre malades, mais six dans le même lit; les morts mêlés aux vivants, les maladies contagieuses ou non soignées pêle-mêle et se compliquant les unes les autres; la gale et la petite vérole sévissant avec fureur, et les malades emportant de l’hôpital au lieu de guérison le nouveau mal qu’ils ont contracté; les fous proférant leurs cris jusqu’à la porte de la salle des opérés; des lits de paille pour ceux qui gâtaient leurs matelas, et là chaque matin exposés pendant plusieurs heures au contact des malades les plus dégoûtants, les nouveaux arrivants que l’on ne sait où placer: telle est une faible partie des misères qui, dans le rapport de Bailly dont la minutieuse précision ne diminue ni l’éclat ni la force, tiennent d’un bout à l’autre le lecteur dans une longue et pénible angoisse. Bailly se piquait fort de littérature, mais la douloureuse éloquence des faits le dispensait cette fois de tout artifice de style. On l’a loué souvent de l’avoir compris en montrant la vérité à découvert sans l’exagérer ni l’apprêter; il se laisse aller cependant à développer des preuves évidemment superflues. Lorsqu’il a dit par exemple que douze cents lits reçoivent trois mille malades, chacun imagine ce que peuvent espérer de sommeil et de repos les infortunés qu’on y entasse; que sert-il d’ajouter froidement: «Qu’est-ce qu’un lit en général, et surtout un lit de malade? C’est un lieu de repos pour la nature souffrante et un moyen de sommeil pour la nature que les souffrances ont fatiguée; l’homme n’a qu’une manière de reposer son corps, c’est de mettre tous les muscles destinés au mouvement volontaire dans un état de relâchement; un homme debout ne se repose pas, parce que... etc., etc.» Après avoir dit dans un autre passage l’effrayante mortalité des blessés et des femmes en couche, il ajoute avec bien peu de délicatesse de goût et de sentiment: «L’État a le plus grand intérêt à conserver les blessés et les mères dans la fleur de l’âge, qui renouvellent la population.»
Quoi qu’il en soit le rapport de Bailly, écho fidèle du cri des plus extrêmes misères, eut un immense retentissement; le roi, profondément ému par les révélations de l’Académie, ne se pardonnait pas de les avoir si longtemps ignorées. Une souscription, ouverte sous ses auspices, produisit aussitôt plus de deux millions de livres; mais il n’était plus question d’améliorer, il fallait détruire et refaire ailleurs. «On avait déjà, disait Tenon, apporté à l’Hôtel-Dieu toutes les améliorations possibles, sauf la seule efficace qui eût été de le jeter à bas.» Deux millions ne suffisaient pas à une telle œuvre, et le gouvernement, réduit bientôt aux derniers expédients, porta la main sur le dépôt sacré qu’il avait imploré lui-même. Parmi toutes les fautes qui préparaient de si cruelles catastrophes celle-là sans contredit fut une des plus honteuses.
La ville de Bordeaux, instruite des études faites par l’Académie des sciences, lui soumit à son tour les projets d’un nouvel Hôtel-Dieu pour ses malades. «C’est une preuve, disaient avec raison les commissaires, de l’opinion avantageuse que l’on a des lumières de l’Académie, et elle les doit à tous ceux qui les réclament.»
L’Académie, en effet, ne refusait à personne ses jugements et ses conseils; près de dix mille rapports, composés de 1699 à 1790, se trouvent encore dans ses archives, et c’est une grande preuve de discernement, de savoir et d’activité, que d’avoir pu ainsi, pendant près d’un siècle, accroître sans cesse la confiance de tous en la méritant de mieux en mieux.