L'Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques: OEuvres de C.-F. Volney, tome VIII
CHAPITRE IV.
Des Verbes.
C’est dans le verbe en général que la langue arabe développe davantage la simplicité et la richesse de son mécanisme, et sa différence avec les langues d’Europe.
En arabe les verbes n’ont que trois temps, le passé, le futur et l’impératif; le présent est absolument le même que le futur.
A défaut d’infinitif, on appelle les verbes par la troisième personne du passé au singulier masculin: ainsi, au lieu de dire le verbe aimer, parler, faire, on dit le verbe, il a aimé, il a parlé, il a fait.
Cette troisième personne masculine est ce que les grammairiens appellent la racine ou le mot radical, parce que c’est sur ce mot que se composent toutes les modifications des temps, des personnes et des conjugaisons, tant régulières qu’irrégulières.
En général, la racine est composée de trois lettres, quelquefois de quatre, presque jamais de plus ni de moins que ces deux nombres. On appelle ces trois lettres, les radicales.
Les radicales sont ou toutes consonnes, ou partie consonnes et partie voyelles, ou même toutes voyelles, mais très-rarement: et il est remarquable que ces radicales voyelles ne peuvent jamais être que les quatre majeures ou alfabétiques â, ï, ω et ả, les voyelles mineures étant toujours rapportées après coup, et servant par leur intercalation à modifier les radicales et à distinguer les temps et les personnes.
Si les trois radicales sont consonnes, le verbe est dit régulier[125].
[125] En arabe, sâlem, sain.
EXEMPLE.
na ʆa r, il a aidé; ħa ka m, il a gouverné.
Si une seule des trois radicales est voyelle, le verbe est dit irrégulier[126].
[126] γair sâlem, non sain.
Si deux sont voyelles, le verbe est doublement irrégulier.
Si les trois sont voyelles, le verbe est complètement irrégulier.
Or la raison de cette irrégularité procède de ce que les voyelles mineures ou intercalées, variant selon les temps et selon les formes actives ou passives des verbes, les voyelles majeures qui en sont affectées varient aussi, et les trois â, ï, ω, se changent de l’une en l’autre, ou même disparaissent entièrement; ce qui nous les fera souvent désigner par le nom de voyelles éclipsées et éclipsantes. L’ảin ne s’éclipse jamais; il devient seulement ĕ ou ỏ, selon qu’il est frappé des voyelles mineures e, o.
Si l’une de ces trois voyelles â, ï, ω, se trouve au milieu de la racine, c’est-à-dire entre deux consonnes, le verbe s’appelle verbe creux, parce que non-seulement la voyelle change dans les formes diverses du temps, mais parce qu’elle s’efface entièrement dans quelques-unes, et laisse pour ainsi dire vide l’espace entre des deux consonnes.
EXEMPLE.
qâl, il a dit; ïaqωl, il dit.
Impératif, qol, dis.
Cet exemple indique la manière dont se conjuguent tous les verbes arabes. On appelle d’abord le passé, puis le futur ou présent, enfin l’impératif et le participe; et l’on commence par la troisième personne, lui, pour finir par notre première moi: il a dit, tu as dit, j’ai dit, c’est-à-dire, l’inverse de notre usage.
L’exemple d’une conjugaison va rendre tous les préceptes généraux plus sensibles que nous ne le pourrions faire de toute autre manière.
Conjugaison du Verbe régulier.
naʓar, il a vu.
| 1 | naʓar | il a vu. |
| 1 | naʓar-at | elle a vu. |
| 2 | naʓar-t | tu as vu. |
| 2 | naʓar-ti | tu as vu. fém. |
| 3 | naʓar-t | j’ai vu. |
| 4 | naʓar-ω | ils ou elles ont vu. |
| 5 | naʓar-tω | vous avez vu. |
| 6 | naʓar-nâ | nous avons vu. |
REMARQUES.
1o On voit que la racine naʓar reste la même à toutes les personnes, et qu’il suffit de lui accoler certaines finales pour faire la distinction de ces personnes.
2o Ces finales appelées serviles, consistent, comme l’on voit, en cinq lettres, t, i, â, ω, n, dont nous verrons les positions diverses servir à distinguer les autres temps.
3o Dans l’arabe littéral il y a un troisième a final à la troisième radicale; et l’on dit naʓara; ce qui établit pour principe cette phrase:
Le verbe régulier prononce sa racine en a; c’est-à-dire que chaque lettre radicale emporte avec elle le son d’a; que si une radicale est voyelle, elle est affectée de ce même son. Ainsi dans la racine ramï, il a jeté, l’ï, troisième radicale étant frappé d’a accessoire, se prononce ramä, et ceci doit rendre clair ce que nous avons dit des verbes irréguliers.
4o Enfin l’on voit qu’il y a équivoque dans l’arabe vulgaire sur le mot naʓart qui signifie également j’ai vu et tu as vu; mais dans le littéral, les finales o et a servent à distinguer ces deux personnes; et l’on dit naʓarto pour j’ai vu, naʓarta pour tu as vu. On dit aussi naʓartom, vous avez vu, au lieu de naʓartω; mais il n’en résulte pas d’inconvénient pour le sens.
A l’égard du présent qui est aussi le futur, la racine, pour le former, se retourne de manière, 1o que les lettres serviles â, n, t, ï, qui étaient à la fin, passent au commencement du mot; 2o que la première radicale devient fermée, c’est-à-dire privée de voyelle intercalaire, et que les deux autres intercalaires se changent, savoir, la troisième constamment en o, et la seconde tantôt en e, et plus souvent en o. Un exemple va rendre tous ces préceptes sensibles.
PRÉSENT ET FUTUR ACTIF.
| ïanʓor | il voit ou il verra. |
| t’anʓor | elle voit ou elle verra. |
| t’anʓor | tu vois ou tu verras. masc. |
| t’anʓori | tu vois ou tu verras. fém. |
| anʓor | je vois ou je verrai. |
| ïanʓorωn | ils voient ou ils verront. |
| t’anʓorn | elles voient ou elles verront. |
| t’anʓorωn | vous voyez ou vous verrez. masc. |
| t’anʓorn | vous voyez ou vous verrez. fém. |
| nanʓor | nous voyons ou nous verrons. |
REMARQUES.
1o Cet exemple prouve ce que nous avons dit: 1o que les lettres serviles sont passées devant la racine; 2o que la première lettre radicale est devenue fermée, parce que son a syllabique la précède; 3o que la seconde radicale change a en o; à quoi il faut ajouter que la troisième radicale qui manque de voyelle dans l’arabe vulgaire, prend o dans l’arabe littéral, où l’on dit ïanʓoro, tanʓoro, anʓoro, nanʓoro, et après les n, vient a final, ïanʓorωn-a, tanʓorωn-a, et tanʓorn-a.
2o L’équivoque qui existe entre la première personne féminine, elle voit, et la seconde masculine, tu vois, tanʓor, pour les deux, est un défaut qui ne se remédie qu’en appliquant le pronom de chacune,
hi tanʓor, elle voit.
ent tanʓor, tu vois. masc.
3o Dans le littéral le futur se distingue du présent par la particule sa placée devant le mot, et rien n’empêche d’en adopter dans le vulgaire l’usage qui est simple.
| s’ïanʓor | il verra. |
| hi sat’anʓor | elle verra. |
| ent sat’anʓor | tu verras. masc. |
| sat’anʓori | tu verras. fém. |
| s’anʓor | je verrai. |
| s’ianʓorωn | ils verront. |
| s’tanʓorn | elles verront. |
| sat’anʓorωn | vous verrez. masc. |
| sat’anʓorn | vous verrez. fém. |
| san’anʓor | nous verrons. |
L’impératif n’est caractérisé que dans la seconde personne singulière et plurielle.
| onʓor | vois. masc. |
| onʓori | vois. fém. |
| onʓorω | voyez. comm. |
Le reste des personnes se conjugue comme au présent en faisant précéder la particule l’ qui signifie que et pour que.
| l’ïanʓor | qu’il voie. |
| l’anʓor | que je voie. |
Le participe est formé des trois radicales prononcées la première en â long, la seconde en é bref, et la troisième avec les finales des noms, ce qui en fait un adjectif déclinable, selon ce que nous avons dit, article des genres.
EXEMPLE.
| nâʓer | voyant. |
| nâʓer-ωn | voyans. |
| nâʓer-àt | voyante. |
| nâʓer-ât | voyantes. |
Il faut encore compter dans le verbe régulier deux formes qui produisent deux noms substantifs très-expressifs et très-commodes. Le premier de ces noms exprime l’action active, le faire de l’agent, s’il est permis de le dire.
EXEMPLE.
el naʓro, l’action de voir, le regardement.
Le regard est un terme équivoque, puisqu’il s’applique également au coup-d’œil qui est la chose, et à l’action de regarder. Notre langue française manque habituellement de ce substantif actif, et elle est forcée d’employer le substantif passif; ainsi l’on dit cet homme entend bien la composition, et l’on devrait dire, cet homme entend bien le composement, l’art de composer; car la composition est la chose composée, RES COMPOSITA, au passif, au lieu que le composement est la faculté et l’action de composer, considérée dans l’agent qui compose: ainsi la fortification d’une ville est le matériel de ses murailles; mais l’action, l’art de la fortifier est le fortifiement: la discussion d’une question est la chose discutée, secouée; mais l’action, l’art de la discuter est le discutement; la persuasion, et la conviction qui en résulte, sont des états passifs de l’esprit persuadé, convaincu; mais l’opération, l’art de celui qui a persuadé est le persuadement, le convainquement.
Ce substantif actif, qui a lieu dans presque tous les verbes arabes, et qui se forme, comme on l’a vu, des trois radicales, prend jusqu’à trente-trois formes, que l’usage apprend bien mieux que les préceptes; mais il prononce toujours sa première radicale en a bref, sa seconde fermée, et sa troisième avec les finales grammaticales o, i, a, ce qui en fait un nom et non pas un infinitif, comme le prétendent les grammairiens.
EXEMPLE.
| Nom. | el naʓr-o | le regard. |
| Gén. | el naʓr-i | du regard. |
| Dat. | l’el naʓr-i | au regard. |
| Acc. | el naʓr-a | le regard. |
L’on se rappelle que ces finales grammaticales o, i, a, ne sont usitées que dans l’arabe savant.
Ce substantif est ordinairement employé d’une manière singulière en sens confirmatif, avec la finale a’n propre aux adverbes.
EXEMPLE.
| naʓart-ho naʓra’n | je l’ai vu d’un regard. |
| đarabt-ho đarba’n | je l’ai frappé d’un coup. |
Ce qui diffère de naʓart-ho nâʓeran, je l’ai vu regardant; đarabt-ho đare-ban, je l’ai frappé, frappant.
La première tournure, a’n, l’a fait regarder comme un participe, ce qui n’est pas.
Un second substantif est celui qui se forme en plaçant un ma devant les lettres radicales dont la première se ferme, la seconde s’ouvre en a[127], et la troisième prend les finales grammaticales; et ce genre de substantifs exprime le temps et le lieu de l’action.
[127] Douze font exception et prononcent la deuxième radicale en e comme el maῳreq, l’orient; et el maγreb, le couchant, etc.
EXEMPLE.
| el manʓar | le temps de voir, le lieu où l’on voit. |
| el maktab | le temps d’écrire, le lieu où l’on écrit. |
Et ces noms ont des pluriels qui communément prennent la forme suivante:
el manâʓer les lieux et le temps de voir.
el makâteb les bureaux, lieux et temps d’écrire.
C’est-à-dire, première radicale en â long, seconde en e bref, et troisième en finales grammaticales, selon les cas.
Avec de légers changemens cette forme sert à exprimer des instrumens, des outils analogues à une action; ainsi l’on dit:
| meftâħ | une clé, | de fataħ | ouvrir. |
| meksaħat | un balai, | de kasaħ | balayer. |
| meħlab | un vase à traire, | de ħalab | traire du lait. |
Où l’on voit que l’m se prononce en e, et la seconde radicale en a; mais cette règle est moins constante et moins générale, et il faut s’en rapporter au dictionnaire[128].
[128] Nous avons omis les duels usités seulement dans l’arabe littéral; les voici:
DUEL DU PRÉTÉRIT.
| naʓara | eux deux ont vu. |
| naʓarota | elles deux ont vu. |
| naʓaratoma | vous deux avez vu. |
L’on voit que l’a long final est la lettre caractéristique.
DUEL DU PRÉSENT.
| ïonʓor-ân | eux deux voient ou verront. |
| tonʓo-ân | elles deux et vous deux voyez, ou verrez. |
DUEL DE L’IMPÉRATIF.
| onʓora | voyez vous deux. |
DUEL DU PARTICIPE.
| nâʓeran ou naʓerain | voyant eux deux. |
| nâʓeratan ou nâʓeratain | elles deux voyant. |
Cette première conjugaison peut donner une idée de toutes les autres, elle en est un modèle en ce que la troisième personne tant du prétérit que du passé, étant une fois connue, tout le reste de la conjugaison l’est aussi, parce que la difficulté consiste seulement à connaître la qualité et l’inversion des petites consonnes.
Or ces autres conjugaisons consistent en trois classes qui sont:
1o Les conjugaisons dérivées, c’est-à-dire formées de la première régulière, par l’addition ou la combinaison de certaines lettres.
2o La conjugaison des verbes sourds, c’est-à-dire, dont la seconde consonne est fermée ou sans voyelle, et est redoublée.
EXEMPLE.
| madd | il a étendu; | radd | il a rendu. |
3o Les verbes défectifs ou à voyelles radicales changeantes et éclipsantes.
| raħ | il est allé; | ïarωħ | il va. |
A quoi il faut ajouter les passifs de toutes ces conjugaisons. Nous allons traiter d’abord des conjugaisons dérivées.
CHAPITRE V.
Des Conjugaisons dérivées.
Les conjugaisons dérivées sont au nombre de douze, ce qui, avec la première que nous venons de voir, forme treize conjugaisons pour la première classe; le tableau ci-joint (no 3) en donnera une idée plus claire que tout ce que nous en pourrions dire en détail; il suffira d’y ajouter quelques observations.
La première est que les douze formes que présente ici le verbe naʆar, sont purement fictives, attendu qu’aucun verbe ne se combine de toutes ces façons; un grand nombre n’est usité que dans une forme; plusieurs le sont dans deux, trois, quatre et même jusqu’à six, mais aucun jusqu’à douze, soit en actif, soit en passif. Ce modèle sert seulement à indiquer comment se combinent les lettres radicales, les lettres ajoutées et les voyelles mineures intercalées.
CONJUGAISONS
DÉRIVÉES DU VERBE RÉGULIER.
ACTIF.
| PRÉTÉRIT[129]. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. | PARTICIPE. | SUBSTANTIF. | PRÉTÉRIT. |
|---|---|---|---|---|---|
| 1 naʆar. | ianʆor. | onʆor. | nâʆer. | naʆr. | il a aidé, etc. |
| 2 naʆʆar. | ïonaʆʆer. | naʆʆer. | monaʆʆer. | tanʆîrân. | il a fait aider, et il a rendu nazaréen. |
| 3 nâʆar. | ïonâʆer. | nâʆer. | monaʆer. | monaʆaràt. | |
| 4 anʆar. | ïonʆer. | anʆer. | monʆer. | enʆârân. | |
| 5 tanaʆʆar. | ïatanaʆʆar. | tanaʆʆar. | motanaʆʆer. | tanaʆʆorân. | |
| 6 tanâʆar. | ïatanâʆar. | tanâʆar. | motanâʆer. | tanâʆoran. | ils se sont entr’aidés. |
| 7 ennaʆar. | ïannaʆer. | ennaʆer. | monnaʆer. | ennaʆâran. | |
| 8 entaʆar. | ïantaʆer. | entaʆer. | montaʆer. | entaʆâran. | il a été aidé et délivré |
| 9 enʆarar. | ïanʆarar. | enʆarer. | monʆarer. | enʆerârân. | |
| 10 estanʆar. | ïastanʆer. | eʆtanʆer. | mostanʆer. | estenʆâran. | il a imploré l’aide |
| 11 enʆârar. | ïanʆârar. | enʆârer. | monʆârer. | enʆirâran. | |
| 12 enʆωʆar. | ïansaʆer. | enʆaʆer. | monʆoʆer. | enʆiʆâran. | |
| 13 enʆaωar. | ïonʆaωer. | enʆaωer. | monʆaωer. | enʆωâran. | |
| [129] Dans l’arabe littéral, toute la colonne des prétérits ajoute un a à l’r, et l’on dit naʆara; naʆʆara, etc. Toute la colonne du présent change cet a en o: ïanʆoro, ïanaʆʆero, etc. L’impératif n’ajoute rien, et les deux autres colonnes, le participe et le substantif se déclinent comme les noms. | |||||
| No 3. | Page 272. |
La première forme, dite primitive ou radicale, a une signification simple, soit active, comme:
| naʓar | il a vu. |
| naʆar | il a aidé. |
| đarab | il a frappé. |
soit neutre comme ħazen, il a été triste.
La seconde forme naʆʆar, qui redouble sa deuxième radicale, et la quatrième anʆar, désignent l’action de faire faire, et s’appellent par cette raison factitives.
EXEMPLE.
| naʆʆar, anʆar | il a fait aider. |
| ħaȥȥan | il a fait triste, il a affligé. |
La troisième forme nâʆar, exprime une action sur la personne ou la chose dont on reçoit une action semblable. On peut l’appeler forme réciproque.
EXEMPLE.
đârab-ni il me frappa le premier (mais je le lui rendis); il me provoqua.
La sixième désigne une action réciproque et concurrente.
EXEMPLE.
| tađârabω | ils s’entrebattirent. |
| tanâʆarω | ils s’entr’aidèrent. |
Les cinquième, septième et huitième forment des passifs.
EXEMPLE.
| tảallam | il a été instruit. |
| enkasar | il a été brisé. |
| eqtaʆar | il a été abrégé. |
La dixième exprime par le mot est le désir de faire.
EXEMPLE.
| estaȶảam | il a désiré de goûter. |
| estaγfer | il a demandé grace. |
La neuvième et la onzième sont consacrées à exprimer l’état intense des couleurs ou des difformités.
EXEMPLE.
| du terme aʆfar | il a été jaune, l’on fait |
| eʆfarrar | il a été d’un jaune vif, très-jaune. |
| esfârar | il a été excessivement jaune. |
| eđxamam et eđxâmam il a eu la bouche de travers. | |
La douzième et la treizième sont d’un usage infiniment rare, elles expriment aussi une intensité de l’action ou de la qualité.
EXEMPLE.
| xaῳan | il a été âpre. |
| exῳaωῳan | il a été très-âpre. |
| ảlaȶ | il s’est attaché, il s’est collé. |
| eảlaωωaȶ | il s’est fortement attaché. |
Quant aux passifs, il n’y en a qu’un très-petit nombre d’usités; et ce sont ceux de la première et de la seconde forme dont nous allons donner un exemple pour servir de modèle à tous les verbes de ces deux formes.
Passif du verbe régulier naʆar.
PRÉTÉRIT.
| noʆera | il a été aidé. |
| noʆerat | elle a été aidée. |
| noʆerta | tu as été aidé. masc. |
| noʆerti | tu as été aidée. fém. |
| noʆerto | j’ai été aidé. |
| noʆerω (en littéral noʆerωâ) ils ont été aidés. | |
| noʆerna | elles ont été aidées. |
| noʆertom | vous avez été aidés. |
| noʆertonna | vous avez été aidées, fém. |
| noʆernâ | nous avons été aidés. |
L’on voit que dans le passif, la première radicale se prononce en o, la deuxième en e, et la troisième en o dans le littéral; car dans le vulgaire, on dit simplement noʆer.
Dans le littéral on dit pour le duel:
| noʆerâ | eux deux ont été aidés. |
| noʆeratâ | elles deux ont été aidées. |
| noʆertomà | vous deux avez été aidés. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïonʆaro | il est ou sera aidé. |
| tonʆar | elle sera aidée. |
| tonʆar | tu seras aidé. masc. |
| tonʆarî | tu seras aidée. fém. |
| onʆaro | je serai aidé. |
| ïonʆarωn | ils seront aidés. |
| ïonʆarna | elles seront aidées. |
| t’onʆarωn | vous serez aidés. masc. |
| t’onʆarna | vous serez aidées. fém. |
| n’onʆaro | nous serons aidés. |
Le présent et le futur, comme l’on voit, tournent les trois radicales comme dans l’actif, avec la différence des voyelles supplétives qui sont o, a; et comme à la troisième personne singulière le pronom a ne peut se montrer comme dans a-nʆor, le petit o caractéristique devient dominant, et remplaçant cet a, il produit o-nʆar; ce qui est une règle générale dans tous les passifs de cette classe.
Dans le littéral, on dit pour le duel:
| ïonʆarâni | eux deux seront aidés. masc. |
| tonʆarâni | elles deux seront aidées. fém. |
| tonʆarâni | vous deux serez aidés. commun. |
Pour former l’impératif on se sert des personnes du présent, auxquelles l’on ajoute la particule l’.
| l’tonʆar | sois aidé. |
| l’ïonʆar, etc. | qu’il soit aidé. |
| PARTICIPE SINGULIER. | PLURIEL. | ||
|---|---|---|---|
| masc. manʆωron | aidé; | manʆωrωna | aidés. |
| fém. manʆωràton | aidée; | manʆωrâta | aidées. |
Dans le littéral on dit pour le duel:
| manʆωrâni | eux deux aidés. |
| manʆωratâni | elles deux aidées. |
Les substantifs sont tantôt en a, i, comme naʆir, tantôt en a, ω, comme naʆωr; et souvent ils manquent et s’empruntent des autres conjugaisons.
Quant au passif de la conjugaison no 2, naʆʆar, il se forme en o, e, a pour le prétérit; en o, a, e pour le présent; et en o, a, a pour le participe.
EXEMPLE.
| PRÉTÉRIT. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. |
|---|---|---|
| noʆʆera. | ïonaʆʆero. | l’ïonaʆʆer. |
| PARTICIPE. | SUBSTANTIF. | |
| monaʆʆar. | tanaʆʆir. |
Mais cette classe de passifs est peu employée dans l’arabe vulgaire, et l’on s’y sert plus généralement de la forme 5, tanaʆʆar, de la forme 7, ennaʆar, et de la forme 8, entaʆar.
C’est au dictionnaire, composé selon notre méthode, qu’appartiennent les remarques convenables à cet égard; la multitude des exceptions dans les grammaires embarrasse et décourage les commençans, et il leur est plus utile et plus agréable de ne les apprendre qu’à mesure du besoin qui alors fixe mieux leur attention.
Verbes à quatre lettres.
Quelques verbes font exception à la règle générale des trois lettres radicales, et en ont quatre comme daħrađj, il a roulé, qamȶar, il a lié par étranglement. Ces verbes suivent la forme no 2, c’est-à-dire que privant de voyelle la seconde radicale, ils prononcent leur prétérit en a, a; leur présent et futur en o, a, e, et leur participe en o, a, e comme naʆʆar.
EXEMPLE.
| PRÉTÉRIT. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. | PARTICIPE. |
|---|---|---|---|
| daħrađja. | ïodaħređj. | daħređj. | modaħređj. |
Quant au substantif, l’on dit tantôt daħrađjàt, et tantôt daħrađjâ’n.
Le passif se conjugue en o, e, a comme noʆʆera.
EXEMPLE.
| PRÉTÉRIT. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. |
|---|---|---|
| doħređja. | iodaħrađjo. | l’ïodaħrađj. |
| PARTICIPE. | SUBSTANTIF. | |
| modaħrađj. | modaħrađjân. |
C’est encore au dictionnaire à indiquer les exceptions.
CHAPITRE VI.
Verbes sourds, ou à deuxième radicale privée de consonne et redoublée.
Venons à la seconde classe des consonnes: celle des verbes qui dans l’écriture arabe ne présentant que deux radicales, doublent la seconde pour en avoir trois.
EXEMPLE.
| مَدَّ | prononcé madda, il a entendu. |
| رَدَّ | prononcé radda, il a rendu. |
Les grammairiens appellent ces verbes sourds, parce que la seconde consonne est privée de voyelle: il en résulte pour la manière de conjuguer les temps et les personnes, des particularités qui demandent un exemple.
PRÉTÉRIT ACTIF.
| radda | il a rendu. |
| raddat | elle a rendu. |
| radadta | tu as rendu. masc. |
| radadti | tu as rendu. fém. |
| radadto | j’ai rendu. |
| raddω[130] | ils ont rendu. |
| radadtω | vous avez rendu. |
| radadnâ | nous avons rendu. |
[130] Règle générale, on ne distingue point dans l’arabe vulgaire le masculin du féminin dans le nombre pluriel.
Vulgairement on dit raddait j’ai rendu, et tu as rendu; et raddaitω vous avez rendu, comme si la racine était raddä, ioraddi; et quoique ce soit un défaut, la douceur de cette prononciation l’a fait prévaloir sur l’autre.
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïaroddo | il rend ou rendra. |
| t’arodd | elle rend ou rendra. |
| t’aroddo | tu rends ou rendras. masc. |
| taroddi | tu rends ou rendras. fém. |
| aradd | je rends ou rendrai. |
| iaroddω | ils rendent ou rendront. |
| taroddω | vous rendez ou rendrez. |
| naroddo | nous rendons ou rendrons. |
IMPÉRATIF.
| rodd | rends. | masc. |
| roddi | rends. | fém. |
| roddω | rendez. | commun. |
Les autres personnes forment avec la particule l’ mise devant le présent l’ïarodd, qu’il rende.
SINGULIER PARTICIPE.
| masc. | râddon | rendant. | râddωn | rendans. |
| fém. | râddàton | rendante. | râddât | rendantes. |
On voit que dans ce participe c’est la même règle que dans nâʆer, c’est-à-dire que l’â ouvert est le signe caractéristique.
SUBSTANTIF.
raddân, l’action de rendre; même règle encore que naʆrâ’n.
PASSIF.
Le passif se forme avec les mêmes voyelles intercalaires que noʆer.
PRÉTÉRIT.
| rodda | il a été rendu. |
| roddat | elle a été rendue. |
| rodedt | tu as été rendu. |
| rodedti | elle a été rendue. |
| rodedt | j’ai été rendu. |
| roddω | ils ont été rendus. |
| rodedtω | vous avez été rendus. |
| rodedna | nous avons été rendus. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïoradd | il est ou sera rendu. |
| toradd | elle est ou sera rendue. |
| toradd | tu es ou seras rendu. |
| toraddi | tu es ou seras rendue. |
| oradd | je suis ou serai rendu. |
| ïoraddω | ils sont ou seront rendus. |
| toraddω | vous êtes ou serez rendus. |
| noradd | nous sommes ou serons rendus. |
Il n’y a point d’impératif particulier; il se forme avec le présent et la lettre l’: l’ïoradd, qu’il soit rendu, etc.
PARTICIPE.
| masc. | mardωdon | rendu. | mardωdωn | rendus. |
| fém. | mardωdàton | rendue. | marωdât | rendues. |
SUBSTANTIF.
mardωdân et mardωdatân, restitution.
De cette racine radd, se forment ou peuvent se former les mêmes dérivés que de la racine naʆar; et ces dérivés se conjuguent selon les modèles du tableau no 3, page 272; ainsi l’on peut dire,
| 2 | raddad, ïoradded, | il a fait rendre. |
| 4 | aradd, | |
| 8 | ertadd, | il a été rendu. |
| 10 | esteradd, | il a désiré de rendre. |
Mais l’usage seul et le dictionnaire peuvent apprendre lesquelles de ces formes sont usitées dans le vulgaire, et dans chaque pays arabe.
CHAPITRE VII.
Des Verbes défectueux, ou qui ont des voyelles pour lettres radicales.
Lorsque dans un verbe l’une des trois lettres radicales est voyelle, le verbe s’appelle défectueux, parce que dans les diverses modifications des temps, des personnes et des conjugaisons, cette voyelle se change ou même s’éclipse tout-à-fait.
Néanmoins il ne faut pas croire que ces changemens se fassent sans règles; ils en ont au contraire d’assez fixes qui proviennent de ces petites voyelles intercalées que nous venons de voir servir par leurs inversions à exprimer tous les modes des temps, des personnes et des conjugaisons; c’est-à-dire, que ce sont ces petites voyelles qui affectant les grandes, selon les principes du tableau no 2, faisant face à la page 219, les changent ou les confirment pour obéir aux règles générales de la conjugaison. Quelques exemples rendront ce mécanisme sensible.
Le verbe âkal, il a mangé, offre pour première radicale la grande voyelle â. Dans les principes de la conjugaison, no 1, la première radicale est affectée du petit a, naʆar; donc il faudrait écrire âakal. Mais ces deux sons se confondant par identité, on dit simplement âkal.
Au passif, ce n’est plus le petit a qui affecte la première radicale, c’est o (noʆer), et il faudrait dire aokel; mais a affecté d’o, ferait un hiatus; et pour l’éviter, les Arabes ont adopté la règle générale de ne prononcer que o, avec cette remarque que ce petit o bref et intercalaire devient un o radical et dominant; et ils disent okel, il a été mangé.
Si la voyelle est au milieu, les mêmes principes guident ses changemens: ainsi ces principes voulant que la seconde radicale, au prétérit actif, soit toujours affectée d’a, presque jamais cette seconde radicale n’y offre d’î ni d’ω; ces deux voyelles ne peuvent se montrer qu’au présent et futur.
EXEMPLE.
qâl il a dit, ïaqωl il dit, ou dira.
zâd il a augmenté, ïazîd il augmente ou augmentera.
Appliquez à cet exemple les petites voyelles du modèle naʆar, et vous verrez leurs règles observées.
qaâal, ïaqωol.
naʆar, ïanʆor.
zâd cependant ne fait pas ïazωd, mais ïazîd, et en cela il suit la règle d’une foule de verbes qui, à la seconde radicale du présent, prennent le kesré ِ ou petit e, comme kaʆar il a brisé, ïakʆer il brise.... et il en résulte pour tous les verbes qui ont â pour seconde radicale, l’équivoque de savoir s’ils tournent en ω ou en î: l’usage et le dictionnaire peuvent seuls l’enseigner.
Enfin si la troisième radicale est une voyelle, c’est encore la petite voyelle supplétive qui la régit. Cette petite voyelle ne se montre point dans l’arabe vulgaire, qui dit simplement naʆar, ïanʆor; mais elle existe dans le littéral, qui écrit et prononce naʆara, ïanʆoro.
La troisième radicale étant voyelle sera donc généralement affectée d’a, c’est-à-dire sera toujours â au prétérit actif; mais elle pourra tourner au présent et au futur tantôt en ω, et tantôt en î, attendu qu’il y a une quantité de verbes où elle est î. C’est pour les indiquer que j’ai imaginé de marquer de deux points ä, l’a final qui représente cet ï.
EXEMPLE.
| ramä | il a jeté, | ïarmî | il jette. |
| malä | il a rempli, | ïamlî | il remplit. |
Les verbes en ω font:
| γaza | il a attaqué, | ïaγzω | il attaque. |
| ħala | il a été doux au goût, | ïaħlω | il est doux au goût. |
La voyelle ảïn subit des changemens analogues à ceux que nous venons de voir, quoique les grammairiens l’aient voulu conjuguer régulièrement, et que même ils aient établi le verbe fảl pour modèle de la première conjugaison; mais leur erreur en ce point se rend sensible, et par l’écriture, et par la prononciation, qui s’accordent à prouver que l’ả se modifie en ĕ et en ỏ, selon qu’il est affecté de domma ou de kesré.
EXEMPLE.
ảzal il a destitué, devient au passif ỏzel il a été destitué.
faảl il a fait, donne fâĕl faisant, et mafỏωl, fait, factus.
ảbb il a avalé, devient ïaỏbb il avale.
ảzz il a été précieux, devient ïaĕzz il est précieux.
Ainsi c’est une règle générale, que l’ảïn se modifie en ĕ et en ỏ, selon qu’il est affecté des petites voyelles é et o.
Sur quoi nous remarquerons 1o que lorsqu’il fait partie d’un verbe sourd, comme dans ảbb et ảzz, il suit toutes les règles de radd pour le doublement de sa consonne, mais il tourne au présent tantôt en ĕ et tantôt en ỏ, c’est-à-dire qu’il est affecté tantôt du petit é, et tantôt du petit o.
2o Qu’il ne doit être influencé que par la voyelle intercalaire qui lui appartient en propre, et qu’il ne faut pas lui confondre celles qui appartiennent aux autres radicales: ainsi, selon le type naʆar, on devrait écrire faảal; mais dans ảal le petit a se confond à l’ảïn, et il reste faảl, parce que le premier petit a appartient à f.
3o Qu’à la fin des mots du temps présent et futur, l’ảïn ne suit pas communément la règle de ïanʆor où l’on voit l’o affectant la seconde radicale; mais qu’il reste souvent ce qu’il est sans changement: ainsi le verbe qaȶả il a coupé, ne fait pas ïaqȶỏ, mais ïaqȶả; ce qui n’empêche pas que dans le littéral on ne le fasse suivre de la finale caractéristique o, puisque l’on y dit ïaqȶảo, comme ïanʆoro.
Mais c’est encore au dictionnaire qu’il appartient d’indiquer le caractère spécial de chaque verbe, comme l’a fait Golius dans son Océan de la langue arabe (qâmωs el loγàt el ảrabîàt).
Nous allons donner quelques exemples des conjugaisons les plus générales des verbes imparfaits.
EXEMPLE.
Verbe dont la première radicale est voyelle.
PRÉTÉRIT.
| âkal | il a mangé. |
| âkalat | elle a mangé. |
| âkalt | tu as mangé. masc. |
| akalti | tu as mangé. fém. |
| âkalt | j’ai mangé. |
| âkalω | ils ont mangé. |
| âkaltω | vous avez mangé. |
| âkalna | nous avons mangé. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïâkol | il mange ou mangera. |
| t’âkol | elle mange ou mangera. |
| t’âkolo | tu manges ou mangeras. masc. |
| t’âkoli | tu manges ou mangeras. fém. |
| â’kol[131] | je mange ou mangerai. |
| ïâkolω | ils mangent ou mangeront. |
| t’akolω | vous mangez ou mangerez. |
| n’akol | nous mangeons ou mangerons. |
IMPÉRATIF.
kol mange. masc. koli mange. fém.[132].
PARTICIPE.
| âkel[133] | mangeant. | âkelàt | mangeante. |
| âkelωn | mangeans. | âkelât | mangeantes. |
SUBSTANTIF.
el akl[134] le manger.
Au passif, la racine akal suivant les règles de noʆer se change en ookel, et l’on dit:
| Prétérit. | okel | il a été mangé, etc. |
| Présent. | ïωkal | il est ou sera mangé, etc. |
| Participe. | mωakl | mangé. |
| Substantif. | akîlàt | chose mangeable. |
[131] On devrait écrire â’okol; mais la virgule suffit pour avertir de l’élision de l’a mineur, afin d’éviter l’hiatus.
[132] L’a radical se supprime dans ce verbe ainsi que dans χod, prends, et mor, commande; mais dans les autres il devient é ou i.
[133] Au lieu de ââkel.
[134] Qu’il ne faut pas prononcer comme el ảql, l’esprit.
Verbe dont la seconde radicale est voyelle.
Dans ce verbe il faut savoir si cette seconde radicale tourne au présent et futur en ω, comme qâl, ïaqωl, ou en i, comme sâl, ïasîl il a questionné.
PREMIER EXEMPLE.
| qâl[135] | il a dit. | îaqωl | il dit. |
[135] L’on devait écrire qaâl, mais la suppression du petit a ne donne lieu à aucune équivoque, et elle évite un hiatus.
PRÉTÉRIT.
| qâl | il a dit. |
| qâlat | elle a dit. |
| qolta | tu as dit. masc. |
| qolti | tu as dit. fém. |
| qolto | j’ai dit. |
| qâlω | ils ont dit. |
| qoltω | vous avez dit. |
| qolnâ | ils ont dit. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïaqωl | il dit ou dira, etc. |
| t’aqωl | elle dit. |
| taqlω | tu dis. masc. |
| t’aqωli | tu dis. fém. |
| â’qωl | je dis. |
| îaqωlω | ils disent. |
| t’aqωlω | vous dites. |
| naqωl | nous disons. |
IMPÉRATIF.
qol dis, masc. qoli dis, fém. qolω dites, com.
PARTICIPE.
| qâïl | disant. | qâïlàt | disante. |
| qâïlωn | disans. | qâïlât | disantes. |
SUBSTANTIF.
el qωl la parole, le dire. Pluriel, el aqωâl.
PASSIF.
PRÉTÉRIT.
| qîl | il a été dit. |
| qîlat | elle a été dite. |
| qelta | tu as été dit. |
| qelti | tu as été dite. |
| qelto | j’ai été dit. |
| qîlω | ils ont été dits. |
| qeltω | vous avez été dits. |
| qelnâ | nous avons été dits. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïoqâl | il est ou sera dit. |
| t’oqâl | elle est ou sera dite. |
| t’oqâl | tu es ou seras dit. |
| t’oqâli | tu es ou seras dite. |
| o’qâl | je suis ou serai dit. |
| ïoqâlωn | ils sont ou seront dits. |
| t’oqâlωn | vous êtes ou serez dits. |
| noqâl | nous sommes ou serons dits. |
IMPÉRATIF.
| l’ïoqâl. | qu’il soit dit, etc. |
PARTICIPE.
| maqωl | dit, etc. |
SECOND EXEMPLE.
| sâr | il a marché, | ïasir | il marche. |
PRÉTÉRIT.
| sâr | il a marché. |
| sârat | elle a marché. |
| sert | tu as marché. masc. |
| serti | tu as marché. fém. |
| serto | j’ai marché. |
| sârω | ils ont marché. |
| sertω | vous avez marché. |
| sernâ | nous avons marché. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïasîr | il marche ou marchera. |
| t’asîr | elle marche. |
| t’asir | tu marches. masc. |
| t’asiri | tu marches. fém. |
| â’sîr | je marche. |
| ïasîrω | ils marchent. |
| t’asîrω | vous marchez. |
| n’asîr | nous marchons. |
IMPÉRATIF.
| ser | marche, masc. | sîri | marche, fém. |
| sîrω | marchez, masc. | sern | marchez, fém. |
PARTICIPE.
| sâïr | marchant. | sâïràt | marchante. |
| sâïrωn | marchans. | sâïrât | marchantes. |
SUBSTANTIF.
el sîr (ou) sîrâ’n la marche.
PASSIF.
PRÉTÉRIT.
| ïsîr | il a été marché. |
| sirat | elle a été marchée. |
| sert | tu as été marché. |
| serti | tu as été marchée. |
| serto | j’ai été marché. |
| sîrω | ils ont été marchés. |
| sertω | vous avez été marchés. |
| sernâ | nous avons été marchés. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïosâr | il est ou sera marché. |
| t’osar | elle est ou sera marchée. |
| t’osara | tu es ou seras marché. |
| t’osâri | tu es ou seras marchée. |
| o’sâr | je suis ou serai marché. |
| ïosârω | ils sont marchés. |
| t’osârω | vous êtes marchés. |
| nosâr | nous sommes marchés. |
IMPÉRATIF.
| l’îosâr etc. | qu’il marche. |
PARTICIPE.
| m’âsωr | marché, etc. |
Verbes en ω et en ï, à la troisième radicale.
PREMIER EXEMPLE.
| γazâ | il a attaqué. |
| ïaγzω | il attaque. |
PRÉTÉRIT.
| γazâ | il a attaqué. |
| γazât | elle a attaqué. |
| γazῶt | tu as attaqué. masc. |
| γazῶti | tu as attaqué. fém. |
| γazῶto | j’ai attaqué. |
| γazω | ils ont attaqué. |
| γazῶtω | vous avez attaqué. |
| γazωnâ | nous avons attaqué. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| îaγzω | il attaque ou attaquera. |
| t’aγzω | elle attaque. |
| t’aγzω | tu attaques. masc. |
| t’aγzi | tu attaques. fém. |
| a’γzω | j’attaque. |
| ïaγzωn | ils attaquent. |
| t’aγzωn | vous attaquez. |
| n’aγzω | nous attaquons. |
On voit dans cet exemple que les deux avant-dernières personnes ïaγzωn et taγzωn, prennent l’n final grammatical afin de se bien distinguer de leur singulier.
IMPÉRATIF.
| oγzo | attaque. masc. | oγzi | fém. |
| oγzω | attaquez. | oγzωn | fém. |
PARTICIPE.
| γâzen | attaquant. | γâzàt | attaquante. |
| γâzωn | attaquans. | γâzât | attaquantes. |
SUBSTANTIF.
el γazω l’attaque.
PASSIF.
PRÉTÉRIT.
| γozi | il a été attaqué. |
| γoziat | elle a été attaquée. |
| γozît | tu as été attaqué, etc. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïoγzä | il est ou sera attaqué. |
| t’oγzä | elle est ou sera attaquée. |
| t’oγzä | tu es ou seras attaqué. |
| t’oγzi | tu es ou seras attaquée. |
| oγzä | je suis ou serai attaqué, etc. |
IMPÉRATIF.
| l’ïoγzä | qu’il soit attaqué, etc. |
PARTICIPE.
| maγzω | attaqué. | maγzωàt | attaquée. |
| maγzωωn | attaqués. | maγzωât | attaquées. |
| Les dérivés sont: | γazzä, | ïoγazzi. | |
| γâzä, | ïoγazi, etc. | ||
C’est-à-dire tous ä au prétérit, et ï au présent.
SECOND EXEMPLE.
| ramä | il a jeté. | ïarmi | il jette. |
PRÉTÉRIT.
| ramä | il a jeté, ramat elle a jeté. |
| ramait | tu as jeté. masc. |
| ramaiti | tu as jeté. fém. |
| ramaito | j’ai jeté. |
| ramaω | ils ont jeté. |
| ramaitω | vous avez jeté. |
| ramainâ | nous avons jeté. |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïarmi | il jette. |
| t’armi | elle jette, tu jettes. |
| a’rmî | je jette. |
| îarmω | ils jettent. |
| t’armω | vous jetez. |
| n’armi | nous jetons. |
IMPÉRATIF.
| ermi | jette. commun. | ermω | jetez. |
PARTICIPE.
| râmen | jetant, | râmîàt | jetante. |
| râmωn | jetans, | râmîât | jetantes. |
SUBSTANTIF.
el ramî ou ramîâ’n le jet.
PASSIF.
PRÉTÉRIT.
| romä | il a été jeté. |
| romiat | elle a été jetée. |
| romît | tu as été jeté et j’ai été jeté. |
| romîti | tu as été jetée. fém. |
| romω, romîtω, etc. | |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïormä | il est jeté. |
| t’ormä | elle est jetée et tu es jeté. |
| t’ormî | tu es jetée. fém. |
| ormä | je suis jeté. |
| ïormω, t’ormω, etc. |
PARTICIPE.
| m’armi | jeté. | m’armîàt | jetée. |
| m’armiωn | jetés. | m’aarmîât | jetées. |
Tous les dérivés font le prétérit en ä et le présent en ï.
| rammä, | ïorammi |
| ertamä, | ïartami, etc. |
CHAPITRE VIII.
Verbes Imparfaits et doublement Irréguliers.
Les verbes imparfaits sont ceux qui n’ont que deux lettres radicales, et qui de ces deux lettres en ont une voyelle.
EXEMPLE.
| đjâ | il est venu. | âab | il est retourné. |
Lorsque la première radicale est voyelle, comme dans âab, le verbe suit les règles d’âkal il a mangé, ou de qâl il a dit.
EXEMPLE.
| PRÉTÉRIT. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. |
|---|---|---|
| âab. | ïaωb. | ob. |
| il est retourné. | il retourne. | retourne. |
| PARTICIPE. | SUBSTANTIF. | |
| âïb. | âωbâ’n. | |
| retournant. | retour. |
Si c’est la seconde radicale qui est voyelle, le verbe suit les règles tantôt de qâl, tantôt de sâl, c’est-à-dire qu’il tourne en ω ou en ï.
EXEMPLE.
| PRÉTÉRIT. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. |
|---|---|---|
| đjâ. | ïađji. | đji. |
| il est venu. | il vient. | viens. |
| PARTICIPE. | SUBSTANTIF. | |
| đjâï. | đjîàt et m’ađjîa’n. | |
| venant. | venue. | |
| sâ. | ïasω. | sω. |
| il a affligé.[136] | il afflige. | afflige. |
| sâï. | sω’ân. | |
| affligeant. | affliction. | |
[136] Ou fait du mal, de la peine, car sω est proprement la peine d’esprit.
Les verbes doublement irréguliers sont ceux qui, ayant trois lettres radicales, ont deux de ces lettres voyelles.
EXEMPLE.
| âtâ | il est arrivé. | nâä | il s’est retiré. |
Ces verbes suivent les règles, tantôt de sâl, tantôt de ramä.
EXEMPLE.
| PRÉTÉRIT. | PRÉSENT ET FUTUR. | IMPÉRATIF. |
|---|---|---|
| âtä. | ïâtï. | eït ou teh. |
| il est arrivé. | il arrive. | arrive. |
| PARTICIPE. | SUBSTANTIF. | |
| âten. | etîa’n. | |
| arrivant. | arrivée. | |
| näâ. | ïanâï. | enâ. |
| il s’est retiré. | il se retire. | retire-toi. |
| nâ’en. | nâa’n. | |
| se retirant. | retraite. | |
Le verbe râä il a vu, a dans ses conjugaisons quelques particularités qui méritent d’être observées à cause de son fréquent usage.
PRÉTÉRIT.
| räâ | il a vu. | |
| raïat | elle a vu. | |
| rait | tu as vu. | masc. |
| raiti | tu as vu. | fém. |
| rait | j’ai vu. | |
| râω | ils ont vu. | |
| raîtω | vous avez vu. | |
| raîna | nous avons vu. | |
PRÉSENT ET FUTUR.
| ïarä | elle voit ou verra, etc. | |
| t’arä | elle voit et tu vois. | masc. |
| t’ari | tu vois | fém. |
| a’rä | je vois. | |
| ïarω | ils voyent. | |
| t’arω | vous voyez. | |
| n’arω | nous voyons. | |
IMPÉRATIF.
| ra, ou reh, ou rai | vois. | |
| ou erä, ou eri |
PARTICIPE.
| râïen | voyant. | räïàt | voyante. |
SUBSTANTIF.
râïa’n et maraïàt l’action de voir.
Au reste, ces verbes irréguliers formant des exceptions peu nombreuses, c’est toujours au dictionnaire qu’il appartient de les indiquer, ainsi que les diverses formes de conjugaisons qui sont en usage.
Je vais terminer ces notions élémentaires par quelques proverbes arabes, qui achèveront de donner idée de ma méthode de transposition, et par quelques observations sur la manière de tracer à la main les lettres nouvelles que je propose d’adopter pour correspondre aux prononciations arabes dont nous manquons.
PROVERBES
ARABES.
PROVERBES ARABES.
Modèle d’Écriture arabe transposée et lue selon l’Arabe littéral.
Note de transcription.
La disposition de cette section a été modifiée pour faciliter la lecture. Au lieu de lui faire face, la transcription et la traduction suivent ici le texte en arabe.
1 al (ou) el ảâlemo b’ârđi, m’ilâdihi, ka al ȥahabi fi mảdenihi.
Le savant est dans sa patrie, comme l’or dans sa mine.
2 man kâna al ȶamỏ l’ho m’arkabâ’n, kâna al faqro l’ho ʆâħebâ’n.
Qui monte sur le char de la fortune (de la cupidité) aura pour compagnon la misère.
3 man katama serraho, balaγa morâdaho.
Qui cache son secret, atteint son désir.
4 kolla ma taγroso fi al faddâni, ïanfảoka; taγros abn adama, ïaqlảoka.
Plante un arbre il te nourrira; plante un homme il te déplantera.
5 hefʓoka la serrika aωđjabo bihi, men hefʓ γairika l’ho.
La garde de ton secret par toi est bien plus sûre que par un autre.
6 man naqala elai-ka, faqad naqala an-ka.
Qui t’apporte t’emportera (t’a de ce moment même emporté.)
7 al ảâlemo ảrafa al đjâhela, l’annaho kâna đjâhelân: ωa al đjâhelo la ïảrêfo al ảâlema l’annaho la-kâna ảâlemân.
Le savant connaît l’ignorant, parce qu’il le fut; mais l’ignorant ne connaît point le savant, parce qu’il ne l’a pas été.
8 al đjâhelo ảdωon l’nafsihi; fa kaifa ïakωno ʆadîqan l’γairhi.
(Si) l’ignorant est l’ennemi de lui-même, comment sera-t-il l’ami d’autrui?
9 man mârasa al omωra, rakeba al bohωra.
Se mêler des affaires, c’est s’embarquer sur la mer.
Nota. Nous allons lire les suivans à la manière vulgaire, sans finales grammaticales.
10 ȶωl el tađjâreb, ziâdàt fi el ảql.
Longue expérience, étendue de sagesse.
11 man ïođjarreb, ïazed ĕlmân: man ïωmen ïazed γalaȶân.
Celui qui expérimente, augmente ses lumières; celui qui croit, accroît ses erreurs.
12 oȶlob el đjâr qabl el dâr: ωa rafîq qabl el ȶariq.
Informe-toi du voisin avant de prendre maison, et du compagnon avant de faire route.
13 aħsen en aradt an ioħsan elaik.
Fais du bien, si tu veux qu’on t’en fasse.
14 ảdω ảâqel aχair men ʆadîq đjâhel.
Ennemi sage vaut mieux qu’ami sot.
15 el kaff ản el ῳahωât γenän.
La tempérance des désirs est richesse.
16 lesân aχras aχair men lesân nâȶeq fi el keȥb.
Langue de muet est meilleure que langue de menteur.
17 ῳaχʆ bela adab kađjasad bela rωħ.
Personnage sans éducation, corps sans ame.
18 el đjâhel ïarđă ản nafs-eli.
L’ignorant se plaît (tout seul).
19 el qonωỏ men el qalil, γenän.
Contentement de peu est richesse.
20 esmả f’âảlam; ωa askωt, f’aslam.
Écouter, c’est apprendre; se taire, c’est se conserver.
21 el nâs aθnatân; bâleγ la ïoktafi, ωa ȶâleb la ïađjed.
Les hommes se partagent en deux classes: l’avide qui ne se rassasie pas, et le quêteur qui ne trouve pas.
22 el ʆabr meftâħ el faraħ: ωa el ảđjalat meftâħ el nadâmàt.
La patience est la clef de la joie, et la précipitation celle du repentir.
23 lais l’molωk âχ; ωa la l’ħasωd râħàt; ωa la l’kaȥωb morωàt.
Point d’amis pour les rois; point de repos pour les envieux; point d’estime pour les menteurs.
24 el mỏtadel b’γair ȥanb, iωđjeb el ȥanb ảlä nafs-ho.
Celui qui s’excuse sans être en faute, s’en acquiert une.
25 afham el nâs, man ïanʓor el ảωâqeb.
Le plus savant est celui qui voit la fin de chaque chose.
26 talâtat la ïỏrafωn ella fi talâtàt maωâdĕ; el ῳađjâả ella ĕnd el ħarb; el ħakim ella ĕnd el γađab: el ʆadîq ella ĕnd el ħâđjat elai-h.
Trois choses ne se connaissent qu’en trois occasions: le courage à la guerre, la sagesse au moment de la colère, l’amitié dans l’adversité.
27 eȥa takallamt kelmat, malakat-ka. (en littéral) malakat-ka ωa eȥa lam tatkallam b’ha, malakt-ha.
Le mot qui t’échappe est ton maître; celui que tu retiens est ton esclave.
28 aʆảb âlä, el ensân mảrefàt nafs ho.
Le plus pénible à l’homme, c’est de se connaître.
29 el ῳỏωb ảlä din molωk-hom.
La religion du prince fait celle du peuple.
30 ħobb el donia ωa el mâl, râs koll raȥîlàt.
Amour du monde et des richesses, principe de toute bassesse.
31 χair el monâdamàt, qellàt el χelâf.
Le meilleur du repentir est l’exiguïté de la faute.
32 b’settàt χeʆâl ïỏraf el aħmaq; b’el γađab men γair ῳai; ωa el kalâm fi γair nàfe; ωa el teqàt fi koll aħad; ωa badl ho b’γair sabab el badl; ωa sωâl-ho ản mâ la ïỏni-h; ωa b’an’ho la ïamîz sadîq-ho men ảdω-ho.
Le sot se reconnaît à six attributs: il se fâche sans motif; il parle sans utilité; il se fie sans connaître; il change sans raison; il interroge sur ce qui lui est étranger; et il ne sait pas distinguer son ami de son ennemi.
33 ïahlak el nâs fi ħâlatain; fođωl el mâl, ωa fođωl el kalâm.
Deux choses perdent les hommes: abondance de richesses et abondance de paroles.
34 el ωarả, đjađjaràton; aʆl-ha el qanâảt, ωa tamaràt-ha el râhàt.
La tempérance est un arbre qui a pour racine le contentement de peu, et pour fruit le calme et la paix.
35 ketràt el qorb elä el nâs, tađjleb el sω.
Trop fréquenter le monde amène repentir (mot à mot malheur).
36 zor γennân, t’azed ħobbân.
Visite rare accroît l’amitié (mot à mot visite rarement; tu accroîtras l’amitié).
37 solȶân bela ảdle, ka nahr bela mâ.
Prince sans justice, fleuve sans eau.
38 ảâlem bela ảmal, ka saħâb bela maȶar.
Savant sans œuvres, nuage sans pluie.
39 γani bela saχâωàt, ka ῳađjar bela tamaràt.
Riche sans bienfaits, arbre sans fruit.
40 faqir bela ʆabr, ka qandîl bela zait.
Pauvre sans patience, lampe sans huile.
41 ῳabâb bela tῶbàt, ka bait bela saqf.
Jeune homme sans repentirs, maison sans toit.
42 amrât bela ħaïâ, kaȶảâm bela meleħ.
Femme sans pudeur, mets sans saveur (mot à mot sans sel).
43 ïῶm ωâħed l’el ảâlem, aχair men ħaiâat l’el đjâhel.
Une seule journée d’un sage vaut mieux que toute la vie d’un sot.
OBSERVATIONS
SUR LE TABLEAU CI-CONTRE.
La lettre ω se trace couramment, mais elle se lie mieux avec les lettres qui la devancent qu’avec celles qui la suivent.
L’ῶ n’en diffère que par le trait, ou le petit A que l’on trace dessus.
La troisième lettre, qui est l’ảïn, ne diffère de l’a ordinaire, qu’en ce que son trait courbe est brisé.
La 4e est ce même trait brisé, qui représente l’ε grec.
L’ỏ diffère de l’o ordinaire en ce que la plume doit toujours le traverser en terminant son jambage de retour.
Le ħâ et le ȶo diffèrent du té et de l’h, par la boucle dont leur jambage supérieur est toujours couronné.
Le đo (no 8) demande un second pli dans le retour de sa courbe, pour se lier avec la lettre qui suit.
Le ʆo commence par en bas, et se termine par le ligament à sa tête.
Le ʓo n’est que le z ordinaire, avec un pli de plus.
Le ῳin se forme de deux traits, 1o d’un ω, 2o d’un j dont on traverse ce ω de haut en bas pour reprendre la lettre suivante avec la ligature de la queue du j.
Le γamma est presque une r à longue queue.
Le θ prend la forme de ϑ pour bien se joindre aux lettres qui le précèdent ou le suivent.
Dans les pays où on le prononce t ou s, il faut se servir simplement de ces lettres, et il suffira de les marquer d’un point ou d’un chevron brisé, pour indiquer que dans le dictionnaire elles appartiennent au θ.
Nécessairement le grand â et l’a bref se confondront dans l’écriture. C’est à l’usage d’en apprendre la distinction; on peut d’ailleurs, dans les cas de besoin, les distinguer par le trait circonflexe posé sur l’â pour l’alef, et par le trait grave posé sur à pour le fatha ou a bref.
L’HÉBREU
SIMPLIFIÉ
PAR
LA MÉTHODE ALFABÉTIQUE
DE C.-F. VOLNEY,
CONTENANT UN PREMIER ESSAI DE LA GRAMMAIRE ET UN PLAN DU DICTIONNAIRE ÉCRITS SANS LETTRES HÉBRAÏQUES, ET CEPENDANT CONFORMES A L’HÉBREU; AVEC DES VUES NOUVELLES SUR L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES ORIENTALES.
ÉPITRE
A MESSIEURS LES MEMBRES
DE
L’ACADÉMIE FRANÇAISE.
Messieurs et chers confrères,
Présenter aux épurateurs de la langue française un livre qui traite de la langue hébraïque, peut vous sembler une idée bizarre: soit; permettez-moi seulement, en parodiant le guerrier d’Athènes[137], de dire à tout censeur grave ou plaisant: Frappe, mais écoute.
[137] Thémistocles.
Qu’est-ce que notre Académie française? n’est-ce pas un corps d’hommes choisis, constitués officiellement pour veiller à la pureté de la langue, et pour en établir un dictionnaire?—Cela est vrai.
Maintenant, qu’est-ce en général qu’un dictionnaire? n’est-ce pas le recueil de tous les mots d’une langue, expliqués et fixés dans leurs acceptions, souvent très-diverses?—Oui, c’est bien cela encore.
Permettez-moi d’approfondir jusqu’aux élémens. Qu’est-ce que les mots d’une langue? ne sont-ce pas les mouvemens sonores de la bouche[138] qui, par la convention des hommes, sont devenus signes de leurs idées et moyens de les communiquer?—Cela me semble exact et neuf.
[138] Motus, motiones oris; cela est si vrai que nous trouvons cette définition dès le huitième siècle chez les Arabes alors occupés des grammaires quand nous n’étions que des scholastiques barbares. Il est bien probable que nos premiers grammairiens raisonnables ont puisé à cette source en Espagne.
Mais, mon cher confrère, si les mêmes mots ont des acceptions diverses; si leur sens n’est fixé que par convention, beaucoup de malentendus, d’équivoques, de propos discordans n’ont-ils pas dû s’introduire dans l’usage vulgaire?—Assurément, et c’est pour cela que notre dictionnaire a une importance bien plus grande que ne l’imagine le vulgaire.
Actuellement, mon cher confrère, n’est-il pas vrai que nous croyons tous bien savoir notre langue? nous avons été choisis pour cela: cependant chaque jeudi, quand nous arrivons en séance, et que l’on nous présente une liste de mots à établir, ne commençons-nous pas souvent par n’être point d’accord, par avoir beaucoup de débats, et par remporter toujours quelque chose que nous ne savions pas? d’où viennent ces difficultés?
Mais, Monsieur... il me semble qu’elles ont deux sources: la première est que notre langue française est un habit d’arlequin composé de pièces et de morceaux disparates, venus de langues antérieures, et dont nos ancêtres ont souvent altéré le tissu et la couleur originelle: la seconde source serait la complication et la multiplicité des idées, que, pour la commodité du langage, il plaît aux hommes de concentrer sous un même mot. Tout est clair, quand les mots peignent des objets physiques et palpables: par exemple, La flèche a frappé l’oiseau n’a d’équivoque en aucune langue, bien qu’il reste à exprimer beaucoup de circonstances de grandeur, de couleur, de temps, de lieu, etc.; mais si nous disons: Le bonheur consiste dans la pratique de la vertu; ces mots bonheur et vertu, en recevant des acceptions diverses selon les préjugés et les habitudes, jettent dans un dédale de controverse. Ils ressemblent à ces étiquettes posées sur des boîtes closes où on lit opiat, élixir; de quoi se composent cet opiat, cet élixir? voilà ce qu’il faut analyser, et ce qui souvent est très-difficile.—Fort bien, mon cher confrère. Mais alors, n’a-t-on pas la ressource de recourir aux langues de qui nous viennent ces mots, d’examiner quels furent les motifs, les procédés de la dénomination première: par exemple, le mot latin virtus a été formé du mot vir, un homme, parce que, dans le principe, il signifia toute action mâle et courageuse caractérisant l’homme, surtout dans l’état sauvage.
—Oui, Monsieur; mais vous voyez qu’en d’autres temps, en d’autres états de la société, l’on a donné le nom de vertu, même à la bassesse, à la couardise.
—Sans doute: mais alors ne devient-il pas très-utile, très-instructif, d’examiner, dans le dictionnaire de chaque peuple, surtout quand les langues n’ont aucune analogie, comment ces mots abstraits sont définis, et ce qu’ils représentent? Par exemple, dans l’arabe, ce mot vertu se dit fadilé qui signifie utile, utilité; or, d’après nos meilleures analyses, c’est là réellement l’essence de la vertu.—Nous ne savons quelle origine, quel sens donner aux mots latins mores, habitudo, l’habitude, les mœurs; eh bien, en arabe l’habitude se dit ăâdè qui signifie répétition d’action; n’est-ce pas là parfaitement la chose? Alors, je le répète, ne devient-il pas très-utile, très-nécessaire, de consulter les dictionnaires d’une telle langue et d’autres semblables?
—Sans doute, Monsieur; mais comment y parvenir, quand toutes ces langues d’Asie sont écrites en lettres de grimoire inintelligibles?
—Précisément, mon cher confrère, voilà le problème dont je vous apporte la solution. Je prétends vous faire lire même de l’hébreu, avec autant de clarté, de facilité, que vous lisez l’espagnol ou l’allemand: je vous présente une grammaire hébraïque, avec la prétention que vous la comprendrez aussi bien que la nôtre. Par ma méthode, on vous dressera tous les dictionnaires possibles, et vous les lirez parfaitement: si j’échoue en mon projet, c’est sur ma prétention que devra tomber le ridicule.
—Mais, Monsieur, on nous dit que les orientalistes, vos confrères, n’approuvent point votre méthode, qu’ils la trouvent impraticable, etc.
—Les orientalistes, mes confrères, sont comme tous les hommes: ayant été élevés dans des habitudes, ils ont d’abord trouvé étrange qu’on vînt les y troubler; si j’eusse été éduqué à leur manière, il est bien probable que je ne me serais pas avisé de l’expédient nouveau que les circonstances m’ont suggéré.
Ma méthode fut d’abord nettement repoussée, il y a vingt-cinq ans; ensuite on l’a regardée comme fondée en principe; on l’a mise en pratique[139]. Les anciens tiennent bon et n’en veulent point; les jeunes gens l’examinent et la discutent: avec le temps, vous verrez qu’elle fera secte; et, comme elle ne prétend ni exclure ni détrôner le vieil usage, on finira par la regarder comme un moyen commode d’entrer, par un escalier dérobé, dans le donjon des langues orientales, où ces messieurs ont trouvé le secret de se soustraire au droit commun.
[139] Sur la carte d’Égypte.
—Vous me convertissez, Monsieur; et je veux lire votre livre hébreu; mais vous sentez bien que le corps de l’Académie ne peut pas en recevoir une dédicace officielle.—Aussi je ne le présente pas au corps; Dieu me garde des corporations! c’est à chaque individu, à chacun de mes confrères que je l’offre: un à un, les hommes sont indulgens: réunis en masse, c’est un tourbillon d’intérêts, de passions, de vanités sous l’influence des plus entêtés.
L’HÉBREU
SIMPLIFIÉ
PAR LA MÉTHODE ALFABÉTIQUE.
NOTIONS PRÉLIMINAIRES.
§ Ier
Qu’est-ce que l’Hébreu ou l’Idiome hébraïque?
Voila sans doute la première question sur laquelle je dois des éclaircissemens au lecteur.
Tant que nous autres Européens n’avons connu, en matière de langues, que nos livres classiques grecs et latins, nous n’avons su que répéter les assertions de nos docteurs, calquées sur les hypothèses, pour ne pas dire les rêveries du Talmud et de la Masore; aujourd’hui que nous commençons à connaître les langues de tout notre globe (au nombre d’environ six cents), nos nouveaux maîtres, plus modestes et non moins savans, s’accordent à répondre à notre question:
Que «l’hébreu ou idiome hébraïque est l’un des dialectes d’un vaste système de langage qui, de temps immémorial, paraît avoir régné dans les trois Arabies, dans la Syrie, la Mésopotamie, la Chaldée, c’est-à-dire dans tout cet espace de pays que bornent au nord les montagnes de l’Arménie, à l’est celles de la Perse, et du reste, les mers Persique, Arabique et Méditerranée: ainsi ce système, désigné par les Allemands sous le nom de langage sémitique ou araméen, a occupé une espace égal aux deux tiers de l’Europe (environ 170,000 lieues carrées de terrain).»
Le témoignage des anciens est formel à cet égard; l’érudit et judicieux géographe Strabon, né dans l’Asie Mineure, presque en pays syrien, nourri de la lecture des nombreux historiens d’Alexandre et des savans de l’école d’Alexandrie, disait, il y a dix-huit siècles[140]:
[140] Page 70, livre 1er, édition de Casaubon.
«Selon Possidonius, qui me paraît le plus versé en ces matières, les Arméniens[141], les Syriens, les Arabes ont entre eux beaucoup de ressemblance pour le langage, la manière de vivre et la forme du corps (page 71); et les Assyriens, les Ariens ressemblent entièrement aux Arabes et aux Syriens.
«Le nom des Syriens paraît s’étendre depuis la Babylonie jusqu’au golfe d’Issus (près Alexandrette), et s’être étendu (jadis) jusqu’à la mer Euxine (Mer-Noire): lorsque les historiens racontent que les Perses détruisirent l’empire des Mèdes, comme ceux-ci avaient détruit l’empire des Syriens, ils n’entendent pas d’autres Syriens que ceux qui régnèrent à Ninive et à Babylone, parmi lesquels on compte Ninus, qui fonda Ninive dans l’Atourie, et Sémiramis, sa femme et son successeur, qui fonda Babylone (dans la Chaldée).»
De ce témoignage il résulte que les langues mortes appelées aujourd’hui hébreu, syriaque, chaldaïque, phénicien[142], sont entièrement identiques à l’arabe vivant qui frappe nos oreilles; et par conséquent cet arabe devient pour nous un moyen sûr et authentique de les apprécier, particulièrement sous le rapport de la prononciation et de la manière de la représenter, double point de difficulté pour nous, en ces langues anciennes qui ne sont plus connues que par des livres: il est vrai que l’apparente diversité de leurs alfabets et les fausses valeurs données à leurs lettres par les érudits modernes de notre Europe, soit juifs, soit chrétiens, ont d’abord masqué ces identités ou analogies; mais depuis que la communauté de leurs mots radicaux a commencé d’être démontrée par Albert Schultens[143]; depuis que la parité de leur structure respective est devenue évidente par l’analyse de leurs grammaires et de leurs alfabets, l’assertion de Strabon, ou plutôt des nombreux auteurs auxquels il la doit, est devenue une vérité positive, et l’on peut établir comme certains les faits suivans:
1o Que l’hébreu n’est point un idiome original, une langue mère, ainsi que l’ont prétendu les docteurs juifs et ceux qui épousent leurs préjugés;
2o Qu’il est seulement l’un des dialectes de l’ancien et vaste système de langage que j’ai indiqué; et par dialecte, il faut entendre ce qu’en style botanique on appelle une variété, à raison de quelques formes et nuances d’accident dans une espèce caractérisée par une structure commune, constante;
3o Que si l’on regarde l’arabe, le syriaque et même l’éthiopien comme trois de ces variétés, l’hébreu pourra être considéré comme une quatrième, qui cependant n’aura pas même le mérite de l’originalité, puisque dès long-temps des érudits très-respectés lui ont trouvé tant d’analogie avec l’idiome phénicien ou kananéen, qu’ils n’en ont pas fait de différence. Je reviendrai bientôt sur ce point.
[142] On pourrait ajouter le maltais s’il eût été recueilli avant de s’imprégner d’arabe.
[143] Voyez ses Origines Hebrææ in-4o—1761, Leyde.
En ce moment, je me borne à faire remarquer la singularité de ce grand fait historique et géographique, qui, dans un espace circonscrit par une ligne continue de mers et de montagnes, nous montre un système de langage identique ou analogue en toutes ses branches, tandis qu’autour de lui, de tous côtés du continent, par les frontières de Perse, d’Arménie et d’Asie Mineure, règne un système totalement différent, non-seulement en ses mots et prononciation, mais en sa construction grammaticale et syntaxe, c’est-à-dire dans l’ordre d’exposition des idées et dans la marche des phrases. Ce système connu depuis quarante ans seulement, sous le nom de Sanskrit (indiqué par les Hébreux mêmes sous le nom de race de Japhet), porte avec lui divers caractères d’une telle antiquité, qu’il pourrait bien arriver que nous nous fussions trop pressés de limiter avant ce jour les temps de l’Histoire.
Revenant à l’hébreu, je dis qu’il a été l’idiome d’un petit peuple qui, semblable aux Druzes de nos jours, vécut cantonné dans un pays montueux, isolé de ses voisins par son culte et ses préjugés, occupant environ 1,180 lieues carrées de terrain, dont plus de 180 incultivables, comme les rochers de la Mer-Morte et les plaines du désert voisin; par conséquent à environ 1,000 lieues carrées de surface, et cela, au temps de sa plus grande puissance, sous une même royauté. Or, comme la science statistique nous a fait connaître qu’une lieue carrée, dans les meilleurs terrains, ne nourrit pas habituellement plus de douze à quatorze cents ames, il s’ensuit que la population totale des Hébreux n’a jamais dû s’élever à plus d’un million d’ames, même au temps de David et de Salomon.
Maintenant si l’on considère que, par la nature des choses humaines, il n’y a identité de langage que là où il y a communauté habituelle d’idées, unité sociale; si l’on considère que, de nos jours, dans les pays d’idiome arabe, dans la Syrie, par exemple, chaque territoire de ville, chaque contrée de montagnes, a des particularités de mots et de prononciation qui les différencient de leurs voisins, l’on a droit de dire que, dans la Syrie ancienne, dans la Phénicie et la Judée, il y eut de semblables particularités, d’abord de royaume à royaume, puis dans un même état de tribu: qu’ainsi il dut exister des nuances non-seulement du phénicien à l’hébreu; mais dans l’hébreu, des nuances entre les habitans de Jérusalem et de Samarie, entre les enfans de Juda et les enfans d’Israël, surtout ceux vivant au-delà du Jourdain: nous en avons la preuve dans l’anecdote du mot schiboulet, dont l’altération en siboulet coûta la vie à un nombre de paysans du canton d’Ephraïm, interrogés par ceux de Galaad[144].
[144] Juges, chap. 12, v. 6.
Il ne faut donc pas croire que nous possédions la langue du peuple hébreu en général; mais parce que le schisme, arrivé sous le fils de Salomon, isola les dix tribus, qui ensuite furent presque totalement enlevées et déportées par les Assyriens de Ninive; parce que les seules tribus de Juda et de Benjamin se trouvèrent représenter la nation, nous ne possédons effectivement que le dialecte de Jérusalem; et si l’on remarque que de ce dialecte nous ne possédons que les mots entrés dans la composition des livres aujourd’hui en nos mains, mots dont le nombre total ne s’élève guère qu’à deux mille de ceux que l’on appelle radicaux (une foule de mots techniques d’arts, de métiers, d’ustensiles, de meubles, etc., restant inconnus), l’on conviendra que notre science n’a pas trop de quoi s’enorgueillir.
D’autre part, puisqu’il est certain que, chez aucune nation à nous connue, jamais aucune langue usuelle, tant écrite que parlée, ne s’est maintenue dans une identité parfaite à la distance de plusieurs siècles, l’on a droit de penser que l’hébreu de nos livres, rédigés pour la plupart dans les derniers temps de la nation, n’est pas exactement le même qui fut parlé dans les temps de son origine: nous avons la preuve de ceci dans le mot nabia (prophète), que le rédacteur final du livre de Samuël (présumé Ezdras) nous dit n’avoir point été connu au temps de David, où l’on employait le mot râ (voyant)[145].
[145] L’idiome arabe dit nabi. La finale a dans nabia est tout-à-fait chaldéo-syrienne.
Quoi qu’il en soit, puisque l’hébreu, tel que nous l’avons, est un des monumens les plus complets, les plus curieux de l’antiquité, le développement de sa structure, rendu plus clair qu’il ne l’a jamais été, devient un travail intéressant sous plusieurs rapports: et parce que les causes et les moyens de sa formation originelle ne laissent pas de jeter quelques lumières sur cette question, je vais d’abord soumettre au lecteur des réflexions qui me semblent appuyées, non-seulement sur des probabilités naturelles, mais sur les témoignages mêmes des livres que nous possédons, et dont on se sert pour établir d’autres hypothèses moins raisonnables.
[F1]Note pour la page 328, ligne 22.
Depuis que nous autres modernes, nous connaissons, par grammaires et dictionnaires, une langue arménienne totalement différente du système arabe, quelques savans ont durement tancé Strabon de les avoir confondues; néanmoins, vis-à-vis d’un homme de ce caractère, il est bon d’y regarder à deux fois. Le naïf Hérodote, si long-temps inculpé, n’est-il pas aujourd’hui triomphant de véracité? Ici, je vois deux circonstances propres à disculper Strabon.
D’abord, il faut prendre garde que la langue appelée par nous arménienne, et par ceux qui la parlent langue de haïk, n’avait jamais été écrite, n’avait pas même d’alfabet avant la fin du quatorzième siècle de notre ère: l’historien arménien nommé Moïse de Chorène, qui vécut dans le cinquième, avoue qu’avant cette date sa nation, concentrée dans les stériles et neigeuses montagnes d’Ararat, aux sources de l’Euphrate et de l’Araxes, était une petite horde grossière, ignorante, sans aucune science ni art. Comment, en un pays si pauvre, si stérile, vivait cette nation, ce peuple de Haïk? Ce qui se passe encore aujourd’hui nous l’explique. Ces hommes vivaient comme vivent chez nous les montagnards d’Auvergne et de Savoie, placés en circonstances à peu près pareilles: chassés par de rudes hivers de six et huit mois, les Arméniens descendaient dans les riches pays de la Mésopotamie et de Chaldée: ils y faisaient ce que font encore de nos jours leurs descendans, que nous voyons répandus dans toute la Turkie, pratiquant les arts mécaniques et les services de la domesticité, le colportage, le trafic de boutique, etc. Pour ce genre de vie, ces individus étaient, comme ils sont encore, obligés d’apprendre la langue des habitans qui n’ont ni le désir ni le besoin d’apprendre l’arménien. Au temps de Strabon, les Arméniens étaient donc obligés de parler syriaque ou chaldéen, comme ils le sont aujourd’hui de parler turk et arabe. Le géographe a donc pu dire d’eux que leur langage était syrien, comme nous dirions que les Bretons (bas) parlent français; il n’a pas tenu compte du jargon barbare inconnu.
Après la conquête du macédonien Alexandre, les rois haïkiens ou arméniens, qui jusque-là n’avaient été que les pachas des grands-rois ou sultans d’Assyrie ou de Perse, non-seulement devinrent rois indépendans, mais bientôt agrandirent leurs royaumes; et comme leurs plus voisines et plus riches frontières n’étaient peuplées que de races araméennes ou syriennes, le langage syrien se trouva langage national d’une forte partie des sujets arméniens; alors il fut d’autant plus facile à Strabon de se méprendre, qu’au lieu du mot syros, usité par les Grecs, les indigènes employaient le mot aram, ou arman d’autant plus facile à confondre avec arménien, qu’il reste encore douteux de savoir si le peuple arménien n’a pas été primitivement le peuple araméen, qu’aurait subjugué une colonie scythe ou caucasienne, laquelle, sous le nom de peuple de Haïk ou maison de Togorma, s’implanta dans les hautes montagnes, d’où par la suite elle s’étendit dans le pays. Alors que ses rois, depuis Alexandre, régnèrent sur des Syriens plus civilisés que le peuple de Haïk, n’est-il pas probable que le syriaque devint la langue de la cour? Dans cet état de choses, le géographe Strabon n’a-t-il pas pu dire sans erreur que la langue syrienne, c’est-à-dire araméenne, fut la langue des arméniens?
§ II.
Origine probable de la Langue hébraïque.
Chez les peuples anciens, surtout ceux d’Asie, ce fut une manie commune de regarder chacun son pays comme le centre du monde, et sa langue comme la primitive et la plus ancienne: encore aujourd’hui, les Arabes, les Indiens, les Chinois appellent leur métropole L’ombilic du monde[146]. L’homme ignorant qui ne voit que lui se fait toujours le centre de tout, et comme l’ignorance est l’état natif et naturel de l’homme, sa vanité devient son sentiment fondamental: or, une nation n’étant qu’une addition d’hommes, elle n’est aussi qu’une addition de vanités. L’on voit pourquoi les anciens Juifs, ou plutôt leurs prêtres et leurs disciples, ont voulu que la langue hébraïque fût d’origine première et même divine: quand on sait qu’une langue quelconque n’est qu’un moyen factice et conventionnel de manifester des idées qui ne naissent que du développement de nos besoins et de l’état social, on ne comprend pas facilement comment un pouvoir quelconque jetterait subitement dans le cerveau d’un homme des idées sans modèle ni cause, et dans sa bouche des mots sans apprentissage et sans convention; mais que comprennent à ceci les automates qui ne savent dire que Je crois et Je veux croire?
[146] Cela est positif au Kaire, à la Mekke, à Banarez, à Nankin, etc.
Néanmoins, dans le cas présent, cette aveugle croyance rencontre un obstacle puissant; car en cherchant l’autorité positive sur laquelle elle se fonde, la Bible n’en fournit aucune. Relisez la Genèse, chap. II, où il est parlé des noms imposés à tous les animaux par un premier homme: ni là, ni dans aucun discours d’Eve, d’Adam, du serpent, etc., il n’est fait mention de la langue hébraïque: Adam nomma les animaux, mais le texte ne dit point en quelle langue; or, personne n’a le droit de suppléer ce que le texte ne spécifie pas: les interprètes n’ont pas le droit d’invoquer ici les probabilités naturelles, attendu que l’état de choses qui nous est raconté comme régnant à cette époque de création, est tout-à-fait miraculeux et hors de l’état naturel aujourd’hui existant. On ne peut pas à son gré expliquer l’un par l’autre, quand ils sont si différens; si l’on veut qu’Adam ait parlé hébreu, moi je soutiens, sans blesser le texte, qu’il a pu, qu’il a dû plutôt parler syriaque; voici mes raisons:
Les Juifs conviennent qu’avant Abraham leur race n’existait pas: d’Abraham seul est sorti ce peuple: quelle langue parla cet individu? Dans l’ordre naturel, nous parlons la langue de la famille qui nous élève: et cette famille parle la langue du pays où elle vit, de la nation dont elle fait partie. En quel pays, chez quelle nation naquit Abraham? La Bible nous répond: Dans le pays de Sennar en Chaldée; par conséquent chez ces peuples riverains de l’Euphrate et du Tigre, que tous les témoignages de l’histoire nous représentent comme établis de temps immémorial sur ce sol, comme étant ces mêmes Chaldéens, dont les Rois, dix ou douze siècles plus tard, emmenèrent les Juifs captifs à Babylone. La famille d’Abraham a donc nécessairement parlé le dialecte chaldéen.
Cette famille, de profession pastorale, de condition arabe et bédouine, c’est-à-dire nomade, émigre et vient s’établir au pays de Harran, en Mésopotamie (80 ou 100 lieues de distance): elle y trouve le langage syrien ou syriaque, qui ne diffère de celui qu’elle apporte que par des nuances légères. On est d’accord sur ce point. Le chef de cette famille, Tharé, père d’Abraham, avait l’intention, nous dit le texte, de quitter encore ce pays de Harran, pour venir en Palestine ou pays de Kanaan. Ce projet eut des motifs d’intérêt domestique que nous ignorons; mais il nous montre qu’Abraham, qui l’effectua ensuite pour son seul compte, n’eut pas des motifs aussi nouveaux qu’il les a supposés ou qu’on lui a supposés.
Il se sépare de sa famille ou tribu, il pousse ses troupeaux par le désert de Syrie vers la Palestine, à 200 lieues de distance. Ayant ainsi rompu avec ses parens, il n’a pu emmener avec lui que peu de monde et qu’une portion des communs troupeaux: son neveu, Loth, l’accompagne avec quelque monde aussi. Cette tribu, nouvelle et naissante, n’a pu être que faible; aussi Abraham se présente-t-il aux Kananéens avec les démonstrations de l’humilité. Ces émigrés de Syrie n’ont pu parler que Syrien; il n’est pas fait mention d’interprète entre eux et les Phéniciens, parce que l’analogie des deux dialectes a pu être telle, qu’en peu de temps l’on se soit compris de part et d’autre.
La famine pousse vers l’Égypte ce petit camp volant: n’est-il pas naturel qu’elle ait privé Abraham de plusieurs serviteurs syriens, soit par mort, soit par désertion? Quelle langue trouva-t-il en Égypte? On ne fait pas mention d’interprète: néanmoins il a pu en louer. Aurait-il trouvé là ces rois pasteurs que l’on croit de race arabe? alors il eût pu se faire entendre.—Pour sauver sa vie, il délaisse sa femme: par un cas bizarre, cet abandon lui tourne à bonne fortune; le roi lui donne en indemnités une quantité de gros et menu bétail, des serviteurs et servantes, ou esclaves de l’un et de l’autre sexe, même de l’argent qui améliore sa situation au point d’en faire une petite puissance, comme l’observe le texte.—Mais ces nouveaux serviteurs donnés par Pharaon n’ont pas dû parler syrien: Abraham, pour la conduite de ses troupeaux, devenus plus nombreux, et pour sa sûreté personnelle, a dû recruter d’autres serviteurs chez les Kananéens: on lui compte trois cents hommes armés quand il combat pour Loth; il ne les avait sûrement pas quand il vint de Syrie; il est vrai qu’au nombre de ces trois cents, l’on compte les gens de ses alliés kananéens: supposons-lui deux cents hommes; ils ont dû en grande majorité être Phéniciens: leur idiome a donc dominé dans cette tribu naissante, surtout quand Abraham ne cesse de vivre et de converser avec les Phéniciens.
Cet état continue sous son fils: on amène à celui-ci une femme syrienne; mais elle vient seule: elle a dû prendre l’idiome de la tribu, lequel déjà n’est plus le syrien; la preuve en est que, sous son fils Jacob, lorsque celui-ci dresse un monument de paix avec son oncle le syrien Laban, chacun d’eux donne au monceau de pierres qui en est le témoin, un nom différent, quoique le sens soit le même. L’un le nomme gil-ăd, l’autre ïegar ou iadjer šahdouta; ces deux noms signifient également, monceau-témoin[147].
[147] Iedjar ne diffère que peu de ïetchar; et si dans le mot latin acervus, vous prononcez le ç en tch, vous avez atchervus, qui, privé de sa finale us, n’est pas loin de ïetchar. Le mot aġger est encore plus analogue.
Jacob et ses enfans, n’ayant cessé de vivre parmi les Kananéens et jusque dans leurs villes, ont dû de plus en plus parler kananéen: cette peuplade passe en Égypte au nombre de soixante et dix personnes, nous dit-on; mais ici l’on ne compte, selon la méthode arabe, que la portion noble de la tribu, que le sang des maîtres, et nullement les serviteurs ou esclaves mâles et femelles nécessaires à la conduite des troupeaux. Pendant trois ou quatre siècles de séjour en Égypte, peut-on supposer qu’il ne se soit pas introduit quelque altération dans ce langage? Au sortir de l’Égypte, les Hébreux s’établissent chez les Phéniciens, dont ils détruisent la majeure partie; mais le texte remarque que, malgré l’ordre de Moïse de tout tuer, ils en conservèrent les restes comme tributaires, avec qui ils vécurent mêlés jusqu’au temps de David et de son fils. Par cet exposé, l’on voit que les Hébreux n’ont cessé d’avoir des motifs de parler phénicien, et que, par conséquent, leur langage ne peut en être qu’un dialecte: plusieurs savans respectables l’ont déjà soupçonné[148]. Si maintenant, dans l’analyse de ce dialecte, nous trouvons une simplicité et presque une grossièreté du genre populaire, nous aurons acquis une nouvelle preuve de cette opinion et de l’irréflexion avec laquelle, sous prétexte de piété, tant de personnages ignorans, quoique respectés, sont parvenus à consacrer des préjugés contraires: nous verrons encore par la suite une nouvelle preuve de ce caractère ou génie phénicien dans l’application faite à cette langue du propre alfabet des peuples essentiellement phéniciens.
[148] Voyez, à la fin de ce volume, une note[F2] relative à ce sujet; elle commence par ces mots: «Eusèbe nous cite un ancien poète,» etc.
§ III.
Structure de l’Hébreu dans sa Prononciation et
son Écriture.
Dans l’hébreu, comme dans l’arabe et autres langues de ce système, ce n’est pas la prononciation qui constitue la différence principale avec nos langues d’Europe: actuellement que nous avons acquis une notion suffisante de toutes les langues parlées sur notre petit globe[149], nous savons que partout la parole se réduit à trois élémens distincts, savoir: la voyelle, la consonne et l’aspiration, qui elle-même n’est qu’une sorte de consonne.
[149] L’on peut, à ce sujet, consulter mon discours sur l’étude philosophique des langues, lu à l’Académie française.—Chez Bossange frères, libraires, rue de Seine, no 12.
Sous ce rapport, l’idiome hébraïque et ses analogues ne diffèrent de nos langues que comme l’allemand, l’espagnol, le français diffèrent entre eux, c’est-à-dire qu’en ce que certaines voyelles et consonnes usitées dans une langue ne le sont pas dans une autre. Par exemple, la consonne gutturale peinte en allemand par ch, en espagnol par jo, xe, gi, n’existe ni dans le français ni dans l’anglais; de même le sifflement peint en anglais par th, par z en espagnol, par θ en grec, n’existe point dans le français ni l’allemand, etc., et notre lle dans fille n’existe point dans l’allemand.
L’arabe, dans ses vingt-huit lettres, compte jusqu’à dix et onze prononciations qui nous manquent, et c’est une des raisons qui nous le rendent si pénible. L’hébreu, qui n’a que vingt-deux lettres, n’offre réellement que quatre prononciations étrangères aux nôtres. En quoi donc gît sa grande difficulté?—En sa manière de peindre la parole, en son système d’écriture et d’alfabet qui diffère totalement du nôtre.
Une première difficulté est la figure de ses lettres, bizarres à nos yeux: déjà cet article exige une habitude et un temps inutiles au fond, et onéreux dans la forme.
Une seconde difficulté est l’usage d’écrire à contre-sens de nous, c’est-à-dire en procédant de droite à gauche: celle-ci est moindre; nos imprimeurs lisent très-bien ainsi.
Mais la grande, la radicale difficulté, c’est de n’écrire qu’une portion des mots, et de laisser cachés, inconnus une certaine quantité de sons qu’il faut pourtant prononcer; de là résulte que l’écriture ne présente qu’un squelette, un canevas privé de ses accessoires, et que la lecture est une divination perpétuelle, qui laisse l’esprit exposé à une foule d’équivoques et d’erreurs.
En voulez-vous une idée palpable? Supposez que l’on vous présente un livre français, anglais, espagnol, où tous les mots soient écrits par abréviation, à-peu-près de cette manière: chrte, rgrt, lmne, vrte; assurément cette écriture vous jettera dans l’embarras; car vous ne saurez s’il faut dire cherté ou charte, charité ou charretée, regret ou regrat, lumineux ou limoneux, vérité ou variété; on prétend que le sens qui précède vous guidera; mais combien d’équivoques possibles! et dans l’hébreu et l’arabe combien plus encore à raison de leur construction de mots par familles, ainsi que nous le verrons!
Ainsi le vice du système oriental est palpable; appliquez notre méthode européenne à cet hébreu, à cet arabe, crus si difficiles, et de ce moment vous les verrez devenir plus simples que ce latin et ce grec, dont vous imposez la tâche à vos enfans.
ALFABET HÉBREU.
| NUMÉROS D’ORDRE. |
NOMS EN HÉBREU. |
NOMS EN FRANÇAIS. |
FIGURE. | VALEUR. | |||||
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| 1 | א—לף | A—LeF | א | A a (grand). | |||||
| 2 | ב—יח | B—aIT | ב | B b jamais Vé. | |||||
| 3 | ג—ימל | G—IMeL | ג | G g mouillé, guimel ou djimel. | |||||
| 4 | ד—לח | D—aLeT | ד | D d. | |||||
| 5 | ה—א | H—a | ה |
|
|||||
| 6 | ו—ו | ω—aω | ו | ω ou français, u italien. | |||||
| 7 | ז—ין | Z—IN | ז | Z z. | |||||
| 8 | ח—יח | H—eIT | ח | Ҥ ɦ rude, ca florentin. aspiration rude. | |||||
| 9 | ט—יח | Ԏ—eIT | ט | Ԏ th anglais rude, θ grec. | |||||
| 10 | י—וד | I—ωD | י | Î î. | |||||
| 11 | כ—ך | K—aF | כ | K k kiaf mouillé, kialb chien. | |||||
| 12 | ל—מד | L—aMeD | ל | L l. | |||||
| 13 | מ—ם | M—em | מ | M m. | |||||
| 14 | נ—ון | N—ωN | נ | N n. | |||||
| 15 | ס—מך | S—aMaK | ס | S s. | |||||
| 16 | ע—ין | ă—ïN | ע | ă ă ă guttural. | |||||
| 17 | פ—א | F—A | פ | F f jamais pé. | |||||
| 18 | צ—די | Ṣ—oDI | צ | Ṣ ṣ so dur. | |||||
| 19 | ק—וף | Q—ωF | ק | Q q glottal, qalb cœur. | |||||
| 20 | ר—יש | R—eIš | ר | R r | |||||
| 21 | ש—ין | Š—ÎN | ש |
|
|||||
| 22 | ת—ו | T—aω | ת | T t. |
| No Ier. | Face à la page 345. |
Maintenant quels sont les élémens prononciables que l’on supprime ainsi dans l’écriture? J’ai démontré sur l’arabe vivant[150] que ce sont uniquement des voyelles, et des voyelles de la même nature que celles inscrites dans l’alfabet, avec cette seule différence que celles-ci sont de mesure longue, et celles-là de mesure brève. Tout ce que j’ai dit de l’arabe sur ce point doit s’appliquer à l’hébreu.
Il a plu aux auteurs de l’alfabet hébreu ou phénicien (car c’est une même chose) de n’établir que vingt-deux lettres ou signes de prononciation, dont quatre voyelles et dix-huit consonnes: eh bien, c’est en cela qu’ils ont péché; car aujourd’hui nous démontrons par l’analyse qu’au lieu de quatre voyelles seulement, dont ils ont tenu compte, la langue parlée en a employé dix ou onze; de manière que six ou sept ont été supprimées, et qu’il faut les restituer. Que doit-on faire, qu’a-t-on déjà fait à cet égard? c’est ce que nous verrons bientôt. Mais, pour la clarté du sujet, ne cumulons pas les difficultés: bornons-nous à examiner l’alfabet, à établir la valeur de ses lettres relativement à notre système européen.
L’alfabet hébreu se compose de vingt-deux lettres, dont la planche no I offre au lecteur le tableau ci-à côté.
Sur ces lettres, il faut considérer; 1o l’ordre; 2o le nom; 3o la figure; 4o la valeur.
Relativement à nous Européens, la valeur des lettres hébraïques est assez bien établie par la généalogie des alfabets arabe et syriaque d’une part, et des anciens alfabets grec et latin de l’autre.
L’on est d’accord que l’alfabet arabe actuel n’est autre chose en son origine que l’alfabet syriaque, introduit à la Mekke et à Médine vers l’an 530 de notre ère; l’on convient encore que le syriaque d’alors n’était qu’une altération ou une variété du babylonien ou chaldéen, qui est notre hébreu présent; et que, plus anciennement, les uns et les autres ne furent que l’altération du phénicien, représenté par le caractère dit samaritain[151], lequel a été l’hébreu primitif dont s’est servi Moïse, et dont l’usage a subsisté national jusqu’à la captivité de Babylone.
[151] Par la raison qu’une portion de Juifs, attachés aux anciens usages, n’ayant point voulu admettre la réforme d’Esdras, les novateurs, partisans de celui-ci, les excommunièrent, et les placèrent au rang des Samaritains, qu’ils avaient sans raison constitués leurs ennemis. Ces excommuniés ont conservé le pentateuque samaritain, qui laisse encore à résoudre différens problèmes.
La langue syriaque d’une part, n’ayant cessé de fleurir et d’être parlée que du treize au quinzième siècle de notre ère, les Arabes musulmans ont eu, pendant six ou sept siècles, toute facilité de sentir l’analogie de leurs prononciations, et d’établir la correspondance de leurs lettres avec celles des Syriens.
D’autre part, dès le premier siècle de notre ère, les Syriens, devenus chrétiens, ayant traduit les livres des Juifs, et les individus des deux nations ayant vécu ensemble dans un laps de temps qui remonte au-delà de la captivité, nous avons tout lieu de regarder comme exactes les correspondances dont je viens de parler: j’en présente le tableau à la fin de ce volume dans la planche no II, afin que le lecteur ait sous les yeux les moyens positifs d’établir son opinion.
A l’égard des anciens alfabets grec et latin, nous sommes assurés par plusieurs inscriptions et monumens de haute date[152], et par le témoignage unanime de nombre d’auteurs, que leurs lettres originales ne sont autres que celles des phéniciens, mal à propos attribuées à un prétendu Kadmus, que j’ai démontré n’être que le mythologique Hermès ou Mercure[153]; lesquelles lettres, à raison d’un commerce très-actif, ou peut-être de migrations de peuplades entières des pays phéniciens, furent adoptées quinze ou seize siècles avant notre ère par les habitans de la Grèce et de l’Italie.
[152] Voyez Barthelemy, Réflex. sur l’alfabet de Palmyre, 1 vol. in-4o, 1754.—Le même, dans les Mém. de l’Académ. des inscript., tom. 26, Mém. sur Palmyre.—Ibid., tom. 30, p. 405, et tom. 32.—Fourmont, ibid., tom. 23, p. 394. Mém. sur Apollon Amycléen, et sur un monument de ses prêtresses.—Enfin l’abbé Lanzi, italien, Essai sur la langue étrusque, et sur les tables Eugubines.
[153] Voyez la Revue Encyclopédique, année 1819, mois de juin, p. 505.
L’on est d’accord que le plus ancien ordre alfabétique de ces vingt-deux lettres a été le même; et parce que les anciens auteurs grecs et latins ont cité beaucoup de noms soit géographiques, soit patronymiques phéniciens, syriens et arabes, l’on trouve en ces citations un moyen additionnel d’apprécier la valeur des prononciations.
C’est d’après de nombreux calculs de ces données, que j’ai admis, et que je propose d’admettre, pour les lettres hébraïques, les valeurs portées au tableau coté planche Ire.
§ IV.
Remarques sur la Figure, la Valeur, le Nom et
la Série des Lettres hébraïques.
Le lecteur doit observer d’abord que les petits chiffres, arabes, acculés aux lettres européennes dans la colonne de valeur, sont des renvois aux deux tableaux de voyelles et consonnes, placés dans mon Alfabet européen, savoir le tableau des voyelles, pag. 28, coté no I; et celui des consonnes, pag. 92 coté no II. Là se trouvent des détails de précision trop longs pour être répétés ici.
En second lieu, il remarquera sur la lettre Bé, qu’aucune bouche arabe ne prononce ni ne connaît le Vé que nos hébraïsans lui comparent; ici, c’est une valeur que les Juifs ont empruntée des Allemands ou des Grecs du Bas-Empire, chez qui l’ont introduite les Slaves.
Sur h, qui est notre aspiration douce, il me semble d’un ridicule parfait de dire comme nos hébraïsans «h sans aspiration.» Qu’est-ce que le signe d’aspiration sans aspiration?
Sur Ҥ qui est le signe de l’aspiration rude, j’observe que cette lettre capitale est admise par la commission d’Égypte dans la belle carte géographique qui va paraître.
Les deux lettres suivantes Ԏ et ȶ, qui désignent le th anglais ou θ grec, ont l’inconvénient d’être nouvelles; mais elles sont plus commodes que les deux T, t, avec cédille, que j’ai proposé dans l’Alfabet européen.
A l’égard du K, il paraît qu’au temps d’Origène et de Jérôme, il ressemblait au son du Χi grec, qui vaut le ich allemand; mais, comme chez les Arabes il est toujours prononcé comme notre Ke, je lui en conserve la valeur sans nier sa déviation en Χi doux et en ich, selon les explications que j’ai données, pag. 75, de l’Alfabet européen, et no 28 du tableau II du même Alfabet.
L’S de samek ne doit jamais être prononcée z.
L’Ṣ de sodi est l’ṣ dure particulière à l’Arabe, que j’ai expliquée ailleurs[154], ainsi que le qâf, ou qouf, et le ăïn, tous trois inconnus en Europe.
[154] Voyez Simplification des langues orientales, pages 210 et 211, et Alfabet européen, page 140 et suiv.
F ne doit jamais être prononcé p, quoique je ne nie pas que les anciens Grecs et Latins aient pu prononcer ph autrement que nous; car je crois, par exemple, que le mot éphéméride n’a pas été prononcé éféméride; mais à raison du grec qui n’écrit point l’h au corps du mot, il a dû être dit ép’-héméride.
La lettre š n’est pas positivement une lettre neuve; je l’avais déjà projetée et introduite dans l’Alfabet européen, où l’on peut la voir dès la pag. 129, lignes 11, 12 et 13, (Š š); mais parce que alors il ne me fut pas accordé de diriger moi-même le graveur, elle se trouva défectueuse (vu sa couronne trop peu sensible), et je fus contraint de la remplacer par j renversé ou ſ, qui est peu gracieux et peu commode dans l’écriture. Le š, en s’écrivant comme l’s commune, a cela de facile qu’il suffit d’un petit trait de plume sur sa tête pour le caractériser.
La dernière lettre, le T, paraît avoir eu diverses valeurs chez les anciens. Les Syriens en font le th anglais; les Chaldéens l’emploient là ou les Phéniciens et les Hébreux emploient le šîn: par exemple, ce que ceux-là écrivent terafim, ceux-ci l’écrivent šerafim (cherafim). Il est à croire que cette lettre a eu quelque chose du tchim persan, et alors elle aurait eu de l’analogie avec le tché arabe écrit Ké, puisque les Bédouins disent tchelb au lieu de Kelb (un chien)[155].
[155] Cela expliquerait pourquoi Étienne de Byzance dit que Ninus régna d’abord à Télâné, qui est la grande ville chaldéenne Kélâné, mentionnée dans la Genèse.
Le mérite de ces remarques est surtout pour les étymologistes; car, relativement à nous, cela seul suffit de savoir et de convenir que les lettres hébraïques portées au tableau seront constamment représentées par les lettres capitales européennes qui leur correspondent; de manière que le lecteur pourra, sur la vue de celles-ci, rétablir celles-là, avantage que jusqu’ici n’a procuré aucune méthode.
Outre la valeur de son qui appartient aux lettres hébraïques, elles ont eu, dès leur origine, des noms appellatifs transmis d’âge en âge, qui ont été et qui sont encore pour les savans un sujet énigmatique de recherches et de disputes. Ainsi A s’appelle A-LeF; B s’appelle B-aIT; D se nomme D-aLeT, etc.
Nous savons, par autorités raisonnables, que ces noms, introduits dans l’alfabet grec, n’ont point de sens dans cette langue, mais qu’ils en avaient un dans l’idiome des Phéniciens, de qui vint l’alfabet: l’on est d’accord que A-LeF signifie bœuf[156]; B-aIT, maison; G-IMeL, chameau; D-aLeT, porte, etc.; mais l’on n’est pas du tout d’accord sur plusieurs autres lettres. Il paraît qu’au troisième et quatrième siècle de notre ère, on expliquait ces mots bien différemment, comme on le voit dans une citation de l’évêque Eusèbe[157]: son explication est si peu raisonnable, que l’on a droit de penser que, vu la haine rendue aux chrétiens par les Juifs, les rabbins se sont moqués de nos docteurs; d’autre part, il est constant que ces rabbins, livrés à leur esprit d’allégorie, ont supposé à ces mots une profondeur de sens mystique qu’ils n’ont pu avoir; il appartenait à notre âge, où se rajeunissent tant de vieilles rêveries, de voir celles-ci reproduites et amplifiées par des hommes, d’ailleurs doués d’esprit; mais comme l’esprit n’est que la faculté d’apercevoir des rapports, et comme cette faculté peut mener à voir ce qui n’est pas; quelques-uns se sont jetés dans l’imaginaire. Court de Gebelin en a été un premier exemple; un second se trouve dans l’auteur du livre intitulé, la Langue hébraïque restituée, etc., etc., avec une analyse de Sepher, etc., etc., un volume in-4o.
[156] C’est le témoignage positif de Plutarque, Sympos., lib. 9, quest. 2: Alpha dictum quia Phœnices sic bovem appellant.
[157] Prépar. Évang., liv. X, chap. 5. Voyez à la fin de ce volume une note[F3] relative à ce sujet.
Selon cet auteur, «la lettre A est le signe de la puissance et de la stabilité: elle renferme les idées de l’unité et du principe qui la détermine.
«B est le signe paternel et viril, l’image de l’action intérieure et active.
«G, image d’un canal, est le signe organique; celui de l’enveloppement matériel et de toutes les idées dérivant des organes corporels, ou de leur action.
«D, signe de la nature divisible et divisée.
«ω offre l’image du mystère le plus profond, le plus inconcevable; l’image, du nœud qui réunit, ou du point qui sépare le néant et l’être: c’est le signe convertible universel, qui fait passer d’une nature à l’autre; communiquant d’un côté avec le signe des ténèbres, etc.»
J’avoue, pour mon compte, que cette sphère d’idées aériennes est tout-à-fait hors de la portée de mon esprit terrestre: leur motif a pourtant ceci de naturel que, ayant pour base cette supposition rabbinique, que l’alfabet et la langue hébraïques sont le propre et immédiat ouvrage de la puissance divine, qui régit l’univers, et qui, malgré cette grande occupation, a bien voulu descendre à de telles bagatelles, il a bien fallu attribuer à cet ouvrage quelque chose de mystérieux et d’incompréhensible comme elle: mais moi, qui ne sais et ne puis raisonner que par les analogies que l’état présent et connu peut avoir avec l’antécédent inconnu, je vois la chose d’une manière différente, et beaucoup plus simple.
Je suppose que les lois physiques qui régissent notre monde et notre espèce humaine existent depuis son origine; que par suite de ces lois, l’homme est né ignorant, et n’a développé son intelligence que par le moyen de ses sens; je suppose que ses besoins, plus ou moins pressans, ont été le mobile de toutes ses inventions, et que celle de l’alfabet est le produit de l’un de ses besoins: selon moi, ce sont des hommes voyageurs et marchands, qui par le besoin de leur trafic avec diverses nations dont ils n’entendaient pas la langue, ont imaginé l’art de donner aux sons fugitifs des signes fixes; et parce que, m’étant moi-même trouvé dans un cas presque semblable, j’ai eu l’occasion et le besoin de méditer les moyens que purent employer les premiers auteurs, je me suis trouvé conduit aux résultats suivans.
Je me suis dit: J’entends de la bouche d’un Arménien, d’un Turk, d’un Persan, le son A; supposons que je sois Phénicien; ce son A est le même que j’emploie dans le mot A-lef: voilà mon terme de comparaison établi; comment établirai-je la figure? Mon A-lef signifie bœuf ou taureau; eh bien, je vais esquisser le croquis de l’animal, l’abrégé de son image, sa tête: ce croquis, en me rappelant le nom, me rappellera le son A par lequel il commence.
J’entends le son B; il est le même que dans mon phénicien Bait; qui signifie maison ou tente; je peins le trait principal du circuit de la tente et de la petite cour d’entrée que trace une corde ou barrière.
J’entends le son G, qui est le premier du mot Guimel, signifiant chameau; j’esquisse la tête et le cou de cet animal. De même pour la lettre M qui commence le mot Mem, signifiant les eaux; je peins l’ondulation des flots.—Pour la lettre ă commençant le mot ăïn, et signifiant œil, je peins un rond.—Pour la lettre š qui commence šin, signifiant une dent, je peins une dent arrachée avec ses trois racines; ainsi du reste.
Dans mon hypothèse, il faut m’accorder que les lettres primitives de l’alfabet phénicien ont effectivement été chacune le croquis de l’objet dont elles portent le nom: ceci permet des objections raisonnables; mais l’on doit observer que si ces lettres ont subi les altérations que nous leur voyons dans un laps de temps connu de huit à dix siècles, il n’en a pas fallu davantage antérieurement pour les avoir déjà beaucoup défigurées au temps plus reculé où elles nous apparaissent: et si l’on compare le peu d’analogie qui existe entre les petites figures astronomiques des douze signes du Zodiaque, telles que nous les voyons dans nos almanachs, et les portraits bien faits des douze animaux que ces figures retracent, l’on ne sera pas surpris du peu de ressemblance entre les lettres phéniciennes et les objets qui leur ont servi de type.
En les examinant une à une, on pourrait indiquer cette ressemblance en plusieurs d’elles; mais parce qu’un tel travail n’est point mon objet spécial, et parce que le vrai sens des noms de plusieurs lettres n’est pas aussi bien fixé[158] qu’on l’a prétendu, je me borne à présenter mon idée pour ce qu’elle vaut, laissant au lecteur la liberté d’en juger, et me réservant à moi-même celle d’en adopter une meilleure qui me serait présentée. Comment peut-on s’entêter d’amour-propre sur de telles matières? Une circonstance favorable à mon opinion est encore cette règle commune aux noms de toutes les lettres, savoir que chacun de ces noms commence par la lettre qu’il désigne: ainsi Alef commence par A; Dalet commence par D; Lamed par L; Mem par M, etc., sans exception. Ne voit-on pas ici une intention marquée dans le choix de l’exemple, qui autrement eût été équivoque, si la lettre eût été mise au corps du mot?
[158] Il paraît même que plusieurs lettres, telles que tau, sodi, lamed, samek, heit, n’ont aucun sens en hébreu; c’est une preuve additionnelle que l’alfabet vient d’un peuple antérieur à celui-ci.
Une dernière circonstance, favorable à mon hypothèse sur la simplicité des causes et des moyens d’invention, est le désordre où se trouvent ces lettres dans leur série: remarquez qu’elles ne sont point classées selon ces affinités d’organes dont la loi est si naturelle, si frappante (comme je l’ai démontré dans l’Alfabet européen), que son infraction ou son omission est une preuve certaine d’absence de système et d’ignorance réelle. Dans cet alfabet hébréo-phénicien, voyelles, consonnes, aspirations, tout est pêle-mêle comme jeté aux dés: les labiales M, B, F sont disséminées parmi les dentales D, T; les palatales Gué, Ké, parmi les gutturales A, ăin: n’est-il pas clair que nous avons ici une opération mécanique qui n’a eu pour guide que la convenance accidentelle de ces marchands à qui je l’attribue?
Jusqu’à ce moment, je n’ai point essentiellement différé des grammairiens sur les principes de l’alfabet, ni même sur la valeur des lettres. Ici commence mon schisme: ils prétendent que les vingt-deux lettres hébraïques sont toutes consonnes; je soutiens que plusieurs sont voyelles, savoir: Alef, Iod, ouau et Aïn; et que He et Heit sont de pures aspirations. Cette question a été un sujet de disputes scientifiques pendant plus d’un siècle: j’en ai donné la solution à l’occasion de l’arabe, dans mon Alfabet européen; et parce que cette solution s’applique entièrement à l’hébreu, je n’en ferai point ici la répétition; elle serait inutile pour le lecteur qui la connaît, et prématurée pour celui qui ne la connaît pas; je vais l’y conduire par une route plus simple en lui développant la nature et l’emploi des voyelles dans la langue hébraïque.
§ V.
Des Voyelles et des Points-Voyelles dans la
Langue hébraïque.
La plupart des langues anciennes qui nous sont connues ont ceci de singulier pour nous autres modernes, que leurs voyelles sont obligatoirement divisées en deux classes, savoir: les longues et les brèves. Les unes et les autres sont de même nature; mais le temps ou la mesure de leur prononciation diffère. Cette différence de la brève à la longue consiste en ce que la voyelle longue veut un temps double de la brève, sans compter un peu plus d’emphase dans l’intonation: ainsi A long prend la mesure de deux A brefs:
Itălĭ-ām fā-tō prŏfŭ-gūs Lā-vīnăquĕ vēnīt
Pareillement pour l’I, pour l’O, pour l’U, etc. Les grammairiens sont d’accord sur ce point.
De ce mécanisme naquit la poésie, qui, bien analysée, n’est autre chose que l’art d’encadrer en certains temps et mesures de la respiration un nombre plus ou moins grand de syllabes comptées, lesquelles, par leurs diverses combinaisons de brèves et de longues, frappent l’oreille d’une sensation de cadence presque musicale qui la flatte.
Cette cadence et ce nombre obligé (numerus) de syllabes comptées, devinrent, dès l’origine, un moyen naturel et sûr de fixer dans la mémoire de l’homme des récits qui autrement se seraient altérés: aussi chez tous les peuples anciens et modernes, voyons-nous la poésie établie avant la prose, et le chant intimement lié au débit du vers scandé.
Les Grecs et les Latins sont pour nous des exemples frappans de ces vérités; il est hors de mon sujet d’examiner pourquoi nos langues modernes, formées des débris confus des leurs, n’ont point conservé cette manière d’être. Ce qui m’intéresse, c’est de dire que l’arabe moderne, dans tous ses dialectes, est resté fidèle à ce principe constitutif de l’arabe ancien. Quiconque a vécu chez les Arabes assez de temps pour habituer son oreille à leur langage, n’a pu manquer de sentir une mesure cadencée frappante, surtout dans ces déclamations de vers que vont faisant par les rues ces aveugles lettrés qui nous retracent les Rapsodes anciens.
La structure du vers arabe est fondée sur la distinction des voyelles longues et des voyelles brèves. Pourquoi n’est-il pas coupé et scandé selon les principes du grec et du latin? Pourquoi observe-t-il des portées de voix bien plus longues, des combinaisons de syllabes moins variées? Cette question appartient à l’observateur physiologiste qui voudra rechercher si l’air brûlant que respire l’homme arabe, comparé à l’air froid qu’a respiré l’homme scythe (auteur du grec), n’a pas établi quelque différence dans le jeu de leur respiration plus ou moins fréquente ou prolongée, et dans la dilatation des poumons plus libres par la vacuité habituelle des intestins. Je me borne à mon sujet, et, me prévalant de l’analogie intime, ou, pour mieux dire, de l’identité des deux idiomes hébreu et arabe, je dis que l’ancien peuple hébreu a eu des voyelles longues et des voyelles brèves, exactement comme ses parens et frères les modernes Arabes: or, puisqu’il est démontré d’une part que, dans l’alfabet arabe, les voyelles Alef, Iod, Ouau, O, aî (ou ê) sont de vraies voyelles longues, nous pouvons assurer qu’il en fut ainsi, qu’il en est ainsi dans l’alfabet hébreu; et puisque, d’autre part, il est démontré que, dans l’idiome arabe actuel subsistant depuis nombre de siècles, il existe une classe de voyelles qui ont la double condition d’être prononcées brèves, et de ne pas être écrites dans le corps des mots et des lignes, il s’ensuit clairement que ce même état de choses a dû avoir et a eu lieu chez les Hébreux[159].
[159] Ceci juge radicalement les prétentions de nos savans d’Europe, qui, sans être sortis, pour ainsi dire, de leur cabinet, et sans avoir de notions pratiques de la prosodie arabe, ont fait des traités sur la poésie hébraïque, laquelle pourtant n’est accessible que par cette voie: je citerai le célèbre docteur Robert Louth, et je demanderai comment il a pu raisonner sur le vers hébreu, quand il a cru que A, ï, ω, étaient des consonnes; quand il a prononcé à l’anglaise les consonnes hébraïques, et tout-à-fait méconnu la valeur des petites voyelles: comment a-t-il osé démentir de savans rabbins anciens, qui, avec saint Jérôme, ont déclaré que l’hébreu n’a point de vers métriques? 800 pages sont employées en extases sur des beautés très-souvent contestables! Quel dommage que ce savant professeur de poésie n’ait pas vécu dix ans chez les sauvages de North-Amérique! il eût trouvé dans leurs harangues, dans leurs chants de combat, dans leurs chansons de mort, des richesses poétiques non moins brillantes; et il eût appris, par une analyse comparée, que là où le langage est pauvre d’idées scientifiques et de termes complexes, il y a, non pas richesse, mais nécessité de style par figures, parce que le type primitif de toutes les idées consiste en objets physiques, lesquels, dans le langage, restent long-temps bruts et en nature avant d’être élaborés, et pour ainsi dire monnoyés, pour une plus rapide circulation.
Ce fait, hors de doute pour le temps présent, est également bien prouvé pour les temps anciens par les nombreux témoignages d’écrivains authentiques; car, lorsque les écrivains grecs ou latins, avant ou après notre ère, nous citent des mots ou des noms hébreux, syriens, phéniciens, arabes, nous y trouvons des voyelles qui aujourd’hui ne sont point tracées dans ces mêmes mots écrits à la manière orientale. Par exemple, l’hébreu actuel nous offre composé de trois consonnes le mot DBR; il est clair que, pour le prononcer, il a fallu des voyelles: eh bien, au quatrième siècle de notre ère, un disciple chrétien de l’école juive[160] a dit: «Si vous prononcez DaBaR, le sens est parole et discours; si vous prononcez DeBeR, c’est peste et destruction; si DaBeR, c’est l’impératif parle ou parlez. De même pour le mot ZCR; si vous dites ZaCaR, c’est mâle; si ZeCeR (ZeKeR), c’est souvenir[161];» (en latin, ce, ci se disent ke, ki.)
[160] Saint Jérôme, Commentaire sur Habacuc, chap. 3, et sur Isaïe, chap. 26.
[161] Il serait facile de multiplier ces exemples: Origène en fournit un grand nombre à la fin du deuxième siècle, dans ce que nous avons de ses fragmens.
Or, puisqu’aujourd’hui nous ne voyons point ces voyelles latines a, e, écrites au corps des mots hébreux, mais seulement tracées dessous, par les signes appelés points-voyelles, il est évident que ces points sont les équivalens de ces voyelles, et que c’est à cette fonction qu’ils doivent leur nom de points-voyelles.
Ici se démontre palpable l’erreur de cette classe de savans qui, comme Masclef et Houbigant[162], veulent que les points-voyelles ne soient pas des voyelles, et qui prétendent que l’on peut s’en passer en attachant aux consonnes, d’une manière invariable, les voyelles qui servent à les appeler dans le canon alfabétique; mais alors comment un même mot pourra-t-il prendre divers sens, comme nous venons de le voir dans les exemples ci-dessus (DaBaR, DeBeR, ZaCaR, etc.)? Cette opinion est trop déraisonnable pour s’y arrêter.
[162] Houbigant, Racines hébraïques, in-8o, 1732, préface, page VII.
Quant à ceux qui veulent qu’il n’y ait pas d’autres voyelles que celles marquées par les points, et qui soutiennent que Alef, Iod, Ouan, Aïn, sont des consonnes[163], je rendrai bientôt encore leur erreur aussi palpable, en en démontrant l’origine comme je l’ai fait pour l’arabe.
[163] Parmi les mémoires de l’Académie des Inscriptions, plusieurs sont faits d’après cette idée: 1o Tome VII, un mémoire de l’abbé Renaudot, sur l’origine des lettres grecques; 2o Tome XIII, un mémoire de Fourmont, sur la ponctuation des Massorètes; 3o Tome XXXVI, mémoire de M. de Guignes, sur les langues orientales, p. 114; 4o même volume, p. 239, mémoire de M. Dupuy, sur les lettres hébraïques. Avec toute l’érudition possible, ces mémoires n’en sont pas moins un tissu de paradoxes et de contradictions.
Maintenant si l’on compare le procédé des Grecs et Latins avec celui des Hébreux et Arabes, quant à la peinture ou écriture des voyelles, l’on y trouvera cette grave différence, que nos Occidentaux ont construit leur alfabet sur le principe que les voyelles quelconques doivent avoir leurs lettres inscrites comme les consonnes, en laissant au lecteur le soin de distinguer les brèves des longues, tandis que les Orientaux n’ont admis de signes ou lettres alfabétiques que pour leurs quatre voyelles longues, en laissant au lecteur l’embarras de suppléer les brèves.
Ce fut cet embarras sans doute qui, lorsque les anciens Grecs adoptèrent l’alfabet phénicien-hébreu, les conduisit à y faire l’importante réforme que je viens d’indiquer, réforme qui, à raison de la clarté qu’elle a produite dans la lecture, a eu des effets plus grands peut-être et plus heureux qu’on ne l’imagine. Pourquoi les Orientaux ont-ils persisté dans leur habitude énigmatique? Ma réponse est: Parce que ce fut une habitude transmise par l’enseignement dès le bas âge. Mais comment et pourquoi l’invention avait-elle établi l’habitude? Je crois en trouver la cause dans la nature de la chose même.
Le premier observateur qui eut l’idée de peindre la parole, ne put manquer de s’apercevoir qu’elle était composée, 1o de sons simples ou voyelles, tels que A, I, Ou, et de sons composés, tels que Bé, Mi, Dé. En décomposant ces derniers, il s’aperçut qu’avant la voyelle, il y avait un être particulier, essentiellement sourd, qu’il dut être fort embarrassé de qualifier; c’est ce que nous nommons consonne, ce que j’ai prouvé n’être que le contact de deux parties solides de la bouche. Notre observateur dut reconnaître que la voyelle se prononce seule, mais que la consonne ne le peut qu’à l’aide d’une voyelle qui la suit: pour la peindre, il aura dit: puisque la prononciation d’une consonne entraîne nécessairement une voyelle, il est inutile de tracer celle-ci, il me suffit de peindre celle-là, l’autre la suivra de force; cela est vrai; et cela a pu être commode dans l’idiome des peuples Phénico-Arabes; car chez eux un mot écrit des mêmes consonnes variait, comme il varie encore, de canton à canton, seulement en voyelle; comme si chez nous vous supposiez les mots charpentier, charrier, charbonnier, prononcés par le peuple cherpentier, cherrier, cherbonnier, et qu’on les écrivît chrpentier, chrrier et chrbonnier. L’on voit que les consonnes en un tel cas sont un simple canevas que chacun remplit selon son dialecte: à nous autres cela semble très-défectueux; mais le pouvoir de l’habitude est si grand qu’il a suffi d’y être plié dès l’enfance pour ne jamais songer à un changement. Ce furent les étrangers qui en eurent l’idée quand cet alfabet vint en Occident; les orientaux en y ayant persisté nous fournissent la preuve qu’il est né chez eux; encore aujourd’hui les Arabes, et leurs dérivés les Turks et Persans, trouvent tout simple d’écrire sans points-voyelles, et de tâtonner pour établir la lecture.
Ainsi firent les anciens Hébreux, du propre aveu des docteurs juifs les plus savans. Il est constant que Moïse écrivit la loi non-seulement sans points-voyelles, mais sans points ni virgules, sans distinction de chapitres ni de versets: il l’écrivit en ces lettres phéniciennes que l’on nomme aujourd’hui samaritaines. Ce fut là le caractère alfabétique national, seul connu, seul usité jusqu’à la captivité de Babylone: l’on est d’accord que jamais il n’a eu de points-voyelles accolés. La déportation presque totale des Juifs au pays de Babylone fut l’époque de deux changemens remarquables.
1o La langue s’altéra par le mélange des étrangers au peuple. 2o Toute la classe lettrée, toute la jeunesse des familles riches et sacerdotales ayant été, par ordre spécial du conquérant, élevée dans les sciences chaldéennes, cette classe, cette génération contractèrent l’habitude de l’alfabet chaldaïque qui est notre hébreu actuel. Cette habitude fit perdre de vue, en peu de temps, l’alfabet national antérieur, ce Phénicien ou Samaritain ci-dessus indiqué. Le prêtre Ezdras parut vers l’an 457 ou 458 avant notre ère, sous le règne d’Artaxercès-Longue-main, roi de Perse; 130 ans s’étaient écoulés depuis la déportation à Babylone; plus de 80 après l’édit de Kyrus, qui renvoya les Juifs chez eux; 63 ou 64 depuis celui de Darius, qui leur permit de rebâtir un temple nouveau; et 2 ou 3 seulement depuis l’apparition et le séjour d’Hérodote en Égypte. Ezdras ayant vu que la portion lettrée de la nation avait délaissé le caractère phénicien, et que les livres de Moïse, et autres, allaient tomber dans l’oubli, ce lévite, savant dans la loi, entreprit une double opération à la fois importante, laborieuse et dispendieuse: il résolut d’en faire la collection, la compilation, et de plus la transcription en caractères chaldéens, ce qui fut une innovation grave; il exécuta ce projet dans un laps de temps qui a exigé plusieurs années; ce n’est pas trop de dire dix ans: or, parce que ce prêtre paraît avoir vécu bien au-delà, il a pu avoir connaissance de l’ouvrage d’Hérodote rendu public vers 444 ou 446 aux jeux olympiques.
Il n’est pas de mon sujet d’examiner jusqu’à quel point Ezdras a pu modifier les livres quelconques qu’il a transcrits, ni quels sont ceux dont on doit le regarder comme auteur réel à titre de compilateur ou rédacteur. Ce sont là des questions de fond; je ne m’occupe ici que de la forme. Sous ce point de vue, l’on doit regarder et l’on regarde son manuscrit comme la base et le modèle de tout ce que nous avons en main, sauf le texte dit Samaritain; mais que devinrent les manuscrits originaux sur lesquels Ezdras fit son travail? de deux choses l’une; ou il les détruisit, ou bien ils restèrent dans la possession du grand-prêtre et des docteurs, dépositaires naturels des archives où ils ont pu être encore consultés.
L’on est d’accord que ce fut le manuscrit d’Ezdras qui, environ 175 ans plus tard, servit à établir la traduction grecque dont Ptolémée Philadelphe, roi d’Égypte, fit la demande au grand-prêtre d’alors[164], laquelle est connue sous le nom de version des septante; d’anciens théologiens, appelés pères de l’Église, ont pour la plupart adopté la fable qu’un Juif, déguisé sous le nom d’Aristéas, a composée sur cette anecdote: mais plusieurs modernes non moins pieux que savans en ont démontré l’invraisemblance et la fausseté[165]. Les probabilités sont que le grand-prêtre transmit la demande au conseil ou sanhédrin des soixante-dix docteurs de la loi, en pied à cette époque; que ce conseil, dont tous les membres ne purent ni ne durent savoir le grec, fit choix de personnes instruites en cette langue, lesquelles durent se distribuer le travail, qui, ensuite accepté et sanctionné par les soixante-dix, fut transmis au roi d’Égypte, revêtu de leur autorisation, et, à ce titre, considéré comme leur ouvrage: naturellement ce manuscrit authentique a dû être la base de tous les manuscrits grecs publiés depuis lors: et cependant il n’est pas probable que les minutes restées à Jérusalem aux mains des auteurs, aient été détruites, puisqu’elles avaient, pour ces auteurs mêmes, une grande valeur pécuniaire et un grand mérite pour tous les Juifs hellénistes qui de jour en jour devinrent plus nombreux. Ces incidens peuvent servir à expliquer beaucoup de questions survenues tant sur la diversité du style de divers livres, que sur les variantes de divers passages et même sur les erreurs des traducteurs grecs, et relativement à la valeur de plusieurs mots hébreux.
[164] Flav. Joseph., Antiquit. Judaïq., lib. 12.
[165] Voyez Bernard de Montfaucon, dans son livre sur les hexaples d’Origènes, in-fol.
Ce qui nous importe le plus ici est de savoir que le manuscrit d’Ezdras fut écrit sans points-voyelles; que les copies qui purent en être faites par les amateurs n’en eurent pas davantage; que dans ces copies, il survint, comme il arrive toujours, quelques fautes, quelques omissions: que les Juifs troublés par les persécutions des rois grecs de Syrie, par les révoltes qui en furent la suite, puis par l’invasion des Romains, et par le régime tyrannique de ces conquérans, qui finalement les détruisirent; que les Juifs, dis-je, dispersés, mêlés aux autres peuples, après avoir perdu d’assez bonne heure la pratique de leur ancienne langue, perdirent aussi la vraie lecture des livres où elle demeura reléguée[166]. Il n’y eut plus que des particuliers studieux qui se livrèrent à ce travail scientifique, difficile pour eux comme l’est pour nous le grec et le latin; or, comme il fallut être riche pour avoir le loisir du temps, et la possession des livres, tous manuscrits dispendieux, le nombre des savans diminua de plus en plus: faute de concurrence, il y eut moins d’émulation; faute d’appréciateurs, il y eut moins de vraie science et plus d’admiration. Quelques rabbins[167] ou docteurs, disséminés en quelques grandes villes isolées par les guerres habituelles et par les distances, devinrent chefs d’opinions diverses sur certains mots et certains passages susceptibles de divers sens. Possesseurs du très-petit nombre de manuscrits existans, ils se permirent d’y faire des notes marginales qui devinrent des autorités. Leurs écoles situées à Jérusalem, à Alexandrie, à Tibériade, à Neharda (en Babylonie) ayant eu des communications tardives, l’on s’aperçut qu’il s’était introduit des dissentimens et du désordre: l’on s’occupa des moyens d’y remédier: une sorte de concile s’établit à Tibériade: il est plus que douteux que ces travaux aient commencé avant les années 400 ou 420 de notre ère; il paraît qu’ils étaient finis avant l’an 510[168]. Vingt ans assidus ont pu y suffire: mais quand on analyse ces travaux, on sent qu’ils ont dû se prolonger pendant un laps de temps bien plus considérable.
[166] Quand Ezdras, 450 ans avant notre ère, fit une lecture solennelle de la loi, il est spécifié que les lévites expliquaient, faisaient comprendre: le savant rabbin Maimonide atteste que, dès-lors et depuis lors, il y eut toujours un interprète d’office (il écrivait vers 1180). Peu avant notre ère, le rabbin Onkelo, et 200 ans plus tard le rabbin Jonathan, ont écrit des interprétations (targumin) qui prouvent qu’ils n’entendaient plus la langue.
[167] Le mot rabb signifie maître, seigneur. Au pluriel rabbim.
[168] Dans l’Alfabet européen, page 117, ligne 19, on lit 520 par erreur typographique; corrigez 510.
Pour en apprécier l’étendue, il faut se rappeler que, jusqu’au temps d’Ezdras, tout livre hébreu fut écrit sans division de chapitres, ni versets, sans distinction des phrases par points et virgules, enfin sans les voyelles brèves et cachées dont j’ai parlé.
En transcrivant le vieil hébreu phénicien ou samaritain en lettres chaldaïques, Ezdras semble avoir établi la division en chapitres, seulement. L’excédant resta à faire; les rabbins qui, depuis Alexandre, vécurent avec les Grecs et les Romains, forcés d’apprendre l’une ou l’autre langue, ne purent manquer d’en connaître les principes alfabétiques et grammaticaux. Ces principes, différens des leurs, durent leur donner beaucoup à penser; ils voyaient les mots écrits avec une plénitude de voyelles qui ne laissait aucun équivoque; les phrases, coupées par des repos et demi-repos de points et de virgules, leur présentaient la plus grande clarté: ils entreprirent d’appliquer à leur système oriental ces précieux avantages du système occidental: ce fut une idée heureuse et réellement forte, vu la difficulté de son exécution; introduire au corps des mots hébreux toute voyelle prononcée était une innovation contraire aux antiques usages et même aux idées religieuses, qui ne permettaient pas d’altérer ce qu’on appelait la parole de Dieu; néanmoins, on convint d’un double expédient conciliateur qui ne dut être adopté qu’après bien des débats: cet expédient fut 1o d’imaginer et de fixer des signes représentatifs des voyelles; 2o de placer ces signes hors du corps des lignes et des mots, de manière à n’en point troubler l’ordre antique[169]; or, comme ces signes sont en général formés de points diversement combinés, leur système est ce que l’on a appelé points-voyelles.
[169] Quand les mêmes procédés, les mêmes résultats, se trouvent aux septième et huitième siècle de notre ère chez les Arabes musulmans, cette imitation n’est-elle pas une preuve des mêmes raisonnemens? Voyez l’Alfabet européen, pag. 110, 111 et suiv.
Pour en faire l’application, il fallut procéder à l’examen, à la discussion de 815,280 lettres[170] dont se composent les livres juifs; ce n’est pas tout: en fixant la prononciation de chaque lettre, les docteurs voulurent fixer aussi et peindre les accidens les plus minutieux de la lecture: il y eut des signes pour toutes les inflexions de voix, pour l’élévation ou l’abaissement du ton, pour les soupirs et demi-soupirs, pour l’accent musical, etc. Si l’on considère que chacune des 815,280 lettres ci-dessus dut être un objet spécial de délibération pour chacune de ces combinaisons, et que tout cet ensemble de doctrine n’est qu’une partie de ce que l’on appelle la masore (prononcez maçore), c’est-à-dire la tradition, l’on ne sera plus étonné de la célébrité qu’ont acquise dans le monde érudit les docteurs masorètes, ou traditionnaires.
De tout ceci résulte-t-il que les Juifs soient parvenus à représenter l’ancienne et vraie prononciation, je ne dis pas du temps de Moïse ou de David, mais seulement du temps d’Ezdras? non assurément. Il est prouvé au contraire qu’à l’ouverture de notre ère, leur langage était un jargon syriaque mêlé de mots grecs, arabes, et même persans[171]; que, dès le temps d’Ezdras, le dialecte babylonien plus cultivé, plus élégant, avait remplacé l’hébreu montagnard et grossier, laissé au bas peuple; que depuis la dispersion des Juifs sous Titus, toute la tradition de la prononciation fut rompue; que le système arrêté à Tibériade fut, comme il arrive en toute assemblée délibérante, une capitulation d’opinions et d’amours-propres; que parmi les mots cités par les premiers écrivains ecclésiastiques, il en est plusieurs qu’aujourd’hui les Juifs lisent différemment; que, même dans la ponctuation des manuscrits, il a existé, il existe encore, de l’aveu de tous les érudits, un nombre considérable de variantes; qu’au milieu du seizième siècle (1530 à 1550), lorsque ce genre d’étude s’introduisit parmi nous, il fut avéré que les anciens manuscrits portaient des points de diverses nuances d’écriture attestant diverses mains et diverses dates[172]; qu’alors, comme aujourd’hui, les synagogues allemandes, portugaises, espagnoles, françaises, asiatiques, etc., n’ont prononcé ni les points ni les lettres de la même manière; que, dans toutes ces synagogues, le manuscrit canonique imitant celui d’Ezdras est toujours écrit sans points-voyelles d’aucune espèce; enfin qu’à la Chine même, où l’on a trouvé des Juifs, égarés de très-ancienne date, ces mêmes faits se sont retrouvés[F5]. Mais c’en est trop sur l’histoire des points-voyelles; il est temps de nous occuper de leur figure et de leur valeur.
[171] Voyez la savante dissertation du professeur Paulus, dans le compte qu’en a rendu M. S. de Sacy; Magasin encyclopédique, année 1805, tom. I.
[172] Il est également avéré que les Buxtorf, sous prétexte de régulariser, ont falsifié les points de plusieurs manuscrits. Voyez Michaëlis, grammaire chaldaïque. Notez bien encore que les deux plus anciens manuscrits connus, celui de Hillel et celui de Ben-ascher, n’ont pas été écrits plus haut que vers l’an 1000 et 1034 de notre ère.
§ VI.
Suite des Points-Voyelles, leur Figure et leur
Valeur.
Nos modernes grammaires hébraïques ne comptent plus comme points-voyelles que les quatorze ou seize figures dont je vais bientôt donner le tableau. En cela elles ont raison; mais les précédentes, et celles des Juifs actuels embrassent sous ce nom deux autres classes de signes, qui portent le nom de points grammatiques et points rhétoriques, destinés les uns et les autres à des fonctions nombreuses et diverses.
Les points grammatiques sont divisés en deux sections, et qualifiés les uns de rois, les autres de vizirs. Les points rois sont au nombre de dix-neuf; les points vizirs sont au nombre de onze; les points rhétoriques sont au nombre de quatre: total, trente-quatre variétés; plus les seize que j’ai d’abord indiqués: total, cinquante signes divers[173].
[173] On peut en voir les détails dans le livre intitulé: Rudimenta linguæ hebraicæ, autore Antonio Rodolpho Cevallerio, 1567. Parisiis apud Henricum Stephanum. Mais parce que les livres de ce genre ne sont pas sous la main de tout lecteur, j’ai placé ce fragment dans mes notes justificatives[F6] à la fin du présent volume.
Parmi les points ou accens grammatiques, les uns sont équivalens à nos virgules, à nos points et virgules, points doubles, points d’interrogation, d’admiration, etc. Les autres que l’on peut appeler musicaux, marquent tous les tons et inflexions que doit prendre la voix dans la lecture. Leur nomenclature seule forme une science barbare en hébreu, et assez ridicule en français. Tous ces signes sont de petites barres, de petits points diversement combinés, qui se placent tantôt droits, tantôt transverses, ou dessus, ou dessous les lettres alfabétiques. Si l’on remarque que chaque mot des livres hébreux est susceptible de recevoir plusieurs de ces signes, on concevra quelles innombrables difficultés en résultent pour ce qu’on appelle une exacte lecture.
Dans mon système de lettres européennes, tout cet imbroglio devient inutile: d’abord, au moyen de notre ponctuation usuelle, nous n’avons pas besoin de savoir les noms bizarres que les rabbins donnent au point, à la virgule et à leurs composés: il nous est également inutile de savoir si, sur une telle lettre ou telle syllabe, nous devons pousser un soupir aigu ou profond, du nez ou de la gorge, comme il se pratique dans les synagogues: non que je prétende nier que les Hébreux aient pu lire avec des intonations étranges pour nous, puisqu’aujourd’hui nous en retrouvons de semblables chez les Arabes dans la récitation du Qôran; je dis seulement que la prosodie actuelle des Juifs est d’invention moderne, imitée de celle-là, et que tout cet appareil ne sert en rien à connaître le vrai sens des mots, seul but de nos recherches. Je me range donc à l’avis de nos grammairiens; et, comme eux, je laisse à part toute cette fausse science pour concentrer notre examen sur les vrais points-voyelles, c’est-à-dire sur ceux qui figurent des voyelles. Je présente ci à côté leur tableau, coté no III, en priant le lecteur d’y donner une attention particulière.
TABLEAU
DES POINTS VOYELLES JUIFS.
| SIGNIFICATION DE CES NOMS |
ORTHOGRAPHE LITTÉRALE. |
ORTHOGRAPHE VULGAIRE. |
||||
|---|---|---|---|---|---|---|
| EN FRANÇAIS. | EN LATIN. | |||||
| rassemblement des lèvres | oris collectio (ut pugilli) | Qomes (gadωl) grand. | Kamets | בָ B a | l o n g s. |
|
| bruit d’un gond | cardinis stridor | sri | tseré | בֵ B e | ||
| éclat de voix | frendor magnus | ҥîreq (gadωl) grand. | Chirik | בִי B î | ||
| perfection (ôméga) | perfectio | ҥωlem | Kholem | ךֹ B ô | ||
| sifflement | sibilum | šωreq | Schourek | בךּ B où | ||
| ouverture | apertura | fataɦ | phatach | בַ B à | b r e f s. |
|
| le collier | monile (à figurâ) | segωl | Segol | בֶ B é | ||
| petit éclat | frendor parvus | ҥîreq | chirik | בִ B i | ||
| ҥatf Qames | Kamets-Kateph | בָ B ò | ||||
| rassemblement | collectio | Qobus | Kibbuts | בֻ B ù | ||
| le serviteur ou le niveleur | 1o servus, captivus; 2o æquator. | 1o šeba, ou 2o šωa | Schéva | בְ B emuet. | b r é v i s s i m e s. |
|
| ouverture rapide | rapta apertio | ҥatf fataɦ | Kateph-phatach | בֲ B à | ||
| le collier rapide | raptum monile | ҥatf segωl | Kateph-Segol | בֱ B e | ||
| l’ouverture rapide | rapta collectio | ҥatf Qomes | Kateph-Kamets | בָ B ò | ||
| appesantissement ou plutôt redoublement | aggravatio (litteræ) | Dagueš | Daghes | בּ B | ||
| mafiq | mappik | הּ B | ||||
| No III. | Pour faire face à la page 375. |
La colonne no 1 présente, 1o les figures des divers points appliqués à une même lettre (B) laquelle sert de modèle pour toutes les autres.—2o La valeur de chaque point en lettres européennes, selon mon tableau de l’Alfabet européen, pag. 28.—3o Les noms juifs de ces points selon l’orthographe vulgaire, qui semble être une orthographe allemande venue des Buxtorf.
La colonne no 2 présente ces noms avec une orthographe conforme à l’écriture hébraïque, c’est-à-dire que nos vingt-deux lettres capitales peignent les vingt-deux lettres de l’alfabet hébreu; tandis que le texte romain figure les points-voyelles selon la valeur que je leur assigne.
La troisième colonne porte la signification de ces noms juifs en latin et en français: elle a le mérite de nous montrer quelles idées les grammairiens juifs se sont faites de ces voyelles de nature brève. Plusieurs de leurs définitions prouvent, par leur bizarrerie, l’embarras des inventeurs; car dire que e et i sont le bruit d’un gond; que a est un état de la bouche semblable au poing (de la main) qui rassemble les doigts, cela est à la fois vague et inexact: ajoutez l’équivoque de a avec o, à raison du même signe (kamets-kateph pour les deux)[174], tout indique des hommes qui tâtonnent en une chose neuve. Mais venons au fond.
[174] Cette analogie de a avec o est remarquable en ce qu’elle existe dans l’anglais, comme je l’ai noté pag. 31 et 32 de l’Alfabet européen: elle tend à expliquer pourquoi l’alef des Chaldéens est devenu olaf chez les Syriens, et par inverse l’o de l’ancien russe, souvent un a dans le moderne.
Nous avons ici seize signes ou figures de points, dont quatorze seulement sont voyelles: deux ne le sont pas, savoir, daghès et mappik.
Daghès signifie appuyer sur une lettre, comme il arrive quand on la redouble. Par exemple, dans nos mots frappé, battu: c’est ce que les Arabes nomment TAšDÎD ou fortifiement de la lettre. Par exemple, dans leurs mots radd (il a rendu), madd (il a étendu). Ce signe convient a l’écriture orientale, qui n’admet pas le redoublement d’une même lettre; il tombe inutile dans la nôtre qui le permet.
Mappik indique qu’il faut faire sentir l’h et non le laisser mort; comme cela ne fait rien au sens, c’est un signe nul à supprimer[175].
[175] Remarquez que mappik est une orthographe barbare, le P n’existant ni en hébreu, ni en arabe. On doit écrire mafiq, composé d’afaq, affermir: daghès, ou plutôt dagas est un mot syriaque qui signifie appesantissement.
Il ne nous reste donc que quatorze vrais points, signes de voyelles, mais le plus léger coup-d’œil va faire sentir que ce ne sont point quatorze individus différens, ce sont seulement cinq mêmes voyelles répétées sous trois mesures de temps; l’une longue, l’autre brève, et la troisième brévissime: au total, nous n’avons ici réellement que les cinq voyelles latines et grecques a, e, i, o, u, et cela dans l’ordre même ou les grammairiens de ces peuples nous les montrent rangées de tout temps. Certainement ceci est une imitation de la part des rabbins; et cette imitation n’a pu avoir lieu que depuis leur contact intime avec les Grecs, d’abord dans la ville d’Alexandrie, puis au temps du Bas-Empire dans toute la Syrie: ceci nous ramène toujours à notre hypothèse sur la formation de ce système d’orthographe dans le cinquième siècle de N. E.
Ici se place une observation relative à l’alfabet syrien; lui aussi a un système de points-voyelles fondé sur les mêmes principes: est-il plus ou moins ancien? cela ne m’est pas clair: dans le syriaque, quelques points-voyelles sont réellement des points comme dans l’hébreu; mais il en est d’autres qui ont la figure de quatre voyelles grecques réduites à l’état de miniature, précisément comme les Arabes ont réduit leurs trois voyelles A, I, ω en fatha, kesré, domma (Voyez le tableau no IV). Je suis porté à croire que les Syriens ont imité les Juifs pour les points, et qu’ils n’ont inventé leurs signes grecs que plus tard.
Quoi qu’il en soit de ce côté, les Juifs me semblent décidément avoir le mérite de la priorité sur les Arabes, puisque ceux-ci n’ont commencé de s’occuper de ces matières qu’à la fin du septième siècle; et que leur système plus simple et plus parfait devient une preuve de plus à mon opinion; revenons à notre sujet.
Les quatorze signes des Juifs, je le répète, ne peignent réellement que les cinq voyelles a, e, i, o, u; j’ajoute qu’ils les peignent dans le double état de brèves et de longues dont j’ai parlé: j’en vois une preuve dans les procédés des Arabes, qui, à la date du septième et du huitième siècle, n’ont dû être à certains égards que les imitateurs des Juifs. Nous savons que les grammairiens musulmans, ayant reconnu aux trois grandes voyelles une manière d’être prononcées brèves, ils imaginèrent de peindre cet état par trois signes qui furent la miniature de ces grandes voyelles. L’un de ces signes fut la petite barre appelée Fatha pour Alef; le second dit Kesré pour Iod; le troisième dit Domma pour ωau.
Or les analogues de ceci se retrouvent dans les points-voyelles juifs; car phatach (9e de la série) valant a, n’est réellement que Fatha de nom et de chose: il se répète dans Kateph patach (fatha bref): encore dans Kamets qui n’est que a: les deux chirik ou kirek sont le kesré valant i: schourek et kibbus sont le domma valant ou bref.
D’autre part, les Arabes s’étant aperçus que dans certains cas Alef se prononçait O comme dans omam, (les nations), et que cet o long avait sa brève dans kotob (les livres), ils établirent aussi des signes pour figurer ces deux états; or, la même chose se présente en kholem, en kamets-katef et katef-kamets.
Enfin, en d’autres cas, ayant remarqué une voyelle singulière qui est e, les Juifs, mieux que les Arabes, convinrent de la désigner par tséré, segol et même scheva.
On me dira sans doute: Que deviennent les trois grandes voyelles, a, i, ω? Quel rôle jouent-elles? J’emprunte encore ma réponse des Arabes, que je considère toujours comme imitateurs des Juifs. Alors qu’ils eurent reconnu que chaque consonne avait besoin d’un signe voyelle pour être prononcée correctement, et qu’à ce moyen chaque consonne dut être considérée comme muette quand elle manque de ce signe, ils appliquèrent aux grandes voyelles un raisonnement et une opération semblables; et parce que les grandes voyelles changeaient quelquefois de valeur, que A devenait O, que I devenait E, ils statuèrent que même ces lettres-voyelles n’auraient une valeur positive qu’autant qu’elles seraient marquées de l’un des petits signes appelés points-voyelles. De cette manière, ces petits signes eurent seuls la faculté vocale ou voyelle; et toutes les lettres, même celles des grandes voyelles, ne devinrent que des signes expectans, des signes algébriques qui attendirent leur dénominateur. Alors les grandes voyelles se trouvèrent assimilées aux consonnes; et voilà l’origine et le nœud de ce singulier paradoxe établi chez les Orientalistes, savoir: que toutes les lettres de l’Alfabet phénico-arabe sont des consonnes[176]. Dans le fait il n’y a de voyelles longues que a, i, ω et ăin, d’abord en leur état naturel, puis en leur état composé; c’est-à-dire quand un petit signe, point-voyelle, leur est appliqué pour les changer en O ou en E: le lecteur va voir dans le tableau no V cette division établie d’après ces principes.
[176] Voilà pourquoi Alef, dépouillé de sa valeur, est faussement dit n’être qu’une aspiration.
TABLEAU GÉNÉRAL
DES VOYELLES.
| VOYELLES HÉBRAÏQUES TANT SIMPLES QUE COMBINÉES AUX POINTS VOYELLES. |
VOYELLES ARABES TANT SIMPLES QUE COMBINÉES AUX MOTIONS OU POINTS VOYELLES. |
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|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| 1 | alef | grand a | א | seul | a | dans ame | ا | alef seul. | ||||
| alef | avec a moyen | אָ | avec kamets | اَ | avec a petit dit fataɦ | |||||||
| alef | avec a petit | אַ | avec fataɦ sous | |||||||||
| 2 | a | petit, sous consonne | בַ | fataɦ sous b | ba | bref dans battu | بَ | a vaut ba. | ||||
| 3 | î | grand, seul | י | I seul | î | long (dans île) | ي | grand î seul. | ||||
| î | grand, avec i petit | יִ | ɦireq grand ou petit. | يِ | i avec petit i dit kesré. | |||||||
| 4 | i | petit, sous consonne | בִ | ɦireq | bi | bref (ici) | بِ | i petit sous consonne. | ||||
| 5 | ou | grand, seul | ו | ω | oû français (voûte) | و | grand ou seul. | |||||
| ou | grand, avec où bref, petit | וּ | وُ | oû avec ŭ petit. | ||||||||
| 6 | où | bref, sous consonne | בֻבָ | bŭ | ò | بُ | où bref sur consonne. | |||||
| 7 | alef | avec petit i ou e | אִאְ | ɐ ē | (elle) | اِ | grand a et petit i. | |||||
| 8 | alef | avec o petit | אָא | o | (omettre) | اُ | grand a et petit ou. | |||||
| 9 | ioud | avec a moyen ou petit | יָ | ai | ou ê (maître) | يَ | grand i et petit a. | |||||
| 10 | ou | grand, avec a moyen ou petit | וָ | ô | (pôle) | وَ | grand ou avec petit a. | |||||
| ăïn | pur | ע | ă | guttural | ع | ăïn seul. | ||||||
| 11 | ăïn | avec a moyen ou petit | עָ | عَ | avec à petit. | |||||||
| 12 | ăïn | et petit i | עִ | ĕ | A r a b e. |
qàtĕ (coupant) | عِ | avec i petit. | ||||
| 13 | ăïn | et ŭ bref | עֻ | ŏ | borqŏ (voile) | عُ | avec ou petit. | |||||
| No V. | Pour faire face à la page 381. |
Il me dira encore: Que faites vous des quatre brévissimes? Pour résoudre cette question, il faut remarquer que, dans la prononciation arabe comme dans la nôtre européenne, la consonne prend souvent un état muet qui sert à qualifier un sens: par exemple le mot KTB: si vous le prononcez KATAB, vous me faites entendre il a écrit: si au contraire vous le prononcez KATB, alors que vous avez rendu muet le T, en le privant de voyelle, vous me faites entendre l’action d’écrire.
Or pour peindre cet état muet de la consonne, l’arabe a imaginé un petit signe qu’il appelle DJazm ou frein, lequel arrête la consonne comme un cheval dont on empêche le mouvement (motion): eh bien, cet état, qui est inhérent à l’hébreu comme à l’arabe, ne se trouve point marqué dans le système masorétique: jamais, selon les rabbins, la consonne ne serait muette: toujours l’on prononcerait à la manière gasconne, ou à la manière des Chinois qui, selon nos missionnaires, ne peuvent prononcer les mots spiritus sanctus et Christus, qu’en les lardant de voyelles, et en disant sopilitou sanacotou, kilisotou. Cet état bizarre n’existe point dans le système arabico-phénicien: pourquoi les rabbins l’ont-il supposé? J’en aperçois la raison dans leur esprit scrupuleux jusqu’à la minutie.
J’ai dit ailleurs qu’il est presque impossible de prononcer une consonne sans faire un peu sentir un son voyelle tout léger qu’il soit: ces docteurs firent la même remarque; et, pour en remplir l’effet, ils imaginèrent les quatre brévissimes, que l’on a vues ci-devant notées à part selon l’usage de leurs grammairiens. La preuve en est qu’il écrivent ăbed ce que l’arabe écrit ăbd (un esclave), zeker, ce que l’arabe écrit zekr, etc. Or, parce que l’imperceptible son qui s’échappe involontairement après b et k, s’est trouvé prendre quelquefois le caractère des voyelles a, o, attachées à la consonne suivante, ils ont introduit ces a, o, brévissimes, qui ne sont effectivement que zéro de son. Les détails de la grammaire fourniront de nombreux exemples de cette assertion.
Désormais il est temps de clore ces préliminaires, arides peut-être, vu la nature du sujet; mais indispensables, vu les erreurs et les ténèbres dont il a été jusqu’ici enveloppé. Je pense avoir prouvé clairement et raisonnablement:
1o Que l’hébreu ou idiome hébraïque n’est point une langue mère, une langue originale primitive, comme on l’a imaginé en des temps d’ignorance et de passion; mais qu’il est tout simplement un dialecte phénicien, tel que le parlèrent les Sidoniens, les Tyriens et leurs colons, les Carthaginois, dont les descendans le parlaient encore en Afrique et à Malte au quatrième siècle[177];
[177] Tout le monde connaît à ce sujet le témoignage de l’évêque d’Hippone, saint Augustin: d’ailleurs, consultez le savant ouvrage de Samuel Bochart, ayant pour titre: Phale et Chanaan.
2o Que le langage des divers peuples désignés par les Hébreux sous le nom de Kananéens, n’a été qu’une branche du vaste système commun à tous les peuples Arabes, Syriens, Assyriens, Cappadociens et partie des Arméniens; et cela de temps immémorial, dans une antiquité inconnue à l’histoire;
3o Que l’hébreu analysé dans toute sa structure n’est réellement qu’un ancien arabe plus simple et moins élaboré que l’arabe moderne;
4o Que le système d’écriture alfabétique de l’un et de l’autre est établi absolument sur les mêmes principes;
5o Que ces principes sont entachés d’un vice radical auquel il a fallu remédier par des inventions et des procédés de seconde main;
6o Que ces procédés, avec l’apparence de différer entre les Juifs et les Arabes, sont foncièrement les mêmes, tendent et arrivent au même but, excepté que ceux des Juifs ont plus de complication et moins de justesse, tandis que ceux des Arabes ont plus de simplicité et de perfection.
Ma conclusion est que, pour étudier l’hébreu, il est totalement inutile de connaître et d’employer la méthode masorétique; qu’il suffit de connaître celle des motions ou points-voyelles arabes, et de l’appliquer à l’hébreu pour en obtenir les mêmes résultats de clarté; que par cette théorie il serait facile de dresser une grammaire et un dictionnaire d’hébreu en caractères arabes, qui le rendraient immédiatement intelligible à toute personne lisant et parlant l’arabe: or, parce que mon système de transcription en caractères européens n’est qu’un équivalent de cette opération déjà mise en pratique par les Arabes, vis-à-vis diverses langues; et parce que j’ai démontré la convenance par rapport à nous, la justesse par rapport à eux, de cet équivalent européen; il s’ensuit que mon problème se trouve résolu par un double terme d’équation qui ne laissera rien à désirer au lecteur.
TABLEAU
DES CONSONNES ET VOYELLES ALFABÉTIQUES
DE L’HÉBREU.
| NUMÉROS D’ORDRE. |
CONSONNES HÉBRAÏQUES. |
ÉQUIVALENS EUROPÉENS. |
VOYELLES MAJEURES OU RADICALES. |
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|---|---|---|---|---|---|---|---|
| 1 | א | a grand A ouvert. | |||||
| 2 | ב | B | b. | ||||
| 3 | ג | G | g | djé ou gué. | |||
| 4 | ד | D | d. | ||||
| 5 | ה | H | h. | ||||
| 6 | ו | ω oû long. | |||||
| 7 | ז | Z. | |||||
| 8 | ח | Ҥ | ɦ | aspiration dure, ca florentin. | |||
| 9 | ט | Ԏ | th anglais dur, ou θῆtα grec. | ||||
| 10 | י | î et ï long. | |||||
| 11 | כ | K | k. | ||||
| 12 | ל | L | l. | ||||
| 13 | מ | M | m. | ||||
| 14 | נ | N | n. | ||||
| 15 | ס | S. | |||||
| 16 | ע | ă Ă ăïn, ă guttural. | |||||
| 17 | פ | F | f. | ||||
| 18 | צ | Ṣ | sâd dur. | ||||
| 19 | ק | Q | q. | ||||
| 20 | ר | R | r. | ||||
| 21 | ש | Š | š | ché franç., sh angl., sch allemand. | |||
| 22 | ת | T | t. | ||||
| No IV. | Face à la page 385. |