L'Anglais mangeur d'opium: Traduit de l'Anglais et augmenté par Alfred de Musset, avec une notice par M. Arthur Heulhard
L’ANGLAIS
Mangeur d’Opium
PREMIÈRE PARTIE
J’avais sept ans lorsque mon père mourut, me confiant aux soins de quatre tuteurs. Je fus envoyé à plusieurs écoles, grandes et petites ; on m’y distingua surtout pour mes progrès dans la langue grecque. A treize ans, je l’écrivais avec facilité, et à quinze, non-seulement je composais des vers grecs, en mètre lyrique, mais je le parlais aisément, perfection à laquelle aucun écolier n’était parvenu de mon temps, et que je devais à mon habitude de lire tous les jours les gazettes en grec aussi bon que possible, ex tempore : car la nécessité d’exercer ma mémoire, et mon imagination à trouver toutes les combinaisons des périphrases équivalentes aux idées modernes, aux récits des choses nouvelles, etc., me donna un tact et une mesure que la traduction de tous les essais moraux ou autres ne m’aurait jamais fait obtenir. « Ce garçon-là, dit un de mes maîtres à un étranger qui visitait la pension, est en état de haranguer un auditoire en grec, mieux que vous ou moi ne pourrions le faire en anglais. » Celui qui parlait ainsi était un savant et « un bon classique, » et de tous mes instituteurs le seul pour qui j’eusse quelque affection et quelque respect. Malheureusement pour moi (et, comme je le sus plus tard, à la grande indignation de cet honnête homme), je fus enlevé à ses soins pour être transmis à la garde, d’abord d’un imbécile poursuivi perpétuellement d’une frayeur, panique que lui causait son ignorance mal déguisée ; et, enfin, d’un vénérable professeur qui dirigeait un grand et ancien collége. C’était un homme bien strict et bien exact, mais (comme la plupart des professeurs du collége d’Oxford) rude et mal-plaisant. Misérable contraste avec l’élégance étonienne de mon maître favori ! De plus, il ne pouvait cacher à nos observations quotidiennes la pauvreté et la maigreur de son intelligence. C’est une triste chose pour un enfant que de se sentir au-dessus de ses instituteurs, soit en science, soit en facultés. Je n’étais pourtant pas seul dans ce cas-là, car deux de mes compagnons d’étude étaient meilleurs hellénistes que le supérieur, quoique non moins inhabiles à sacrifier aux grâces. Lorsque j’y entrai, je me souviens que nous lûmes Sophocle, et c’était un continuel triomphe pour le savant triumvirat, de voir notre « Archididascalus » (comme il aimait à être appelé), apprenant notre leçon avant de nous l’expliquer, et prenant une marche régulière pour sauter à pieds joints, au moyen de la grammaire et du lexicon, par-dessus les chœurs trop difficiles. Comme nous ne voulions jamais ouvrir nos livres avant qu’il eût fini son exercice préparatoire, nous passions ordinairement le temps à faire des épigrammes sur sa perruque, ou quelque autre chose d’une égale importance. Mes deux compagnons étaient pauvres et attendaient tout de l’Université, sur la recommandation du maître ; mais moi, qui possédais un petit patrimoine suffisant pour mon entretien au collége, je n’avais qu’une idée, c’était d’en sortir. Je m’épuisai en vaines demandes et rapports inutiles auprès de mes tuteurs. L’un d’eux, le plus raisonnable et le plus instruit, demeurait loin ; deux autres avaient laissé leur autorité au quatrième, avec qui j’avais à négocier : digne homme, mais hautain, obstiné et impatient. Après un certain nombre de lettres et d’entrevues, trouvant mon ennemi incorrigible, et même exigeant, je résolus de prendre d’autres mesures.
L’été arrivait alors à grands pas, et j’entrais dans ma dix-septième année, année après laquelle je m’étais fait à moi-même le serment de ne plus être compté parmi les écoliers. L’argent étant ce dont j’avais surtout besoin, j’écrivis à une dame de haut rang qui, bien que très-jeune, m’avait vu très-petit, et m’avait dernièrement traité avec une grande distinction. Je lui demandai qu’elle me prêtât cinq guinées. La réponse se fit attendre une semaine. Je perdais enfin l’espérance, lorsqu’un domestique vint m’apporter une lettre avec une couronne sur le cachet. L’épître était douce et aimable ; ma belle correspondante était aux eaux, et c’était là le motif du retard qui m’avait tant inquiété ; du reste, je trouvai le double de ce que je demandais, et mon heureux caractère me suggéra aussitôt cette idée que, si je ne le lui rendais jamais, elle n’en serait pas plus pauvre.
Tout, maintenant, était prêt pour mon escapade ; dix guinées à ajouter à deux (ou environ) qui me restaient de mon argent, me semblaient un trésor à n’en jamais finir ; c’est à cet âge heureux, si le pouvoir de créer appartient à l’homme, que l’esprit de plaisir et d’espérance doit le rendre infini !
C’est une juste remarque du docteur Johnson (et même, ce qu’on ne peut pas dire de toutes ses remarques, c’en est une prise dans le cœur humain), que nous ne pouvons, en conscience, faire pour la dernière fois, sans quelque souci, une chose que nous sommes habitués à faire tous les jours. Je sentis profondément cette vérité, lorsque j’en vins à quitter un endroit que je n’aimais pas, et où je n’avais jamais été heureux.
Le soir qui précéda ma fuite, lorsque dans la vieille et sombre salle j’entendis pour la dernière fois la prière du soir, et que l’appel étant fait, mon nom sortit le premier comme d’habitude, je m’avançai, et passant devant le maître qui se tenait debout, je le saluai et regardai attentivement en face. — « Il est vieux et infirme, pensais-je, je ne le reverrai plus en ce monde. » J’avais raison ; je ne l’ai jamais revu, ni ne le verrai jamais. Il me regarda d’un air bienveillant, sourit, me rendit mon salut (ou plutôt mon adieu), et nous nous séparâmes pour toujours. Je ne pouvais l’aimer intellectuellement ; mais il avait toujours été bon pour moi ; il m’avait traité avec une grande indulgence, et l’idée qu’il serait mortifié de ma fuite me fit de la peine.
Vint enfin le jour qui devait signaler mon entrée dans le monde, et qui a tant influé sur ma vie entière. Je logeais dans le corps de logis du maître, et l’on m’avait accordé une chambre particulière, qui me servait de dortoir et de salle d’étude. A trois heures et demie du matin, je me levai, et regardai avec émotion les tours « dorées par le jour naissant » qui commençaient à témoigner la présence du plus ardent soleil de juillet. Je demeurai ferme dans ma résolution, mais comme agité par la crainte d’un danger inconnu ; et, certes, si j’avais vu l’orage prêt à crouler sur ma tête, j’aurais été plus agité encore. Pourtant, le paisible et profond repos dont j’étais entouré dissipa, en quelque sorte, cette vague inquiétude. Le silence du matin est plus profond que celui de minuit, et pour moi le silence d’une matinée d’été est plus touchant que tout autre silence, car la lumière étant vive et pure, il ne diffère alors du jour que par l’absence de l’homme ; ainsi la paix de la nature reste et s’étend sur tous les êtres, jusqu’au moment où l’homme, avec son esprit mobile et impatient, en vient troubler la sainteté ! Je m’habillai, pris mon chapeau et mes gants. Depuis un an et demi, cette chambre avait été « la citadelle de mes pensées ; » j’en pouvais dire comme André Chénier[3] :
[3] Cette citation n’est pas dans les éditions anglaises que nous avons eues sous les yeux. C’est sans doute Musset qui intervient. (A. H.)
Et quoiqu’il fût vrai que dans les derniers temps, moi qui suis né pour aimer et être heureux, je fusse devenu sombre et morose durant ma fièvre de détention, cependant, d’un autre côté, en ma qualité d’amateur de la science et des plaisirs de l’esprit, je ne pouvais pas avoir été privé de toute espèce de jouissances au milieu de ma tristesse habituelle. Je pleurai en regardant ma chaise, mon écritoire et mes livres. Maintenant que j’écris ceci, il y a dix-huit ans entre moi et ce souvenir ; cependant, en ce moment même, je vois, aussi distinctement que si cela s’était passé hier, les traits et l’impression du dernier objet qui eut mon dernier regard. C’était un portrait de la belle… qui pendait sur la cheminée ; sa bouche et ses yeux étaient si divins, et tout son air si plein de bienveillance et de grâce, et en même temps de tranquillité plus qu’humaine, que cent fois j’avais laissé tomber ma plume ou mon livre pour puiser un peu de joie dans cette contemplation céleste, comme un dévot aux pieds de sa madone !
Tandis que je regardais, quatre heures sonnèrent. Je courus au tableau, je l’embrassai, et sortis doucement…
Les ris et les pleurs se confondent si bien dans la vie, que je ne puis m’empêcher de rapporter un incident qui pensa faire échouer mon projet, et dont pourtant je souris encore. J’avais un paquet très lourd ; car, outre mes habits, il contenait presque toute ma bibliothèque. La difficulté était de le transporter à une voiture ; ma chambre, d’autre part, était perdue dans les airs, et pour comble de malheur, on ne pouvait sortir du palier qu’en traversant la galerie où venait aboutir la chambre du supérieur. J’étais l’enfant gâté de la maison ; sachant bien que je ne serais pas trahi, j’avais mis dans ma confidence un des grooms du maître. Il arriva donc, ayant juré d’être discret, et se chargea de mon coffre. J’avais peur qu’il ne fût trop lourd, quoique j’eusse affaire à un homme
Il avait un dos grand comme la plaine de Salisbury.
Il persista donc à vouloir emporter seul le paquet fatal, tandis que je prêtais l’oreille aux moindres craquements de la cloison. Pendant quelque temps, je l’entendis descendre d’un pied ferme et léger ; mais, hélas ! comme il franchissait le pas dangereux, il glissa, et le terrible fardeau, quittant l’épaule du porteur, continua sa route, si bien que gagnant de la force à chaque marche, il arriva ou plutôt se lança avec un bruit de trente diables contre la porte de l’Archididascalus. Ma première idée fut que tout était perdu ; et ma seule chance de salut était dans le sacrifice de mon bagage. Cependant la réflexion me fit attendre l’issue de l’aventure. Le groom était plus qu’alarmé, autant pour moi que pour lui ; mais, en dépit de sa frayeur, le contre-temps redouté avait si irrésistiblement excité sa gaieté bruyante, qu’il se perdait dans un long et éclatant témoignage de sa joie, capable d’éveiller les sept dormeurs. Moi, en l’entendant, je ne pus m’empêcher de l’imiter. Nous attendions dans cette posture que D… sortît de sa chambre : car ordinairement une souris qui remuait le faisait jeter à bas de son lit. Je ne puis comprendre ce qui l’y fit rester alors. D… avait une infirmité qui, le tenant souvent éveillé, rendait probablement son sommeil plus profond. Reprenant toutefois courage, le groom arriva en bas sans autre accident ; je restai immobile jusqu’au moment où je vis mon coffre en route vers la voiture. Alors « que la Providence m’accompagne ! » Je partis à pied, emportant un petit paquet sous un bras, et, sous l’autre, un volume in-12 qui contenait environ huit pièces d’Euripide.
Mon intention avait été d’abord de gagner le Westmorland, et deux motifs m’y portaient : l’amour que j’ai pour ce pays, puis quelques raisons particulières à moi. Un accident pourtant me fit changer de direction et je tournai vers le pays de Galles.
Après avoir erré quelque temps dans le Denbighshire, le Merionethshire et le Caernarvonshire, je pris un logement dans une petite maison bien propre, à B… J’y serais resté longtemps, car la vie y est très facile. Mais le hasard en décida autrement ; mon hôtesse avait été la servante, ou la femme, ou la nourrice d’une Dame appartenant à la famille de l’évêque de …, et il n’y avait pas longtemps qu’elle s’était mariée et établie (comme disent les gens du peuple). Dans une petite ville comme B…, il suffisait d’avoir vécu dans la famille d’un évêque pour occuper un certain rang. Et ma bonne hôtesse avait plutôt trop que trop peu d’amour-propre à cet égard. Ce que mylord disait et ce que mylord faisait, son importance au parlement, son influence à Oxford ; c’était toute la conversation de tous les jours. Je supportais cela très bien, car je suis d’un trop heureux naturel pour jamais rire au nez de personne, et je prenais en patience le bavardage de la digne femme. Pourtant elle dut s’apercevoir infailliblement que je ne partageais que modérément son enthousiasme ; et ce fut peut-être pour se venger de mon indifférence, peut-être par naïveté, qu’elle me répéta un jour une conversation où j’étais pour quelque chose. Elle avait été à l’Évêché présenter ses respects à la famille de son ancienne maîtresse, et, après dîner, on l’avait admise dans la salle à manger. En faisant l’histoire de son économie domestique, elle vint à dire qu’elle avait loué ses appartements ; là-dessus le bon évêque prit soin de lui conseiller de bien choisir ses hôtes, — car, dit-il, vous devez vous rappeler, Betty, que vous êtes sur la route de la capitale, et qu’ainsi une multitude de banqueroutiers irlandais se sauvant en Angleterre, ou de banqueroutiers anglais se sauvant en Irlande, doivent passer par ce chemin. L’avis sans doute était raisonnable, mais elle pouvait se contenter d’en faire le sujet de ses méditations privées sans me mettre dans sa confidence. Ce qui suivait ne valait pas autant : — Oh ! mylord ! répliqua mon hôtesse (ceci venait après d’autres détails), je ne pense pas réellement que ce jeune homme soit un banqueroutier, parce que… — Vous ne me croyez pas un banqueroutier ? dis-je en l’interrompant avec indignation : je vous épargnerai dorénavant la peine de faire de telles réflexions ! et sans retard je me disposai à partir. La bonne dame paraissait prête à s’excuser de son mieux ; mais une expression énergique de dédain et de dignité, que j’ai peur d’avoir appliquée au savant ecclésiastique lui-même, fit naître à son tour son indignation, en sorte que toute paix devint impossible. J’étais vraiment fort en colère de ce que cet évêque avait fait naître des doutes sur ma probité, quoique d’une manière bien indirecte, et j’eus l’idée de lui dire ma façon de penser à cet égard en grec, ce qui en même temps l’aurait peut-être forcé de répondre dans la même langue, auquel cas il devait paraître aux yeux de tout le monde que j’étais un meilleur helléniste. Des réflexions plus sages m’ôtèrent toutefois cette puérile envie : je pensai que l’évêque avait le droit de conseiller une vieille servante, qu’il ne m’avait nullement désigné, et que la même légèreté d’esprit qui avait fait répéter à miss Betty les discours de sa révérence, avait fort bien pu leur prêter un sens trop conforme aux sentiments de l’interprète.
Je quittai la maison dans l’heure même, et cela fut très malheureux pour moi, attendu que, courant d’auberge en auberge, je me fus bientôt débarrassé du peu d’argent qui me restait ; enfin je me trouvai réduit au régime le plus sobre qui se puisse imaginer, c’est-à-dire à un repas par jour ; et quel repas ! Cependant l’appétit qu’à mon âge devaient exciter un exercice violent et l’air vif des montagnes, me causait d’étranges douleurs, car je ne prenais qu’un peu de café ou de thé. Il fallut même bientôt m’en priver, et tout le temps que je demeurai dans le pays de Galles, je vécus de fruits de buissons, de pommes, ou de ce que je pouvais gagner de temps en temps, lorsque je trouvais l’occasion de me rendre utile. J’écrivais quelquefois des lettres pour des fermiers qui avaient des relations à Liverpool ou à Londres ; plus souvent des lettres d’amour pour des jeunes filles de Shrewsbury ou d’autres villes environnantes. J’étais alors reçu avec une grande joie et traité généralement avec hospitalité.
Une fois, surtout, près du village de Llan-y-Styndw (ou un nom à peu près pareil), dans une partie peu habitée du Merionethshire, je restai trois ou quatre jours dans une maison où des jeunes gens m’accueillirent avec tant de bienveillance, que j’en ai conservé un souvenir ineffaçable. Cette famille consistait en quatre sœurs et trois frères, tous d’un âge raisonnable, et tous remarquables par l’élégance et la délicatesse de leurs manières. Je ne me rappelle pas avoir jamais rencontré tant de beauté réunie à un cœur si compatissant et si bon, excepté peut-être une ou deux fois dans le Westmorland et le Devonshire. Ils parlaient tous anglais ; et c’est une chose qu’on trouve difficilement dans une famille si nombreuse, surtout dans les villages éloignés de la grande route.
J’écrivis, à mon entrée chez eux, une lettre d’affaires, pour un des jeunes gens qui traitait avec un militaire anglais ; et, plus en secret, deux lettres d’amour pour deux des sœurs. Ces jeunes filles étaient plus intéressantes qu’on ne peut dire, et très aimables. Au milieu de leur confusion et de leur rougeur, tandis qu’elles me dictaient, ou plutôt qu’elles me donnaient des instructions générales, je n’eus pas besoin de beaucoup de pénétration pour sentir qu’elles voulaient des lettres aussi tendres que possible, sans pourtant blesser la délicatesse de l’orgueil féminin. Je parvins à si bien modérer mes expressions, que l’un et l’autre de ces deux sentiments se trouva observé, et elles furent si contentes de la manière dont j’exprimais leur pensée, que (dans leur simplicité) elles s’étonnèrent d’avoir été si vite devinées.
La réception qu’on éprouve de la part des femmes dans une famille, détermine généralement celle qu’on doit attendre de la famille entière. J’avais rempli mes fonctions de secrétaire-interprète à la satisfaction générale (peut-être aussi les amusais-je par ma conversation) ; enfin, je fus pressé de rester, avec une cordialité à laquelle je ne pus résister bien fort. Je couchais avec les frères, la seule chambre vacante étant dans l’appartement des jeunes femmes ; mais du reste j’étais traité comme on ne doit pas avoir la prétention de l’être, avec une bourse aussi légère que la mienne, comme si ma science eût suffi pour me faire croire « de bonne famille. » C’est ainsi que je vécus trois jours et une partie du quatrième : et les marques d’amitié dont ils me comblaient, me prouvent qu’ils m’auraient gardé jusqu’à présent si leur volonté avait suffi pour cela. Mais, le dernier jour, je m’aperçus à déjeuner qu’ils voulaient me dire quelque chose qui les embarrassait ; et, en effet, l’un des jeunes gens m’expliqua que leurs parents étaient partis, la veille de mon arrivée, pour une assemblée annuelle de méthodistes qui se tenait à Caernarvon, et qu’ils devaient revenir le jour même ; et s’ils n’étaient pas aussi polis qu’ils devaient l’être, ils me demandaient au nom de tous de ne pas m’en offenser.
Les parents revinrent avec des visages grognons, et « dym sassenach » (il n’est pas anglais) fut tout ce que je pus obtenir pour réponse à mes politesses. Je vis de quoi il s’agissait ; et prenant congé de mes jeunes hôtes, je continuai ma route ; car, bien qu’ils plaidassent auprès de leurs parents avec zèle en ma faveur, et qu’ils voulussent auprès de moi excuser leurs parents eux-mêmes, en me disant que « c’était leur manière », je compris aisément que mon talent pour les lettres d’amour ne me réussirait pas beaucoup mieux auprès de deux braves sexagénaires, de plus méthodistes, que mes saphiques ou mes alcaïques grecs ; et ce qui avait été de l’hospitalité, lorsque je devais tout à l’aimable courtoisie de mes jeunes amis, devenait de la charité avec la rude allure de ces vieilles têtes. Certes, M. Shelley a raison dans ses réflexions sur la vieillesse ; à moins qu’elle ne soit puissamment contrebalancée par des agents de nature contraire, son souffle stérile corrompt et dessèche misérablement tout noble élan du cœur humain.
J’eus presque aussitôt, par des moyens qui sont indifférents au lecteur, l’occasion d’aller à Londres. Et alors commença la dernière et la plus triste période de mes longues souffrances, que je pourrais appeler mon agonie.