L'Architecture Gothique
The Project Gutenberg eBook of L'Architecture Gothique
Title: L'Architecture Gothique
Author: Édouard Corroyer
Release date: March 19, 2021 [eBook #64867]
Most recently updated: October 18, 2024
Language: French
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| TABLE DES MATIÈRES |
L’ARCHITECTURE
GOTHIQUE
PAR
Éd. CORROYER
PARIS
A. PICARD & KAAN, ÉDITEURS
COLLECTION PLACÉE SOUS LE HAUT PATRONAGE
DE
L’ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS
COURONNÉE PAR L’ACADÉMIE FRANÇAISE
(Prix Montyon)
ET
PAR L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
(Prix Bordin)
Droits de traduction et de reproduction réservés.
Cet ouvrage a été régulièrement déposé au Ministère de l’Intérieur.
BIBLIOTHÈQUE DE L’ENSEIGNEMENT DES BEAUX-ARTS
PUBLIÉE
SOUS LA DIRECTION DE M. JULES COMTE
L’ARCHITECTURE
GOTHIQUE
PAR
ÉDOUARD CORROYER
MEMBRE DE L’INSTITUT
ARCHITECTE DU GOUVERNEMENT
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES ÉDIFICES DIOCÉSAINS
———
NOUVELLE ÉDITION
———
PARIS
Librairie d’Éducation nationale
ALCIDE PICARD & KAAN, ÉDITEURS
11, RUE SOUFFLOT, 11
SOMMAIRE
Introduction.
| Iʳᵉ | PARTIE.—Architecture religieuse. |
| IIᵉ | PARTIE.—Architecture monastique. |
| IIIᵉ | PARTIE.—Architecture militaire. |
| IVᵉ | PARTIE.—Architecture civile. |
Tables.
INTRODUCTION
La dénomination gothique, désignant la période architectonique qui s’étend du milieu du XIIᵉ siècle à la fin du XVᵉ, est purement conventionnelle.
Cette expression ne peut s’appliquer à l’architecture des Goths ou des Visigoths, puisque ces peuples, vaincus par Clovis au VIᵉ siècle, ne laissèrent aucune trace monumentale de leur passage sur notre sol et, par conséquent, n’eurent aucune influence sur l’art. Elle est radicalement fausse au double point de vue de l’histoire et de l’archéologie, car elle ne repose que sur une erreur contre laquelle il faut protester en essayant de faire cesser une équivoque qui a duré trop longtemps. Singulière fortune de ce mot gothique, qui n’était au siècle dernier qu’un qualificatif ironique, synonyme de barbarie, et qui est devenu, malgré son origine germanique, le vocable adopté depuis soixante ans pour désigner l’époque la plus civilisée du moyen âge et précisément l’une de celles dont l’Art national peut être le plus légitimement fier.
L’architecture romane, ou plus exactement l’architecture qualifiée romane, en vertu de la convention archéologique de 1825[1], a emprunté aux Romains et aux Byzantins des éléments constitutifs que les architectes du temps se sont assimilés et qu’ils ont perfectionnés dans l’Europe occidentale; mais la période architecturale du XIIᵉ siècle à la fin du XVᵉ, et qu’on a baptisée injustement du nom étranger de gothique, est absolument française, puisqu’elle est née dans les provinces qui ont formé la France moderne. C’est dans l’Aquitaine, l’Anjou, le Maine qu’elle a ses origines incontestables; c’est dans le domaine royal, et principalement dans l’Ile-de-France, qu’elle a accompli ses transformations les plus étonnantes, et c’est du cœur même de la France qu’elle a si brillamment rayonné sur l’Europe.
Nous aurions voulu intituler ce volume: l’Architecture du moyen âge, si la tyrannie de l’usage ne nous obligeait à conserver la dénomination d’Architecture gothique.
Cette dernière dénomination est d’ailleurs absolument arbitraire, tout autant que celle d’Architecture ogivale, acceptée par des auteurs qui admettent que l’arc-brisé, improprement appelé ogive, est le caractère particulier de l’architecture dite gothique.
Il existe encore sur ce point une erreur à propos de laquelle il convient de s’expliquer, car on s’est mépris sur le mot en lui donnant une signification qu’il n’a jamais eue.
L’ogive, ou plus exactement: l’augive, suivant l’orthographe ancienne, est l’arc diagonal ou l’arc ogif, employé dans l’architecture dite gothique; il est le plus souvent en plein-cintre et ne doit pas être confondu avec l’arc-brisé improprement nommé: ogive.
L’arc-brisé, qui se compose de deux courbes opposées se coupant sur un angle plus ou moins aigu, était connu bien longtemps avant son application systématique: au Caire, dès le IXᵉ siècle de notre ère, auparavant en Arménie et, encore plus anciennement, en Perse où les constructeurs n’ont pas employé d’autres cintres depuis les derniers Sassanides. C’est un expédient, un moyen de donner plus de résistance à l’arc en diminuant ses poussées latérales; mais les architectes des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles ne se sont pas servis de l’expression: ogive pour désigner la forme de l’arc-brisé, forme qui varie à l’infini, qui n’est plus déterminée par les proportions classiques, les canons pour ainsi dire, de l’arc plein cintre, et ne connaît pas d’autre loi que la nécessité. On voit en effet l’arc-brisé se rapprocher du plein cintre au XIIᵉ siècle, puis s’en éloigner, s’aiguiser de plus en plus à la fin du XIIIᵉ siècle et pendant tout le XIVᵉ, alors que les édifices prennent une élévation plus considérable par des dispositions d’une hardiesse inquiétante et souvent aux dépens d’une parfaite solidité.
Au surplus, il importe peu que l’architecture du XIIᵉ au XVIᵉ siècle soit qualifiée gothique ou ogivale: nous savons que ces deux qualificatifs ne sont pas plus exacts l’un que l’autre; le point capital auquel nous devons nous attacher, c’est de démontrer que la filiation que nous avons établie et prouvée par l’Architecture dite romane s’est continuée lentement, mais sûrement, en suivant les progrès de la civilisation dont l’art de l’architecture est une des manifestations les plus évidentes.
L’architecture dite gothique n’est pas le produit d’une génération spontanée; elle est la continuation ininterrompue, régulière, logique de l’architecture romane, de même que celle-ci n’a fait que suivre à son origine les traditions antiques pour les transformer successivement selon les besoins et les usages du temps. C’est ainsi que la coupole, d’origine orientale, traduite en pierre par nos ancêtres aquitains, vers la fin du XIᵉ siècle, a donné naissance à la voûte sur arcs-ogifs ou croisée d’ogives dont nous avons vu l’embryon dans les pendentifs des coupoles de Saint-Front.
Les grandes églises qui s’élevèrent, vers le milieu du XIIᵉ siècle, dans les riches provinces de l’Ouest, voisines de l’Aquitaine, étaient déjà voûtées sur croisée d’ogives, non pas à l’état d’essais timides ou rudimentaires, mais avec toute la sûreté acquise par des architectes expérimentés, en possession de puissants moyens d’exécution, et, dès la seconde moitié du XIIᵉ siècle, le nouveau système avait remplacé dans l’Europe occidentale tout autre mode pour la construction des voûtes.
Les architectes du domaine royal, et surtout ceux de l’Ile-de-France, avaient adopté les premiers la croisée d’ogives et, vers la fin du XIIᵉ siècle, familiarisés avec le nouveau système, guidés par leur esprit ingénieux et leur hardiesse professionnelle, ils inventèrent l’arc-boutant.
La croisée d’ogives succédant à la coupole, dont elle procède, fut la conséquence directe des traditions antiques; le parti adopté était une des étapes de la marche des idées, un perfectionnement logique, accompli sans s’écarter de la voie que les Romains, tout aussi hardis, mais plus prudents constructeurs, avaient sûrement tracée. La croisée d’ogives n’est donc elle-même qu’une suite des principes romains, perpétués et perfectionnés par l’expérience, tandis que l’arc-boutant, ou plutôt le système de construction dont l’arc-boutant est le caractère très particulier, accomplit à son tour une révolution radicale dans l’art de bâtir au XIIᵉ siècle. La stabilité, assurée dans les anciennes constructions à l’aide des masses formant les culées des arcs et des voûtes, était remplacée par l’équilibre des charges, système d’une hardiesse surprenante, dont les architectes ont tiré des effets merveilleux; mais en même temps innovation dangereuse parce qu’elle a pour conséquence de reporter au dehors les organes principaux, essentiels, vitaux que les anciens avaient toujours préservés en les établissant sagement au dedans.
Aussi faut-il constater que, si la voûte sur croisée d’ogives s’était généralisée en moins de cinquante ans dans toute l’Europe occidentale et même en Orient, le succès de l’arc-boutant fut beaucoup moins rapide dans sa propagation et plus restreint dans son application. Alors que dans le Nord, pendant le XIIIᵉ siècle et une partie du XIVᵉ, on édifiait, ou même on réédifiait en grand nombre les monuments religieux selon les formules de l’art nouveau, on élevait en même temps, dans le Midi, de grandes églises suivant les principes antiques.
Au Nord, les constructeurs hardis avaient adopté avec enthousiasme les nouvelles dispositions des églises à plusieurs nefs, toutes voûtées sur croisée d’ogives et dans lesquelles les voûtes surélevées de la nef principale étaient contrebutées par des arcs-boutants extérieurs.
Au Midi, soit par résistance à l’entraînement ou réaction contre le mouvement novateur, soit encore par fidélité aux traditions anciennes, les architectes prudents donnaient à leurs édifices une nef unique, large et haute, dont les voûtes, également sur croisée d’ogives, étaient maintenues par des contreforts puissants construits en dedans du vaisseau et dont on utilisait les saillies intérieures en disposant des chapelles dans les intervalles.
Ce dernier système de construction, d’une grande sagesse, parce qu’il est d’une solidité parfaite, rappelle ceux de la basilique de Constantin ou du Tepidarium des thermes romains de Caracalla; il assure la constante stabilité de l’édifice par la résistance de la masse des culées, et il semble être une protestation contre les miracles d’équilibre si fort en faveur alors dans les pays du Nord.
Du reste, le nouveau système des voûtes arc-boutées, qui n’apparaît dans le Midi qu’exceptionnellement et comme une importation, ne s’était pas établi, même dans son berceau originel, sans de grandes difficultés, car de graves mécomptes avaient signalé son avènement. En l’absence des sciences mathématiques qui ont apporté de si puissants leviers aux architectes modernes, il fallait aux constructeurs du XIIIᵉ siècle une habileté et une expérience étonnantes pour construire des voûtes intérieures et surtout neutraliser l’énergie de leurs poussées par des arcs-boutants réduits à leurs véritables fonctions d’étais permanents, les poussées de ces voûtes et les forces de ces arcs-boutants étant essentiellement variables suivant leurs portées et la résistance des matériaux. Il fallut de longs tâtonnements pour transformer en règles à peu près fixes les formules nécessairement empiriques des constructeurs novices, et ce n’est que vers la fin du XIIIᵉ siècle, et surtout dès les premières années du XIVᵉ, qu’on voit se résoudre ce difficile problème de construction. Et encore la solution n’en fut-elle pas acceptée partout, car ce qui était relativement facile dans les contrées où la pierre abonde devenait difficile, sinon impossible, dans celles où la brique, par exemple, était l’unique ressource des constructeurs.
Cependant la fortune de l’architecture dite gothique fut considérable, si grande même que des symptômes de déchéance, nés du succès trop rapide, se manifestèrent dès le XIVᵉ siècle. L’abus de l’équilibre, la diminution excessive des points d’appui, aggravée souvent par l’insuffisance des fondations et l’exagération de hauteur des édifices, la mauvaise qualité des matériaux, jointe à leur appareil défectueux par suite de l’empirisme des méthodes, la rapidité de l’exécution excitée par une émulation mal entendue, la pénurie des ressources, conséquence des convulsions sociales et politiques compliquées par les malheurs des guerres, sont autant de causes qui pourraient expliquer la ruine d’un art qui a brillé d’un si vif éclat, et l’on pourrait surtout en trouver la cause initiale dans l’abandon des traditions antiques. Suivies sans interruption pendant toute la période dite romane, ces traditions avaient préparé l’avènement d’un art séduisant sous sa forme nouvelle, s’affranchissant du passé suivant les idées du temps, mais dont le déclin fut aussi rapide que son ascension, car, à son aurore sous Louis le Gros et parvenu à son apogée sous le règne de saint Louis, il semblait être en décadence profonde avant la fin du XVᵉ siècle.
Le cadre restreint qui nous est assigné ne permet pas de faire la monographie des principaux monuments ni même de citer les plus célèbres; nous devons borner notre ambition, en suivant la filiation ininterrompue que nous avons prouvée dans l’Architecture romane, à essayer de faire la synthèse de la période architectonique qui, succédant à l’époque dite romane, commence au XIIᵉ siècle et paraît s’éteindre au XVᵉ.
La croisée d’ogives étant le caractère essentiel de l’architecture dite gothique et l’arc-boutant l’une de ses manifestations les plus intéressantes, nous étudierons leurs origines, leurs transformations et leurs principales applications dans l’architecture religieuse, monastique, militaire et civile. Nous nous arrêterons particulièrement sur l’architecture religieuse, parce qu’elle marque plus visiblement et plus grandement les progrès de l’art, non seulement par ses admirables édifices, mais aussi par les chefs-d’œuvre de sculpture et de peinture qu’elle a créés dans notre pays.
L’ARCHITECTURE GOTHIQUE
PREMIÈRE PARTIE
L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE
CHAPITRE PREMIER
INFLUENCE DE LA COUPOLE SUR L’ARCHITECTURE DITE GOTHIQUE.
La coupole, sous sa forme symbolique, est l’œuf d’où est sorti un système architectonique qui a causé une révolution des plus fécondes dans le domaine de l’art[2].
L’architecture dite gothique ne s’est pas manifestée spontanément et par une sorte de miracle. Comme toute œuvre humaine, elle a eu une fin qu’il est possible de constater; mais il est moins facile de fixer son commencement, même par une date approximative. Son origine se confond avec une période architecturale antérieure qui a préparé son avènement par une évolution et une transformation ininterrompues.
Les coupoles de Saint-Front ne sont pas une imitation de celles de Saint-Marc à Venise, car elles procèdent toutes de l’église bâtie par Justinien à Constantinople et dédiée aux saints Apôtres[3]. Ce qui est d’abord une importation en Aquitaine, par la forme, devient ensuite une œuvre originale par les particularités de la construction. Les architectes résolurent alors un merveilleux problème en établissant cet admirable principe architectonique qui consiste à reporter les charges des voûtes sur quatre points d’appui solidarisés par des pendentifs.
La construction des coupoles de Saint-Front, en pierre appareillée, fut à cette époque un événement considérable dans une contrée réputée comme le pays même de l’architecture et dans lequel les principes gallo-romains s’étaient le mieux conservés[4]. Aussi, dès la fin du XIᵉ siècle, de grandes églises abbatiales s’élevèrent-elles dans les provinces voisines, à l’exemple de celle de Saint-Front.
Cependant, tout en acceptant les principes nouveaux, les architectes du temps s’ingénièrent à les perfectionner; leurs efforts sont visibles et il est possible de constater le succès dans les premières années du XIIᵉ siècle. L’église d’Angoulême et celle de Fontevrault, entre autres, en donnent la preuve évidente. «On sent la préoccupation constante des constructeurs romans cherchant à diminuer les énormes masses des églises à coupoles primitives par une répartition plus pondérée et mieux entendue des poussées et des résistances, et en accusant ces points principaux par des contreforts qui commencent à saillir sur les faces extérieures de l’édifice[5].»
Le nouveau système de construction se propagea rapidement en s’affinant, en se perfectionnant, surtout en Anjou et dans le Maine. Les architectes des richissimes abbayes de ces provinces, puissantes par elles-mêmes et par leurs relations avec le monde religieux si fortement organisé en ce temps, perfectionnèrent encore les méthodes de l’école aquitaine. Ils transformèrent les pendentifs des coupoles en arcs indépendants ayant exactement les mêmes fonctions, découvrant logiquement un principe architectonique d’une simplicité étonnante, dont le succès fut si rapide que, dès le milieu du XIIᵉ siècle, il était appliqué systématiquement pour la construction des grandes églises à Angers, à Laval et à Poitiers.
Les travaux des architectes angevins furent nécessairement connus de leurs confrères du Nord, qui cherchaient, comme tous les constructeurs à cette époque, la solution parfaite de la grande question des voûtes. Les architectes de l’Ile-de-France, avec leur adresse professionnelle si particulièrement ingénieuse, s’approprièrent rapidement le système angevin et l’appliquèrent à la construction de leurs églises, grandes et petites, toutes bâties suivant les traditions basilicales, c’est-à-dire à trois et même à cinq nefs.
La coupole aquitaine en pierre appareillée a donc exercé une influence absolument directe sur l’architecture dite gothique, puisqu’elle a donné naissance à la croisée d’ogives, qui en est le principal caractère. Cette influence s’est manifestée d’abord dans la disposition générale des édifices à une seule nef, procédant directement de la coupole et voûtée sur des croisées d’ogives, puis dans les grandes églises, abbatiales ou cathédrales, bâties suivant les traditions basilicales et toutes voûtées de même.
Angers et Laval donnent des exemples originels des églises dont les travées sur plan carré sont voûtées sur des croisées d’ogives, qui remplacent désormais les pendentifs des coupoles.
L’église abbatiale de Noyon montre l’application de ce principe, nouveau au XIIᵉ siècle, aux églises à plusieurs nefs construites par les architectes du Nord. Les voûtes—primitives[6]—de Noyon étaient disposées sur plan carré; les arcs-ogifs, ou croisées d’ogives, reliaient diagonalement les piliers principaux et l’effort de ces arcs-ogifs était soulagé par un arc-doubleau, de secours pour ainsi dire, reposant sur des piles secondaires accusées à l’extérieur par des contreforts moins saillants que ceux des piliers principaux, et à l’intérieur par une colonne recevant les archivoltes latérales unissant les piles principales.
Ce système de construction, dont le principe a été appliqué, logiquement à Noyon par exemple, n’existe plus qu’à l’état traditionnel dans les grandes églises de Laon, les cathédrales de Paris, de Sens et de Bourges, pour ne citer que les principales et sans parler des innombrables églises édifiées suivant ces principes dans toute l’Europe occidentale. Dans ces grandes cathédrales les voûtes sont encore sur plan carré, jusqu’à l’adoption par les architectes, dans la première moitié du XIIIᵉ siècle, des travées égales voûtées sur plan rectangulaire et marquées, extérieurement et intérieurement, par des saillies et des piles égales, comme à Amiens, à Reims et dans un grand nombre d’édifices élevés depuis cette époque.
L’influence de la coupole sur l’architecture dite gothique est donc certaine. La vérité même se manifeste par les monuments qui existent encore et dont l’étude fournit les documents lapidaires les plus incontestables[7]. Il faut faire connaître cette vérité, non seulement pour obtenir une satisfaction archéologique, mais surtout pour démontrer de nouveau que la filiation existant depuis l’antiquité jusqu’à la période dite romane se continue certainement entre celle-ci et l’architecture dite gothique. Elle s’établit directement dans cette dernière période par la coupole de l’Aquitaine dont procèdent celles de l’Angoumois, qui donnent naissance en Anjou à la croisée d’ogives, précédant l’invention ou l’application de l’arc-boutant, qui est à son tour le point de départ d’une évolution nouvelle.
CHAPITRE II
ORIGINE DE LA CROISÉE D’OGIVES.
Dès le XIᵉ siècle on construisait des églises à une ou à plusieurs nefs et, la plupart du temps, pour ces dernières, les bas côtés seuls étaient voûtés d’arêtes, la nef principale étant couverte par une charpente. Puis on voûta les trois nefs, celles des bas côtés en voûtes d’arêtes ou en demi-berceaux continus destinés à contrebuter la nef centrale voûtée en berceau plein cintre, renforcée par des doubleaux saillants, et elles furent abritées par un comble s’étendant sur les trois vaisseaux. Ces édifices, timidement et lourdement construits, n’étaient qu’une imitation des basiliques romaines; ils avaient l’inconvénient d’être étroits, pour plus de sûreté, et sombres, parce qu’ils n’étaient plus éclairés dans la partie supérieure. Les architectes du moyen âge connaissaient donc, bien avant l’apparition de la coupole, la voûte en berceau et la voûte d’arêtes; cette dernière formée, suivant la tradition, par la pénétration de deux demi-berceaux. Ils avaient même essayé d’en perfectionner la construction en renforçant par une nervure saillante la courbe de pénétration, qui donne une ellipse ou un arc surbaissé. Mais ce nerf était simplement décoratif, car, dans la voûte romaine, l’arêtier en pierre, nervé ou non, est solidaire des maçonneries de remplissage au milieu desquelles il est noyé et dont il suit passivement les mouvements.
Par conséquent, il n’est pas possible, comme on l’a dit, de trouver dans la voûte d’arêtes romaine le germe de l’arc-ogif ou croisée d’ogives dont les fonctions sont essentiellement actives.
C’est dans la coupole de Saint-Front, construite en pierre appareillée, vers le milieu du XIᵉ siècle, et c’est principalement dans les pendentifs de la coupole, construits comme elle en pierre appareillée, qu’il faut chercher et trouver l’origine de l’arc-ogif ou croisée d’ogives.
La figure 1 donne le plan d’une des coupoles de Saint-Front; elle se compose de quatre arcs-doubleaux puissants retombant sur quatre piliers reliés par des pendentifs (fig. 2 et 3), passant des angles rentrants du plan carré de la naissance des arcs au plan circulaire solidement établi, chacune des assises concentriques formant claveau qui réunit les clefs des arcs-doubleaux et reçoit la voûte en coupole qui les couronne; ce système ayant pour effet de reporter la charge des voûtes sur les quatre piles.
La figure 3 est la coupe faite sur un des quatre pendentifs d’une des coupoles de Saint-Front et suivant la ligne A B; elle indique la structure du pendentif dont les cinq ou six premières assises, disposées horizontalement
et, suivant l’expression technique, en tas de charge, sont taillées suivant les courbes sphériques, le reste des claveaux des pendentifs étant appareillés normalement à ces courbes.
Le voûtement des édifices religieux ayant été la préoccupation constante des architectes du moyen âge et le but de leurs études incessantes, la construction des coupoles de Saint-Front dut être un événement dont le retentissement fut considérable, car, dès la fin du XIᵉ siècle, on éleva un grand nombre d’églises à coupoles qui sont des imitations de l’église mère de Périgueux.
La construction des églises d’Angoulême et de Fontevrault[8], dans les premières années du XIIᵉ siècle, indique que les architectes cherchaient à couvrir des espaces de plus en plus vastes suivant les méthodes aquitaines, mais en allégeant les voûtes et, par conséquent, en réduisant les points d’appui et de soutènement.
La figure 4 donne le plan d’une des coupoles de l’église d’Angoulême, ou de celle de Fontevrault, qui furent bâties sur un plan identique, sauf le nombre des travées de la nef.
La figure 5 indique la coupe d’une travée de ces églises et elle marque la différence considérable qui existe déjà entre la coupole mère de Saint-Front et celles qu’elle avait engendrées. La voûte en coupole sur pendentifs s’affine alors, et on peut bientôt constater un progrès nouveau qui prouve la préoccupation persistante des architectes d’alléger les voûtes.
L’église de Saint-Avit-Senieur, de même que celle de Montagne (Gironde), nous en fournit un exemple des plus utiles à étudier.
La coupole de cet édifice est renforcée par des nervures qui la raidissent; elle devient une voûte annulaire, formée d’assises à peu près horizontales disposées en claveaux, soutenue comme elle le serait à l’aide de cintres permanents en pierre figurés par des nerfs transversaux et diagonaux.
L’église de Saint-Pierre, à Saumur, marque encore un progrès dans la construction des voûtes dérivant de la coupole[9].
Enfin, les architectes de l’Anjou et du Maine réalisent un perfectionnement décisif. Les pendentifs se transforment en ne conservant que leurs parties utilement actives, qui se manifestent par des arcs-diagonaux, c’est-à-dire par des arcs-ogifs ou croisée d’ogives, saillants et indépendants, qui sont appareillés exactement comme les pendentifs de la coupole (fig. 3) et dont les fonctions sont identiques (fig. 8).
La voûte proprement dite n’est plus formée d’assises concentriques comme dans la coupole mère. Elle est désormais construite en claveaux appareillés normalement à la courbe et remplissant les triangles A B C D (fig. 7) déterminés par les arcs-formerets—latéraux, les arcs-doubleaux—transversaux et les arcs-ogifs—diagonaux ou croisée d’ogives; ces arcs formant une charpente de pierre, une ossature—tout aussi solide, mais plus légère que les pendentifs des coupoles—destinée à soutenir les voûtes en reportant leurs charges sur les quatre points d’appui.
Les remplissages triangulaires n’emprisonnent plus l’arêtier—plus exactement les arcs-ogifs ou croisée d’ogives—et ne neutralisent plus ses fonctions actives. Au contraire, ces remplissages sont indépendants comme la croisée d’ogives elle-même et ils contribuent à assurer l’élasticité des divers organes de la voûte, condition essentielle de sa solidité. La disposition particulière des arcs-ogifs de la nef d’Angers fournit une preuve incontestable de la filiation directe de cet édifice avec la coupole aquitaine; les claveaux des arcs-ogifs ont comme section une largeur à peu près égale à celle des arcs-doubleaux, et comme hauteur l’épaisseur des voûtes de remplissage, augmentée de la saillie intérieure accusant la fonction de ces arcs diagonaux, qui semblent avoir été tranchés dans les pendentifs d’une coupole—en A de la figure 8—il faut remarquer que les triangles des voûtes de remplissage dont les claveaux sont perpendiculaires aux arcs-doubleaux et formerets ne reposent pas encore sur l’extrados des arcs-ogifs.—en B de la figure 8 selon le mode de construction adopté dans l’Ile-de-France et ailleurs quelques années plus tard.
L’identité des fonctions architectoniques du pendentif et de la croisée d’ogives, construits l’un et l’autre en pierre, appareillés normalement à leurs courbes, démontre la communauté de leur origine et que, comme conséquence d’une filiation certaine, c’est la coupole aquitaine qui a engendré la croisée d’ogives.
CHAPITRE III
PREMIÈRES VOUTES SUR CROISÉE D’OGIVES.
Les premières applications du système de construction des voûtes sur croisée d’ogives apparaissent dans les grandes églises d’Angers et de Laval.
Il est probable que les nouvelles méthodes, propagées par les architectes religieux de l’Aquitaine ou des provinces voisines, avaient excité l’émulation des architectes du Nord et, particulièrement, ceux de l’Ile-de-France; quelques parties secondaires des édifices élevés par ceux-ci, comme des bas côtés ou des chapelles absidales, pourraient en fournir les preuves par des dispositions timides qui rappellent plutôt les voûtes romaines dont les arêtes seraient accusées par des nervures, qu’elles n’indiquent une révolution dans le mode de voûtement des églises.
Mais nulle part, au XIIᵉ siècle, le nouveau système des voûtes sur croisée d’ogives ne s’est manifesté avec plus de puissance qu’à Angers, dont les nefs ont plus de seize mètres de largeur, si ce n’est à Laval. L’ampleur
de la composition architecturale, aussi bien que les détails techniques d’une admirable exécution, démontrent l’expérience consommée que les architectes de ces magnifiques édifices avaient acquise dès le milieu du XIIᵉ siècle.
Les plans de ces églises ressemblent à ceux d’Angoulême et de Fontevrault, et nullement aux édifices du Nord.
Les nefs uniques, comme celles des églises à coupoles, sont formées de travées sur plan carré, mais la construction des voûtes s’est perfectionnée par l’emploi raisonné de l’arc-ogif ou croisée d’ogives remplaçant les pendentifs de la coupole, les constructeurs du temps ayant réalisé dès lors les progrès considérables que nous avons constatés et expliqués dans le chapitre précédent.
Ces immenses nefs, voûtées sur croisée d’ogives, ressemblent aux coupoles; elles rappellent leurs formes générales, mais les dispositions des voûtes sont différentes. Les croisées d’ogives ne sont plus de simples nervures décoratives, mais bien des arcs possédant des fonctions aussi actives que les doubleaux et les formerets; leur réunion composant une ossature élastique dont le poids est reporté sur les quatre points d’appui, recevant les retombées des arcs qui composent, pour ainsi dire, la charpente en pierres appareillées.
Les coupes comparées (fig. 13 et 14) des églises d’Angoulême et d’Angers déterminent nettement la filiation certaine qui existe entre ces édifices élevés: l’un dans les premières années du XIIᵉ siècle et l’autre trente ou quarante ans plus tard; elles marquent en
même temps les progrès réalisés par les architectes angevins dans la construction des voûtes sur croisée d’ogives remplaçant les coupoles sur pendentifs, d’où elles dérivent, par l’application plus raisonnée et plus perfectionnée des mêmes principes architectoniques.
L’église de Laval, élevée en même temps que celle
d’Angers ou peu d’années après, montre de nouveaux
perfectionnements, très sensibles, non seulement au point de vue de la forme, mais encore par les combinaisons plus savantes ou plus ingénieuses et par la sûreté méthodique de l’exécution.
Les arcs formant l’ossature des voûtes sont, dès leur naissance au-dessus des tailloirs des chapiteaux, indépendants comme à Angers, ce qui est le caractère essentiel du système, nouveau dans la première moitié du XIIᵉ siècle. Les points d’appui latéraux se composent des piles proprement dites et de colonnes engagées, couronnées de chapiteaux encorbellés, accusant en les prolongeant les arcs-formerets, doubleaux et ogifs qui retombent sur les tailloirs des chapiteaux. Il est facile de voir dans ces dispositions l’origine des faisceaux de colonnes engagées, combinées pour dissimuler autant que possible les points d’appui dont l’usage devint général—et même excessif—aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles.
La coupe (fig. 12) et les détails qui précèdent, montrant le mode de construction des voûtes, affirment à Laval, au moins autant qu’à Angers, la filiation certaine existante entre les coupoles sur pendentifs et les voûtes sur croisée d’ogives.
CHAPITRE IV
ÉDIFICES VOÛTÉS SUR CROISÉE D’OGIVES.
Le nouveau système de voûtes sur croisée d’ogives, dérivant de la coupole sur pendentifs, qui s’était si brillamment manifesté dans l’Anjou et le Maine, dès la première moitié du XIIᵉ siècle, avait été dès lors adopté par les architectes religieux. L’admirable simplicité de la méthode nouvelle, applicable aux grandes églises abbatiales aussi bien qu’à des édifices plus modestes, explique sa propagation rapide dans toute l’Europe occidentale, où les corporations religieuses avaient fondé d’innombrables abbayes, grandes et petites, de règles et d’ordres différents, mais toutes reliées par une organisation puissante.
A l’exemple des édifices angevins un grand nombre d’églises s’élevèrent aussi bien dans les provinces voisines—Sainte-Radegonde à Poitiers, Notre-Dame de la Coulture et la nef de Saint-Julien au Mans—que dans les plus éloignées, vers le midi. La charmante église de Thor, dédiée à Sainte-Marie-du-Lac, entre Avignon et la fontaine de Vaucluse; celle du Saint-Sauveur à Saint-Macaire près de Bordeaux; la nef de Saint-André à Bordeaux, commencée en 1252 suivant le plan d’une église à coupoles, modifiée et enfin couronnée par des voûtes sur croisée d’ogives; Saint-Caprais, à
Agen, qui montre les mêmes modifications et l’immense nef—de 19 mètres de largeur—de Saint-Étienne à Toulouse, construite toute en briques, sont autant de preuves, pour ne citer que les plus importantes, de la progression des principes nouveaux dans la seconde moitié du XIIᵉ siècle.
Vers le Nord la marche est tout aussi générale. Les édifices démontrent le parti que les constructeurs du temps tirèrent de la croisée d’ogives permettant, sous tous les climats, l’emploi judicieux des matériaux les plus divers. Mais il était donné à Angers, son berceau, de perfectionner encore cet ingénieux système.
L’église de la Sainte-Trinité, sur la rive droite de la Maine, construite par les fils ou les disciples des architectes qui avaient bâti Saint-Maurice sur la colline dominant la rive opposée, marque encore un nouveau progrès dans la construction de ces voûtes. La nef, unique comme à Saint-Maurice, est divisée en trois travées, carrées ou à très peu de chose près. Le système des voûtes, dérivant de la coupole sur pendentifs, s’affine en divisant et, par conséquent, en diminuant les
charges réparties sur les quatre points d’appui principaux par la croisée d’ogives, qui elle-même se trouve
soulagée par un arc-doubleau soutenant les arcs-ogifs à leur point de croisement, c’est-à-dire à la clef.
La figure 19 donne le plan de ces voûtes dont l’exemple fut bientôt suivi par les architectes du Nord, car la grande église abbatiale de Noyon paraît avoir été une des premières copies de la nouvelle transformation des voûtes angevines.
De grandes églises abbatiales et d’immenses cathédrales élevées de la seconde moitié du XIIᵉ siècle jusqu’au milieu du XIIIᵉ prouvent, par la disposition de leurs voûtes sur plan carré, l’importance du perfectionnement réalisé à la Sainte-Trinité d’Angers; car il faut en constater l’application dans les églises ou cathédrales de Noyon, de Laon, de Notre-Dame de Paris, de Sens et de Bourges, pour ne parler que de celles qui passent pour les chefs-d’œuvre de l’architecture dite gothique.
Fig. 22.—Coupe d’une église à nef unique voûtée sur croisée d’ogives et maintenue par des contreforts.
L’influence de la coupole, que nous avons établie au chapitre premier, s’est exercée directement et consécutivement. Elle est directe sur les églises à une seule nef voûtées sur croisée d’ogives, et consécutive dans les églises de l’époque dite romane, qui furent complétées ou modifiées par le voûtement sur croisée d’ogives en pierre appareillée de la nef centrale, remplaçant la charpente. Un grand nombre d’édifices, en Angleterre, en Normandie, en Allemagne, dans l’Italie du Nord, en Suisse, dans les provinces rhénanes et celles du nord de la France, fournissent des documents des plus intéressants sur les transformations qu’ils ont subies après l’invention de la voûte sur croisée d’ogives et son application générale.
Fig. 23.—Coupe d’une église à trois nefs voûtée sur croisée d’ogives et maintenue par des arcs-boutants.
Les architectes, instruits aux grandes écoles des abbayes, fortifiés par les travaux de leurs devanciers et par leur propre expérience, construisirent de toutes parts d’immenses cathédrales dans lesquelles tous les perfectionnements connus furent appliqués avec une hardiesse incomparable. De progrès en progrès, ils abandonnèrent les traditions antiques et, changeant les conditions statiques qui ont assuré la durée des édifices anciens, ils inventèrent un système de construction qui n’est qu’une charpente de pierre, pour ainsi dire; son expression, c’est l’étai permanent en pierre,—l’arc-boutant;—sa loi, c’est l’équilibre, qui n’est assuré qu’à l’aide de stratagèmes architectoniques des plus ingénieux, mais aussi des plus précaires (fig. 22 et 23). Son existence ou sa durée dépend le plus souvent de la qualité des matériaux et de leur degré de résistance, l’organe essentiel, c’est-à-dire la partie portante, l’étai permanent, le soutien suprême dont l’écroulement entraînerait la ruine totale de l’édifice étant à l’extérieur et, par conséquent, plus exposé à toutes les causes de destruction que la partie portée, c’est-à-dire les voûtes, mieux protégées, puisqu’elles se trouvent à l’intérieur de l’édifice.
Les grands édifices construits par ces nouveaux procédés architectoniques comprenaient une nef centrale accompagnée de deux et même de quatre bas côtés. Il fallait éclairer ces immenses vaisseaux, d’abord par des fenêtres basses pour les collatéraux, puis par des fenêtres hautes. Par conséquent, il était nécessaire de surélever la voûte de la nef centrale, et surtout de la contrebuter par des arcs libres, en forme de quart de cercle, c’est-à-dire des arcs-boutants. Ces arcs, surmontés de rampants obliques, faisant fonction d’étais permanents, butent leurs sommets ou clefs sur les flancs des piles recevant le faisceau des retombées des arcs, formerets, doubleaux et croisées d’ogives, aux points de leurs poussées; les bases, ou sommiers de ces arcs libres, reposent sur des contreforts qui, fortement chargés pour neutraliser les effets de renversement des voûtes et des arcs, maintiennent en équilibre toutes les parties actives de l’ossature intérieure de l’édifice.
CHAPITRE V
ORIGINE DE L’ARC-BOUTANT.
Le mode primitif de voûtement adopté dans les provinces du centre de la France pour la construction des églises à trois nefs, dont la principale était voûtée en berceau plein cintre, maintenue par des demi-berceaux, nécessitait des formes basses et lourdes; l’édifice éclairé seulement par les fenêtres des bas côtés, la nef principale était par conséquent fort sombre. Les architectes normands, en Normandie d’abord et en Angleterre après la conquête, avaient tourné la difficulté en ne voûtant que les bas côtés à un ou à deux étages, et en élevant librement les murs latéraux de la nef centrale, qui était couverte par une charpente apparente et permettait d’éclairer la nef principale par des fenêtres ménagées au-dessus des toitures en appentis couvrant les bas côtés.
La galerie disposée latéralement au premier étage des collatéraux, dans les églises normandes de forme basilicale, n’est qu’une suite des traditions antiques[10]; elle est désignée sous le nom moderne de triforium, parce que chaque travée de cette galerie intérieure, entre les piles principales, était originellement—dit-on—divisée en trois parties par des pilastres supportant des plates-bandes, ou par des colonnettes recevant de petites arcades.
Vers la fin du XIᵉ siècle, les constructeurs normands élevaient des deux côtés du détroit d’immenses églises dont les bas côtés, voûtés d’arêtes, étaient surmontés d’une galerie couverte—comme les basiliques primitives—par une charpente apparente, de même que la nef centrale. Les travées étaient marquées, dans cette nef et dans les bas côtés des galeries supérieures latérales, par des arcs-doubleaux servant de soutènements à ceux du vaisseau principal. Mais, après l’adoption générale, vers le milieu du XIIᵉ siècle, des méthodes angevines pour le voûtement des édifices religieux, le rôle des murs et des arcs de soutènement latéraux devint plus actif, parce que ces murs et arcs devaient contrebuter l’arc-doubleau, ainsi que les arcs-ogifs ou croisées d’ogives retombant sur les piles, et qui augmentaient encore l’énergie des poussées de ces arcs réunis.
C’est alors que les murs transversaux des bas côtés ou les arcs-doubleaux se modifient et deviennent des arcs de soutènement cachés sous la toiture des collatéraux.
Nous avons vu cette modification à l’Abbaye-aux-Dames de Caen[11]; la figure 24 nous en donne un exemple, et on peut, en Angleterre, la suivre dans un grand nombre d’autres églises, en Italie à Pavie, en
Suisse à Zurich, sur les bords du Rhin à Bâle, pour ne citer que quelques-unes des églises dans lesquelles la modification des voûtes s’est opérée longtemps après la construction de l’édifice même.
En France, Noyon présente un sujet d’études des plus intéressantes, parce qu’il paraît être un des premiers grands édifices résumant, à l’époque de sa construction,
vers le dernier quart du XIIᵉ siècle, les progrès réalisés par les architectes de l’Ile-de-France. On trouve réunies, dans ce curieux édifice, les traditions antiques suivies par les Normands pour les triforiums; les méthodes angevines qui se manifestent par les voûtes sur croisée d’ogives dérivant de la coupole, et perfectionnées par celles de la Sainte-Trinité d’Angers, c’est-à-dire par les voûtes sur croisée d’ogives, mais disposées sur plan carré, reportant les charges sur les piles principales et soulagées par un arc-doubleau intermédiaire. On voit apparaître l’arc de soutènement intérieur sous la toiture du collatéral, et qui se confond à sa naissance avec l’arc-doubleau latéral, afin de maintenir les poussées des arcs-doubleaux et croisées d’ogives formant les voûtes du vaisseau principal.
On a dit que Noyon procède de Tournai, sans doute parce qu’on n’en considère que l’aspect; mais là s’arrête la ressemblance, car le mode de construction n’est pas semblable. A Tournai, les transsepts semi-circulaires nord et sud sont voûtés par des arcs-doubleaux très puissants, réunis au centre par une clef en couronne appareillée, et au pourtour par des voûtains en pénétration reliant les arcs-doubleaux, disposition très ingénieuse qui rappelle la voûte de la salle des Capitaines au-dessus du porche de l’église du Moustier, à Moissac.
La combinaison de ces arcs-doubleaux, fortement établis à l’intérieur et solidement maintenus par les murs très épais du circuit formant culée, est très particulière, car elle ne nécessite aucun arc de soutènement ni même de contrefort. Tournai n’a donc pas engendré Noyon, car, dans ce dernier édifice, les voûtes, construites sur croisée d’ogives, devaient être contrebutées par des contreforts ou des arcs apparents ou cachés, pour soutenir les poussées de ces voûtes au-dessus des arcs-doubleaux latéraux.
Mais ces dispositions ingénieuses n’avaient pas modifié le mode de soutènement suivi par les constructeurs du XIIᵉ siècle, même après l’adoption des voûtes sur croisée d’ogives, et qui consistaient en des contreforts, des murs ou des arcs dissimulés sous les toitures des collatéraux.
C’est à Soissons que nous voyons les premières applications d’un système architectonique, dont le caractère particulier est l’arc-boutant.
Fig. 28.—Église du Moustier, à Moissac. Voûte de la salle, dite des Capitaines, au-dessus du porche.
Le transsept sud de la cathédrale de Soissons procède évidemment de Noyon comme parti de construction déterminé par les bas côtés à deux étages et la
forme semi-circulaire; mais le voûtement sur croisée d’ogives dans les deux églises s’est affiné à Soissons. Réduites à leur plus simple expression de force par la délicatesse nerveuse de l’appareil, les voûtes n’en exercent pas moins fortement leurs poussées dans la partie qui se dégage au-dessus de la galerie haute.
L’architecte de Soissons ne s’est pas contenté, comme à Noyon, de maintenir latéralement la voûte par des arcs intérieurs combinés avec les arcs-doubleaux du triforium, butant sur un contrefort qui vient épauler le flanc de la nef centrale, il a construit à l’extérieur des arcs libres, naissant au-dessus des combles du triforium, des contreforts, et divisant chacune des travées, c’est-à-dire des arcs-boutants, accusant franchement leur destination effective et leurs fonctions spéciales, qui sont de contrebuter les arcs et les voûtes intérieures aux points de leurs poussées.
L’arc-boutant, combiné avec la croisée d’ogives, en donnant l’essor à un système qui a créé d’immenses édifices qu’il faut admirer, étudier surtout, mais non refaire, prouve la merveilleuse habileté des architectes des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles et en même temps les dangers d’un rationalisme—plus apparent que réel,—qu’ils ont poussé à son extrême limite en s’affranchissant de tout principe traditionnel
Fig. 31.—Vue perspective du transsept sud (cathédrale de Soissons)[12].
et, par conséquent, de toute autorité. Il semble que les constructeurs de ce temps, depuis Noyon, Soissons, Laon, Paris, Sens et Bourges, s’enhardissant à Reims, à Amiens, au Mans, jusqu’à la suprême folie architectonique de Beauvais, se soient ingéniés, en renchérissant les uns sur les autres, à créer des monuments aussi étonnants par leurs dimensions que par les problèmes d’équilibre qu’ils ont posés, sinon résolus.
CHAPITRE VI
ÉGLISES ET CATHÉDRALES DES XIIᵉ ET XIIIᵉ SIÈCLES.
L’étude des grands édifices du moyen âge est des plus attachantes, mais il faut convenir qu’elle est en même temps des plus difficiles. L’obscurité qui couvre l’origine de ces monuments est profonde et souvent impénétrable.
L’indécision sur la date de leur construction doit provenir de ce que la date de fondation d’un édifice est souvent prise pour celle de sa consécration; généralement il a été construit, puis simplement modifié plutôt que complètement réédifié sur le même emplacement consacré.
La cause principale de la destruction partielle ou totale de ces édifices religieux était la foudre. Tombant sur le clocher, sur la tour ou sur la toiture, elle incendiait la charpente de la nef centrale, ce qui n’était qu’un accident réparable; mais la charpente s’écroulant, les bois incandescents calcinaient les piles et entraînaient la ruine de l’édifice; on le restaurait alors ou on le reconstruisait selon les usages du temps. De sorte que, suivant que les notes historiques sont plus ou moins authentiques ou que les faits sont traduits plus ou moins fidèlement, il résulte souvent une confusion pour les monuments disparus ou une contradiction entre les relations transmises et les édifices qui existent encore.
Rajeunir les monuments ou le plus souvent les vieillir, suivant des théories intéressées, est d’autant plus facile qu’on n’a pas à redouter le démenti des auteurs; car, à part quelques exemples, il est souvent difficile d’assigner une date exacte à la construction des grandes églises abbatiales et des cathédrales, ou, si l’on peut fixer ces dates, on ne connaît pas exactement les auteurs de ces magnifiques monuments. Cet anonymat s’expliquerait peut-être par ce fait que les architectes étaient des religieux et que l’honneur de leurs travaux s’attachait à la corporation même, à l’ordre tout entier plutôt qu’aux individus, membres de l’ordre qui, presque toujours, avaient fait vœu d’humilité.
Les savants modernes, architectes et archéologues les plus autorisés, n’ont pas encore fait la lumière totale sur cette question; ils procèdent la plupart du temps par des hypothèses ingénieuses, par des raisonnements savamment déduits, qui ne donnent pas cependant des dates absolument sûres. Mais ce qui ne trompe pas, c’est l’étude architectonique qu’il faut faire de l’édifice même, sans négliger, bien entendu, les documents historiques; elle établit que l’art a suivi au moyen âge, comme en tout temps, les lois immuables de la filiation et de la transformation; elle montre le parti adopté par les constructeurs, leurs recherches, leurs hésitations, leurs erreurs et leurs repentirs même.
C’est sur ces documents certains qu’il convient d’étudier l’origine d’un édifice et ses transformations successives, ce qui a eu lieu plus souvent qu’une reconstruction totale; car ce n’est qu’à partir du commencement du XIIIᵉ siècle que l’on construisit de toutes pièces ces grandes églises, ces immenses cathédrales qui existent encore en grand nombre[13].
Les grandes églises abbatiales élevées dans le domaine royal pendant les dernières années du XIIᵉ siècle, continuées et achevées dans les premières années du XIIIᵉ, conservent des traditions plus anciennes.
A Laon, qui procède de Noyon et du transsept sud de Soissons, l’église se compose d’une nef, avec transsepts, et de bas côtés à deux étages, voûtés sur croisée d’ogives, au-dessus desquels s’élèvent des arcs-boutants—comme à Soissons—qui maintiennent les voûtes supérieures du vaisseau central.
Cette disposition des bas côtés prouve la continuité
des formules normandes, de même que le mode de
construction des voûtes principales démontre l’influence persistante de la coupole[14].
La voûte centrale, admirablement construite sur plan carré comprenant deux travées, selon les méthodes angevines dérivant directement de la coupole aquitaine, indique que, si les constructeurs de l’église de Laon étaient en pleine possession de ces méthodes, ils éprouvaient encore quelques inquiétudes sur les fonctions de l’arc-boutant. Celui-ci est nécessaire au droit des piles recevant les retombées réunies des arcs-doubleaux et des croisées d’ogives, mais il n’est pas rationnel que la pile intermédiaire qui ne reçoit que l’arc-doubleau de secours, secondaire par conséquent, soit contrebuté par un arc-boutant semblable à celui des piles principales qui reçoivent en même temps les arcs-doubleaux et les croisées d’ogives.
Cet illogisme, si frappant à Laon, ne s’est pas manifesté à Noyon où les architectes—ceux de la construction primitive,—avaient accusé extérieurement les fonctions des piles principales par des contreforts plus saillants et plus puissants que ceux des piles secondaires.
Notre-Dame de Paris, commencée vers la fin du XIIᵉ siècle et achevée, sauf les chapelles, dans la première moitié du XIIIᵉ, suit, comme à Laon, les mêmes traditions normandes dans la disposition des galeries hautes des bas côtés et subit encore l’influence de la coupole par le parti des voûtes sur plan carré comprenant deux travées et contrebutées aussi illogiquement qu’à Laon.
Cet immense édifice, composé d’une nef et de doubles bas côtés de hauteur égale, contournant le chœur semi-circulaire, paraît être une des premières cathédrales à cinq nefs; il marque par son plan grandiose, par la hardiesse de ses combinaisons et la perfection de ses détails, de sa construction, les progrès considérables réalisés par les architectes de l’Ile-de-France.
Le parti de construction pour les galeries hautes intérieures, voûtées sur croisée d’ogives, rampantes afin d’éclairer la galerie au-dessus de la toiture des appentis couvrant le deuxième bas côté, ainsi que la hardiesse des arcs-boutants à grande volée franchissant les deux bas côtés contrebutant les grandes voûtes du vaisseau central, démontrent que les constructeurs de Notre-Dame de Paris avaient adopté, même dans leurs excès, les diverses méthodes en usage et qu’ils les employaient avec une habileté et une adresse incomparables.
Les traditions normandes qui s’étaient propagées dans l’Ile-de-France s’éteignent dans les premières années du XIIIᵉ siècle. A Châlons-sur-Marne, la nef de la cathédrale est encore accompagnée de bas côtés à deux étages; mais la galerie haute, voûtée, rétrécie, montre la fin de cette disposition traditionnelle.
L’influence de la coupole s’est maintenue plus longtemps par le parti adopté pour la construction des voûtes. Langres le prouve par la forme bombée de ses voûtes, qui, malgré leur plan rectangulaire, semblent être une copie réduite des nefs angevines.
Les nefs de Sens et de Bourges sont encore voûtées
sur plan carré reportant, par la croisée d’ogives, les charges des voûtes de deux en deux piles, la pile intermédiaire ne soutenant que l’arc-doubleau, de secours, dont nous avons déjà parlé. Cependant les arcs-boutants extérieurs sont semblables, aussi forts pour les piles principales que pour les piles intermédiaires, disposition plus prudente que logique, qui prouve une fois de plus avec quelle défiance les constructeurs employaient ce système de soutènement extérieur, caractérisé par un arc libre exposé à tous les dangers des intempéries, l’existence même de l’édifice étant subordonnée à la durée d’un étai aussi fragile.
La cathédrale de Sens est un exemple d’une nouvelle transformation qui s’opère par la suppression de la galerie haute des collatéraux. Les bas côtés sont voûtés et couverts par une toiture en appentis; l’arc-boutant à simple volée s’élève au-dessus et vient contrebuter les voûtes de la nef centrale. L’édifice est solidement établi; sa structure est savante, mais elle est aussi illogique qu’à Laon et à Paris, parce que les arcs-boutants qui sont égaux extérieurement ne répondent pas à leurs véritables fonctions, puisque les poussées intérieures ne sont pas égales.
La cathédrale de Bourges, qui paraît avoir été construite, si elle n’a pas été achevée, dans la première moitié du XIIIᵉ siècle, montre une autre disposition que celle de Sens. L’édifice comprend cinq nefs et rappelle, en plan, Notre-Dame de Paris; mais le parti est très sensiblement différent. Les bas côtés joignant la
nef centrale ne sont plus surmontés d’un étage, ni égaux en hauteur; les deux nefs latérales s’étagent afin de ménager des jours éclairant l’église (fig. 43). Le vaisseau central est encore voûté sur plan carré comprenant deux travées; mais le même illogisme que nous avons constaté plusieurs fois déjà, et sur lequel nous croyons devoir insister afin de le mieux connaître après une étude approfondie, s’accuse encore plus à Bourges que partout ailleurs, en raison de l’importance extrême des arcs-boutants dont les doubles volées franchissent les collatéraux.
A Bourges, comme à Sens, la partie intérieure comprise entre le sommet des archivoltes basses et la base des fenêtres hautes: frise, litre,—ou triforium, selon la désignation moderne,—n’est plus qu’une décoration traditionnelle composée d’arcatures formant galerie de passage et occupant à l’intérieur la hauteur prise à l’extérieur par la toiture adossée des bas côtés. A Sens, cette galerie est simple; à Bourges, elle
est double par la disposition très particulière résultant de l’étagement des bas côtés, qui paraît être une application des méthodes angevines et poitevines, très habilement combinées avec celles de l’Ile-de-France.
CHAPITRE VII
CATHÉDRALES DU XIIIᵉ SIÈCLE.
La cathédrale de Reims, commencée dans les années qui suivirent la destruction de l’église primitive par l’incendie de 1211, est la superbe expression des inventions antérieures des constructeurs de l’Aquitaine et de l’Anjou, réunies à celles des architectes de l’Ile-de-France. Elle est la manifestation la plus complète de leurs efforts persévérants pour établir un système de construction, qui a comme principe de maintenir en équilibre un édifice dont les poussées des voûtes, sur croisée d’ogives, sont contrebutées par des arcs-boutants extérieurs.
Les architectes du XIIIᵉ siècle en ont démontré la témérité, le danger même; car, malgré des efforts et des tentatives admirables, ils ne sont pas arrivés à fixer les règles scientifiques de leurs combinaisons, l’équilibre des monuments qu’ils ont élevés étant subordonné à la résistance variable des matériaux et suivant que ces matériaux de même nature, formant l’ossature intérieure ou extérieure de l’édifice, sont exposés ou soustraits à l’action du climat et de ses effets destructifs.
Les dangers de ce mode de construction apparaissent plus visiblement à Reims que partout ailleurs, en raison des dimensions colossales de l’édifice. Cependant, la disposition des arcs-boutants est plus logique que dans les églises et les cathédrales de Laon, de Paris, de Sens et de Bourges, parce que les travées étant sur
un plan rectangulaire, la poussée des voûtes intérieures, sur croisée d’ogives, répartie également sur les piles recevant le faisceau des retombées des arcs, est contrebutée régulièrement par les arcs-boutants extérieurs, de dimension et de force égales. Mais cette disposition, logique en apparence par la structure rationnelle des arcs-boutants placés aussi exactement que possible aux points des poussées, n’en est pas moins précaire comme système de soutènement, son extrême fragilité l’exposant à des accidents résultant de l’usure constante de la pierre sous un double effet: actif par ses fonctions d’arc et passif par suite de sa désagrégation incessante causée par les intempéries. Et ce qui le prouve ici, c’est la réfection en sous-œuvre qu’il a fallu faire, dans ces dernières années, des arcs-boutants de la nef, pour assurer la conservation de l’immense édifice, qui ne peut exister qu’à la condition d’être arc-bouté par des étais permanents, sous forme d’arcs-boutants.
Mais ce qu’il faut admirer sans réserve à Reims, c’est la conception grandiose de l’œuvre et sa puissante exécution, c’est la magnifique ordonnance de sa façade occidentale et la parfaite convenance de l’ornementation, étudiée et appliquée avec autant de sobriété que de justesse, qui fait de la statuaire[15], des chapiteaux, des frises, des crochets et des fleurons autant d’exemples de l’art décoratif du moyen âge.
La cathédrale d’Amiens, commencée vers 1220, l’une des plus grandes cathédrales de l’époque dite gothique, et celle qui passe pour en être le chef-d’œuvre, procède directement de Reims. Le plan présente le même parti, avec cette particularité que le chœur a pris à Amiens une importance très considérable par rapport à la nef et que les piles et les points d’appui sont plus faibles et d’une hauteur beaucoup plus grande.
Les architectes de Reims, préoccupés des problèmes d’équilibre posés par leur système de construction, avaient cherché à réduire au minimum ses dangers, qu’ils semblaient redouter comme leurs prédécesseurs, en évitant sagement tout porte-à-faux. Il est facile de voir, par la comparaison des deux coupes (fig. 45 et 48), que les architectes d’Amiens n’ont pas eu les mêmes inquiétudes, ou qu’ils étaient beaucoup plus hardis, sinon plus savants; car ils n’ont pas craint d’échafauder les colonnes isolées supportant les clefs des arcs-boutants, sur des encorbellements latéraux qui portent à faux, ainsi que l’indique la ligne ponctuée X, sur les piles; la hardiesse ou plutôt l’imprudence de cette combinaison est évidente, car l’écrasement d’une assise ou l’affaissement d’une partie de la pile, sur laquelle sont basés ces encorbellements, entraînerait inévitablement la rupture des arcs-boutants, qui sont les étais suprêmes des voûtes intérieures et, comme conséquence logique, le déséquilibrement,
pour ainsi dire, de tout l’ouvrage et
fatalement la ruine totale de l’édifice. Les dangers de ces
combinaisons ou, plus exactement, de ces tours de force d’équilibre se sont manifestés et prouvés à Beauvais. Les architectes qui construisirent, vers 1225, le chœur de la cathédrale, tout en s’inspirant de celle d’Amiens, avaient marqué l’intention d’élever un monument dépassant en plan et en élévation toutes les grandes églises en construction à cette époque. Ils augmentèrent la largeur du chœur et des travées qui le composent en élevant, sur les clefs des archivoltes inférieures, des piles intermédiaires, afin de diviser, au-dessus, les travées et de soulager la voûte par des arcs-doubleaux
de secours. Ils donnèrent une hauteur exagérée aux archivoltes et aux grandes fenêtres en diminuant leurs épaisseurs, afin d’obtenir plus de légèreté, et la voûte de la nef centrale s’éleva à plus de cinquante mètres au-dessus du sol. Cette hauteur énorme et dont l’exagération, par rapport à la largeur du vaisseau, est évidente, nécessita un système compliqué d’arcs-boutants, dépassant en hardiesse tout ce qui avait été fait jusqu’alors. La coupe (fig. 51) peut donner une idée exacte de ce qu’on a appelé, justement, une folie, et ce qui doit étonner, c’est que cette construction ait duré, étant donnée la disposition des piles intermédiaires portant à faux, indiquée par la ligne ponctuée X (fig. 51), de moitié de leur épaisseur sur les
piles inférieures qui se sont déformées sous la charge, qui ont dû être étrésillonnées et qui devront être
consolidées.
Cependant, le chœur fut achevé vers 1270 et se maintint pendant quelques années; mais des désordres se produisirent dans ces constructions, si légèrement établies qu’elles semblaient être un échafaudage de pierres, et les voûtes s’écroulèrent le 29 novembre 1284, entraînant dans leur chute une partie des arcs-boutants, disloquant et ébranlant le reste de l’édifice. Il fallut alors, en reconstruisant les voûtes, doubler les points d’appui dans les travées du chœur et des bas côtés et relier les arcs-boutants par des chaînages en fer.
Pendant le XIIIᵉ siècle, un grand nombre de cathédrales s’élevèrent dans toute l’Europe, à l’exemple des grands édifices du nord de la France et particulièrement d’Amiens, qui paraît avoir excité, vers le milieu du XIIIᵉ siècle, un grand enthousiasme, mais sur des dimensions plus modestes; ils ne présentent pas d’ailleurs les dimensions exagérées, ni les hardiesses de construction de leur modèle. Ces églises et ces cathédrales, dont la reconstruction suivant les nouvelles méthodes
commençait généralement par le chœur, qui venait se joindre à une nef plus ancienne, étaient loin d’être terminées; les plus favorisées s’achevèrent dans le courant du XIVᵉ siècle,
mais, pour la plupart, les travaux furent continués péniblement et ne prirent fin que deux siècles plus tard. Dans un grand nombre d’édifices, les travaux de reconstruction furent interrompus par suite des guerres ou des convulsions sociales, diminuant ou supprimant les ressources des constructeurs, évêques et architectes, circonstances favorables aux études archéologiques modernes, parce qu’elles permettent de constater les transformations qui se sont accomplies sans interruption
de l’époque dite romane jusqu’à celle dite gothique.
Ces grands édifices, qui portent les traces des diverses fortunes qu’ils ont suivies, se ressemblent et ne
présentent que des particularités de détails variant selon l’habileté des constructeurs.
Indépendamment de sa remarquable statuaire[16], Chartres doit retenir l’attention par des arrangements ingénieux, comme ceux de la rose du transsept nord et surtout par l’appareil des arcs-boutants; ils sont composés de deux arcs superposés, étrésillonnés par des rayons figurés par des colonnettes surmontées d’arcatures appareillées et clavées normalement à la courbe. Au Mans, le chœur présente
une disposition d’autant plus remarquable qu’elle est plus rare—peut-être unique en son genre. Les arcs-boutants affectent en plan la forme d’un Y, afin de pouvoir ménager dans l’enceinte extérieure des fenêtres éclairant, en A, le vaste déambulatoire circulaire prenant au Mans une importance considérable, parce qu’il entoure le chœur d’un double bas côté.
Les arcs-boutants qui s’élèvent au-dessus des arcs-doubleaux, bifurqués en B, sont d’une section trop réduite; très élevés, trop faibles et menaçant de se voiler, il a fallu les relier par des tirants et des chaînages en fer. Ces expédients semblent être la critique permanente du système ingénieux, mais trop fragile adopté par les architectes du chœur de la cathédrale du Mans.
L’influence de l’Ile-de-France s’est fait sentir en Normandie, dans les cathédrales du XIIIᵉ siècle, par les dispositions
du chœur et des chapelles absidales. La cathédrale de Coutances, élevée au XIᵉ siècle, fut reconstruite dans les premières années du XIIIᵉ siècle, sous l’impulsion du mouvement donné par le Nord à cette époque. Le chœur de Coutances, par les doubles colonnes qui forment la partie semi-circulaire et les arrangements ingénieux des voûtes du collatéral enveloppant le chœur, se rattache au système architectonique du nord; mais la façade est normande aussi bien par l’ensemble que par les détails de la composition, qu’on retrouve en Angleterre.
La cathédrale de Dol, en Bretagne, qui peut passer pour une des grandes cathédrales du XIIIᵉ siècle, semble n’avoir pas suivi le mouvement novateur venu du Nord. Par son plan, son abside carrée largement éclairée par de grandes fenêtres, par les détails de l’architecture et de son ornementation, elle paraît se rattacher aux grandes églises qui s’élevaient en ce temps des deux côtés de la Manche, en Normandie et en Angleterre. Selon toutes les probabilités, elle fut construite par les mêmes architectes, ou par leurs disciples, suivant les traditions plus anciennes des écoles normandes établies par Lanfranc, vers la fin du XIᵉ siècle, à Cantorbery, et sur les mêmes modèles de celles qu’il avait fondées en France dans la célèbre abbaye du Bec.
CHAPITRE VIII
CATHÉDRALES ET ÉGLISES DES XIIIᵉ ET XIVᵉ SIÈCLES.
Les cathédrales de Reims, d’Amiens et de Beauvais excitèrent de leur temps un enthousiasme extraordinaire, qui s’est manifesté dans les provinces formant la France et même chez les nations voisines, et surtout en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, en Suède, en Espagne et en Italie.
Dans les provinces éloignées du domaine royal, l’entraînement fut plus restreint; cependant, dès la première moitié du XIIᵉ siècle, il s’éleva quelques édifices remarquables suivant les formules nouvelles.
«En 1233 fut commencée la cathédrale de Bazas dont le gros œuvre, par exception, fut terminé en peu de temps.
«La cathédrale de Bayonne, en construction à la même époque, eut le sort des cathédrales de Meaux, de Troyes et d’Auxerre, c’est-à-dire ne fut terminée qu’au XVIᵉ siècle, avec une seule tour. En 1248 sont jetés les fondements de la cathédrale de Clermont, qui devait avoir six ou sept tours, mais dont le chœur fut seul achevé au XIIIᵉ siècle; le transsept et quatre tours avec une partie de la nef furent exécutés au siècle suivant et les travaux furent abandonnés jusqu’au règne de Napoléon III qui les fit reprendre. La cathédrale de Limoges, commencée en 1273 sous l’inspiration directe de Notre-Dame d’Amiens, a dû se contenter également, jusqu’à nos jours, d’un chœur, d’un transsept et des
amorces d’une nef (qui vient d’être achevée). A Rodez, on fut plus persévérant, et les travaux se poursuivirent avec calme de 1277 à la Renaissance, qui toutefois laissa inachevées les deux tours occidentales, après les avoir comparées, dans une description par trop gasconne, aux pyramides d’Égypte et aux plus célèbres merveilles de l’univers.
«Toulouse et Narbonne engagèrent simultanément, dès 1272, la lutte avec la cathédrale d’Amiens, se proposant de l’égaler au moins dans les dimensions comme elles l’imitaient dans son plan. Ces deux entreprises ne furent pas heureuses. L’archevêque Maurice, de Narbonne, mourut l’année même où il avait fait commencer les travaux; ses successeurs agirent assez mollement. En 1320, la mer se retira, laissant à sec le port qui faisait la principale richesse des habitants; heureusement, le chœur était alors
terminé avec sa voûte haute de 40 mètres, mais on fut obligé de laisser tomber en ruine les murs du transsept. A Toulouse, l’évêque Bertrand de l’Isle-Jourdain vécut juste assez pour conduire son entreprise à la hauteur du triforium du chœur, et les choses en restèrent là jusqu’au XVᵉ siècle. Ses successeurs gaspillèrent pour leur plaisir et leur ostentation les revenus de leur immense diocèse, à tel point que les papes Boniface VIII et Jean XXII, scandalisés, démembrèrent ce territoire en y plaçant quatre évêques, et en donnant à celui de Toulouse, par une sorte de
compensation, le titre d’archevêque. Mais cette compensation ne rendit pas aux prélats bien intentionnés les ressources qu’avait eues Bertrand, et le chœur de Toulouse n’est qu’à moitié exécuté; au lieu de 40 mètres qu’il devait atteindre, il en mesure à peine 28 et le transsept n’a pas même été commencé.
«Les cathédrales de Lyon, de Saint-Maurice à Vienne et de Saint-Étienne à Toul peuvent être rattachées indirectement au mouvement des grandes cathédrales. A Bordeaux, on voulut aussi construire une grande cathédrale au temps de la domination anglaise; mais le chœur n’en aurait jamais été achevé sans les libéralités du roi Édouard Iᵉʳ et celles du pape Clément V, qui avait été archevêque de cette ville[17].»
En Angleterre, les grandes cathédrales construites au XIIIᵉ siècle témoignent de la force d’expansion de l’art français qui s’était manifesté déjà pendant le siècle précédent, suivant les traditions établies et propagées par l’enseignement et les œuvres des moines-architectes normands qui avaient suivi Guillaume le Conquérant dans la Grande-Bretagne.
Les constructeurs anglais s’assimilèrent les principes de construction des architectes de l’Anjou et de l’Ile-de-France et, dans les nombreuses cathédrales qu’ils élevèrent du XIIᵉ siècle à la fin du XVᵉ, on retrouve aisément, au milieu des transformations ou des adaptations suivant les usages et les idées propres des artistes britanniques, les caractères originaux qui distinguent l’art français.
Cette influence est visible dans les cathédrales d’York, d’Ely, de Wille, de Salisbury, de Cantorbery, construite sur les plans d’un architecte ou maître maçon: Guillaume de Sens; dans celle de Lichfield, dont les flèches de la façade rappellent celles de Coutances, en Normandie, et principalement dans la cathédrale de Lincoln.
Elle est une des plus belles de l’Angleterre et l’une de celles qui montre le mieux la filiation certaine et continue entre les édifices élevés en France et en
Angleterre pendant la période dite gothique, peut-être
par les mêmes architectes, mais sûrement par les élèves ou les disciples de mêmes maîtres constructeurs.
La cathédrale de Lincoln, fondée au XIᵉ siècle et terminée en 1092, fut en grande partie détruite, comme tant d’autres édifices couverts en bois, du même temps, par un incendie, en 1124. Elle fut reconstruite et agrandie par saint Hugues selon les idées nouvelles venues de France avec lui, ce qui s’explique tout naturellement, puisque saint Hugues, le mandataire du pape Grégoire VII, avait été évêque de Grenoble; un tremblement de terre, en 1185, détruisit une grande partie de l’église qui fut réédifiée, agrandie et complétée par l’évêque Grossetête, Anglais de naissance, mais élevé, instruit en France dans les premières années du XIIIᵉ siècle, et qui avait rapporté en Angleterre la fleur vivace des idées, si larges et si belles, qui signalèrent ce siècle merveilleux.
La tour-lanterne qui s’élève à l’intersection du premier transsept, vers le portail principal, s’étant écroulée en 1235, fut reconstruite ou achevée par l’évêque Grossetête vers 1240. Elle rappelle, par sa forme générale et ses détails, la grande tour-lanterne de Coutances, en Normandie, qui semble également avoir servi d’exemple à celle de Saint-Ouen de Rouen au XIVᵉ siècle.
L’immense et superbe cathédrale de Lincoln est un admirable sujet d’études comparatives, parce qu’elle présente dans son architecture les caractères très tranchés des deux nations. Elle met en présence, dans le même édifice, l’architecture anglaise avec sa structure massive ornée de détails, formée par des lignes verticales, rigides, sèches et dures comme le fer, et l’architecture
française, gracieuse et ferme à la fois, souple et forte comme l’or, plus solide et résistante que le fer sous l’apparence d’un art plus parfait.
Si la façade et les tours de l’ouest sont anglaises, le chœur et l’abside sont français, comme composition et très probablement comme exécution, de même que la salle capitulaire dont les dispositions et les détails des travées rappellent ceux des façades latérales de Bourges; d’ailleurs, ces ouvrages sont de véritables chefs-d’œuvre d’architecture, dignes de la période la plus brillante de l’architecture française au moyen âge.
En Belgique, l’influence française s’est manifestée dès la première moitié du XIIIᵉ siècle par un édifice remarquable: Sainte-Gudule, à Bruxelles. Jusqu’à cette époque, les principes des écoles rhénanes s’étaient répandus dans les Pays-Bas et la préférence donnée aux idées nouvelles en France est une indication très certaine du retentissement qu’elles eurent alors dans toute l’Europe occidentale. La preuve est donnée par les grandes églises de Gand, de Tongres, de Louvain, de Bruges entre autres, construites de 1235 à la fin du XIIIᵉ siècle ou, du moins, qui furent alors commencées et achevées pour la plupart pendant le XIVᵉ siècle et même plus tard.
Sainte-Gudule, à Bruxelles, commencée vers 1226, ne comprenait en 1275 que le chœur et le transsept. La nef fut élevée au XIVᵉ siècle avec les tours de la façade qui ne furent achevées que pendant le siècle suivant et même au XVIᵉ siècle, ainsi que quelques chapelles dont les fenêtres sont décorées de superbes verrières.
A Cologne, l’influence française est non moins certaine, car la cathédrale est certainement une fille de celle d’Amiens; l’opinion d’un auteur allemand présente dans ce cas un intérêt particulier.
«La fameuse cathédrale de Cologne, chef-d’œuvre
des écoles allemandes, procède directement de la tradition française; son chœur n’est qu’une répétition de celui de la cathédrale d’Amiens; il fut dédié en 1322. Dès lors on travailla sans relâche à l’achèvement du transsept et de la nef; celle-ci mesure 13 mètres en largeur et 42 en hauteur; la longueur totale atteint 151 mètres. Les deux tours de la façade ont été achevées de nos jours, d’après les dessins originaux de l’époque, dit-on. L’effet général, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, n’est certes pas comparable à celui des belles cathédrales françaises; mais le style en est riche et pur, et touche à la perfection dans l’exécution du détail[18].»
Dans les pays scandinaves, l’art français, qui s’était manifesté à Ripen, dans le Jutland, pendant la période dite romane, nous montre un nouvel exemple de son expansion, par un monument considérable élevé en Suède vers la fin du XIIIᵉ siècle. La cathédrale d’Upsal présente cette particularité qu’elle a été créée et commencée par un architecte français, Estienne de Bonneuil, autorisé par ordonnance royale du 30 août 1287 à se rendre à Upsal pour construire la cathédrale[19].
En Espagne, l’architecture dite gothique a marqué ses principales qualités dans les églises et les cathédrales qu’elle y a élevées à l’exemple des édifices français, pendant le XIIIᵉ siècle, par la grande église à cinq nefs de Tolède, à Badajoz et dans la façade de Saint-Marc à Séville. L’influence française s’est également manifestée pendant le cours des XIVᵉ siècle et suivants, entre autres édifices, dans les cathédrales de Léon, de Palencia, d’Oviedo, de Pampelune, de Valence et de Barcelone, fondée à la fin du XIIIᵉ siècle et continuée au
XIVᵉ; ainsi que dans les églises de Torquemado, de Bilbao, la collégiale de Bellaguer et les abbayes de Monresa et de Guadelupe, construites en partie au XIVᵉ siècle.
La cathédrale de Burgos, commencée dans la première moitié du XIIIᵉ siècle, est une de celles qui rappelle le plus visiblement les édifices français des XIIIᵉ et XIVᵉ siècles par le plan et le mode de construction des arcs-boutants et des fenêtres aussi bien que par la décoration sculpturale des porches. La façade, dont la base paraît être du XIVᵉ siècle, est couronnée par des flèches ajourées achevées un siècle plus tard. Ce curieux édifice montre, en même temps que certaines parties décoratives traitées selon le mode italien, les caractères très particuliers de l’architecture espagnole, avec ses détails extrêmement brillants, d’origines diverses, qui s’expliquent par la force et la persistance des traditions arabes et surtout mauresques.
En Italie, d’innombrables églises s’élevèrent pendant la période dite gothique, principalement vers la fin et sans parler des cathédrales célèbres de Milan et de Florence, ni de Saint-Antoine, ni du Dôme de Padoue, etc., et parmi celles qui semblent s’éloigner des traditions antiques et lombardes pour se rapprocher des idées françaises, la cathédrale ou dôme de Sienne paraît devoir être signalée pour le caractère des détails de sa façade décorative qui rappellent l’architecture en honneur en France pendant les XIIIᵉ et XIVᵉ siècles. Il en est de même pour la cathédrale ou dôme d’Orvieto.
Suivant quelques archéologues, les dômes de Sienne et d’Orvieto procèdent de l’église de Saint-François, à Assise, qui n’en est pas éloignée. Or il paraît certain
que l’église de Saint-François à Assise est d’origine française. Fondée en 1228 pour recevoir les restes de saint François, mort en 1226, il est possible que
l’église basse ait été achevée pendant le XIIIᵉ siècle, mais non par un Allemand dans la première moitié de ce siècle, car à cette époque l’architecture dite gothique, à l’état embryonnaire en Allemagne, brillait dans tout son éclat en France. L’église haute paraît être d’un siècle plus jeune, et ce qui peut établir sa filiation française,
c’est son système de construction qui a tous les caractères particuliers de celui en usage à la fin du XIIIᵉ siècle et dans les premières années du XIVᵉ dans le midi de la France, dont l’église d’Albi est le type parfait[20]. La nef unique, ses contreforts avec leurs saillies intérieures et leurs formes extérieures—en demi-tourelles—ajoutent encore à la ressemblance de l’église italienne d’Assise avec l’église albigeoise française.
CHAPITRE IX
ÉGLISES DES XIVᵉ ET XVᵉ SIÈCLES EN FRANCE ET EN ORIENT.
«Le XIIIᵉ siècle avait tant produit, en fait d’architecture religieuse, qu’il laissait peu à faire aux siècles suivants. Les guerres, qui bouleversèrent la France pendant les XIVᵉ et XVᵉ siècles n’auraient plus permis d’entreprendre des édifices d’une importance égale à celle de nos grandes cathédrales, en admettant qu’elles n’eussent pas été toutes élevées avant ces époques désastreuses. Les édifices religieux complètement bâtis pendant le XIVᵉ siècle sont rares, plus rares encore pendant le siècle suivant. On se contentait alors de terminer les églises inachevées, ou de modifier les dispositions primitives des églises des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, ou de les restaurer et de les agrandir. C’est à la fin du XVᵉ siècle et au commencement du XVIᵉ, alors que la France commence à ressaisir sa puissance, qu’un nouvel élan est donné à l’architecture religieuse; mais la tradition
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