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L'imitation de Jésus-Christ: Traduction nouvelle avec des réflexions à la fin de chaque chapitre

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[519] Luc., II, 14.

[520] Ps. XVI, 15.

CHAPITRE LVI.
Que nous devons nous renoncer nous-mêmes, et imiter Jésus-Christ en portant la Croix.

1. J.-C. Mon Fils, vous n'entrerez en moi, qu'autant que vous sortirez de vous-même.

Comme on possède en soi la paix, lorsqu'on ne désire rien au dehors, ainsi le renoncement intérieur unit à Dieu.

Je veux que vous appreniez à vous renoncer assez parfaitement, pour vous soumettre à ma volonté sans répugnance et sans murmure.

Suivez-moi: Je suis la voie, la vérité et la vie521. Sans la voie on n'avance pas; sans la vérité on ne connaît pas; on ne vit point sans la vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vérité que vous devez croire, la vie que vous devez espérer.

[521] Joann., XIV, 6.

Je suis la voie qui n'égare point, la vérité qui ne trompe point, la vie qui ne finira jamais.

Je suis la voie droite, la vérité souveraine, la véritable vie, la vie bienheureuse, la vie incréée.

Si vous demeurez dans ma voie, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera, et vous obtiendrez la vie éternelle522.

[522] Joann., viii, 32.

2. Si vous voulez parvenir à la vie, gardez mes commandements523.

[523] Matth., XIX, 17.

Si vous voulez connaître la vérité, croyez-moi.

Si vous voulez être parfait, vendez tout524.

[524] Ibid., 21.

Si vous voulez être mon disciple, renoncez-vous vous-même525.

[525] Luc., IX 23.

Si vous voulez posséder la vie bienheureuse, méprisez la vie présente.

Si vous voulez être élevé dans le Ciel, humiliez-vous sur la terre.

Si vous voulez régner avec moi, portez la croix avec moi.

Car les serviteurs de la Croix trouvent seuls la voie de la béatitude et de la vraie lumière.

3. Le F. Seigneur Jésus, puisque votre vie était pauvre et que le monde la méprisait, donnez-moi de vous imiter, et d'être aussi méprisé du monde.

Car le serviteur n'est pas plus grand que celui qu'il sert, ni le disciple au-dessus de son maître526.

[526] Matth., X, 24.

Que votre serviteur travaille à se former sur votre vie, parce que là est mon salut, et la vraie sainteté.

Tout ce que je lis, tout ce que j'entends, hors cette vie céleste, ne me console ni ne me satisfait pleinement.

4. Mon Fils, puisque vous avez lu et que vous savez toutes ces choses, vous serez heureux si vous les pratiquez527.

[527] Joann., XIII, 17.

Celui-là m'aime, qui connaît et qui observe mes commandements; et je l'aimerai aussi, et je me manifesterai à lui, et je le ferai asseoir avec moi dans le royaume de mon Père528.

[528] Ibid., XIV, 24.

5. Le F. Seigneur Jésus, qu'il soit fait selon votre parole et votre promesse: rendez-moi digne de ce bonheur immense.

J'ai reçu, j'ai reçu de votre main la croix: je la porterai, oui, je la porterai, comme vous l'avez voulu, jusqu'à la mort.

Certes, la vie d'un bon religieux est une croix, mais une croix qui conduit à la gloire.

J'ai commencé; il n'est plus permis de retourner en arrière; il n'y a plus à s'arrêter.

6. Allons, mes frères, marchons ensemble: Jésus sera avec nous.

Pour Jésus, nous nous sommes chargés de la croix; continuons, pour Jésus, de porter la croix.

Il sera notre soutien, celui qui est notre chef et notre guide.

Voilà que notre roi marche devant nous; il combattra pour nous.

Suivons avec courage; que rien ne nous effraie; soyons prêts à mourir généreusement dans cette guerre, et ne souillons pas notre gloire529 de la honte d'avoir fui la Croix.

[529] I. Mac., IX, 10.

RÉFLEXION.

Il est étrange qu'il faille sans cesse redire à l'homme: Pense à ton âme, le temps fuit, l'éternité s'avance; demain, aujourd'hui peut-être elle aura commencé pour toi: et cependant il est vrai que si on ne lui rappelait à chaque heure cette vérité formidable, à chaque heure il l'oublierait, tant est puissante la fascination du monde sur cette créature tombée. Réveillez-vous, sortez de votre sommeil, ne différez pas davantage le soin de l'unique chose nécessaire530; hâtez-vous de mettre la main à l'œuvre, tandis que le jour luit encore; la nuit vient pendant laquelle nul ne peut travailler531: nuit terrible, nuit désolante, nuit qui n'aura jamais d'aurore! Quittez, quittez, sans perdre un instant, la voie large de la perdition, pour entrer dans la voie étroite de la vie532. Combattez avec courage les penchants de la nature inclinés au mal, renoncez à vous-même, et portez votre croix: dans la Croix est la force, l'espérance, le salut. Heureux donc celui qui ne sait, comme l'Apôtre, que Jésus, et Jésus crucifié533! il entendra, au dernier jour, cette parole d'éternelle joie: Venez, le béni de mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde534. Mais les contempteurs de la Croix, mais ceux qui se seront recherchés eux-mêmes, un autre sort leur est réservé: Dieu a dans sa main une coupe pleine d'un vin mélangé; il la verse ici et là, et la lie ne s'épuise point, et tous les pécheurs de la terre boiront535!

[530] Luc., X. 42.

[531] Joann., IX, 4.

[532] Matth., VII, 13, 14.

[533] I. Cor., II, 2.

[534] Matth., XXV, 34.

[535] Ps. LXXIV, 9.

CHAPITRE LVII.
Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand on tombe en quelques fautes.

1. J.-C. Mon fils, la patience et l'humilité dans les traverses me plaisent plus que beaucoup de joie et de ferveur dans la prospérité.

Pourquoi vous attrister d'une faute légère qu'on vous attribue? fût-elle plus grave, vous ne devriez pas en être ému.

Laissez donc tomber cela; ce n'est pas une chose nouvelle, ni la première fois que vous l'éprouvez, et ce ne sera pas la dernière, si vous vivez longtemps.

Vous avez assez de courage quand il ne vous arrive rien de fâcheux.

Vous savez même conseiller bien les autres, et les fortifier par vos discours; mais lorsqu'il vous survient une affliction soudaine, vous manquez de conseil et de force.

Considérez votre extrême fragilité, dont vous avez si souvent l'expérience dans les plus petites choses: et toutefois Dieu le permet ainsi pour votre salut.

2. Bannissez de votre cœur, autant que vous le pourrez, tout ce qui le trouble. A-t-il été surpris, qu'il ne se laisse point abattre, mais qu'il se dégage sur-le-champ.

Souffrez au moins avec patience, si vous ne pouvez souffrir avec joie.

Lorsque vous êtes peiné d'entendre certaines choses, et que vous en ressentez de l'indignation, modérez-vous, et veillez à ce qu'il ne vous échappe aucune parole trop vive qui scandalise les faibles.

Votre émotion s'apaisera bientôt, et le retour de la grâce adoucira l'amertume intérieure.

Je suis toujours vivant, dit le Seigneur, pour vous secourir et vous consoler plus que jamais, si vous mettez en moi votre confiance, et si vous m'invoquez avec ferveur.

3. Armez-vous de constance, et préparez-vous à souffrir encore davantage.

Tout n'est pas perdu, quoique souvent vous soyez dans le trouble et tenté violemment.

Vous êtes un homme, et non pas un Dieu; vous êtes de chair, et non pas un ange.

Comment pourriez-vous toujours vous maintenir dans un égal degré de vertu, lorsque cette persévérance a manqué à l'Ange dans le ciel, et au premier homme dans le paradis?

C'est moi qui soutiens et qui délivre ceux qui gémissent; et j'élève jusqu'à moi ceux qui reconnaissent leur infirmité.

4. Le F. Seigneur, que votre parole soit bénie; elle m'est plus douce que le miel à ma bouche536.

[536] Ps. XVIII, 10.

Que ferais-je au milieu de tant d'afflictions et d'angoisses, si vous ne me ranimiez par vos saintes paroles?

Pourvu que je parvienne enfin au port du salut, que m'importe que je souffre, et combien je souffre?

Accordez-moi une bonne fin; donnez-moi de passer heureusement de ce monde à l'autre.

Souvenez-vous de moi, mon Dieu, et conduisez-moi dans la voie droite vers votre royaume. Ainsi soit-il.

RÉFLEXION.

Ce n'est pas assez d'être patient avec les autres, il faut l'être encore avec soi-même. Ce je ne sais quoi d'aigre et de violent que nous ressentons en nous après avoir commis quelque faute, vient plutôt de l'orgueil humilié, que d'un repentir selon Dieu. L'homme humble qui connaît sa faiblesse, ne s'étonne point de tomber; il gémit de sa chute, en implore le pardon, et se relève tranquille, pour combattre avec un courage nouveau. Faillir est un mal sans doute, mais se troubler n'est qu'un mal de plus. Le trouble a sa source ou dans une sorte de dépit superbe de se trouver si infirme, ou dans le défaut de confiance en celui qui guérit notre infirmité537. Veillez et priez, afin que vous n'entriez point en tentation538; et si, la tentation survenant, il arrive que vous succombiez, veillez et priez davantage encore: mais ne perdez jamais la paix, car notre Dieu est le Dieu de la paix539, et c'est dans la paix qu'il nous appelle540. Que la grâce, la miséricorde et la paix de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ541, soient donc avec nous toujours et qu'elles nous conduisent, à travers les épreuves du temps, aux joies de l'éternité.

[537] Ps. CII, 3.

[538] Matth., XXVI, 41.

[539] I. Cor., XIV, 33.

[540] Ibid., VII, 15.

[541] I. Tim., I, 2.

CHAPITRE LVIII.
Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est au-dessus de nous, ni sonder les secrets jugements de Dieu.

1. J.-C. Mon fils, gardez-vous de disputer sur des sujets trop hauts, et sur les jugements cachés de Dieu: pourquoi l'un est abandonné, tandis qu'un autre reçoit des grâces si abondantes; pourquoi celui-ci n'a que des afflictions, et celui-là est comblé d'honneurs.

Tout cela est au-dessus de l'esprit de l'homme, et nulle raison ne peut, quels que soient ses efforts, pénétrer les jugements divins.

Quand donc l'ennemi vous suggère de semblables pensées, ou que les hommes vous pressent de questions curieuses, répondez par ces paroles du Prophète: Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont droits542.

[542] Ps. CXIII, 137.

2. Et encore: Les jugements du Seigneur sont vrais et se justifient par eux-mêmes543.

Il faut craindre mes jugements, et non les approfondir, parce qu'ils sont incompréhensibles à l'intelligence humaine.

[543] Ps. XVIII, 9.

Ne disputez pas non plus des mérites des Saints, ne recherchez point si celui-ci est plus saint que cet autre, ni quel est le plus grand dans le royaume des cieux.

Ces recherches produisent souvent des différends et des contestations inutiles; elles nourrissent l'orgueil et la vaine gloire, d'où naissent des jalousies et des dissensions; celui-ci préférant tel Saint, celui-là tel autre, et voulant qu'il soit le plus élevé.

L'examen de pareilles questions, loin d'apporter aucun fruit, déplaît aux Saints. Car je ne suis point un Dieu de dissension, mais de paix544; et cette paix consiste plus à s'humilier sincèrement qu'à s'élever.

[544] I. Cor., XIV, 33.

3. Quelques-uns ont un zèle plus ardent, une affection plus vive pour quelques Saints que pour d'autres; mais cette affection vient plutôt de l'homme que de Dieu.

C'est moi qui ai fait tous les Saints, moi qui leur ai donné la grâce, moi qui leur ai distribué la gloire.

Je sais les mérites de chacun: Je les ai prévenus de mes plus douces bénédictions545.

[545] Ps. XX, 3.

Je les ai connus et aimés avant tous les siècles: je les ai choisis du milieu du monde546 et ce ne sont pas eux qui m'ont choisi les premiers.

[546] Joann., XV, 19

Je les ai appelés par ma grâce, je les ai attirés par ma miséricorde, et conduits à travers des tentations diverses.

J'ai répandu en eux d'ineffables consolations: je leur ai donné de persévérer, et j'ai couronné leur patience.

4. Je connais le premier et le dernier, et je les embrasse tous dans mon amour immense.

C'est moi qu'on doit louer dans tous mes Saints; moi qu'on doit bénir au-dessus de tout et honorer en chacun de ceux que j'ai ainsi élevés dans la gloire et prédestinés, sans aucuns mérites précédents de leur part.

Celui donc qui méprise le plus petit des miens, n'honore pas le plus grand, parce que j'ai fait le petit et le grand.

Et quiconque rabaisse quelqu'un de mes Saints, me rabaisse moi-même, et tous ceux qui sont dans le royaume des cieux.

Tous ne sont qu'un par le lien de la charité: ils n'ont tous qu'un même sentiment, une même volonté, et sont tous unis par le même amour.

5. Et ce qui est plus parfait encore, ils m'aiment plus qu'ils ne s'aiment, plus que tous leurs mérites.

Ravis au-dessus d'eux-mêmes, au-dessus de leur propre amour, ils se plongent et se perdent dans le mien, et s'y reposent délicieusement.

Rien ne saurait partager leur cœur, ni le détourner vers un autre objet; parce que, remplis de la vérité éternelle, ils brûlent d'une charité qui ne peut s'éteindre.

Que les hommes ensevelis dans la chair et ses convoitises, les hommes qui ne savent aimer que les joies exclusives, cessent donc de discourir sur l'état des Saints. Ils retranchent et ils ajoutent, suivant leur inclination, et non pas selon que l'a réglé la vérité éternelle.

6. En plusieurs, c'est ignorance, et surtout en ceux qui, peu éclairés de la lumière divine, aiment rarement quelqu'un d'un amour parfait et purement spirituel.

Une inclination naturelle et une affection tout humaine les attire vers tel ou tel Saint; et ils transportent dans le ciel les sentiments de la terre.

Mais il y a une distance infinie entre les pensées des hommes imparfaits et ce que la lumière d'en haut découvre à ceux qu'elle éclaire.

7. Gardez-vous donc, mon fils, de raisonner curieusement sur ces choses qui passent votre intelligence: travaillez plutôt avec ardeur à obtenir une place, fût-ce la dernière, dans le royaume de Dieu.

Et quand quelqu'un saurait qui des Saints est le plus parfait et le plus grand dans le royaume céleste, que lui servirait cette connaissance, s'il n'en tirait un nouveau motif de s'humilier devant moi, et de me louer davantage?

Celui qui pense à la grandeur de ses péchés, à son peu de vertu, qui considère combien il est éloigné de la perfection des Saints, se rend plus agréable à Dieu, que celui qui dispute sur le degré plus ou moins élevé de leur gloire.

Il vaut mieux prier les Saints avec larmes et avec ferveur, et implorer humblement leurs glorieux suffrages, que de chercher vainement à pénétrer le secret de leur état dans le ciel.

8. Ils sont heureux, contents: qu'avons-nous besoin d'en savoir plus, et n'est-ce pas assez pour réprimer tous nos vains discours?

Ils ne se glorifient point de leurs mérites, parce qu'ils ne s'attribuent rien de bon, mais qu'ils attribuent tout à moi, qui leur ai tout donné par une charité infinie.

Ils sont remplis d'un si grand amour de la Divinité, d'une joie si surabondante, que comme il ne manque rien à leur gloire, rien ne peut manquer à leur félicité.

Plus ils sont élevés dans la gloire, plus ils sont humbles en eux-mêmes: et leur humilité me les rend plus chers, et les unit plus étroitement à moi.

C'est pourquoi il est écrit: Qu'ils déposaient leurs couronnes au pied du trône de Dieu, qu'ils se prosternaient devant l'Agneau, et qu'ils adoraient celui qui vit dans les siècles des siècles547.

[547] Apoc., IV, 10; V, 14.

9. Plusieurs recherchent qui est le premier dans le royaume de Dieu548; lesquels ignorent s'ils seront dignes d'être comptés parmi les derniers.

[548] Matth., XVIII, 1.

C'est quelque chose de grand, d'être le plus petit dans le ciel, où tous sont grands: parce que tous seront appelés et seront en effet les enfants de Dieu.

Le moindre des élus sera comme le chef d'un peuple nombreux, tandis que le pécheur, après une longue vie, ne trouvera que la mort549.

[549] Is., LX, 22; LXV, 20.

Ainsi, quand mes disciples demandèrent qui serait le plus grand dans le royaume des cieux, ils entendirent cette réponse:

Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Celui donc qui se fera petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des cieux550.

[550] Matth., XVIII, 4.

Malheur à ceux qui dédaignent de s'abaisser avec les petits, parce que la porte du ciel est basse, et qu'ils n'y pourront passer.

Malheur aussi aux riches qui ont ici leur consolation551, parce que, quand les pauvres entreront dans le royaume de Dieu, ils demeureront dehors poussant des hurlements.

[551] Luc., VI, 24.

Humbles, réjouissez-vous; pauvres, tressaillez d'allégresse, parce que le royaume de Dieu est à vous552, si cependant vous marchez dans la vérité.

[552] Ibid., 20.

RÉFLEXION.

C'est une grande misère que le penchant qu'ont les hommes à s'inquiéter de mille vaines questions, tandis qu'à peine songent-ils aux vérités les plus importantes. Ils veulent tout savoir, excepté la seule chose indispensable. Leur orgueil se complaît dans des spéculations presque toujours dangereuses, ou au moins stériles pour le salut. En s'efforçant de pénétrer des mystères impénétrables, ils s'égarent dans leurs pensées, et ne saisissent que l'erreur, au moment même où ils croient ravir à Dieu son secret. Voilà le fruit des travaux dont ils se consument sous le soleil. Ah! qu'il y a de profondeur et de véritable science de l'homme, dons ce conseil du Sage: Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous, et ne scrutez point ce qui est plus fort que vous; mais pensez sans cesse à ce que Dieu vous prescrit, et gardez-vous de sonder curieusement toutes ses œuvres: car il ne vous est pas nécessaire de voir de vos yeux ce qui est caché553. Songeons à nous-mêmes, à nos devoirs, au compte rigoureux qu'il nous faudra rendre de nos œuvres et de nos paroles. Il y a bien là de quoi nous occuper et remplir tout notre temps: il ne nous est donné que pour cela.

[553] Eccles., III, 22, 23.

CHAPITRE LIX.
Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa confiance en Dieu seul.

1. Le F. Seigneur, quelle est ma confiance en cette vie, et ma plus grande consolation au milieu de tout ce qui s'offre à mes regards sous le ciel?

N'est-ce pas vous, Seigneur mon Dieu, dont la miséricorde est infinie?

Où ai-je été bien sans vous? et avec vous, où ai-je pu être mal?

J'aime mieux être pauvre à cause de vous, que riche sans vous.

J'aime mieux être avec vous voyageur sur la terre, que de posséder le ciel sans vous. Où vous êtes, là est le ciel; et la mort et l'enfer sont où vous n'êtes pas.

Vous êtes tout mon désir: et c'est pourquoi je ne puis, loin de vous, que soupirer, gémir, prier.

Je ne puis me confier pleinement qu'en vous, ni espérer dans mes besoins de secours que de vous seul, ô mon Dieu!

Vous êtes mon espérance, ma confiance, mon consolateur toujours fidèle.

2. Tous cherchent leur intérêt554; vous seul vous ne cherchez que mon salut et mon avancement, et vous disposez tout pour mon bien.

[554] Philipp, II, 21.

Même quand vous m'exposez à beaucoup de tentations et de peines, c'est encore pour mon avantage; car vous avez coutume d'éprouver ainsi ceux qui vous sont chers.

Et je ne dois pas moins vous aimer ni vous louer dans ces épreuves, que si vous me remplissiez des plus douces consolations.

3. C'est donc en vous, Seigneur mon Dieu, que je mets toute mon espérance et tout mon appui; c'est dans votre sein que je dépose toutes mes afflictions et toutes mes angoisses; car je ne trouve que faiblesse et inconstance dans tout ce que je vois hors de vous.

Il n'est point d'amis qui puissent me servir, point de protecteurs qui me soient de secours, ni de sages qui me donnent un conseil utile, ni de livre qui me console, ni de trésor assez grand pour me racheter, ni de lieu assez secret pour m'offrir un sûr asile, si vous ne daignez vous-même me secourir, m'aider, me fortifier, me consoler, m'instruire et me prendre sous votre garde.

4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur, n'est rien sans vous, et réellement ne sert de rien pour rendre heureux.

Vous êtes donc le principe et le terme de tous les biens, la plénitude de la vie, la source inépuisable de toute lumière et de toute parole; et la plus grande consolation de vos serviteurs est d'espérer uniquement en vous.

Mes yeux sont élevés vers vous; en vous je mets toute ma confiance, mon Dieu, père des miséricordes.

Sanctifiez mon âme, bénissez-la de votre céleste bénédiction, afin qu'elle devienne votre demeure sainte, le siége de votre éternelle gloire, et que, dans ce temple où vous ne dédaignez pas d'habiter, il n'y ait rien qui offense vos regards.

Regardez-moi, Seigneur, dans votre immense bonté; et, selon l'abondance de vos miséricordes555, exaucez la prière de votre serviteur misérable, exilé loin de vous dans la région des ténèbres et de la mort.

[555] Ps. LXVIII, 16, 17.

Protégez et conservez l'âme de votre pauvre serviteur au milieu des dangers de cette vie corruptible; que votre grâce l'accompagne et le conduise par le chemin de la paix, dans la patrie de l'éternelle lumière. Ainsi soit-il.

RÉFLEXION.

Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir à cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection: Dieu seul. «Considérez, disait un humble religieux de saint François, des mille millions de créatures plus parfaites que celles qui sont à présent, tant dans les voies de la nature que dans les voies de la grâce. Réitérez à l'infini votre multiplication, et comparez ensuite ces créatures si parfaites au grand Dieu des éternités; dans cette vue, elles deviennent à rien. Je prenais, ajoutait-il, un grand plaisir dans cette multiplication; et de voir qu'en même temps que l'Être de Dieu paraissait, ces créatures qui se montraient si excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d'une rapidité incroyable dans leur centre qui est le néant. Et voyant que le grand Dieu était en moi, et plus en moi que je n'y étais moi-même, j'en ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment il était possible d'avoir Dieu en soi et partout au dehors de soi, et de s'occuper des créatures. J'étais ravi qu'il fût seul éternel, seul immuable, seul infini, et je vous dis en vérité, qu'en disant: En mon Dieu tout est Dieu, ma volonté était touchée d'un si grand et si ardent amour, qu'il me semblait que tout l'être créé disparaissait devant moi, et qu'à jamais je ne serais plus occupé que de Dieu seul. Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon cœur à la vue de ses immenses perfections: mais voyant ses grandeurs incompréhensibles, et d'autre part mon néant avec toutes les misères qui l'accompagnent, j'allais de l'infini à l'infini, et je me trouvais incapable, de l'infini à l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me faisait souffrir inénarrablement; car plus je me trouvais impuissant à l'aimer d'un amour réciproque, plus un secret amour me dévorait intérieurement. Alors j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse, comme navré et enivré d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais: et, chose étrange, dans ce travail de l'âme, ces saillies de l'infini en perfection à l'infini de ma bassesse, m'étaient autant de feux d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs556

[556] L'homme intérieur, ou la Vie du vénérable père Jean-Chysostome, religieux pénitent du tiers-ordre de Saint François; pag. 158, 175, 176.

FIN DU TROISIÈME LIVRE.

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