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L'infâme

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VI

La mort du beau marquis de la Ferrade émut vivement les divers mondes où il était connu. Elle fut annoncée, démentie et controversée huit jours durant par les petits journaux qui broutent la vie privée, n'osant mordre à la politique. Les grands journaux, qui commençaient dès lors à faire concurrence aux petits, publièrent la nouvelle à mots couverts et sous les réserves d'usage. Les salons, les clubs, les cafés, les foyers de théâtre et les boudoirs de ces demoiselles retentirent du même bruit : tout Paris fut unanime à regretter la victime et à maudire le meurtrier. Gautripon devint plus infâme en une semaine qu'il ne l'avait été en plusieurs années : l'opinion s'acharna sur lui comme sur un absent ; c'est tout dire. On pardonne volontiers aux morts, mais le vivant qui peut revenir, qui est armé pour la défense et qui a fait ses preuves, est l'objet d'un courage universel dès qu'on le sait moralement hors de portée. Le mélange de valeur et de prudence qui bouillonne toujours au fond des âmes vulgaires s'épanche à flots dans ces occasions : il est doux de braver, à travers une frontière ou deux, un homme dangereux par lui-même, mais qui n'est pas immédiatement à craindre. L'effervescence se propagea de haut en bas ; les gamins du macadam et les vauriens de tout âge furent bientôt de la partie. Ce malheureux hôtel des Champs-Élysées se couvrit d'inscriptions immondes et devint comme un supplément lapidaire du catéchisme poissard. On brisa les deux becs de gaz qui surmontaient la porte cochère ; on arracha le bouton de sonnette et la plaque de cuivre argenté qui fermait la boîte aux journaux. Dieu sait ce qui tomba le lendemain dans cette boîte innocente! La conscience publique était non-seulement soulevée, mais dilatée. Sans doute on se croyait tout permis contre le spadassin Gautripon, car deux ou trois champions anonymes de la vertu profitèrent d'une nuit sans lune pour le punir dans sa toiture, qu'ils taxèrent à 600 kilogrammes de plomb.

Au bout de quinze jours, quand tout ce bruit commençait à s'éteindre, un magistrat l'entendit. La Justice porte un bandeau sur les yeux dans les grandes cérémonies, mais cette spirituelle divinité sait le rabattre à propos sur ses oreilles. Un beau juge d'instruction, jeune, élégant, bien né, sans odeur de basoche, fort avant, disait-on, dans les bonnes grâces de la comtesse Mahler, fit assigner le sieur d'Entrelacs à comparaître en personne dans son cabinet, le mardi 13 février, à deux heures de relevée, pour déposer des faits dont il avait connaissance.

Le pauvre baron d'Entrelacs n'était plus l'homme le mieux conservé de Paris ; vous n'auriez jamais dit, à le voir, qu'il venait d'hériter de 80,000 francs de rente ; je crois même qu'il eût mieux supporté l'accident inverse et paru moins décomposé, si Lysis, son cher Lysis avait hérité de lui. Depuis deux mortelles semaines, il pleurait jour et nuit ; le général Puchinete et le vieux Sinalis, agent de change honoraire, le veillaient comme un malade et le berçaient comme un enfant. Quelques autres amis moins intimes défilaient mélancoliquement dans sa chambre ou dans son salon, suivant l'heure, mais n'essayaient pas même de le consoler. Quels raisonnements peut-on faire à un homme qui ne tient plus à rien? Il était vieux garçon et parfait égoïste, sauf quatre ou cinq habitudes cordiales et cette grande affection qui lui manquait tout à coup ; M. de la Ferrade avait été pour lui, pendant près de vingt ans, un jeune frère, un fils, un autre lui-même, que sais-je? Cet orphelin, né de sa sœur, semblait le faire revivre et lui recommencer sa jeunesse : il se mirait et s'admirait dans la beauté, dans le courage et jusque dans les folies du cher enfant. Le plus inutile des hommes s'acclimate à son néant, lorsqu'il se voit renaître dans un fils ; il dit : Celui-ci fera dans le monde tout ce que j'y aurais dû faire. Lysis était vraiment le fils adoptif du baron. La famille d'Entrelacs se continuait avec orgueil dans ce rejeton, plus jeune et plus antique à la fois. On voit un la Ferrade à Roncevaux, dans la Chanson de Roland,

Bon escuier, Ginain de la Ferrade,

tandis que la maison d'Entrelacs n'est connue qu'à Bourbon, et ses premières preuves datent de 1660, dix-huit ans après la conquête. Le baron dit à Puchinete, la première fois qu'il le vit :

« Ah! mon cher général, je meurs deux fois d'un seul coup d'épée, comme homme et comme gentilhomme! »

Il ne buvait plus, ne mangeait plus, fumait machinalement toute la journée, et suivait d'un œil morne l'interminable piquet à vingt sous le point de ses deux garde-malades. Il fallut, pour l'intéresser, des incidents de force majeure, l'embaumement de son neveu, qu'il avait rapporté chez lui, l'emballage de mille riens que le nègre de Lysis déménageait petit à petit, et que l'oncle empilait dans des caisses de camphrier comme autant de reliques. Ces lugubres distractions achevaient de l'user ; on le voyait maigrir, ses yeux nageaient dans deux masses molles et pendantes qui semblaient vouloir se détacher de la face. Le général Puchinete lui disait :

« Pobrecito, si vous ne partez pas au plus vite, vous finirez par pleurer vos yeux. L'air de Paris vous tue à petit feu ; vous respirez ici le poison du souvenir. »

Au reçu de l'assignation, M. d'Entrelacs leva les épaules, froissa le papier et le jeta dans la chambre en s'écriant :

« Qu'ils aillent tous au diable! Est-ce que j'ai des comptes à leur rendre? »

Ses amis lui prouvèrent qu'une assignation ne se refuse pas comme un déjeuner en ville ; mais, s'il consentit enfin à se faire conduire au palais, il n'entendit raison qu'à demi. Il arriva fort animé dans le cabinet du juge d'instruction, M. de Villé, qu'il connaissait presque intimement.

« Eh! que diable mon cher! puisque vous savez le malheur qui me frappe, vous auriez fait preuve de bon goût en me laissant pleurer dans mon coin.

— Asseyez-vous, monsieur, répondit le jeune magistrat. » Cette phrase fut accompagnée d'un coup d'œil à deux tranchants qui désignait à la fois une chaise de paille et la figure du greffier, personnage muet, que le baron n'avait pas aperçu.

M. d'Entrelacs prit la chaise et regarda M. de Villé. Il n'y avait peut-être pas un mois que ces deux hommes s'étaient trouvés ensemble, après dîner, le cigare à la bouche, la tasse en main, dans le fumoir de quelque ami commun. Et pourtant ils se reconnaissaient à grand'peine, tant la douleur avait altéré les traits du baron, tant le masque professionnel cachait bien le visage joyeux, pétulant et narquois du jeune homme.

« Monsieur, reprit M. de Villé d'une voix grave, la justice comprend tout ce qu'il y a de douloureux dans l'évocation de certains souvenirs ; mais l'intérêt social parle plus haut que la nature elle-même, et vous avez le sens trop net pour ignorer ce que nous devons l'un et l'autre à la loi.

— La loi? la loi? c'est juste. Eh bien! qu'est-ce qu'il y a pour son service?

— Vous pouvez, vous devez renseigner la justice sur le fait déplorable dont il s'agit.

— Je m'y refuse formellement, monsieur. Renseigner, c'est dénoncer ; je suis trop vieux et surtout trop près de ma fin pour apprendre ce métier-là.

— Il y a plus d'honneur que de honte à s'accuser soi-même.

— Et de quoi m'accuserais-je donc, jour de Dieu?

— Mais d'avoir, avec connaissance de cause, aidé et assisté l'auteur de l'action dans les faits qui l'ont préparée, facilitée et consommée, ce qui entraîne la complicité et vous rend passible des mêmes peines que l'auteur principal du meurtre, aux termes des articles 59, 60, 61 et 62 du code pénal.

— Moi! complice du meurtre de Lysis! Tenez, monsieur, votre code pénal me ferait presque rire, si le rire était encore dans mes moyens.

— Calmez-vous! je sais, je comprends. Le ministère public, s'il est forcé de vous mettre en cause, fera la part des circonstances. Enfin il y a un coupable, et vous le connaissez… comme nous.

— Coupable? non. De quoi? d'avoir cherché la réparation d'une injure que ni vous ni moi n'aurions… L'auriez-vous supportée, monsieur de Villé?

— Je ne suis pas ici pour répondre ; mais en principe on ne doit jamais se faire justice à soi-même. Il y a des tribunaux, monsieur.

— Si Gautripon était venu se plaindre de l'affront qu'il avait reçu, quelle satisfaction vos tribunaux lui auraient-ils accordée?

— Je ne sais trop : il n'y avait ni coups, ni blessures, ni injures publiques, ni diffamation proprement dite ; mais l'appréciation des juges est toujours libre, et…

— Et le mari de Mme Gautripon aurait peut-être obtenu, par faveur spéciale, cinq cents francs de dommages-intérêts? Eh bien! monsieur, voilà ce qui force les offensés à se faire justice eux-mêmes : la loi est impuissante à garantir ou à venger l'honneur. Et quand le duel amène une calamité comme celle qui me brise le cœur, la justice est réduite à se croiser les bras. Elle déplore le mal sans le punir, parce que la loi l'a prévu sans le prévenir.

— Je vous assure, monsieur, que le meurtrier de M. de la Ferrade sera puni.

— Par qui? Par les jurés? Vous n'en trouverez pas un sur douze qui n'admette la légitimité du duel et de ses conséquences dans le cas dont il s'agit.

— Le jury a montré souvent une indulgence révoltante, mais il devient plus sévère que nous-mêmes en présence d'un homme taré.

— Gautripon vaut mieux que sa réputation. Mon pauvre enfant avait appris trop tard à le connaître ; il professait la plus haute estime pour lui… le dernier jour.

— En vérité, monsieur? c'est vous qui défendez votre ennemi contre la vindicte publique?

— Je ne veux pas être vengé. Je suis le plus malheureux des hommes, mais il m'est impossible d'accuser l'auteur de mon deuil.

— Tout s'est donc loyalement passé?

— Le plus loyalement du monde. Lysis avait résolu de ménager son adversaire, mais l'autre n'en savait rien.

— Par qui les armes ont-elles été fournies?

— Ah! pardon, monsieur ; je crois que nous tombons dans l'interrogatoire, et j'ai eu l'honneur de vous dire en entrant que je refusais de répondre. Il n'en sera ni plus ni moins, car le procès criminel que vous tentez d'instruire n'aura point lieu. Vous ne trouverez ni accusé, ni témoins, ni pièces de conviction, ni corps de délit. M. Gautripon a quitté la France ; les deux amis qui l'accompagnaient sont et seront toujours introuvables dans la cohue de Paris. Le colonel Chabot a pris un congé de semestre ; on assure qu'il court le désert avec une tribu de Touaregs. Quant à moi, je retourne bientôt à Bourbon, j'y porte les tristes restes de mon pauvre Lysis, et je vous défie de m'en empêcher, car avant d'être magistrat vous êtes homme de cœur et galant homme. »

Le juge d'instruction écouta la tirade sans sourciller et répondit d'un ton doctoral :

« Monsieur, je vois que vous manquez du calme nécessaire pour répondre pertinemment à la justice. Je vous donne vingt-quatre heures, et je vous conseille d'en profiter. Rentrez chez vous, réfléchissez ; demain, après midi, vous recevrez de mes nouvelles. Rappelez-vous que demain, si vous ne vous justifiez pas devant moi, je puis changer un simple mandat de comparution en mandat de dépôt ou d'arrêt, ne me mettez donc pas dans la nécessité de recourir à des mesures de rigueur contre un homme de votre rang et de votre caractère. Vous pouvez vous retirer. »

M. d'Entrelacs remarqua que le juge avait obligeamment souligné le mot demain ; il partit donc pour Londres le soir même : c'était bien ce que la justice espérait, et l'instruction finit là.

Cependant Gautripon n'avait pas quitté Paris. Émilie et Bréchot levèrent le camp en quelques heures ; ils emportèrent les enfants tout chauds du lit, et gagnèrent une ville où l'on ne risque rien que d'être plumé vif ; l'infâme refusa d'accompagner la famille à Hombourg. Il approuvait ce départ, car il prévoyait le scandale et les affronts qui suivirent, et il comprenait trop tard qu'en tuant M. de la Ferrade pour faire respecter sa maison, il était allé contre le but ; mais ni les raisonnements de son ami ni les larmes plus éloquentes des chers mignons n'obtinrent qu'il se fît le parasite de Bréchot. Ce ne fut pas sans peine qu'on l'empêcha de courir au premier poste de police et de se confesser à quelque sergent de ville. Le pauvre diable avait horreur de lui-même ; il tressaillait chaque fois que sa main gauche rencontrait dans le drap de sa redingote une place roidie par le sang. Cet homme qui durant quatre jours n'avait vécu que pour en tuer un autre, qui n'avait pensé qu'à cela, parlé que de cela, qui, trois ou quatre heures plus tôt, sur la route de Vincennes, avait froidement discuté les chances de l'opération, frémissait maintenant au souvenir de la chose accomplie. Il voyait l'abîme épouvantable qui sépare l'intention du fait, et s'effrayait de l'avoir franchi. Le bouleversement de son être était si profond que l'angoisse morale imposait silence au mal physique. Il sentait moins la douleur atroce de son bras que l'invisible fardeau de sa conscience. Si l'on était venu le chercher pour mourir, il aurait dit : Allons! avec l'idée que cela ne pouvait que lui faire du bien.

Bréchot le trouvait faible et lui disait :

« Grande poule mouillée, de quoi t'accuses-tu? Étais-tu l'agresseur? Non ; il faut même qu'on t'ait rudement secoué pour te faire sortir de ton caractère. As-tu abusé de ta force pour égorger un agneau sans défense? Non ; c'est toi qui étais l'agneau. As-tu triché au jeu des deux lames et pris la suite des affaires de M. de Jarnac? Non ; puisque l'infaillible Chabot lui-même a déclaré le coup régulier. Cela étant, tu n'as fait qu'exécuter la loi du point d'honneur, dans toute sa rigueur il est vrai, et sans accorder à ce monsieur les circonstances atténuantes, mais, honnêtement, bravement, au péril de ta vie et au grand dommage de ta peau. Relève-toi, Jean-Pierre, je t'absous.

— La loi m'absoudrait-elle?

— Oui, après t'avoir fait moisir jusqu'aux assises, ce qu'il importe d'éviter.

— Je désire éviter quelques mois de prison inutile, mais je ne peux pas me décider à fuir comme un coupable. Tout bien pesé, je vais continuer ma vie aussitôt que je serai guéri. Si la police me cherche sérieusement, elle me découvrira ; si elle aime autant me laisser tranquille, mon obscurité lui fait beau jeu. »

Le malheureux eut la force de se tenir sur pied, toute la nuit, d'assister au branle-bas tumultueux du départ, d'indiquer à Mme Gautripon la conduite la plus propre à sauver un restant de décorum ; il éveilla les enfants lui-même avec un ménagement quasi maternel. Enfin, n'en pouvant plus, il se traîna jusqu'à la rue de Ponthieu, gagna sa mansarde et tomba tout habillé sur son lit.

Monpain l'y trouva fort agité, brûlé de fièvre et criant la soif à dix heures du matin. L'honnête infirmier amenait un aide-major du Val-de-Grâce et un soldat de bonne volonté. Le pansement fut fait dans les règles, le troupier s'installa au chevet du blessé, et Monpain courut excuser M. Jean-Pierre dans les couvents où il était attendu ce jour-là. Élèves et maîtresses poussèrent de grands hélas en apprenant qu'il s'était cassé le bras droit dans son escalier ; on l'adjura unanimement de se soigner tout à loisir, et il reçut un assortiment de confitures qui lui rappela Metz et l'illustre boutique de Collignon. Rastoul avait conté la même fable au patron des Villes-de-Saxe et recueilli les mêmes témoignages de sympathie, confitures à part. Il vint, sa journée faite, apporter et chercher des nouvelles, relever le factionnaire et prendre position sur deux chaises pour la nuit. Le lendemain il envoya sa femme, une jeune ouvrière très-correcte et très-digne ; puis la portière de la maison se piqua d'honneur et vint réclamer le droit de soigner son plus ancien locataire : ces pauvres gens et quelques soldats recrutés par Monpain dans les convalescents du Val-de-Grâce se relayèrent pendant une quinzaine auprès de Gautripon.

Il guérit assez lentement : la fièvre ne le lâchait guère, et ses nuits étaient troublées de rêves affreux. C'est que le meurtre le plus légitime ne fait jamais un bon oreiller. A toute fin pourtant le major le trouva assez vaillant pour le mettre aux prises avec une côtelette ; on supprima le service de nuit ; tous les garde-malades s'éclipsèrent de peur d'être récompensés ou même remerciés de leurs peines. Rastoul seul apparaissait de temps à autre pour dire que tout allait bien là-bas : c'était à qui ferait la besogne de M. Jean-Pierre.

Un matin que le convalescent essayait de marcher sans se tenir aux meubles, il reçut la visite d'un camarade si ancien qu'il l'avait presque oublié. C'était M. Fusti, cet employé du ministère qui avait permuté jadis avec Gautripon. En sept ans, son aptitude, son assiduité, ses relations de famille et quelques circonstances favorables lui avaient procuré un avancement exceptionnel : il était commis principal de seconde classe, presque sûr de passer chef de bureau dans une douzaine d'années et d'obtenir la croix à l'âge de sa retraite.

Après les étonnements et les compliments préliminaires, M. Fusti s'approcha tout près de Gautripon et lui dit d'un ton confident :

« Mon cher, j'ai trouvé superflu de me jeter dans vos jambes quand vous teniez ou sembliez tenir le haut du pavé ; mais je me suis toujours considéré comme votre débiteur : c'est vous qui m'avez mis le pied dans l'étrier, il n'y a pas à dire. Maintenant j'apprends par mon oncle que vous vous êtes cassé le bras. N'ayez pas peur, je ne viens pas vous ouvrir ma bourse ni même surprendre vos secrets. Vous jugiez un peu sévèrement les camarades du bureau, parce que vous n'aviez pas eu l'occasion de nous connaître. Nous vous semblons légers, vous nous trouvez un peu commères : eh! mon Dieu, il faut tuer le temps ou qu'il nous tue ; mais si vous cherchiez bien, vous trouveriez au fond de nous quelque chose de solide et de pas trop mauvais. On parle à tort et à travers sur les affaires sans conséquence, et pourtant l'on sait garder un secret, lors même qu'il ne nous a pas été confié. On distribue des poignées de main à la légère, mais on ne se dérange qu'à bon escient pour dénicher un honnête homme dans la peine et lui dire : « Me voici, usez de moi. » Tout ce que je vous dis là n'est pas très-bien cousu, mais les morceaux en sont bons. J'ai pensé qu'après votre accident le médecin vous conseillerait peut-être un changement d'air ; c'est une mesure de prudence ou d'hygiène qui n'est jamais à négliger. Vilain climat, ce Paris! Eh bien! mon cher, si vous êtes de mon avis, j'arrangerai la chose avec mon oncle Dempoque ; il fait grand cas de vous, comme tous ceux qui ont été à même de vous connaître ou de vous deviner. Il commence à m'écouter depuis qu'il voit en moi la chrysalide d'un chef de bureau ; c'est lui qui me donnera mes premières lunettes d'or. N'avez-vous jamais eu la curiosité de voir une fabrique où l'on file, tisse et blanchit la marchandise qui se débite aux Villes-de-Saxe? C'est vraiment curieux, ma parole d'honneur. Nous avons, c'est-à-dire mon oncle possède à Lille le quart d'un superbe établissement de ce genre avec machines de trois cents chevaux et tout ce qui s'ensuit. Je suis sûr qu'un homme comme vous s'y rendrait très-utile. Quant aux appointements, ils seraient au prorata des services rendus. L'oncle est juste et bon ; la tante, qui est la propre sœur de mon père, est un cœur d'or, ni plus ni moins. S'ils vous casent dans la boutique, ils auront soin que vous ne travailliez pas pour le roi de Prusse ; papa Dempoque est plus écouté qu'un tonnerre dans les conseils d'administration. Voilà, mon ami, la bagatelle que j'éprouvais le besoin de vous glisser dans l'oreille. Si ma démarche est indiscrète, oubliez-la tout de suite, et prenez que je n'ai rien dit. »

Dès l'exorde de ce petit discours, Gautripon avait caché sa tête dans ses mains comme pour se recueillir. Lorsqu'il découvrit son visage et qu'il essaya de parler, la voix lui manqua ; mais la réponse coulait en grosses larmes sur ses joues. Il se remit insensiblement et dit enfin :

« Ah! que vous êtes bon, et que vous me consolez! Il y a des moments où je doute tant de moi que je voudrais pouvoir me tourner le dos à moi-même. Je me demande si je ne suis pas un être affreux, si les voyous n'ont pas cent fois raison de m'appeler l'infâme? Il vous passe de singulières idées par la tête, allez! lorsqu'on est seul et malheureux, et qu'on vient de tuer un homme! Mais non, je vois, je sens que je vaux encore quelque chose, puisque j'ai l'honneur d'inspirer des sentiments si généreux et des actions si délicates. Et dire que je vous avais oublié, mon cher Fusti, ou plutôt que je ne vous avais jamais connu!

— Allons! allons! voilà la fièvre qui vous reprend et que vous dites des bêtises. Il n'y a qu'un mot qui serve : le déménagement est décidé, et le jour où vous vous sentirez ferme sur vos ergots, je vous dirige sur Lille en Flandre.

— Laissez-moi votre adresse et celle de M. Dempoque.

— Pour quoi faire?

— Je voudrais causer avec lui et lui soumettre quelques idées sur la filature.

— Bon! Je l'aurais parié. Vous allez voir que ce gaillard-là payera son écot plus cher qu'un roi, et que nous resterons ses débiteurs!

— Peut-être.

— Eh bien! mon oncle est perché momentanément à l'hôtel du Rhin. On l'a exproprié le mois passé, et il part dans quinze jours pour Naples ; mais moi? qu'est-ce que vous avez à me dire?

— Presque rien ; seulement je voudrais aller vous embrasser, mon cher Fusti.

— Est-il jeune, mon Dieu! On s'embrasse tout de suite, et l'on économise le fiacre! Pif! paf! voilà quarante sous de gagnés. Allons, je me sauve, car le diable m'emporte si je ne deviens pas aussi bête que vous! »

M. Fusti revint le lendemain en compagnie de son oncle ; il remarqua que la convalescence avait fait un notable progrès. L'oncle Dempoque était un bon gros Flamand, un peu blafard, un peu mou, mais rond comme une pomme, ouvert, cordial, et foncièrement honnête.

« Mon cher enfant, dit-il à Gautripon, ne me remerciez pas, c'est pour moi que je vous fais visite. Charles m'a mis la puce à l'oreille. Ah! nous ne sommes pas de ceux qui s'endorment sur le rôti. Vous avez donc des idées qui doivent révolutionner la filature? Déboutonnez-vous, mon garçon, et si votre invention vaut seulement dix centimes, je connais de braves gens qui vous la payeront deux sous. »

Gautripon rougit jusqu'aux oreilles et répondit timidement :

« Mon Dieu! monsieur, je suis un peu confus des grandes espérances que Fusti vous a données. Il n'y a pas la moindre invention dans ce que je pensais vous dire, mais un simple renseignement dont la manufacture peut tirer profit.

— Vous savez la fabrication?

— Il sait tout!

— Non, messieurs, je ne suis qu'un théoricien assez neuf et très-incomplet. Que cherchons-nous? un moyen de produire au meilleur marché possible, ou d'abaisser le prix de revient. On arrive à ce but par trois moyens : le perfectionnement des machines, mais l'outillage actuel est à peu près le dernier mot de la mécanique ; la réduction des salaires, mais la main-d'œuvre est si mal payée que j'aurais honte de la marchander ; l'économie sur les matières, c'est-à-dire une conquête sur la nature : voilà la route qu'il faut suivre, et je m'y suis jeté à corps perdu. »

Il se leva de son fauteuil de paille et marcha presque sans chanceler jusqu'au placard où il serrait ses habits. Au bout d'une demi-minute, il y trouva un paquet soigneusement ficelé.

« Tenez, dit-il à M. Dempoque, ça ne changera pas la face du monde, mais ça peut donner des chemises à beaucoup de braves gens qui n'en ont point. »

Le capitaliste ouvrit la chose en toute hâte et mit à nu une poignée de belle filasse grisâtre, très-fine, très-douce, et merveilleusement résistante :

« Mais mon garçon, dit-il, c'est du lin que vous me montrez là!

— Non, c'est une herbe qui croît spontanément dans les pampas de Montevideo, et qui couvre plus de vingt lieues carrées dans les alluvions du Rio de la Plata. Le bétail la respecte, et pour cause ; je ne crois pas que la nature ait rien produit de moins mangeable. Les vachers la désignent sous le nom d'herbe de rien, yerba de nada ; mais moi qui l'ai rouie dans mon pot à eau, séchée sur ma fenêtre et peignée avec mon démêloir, je crois qu'elle deviendrait une herbe à millions entre les mains d'un habile homme.

— Si elle rapporte des millions, mon fils, il y aura la grosse moitié pour vous. Nous ne sommes pas des loups-cerviers, nous autres, et nous pensons que les meilleures affaires sont celles où l'on ne fait tort à personne. Où diantre avez-vous découvert ce trésor-là?

— J'ai fréquenté pas mal de cours publics, et entre autres ceux du Jardin des Plantes. Il y a quatre ou cinq ans environ, M. Geoffroy Saint-Hilaire le fils eut une idée très-simple et très-grande en même temps. Il pria tous les explorateurs, voyageurs et chercheurs d'animaux rares, de joindre à leurs envois une modeste botte de foin. On court naturellement à ce qui brille, et l'on piétine sur les graminées les plus précieuses pour atteindre une orchidée haute en couleur qui ne servira jamais à rien. J'ai vu le déballage et le premier classement de ces richesses solides dont quelques-unes commencent à s'acclimater chez nous. Mon herbe à millions fut cotée à bon droit la plus coriace de toutes, et c'est précisément ce qui attira mon attention. Je fis mes premières expériences sur un seul brin que l'aide-naturaliste de M. Decaisne m'avait donné. Je m'informai de la provenance, je me mis en rapport avec un jeune chimiste qui allait à Buenos-Ayres, comme tant d'autres, chercher la solution du problème de la viande. Il m'envoya les échantillons et les renseignements que je voulus ; il m'apprit que mon herbe infestait toutes les basses terres où l'eau croupit, qu'elle ne ruinait pas le sol à la façon du lin et du chanvre qui sont épuisants comme oléagineux et non comme textiles ; il m'assura que la plante s'élevait en moyenne à un mètre et demi, qu'on pouvait la couper deux fois par an, qu'elle était absolument sans valeur sur place, et que, s'il me plaisait d'en charger mille navires de mille tonneaux chacun, je n'aurais que la fauchaison et le fret à payer. Par mes calculs, les cent kilos de matière brute, pouvant fournir trente-cinq kilos de filasse, ne coûteront pas plus de cinq à six francs, rendus à Dunkerque : il y a donc de l'argent à prendre. »

M. Dempoque était ébloui. Il caressait amoureusement cette poignée d'étoupes, et il en voyait jaillir des flots d'or.

« Mais, sacrebleu! s'écria-t-il, comment avez-vous pu garder ça dans un coin pendant trois ou quatre ans? Vous n'aviez donc pas foi dans l'affaire?

— J'y ai cru dès le premier jour, mon cher monsieur Dempoque ; mais les circonstances de ma vie étaient telles que j'avais un intérêt moral à rester pauvre. Je me suis donné plus de mal pour éviter l'argent que beaucoup d'autres pour l'atteindre. Ce n'est pas tout de s'enrichir honnêtement ; il faut encore que le monde le croie, et il y a tel moment où le monde, prévenu contre un malheureux, ferme les yeux à l'évidence. J'ai donc ajourné ma fortune, et je m'en félicite, car j'aurai véritablement plaisir à la partager avec vous.

— Un moment! cria le bonhomme. Voici mon plan. Il s'agit avant tout de s'assurer la matière première, soit en prenant à bail, soit en acquérant cinq ou six lieues carrées du précieux mauvais terrain qui la produit. Je pars pour Buenos-Ayres sur le premier vapeur, anglais ou français, qui démarre de la vieille Europe. Nous avions fait nos malles pour l'Italie, attendu que Mme Dempoque y est archivolée par un scélérat d'intendant. Je ne te le reproche pas, mon petit Charles ; mais on m'a mis sur le dos ce qu'il y avait de pire dans l'héritage du grand-papa Fusti. Dieu vous garde, monsieur, de devenir propriétaire chez Sa Majesté le roi de Naples! Un domaine estimé plus de sept cent mille francs et qui n'en rapporte pas six mille! Le fisc et l'intendant se partagent notre revenu, sans compter les brigands à tromblon qui jouent l'opéra-comique sur nos terres! Enfin! nous verrons ça plus tard. Ma vieille Odile ne se fera pas prier pour traverser l'Océan : elle passerait par le feu plutôt que de quitter son gros homme. Vous, pendant ce temps-là, vous allez à Lille, vous prenez langue, on vous loge à l'usine, et vous vous arrangez de manière à saisir la pratique du métier. Quels appointements vous faut-il jusqu'à mon retour? Deux mille?

— Trois. Je n'ai pas d'économies, et ma dépense moyenne est de deux cent cinquante francs par mois.

— C'est deux mille francs par mois que je vous offre, ô jeune Spartiate!

— J'aime mieux m'en tenir au chiffre que j'ai dit ; nous ferons d'autres conditions quand vous serez fixé sur la valeur de mon idée.

— Soit ; mais à mon retour, si tout marche à souhait, je réunis mes copropriétaires, je provoque la dissolution de la société, qui se reconstitue immédiatement sur d'autres bases, et la raison sociale Gautripon et Ce encaisse deux millions par an, dont un pour vous, en inondant la terre de bon linge à bon marché. Ah! ah! ah!

— Nous en reparlerons, monsieur ; mais avant d'entrer en affaire je demande formellement à rester Jean-Pierre tout court, employé, caissier, contremaître, tout ce que l'on voudra, excepté directeur ou chef de maison.

— Eh! mon cher, répondit le richard, vous n'en ferez qu'à votre tête. Liberté, libertas! c'est la devise du commerce et de l'industrie. Dame, on n'est pas dans les honneurs comme le neveu Charles Fusti ; mais on pense, on dit et l'on fait tout ce que l'on veut, ce qui est bigrement commode! »

Gautripon s'épanouissait à la chaleur de cette bonhomie un peu vulgaire, mais honnête et joviale. Il reçut trois ou quatre fois la visite de M. Dempoque avec ou sans M. Fusti ; on prit le temps de mûrir les idées, de discuter les moyens d'exécution, de régler les points de détail. Enfin le gros bailleur de fonds boucla sa malle et partit allègrement, comme un jeune homme et la maman Odile Fusti, qui pesait bien deux cent cinquante, le suivit à Buenos-Ayres sans plus de façon qu'à Saint-Cloud.

L'ancien surnuméraire eût bien voulu que Gautripon ne sortît de sa chambre que pour monter en chemin de fer ; mais l'infâme n'entendait pas de cette oreille. Lorsqu'il se sentit de force à descendre son escalier, il se mit en devoir de visiter un à un tous ceux qui lui avaient donné leurs soins ou prouvé leur sympathie. Il employa ses dernières ressources à leur distribuer quelques petits souvenirs très-modestes, mais qui furent bien reçus parce qu'ils étaient bien offerts. Il prit congé des trois couvents, et quoiqu'il eût l'esprit affranchi de toutes les superstitions, il fut touché d'apprendre que ses élèves, petites et grandes, avaient fait dire la messe pour lui. Le patron des Villes-de-Saxe le félicita en public du bel avancement qu'il avait mérité ; il en prit exemple pour dire à tout le personnel de sa maison :

« Vous voyez, messieurs, que le travail et la conduite mènent à tout : imitez M. Jean-Pierre, vous arriverez comme lui. »

Le caissier prit à part son ancien camarade et lui dit :

« J'ai l'ordre de vous remettre six mois d'appointements à titre de gratification ; mais je vous ai toujours vu si farouche au son de l'argent que je n'aborde pas ce sujet avec vous sans un certain malaise. Il me semble pourtant que vous devriez accepter, d'abord parce que c'est de l'argent dix fois gagné, ensuite parce qu'on ne peut pas mépriser les gratifications sans humilier ceux qui en reçoivent. »

Gautripon prit la somme sans se faire autrement prier.

De tous les humbles bienfaiteurs qui lui avaient donné du temps et des soins, Rastoul et Monpain étaient les moins disposés à recevoir le prix de leurs peines ; pourtant l'infâme avait à cœur de leur laisser quelque chose de plus qu'un grand merci. Il s'invita donc à dîner chez Rastoul, la veille de son départ, et demanda que Monpain fût de la partie. Rastoul fut bien plus satisfait et dîna mieux que si M. Jean-Pierre lui avait payé un festin au Café Anglais. Les deux sous-officiers se montèrent un peu la tête, et Mme Rastoul, qui courait de la chambre à la cuisine et de la cuisine à la chambre, sentit en elle-même un certain trouble où le charbon avait plus de part que le vin. L'aîné des petits Rastoul se grisa d'étonnement, d'admiration et de convoitise en voyant apparaître une oie aux marrons. Lorsque Gautripon les vit tous au diapason voulu, il tira de ses poches quatre paquets de formes diverses qu'il rangea autour de son assiette à dessert.

« Ma chère madame Rastoul, dit-il en exhibant une petite montre d'or, vous m'avez très-mal soigné quand il y avait une potion à prendre d'heure en heure. Sous prétexte que je n'ai pas de pendule, vous vous réveilliez toutes les cinq minutes, ce qui fait à la longue un exercice très-fatigant. Cela ne serait pas arrivé, si vous aviez consulté cette petite mécanique : pour votre punition, gardez-la! Vous, mon cher Monpain, vous m'avez dit certain soir, en me recousant très-proprement, que votre trousse d'emprunt ne valait pas le diable. En voici une qui, je crois, ne laisse rien à désirer ; le fabricant m'a juré que les grands chirurgiens n'en avaient pas de meilleures. Toi, moutard, je te connais : tu m'aimes bien, parce que tu me vois, mais dans un mois d'ici tu auras oublié ton ami Jean-Pierre. Je veux que tu sois forcé de penser à moi tous les jours en mangeant ta soupe. Attrape le couvert! On a écrit ton nom dessus. »

L'enfant poussa des cris de joie ; Mme Rastoul ne disait rien, mais elle admirait sa montre à travers deux grosses larmes ; Monpain se mirait dans les aciers polis de sa trousse, et, tout fier de se sentir armé comme un médecin principal, il cherchait quelque chose à couper sur les personnes présentes. Rastoul seul fronça le sourcil et dit à Gautripon :

« Je ne veux pas vous désobliger, monsieur Jean-Pierre ; mais l'or et l'argent entre nous, ce n'est pas de jeu.

— Aussi, mon cher Rastoul, vous ai-je apporté quelque chose qui ne vaudrait pas un centime à revendre. C'est mon portrait, fait pour vous seul et encadré dans un passe-partout de carton. Le refuserez-vous?

— Ah! tenez! vous avez des façons qui désarmeraient Dieu le père. A votre bonne, chère et respectable santé, de tout mon cœur! »

Et comme il est malséant de trinquer avec de l'eau pure, Gautripon tendit son verre à la bouteille et but sans la moindre grimace le vin du cabaret voisin.

Cette petite fête se prolongea jusqu'à neuf heures du soir. Les deux sous-officiers voulurent absolument ramener Jean-Pierre chez lui à travers le dégel et la pluie. Au moment de quitter Rastoul, il lui dit :

« J'attends encore un service de vous. Mon petit mobilier ne doit pas me suivre à Lille : on m'y prépare un appartement tout meublé. Je ne peux pourtant pas me décider à vendre ces pauvres vieux compagnons de mes chagrins et de mes misères. J'ai résolu de les faire porter le lendemain de mon départ chez un brave garçon que j'aime et qui m'aime, et je compte sur vous pour soigner le déménagement.

— A vos ordres, sacrebleu!

— Vous devinez pourquoi je ne fais pas ma commission moi-même? L'ami en question est une mauvaise tête, un orgueilleux, un gaillard encore pire que vous, s'il est possible. Lorsqu'il verra de quoi il retourne, il est capable de fermer sa porte. Enfoncez-la!

— Compris.

— Faut-il qu'un homme soit sauvage pour refuser de pauvres meubles sans valeur et qui tirent tout leur prix du souvenir?

— Des reliques, quoi!

— Voilà, mon bon Rastoul, ce que je vous charge de lui dire. Et maintenant, adieu!

— Pas pour toujours, monsieur Jean-Pierre?

— Non, mais jusqu'à l'heure où je pourrai vous établir convenablement auprès de moi… »

Lorsque Rastoul et sa femme, escortés d'un commissionnaire et d'une voiture à bras, vinrent déménager ces touchantes reliques, la concierge les laissa faire et leur donna même un coup de main. Et lorsqu'ils demandèrent le nom de ce mauvais coucheur dont il fallait enfoncer la porte, on leur remit un pli cacheté qui renfermait simplement leur adresse.

L'avant-dernière visite de Gautripon fut pour M. Charles Fusti, la dernière pour le tombeau de son père.

Au moment où son portier chargeait sa malle sur le fiacre, un magnifique landau noir, attelé de deux chevaux noirs, sortit avec fracas d'une maison voisine. Une femme assez belle, mais de seconde jeunesse, étalait un grand deuil en ce noble équipage.

« Voilà, dit Gautripon, une grande dame bien affligée.

— Ça? répondit le portier, c'est une nommée l'Ogre, qui fait mille embarras pour un petit Américain tué en duel par l'infâme. »

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