L'œuvre de Henri Poincaré
III.
De la Mécanique céleste à la Physique mathématique, la transition est facile. La Physique mathématique offre au mathématicien de nombreux sujets d’étude, soit qu’il se propose de faire un examen critique des principes des théories, soit que, sans discuter ceux-ci, il se contente de chercher les solutions des problèmes précis auxquels a conduit le développement de ces théories. Dans ce dernier cas, la question revient le plus souvent, dans l’état actuel de la Science, à l’intégration d’équations aux dérivées partielles avec certaines conditions aux limites. Sur la Physique mathématique ainsi entendue, qui n’est en fait qu’un Chapitre de l’Analyse, Poincaré a écrit des Mémoires justement renommés. Que d’idées nouvelles sont jetées dans ses recherches sur les fonctions harmoniques; sa méthode du balayage est encore aujourd’hui très précieuse dans le cas où la surface a des singularités, malgré les points de vue introduits récemment dans ces questions par la théorie des équations intégrales. Le Mémoire sur la méthode de Neumann montre que cette méthode peut encore être appliquée quand la surface n’est pas convexe, et renferme des vues originales sur des fonctions, dites fondamentales, généralisant, sur une surface fermée quelconque, les fonctions de Laplace relatives à la sphère. Le travail sur les équations de la Physique mathématique paru en 1894 restera particulièrement mémorable; il y est établi pour la première fois que, pour une équation aux dérivées partielles se présentant dans la théorie de la vibration des membranes et renfermant linéairement un paramètre arbitraire, l’intégrale prenant des valeurs données sur un contour est une fonction méromorphe de ce paramètre, et de là est résultée une démonstration mathématique rigoureuse de l’existence des harmoniques en nombre infini d’une membrane vibrante.
Je voudrais me borner, mais comment passer sous silence les études de Poincaré sur les marées. Laplace avait abordé, comme on sait, dans sa Mécanique céleste le problème des marées au point de vue dynamique, mais l’intégration des équations obtenues en introduisant les conditions complexes de la configuration des mers était alors bien au-dessus des forces de l’analyse. Malgré d’admirables travaux de la plus haute importance au point de vue pratique, la théorie mathématique des marées n’avait fait aucun progrès, mais les récentes études sur la théorie des équations aux dérivées partielles et ses rapports avec les équations intégrales fournissait de nouvelles armes, dont Poincaré s’empare avec sa maîtrise habituelle; il put établir que le problème des marées se ramène à une équation de Fredholm ou à un système de deux équations de Fredholm, suivant qu’on néglige ou non ce qu’on appelle l’attraction du bourrelet. Théoriquement le problème des marées était résolu. Sans doute, pour tirer parti du résultat de Poincaré, il faudra, outre la configuration des côtes, connaître partout la profondeur des mers, et les calculs, auxquels conduit la méthode, seront d’une effroyable complication. C’est souvent le triste destin des mathématiciens que, quand ils sont arrivés après de longs efforts à la solution rigoureuse d’un problème offert par la Mécanique ou la Physique, cette solution est si compliquée qu’elle est pratiquement inutilisable. Ils ont raison cependant de ne pas se décourager, car, outre que l'idée de complication est très relative, on peut espérer tirer de la seule forme d’une solution complète des lois générales que serait impuissante à donner une solution approchée. Dans le livre de Poincaré sur les marées, les analystes peuvent trouver de difficiles sujets de recherches.
Citons encore ici, à cause de leur caractère surtout analytique, les beaux Mémoires des Acta Mathematica où Poincaré a donné, en partie au moins, l’explication des curieux phénomènes observés par M. Gouy sur la diffraction éloignée, en entendant par là les phénomènes optiques dans lesquels la déviation des rayons diffractés est considérable.