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La Comédie humaine - Volume 04

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IMP. E. MARTINET.

Oscar était si grièvement blessé que l'amputation du bras gauche fut jugée nécessaire.....

(UN DÉBUT DANS LA VIE.)

Quoiqu'au dehors l'ambitieux Oscar parût être excessivement dévoué aux Bourbons, au fond du cœur il était libéral. Aussi, dans la bataille de 1830, passa-t-il au peuple. Cette défection, qui eut une importance due au point sur lequel elle s'opéra, valut à Oscar l'attention publique. Dans l'exaltation du triomphe, au mois d'août, Oscar, nommé lieutenant, eut la croix de la Légion-d'Honneur, et obtint d'être attaché comme aide de camp à La Fayette qui lui fit avoir le grade de capitaine en 1832. Quand on destitua l'amateur de la meilleure des républiques de son commandement en chef des gardes nationales du royaume, Oscar Husson, dont le dévouement à la nouvelle dynastie tenait du fanatisme, fut placé comme chef d'escadron dans un régiment envoyé en Afrique, lors de la première expédition entreprise par le prince royal. Le vicomte de Sérisy se trouvait être lieutenant-colonel de ce régiment. A l'affaire de la Macta, où il fallut laisser le champ aux Arabes, monsieur de Sérisy resta blessé sous son cheval mort. Oscar dit alors à son escadron:—Messieurs, c'est aller à la mort, mais nous ne devons pas abandonner notre colonel... Il fondit le premier sur les Arabes, et ses gens électrisés le suivirent. Les Arabes, dans le premier étonnement que leur causa ce retour offensif et furieux, permirent à Oscar de s'emparer du vicomte qu'il prit sur son cheval en s'enfuyant au grand galop, quoique dans cette opération, tentée au milieu d'une horrible mêlée, il eût reçu deux coups de yatagan sur le bras gauche. La belle conduite d'Oscar fut récompensée par la croix d'officier de la Légion-d'Honneur et par sa promotion au grade de lieutenant-colonel. Il prodigua les soins les plus affectueux au vicomte de Sérisy que sa mère vint chercher, et qui mourut, comme on sait, à Toulon, des suites de ses blessures. La comtesse de Sérisy n'avait point séparé son fils de celui qui, après l'avoir arraché aux Arabes, le soignait encore avec tant de dévouement. Oscar était si grièvement blessé que l'amputation du bras gauche fut jugée nécessaire par le chirurgien que la comtesse amenait à son fils. Le comte de Sérisy pardonna donc à Oscar ses sottises du voyage à Presles, et se regarda même comme son débiteur quand il eut enterré ce fils, devenu fils unique, dans la chapelle du château de Sérisy.

Longtemps après l'affaire de la Macta, une vieille dame vêtue de noir, donnant le bras à un homme de trente-quatre ans, et dans lequel les passants pouvaient d'autant mieux reconnaître un officier retraité qu'il avait un bras de moins et la rosette de la Légion-d'Honneur à sa boutonnière, stationnait, à huit heures du matin, au mois de mai, sous la porte cochère de l'hôtel du Lion d'argent, rue du Faubourg-Saint-Denis, en attendant sans doute le départ d'une diligence. Certes, Pierrotin, l'entrepreneur des services de la vallée de l'Oise, et qui la desservait en passant par Saint-Leu-Taverny et l'Isle-Adam jusqu'à Beaumont, devait difficilement retrouver dans cet officier au teint bronzé le petit Oscar Husson qu'il avait mené jadis à Presles. Madame Clapart, enfin veuve, était tout aussi méconnaissable que son fils. Clapart, l'une des victimes de l'attentat de Fieschi, avait plus servi sa femme par sa mort que par toute sa vie. Naturellement, l'inoccupé, le flâneur Clapart s'était campé sur son boulevard du Temple à regarder sa légion passée en revue. La pauvre dévote avait donc été portée pour quinze cents francs de pension viagère dans la loi rendue à propos de cette machine infernale en faveur des victimes.

La voiture, à laquelle on attelait quatre chevaux gris pommelé qui eussent fait honneur aux Messageries-Royales, était divisée en coupé, intérieur, rotonde et impériale. Elle ressemblait parfaitement aux diligences appelées Gondoles qui soutiennent aujourd'hui sur la route de Versailles la concurrence avec les deux chemins de fer. A la fois solide et légère, bien peinte et bien tenue, doublée de fin drap bleu, garnie de stores à dessins mauresques et de coussins de maroquin rouge, l'Hirondelle de l'Oise contenait dix-neuf voyageurs. Pierrotin, quoique âgé de cinquante-six ans, avait peu changé. Toujours vêtu de sa blouse, sous laquelle il portait un habit noir, il fumait son brûle-gueule en surveillant deux facteurs en livrée qui chargeaient de nombreux paquets sur la vaste impériale de sa voiture.

—Vos places sont-elles retenues? dit-il à madame Clapart et à Oscar en les examinant comme un homme qui demande des ressemblances à son souvenir.

—Oui, deux places d'intérieur au nom de Bellejambe, mon domestique, répondit Oscar; il a dû les prendre en partant hier au soir.

—Ah! monsieur est le nouveau percepteur de Beaumont, dit Pierrotin, vous remplacez le neveu de monsieur Margueron...

—Oui, dit Oscar en serrant le bras de sa mère qui allait parler.

A son tour, l'officier voulait rester inconnu pendant quelque temps.

En ce moment, Oscar tressaillit en entendant la voix de Georges Marest qui cria de la rue:—Pierrotin, avez-vous encore une place?

—Il me semble que vous pourriez bien me dire monsieur sans vous déchirer la gueule, répondit vivement l'entrepreneur des Services de la vallée de l'Oise.

Sans le son de voix, Oscar n'aurait pu reconnaître le mystificateur qui déjà deux fois lui avait été si fatal. Georges, presque chauve, ne conservait plus que trois ou quatre mèches de cheveux au-dessus des oreilles, et soigneusement ébouriffées pour déguiser le plus possible la nudité du crâne. Un embonpoint mal placé, un ventre piriforme, altéraient les proportions autrefois si élégantes de l'ex-beau jeune homme. Devenu presque ignoble de tournure et de maintien, Georges annonçait bien des désastres en amour et une vie de débauches continuelles par un teint couperosé, par des traits grossis et comme vineux. Les yeux avaient perdu ce brillant, cette vivacité de la jeunesse que les habitudes sages ou studieuses ont le pouvoir de maintenir. Georges, vêtu comme un homme insouciant de sa mise, portait un pantalon à sous-pieds, mais flétri, dont la façon voulait des bottes vernies. Ses bottes à semelles épaisses, mal cirées, étaient âgées de plus de trois trimestres; ce qui, à Paris, équivaut à trois ans ailleurs. Un gilet fané, une cravate nouée avec prétention, quoique ce fût un vieux foulard, accusaient l'espèce de détresse cachée à laquelle un ancien élégant peut se trouver en proie. Enfin Georges se montrait à cette heure matinale en habit au lieu d'être en redingote, diagnostic d'une réelle misère! Cet habit, qui devait avoir vu plus d'un bal, avait passé, comme son maître, de l'opulence qu'il représentait jadis, à un travail journalier. Les coutures du drap noir offraient des lignes blanchâtres, le col était graisseux, l'usure avait découpé les bouts de manche en dents de loup. Et Georges osait attirer l'attention par des gants jaunes, un peu salis à la vérité, sur l'un desquels une bague à la chevalière se dessinait en noir. Autour de la cravate, passée dans un anneau d'or prétentieux, se tortillait une chaîne de soie figurant des cheveux et à laquelle tenait sans doute une montre. Son chapeau, quoique mis assez crânement, révélait plus que tous ces symptômes la misère de l'homme hors d'état de donner seize francs à un chapelier, quand il est forcé de vivre au jour le jour. L'ancien amant de cœur de Florentine agitait une canne à pomme de vermeil ciselée, mais horriblement bossuée. Le pantalon bleu, le gilet d'étoffe dite écossaise, la cravate de soie bleu de ciel, et la chemise de calicot rayé de bandes roses, exprimaient au milieu de tant de ruines un tel désir de paraître, que ce contraste formait non-seulement un spectacle, mais encore un enseignement.

—Et c'est là Georges!... se dit intérieurement Oscar. Un homme que j'ai laissé riche de trente mille livres de rentes.

—Monsieur de Pierrotin a-t-il encore une place dans le coupé? répondit ironiquement Georges.

—Non, mon coupé est pris par un pair de France, le gendre de monsieur Moreau, monsieur le baron de Canalis, sa femme et sa belle-mère. Il ne me reste qu'une place d'intérieur.

—Diable! il paraît que sous tous les gouvernements les pairs de France voyagent par les voitures à Pierrotin. Je prends la place d'intérieur, répondit Georges qui se rappelait l'aventure de monsieur de Sérisy.

Il jeta sur Oscar et sur la veuve un regard d'examen et ne reconnut ni le fils ni la mère. Oscar avait le teint bronzé par le soleil d'Afrique; ses moustaches étaient excessivement fournies et ses favoris très amples; sa figure creusée et ses traits prononcés s'accordaient avec son attitude militaire. La rosette d'officier, le bras de moins, la sévérité du costume, tout aurait égaré les souvenirs de Georges, s'il avait eu quelque souvenir de son ancienne victime. Quant à madame Clapart, que Georges avait à peine jadis vue, dix ans consacrés aux exercices de la piété la plus sévère l'avaient transformée. Personne n'eût imaginé que cette espèce de Sœur Grise cachait une des Aspasies de 1797.

Un énorme vieillard, vêtu simplement, mais d'une façon cossue, et dans lequel Oscar reconnut le père Léger, arriva lentement et lourdement; il salua familièrement Pierrotin qui parut lui porter le respect dû, par tous pays, aux millionnaires.

—Hé! c'est le père Léger! toujours de plus en plus prépondérant, s'écria Georges.

—A qui ai-je l'honneur de parler? demanda le père Léger d'un ton sec.

—Comment? vous ne reconnaissez pas le colonel Georges, l'ami d'Ali-Pacha? Nous avons fait route ensemble un jour, avec le comte de Sérisy qui gardait l'incognito.

Une des sottises les plus habituelles aux gens tombés est de vouloir reconnaître les gens et de vouloir s'en faire reconnaître.

—Vous êtes bien changé, répondit le vieux marchand de biens, devenu deux fois millionnaire.

—Tout change, dit Georges. Voyez si l'auberge du Lion d'argent et si la voiture de Pierrotin ressemblent à ce qu'elles étaient il y a quatorze ans.

—Pierrotin a maintenant à lui seul les Messageries de la vallée de l'Oise, et il fait rouler de belles voitures, répondit monsieur Léger. C'est un bourgeois de Beaumont, il y tient un hôtel où descendent les diligences, il a une femme et une fille qui ne sont pas maladroites...

Un vieillard d'environ soixante-dix ans descendit de l'hôtel et se joignit aux voyageurs qui attendaient le moment de monter en voiture.

—Allons donc, papa Reybert, dit Léger, nous n'attendons plus que votre grand homme.

—Le voici, dit l'intendant du comte de Sérisy en montrant Joseph Bridau.

Ni Georges ni Oscar ne purent reconnaître le peintre illustre, car il offrait cette figure ravagée si célèbre, et son maintien accusait l'assurance que donne le succès. Sa redingote noire était ornée d'un ruban de la Légion-d'Honneur. Sa mise, excessivement recherchée, indiquait une invitation à quelque fête campagnarde.

En ce moment, un commis, tenant une feuille à la main, sortit d'un bureau construit dans l'ancienne cuisine du Lion d'argent, et se plaça devant le coupé vide.

—Monsieur et madame de Canalis, trois places! cria-t-il. Il passa à l'intérieur et nomma successivement:—Monsieur Bellejambe, deux places.—Monsieur de Reybert, trois places.—Monsieur... votre nom! dit-il à Georges.

—Georges Marest, répondit tout bas l'homme déchu.

Le commis alla vers la rotonde devant laquelle s'attroupaient des nourrices, des gens de la campagne et de petits boutiquiers qui se disaient adieu; après avoir empilé les six voyageurs, le commis appela par leurs noms quatre jeunes gens qui montèrent sur la banquette de l'impériale, et dit:—Roulez!... pour tout ordre de départ. Pierrotin se mit à côté de son conducteur, un jeune homme en blouse qui, de son côté, cria:—Tirez! à ses chevaux.

La voiture, enlevée par les quatre chevaux achetés à Roye, gravit au petit trot la montée du faubourg Saint-Denis; mais une fois arrivée au-dessus de Saint-Laurent, elle fila comme une malle-poste jusqu'à Saint-Denis, en quarante minutes. On ne s'arrêta point à l'auberge aux talmouses, et l'on prit à gauche de Saint-Denis la route de la vallée de Montmorency.

Ce fut en tournant là que Georges rompit le silence que les voyageurs avaient gardé jusqu'alors, en s'observant les uns les autres.

—On marche un peu mieux qu'il y a quinze ans, dit-il en tirant une montre d'argent, hein! père Léger?

—On a la condescendance de me nommer monsieur Léger, répondit le millionnaire.

—Mais c'est notre blagueur de mon premier voyage à Presles, s'écria Joseph Bridau. Eh bien! avez-vous fait de nouvelles campagnes en Asie, en Afrique, en Amérique? dit le grand peintre.

—Sacrebleu! j'ai fait la Révolution de Juillet, et c'est bien assez, car elle m'a ruiné...

—Ah! vous avez fait la Révolution de Juillet, dit le peintre. Ça ne m'étonne pas, car je n'ai jamais voulu croire, comme on me le disait, qu'elle s'était faite toute seule.

—Comme on se retrouve, dit monsieur Léger en regardant monsieur de Reybert. Tenez, papa Reybert, voilà le clerc de notaire à qui vous avez dû sans doute l'intendance des biens de la maison de Sérisy...

—Il nous manque Mistigris, maintenant illustre sous le nom de Léon de Lora, et ce petit jeune homme assez bête pour avoir parlé au comte des maladies de peau qu'il a fini par guérir, et de sa femme qu'il a fini par quitter pour mourir en paix, dit Joseph Bridau.

—Il manque aussi monsieur le comte, dit Reybert.

—Oh! je crois, dit avec mélancolie Joseph Bridau, que le dernier voyage qu'il fera sera celui de Presles à l'Isle-Adam pour assister à la cérémonie de mon mariage.

—Il se promène encore en voiture dans son parc, répondit le vieux Reybert.

—Sa femme vient-elle souvent le voir? demanda Léger.

—Une fois par mois, dit Reybert. Elle affectionne toujours Paris; elle a marié, le mois de septembre dernier, sa nièce, mademoiselle du Rouvre, sur laquelle elle a reporté toutes ses affections, à un jeune Polonais fort riche, le comte Laginski...

—Et à qui, demanda madame Clapart, iront les biens de monsieur de Sérisy?

—A sa femme qui l'enterrera, répondit Georges. La comtesse est encore très bien pour une femme de cinquante-quatre ans, elle est toujours élégante; et, à distance, elle fait encore illusion...

—Elle vous fera longtemps illusion, dit alors Léger qui paraissait vouloir se venger de son mystificateur.

—Je la respecte, répondit Georges au père Léger. Mais, à propos, qu'est devenu ce régisseur qui, dans le temps, a été renvoyé?

—Moreau? reprit Léger; mais il est député de l'Oise.

—Ah! c'est le fameux centrier! Moreau de l'Oise, dit Georges.

—Oui, reprit Léger, monsieur Moreau de l'Oise. Il a un peu plus travaillé que vous à la Révolution de Juillet et il a fini par acheter la magnifique terre de Pointel, entre Presles et Beaumont.

—Oh! à côté de celle qu'il régissait, auprès de son ancien maître, c'est de bien mauvais goût, dit Georges.

—Ne parlez pas si haut, dit monsieur de Reybert, car madame Moreau et sa fille, la baronne de Canalis, sont, ainsi que son gendre, l'ancien ministre, dans le coupé.

—Quelle dot a-t-il donc donnée pour faire épouser sa fille à notre grand orateur?

—Mais quelque chose comme deux millions, dit le père Léger.

—Il avait du goût pour les millions, dit Georges en souriant et voix basse, il commençait sa pelote à Presles...

—Ne dites rien de plus sur monsieur Moreau, s'écria vivement Oscar. Il me semble que vous devriez avoir appris à vous taire dans les voitures publiques.

Joseph Bridau regarda l'officier manchot pendant quelques secondes, et s'écria:—Monsieur n'est pas ambassadeur, mais sa rosette nous dit assez qu'il a fait du chemin, et noblement, car mon frère et le général Giroudeau vous ont souvent cité dans leurs rapports...

—Oscar Husson! s'écria Georges. Ma foi! sans votre voix, je ne vous aurais pas reconnu.

—Ah! c'est monsieur qui a si courageusement arraché le vicomte Jules de Sérisy aux Arabes? demanda Reybert, et à qui monsieur le comte a fait avoir la perception de Beaumont en attendant la recette de Pontoise?...

—Oui, monsieur, dit Oscar.

—Eh bien! dit le grand peintre, vous me ferez, monsieur, le plaisir d'assister à mon mariage à l'Isle-Adam.

—Qui épousez-vous? demanda Oscar.

—Mademoiselle Léger, répondit le peintre, la petite-fille de monsieur Reybert. C'est un mariage que monsieur le comte de Sérisy a bien voulu préparer pour moi, je lui devais déjà beaucoup comme artiste; et avant de mourir, il a voulu s'occuper de ma fortune, à laquelle je ne songeais point...

—Le père Léger a donc épousé... dit Georges.

—Ma fille, répondit monsieur de Reybert, et sans dot.

—Il a eu des enfants?

—Une fille. C'est bien assez pour un homme qui s'est trouvé veuf et sans enfants, répondit le père Léger. Tout comme Moreau, mon associé, j'aurai pour gendre un homme célèbre.

—Et, dit Georges en prenant un air presque respectueux avec le père Léger, vous habitez toujours l'Isle-Adam?

—Oui, j'ai acheté Cassan.

—Eh bien! je suis heureux d'avoir pris ce jour-ci pour faire la vallée de l'Oise, dit Georges. Vous pouvez m'être utiles, messieurs.

—En quoi? dit monsieur Léger.

—Ah! voici, dit Georges. Je suis employé de l'Espérance, une Compagnie qui vient de se former, et dont les statuts vont être approuvés par une ordonnance du roi. Cette institution donne au bout de dix ans des dots aux jeunes filles, des rentes viagères aux vieillards; elle paie l'éducation des enfants; elle se charge enfin de la fortune de tout le monde...

—Je le crois, dit le père Léger en souriant. En un mot, vous êtes courtier d'assurances.

—Non, monsieur, je suis inspecteur général, chargé d'établir les correspondants et les agents de la Compagnie dans toute la France, et j'opère en attendant que les agents soient choisis, car c'est chose aussi délicate que difficile que de trouver d'honnêtes agents...

—Mais comment donc avez-vous perdu vos trente mille livres de rentes? dit Oscar à Georges.

—Comme vous avez perdu votre bras, répondit sèchement l'ancien clerc de notaire à l'ancien clerc d'avoué.

—Vous avez donc fait quelque action d'éclat avec votre fortune? dit Oscar avec une ironie mêlée d'aigreur.

—Parbleu! j'en ai malheureusement fait beaucoup trop... d'actions, j'en ai à vendre.

On était arrivé à Saint-Leu-Taverny où tous les voyageurs descendirent pendant qu'on relayait. Oscar admira la vivacité que Pierrotin déployait en décrochant les traits des palonniers pendant que son conducteur défaisait les guides des chevaux de volée.

—Ce pauvre Pierrotin, pensa-t-il, il est resté, comme moi, pas très avancé dans la vie. Georges est tombé dans la misère. Tous les autres, grâce à la Spéculation et au Talent, ont fait fortune... Déjeunons-nous là, Pierrotin? dit à haute voix Oscar en frappant sur l'épaule du messager.

—Je ne suis pas le conducteur, dit Pierrotin.

—Qu'êtes-vous donc? demanda le colonel Husson.

—L'entrepreneur, répondit Pierrotin.

—Allons, ne vous fâchez pas avec de vieilles connaissances, dit Oscar en montrant sa mère et sans quitter son protecteur. Ne reconnaissez-vous pas madame Clapart?

Ce fut d'autant plus beau à Oscar de présenter sa mère à Pierrotin qu'en ce moment madame Moreau de l'Oise, descendue du coupé, regarda dédaigneusement Oscar et sa mère en entendant ce nom.

—Ma foi! madame, je ne vous aurais jamais reconnue, ni vous, monsieur. Il paraît que ça chauffe dur en Afrique?...

L'espèce de pitié que Pierrotin inspirait à Oscar fut la dernière faute que la vanité fit commettre au héros de cette Scène, et il en fut encore puni, mais assez doucement. Voici comment.

Deux mois après son installation à Beaumont-sur-Oise, Oscar faisait la cour à mademoiselle Georgette Pierrotin, dont la dot était de cent cinquante mille francs, et il épousa la fille de l'entrepreneur des Messageries de l'Oise vers la fin de l'hiver 1838.

L'aventure du voyage à Presles avait donné de la discrétion à Oscar, la soirée de Florentine avait raffermi sa probité, les duretés de la carrière militaire lui avaient appris la hiérarchie sociale et l'obéissance au sort. Devenu sage et capable, il fut heureux. Avant sa mort le comte de Sérisy obtint pour Oscar la recette de Pontoise. La protection de monsieur Moreau de l'Oise, celle de la comtesse de Sérisy et de monsieur le baron de Canalis qui, tôt ou tard, redeviendra ministre, assurent une Recette Générale à monsieur Husson, en qui la famille Camusot reconnaît maintenant un parent.

Oscar est un homme ordinaire, doux, sans prétention, modeste et se tenant toujours, comme son gouvernement, dans un juste milieu. Il n'excite ni l'envie ni le dédain. C'est enfin le bourgeois moderne.

Paris, février 1842.

TABLE DES MATIÈRES.


SCÈNES DE LA VIE PRIVÉE.


Béatrix (deuxième et dernière partie) 1
La Grande Bretèche (fin de autre Étude de Femme) 95
Modeste Mignon 129
Honorine 346
Un Début dans la vie 414

Au lecteur

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Liste des modifications:

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Page 29: «grand» remplacé par «grande» (la plus grande vitesse).

Page 37: «Grandieu» remplacé par «Grandlieu» (d'une Grandlieu riche et belle).

Page 40: «Guéric» remplacé par «Guénic» (Madame du Guénic entra).

Page 43: «nécessaires» remplacé par «nécessaire» (mais c'est nécessaire).

Page 49: «aprouverez» remplacé par «approuverez» (approuverez-vous les moyens d'exécution?).

Page 49: «raccoler» remplacé par «racoler» (Tâchez de racoler).

Page 52: «des» remplacé par «de» (pour la distinguer d'une de ses rivales).

Page 52: «aprocryphes» remplacé par «apocryphes» (dans ces quartiers apocryphes).

Page 53: «un» remplacé par «une» (d'un chapeau, d'une mantille d'emprunt).

Page 56: «désohonrait» remplacé par «déshonorait» (qui déshonorait l'hôtel de Rochefide).

Page 61: «aristrocracie» remplacé par «aristocratie» (elle avait dans son aristocratie).

Page 62: «partant» remplacé par «parlant» (disait-il en parlant au roi d'Alençon).

Page 70: «allez» remplacé par «aller» (vous pouvez aller très loin).

Page 70: «vons» remplacé par «vous» (vous êtes le seul qui m'ayez plu).

Page 82: «coutenues» remplacé par «contenues» (les femmes contenues par leur éducation).

Page 83: «cachoterie» remplacé par «cachotterie» (par ce besoin de cachotterie).

Page 94: «e» remplacé par «en» (en lui jetant un regard).

Page 94: au lieu de «1838-18» il faut sans doute lire «1838-48».

Page 102: «des» remplacé par «de» (la totalité de ses biens).

Page 103: «jusque-là, jusque-là» remplacé par «jusque-là» (Pour aller jusque-là).

Page 120: «dalhias» remplacé par «dahlias» (de roses, de dahlias).

Page 127: «a» remplacé par «la» (le calcul et la calligraphie).

Page 128: «Charlet» remplacé par «Charles» (si bien rendue par Charles).

Page 130: «qn» remplacé par «qu» (qu'il eut de ses fonds).

Page 133: «Ney-York» remplacé par «New-York» (son maître à New-York).

Page 137: «gaité» remplacé par «gaieté» (cette gaieté se trahit).

Page 170: «a mes» remplacé par «armes» (je ne vous envoie pas nos armes).

Page 198: «revenu» remplacé par «revenue» (la brebis égarée sera revenue).

Page 209: «souteune» remplacé par «soutenue» (dans la lutte qu'ils ont soutenue).

Page 251: «Hérouvillle» remplacé par «Hérouville» (son château d'Hérouville).

Page 275: «discusion» remplacé par «discussion» (Sans cette petite discussion).

Page 278: «eomme» remplacé par «comme» (un génie exécutant comme Moschelès).

Page 278: «Beethowen» remplacé par «Beethoven» (Entre Beethoven et la Catalani).

Page 281: «la» remplacé par «le» (Mets-toi donc d'accord avec monsieur le baron).

Page 284: «le» remplacé par «la» (qui déconcerte la parole).

Page 310: «la» remplacé par «le» (pour flatter le caprice).

Page 318: «lette» remplacé par «lettre» (une lettre de sa prétendue cousine).

Page 328: «croisés» remplacé par «croisées» (un avant-corps de cinq croisées à colonnes).

Page 332: «pas» remplacé par «par» (Les douze femmes finirent par sourire).

Page 342: «surbordonnés» remplacé par «subordonnés» (Les subordonnés, hommes et chevaux).

Page 356: «ouurant» remplacé par «ouvrant» (en ouvrant une porte vitrée).

Page 363: «cettes» remplacé par «dettes» (payez vos dettes).

Page 380: «un» remplacé par «une» (Je n'ai vu l'oncle qu'une seule fois).

Page 384: «dalhia» remplacé par «dahlia» (car je cherche le dahlia bleu).

Page 388: «elle» remplacé par «elles» (je comparais entre elles ces deux existences).

Page 417: «habitans» remplacé par «habitants» (les habitants de Monsoult).

Page 422: «vons» remplacé par «vous» (où les mettriez-vous donc).

Page 430: «Pierrottin» remplacé par «Pierrotin» (la confidence du valet à Pierrotin).

Page 433: «délicieuse,» remplacé par «délicieuses» (une des plus délicieuses habitations de la vallée).

Page 448: «appeler» remplacé par «appelez» (Puis cette rosse, que vous appelez Rougeot).

Page 448: «on» remplacé par «en» (en y jetant d'abord d'un air important).

Page 449: «poindait» remplacé par «pointait» (où pointait un nez).

Page 461: «falli» remplacé par «failli» (j'ai failli être empalé).

Page 461: «il» remplacé par «ils» (qu'ils vous coupent la tête).

Page 492: «Préroles» remplacé par «Prérolles» (à Beaumont, à Maffliers, à Prérolles).

Page 507: «prendais» remplacé par «prendrais» (où prendrais-je les trois mille francs).

Page 509: «était» remplacé par «état» (restait dans le même état depuis six ans).

Page 510: «laiser» remplacé par «laisser» (je n'en ai point à vous laisser).

Page 521: «voyons» remplacé par «soyons» (et soyons sérieux).

Page 538: «un» remplacé par «une» (Oscar se sentit une sueur froide).

Page 548: «dévaué» remplacé par «dévoué» (Oscar parût être excessivement dévoué).

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