← Retour

La fabrique de mariages, Vol. 5

16px
100%

III
— Autres lettres de la vicomtesse. —

«Chère madame,

»Vous avez été d’une neutralité superbe, l’autre soir, à l’hôtel de Mersanz. J’ai cru voir que madame la marquise de Sainte-Croix vous menaçait très-durement, tant elle vous souriait avec douceur. Je ne vous dirai pas de ne rien craindre: vous n’êtes pas le moins du monde compromise. Je veux vous entretenir d’un tout autre sujet.

»Pardonnez mon indiscrétion: ne songez-vous point à établir vos charmantes filles? En offrant mes compliments à mademoiselle Juliette et à mademoiselle Dorothée, je vous prie de leur dire de ma part qu’elles ont été fort remarquées chez le comte Achille. Mon parent, M. le baron de Jolien, m’a parlé de Dorothée avec une chaleur et dans des termes... Je le crois fort épris. Il est de bonne maison. Son revenu monte à treize mille livres de rente. Il a des espérances: une tante de soixante seize ans et sept mois.

»Quant à mademoiselle Juliette, elle a tout uniment fasciné ce pauvre Mussaton. Le maréchal me le disait hier. Ils sont un peu cousins, Mussaton et le maréchal. Mussaton est bel homme, vous savez? Sondez mademoiselle Juliette. Il y a deux cent mille francs liquides et pas mal de fonds espagnols. La présidente, qui est sa marraine, ferait peut-être quelque chose. En tous cas, elle est fort âgée.

»Réfléchissez. Croyez-moi tout à vous, et faites-moi un petit mot de réponse.

»Anna

Adresse: «A madame la baronne du Tresnoy, en ville.»


«Ma chère enfant,

»Il y a longtemps que nous vous avons pardonné. Nous savons à quel point vous avez été abusée. Ce que vous nous proposez part d’un excellent naturel; mais il est des maladies morales qu’il ne faut pas heurter de front. Ne tentez rien auprès de votre père, pour le présent, du moins. Quand il sera temps d’agir vous serez prévenue; car nous avons confiance en vous.

»Vous comprenez que je ne puis me présenter à l’hôtel de Mersanz après ce qui s’est passé entre mon mari et le comte Achille. Par la même raison, vous ne pouvez venir chez moi. Je partage cependant le désir que vous me témoignez: je serais heureuse de vous voir et de vous donner quelques conseils dont vous avez grand besoin.

»Entre parenthèses, vous avez eu tort de chasser de chez vous les demoiselles Géran, vos anciennes maîtresses. Un pareil éclat ne vaut rien. On en tirera parti contre vous. La violence, croyez-moi, est rarement utile et presque toujours nuisible.

»La douce et sainte femme à qui vous avez failli donner le coup de la mort ne vous en veut point. Elle n’a jamais cessé de vous aimer comme si vous étiez sa sœur ou sa fille.

»Vous me dites que vous avez bien pleuré. Je vous crois: votre entrée dans la vie a été terrible et funeste. Espérons qu’il vous sera donné de réparer le mal que vous avez fait. Notre Béatrice vous envoie un baiser.

»Soyez aujourd’hui à quatre heures chez votre parrain: je m’y trouverai.»

L’adresse de ce billet était, comme le lecteur l’a deviné sans doute: «A mademoiselle Césarine de Mersanz.»

Le parrain de Césarine était le maréchal duc de ***.


«Madame,

«Votre présence à Paris pourrait sauver monsieur votre fils d’un danger imminent et cruel. Des événements graves qu’on ne peut vous détailler dans une lettre, ont lieu ici. Le hasard m’a fait connaître une partie de votre histoire. Il est des malheurs qui ne peuvent inspirer qu’un profond et respectueux intérêt: celle qui vous écrit ce mot, madame, est votre amie.

»Ne répondez pas; venez. Je prends la liberté de vous adresser un petit mandat, parce que je sais la position où vous ont réduite ceux-là mêmes qui veulent aujourd’hui entraîner votre malheureux fils dans l’abîme.»

«A madame Ernestine Rodelet, à Chartres.»


«Madame la vicomtesse de Grévy prie M. Fromenteau de passer chez elle immédiatement, pour affaire importante.—De la part de madame la baronne du Tresnoy.»


Elle avait un peu de fatigue sur le visage, cette charmante vicomtesse, au moment où elle cachetait cette dernière lettre, adressée à l’humble agent de renseignements qui nous a raconté, au début de cette histoire, ses malheurs amoureux et les innombrables mariages de Stéphanie, son amante. Ses yeux étaient légèrement battus, son teint un peu pâle; mais elle avait le sourire aux lèvres.

C’était dans une jolie petite chambre d’aspect bourgeois, basse d’étage et modestement meublée. Le guéridon où écrivait Anna tenait un des coins du foyer. De l’autre, il y avait un de ces grands fauteuils à roulettes qui servent aux vieillards,—ou aux blessés.

Dans l’alcôve voisine, on entendait une respiration égale et calme. Les rayons de la lampe, glissant au travers des rideaux, montraient sur l’oreiller une tête de lion malade. C’était le vicomte Henri de Grévy qui reposait paisiblement. Son bras droit, arrondi sur la couverture, était entouré de bandages.

Cette chambre faisait partie de l’appartement loué au commissaire.

Madame de Grévy sonna. Elle remit au domestique sa correspondance cachetée, en disant:

—Hâtez-vous!

Il n’y avait que la lettre de madame Rodelet qui fût pour la poste. Les autres étaient à porter.

Quand le domestique fut parti, Anna se leva et gagna l’alcôve sur la pointe du pied. Elle dérangea un peu le rideau pour éclairer mieux le visage de son mari et se mit à le contempler avec une sorte d’extase.

Il était beau, cet Henri de Grévy, de cette heureuse beauté qui annonce la franchise insouciante et les jeunes gaietés survivant à l’âge viril. Ce n’était pas un héros, ce n’était pas un penseur. C’était un de ces joyeux garçons dont l’humeur facile fait l’élégance et la liberté du monde. Il faudrait fermer, en qualité de maison dangereuse, un salon où il n’y aurait que des héros et des penseurs. On ne tolère les penseurs et les héros, croyez-moi bien, que par cette raison qu’ils forment une insignifiante minorité.

Henri, avec son sourire spirituel et bon enfant qui n’excluait nullement la distinction, était bien le mari qu’il fallait à cette délicieuse Anna, spirituelle jusqu’au bout des ongles et bonne encore davantage. Il ne faut point croire, cependant, que leur paradis conjugal, nouvellement reconquis, dût être à l’abri de toute bourrasque. Ils étaient faits pour s’entendre, mais aussi pour se contrarier. Ce sont les bons ménages.

Désormais, dans la guerre comme dans la paix, Henri et Anna devaient former la perle des couples.

La vicomtesse, avec une légèreté d’oiseau, becqueta le front de son vicomte endormi; puis elle disposa la couverture avec soin et revint s’asseoir auprès du guéridon.

Les lettres d’affaires étaient expédiées. On allait causer avec la bonne amie.

Notez que la bonne amie de province est agréable entre toutes à entretenir. On sait que l’arrivée de la lettre parisienne fera sensation au château. La province joue éternellement vis-à-vis de Paris la scène du Dépit amoureux. La province déteste Paris, mais elle l’adore; les choses, les lettres et les gens qui viennent de Paris produisent à coup sûr un certain effet, d’autant qu’on se roidit contre cet effet, d’autant qu’on le nie.

Avec une amie de province, on peut se permette un tantinet de style. Il est permis d’espérer qu’on étonnera un peu. Que voulez-vous dire à une Parisienne?

Elles savent tout, comme le gamin, leur célèbre compatriote. Elles ont d’autres points de ressemblance avec le gamin: elles se moquent de tout, et, chose désolante, dès qu’on entreprend la tâche absurde et téméraire de les divertir, on les ennuie.

Ennuyez-les au contraire, en italien, par exemple, et vous êtes parfaitement certain de les divertir.

Avec une amie de province, on raconte; les Parisiennes n’écoutent jamais. Elles ne lisent que les enseignes des magasins de nouveautés. Depuis que les tables ne tournent plus, que font-elles?

La plume de la vicomtesse courut bientôt sur le papier, traçant ces caractères bleus, inclinés, longs, élancés, coquets, qui tombent de toutes les plumes de vicomtesse.

«Il est tard, ma bonne Aglaé, je devrais dormir; mais tu as enfin daigné me donner signe de vie, et ta lettre me prouve que notre imbroglio t’a fouetté le sang. N’est-ce pas que c’est fort attachant? Moi, cela m’enchante. Ma vie est désormais un feuilleton roman. Chaque soir, je m’endors en me disant: «La suite à demain.»

»Et le lendemain apporte le chapitre impatiemment attendu.

»J’ai peur, quand cela sera fini, de trouver l’existence bien monotone.

»Sais-tu quel est mon emploi pour le moment? J’ai monté en grade: félicite-moi. Naguère, je portais les messages, j’étais facteur. Maintenant, je fais bel et bien la correspondance. J’ai l’honneur d’être secrétaire particulier de ma petite bonne femme. J’ose espérer qu’elle est contente de mes services.

»J’ai écrit quatre lettres ce soir, non pas sous la dictée de Marguerite, mais d’après ses instructions formelles. Le drame se serre; l’intrigue brouille ses fils. Nous aurons de la peine à dévider cet écheveau. Voici que nous allons prendre la baronne par ses deux grandes filles, Césarine par son repentir bien sincère, la pauvre enfant, et la belle Maxence...

»Mais on dit qu’elle est bien malade. J’ai peur! Je n’ai pas besoin de te dire de quoi est capable madame la marquise de Sainte-Croix.

»Madame Rodelet, la mère du jeune M. Léon, va nous venir en aide. Fromenteau, l’ancien agent de M. du Tresnoy, va se mettre en campagne. Je suis sur les traces d’une nommée Justine dont le témoignage porterait un terrible coup, et une sœur de madame Seveste, l’accouchée de la rue du Cherche-Midi...

»Revenons à notre récit. Tu me demandes des nouvelles d’Henri. Henri est ici, près de moi, blessé d’un coup d’épée au bras. Rassure-toi: c’est peu de chose, et la fièvre traumatique, comme l’appelle notre docteur, est déjà passée.

»Je me doutais bien, figure-toi, qu’il y avait quelque chose, mais j’étais à cent lieues de penser qu’on eût été jusqu’à une provocation. Sans cela, quelles transes, mon Dieu! Risquer de perdre mon Henri le jour même où il m’était rendu! Quand j’y songe, je n’ai plus une seule goutte de sang dans les veines.

»Ils se sont battus le lendemain du bal, dans le jardin du comte D..., honnête gentilhomme qui aime ces sortes d’émotions, pourvu qu’il soit simple spectateur, et qui a fait disposer une de ses terrasses en champ clos. Il prête gratis cet emplacement commode à tous ceux qui veulent s’entrecouper la gorge sans franchir le mur d’octroi. Il a des armes, un véritable arsenal: depuis le brutal espadon jusqu’à la courtoise épée, depuis le pistolet de tir jusqu’au revolver et à la carabine des duels américains.

»Il n’a pas encore pu placer ses carabines. Il cherche deux gentlemen assez avisés pour se battre à cinquante pas avec des balles à pointe de cuivre, perçant des plaques de tôle de deux centimètres d’épaisseur. Jusqu’ici, personne n’a voulu lui donner cet aimable spectacle.

»Lors de son dernier duel, ce fou de Montmorin lui a dit: «Encore passe si vous auriez des canons!»

»M. de X. a eu pendant trois jours l’idée de faire fondre une paire de canons. Mais son jardin est au milieu de Paris. Cela ferait trop de tapage.

»Il a une pharmacie pour les cas malheureux, et son chirurgien est à l’année. Il a des lits mécaniques, facilitant les mouvements des blessés.

»Il a des intelligences aux pompes funèbres.

»Il donne à déjeuner aux témoins, quand les blessures sont légères. Mais il faut qu’on se blesse. Sans cela, il se déclare lésé et met tout le monde à la porte.

»Henri et Achille se sont donc battus dans l’établissement du comte de X... M. de Mersanz n’avait pas pu trouver de témoins parmi les gens de son monde. Sa conduite avait révolté tous ses anciens amis: Henri avait Montmorin et Beaumont.

»A l’heure dite, on vit arriver le maréchal pour M. de Mersanz. Le comte de X... a des témoins dans le quartier: il en fournit un, et le combat commença à l’épée.

»A l’épée comme au pistolet, mon pauvre Henri est toujours parfaitement sûr de son affaire. Il a une douzaine de piqûres pour s’être battu six fois. Le comte Achille, ne t’y trompe pas, est un homme aussi brave qu’habile au maniement des armes. Je suis toujours étonnée quand je vois le courage, même ce banal courage de duelliste, s’allier à de si tristes défaillances du cœur.

»Les choses se sont passées au contentement parfait de cet honnête comte de X... Henri a reçu son dû, c’est-à-dire sa blessure, et les chirurgiens se sont emparés de lui.

»Avant le combat, je dois mentionner cette circonstance: le maréchal avait refusé la main du comte Achille, son neveu. Après l’engagement, il s’est séparé d’Achille sans mot dire. C’est lui qui est monté dans la voiture d’Henri pour le conduire à la maison.

»Je n’ai pas eu un coup trop violent. Henri m’est arrivé sur ses jambes, un peu pâle, il est vrai, et le bras en écharpe, mais le sourire aux lèvres. On l’a mis au lit tout de suite. Depuis ce temps, je le veille. Il me dit que je suis son ange gardien. Nous ferions bien rire peut-être ceux qui écouteraient à notre porte, car nous échangeons des fadeurs à qui mieux mieux. Mais ces fadeurs, c’est l’amour. Nous sommes heureux comme une paire de tourterelles au printemps.

»Tu te doutes bien que, ce matin-là, je n’avais pas commis le péché de paresse. Au moment où l’on me ramenait mon Henri, je rentrais, moi aussi: je venais de faire ma visite à la mansarde de Marguerite Vital.

»Ils étaient là tous les trois, campés dans cette pièce étroite: Marguerite, Béatrice et le capitaine Roger.

»Béatrice avait encore sa toilette de bal. Elle ne s’était point couchée. Elle avait passé la nuit auprès de son père, pris d’une sorte de transport au cerveau. Je ne peux pas le dire, Aglaé, ce qu’il y aurait eu de tristesse en ce lieu, sans la petite bonne femme.

»Quand je suis entrée, elle avait sa fille sur ses genoux. Le père, un peu calmé, sommeillait à demi, la figure hâve et pleine de cheveux gris en désordre. Le lieutenant était venu les voir au point du jour: son devoir l’avait rappelé à la caserne.

»Elles se levèrent toutes deux pour me laisser l’unique chaise. Marguerite, en voyant mes yeux se mouiller à l’aspect de sa fille, serra mes deux mains contre son cœur. Béatrice me tendit silencieusement son front. J’ai remarqué cela: le malheur est une enfance parce qu’il est une faiblesse. Les gens qu’un grand coup vient de frapper ont des habitudes et des gestes d’enfant, parmi la majesté même de leur infortune.

»Je m’assis. Nous fûmes du temps avant de parler. Moi, je n’osais ouvrir la bouche, parce qu’il me semblait que ma voix allait s’étrangler dans ma gorge.

»—Elle ne regrette rien, dit enfin la petite bonne femme, qui baignait ses doigts avec volupté dans les doux cheveux de sa fille; rien de toute cette richesse... rien de toute cette noblesse... Elle ne regrette que lui... elle l’aime.

»Béatrice se retourna vers elle et l’attira dans un long baiser en murmurant:

»—Je vous aime aussi, ma mère.

»Celle-ci la pressa passionnément contre son cœur.

»—C’est la Providence, figurez-vous, me dit-elle, c’est le bon Dieu qui nous a réunies. Je l’avais vue bien souvent, cette belle jeune femme qui remplaçait l’ange que j’avais tant aimée... la première comtesse de Mersanz. C’était une raison pour que j’eusse de l’éloignement pour elle... Et cependant, chaque fois que je la rencontrais, moi, portant ma boîte, elle, entraînée par les bouillants chevaux de son équipage, il me semblait que toute mon âme s’élançait sur sa trace... Il me venait parfois à l’esprit qu’elle pourrait bien avoir le même sort que l’autre, et mes cheveux se dressaient sur ma tête... Le comte Achille n’est pas un méchant homme; il est de ceux qui tuent les femmes sans savoir et qui enjambent le corps pour aller où le caprice les mène... J’avais peur...

»Elle ramena Béatrice, distraite et muette tout contre sa poitrine pour continuer en s’adressant toujours à moi:

»—Comment aurais-je su que je l’adorais déjà?... Une fois, à la pension Géran, où j’allais vendre mes plaisirs, j’entendis qu’on parlait d’elle; je m’approchai: c’était mademoiselle Mélite qui causait avec la marquise. La marquise disait: «Le mécontentement du maréchal est bien naturel; c’est une fille de rien. Je connais quelqu’un qui a fréquenté autrefois son père, un grossier soldat de fortune, sans éducation, sans manières, un homme impossible! Quand on s’appelle le comte de Mersanz, on n’épouse pas une demoiselle Roger...»

»Te souviens-tu, Béatrice, ma chérie, s’interrompit ici Marguerite, tu me vis arriver tout essoufflée. Je pénétrai dans ton jardin malgré le suisse et j’allai t’offrir des plaisirs. Le suisse venait pour me chasser; tu l’apaisas en riant et tu m’achetas toute ma boîte... Oh! le bon et cher louis! la sainte pièce d’or! Le premier sourire de ma fille!... Depuis, j’allais à l’hôtel bien souvent, j’y étais toujours reçue. Elle ne savait rien, cette enfant-là; je n’étais pour elle que la petite bonne femme!... maman Carabosse, comme ils m’appellent tous; et pourtant, si vous aviez vu comme elle était bonne avec moi! Je ne me suis découverte à elle qu’au moment où j’ai deviné le danger... Il fallait bien qu’il y eut un homme dans tout ceci: je parvins à introduire mon Vital et je lui avouai qu’il était son frère... Écoutez, il ne faut pas nous faire meilleurs que nous ne sommes... sur cent femmes dans sa position, il y en aurait eu quatre-vingt-dix-neuf pour se pâmer de désolation en apprenant cette foudroyante nouvelle... la comtesse de Mersanz, fille de maman Carabosse!... Eh bien, elle tomba tout de suite dans mes bras en pleurant de joie et en m’appelant sa mère...

»Le vieux Roger s’agita en ce moment dans son lit. Nous le vîmes se soulever sur le coude. Il avait vraiment l’air d’un spectre.

»—Pourquoi donc, nous demanda-t-il, pendant que son regard abêti faisait le tour de la chambre, pourquoi donc le lieutenant Toussaint s’est-il fait sauter le caisson?... J’ai su cela... je ne m’en souviens plus.

»Béatrice nous quitta aussitôt pour s’approcher du lit. Le bonhomme la regarda en face d’abord, puis avec une appréhension sournoise.

»—Comtesse! murmura-t-il; est-ce bien heureux d’avoir une fille comtesse?... Il faut regarder où l’on pose le pied dans ces grandes maisons.

»Et, tout à coup, fronçant le sourcil:

»—Bien! bien! voilà que je m’en souviens!... On rencontre de vieux camarades, n’est-ce pas? on boit un verre ou deux ensemble... je ne savais pas que c’était péché de boire dans le jardin... Niquet et Palaproie ont fait un peu de bruit: ce n’est pas des marquis... On ne le fera plus... d’ailleurs, je vas retourner dans mon trou: je ne gênerai plus personne.

»—Mon père! mon bon père! prononça doucement Béatrice, qui lui jeta ses deux bras autour du cou.

»Le vieux Roger se laissa caresser un instant. Il était plus calme et un sourire voulait naître autour de ses lèvres. Mais nous le vîmes soudain repousser Béatrice, tandis que ses yeux hagards interrogeaient le vide:

»—Est-ce Toussaint ou Langlois?... murmura-t-il; Toussaint avait une fille; Langlois aussi... Lequel des deux s’est brûlé la cervelle?...»


Chargement de la publicité...